TABLE DES MATIÈRES
\.
CONTENUES DANS LA DIXIÈME ANNÉE (1890) DE L'ART MODERNE
t > --rSLtiJC-' <- _«
r-
ETUDES ET PORTRAITS
F-iOngévilé arlislique . . .'
Un nouveau Moyen-ûge ... .-
Notes sur riliade . . .' . •■ • • • ■ •
Néophobes ou Mysoriéistes . . . . ....
Les derniers des Mysonéisles- .
La joie du livre fait ....
Mélcmpsychose do romancier
Prenez vos conclusions . . .
La Belgique jugée par Baudelairet . . . . . , .233,
pROUDHON et la'Belgique, pour faire suite à la Belgique
jugée par Baudelaire . . ^. . . ... . - .
Un article nçt sur Maeterlinck . . . .... .
Barl^ns el dislancés
L'Evénement Maeterlinck
Admirateur jusqu'à l'imitation . .'
Ecrivains cl journalistes
Ce que vaut la littérature belge
Une profession de foi de Camille Lemonnier. . . .
Petites chapelles
Types d'artistes
Supplique à M. Vanden Pcereboom, ministre des che-
mins de fer . . ^ ..T ,..
Marine . . . . . • • • • • • • • •
La grande Mystérieuse. . . . . .
Genck . , .
Impressions d'artibte : Au Musée de Marseille ...
Id. Nurcnribcrg. — Dresde. — Munich. . . .77, 84, 92,
La sensation artistique
Evolution adaptatrice 361,
Eloquence nouveau siècle ...,,..._..
Désillusions . . . . . , _ . -.
Le confortable . ^ . .
Les Marbres du Parllîénon ;
Le Théâtre nouveau
Le Théâtre-Libre 97,469,177,185,.
Le Théâtre vivant . ... . . , . , ■ . • . ..
Une actrice célèbre
Jésus-Christ en Bavière
Musique russe .- . . ,
Le Café-Çonccrt . . .
Un optimiste américain (Emerson) .......
Louis Artan ......'
john-Lewis Brow^n ..;........
Jules Chéret . . . '
Albert Dubois-Pillet ..........
Auguste Dupont . . " . . .
Emerson
César Franck . . . . . 363,
George Minne
HaNS RlGHTER ''. ....
Paul Signac
Arthur Stevens . . . . . .- . ,
Vincent Van Gogh . . . . . ■• • . . . .
Charles Verl AT ............
Villiers DE l'Isle Adam . . 59,67,
275
273
281
313
309
321
315
345
289
65
241
266
257
265
19
117
385
380
401
113
355
393
33
193
353
105
268
121
337
29 k.
171
379
252
270
403
217
371
307
145
284
297
243
348
137
/
PEINTURE ET SCULPTURE
La mise en page . : ... .- . . . . ' .
Les n(k)-impressionnisles. — Paul Signac^
Les afliches do J. Chéret ..... ^ . .
A propos de Félicien Rops . . . . .
Le mystère de la rcsscnfiblance • .
A propos de l'aquarelle (correspondance)
43
284
. ."^ 2*i2
. . . 203
148
406
Référendum artistique 409
Urie œuvre de Vander Stappen . 322
Les Tours et tourelles hîsloriques de la -Belgique, par
Jean Baes. . . . . -. . ■ . . ... 412
Le Musée des aris décoratifs 235, 258
Acquisitions d'objets d'art ..... . ... . 57
Récentes acquisitions du Musée de peinture . . . .157,225
r»c nouveau Rubens . . . . 203
Une.-commande de 300,000 francs 166
Le nouveau Musée d'Anvers . . . . . . . . . 229, 302
Concours de l'Académie d'Anvers. — Ateliers libres. . 235
Musée de Marseille : Le Jeune homme à la ganse jaune 19
Manel au Louvre . . ' . . . 46
Fe«i do.s',. pal* Odilon Redon 412
Une lettre de Théophile Gautier sur les peintres fla-
mands. .'229
■La collection Daupias à Lisbonne 155
Commissions officielles (Incident Rodin) . , . . . . 261
Les Augures (à propos du Rembrandt du Pecq) ... 78
Collaboration artistique (id.). . ... . .... 140
Que deviennent lesjiiUleaux? . 182
Le biUMac-KTntëyT . X,^ . ... . . .> 367
Le Salon de Bruxelles .\m . . . - .... 298
Id. Lc(coin dos négligés . ' . . 330
Id. Acquisitions 372,
Id. Le Salon défunt ..>•.., 369
Id. Recettes du Salon .... 375
Le Salon de \%%, par Y. \\:kge\ .,321
Exposition des XX 25
Id. Acquisitions. . . ... , . 57,71
Id. Recettes de l'Exposition .... 71
Exposition des Portraits de Maîtres du siècle ." . . . 8f
Exposition de rJÇ'^so?' 153
Id. du Cercle des Femines peintres .... 196, 207
... 395
Id. des Aquarellistes . .*
Expositions du Cercle artistique : cii\)0slhC)nCr3ihcels . 39
.Id. Meunier • * ^^
Id. Chappel-Kuslohs ........ 174
Id. Vander Hecht ' . . . 381
Id. ' Coenraets, Van Ûvcrbcko, liagcmans . . 391
Exposition Wytsman ....... V^ . ... 404
Id. F. Régamcy, à Anvers . . . . . .• . ^ - 167.
Salon DU Champ DE Mars. ......... 161
Au Salon DE Paris. Le nu est mort . . . . 213
Péladan au Salon. La décadence esthétique •. . . 189
Les médailles du Salon . . . .... . . . . 181
E\i)os'n\on des Artistes indépendants .• ' 100
Le Salon libre . .' /...... 227
Exposition des peintres-graveurs , .111,151
V
: y
Exposition de V American Charilable Associalion . .' 374
Id. Raffaëlli . '. . . . . . * . . . 179
Id. Pissarro . . . . 87
Id. Roy bel. .. . ; . . . . ■,. . . 213
I. An tM) Anglelorre depuis 1880, ; " .-^ . ." . . . "■■102
E\\)()?>\\.\onéc Va Roxjnl Academy .......... 172
\a\ GTOsvenor&[,\diNciv-Gallenj .... . .• . 187
7'l.ie Corpomlion Art Gallery . . .■.•.. . . 194
La Peinture anglàUe, par Georges YdvàAxdi'mne . 20
Exposition des maîtres anciens à La Ilayc. . . , ; . 159
Nécrologie : Artz . . . .- . 374
Id. J.-L. Brown •. . 379
Id.. A. DuiJois-PiJXET. . . . •■. ... . . . • 270
, Id. JLi.Es Gauniek ....•..'..... 7
Id. Vincent Van Gogh . . . .' . .... 243
Id. ."Charles Verlat . 348
Vente CarvaUio '183
- Id. Crahbe. ............. 190
, Id. Êlkan .......; * 191 '
- Id. des portraits de Landseer . . . .
Id. Mav. . . . . . ... . .' . . . . 207
Id. Pofto-Riclic . . ... . . . . . . 175
Id. des œuvres de Félicien Rops . . . . . . 1.98
Id. de la collection du duc de Somerset .... .2-15
RCcapitulalion .des ventes Seillièrc,Piol, Mav, Rotlian,
. d'Armaillé, Crabbe . ....-..'..., 223
Mcmenio des expositions 22, 38, 70, 94', 150, 198, 230, 238,*
295, 310, 366, 382, 398
ARCHITECTURE
Les Palais de l'Exposition de Paris. . ... . . . 11
Le lliéùtrc de la Bourse 44
L'Eden ol le théâtre de la Bourse ..'..... -125
L'Hôlel-de-Ville de Borgerhoul 204
Le Steen d'Anvers cl sa restauration. . .'. . . . 214
L'Arcliiieciurc au Salon de Bruxelles .... . . 317
Le concours pour une nouvelle Ecole moyenne ... 205
L'Exposition d'arcliiiecture à Liège. . . . . . . 166
Société centrale d'architecture. — Fête anniversaire • 45
Construction d'un Hôtel des Postes à Lisbonne . . . '47
L'incendie de la cathédrale de Sienne 339
-^es architectes de l'église collégiale dé Sain le- Wandnt
À M(;?i5, par J. Hubert, t . . . . ."^.7. 135
LITTÉRATURE
Conférence de Stéphane Mallarmé sur Villiers de
risle-Adam 53, 59, 67
Confessions de poètes (Maurice Maeterlinck, Ch. Van
Lerbeuohe, Emile Verhaeren) 61, 68, 76
Profession de foi de Camille Lemonmer ..... 345
Confiance en soi-même, traduction inédile d'EMERSON,
par une Inconnue .. . . 243,252,260,276,283,293,300
Emile A-MIEL. — Erasme. 244.
[André Antoine]. — Le Théâtre-Libre . . 169, 177, 185, 193
Léon Bi.oy. — Christophe Colomb devant les Taureaux 349
Ernest lîosiERS. — L^! Vieille fille. ...... 149
II). — Les Fraises 365
H. Carton de Wiaht. — Vieille, très vieille histoire . 365
Léon Cladèl. — Urbains et ruraux . . . . . . 357
I)ou^vES Dekker (Multatuli). — Brieven van Muliatuli. 262
Guillaume Degreek. — Leçon d'ouverture du cours de
Méthodologie des Sciences sociales 4
Auguste Delbeke. — Les Synergues . . . . ... 342
Louis Oelmer. — L'Esclave. . . . . . . . . 149
Eugène Demolder. — Impressions d'art . .... 83
Célestin Demblon. — Liège, passé et futur .... 60
Olivier Dessa. — Les Aventures de Jean d' Nivelles, et
fils dé s' père 140
Albert Dubois et Louis Navez. — Guide pratique du
promeneur aux ejivirons de Bruxelles . ■ . . . '.
Charles Dumercy. — Paradoxes d'un bibliophile .
Louis DuMUR. — /4/^er/ . .
Georges Eekhoud. — La Nouvelle Carthage (Les
Emiirranis. — Contumace). ........
Franz Foulon. — Poèmes fiavmnds et pçésies diverses
Alfred Franklin. — La Vie privée d'autrefois
(L'hygiène) , . . . . . . . '. . . . .
Arnold Gofitn. — Maxime. . . . '. . . . .
Charles Gommaire^ — Les monuments mégalithiques
de SolWaster. . .
Edmond de Concourt. — Mademoiselle Clairon, d'après
ses correspondances et les rapports de police du
temps
Jean Gougnard. — Huy pittoresque (avec une préface
de M. Edmond Picard)
Emile Greyson. — Hier et aujourd'hui
M. Harroy. ' — Les Cromleais et Dolmens de Belgique.
Charles IIeniÏy. — Loi générale des réactions psycho-
motrices ~. . . . . .^. . • . i. . . .
'J.-K. HuYSMANS. — La Biévre ..-..'...
Jacques Isnardon. — Le théâtre de la Monnaie depuis
sa fondation jusqu'à nos jours . . . . ^ . .
31. kuKFERATH. — Parsifal (drame, légende, partition)
Jules Laforgue. — Les derniers vers. . .... .
Maurice Leblanc — Des couples! . . . . . .
Jules Leclercq. — Du Caucase aux monts Alaï . .
Charles Le Goffic. — Les romanciers d'aujourdhui.
Camille Lemonnier. — Le Possédé . . . . ,h .
A. hExoT^]"'"). — Emerson
y-B.UxGRË.'—lLT-C.Houzeau . . : . . . .
Maurice Maeterlinck. — Les Aveugles . ... . .
Stéphane Mallarmé. — Conférence sur Villiers de
Vlsle-Adam .. . . \
Henry Maubel. — Miette . ; .
Id. Max Waller .......
Louise Michel. — Le claque-dents . ... .' .
Milmaur. ^ — Fin d^ siècle
E.MiNîiAEKT. — Au Caire . . . . ... .
Eugène Monsen. — Coups d'éperon. ......
J. Péladan. — La Décadence esthétique (Salon de 1890)
VicTORiô PicA. — AlVavanguardia .
PisEMSKY. — Théâtre
Francis PoicïeviN. — Double ■ . . . . . . .
Hugues Rebelle. — Athlètes et psychologues . . .
Henri de Régnier., — Poèmes anciens et romanesques.
Adrien Rema'cle. — L'Absente. .......
Jean Robie. — Noies d'un frileux.. . .'. . . .
Samuel Rocheblave. — Essai sur le comte de Caylus.
J.-H. Rosny. — Le Termite. . . . . . . . .
G. Verdavainne. — La peinture anglaise. ... . .
D'' Schoenfeld. — 'L'Art arabe en Espagne. . . .
Emile Sigogne. — Essais de philosophie et de littérature
TcHENG-Ki-ToNG. — Le Eomqn de l'iiomme jaune. . .
Léon Tolstoï. — La Sonate à Kreutzer . . . .- .
l)^' EmiEVxhE'sim.— Escales et abordages' . . .
FiRMiN Vanden Bosch. — Autour du Journal des Gon-
\ ■ court .
' "^ Id. . Un mort d'hier: MaxWaller
James Vandrunen. — A l'aventure (carnets de route) .
Emile Verhaeren. — Au bord de la route ....
Villiers DE l'Isle-Adam. — Axel .
Charles Viremaitre. — Paris-Médaillé
Id. Paris-Cocu .
A propos du livre de Viremaitre. ... . . . .
J.tMc.-Neill Whistler. — The gentle Art of making
. Enemies . . . . : . .,.'•• . . . . ; .
Emile Zola. -^ La Bête humaine . _ . .
Le catalogue du jardin de Jean Hermans .... .
Livres d'étrennes (Bibliothèque Hetzei) . . . . .
Id. (Publications Hachette) . . -. . . ,
133
341
'364
3
389
113
324
Ho
105.
133
158
12, 134
228
329
164
331
377
391
140
149
201
291
446
248
342
324
357
333
110
20, 410
92
189
36
226
35
228.
123
91
340
211
73
20
188
205
365
305
390
205
' 357
204
357
137
163
'- Il
2{
263
129
91
405
413
>
Annuaire du Caveau Verviétois ... ... . 2(i2
La conférence du Livre ... 120
Exposition de la librairie à Anvers , . . '•. . 2S5
BijDliolhè^ue Renier Clialon ' . ". . .327,333
Conférences de M. Emile Sigogne . . , .^ . .. .
Conférence de M. le chevalier Hynderick . .
Conférence de M. Charles Tardieu . . . ;',
Vente d'autographes à Londres . . ; . . . .
Nécrologie : Gaston Dubedat . : , . ■ • . .
^
MUSIQUE
Musique russe . . • • . . . . . . . - . ,
La partition de Ftd(?/îo . . . .."..•...
Prtrsi'/fl/doJlichard Wagner, par Maurice Kufferath.
CoNSERVATmRiE DE Drl'xefxes. ^-Troisième concert (les
Ruinés cV A ihcnei:) .'
Quatrième- concert [Orphée).' .. ^ . .
lu. Association des professeurs d'instruments à vent. —
Musique de chambre. Saison 1889-90 . . . .37,
, Id. 1890-91. ....
iD. Concours . .*^ 197,205,214,
Id. Disiribution des prix '. . .• .
Id. Une allocution de M. Gevacrt (Premier concert de
. 1890-91) .
Concerts populaires. — Deuxième concert (Musique
belge. — Edg. Tinel, E. Mathieu) . . ... . .
Id. Troisième concert (Musique russe. — Rymsky-
Korsakoff) . . . . . . . • • • • • •
Id. Quatrième concert (Musique allera^de. ■— Hans
RiCHTEft) .
Les Concerts populaires .
La question des Concerts populaires
Association des Artistes-Musiciens
Séances musicales des XJC — Première matinée^ (Mu-
sique belge) . . . . . . • ■ . . . . . .
Id. Deuxième matinée (Musiquc4rançaise). •. . . .
Id. Troisième matinée • id^^. . . . . .
Concerts classiques . . . -. . . . . . -365,
Ecole de musique de Saint-Josse. — Concert annuel .
Concerts Lamoureuxr . ,
. Conchxi du Club symphonique . . . . . . . .
Société de musique de chambre de Bruxelles . . . .
Concerts du Waux-ifall . . . . . . . , . •.
Concert llouschling . .
Conservatoire de Lif.ce. — Concerts . ... 30,
Nouveaux Concerts liégeois. .37,93
Concert Strakosch h Liège , .
Concert L'amoureux à Liège
^~TkoLE de musique de Verviers. — Concert annuel . .
EfOLE de musique de Mons. — Concert annuel . .
Concerl de \a Société de inusique de Uons
Rulh, de César Franck, à Tournai
Les vieilles chansons à la Scala d'Anvers . . . . ♦ .
Soirée musicale chez M. WOrUters à Anvers : . ...
Société NAtiONALE de musique de Paris. — Concerts .
5,30,70,86,111,125,134,
Edw. Grieg chez Colonne. .....,,...
T'mtow, e^/i'ew/^ chez M^'-'lIcllman . . .^. . .
Ml'* Dyna Bcumcr à Marseille. . . . . . . ". .
M. Eusebio Daniel à Barcelone ;
Jubilé d'Antoine Rubinstein.
Muséed'instrumcnts de musique à Berlin . . . .
Bibliographie musicale . .6,31,38,79,118,174,
Nécrologie. — César Franck
Id. ° Auguste Dupont
. Id. Le luthier OsTAP Véressaï . . , .
2?
, 69
.39
414
2.55
164
121
7
331
78
108
134,
155
382,
407
222,
238
365,
373
9
414
122
145
363
379, 391
134
37
45
54, 62
381,407
4
347
94
399
199
45
108, 373
,69, 396
341
â58
125
414
157
157
79
391
142, \m
4
«7
374
359
15
247
206, 215
363, 371
403
183
THÉÂTRE
Le Théâtre Nouveau
Le ThéAtre Libre .
33
97
LeThéAtre Vivant . ..... .' . , . . . . 353
Le ThéûtnLibre (analyse de la brochure de M. Antoine) 169,
177, 185, 193
La pantomime .....' . 141
La mise en scène sous- Shakespeare. (T. de Wyzewa): . •■ 388
Id. (correspondance) . 395
Le ThrAtre d&'fmïmsky . . . . . . \ '. . . 226
Correspondance d'artiste : Les représentations wagné- ^
rivnnes en Allemaigne (Dresde, Munich) 92, 117
Les représentations d'Oberànimergau . . .' . ... 183,268
Les rcprésenlalinns wagnérionnes en Allemagne . . . 23,151
Théâtre de la Monnaie. — Le théâtre de la Monnaie
depuis sa fondation jusqu''à nos jours, par Jacques ; •
Isnardon 164
Règlement de 1781 pour le maintien delà police et
du bon ordre . . ' . "' . 164
Articles additionnels à ce règlement. . . . 173
■ Le théâtre de la Monnaie en'l827. . . . .-.".' 13
Saison 1889-90 :fSalammbÔ ......... 41
La partition de iSrt/^mmZ^tî. . . — ^ t- •. .' " . 51
La mise en scène de Salammbô' .... 52 (V. aussi p. 7)
La mise en scène de Salammbô, par M. P. Saintenoy. . 111
M""-" Rose Caron dans Salammbô . ' 49
Le Songe, d'une Nuit d'été (re'pnsc) 78i
Le Vaisseau- Fantôme i^xd.) 89
Carmen {\d.). . . . . ' . . 126
Le Demi-Monde. . . . . . . " . . ... 108
Saison 1890-91 : Tableau de la troupe . . . . . 271
Roméo et Juliette (reprise). ' 323
La Basoche . . . -. . .... 394 (V. -aussi p. 196)
M"" Richard dans la Favorite ....... / — -4'14 '
Théâtre du Pahc. — Représentations du Théâtre-Libre :
L'Ecole des veufs, par Georges Ançey . . . . . 27, 98
' i?o/rt?ide, par L. de Gramont . . . . . ... 28
-En Z)e7re5se, par Georges Ancey . 28
.L'Amante'du Christ, par R. Darzens .... . 28
Le Maître, par iean iMïcn ........ 97
Les Inséparables, par Georges Ancey ..'...• 98
Monsieur Lamblin, par Georges Ancey 99
Deux Tourtereaux, par P. Ginisty et Guérin . 100
Les frères Zemganno, par E. de Concourt. . . . 100
Id. — Représentations de M. Candeilh :
Belle- Maman, \)îiv y. 'èdivdoxii. . ■. . . . . . 33
FcM yoHpMîd, par A. Bisson. . . . ... . 126
L' Ami des Femmes , [YAT S . Dumas 310
iI/o?î5ieHr-.fîe/sî/,. par P. Alexis et 0. Méténier. . . 365
La Vie à deux, pur UM. Bocage et De Courcy . 387
Théâtre des Galeries de Saint-Hubert. — La Policière 45
La Fermière. 6.2
L A r lé sienne 101
Cendrillonnette . . . . ": . 118
Fatiniiza. . : . ......... 319
Le Petit Faust , 357
La Grande Duchesse de Gérolstein. ■ . . . . . -407
Théâtre Molière. — A^«n« . ........ 55
La Famille Benoiton 101
Cartouche . . . "' ■ 118
Les Microbes. . . . . . ...... . . . • 132
■'L'Esclave '...,.. 149
Lucrèce Dorgia 155
Vingt ans après 197
Le prisonnier de la Bastille 213
La Fille de Roland. . ..... . . .. . . •\358
La Dame aux Camélias : . . . 366
L'Enfant prodigue (ytpiTûomimc). ...'... 372
Théâtre de l'Alhambra. — Direction Durieux :
L'Etudiant pauvre. . . . . . . . .... 38
Surcouf , ■ . . . • • • • . 85
■ Boccace ............ \ . 118
Direction Rose Desnoyer :
Patrie! ." . . . .; ' . . . . 370'
Le Petit Jacques . . . . . . . . . . ■ . 398
.-^
r
418
TABLE DES MA TIÈfiES-
A'LCAZÀR. — Èriixelies Haul-Cango, part. Malperluis-
Concours dramaliquc à Liège . ... . . '^ ■ •
Au Ilideau ! . . . . . ...
ïiiKATUE Néerlandais d'Anvers . \
Théâtre LibrL*. -a Monsieur, Bu le, par M. Biollaye •.
■L'Amanl de sa femme, par M. Sclioll . . . .. .
' La Belle opèralion,\)2iV ^\.'&Q.vm(i{ . ' .'■ . ' . , . .
L'Honnein',]n\y M. \\Gnr\rVt\rc. . ... . .
Les Revenants d'Ibsen au f liéàlre Libre ... . .
La Princease Maleine au Théûtre Libre
Théâtre Libre de Bruxelles. — Jovial, marchand de
cercueils . . . . . . . . ... . . .
Opéra-Comique de Paris. — La Basoche. ... .
-Le ihéàlre de Worms . .
Cléopâtre de V. Sardou . , . ■'.■•■ ..]...
Wagner à Berlin . . ... ' . . . -.
Id. à Paris. . : ■ .; . •-: " . . . ' J .. .
Lohengrin h Genè\(t ... . . ..• . . .
Id. à Lisbonne . . . . ....
Id. à Carlsruhc . . . . . . . . .
200*^ ropi-éseulalion de Lohengrin à Berlin . ...
Les^aUris-Chanleurs^W\\dn. . ... . '. .
Le l(^'hor Gayarre à. Madrid . . . . . «. . . t
.M. Cossird k -Bordeaiîx . . ... . .
M. Frc^déricBoycr h Bordeaux ... . '. .
M. Seguin à Bordeaux. . . • . . . .^ . .
M"« Lœwoiisohn à.Paris , . ^ . •. . . . . .
M. Ernest Van Dycii à Vienne . . . . ... .
M. Verdliurl à Paris . . , . .... . .
Négrologie. — Victor Bernard . . . ... .
Id. Jeanne Samar Y-
351
175-
150
;573
387'
387
387
356
d79
366
/
4
196
43
343
237
245
7-
.103
303
303
■ 7
15, 207
359
15
343
367
391
350
239
303
ARTICLES DIVERS
Le Triomphe de la Folie ... . . . . . . ; 308
Critique iillëraire belge ..... \"\ . \ 325
Litiéralure-réclamc ' , . . . 397
L'crlhographc . .... . . ... . . . 332
E\.di\. c'wW Ae la Jeune Belgique . . . . .... 381
L'arien Belgique . . - .. ....... 325
La fécondité des maîtres ^ . 22
L'interview ....;. .- - 13
Albert Wellï" embêté par Antoine . . . . . 180,190
Siruggle for Médaillles 181
Artistes cl marchands. . . . . . . . . . 254
Conseils aux collectionneurs. quF fréquentenl l'Hôlel
Drouot 277
Une lettre de M. Georges Lemmen ....... 173
Société d'archéologie. — Séances générales .... 22, 246
Petite chronique 7, 14, 22, 31, 39, 47, 55,' 63, 71, 79, 87, 95,
103, 110, 119, 127, 135^,142, 151, 158, 167, 175, 183,
191, 199, 207, 215, 223, 231, ^39, 246, 254, 263 270
279, 287, 295, 303, 311, 319, 326, 334, 342, 35o' 358
367,374,383,390,398,406,413: ' '
NÉGR01.0GIE, — Edouard De Wlnter .... \ : .. 431
11). Victor De Smeth . ... . . '. 334
- Id. F. Ewerbeok . . . . -. . .\ .
CHRONIQUE JUDICIAIRE DES ARTS
ce
La littérature au Palais. Discours prononcé par M. le
procureur général Van Schoor
La propriété artistique aii temps de Weber . .
Une campagne contre le droit d'auteur • . . .
A propos de La Tosca. (Sardou c. Gil Blas). .
Van Beers c. Sedelmayer. '. . , . . .
L'auteur d'un poème peut-il se refuser à tirer (l(
dernier un livret d'opéra? (Sommer c. Wolfl).
Basse ou baryton? (Kieferx;- Arnim von Bôhme).
Slal-ues contrefaites. (M. P. c. Gonella et Gasparini).
Un hax Angélus . . . . ' '.
Artiste et critique. (Terris c. The Sunday Times)
La Gavotte Stéphanie. (Czibulka c. Froehli^)
Le geni;e et l'emploi. (M""^ Madeleine Max c.'^ Baliier) . 150,
-La maison de V.icU)r Hugo. (Barrée. Roche et Goudchaux)
Faux tableaux de Bastien-Lepage . .- ;
Peut-on reproduire sans autorisation les traits de
quclc,..'un? . . . ;
Librairieei orthodoxie. (Taché c. Cadieux et Derome).
L'affaire Goufféou la malle sanglante. (Eyraud c. Demo-
lins et Pompéi) . . . . . . . ". . . . .214,
Commission sur les engagements de théâtre . . .
Partitions manuscrites. 'Contrefaçon. (Editeurs c. Vi-
lanou).
Vente d'éditions musicales prohibées en Belgique.
(Breitkopff et Hârtel'c. Scholl frères) . ... .
Bronzes contrefaits. (Paul- Dubois c. Pierre Dubois et
Battendier) . . . . . ... . . . . .
Benvenuto Céllini. (Lilolff c. Choudéns) .....
A Monaco. (Siecchi c. Société des Bains de mer) . .
Marat dans sa baignoire. (Terme c. Durand.-Ruel) . .
Encore le Rembrandt du Pccq. (Bernard c. Bourgeois) .
Schurmann c. Paulus. . . . . . . . . >. . -
Affièhes de théûtre. Vedette. (M">e Gayet c. Coppée) . .
M., Gounod en' justice. ^. ......... .
Jeanne de Oinain. (De Gangler ç. Meycr). ....
Tableau détruit dans un incendie. Fixation de l'in-
demnité. (Zmurko c. la Foncière) . ... . .
Les œuvres de César Franck. {S'' C. Franck c. Verduhrt)
Madame Bovary . (Commanville c. Théûtre indépendant)
Un mari dans les coulisses. (De Ladrière c. Grand
Théâtre de Lyon) ...........
- .-, . 7
317
,?47
311
- 5
J4
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18.2.
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398
BruxeUes. — Ijnp. V< MoNNOtf, 32, rue de l'Industrie.
Dixième JA.NNÉE. — N" 1,
Li; MMKKO : 25 CK.NÏIMICS.
DiMANciiK 5- Ja.nVikr 1890.
PARAISSANT hK DIMANCHE
/
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Goiâité de rédaction : Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00 ;T;niou ])o.stalo, fr. 13.00. —ANNONCES : On traUc à forfait.
Adresse)' toutes les communications à i .
l'administration gknkrale de l'Art Moderne, rue de l'Industrie, 26, Bruxelles.
5
?
OMMAIRE
Longévité autistique. — Georgks I^ekhoud. La Nouvelle Cuv-
thagc. — Université de Bruxelles. — Au Théâtre Liiîre ue
Bruxelles. — Notes de musique. ~ L)ù. concerts parisiens. —
Société nation.vle de musique ■ — CIiiuonique .lUDidiAïuH des ,\urs.
BlliLIOGRAl'llIK MUSICALE. — PeTITE CHRONIQUE.
LONGÉVITÉ ARTISTIQUE
u
De plus en plus vite, en notre race européenne 'com-
bien stagnantes restent les autres!}, vont les transfor-
mations. Sa giration s'accélère. A peine une nouveauté
surgit-elle, que déjà elle s'atténue et fond sous l'action
d'une caducité précoce. Et ce n'est pas, pour l'ensemble
de notre civilisation étrange, arrêt ou décadence.
Pareille pensée ne peut venir qu'à ceux qui, obsti-
nément, fixent les yeux sur un point de cette kaléi-
doscopie immense et ne voient alors que le dépérisse-
ment d'un détail, unité fragile et minuscule. Pour ceux,
au contraire, qui embrassent dans tout son horizon
l'effervescence moderne, prodigieuse, à toute bulle qui
s'évapore, en succède une autre, inépuisablement,, Et le
tÔiit va, va,*en une déconcertante activité, vers uii but
invisible par une série de transformations vertigineuses.
En aucun temps les événements ne se sont ainsi pous-
sés, bousculés, non pas les grands, les lourds événe-
• ments dits « historiques ", mais la multitude des choses
en quelque sorte cellulaires, inventions, découvertes,
•systèmes, théories, écoles, procédés dont est fait le tissu
de l'existence humanitaire. Invinciblement, à ce spec-
tacle, dans le brouillard de l'imagination apparaissent
en fantômes, toutes sortes de comparaisons vagues
prises à la vie mécanique des machines, aux rotations
des volants, au tournoiement des turbines, au va et vient
fou des bielles, à l'emportement des trains, avec le grand
murmure des rouages précipitant leur vie bruyante,
ininterrompue, planant sur l'usine des peuples inlas-
sables.
Dans l'art, désormais, le repos est devenu impossible.
. Quiconque' veut seulement reprendre haleine est dis-
tancé. Couche sur couche, le neuf s'accumule.. Une puis-
"sance irrésistible et inquiétante tourne les feuillets du
livre du.destin, ne permettant aucun arrêt, même aux'
pages les plus séduisantes. Quel parcours depuis le com-
mencement du siècle! Quelles étapes successives, dont
chacune semblait devoir être un. palier où longtemps
les artistes pourraient faire halte^dans le calme travail
d'une réforme conquise! Et chaque fois, quel vent souf-
flant sur le camp victorieux, d'abord'en brise, puis en
tempête, renversant les tentes, répandant la déroute,
contraignant l'armée à reprendre sa marche, dans les
ténèbres, vers une autre région, malgré les cris et les
commandements des chefs voulant empêcher le départ,
^
" •''•*i'5s4
■f'
satisfaits des résultats, prédisant d'imaginaires périls,
invectivant ces impatients tourmentés du besoin d'aller
plus avant, mais délaissés bientôt par ceux-ci, et restant
seuls en traînards, tandis que la multitude, .prise d'une
'fièvre d'insomnie, s'en va, s'en va... on ne sait où?
|li]t ces chefs, ces vieux, ces distancés demeurent, entre
eux, pareils à des épaves échouées sur la route, s'incrus-
tant en bancs de corail et immuables, et continuent ce
qui fut un temps la plus haute expression artistique de
l'époque, ce (|ui fut leur gloire et leur force,, ce qu'ils
aiment, à cause de cela, d'un irritable amour. De loin iJs
regardent ceux qui s'éloignent et déplorent leur témérité
et leur infidélité. Sans bienveillance, presque toujours.
]îien plutôt avec l'hostilité et l'amertume des dédaignés
et des incrévants. Il s'établit alors cette lutte, ces résis-
tances, ces rappels en arrière, mêlée d'outrages, qui
foni hésiter parfois les avancés, en troublent plusieurs,
en ramènent quelquefois par un brusque et lâche rebrous-
sement.
Cet endurcissement dans des habitudes d'art acquises
est encore de nos jours le commun phénomène. L'ensei-
gnement a eu si longtemps pour base l'imitation de ce
qu'on nommait " les modèles! » La perfection a si long-
temps consisté à répéter le mieux possible ce qu'on signa-
lait comme le Beau absolu ; la théorie de l'évolution
dans la vie artistique est encore si récente et si peu
visible, si ce n'est pour un petit nombre, que la plupart
croient pernicieuse cette turbulence des novateurs sans
cesse occupés à déranger la belle ordonnance des symé-
tries académiques. On attache à leur agitation des idées
de révolte et d'excentricité. On ne les accueille pas, ou
oh ne les accueille qu'avec défiance, leur faisant la vie
dure, multipliant autour de ces impatients et hardis
voyageurs, les intempéries de la mauvaise grâce, des
méchants propos, des découragements, des menaces.
Rien n'y fait, ils vont leur train, leur grand U^^n
d'indomptables, silencieux pour la plupart commèToî^
l'est quand on fixe un but invisible à la foule, dédai-
gneux aussi de. tous les bas murmures, ou, mieux encore,
inconscients des malveillances qui bourdonnent autour
d'eux, mouches venimeuses. Leur bataillon ne décroît
jamais. Tout qui tombe ou déserte est remplacé et la
flamme ardente qu'ils emportent avec eux brille, inex-
tinguible fanal. De ce côté, il suffit délaisser faire : la
troupe est héroïque, connaît son devoir et l'accomplit
inflexiblement.
Mais ce qui traîne derrière^ux, éparpillé sur la
grand'route, campé en des mœurs artistiques démodées?
Est-ce que vraiment cela ne changera- pas? Ne descen-
dra-t-il pas sur tout ce monde vieillot à des degrés divers
quelque lumière divine qui lui révélera où est la vérité,
où est le devoir? C'est grandement à considérer, car le
jhal qui en sort par l'arrêt, par le retardement dans
l'avancée générale, est incalculable. Si, au lieu de tirer
en arrière, tous ces braves éclopés poussaient en avant,
quelle ruée, quel élan pour l'universel progrès ! Au lieu
de crier sans cesse : halte! ils crieraient : en marche,
en marche! Au lieu d'abattre, ils exciteraieiit. Au lieu
de mettre, aux roues le sabot, il§ fouetteraient l'apoca-
•Ijptique attelage galopant, crinières aiï vent, versi'art
nouveau. '
La modification est opportune ': la situation a pris
une gravité particulière par le fait même de cette rapi-
dité d'évolution dont nous parlions tantôt. Cela apparaît
très clairement quand ()n la met en rapport avec l'allon-
gement parallèle obtenu pour la durée de la vie humaine
grâce aiix progrès de l'hygiène et de la médecine. Le
rapprochement est curieux et, certes, imprévu. Jadis,
presque toujours, les existences étaient brèves. Elles
suffisaient à une mission sociale bien déterminée. Elles
disparaissaient avant de s'attarder. Dans l'art, dans la
politique on régnait peii. On vivait son temps, le temps
nécessaire à une réforme, puis, par la mort, on rentrait
dans la coulisse. Les exemples de grands hommes qui
ont pesé sur leur époque plus qu'il n'était raisonnable,
sont rares. Ils ont disparu avant d'être devenus une
gêne pour qui, venant après eux, avaient à reprendre
Içurs idées au point où ils les avaient menées sans pou-
voir aller au delà. Les périls de l'époque, l'ignorance
des conditions par lesquelles on se conserve, les hasards
sans nombre de civilisations mal assises, accourcissaient
la moyenne de la vie. Les longs règnes étaient des excep-
tions, tandis qu'aujourd'hui les souverains poussent
jusqu'à l'inconvenance la permission de devenir vieux
et ne disparaissent que lorsque leurs successeurs sont
eux-mêmes déjà des vieux, c'est-à-dire des inutiles, dès
arriérés, des gêneurs.
C'est ainsi également dans le domaine des choses pt'i-
vées, davantage même^es burgraves abondent. Nous
en avons parlé déjà dans un article intitulé : le Gaxa-
ciiiSME (1). Nous avons dépeint ces majorats artistiques
où s'éternisent, avec leurs idées surannées, de vénérables
amoindris, momies, fossiles, incrustés et indémolissa-
blés. Ils durent, durent, durent, conservés par une
hygiène à régime sévère, occupant indéfiniment toutes
les positions, officieusement plus inamovibles que nos
magistratures, embaumés et sourds ; réfractaires à tout
ce qui dérange leurs convictions d'antan, tournant à la
rage quand on insiste trop pour obtenir d'eux soit une
retraite, soit une bienveillante concession aux nouveau-
tés du jour. - ^ ■
Ainsi comprise, leur longévité est un fléau. Elle
aboutit à maintenir pendant plusieurs générations ce
qui n'en devrait normalement durer qu'une. Car l'hu-
manité procède par contingents successifs, destinés à se
renouveler les uns par les autres, à rafraîchir, à rajeu-
(1) An moderne, 1888, p. 139.
f
iiir le mouvement général. De vingt en vingt ans on
se remplace. La coupe des idées est mûre. Vingt ans
est même un maximum ; il serait peut-être convenable
de le réduire. Or, nous avons des particuliers tenaces
qui restent et sont laissés debout deux fois, trois fois
vingt ans avec leur bagage intellectuel d'origine. Impos-
sible de les déplanchier. Impossible de les décider :à
modifier la vieille garde-robe de leurs opinions.. Ils
accusent d'injustice, d'indiscipline et de déraison les
jeunes gardes qui se présentent à la porte des casernes
où ils sont logés, portant les armes nouvelles et depian-
dant à changer les tactiques usées.
Oui, c'est un fléau, c'est une û^mité. Un homme
sage s'y prendrait autrement. 11 s'efforcerait de se
rajeunir cérébraleraent, de s'assimiler les idées nou-
velles, il ne s'arrêterait -pas en bougonnant, parce que
d'autres le devancent, il tâcherait de les suivre. Et
quand viendrait enfin l'époque où, malgré tout, on est
distancé, il s'assiérait content, regardant passer et con-
tinuer les autres, tambours battants, étendards au vent.
Il réaliserait alors, en belle figure, le vieillard qui ne
mérite pas d'être appelé ganache, et sa longévité
ne serait plus encombrante. Sar vie apparaîtrait bien
remplie : il aurait eu sa période où lui-même aurait été
un novateur, un enseigneur pour les autres; il aurait
ensuite celle où, passant dans une première réserve, il
assisterait aux découvertes de ses successeurs immé-
diats, attentif à les comprendre, à les encourager, à
approprier ses conceptions aux leurs ; il aurait enfin sa
période de repos ; bref une vie très noble, très juste, très
respectable à chacun de ses stades. Il éviterait de donner
le ridicule spectacle d'un vieux vaisseau île bois, com-
mandé par un amiral de 18;}0, prétendant avoir rang
avant les cuirassés et conduire une bataille navale sui-
vant la tactique de Nelson. •
Car Nelson lui-même, Nelson, serait grotesque
n'est-ce pas ? si, renaissant, il allait conduire une
flotte anglaise comme il le fit à Trafalgar. Eh bien, il y
a, tlahs les arts, chez 'nous et ailleurs, de ces grands
hommes éteints, et déteints, qui furent des Nelson de la *
peinture, de la musique, de la littérature, et on les voit,
cloués à leur banc de quart, indémontables, dirigeant
encore, vieux fantômes, comme en le lointain autrefois
où ils étaient quelque chose. Et, qui pire est, on en voit
aussi d'autres, qui furent toujours des impuissants et
des sots, rester aux postes de commandement et régeiV-
ter les générations nouvelles dans la triple incurable
misère de leur bêtise, de leur vieillerie et de leur vani-
teux entêtement.
GEORGES EEKHOUD
La Nouvelle Carthage. Les E>nigyants . ConiTumce. ■
(le 100 pafjes. RruxeUes, Henry Kistemaeckers.
Ia-12
Deux chapilros ajout(''s3à la (KjsQriplion do la ttrandc ché mar-
cliandc de rEscaul(i). C'csl d'ayjord undéparl d'émigraftls Tpro-
lélaires de la ville, cliass(?s par la démolilion des quartiers pau^
vfes; paysans de. la Campine, séduils par los récils dorés des
ernbauchçurs, tous affcctanl la fcrnM>lé, « en réalité, s'elTorçanl
de se donner le change. Ii eux-mêmes, de se déprendre de leur
idée fixe, bouiTolantc comme un remords ». L'embarquemonl des
paysans a quelque chose d'épique : « Au moins uncTrBTrratne de
ménages de Willcghcm, bourgade de l'extrême frontière septen-
trionale, s'étaient accordés pour quitter ensemble leur misérable
pays. Ceux-là n'avaient point pris place sur les camions, mais un
peu après l'arrivée du gros des émigranls flamands, ils se présen-
tèrent en bon ordre, comme dans un cortège fesiif. Soucieux de .
faire bonne figure, de se distinguci' (Je la cohue, désirant qu'on
dijse aj)rès leur départ : « les plus crimes élaieht ceux de Wille-
ghcin ». ils s'avancent ainsi, une briatlille de bruyère h la cas-
q.ueUe, « les plus fcr-venls emportant, cousu dans des sachets en
manière de scapulaircs, une poignée du sable natal ! ». Et, tandis .
que le vaisseau démarre, leur fanfare, qui émigré avec eux, jette
au rivage, « non sans couacs et sans détonatrons, commo si les
instruments s'étranglaient de sanglots,, l'air national par e.xccl- ■
loncc : VOà peiU-on être mieux du Liégeois Grélry, la doupe et
simple mélodie..... ». Cependant, le vieux prêtre de la bourgade,
qui a voulu conduire ses paroissiens jusqu'à bord, suit des yeux
le vaisseau qui disparait graduellement, et, « qtiand la dernière
banderole de fumée se confond avec la désolation de Ja brume de
janvier,deux grosses larmes descendent lentement de ces Joues^cl
il trace dans l'air un lent signe de croix ».
Le chapitre intitulé : Conlumnce est plus complexe. Il com-
mence par une série de paysages de banlieue, d'esquisses de
ruraux, de personnages déclassés, de réduits suspects, sans autre
lien que la fantaisie maladive d'une sorte de Des Esseintcs recher-
chant des sensations artistiques dans les m+sères et les puru-
lences sociales, il y a là bien des traits d'une juste observation,
de belles attitudes fixées en des phrases sculpturales, des souve-
nirs hisloriqttrs habilement mis en oeuvre pour exprimer la ran-
cune d'Anvers contre cette enceinte de fortifications, « que ses
princes ne consentent à démolir de siècle en siècle que pour les
transporter plus loin et les rendre inexpugnables ». Mais tout cela
est relié d'un fil trop ténu, et, par la recherche de transitions
insuffisantes, appar^^it en un papillotoment qui fatigue. Mieux eût
valu, ce nous semble^ aband^mer ces liaisons imparfaites et
laisser séparé ce qui ne présente aucune unité de composition.
C'est ainsi que ce chapUre se tMmine par un morceau superbe ,
qui achève de lui enlever toute proportion, et qui, détaché, forme'
un digne pendant aux Emigrants. C'est l'envahissement par les
riinners, ces écumeurs de l'Escaut, d'un vaisseau venant du large.
Ils attendent leur proie au Doel, « couchés sur le ventre,
redressés à mj-corps sur les coudes, le menton dans les jiaumes :
position de sphynx aposté ou de vigie malfaisante », et, dèstjue
le voilier est signalé, tous s'ébranlent, se démènent à la fois, pré-
cipitant leurs canots au risque de couler quiconque leur fait
obstacle, et, malgré l'opposition des officiers, ils s'accrochent au
(1) Voir i'.4r( )/)(yf7''/VicMlu 3 juin lSï*8, p. 177. '
iiaviro, se sus|)Cii(lont en p'nijpc îi ses flancs, l'escalaclcnl avec
leurs inarcliandises avariées, leurs oiïres de service, leurs provo-
cations malsaines qu'accentue la présence i)armi eux de femmes
iraveslics, révélant tout à coup leur sexe. Ces loiii)S de mer,
apportant toutes les convoitises accumulées par les privations
d'un long cours", ne résistent pas, et le navire n'est pas arr1v('; au
quai, qu'ils sont enveloppés dans un réseau de séductions où ils
laisser.ont leur modiquepécule et leur liberté méme.Ces tableaux,
pleins de mouvement, sont décrits en un stvle imaçjé, avec des
mots en relief et quiportcnl; et, du livre tout entiei' ressorlcnt.un
sentiment profond des choses populaires, une forte odeur de 1er-'
roir qui en font une anivro essentiellement belge,- bien plus par-
lante à nos cœurs que ces pastiches, sans cesse- recommencés,
d'impressions et de formes qui ne sont point les noires.
Université de Bruxelles. — Leçon d'ouverture du cours
de- méthodologie des sciences sociales, par Guiii.aumi;
Dkoheef, agrégé spécial à la P\iculté de droit. — Brocli. iu-8" de
: 40 p. I^ruxelles, Gustave Mayolc/. v
M. Guillaume Ùegrecf vient de faire publier la bcllcjeçon par
laquelle il a ouvert, le 2!) novembre dernier, son cours.de méliio-
dologie des sciences sociales à l'Université de Bruxelles. Aj)rès
avoir montré toute l'importancQ de la création de celle école des
sciences sociales, par laquelle l'Université vient de compléter son
haut enseignement encyclopédique, M. Degreef a indiiiué à grands
traits les lents 'progrès accomplis en sociologie par l'application
de la méthode cxperimcnlale, déjà entrevue dans l'anticiuilé par
Arislole, subissant ensuite |)lusieurs siècles de sui)eistnion cl de
réaction catlioliques, réapparaissant au xiii'' siècle avec Roger
Bacon- et s'atlrancliissant par degrés de la théologie ei de la méta-
physique avcr Machiavel, François Bacon, Hobbes, Spinoza et
Montesquieu, pour dégager, enfin, grâce aux progrès des sciences
positives, les éléments irréductibles do toute société et appliquer
à leur étude les méthodes exclusivement scientifiques dont les
représentants les plus complets, dans ces derniers temps, sont
Auguste Comte, Quctelet et Herbert Spencer.
Elevant les pensées de son auditoire à la liauleur des résultats
que doivent avoir ces recherches pour riiumanilé, M. Degrecf en
a maniué, en termes, éloquents, la nécessité et la grandeur : «-.H
n'est pas, à mon sens, disait-il dans sa péroraison, d'éludé de
nature à intéresser davantage tout homme qui ne fait pas de son ,
égoïsme le centre du monde; elle se rattache aux jjréoccupalions
les plus vives de notre siècle; elle est, par conséquent, indispen-
sable îi tous les citoyens et surtout à ceux qui ne reculent point
devant le lourd fardeau et la responsabilité d'intervenir politique-
ment dans la direction de leurs semblables; elle est, en défini-
tive, un grand devoir do conscience et deviendra de plus en plus
un commandement moral.pour quiconque reconnaît que pour un
homme de cœur et de science, il n'est pas de bonheur jjcrsonnel
possible tant (|u'il existe des malheureux ».
AU THEATRE LIBRE DE BRUXELLES
Théâtre libre? Libre? Dans quel sens? Si celte libcrlé implique
le drail de représenter, sans être intiuiélé, quantité de situations
ignobles et de jeter au public, par dessus la ram^ie. le plus pos-
sible de polissonneries cl de propos de mauvais lieu, d'accord.
On a donc représenté, sôus prétexte de Théâlre libre, une j^ièce
— esl-cç. une pièce? — intitulée Jovial, marchand de cerçiicHs,
r dans laquelle il y a foule de choses basses et révoltantes, mais
qui ne contient pas .une scène, pas une siluarion, pas une idée,
pas une répartie, pas un mot.
On a visé dans cette machine à une sorte d'esprit marollien, •
en mettant dans la bouche du menuisier Jovial et de son ouvrier
une soi disant philosophie bourgeoise sur l'honifieur et dés tirades
dans ■ lesquelles on es.sayc de ridiculiser des revendications
sociales avec, les lieux communs et les phrases qui ont traîné par-
tout.
Malgré la profonde abjection de ce Jovial, une nombreuse
assistance s'y esl bruyamment amusé.
Il est triste de conslaler (jue, depuis dés semaines, on se dispu-
tait hîs invitations à celle représentation, dont un bul de bienfai-
sance était le prétexte. -
<^\. dire que, si un artiste avait convié à juger une (inivre d'art
ce même public, son œuvre eût ('■lé^lrccueillie [lar des grognc-
menls et des sifllels. ,, K
USTOTES DE l^XJSIQXJEl . ..
A Saint- Josse-ten-Noode.
Samedi dernier a eu lieu, dans la salle des fêles du marché
'couvert à Sainl-Josse-ten-Noode, le concert annuel donné à
l'occasion de la distribution des prix de l'Ecole de musique de
Sainl-Josse-ten-Noode-Schaerbcek. Quatre numéros au pro-
gramme, toutes œuvres inédites. A signaler : Hymne à r Har-
monie de F.r. Riga, chœur à quatre voix mixtes, sans accom-
pagnement, exécuté par 300 élèves sous la ferme direction de
M. Henry Warnots: Melka, légende fantasti([uedcM. Ch. Lefebvre,
excellente interprétation d'une œuvre un peu banale. La partie la
plus intéressante du programme était, sans contredit, l'Hymne à
r Espérance de M. Ch. Flon, mélodies originale^,' harmonies
curieuses, pcuî>^lre un peu cherchées et efi'ets d'ensemble habile-
ment amenés. Notons tout particulièrement les (|ualités remar-
quables de cette importante masse chorale. 11 est rare de rencon-
trer dans un aussi grand nombre d'exécutants l'unité, l'homo-
généité du son et la souplesse dans les nuances qui caractérisent
l'école de musique de Saint-Josse-lcn-Noodc. Nos félicitations à
son éminent directeur, M. Henrv Warnots.
LES CONCERTS PARISIENS
.^ ^Grieg chez Colonne.
[Correspondance particulière de i.'Aut Moderne.) -
M. Colonne avait, dimanclie dernier, réservé, pour la seconde
fois, la deuxième partie de son programme à l'audition d'œuvrcs
d'Edvard Grieg.
Le succès du compositeur norvégien a été très grand et c'e.'-t
par de longues et enlhousiaslcs ovations (lue toute la salle,
debout, a salué les dernières mesures de Pecr Gynl.
Avant Pecr Gynl, on avait entendu la musique descriptive d'un
poème norvégien , 7?çr(//(«/ , fort dramatiquement dit par
M""" Marie Laurent. C'est un peu haché, un peu décousu par la
t;*
">
raison que la musique n'est le plus sopvenl qu'un placardage
d'accords, fort dissonants d'ailleurs, sur le texte déclamé.
Mais lentement, à travers les brumes d'un paysage lugubre, se
dessine et se rapproche une marche funèbre qui finalement
éclate dans un ensemble superbe.
l/œuvre la plus attachante était le concerto pour piano et
orchestre exécuté, pour la troisième fois,' aux concerts Colonne,
par M. Arthur De Greef, le jeune et déjà célèbre professeur de
votre Conservatoire. —
L'interprétation de M. De Greef a été, si vigoureuse, si pas-
sionnée, si sincère que les longs applaudissements qui l'ont
accueillie allaient tout h la fois à l'artiste et h l'œuvre.
Tel Joachim quand il interprète le concerto; de Deethoven.ll ne
viendra à l'idée de personne dédire qu'il joue. Ipion. Mais on
murmure tout bas : que c'est beau! M. Arthur De Greef est
arrivé, lui aussi, à cette complète identification avec son sujet. Il
ne sacrifie rien au détail, à la virtuosité. Ce qui apparaît, c'est
l'œuvre. Et c'était vraiment plaisir d'entendre son exécution
pleine de couleur et de verve flamandes, après l'interprétation
sans doute très propre, mais quelquefois trop propre des pre-
miers morceaux du programme.
Ces morceaux étaient : l'ouverture de Coriolan, la<^Symphonie
inachevée de Schubert, ce bijou de délicalessc et de sentiment,
cl, pour cl.orc la première partie du programme, la Danse
macabre de Saint-Saëns. Exécution très soignée, mais, comme
disait Bull, le fils du célèbre violoniste norvégien : ça ne s-enlnit
pas le bouc:
Parclfln pour ce mol de la fin. Il est brutal, mais juste.
*
SOCIÉTÉ NATIONALE DE MUSIQUE
{Correspondance parliciilière de l'Art Moder>-e)
f'ari.s, 1" Janvier 1890.
Monsieur le Directeur.
La semaine dernière, comme je fiànais sur les boulevards, un
grand jeune homme m'aborda et me dit que j'étais choisi pour
vous envoyer des corresp^ontlances" sur les concerts de la Société
.nationale. J'eus beau me défendre, affirmer que je n'enlcndais
rien h la musique; rien ne put l'ébranler. .l'élais désigné, par
qui ? je ne sais, mais il fallut obéir.
On me donna rendez-vous pour un soir et l'on me conduisit
dans une salle de concert. où l'on s'écrasait, ma'â avec bonne
humeur. U paraît qu'on allait entendre la KrausS. On devait
entendre aussi un compositeur norvégien, nommé Grieg, mais
M. Colonne (du Châtelel) l'avait empêché de venir jouer ses
œuvres, mémo d'assister au concert. Etrange.
On commença par un morceau en qiialre parties, de Grieg, joué
par quatre Messieurs. Cela d(ïvail élre fort beau, car on applaudit
avec enthousiasme. Moi aussi, j'avais commencé à y prendre
beaucoup de plaisir, mais, ensuite, à force de me faire toujours
le même plaisir, cela finit par m'en faire moins. Il m'a paru que
les idées des différentes parties se ressemblaient un peu trop. Un
voisin très aimable, h qui je communiquais mes.jmpressions, me
dit que je ne m'y connaissais pas et que cela était un chef-
d'œuvre. ■
Mais voici un tonnerre d'applaudissements ; M"'" Krauss paraît
sur l'esirade.' Elle chante des mélodies de Grieg ravissantes, sur-'
ibut la seconde : \v/ Cyg)ie. \oi\h de la musique q|ie j'aime tout à
fait, il paraît que je ne suis pas seul de mon a-vis car toute la salle
*• trépigne de joie.
Après M""- Krauss, c'est M. Dicmer, puis M. Dicmcr et un de'
ses éFèves qui viennent jouer de gracieuses danses de Grieg, tou-
jours. Je dis gracieuses, quoiqu'ils aient cogné bien fort. 'Enfin,
c'était très joli, mais, comme dans le ((ualuor, ça se ressemblait
toujours un [)eu.
La fin du concert était réservée aux ' compositeurs français.
D'abord, des pièces i\our quatuor à cordes de M. Vinée, puis des
mélodies de M. Vidal et uno admirable élégie de M. Fauré pour
piano et violoncelle, émouvante et vraiment humaine. M. Liégeois
a inlerpréié cetie belle œu\Te-tl'une m.anièrc plus que reiiiar-
quable.
Pour terminer, M. Vincent d'Indy vint jouer tout seul, 1res
crânement, des pièces de piano, ihlilulées << Tableaux de
voyage », qu'il a' composées, me dit mon voisin, dans le courant
de l'été. Je ne les ai pas-toutes comprises, je l'avoue; celles que
j'ai comprises me j)laisent beaucoup. Il y a surtout un certain
Laciverl vraiment délicieux. Cependant, pour un telle musique,
une salle de concert, même petite, ne convient pas; on en Jouirait
mieux dans une chambre, assis près du com|tositeur; et le mieux
de tout encore serait peut-être d'être absolument seul cl de.jouer
soi-même.
Voici, Monsieur, tout ce (pie je puis vous dire de ce premier
concert. Puisque, sans le Toutoir, je suis -devenu crili(iue de
musique, je vais compléter, (te mon mieux mon éducation musi-
cale; je vais assister h to.us les concerts et prendre un abonnement
à l'Opéra pour m'habiluer h la musique savante, car. depuis lou"-
tempa, je n'ai entendu que des cris d'oiseaux et des cliansons de
laboureurs. •
Veuillez agréer. Monsieur le Directeur
L.\ FUral.
Chronique- JUDICIAIRE DEp^RT^ ,
A propos de " La Tosca ••
Le tribunal de la Seine vient de irancher une très intéressante
question de droit relalive aux indiscrétions de la presse sut les
œuvres dramali([ues re[)résentées au théâtre. Lors de la première
de la Tosca, il y a deux ans,, M. Sardou n'ayant pas jugé à
propos d'inviter la criti(|ue à la répétition générale de sa pièce,
Gil Dlas se vengea, non sans es|)rit, en publiant, maigre cet
ostracisme, avant la première représentation, un(> analyse com-
plète de l'ouvrage, scène par scène, d'une exactitude absolue,
Le procédé irrita l'auteur, (pii fit assigner le journal en dom-
mo ces- intérêts.
fi '
A l'audience, .M''Tézenas exposa les grief'^ de M. Sardou ; a Vous
trouvez, dit-il, en regard dans celte afi'aire, un droit et un intéi-êt.
Le droit? C/esl celui des autours dramatiques sur leurs (euvr(^
([ui ne se discute plus. Ils entendent faire réprimer les incursion^
sur leur propriété, de quelque c(jté qu'elles viennent, quelcfue
forme qu'elles revêtent. L'intérêt? C'est celui de quchpies jour-
naux, sans cesse aiguillonnés par le goût du public pour les pri-
meurs, qui prétendent se procurer des informations rapides per
Jas el nefas. . "
U vous appartient de préciser ce droit et cet intérêt et d > déli-
miter leur cliamp d'action. "•
r^
/^
:?
<
En fait, qu'e&t-cc que le fùclum de Crj7 Blas par rapport à
la Tosca? C'en est l'analyse, acte par acte, scène par>«;ènc, aussi
exacte, aussi complète que possible. Rien n'est omW ni une
situation, ni un coup de Ihéaire, ni un. geste importa™. On a
reproduit des phrases entières du troisième acte, qui est/capital.
Qui^a lu cette analyse a fait mieux que lire la brocjiure, qui
n'existe pas encore, fait mieux que connaître la pièce? il connaît
la njise en scène, les jeux de théâtre, il peut se figurer là repré-
sentation elle-même; ce qu'il a vu, c'est le manuscrit de l'auteur
avec ses indications, je dirai sesintenliofis. »
Aussi, d'après le conseil du demandeur, Tarlicle de Gil Blas
est-il une contrefaçon, qui doit, comme telle, être réprimée, et
qui est d'autant plus préjudiciable à l'attleur qu'elle a précédé
la première représentation de son œ^uvrc,
M'' Carré'conteste cette thèse. D'après lui, M. Sardou ne serait
pas recevable en son action, tout auteur sollicitant sans cesse-
la presse de parler de lui : « A peine un directeur de théâtre
a-l-il accepté une pièce que les journaux en sont immédiatement
informés, pour avoir à en informer immédiatement le public. Du
jour où la pièce est reçue jusqu'au jour où elle est représentée,
l'auteur et le directeur se mettent en campagne; ils courent après
la publicité, après la réclame; ils envoient aux journaux notes sur
notes, informations sur informations, et les journaux ouvrent
toutes grandes leurs colonnes aux communications qui leur sont
ainsi faites; de telle Sorte que dès la première heure l'œuvre en
gestation se trouve livrée à la publicité par l'auteur lui-même, et,
dès lors, elle appartient à la publicité, non par un contrat tacite,
mais par un contrai véritable.
Qu'a fait Gil Blas? Il a compléfé les renseignements mêmes
que M. Sardou et son directeur n'avaient été que trop heureux de
lui voy* publier depuis longtemps; le malin encore de la première
représentation, Gil Blas avait reçu le programme de la pièce
av^c l'indication du nombre d'actes et de tableaux, avec l'indica-
tion des personnages et des acteurs; il a publié ce programme et
en même temps l'analyse qui a si fort irrité l'irritable auteur.
Gil Blas n'a point outrepassé son droit ; l'auteur et le directeur
avaient sollicité la publicité, il leur faut subir la publicité : Palere
. legem quam ipse liilcris. »
Et l'action serait d'ailleurs sans fondement : « Sans doute, pour
qu'il y ail conlrcfnçon, il n'est pas nécessaire que la contrefaçon
pprte sur la reproduction complète de l'œuvre ; il suffit que la •
partie reproduite constitue une portion essentielle de cette œuvre.
Mais encore faut-il que cette reproduction partielle puisse faire
concurrence à l'original, puisse remplacer l'original, puisse dis-
penser qu'on achète l'original. Dès lors, une question de principe
se pose, et c'est dans la solution de cette question qu'est la solu-
tion du ;)rocès lui-même : est-ce que l'analyse incriminée peut
remplacer Je texte de la Tosca? La réponse ne peut êffc que néga-
tive ; un drame, une ccmédie valent non seulement par leur plan,
par leur charpente, mais encore par leur style cl par leur
forme.
D'ailleurs, une publication du genre de celle qui esl déférée à
la jdisiice est-elle de nature à porter préjudice h un auteur? En
quoi l'analyse fidèle, sommaire, d'un drame ou d'une comédie
peut-elle nuire à l'auteur de cette comédie ou de ce drame? Est-ce •
.que chaque jour des drames, des comédies tirées d'un roman, ne
sont pas représentés sur le théâtre? Le sujet, les situations,
l'intrigue,^ le dénouement, "tout en esl connu; le fait même que
tout cela est connu ajoute encore à la curiosité publique. »
Le -jugement, pirononcé le 20 novembre dernier, donne «raison
à l'auteiy dramatique contré le journaliste.
. « Une œuvre dramatique, prononce le tribunal, n'appartient à
la publicitéqu'après qu'elle a été représentée en public^ de même
qu'une œuvre littéraire ne lui appartient que par le fait de la
publication ;. jusque-là il n'est loisible à qui 'que soit de se livrer,
sans le cousenlemenl de l'auteur, à une divulgalionplûs ou moins
complète du drame, de même que nul ne saurait, de sa* seule
initiative, avoir le droit de révéler le sujet, le plan et le dévelop-
pement d'un ouvrage littéraire ou scientifique qui ferait encore à
l'étal de manuscrit ou d'épreuves. S'il en était autrement, l'écri-
vain serait tout au moins entravé dans l'exercice du droit qui lui
appartient sans conteste, d'apporter à son œuvre les modifica-
tions qu'il jugerait nécessaires, et même d'en arrêter la publicar
lion jusqu'au moment où elle est livrée à la publicité.
Pliis spécialement, l'écrivain dramatique serait exposé, par une
diviilgai:ion anticipée, à voir s'affaiblir, sinon disparaître, lors de
la première représentation, les effets scéniques pour le succès des-
quels il compterait sur la curiosit/5 vivement éveillée clés specta-
teurs ou sur le jeu particulier d'une artiste en renom. Par suite,
l'impression générale du public pourrait être faussée dès la pre-
mière heure, et l'auteur lui-même pourrait être trompé sur la
véritableporlée de sou drahfie, telle que la première représenta-
tion devrait la lui faire apprécier.
Le défendeur excipe vainement de cette circonstance que les
représentanis de la presse n'avaient pas été conviés à la répétition
générale de la Tosca, contrairement à un usage établi, et allègue
quMl était en droit de conjurer, pour leuravantflge commun, les
inconvénients que leur exclusion devait entraîner. L'usage dont
s'agit est une simple tolérance de l'écrivain, seul juge de ce que
comporte son intérêt et à aucun titre ne peut constituer un droit
contraire à celui de l'auteur.
Vainement, le défendeur allègue que Sardou ne justifie pas
aussi d'un préjudice appréciable. Le préjudice résulie;ici de la
violation du droit qui a été méconnu et il appartient sculerficiH
au jirge de mesurer la réparation à l'étendue même du domma«-e
éprouvé. » 1 :
En conséquence, Gil Blas esl condamné, conformément aux
conclusions xlu demandeur, à payer à celui-ci un franc de dom-
mages-intérêts et h publier le jugement à la même place que l'ar-
ticle incriminé.
?'
IBLIOQRAPHIE MUSICALE
Publications Bruneau.
Les œuvres instrumentales récemment éditées par MM. Bruneau
et C'" sont, à l'exception du quatuor pour piano et cordes de
Vincent d'Indv, dont nous parlerons prochainement, de médiocre
intérêt. C'est, d'abord, un Trio (en sol mineur) pour piano, vio-
lon et violoncelle, signé Sylvie Lazzari, et catalogué op. 13. Les
douze premières compositions du dit Sylvie Lazzari sont restées
dans une ombre discrète, et quant au trio en question, ilne décèle
guère d'originalité. La première partie, un allegro mendelssohnien
précédé de quelques mesures adagio qui reparaissent, vers la fin
de l'œuvre, 'en grande pompe, est seuîé assez bien développée.
Validante, qui suit cette partie, un allegretto en forme de valse
et Yallegro final sont d'une ingénuité désarmante.
Même naïveté d'écriture dam ÏAndante et intermezzo \)0\ir
piano, violon et violoncelle, de M""* C. de Grandval, cl vraiment
"-^
\. f
rien à en dfue. Cela coule, coule, en filets do musique claire, lim-
pide, incolore. . -^
De la mCmc école, M, Emile Râlez qiw, dans sa sonate (en ré
majeur) pour piano et poloncelle (op. 18)^ y va avec- bonhomie
de ses petits thèmes fanés et de ses harmonies usées aux angles.
Deux pièces pour flûte (ou violon) avoc accompagnement de
piano, par M. CH. FJcfcbvre (op^ 72), ont du moins ce mérite d'être
carrément des morceaux de concert à usage de virtuose, tout en
restant suliisammeni intéressants, musicaTcînent. La grifTe du
compositeu*» de méiîcr apparaît ici, du moins.
C'est, à Bruxelles, le Comptoir de musique, française, rue Henri
Maus, qui a le dépôt exclusif des publications de MM. Bruneau
ot Cf. -
/^^ - .
La partition de Fidelio, nouvelle version, telle qu'elle a été
représentée à notre théûlre de la Monnaie, avec la traduction
française de M. Antheunis el les récitatifs de M. Gevacrl, vient
de paraître au Ménestrel, 'ibis, rue Vivienne, à Paris. Fort belle
édition faite à Bruxelles par les soins de la maison A. Vandcr
(ihinstc et C'*^ et revêtue d'une jolie couverture en couleur.
pETITE CHROj^IQUP
C'est le samedi 1.8- janvier que s'ouvrira, au Musée ancien, le
Vil" Salon annuel des XX. Par le nombre et l'intérêt des œuvres,
il promet de dépasser tous ceux qui l'ont précédé. On cite notam-
ment, parmi, les tojJPfe appelées à exciter la curiosité artistique, les
attachantes éludes de plein air de Paul Cézanne, les symphonies
éclatantes de Vincent Van Gogh, les paysages de Sisley, les com-
positions nouvelles de Renoir et l'envoi du groupe néo-impres-
sionniste, dont la technique s'aftirmc de plus en plus.
C'est par erreur que le nom de M. Schlobâch a été omis sur la
liste des artistes qui participeront au prochain Salon des X'A'.
M. Schlobâch, l'un des fondateurs de l'Association, aura un envoi
imporlani el dans une note d'art très personnelle.
L'Association îles' professeurs d'inslrumeiUs à iTiiÉ^donnera
dimanche prochain, i"! courant, sa première séance musicale au
Conservatoire, avec le concours de M"*^ Dyna Beumcr. Au pro-
gramme : le quiuleltc de Mozart pour piano, hautbois, clarinette,
cor el basson, la sinfonielta de Raff, etc.
On nous écrit de Milan, au sujet de la première représentation
des Maîtres -Chanteur s :
Premier acte : Succès mitigé par quelques silïlels assez timides
et vile éloufles. Deuxième acte : Succès plus accentué el grand
enthousiasme après la dispute finale dont on a demandé et obtenu
le bis par dos acclamations très chaleureuses. Troisième acte :
Succès croissant et bis pour le quintette. Le dernier tableau a été
acclamé. ^
En somme, l'accueil du public a été très favorable et la victoire
n'est pas douteuse. L'interprétation est-elle bien telle que l'avait
rêvée le Maître? Probablement non. Il y a eu, par moments, quel-
ques exagérations de style italien. Mais le public milanais n'a,
naturellement, eu garde de protester. On a souvent fait des cou-
pures, même "dans les rôles importants comme celui de Hans
Sachs, qui n'est au premier acte qu'un simple coryphée. Heureu-
scmcnl qu'on lui laisse, aux deijxième et troisième, reprendre son
rang. C'est M. Henri Seguin, l'ancien Haus Sachs de Bruxelles, qui
remplit le rôle îi Milan el qui lui prête la noblesse do son jou el
la puissance de sa voix. Le public et la presse ont accueilli l'excel-
lent artiste par les plus vives louanges. Il est, dès à présenl.
question de monter l'an prochain la Valkyrie, dans laquelle
M. Soguin créerait en italien.le personnage do Wolan.
Lohengrin vient do remporter à Genève un éclatant succès.
Les artistes ont été très apj)réGiés, spécialcmeni deux chanteurs
bien connus de notre public, M.M. Engêl et Dauphin.
« L'inlerprélalion de Lohengrin, dit la Tribune ik Genève.
est remarquable comme ensemble. Deu\ artistes mérilonl d'être
placés hors de pair. M. Engel est uu ,Lohengi"in splendide-: hi
voix sonne claire et vibrante jusqu'au . registre supérieur, la dic-
tion eslexcellonlo et le style irréprochable. Les vieux habitués du
théâtre qui se souviennent d'avoir vu M. Euifcl à Genève au coni-
mencement de sa carrière — nous devons avouer qu'il n'avail eu
aucun succès — n'ont pas dû reconnaître h; jeune ténor d'anlan
dans le chevalier du cygne, éliuçclanl sous sa cuirasse d'argent.
M. Engel a souvent chanté le rôle de Lohengrin à Bruxelles et il
y est absolument remarquable.
Excellent aussi M. Dauphin dans le rôle du roi Henri : il est
bien supérieur, paraît-il, à ce qu'était M. Couturier dans l'unique
représentation sous la direction de M. Lamoureux. Un Allemand
nous disait hier n'avoir jamais entendu interpréter comme par
M. Dauphin la superbe invocation du premier acte. C'est un
triomphe do plus dans la carrière de cet artiste. »
Le peintre Jules Garnier est mort à Paris, le 2.j décembre, à
l'âge de -42 ans, emporté en quelques heures par une congestion
pulmonaire. H laisse une série d'illustrations pour la Vie de
•Rabelais, pour les Contes de la Reine de Navarre, pour les Jeux
du cirque (.Vïlugucs le Roux, et de nombreux tableaux exposés au
Salon depuis 1809, nolammcni : le Droit du Seigneur (1872) ou
hors du Salon, tel : V Adultère, qui fil ((uelque tapage.
L'intéressante étude de M. J. Brunfaul sur V Archéologie au
théâtre {V Art moderne, 1889, pages 294 et îJOl) n'a pas la'ssé
indifférente l'administralion communale de Bruxelles. Nous appre-
nons, en etTet, que M. l'échevin dos beaux-arts a adressé récem-
monl aux directeurs du théâtre de la Monnaie un rapport leur
signalani l'article en question el leur recommandant de tenir
compte des observations et dos critiques qui s'y trouvent consi-
gnées. ^ ,
Nous verrons bien, à la promière^dc Salammbô, ?>\ les décora-
teurs el los costumiers, sans oublier le régissoui-.'ont rompu avec
les traditions routinières de la maison, mais nous croyons que,
jusqu'ici, il n'y a pas ou do grands changenienls; ou a bien sou-
mis les maquettes dos décors au librclliste qui, d'après un com-
muniqué des journaux, s'est déclaré enchanté : il est permis (\i^
croire que si l'on avait consulté un archéologue, seul compétent,
ronchanlement n'aurait pas été aussi vif cl (luo des criiiques el
dos conseils utiles auraient été formulés.
M. Delacenscric, architecte do la ville do Bruges, vient d'être
nommé directeur de l'Académie de dessin; c'est à cet artiste que
l'oii doit l'intelligente restauration du greffe, do riiôtel Grulhuuso
el d'un grand nombre de maisons historiques. M. Dehiconserio
est aussi l'auteur de l'école normale et de l'hospice construits on
style brugcois. ^
V
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No 5. Au Rossignol, -r- N" 6. Solitude champêtre)
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,^0 vol. (No 1. Strophes saphiques. — N'o 2, Message. — No 3. Séré-
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Dixième année. — N" 2.
Le numéro : 25 'CENTIMES.
Dimanche 12 Janvier 1890.
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DBS ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Comité de rédaction i Octave MÀUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, ■ uu an , fr. 10.00; Union po&tale, fr. 13.00. —ANNONCES : On traite à forfait
Adresser toutes les communications à
l'admimstkation gknékam: di; l'Art Moderne, rue de l'Industrie, 26, Bruxelles.
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Le nouveau .m^yen-aiu:. — Les palais de i.'I']xi'Osiiion de Pari.s.
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DES Arts. — Mémento des l'^xrosnioNs. — Petite c.iironkjue.
UN NOUVEAU MOYEN-AGE
L art à pris, de notre teiïi^s, un caractère aristocra-
tique. II est sorti peu a peu de L\ma&«é^ Il l'a quittée,
pompé vers le haut. Il s'est accumulé là, congestionnant
une région minime du vaste organisme humain. Il
n'existe que pour quelques-uns, se qualifiant « l'élite ».
Pour cette armée dite élite, petit groupe, l'universalité
des artistes travaille, les vrais, les grands, et aussi les
pseudo en nombre indéfini. Là ils encombrent les gale-
ries et s'entassent aux portes. Ailleurs, rien de l'art,
ou presque rien, des traces informes ; et aussi, dans les
âmes, une inaptitude navrante à le saisir. Comme con-
séquence, cet aphorisme, issu de la vue restreinte de cet
anormal phénomène contemporain : l'art n'est pas fait
pour les foules. Un mot d'ordre dédaigneux circule,
surgi de la colère à n'être pas compris, si ce n'est de
très rares esprits : l'artiste ne doit produire que pour
les lettrés, espèce rare. Et d'auti'es ajoutent : l'artiste
n'a pas à rechercher la popularité; elle n'existe plus, à
moins d'être impure. On répète les paroles de Flaubert :
" Etre sifflé n'est rien, mais être applaudi est trè.s
amer -. Et le bon ton, cette toujours renaissante expres-
sion des erreurs passagères s'en mêlant, on choie, on
admire les artistes qui font fi de la renommée et afi'ec-
tent de ne priser que les succès du bel air. Et par bel
air il faut entendre ce monde odieux qui, ayant soutiré
à lui les grandes fortunes, prétend avoir, par surcroît,
le monopole des belles choses, et en son .puissant syndi-
cat, concentre l'art comme il a concentré l'argent.
Partout, si ce n'est dans ce paradis artificiel, l'appau-
vfi^ement esthétique parallèle à l'appauvrissement
pécuniaire. "^
Ce phénomène coïncide /aTiee-4ine transformation de
l'art, très sensible. lî^^guise en des subtilités de plus
^en plus graciles^ Il prend des raffinements analogues à
ceux du cabinet de toilette des hicii-lifardes per-
sonnes pour lesquelles il se met en frais. Ses ressources,
ses procédés, ses visées, sont aussi compliqués et. vont à
des buts .aussi délicats en nuances, que l'attirail de
brosses, d'épingles, d'épongés,' de parfums, de f;u\ls
d'une femme'en bonne posture, c'est-à-dire, sdlidenieht
dressée sur le piédestal du coff're-fort marital. Il n'a plus
la saine allure d'un art se mettant en mouvement pour
l'humanité, cherchant les hautes et héroïques généra-
lités qui sont un aliment pour tous. Il se rapetisse en
<
des conce])tions étroites, compréhensibles seulement
pour les. castes, conceptions profondes et séduisantes
souvent, soit par la substance, soit par la forme, mais
énigniatiques pour d'autres que les coteries. lîlxtraordi-
naire, (îertes, est le degré d'élancement atteint par ces
écoles raflfinées, mais ja minceur des îilons projetés est
étonnante. Ils perdent en diamètre ce'q'ù'ils gagnent en
pénétration. Ce sont des trous de vrille, des galeries de
termites et non .pas les larges et indestruetihl,es coulées
de l'art aux- bel les époques où il s'agitait pour dès peu-
ples entiers en des poèmes épiques.
Cette situation est irrationnelle. Un tel accaparement
ne saurait durer. Il est doublement vicié, et doit, par-
tant, doublement périr. Ici il y a .trop : dont; péril de
mort. Là il y a trop peu : encore péril de mort. Ou, plu-
tôt que la mort,. besoin de changement, de révolution.
L^ marée a monté avec excès sur un point : il y aura
reflux, abaissement, chute, et étalement, en arrière,
dés eaux. La prévision du phénomène réparateur peut
porter à la fois sur l'argent et.sur l'art. Ils retourneront
l'un et l'auti'e vers une plus juste répartition. Néces-
saires aliments de l'activité humaine,- il les faut à tous
et dans une juste mesure. Transitoirement, et sous l'ef-
fet d'attractions particulières, ils peuvent, comme les
dépressions atmosphériques, produire des accumula-
tions et surcharger certaines régions. Mais la balance
repi'end tôt ou tard l'équilibre, jusqu'au jour d'une nou-
velle rupture. Les phases de l'instable histoire de l'art
s'expliquent, pour une bonne partie, par ces variations.
Notre époque oti l'art apparaît tel qu'un abcès qui
s'est gontlé dans le coin des privilégiés de la fortune, est
donc proche d'une transformation. Que sera C(?l]e-ci?Il
ne faut pas être très pénétrant pour comprendre qu'elle
accompagnera la révolution démocratique et sera
influencée par elle. Le malaise et les convulsions qui.
tourmentent le corps social partout oti la race aryenne
subit la série de ses dures métamorphoses, n'est que l'ef-
fort persi.stant et incompressible pour conquérir l'éga-
lité matérielle et, plus àprement encore, l'égalité intel-
lectuelle. Assurément ce second besoin est moins con-
scient : le ventre, dans tous ces troubles chaque an plus
redoutables, semble réclamer pJus que le cerveau. Mais
ce n'est qu'apparence; l'âme crie justice, elle aussi,
indistincte en ses revendications, mais au fond avide,
d'unefaim insatiable. Et au surplus qu'importe ! Quand
on aura détruit l'iniquité du monopole argent, on aura
brisé du même coup l'iniquité du monopole art.
Et c'est là que se pose immédiatement cet autre pro-
blème : Quel art remplacera l'art aboli ? Quelle forme
revêtira, en démocratie, ce qui aujourd'hui s'épanouit,"
floraison rare et morbide, en aristocratie. L'atmosphère,
la lumière inspiratrice, la climatérie générale, chan-
geant, la végétation infailliblement sera autre. Laquelle?
laquelle?
Chaque fois qu'en un grand bras.sage, des idées, des-
tendances nouvelles ont été mêlées A une civilisation ;
chaque fois que l'édifice d'une époque s'écroulant, ses
matériaux ont été entraînés dans le tourbillon d'une
révolution, roulés, broyés avec les 'matériaux d'au des-
sous en quantité plus grande, la pâte, résultante de cette
cuisine de cataclysme, est apparue d'abord comme de
qualité inférieure. Mais, plus tard, c'est elle dont sortent
les monuments plus beaux. des temps nouvealix. Aussi,
cette période transitoire d'incertitude et d'obscurité
masquant la fécondité, a-t-elle reçu un nom significatif:
LE MOYEN-AGE.
Moyen-âge fut la situation de l'Europe après la chute
de l'empire romain éparpillant ses débris sur les multi-
tudes barbares. Moyen-âge sera la situation de l'art
après la chute dej la féodalité d'argent émiettant ses
richesses restituées, §ur les multitudes ouvrières. Un
Nouveau moyen- âge !
Oui, on peut s'attendre à un recul momentané^ -^ou s
ces raffinements,!" toute cette manie, cette folie' de
nuances, ces amincissements, ces aiguisements que nous
rappelions tantôt, disparaîtront dans la fournaise. Quel
sens ont-ils pour ces masses depuis si longtemps sevrées
(et de plus en plus) de l'art accaparé par d'autres. Et
comment ce monde d'artistes, accoutumé à ne plus
s'occuper d'elles, ayant désappris la langue artistique
compréhensible pour elles, aurait-il l'aptitude nécessaire
pour changer brusquement son orientation. Le cour-
tisan du riche désapprend de parler au pauvre. L'esprit
habitué trcalculer ce que peut rapporter une oeuvre,
sera stérile quand une toile préoccupation deviendra
sans objet. La crise sociale qui s'annonce, «n même
temps qu'elle mettra la déroute chez les financiers, la
mettra dans le bataillon des^artistes qui les servent. Ce
sera une universelle mise-à-pied et un recrutement sur
nouveaux frais.
Il y aura alors des jours d'impuissance et de stagna
tion. L'art apparaîtra mort, ou tout au moins déchu.
Les lamentations sur « cette fin de siècle » redoubleront
et des voix gémissantes ou colères accuseront la démo-
cratie stérilisa^nte, qui détruit sans remplacer. Mais
en vérité, elle sera comme la dévastatrice Athènè, qui
ne ' ravageait que pour mieux féconder, la Minerve
arméa de la lance meurtrière et du bouclier à tête de
Gorgone effrayante, 'mais qui était la déesse aux yeux
clairs, enseignant à planter l'olivier et inspiratrice de
toute justice. L'art démocratique aura ce caractère de
viser aux jouissances psychiques de tous au lieu de ne
penser qu'aux jouissances blasées de quelques-uns. Sans
cesse il grandira avec cette préoccupation plus géné-
reuse, plus saine et plus noble. On le verra, redes-
cendant comme . autrefois, dans les détails de la vie,
embellir l'outil du travailleur, le nxobilier des demeures
simples, les costumes nationaux. L'assiette, le pot.
' ^
T
^
l'enseigne, la porte, la serrure redeviendront des objets
que l'artiste croira dignes de l'occuper. Et en même
temps, dans l'âme des poètes,, au lieu des énigmes en
honneur, s'adressant aux initiés, reverdiront ces beaux
chants d'universelle humanité qui nous font, encore
aujourd'hui, préférer les" œuvres mortes aux œuvres
récentes. Le sculpteur ne travaillera plus pour le bou-
doir, mais pour la place ou le monument publics. En
architecture, on aura a\ître chose que l'architecte des
maisons bourgeoises, égoïstes et" cossues. L'art rede-
viendra la langue commune, et ne sera plus on ne sait
quel dialecte hermétique destiné à un collège de brah-
mines.
Lentement il montera ainsi durant ce nouveau
moyen-âge, universel et populaire. Populaire, oui, et
ce -nonobstant, non moindre finalement qu'il ne l'est
aujourd'hui. Car, lui aussi, procède par^ cet alternatif
mouvement qui, suivant Pascal, est celui de l'évolution
de tout progrès et de toute vérité : En avant; — puis,
un peu en arrière; — ensuite, encore en avant; —
puis, un arrêt; — et alors plus loin d'une poussée
nouvelle; — mais un ralentissement; — enfin, en avant
d'un élan irrésistible!
Amen ! ' ' .
LES PARAIS DE L'EXPOSITION DE PARIS
Nos voisins de France, qui ont si souvcti' (rcxccllcnles idées
qu'ils réalisent de merveilleuse façon, viennent celle fois d'en
avoir une de forte dimension que les artistes dçvraienl'conspuer
sans t(^[jtrd : n'cst-il pas qlieslion, en effel, de conserver le
palais des machines, le Uôme central et les palais des Beaux-Aris
et des Arts libéraux ?
C'est au nom de l'Art qu'une coterie d'arcliilcctcs, soutenue par
quelques journalistes absolument incompétents, réclame la con.-
servation de ces monuments, tandis qu'il serait infiniment plus
juste d'en demander la démolition. En effet, ces construcliï»ns
destinées h ne durer que six mois ont été conçues et étudiées
assez sommairement et exécutées avec des éléments médiocres ;
de même, les critiques et Ics'louanges qui leur ont été adressées
n'<jttt~aUmi^eur pa'roxvsmc.
Si l'on considère les palais de l'Exposition cdmme des monu-
ments définiti^y, il convient de les examiner pkn sévèrement, de
discuter lé point de départ de leurs dispositions r' .fi-xaminer de
près les motifs décoratifs produits par la virtuosité ci haute ten-
sion des architectes : or, rien n'a résisté, à noire avis, à celle
étude attentive.
Que signifie ce palais des machines, auquel on a fait l'honneur
exagéré de décerner le prix Osrris, et quel mérite de composition
a;t-il? — Aucun. — Cette halle, fort large, c'est entendu, n'a ni
commencement, ni fin; c'est une tranche d'une halle ijidéfinie et
jl n'y a aucune raison pour qu'au lieu de 450 mètres, elle n'en
ail pas 300 ou 900. On a fait gf^nd étal de la'^courbe élégante des
fermes et de l'ingénieux dispositif de leur base pouvant oscillor
librement autour d'une sorte de rotule; or, ce movcn est connu
"? ' '■■■■■- " . ■ ■ .
el appliqué depuis longtemps, cl la courbe est le résultat de'
cîilouls rigoureux qui ne permettent pas d'en faire une autre.
Quiinl à la décoration, elle était étrangère "à toulte préoccapation
anistique : les trophées' en slaft cl les cartouches d'Epinal qui
ccuraient le long des charpentes, doivent avoir encore laissé leur
im|)rcssion horripilante sur la rétine des visiteurs, intelligents.
Pa.ssons au dôme central qui, au point de vue du goût, a fait
appel aux instincts les plus bas el les plus vulgaires des foules :
ce >;imiIi-balIon surchargé de g^uirlandes^^mascarons, cartouches,
griffons ailés, etc.... el l'ardii voile d'entrée, plaquée d'innombra-
bles écussons^el flanquée d'incohérents pylônes, formaient un
ensemble grouillant que les rehauts d'or el de couleurs criardes
jcndaienl encore plus insupportable aux raffinés, isolés au milieu
des bataillons moulonnièrcment admirateurs. Si, pour racheter
ces défauts, les grandes lignes étaient au moins bien comprises.
Mais non': l'autelir a reproduit en fer les coupoles des Invalides
et du Val-de-Crâce qui existent en pierre, el il a même imaginé
d'absurdes conlrtfdrîs ayant pour mission de résister h la poussée
de voûtés... qui n'existent pas! Combien navrant est ce résultat :
imitation de formes connues, utilisation de motifs surannés; en
somme, un saut en arrière de 2o ans au lieu d'une manifestation
franchement mocicrne. _ . ^_
Pour les palais des Bcjiuj(;Arts el des Arts lib(5raux nous nous
sentons la. plume plus indulgente : si nous notons des lûtonno-
menls el des défaillances, npus devons reconnaître que l'archi-
tccte s'est imposécomme programme l'emploi* artistique du fer,
tâche des plus ardues, çt qu'en plus d'un endroit il a à peu près
réussi. Quelques cnlhousiastes sont partis de Ih pour proclamer la
création d'une architecture noiivelie; c'est aller un pou vile en
lu^sogn£, car-l'auleur s'est servi, pour ses piliers, ses architraves,
SOS corniches, etc.. d'éléments absolument classiques qu.'il a
interprétés au moyen de fers cornières, 'de terres cuites et de
faïences, au lieu de rocherchor des formes nouvelles, rationnelles,
s'appliquiinl aux éléments qu'il a essayé d'introduire dans l'archi-
tocture moderne. Les coupoles, dont l'ovoïde oriental est si
discrètement et si-fraîchemcnt décoré d'azuU'jos, no se rattachent
nullement aux façades; de plus l'aspect, vu de l'intérieur, n'est
û[uère satisfaisant : les retombées des arcs se résolvent en un
encorbellement d'une brutalité toute industrielle, qui n'est guère
dissimulée par des têtes de bœufs bien intempestives, et la déco-
ration picturale, avec sa disposition caissonnnnte, ne lient aucun
compte, des divisions données par l'ossature générale. Il nous
reste à signaler une anomalie autrement grave : les immenses
fenêtres du premier étage, qui semblent devoir éclairer Ics' salles
d'exposition, ne sont d'aucune utilité-; elles ont été toutes bûiichces
par des cloisons destinées à recevoir des tableaux, et l'éclairage
sf^-fait par les lantcrneaux de la toiture! Le mensonge architec-
tural est ici indéniable 'et l'on peut reprocher h rarchilecie une
solution a"iissi peu confoime à la vérité cl à là raison r^ômbieh
moderne aurait été, à l'étage, un mur plein dont on pouvait tirer
un parti excellenl en L'ornant de panneaux décoratifs retraçant,
en mosaïque ou en sgralVito, les diverses phases de l'histoire tie
l'art : il y purait eu ainsi, pour les artistes, un spectacle autre-
ment récréatif que celui des banales. draperies rouges jetant leur
ci'iarde note Louvre ou Bon Mqj-ehé dans un ensemble harmo-
nieusement polychrome. '.
Nous croyons avoir montré, en ne parlant que des |)oints prin-
cipaux, que les palais, du Chamii de Mars ne possèdent pas un
ensemble de qualités suffisant pour en motiver la conservation
^^e
^T-— i.
dV-finitivo. Nous ajouterons môme que le maiiilion de ces cojislruô-
lions amônerail un découragement certain chez lc§ aixliilectes et
les iriftcnieurs, et un recul ou un arrêt dans la reclierclie de solu-
tions dos prol)lèmes tcclini'qucs ou artistiques ; la perspective de
pouvoir produire une œuvre originale lors d'une Exposition uni-
verselle est un stimulfint des plus puissants, et l'on'aurail tort
de négliger €C facteur important au point de vue de lu réussite de
la future Exposition de 1900.
Il est certain que le fer n'a pas prononcée son dernier mot : qui
nous dit qu'en dix ans les ingéuTl-urs n'arriveront pas h faire un
Palais des machines d'une disposition absolument nouvelle en y
appliquant des procédés, des combinaisons, des inventions les
plus d.éconcerlantcs? Voyez-vous l'eirel démodé que' produira le
dôme central en dOOO, et ne vaut-il pas mieux laisser aux artistes
l'occasion de créer une œuvre qui marque, sans qu'il puisse y
avoirde doute, la conclusion du Mx*" siècle et le prélude du xx""?
— Enfin, ne pensez-vous pas que si M. Formigé était chargé,
dans dix ans^ de refaire des palais pour les Bcaux-Arts'et les Arts
libéraux, il aurait eu le temps de méditer et de s'assimiler les élé-
ments qu'il a mis pour la première fois en œuvre celle année, et
qu'avec le goût sobre et l'esprit chercheur qui sont sa caractéris-
tique, il composerait des monuments de tout premier ordre?
Une considération qui .ne peut être négligée, cVst<la réussite
pécuniaire d'une Exposition : or, on peut prédire, h coup sûr,
que si l'on n'exhibe au public" de 1900 que la tour Eiflel et tous
les monuments qu'il aura vus en 1889, le nombre des visiteurs
tombera de 2o à 12 ou méme-10 millions : csl-cecela que l'on désire?
Il avait été question d'installé»' tous les ans, dans ce palais, le
Salon de peinture et une nouvelV institution, la Foire de Paris;
or, il n'est plus question de foire et les artistes, refusant les pré-
sents de j>I. Alphand, resteront au Palais de l'Industrie. Si ces
monuments ne sont pas utilisés, h quoi bon les conserver?
Nous disons donc î» nos voisins de France : n'imitez pas ce que
nous avons fait h Bruxelles après les Expositions de 1880 et 1888,
et démolissez les palais du Champ de Mars qui n'ont, du reste,
pas été élevés à litre définitif; ne barrez pas la route aux généra-
lions futures, et laissez la porte de l'avenir largemcnf~iouverte à
toutes Jcs initiatives.
fuEai-ETTE DE J-lVREp'
Cromlechs et Dolmens de Belgique. — Notes de préhistoire
par E. Harroy, directeur de l'école uormnle de l'État à Verviers^
— In-12 de xvi-182 pages avec figures, Namur, imp. et iith.
Lambert-De Roisin.
Lorsque, decnièremcnt, M. Harroy retrouvait, sur les bords de
la Xei^drc,' Y Adiiadica Castellum de César, cl, le texte en main,
établissait que les environs de Limbourg répondent seuls aux exi-
gences du récit des Commentaires, il indiquait déjà quQ c'est sur
le plateau de Sohvasler qu'avaient du se réunir les Éburons pour
fondre sur les légions romaines et les surprendre au sortir de leur
camp (i). Le nouveau livre que nous signalons à nos lecteurs est
le développement de cette idée. M. Harroy est un infatigable tou-
riste qu'attirent les lieux hauts. Dès qu'il peut s'échapper de son
école, il parcourt les sommets, avec la volonté d'y trouver quel-
, que trace de ce passé qui hante son souvenir, et il trouve en effet.
fli Voir l'A7-t moderne du 3 novembre dernier, p. 349.
A force d'interroger les grandes pierres gisani sur les coteaux de
la Hoïgne, il y a découvert je ne sais quelle géométrie mysté-
rieuse qui tout à coup a illuminé son esprit. Là où l'on n'avait vu
jusqu'alors que des blocs épars, il a reconstitué un arrangement
religieux et savant, disposé par les ancêtres à. la fois pour glori-
lier les dieux et pour calculer la marche du temps, pour marquer
les divisions de l'année et le commencement des saisons. Au lieu
de roches dispersées au hasard par les éboulcments préhistori-
ques, nous avons sous les yeux des ob.'^ervatoires et des temples,
des calcndric'rs et des horloges et ce n'est piis tout. A l'heure du
danger, ces groupes de pierres deviennent le point de ralliement
des guerriers. Chaque division du cadran sacré répond à une
division de l'armée, à une peuplade, à un clan, et, dès que les
feux allumés sur les monts ont fait connaître à tous le péril de la
nation, chacun saisit ses armes et se hûte à son poste avec d'au-
tant plus d'empressement qu'il est d'usage, dit César, de faire
périr, au milieu des plus cruels supplices, sous les yeux mêmes
de la fqiile, celui qui arrive le dernier. Et, en effet, non loin de
VHirmcnsul, ou grande pierre du soleil, qui domine le plateau
et est au centre du Cromlech, ou pierres en rond, comme l'ai-
guille au milieu du cadran, on découvre presque toujours, mais
un peu à l'écart, dissimulée dans un pli de terrain comme en uii
sanctuaire, la pierre du sacrifice, le Z)o/jne?^.aycç,ses çrçijx.çpr-;.
respondant à la formed'un corps étendu, ses rigoles pour l'écou-
lement du sang des victimes et ses réservoirs pour le recueillir.
Les mêmes dispositions observées à Sokvaslcr, M. Harroy les a
recherchées partout où des monuments mégalithiques ont été
signalés en Belgique, partout où la situation dos lieux peut en
faire présumer l'existence : à Dou'rbes-Fagnollcs, à Sinsin, à
Velaine-Balâtre, à Wéris, à Mousny-Laroche : partout il a trouvé
des indices à l'appui de son système et si quelquefois l'un des élé-
ments essentiels en a échappé à ses investigations, le doute n'a
pas pu s'insinuer dans son cœur; il affihne que ces éléments ne
"peuvent faire défaut ; que, par une étude plus minutieuse, iLsaura
les faire apparaître ; et déjà, par la pensée^ il relie les unes aux
autres toutes ces stations saintes en un vaste ensemble, couvrant
la Gaule entière d'une sorte de lriangti4ation idéale, pour aboutir
à Carnac, le quartier-général des mégalithes !
Ingénieuse fantaisie, a-t-on dit, el le mot a froissé M. Harrov,
en ses convictions les plus intimes, comme un blasphème. De
l'ingéniosité, certes, il y en a, et beaucoup, dans l'observation des
choses, dans là recherche et la combinaison des textes, où l'on
voit, entre beaucoup d'autres, la Salammbô de Flaubert saluant
lentement les quatre points du ciel, à côté de Jean d'Oulre-Meuse,
l'Hérodote liégeois, signalant au^~xiv« siècle les Croliqhes des
Ardcnhes, et du premier président Schuermans retrouvant, sous
les voip romaines des hautes fagnes,H^trace de pérégrinations
plus anciennes.
Y a-l-il aussi de la fantaisie? Eh! n'y en a-t-il pas toujours
quelque peu en toute conjecture scientifique? L'Art moderne,
qui n'est pas une revue d'archéologie, peut se dispenser de
prendre parti sur ce point; mais,,parmi les manifestations de l'art,
il à'toujours montré sa prédilection pour celles qui s'attachent à
célébrer les beautés du sol natal, qui en font ressortir, sous
quelque aspect nouveau, les multiples el fécondes richesses et, à
ce litre, il salue, en M. Harroy, le chercheur qui, s'il sait se
pencher sur les pierres pour tirer des inductions de leurs stries,
de leurs mousses et de leurs moindres fissures, sait aussi relever
la tête vers les grands horizons, el célébrer d'autaijt mieux leur
■1^
-n
^
IJART MODERNE
13
poésie qu'il invoque en témoignage le scniimenl des vieux âges,
atlcslé par la situation môme des monuments qu'il décrit. Ses
petits livres, dont il écarte avec soin toute affectation scientifique,
seront d'excellents guides pour les promeneurs vers les points
du pays que semblent avoir marqués les premières aspirations de
l'homme vers les cieux. .
LE THIATRE DE LA MONNAIE EN 1827
Une aïeule a retrouvé le bulletin que le directeur de la Monnaie
envoyait, chaque jour, h ses abonnés, en 1827^ .
I.c voici dans son archaïque étrangeté : '
Tlll-'ATRK HOYAL,
j;_ 5 ; *
• p^ ^ . __ ' -■ •
Continuation dos débuts de Mlle. Bernardin.
LES COMIÏDIENS OUDINAIRES DU ROI
Donneront aujourd'hui Vendredi, 2 Février 1827,
(1.'^'' abonnement courant ).,
( entrées de faveur généralement supprimées ),
la Vestale,
Grand -opéra on 3 actes, de l'Académie Royale de musique,
de Mr. Jouy, musique de Mr. Sponlini. '
CHANT : M''^ Damoreaiiy Eiicjèner Cnssel, Leroux, DnpuLs,
Mosd. Rousselois, Lemesle.
DANSE.
Pas guerrier, par M. Slroyaver. . "
Pas de deux, par M. Poulou et Mad. Ragaine.
Pas de deux, par M. Rngaine et Mile. Bernardin.
Tina! général par les premiers sujeis cl le corps de
Le speciacle commencera par
lallel.
LE MARI ET L'AMANT^
Comédie en un actcy de J.-C. Vial.
Artistes : Mrs. Charles, LemoUjne , BcrIhauU , Perceval,
Mesd. Lcm oigne , Lebrun.
Les bureaux seront ouverjs à 5 heures et demie.
On cûmmencora à 6 heures et demie.
THEATRE DU PARC.
Demain -3, ki 1'"'' represenlalion.de Recelte pour marier
sa fille, vaudeville nouveau en l(act'e; le Charlatanisme;
l'Auvergnate, etc.
?
Le théâtre de Warms
Une correspondance adressée à un journal ^français donne
d'intéressants déiails sur la prochainé^' inauguration h Worms,
d'un théâtre récemment construit sur un plan très particulier.
Wagner, on le sait,'* n'admettait que deux formes possibles'
pour le tliéâtre de l'avenir : le « théâtre idéal "■■> qu'if a voulu
réaliser, el le « ihéâlrc populaire », à grands spectacles histo-
riques, avec la participation du public lui-même.
C'est ce théâtre populaire que M. de Schœn a créé.
Encouragé par le succès de son fesUval de f/u+h€r, en l'hon-
neur du quatrième centenaire, en 1883, dans la cathédrale même
de Worms, M. de Schœn profila de ce que le théâtre de Worms
fut incendié, pour proposer la création du VolLwheater (ll)éâlre
populaire). ;L'administralion municipale comprit qu'au lieu d'aVoir
un théâtre de dixième ordre, il valait mieux élaWir une scène
d'un nouveau genre, où les représenlations n'auraient lieu que
quelques semaines chaque année, mais seraient un événement
■pour toute l'Allemagne ; et le grand duc de Hesse accepta le pro-
tectorat de l'œuvre. • >-
Le ihéâire est un mélange du iliéâtre wagnérien xle Bayrculh et
du théâtre anglais de Shakespeare; d'abord une avant-scène
empiétant sur le parterre, puis une scène, puis, plus élevée, une
seconde scène. Les drames populaires et les traductions de Sha-
kespeare sont joués dans toute la profondeur de la scène, avec
une simple toile, unicolore pour décor du fond. Pour d'autres
pièces, on peut organiseï'^ la scène sur le modèle habituel, avec
coulisses, décors, etc. Derrière les spectateurs, au fond de la
salle, en face.de la scène, tout ou haut, est une so/le de vaslo loi^e
d'où parle Dieu (par exemple dans Fausl), d'où surgissent 1rs
revenants.. On peut aussi y placer un orchesire.
Sur les côlés il y a aussi des aménagements pour des chosun^s.
Il arrive qu'on veut faire chanter le public tout entier, comme
dans la Kaisermarsch de~Wagncr, dans ce cas, on rentraînc en
faisant partir de petits chœurs simultanément des quatre côlés.
On se promet un très grand effet de ces ensembles.
La pièce d'ouverture est de M.llans Hcrrig, l'auteur du Lulhcr-
Festspiel. C'est un drame historique à grand spectacle, intitulé :
Drei Jnhrhunderte am Rhein; il met en scène la prise et lu
destruction de Worms, en 1680, par les Français. .
Les représentations auront lieu tous les deux ou trois jours et
dureront jusque vers Noël. L'empereur Guillaume a promis de
venir y assister.
Ajoutons que le drame de" M. Hans Herrig est joué par deux
acteurs de profession el deux cents personnes de la ville, impro-
visées acienrs pour la circonstance. ,
L'INTERVIEW
j-
L'Erho de Paris, par la plume de M. Maxime lîoucJioron,
blague les reporters. Très drôle, cet interview au sujet de la rcvo- ^~ ^
lulion du Brésil :
Le diplomate. — J'aime beaucoup votre excellent journal ; je
n'en lis pas d"autre et je suis prêt à répondre îi vos questions, en
me renfermant toutefois dans certaines limites que l'état actuel de
l'Europe impose à ma discrétion.
Le reporter. — Il s'agit, Excellence, de la Révolution du
Brésil. „ ■
Ij: DIPLOMATE. — Hum ! hum!
Lé reports. — Certains bons esprits, j'avoue être du nonihîv,
estiment quPces faits semblaient être prévus.
Le DIPLOMATE. — Oh ! oh !
Le REPORTER. — Quel est, Excellence, voire avis pt^rsuiinel ?
Le DIPLOMATE. — Hou ! liou ! ■ ,
Le REPORTER. — Cependant, on peut admeiire (pie l\)boliiion
de l'esclavage aura précipité les choses.
■■ Le DIPLOMATE. — -Ah! ah! >
Le reporter. — L'armée était prèle au proiroi'.riaincnlo.
Le diplomate. — Plan, ra la plan!
^fmk^
IV
^
J.E REPOiiTER. — Aussi, Kxcellence, devez-vous penser, comiiK;
nous, qu'il est heureux, pour la sùinle cause de riuimanité, que
la guerre" civile ait pu être évitée, il y a bien eu un ministre de la
.marine blessé... .
Le uiPi.OMATE. — Euh! euh!
Le reporter. — C'est déjà trop, j'en conviens; mais enfin,
c'est tout. On n'a pas tiré un coup de canon. .
Le DIPLOMATE. — Boum ! boum !
Le reporter. — Que dites-vous. Excellence, du président de
ce gouvernement provisoire, le général Doodoro da Fonseca? il a
la répuialion d'un bon militaire.
Le diplomate. — D'zim lai la! D'zim laï la !
Le reporter. — Comment les chancelleries vont-elles accueil-
lir la disgrûce de l'empereur Pedro?
Le DIPLOMATE. — Hé! hé!...
Le reporter. — Vous n'êtes pas. Excellence, sans.avoir songé
aux conséquences que vont avoir, dans les provinces, de tels bou-
loversemenls constitutionnels.* - ,-"-
Le diplomate: — Hi! hi! Han! han !
Le reporter. — N'est-il pas à craindre que des f>eàples amis
de la dynastie tombée, par exemple les Portugais...
• Le DIPLOMATE. — Gais, gais, gais!
Le reporter. — ... Ne veuillent armer les nations du vieux
Monde...
- Le diplomate. — Ga, ga, ga!
Le reporter. — ... En faisant appel aux principaux éléments
du Concert europiéen? •
Le diplomate. — Do, ré, mi, fa, sol, la, si, do !
Le reporter. — Il me reste à vous remercier. Excellence, de
ces précieux éclaircissements ; publiés dans notre journal, ils jet-
teront une lumière nouvelle sur ces grands problèmes internatio-
naux... " . "
fHRONlQUE JUDICIAIRE DEg^RT^
- Van Beers contre Sedelmayer.
. On se souvient du procès intenté par le peintre Van Beers à
M. Sedelmayer qui, après avoir loué sa galerie aii^eintre pour y
faire une exposition de tableaux, avait refusé à M. Van Beers le
droit d'y installer ses toiles h cause du retentissement des débats
judiciaires auxquels ce dernier avait donné lieu à Bruges.
M. Van Beers a gagné son procès.
« Attendu, dit le jugement, prononcé le 16 décembre, que le
contrat intervenu entre les parties n'était autre que le bail à loyer
d'une galerie aménagée pour les exposilionl'aîtistiques, opération
à laquelle se livre habituellement Sedehiiayrr; que le prix élevé
de la location (4,000 francs) indique suffisamment qu'il a agi
comme bailleur en vue de tirer de sa chose un bénéfice pécuniaire
bien plutôt quV'comme exerçant un patronage sur l'exposition
projetée et en considération de la personnalité de l'artiste ou de
la valeur de ses œuvres;
<( Que, dans cetle.silualion, le retentissement des débats judi-
ciaires auxquels Van Beers avait été mêlé et les contestations sou-
levées au sujet de ses procédés artistiques, ainsi que de l'authen-
ticité de certaines' œuvres signées de sonnom, ne pouvaient com-
promettre les intérêts de Sedelmayer ni engagersa responsabilité
. vis-à-vis du public;
^
: ■ .- .. . ; / ■; - - , ■
« Que ces faits, survenus depuis le contrat," n'étaient pas de
nature' à l'atteindre dans son essence et à vicier le consentement
librement donné de part et d'autre; qu'ils ne i)ermérû^ent donc»
point à Sedelmayer de rompre de son autorité privée le bail passé
îjvec Van Beers. »
En conséquence, M. Sedelmayer est condamné à payer à l'ar-
tiste 4,200 francs de dommages-intérêts (M. Van Beers en récla-
mait 20,0001).. 11 est condamné, en outre, aux dépens,
Mémento des Expositions
Bruxelles, p-^ VU" exposition des XX (limitée auji^embres
de l'association et° à leurs invités). Ouverture : 18 ja'^ier 1890.
Réception des œuvres : 13-15 janvier (délai de rigueur).
Paris. — IX" exposition des femmes peintres, et -sculpteurs.
Février iSQO. Renseignements et demandes d'adhésion : M"'" Léon
Berlaux, avenue de Villiers 147 (par lettre ou en pe];^nne les
vendredis de 3 à 6 heures)
Pau. — XXVl« exposition de la Société des Amis dej Arts,
ir)janvier-15 mars 1890. Délai d'envoi expifS^^nseignemenis :
Secrétariat de la Société, au Musée de Pau.
Madrid. — l'^ Exposition (internationale). Mai 1890. — Envois:
I^'-IO avril.
Bordeaux.-— XXXVIII« exposition des Amis des Arts.
l*"- mars 1890. Envois : 1"-10 février. ÏVenseignemcnts : Pfl?w,
M. Olivier Merson, boulevard Saint-Michel, 117.
Petite chrojmique ^
De môme que l'an dernier, et afin d'éviter l'encombrement qui
rendait impossible l'examen sérieux des œuvres exposées, aucune
invitation ne sera adressée pour l'ouverture du Salon des XX,
fixée à Samedi prochain, si ce n'est aux notabilités artistiques.
Les cartes envoyées à celles-ci seront strictement personnelles.
Les porteurs de cartes permanentes auront accès à l'ouverture.
Ces cartes, qui assurent une place numérotée aux matinées musi-
cales et littéraires, sont, dès ce jour, mises à la disposition du
public au prix de 10 francs. Adresseras demandes au secrétariat
des XX, rue du Berger, 27.
Le premier concert de l'Association des professeurs d'instru-
ments à vent du Conservatoire, qui devait avoir lieu aujourd'hui,
est remis à dimanche prochain, plusieurs des interprètes étant
indisposés. ,
La fête organisée à leur bénéfice par les artistes et le personnel
du théâtre de la Bourse, primitivement fixée au samedi H, a été
remise au lundi 13 courant.
Le spectacle, qui dura lieu à l'Alhambra, se composera du
Baron de Fourchevif, joué par les artistes du théa'lre du Parc,
d'un acte des Cloches de Corneville ioné par ceux du théâtre de
la Bourse^ et dans lequel les corps de ballet réunis des théâtres de
l'Alhambra et de la Bourse danseront un ballet-divertissement
avec une variation par M"^ Legnani.
Un intermède dans lequel se produiront des artistes des autres
théâtres de la capitale complétera cette soirée de haute attrac-
tion. Le bureau de location est ouvert au théâtre de l'Alhambra.
e^
F'armi les info(rlu|ics provociuées par l'incendie cl» iliéùlre de la
IJourse, il en est une sur laquelle nous appelons spccialcineiil
rallention : c'est le d(isastre qui a altoinl les musiciens de l'or-
clioslrc qui ont prcs(iuc tous perdu leur inslrument dans la calas-
iroplic.
In concert sera donné à leur profit, au Palais de la Bourse, le
lundi 20 courant. M"" Dyna BeumçrcliM. Henri llcuschling, qu'on
trouve toujours prêts à venir' en aide aux malhourcux, ont bien
voulu promettre lenr'concours pour cette soirée, digne de toute
sympathie.
La Société centrale (t Architecture de Belgique a fêté, le.
\\\ décembre dernier, le dix-septième anniversaire de sa fonda-
tion. Une assemblée générale, qui a eu lieu au palais de la
Bourse, sous la présidence de M.cAckcr, a réuni, outre les arcbi-
lèctes de Bruxelles, un grand nombre de délégués de Gand, Liège,
Anvers, Charlcroi, Mons, Louvain, Bruges, Nivelles et Spa. Des
discussions fort intéressantes se sont produites au sujet des con-
cours publics, de la création d'une caisse de défense mutuelle des
archilebles, de Iq révision de l'arrêté des bâtiments civils du
\ 2 pluviôse an VIII, etc. . . ; les vœux qui ont été émis et les réso-
lutions qui ont été prises témoignent de l'entente et de l'esprit
d'union dont sont animés les membres de cette artistique corpora-
tion. '<^
L'assemblée avait été précédée d'une visite au jardin d'hiver et
aux serres du palais royal deLaeken.
La ville d-'Aix-la-ChapelIc a perdu, il y a quelques mois, un de
ses architectes les plus estimés : M. F. Ewerbeck, professeur à
lEcole polytechnique. Si nous tenons à rappeler son nom dans
cette revue, c'est que M. Ewerbeck a consacré dix des meilleures
années de sa vie à la publication d'un ouvrage des plus impor-
tants sur 7« Renaissance en Belgique et en Hollande. Durant les
' instants de loisirs que lui laissait le professoral, il parcouniii
incessamment les deux pays et s'arrêtait dans les plus petites
villes du Zuidjerzee, de la Zélande ou des Flandres pour y relever
un monument ou y dessiner un objet d'arl digne d'intérêt. Son
recueil est donc fortement documenté et a le mérite de reproduire
les dessins originaux en (ac simile; les artistes peuvent ainsi se
rendre compte de la haute valeur et du talent rare de dessinateur
de l'auteur. Ewerbeck est mort peu de temps avant l'apparition
de la dernière livraison de son ouvrage.
Il est question, paraît-il, d'élever, dans l'enceinte du Waux-Hall,
un grand local vitré pour y donner les concerts en cas de mauvais
temps, et servir d'annexé au Cercle Artistique pour les fêtes
d'hiver. Nous ne voyons guère d'utilité à celte construction qui
sera ou trop chaude ou trop froide, encombrera le jardin du
Waux-Hall, pour laquelle il faudra abattre des arbres, et restera
sans emploi pour le Cercle dont les salons actuels sont amplement
suffisants pour les réunions qui s'y tiennent. Ce projet n'est guère
une amélioration du Waux-Hall : il y a mieux à faire.
La" pioche a déjà mis par terre bon nombre de constructions de
l'Exposition universelle. Dans le compartiment belge, le bâtiment
du commissariat, par M. Janlet, va être Iransporlé aux environs
de Paris et sera reconstruit et approprié pour servir d'habitation
de campagne. Le pavillon Solvay, de M. Brunfaut, sera réédifié
aux usines Solvav à DombasIe-sur-Meurlho.
On nous écrit de Madrid : ' ' ■ \ ■
« Le faUTeùx ténor Gayarre obtient uif succès énorme au théâtre
royal dans les Pescatori di Perle; tous ses morceaux sont
redemandés par le public très élégant qui remplit la salle jusqu'aux
dernières loges. Cet engouement est justifié par les qualité^ excep-
tionnelles de l'artiste' ; voix d'un timbre exquis 61 d'une étendue
rare, art de phraser ol de nuancer à linlini, et sentiment drama-
tique d'une |;rande justesse. C'est certes un chanteur plus com-
plet et plu^ï-raffuié que Ma'-iui, proclairu' proniiorlénor du moiul^
par ses compatriotes-.
A Madrid, excellente représentation de Don Juan ol d'Orphée,
en attendant les Noces de Figaro, Otello de Verdi, la Reine de
iS'fli'a de Goldmark,'irt Jolie fille de Perth, etc »
Au Grand-Théâtre de Bordeaux, M. Frédéric Boyer vient de
jouer, une quinzaine de fois, avec un succès croissant, TOoit/'c
de Flotow; l'excellent baryton, qui est ccsté trop peu de temps â
Bruxelles, fait valoir dans le rôle de Mironei, sa voix veloutée ol
souple. A signaler, à ses côtés, .M"i'^ Rose Delaunay, une aimable ^
et fine chanteuse de l'Opéra-Comique de Paris.
L'enthousiasme avec lequel les Russes viennent de célébrer le
jubilé d'Antoine Rubinslein dépasse, dit le Guide, tout ce qui ,
s'est fait jusqu'ici en ce genre en l'honnenr d'un artiste.
Après les congratulations officielles et le concert qui a eu lieu
k la Salle de la Noblesse, sous la direction du maître, il y a eu,
au Théâtre impérial, une représentation de son opéra Goruscha.
Cette représentation a mis fin à la célébration officielle du-jubilo.
Mais, c'est maintenant aux sociétés privées à exploiter la popu-
larité du grand artiste. On organise de toutes parts, en soii hon-
neur, des concerts, des soirées, des bals. Il y a eu, au profit de la
caisse des artistes musiciens, un- grand bal dont le clou a été une
série de tableaux vivants, représentant des épisodes de sa vie (t
de ses principales œuvres, Feraiiwrs, Agar au Désert, Néron,
le Marchand Kalashnikoff, le Démon et les Enfants de la Steppe.
L'Opéra Fusse privé a représente des fragments du Marchand
Kalashnikoff. ■ ^
A Moscou, le Conservatoire a donné un grand concert consacré
aux œuvres de Rubinslein, el toutes les Sociétés musicales de la
ville ont imité cet exemple. A Odessa, les journaux onl paru ornés
de portraits du jubilaire, et l'on a donné une exécution de sa
Tour de Babel et de sa symphonie l'Océan'. Dans un entr'act-,
M. Coquelin, qui était encore en ce moment à Odessa, a récité
en l'honneur de Rubinstéin une poésie de Paul Delair.
Kiew, Kharkow, Varsovie, Nijni-Novgorod, même des petites
villes comme Squvalki, ont eu leur cycle de fêles.
*~- Parmi les adresses présentées à Rubinstéin, il y en a une de
Varsovie qui est une véritable œuvre d'arl, peinte par-les meilleurs
artistes varsovicns. Rubinslein y est représenté méditant au piano,
autour duquel se pressent les principaux épisodes de ses œuvres ;
l'Océan, Néron, le Démon, etc. L'adresse de Kiew est déposée
dans un splendide et grand coffret, style vieux russe; colle
d'une Société moscovite est .enveloppée, dans une bande de
brocart d'or. ■■ ■,■
'^^c Courrier de la Presse, 19, boulevard Montmartre, A. Gal-
lois, directeur, communique les extraits de tous les journaux sur
n'importe quel sujet. j
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I
Dixième année. — N° 3.
Le numéro : 25 centimes.
DIMANCHE 19 Janvier 1890.
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Comité de rédaction i Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. —ANNONCES : On traite à forfait.
. ■ ■ ^-^ "' ^- ° — -_
Adresser^ toutes les communications à
l'administration générale de l'Art Moderne, rue de l'Industrie, 2B, Bruxelles.
^OMMAIRE
r
Notes suh l'Iliaue. — Impressions d'artiste. " — Cueillette de
LIVRES. — Vincent Van Gogh. — La fécondité des maîtres. —
Mémento des Expositions'. — Petite chronique. ' '
Notes sur l'Iliade
L'Iliade ! Oh ! l'admirable inaltérable bouquet de
nobles fleurs poétiques, gâté, flétri, déshonoré, défiguré
par ces trois choses odieuses : les professeurs d'athénées,
les traducteurs du bel air, les rimailleurs de tragédies.
Il n'en reste qu'ennui et rancœur ; à peine quelque res-
pect humain empêchant l'expression sincère et brutale
du dégoût. Et plus jamais, plus jamais, depuis ces
années d'école où quelque pédant nous -a retenus rechi-
gnant sur un chant du noble poème, sali par ses pédan-
tesques déjections, nous ne pensons à relire l'œuvre
"vieille, de trois mille ans bientôt, à moins qu'un, hasard,
(ce fut le cas pour nous) ne nous induise, au fond de
quelque solitude, par pénurie d'autre livre, à parcourir
distraitement une traduction, trouvée là par hasard,
belle enfin ! comme celle de Leconte de Lisle. ^
Alors, quel éblouissement ! Quelle compréhension
enfin de l'amour des hommes, persistant à travers les
siècles, pour cette antique héroïque histoire! Quel éveil
au plus profond de notre âme aryenne des sentiments
simples, fiers, élevés qui en sont la principale substance
malgré tous les abâtardissements accomplis et subis au
cours de l'avancée de notre race à travers les humanités
inférieures qu'elle a rencontrées dans cette Europe où
elle s'est d'abord établie, avant sa poussée maintenaiit
accomplie, sur les deux Amériques, sa poussée en traiiK
de se faire sur l'Afrique ! Quel cri dans l'obscurité muette
de notre intimité quand parle l'écho de ce si lointain
passé avec son accent fraternel, plus près de ce que
nous voudrions être que les plus contemporains événe-
ments! Et quel étonnement à constater qjie nos senti-
ments les plus forts et les plus tendres trouvent là, dans
ce si lointain lointain littéraire, une expression plus
touchante que dans les œuvres les plus émouvantes de
nos jours présents, avec l'impossibilité, invinciblement
C(?mpi4se, de recommencer, de renouveler ces puissan-
tes et sobres poésies, qui disent tout, par les mots les
moins cherchés, par les images les plus quotidiennes !
Car nous sommes foits désormais de complications
inouïes; nous sommes, dans nos cerveaux, surchargés
de détails ; 1 emiettement des facteurs qui agissent sur
notre psychologie est éff'rayant, et quand, soumis à cette
loi de fragmentation infinie, nous essayons de résumer
quelq^u'une de nos sensibilités en une formule plane et
sonore, comme l'Iliade en donne à tout coup de ses
V
vingt quatre rapsodies, nous ne le pouvons plus, nous
ne le pouvons plus !
L'étude, la lecture, la compagnie assidue du merveil-
leux poème sont' à reprendre. On s'y baigne dans la
pureté et l'héroïsme. On y baigne et on s'y retrempe.
Oh!, salutaire et réconfortante médecine pour l'âme, qui
nous rajeunit et nous guérit par ce double remède : la
solitude retrouvée dans l'envol vers ce passé matérielle-
ment si différent du nôtre; la sérénité retrouvée, elle
aussi, dans le séjour parmi les douces et viriles origines
de notre race. •
- Car cette guerre de Troie fut une guerre entre peu-"
plades aryennes, de même sang, séparées seulement par
les nuances qui sont-si promptement et si légèrement
. transformées en radicales différences et incurables ini-
mitiés .par ceux qui grattent l'histoire à la surface. Les
fouilles célèbres de Henri Schliemann, prodigieusement
révélatrices, achevées en 1873 après trois an&-de gigan-
" tesques travaux, presque ignorées en Belgique, patrie
si lente à attraper l'alignement dans les sciences, n'ont
pas laissé de doute à cet égard. La Troie d'Homère,
dégagée par lui à trente pieds au dessous du sol actuel,
enfouie sous l'épaisse couche de cendre rouge que laissa
l'incendie de ses constructions en bois par les compa-
gnons de l'Atréide Agamemnon, pullule de terres cuites
où se volent les symboles religieux des Aryens, le
double^Z entrelacé. Et Ton peut même dire, comme l'a
observé naguère Marius Fontanes, que la population de
Troie était une expression plus pure de la grande race
indo-européenne, moins.cruelle, moins barbare que les
Achaïens qui assiégeaient la ville. Priam est plu§ tou-
chant qu'Agamemnon, plus humain. Celui-^ a déjà
l'orgueil barbare, la morgue. Celui-là ne dément jamais
sa nature héroïquement tendre. Il en est de même des
^ deux héros, des deux rivaux qui personnifiaient les
. peuples adversaires. Achille, » le plus effrayant des
hommes «, que l'Iliade nomme souvent « le féroce », a
-Jes brutalités du Scandinave, et fait penser aux guer-
riers des Niebelungen ; il est invincible, mais sangui-
naire, impitokjable ; il est blond aussi, comme Siegmund
et comme Siegfried. Hector «-vau casque mouvant « est
un chevalier, l'âme toujours émue, généreux en sa bra-
voure, respectant l'ennemi à l'égal de ses dieux. Dans
toute l'Iliade, il n'est parlé qu'une seule fois d'un sacri-
fice humain : c'est le Péléide Achilleus qui le perpètre
sur le bûcher dûJ^atrocle : il y jette, après les avoir
égorgés de ses nVains, douze jeunes Troyens; il y jette
aussi deux des chiens fidèles qui habitaient et gar-
daient sa tente. Quand il combat et tue, il le fait avec
. une ivresse joyeuse. Hector ne frappe qu'en soldat, pour
"défendre « la haute tour d'Ilion e^ les femmes troyen-
nes ".
Elle était petits cette Troie, qui fut l'occasion de ces
récits immortels. Homère et les autres rapsodes, qui
composèrent les chants populaires réunis en une seule
épopée au temps de Pisistrate, l'ont décrite avec les agran-
dissements et les illusions dont la tradition auréole les
faits historiques arrivant d'un passé obscur. Ils. ont
prêté les mœurs, déjà ralativement raffinées, de leur
temps aux peuplades venues de la Grèce pour détruire
la ville, aux peuplades de l'Asie-Mineure réunies pour la
sauver. Les ruines mises au jour par Schliemann, les
innombrables découvertes d'ustensiles ménagers qu'il a
faites, ont remis les ctjx)ses au point. Les trois quarts de
la Troie de Priam sont maintenant à la lumière, nou-
velle Pompéï. Son enceinte entière est reconnue, celle
qu'avaient bâtie Apollon et Neptune, « le dieu à l'arc ,
d'argent "et « l'illustre qui ébranle la Terre >». Ce
n'était qu'une acropole restreinte, ayant quatre cents
mètres de circuit, et l'Iliade dit vrai quand elle dépeint
Hector, poursuivi par Achille, faisant trois fois le tour
de la ville avant de s'arrêter pour liver le suprême com-
bat et mourii% Les Portes Scées sont désormais visibles,
les uniques portes de Tantiquecité qui s'élevait es cita-
delle sur un massif calcaire en saillie, bombant la plaine.
La « haute tour d'Ilion « qui surmontait leur double
entrée en tuÀnel, n'avait que six mètres de haut, et on
.y voit encore les bancs sur lesquels Priam et les vieil-
lards, « excellents agorètes «, assis et causant « comme
des cigales », voyant Hélène, « la divine femme au long
peplos « s'avancer, disaient entre eux que certes il se com-
prenait que pour sa beauté incomparable, ce n'était pas
trop d'avoir supporté dix ans de combats et de maux
sans nombre. .Le temple de Minerve, « l'Athénée aux
yeux de chouette », n'était qu'une pierre en demi-lune
sur laquelle on sacrifiait le bétail. Les remparts étaient
faits de pierres frustes reliées par de la boue. Quant aux
maisons, « on peut conclure de l'épaisseur de leurs
murs, dit Schliemann, et de la couche profonde de leurs
décombres, qu'elles étaient »très hautes et à' plusieurs
àtages; si l'on admet trois étages, en les supposant con-
tigues, la ville n'a pu contenir plus de cinq mille habi-
tants et fournir plus de cinq cents soldats ; mais elle
peut avoir formé une troupe considérable de ses alliés,
et comme elle était riche et puissante, elle aura embau-
ché des auxiliaires ».
Ce n'était donc qu'un grand château fort et son siège
rappelle ceux des forteresses isolées du moyen-âge, avec
des sorties nombreuses et meurtrières. On se battait
alors dans la plaine que bornaient à angle droit l'Hel-
lespont au nord, la mer Egée à l'ouest, taijtôt en deçà,
tantôt au delà du Scamaudre, qui séparait la ville du
camp des Achaïens établi au cap Sigée où ils avaient
tiré sur le sable de la plage les onze cents pirogues à
proues, noires recourbées qui les avaient amenés de
l'Auiide, dont les plus grandes portaient cent vingt ■
rameurs et la plupart une trentaine seulement. Là
étaient les tentes des chefs. Là était le long mur qu'ils
{>
y
/
bâtirent en une nuit pour se protéger contre les Troyens
.victorieux pendant la grande bouderie d'Achille après
que l'atréïde Agamemno.n « prince des peuples » lui eut
enlevé Briséis"'- aux belles joues ». Il y avait aussi un
hêtre, sous lequel Junon et Minerve venaient se poser,
descendues deTOlympos, « comme des vautours «, pour
regarder la bataille. Et un figuier. Et une fontaine où
les Troyennes faisaient la lessive-
L'Iliade ne raconte pîis toute la guerre de dix ans.
^lle n'embrasse que trente jours! et n'en raconte que
huit! Les vingt- deux autres sont indiqués comme inter-
valles. Pendant douze d'entre eux, Achille laisse sans
sépulture le corps d'Hector, qu'Apollcîîi préserve de
toute corruption. Pendant" les dix autres, les Troyens -
vont, dans les forêts de l'Ida, chercher le bois poui; le
bûcher d'Hector dont le cadavre a enfin été rendu à
Priam suppliant. Il y a ensuite quatre jours de bataille,,
dont trois sans Achille et alors les Troyens l'emportent.
Au déclin du dernier, Patrocle est tué par Hector. Alors
Achille se décide à retourner au combat, le quatrième,
pour venger son ami et tuer Hector. Le sixième, il brûle
le corps de Patrocle. Le septième il donne, en Thonnenr
du mort, des jeux funèbres. Le huitième on mène le
grand deuil, le deuil désespéré du divin* héros troyen.
•Dans ces huit journées, la civilisation grecque de
l'époque est décrite tout entière, sur la terre et dans le
ciel " le vaste Ouranos » dont les, habitants ne se désin-
téressant pas une heure dé la lutte. Ni l'attention, ni la
joie de savourer l'ambroisie poétique, ne s'interrompent.
On lit, on revient sur ses pas pour relire, on se surprend
à lire tout haut, à ajouter àrla vue par les yeux, la sen-
sation plus héroïque par la parole. Le drame prodigieux
saisit, ravit, emporte. Et, chose singulière, sur ces vers
sonores, insensiblement s'adapte une musique sublime,
en équation avec eux, digne d'eux, qui semble faite
pour eux : la musique de Wagner! Oui, à travers le
temps, il est venu compléter Homère. Et dans l'imagi-
nation surgit cette fantastique pensée de métempsy-
chose : que c'est peut-être la même âme, revenue de
l'invisible et de l'obscur, pour compléter par la force
d'un art nouveau, la plus grande œuvre,' double désor-
mais, qui aura jamais été exécutée par la race humaine
« née pour la joio et aussi pour la douleur! »
IMPRESSIONS D'ARTISTE
A Dario de KE5oyos.
El mainlcnant que me Voici depuis des jours revenus, certes,
me poursuit-il encore de sa hantise le merveilleux Jeune homme
à la ganse jaune du Musée de Marseille. Si, ajii delà, dans son
cadre banal pourtani, de toute conjecture de savant acharné à le
classer parmi des « personnages illustres >■> et si bien portant et
si en sanlé de son mvstèrc. ■ ' ^
Beau et d'une grâce levanlinc fièrc, avec quelque mollesse
et comme avec insouciance. Lui, — ou le catalogue — un Molière
jeune? impossible. **
Mais bien un débarqué en des ports du Nord, probablement en
Hollande, et consentant devant quelqu'élève de Ilembrandt, un
Fictoor, un Muas ou un Bol k cabrer son allure et sa tioblosse. f été
de belle-aventure à travers les pays et hm mers, bellement souS sa
perruque de boucles noires ; l'œil mouillé, mais non pas d'un
regret, et fixe et d'un jais doux el brave et simplement et volup-
tueusement devinateur. La bouche ? un peu grasse el les joues el
le cou également. Le nez épanoui et de race. Et la ganse jaune
flotte à l'épaule. '
Assurément, aucune notation ne donne de l'homme le millième
du loul h coup rêve, vers lequel, en une simple visite qu'on lui
fait, il entraîne despoliquemenl. En celle grande galerie du
Musée, non, qu'il ne fait point partie des œuvres étalées! 11 n'est
pas un tableau, il est une survivance de quelqu'un; il est ce qu'il
y a d'immorlcl dans l'ari, vivifiant un très rare type humain qui
,en est digne. Le jeune homme à la ganse jaune reçoit ^scs admi-
rateur^, comme un grand seigneur reçoit ses clients. Il s'est
retiré de la réalité qui fait agir, pour,' dans son cadre d'or,
ne pens,ôf^t n'élonner qu'à l'aise^ 11 n'a jamais voulu qu'on sût
([uel il était, ni par quel artiste il avait été peint, ces choses étant
banales dès qu'on est entré dans l'existence spirituelle d'un sou-
venir. Il est chez lui dans l'air rare qui flotte autour des chefs-
d'œuvre; il est superbe el fier non plus mainlenanl parce» qu'il a
vécu, mais parce qu'il se sent devoir indéfiniment vivre. Tout son^
orgueil s'est froidi en calme inbougeable el qui commande.
Et c'est alors que'le silence des choses profondcfs — ^ ce silence
de tout ce quiest au delà, que ce soit un Dieu, un firmament,
une genèse obscure, un grand ■ passé mort ou tout simplement
une toile ou une statue — devient d'une attirance incessante el
pour ainsi dire persécute. Que d'heures à l'examiner, lui, le beau
jeune homme "cn velours el en dentelles, ai-je passé et que
d'heures, apr^s, plus nombreuses encore, à songer et à resonger à
lui. II. est entré si intimement en mon souci, qu'à présent il vit
en moi et que je lui refais une destinée, très fantaisiste peut-être,
mais toute arrangée pour mes goûts seuls. Lentement, il^^ me
représente ce xvn^ siècle dontjl est, comme une époque qu'il
s'est choisie el qu'il a faite telle pour que je comprenne moi, le
faste sévère, lasvbelle aventure d'une existence heureuse et forte,
la joie dans la 'oravoure et la vaillance, même une certaine pose
et surtout la cordiale franchise d'un bonheur sain. Mélancolique
et tristement penche sur la réalité désillusionnante, non, qu'il ne
l'a point été et ce n'est pas même une nostalgie dos climats
chers un jour quittés que son regard confesse.
Tl était très loin de Versailles. Il cn suivit néanmoins les modes.
Parti des vallées méditerranéennes où il est actuellement revenu,
il ne devait se plaire qu'en des villes de mâts el de fanaux où des
pignons grêles et des arbres au long des quais dardent symboli-
quement toute la vie vers l'espace. Son costume m'indique la
'maison ornementée d'art qu'il habitait. Les meubles solides el
riches, les lambris profonds illuminés par jles cassements de
rayons d'or des vitraux, les cuivres, les bronzes et les étains et
les statues noires devaieni solliciter ses Ifaltes et ses repos entre
deux voyages. -Célibataire, oui. Bien qu'on' lui rêve à ce certes
doux caresseur de chevelures .dénouées, la rousse tendresse
aimante el enflammée d'une silencieuse femme du Nord et que
tout à coup rapproché d'une fenêtre de soleil, un renversement de
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1
->
bienheureuse léle vaincue se devine soutenue entre ses bras
(l'amant.
Mais quel fond de cœur indifférent néanmôhis. Il devait se
laisser aimer sans refpuer le, petit doigt pour retenir celle qui
s'en serait ailé. Point le passionné, mais le beau manieur d'épée à
l'occasion pour souligner d'une blessure une heure" sentimentale.
Il ne devait adorer que le hasard et se laisser distraire par l'im-
prévu. Au fond, un bohème de grande marque.
Voyageur et dégusteur de climats comme on déguste des vins.
Le navire! ce seul mot devait lui sonner aux orei-lles et passer
dans h\ mer et dans la tempête en tout à coup deVànt ses yeux, —
splertdide ! Capitaine de frégale, commandant de galère, roi d'une
corvette guerrière,, il aurait été dans sonYôle, ob ! superbement.
Et sur des plages et des plages, parmi des gens fous de péril
et d'inconnu, calmement et pçesque voluptueusement il se serait
imposé : celui qui se fait obéir, sans que les autres jamais
ne regimbent et sans que lui-même y tienne. En quelles victoires
son nom a-t-il flotté plus Iraut que les drapeaux? Quels soirs
marins découpèrent sa silhouette sur fond de bronze et d'amiante?
Vers quelles Mes de gloire volcanique ou de jardins bleus et roses,
là-bas, eu des lointains emparadisés a-t-il pousse J.a proue de
l'aventure ?-Dites?.
Et telle si merveilleusement se dessine sa vie, qu'il n'est rien,
si ce n'est sa mort, qui soit plus hautain. Non, pas même sa mort
matérielle, peut-être en un naufrage, peut-être en une bataille,
mais celle qui est son effacement d'homme parmi les hommes,
en échange de sa prise de possession de son éternité esthétique.
A cette minute où le peintre, l'œuvre finie, a délaissé sa palette,
cette mort de la chose réelle et son remplacement par la vérité a
eu lieu. ;*epuis cet instant, le .nom pouvait se perdre, le corps
tomber dans l'oubli, la décomposition se faire : le jeune homme
à la ganse jaune : était. Et comme tous les vrais chefs-d'œuvre qui
se savent tels, il s'en est allé non pas en des palais inaugurer son
immortalité, mais en la froideur d'un bâtiment public, d'un neutre
catalogue gris, d'un hall quelconque et anonyme. Et c'est raison.
En les salons bourgeois ou princiers, tout portrait a l'air de poser
pour l'ancêtre. Il se spécialise et se laisse mesurer à l'aune des
gens qui rhébé^enl.jU se diminue par ce seul fait.
• Quand, par contfe^ une œuvre entre en un Musée, l'imperson-
nalièé suprême la couvre; elle esta elle seule, puisqu'elle appar-
tient à tous. Elle vit dans l'universalité de l'admiration, dégagée
le plus possible dos contingences, elle ne commente rien et luit de
son unique splendeur personnelle.
Au Musée de Marseille, Y Homme à la ganse jaune est en
superbe compagnie : la petite dogaresse de Véronèse et les mar-
quises de Largillière, toutes en fierté et en grâce, lui font la cour,
à lui, le beau revenu des cités de la mer. Elles aussi, inconnues
et droites, sévèrement ou fardeusement sourieuses. Il est de leur
race; elles le savent. Et leur effacement d'œuvre moindre devant
la merveille de leur vainqueur, on le dirait volontaire.
Par l'escalierdouble du vestibule où les fresques de Ptm^de
Chavanncs déploient la louange de la ville au grand port ^leu et
blanc, qui n'a senti, en descendant, la ganse jaun^se dérouler
mystérieusement et attacher à tout jamais son rêve h la merveille
qu'il dgit malheureusement abandonner "derrière lui.
f UElLLETTE DE LIVF(ES "
Au Caire, par E. Minnaert. — Extrait de la Revue dA Belgique,
birochurcrde 22 pages.
lin Caire popote' et bourgeois : ce qu'on y boit, ce qu'on y
mange, avec des descriptions d'Anglais et d'Anglaises et des
considérations touchant la supériorité des Arabes siir les Euro-
péens. " ^
Au surplus, quelques lurqueries : une visite à un pacha, les
gaffirs, les chiens errants et les pyramides à l'horizon, sous lequel
le soleil « descend îi petites secousses, comme un grand ballon
d'or »,
Tout cela ne doit pas rappeler grand' chose à ceux qui con-
naissent le Caire et n'apprend pas davantage à ceux qui n'y ont
pas été. . , '
(T
La peinture anglaise (Exposition de Paris 1889), par Georges
Verdavainne. — Brochure, in-8° de 48 pages. Bruxelles, B- Knœ-
,tig, 1889. ^ .
Dans cette étude consciencieuse, M. Verdavainne ne se borne
pas à apprécier la peinture anglaise à la dernière exposition.
Remontant h son origine, |l.£n indique les évolutions successives
depuis le commencementxlu xvin'^ siècle, et il compare l'Exposi-
tion de 1889 à celle de 1878 pour marquer le chemin parcouru
en ces onze années, chemin quelquefois rétrograde, puisque l'au-
teur constate que les peintres anglais ont perdu en audace et en
témérité ce qu'ils on reconquis en érudition et en sagesse. Pour
décider s'il y a progrès, il faudrait s'entendre sur les qualités
maîtresses. Quoi qu'il en soit, 31. Verdavainne conclut que la
Grande-Bretagne a le droit d'être fière de ses peintres qui, tous
animes du même désir irrésistible de la personnalité, ont main-
tenu à l'école son originalité, son caractère britannique si nette-
ment tranché.
Liiége, passé et futur, par Célestin Dembi.on.-
Un numéro spécial du journal le Wallon, du 20 octobre-ven-
démiaire 1889, est consacré tout entier, sous ce titre, au déve-
loppement, par-M. Demblon, d'un discoiu-s prononcé à Seraing
le 29 novembre 1886. Eu un style ardent, où il n'a pas su éviter
la déclamation, il retrace à grands traits les efforts vers l'émanci-
pation du peuple liégeois qui, dès le moyen-âge, présenta, dit
Michelet, l'image de la plus complète égalité qui se soit peut-être
rencontrée jamais. A noter, une évocation descriptive du vieux
Liège à ses diverses époques, transparaissant sous le Liège actuel
et donnant, dans une vision unique, les âges étages de l'antique
cité wallonne. Un programme des revendications socialistes'qui
termine ce discours en fait une œuvre de polémique plus qu'une
œuvre d'art.
VINCENT VAN GOGH
L'un des artistes qui seront les plus drscutés au ^lon des XX,
celui devant lequel s'accumuleront en tas les ignorances et les
inepties, Vincent Van Gogh, vient\d'être étudié de très près par
M. G: Albert Aurier, dans un subtil et très intéressant article
publié par le Mercure de France (ancienne Pléiade), numéro de
janvier 1890.
n Ne pouvant reproduire l'élude complète, en raison de son
-A
/■
I
V
étendue, nous croyons ulile d'en donner dos extraits. Ils caraclé-
risenl avec précision l'art synlhéliquc de Vincent Van Gogh. ■
« Malgré la parfois déroutante étrangelé de ses œuvres, il est
difficile, pour qui veut être in]j)arlial et pour qui sait «regarder,
de nier ou de contester la véracité [naïve de sop art, l'ingénuité
de sa vision. Indépendamment, en effet, de' cet indéfinissable
parfum de bonne foi et de vraiment-vu qu'exhalent tous ses
tableaux, le choix des sujets, le rapport constant des plus exces-
sives notes, la conscience d'étude des caractères, la continuelle
recherche du signe essentiel de chaque chose, mille significatifs
détails nou's affirment irrécusablenient sa profonde et presqu'en-
fantine sincérité', son grand amour de la nature et du vrai — dé
son vrai, à lui. -
Il nous est donc permis, ceci admis, de légitimement induire
des œuvres même de Vincent Van Gogh, à son tempérament
d'homme ou plutôt d'artiste — '.induction qu'il me serait possible,
si je le voulais, de corroborer par des faits biographiques. Ce
qui 'particularise son œuvre entière, c'est l'excès, l'excès en la
force,"~rexcès en la nervosité, la violence en l'expression. Dans sa
catégorique affirmation du caractère des choses, dans sa souvent
téméraire simplificaiioij.des formes, dans son insolence à fixer le
soleil face à face, dans la fougue véhémente de son dessin et de sa
couleur, jusque dans les moindres particularités de sa technique,
se révèle un puissant, un mule, un oseur, très souvent brutal et
parfois ingénument délicat. Et, d(; plus, cela se devine, aux
outrances quasiment orgiaques de tout ce qu'il a peint, c'est îin
exalté, ençemi des sobriétés bourgeoises et des minuties, une .
sorte de géant ivre, plus apte à des remuemenls-[cle montagnes
qu'à manier des bibelots d'étagères, un cerveau en ébullition,
"déversant sa lave dans tciisles ravins de l'art, irrésistiblement,
un terrible et aff'olé génie, sublime souvent, grotesque quelquefois,
toujours relevant presque de la pathologie. Enfin, et surtout, c'est
un hypcresihésique, nettement symptômatisé, percevant avec des
intensités anormales, peut-être même, douloureuses, les imper-
ceptibles et secrets caractères des lignes et des formes, mais plus
encore les couleurs, les lumières, les nuances invisibles aux pru-
nelles saines, les magiques irisations des ombres. El voilà pour-
quoi son réalisme, à lui, le névrosé, et voilà pourquoi sa sincérité
et sa vérité sont si diff'érentes du réalisme, de la sincérité et de la
vérité de ces grands petits bourgeois de Hollande, si sains de
corps, eux, si bien équilibrés d'âme, qui furent ses ancêtres et
ses maîtres.
Au reste, ce respect et cet amour de la réalité des choses ne
suffisent point, seuls, à expliquer et à caractériser l'art profond,
complexe, très-à-part, de Viilcent Van Gogh. Sans douK?, comme
tous les peintres de sa race, il est très conscient de la matière, de
son importance et de sa beauté, mais aussi, le plus soijvenl cette
enchanteresse matière, il ne la considère que comme une sorte de
merveilleux langage destiné à traduire l'Idée. C'est, presque tou-
jours, un symboliste. Non point, je le sais, un symboliste àJa
manière des primitifs italiens, ces mystiques qui éprouvaient à
peine le bcsoiji de désimmalérialiser leurs rêves, mais un symbo-
liste seiftant la continuelle nécessité de revêtir ses idées de formes
précises, pondérables, tangibles, d'enveloppes intensément char-
nelles et matérielles. Dans presque toutes ses toiles, sous celle
enveloppe morphique, sous cette chair très chair, sous cette ma-
tière très matière, gît, pour l'esprit qui sail l'y voir, une pensée,
une Idée, et celte Idée, essentiel substralum de l'œuvre, en eist,
en même leinps, la cause efficiente et finale. Quant aux brillantes
et éclatantes symphonies de couleurs et de lignes, quelle que soit
leur importance pour le peintre, elles ne sont dans son travail que
de simples moyens expressifs, que de simples procédés de symbo-
li.salion. Si l'on refusait, en eff'et, d'admettre sous cet art natura-
liste l'existence de ces tendances idéalistes, une grande part de
l'œuvre que nous étudions demeurerait fort incompréhensible.
Vincent Van Gogh, en effet, n'est pas seulement un grand pein-
IrÇi enthousiaste de son art, de sa palette et de' la nature., c'est
encore un rêveur, un croyant exalté, un dévoreur de belles
utopies, vivant d'idées et de songes.'
Xonglemps, il s'est complu à imaginer'une rénovation d'arl,
possible par un déplacement de civilisation : un art des cégions
tropicales; les peuples réclamant impérieusement des œuvres
correspondant aux notïveaux milieux habités; les peintres se
trouvant" face à face avec une nature jusqu'alors inconnue, formi-
dablemer^ lumineuse, s'avouant enfin l'impuissance des vieux
trucs d'école, et se mettant à chercher, naïvement, la candide
traduction de toutes ces ncuvfs sensations !.. N'eùl-il pas été, en
eff'et, lui, l'intense et fantastique coloriste- broyeur d'ors et de
pierreries, le 1res digne pcinire, plutôt que les Cuillaumet, que
les fadasses Fromentin et que les boueux Gérôme, de ces pays
des resplendissances, des fulgurants soleils et des' couleurs qu,i
aveuglent?...
Toutes ces théories, toutes ces espérances de Vincent Van Gogh
sont-elles pratiques? Ne,sont-elles pas de vaines et belles chimè-
res? Qui le sait? En tous cas, je n'ai point à l'examiner ici. Il me
suffira, pour terminer d'à peu près caractériser ce curieux esprit
si en dehors de tous banaux seniiers, de dire quelques mots sur
sa technique.
Le côté externe et matériel de sa peinture est en absolue cor-
rélation avec son tempérament d'artiste. Dans toutes ses œuvres,
l'exécution est vigoureuse, exaltée, brutale, intensive. Son des-
sin, rageur, puissani, souvent maladroit et quelque pea lourd,
exagère le caractère, simplifie, saute en jnaîire, en vainqueur, yir
dessus le détail,, atteint la magistrale synihèso, le grand style
quelquefois, mais non point toujours. •
Sa couleur, nous la connaissons dc-jà. Elle est invraisemblable-
ment éblouissante. Il est, que je sache, le seul peintrO' qui per-
çoive le chromalisme des choses avec celte intensité, avec celle
qualité métallique, gommique. Ses recherches de colorations
d'ombres, d'inffuenccs de tons sur tons, de pleins ensoleillements
sont dos plus curieuses. Il ne sail pas toujours éviter, pouriani,
certaines crudftés désagréables, certaines inharmonies, certaines
dissonances... Quant à sa facture proprement dite, à ses imjpé-
dials procédés d'enluminer la. toile, ils sont, ainsi que tout le
reste de ce qui est lui, fougueux, très puissants etv très nerveux.
Sa brosse opère par énormes empalements de tons très purs, par
traînées incurvées, rompues de touches rectilignes..., par enlas-
semenis, parfois maladroiis, d'une 1res rutilante maçonnerie, et
tout cela donne à certaines de ses toiles l'apparence solide
d*5blouissantes murailles faites de cristaux et de soleil.
Ce robuste et: vrai artiste, très de race, aux mains bruialos de
géant, aux nervosités de femme hystérique, à l'âme d'+lluminé, si
original et si à-part au milieu de notre piteux art d'aujourd'hui.
connaîlra4-il un jour — tout est possible — les joies de la réha-
bilitation, les cajoleries repenties de la vogue? Peut-êire. .Mais
quoi qu'il arrive, quand bien même la mode viendrait de payer
ses toiles — ce qui est peu probable — au prix des petites infa-
mies de M. Meissonier, je ne pense pas que beaucoupi'de sincé-
V
r
>^
^-^ 7
ritd puisse jamais ciiircr en celte tardive admiration , du gros
public. Vincent Van Gogh est, à la fois, trop simple et trop subtil
pour l'esprit bourgeois contemporain. 11 ne sera jamais pleine-
ment compris que de ses frères, les artistes très artistes.;, et des
heureux du petit peuple, du tout petit peuple, qui auront,
par hasard, (échappé aux bienfaisants enseignements de la
Laïque !... »
LA FÉCONDITÉ DES MAITRES
Nous lisions récemment dans le Guide de l'.Amateur d'Œuvres
d'Art, au dessus de la signature de son directeur M. Henri
Garnier :
u Ou raconte qu'à l'époque de'David, les rapins pour qui ce
maître représentait le vrai Dieu de la Peinture, profilant de l'oubli
et du dédain dans lesquels étaient tombées les œuvres des Watteau,
des Greuze, des Lancrci, des Pater, dés Boucher et des Frago-
nard, achetaient à vil prix chez les marchands de bric-à-brac les
toiles aujourd'hui si recherchées de ces maîtres charmants, et
qu'ils s'epi pressaient de couvrir d'études de Romains les ravis-
santes compositions de ces décorateurs sans rivaux.
Ce vandalisme des adeptes du « genre noble » contre les
œuvres des peintres de la grûce et de l'élégance françaises au
xviii'' siècle sutTii à expliquer jusi^u'à un certain point leur
rareté. '
Mais il n'en est pas de môme pour les maîtres de l'Ecole
de 1830 qui tendent cependant à devenir tout aussi introuvables.
Et Dieu sait, pourtant! si les représentants de cette glorieuse
Ecole ont été féconds, puisqu'on estime généralement leur produc-
^lion respective aux chiffres suivants :
Corot, environ 6,000 toiles ou panneaux.
Daubigny, environ 4,000.
Decamps, 3,500.
Delacroix, 5,000. ^
Diaz, 3,500.
Jules Dupré, 3,000.
Isabey. 4,000.
Fromentin, 2,000.
Théodore Rousseau, 2,000.
Troyon. 4,000.
Ziem, 4,500. ».
Voilà un chiffrage qui nous paraît exagéi'é;
Coroi. six mille œuvres peintes!. En supposant cliquante
années de travail, cela fait cent-vingt tableaux par an, ou dix par
mois, ou deux par semaine. Mais il faut supposer tin labeur inin-
terrompu, allant comme une mécanique, sans maladie,, sans
voyage, sans les mille et un déchets de l'exisienco.
Corot a vécu vieux, Dupré aussi, mais les autres ! En fixant à
trente ans, y quarante ans au maximum leur vie utile, la même
proportion se maintiendrait. -
C'est de la fanlaisie pure, à moins de compter comme « toiles
ET PANNEAUX » toules Ics rognures d'atelier, et encore !
En prenant deux tableaux tous les mois pendant trente années,
on est plus raisonnable. Cela ferait sept cent vingt œuvres! C'est
déj5 fort bien, et explique la rareté relative tout naturellement.
Mémento des Expositions
Musée koval de peinture. — V1I« exposition annuelle deè XX
(peinture, sculpture, gravure, dessin). De 40 à 5 .Jieùres. —
Entrée : 50 ccntnnes. Aux auditions musicales et conférences :
2 francs. Cartes permîRientes : 10 francs.
Paris. — , IX" exi)Osition dès femmes peintres et sculpteurs.
23 février- 14 mars 1890. Renseignements et demandes- d'nifhésion:
M'"« Léon Rcrtaux, avenue de Villiers 147 (par lettre ou en per-
sonne les vendredis de 3 à G heures).
Pau. — XXVl" (exposition do la Société des Amis des Arts,
15 janvicr-15 mars 1890. Délai d'envoi expiré. Renseignements :
Secrétariat de In Société, nu Musée de Pau. ^
Madrid. — 1™ Exposition (internationale). Mai 1890. — Envois:
lef-iO avFilr-- . "" ' " •
Bordeaux. — XXXVlll" exposition des Amis des- Arts.
l»'' mars 1890. Envois : l'^'-lO février. Renseignements : Paris,
M. Olivier Merson, boulevard Saint-Michel, 117.
\
Petite CHROf^llQUE
Le concert que donnera demain, au Conservatoire, VAssocia-
tion (les professeurs .d'instruments à vent, avec le concours de
Mi"« Dyna Beumer et de MM. Merloo, Arm. Fontaine, Pirotte,'
Nahon, Heirwegh, Bayart et Leroux, promet d'être très intéres-
sant. Indépendamment des œuvres instrumentales que nous
avons mentionnées, on entendra l'air de Doua Anna, de Don Juan,
et la Sérénade de Soubre, chantés par M"'' Dyna Beumér, qui
modifie peu à peu son répertoire pour aborder les œuvres classi-
ques et la musique moderne de valeur.
M. Emile Sigogne reprendra, à partir du 7 février, à 3 1/2 heures,
à la salle Kevers, 8, rue du Parchemin, le cours supérieur de lilté-_
rature, inauguré l'année dernière. 11 traitera celte année de
Leconte de Lisle, Musset, Flaubert, laine, de Banville.
La Société d'archéologie de Bruxelles a tenu dimanche dernier,
à l'Hôtel de ville, sa séance générale annuelle.
M. Paul Saintenov, secrétaire général^^n donnant lecture du
rapport de la commission administrative, a constaté l'état pros-
pè»-^ de la Société. Fondée il y a trois ans, elle compte actuelle-
ment plus de trois cents membres. Aux termes de-scs statuts, la
présidence de la Société est annuelle. C'est ainsi que Jl. Alphonse
Wauters en a été le fondateur et le premier président. Il a eu pour
continuateur M. le comte Maurinxle Nahuys.
Le bureau est composé comme suit pour 1890 : Président, M. le
comte F. vandcr Siraten-Ponthoz; vice-président, M. G. Cumont;
conseillers, MM. P. Combaz et J. Destrée; secrétaire-général,
M. Paul Sainlenoy ; secrétaires, MM. le baron Alfred de Loë, E. de
Munck et Th. de Raadl ; bibliothécaire, M. L. Paris; conserva-
teur des collections. M, De Schryvcr, et trésorier, M. Pierre Plis-
nier.
M. Je comte vander Straten-Ponljioz est un des vétérans de la
science archéologique en Belgique et son choix sera unanime-
ment approuvé, ainsi que celuiidc M. G. Cumont, vice-prési-
dent, qui a publié de si intércssântsHravaux sur la numismatique
belge.
Les autres membres, du bureau, nommés hier, faisaient déjà
pallie de la commission administrative.
"C
V
La lecliiro de inémoires dus à' MM. II. .M;diy, i'.;t\>. V;im dfii
.Giieyn, baron Josej)!) de Baye (>l .1. Désirée a terininé'la S('aiice.
L'hospice (les vieillards du Vieiix-MarcJKÎ-an.x-Criiins (h.'vant
disparaUrc par suite du prolonneuieulde la rue Oris, la Commis-
sion des Hospices va installer u'n nouvel élablissemenl liospilalier
dans le ([ùarlier Noi'd-Esl; l'arcliilecle cl)ari,'(! deAcltc conslruc-
lion csl M. Ernest Aeker. .
La Commission rovale. des monuments a chargé récemmcnl
M. Van Ysendvck de la direclion cl de l'exécution (tes travaux de
restauration de l'éçtlise du SaMori 'a Bruxelles; il succède, dans
celle mission, à feu Sclioy.
Auteur des hôtels communaux de (^ureghem-AndiMiéclil el de
Schaerbeek, M. Van Ysendvck a restauré avec infiniment de talent
rétçlise d'Anderleclil; nous sommes persuadés ([u'il tiendra ^i
honneur' de rétablir dans son élat i)rimilif, en y apportant la
science cl le goùl qu'on retrouve dans ses œuvres, celte intéres-
sante église el, notamment, rimi)0rtnnl [)oriail latéral qui com-
B;)èlcra, de la façon la pl^iis heureuse, l'aspect original de là place
(lu Petil Sablon.
Après V Esclnrmonde de Massenet,el Manon de .■\lassonol,lîous
aurons sans doute, à la Monnaie, une reprise iV IJérodiaile (h; .Mas-
scnét, qui semble tout indiquée pour vai'ier le répertoire; on
pourrait aussi donner le liui de Lnlwrc de Massenel el exécuter,
pendant la Semaine-Sainte, la Vierge de Massenel, el Marie-Mag-
dcleinc de Massenel. Ce serait répondre avec esprit aux aspirations
des wagnéristcs ; depuis que ceux-ci onl constaté le parti excel-
lent'tiré dans Esdnrmonde du motif d'entrée de Wallher des
Maitrcs-Chanteiirs, cl d'autres encore, ils brûlenldu désir de
faire des découvertes analogues dans les autrcs^ partitions du
même auteur. ,, ■ • . ,
Le Calendrier de Bayreulh (G""' année; publie rintéressanle
statistique des représentations wagnf'riennes données en Allemagne
pendant la saison tJK'âtrale 1888-89. .
11 y a eu DtiO reftrésentations, alors (pie peadanl la période
correspondante de 1887-88 ce chiffre n'était que de ti-il. •
Le total se Fi'parlit ainsi ([u'il suit :
■ ■ _ , ' 1888-80. 1887-88
Les Fées ^ . . . . . . ... 130 — \
Rienù .......... 35 ii8
Le Vaisseau fantôme . ..... il(j 08
Tannhduser . , 18t) ' IGo
Lokengrin . . . ■• . . . 251 -251
Les Maîtres- Chante ur.s . . .' . . - 8ti 69 *
Tristan et Yseult . . . . . . -. 40 - -io
Lor du Rhin 50 ' ■2-1
'La Walkyrie ... . . 117 71
Siegfried ^ 2t) 28
Le Crépuscule des dieux . . . . 38 '34.
Dans cettn nomenclature ne sont pas comprises les représenta-
tions modèles de Bayreulh, ainsi divisées rLcrMïulres-Chan-
leurs, 5 représentations; Tristan et Yseull, 4; Parsifal, \h
Rappelons, pour mémoire, qu'à Brux'ellos Lokciujrin a eu
() représentations à la fin de la saison, la M^alkyrie, 3; les
Maîtres-Chanteurs, 15.
Le monument élevé a Paul Baudrv est situé dans la crrande
allée centrale du cimetière du Père-Lachaise, un peu;au dessus du
tombeau d'Alfred de Musset, à droite (bi monnmcnl éb'vé ii la
iTiémoire des généraux Leconite et Clémoiil Thomas. Il a environ
5 mètres de haut, est tout en mai'bre noir ei repose sur un socle
•^leu élevé eu marbre gris. La Itenouimée, statue en bronze, dtiposf
une couronne de laurier d'or sur 1^ téle'de liandry, dont le buste
repose sur une petite pyramid;. en marbre noir, au' pied de
hupiclle- sont diiposi's une palette, des pinceaux fl des palmes
reliés en trophée, el (jui i»orlrnl les deux dales suivantes, en
chiffres (For et sé[)ar(;es,par une étoile :
. ■ , 1828-1880.*
Sur la stèle de marbrt; noii', ou lit les deux ii)scri[)iions s,iii-
.vant(îs : ■ ■
A l'ACL (!Ai:i4tV, SKS ADMIKATI.CIl.S ET SE.S A.MIS .
Au dessous : , " ,
II. KLT l'aME VAII.I.ANTK
ET i.E coiaii Délicat!
Il e>l rarement intéressant, ce glabre sémite pru.ssii'p qui a nom
Albert Woliï, remplissant au Figaro le r(jle boiirdamrfknl et inn-
lile que le gros Francisque Sareey remplit dans (pielque autre-
journal fongiblo. Voici pourtant, pnr hasard, quelques ligni.'s,
filandréçs |)ar sa idunie, f[ui nu'ritenl notice : . '
c( On peul 0C';iip(M- une |)lace très lionorabh) dans la criii(jue
dramali(pi(! sans être ini malire. .le s:iis iju'on jOr)gb>;si:fàcnemenl
avec ce mot, ([ue jadis on réservait aux hommes hors de pair,
que cela ne lire plus à conséquence : c'est de^enu une qluilifica-
tion banale dont jouit à l'heure présente tout citoyen qui dans les*
arts el les lettres atteint l'âge où il devient m'alséanl de lui-tai^er
sur le ventre. Cj^mme je deviens moi-même un peu trop vieux'
pour changer les opinions de toute ma vie. j'ai du maître une
autre conception. C'est l'homme qui ouvre une voie nouvelle f[
qui, au lieu de suivre la foule dan< ses goûts, lui-montre la ronii-
.(piVîlle ignore, et (pii l'entraim.' à sa suite dans h; mouvemenl des
idées. En critique, notamment, on n'e>l un mn'Ure ipie lors(pron
a (juelque ciiose (](> nouveau à dire. Tlioré, par exemiile, que !e
grand public eonnail peu, fui un maiTr'e d.e la critique d'art parce
([ue, dédaigneux d'une iiopularité facile, il a remonléaous li>s
courants; , il a e'ié lepionnierde toute une éjioipie d'a/t, if-a révo-
lutionné, réforme le' goût publie. Tandis ([u^ les grands peintns.
dits de ISoO. tenus à l'icarl, peiuaiiMit ihwis lei;r atelier, le ai-and
, criii([ue leur a fiayé la route jusqu'au cu-ur de' :;t nation. C'e^t
pour cela que son nom reste rivé a jamais à l'twplosion d'une des
]>lus maguifuiues manifestations d'iin art nouveau dont un pays
puisse s'enorgueiliii'. Dans la criliqiio. de quelque nature qu'elle
soit, on n'csl un maître qu'à cinte condition
Le 19" numéro du /(//je» arti-mque publie !a- [première partie-
d'une élude- d»^ M. P.i'inckmanu s'er la Trndinon poclhin'e d,r;-^
l'Art au ./iifK'):. L'ante;::' iivuilre les 'ieus qui unissent, au ..lap()i?.
Ii2s anciens poètes et les anisies de toutes le< é|inqu,>s. reux-ei
puisant leur iuspiratinn dans les a-uvresde ciHiN-là...
Parmi les planches en coL;leu!'s. un acteur .ju prépare ;;r,
combat de coqs, de-s études d'oiseaux, de poissuiis e; ,ie t'eur-s
A noter une admirabie couverture re[)roduisanl une ileur de pave;
blanche sur fond rouge. . .^
Le Japon artistique met en vente ses douze premières livrai-
sons,-richement reliées, au prix de 25 francs. Le volume s
trouve chez tous les libraires et aux bureaux du journal, 22, rue
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/"
Dixième année. — N° 4.
Le NUMERO : 25 centimes.
Dimanche 2G Janvier 1890f
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
1
Comité de rédaction : Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN o
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 43.00. —ANNONCES
: On traire à forfait.
<i
■ Adresser toutes les communications à '_
l'administration générale de l'Art Moderne, .riie de Tlndustrie, 26, Bruxelles.
^OMMAIRB
L'Exposition des XX. — Les représentations du Tiiii.vrKE-LiimE.
— Conférence de M. Emile Sigogne. — Concerts liégeois. — Con-
certs parisiens. — Bibliographie musicale. — Petite chronique.
L'EXPOSITION DES XX
Trente-deux artistes, belges et étrangers, peintres,
sculpteurs, graveurs, des vaillants, persécutés mais
invincibles, ont recommencé à Bruxelles, il y a huit
jours, la lutte pour l'indépendance de l'art. Spartiates
occupant les Thermopiles qui séparent la terre libre oti
l'art neuf veut vivre et grandir, des régions oti campent
les troupes de l'art usé innombrables et barbares
comme l'armée de Xerxès, ils se mettent en travers du
défilé par lequel les arriérés rêvent de faire passer les
préjugés pour en inonder l'avenir. Chaque an, depuis
sept ans, à la saison propice, ils prennent les armes,
défendent le territoire natal de leur,s jeunes audaces. Et
l'ennemi, moins sûr de lui-même, maigri les excitations
des misérables chiennes d'enfer mordant aux jambes, les
légions des badauds, impuissant à submerger ces quel-
ques-uns, faiblit, recule, doute et se décourage. Un
jour, prochain peut-être, troupeau en révolte, détruira-
t-ilà coups de pieds, cette meute qui, par ses dents et ses
abois, le pousse aux mauvaises besognes.
Parmi les jeunes, et les soutenant, c'est un réconfort
dé voir les anciens, venus à la rescousse, dédaigneux,
eux aussi, des banals outrages, témoignant par leur
superbe indifférence quelle force est le mépris et quel
bouclier le silence. Ils n'ignorent pas, pourtant, ensei-
gnés par la vie, ce que peut, non pour arrêter l'art incom-
pressible, mais pour les persécutions viles, l'alliance des
envieux et des médiocres. Ils savent qu'on se, compro-
met et qu'on s'expose à se ranger avec les bousculeurs
des plates habitudes des foules. Plusieurs d'entre eux
pourraient dresser les factures des misères qu'on leur a
faites, sans parvenir, toutefois, à strier le pur diamant
dejeur fierté d'artiste. Mais ayant été témoins de quel-
ques désertions honteuses, conseillées par l'intérêt ou la
pusillanimité, qui ont rejeté dans le commun marécage
des individualités qu'on avait cru suffisamment trem-
pées pour les grandes aventures où se risquent les
novateurs, les conquérants, les aj^gonautes, ils ont pensé
que leur exemple était nécessaire, sinon pour raffermir
le courage des téméraires, au moins pour contrebalan-
cer la retraite des peureux. *
Elle est héroïque et touchante cette nouvelle exposi-
tion où nul, devant la foule hostile et la presse hurlante,
ne s'est laissé aller à la faiblesse d'une concession, au
déshonneur d'une cajolerje pour amadouer la bête aux
'«K
ZZT^
,\^ »' ■ '' ■»■ -Vdi
20
L ART MODERNE
s.
cent gueules. Simplement, froidement, sanîi l'habituel
tintamarre de foire dont la camaraderie du journaliste
précède et accompagne la parade du soi-disant artiste,
cette avant-garde montre les œuvres issues du ti'avail
opiniâtre d'une année. Non pas a^vec l'espoir d'entendre
des bravos et de renifler l'encens ft^elaté du reportage :
elle a tout fait, avec l'âpre joie que ressentent les âmes
d'exception à braver Les sots, pour irriter Iqs rancunes
et déchaîner les inimitiés incurables. Mais avec la foi
dans l'eflicacité des jtentatives hardies, jamais découra-
gées, pour transformer malgré eux les récalcitrants,
susciter les doutes dans la conscience des adversaires,
leur inoculer les hésitations sur ce qu'ils persistent à.
défendre plus par orgueil qui refuse de se rendre que
par conviction, et arriver peu à peu, par la lente mor-
sure d'un engrenage, sinon à leur faire aimer le nou-
veau, au moins à les dégoûter du suranné? Cette pha-
lange, toujours en avance, en pointé prussienne,
éclairant l'avancée de Tart, compte pour rien les périls
et les coups. C'est elle qui ouvre la marche et recon-
naît les chemins par lesquels, derrière elle, tôt ou tard
passera l'armée tout entière. Elle a poui" mot d'ordre
la devise du grand et noble Flaubert, l'architype du
solitaire et du méprisant : Etre sifflé m'est rien.'
Etre applaudi est très amer.
Et dire qu'il y a une nuée de moucherons qui, ce
nonobstant, moucheronnant autour de cette élite, s'ima-
ginent que leurs dards peuvent percer l'épais uniforme
de dédain silencieux dont ces intraitables sont couverts.
Et que leurs bourdonnants comriiérages peuvent trou-
bler, ou seulemen^distraire, les impassibles qui ont pris
rang dans le groupe de ces fiers déclassés parce qu'ils
sont lîés insensibles aux injures et sont trempés dans le
Styx d'un entêtement farouche.
L'avant-garde de l'art! oui. Partis à la découverte
des îles ! Rapportant de leurs p_éi:égrinations des fruits
étranges, des fleurs rares, des métaux inconnus, des
animaux chimériques, et pour cela traités d'extrava-
gants pair la séquelle des immobiles, s'encolérant parce
qu'on dérange les séries formulaires auxquelles ils
s'étaient accoutumées et qu'ils proclamaient définitive-
ment closes. Fureurs semblables à celles des vieux astro-
nomes dont Galilée, d'une seule aflSrmation, culbutait
les systèmes.
Voici d'abord le groupe de ceux qui, à la suite de Seurat
et de son œuvre célèbre, puissant manifeste, la Grande-
Jatte, tant ridiculisée par les ganaches, s'appliquent à
ce merveilleux procédé pour faire la lumière et l'atmo-
sphère en peinture : la division et la juxtaposition des
tons primitifs. C'est Albert Dubois-Pillet, A.-W. Finch,
Lucien Pissarro, Paul Signac, Henry Vande Velde,
Théo Van Rysselberghe. Leur œil clair, ébloui de plein
---air,' amoureux <J« la joie qu'apporte la clarté, a senti
l'horreur de la terne couleur, grise et morne, brune et
morne, fille de la suie et du bitume, qui, de plus en plus
attristait la peinture, mettant sur la toile on ne sait
quelle nature sombrement créjjusculaire, noyée dans uiï
jour souterrain fait d'une lumière ayaré arrivant par
des crevasses, glacé dans la mort des régions lunairesi^
dépouillée' de toute atmosphère sous l'action pneuma-
tique du vide. Et cherchant comment rendre ces mys-
tères, ces miracles : la vibration de l'air, l'ivresse. de la
clarté, ils s'essaient;persévérants, à la magie que Seurat
a inaugurée. Regardez leurs œuvres, étranges à première
vue, non par elles-mêmes (elles sont vraies d'une réalité
saisissante), mais par notre inaptitude à comprendre ce
qui n'est pas le quotidien aliment de nos yeux. Regai--
dez-les patiemment, longuement, elles vous captiveront.
Les œuvres d'art sont comme les personnes royales : il
faut attendre qu'elles vous parlent.
. Ce sont des réalistes, ceux-là, dans toute la rigueur
du" terme. Ils ne veulent, eux aussi, comme les réalistes
noirs d'antan, exprimer que la nature^, telle qu'elle est,
telle qu'ils la voient, mais dans la splendeur claire
qu'elle revêt au dehors,- et avec la vibration du plein
air. Regardez, regardez longuement, patiemment, leurs
marines, leurs paysages, avec cette impartiale pensée
que peut-être ils ont raison, que peut-être c'est mieux
la champêtre ou maritime nature que les représenta-
tions enfumées qu'en font les peintres de l'école qui
s'en va, lourds et brumeux. Ah! vous sentirez bientôt
le voile se déchirer, et votre âme- séduite s'émouvra" à
la douceur des impressions retrouvées d'un .clair et déli-
cat jour de printemps, d'une claire et chaude journée
d'été.
Des réalistes donc, ceux-là, les yeux fixés sur le
dehors, opiniâtrement. En voici d'autres, chez qui l'âme
se mêl§,» aux -choses, avec ses rêves, ses fantaisies, ses
envolées, ses girations littéraires : Fernand Khnopfl',
Georges Minne, Robert Picard, Odilon Redon, A. Rodin,
Willy Schlobach, Jan Toorop. Pour exprimer leurs
conceptions dans lesquelles la vie intérieure, ténébreuse
ou joyeuse, sentimentale ou pensive, pénètre profondé-
ment, peu importe la peintureyou le dessin, et peu im-
porte le procédé : tout est bon pour adapter la matéria-
lité de leur œuvre à la fugace complexité de leur cér,é-
bralité. L'équation s'établit avec une ingéniosité etlÉfe'
diversité singulières. Daïjs le groupe précédent, l'ana-
logie du procédé est frappante ; vulgairement le public
l'exprime en les nommant : les pointilleurs. Ici, l'analo-
gie est dans le fond même de l'œuvre : elle est surtout
de pensée. Et étant. de pensée, elle fait penser, et c'est
son charme incomparable. La réalité n'est plus qu'un
prétexte. Elle n'est pourtant jamais désertée : elle reste
la base, l'autel, au dessus duquel fume l'idéalité. Ses
contours précis se -déforment mystérieusement pour sus-
citer en notre intimité des au-delà séducteurs ou terri-
bles. On ne sait quel fantastique flotte, pénétrant par-
' «
^
toui/j mais si léger, si impalpable que jamais le pied ne
quitte la -terre, quoiqu'on se sente soutevé par des
attractions invisibles.
Cette école mystico-réaliste est peut-être celle qui fait
le mieux entrevoir l'avenir prochain de l'art. Elle cor-
respond à un mouvement identique dans la littérature
et la musique. Sa généralité mènie dénonce sa force.
Elle suscite moins la réprobation du vulgaire. Elle a,
dès à présent, ses admirateurs convaincus, tous parmi
les lettrés délicats, les âmes affinées, les esprits^de haut
goût. C'est elle qui, au jugement d'un grand nombre,
fait surtout l'intérêt et le succès du Sal«n des XX.
Il est un artiste bizarre qui a essayé deréàliser cette
même vue symbolique des choses, aii moyen de la cou-
leur. C'est Vincent Van Gogh.- Surmonte, ù visiteyr, la
première commotion devant ces bruyantes, sonores et
désordonnées peintures que sont les Tournesols, le
lÂerre, et surtout la Vigne rouge au Mont-Major.
Rappelle-toi l'effet rutilant dans un plein soleil des tour-^
nesdls d'or par un temps de canicule; fais renaître
en toi ce souvenir de la lourde et splendide tieur.
Rappelle-toi les sèrpentaisona vivantes du lierre grim-
pant en reptiles contre une muraille. Rappelle-toi les
pampres en automne, au penchant d'un mont, étalant le
lapis éblouissant et multicolore de leurs feuilles de
cuivre et de pourpre. Et, rouvrant les yeux, fixe ces
trois tableaux extraordinaires et demande-toi si leur
fougueux désordre, leur opulence de tons vifs, crus, sai-
gnants, sonnants, ne rend pas avQC une intensité mira-
culeuse ce que la vue des réalités a laissé en toi de plus
profondément empreint, en cicatrices.
Au dessus de ces artistes dont seules la bêtise, la fiel-
leuse rancune, l'impuissance qui ne pardonne pas,
l'envie aux yeux troubles, peuvent méconnaître le
généreux effort et la libre noblesse, plane cette âme
parfaite désormais : Xavier Mellery! Entre eux circu-
lent, servant de liens, Anna Boch, Eugène Boch, Paul
Cézanne, Guillaume Charlier, Alexandre Charpentier,
Fâiil Dubois, James Ensor, Louis Hayet, Georges Lem-
men, Dario de Regoyos, P. -A. Renoir, G. Segantini,
Ch. Storm de s' Gravesande, George-William Thornley,
Henri de Toulouse-Lautrec, G. -S. ^^in Strydonck,
Guillaume Vogels, moins aisément classables, quelques-
uns admirables, tous animés de la même flamme, aucun
ne voulant rester parmi les'stationnaires qui, aux car-
refours, s'attardent à écouter les sermons des patriar-
ches de l'art, tandis que les cigales du journalisme
strident aux espaliers des gazettes leur intarissable cri-
cri.
Courage, amis, et toujours en avant ! Votre histoire
est l'éternelle histoire. Vous êtes parmi ceux qui mènent
les mouvements glorieux et que les bâtards conspuent.
C'est bmi signe. Où est le mur qui arrêterait l'art? Il
est infini comme la pensée, il trace les idéals de^fa vie.
il songe à l'apothéose de tout ce que nous sommes. Ce
n'est plus moi qui parle, c'est Alexandre Herzen, dans
ce livre héroïque « Sur une autre rive! " L'art ne doit
pas être une édition perfectionnée des vieilles écoles;
l'art ai nie le nouveau, et le nouveau se réalise par les
persécutés. La civilisation romaine paraissait beaucoup
plus élevée et plus humaine que l'ordre barbare; mais
dans les incohérences mêmes de celui-ci il^ avait des
germes pour des développements immenses qui n'exis-
taient pas dans l'autre, et ce prétendu barbarisme a
triomphé malgré l'apparente sagesse des philosophes
romains. Vous êtes ainsi. La nature se réjouit de ce
qu'elle a, atteint, mais cherche sans cesse à atteindre
quelque chose de plus élevé. Elle ne veut pas off'enser ce
qui existe ; elle le laisse vivre tant que lés forces suffi-
sent, jusqu'à cequeles formes nouvelles s'épanouissent.
La nature déteste l'alignement, elle s'élance de tous
côtés, elle ne va jamais en marche régulière. C'est jus-
tement, ajouté le grand Russe, la nature primesautière
des sauvages Germains qui les à placés au dessus des
civilisés Romains (vieillis; usés, vantiés, comme vos
détracteurs), qui s'imaginaient- avoir mis des bornes au
Tnonde.
■ Allez donc, pleins de confiance ! N'entendez pas les
aboiements de ceux dont vous dérangez les préjugés et
qui voudraient immobiliser l'Art. Gœthe a enseigné
que la beauté, passe, parce que seulement ce qui est
passagei' peut être beau. Cela off'ense les ganaches qui
ontrà la bouche, un éternel et inutile défi aux lutteurs,
d'essayer leur force, d'aller au loin, plus loin, où ils veu-
lent, partout où il y a un chemin; et ils ignorent que là
où il n'y a pas de chemin, le génie en tracera. L'homme
a un amour instinctif pour la conservation de tout ce
qui lui plaît. Il se courrou(Te quand on lui parle de
changer. Mais cette immobilité inaltérable est contraire
au génie de la vie qui jamais ne rend immuable ce qui
est individueU qui toujours s'épanouit tout entière dans
le présent. Par cette continuelle évolution la nature se
renouvelle, vit et se maintient éternellement jeune.
Vous avez compris cela, par instinct ou par raison.
Vous êtes dans la vérité. Votre vie artistique est
fraîche et remplie de nobles espérances. .Cela vous
donTie plus de bonheur que ne saurait en ternir les
vilenies dei^im^ciles. Vous êtes' « sur l'autre rive ",
heureux que vous êtes !
JiE? REPRÉSENTATION? DU JhÉ ATRE-JilBRE
Il élait (Je mode, naguère, dans le monde chic, de sitllor le
Théâtre-Libre. Qui ne se souvient des lumullueuscs soirées de la
Puissance des Ténèbres! Aujourd'hui, le vent a logrné, la
girouette mondaine a évolue, on applaudit à gants craquOs
V École des Veufs; Rolande mùme, malgré les brutalités d'exprès-
"fe
sion, ne soulève (lue des protestations timides, et cliaque soir le
tliéAtrc du Parc réunit les grandes chambrées que seule, autrefois,
la Comédie-Française avait le maç;nctiquo pouvoir de rassembler.
La sincérité, la conviction; la foi aiilisliquc d'Antoine et de ses
camarades ont vaincu tous les préjugés. On cdm|)tc avec lui,
désormais. On daigne l'apprécier comme l'unique promoteur de
l'art dramatique nouveau. El ceux-là même que déconcertent les
tendances dos auteurs qu'audacieusemcnt il met en scène rendent
hommage, ainsi qu'il sied, à son esprit d'initiative et h sa
loyauté.
C'est Antoine qui nous a révélé Georges Ancey, l'auteur de
cciiù Ecole (le^Veiifs qu\^ du premier coup, s'est imposée vio-
lemment avec la véhémence d'une volée de coups de cravaclic
cinglant les hypocrisies et les vices bourgeois. A ce titre seul, il
mérite le respect de tous ceux qui ont le souci des fortes impresr
•sions d'art.
V Ecole des Veufs, en effet, — les myopes seuls le conteste-
ront — ; est l'un des^îs rares chefs-d'œuvre de l'art dramatique
contemporain. Avec la Parisienne d'Henri Becque, la comédie de
M. Ancey constitue la satire la plus mordante et la plus vive qu'on
ait écrite. C'est cruellement observé, mais avec quelle vérité cl
quel œil implacable! Nul n'a été pJus loin dans l'analyse des
lâchetés humaines, çft ce Mirclet, condescendant peu à peu à
toutes les infamies, jusqu'à partager sa maîtresse avec son fils, se
""galvaudant dans les boues pour garder la TerKme h laquelle il est
eramponné, n'cst-il pas l'effrayante synthèse de toute une classe
d'êtres produite par l'absence de préjugés, la bassesse d'instincts,
l'égoïsme et le besoin de jouissance sensuelle qui marquent
effroyablement notije société. On tremble de regarder autour de
soi, et d'y voir pulluler des Mirclet. Et cet Henri, à qui la mort de
sa mère cause « beaucoup de tracas, beaucoup d'embêtements...
et beaucoup de tristesse ». Le mot est terrible, et.il n'est, hélas!
pas exagéré.
'^ — La puissance de M. .4ncey, ce qui donne à sa comédie une
précision d'eau-fôrle, c'est qu'en aucune scène n'apparaît la
virtuosité de l'écrivain. Les tristes héros de VEc<}le des Veufs par-
lent leur langue, sans faire assaut d'esprit, sans laisser soup-
. çonncr « la thèse », chère au mélodramatique et conventionnel
théâtre de jadis. Les mots partent comme des balles et frappent
impitoyablement le but. Les scènes se succèdent rapides„clichécs
en instantanés photographiques. Au spectateur h démêler l'amère, ,
la. désespérante portée de l'œuvre. Et le spectateur l'a comprise.
Il en a été épouvanté, mais il a s^riti la flagellante leçon de
morale qui se dégage de ses actes brefg, en axiomes médullaires,
« Votre public m'a deviné mieux q^e nos spectateurs parisiens,
nous disait, après le spectacle, M. Georges Ancey. Je suis touché
de son accueil, et heureux de constater que certaines scènes oat
porté, qui, à Paris, avaient laissé indifférent ».
La scène capitale de l'œuvre, d'après nous : celle où la femme,
humble, en larmes, suppliante devant le fils qu'elle craint de
perdre, se redresse devant le p&re, qui la dégoûte, et se montre
telle qu'elle est : arrogante, accapareusc, cynique, férocement
exigeante, sans cœur et sans pitié, justifiant l'aphorisme décou-
rageant que vient, d'émettre un des personnages au sujet des
femmes : « La meilleure ne vaut pas tripette ».
Le succès de 31. Georges Ancey s'est accentué, vendredi, à la
première de Rolande, la pièce de M. Louis de Gramont, dans
laquelle on n'a vu, et à juste litre, qu'un drame du vieux théâtre,
ingénieusement construit, soit! mais d'après les procédés connus.
et vainement rajeuni par des mots d'argot et des l^pulalités de lan-
gage qui résonnent comme des coups de cymbales dans un
concerto de violon. Ce n'est pas parce qu'on dit sur la scène
« Nom de Dieu! » et « Foutez^iioi le camp ! » qu'une pièce
fleurant des values Mystères de Paris change de caractère et
prend rang dans le théâtre nouveau. L'aventure d'un vieux
débauché qui se laisse prendre dans un traquenard à l'appât d'un
fruit vert de quatorze ans ôtqui finit, gâteux et épuisé, par se
suicider sur les conseils de sa fille, farouche gardienne de l'hon-
neur du nom, n'est p-as faite pour nous intéresser plus que de
raison. Pas plus qye le Père Lebo^mar d, cc\lo émollienlo et
laborieuse conception de /éan'Aicard, ou l'invraisemblable Pater
de François Coppéc, que se disputent en ce moment les théâtres
bruxellois. C'est très peu Théâtre-Libre, tout cela, et au fond âe
sa conscience d'artiste, Antoine ne doit pas'êlre fâché de voir le
succès aller droit h l'art que seul M doit aimer, à l'art neuf, tout
d'observation et d'analyse dont V Ecole des Veufs de Georges
Ancey est la haute expression.
^ Mais, quoi? Les chefs-d'œuvre ne tombent pas en gfèle dans
les cabinets directoriaux. Et le public aura vite fait de trier le bon
grain.
Pour mémoire : deux pièces en un acte, l'une en prose, En
détresse, de M. Georges Ancey, l'autre en ver?, V Amante du
Christ, de M. Rodolphe Darzcns, complétaient les spectacles
analysés ci-dessus. L'une et l'autre ont remporté un succès hono-
rable.
Comme inlerprôtcs, signalons particulièrement M. Antoine,
dont le jeu sobre, aisé, dénué de tout cabotinage, a tîté hautement
apprécié ; M"'" France, remarquable dans le rôle de la nounou du
PèrefLebonnavd et dans celui de... l'intermédiaire galante de
Rolande; M. Grand, qui a repris dans VEcole des veufs, le rôle
joué à Paris par M. Mayer et qui s'y est montré artiste de sérieux
talent ; 31"'^ Henriot, comédienne excellente dans T Ecole des veufs
et dans V Amante du Christ.
CONF^RENCE'DE M. ÉfflILE SIGOGNE
Au Cercle artistique, ces jours derniers, M. Emile Sigogne a
fait une conférence intéressante, réfiéchic et bien dite. Beaucoup
de bon sens; des opinions parfois discutables, mais sincèrement
exprimées, ep termes courtois. Au hasard des souvenirs,recon-
stituons quelques aperçus caractéristiques :
La plupart des poètes contemporains n'ayant point pris part a
la vie publique, soit dans la politique, soit dans le journal, sont
restés ignorés du public, et peu à peu une scission s'est faite. On
est loin de se douter du nombre devrais talents ignorés ou éteints
dans l'atmosphère hostile de leur temps.
On reproche aux poètes de se voiler de parti-pris d'obscurité,
de se retrancher dans un dédain de la foule, de se complaire dans
l'isolement. On a tort. Les poètes n'ont point h aller à la foule,
c'est à elle à aller vers eux si elle en ressent le désir, chose
improbable; car elle est portée à considérer l'art comme un amu-,
sèment, tandis que pour le poète l'art est une religion. i
• •% •
Les deux grandes personnalités qui dominent le commence-
ment de ce siècle sont Chateaubriand et Gœlhe. Du premier vient
l'esprit, mystique qui s'est continué dans des écrivains tels que
Barbey d'Aurevilly, Villiers de l'Islc-Adam et Paul Verlaine. Dii
^
second, l'esprit scienlifique qui a la plus grande lit^méc cl qui
-domine tout le siècle reprdsfînlé par Slendiial, Balzac, Tainc,
Renan et, h des dcgrciî moindres, par Zola cl les GoncourU
Ces deux grands courants, vers la moitié du siùcle, viennent se
rejoindre en un seul esprit cl produisent le génie créateur qui
domine le siècle : Balzac.
>
Au XVII" siècle on sacrifiait le milieu à l'esprit cl l'homme appa-
raissait comme une Ubre inlolligence dégagée des liens de la
matière. Aujourd'hui, la tendance contraire domine avec la même
exagération et l'homme disparaît sous l'accumulation des détails
matériels. " _
ta vérité est entre ces deux extrêmes. Il est vrai que l'homme
est sous l'empire des circonstances extérieures qui déterminent '
fatalement son action, mais il çst vrai aussi qu'il y a e.nJjUèun
principe supérieur capaljlc, sousde certaines cl rarcs^cmidilions
de révolte et d'indépendance. Ce sera Ih la nouvelle synthèse
qu'aura à former le xx« siècle.
Nous no parlons pas ici de Victor Hugo comme initiateur. Il a
é éun réflecteur, extrêmement fouissant, des pensées de son temps,
et il n'a été initiateur que pour la forme seulement. Pour le lan-
gage il a été ce que Balzac a été pour l'idée: Il a manqué à notre
époque un génie assez puissant pour réunir dans une haute per-
fection-les deux éléments. Ce sera .sans doute le produit d'une
époque future, moins analytique, transitive et éhranlée. Déjà des
efforts superbes ont été tentés dont le plus énergique et le plus
accompli vient de ce grand Flaubert, si noblement révélé par sa
correspondance. Il voua sa vie à donner h son siècle la forme lit-
téraire parfaite, souple, variée, profonde comme la pensée nou-
vellement éclose. Tâche de géant qu'il a menée à bien dans la
solitude ou plutôt dans l'isolement. Grand poète qui a donné à la
prose le nombre et l'harmonie de la poésie, incomparable écrivain
(pii pour toute pensée a le « mol propre » et dont la Beauté est la
consolation, car do toutes ses œuvres sort une plainte profonde et
sourde d'une intensité poignante, quoique étouffée, qui fait sentir
l'intime tourment de l'artiste. Se roporlarlt aux origines, comme
l'a fail Leconte de Lisle, il fuit la vision de son siècle, qu'il a
pourtant vu mieux que personne. Au besoin, il se réfugierait dans le
néant. Mais ce n'est Ih qu'un cas particulier et maladif, spécial h
quelques grands esprits malheureux, dont l'influence ne peut pas
détourner l'Art du chemin qui le conduit à la réalisation la plus
complète de la joie. ■
Parlant de hi jeune littérature, de celle, dit l'orateur, qui tra-
vaille, qui vit loin du public, ([ui a prescjuG renoncé au succès,
qui cultive l'exception, le rare, l'exquis, tout ce que hait la foule,
M. Sigogne rappelle qu'au lieu de l'élément scientitique, c'est
l'élément mystique, pessimiste, avec une gaieté étrange, qui
domine. La jeune littérature a lu Auguste Comte, Darwin, Stuarl
Mill, Spencer, Schopenhaucr aussi bien que Taine et Renan.
Frivole, elle abuse de la sonorité des mots, et cache le vide sous
des enjolivements de phrases, mai^ grave,, elle a un savoir pro-
fond, très étendu, très serré, puissamment logique, formé de
substances fermes et condensées et avant tout et par dessus tout,
elle a l'esprit philosophique. Elle se divise d(inc en deux camps,
les artisans de la phrase et ceux de la pensé?; les seconds sont
les moins connus, étant les moins bruyants, ms plus laborieux.'
Elle est aussi amoureuse clc musique. La musique, en effet,
semble donner le ton h la littérature et quelques poètes sont
musiciens excellents. Wagner les domine, le JJjailre a posé sur ce
siècle sa féconde pensée; le plus synthétique des génies mo-
dernes, il fait tout converger : musiqui poésie, art scéniquo,
vers un même, but. Il a en lui tous les (.uractèrcs de- l'art nou-
veau, IjC retour a,ux origines qui- nous donne comme une résurrec-
tion du théâtre grec-, la combinaison parfaite de l'esprit mysli(|ue
et de l'élément scientifique, et ce haut caractère philosophique qui
domine toute l'ocnvre. Poète presque autant que miTsicicn, ou si
l'on veut poète qui^ s'est servi de ,1a musique comme moyen
d'expression, car nous ne pensons pas qu'on puisse être -plus
poète que .Wagner, if est naturel qu'il règne ainsi sur HTlittéra-
ture nouvelle. Dans ce grand génie, le poète et le musicien ont
une toile équivalence, que la prédominance de l'un tient sans
doute à ce que Wagner est né en Allemagne, pays ou la pensée
trouve sa plus naturelle;- expression dans la^musiqne; venu dans
tout autre pays, il eût été avant tout poète et [)eut-élrc avons
nous à le regretter, car la poésie où l'élément musical est souniis
h la pensée nous parait la plus merveilleuse et la plus parfaite
manifestation de l'art.
^ La poésie et la musique se sont rapprochées et le vers clir^z le
vrai poète, sans perdre de Sa précision, a revêtu une sonorité
musicale inconnue h Lamartine ou ^ Hugo et la musique a atteint
une plus grande expression. Mais il n'en faudrait pas conclure
que les deux arts tendent à se fondre. Tout en s'imprégnanl l'un
l'autre, ils ne perdront rien de leur indépendance. A y rcgardi.T de
,plus près, on découvrirait, agissant sur la littérature et à peu près
de la même façon, quoique h un degré moindre, la peinture.
Quoi art de peintre chez quelques-uns de nos grands roman-
ciers, Zola par exemple, et n'y a-t-il pas un grand poète dans
Pu vis de Chavanncs?
Mais quel est donc celte rénovation artistique, attendue et pré-
vue et h laquelle travaillent consciemment ou non la jeune
littérature éprise _de nouveau? Celte -rénovation est la même que
celle accomplie par Wagner dans l'opéra. Elle doit mainlcnant
s'accomplir dans le théâtre par la poésie. Le grand poète est à
venir qui nettoiera lethéâtre, qui fora de l'art dramatique ce qu'il
est véritablement, le plus complet, le plus élevé, le plus synilié-
liquc de tous les ans, car il 1rs contient tous, multiple et varié
comme la vie avec rarchiteclure de la scène, la peinture de ses
décors, la sculpture de'ses groupes, la musique de ses paroles,
l'analyse des passions, la représcnialion vivante de la penser
humaine en action, de la pensée humaine intègre, mysli(|ue,
scientifique, religieuse. Et nous percevons le jour, ali! bien lointain
encore, bien indiscernable où une représentation scénique fera
naître chez les auditeurs une si iranscendaiile impression de
noblesse, de pureté et de grandeur, et si religieuse que l'âme
humaine y trouvera la plénitude sacrée que. lorsqu'elle est
^croyante, elle éprouve sous les voûtes mystiques des cathédrales
et alors sera faite la grande synthèse qui réunira l'Art, la Scionc
et la Religion.
Ceux qui ont été à Bayrouth ont ressenti queli]uo chose d'ap|iro-
chanl.
Seulement le théâtre est de tous les aris contemporains le plus
bas. Il n'existe guère. Le théâtre s'est ti'ainé dans l' n';ilisni(\
est devenu arme de combat, de morale, s'est enfoncé dans le
métier, une sorte de "métier entre le machiniste et le décorateiir :
Ordinairement le décorateur l'enqturlo. il faudra un rude oliort tlo
■génie pour le lirw" du bourbier.
V
^
CONCERTS LIÉGEOIS
Au Conservatoire /
,' ' [C(»\)'cspon/l/(iirr pa)-tîiuilièrc de i.'AïKT Moi)[:i\SE.)
Le Conservatoire donnait samedi dernier une première exécu-
tion de l'œuvre nouvelle d'Emile Mathieu : Le Sorbier, que vous
entendrez lundi au premier Concert des XX
l/auteur a été aecjWé. La musique de ce 'poème lyiùqué est
simple, facile et biep venue. Elle a de l'éléganceet de la distinc-
tion.
il faut remarquer spécialement le preniier solo- du baryton,
■ d'une inspiration plus élevée que le reste de l'œuvre. Jf. Demesl,
sorti l'an dernier de notre Conservatoire, l'a clianlé d'une jolie
voix, avec une rare correction, que des applaudisscnicnls^mérités
ont soulignée. Inlejprélalion soignée de l'orchestre, mais insuffi-
sante des chœurs. ''--^
- i^l^i'o Thérésa^Cïïîfï'no est, certes, une pianiste de granîl talent.
Elle possède un merveilleux mécanisme, de la vigueur et oc la
délicatesse. Une sorlede fébrilité, qui ne l'abandonne pas un
instant, peut passer pour de la passion; l'énergie de son jeu pour
de la puissance.
M""" Carreno a remarquablement exécuté le concerto pomr
piano et orchestre de Griog, la Polonaise de Wcbcr orcheslrc(^
par Liszt, \c^ Sincrato-Cnpricioso de Vogrich et la Campandla i\m
Liszt.
M. Radoux a eu l'heureuse idée de reprendre des fragments du
Prince Igor, l'opéra inachevé de Borodine. L'ouverture, où se
rcnconiront des pages superbes aux rythmes d'une étonnante
richesse cl d'autres as?ez faibles, un peu vulgaires, est une œuvre
de maître d'une grande puissance dramatique.
Dans la marche et les danses polovtsiennes, quelle vigoureuse
.couleur, quelles étranges harmonies, quelle saisissante âpreté!
Il court ilans cette musique, déconcertante parfois, un souflle
génial.
[-a lâciie de l'orchestre était rude. Il n'a pas failli. Le même
éloge ne peut être adressé aux chœurs; les basses, particulière-
ment, étaient insuffisantes.
M. Radoux se propose, parait-il, de monter, pour le prochain
concert, la Damnation de Faust de Berlioz. Nous souhaitons vive-
ment ((u'îl réalise ce projet. '
/-^ ■
CONCERTS PARISIENS
Société Nationale de Musique.
Monsieur i.e DiuECTEin, - ,^
.l'ai été bien surpris au dernier concert de la Société nationale.
On y jouait un quintette de A. de Castillon. Je pensais m'ennuyer,
car je n'avais jamais entendu citer ce nom parmi les futurs grands
maîires de l'Eco'e française. Tout au contraire, dès le commence-
ment, je me sentis entraîné par une inspiration virile et magni-
fique. Ce n'est pas que je puisse me vanter d'avoir toujours saisi
la forme des morceaux. .\ certains moments un contre-point trop
--^•anl pour moi faisait faiblir mori%tlention. Mais cela dure si
peu; au contraire, il y a de si belles phrases, — principiilenhent dans
Vadagio, — si généreuses, et cfui durent si longtemps! Je sais Jji'iu
que les belles phrases ont faitleur temps et qu'il n'en faut plus.
Excusez-nioi; c'est, un goût de provincial dont je ne puis me
défaire, ' . .
Très classique et très moderne h la fois, voilà le trait saillant
du quintette d»-€astillon. Il -porte 1 comme numéro d'œuvré;
c'est le. début d'un grand musicien.
A ce propos, ne^vous sembic-t-il pas que l'influence classique,,
ce qu'on appelait autrefois la tradition, ladsse de moins cri moins
de traces dans les œuvues des jeunes compositeurs? La rechcrehe
de la personnalité — condition essentielle de l'œuvre d'art — les
trompe. Ils ont peur qu'on leur reproclic des ressemblances clas-
siques; en réalité, ils n'échappent pas, du moins en commençant
et pour la plupart, à des ressemblances avec tel ou tel maître
préféré, et cette influence unique est mille fois plus dangereuse
que riniluencc presque anonyme de tous les grands ancêtres.
Comme je m'élonnais qu'un musicien tel que Castillon fût si
peu connu, je m'adressai h mon voisin de l'autre jour-. C'est lin
homme aimable et qui paraît fort au courant des cho^cS musi-
cales. Il m'apprit .que le principal défaut de' Castillon est d'être
mort depuis quinze ans (il avait 32 ou 33 ans).
Sauf h la Société nationale, donl il fut l'un des fondateurs et le
premier secrétaire, on ne le joue guère nulle part.
C'est dommage, mais on y viendra.
j'ai commencé par vous parler du quintette de Castillon
parce que j'étais pressé d'en dire tout le bien que j'en pense. Le
programme contenait d'autres œuvres intéressantes, avant tout le
quatuor de M. Vincerit d'Indy.
Ce qui me frappa d'abord lorsque j'entendis d'Indy pour la
première fois, ce fut sa musicalité, sa puissance de rythme et de
combinaisons polyphoniques. Depuis, en écoutant la Cloche, la
Symplwnie et la trilogie de Wallenstein^ j'ai bien vu qu'il avait
d'autres qualités encore. Dans l'œuvre en question, il me semble
que c'est principalement les premières qu'il nous montre.
La partie qui me plaît le plus est la seconde, intitulée :
Ballade. Les quatre instruments font entre eux des frais de
coquetterie. C'est à celui qui exécutera les plus gracieuses
culbutes en doubles croches, autour d'une phrase expressive et
plaintive, en qui semble incarné le type de la ballade musicale.
J'aurais encore bien des choses à vous dire, et sur ce quatuor
et sur le reste du concert. Mais Castillon m'a retenu longtemps;
j^ne veux pas abuser de votre hospitalité. Je ne ferai que citer les
mélodies de M. Marty, les chœurs de femmes de MM. Lazzari et
de Serres et je termine par l'Hymne à Vénus de M. Pierre de
Brévillc, chant grec dans le mode phrygien, dit le programmé,
en tout cas chant délicieux. L'auteur l'a écrit pour deux voix de
femmes; il vaudrait mieux dire déjeunes filles, car il y a dans la
musique un peu de cette retenue pudique des jeunes filles,
d'ailleurs charmante.
Mais les artistes, tout le monde le sait", sont des gens sans
pudeur. 11 faut qu'ils dévoilent au public leurs pensées les plus
chèrement secrètes. M. de Bréville n'a pas encore pris son parti
d'affronter les indifférences ci les railleries des écouteurs. Il ne se
livre ms tout entier. «
Veuillez agréer,'*Monsieur ra^iirecteur, etc. ^
In rural.
\
\
pIEJ^lOpRAPHlE MUSICALE
Dans une, nol(! insérée dans doux journaux parisicMis, on nous
prend i» partie aif sujet d_è notre derniei'bùllclui. bibliographique
,j.Ut on lious signilie (juc M. Laz/ari, dont nous avons trouvé le
h'io médiocre, a énormément de talent, qu'il csl président de
l'Association wagnériennc de Paris el que ses œuvres ont été
publiées chez llamclle, Durdilly, Bruneau, etc. (Le prix est omis).
Le ])jaisanl de l'histoire, c'est ([u'il n'est fait nulle mention, en
cetic aigre riposte, des autres compositeurs dont nôiis" nous'
sommes permis de critiquer, au mémo 'chef, les œuvres. C'est
nialadroil, et la mauvaise humeur de l'auteur irascible {genus
irritabilc... musicorum) paraît trop visrhlemcnt avoir inspiré la
note en question pour que nous jugions utile de répliquer : il
serait oiseux de discuter avec un auteur sur le mérite de ce qu'il
a produit.
La réponse la plus spirituelle de M. bazzari serait d'écrire une
(l'uvre de valeur. Cette œuvrc-!à, nous l'attendons, sans impatience.
Au, , programme consarcé, aux œuvres nouvelles de l'Ecole
belge, iigurcnl : la Sorbier, poème lyrique et symplioniiiue
d'Emile Mathieu, avec soli de soprano et de baryton (première
audition àBruxelles); deux œuvres instrumentales de PaulGilson,
exécutées poyr la. première foisr: un Scherzo [iouv quatre cors et
^unc Hinnoreske pour flûte, hauthois, clarit^ctles, cor et bassons ;
les Rondes ardennaises pour piano à quatre mains, d'Auguste
Dupont ;^ La Clumsons du Dimanche da' Léon Jourct; deux
pièces pour hautbois de .Joseph Jacob; des mélodies de Gustave
Kefer, Léon Soubre, Gustave Huhei'ti.
■"" EmiTe MathlëÏÏllîrigëïd réxécùlîôn du Sorbier, dont les chœurs
seront interprétés par quarante jeunes filles, élèves des classes
d'ensemble vocal duXonservaloire, et les soli par M'"<^ Cornélis-
Servais et M. Renaud. —
' Le prix d'entrée reste, comme les années précédentes, fixé à
2 francs. (Entrée par l'escaber de marbre).
Il est un autre compositeur, appartenant au groupe de la jeune
école française, sur lequel nous attirons spécialement l'altention
dos artistes : c'est M. Ernest Chausson, dont une mélodie, Nanny,
sur un texte de Leconlc de Lisle, a été très remarquée, l'an der-
nier, aux séances musicales des XX. Quelques mélodies, por-
tant les n"'* 8, 9, 10, 11, 12 de la série publiée par M. Hamello,
viennent de nous être envoyées. .Ce sont : Apaisement (P. Ver-
laine), Sérénade (J. Lahor), L'aveu (Villiers de l'Isle Adam), la
Ciple (Leconte de Lisle), 'la Caravane (Th. Gautier), celte
dernière avec accompagnement d'orchestre. Elles sont toutes em-
preintes de la distinction qui caractérise les œuvres du jeune
.jiiaître. La plus belle est, pensons-nous, la Caravane, qui forme
un tableau superhemenl coloré.
MM. Bruneau el C'" ont publié, du même auteur, cinq mor-
ceaux insjjirés de la Tempête de Shakespeare et exécutés lors des
représenlalions de ce drame données au Petit-Théâtre de M. Henri
Signorel. Deux Chants d'Ariel, d'un dessin poétique', deux Airs
de danse et un duo de Junon el Cérès composent cette suite,
écrite avec un sentiment délicat, en de jolies harmonies non
déflorées.
l'ri clrneur mixie avec accompagnement d'orchestre : Hymne
v('di(jue{\)06s\c. de Leconte de Lisle), d'un style soutenu et d'une
belle allure, récemment édité par M. llamclle, complète la série,
déj;i riche, des récentes productions de M. Eriiesl Chausson.
pETlTE CHROJ^^IQUE
La première des auditions musicales organisées par les XX
dans les locaux de leur Exposition aura lieu demain lundi, 27 jan-
vier, à 2 heures précises, avec le concours de M""= Cornélis-Scr-
vais, professeur au Conservatoire; M'"' Morîamé-Lefebvre et
M'"^ Hélène Schmidt ; M. Renaud, du théâtre de la Monnaie;
M. Emile Mathieu, directeur de l'Ecole de musique de Louvain ;
MM. Anthoni, Guidé, Jouret, Merck, Poncclet, Sou lire, profes-
seurs au Conservatoire; M. G. Kefer; MM. Devos, Gcraerts, Heir-
\vegli, Lemal, Leroux, Maby, Ruelle, Stevens, et un groupe
d'élèves des classes d'ensemble vocal du Conservatoire.
Une bonne nouvelle : en raison du succès qu'obtiennent l6s
représentations du Théâtre-Libre au théâtre dj.i Parc, M. Candeilh,
vientTle traiter avec M. Antoine pour deux représentations sup-
plémentaires qui auront lieu lundi çt mardi.
Le speclîjcle se composera de YEcole des Veufs de Georges
Ancey et' de Jacques Damour do Léon Hennique.
Le théâtre de l'Alhambra, s<ius la direction de M. Durieux, fera
mardi prochain sa réouverture.
On jouera r£'/«(/ia?i/ pauvre de Millocker, avec un grand luxe
de mise en scène.
Une très iniércssànlc séance de musique de chambre a élé
donnée dimanche dernier au Conservatoire de Bruxelles.
Le manque d'espace nous oblige à en ajourner le compte-
rendu.
M™« Marion, directrice du Théâtre de Gand, va faire représenter
le Capitaine noir, opéra en quatre actes de noire compatriote
Joseph Mertens. L'œuvre vient d'entrer en répétitions. On sait que
le Capitaine noir a été joué en langue allemande à Hambour^g
en 1883. 11 avait élé représenté précédemment, en flamand, syr
le théâtre de La Haye, en 4877. C'est en allemand qu'il sera donné
à Gand.
Mercredi prochain, 29 janvier, h 8 1/2 heures du soir, une
conférence sera donnée dans la salle gothique dé l'Hôlel-de-ville
de Bruxelles, sur Les premiers remparts de Bruxelles et la res-
tauration de la Tour noire, par M. P. Combaz, major du génie,
conseiller de la Société d' Archéologie de Bruxelles.
On nous prie d'annoncer le concert qui sera donné par
M. lUînri-'lleuschling, baryton, avec le concours de M""^ Dyna
Beumer, cantatrice, el de M'"« Moriamé-Lefebvre, pianiste; il aura
lieu h la Grande-Harmonie, le jeudi 6 février 1890, à 8 heures du
soir.
Plusieurs artistes viennent de se constituer en sociélé pour
interprétera Bruxelles et en province les pièces inédiles d'auteurs
belges. Le litre de Théâtre moderne a été adopté. L'administration
prie les auteurs d'envoyer leur manuscrit avant le 15 février pro-
chain, 40, galerie du Commerce, h Bruxelles.
Le Théâtre moderne, n'apparlenani à aucune école, a pour but
de vulgariser les productions nationales. (Communigué.)
f
f
tl u
PAQUEBOTS-POSTE DE L'ÉTAT-BELGE
>-<> .
8 heures.
Vienne à Londres en. .
. . 30 heures
13 "
Bâle à Londres en. . i .
. . 24 "
24 "
Milan à Londres en .
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Dixième année. — N° 5.
M. . .
Le numéro : 25 centimes
Dimanche 2 Février 1890.
MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
PVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTERATURE
Comité de rédaction » Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. —ANNONCES-: Ou traite à forfait.
Adresser toutes les communications à " -
l'administration générale de l'Art Moderne, rue de Tlndustrie, 26, Bri^xelles.
?
OMMAIRE
Le Tiiéatrk nouvkau. — Double.- — Allavanquardia. — Au
CONSERVATOIRK. AuX A'A'. ViNCEXT d'InDY A LlWiK.
L'Étudiant pauvre. — Biui.khjRai'iiie musicale. — Mémento des
EXPOSITIONS. PkTITE CHRONIQUE. ^
Le Théâtre nouveau
Au lendemain de la dernière représentation de l Ecole
des Veufs, j'ai été écouter et voir Bêîle-Mamcm, en ce
même théâtre du Parc, à Bruxelles, et comparer Sar-
dou à Ancey, la veille et le lendemain, par besoin dô
mieux comprendre, d'avoir des points .de contraste ou
de contact. Ah! la manie critique qu'on finit par prati-
quer comme le chien de chasse qui chasse trop, pratique
la chasse, ne chassant plus que pour lui-même! Singu-
lier plaisir obsédant, qui n'e&t plus dans la jouissance
saine et simple de l'œuvre d'art possédée par l'esprit,
sensuellement et sentimentalement jouisseur, mais dans
la curiosité du déshabillage suivi d'inventaire, dans le
pointage des perfections et des défauts; maladie d'expert
et de prîseur, aunant, pesant, taxant et mettaik tout
au plus juste chifï're du tarif intellectuel.
A la première de Belle-Maman, le même monde qu'à
la première de l'Ecole des Veufs, le même monde tou-
jours, le TOUT- Bruxelles ! qui est le tout Bruxelles
comme l'opérette est toute la musique. Le Bel-Air!
auquel on applique mentalement et si inévitablement
cette phrase du Masque de la Mort rouge d'Edgard
Poë, commentée par Odilon Redon d'un crayon formi-
dable : « C'était des figures étrangement équipées, des
fantaisies grotesques comme la folie «.
Tout le bataillon des fantoches était de garde mon-
tante ! Mais combien admissible et normal comparé aux
fantoches de la pièce! Sardou s'était surpassé. Une pan-
talonnade rapprochée, à se confondre avec elles, des pan-
tomimes anglaises, où des messieurs en habit noir, très
corrects, s'agitarit en compagnie de dames variées
représentées par des hommes travestis en femmes,
échangent des soufflets et des coups de pied enguirlan-
dés de culbutes et de cabrioles. Au moins dans la pan-
tomime le grand soulagement du silence. Ici des ciga-
liers et des cigalières n'interrompant pas le bruyant
cri-cri d'un dialogue bruyamment monotone. Et pour
ces rôles, quels acteurs ! quelles actrices ! aux défauts
peu visibles d'ordinaire, mais combien visibles après les
acteurs et les actrice^g de la veille! Toutes les vieilles
rengaines de conservatoire : la bonne diction, oh ! à quel
point insipidement mécanique et formulaire, et sentant
la leçon pédagogique ! La bonne tenue, ainsi que l'ensei-
gnent les professeurs de maintien théâtral, la bonne
tenue, dont la base essentielle est de ne jamais, au
grand jamais, tourner le derrière à la salle. Les tirades
débitées à on ne sait quel mystique spectateur des
\
.i"
s
deuxième» loges ofi vont les regards des premiers rôles
comme attirés par une apparition. Les salons du grand
monde de Monsieur Sardou ofi l'on se range cinq de
front, à la rampe, pour se lAcher des mots " ruisselants
d'esprit " sans se regarder. Tous, tous, jusqu'aux domes-
tiques, accourant du fond pour se camper près du souf-
fleur, attirés comme des mouches par la clarté d'une
grande fenêtre. Les vieilles rengaines ! les vieilles
rengaines! Ainsi nommées, sans doute, parce qu'on
V ne le^ rengaine jamais.
Je dois dire que cette fois - les figures étrangement
équipées " ont été sévères. Pourquoi 1 Certes, point
parce que leur compétence a augmenté. Le même trou-
peau -aJoujours les mêmes bergejs qui les paisent soi-
gneusement sur les pâturages natals. J'aime à supposer
que les auditions si peu conventionnelles et si tant har-
dies des soirées précédentes, avaient dans une certaine
mesure, quoique passagèrement, désinfecté la cave de
leurs préjugés. Un vent avait soufflé dissipant des
miasmes. Et, en eff'et, bizarre et inattendu phénomène,
cetteEcolc des Veufs, jouée par cette troupe du Théâtre
Libre, avait fait recette jusqu'au dernier jour, après
avoir induit la prudente et défiante direction Candeilh
h en prolonger les représentations. ,0n y est allé, non
par goût des téméHtés, mais par goût, inconscient, il est
vrai, de la nouveauté, de cette nouveauté salutaire qui
remplace les quadragénaires bêtises du théâtre contem-
porain par les nouveau-nées, encore vagissantes, pro-
ductions du THÉÂTRE NOUVEAU.
Même les plus encroûtés des générations qui s'achè-
vent, commencent à en avoir assez des calembredaines,
tantôt solennelles, tantôt faribolesques, des pièces dont
M. Alexandre Dumas fils, du côté grave, et M. Victo-
rien Sardou, du côté farce, sont les Pontifices maximi.
Cette excellente bourgeoisie corrompue démêle trop
elle-même l'élément Pot-Boùille qui la caractérise, pour
supporter davantage l'hypocrisie des amuseurs qui lui
montraient ses vices en les masquant d'élégance ou de
joyeuseté. Elle commence à aimer, comme les prosti-
tuées, qu'on lui donne brutalement les noms canailles
qu'elle mérite, et qu'on lui exhibe avec cruauté les
tableaux de sa vie vraie. Elle trouve jouissance à cette
âpre flagellation. Plus de oh ! ni de ah! comme l'an der-
nier encore, où l'on eut, vraisemblablement, sifflé et
hué YEcole des Veufs. Le public du Bel-Air supporte
très servilement les bravos des fervents, et parfois y
prend part. Il ne trouve rien à redire aux soufflets à
pleine volée que lui envoient les dramaturges de la nou-
velle école. Il n'écoute plu^ que distraitement les « cri-
tiques influents i qui lui /prêchent, avec la monotonie
navrée des vieilles orgues, les leçons de pure morale
mondaine tartufienne dont ils ont vécu depuis un demi-
siècle. Il s'émancipe, qu plutôt il se résigne. Car,
O
à l'inévitable, il faut se i
ébigner. Et l'inévitable c'est la
destruction de l'ordrez-pourgeois par le propre dégoût
de ce qu'U est, par la vue de plus en plus claire et décou-
rageante de ce<^u'il est. Car il est, lui, nous l'écrivions
dernièrement, et lui seul, la vraie décadence et la vraje
■^11) de- siècle, ''. ': . . '_
AJais si le théâtre nouveau n'avait d'autre visée et
d'autre portée que de contribuer à l'insurmontable révo-
lution qui nous gagne, gros et noir nuage qui pousse
devant lui son ombre, il ne serait artistiquement qu'un
événement incomplet. On y entrevoit davantage. Des
novateurs comme Antoine et Ancey vont au delà des
interviews qu'ils ont, de scène à salle, avec l'habituel
public. Que ces esprits hardis, distingués et combatifs
le discernent ou l'ignorent, ils accomplissent, au
théâtre, la transformation qui affecte, en ofes dernières
annéps, l'art entier, fait craquer les surfaces et présage
l'invisible attendu.
Nous expliquions ici même, il y a huit jours, à pro-
pos de cette si curieuse exposition des XX, que les
imbéciles qui marchent le dos tourné à l'avenir et qui,
dans le morne hiver de leurs idées surannées, entrent
en fureur quand on leur' annonce un printemps nou-
veau, indistinct- encore et à peine bourgeonnant, que
dans la peinture, entre autres, les tâtonnants effbrts des
précurseurs autour de nous pullulant, conspués mais
indécourageables, s'appliquent à deux tendances très
nettes : un réalisme, ajoutant au vieux réalisme la
lumière et l'atmosphère; un mysticisme prolongeant la
réalité par le symbole; l'un et l'autre demandant à une
technique neuve les moyens de conquérir les terrœ
incognitœ. Et dans la littérature, spécialement dans la
poésie, cette même dualité s'affirme avec la mênie carac-
téristique quant aux procédés : il y a ceux qui décrivent
la vie vécue; il }' a ceux qui décrivent la vie du rêve;
les deux groupes cherchant avec passion dans les res-
sources du mot, du rythme, dans les infinis secrets de la
langue, les outils, les armes indispensables pour accom-
plir l'œuvre.
Analysez l'évolution musicale, vous y découvrirez
sans peine le même processus. Sa dynamique aff'ecte là
même allure. Le théâtre seul était resté en arrière, sans
doute par l'énorme difficulté de persuader l'ignominieuse
routine des directeurs et l'incommensurable bêtise de la
foule. Car là, toujours ce double obstacle d'une censure
directoriale, et de la nécessité d'avoir pour juge, non
pas le lettré, l'esthète, mais le public, en paquet, en
bande.
Voici que le théâtre se dégage, par explosions isolées,
rares, mais fortement craquantes. Il y a deux ans à
peine ! Ce fut Becque et sa Parisienne. Puis Méténier
et En Famille. Maintenant Ancey et V École des Veufs,
et aussi En détresse^ cet acte joué au Parc en lever de
rideau, mal ai)erçu et pourtant si fort. Toute cette série
est éminemment réaliste, mettant en scène la 'vie qu'on
^
cache, par des accents nets, frappant en balles, à tir
pressé et précis, au moyen d'une langue singulièrement
vive, claire, pinçante. C'est une tranche d'existence,
coupée net, presque n'importe où, sans préoccupation
de début et de fin, typant en très haute comédie les
psychologies modernes, se manifestant en des scènes
modernes, prouvant cette chose, à première pensée
paradoxale, que tel épisode qui, dans la quotidienneté,
serait d'intérêt médiocre sf l'on y était acteur ou* spec-
tateur, prend un étonnant relief et excité puissamment
l'attention quand on le met au théâtre, débarrassé des
braussailleuses complications qui enveloppent tout fait
de la vie.^ ' '
Il faut, certes, un perçant coup d'œil et une main
experte pour l'émondage. C'est affaire d'aptitude artis-
tique, en laquelle Becque, Méténier, Ancey sont maî-
tres. C'est affaire aussi d'un metteur en scène'comme
Antoine, qui avive avec une étonnante dextérité le vrai,
le simple, le saisissant de la pièce, par son jeu, d'une
école puissamment familière, et par la destruction sans
merci des odieuses rengaines de Conservatoire, que je
maudissais tantôt.
Mais ce théâtre néo-réaliste, si, bieli aligné en paral-
lèle avec la peinture néo-réaliste, avec la poésie, la
, prose, la musique néo-réalistes, sera suivi, ou plutôt
accompagné, comme ces autres arts, d'une évolution
symbolique. Je dis « symbolique^ à défaut d'autre mot,
pour exprimer un théâtre où l'au-delà, toujours présent
en nos cerveaux, avec ses inquiétudes' et ses rêves,
viendra '• fumer) autour et au dessus de la réalité".
Nous en avoiïsC-Pn Belgique, deux récents exemples,
dont j'ai parlé, plus d'une fois, avec prédilection et
joie : les Flaireurs de Charles van Lerberghe, la Prin-
cesse Maleine-ée Maurice Maeterlinck. Ceux-là che-
vauchent déjà la chimère! Ils parcourent, pensifs, les
dessus et les dessous, joyeux ou tristes, selon qu'ils sont
dans la clarté ou les ténèbres. Soyez certains qu'ils
marquent, ces jeunes, ces ignorés, l'étape nouvelle.
Soyez certains que, dans un temps proche, vous verrez
au théâtre ces œuvres; ou, si elles sont dédaignées en
ce pays parce qu'elles sont du pays, vous en verrez au
théâtre d'analogues. Parler ainsi n'est pas se poser en
prophète, ni en amoureux quand même des nouveautés,
c'est, je le crois, tirer une conclusion nécessaire du
mouvement général de l'art, si logique et universel.
Comment ne pas s'apercevoir qu'il y a là, non pas
l'énoncé d'une pensée personnelle paradoxale, mais la
constatation simple d'un phénomène? C'est june loi qui
fonctionne, sans bruit mais très visible, une loi natu-
♦relle irrésistible. Cela va, avec la ténacité et l'ininter-
rompu d'une évolution historique, d'une de ces évolu-
tions si clairement fatales quand on les dégage dans le
passé, et si constamment méconnues quand elles agis-
sent à côté des contemporains, pour préparer l'aVenir.
DOUni^EI
par FRANcisi PoicTEVix. — Paris, Lemerre, éditeur.
A maintes fois, M. Francis Poiclevin a été d(5fini par nous l'âr-
liste sincère et subtil qu'il est. Los avougles-nés delà critique
n'ont lâlrî, en ses diff(k"cnls livres, que des lignes de faits-divers,
inoinsjnlércssaflls que la chronique d'e chats bpilés par un incen-
die ou de vieilles femmes accostées par une roue d'omnibus,
certes. Cette injustice, faite de bôtise, se prolonge au delà de la
décence : M. Poictevin est un écrivain nettement hors pair. On a
mis en relief sa filiation avec les frères de Concourt, et celte
parenté a été affirmée par M. Poictevin lui-même. C'est parfait.
Pourtant combien plus simple, plus vraies, moins brillantes cl
plus consciencieuses paraissent ces notations de choses. Ses livres
sont comme des calepins d'art intime, silencieux, pour lui-même.
Il ne se préoccupe guère si ce qu'il dit iniéressera violemment un
quelconque lecteur, il s'émeut, se confesse, s'écrit pour le seul
à seul, et le lecteur le plus assidu de M. Poictevin, doit éire
M. Poictevin lui-même.
Chez les frères de Goncourt, au contraire, une continuelle
préoccupation à faire de l'esprit, une mise un peu ostentatoire en
lumière de leur prodigieuse faculté de voir curieux et vif, et
vivant, ébrèche le plaisir qu'on éprouve à sentir derrière un livre
l'auteur qui ne pose pas, qui ne fait aucun moulinet avec sa
plume pour attirer l'attention, et qui, malgré le rafiinemenl de
son sljle, conserve un fond ingénu et primitif.
M. Poictevin consigne en prose parfaite et très à lui, ses ren-
contres de chaque jour d'un paysage, d'un objet d'an, d'une idée,
d'un sentiment, 'd'un rêve ou d'un fuit; Et lentement, ainsi, s'éla-
borent ses livres. Sans cesse deux personnages : elle et lui, quel-
quefois eux, sont les récepiacles des impressions. Un môme évé-
nement est analysé à travers elle, puis à travers lui, quelquefois
à travers eux. Aussi l'examine-t-il en ses nuances et ses cotés
divers.. El les choses les plus banales comme les plus rares le
tentent tour à tour — seulement rien n'est banal dès que l'auttur
lé dissèque à la plume. Souvent, presque toujours, «//<? et i«i,
s'impressionnent de voyage. C'est en pays lointains qa'il cultive
son âme de lettres.
Avant ces quelques derniers dix ans, le monsieur littéraire qui
courait les rouleS faisait le récit de sa course, il se grisait d'encre
mêlée à ce qu'il appelait de la couleur locale, il écrivait sur, tout,
n'importe oii, avait le toupet de faire connaître les mœurs, les
sites, les gens et le pays qu'il prétendait connaître à fond, lui, un
passant. Il aboutissait fatalement à des viriuosiiés de style, à des
emballements à côté, à des chutes, nez cassé, dans le parti-pris et
la boutade. Parfois il se calembourisaii et jugeait les peuples (!)
au petit bonheur des mots drôles qui lui venaient.
Rien de lel chez M. Poictevin. Allemagne, Belgique, France,
tous les pays rencorilrés ne lui sont que des prétextes à émotion
artiste. Ses livres sont essentiellement subjectifs; ils sont la
mémoire écrite de ses yeux, de ses oreilles, de sou toucher et do
son cerveau. Parfois certes une note locale pique sa cocarde dans
les phrases. Mais combien rarement, et encore avec quelle persis-
tante préoccupation de ne l'insérer dans le livre que pour l'atta-
cher à une rétlexion iniimc.
Le voyage devient tout simplement un élément d'art dans la
littérature contemporaine, et peut-être que bientôt le rêve rem-
placera tout voyage. Le i< Sans avoir été, revenu », deviendra
P
Vf
vrai, à loul point de vue. El l'on se bâlira des villes d'illusion, et
l'on se brassera dès cataclysmes en des pays de tourmente et de
volcans, et l'on se sculptera des sites de f6r, de marbre et d'or et
' des soleils en joyaux de joie, et des lunes en argent triste, et toute
une nature impossible sera le seul monde où mener en voyage de
noces littéraires lui et elle.
Voici quelques extraits àe Double : analyse de chefs-d'œuvrcs,
rôve : .
« Dans la physionomie de la Joconde, c'est, ce^emble un sou-
rire de souvenir. Le présent de la femme se pacifie dans presque
une indifférence. Si elle se jugeait elle-même, sans doute elle
serait impartiale. El' elle ne laisse pas de faire entendre, en je ne
sais quelle murmuralion vague, que les choses en vérîTé ne valent
que hors de prise.
« Il semble impossible non seulement de s'explicjuer, mais de
s'entendre, même entre intimes ; ce qu'on rend par la parole n'a
déjà plus sa fleur. »
« Ce malin, à marée refluenle, à l'cstacade, un peu au dessus
des eaux et beaucoup sous le ciel — .eaux et ciel adoucis, allégés
en leur impénétrable, on n'entendait dans cette vue sans bornes
. que les eaux inutilement fuyantes, susurrer d'une voix peut-être
plus mollette que soyeuse.
• « Aux crépuscules, dans les déclivités de l'extrême ciel, on
songe, devant des jaunes crémeux se glaçant d'une viridilé citrine,
aux seules mémorables joies, si rapidement fondantes que déjà
elles s'acidulenl d'un regret.
,« Celle fin d'après-midi, sur la côte, en un insensible embru-
mement de l'horizon où perdurait une délicate fonle des nues et
du végétal, des lueurs ensanglanlcrenl l'en dedans des cimes de
pins d'un sombre attendri, et d'adorables gris lilas semblaient
craindre de confier d'inviolées amours. »
«Ha rêvé qu'il devenait fon, elle surveillait anxieusement ce
malheur. 11 senlail se consommer en lui l'aliénation, il s'achar-
nait à se ressaisir, ce mal d'âme se forlongeait en des incertitudes
poignantes. Cela de pari et d'autre ne se supportait plus. El il se
terrifiait de sombrer dans un autre que lui, tout en gardant sa
même forme maintenant vaine. Son identité achevait de se
détruire, mais il n'était pas posilivemeni encore le nouveau per-
sonnage faussé, à la fois mentant à sa dénomination et impuis-
sant à la rejeter. Son vrai moi en irain de passer perdurait dans
le corps, l'apparente figure semblait peut-être la même, tandis
que la misérable neuve expression s'égarait dans le visage, ne
parvenait à s'y loger. Et ainsi le visible et l'invisible de lui-
même ne cadrant plus, il éprouvait un ahurissement affolé de son '
mélange dédoublé. »
All'avanguardia
Studi sulla letteratura contcmporanca, par Vittorio Pica. —
Napoli, Luigi Pierro editore, 1890.
En un mélange que peut faire paraître confus et bizarre le
simple rapprochement des noms, mais que le texte éclaire, ils
sont là, non pas tous, mais imposants et nombreux, les avant-
coureurs de la littérature, ceux qui ont eu l'horreur du bétail pié-
tinant les sentiers battus, qui se sont élancés dans les déserts,
qui ont voulu du neuf, et qui en ont apporté souvent : Flaubert,
Jes de Concourt, Zola, Daudet, Duranty, Fabre, Bourgel, T^Iau-
passant, Iluysmans, Péladan, Poictevin, de Saînte-Croix, Edouard
Rod, Haraucourl, Courmes, Margueritte, GlalignV, Verlaine, Ber-
trand, Baudelaire, Mallarmé, Camille Lemonnier, et les roman-
ciers russes, et des Italiens aussi que nous ignorons, nous qui ne
savons pas sortir de notre langue, alors que les Italiens se mon-
trent si attenlifs à ce qu'il y a de meilleur dans-4a nôtre.
Ils sont là, appréciés par un littérateur extiaordinairement bien
informé, qui connaît non seulement les œuvres, mais les per-
sonnes, qui sait leur histoire, qui, dans cettC»»Fevue de quelques-
uns, parle de tous, rattachant les modernes aux anciens, les célè-
bres aux inconnus, les artistes de la plume à ceux des arts plasti-
ques, comme le montrent les quatre cents nofhs de la table
alphabétique, et ce n'est là qu'un début. Un autre volume est
annoncé sur la littérature d'exception, sur ceux que, en un
mélange aussi hétéroclite que le premier, mais où l'on peut
compter que ce fin critique saura marquer les distances, M. Pica
confond sous le nom de modernes byzantins ■• Mallarmé, Verlaine,
Villicrs de l'Isle-Adam, Huysmans, Péladan, Loti, Poictevin, Rim-
baud, Corbière, Laforgue, Dujardin, etc.
Confime nous l'indiquions plus haut, ce qui surprend dans celle
œuvre critique d'un étranger que noire particularisme nous fait
paraître si lointain, c'est la précision du détail. Ainsi, pour notre
Lemonnier, dont il rapporte exactement les débuts dans la vie
litlérairo,il dit le banquet qui lui fut offert, en 1883, lorsque l'Aca-
démie lui préféra « deux écrivains moins que médiocres et sans
aucune originalité » ; il rappelle les loasls qui lui furent portés;
il sait les vers dits à sa gloire; il nous montre la qpuronne de
roses blanches qui marquait la place d'Octave Pirmcz, présent au
delà de la mort. Et s'il ne parle ni de la réparation éclatante
qu'obtint plus tard Lemonnier pour son beau livre national : La
Belgique^ ni du procès célèbre qui consacra naguère sa notoriété,
c'est que son article, paru vraisemblablement dans quelque revue
de là-bas, est daté de juillet 1886.
El voyez comme, expliquant l'un' par rantrc, ptttoresquement
il pose à la fois l'homme et le caractère et le talent en celte belle
langue sonore, dont nous effacerions les couleurs en essayant de
la traduire :
« Camille Lemonnier ha adesso circa 40 anni ed è un bell'
uomo robusto, sanguigno, dai capclli e dai baffi di un biondo
infocato, dagli occhi azzurri e scinlillanli diclro le Icnli. Eher-
gico, audace, balta'gliero, egli ha il talento dcl suo tcmperamcnto,
e nei suoi libri, chè forse a voile hanno pagine non di prima,
mano, ma sapientemente assimilate dagli illustri romanzieri natu-
ralisli francesi, che egli ha con grande amore studiati, vi è ripro-
dotla la vita con una robusta sicurezza di lono, con un' opulenza
di colore, con un intense senso del realo, che ricordano i forti
pitlori délia sua patria. »
L'article se termine par une intéressante comparaison entre le
Germinal de Zola et le Happe-Chair de Lemonnier, dans laquelle,
en faisant ressortir l'originalilé propre à chacune de ces œuvres,
l'auteur atténue le reproche d'imitation qu'il avait fait d'abord,
et qui, injuste, ne nous déplaît, du reste, pas, car il démontre
l'indépendance de l'appréciation et lui enlève toute apparence
même de ce caractère de camaraderie el de réclame qui rend
souvent si déplaisante la critique française.
Au Conservatoire
A noter pour mémoire un premier concert de musique de
chambre, bien composé el bien exécuté, ouvrant brillamment la
série des auditions données périodiquement par les professeurs
d'instruments à vent. Le Quintette (ic Mozart, dont la partie de
piano a été exécutée avec une délicatesse et une sûrelé remarqua-
bles par M. De Greef et la Sinfonietta de Raff en constituaient les
œuvres maîtresses. Comme soliste, M"* Dyna Beumer, dont la
voix cristalline, merveilleusement pure,_a donné un très grand
charme à l'air de Dona .Anna de Do)i~ Juan, à la Sérénade
d'Etienne Soubrc, composée avec un joli sentiment « à la Schu-
bert », et au Madrigal de M"" Chaminade, ajouté au programme^
en raison de l'insistance du public. ■ ■ ,
AUX XX
— Première audition musicale. \
Ce premier concert des XX, consacré exclusivement aux com-
positeurs nationaux, a rencontré de vives sympathies ^ réuhi
beaucoup de bonnes volontés. Surchargés de besogne, accaparés
à la fois par le Ibéâlre de la Monnaie, le Conservatoire, les leçons
h donner, les répétitions à faire, les concerts en province, etc.,
les musiciens auxquels on s'est adressé ou qui, sponlanémcnl,
ont offert leur concours, se sont montrés dignes de leur réputation
d'artistes désintéressés et dévoués à leur art. Dans ces auditions
d'un caractère spécial où l'exécutant, quel que soit son talent de
virtuose, j^'efface pouf^ie laisser parler que l'œuvre, il est vrai-
ment beau de voir des chanteurs et des instrumentistes dc^rc-
mier ordre tenir à honneur de figurer, afin de donner aux compo-
sitions tout le relief possible. Les auteurs el le public leur en
sauront gré, au môme titre que les organisateurs de tfès auditions
de choix.
C'étaient-, ces interprètes respectueux et attentifs, pour les
oeuvres vocales : M™": Cornélis-Scrvais el M. Renaud ; pourHcs
compositions instrumentales : M""" Moriamé-Lefèbvre, Mi'c Hélène
Schmidl, MM. Guidé, Poncelet, Merck, professeurs au Conserva-
toire, MM. Jourél, Kefer, Soubrc, à la fois compii^iteurs et exécu-
tants, M. Fontaine — qui a bien voulu remplacer, au dernier
moment, M. Anthony empêché, — MM. Devos, Geraerls, Ileir-
wegh, Lemal, Leroux, Mahy, Ruelle, bref tout un orchestre. El
quant aux chœurs, dirigés par M. Emile Mathieu et accompagnés
par M. A. Slevens, les classes d'ensemble vocal du Conservatoire
avaient fourni le contingent nécessaire : quarante jeunes voix qui
ont donné de l'œuvre principale du programme : le Sorbier, une
interprétation correcte et nuancée.
L'auditoire, exceptionnellement nombreux, a paru goûter le
charme de la musique fraîche, distinguée el aimable de 31. Emile
Mathieu. Le petit poème rustique de l'auteur de Richilde est très
ingénieusement transposé en langue musicale. Il se compose de
trois chœurs, variés de rythme et de couleur, et de soli d'un joli
caractère, empreints de la mélancolie qui donne à la terre arden-
naisc son âpre saveur. L'auteur et ses excellents interprètes ont
remporté un gros succès, et il en a été de même pour les Rondes
ardennaises, puisées à la même source d'inspiration et écrites
pour piano à quatre mains par Auguste Dupont.
Les deux œuvres instrumentales de Paul Gilson, un scherzo
pour quatre cors et une Humoreske pour sept inslrumenls
à vl?nt,,sonl de tendances plus modernes et d'allures plus
batailleuses. Exécutées pour la première fois, elles onl surpris le
puplic, mais vivement intéressé les artistes par leurs recherches
d'harmonies neu\cs et de timbres rares. Pas faciles % exécuter,
par exemple, et d'une coupe inusitée. Musique vingiisl«, a-l-on
dit. Le mot est flatteur et peut-être juste. C'était évidemment dans
ce milieu des XX, animé et vivant, que M. Paul Gilson devait se
produire. Nous connaissons de la musique « vinglisle » qui com-
mence à faire joliment son chemin et nous souhaitons ai)x œ.uvres
du jeune compositeur Ja même fortune.
Parmi les mélodies de Soubre, de Jourct, d'Hubcrli et de Kofcr
inscrites au programme, la Chanson de Matelot el le Deuxième
soir religieux, de ce dernier, nous ont paru impressionner parti-
culièrement les auditeurs, qui n'ont d'ailleurs marchandé à aucun
des auteurs leurs applaudissements.
VINCENT D'INDY À LIÈGE
LES itot:jve.^tjx: coistoei^ts .
(deuxième matinée)
Grâce à l'initiative de MM. Sylvain Dupuis et Vandenschikie. -
Liège a eu — avant Bruxelles — la primeur des deux grandes
œuvres orchestrales de Vjncent d'Indy : la trilogie de Wnlienstein
et la Symphonie sur un thème montagnard français.
Les directeurs des Nouveaux concerts onl donné de ces deux
maîtresses pages du jeune maître une exéculion""colorée, précise,
vraiment remarquable. L'orchestre de Liège osl singulièrement
compréhensif et son aptitude à saisir et à exprimer le caractère
de la musique moderne a frappé le compositeur lui-même, qui
^ ne nous a pas caché la vive satisfaction qu'il avait éprouvée en
dirigeant l'exécution de ses d.'uvres.
L'accueil fait h Vincent d'Indy par l'auditoire a été triomphal.
Il y a eu, tant après Wnlienstein qu'après la symphonie, de véri-
tables tempêtes d'applaudissements et de bravos, répercutés le
lendemain, en éloges enthousiastes, dans tous los journaux de la
ville. El ce qui dénote un degré d'initiation peu commun, c'est
que ce sont précisément les œuvres les plus ^udaciousemonl
novatrices, la Mort de Wallenstein, par exemple, el le final de
la symphonie, qui onl produit la plus ])rofonde impression.
> Ine composition d'allures infiniment plus légère?', la Sérénade
. et Valse, qui vaiil surtout par le charme d'une inslrumenlation
piquante, a été loin de provoquer les mêmes ovations.
Le public liégeois a compris tout ce qu'il y a de poignant et
d'4«]main dans celte merveilleuse trilogie qui suit, scène par
scène, la tragédie, çt s'adapte si étroitement à elle qu'on ne
conçoit désormais plus les héros du poète sans entendre aussitôt
les thèmes caractéristiques par lescjuels le musicien los exprime.
Les ardeurs belliqueuses des soldats do Wallenstein, la tendresse
de Thécla, les déchirements de Max. partagé entre son amour oi
son devoir, la fatalité qui pèse sur la dostinoo du Ik'tos, tout osl
noté, en un flot de dessins mélodi(]ues soutenus par dos harmo-
nies d'une richesse et d'une saveur rares.
Vincent d'Indy s'est afiirmc, en cette œuvré superbe, en très
grand et très noble artiste. Quant à son orchestre, il le pianio
avec une aisance et une sûreté déconcertantes. Tout v est d'une
lucidité remarquable. Aucun instrument n'étouffe les autres. Cha-,
r-;
-=«?**■*- -'Ç'^à:
/...
^.•*-
cun d'eux se meut dans les sonorités qui lui sont propres, et le
choix est fait si judicieusement que, môme dans l'cnchevôlrement
polyphonique le plus touffu, toutes les phrases ressprtent et par-
lent dislinctenrueot à l'oreille.
■ A cet égard, Wallenstei7i, dont nous ne connaissions que la
réduction pour piano, a dépassé notre attente cl a fortifié la sin-
cère admiration que nous inspire Vincent d'Indy. On ne peut
guère se figurer, à la lecture de l'excellent arrangement fait de la
trilogie par son auteur, l'effet que produiront. à l'orcheslre les
'trois parties de l'œuvre et spécialement la troisième.
Même observation au sujet de la symphonie, dont une très
bonne réduction pour deux pianos fait apprécier le charme poé-
tique, les développements ingénjeux et l'extrême distinction de
rythmes et d'harmonies, rnais à laquelle une exécution à l'of-ches-
ire donne seule l'ampleur et le coloris. M"'* Bordes-Pène, l'Hine
des plus remarquables pimistes de l'époque, a donné de la partie
de piano une exécution brillante, h la fois très ferme et très sou-
ple. Elle a, dans le concerto en sol de Beethoven, fait valoir, de
même, de sérieuses qualités de mécanisme et de sentiment qui
ont été liaulemenl appréciées.
La veille, une séance de musique de chambre avait réuni dans
la coquette salle de la Légia l'élite des musiciens et des critiqiiës
et, sur lé programme, quelques œuvres d'un grand intérêt artis-
tique parmi lesquelles, en première ligne, le trio de Vincent
d'Indy pour piano, clarinelie et violoncelle, l'une de ses plus
belles composiiions; le deuxième trio de.Castillon, qu'on enten-
dra mardi au concert des XX; lai-éduction pour deux pianos de
Léonore, la ballade fantastique d'Henri Duparc, d'après Burger ;
un extrait des Tableaux de Voyage de Vincent d'Indy et son Lied
pour violoncelle. / '
. C'est M. Edouard Jacobs qui donnait à ce concert l'appui de
son talent, secondé par MM. Hasoneier, clarineitisle, et Dessin,
violoniste, tous deux professeurs au Conservatoire de Liège. Au
piano, tout nalurellcment, le héros de la fêle, Vincent d'Indy, et
M""* Bordes-Pone.
- Nous avons rapporté de ces deux séances l'impression recueillie
, et sereine que laissent seules les audiuons musicales vraimenl
artistiques, dégagées de tout mercantilisme et du moindre cabo-
tinage.
y
L ÉTUDIANT PAUVRE
Le théûire de l'Alhambra, après deux tentatives non couronnées
de succès, vient de faire sa réouverture, sous la direction de
M. C. Durieux, le chef d'orchestre delà Bourse.
L'Etudiant Pauvre de Millôcker a servi de pièce d'ouverture.
Cette pièce, dont nous avons parlé à l'occasion de la création à
lAlcazar (1), est trop connue — ses rythmes sautillants ont fait
tourbillonner d'innombrables couples enlacés et ses marches ont
fait défiler d'incalculables régiments, — pour que nous soyons
dispensés d'en faire la descripiion.
Constatons simplement que la reprise a été une véritable
solennité — une vraie première — tant était grande l'affluence et
vivante l'animation que présentait l'Alhambra mardi dernier.
Les nombreux assistants ont applaudi avec enthousiasme. II est
vrai que M. Durieux n'a rien épargné pour assurer le succès qui
(\) L'Arl }>wdeme, iéS5, n° S. ' v
est venu couronner ses efforts( Un orchestre, nombreux et choisi,
a joué galmenl la' musique vive et joyeuse du compositeur
viennois; des chœurs bien stylés, une figuratif et un ballet où
nombre de jolis minois évoluent avec ensemble, des décors
superbes, des costumes taillés dans des étoffes aux couleurs
harnionieuses et choisies, tels sont les éléments que M. Durieux
a mis en ligne et' qui ont décidé du résultat de la journée, sans
compter une interprétation irréprochable par des artistes do
mérite. C'est, en effet. M""*» Clara Lardinois, Blanche Joly et
Jane Saulier — qui forment un trTô ravissant, — -et puis
MM. Larbaudière, Guffroy, Devilliers, Druart et Castelain; et
nombre de petits rôles féminins et masculins, tous"tenus avec la
justesse et la discrétion qui convient pour que rien ne détonne
dans l'ensemble.
f
pIBjLIOQRAPHIE MU^ICAJ-E
La mort de Cléop&tre, scène dramatique pour soprano et
orôhestre, poème en prose rythmée et musique de Camille Benoit,
clrantëé aux Concerts Lamoureux par M"»» Fursch-Madier. —
Réduction pour piano et chant par Vincent J'Indy. — Paris,
Bruneau et C'«.
C'est le dernier épisode d'un grand poème dramatique conçu,
texte et musique, il -y a une dizaine d'années, que M. Camille
Benoit vient de nous faire entendre en l'un des derniers Concerts
Lamoureux. Simplement, sans vains artifices, ces quelques pages
se sont imposées à un public peu prévenu, par la seule vertu de
la haute sincériié qu'elles inspirent et par la noblesse d'aspira-
tions qu'elles font pressentir. Sans vouloir porter un jugement sur
une œuvre d'aussi longue haleine d'après le trop court fragment
exécuté, notons dans celte dernière scène de viriles qualités
d'expression dramatique, un sentiment supérieur de la grande
déclamation lyrique; louons enfin, sans réserve, une instrumenta-
tion très sûre, d'une sobriété peu commune et d'un tact infini.
D'autres compositions d'un sens plus rare et plus pénétrant, plus
personnel aussi, oni depuis appelé l'âltentiorTsûr M. Camille
Benoit; il était intéressant de voir le point de départ de cet
artiste, un des plus éclairés et des mieux nés de notre jeune
école, et nous ne saurions assez féliciter M. Lamoureux de
l'iniliâlive qu'il a prise ; rendons aussi hommage au talent puis-
sant de M"»* Fursch-Madier qui a su donner en plus d'un passage
des accords de vraie tragédienne.
Mémento des Expositions
»
Musée royal de peinture. — VU* exposition annuelle des Ji^X
(peinture, sculpture, gravure, dessin). De 10 à 5 heures. —
Entrée : 50 centimesT Aux auditions musicales et conférences ;
2 francs. Cartes permanentes : 10 francs. .,
Paris. — IX* exposition des femmes peintres et sculpteurs.
23 février-14 mal-s 1890. RenseignemeiUs et demandes d'adhésion:
M™« Léon Berlaux, avenue de Villiers 147 (par lettre ou en per-
sonne les vendredis de 3 à 6 heures) ^ *
Madrid. — l'« Exposition (internationale). Mai 1890. —Envois:
1«M0 avril. - _^
f-
1
■•^7,
Lyon. — Salon de 1890. — Ouverture le 28 février 1890. —
Envoi à Lyon, Pavillon dos Arle, pince Relleccur, du 5 au
9 février. Rcnseignemenis : Jacques Berger, secrétaire.
Périgueux. — 31 mai-30.juin. Délais d'envoi : Noliros, l^mai.
OEuvres, 10 mai. — Renseignements ■■ M. Pertuletti, secrétaire
(le la Société des Beaux- Arts, Périgueux. - ■
Petite chroj^ique
Un journal français de haul bord commence ainsi un articulet :
jiJLier, a eu lieu l'exposition de l'atelier Jules Dupré, à la galerie
jçorges Petit, 8, rue de Sèze. » *
Suit une énuméralion. Celle des œuvres de feu le grand paysa-""
gisle, l'indication des plus belles, l'expression des émotions
qu'elles donnent. ^\\ que non. De telles expositions ne sont pas
pour ce qu'on y voit, mais pour ceux qui y vont voir.
« Remarqué parmi la foule : le prince de Joinville, Jules
Clarctie, Victorien Sardou, Alexandre Dumas, baronne Natlianiel
et baronne Gustave de Roibscliild, baron Edmond de Rolbschild,
Donnât, Béraud, Philippe Burty, Coquolin, baron et baronne de
Vaufreland, comte et comicssede Rancy, Schauss(de New-York),
Millerand, Chauchard, etc. » , ..
Pourquoi les journalistes encensent-ils tels artistes et en érein-
tenl-ils d'autres? Pour des raisons variées. Cette réflexion nous
vient à la lecture do celle anecdote du Guide de l'Amateur :
« On connaît le, mot de Courbet à qui un de ses amis annon-
çait un soir, au café de Madrid, que Casiagnary venait de lui
consacrer un article important dans le Courrier franchis :
— Ça lui fera bwjgrement du bien!
Et de fait ce gros lèurdaud de Courbet fut bon prophète, puis-
que Casiagnary devint successivement conseiller d'Etat, puis
directeur des Beaux-Arts, sans qu'avec la meilleure volonté du
monde, on pqisSe attribuer ces faveurs à son mérite personnel,
qui n'excédait certainement pas celui du commun des mortels. »
Du même Guide de l'Amateur, cité pour le mot de la fin sur
le suave Bougucreau. Oh ! le vilain nom pour un peintre si suave,
quoiqu'il vicnn'" bien après le bougrement de Courbet :
« Une scission s'est opérée dans la société dos Arlistes fran-
çais. Les uns se sont enrôlés sous la bannière de M. Bouguereau
et les autres ont suivi le drapeau de M. Meissonier. Résultat : deux
Salons au lieu d'un. Il ne faut pas être grand clerc pour affirmer
que, très probablement, nous ne nous en porterons pas plus mal,
si la peinture elle-même ne s'en porte pas mieux, mais peut-être
y gagnerons-nous d'apprendre de quel côlé se rangeront les véri-
tables artistes, ceuj qui font passer les questions d'art avant les
questions de gros sous et de médailles en chocolat.
« Et je serais bien surpris que ces artistes-là suivissent
,M. Bouguereau qu'on a si justenienl ai>pc\(k\G Raphaël de l'expor-
tation ! »
Il est, du reste, assez bizarre et contradictoire ce Guide de
l'Amateur, sous la direction de M. Henri Garnicr s'il daube
Bouguereau, il daube aussi Manet et Monef.
A propos de M. Antonin Proust, il écrit force des mélodieuseiés
comme celle-ci :
« Le fait *î'avoir réservé la place d'honneur, à l'Exposiiion
cenlennale, aux oeuvres de Manel,el d'avoir toléré que les fantai-
sies chromatiques de M. Claude Monel y fussent admises, ne
dénotent pas, do la part de M. Antonin Proust, un goût très pur,
ni même un tact très subtil, mais il prouve, de la part (le son
autour, une certaine persistance îi attirer l'attention sur soi, fût-.
ce en tirant dos coups de pistolet par les fenêtres, qui n'est pas
faite pour lui concilier les sympathies des gens sérieux et dés
collectionneurs éclairés. »
Une séance musicale de haute attraction est- organisé pour
mardi prochain, 4 février, à 2 heures précises par le quatuor
Ysaye (.MM. Eugène Ysaye, Crickboom, Van Houl.et J. Jacob),
avec le concours de M"« Dyna, "Beumer, de M.M. Anthony et
yîncenl d'Indy.
Le programmé est composé d'oeuvres françaises modernes,
parmi lesquelles le 2* trio (ré mineur) pour piano, violon et vio-
loncelle de A. de Caslillon, la Suite Basque pour flûte et quatuor
à cordes de Ch. Bordes, \e Lied i)0ur violoncelle et \csTableaux
de Voyage i>oar piano de Vincent d'Indy, l'Air de l'Archange de
Rédemption et un© mélodie : Les cloches du soir, de César
Franck, la Fée aux chansons ih G. Fauré eic, toutes œuvres
exécutées pour la première fois à Bruxelles. i -.-'
Le prix d'entrée est fixé à 2 francs. '. ' >
Les œuvres ci-après ont éié acquises au salon des XX : '
J. Ensor, Jardin en plein soleil; W. Finch, le Chenal de Nieu-
port; F. Khnopff, étude pour « Une Sphinge »; Id., avec Gré-
goire le Roy; X. Mellory, la Vie des choses, n" 2 ; Id., /« Vie des
choses, n°6: I«l., la Vie des choses, n" 7; P. Siç^nac,- Cassis
(Bouches-du-Rhône),- iOp. 196; IL de Toulouse-Lautrec, Etude.
no 5; G. VanStrydOnok, J/rtrme. ' , .
Au Cercle ïirtistique, parmi d'autres exposants, M. CrabeoJs
marque. Il appartient à l'école des peiriires de ions délicats ei
fins, qui cherchent en des harmoniçs à fond gris l'enchanlemeni
de la couleur.
M. Crabeels, par plusieurs de ses toiles, apparaît 'un artiste
oonsciencieux, travailleur et de mérite net.
M. le chevalier G. Hynderick a donné le 24 janvier, dans les
salonTdu Cercle d'Escrime de Bruxelles, une fort intéressante-
conférence sur Mahomet et les Arabes. Par sa façon charmante ot
spirituelle de dire, il a captivé complètement l'auditoire, qui a
fort applaudi cette savante causerie.
M. Fierlants, président du cercle, qui faisait les honneurs de la
réunion, s'est montré une fois de plus, en organisant cettiî soirée,
l'homme de goût que nous connaissons.
La Société d'archéologie de Bruxelles a fait, le 23 janvier der-
nier, une visite au Musée instrumental ancien du Conservatoire
royal de musique, sous la direction de M. Victor Mahillon.
Une surprise était ménagée aux visiteurs : une toute jeuno.
élève (lu Conservatoire, M"« Marie Ghalio, a joué avec talent du
clavecin et de l'orgue de régale.
La visite a duré près de trois heures, laissant dans le souvenir
de chacun une impression des plus agréables.
La Société des Artistes indépendants a reçu l'avis otlioiel que
le pavillon de la ville de Paris aux Champs-Elysées lui est accorde
aans son en!ier,<!u 19 mars au 30 avril, pour faire son exposition
de 1890.
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Les dessins originaux sont actuellement exposés au Salon des XX.
Bi>eitkopf et Hartel, éditeurs,,Leipzig-Bruxelles
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depuis les premiers éléments de l'harmonie jusqu'à
la composition i*aîsonnée du quatuor et des principales
formes de la musique pour piano par J.-G. Lobe.
Traduit de l'allemand (d'après la b^ édition) par
Gustave Sandre.
VIII et 379 p. gr. in-8". Prix : broché, 10 fr.; relié, 12 fr.
Ce livre, dans lequel l'auteur a cherché à remplacer l'étude pure-
ment théorique et abstraite de l'harmonie par des exercices pratiques
de composition libre, fut accueilli, dès son apparition, par une
faveur marquée. La présente traduction mettra le public français a
même d'apprécier un des rares ouvrages d'enseignement musical les
plus estimés en Allemagne. •
J
Bruxelles. — Iiiip. V* MonNoh^ 20, rue de l'Industiie.
■■4
'%
Dixième année. — N" C.
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 9 Février 1890.
MODERNE
•^
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE GRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Comité de rédaëtion : Octave MÀUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
\ ■ - ■ *
\ . .....
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fi-. 13.00. —ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser toutes les communications à
l'administration générale de TArt Moderne, rue de Tlndustrle, 26, Bruxelles.
Sommaire
Salammbô. — La mise ex I'aue. — Le Théâtre de la Bourse. —
Manet au LouvRi;. — Aux A'A'. — Concert Heu.schling. — La
Policière. — Petite chronique. X
, Salammbô.
Il paraît que Salammbô), vous savez, Salammbô, ce
roman de Gustave Flaubert, paru il y a quelque trente
ans, et que des gens traités de détraqués admiraient,
osaient même qualifier chef-d'œuvre, il paraît que
Salammbô est, en eflët, un assez beau livre. Les criti-
ques influents commencent à s'en apercevoir, ont attiré
là-dessus l'attention du Bel- Air, et le Bel-Air commence
à se douter de quelque chose. Tout comme le sire de
Roc-à-Pic, dans la G^^nde-Duchesse de Gérolstein,
dont le général Boum visitait la dame la nuit, tous
les samedis depuis dix ans, commençait à se douter de
quelque chose.
Pourquoi ce dérangement de l'aiguille dans la bous-
sole des préjugés bourgeois? Le dictionnaire de l'im-
mortel Larousse qui résume si bien les opinions chères
au commun des hommes (au commun, oh! oui), ne con-
tient-il plu&ce superbe jugement sur l'œuvre maîtresse
du méprisant solitaire de Croisset : " Cette résurrection
de Cai'thage et de sa civilisation, sur laquelle on a si
peu de données, a quelque chose d'étrange et de mon-,
strueux ; en suivant à travers toutes sortes d'horreurs,
celui qui s'en est fait l'historien, on est moins ému que
fasciné ; mais ce qu'on ne peut lui refuser, c'est le don
dépeindre;.... un reproche, mieux fondé peut-être que
l'on peut faire à l'auteur de Salammbô, c'est de donner
à tous ses tableaux, dans cette œuvre si oriainale, une
importance égale ; la perspective fait défaut; toutes les
scènes et tous les personnages, à l'exception de deux ou
trois, sont au même point et pour ainsi dire sur le même
plan ».
Est-ce que ces belles choses! dites en si beau fran-
çais! ne comptent plus? Les particuliers et les particu-
lières du monde élégant qui sortaient d'un chapitre de
Salammbô en pouffant de rire, comme s'ils sortaient du
Salon des-XX, ont-ils la berlue ? Eux qui se sont moqués
de Courbet' et de Millet, comme ils se moquent présen-
tement de Manet et de Monet, ont-ils des raisons graves
de donner ce nouvel exemple de leur incurable et sotte
étourderie? Ne serait-il pas, pour eux, plus convenant
et, pour les admirateurs isolés des grands hommes, plus
confortable, qu'ils continuassent leurs bavardages déri-
soires, frappant, de leurs becs de perruches, les belles
choses dans la volière de \eur hicheli/f'erie? Il est bien
inutile vraiment que leur soudain engouement trouble
CV
•t ''<^ r
dans Téternel sommeil, le grand écrivain qui a formulé
son dédain pour eux en cette maxime : - Etre sifflé n'est
rien. Etre applaudi est bien amer ». Et qui, jugeant un
livre que la même basse-cour de pintades et d'oisons
mettait en pièces, écrivait : « Si j'avais eu quelque
doute sur la valeur de l'œuvre et de l'homme, je île les
aurais plus. Cette consécration lui manquait : être renié
de sa famille et de son pays! » Et ajoutait : « C'est très
sérieusement que je parle. Il y a des outrages qui vous
vengent dé tous les triomphes, des sifflets qui sont plus
doux pour l'orgueil que les bravos. Le voilà classé
grand homme, ce conspué, d'après toutes les règles de
l'histoire! "
Bref, ça y est. Le Bel-Air s'assied impudiquement
sur ses appréciations d'antan. Il a suffi pour cela qu'à
l'instar d'Ambroise Thomas décrochant Ilamlet pour
l'opéra, M. Reyejt^se soit avisé de mettre Salammbô en
musique, et"que, durant cet hiver, si emmorosé prar l'in-
iiuenza, la représentation de cette adaptation appa-
raisse la seule distraction mondaine persistant au
milieu de la débâcle des bals de cour et des sauteries de
la financôrSur cette matière, le reportage fonctionne à
toute vapeur, les five o'clock tea, grogs, sherry, etc.,
bourdon^ient comme une filaturç, les feuilletonistes,
les reporters et les conférenciers grincent de la plume,
garulentdu gosier infatîgablement, l'essaim des cabotins
de tous genres zigzague, salammbôlisant sans avoir
conscience de sa clownesque palinodie.
Ainsi donc, l'épopée carthaginoise bénéficie de l'or-
chestration qu'on a daigné lui accorder. Ses quinze
chants, mutilés en sept tableaux, vont lui donner tardi-
vement la renommée. Préférable était poui* elle la
gloire que lui dispensait l'élite, flamme ardente brûlant
presque ignorée, au fond du sanctuaire. C'est M. Reyer
qui introduit Salammbô dans le monde. Grâce à
M""* Rose Caron, elle sera reçue. Grâce aussi à un
habillage et à un maquillage à la mode des salons.
Tu nous quittes, grande figure! nous les hôtes des
retraites laborieuses et rêveuses, nous les amants des
beautés dédaignées, qui passions à t'adorer les heures
nocturnes solitaires. Tu te banalises! et ce ne serait
rien si cette admiration du vulgaire ne donnait pas le
soupçon que peut-être tu ne méritais pas nos hommages.
Mais nous pressentons que cela ne durera pas,, que
c'est un coup de mode, et que ta corrosive saveur, ton
âpre parfum, ta grandeur brutale et mystique, fatigue-
ront bientôt ces cervelles qui ne supportent pas les
aliments héroïques.
Pour l'instant donc, on en jacasse. On jacasse sur le
festin dans 1^ jardins d'Hamilear, à Mègara, faubourg
de Carthage; sur la marche des mercenaires, vers
Sicca, par le chemin des lions crucifiés, vers Sicca, la
ville sacrée, à l'entrée du désert; sur Salammbô invo-
quant du haut de la terrasse de son palais, Tanit, la
déesse lunaire : •« Que tu tournes légèrement, soutenue
par l'éther impalpable! Quand tu parais, il s'étend une
quiétude sur la terre! » Puis c'est le retour des barba-
res, revenus de Sicca à "Carthage, en trois jours, pour
tout exterminer, et campant sous les murs. C'est l'expé-
dition nocturne de Mâtho, leur chef, et de son ami
Spendius, pénétrant dans la ville, par les égouts, dans le
temple de Tanit et dérobant le grand zaïmph, le voile
de la déesse. C'est Hannon, leivainqueur d'Hécatom-
pyle, désigné pour combattre l'armée des mercenaires,
Hannon le suffète dévot, rusé, impitoyable. C'est Hamil-
car-Barca, le sufi'ète de la mer, le père de Salammbô et
d'Hannibal, revenant sur sa trirème ayant à la proue
un cheval sculpté, pour remplacer Hannon dans là con-
duite de la guerre. Il commande à la bataille de Macar,
lançant sur l'ennemi ses soixante-douze éléphants à la
trompe barbouillée de minium, pareilles à des serpents
rouges, les défenses allongées par des lames de fer
courbes comme des sabres; et, victorieux, se dérobant
"et s'enfonçant dans le Sud pour une campagne qui se
termine par sa défaite. Sur tout cela, on jacasse,
jacasse, jacasse, comme si c'était la familière pâture
d^assidus aux five o'clock tea, grogs, sherry, etc.
0n jacasse, et encore, et toujours,-car enfin ils ont lu
le livre, et c'est à qui paraîtra le mieux le connaître.
Carthage apprend le désastre. C'est le vol du zaïmph
qui cause ces malheurs. Salammbô consulte son serpent
sacré. Elle part, la nuit, pour le camp des barbares
revenus assiéger Carthage, pénètre sous la tente de
Mâtho, se livre à lui et remporte le voile prix de
sa prostitution patriotique, nouvelle Judith qui regret-
terait de couper la tète d'Holopherne. Pais c'est le
siège de Carthage qui débute par la rupture de l'aqueduc
qui amenait les eaux à la métropole punique : les bar-
bares dansant en délire autour de la grande chute
d'eau, une cataracte, un fleuve entier tombant du. ciel
dans la plaine, et dans l'extravagance de leur joie,
venant s'y mouiller la tête. Et pour conjurer la prise
prochaine, une grande brûlerie d'enfants dans le ventre
rouge du Moloch sémitique, dont Hannibal, le frère de
Salammbô, alors tout petit, n'échappe que parce qu'on
lui substitue un jeune esclave.
De tout cela, ils parlent ces hicheliffeurs, comme de
choses qui désormais leur sont familières. Et les repor-
ters, et les feuilletoiti§tes, et les critiques influents, et
l'essaim des cabotins de tout poil, leur donnent la
réplique. Ils ont lu, ils ont lu enfin, ceiie Salammbô qui
date de 1862, presque six lustres ! et les voilà emballés
parce qu'on a plaqué de la musique sur le chef-d'œuvre,
et que les bals de couret les sauteries financières ratant,
on a promulgué que cé''^wait l'événement mondain de
ce triste hiver emmorosé par l'influenza. C'est de
Narr'Havas maintenant qu'ils s'entretiennent, le roi
numide venu au secours de Carthage et à qui on a pro-
"^
N
T
L ART MODERNE
^
■ /
mis Salammbô en récompense. Les mercenaires lassés
lèvent le siège. Ils s'en vont, on ne sait où. Enfin, un
soir entre la Montagne-d' Argent et la Montagne-de-
Plomb, se laissent bloquer dans le Défilé de la Hache,
où tous meurent de faim. Et Mâtho est pris, dans un
large filet à capturer les bêtes farouches : on l'attache
sur un éléphant, les,quatre membres, en; croix.
Oui, ils parlent de tout cet héroïsme, les /iec/ieZï^ewrs.
On dirait qu'ils comprennent. Ils ont devant ces pages la
componction qu'on leur a vue devant TA npe/M5 de Millet
le jour où on ne sait quels fous ou quels spéculateurs le
poussèrent à six cent mille francs. Ils vous confondent par
leur admiration débordante. On se- sent tiède et décou-
ragé devant leur enthousiasme subit. Qu'est-ce qui leur
prend? Les voici au dernier chant. Ils l'ont lu comme les
autres et leur érudition ne tarit pas. C'est le supplice et
la mort de Mâtho, auquel Salammbô préside et dont
elle meurt. Ils connaissent tous les détails, s'extasient
de toutes les péripéties. Ce qui les horripilait jadis, les
pâme. Ils s'exclament devant l'horrible grandeur du
dénouement quand un prêtre du Moloch cannibale, d'un
seul coup de couteau à dépecer les viandes sacrées, fend
la poitrine de'^Mâtho, en arrache le cœur, le pose sur
une cuiller et l'offre au Soleil !
Sainte-Beuve, un critique influent in illo tem^ore,
qui a rejoint dans les Champs-Elysées de la sottise
humaine les légionsiélues des médiocres, s'est aussi mêlé,
en son temps, de formuler un jugement sur Salammbô.
Comme, il n'était pas encore venu à un musicien l'idée
de mettre des airs sur le colossal poème, Sainte-Beuve
le trouva contestable et promena sur lui la charrue de
sa critique. Il appela Salammbô une Héloïse sentimen-
tale! Il déclara que les Martyrs de M. de Chateau-
briand étaient bien préférables! Il poi>a cette question
vertigineuse : Mais pourquoi donc les Carthaginois
ont-ils massacré les barbares? et assura que ce n'était
pas logique. Il s'attacha à démontrer que Flaubert
avait eu tort d'alléguer que le lard de chienne était un
remède contre la lèpre. Il dit avec mépris que la cham-
bre de Salamns^bè était tpie chinoiserie. Il blâma le
goût «d'opéra, de pompe et d'emphase " qui, d'après
lui, déparaît l'œuvre. Comme Flaubej-t avait dénombré
l'armée d'Hamilcar à onze mille trois cent quatre-vingt-
seize hommes, il l'interpella en ces termes : Qui vous
l'a dit? Il finit par l'accuser d'obscénité qX d'imagina-
tion sadique!
Le puissant_et sarcastique Flaubert, aujourd'hui
dominant tel qu'u^ dieu littéraire, n'en voulut point à
ce pauvre Sainte-Bfeuve, doift la bêtise seule fut puis-
sante, et dont la renommée déteint si lamentablement.
Il lui dit, très doucement : Ne vous fùchez donc pas,
mon brave homme. Et ne craignez rien : mon exemple
ne sera pas suivi. Dans ce doux pays le superficiel est
uAe qualité, le banal, le facile et 'le niais sont toujours
applaudis, adoptés, adorés. On ne risque de corrompre
personne quand on aspire à la grandeur.
Et probablement qu'à parf lui, songeant à ce monde
de mondains pour lequel I9 courtisan écrivait, il songea
alors, ce brufàl génie, comme il le dit dans sa correspon-
dance : En voit=^n là des balles ! C'est la haufe société!
Quelles têtes que celles de mes compatriotes!
Vous verrous cela lundi soir.
LA MISE EN PAGE ~
^ Depuis que les nouvelles el tléconcerlantespour plusieurs ten-
dances en ai't se sont manifostdes par des expositions de plus en.
plus liardios à chaque Février, depuis sept ans, on s'est acharné
soit à expliquer el à admettre, soit îi démolir maint procédé el
mainte technîque, sans toutefois s'arrêter à suivre la radicale
transformation réalisée aussi dans la conception el la présen-
tation des^>ijieis et des œuvres. On s'est bataillé autour des modes
d'expression Vîolorée Ql l'on a trop négligé d'examiner la compo-
sition elle-mome.
Le mol « composition », je le sais, esl un mot rance. 11 était de
mode, aux temps préhistoriques, à l'heure des Ijigres el des David.
Chaque école s'y attaqua pour la supprimer et ne parvint qu'à la
transformer. Il en esl ainsi pour chaque règle. Les nouveaux
venus la nient, l'ébrèchent, la suppriment en théorie. L'évolution
faite, on la surprend changée, mais jamais complètement abolie.
Les néo-impressionnistes ne font acluellement aucun état de la
facture. Pour eux, elle n'existe guère. Et pourtant, certes, n'est-
elle détruite, puisque dans la façon même de diviser pigmenlai-
remenl elle se retrouve. -
Notre mot « mise en page » est donc très voisin de l'ancienne
loi : la composition. Seulement, il exprime mieux l'idée même
qu'il définit, puisqu'il n'est guère «ynonyme d' « arrangement ».
-J.a composition en son sens académique est surtout décorative,
la mise en page nouvelle se lie si noueusement à la pensée el à
la logique, qu'on la pourrait qualifier d'idéale.
A voir comment les différentes écoles du passé l'ont entendue,
on est tenté d'assigner aux gothiques la plus succincte compréhen-
sion du but à atteindre. Certains Giolto, et surtout quelques
œuvres des vieilles écoles de Sienne, en '.émoignent pjr de
superbes exemples. Crucifixions, Ensevelisseme)its, Résurrec-
tions, Légendes de la vie de la" Vierge ou de Noé, quels tableaux
de Simone Memmi, de Tadeo Gaddi, de Giotiino, de Gozzoli et
d'Orcagna ne point presque exclusivement admettre? Par leur
naïveté même, ils se sont sauvés de l'erreur fondamentale des
peintres de la Renaissance, qui eux, se sont mis immédiatement
à codifier, à ensymélriser, à traduire en formules et î» vinculor la
spontanéité et la liberté en art. Tout sujet devait, dorénavant,
entrer dans le moule raphaëlesque ou dans la camisole de force,
des Bolonais. On ajoutait ou l'on retranchait des personnages,
suivant que la décoration et l'ordonnance l'exigeaionl. Ou n.^
donna plus rien à l'idée et tout fut sacrifié à la forme el au plaisir?
de l'œil, charrié par un ensemble de figures se faisant pondant
comme des tableaux en un salon. Les Flamands et les Hollandais
ruèrenl certes à travers ces latines préoccupations, mais n'y substi-
tuèrent que d'amusantes tendances de faire soudain, vif et
joyeux. Les Teniers, les Steen, les Ostade éveillent gaieniont
■^
•■^
y
' l'allcnlion vors leurs bonshommes, l(îtc penchée à travers des
lucarne* el leurs chiens mouillant un pas de porte. C'est font.
î.a riHoluiion la plus nette amenée dans les œuvres contcmpo-
rain(*s de ces quelques derniers vingt ans fut le fait des Japonais.
Etudiés el compris, d'abord parties artistes d'avanl-posle, ensuite
• par les écouteurs d'où \ient !e"veni, puis enfin parles ni chair
ni poisson qui s'indécisent b manger lanlôl un cuissot de chèvre,
tantôt une feuille de chou, l'élrangeté de l'art extréme-oricnlal
s'infiltrlSjtisque parmi les élèves de l'Académie des beaux-arts.
L'annuel Salon de Paris qui, pour causé, s'ouvre au Palais do
l'Iudiistrie, prouve presque de tableau à tableau, l'indéniabl^
influence.
A première expérience ce fut une bousculade des idées les plus
reçues. Des paysages pris de haut, des vues do ville pointes du
premier étage, effarouchèrent. On déclara les lois de la perspec-
tive abolies, alors qu'elles n'étaient qu'appliquées différemment..
Certains osèrent couper des personnages par la ligne terminale des
cadres, d'autres recherchèrent une bizarre disymétrie, quelques-
uns, plus audacieux, établirent des ombres sur le sol, alors que
les arbres pu les maisons qui les produisent, n'étaient pas dessi-
nés sur la toile.
Les paysages d'Iliro-Scliigé, les estampes du vieux Toyo-Kun
et du décoratif Kmii-Sada inspirèrent des admirations hautes et les
ateliers se fleurirent de crépons et d'éventails. Plus encore atti-
rèrent les kakémonos si prestement et si fugitivement parfaits, si
miraculeusement artistiques. Le dessin à la plume de Hoku-Saï
~ fut acclimaté en France par les quasi imitations de Manet et de
. Braq.uçmond. On étudia sa facture, son dessin électrique, son
trait. On le hissa au rang des grands maîtres cl J. N. Whistler
le mit à côté de Phidias... et de Velasquez. Toute une école de
décoration originale gravita autour du nouveau soleil, fig\iré soit
par un plat de Tokio, soit par une soucoupe en Satzuma. Même
les couleurs audacieuses et pleines, les rouges crus et les violets
nets apprivoisèrent l'œil sali de bitumes et de terres de Sienne
à voir éclatant et clairet l'on rechercha dans la franche lumière
vraie l'impression reçue *par la simple contemplation d'une œuvre
japonaise. On l'y vérifia.
Cette d'aplomb et tranchante influence eut le décisif résultai
de couper les vieilleS*formules,mais n'était et ne pouvait être qu'un
accident. Notre art, certes plus profond que l'art presque tou-
jours extérieur des Orientaux, s'en dégage de jour en jour. Il n'y
a puisé qu'une audace et puis encore l'éveil vers une formule —
la sienne — définitive, de mise en page. La bizarrerie el l'élran-
geté de la présentation d'un sujet par un kakémono ou un crépon
lui ont fait sacrifier tout l'inessenlicl au but. Il a appris à conden-
ser davantage en éliminant : tout accessoire ou toute partie
d'accessoire trop parlant est négligé. Dans le tableau de M. Fer-
nand Khnopff : « En écoutant du Schumann », l'attention est con-
centrée sur la personne qui écoute — et pour figurer qu'elle
écoute de la musique, une simple main frôlant un bout de piano,
à peine visible, dans un coin du cadre, voilà.
On aboutit parfois 5 des drôleries el les journaux humoristiques
les soulignent. Deux jambes, toutes deux coupées par l'encadre-
ment, l'une, la semelle en l'air, l'autre la pointe du pied à peine
appuyée au sol, ne figurent une course que carie jturalemeni.
Mais de quelle innovation, dhes, n'est-il pas aisé de rire^
Le principe de la mise en page devrait être, non pas la Symé-
trie, comme l'entendirent les Italiens, non pas la pondération <los
-mouvements el des gestes, comme l'exprima Poussin, non pas le
pittoresque, comme le recherchèrent les peintres hollandais et
ftamands, mais bien l'expression, peu importe comment — pourvu
qu'elle soit logique, ou mieux encore nécessaire et fatale — de
l'idée et du fond de l'œuvre. La composition ainsi admise est si
inhérente à la pensée •elle-même, qu'elle devrait être une étude
maîtresse el que la grandeur et la largeur et la dimension d'une
toile un problème primordîâl à résoudre. L'arfiste doit voir son
tableau fait avant de donner le premier coup de brosse, il doit
le voir net et invariable dans son cerveau, sinon il s'embarque à
l'aveuglette vers un tûtonnement, heureux peut-être, mais en tout
cas indigne de l'art réfléchi et voulu des modernes.
Aux soins à donnctL à la mise en page se doit joindre l'atten-
tion à préparer le cadre, qui n'est autre qu'une délimitation entre
la fiction et la réalité. Après avoir étudié la présentation de l'œu-
vre el la proportion h donner i chacun de ses éléments, un point
capital, c'est de n'en détruire l'effet et la mesure par la brutalité
des ors ou le fouillis dos ornemenlatlons, ou là couleur même du
bois d'cnguirlandemenl. Un cadre doit souligner et non rompre,
il doit être sympalhiquc au tableau, lui être uni mvstérieusement
et en prolongerMa signification mêm* Les encadreurs devraient
être de parfaits artistes. La bordure blanche, adoptée pres-
qu'invariablement par telle école prête à d'aussi grands incon-
vénients que la séculaire et inchangée bande noire it filet or. Pour
une question de goût, c'en est une.
Ceux des" modernes qui se sont le plus acharnés à la mise
logique en page sont : Degas, Monet, Seurat. L'élude de leurs
dessins et de leurs pointures apprend plus sur ce sujet que n'im-
porte quel même à fond traité — assurément plus que ces courtes
réflexiôns~liûtives. - « .
Le Théâtre de la Bourse
Puisque voilà le théâtre de la Bourse brûlé et bien brûlé, c'est-
à-dire sans mort d'homme, et que l'on parle déjà de -sa prochaine
reconstruclton, le moment nous semble venu de faire prendre
l'air à quelques observations de sincère critique notées dès le jour
de l'inauguration et provisoirement tues : tout étant à refaire, la
situation devient nette et nous pouvons parler franchement sans
que l'on soit tenté de découvrir dénigrement systématique et
abaiagc forcené dans ces lignes de raisonnante analyse.
Dans cette jolie salle où l'œil était amusé en plus d'un coin par
de curieux détails d'ornementation, figurines hiératiques ou ali-
calados délicatement ajourés, rien n'avait été prévu ou agencé
en vue de la circulation du publrc el d'une rapide évacuation en_^
^as de panique ou d'accident : tout, au contraire, semblait com-
biné pour accumuler les obstacles et provoquer de^collisionr,, et
terrible aurait été la catastrophe si un incendie s'était produit
pendant une représentation : la confluence des courants de spec-
tateurs venant du rez-de-chaussée et descendant le grand escalier
se serait résolue, dans le vestibule, en un écrasement impitoyable
auquel peu de personnes auraient pu 'échapper.
Il faut certes du talent pour trouver une décoration nouvelle de
foyer ou d'escalier, où s'accumulent les rutilences de rornemen-
tation, exaspérées par les azurs et les pourpres environnants ;
mais ce nous est une plus sérieuse preuve de maîtrise de voir
vaincues les difficultés inhérentes à des aménagements intérieurs
judicieusement raisonnes. Or, point n'est le cas ici. Un seul esca-
lier desservant le balcon, le promenoir et les galeries du second
^_
élagc csl (l'une insuffisance tangible; de môme, les étroites, portes
que l'on a eu le ton de placer contre l'orcliestrc ne sont guère
calculées en proportion des iOO spectateurs des fauteuils qui y
doivent passer. C'est de l'Antiquité que devraient s'inspirer les
architectes pour résoudre de- pareils problèmes, et nuls mieux" que
les Grecs et les Romains n'ont réussi îi canaliser le rapide écoule-
ment des foules dans les anrtpliilhéiitrcs et les théâtres au moyen
de nombreux Vomitoria. Aussi est-ce la multiplicité des issues
que la Ville de Bruxelles devrait imposer pour la reconstruction
du théâtre de la Bourse. Que l'on maintienne l'escalier actuel,
d'un joli effet décoratif au centre du foyer, soit, mais qu'on l'ar-
rête au premier étage; il est indispensable, comme corollaire,
que l'on crée deux cscalicrsr«péciaux, communiquant directenitnt
avec la voie publique, pour les spectateurs des secondes galeries,
et que pareille disposition soit adoptée, vers la scène, pour le
premier étage et le rez-de-chaussée ; en résumé, six escaliers sup-
plémentaires sont nécessaii'es pour assurer la sécurité du public.
Nous voudrions aussi voir porter h quatre le nombre des issues-
pour les fauteuils d'orchestre en adoptnni le dispositif du théâtre
de la Monnaie; où les portes du rez-de-chaussée, au. lieu d'être
contre la scène, s'ouvrent sur les couloirs vers le centre de la
salle. Ces améliorations cl ces modifications au plan primitif né-
cessiteront inévitablement l'annexion de quelcjucs maisons de la
rue Paul Devaux : le propriétaire du théâtre devra se résoudre à
ce sacrifice.
Nous signalons, en passant, h l'attention des intéressés, l'acous-
tique absolument défectueuse de l'ancienne salle, causée par la
coupole triplement lourde et peu élégante qui la surplombait ;
que l'on adopte sans hésiter le p/an des théûtres italiens^ où les
plafonds plats donnent d'excellents résultats, même à^irs des
salles énormes comme la Scala. de Milan et le San-Carlo de
Naples : c'est une réforme qui s'impose.
La question des balcons de sauvetage sera peut-éire agitée;
avant de prendre une décision à cet égard, nous engageons les
membres du Collège à prendre connaissance des études de haut
intérêt auxquelles se sont livrés, en France, ingénieurs et archi-
tectes depuis l'incendie de l'Opéra-Comique Tarlistes et techni-
ciens ont constaté, par expérience et après enquête, que les bal-
cons dos façades de théâtres poussent au suicide et les ont
formellement condamnés comme moyen de sauvetage en cas d'in-
cendie.
>
AUX A'J
Deuxième séance musicale
La deuxième séance musicale des XX a eu un retentissement
énorme et le succès qu'elle a obtenu a dépassé toute attente.
Nous avons pris à son organisation une part trop directe pour
qu'il nous soit possible d'en faire un compte rendu détaillé, qu'on
pourrait ne pas croire impartial. Bornons-nous à remercier les
excellonts interprètes qui nous ontjxrêté leur concours dévoué :
M. Vincent d'Indy, qui n'hésite jamais à faire le voyage de
Bruxelles et à nous donner le meilleur de son temps quand il
s'agit dé faire entendre les compositions des musiciens qu'il aime;
M. Eugène Ysaye, l'admirable musicien qui pénètre l'intensité dos
œuvres et leur donne un rdief saisissant; M. Joseph Jacob, un
violoncelliste qui, s'il couscniait à voyager à rélranger, serait
bientôt célèbre ; MJ'* Dyna Beumer, l'aimable chanteuse à la voix
de cristal, qui a consenti, avec une bonne volonté et une sou-
plesse de talent rares, h abandonner le répertoire de chansons î»
vocalises dans lequel elle excelle pour mettre en lumière les com-
positions sérieuses do- maîtres tels que César Franck et Gabriel
Fauré. Il y a dans ce fait tant d'abnégation, de goût et de véri-
table sentiment artistique qu'on ne saurait assez en louer la
cantatrice.
Dans une étude dont la séance de demain provoquera l'oppor-
tunité^ nous apprécierons l'ensemble des œuvres exécutées îi ces
deux concerts de musique pure et de tendances nettes.
Concert Heuschling
M. Henri Heuschling a donné jeudi so^ concert annuel, devant-
un auditoire nombreux et élégant. 11 a fai/ applaudir de médiocre
musique, mais si bien dite et si bien chantée que le public en a
paru ravi et, qu'Ji partir de la deuxième partie, les bis se sont
succédés, sans interruption, à cliac(uo numéro du prdgramme.
Massenct, Godard, Delibcs et .Meyer-Holmund, hélas! tenaient
dans celui-ci une large place. Il a été beaucoup question de roses,
de printemps, de rosée, de chérubins et autres chose^ charmantes
qui ont enthousiasmé les jeunes filles présente». L'air de Joseph
et un duo de Cimarosa apportaient dans ce débordement de cou-
leurs tendres un ton un peu plus grave.
C'est, dans ce duo et dans les Papillolles' de M. Benoit, de
Reber, que .M"^ Dyna Beumer servait de partenaire à M. Heusch-
ling. La très jolie voix, toujours irréprochablement juste et tou-
jours harmonieuse, do la cantatrice a fait, en ouljt, valoir à mer-
veille quelques mélodies et l'air de Lnkmé.
Enfin, M"'" Moriamé apportait au concert l'appoint de son
sérieux talent de pianiste, virtuose et musicienne, — deux termes
qu'il n'est pas fréquent de trouver 'réunis. Elle a joué avec beau-
coup de cha^rmo un nocturne et la ballade do Chopin et, pour
finir, une valse do .Mqszkowski.-
LA POLICIÈRE
On prend l'habitude, au théâtre des (Calories, do représenler
les noires histoires qui balafrent do crimes le rez-de-chaussée
du Petit-Journal. El tout un public suit avec avidité, les péripé-
li<'S des poursuites compli<iuéos auxquelles doimenl lieu les assas-
sinats, les vols, les viols, les chourinades nombreuses et variées
que l'imagination, fertile en horreurs de tous genres, de M. \. d(^
Montépin met au jour. 'Cela se corse généralement d'un u iruc '>
quelconque, comme celui de la maison où l'on assassine, vue do
"cTu haut en bas, coupée par le milieu. ""A Paris, le truc était plus
complet.: la maison l'enfonçait dans les dessous, le crime com- ■
mis, ot l'on assistait il la poursuite de l'assassin sur les toits. —
une variété du répertoire des Lauris's Lauri's. A Bruxelles, la toile
tombe au moment où la chasse commence, et c'est grand dom-
mage. ''
Au fait, tout cela est si loin d'un art quelconque ([u'il est super-
tlu d'insister. Et nous n'en avons parlé que pour signaler la bonne
interprétation que donnent à celte laborieuse n machine » les
comédiens ordinaires do M. Bahier, M'"* Berly, M.M. Valbret,
Robert, Garnier, Darmand, etc., sans oublier >l. Bahier lui-même,
toujours amusant dans les rôles comiques, où ii excelle.
&'-■
Manet au Louvre
Il csl beaucoup question, depuis quoique temps, de l'cnlfée
(l'Edouard. Manel au Louvre, el la nouvelle a fail quelque tapage.
Il y a toujours des esprits qu'étonne ce qui 'n'est que la logique
nécessaire, infaillible des événements. - '
Dans une lettre adressée à la République française, M. Anlonia
Proust annonce que le projet est prémaijUré, et confirme en ces
termes le démenti dans une conversation avec un rédacteur du
Figaro ; "^-^ ^
« On a tort, a dit M. Antoine Prousl, de me prêter une
démarche quelconque auprès de l'Éiat pour faire placer VOlpttpia
de Manct au Louvre. Je- n'ai point fait el je ne Jerai pas une sem-
blable démarche.
Je crois que l'heure n'est pas venue encore pour les tentatives
de ce genre. J'ajoute que, dans tous les cas, ce n'est pas l'Olym-
pia que je voudrais voir dans noire grand musée ; il y a beaucoup
d'autres toiles du môme maître qui le représenteraient plus com-
plètement et plus glorieusement. -
Ce qui s'est passé est tout autre, et je crois qu'aucun journal
ne Ta raconté.
Plusieurs collectionneurs m'ont demandé de m'associèr à eux
pour acheter V Olympia, qui appartient à M™» Mahet; ils ne
^'inquiétaient pas du sort du tableau, ils voulaient tout simple-
ment secourir la veuve du grand peintre. La situation de
M'"» Manet est, en effet, des plus tristes et des plus lamen-
tables.
Je me suis empressé de souscrire, et mes amis ont ainsi réuni
de divers côtés une somme de i7,000 francs, que Clagde Monet,
l'instigateur dévoué de cette souscription intime, va remettre
dans quelques jours à la veuve.
Voilà toute l'histoire d'O/ym/jia / «► .
El mainteant que deviendra le tableau? Je l'ignore, nous
l'ignorons tous, nous ne nous en préoccupons pas en ce moment.
Mais, ce qui est à peu près certain, c'est qu'il n'ira pas au
Louvre ; et ce qui est encore plus certain, c'est que je ne deman-
derai pas pour lui l'entrée du Louvre. '
L'honneur de Manet, comme je l'ai déjà dit, est d'avoir déter-
miné ses contemporains à regarder dans la rue où il fait plus clair
que dans l'atelier. 11 a rendu ainsi des services que reconnaissent
tous les artistes. '
Là est sa gloire. '^
il n'a jamais rien sollicité de l'Etal, et j'ai trop le respect de sa
mémoire pour associer son nom à une requête qu'il eût réprou-
vée. »
Actuellemenî, la souscription est close.
Vingt mille francs ont été réunis. Et de fait, fflalgré la lettre de
M. Proust, on parle plus que jamais de l'entrée d'Olympia au
Louvre. C'est évidemment dans l'intention de l'offrir à l'Étal que
les souscriptions ont été recueillies.
Il est curieux, à ce propos, de rappeler les appréciations
émises, lors de la première apparition de la toile, en 1865, par
la CRITIQUE, la sacro-sainte critique journalistique qui ne se
dément jamais lorsqu'il s'agit de juger une œuvre qui sort des
moules connus.
Voici quelques échantillons amusants à rappeler :
Devant cette Olympia faisandée, le public se presse comme à
la M)Orgue. , ,
Paul DE Saint-Victor.
La Presse du 28 mai 4865. '\ ■
Ce n'est pas-à M. Manet qu'on reprochera d'idéaliser ses vierges
folles quand il peint des vierges sales.
* , Jules Çlaretie.
* *
C'est la Vénus au chat noir.
Le mène.
Tous les hommes devraient se faire chartreux si les femmes
ressemblaient à Olympia. >.- J^egouvé.
* *
Dans les plus déplorables ouvrages de M. Manet, on découvre
des facultés qui manquent à plus d'un académicien. Ed. About.
Petit Journal, 27 juin 1885. ,
* *
-Les ombres s'indiquent par des raies de cirage plus ou moins
larges. Le chat laisse l'impression de ses pattes crottées sur le
lit. Il n'y a dans ce tableau que la volonté d'attirer le regard à
tout prix. - Th. Gautier.
Moniteur universel, 24 juin 1865.
Comme toujours aussi, et c'est la compensation nécessâire,1t'y
cul quelques clairs jugements portés sur Olympia. D'abord, celui
d'Emile Zola :
Cette toile est véritablement la chair et le sang du peintre. Le
destin a marqué sa place au Louvre.
Zola écrivit plus tard :
Les maîtres, à la vérité, se jugent autant à leur influence qu'à
leurs œuvres, et c'est surtout sur cette influence que j'insisterai .11
faudrait, écrire l'hisloii"! de noire école de peinture pendant ces
vingt dernières années pour montrer le rôle tout puissant que
Manet y a joué. Il a été l'urTSesTnsfigateurs les plus énergiques
de la peinture claire étudiée sur nature, prise dans le plein-jour du
milieu contemporain, qui peu à peu a tiré nos Salons de leur noire
cuisine an bitume el les a égayés d'un coup de vrai soleil. C'est
cette exquise Olympia qui, au Salon de 1865, avait achevé
d'exaspérer Paris contre l'artiste.
Puis, M. Théodore Duret, dont nous avons signalé l'excellent
volume intitulé Critique d'avant -garde ••
Pour qu'un artiste soit définitivement accepté comme peintre
parmi les connaisseurs, il faut que ses toiles, placées à côté de
celles des grands parmi ses devanciers, aient pu soutenir la com-
paraison. 11 faut qu'en somme, elles tiemienT'à côté de celles des
maîtres. Or, les tableaux de Manet tiennent à côté de ceux de
n'importe quel peintre. Aucune peinture n'est d'une facture plus
ferme et de tons plus justes que la sienne, aucune peinture n'est
plus lumineuse, plus transparente, ne possède plus d'air, plus de
profondeur dans les fonds, n'accuse plus de vie dans les yeux el
sur la physionomie. Mettez un Manet au milieu des Delacroix, des
Corot, des Courbet et vous l'y laisserez comme à sa place natu-
relle entre ses congénères. Dans tous les musées où l'on voudra
posséder des spécimens de tous les maîtres français, et représenter
l'écolç moderne dans son entier développement, Manet doit avoir
sa place, car il a été autant que qui que ce soit original el pcr-
C^
■■*?'
X
sonncl, et il a ^pnné, avec un éclat qui ne^^sera jamais dépassé,
une note spéciale de la peinture, celle des tons clairs du plein air ;
de la pleine lumière. -
Petite CHRO^iiquE
La troisième matinée musicale des XX aura lieu demain,
lundi, 10 février, à 2 heures précises.
Elle osi organisée par le quatuor Ysaye (MMv Eugène Ysaye,
Crickboom, Van Houi et J. Jacob), avec le concoor-s de M"«Alexa.n-
dra David, de M"'^ Moriamé-Lcfcbvre et de M. Anthony, professeur
au Conservatoire.
Les chœurs, composés de quarante jeunes filles, élèves des
classes d'ensemble vocal du Conservatoire, seront dirigés pur
M. Vincent d'Indy et accompagnés par M. A. Slcvens.
Au programme, composé d'oeuvres françaises modernes, sont
inscrits : le Quatuor pour pianaet inslrunicnls à cordes et la Sym-
phonie sur un chant montagnard français de Vincent d'Indy; un
chœur extrait de Rédemption, par César Franck; une scène
A' Hélène, pour voix de femmes, avec accompagnement de qua-
tuor à cordes, piano et harpe, par Ernest Chausson; des frag-
ments de la Stiite b(\mie pour flûte et quaiuo~r à cortles, par
Charles Bordes; V Hymne à Véniis de Pierre de Dréville, des
mélodies de Gabriel Fauré et d'Albéric Magnard, etc., toutes
œuvres exécutées pour la première fois à Bruxelles.
En raiso.n de l'aflluence du public aux deux premières séances,
le concert du "10* lévrier sera donné dans la grande salle de
l'Exposition de peinture. • _
Le prix d'entrée reste fixé à 2 francs.
A enjuger par les répétitions, cetjé séance ne le\:èdera en rien,
comme intérêt artistique et comme exécution, aux séances précé-
dentes.-
Les négociations engagées entre la direction du Théâtre
moderne et celle, des différents théâtres de 'Bruxelles viennent
d'aboutir.
La scène des Galeries a été adoptée pour l'interprétation des
pièces du nouveau théâtre.
Les représehiations auront lieu les mercredis et les samedis de
chaque semaine, les autres jours étant réservés pour des tournées
en province. Le Théâtre moderne, spécialement institué pour
mettre en lumière les œuvres de jeunes, aura une troupe spé-
ciale, composée d'artistes des différentes scènes de Bruxelles et
des meilleurs inierprèles des principales sociétés d'amateurs.
C'est un artiste du théâtre de la Bourse qui, a été chargé des
fonctions de régisseur.
Les manuscrits d'œuvres inédiles sont reçus provisoirement
40, Galerie du Commerce.-
■ , ■ ^
L'Académie royale de Belgique ayant mis à l'étude les « Causes
de la décadence de la Gravure en Belgique et les moyens d'amé-
liorer &a situation actuelle », la Société des Aquafortistes belges,
qui attribue aux procédés de reproduction mécanique le peu do^
recherche des œuvçcs gravées, propose, pour le relèvement de
cet art, les moyens suivants : 4» L'établissement dans la capitale
d'un atelier officiel et complet d'impression et de travail pour la
gravure; 2"^ Un encouragement sérieux au développement des
Sociétés de graveurs teUes que celle des Aquafortistes; 3» Des
primes à instituer pour la gravure d'œuvres déterminées ;
4" L'annexion au Musée royal d'une salle de gravures.
M. Jules Bordier vient de faire exécuter, à la Société des
concerts de Reims, sa scène lyrique : Un Rêve d'Ossian, qu'il
avait déjà fait applaudir, à Paris, il y a quelques années.
La mémo œuvre sera montée, dans le courant de février, au
Havre et à Rouen.
oVnous écrit dé Lisbonne : .. i
Le gouvernement portugais va construire un nouvel hôtel des
postes, télégraphes et phares, à Lisbonne, et devra choisir pro-
chainement entre les projets envoyés au concours, celui (jui sera
exécuté. ""^ .
Le jugement ne sera guère difficile, car un des projets répond
si bien à tous les desiderata du programme qu'il n'est guère pro-
bable qu'on lui en préfère un autre. L'auteur de ce projet, portant
'pour devise un croissant, a compris son œuvre dans une note à
la fois pratique et bien'moderne; au lieu de composer une façade
monumentale do palais, avec colonnades et groupes de sculpture,
comme à Bruxelles, et de chercher ensuite à iuslaller péniblement
des bureaux d'employés derrière de massifs trumeaux, il a com-
mencé par composer son plan en disposant les divers &e<^ices de "
la manière la plus claire et la plus commode possible. Pour le
public, galerie en façade donnant accès, par un grand nombre do
portes, à une saHc de 78 x iO mètres; les employés se trouvent
derrière un comptoir de 100 mètres de périmètre. Une salle
immense de 78 x 47 mètres, parcourue en tous sens par des
wagonnets, doit servir à 660 fadeurs pour la manipulation dé la
correspondance; 240 télégraphistes trouvent place dans une salle
de 47 X 24 mètres. Outre ces éléments principaux, il va sans
dire qu'il existe une foule de locaux accessoires pour les \élé-
graphos, les téléphones, les phares, ainsi que des écuries pour
64 chevaux et des remises pour 16 voitures. Le terrain nécessaire
à la construction est de 160 X 100 mètres.
Les façades sont simples, d'une architecture bien raisonnée,
exempte de détails parasites; aux angles, quatre pavillons avd;
terminaisons en forme de phares trapus où viendront converger
les fils télégraphiques et téléphoniques.
Eu résumé : un monument étudié à fond, ayant du caractère,
ne pastichant aucun autre, et qui indiquera bien, pour les géné-
rations futures, l'époque îi laquelle il aura été construit.
Le premie'r concours musical international fondé par Rubin-
stein aura lieu à Saint-Pétersbourg le 1.^ (27) août 1890.
Deux prix, chacun de cinq mille francs, seront décernés- — un
prix à un compositeur, un autre à un pianiste. Les deux prix
4)Ourront être adjugés à une seule personne,
(-te programme 4n concours est : ,
A. Pour les compositeurs.
Présenter les compositions suivantes ; "
1" Un Concertstiick pour piano et orchestre (deux exemplaires
delà partition),-* transcription de b partie d'orchestre pour un
second piano, parties d'orchestre (trois parties du premier violon,
trois du deuxième violon, deux d'alto, deux de violoncelle, deux
de contrebasse).
2° Sonate pour piano seul ou pour piano et un instrument à
cordes quelconque (deux exemplaires et la partie de l'instrument
à cordes).
3° Plusieurs petits morceaux pour le piano (pas moins de deux
exemplaires chacun).
Les compositeurs doivent exécuter eux-mêmes leurs œuvres.
Les œuvres présentées au concours doivent être inédites.
B. Pour les pianistes
Exécution des morceaux que voici :
1" J.-S. .fîflc/i. Prélude et fugue à quatre voix. •-
2'» Haydn ou Mozart — un andante ou un adagio.
3° Beethoven — l'une des sonates, op. 78, 81, 90, 101, 106,
"109,110,111.
4" Chopin — mazurka, nocturne et ballade.
5° Schumann — un ou deux morceaux des Phantasiesiiicke ou
de la Kreisleriana. '. " .
6° Liszt — une étude. ^-
Les personnes qui désirent concourir doivent le notifier par
écrit %u Conservatoire de Saint-Pétersbourg, rue du Théâtre, 3,
au plus tard le 14 (26) août, en y ajoutant les documents originaux
ou des copies certifiées constatant leur identité et leur âge. Les
concurrents doivent être âgés de 20 à 26 ans.
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avec couverture illustrée, tiré à 50 exemplaires, en souscription au
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depuis les premiers éléments de l'harmonie jusqu'à
1^ composition raisonnée du quatuor et des principales
formes de la musique pour piano par J.-G. Lobe.
Traduit de l'allemand (d'apFès la 5® édition) par
Gustave Sai^dré.
VIJI et 379 p. gr. in-8«. Prix :.|f^ché, 10 fr.; relié, 12,fr. i'*
Ce livre, dans lequel l'auteur a cherché à remplacer letuà'e pure-
ment théorique et abstraite de l'harmonie par des exercices pratiques
de composition libre, fui accueilli, dès son apparition, par une
favètir marquée. La présente traduction mettra le public français à
même d'apprécier un des rares ouvrages d'enseignement musical les
plus estimés en Allemagne. ^
r^'
f'
^ BruxeUes. — Imp. V* MonimU|,'26, rue d« l'Industrie.
--^
•*
'•ilitkt.
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♦ •'.■•
.r
s«
Dixième année. — N" 7.
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 10 Février 1890.
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L'ART MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Comité de rédaction » Octave MAUS — Edmond PÏCARD — Emile VERHAEREN - "~
( .. . ■ . ■ '
ABONNEMENTS : Belgique, un au, ir. 10.00; Union postale, fr. 13.00 —ANNONCES : On traite à forfait.
] . • * Adresser totUcs les communications à . .
l'administration générale de l'Art Moderne, rué dé Tlndustrie, 26, Bruxelles.
Sommaire
Miue Cauon u.\ns Salammbù — : La pautitiox ue Salammbô. — l.\
MISE EN ^CÈXE DE SaLAM.MBÙ. -r- CoXKKKENCE DE STÉPHANE MaI.I.AUMÉ,
— AlX A.Y TlIKATUE MdUÉKK. PETITE l.llROXiyiE.
M"'' Rose Caron dans « Salammbô »
Les appréciations sur la Salammbô de Reyer se
classent. On arrive à cette formule : Sans M"™* Rose
Caron l'œuvre ne paraîtrait qu'estimable. Groot lawijt'
in een Idein straatje, dirait un loustic flamand. De la
Salammbô de Flaubert, de la Carthage de Flaubert^
barbarement étranges, plus rien ! Ge n'est pas Carthage,
c'est Carthbnnage. Le librettiste y a été de son petit
roman sentimental, enfilade de banalités. Les décora-
teurs ont brossé d'aimables perspectives de villas en
style exotiqtfe. Les costiîmiers ont très proprement
habillé la figuration d'une macédoine d'oripeaux de fan-
taisie. M. Reyer acçoin pagne ce carnaval d'une musique
mal définie. Les chanteurs et les danseuses développent
convenablement les gesticulations réglementaires. Bref,
tout est de semaine et vraiment on reviendrait de là
sans secousse, — T,st M"»* jftose Caron ne se dressait !
Nous fûmes les premiers, il y a des'ftns déjà! à signa-
ler avec insistance, ici même^ la nature extraordinaire
de l'artiste que nous nobamions alors la Rachel du
chant, quand, nouvelle -venue à neuf cents francs par
mois, sous cette même direction Stoumon et Calabrési,
on hésitait à accorder de grands mérites à une chan-
teuse si peu payée. C'était l'époque où le public, et^par-
ticulièremen^ les abonnés, ces grincheux débomiaires,
ne voyaieiuque les voix et n'entendaient pas les atti-
tudes. Ils aimaient l'acteur arrivant du fond de la scène
au trou du souffleur, machine amenée sur dés rou-
lettes évacuant son air à la salle, en pleine figure,
pour se retirer ensuite et fair« place à un autre. Ils
n'avaient aucune notion d'artistesjo^a/?^ les rôles d'un
grand opéra, complétant le chant par la pliysionomie
tourmentée. de vie et par la mimique; plus fort que
cela, subordonnant le chant par l'intensité poignante de
leur jeu. . -- .
M'"® Rose Caron les a initiés à ces sensations nou-
velles.
Au fur et à mesure qu'elle avance dans sa carrière
artistique, subjuguée par les forces mystérieuses de son
individualité, elle se livre davantage à son instinct de
tpagédienne. Le chant se subalternise et la voix, comme
découragée de perdre son rang, diminue et s'aflàisse.
Les belles notes pures du registre éleyé qui jadis poin-
taient en crûnerie triomphale, sont devenues grelot-
tantes, aigrement secouées par une bise. La demi-teinte
seule a conservé l'exquisité d'un charme incomparable
ri
'• 1
■f
en ses murmures. Mais l'expression du hauiain visage
et le geste d'une héroïque et. majestueuse amplitude
s'imposent irrésisfîbles. Au milieu des banalités du jar-
din de la. scène, oui elle se dresse en fleur hiératique
splendide, ' ' .
Et pourtant ! Et pourtant! Par ce besoin de perfec-
tion qui triture toute âme artiste avide de l'éternel obsé-
dant mieux, malgré le désir de ne diminuer en rien le
culte, il nous vient le besoin de signaler à ce rare
échantillon de féminité Irantée de grandeur artistique,
les singulii^es faiblesses, inaperçues sans doute de sa
conscience, et non signalées par les courtisans qui lui
font cortège.
Salammbô? Certes elle l'est dans l'âme. Elle a pénétré
la vierge carthaginoise de Flaubert, la Walkyi'ie sénii-
tique, k prêtresse inquiète de la mythologie phéni-
cienne sanglante, l'amante de la lune soupirant vers la
froide déesse, tandis que l'atroce Moloch ronfle, rouge
-des flammes qui brûlent les nouveau-nés qu^on lui
sacrifie. Elle en a Ténigmatique visage, aux profonds
jeux immobiles, tapis sous les sourcils, le profil droit,
la bouche entrouverte vers le mystère, le menton ingénu
et cruel, le silence de sanctuaire disant plus que la voix.
Car, bizarre antinomie, cett^ cantatrice parle par tout
le corps et surtout quand elle se tait, menaçante,
eff'rayante ou tendre. Lorsque les sons vibrent sur l'arc
tendu de ses lèvres, il semble maintenant que quelque
chose de sa magie s'adoucit et diminue.
Mais puisqu'elle peut tant par le clavier aux touches
blanches du geste, aux touches noires de la physio-
nomie, pourquoi de puériles concessions auxTiabitùdes
du théâtre où aux inquiétudes de toilette de la feinmel
Est-il digne d'elle, est-il digne de sa puissance, de
chausser Salammbô de chaussures à taFons, d'empri-
sonner la nudité antique du pied, et d'oublier ce détail
charmant de Flaubert,ia chaînette d'or, rivée aux che-
villes, gémhVant les Jambes, gage de chasteté de la
vestale de Tanit, contraignant la vierge à marcher
à pas courts, et qui breloque brisée quand, femme
enfin, elle revient de la tente de Mâtho avec le zaïmph
argenté, prix de sa prostitution sacrée?
Et ces deux robes de miss anglaise.Tune ros@,4"autre
jaune, à taille en pointe! avec dessous le corset, le répul-
sif cofset visible en son buse, ses baleines, sa raide
carcasse ! Le corset à Carthagc ! le corset armurant le
buste de Salammbô! Quel outrage! D'où vient que
-M'"'- Rose Caron n'a pas en' cela la belle témérité de
Sarâh Bernhardt,qui,même-au temps dé sa plus ostéo-
logique maigreur, quand on disait d'elle qu'elle était
maigre à prendre un bain dans un canon de fusil,
entrait bravement en scène sans cet appareil moderne
qui a pour mission d^^reïïlplacer les absents, de com-
primer les forts, de soutenir les faibles et de ramener
les égarés. -
■^ Cet anachronisme injustifiable se complète jusqu'à
l'exaspération par une coiff'ure Directoire, â chignon
grec, avec un ruban de soie en bandeleljte circulaire,
qu'on est stupéfait de voir se détacher sur l'horizon
punique. La^cène de la terrasse, qui seîinble, du reste^
une terrasse à Nice tant les brosseurs du décor ont su
désafricaniser le s\te\ en prend une sentimentalité
contemporaine affadie, et comme l'eût ditSainte-Beuve,
Salammbô^en devient Elvire. D'autant plus, qu'en cette
scène, et parfois en d'autres, M""* Rose Caron se laisse
aller, alors que Carthage et la mer attirante sont au
fond, à leur tourner le dos pour venir soupH'eret parlée
de colombes aux vacillants spectateurs /des fauteuils
d'orchestre, tout près du chef rythmant sa plainte avec
son bâton.
Croyez, Madape, que nulle part vous n'avez de plus
fervents et de plus constants admirateurs qu'en ce
journal, Que nulle part on n'a, dès l'origine de votre
vie au théâtre, plus constamment fait fumer en votre
honneur le bois de Santal des sincères éloges. Mais
une artiste telle que vous a le devoir et la possibilité
de jeter les préjugés par les fenêtres. Nous ne vous
admirerons tout à fait que lorsque vous aurez cassé le
miroir [qui tous suggère des pusillanimités de toilette,
et mis à la p^rte les farauds qui vous entretiennent des
convenances, de la mode et des poupineries.de la jolie
femme, au lieu de vous crier, jusqu'à la violence : l'art
avant tout! Vous êtes en passe de conquérir le rang
suprême et le titre, si rarement obtenu, de première
tragédienne lyrique de l'époque. Faites les sacrifices
nécessaires. Pareil titre vaut bien un corset. La beauté
qu'aiment les esthètes, c'est-à-dire ceux qui décernenjb
pareille royauté, n'est pas de celles que composent les
couturières. Elle n'est pas faite d'artifices mais de
vérité brutale et grandiose. Ni Salammbô, ni M"'" Rose
Caron ne doivent subir la misère de pareilles faiblesses.
Lisez le livre des Goncourt où est le récit de la vie
d'une de vos ancêtres, la Saint-Huberty; vous y verrez
comment une âme de'^fi^'e artiste sait être téméraire r
dans son pourchas de la vérité scénique, a!u point de
s'attirer même la prison. ^
Deux jours après vous avoir revue à la première
représentation de la diminuée Salammbô de Reyer où,
grâce à vous, revenait, mais en apparition seulement,
la Salammbô sublime de Flaubert, j'assistais à cette
conférence de Stéphane Mallarmé, que le public ahuri
du Cercle ariistique et liitévaire de Bruxelles, déçu en
ses bas besoins d'anecdotes et de cabôtineries, écoutait
en proie à une stupéfaite et rageuse défiance. Au cours_
de ce beau rêve vague et hermétique sur Villiers de
risle-Adam, l'auteur du Pître châtié, dans son vol '
planant qui allait d'une œuvre à l'autre du grand mort,
a touché cevpoèrae : Akédysséril. Et il a lu ce passage,
célèbre parmi un très petit nombre. Ecoutez, c'est pour
^
1t—
vous un plus pur et plus profond miroir que celui de
votre psyché. Regardez-vous dans les œuvres, vous
vous y verrez mieux. Vous y apprendrez mieux ce que
vous êtes, ce que vous pouvez être, ce qu'il est de votre
devoir d'être, ô grande artiste.
" Cette neigeuse fille de la race solaire était de taille
élevée. La pourpre mauve, intreillée de longs diamants,
d'un bandeau fané, cerclait, espacé de hautes pointes
d'or, la pâleur de son front. Le flottement de ses che-
.veux, au long de son dos svelte et musclé, emmêlait ses
bleuâtres ombres "^ur le tissu de sa robe, aux bande-
lettes de son diadème. Ses traits étaient d'un charme
oppressif qui, d'abord, inspirait plutôt 1^ trouble que
l'amour. Une lueur d'ambre pâle, épandue eu^ chair,
avivait les contours de son corps : telles ces transparences
dont l'aube, voilée par les cimes hymalaïennes, en pénètre
les blancheurs comme intérieurement. Sou.s l'horizon-
tale immobilité des longs «sourcilSi deux clartés gris
sombre, en de languides paupières, deux magnifiques
yeux, surchargés de rêves, dispensaient autour d'elle une
magie transfiguratrice sur toutes les choses de la terre
et du ciel. Ils saturaient d'inconnus enchantements
l'étrangeté fatale de ce visage, dont la beauté ne s'ou-
bliait plus. Et le saillant des tempes altières, l'ovale
subtil des joues, les cruelles narines déliées qui frémis-
saient au vent du péril, la bouche touchée d'une Jueur
de sang, le menton de spoliatrice taciturne, ce sourire
toujour^ràve où brillaient des dents de panthère, tout
cet ensemble, ainsi voilé de lointains sombres, devenait
de la magnétique séduction lorsqu'on avait subi le rayon-
nement de ses yeux étoiles. Une énigme inaccessible
était cachée en sa grâce.
« Oh ! posséder, boire, comme un vin sacré, les bar-
bares et délicieuses mélancolies de cette femme, le son
d'or de son rire, — mordre, presser idéalement, sur
cette bouche, les rêves de ce cœur, en des baisers par-
tagés! — étreindre, sans parole, les fluides et ondu-
leuses plénitudes de ce corps enchanté, respirer sa
dureté-s^ave, s'y perdre — en l'abîme de ses yeux, sur-
tout!... Pensées à briser les sens, d'ofi se réfléchissait
un vertige^ que ses augustes i*egards de veuve, aux chas-
tetés désespérées, ne refléteraient pas. Son être, d'où
sortait cette certitude désolatrice, inspirait, au fort des
assauts et des chocs d'armées, aux jeunes combattants,
des soifs de blessures reçues là, sous ses prunelles ! -
La partition de Salammbô.
A ne l'onvisager qu'au poinl de ^ue exclusivement musical,
Salammbô ne mérite pas, à notre avis, les éloges hyperboliques
que lui ont déeornés ceux dont la pcrsonnaliic sympalliique de
M.Reyer et peul-ôirc le prestige dune inierprète remarquable ont
émoussô le sens critique.
Il y a, cerles, dans l'art du compositeur, une probiié iticonies-
■ ,. . . 7 •-■--■
'• ■ ' ' ^ ■.'•-■-■ I ■ ■ .
table. La pariilion de Salammbô décèle le souci consianl d'échap-
per k la banale et frivole notation musicale de jadis. Les cadences, '
la vulgnrilé des airs à l'ilalicnne, nts abominables taches qui
souillaient telles œuvres acclamées (qui ne se souvient du Peuple,
fais retentir les airs! do Sigtird) sont soigneusement évitées. Le
lissu mélodique' est de bonne et loyale qualité. Et pourtant
l'œuvre, dans son ensemble, laisse l'impression mélancolique
d'un grand eft'orl mal récompensé. Dans la tempiMé des cuivres,
dans le' vacarme inusil'édc la batterie, dans les frôlements mono-
tones des cordes, l'oreille ne perçoit guère de phrases caracléris-
tiques, médullaircment moulées, ni de rythmes incisifs. l>eux ou
trois thèmes, dont l'un, en triolets, évoque le vague souvenir d'un
moûï àèMation, servent seuls de points. de. rejpère. Ils apparaissent
et reparaissent sous la même forme, avec le même vétcmeni har-
monique, dans leur conception primiliyo. malgré les différences
amenées par la marche des événements dans la situation des héros.
On souhaiterait les voir développés, symphoniqucment présentés
à l'auditeur avide de musique. Mais impitoyablement ils reviennent
dans leur nudité originaire el s'évanouissent aussitôt. Nous osons
à peine qualifier thème mélodique les trois notes de cor qu^,sym-
bolisent la déesse Asioreth , la divine Tanil dont l'apparition
amène « une quiétude sur la terre ». L'auteur insiste sur l'eftei
de ces trois notes. 11 y revient sans cesse, el -malgré le parti qu'il
prétend en tirer nous avouons n'y trouver qu'un jeu d'orchestre
assez puéril. L'influence lunaire de la protectrice de Carthage
méritait, semble-t-il , une transposition* musicale autrement
importante.
Ainsi en est-il — que ceci soit dit à litre exemplaire — de la
plupart, osons dire de toutes les phrases destinées k caractériser
les persopnages ou les idées du drame. Le pâle livret de.
M. Dulocle a trop visiblement déprimé le musicien, que les fas-
tueuses descriptions de Flaubert eussent dii, du moins on le croi-
rait, éperonner el exciter. Le deuxième acfe lui-même, le plus
heureusement venu, qui contient de jolies choses, et la scène de
la terrasse, où revit le Reyer de la Statue, le meilleur Reyer qui
soit, ne paraissent intéressants que si on oublie la grandeur
farouche et la perversité cruelle que Flaubert a données k son
héroïne.
Nais il est entendu que nous faisons abstraction du livre cl ne
voulons juger que la musique, bien que dans le drame lyrique
l'élément musical soit si inlimément lié à la poésie qu'on ne
puisse séparer l'un de l'autre. Ce qui nous frappe particulière-
ment dans ce laborieux ouvrage, c'est que la polyphonie y csl à
peu près nulle et que les combinaisons harmoniques^oni, en
général, de peu d'altrail. Nous avons entendu parler avec quelque
étonnemenl de la science de M. Reyer, de la riche.*se el du colo-
^ ris des harmonies qu'il emp'oie,el l'on a, je crois, employé même
le terme: génie, à propos de sa façon d'instrumenter. N'épuisor\s
pas les épiihèles laudaiives au sujet d'une œuvre estimable, sans
^oule! mais simplement estimable. S'ils n'étaient pas liés par la
crainte de paraître envieux ou « bêcheurs », les musiciens n'hé^i- ,
leraient pas-à dire ce que nous pensoriS : Salammbô ne révèle poinl
de science musicale, du moins dans le sens que nous attribuons îi ce
terme. C'est, d'un bout à l'autre des cinq actes da la partition, une
déclamation notée en récils, en airs et en ensembles parfoijj heu-
reux, souvent malatTroils, soulignés par un accompagnement
d'orchestre qui, pour élre plus touffu que celui des opéras
d'autrefois, n'en est pas moins vide. On cherche vainement les.
voix intermédiaires dans celle prétendue polyphonie. Seules, les
V
/
parlies élevées s'écliappenl par inlervallcs, siridcnles et aigiiëa,
de l'enscmbîe monoclirome, ou, parfois, les basses, auxquelles
l'emploi abusif des trombones donne une lourdeur faiiganKj.
Non, vraiment, rorchosire de M. Reyer ne sonne pas. Dansée
jardin merveilleux où les maîtres font épanouir, au gré de leur
inspiration, les fleurs mélodiqiies radieuses, il y a de malencon-
treux empiétements. Les plantes s'étouffent l'une l'autre, encom-
brent les parterres, et les parasites se mêlent aux végétations de
choix. Nous en avons fait l'observation lors des représenlaiioris de
Sigurd. Ici, le vice de l'instrumentation de M. Reyer apparaît plus
flagrant encore'T Cette régie élémentaire d'orchestration : faire
mouvoir dans le regislre~de ses sons forts l'instrument auquel
est momentanément confié le chant, le compositeur ne l'observe
guère. De là, un assourdissement, des frottages, un écrasement
de sonorités ioumanl à la bouillie musicale.
En résumé : pou de nouveauté. Beaucoup de bruit. Un abus de
la musique de scènCi échitant soudainement en fanfares au
moment oh l'on espère un peu de musique symphoniquc. Des
.chœurs d'orphéon en profusion, Des phrases bien commencées,
mal finies. Une monotonie lassante dans les effets d'orchestre,
lourdement traité. Du charme dans lés parties chantées du
deuxième et du troisième actes, mais un naufrage dans les qua-
trième et cinquième, absolument nuls, ceux-ci, et sans portée
musicale.
Tout cela n1;st pas amusant b-dire, mais combien le pensent,
qui n'osent s'en exprimer franchement! L'attitude des composi-
teurs était curieuse à observer, à cette première « sensationnelle ».
On cite l'un d'eux, et, des plus notables, qui, dans les entr'acles,
chaque fois qu'on l'abordait pour lui demander son avis, s'échap-
pait par celte ingénieuse tangente : « Charmante, la matinée
musicale des XX de cette après-dyiée. Le quatuor de Vincent
d'Indyest une œuvre absolument remarquable ».
Si l'on trouve notre appréciation sévère, qu'on veuille bien se
placer au point de vue élevé auquel nous nous sommes placés
nous-mêmes. M. Reyer est un musicien de valeur pour lequel les
compliments banals, les tournures de ptyases ambiguës, les
dorages de pillules doivent être parfaitement antipathiques. Il est
de ceux auxquels il convient de dire franchement, ouvertement,
son opinion, bonne ou mauvaise, justifiée ou condamnable. La
conscience de sou œuvre nous a plu. Le résultat presque négatif
qu'il a atteint nous a peiné. Ce qui restera de ce grand travail,
le premier engouement passé, n'est pas de nature à compenser
les pa^-Ues faibles de l'ouvrage. Et Salammbô sera oubliée depuis
longtemps lorsqu'on songera encore avec plaisir à la Statue et au
quatrième acte de Sigurd.
La mise en scène de Salammltô.
Tout a été dit, redit^ prédit, maudit, depuis quelques semaines,
dans les champaliûques boniments que la quotidienne presse a
servis au naïvement bon public à propos de Salammbô, et
VArl moderne se devait à lui-même l'élude de hautaine revendi-
cation prônant Tintangibilité, par de non-initiés, de la colossale
œuvre de Flaubert (1).
A l'heure qu'il est, consummatum est : l'iddarle Salanimbô a été
(1) Salammbô, Art moderne, n» 6, 1890.
livrée aux bétes, et ce nous est une navrance'de conàidérer com- •
bien cruellement elle a été mise en pièces. • ■> ' ■
Malgré eux, les comptes-rendus laissent percer, entre les
lignes, un mérité sus aux bourreaux! dans les critiques adres-
sées au librettiste et au musicien, mais n'ont que des .considéra-
tions vagues en parlant dfc la .mise ^n scène. C'est ce point spécial-
que nous voulons examiner on quelques lignes, pour lesquelles
nous espérons avoir Tanit. favorable. x
Dans sa première lettre h M. Frœhncr, en des termes d'hono-
rable franchise, Flaubert avoue q"u'il. n'a nulle prétention à
l'archéologie ; "et, en eft'cl, il risque rarement la description d'un -
détail architectural, chapiteau ou fronton, mais son merveilleux
talent d'imaginalive assimilation lui a fait reconstituer, dans ses
grandes masses, la Carlhage détruite que le lecteur revoit avec
ses marbres, ses ors et sa vibrante et lumineuse coloration. Trans-
portant Salammbô au théûtre, les décorateurs, le costumier, le
régisseur avaient pour premier devoir de serrer de près les
indications données par FlaubcrF, quitte à en fouiller les détails,
les profils, l'ornementation et à tenter leur restitution par de judi-
cieuses analogies; or, il n'y a pas trace de semblables préoccupa-
tions à. la Monnaie où, vraie gageure d'anti^^ on semble avoir
pris pour ligne de conduite l'écart voulufcfu LiVre. — " "^ "
Le décor du premier acte nous laisse loin, mais en deçà, de la
prestigieuse description des palais et des jardins d'Hamilcar; où
voit-on l'opulence farouche de cette palatine demeure qui, « bâtie
en marbre numidique tacheté de jaune, superposait tout au fond,
sur de larges assises, ses quatre étages de terrasses » ? Où sont
les escaliers extérieurs longeant obliquement les divers étages et
aboutissant à l'escalier d'ébène orné de galères? Nous n'avons vu,
au fond de la scène, qu'une construction cubique donnant la sen-
sation d'une vraie boîte de carton et qui paraît avoir 6 mètres
de façade; les fameux escaliers se réduisent à une douzaine de
marches, et les terrasses supérieures ne seraient guère accessibles'""
qu'à des enfants. Reconnaissons toutefois que l'architecture,
inspirée de certains monuments de la Snsiane^ ne manque
pas d'habileté et qu'un goût relatif a présidé au choix des motifs
décoratifs rappelant la frise des archers de la salle du trône de
Darius l^^^ et le couronnement des pilones du palais d'Artaxerxès-
Mnémoiv : 'notiâ aimons moins les «olonnes triomphales, ceintu-
rées de rostres, d'un dessin dépourvu de fermeté. Le grave défaut
de composition de ce décor réside dans la praticabilité donnée à
la fameuse porte rouge; cette condition a obligé d'avancer le
palais et de réduire ses dimensions, tandis qu'en l'indiquant sur
la toile du fond on aurait pu laisser à ses terrasses l'ampleur "
qu'elles comportent. La flore du jardin manque d'exubérance et
rappelle maigrement les lis, les grenades, les champs de roses se
mêlant aux vignes, aux figuiers entourant « l'avenue de cyprès
qui faisait comme une double colonnade d'obélisques verts ».
A première vue, le temple de Tanit parait séduisant, et un
charme particulier se dégage de celle espèce d'atrium qu'enlou.
rent des portiques légers rappelant ceux du temple d'Ankor-Vaht;
en y regardant de plus près, on déplore le fronton avec remplis-
sage à l'italienne surmontant la porte égyptiaque du temple, et
l'on regrette la surabondance de la non-stylée sculpture qui
léprose les piliers et les architraves des portiques : en un mot,
trop de détails mal soudés et manque de simplicité dans la com-
position générale. Nous aurions souhaité voir ici une adaptation
de l'architecture si simple et si grandiose du temple de Jérusalem,
dont M. Chipiezffy)^ une suite d'admirables dessins exposés l'an
<i
J
dernier à Paris, a cnlrepris une 1res savante reslilution d'après
Ezécliiel, ou une ornemenlalion rappelant celle du lombeau du
roi Midas, à Nacoloia. ' '
Un décor franchement mauvais de composition et déplorable
de facture,^c'csl celui du Sanctuaire de Molocli. A la demande des
auteurs, il devait figurer la Salle du conseil des anciens, ei ce
n'est que tardivement que Jes décorateurs l'ont transformé en
temple; cela les excuse un peu du caractère poupinardement
bonbon donné au terrible dieu à tiroirs grill rooms si grandiosc-
mcnt décrit dans Flaubert, mais ne pourrait les absoudre des
hérésies walerzooïques accumulées dans les détails architectu-
raux : une arcade en plein cintre absolument romaine, des portes
égyptiennes, éonronnées de crêtes et d'anléfixes grecques, dans le
haut des colonnes d'ordre ionique, dans la corniche une grecque
et un globe ailé égyptien courant côte à côte, enfin, des' figures
d'allure byzantine décoranila voûte ! ^ ^
A la terrasse de Salammbô, le panorama de Carthage est qgel-
conque, et le pavillon à gauche, bizarrement composé, semble
plutôt destiné à un Eden-lhéâtre : sur des piliers d'qllure égyp'
tienne vientrent s'échafiuider des motifs empruntés au célèbre cha-
piteau bicéphale de l'Apadana de Susc, entourant un groupe de
serpents d'une facture lûchéc. Le vélum est d'une raideur métal- '^
lique et se rattache assez maladroitement aux bandes d'air por-
tant ombre sur les suivantes.
Sautons la Tente et le Champ de bataille anémiquement repré-
sentés, pour arriver au Forum, dont la coloration carmineuse est
particulièrement désagréable, ici nous trouvons un peu de tout :
à l'avant-plan, un temple médiocre avec colonnes pseudo-nini-
vites; dans le fond, le palais de Khorsabad avec des dragons ailés
h figures d'hommes, une porte égyptienne, etc., et quelques
monuments dé peu de style. Disons en passant que cette toile de
fond est déplorablement rendue comme effet de pcrspefiiiye :
tout semble être au premier plan. ,
Une observation à"'propos de tous les décors : nous y avons
cherché vainement le ciel d'azur, la mer d'un bleu velouté, et les
monuments d'une lumière éclatante que l'on voit sur la côte
d'Afrique, à Alger comme à Tanger; les décorateurs ne nous ont
montré qu'un ciel du nord d'un bleu laiteux.
Après les décors, nous voudrions passer en revue les costumes
et montrer combien ils laissent à désirer au point de vue du carac-
tère, de la couleur et du goût, mais cela nous entraînerait un peu
loin : signalons le costume de Giscon, où des draperies lilas et
bleu se livrent un combat dont l'œil du spectaleuresi la victime,
puis le costume de guerre d'Hamilcar dont les lourdes jupes s'al-
lient mal avec la cuirasse, et, en général, les divers costumes des
mercenaires: les Gaulois ne le sont guère, les Lydiens devraient
porter des robes de femmes et avoir des boucles d'oreilles, les
Egyptiens manquent de ligne, et nous n'avons pas trouvé ceuiT"
qui « s'étant barbouillés de vermillon, ressemblaient à des sta-
tues de corail ». Nous avons peu goûté le costume de Salammbô
au premier acte, où sa robe gris-bleu, brodée de fleurs absolument
japonaises, nous a fait regretter la robe noire « étoilée de fleurs
rouges » dont parle Flaubert. Quel mépris du texte dans l'accou-
trement blanc et bleu et les grandes barbes des eunuques, alors
que Flaubert décrit leurs robes blanches à franges rouges et leur
absence de barbe, de cheveuj^el de sourcils : Shahabarim est
loin de là, car M. Vergnel se montre barbu jusque dans les yeux.
Mais c'est la mise en scèue qui nécessiterait surtout un minu-
tieux épluchage, car nous n'y avons découvert qu'une absence
complète de souci d'art. Le banquet des mercenaires est absurde;
les choristes sont assis, inertes, îi des tables (!) (probablement- à
la même place qu'ils occupent" chez Nevers dans \q% Huguenots),
alors que Flaubert, dans une magistrale et grandiose fresque,
les montre d'une toute autre allure : « Ils s'allongeaient sur
les coussins, ils mangeaient accroupis autour de grands plateaux,
ou bien, couchés sur le ventre, ils tiraient à euxlcs morceaux, de
viande et se rassasiaient appuyés. sur les coudes, dans la pose
pacifique des lions lorsqu'ils dépècent leur proie... Des nègres
n'ayant jamais vu de langoustes se déchiraient le visage à leurs
piquants rouges... Des pâtres du Brutium dévoraient silencieuse-
ment, le visage dans leur portion. » •
Flaubert cite les plats qui couvraient les tables : « antilopes
avec leurs cornes, paons avec leurs plumes, moutons entiers
cuits au vin doux, gigots do chamelles et de iKjflles, etc...., des
petits cliiens à gros ventre et à soies roses,. yoe's pyramides de
fruits... » Nous n'avons aperçu, pour tous les convives, que deux
jambons, et au lieu d'employer des amphores, des outres et des
tonneaux pour les vins, on s'est servi, avec une candeur imper-
turbable, de buires italiennes de la Renaissance. Faut-il parler
de la bataille, où il y deux morts dans le fond de la scène, et dont
les soMals revienent brillants et astiqués comme s'ils avaient
assisté à une parade l'héla dépasse, n'est-ce pas, les limites per-
mises?
Malgré le réquisitoire que M. J. Brunfaut a rédigé en écrivant
son étude sur Y Archéologie au théâtre, malgré le cri d'alarme
poussé encore récemment par VArt ijfoderne, on semble décidé
à la Monnaie à ne tenir aucun compte des justifiées clameurs
d'artistes ici notées, car Salammbô est un recul et non une pous-
sée en avant : nous continuerons donc notre campagne, e! nous
avons la'conviction que le public indifférent, ouvrant les yeux,
finira par reconnaître que la présence d'un archéologue à notre
opéra est un indispensable élénr>ent pour assurer de futurs succès.
-k
CONFÉRENCE DE STÉPHANE MALURMÉ
La conférence de Stéphane Mallarmé a passé au dessus de la
tête de son auditoire. Ceux qui se trouvent de l'autre côté de la
terre, ne peuvent voir un serein prodige de lumière qui s'accom-
plirait sous notre midi. « Je suis, a dii^'illustre Conférencier, un
rêveur venant parler d'un rêveur ». Et cette simple phrase de début
prédisait tout ce qUi devait arriver.
La commission du Cercle est-elle irréprochable d'exposer ainsi
un pur et génial poète à la sottise d'un public? Quel que soit son
bon vouloir à oser, ne comprend-elle pas, qu'irrém^ablemenl,
elle est condamnée à n'exhiber que des anecdoUers comme
M. Frédérix, ou des choisisseurs de bons mots comme M. Drey-
fus. 11 est fatal que ces deux corrects et polis valets de chambre de
l'arlà la mode, que ces deux épingleurs de traits d'esprit, trouvés
comme des mites dans la garde-robe littéraire, sur laquelle ils ont
droit de brosse et de plumeau, peuvent seuls, légitimement, la
besogne faite, faire bomber d'orgueil leur plastron blanc et rece-
voir 1rs compliments de ces dames, — de la ville et de la cour.
D'autre part, il est certain — et peut-être serait-il regrettable
qu'il en fût autrement — que dès que l'on sort du chemin battu
de la conférence papotée et cancanière, l'hostilité des auditeurs
et leur incurable veulerie prétend se manifester.
Stéphane Mallarmé nous a montré Viliiers de TIsle-Adam,
T
^
comme quclqu'im d'apparu, îi la fois très vivant et très dans la
gloire de là mort, dc^jî».
Il nous a joué le Villiers parlant, gcsliculanl, songeant à voix
liautc; nous- avons récnlendu la voix qui pour jamais s'esl tue,
nous a^ons vu romuer les doigts qui, depuis quel temps, dites,
sont immobiles — et mt'mc l'impressjon que faisait le brusque
visiteur extraordinaire en apparaissant quelque part, grâce à un
miracle de parler et d'attitude, nous l'avons éprouvée à tel
instant, tout à coup. Villiers a été ressuscité en un superbe por-
trait où jusqu'au pli des vêlements, jusqu'à la manière de camper
le chapeau sur la télo et nouer le foulard autoujLdu cou, tout
était exact.
Et pourtant, sitôt qu'il s'esl agi de l'œuvre, de cette Eve
Future et de cet Axel, comme immédiatement le Villiers réel
s'esl mué en un quelqu'un d'au delà, en un vivant d'une autre
existence plus haute et plus spirituelle dont sa vie terrestre n'a
semblé que l'ombre projetée siir la toile blanche des apparences.
Le vrai Villiers, c'est le Villiers immortel du rêve, c'est celui qui
restera écrit et expliqué dans le livre, c'est celui que l'accidentel
Villiers, aujourd'hui serre dans un cercueil, a eu le temps et la
gloire de créer pour quTl durât au delà des conjectures de notre
heure.
De ce Villiers-là, Stéphane Mallarmé a parlé comme d'un pro-
dige et il a eu raison. Il l'a suggéré par des citations qui éton-
naient cl transportaient si loin qu'on devinait le surnaturel au tra-
vers. Le monde où se meuvent les personnages de Villiers : Ada-
lie, Ewald, Sara, Axel sont au delà des plus hautes montagnes de
la réalité quotidienne. Peu de regards les aperçoivent.
Quand on songe que VEve Future est classée parmi les romans
de la maison Brunhoff, et Axel édité par la maison Quanlin comme
un drame quelconque, une poignance saisit. De icfs documents
de la splendeur humaine devraient rayonner ailleurs — et la maté-
rialité du papier et le prix affiché sur le volume même, au dos,
de manière qu'on ne peut lire le titre sans immédiatement
songera une pièce de monnaie, froissent indiciblement. Eh bien,
il nous a semblé que Villiers, le Villiers d'au delà, ne sera jamais
jnieux exprimé qu^il ne l'a été mardi soir. II l'a^été, certes, mieux
qu'il ne pouvait le f;cire lui-môme, il l'a été mieux que ne le
font ses livres. C'est que le rêveur qui parlait d'un autre rêveur
commentait quelqu'un de la "tamille el que, à l'entendre dénom-
brer la généalogie dçs de l'Isle d'Adam, on songeait à une autre :
celle des penseurs el des poètes universels et suprêmes parmi
lesquels Villiers est commandeur el Mallarmé prince, avec, tous
les deux, du sang royal dans le cerveau.
Au cours de sa conférence, Stéphane Mallarmé a louché aux
points lilléraircs el philosophiques les plus actuels; il disposait
en tremplin les en apparence minuscules observations pour s'éle-
ver d'un bond aux paroles définitives; si bien qu'il semblait
cueillir sans effort dans l'air les lumineuses sentences el les véri-
tés pures. Au reste, cette merveilleuse aptitude à démêler réterncl
cl le primordialement vrai dans le réseau des complexités acci-
dentelles, est la marque et le prestige de toute son œuvre. Il est
le poète essentiel par excellence, le contemplateur des sources,
il est le total d'où se décomposent les nombres et le point fixe et
central d'infinies rotations par à, travers la vie. Cette géniale
faculté il l'a prouvée également en son entretien au Cercle.
Et distinguant en Villiers de l'Isle Adam et le rêveur et l'ironiste,
il a voulu, lui aussi, s'oifrir à nous sous ces deux aspects.
La fin de sa conférence, dite debout et tout entière dardée en
fer rotigc vers l'assistance, cette fois-ci attentive, à la façon do
quelqu'un qu'on insulte, a été d'une ironie superbe. Chaque louange
et Bruxelles, seconde capitale de l'arl .. toujours enclin à saluer el à
célébrer ce qui osl beau cl hardi... qui renvoie à Paris ses pri-
meurs... » biûlail a cru, on pleine chair vive, les auditeurs.
L'entretien de Stéjjhanc Mallarmé est, certes, le plus indiscu-
tablement haut et grand que le Cercle ail entendu. Et voilà pour-
quoi des cuistres d'une bêtise régulière cl lassée! dans les plis d^ii
leur fronl< ont taché de l'écraser sous leurs craquements de botte
en s'en allant après une demi-heuce, et pourquoi d'autres telic-
nient lourds après leur dîner, qu'ils semblent digérer du cerveau
et non de l'estomac, onl éructé à l'aise des njflexionssi grossières
que l'on pouvait croire que c'était le porc aux choux avalé vers
les sept heures, qui appréciait. v
Quelques-uns avaient des gifles plein les poches à leur»
servir si un chut ! s'était fait entendre, malheureusement celte
détente n'a pu se produire. El maintcnani, après ces quelques
jours passés, les gitles sont trop froides et le- dédain a eu le temps
de se greffer sur la colère. Et le dédain, après tout, a raison.
AUX XX ^
Deux séances de musique française.
Musique vinglisle : on a oublié de dire le mot, et il eût été
amusant. Pas plus que pour les tableaux, d'ailleurs, il n'y a, bien
entendu, de vingtisme musical, dans le sens d' « école ». — Mais
pourtant, ce groupement de noms depuis trois ans périodique-
ment présenté au public, avec l'adjonction, paifois, de recrues
nouvelles? — Tout simplement, l'union d'artistes que des affi-
nités artistiques rassemble, mais non l'identité de concept. Des
musiciens qui n'hésitent pas à casser les vieux moules s'ils
pensent que leur pensée sortira plus belle el plus intense d'une
forme nouvelle. Des gens qui aiment l'art pour les jouissances
qu'il procure et non pour les profits qu'il donne. Des hommes,
enfin, qui onl l'horreur des vitlgariiés, des redites, des flatteries
au public, des transactions avec leur conscience d'artiste.
Au premier rang, dans ce groupe qu'JI importait de faire con-
naître à Bruxelles, César Franck, pour qui se lève lard le soleil
de g-oli-c. Franck, le père Franck comme l'appellent, avec une
familiarité non exempte de déférence, les disciples qui, d'année
en année plus nombreux, se rangent autour de lui, a aujourd'hui
plus de soixante-cinq ans. El tandis que ses oratorios : Rébecca,
Ruth, Rédemption, ses Béatitudes, ses compositions pour orgue,
qui ont l'ampleur et la beauté de celles de Jean-Sébastien Bach,
ses œuvres de musique de chambre, ses chœurs, ses mélodies,
son Choral, prélude et fuguc^our piano fonl la joie des artistes, la
foule connaît à pQ,inc son nom. On a entr'ouvert j)Our lui, l'an
dernier, pour la première fois, la porte du Conservatoire où il
professe depuis trente ans : et la Symptiouie^\ vieux maître,
apparue radieuse dans sa fraîcheur, sa for;nô^bre, ses harmonies
neuves, a inquiété les bonzes qui déiiennent le gouvernement
musical de la France. Ils ont compri.s que leur règne serait fini à
l'avènement de cet art qui est l'aniiihèse du leur. Et depuis lors
la guerre a repris, avec acharnement, guerre d'embûches, d(!
tactique silencieuse, de coups fourrés dans l'ombre
De César Franck, les X..^ nous onl Çait connaître deux frag-
ments extraits de Rédemption • VAir de V Archange, qui a la
pureté de forme el l'élévation de pensées des plus grands maî-
/
1.
- V
1res, cl l'un des Chœurs des Anges, d'une douceur et d'un scnli-
ment rares. Puis une œuvre toute intime pour harmonium et
piano : Prélude, fugue cl variation qui est bien, dans sa simpli-
cité, l'une des compositions les plus intenses et les plus expres-
sives qui soient. Enfin, une mélodie : les Cloches du Soir, récem-
ment éditée, l'un des volets du dyptique que complète la Proces-
sion, écrite, celle-ci, avec accompagnement d'orchestre.
Au nom de César Franck se joint tout naturellement celui de
yincent d'indy, son élève préféré, aujourd'hui un maître, et classé
comme tel depuis que l'exécution du Chant de, la Cloche et de la ,
Trilogie de Wallenstein aux Concerts Lamoureux a révélé au
public les exceptionnelles qualités d'un tempérament musical de
premier ordre.
Vincent d'indy, qui est désormais à Bruxelles une figure popu-
laire, — et combien de sympathies n'a-l-il pas conquis ! — a fait
entendre un quatuor pour piano et cordes qui date de quelques
années déjà, mais qu'il a récemment remanié et qui vient d'élre
publié. On sait l'impression profonde qu'il a produite et les féli-
citations dont l'auteur a été l'objet. L'œuvre est, d'ailleurs,
remarquable. M. d'indy a trouvé moyen de rajeiyjjr, en des phra-
ses d'une inspiration constante, symphoniquement développées,
la vieille forme du quatuor. Deux parties surtout portent l'em-
preinte d'un art original et élevé : Y Allegro du début et la Bal-
lade, — celle-ci vraiment superbe. Un lied pour violoncelle,
transcrit, en vue du Concert de^ XX, pour alto, a du charme el
de la distinction. Les Tableaux de voyage, distraction d'un musi-
cien merveilleusement habile à notcr^ en de rapides esquisses,
de fugitives impressions de nature agreste, de plein air, de pro-
menades vagabondes, ont plu par leur tournure piquante el l'im-
prévu de leurs modulations.
De toutes les œuvres entendues, il en est deux hors pair : la
Mort de Wallenstein, péroraison de la trilogie, dans laquelle
reparaissent, parmi les thèmes caractéristiques qui se rapportent
spécialement à la troisième- partie de la tragédie de Schiller,
les phrases principales des dcu'x œuvres précédentes : le Camp
et les Piccolomini, ev la Symphonie pour orchestre et piano sur
un chant montagwmt' français .
L'une et l'auiie de ces compositions de large envergure méri-
lenl d'élre citées parmi les œuvres les plus puissantes et les plus
personnelles de la lilléralure musicale. F^e génie très spécial de
Vincent d'indy, la poésie de son inspiration, la fougue de son
tempérament, le raffinement de son écriture, éclatent plus encore
dans la Symphoiiie que dans la Mort de Wallenstein.
Il faut avoir entendu l'œuvre interprétée par l'orchestre (récem-
ment nous l'applaudîmes à Liège) pour en apprécier le coloris, le
mouvement, la vie endiablée. Tandis que le piano, traité comme
s'il faisait une partie symphoniquc, au même titre qu'une clari-
nette ou une flûte, étend sur les trois parties une dentelle de
sonorités claires, l'orchestre poursuit, avec une variété de
rythmes, de modulations et de timbres vraiment extraordinaire,,
le développement logique du motif originaire, du chant monta-
gnard exposé au début par le cor anglais et sur lequel sont con-
struites les trois parties de la symphonie. De toutes les œuvres de
Vincent dludy, c'est, avec le Trio pour piano, clarinette et vio-
loncelle, entendu naguère 'aux XX, la plus ne^ve do forme, la
plus ciselée, cl celle qui marque L* plus grand pas en avant. Elle
a été comprise, bien qu'une réduction pour deux pianos (fort
clairement écrite d'ailleurs, par l'auteur) n'ait pu en donner qu'une
idée incomplète. Et c'est justice de louer M"'" Moriamé-Lefebvre
pour son interprétation fidèle et respectueuse d& la partie de*
piano principal.
Restent à examiner le trio d'Alexis de Caslillon, la suite basque
do Cliarles Bordes et les œuvres vocales, assez nombreuses, qui
ont complété les d^^ux programmes. Ce sera l'objet d'un prochain
article. . . •
Théâtre Molière.
Nana ! comme jadis ce nom se'ul évoquait toute une balaiHe
d'école liuéraire contre lès sucreries de l'art des Feuillet et des
Sandeau. Aujourd'hui, qu'on a coupé l'œuvre superbe en actes^
mélodramatiques et qu'un Busnach a fait des choux et des raves
pod^rsa cuisine à lui, du puissant livre naturaliste,' on ne se peut
défendre d'un regret. Nana n'aurait jamais dû paraître à la scène.
Elle est essentiellement un personnage de livre, elle a été com-
prise el étudiée ain^i et ne peut être vivante que \h. Si, en d'autres
aris,jon se mettait à suivre celte manie qu'ont les faiseurs pari,
siens de mettre la camisole de force de leur théâtre à toute œuvre
marquante, on verrait des tableaux' d'histoire se diminuer en
aquarelles el des fresques se transmuer en panneaux d'étagère.
Le sujet conçu tel serait immédiatement déformé, on verrait à la
loupe ce qui devait éclater au grand soleil sar des murailles et
rien des proportions et des raisons d'être primitives ne subsis-
terait.
A^a?jfl est donc fatalement un pièce médiocre. Les actours qui
l'ont interprétée au Molière l'ont jouée très convenablement.
V
Petite chroj^ique
M. Edmond Picard fera Samedi prochain, à 2 heures très
précises, au Salon dès XX, une conférence surJTrois poètes
belges d'exception : Emile Verhaeren, Mauric^ Maeterlinck,
Charles Van Lcrberghe. Cette conférence clôturera la série des
matinées des XX, l'exposition devant, irrévocablement être
fermée dimanche.
A la liste, précédemment publiée, des acquisitions faites au^
Salon des XX, il faut ajouter :
Alexandre Charpcniicr, cinq médaillons; Paul Dubois, buste
(bronze); James Ensor, Masques raillant la mort; A.-'W. Tinch.
Près de Mariakerke; Georges Lemmen-, Études d'éléphants
(n'^* 3 et 4); X. Mellery, La vie des choses (n" o); Paul Signac,
.Cassis (Bouches du Rhône), op. 200; H. Van de Velde, Faits
'^u village : VII. La fille qui remaille: Guillaume Vogels, Clair
de lune el Rue des Pigeons.
Une exposition internationale s'ouvrira cette année à Munich.
La date de l'ouvcrturo de ce concours artistique, est fixée au
lef juillet prochain.
Ultérieurement, des renseignements soronl donnés aux artistes
par la voie de la presse sur le mode d'envoi, sur la récepiion ci
sur le retour deS ouvrages envoyés à celte exposition.
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avec couverture illustrée, tiré à 50 exemplaires, en souscription au
prix de 35 francs (40 francs à partir du jour de la mi.se en vente).
Les dessins originaux sont actuellement exposés au Salon des XX.
Breitkopf et Hartel, éditeurs, Leipzig-Bruxelles
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COMPOSITION MUSICALE
depuis les premiers^^iénrents de l'harmonie jusqu'à
la coraposition raisonnée du quatuor et des principales
formes de la musique pour, piano par J.-C. Lobe.
Traduit dé l'allemand (d'après la 5^ édition) par
Gustave Sandre.
VIII et 379 p. gr. in-8". Prix : broché, 10 fr.; relié, 12 fr.
Ce livre, dans lequel l'auteur a cherché à remplacer l'étude pure-o
ment théorique et abstraite de l'harmonie par des exercices pratiques
de composition libre, fut accueilli, dès son apparition, par \xn€
faveur marquée. La présente traduction mettra le public français à
même d"a|)précier un des rares ouvrages d'enseignement musical les
plus estimés en Allemagne.
Bruxelles. — Imp. V' Mon>om, 20, rue de l' Industrie.
.AÀ
Dixième an>'ée. — N" 8.
Le Kîuméro : 25 centimes.
Dimanche 23 Février 1890.
L'ART MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
^,
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
CODlité de rédaction : Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAÈREN
ABONNEMENTS : Belgique, un a'n, fr. 10.00; Union postale, fi-, 13.00. —ANNONCES : On traite à forfait.
' Adresser toutes les communications à
l'administration générale de TArt Moderne, rue de Tlndustrie, 26, Bruxelles.
^OMMAIRÉ
Acquisitions d'ob-ikts d'art. — L.v confkrence i>k Stkpii.vne
Mallarmé slr ^'II.^.I^:ns dk l'IsleAram. — Confession de poète. —
Aux XX. — La Fkumiéue. — l'.nuoNiot.i; .nititi.vriiE des auts. —
Petite chronique.
Ac(][iiisitions d'objets d'art
Uni reprocHe brandi en pavé destiné à pulvériser le
contradicteur :* " Vendent-ils? " mérite exame^i.
C'est de la peinture nouvelle qu'il s'agit, des artistes
que nul mercantilisme n'avilit et qui vivent leur art
sans se soucier des marchands, des amateurs de Panurge
que la vogue seule (ie noms haut cotés révèle : connais-
seurs.
" Vendent-ils? » Encore que cette question, en la
supposant néga|ît$nîent résolue, n'implique aucun dis-
crédit pour ceux auxquels elle s'applique (les plus grands
peintres, les plus fiers sculpteurs ont passé la moitié,
sinon la totalifé de leur carrière à attendre l'acheteur),
il convient d'y répondre affirmativement, car d'année
en année se marque, dans les dilections du public, une
tendance à s'émanciper des canons promulgués par les
financiers attitrés du commerce des huiles colorées, et
trop na'ivement observés jadis : n'acheter que des œuvres
ayant 'cours légal à la bourse audacieusement fondée
par ces messieurs, des œuvres (la plupart, sin<5h toutes,
étrangères) portant une étiquette connue, l'estampille
authentique des docks internationaux qui, seuls, four-
nissaient les toiles et les marbres donnant à l'acquéreur
la réputation d'un homme de goût et de fin savoir.
Combien d'iiÊbéciles se sont trouvés ainsi, par la
complicité de la foule toujours aisée à leurrer, au rang
envié de Mécènes et de collectionneurs célèbres !
A cel;te classe de gens, produit factice et éphémère
d'une époque où le cabotinage de l'art a pu remplacer
l'arî véritable, succède unejcatégorie nouvelle : celle des
esprits sincères qui acquirent une œuvre d'art poîir
l'unique plaisir que sa vue leur procure, et qui éprou-
vent à la placer au bon endroit, sous le jour qui la ûiit
valoir, dans le cadre qui la rehausse, avec l'entourage
congru, une toute autre joie que le chatouillement de
vanité provoqué par cette réflexion : «. Je possède une
toile que le Louvre m'a disputée -, ou - Arthur Stevens
m'a oflért cinquante mille francs de cette toile pour la
galerie de... « ^
Un grand artiste à qui, récemment, un' peintre offrait
une œuvre, en témoignage d'admirfition et d'amitié,
répondait naïvement : « Non, vraiment, laissez-moi
vous l'acheter. Je vous assure qu'ainsi votre tableau
me fera plus de plaisir -.
On vient aux œuvres des nouveaux arriva, des
-S
-•■■"T--
ù-e'
^ '•
inconnus même. Simplement, avec l'intime satisfaction
de l'indépendance qui vous permet de choisir ceci de
préférence à cela, sans être conseillé par l'intermédiaire
officieux et intéressé, sans être obligé de subir son boni-
ment, sans devoir se raidir contre les trucs de maqui-
gnon usités.
ISe rappelle-t-on les galeries de jadis? Vingt ou trente
noms, toujours les mêmes, ' reparaissant en cortège et
défilant, l'amateur mort, au rythme monotone 4u naar-
teau d'ivoire, pour aller emménager en quelque a^tre
lieu, avec le cérémonial accoutumé et le même accom-
pagnement funèbre de comraisaires-priseurs, d'experts
et de marchands menant le deuil. Hormis ces vingt ou
trente noms, pour lesquels, si l'amateur faisait défaut,
on en inventait un au •^besoin, plus rien que des pros-^
crits, des bannis, des parias, des gens dont on ne parle
pas, qui ne sont pas de bonne compagnie.
Ah ! les choses ont changé, en ces dernières années,
et voici les Claude Monet, les Pissarro, les Degas, les*^
Renoir, les Cézanne, les Guillaurainxles Sisley faisant
joyeusement irruption dans les collections particulières,
en attendant leur admision dans les musées de l'État.
Eh ! mais Edouard Manet ne frappe-t-il pas déjà à la
porte du Louvre ? Et celle-ci n'est-elle pas à la veille de
s'ouvrir pour lui ? Le t^ps n'est plus où l'on traitait
Olympia de peinture démente. Il est vrai qu'on a osé
écrire, jadis, que Delacroix peignaitvv avec un balai
'<pn se lasse, vraiment, de toujours rappeler ces
topiques exemples. Chaque lustre écoulé' apporte un
argument de plus à 'èette toujours même thèse de l'art
le plus conspué (songez donc k SAvigelus de Millet)
arrivant, plus tôt que ne l'espèrent ses plus ardents
défenseurs, à se faire un sillage d'or et de diamant dans
son orgueilleuse traversée vers la gloire,
Ceux-là qui, naïvement, sans arrière-pensée, dans
l'unique désir de fixer au mur, entre les quatre raies
blanches on dorées du cadre, un peu de joi^xt de soleil,
acquièrent quelque panneau où se mire l'âme d'un
article, voient logiquement, fatalement, immanquable-
ment, dans les ans futurs, la fantaisie du moment déve-
lopper ses ailes et devenir, aux yeux des benêts ébahis,
l'ŒuvRE cotée, classée, 4eyenue solennelle, et l'invi-
sible signature de jïRfis', griffonnée à l'angle, flamboyer
en lettres de feu. On a dit naguère : « Ceci, c'est un
Corot ! Cela, c'est un Millet ! Ce tableau est de Rousseau !
Cet autre dé Troyon! « OirN|dit désormais, avec non
moins d'orgueil : « Voici un Manet ! Voilà un Claude
Monet! Ce paysage, Monsieur, est de Pissarro! Ce
pastel est signé Degas ! " Tout comme, inéluctable-
ment, on dira bientôt : « Admirez mon Seurat ! Con-
naissez- vous ma marine de Signac? Voyez mon Redon!
Et que dites-vojus de ce Lautrec? » A ceux qui n'ont pas
craint d'àfi'rontèr les périls des premiers achats va le
sourire de la fortune clémente. Récompense? Non,
puisque en les œuvres mêmes gît la satisfaction pro-
mise. Simple ratification par, les masses du goût de
l'acquéreur assez artiste pour ne pas se préoccuper de
l'opinion du moment, et caresse à un amour-propre
excusable.
En Belgique, la génération nouvelle des acquéreurs
dont nous parlons se lève. Et régulièreinè^t les mois-
sons se font, avec l'engrangement, dans des lieux d'élec-
tion, des gerbes mûres coupées dans les champs' fertiles
de l'art. • " r
Hésitants au-klébut, les amateurs s'affermissent. Qui
ne sait que dans les expositions des Cercles, dans les
Salons pfï|ciels, les vieilles peintures rancjes sont irré-
vocablement délaissées. Les, œuvres qui marquent une
tendance v,ers le neuf aff'riandent seules. On se flatte de
posséder un Heymans, un Courtens, un Claus, parce
qu'en eux on sent sourdre la sève du renouveau.
Et quand surgit une manifestation d'art intransigeant
et libre comme ce Salon des XX\ aujourd'hui même
clos (de nulle réclame, dès lors, le reproche ne pourra
naître, et puis, d'ailleurs, qu'importe ?) les acheteurs se
présentent, d'année enjinnée plus nombreux.
« Vendent-ils? Ehr» oui, et plus peut-être que ne \
veulent le reconnaître ceux qui inconsciemment ou
volontairement (drus, ceux-ci) nient le progrès accom- ^
pli par lès idées artistiques nouvelles. Et si l'on dresse
le tableau des œuvres acquises ou commandées avant le
Salon, joint à celui des toiles, des marbres et des
bronzes choisis par les visiteurs durant la période
d'exposition, on demeure surpris de l'importance des
achats faits.
Ce relevé, nous l'avons spi|s les yeux et peut-être
n'est-il pas inutile de le_faire connaître ^♦l»^^,^,„^,
Œuvres acquises avant l'Exposition :
Etude (le paysage. ; i
Une chaumière à Auvers-sui'rOise.
Portrait de M. H. M. (bronze). *• '
Japonaise (mnrbrc).
Portrait' de M. C. M. (bronze).
Le chenal de Nicuport.
Dame en visite. ~
Etude pour un portrait.
Titre pour h Nouvelle Carll>agc.
Frontispice pour les?imdcc{esM'^es.
La vie des choses, n° 3.
Jd. n° 4.
Au Béguinage, n" 2.
Forât vue par les cimes à l'aurore,
^u ciel.
y^ t ,%^Ije barde. '
ï
Paul Cézanne.
Id.
G. Charlier.
lo.
ID.
W. Finch.
Lemmen.
Id.
Id.
Mellèry.
Id.
Id.
Id.
R.* Picard.
0. REDqj^.
A.
G.
X.
i
r
Jd.
Id.
Id.
Id.
Le printemps. ^ '
Frontispice pour « le Juré ».
Figure accoudée (élude pour
Juré) ».
le
l-bi.^
vl .Vm»"
• 1
1
.1*
• '1,
i-- i
0.
Redon.
iD.
ID.
Décapité.
Christ.
Drunnhilde.
Série de neuf dessins pour tes Fleurs
(lu mal.
Ruines d'église.
Portrait de H"''' X.
Richard Wagner.
Bouquet de. fleur s.
Etud-i (bronze).
L'abreuvoir.
Une fleur des Alpes.
Lhommc au fagot.
Mai.
Crépuscule.
H. DE Toulouse-Lautrec. Le bal du moulin de la Gnlcite.
Théo Van Rysselberghe. Denisetle. , ■"
G.-S. Van Strydonck. Portrait.
Id. Quatre portraits au pasicl.
-Û. de Regoïos
P.-Â. Renoir.
Id.
Id.
A. RODIN.
Segantim.
Id.'
Id.
Id,
Id.
\
Œuvres acquises^ pendant l'Exposition :
Cinq médai lions.
Buste (bronze).
Jardin en plein soleil.
. Masques raillant la mort.
Près de Mariakerke.
Etude pour « une Sphinge ».
Avec Grégoire Le Roy.
Wombwell's Ménagerie • les- Elé-
^ phants, n"* 3 cl 4.
La vie des choses, n» 2.
Jd. . no ^.
Id. no6V^
Id. ' n° 7.
Au Béguinage, n° 1.
Homme et femme agenouillés.
Appareillage par un temps calme.
Pégase.
Hantises, u" 0.
La dame en noir.
Cassis (Bouches du Rhùno). Op. 196.
A. Charpentier..
P. Dubois.
J. Ensor.
Id.
A.-W. Finch.
F. Khnopff.
Id.
G. Lemmen.
V* ■ . .
X. Mellery.
Id.
Id. ;^,
Id.
Id.
G. MiNNE.
R. Picard.
0. Redon,
w. schloôach.
Id. ^ '
Paul Signac.
Id.
H. de Toui.ouse-Lautrkc
Id.
11. Van de Velde.
Vincent Van Gogh.
Théo Van Ryssei.berghe
iD.
Id.
G.-S. Van Strydonck.
G. VOGELS.
Id.
M.
Etude.
Liseuse.
Faits du village : VII.
remaille.
La Vigne'%igap.^
A Thuin,'^^
Op. 200.
^
» .
Dessin.
Le /''oj7 5^Py/ (Roscoff ).
Klude. I
Clair de lune.
Rue des Pigeons.
Soit au total : soixante-quinze œuvres, tonnant exac-
tement le tiers des tableaux et sculptures exposés.
De cette statistique, deux conséquences à tirer : c'est
que l'art indépendant s'affirme, malgré les oppositions,
les éclats de rire imbéciles, la guerre à outrance que
Fille qui
lui ont déclaré les ignorants et les envieux (jamais expo-
sition ne fut, plus que celle-ci, attaquée avec furei>F).
Et c'est aussi que le goût des choses d'art se propage,
grâce à des efforts persévérants. Car les artistes n'ont
point fait de concession : et ce leur sera une éternelle
gloire dr'avoir contraint le public à venir à eux sans
faire un pas pour raccourcir la distance.
LA CONFÉRENCE DE SPÉPHANE HIALLARIHÉ
SUR VILLlERS DE LTSLE-ADAM
Avec vive curiosité, sans doute, nos lecteurs liront quelques
lïagmcnis de celte œuvre si diversemcnl appréciée par nolrc
public, peu au courant des transformations qui affectent la lillé-
rurc comme la peinture, et ouvrent les voies vers l'arl neuf qui
inaugurera, vraisemblablement, le prochain siècle.
Voici : 1. Le Préambule. — II. L'Arrivée de Villicrs de l'Islo-
Adam à Paris, 1863. — III. Sa Fin, 1889. — IV. L'OEuvre. —
V. L'admirable Final de la Conférence, lu debout avec une solen-
nité si grave et si pacifiante.
Peut-être l'étude des tronçons de ce rêve parlé, dit mysti-
quement conime un rêve, comme une cérémonie pieuse s'envo-
lant parfois "dans l'extase, où le grand mort était invoqué en fan-
tôme, tantôt précis, tantôt presque invisible, mais présent toujours,
p;irviendra à redicsscr, chez quelques-uns, l'appréciation bizarre
qiie formulaient deS^sprils peu accoutumés à la séduction des
clioses va^gucs et planantes. L'art est aussi varié, que les intelli»
gcnces. C'est manie que de le vouloir réduire aux formules uni-
formes de l'école et que de se refuser à l'admettre dès qu'il revêt
une forme nouvelle.
■^
I
w Un homme au rêve] habitué, vient ici parler d'un autre, qui
est mort.
Mesdames, Messieurs,
Sait-on ce que c'est qu'écrire? Une ancienne el très vague,
mais jalouse pratique, dont gît le sens au mystère du cœur.
Qui l'accomplit, intégralement, se relranch:*.
Autrement, si ce n'était cela, une sommation au Monde qu'il
égale sa hantise k de riches postulats — chiffrés, en tant que sa
loi, sur le pâpîçr; blême de celle audace — oui ! et s'arroger, à
cause de quelque doute, — la goutte d'encre, apparentée à la
-f- nuit, — un devoir de recréer tout, avec des réminiscences :
je crois vraiment qu'il y aurait duperie, à presque ce suicide.
Il est des actes^de portée absolue, tremper une plume notam-
ment.
Le démon littéraire qui inspira Villicrs cFe Ilslo-Adam, à ce
point fut-il conscient? — Par éclairs, pcut-êlro ne voulant
effrayer, avec un déploiement de ses suprêmes conséquences, qui
itmarque, tout de suite; mais, je sais bien, avec mon sens de
témoin d'un destin extraordinaire, que personne jamais ne pré-
irenta, approché, ou ici raconté, le caractère de l'authentique
écrivain, à part, ne sachant que soi, ou même l'ignorant afin d'en
tirer pour sa propre stupeur" superbement le secret, co.iime ce
camarade. 1
\j
'V
60
U ART MODERNE
S
f^
Nul, que je me rappelle, ne fût par un vcnl d'illusion, engouf-
fré dans les plis mystérieux tombant de son geste ouvert, qui
signifiait « Me voici )>, avec une impulsion aussi véhémente et
surnaturelle poussée, que jadis est adolesecifrt--^-du ne connut à
ce moment de la jeunesse, o\x par elle fulgure le destin entier, noa
le sien^ mais celui possible de l'Homme, la scintillation monta b;
qui dote le buste lu jamais du diamanf^l'un ordre solitaire, ne
serait-ce qu'en raison du regard abdiqué par l^i conscience des
autres. Je ne sais pas, mais je crois en réveillant ces souvenirs de
primes années que vraiment l'arrivée fut extraordinaire : ou que
nous étions bien fous! les deux peut-être, et me plais k l'affirmer.
Il agitait aussi des drapeaux de victoires très anciens, ou futurs,
<;eux-là même qui laissent de l'oubli des piliers choir leur flamme
amortie, brûlant encore : je jure que nous les vîmes.
Ce qu'il voulait, ce survenu, en effet japense sérieusement que
c'était : régner. Ne s'avisa-t-il pas, les gazettes lui indiquant la
"Vacance d^n trône, celui de Grèce, incontfncn; d'y faire valoir
ses droits, en vertu de suzerainetés ancesÉoriales, aux Tuileries :
réponse : qu'il repassât, le cas échéant; -=- une minute auparavant
^ on en avait disposé. La légende, vraisemblable, ne fut jamais, par
l'intéressé, démentie. Wis^ ce candidat à toute majesté survi-
vante élut-il d'abord son domicile, chez les poètes : celte fois
décidé, il le disait, assagi et clairvoyant « avec l'ambition
d'ajouter à l'illustration de ma race la seule gloire vraiment noble
de nos temps, celle d'un grand e'crivain ». La devise est restée.
En génie! nous le comprimes tel.
Dans ce louchant conclave qui, au début de chaque génération,
px)ur entretenir à tout le moins un reflet de la divîne'ftâmmc,
assemble des jeunes gens, en cas qu'un deux se décèle l'élu, on
le sentit tout de suite là présent, tous subissant la même com-
motion. -
Je le revois. ,
Ses aïeux, étaient dans le rejet, par un mouvement U sa tête
habituel, en arrière, dans le passé, d'une vaste chevelure cendrée
indécise, avec un air de « Qu'ils y restent, je saurai faire, quoique '
cela soit plus difficile, maintenant » ; et nous ne doutions pas
que son œil bleu pftle emprunté à des cieujT autres que les
visibles ne se fixât sur l'exploit idéal prochain, de nous irrêvé.
Aussi il vint; c'était tout pour lui; pour nous, la surprise
même — et toujours des ans, tant que traîna le simulacre de sa
.vie, et des ans, jusqu'aux précaires récents derniers, quand, chez
l'un de nous, le timbre de la porte d'entrée suscitait l'attention
par quelque son pur, obstiné, solennel, comme d'nine heure fati-
dique absente aux cadrans, et qui voulait demeurer, imariable-
ment se répétait pour les amis anciens, eux-mêmes vieillis, et
malgré la fatigue à présent du visiteur, cassé, lassé, cette obses-
sion de l'arrivée d'autrefois.
Villiers de l'isle Adam se montrait. Toujours, il apportait une
fête, et le savait ; et maintenant ce dev'énait plus beau, peut-être,
„plus humblement beau, ou poignant, cette apparition des antiques
temps irtcessoçimenl ressassés, que la première, en réalité; mal-
gré que le mystère par lui quittéjadis, la vague ruine à demi
écroulée sur un sol de feu, s'y fut à tout jamais tassée, — oi*, on
se doutait entre soi d'autres secrets pas moing noirs, ni sinistres,
et de tout ce qui assaillait le désespéré Seigneur perpétuellement
échappé à l'abîme. La munificence! dont il payait le refuge, aussi-
tôtJqpouillée l'intempérie du dehors, ainsi qu'un rude pardessus.
L'allégresse de reparaître, lui, très correct et presque élégant,
nonobstant des difficultés, et de se mirer en la. certitude que dans
le logis, cofhme en plusieurs, sans préoccupation de dates, du
jour, fut-ce de l'an, on l'attendait--^ il faut l'avoir ouï si2 heures
durant quelquefois! Il se sentait en retard et, pour éviter des
explications lointaines, trouvait des raccourcis éloquents, des
bonds de pensée Qt des sursauts, qui inquiétaient lelienïordial. A
mesure que danslé corps à corps avec la contrariété s'amoindris-
sait en l'aspect" de l'homme devenu cliétif, quelque trait saillant
de l'appai'ition de jeunesse, à quoi il ne voulut jamais être infé-
rieur, il le centuplait par son jeu, de douloureux sous-entendus;
et signifiait pour ceux auxquels pas une inflexion de cette voix, et
même le silence, ne restait étranger : « J'avais raison, jadis, de
me produire ainsi, dans l'exagération, causée peut-être par
l'agrandissement de vos yeux ordinfiire^j, amis d'un roi spirituel,
ou ce qui ne doit pas être (ne fjn-ce que pour vous en donner
l'idée) Histrion véridi4U£,-.©ufrje le fus de moi-même, de celui
que nul n'atteint en soi, excepté à des moments de foudre, et
alors on l'expie de sa durée, comme déjà; et vous voyez bien que
cela est, dont vous eûtes par moi l'impression, puisque me voici
conscient et que je m'exprime maintenant en le même langage qui
sert à autrui à se duper, à converser, à se saluer, et dorénavant
vous le percevrez, comme si, sous chacun de mes termes, l'or
convoité et lu à l'envers de toute loquacité humaine, à présent ici
s'en dissolvait, irradié, dans une véracité de trompettes inextin-
guibles et leur supérieure fanfare. »
Il se taisait; merci, toi, d'avoir parlé, je comprends.
Minuits réels avec indiff^étj^e jetés dans cette veillée mortuaire
d'un homme debout âuprès^ii^soi, le temps s'annulait, ces soirs;
il l'écartait d'un geste, ainsi qu'à mesure son intarissable parole,
comme on efface, quand cela a servi; et dans ce manque de
sonnerie ^instants perçue aux authentiques horloges, il paraissait
— toute la lucidité de cet esprit suprêmement net même dans des
délibérations peu communes, sur quelque chose de mystérieux
fixée, comme serait l'évanouisse^nent tardif, maintenant jusqu'à
l'espace élargi, du timbre annonciateur, lequel avait fait dire à
l'hôle « c'est Villiers ». Avant, affaiblie, une millième fois, son
arrivée de jadis. — Discute? anxieusement avec lui-même un point,
énigmatique et dernier, pourtant à ses yeux clair. Une question
d'heure, en effet, étrange et de grand intérêt, mais qu'ont occa-
sion de SD poser peu d'hommes ici-bas, à savoir que peut-être ne
serait-il point venu à la sienne, pour que le conflit fût tel. Si ! à
considérer l'Histoire, il avait été ponctuel, devant l'assignation
du sort, nullement intempestif, ni répréhensible': car ce n'est
pas contemporainemenl à une époque, du tout, que doivent pour
en exalter le sens, survenir ceux que leur destin chargea d'en
être à nu l'expression, et sont projetés à des siècles au delà,
stupéfaits, pour témoigner de ce qui admirable à l'instant même
vit tard magnifiquement par le regret, et trouvera dans l'exil de
leur nostalgique esprit tourné vers le passé, sa vision pure.
{La lin prochainement).
CONFESSION DE POETE
Atrois poèties, récemment, nous avions posé des questions,
comme celles-ci, sachant comEien les appréciations des critiquçs,
f
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— /
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d'après les œuvres, est différente, souvent, de celle que fait l'ar-
tiste sur soi-même : Comment concevôz-vous votre art? Qu'est,
pour vous, l'Art en général? Quel rapport voyez-vous entre votre
art èl celui du voisin? etc.
Ils nous ont répondu. Voici l'une de ces confessions :
— « Je veux répondre de mon mieux aux questions que vous
m'avez posées. J'avoue qu'elles m'embarrassent un peu, car dles
touchent à des choses profondes, confuses et graves, sur lesquelles
je n'ai jamais aimé à m'inlerroger directement, et vous m'obligez à
descendre ainsi à tâtons, en des souterrains peut-être dangereux.-
pour moi, et où la pauvre lumière que je crois y apporter, risque
fort de vaciller étrangement aux tournants les plus noirs, sous je-
ne sais quels souffles de ténèbres.
Il est difficile, puisqu'elles confluent un peu, de répondre stric-
tement et séparément à chacune des questions posées, sans
s'exposer à maintes redites; pardonnez donc, si, par moments
les solutions s'emmêlent un peu plus que de raison.
A part l'instinct qui m'y pousse, — et peut-être pourrait-on
dire ici, que l'instinct est l'idée générale par excellence, mais infor-
mulée, et pfplîgblement informulable ; — à part l'instinct qui
m'y pousse, je n'ai sur l'art et ses fonctions aucune idée générale
que j'aie le droit de croire mienne. C'est là une des oubliettes de
mon cerveau où j'aime le moins à pénétrer, et lorsque je m'y
. aventure, j'en sors toujours découragé et effrayé pour longtemps,
au souvenir des pullulalions par trop embryonnaires qtie j'y ai
entrevues. Il y a là quelque mystère probablement aussi inso-
luble que celui de nos destinées, et en attendant mieux, je ferme
les yeux avec résignation, en rne laissant aller aux impulsions
obscures d'une force intérieure, que je ne connaîtrai peut-être
jamais. ,
J'aime moins encore à examiner la question d'un côté plus
extérieur, si l'on veut, et à m'égarcr dans les antiques et assez
stériles territoires dés^ théories esthétiques ; tous les chemins
convergent un peu trop vers les mêmes et imnvêmorialcs écuries
d'Augias des littératures, situées au milieu de forêts sans clai-
rières et sans étoiles, jusqu'ici. Au fond, j'ai de l'art une idée si'
grande qu'elle se confond avec cette mer de mystères que nous
portons en nous. Je pense que l'art doit être à l'homme ce que
l'homme est à Dieu ; — èl peut-être Dieu lui-même a-t-il peine,
, par moments, à se rendre compte de l'homme. Mais, à considérer
'î le côté moins nocturne des choses, il me semble que c'est l'unique
' atmosphère où une âme puisse se développer visiblement et nor-
malement aujourd'hui; et, comme l'affirme l'admirable Carlyle,
^la seule forme d'héroïsme qui nous reste.
' Je n'ai donc d'autre étoile ici, qu'une pauvre petite nébuleus^c
irt(<îrieure, infiniment tremblottanle au fond des ténèbres sans fin;
riiâli inextinguible. Je ne sais où je vais ni ne veux le savoir; et
c'est là, peut-être, l'état d'àme des meilleurs d'entre nous. Je"
crois qu'il vaut mieux ne pas trop se coiinaîire soi-même cl je
n'envie pas ceux qui se parcourent aisément. J'ai, avant tout, un
immense respect pour loul ce qui est inexprimable dans un être,
pour tout ce qui est silencieux dans un esprit, pour loul ce qui
n'a pas de voix dans une âme, et je plains l'homme qui n'a pas
de léKèbres en lui. '
Vous me demandez ensuite de quelle façon je comprends mon
art particulier ; et ici aussi, il faudra me pardonner mes mul-
tiples éxasions. Depuis l'exemple un peu fallacieux d'Edgard Poë,
il scmi)le que maints artistes tiennent à se persuader qu'ils sont
conscients ; que leur art est prémédité, qu'ils en ont fait le tour
une fois pour toutes, qu'ils ont embrassé d'un coup d'oeil définitif
leurs champs d'expériences et en onl vu toutes les ressources.
Ils opèrent au milieu d'un système d'alambics multicolores et très
savants, l'éclairage est sagacement réglé, et le feu est placé dans
un coin, entouré de précautions. Ils se font gloire de pouvoir dire
exactement ce qu'ils ont voulu et où ils vont; mais je crois que la
conscience ici est l'indice du mensonge et de la mort. Je crois
que tout ce qui ne sort pas des profondeurs les plus inconnues et
les plus secrètes de rhomme,.n'a pas jailli de sa seule source légi-
time. Je crois qu'alors, ce n'est pas la verge sainte de Moïse qui
a frappé le rocher mystérieux dans les déserts de l'ame, mais la
verge mauvaise de celui qu'il ne faut pas nommer. Je compare -
l'alchimie du cerveau à l'alchimie ile la nuit; et le cours des
étoiles me semble moins inexplicable que le cours des pensées.
J'ai toujours constaté sur moi-même, que toutes les parties con-
scientes de mon art (pardonnez-moi cette expression trop orgueil-
leuse, mais je l'emploie uniquement pour abréger), ont varié sans
cesse et se sont inclinées aux souffles divers des lectures et des
autres influences ; tandis que toutes les parties instinctives, tout
ce que je n'avais pas voulu, tout ce dont j'ignorais l'origine, tout
ce dont je ne me rendais pas compte, demeurait immuable au
milieu de mes évolutions. J'ai remarqué aussi qu'à mesure que
j'acquérais la pleine conscience de quelque élément de mon art,
c'était l'infaillible indice de la mort et de l'élimination prochaine
de cet élément. On pourrait dire que désormais trop conscient, il
était semblable à une branche qui se flétrissait après avoir pro-
'duit son fruit. Il y en a d'innombrables ainsi, mortes au pied de
l'arbre; de quoi faire un salutaire feu de joie où je voudrais brûler
les formules, les apparences et les procédés. Il me semble que
ces progrès de la conscience qui montent lentement comme une
vie, en laissant la mort derrière elle, n'offrent d'intérêt, et ne
doivent être accélérés, à travers toutes ces morts successives, que
parce que, les premières branches disparues, d'autres, inconnues
et insoupçonnées jusqu'alors, entrent immédiatement en sève
vertes et féeondes tant qu'elles restent dans l'ombre, pour se
faner à leur tour quand la clarté les gagne, et ainsi de suite, jus-
qu'à, la cime des feuillages, que j'espère n'apercevoir que de
l'autre côté du tombeau.
Je ne pourrais donc vous parler que de choses mortes dont il
vaut mieux ne pas remuer le silence; et quant à ce qu'il y a au
dessus d'elles, j'aurais peur ici, du son de ma propre voix. Il y
a dans notre âme, une chambre de barbe-bleuf^, qu'il ne faut
pas ouvrir. Aujourd'hui, vous me mettez une clef d'or dans la
main; mais ja tremble devant la porte, et je sais que cette clef
tombera dans le sang si je désobéis à l'ordre mystérieux. Il y a
dans notre âme une mer intérieure, une effrayante et véritable
mare tenebrarumoh sévissent les étranges tempêtes de l'inanicnlé
et de l'inexprimable, et ce que nous parvenons à émettre en
allume parfois quelque reflet d'étoile dans l'ébullition des vagues
sombres. Est-ce de ces uniques eaux muettes que nous arrosons
les terres mortes de l'art? Je no sais ; mais il me semble que l'on
sent leur volume s'accroître en soi, à mesure qu'on avance dans
la vie, sous toutes les sources de la nuit qui nous entoure; jusqu'à
ce que, peut-être, elles nous montent à la gorge, et nous imposent,
ce qui doit être la sagesse suprême, le silence qui désormais con-
naît son règne.
Ef^c'est ainsi que j'é<',oule, avec une attention et un recuoiilo-
mcnt de plus en plus profonds, toutes les voix indistinctes de
l'homme. Je me sens attiré, avant tout, par les gestes inconscients
\
(•
02
V ART MODERNE
de l'ôlpc, qui passent leurs mains lumineuseï à travers les cré-
neaux de celle enceinte d'arlifice où nous somnrcs enfermés. Je
voudrais éludicr toul ce qui csl informulé dans une existence,
tout ce qui n*a pas d'expression dans la mort ou dans la vie, tout
ce qui cherche une voix dans un cœur. Je voudrais me pencher
sur l'insliflcl, en son sens de lumière, sur les pressentiments, sur
les facultés et les notions inexpliquées, négligées ou éteintes, sur
les mobiles irraisonnés, sur les merveilles de la mort, sur les
mystères du sommeil, oCi-malgré la trop pujssantc influencé des
souvenirs diurnes^ il nous csl donné d'entrevoir, par moments,
une lueur de l'être énigmatique, réel et primitif; sur toutes les
puissances inconnues de notre âme; sur tous les moments où
l'homme échappe à sa propre garde; sur les secrets de l'enfance,
si olrangemcnt spirilualisie avec sa croyance au surnaturel, et si
inquiétante aVec ses rêves de terreur spontanée, comme si réelle-
ment nous venions d'une source d'épouvante! Je voudrais
guetter ainsi, paiiemment, les flammes de l'être originel, à travers
toutes les lézardes de ce ténébreux système de tromperie el de
déception au milieu duquel nous sommes corfSamnés à mourir.
Mais il m'est impossible d'expliquer toul cela aujourd'hui ; je ne
suis pas sorti des limbes, el je tâtonne encore, comme un enfant,
aux carrefours bleus de la naissance.
Vous compléterez ma pensée, mietjx que je ne pourrais le faire,
comme vous l'avez fait si souvent, c'est noire espoir, cette pré-
sence attentive , el c'est une de nos plus saintes joies. »
Admirable el ingénue confession ! Nous publierons successive-
ment les deux autres.
AUX XX
Deux séances de musique française. (1)
Alexis de Caslillon esl un musicien mort à trente-deux ans,
quelque lemps après la guerre, en 4874, croyons-nous, et dont
l'œuvre, en partie manuscrite, révêle un tempérament exception-
nel. Dans une forme classique, avec la pondération d'un esprit
clair cl iViélhodique, il s'épanouit en inspirations d'une élévation
cl d'une noblesse peu communes.
La phrase, toujours élégante, se développe avec une aisance el
une ampleur qui entraînent l'esprit de l'auditeur vers les plus
huiles spécnlalions de la pensée. ^
On s'est étonné (ju'une œuvre aussi remarquable que le trio
pour piano, violon el vioJ,oncelle, jouéiar MM. Vincent d'Indy,
E. Ysaye et J. Jacob aux JÏX, fûi ^etnearée si longtemps incon-
nue. Le quintcUe pour piano el cordes, lorsqu'il sera révélé, pro-
duira une impression analogue el classera définitivement Caslillon
parmi les grands musiciens de l'époque.
Vallegretto du trio, el surtout Yadagio qui précède Yallegro
final, sont des morceaux de premier ordre, daps lesquels les
beautés sévères du style classique s'allient à la liberté, à la sou-
plesse, h la fougue d'une nature esseniiellemenl moderne, ouverte
;iux sensations subtiles, aux impressions complexes cl raffinées.
Dans la Suite basque de Charles Bordes pour flûte et quatuor
;i cordes, l'élémeni pittoresque domine, le ressouvenir de mélo-
dies entendues dans les montagnes ^n leur mélancolique dévelop-
pement, el aussi de celte danse à cinq temps, le Zorlzico, traitée
;1) Suite et fin, — Voir notre derniernuméro. ' '
en vitennczzo, qui forme un épisode de l'œuvre. Mais la person-
nalité du jeune compositeur apparaît ncltcnoent dans les modula-
tions neuves par lesquelles il fait passer ses thèmes, dans la
recherche de timbres curieux qui donrienl à sa musique une
saveur rare. Très ingénieusement" l'auteur mêle aux motifs
basques, notés au cours d'un voyage au pays pyrénéen, un chant
de S!) composition, nn chant triste el doux, soupiré par la flûte,,
repris par les cordes, qui évoque l'image du voyageur errant
parmi les fêles de la contrée, dans le charme d'une nature
agrcslc.
Les œuvres vocales entendues cette année aux XX se compo-
saient, ouirc celles de César Franck, précédemment analysées,
d'un fragment du drame d'Ernest Chausson : Hélène, sur un texte
de Leconle de Lisic. C'est la troisième scène du premier acte, un
chœuf pour voix de femmes avec accompagnement de quatuor à
cordes, piano et harpe. La musique exprime très exactement les
vers de Leconle de Lislc, en leur allure un peu pompeuse et en
leur correction classique. 11 nous tarde d'enlendre dans son inté-
gralité une œuvre qui paraît sérieusement écrite et d'une belle
conception artistique.
Puis encore : un ffymne à Venus, chœur pour voix de femmes
dans le mode phrygien (îmm! esl-ce bien phrygien?), d'une jolie
inspiration, par Pierre de Bréville, el la Chanson des Fées de Paul
Vidal pour trio de voix de femmes el chœur (b bouches fermées),
avec accompagnement de harpe, intercalée dans le Baiser de
Théodore de Banville.
Deux mélodies de Gabriel Fauré : la Fée aux chansons el les
Berceaux, et un Nocturne A' \xvi nouveau venu, Albéi-ic Magnard,
complétaient ces programmes, qui feront date.
Le Nocturne de M. Magnard, écrit sur un texte en prose, décèle
un musicien raffiné, ayant l'horreur de toute banalité, el qui puise
ses inspirations aux sources pures de l'art. La scène descriptive
par laquelle il a débuté aux XX, et qui porte pour épigraphe la
phrase d'Isolde au deuxième acte de Tristan .- « lin Schweigen
der Nachl nur lachl mir der Quell », csl d'une poésie pénétrante
el d'une intensité d'expression qui permettent de fonder sur
l'ariisle les plus sérieuses espér-anccs.-
La Fermière.
La Fermière est une pièce qui a médiocrement réussi à l'Am-
bigu, mais qui s'est joliment rattrapée au théâtre des Galeries, où
elle a remporté, avant-hier, un gros succès. Question d'interpré-
tation, me dit-on, et de farandole : celle-ci manquait à Paris ;
elle a tout sauvé à Bruxelles.
Au premier acte, la belle Catherine (M™* Berly) est dénuée de
pécule cl pourvue d'un nombre considérable de créanciers. Au
dcBxièrtie, elle fait un héritage el ses créanciers se transforment
aussitôt en amoureux. Les .uns se batleni entre eux à coups d'épée
et à coups de poing. Les autres font un pacte par lequel ils s'en-
gagent à se soutenir les uns les autres, — pacte qu'ils s'empres-
sent d'ailleurs de ne pas observer. Mais Càtbcrine aime Jean Par-
meniier(M. Valbrel) lequel adoro Brigitte (M"« Real), sœur de la
précédente. Furieux de voir son fils délaisser les prés, fes champs
et le riche béiail de la fermière pour le cœur (el la chaumière) de
Brigitte, le vieux Toussaint Parmentier (M. Garnier) lente d'em-
poisonner cette dernière. Son fils csl très rnécontcnl el le lui fait
comprendre. Mais le respect filial l'empêche de livrer l'cmpoison-
J^
^
^w
A.
ncur aux gendarmés. Survient un assez mauvais sujet, jadis trahi
par le vieux, qui, pour se venger, nous débarrasse de celle
canaille. Catherine ne sacrifie naturellement, puisque le rôle
« sympathique » lui est dévolu. Elle fait cadeau. de son héritage
il sa petite sœur, qui épouse Jean. Quant à elle, un brave garçon
qui avait attrapé au deuxième acte un coup de coukau en ^pre-
nant sa défense reparaît à temps pour lui demander sa main.
La Fermière est., on le voit, une comédie de la catégorie des
pièces honnêtes où la morale ost scrupuleusement respectée. Elle
pourrait être jouée au Théûlre Molière sans la moindre bande
rouge sur l'affiche. Quelques finasseries de paysan sont drôles,
d'une drôlerie moins apprêtée que celle de Nos bons Villageois,
et plus observée. Et puis, il y a sur la scène de vrais bœufs, des
gerbes authentiques, un chariot indiscutable. Il y a aqssi un
berger, mais privé de son troupeau : il parait qu'en ce moment
le mouton est hors de prix..
Quoi qu'il en soii, le publie d paru ravi de ce drame rustique,
qui va le distraire des lugubres aventures des Mystères de Paris
et de la Policière. L'interprétation a contribué dans une large
mesure au succès. M. Garnier, surtout, s'y est monlrd^comédien
excellent. - _
« •
A dimanche le compte-rendu de Marquise, jouée au Parc cette
semaine, et dans laquelle U"^ Charlier, engagée spécialement,
s'est fait un joli succès.
Chronique judiciaire de^ ^rt^
Un curieux procès de propriété littéraire, dit le Ménestrel, va
se plaider à Berlin. Un compositeur, M. Sommer, avait demandé
à M. Wolff, auteur d'un poème épique intitulé Lîirley, de tirer de
ce dernier un livret d'opéra. M. Wolff n'ayant pas cru devoir dont
ner l'autorisation demandée, M. Sommer a passé outre et s'est
fait confectionner un livret par un autre poète, M. Gurski, qu'il a
mis en musique et fait publier. De là le procès. M. Sommer pré-
tend qu'un auteur n'a pas le droit d'empêcher, par un refus
arbitraire, comme celui de M. Wolff, qu'on lire parti d'une œuvré
publiée pour en créer un nouvel ouvrage d'un genre différent.
Ainsi, \e Lurley de M. Wolff' étant un poème épique, il serait
permis à chacun d'en faire un drame, un opéra, sans autre obliga-
tion que de citer sa source. M. Jules Wolff proteste énergique-
menton le comprend. Les tribunauVjiécideront.
pETITE CÎHROj^IC^
L'Exposition des XX, la plus vivante et la plus attachante de
toutes celles qui ont été organisées depuis sept ans, sera irrévo-
cablement close, aujourd'hui dimanche, à 5 heures. ,
Un grand concert organisé par la Réunion des Arts et du Tra-
vail, sous la présidence d'honneur de M. Poriaels, directeur de
l'Académie des Beaux-Arts, de M. Gevaeri, directeur du Conser-
vatoire, et la présidence effctive de M™* Lemmens-Shcrrington,
sera donné au profit de VOEuvre pîiilanthropique du Travail,
le lundi 24 courant, au local de l'OEuvre, rue Veydt, avec le con-
cours de M""» Vanden Bcrghe, Moriamé-Lefebvre, Sarah Kayser,
do MM. 0. Drèze, Carlô Sansoni, Deboeck et de la Société royale
l'Orphéon, dirigée par M. Bauvvens.
On peut se procurer des caries chez les principaux éditeurs de
musique et au local de l'OEuvre, rue Veydt, 47, au prix de 3 et
de b francs. (Communiqué.) "- ;
A, la suite delà conférence de M. Stéphane Mallarmé, la com-
mission administrative du Cercle artistique et littéraire de
Bruxelles a été réunie d'urgence dimanche dernier à deux heures.
Le président et l'organisateur des soirées ont été pris à pariic.
Ils ont vainement fait remarquer que M. Stéphane Mallarmé est
une illustration de la lillérature française, un novateur hardi uni-
versellement admiré. On leur a répondu qu'il eût siffi de le mon-
trer sur l'estrade pendant un quart d'heure comme un numéro de
concert, et de consacrer le reste de la séance à M. Coquelin, .à
M. Frédérix, à M. Dreyfus ou à M"« Thénard. Bref, on a volé,
à l'unanimité moins deux abstentions, qu'à l'avenir on imposerait
aux conférenciers,' outre une épreuve préalable devant la com-
mission réunie, l'obligation de ne traiter que des sujets à la
portée du public habituel.
M. Stéphane Mallarmé, informé de cet incident, dès lundi, a
tenu ce propos : « La prochaine fois j'apporterai une boîte de
physique amusante, et dès que je m'apercevrai que l'auditoire
s'ennuie, je me mettrai à faire des tours. «
Le jury chargé d'apprécier les œuvres dramatiques envoyées au
concours de 1889 a décidé à l'unanimité que le prix est mérité
par la comédie en trois actes intitulée : Les Microbes, portant
pour devise : « Rien n'est beau que le vrai » et due à la colla-
boration de JIM. Louis Claes et Jules Guilliaume. Elle sera repré-
sentée prochainement sur une scène bruxelloise.
Le jury a de plus signalé, comme méritant une mention hono-
rable, deux pièces dont les devises sont : Les petites querelles
ravivent l'amour et La vie est inextricable.
Les enveloppes jointes à ces œuvres ne seront ouvertes que du
consentement écrit des auteurs.
Les auteurs sont. donc invités à remplir cette formalité, en
s'adressant au secrétaire de l'Union littéraire, 24, rue du Pépin,
à Bruxelles, s'ils désirent que leur nom soit proclamé.
L'assemblée générale du 9 courant a décidé qu'un concours de
romans et de nouvelles sera ouvert en 1890 : le règlement sera
voté au commencement du mois de mars.
VAngrlus de Millet poursuit ses pérégrinations. Ce tableau
est arrivé à Chicago. Après qu'il aura été suffisamment exposé
dans celte ville, on l'expédiera, paraît-il, à Londres. Un amateur
anglais aurait, dit-on, offert de l'acheter au prix de 750,000 fr.
Il paraît que M. Vanderbilt a fait offrir- 100,000 livres.
(2,300,600 francs) à la reine Victoria pour la RLu de Mcissonier.
L'offre a été repousséc.
jjme Angusla Holmes vient d'accepter d'écrire et de mettre en
musique un Hymne à la Paix qui sera chanlé au mois de mai
prochain, au théâtre du Polftcama de Florence, à l'occasion de
l'Exposiiion du travail des femmes qu'on organise en ce moment.
VHymnc à la Paix sera chanté par un chœur de trois cents
voix. -
M'"* Materna se fera entendre aux concerts Lamoureux, à Paris,
aux dix-huitième et dix-neuvième concerts de la série.
V-
/
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depuis les premiers éléments do l'harmonie jusqu'à
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ment théorique et abstraite de l'harmonie par des exercices pratiques
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faveur marquée. La pr^ente traduction mettra le public français à
même d'apprécier un des rares ouvrages d'enseignement musical ies
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Dixième année. — ^ N" 9.
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 2 Mars 1890.
L'ART MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTERATURE
/
Comité de rédaction i Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
Ym
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale,- fr. 13.00. —ANNONCES : On. traite à forfait.
* Adresser toutes les communications à
l'administration générale de l'Art Moderne, rue de l'Industrie, 26, Bruxelles.
?
OMMAIRE
\
Types d'artistes. — La oonfkrence de Stéphane Mallarmé scr
ViLLIERS DE l'IsLE-ADAM. — CONFESSION DE POÈTE. — CoNCERTS
PARISIENS. — Conférence de M. Sigogne. — Mémento des Expo-
sitions. — Petite chronique.
TYPES D'ARTISTES
. L'autre soir, après un dîner d'artistes où l'on avait
réveillé des souvenirs assoupis, où la causerie avait dis-
crètement effleuré des problèmes d'art, — cettè^eauserie
si douce quand elle émane d'hommes ayant assez d'idées
communes pour se comprendre à demi-mot, — le hasard -
des vadrouilles nocturnes nous poussa dans un de ces
cabarets dont le Chat noir, jadis, instaura le modèle :
bric-à-brac suspect, donnant l'aspect approximatif d'un
atelier de rapin, murs tapissés d'études, de charges,
de pseudo-Willette, de toute une brocante de palettes,
de tambourins, de crépons et d'écrans fraternisant avec
les faïences poly chromées, les plats d'étain, les chande-
liers de cuivre accrochant des paillettes de lumière. Et,
brusquement, l'évocation de cette friperie romantique
nous afl'ecta, comme un accord faux plaqué en pleine
symphonie. Notre gaieté tomba devant cette grimace
de l'Art, parodiant ce que tous nous révérons, et le
cabotinage du décor nous glaça.
Pour la foule, peu au coiirant des transformations que
chaque génération amène dans les mondes qu'elle ne fait
qu'entrevoir, les cabarets soi-disant artistiques représen-
tent assez exactement l'yitérieur des peintres d'aujour-
d'hui. Ell^ figure, et la détromper ne sera peut-être pas
aisé, les peintres, les musiciens; "les "poètes embrigadés
indistinctement dans ce régiment de Bohême dont Henry
Miirger créa jadis les uniformes pittoresques. Il y a,
certes, des gens convaincus que tous les artistes sont
vêtus de gilets voyants, passent leurs nuits à boire,
mènent une vie de bâtons de chaise. Et cette phrase :
« On ne dirait pas que c'est un artiste », quintessencie
l'ineffable bêtise des bourgeois persuadés que pour être
poète il faut avoir l'air phtisique et porter des redin-
gotes râpées; que les musiciens saniipncent au loin par
l'abondance inusitée de leur chevelure ; que les peintres
se manifestent aux profanes par des vestons en velours,
des barbes hirsutes, et lé débraillé de leurs gestes
ponctuant de coups de pouce en zig-zag des dialogues
émaillés de-nnpts d'argot.
La vérité est que les Schaunard, les Marcel et les
Colline deviennent, en cet an 1890, si rares que pour
n'en pas perdre complètement le souvenir, intéres-
sant pour l'histoire documentaire de l'art, il sera utile
d'en faire placer quelques exemplaires (réduction Castan)
V^
^
,1-
i ^^,1
dans les Musées archéologiques. Et que les malheureux
(il en est encore, du moins on l'afifirme) qui s'épuisent
en excentricités pour ne pa^ être « confondus " avec
les ingénieurs, les avocats, les ministres et les notaires,
passent à l'état de phénomènes isolés dont la vue dis-
trait le passant, — comme jadis ce grand seigneur dont
la coquetterie consistait à porter dans les rues des pour-
points à crevés, des collerettes tuyautées, des culottes
d'un xvii" siècle authentique enfoncées dans des bottes
molles i\ manchettes.
Mais la toilçtte est d'observation négligeable en pré-
sence de la révolution qui s'est faite (Jans les idées, dans
la mani^rQ de vivre, dans la personnalité tout entière
des artistes. Et c'est ici que la remarque est impor-
tante, car elle correspond à un bouleversement profond
de l'art lui-même.
Depuis que les procédés, d'instinctifs qu'ils étaient
naguère, sont devenus scientifiques, que les méthodes
d'investigation se sont faites rigoureuses, que la tech-
nique des arts, excluant toute complicité du hasard,
exige un labeur assidu et une constante concentration
de pensée, un changement s'est produit, tout natu-
rellement, dans la personnalité des artistes, nous
entendons parler surtout des artistes français. La
précision de l'expression plastique a déterminé,
semble-t-il, la correction de l'individualité. La somme
effrayante de connaissances qu'il faut acquérir en
peu d'années, au risque d'être relégué aux arrière-
gardes du bataillon toujours en marche, oblige à un
travail incessant, entrepris dès l'adolescence et pour-
suivi sans relâche si l'on entend res.ter parmi les milices
actives et ne point passer dans les réserves. Jamais, à
aucune époque, les évolutions artistiques^n'ont été aussi
rapides. Il est presque permis de dire que dix années
sont le maximum d'épanouissement qu'il soit donné à
un artiste d'atteindre, et qu'après ces dix années, le
souvenir seul persiste d'un éclat disparu. Pour arriver
à cette gloire temporaire, quel labeur acharné, quelle
vie de concentration intellectuelle, de solitaires médita-
tions, de patientes études !
Les exemples foisonnent. Georges Seurat, qui le
premier appliqua audacieusement les découvertes de
Maxwell, de Chevreul et les théories de Rood sur la
division pigmentaire des tons, tâcheronue, les six jours
de,la semaine, comme un ouvrier, de neuf heures du
matin à sept heures du soir, en ce modeste atelier clair
du boulevard de Clichy dénué de tout bricà-brac, où
seules rayonnent, dans la blancheur des cadres, les
études rapportées d'un séjour à la mer ou aux champs,
— séj-our non de repos et de vacances, mais d'acharné
travail et d'emmagasinement documentaire. Au phy-
sique : l'homme simple, correct, réfléchi, à la parole
mesurée et précise que vous aVez-piy;ertcontrer parfois,
vêtu de noir, mêlé à la foule d'une ouverture d'exposi-
tion, et ne se distinguant du premier passant venu que
par l'énergie d'un visage placide qu'anime un regard
implacablement décidé.
La bonhomie et la bienveillance d'Odilon. Redon, sa
vie laborieuse partagée entre son art, sa femme et son
fils, tantôt dans le rustique asile d'une maisonnette
plantée à l'orée de la forêt de Fontainebleau, tantôt, et
durant la grande partie de l'année, en ce solitaire appai^
tement de la rive gauche d'où l'artiste ne sort guère
que pour faire une promenade méditative — presqu'une
orai-son ! — sous les ombrages du Luxembourg, étran-
ger au Paris qui bout à ses pieds, confiné dans son rêve,
et de si loyales et courtoises relations avec les très rares
qu'il honore de son amitié, — en quoi cette véridique
évocation de «l'homme modeste et bon. que nous vîmes,"
parfois, durant les trop rapides jours d'un pèlerinage
d'art en Belgique, intimement ici, s'accorde-t-elle avec
la figure inquiète, excentrique, tourmentée, qu'imagi-
nerait tel ou tel, appréciant selon les modèles jadis qua-
lifiés : types d'artistes, le peintre des Fleurs du Mal et
du Juré?
Et Claude Monet, ce rustique mâtiné de parisianisme,
dont pas un détail de toilette, de geste, de vocable ne
décèle l'artiste que nous admirons. Et Degas ! Et Puvis
de Chavannes! Et Rafi'aëlii! Et Besnard! Je les cite au
hasard, sans souci des groupements ni des âges.
Si l'on songe aux hommes de lettres, aux musiciens,
on est frappé de la simplicité d'allures, de l'absence de
" pose », de l'aspect " comme tout le monde - qu'ont
désormais tous les hommes de valeur de la France
nouvelle.
Rappellez-vous Stéphane Mallarmé montant à la tri-
|)une du Cetxle artistique et des XX irréprochable-
ment vêtu, cravaté, plastronné, les gants au gibus,
comme le premier . dandy venu, et d'extérieur si peu
farouche avec ses cheveux lustrés, sa courte barbe gri-
sonnante, sa moustache poivre et sel qui lui donne une
lointaine ressemblance avec M. Charles Graux, ancien
ministre des finances. Dans l'intimité : l'homme le plus
cordial, le phis affable qui soit, étincelant dans la cau--
serie, mais ne parlantjamais pour dire des riens; conteur
spirituel et charmant; féministe raffiné, recherchant la
corapagni^es femmes, sachant leur plaire par une
galanterie pleine de déférence et par des attentions res-
pectueuses.
Le souvenir nous hante de Georgeâ" Ancey, l'auteur
de Y École des veufs, que précisément nous reçûmes à
Bruxelles quelques jours avant Mallarmé. Au physique:
le visage énergique, calme, réfléchi deOeorges Seurat.
Même taciturnité. L'œil, inquisitorial, toujours en sai-
sie d'observations railleuses et de documents neufs.
Puis, la conversation amicalement engagée, des aperçus
très fins, très nets, très personnels énoncés sans aucune
prétention, sans nul désir de briller, de tirer le tradi-
tionnel feu d'artifice des malheureux qui se croient
tenus de maintenir une réputation d'homme d'esprit
laborieusement acquise dans les diners en ville et qu'on
voit encore à Bruxelles, au théâtre, errant d'un.e loge à
l'autre, colportant une anecdote ou un « mot de la fin ",
en quête d'un « ah! charmant! que d'esprit! - et qui
excitent, en somme, plus de pitié que de raillerie.
Et Vincent d'Indy, la plus haute personnalité musi-
cale de la génération actuelle, désormais presque popu-
*n^aire à Bruxelles, quelle totale absence de puffisme,
quelle séduction dans l'absolue simplicité de ses manières
et dans la modestie de son talent. Vous souvenez-vous de
la bonhomie avec laquelle, sur l'estrade, il disposait lés
pupitres, plaçait les choristes,, s'installait à l'harmo-
nieux, juché sur une caisse de bois ! Où donc la pose des
musiciens de jadis, les entrées savamment ménagées, la
chasse anxieuse aux applaudissements, et, comme
plusieurs, même contemporains, lès mots à la canton-
nade destinés à être trompettes par des reporters, les
allures de jeune dieu aux regards extatiques, la grande
pose que Liszt, notamment, poussa jusqu'au vertige?
César Franck serait pris pour un notaire de cam-
pagne Gabriel Fauré pour un officier en congé. Pierre
de Bréville pour un secrétaire de légation. Tous les
artistes français qui prennent part à la merveilleuse
rénovation artistique qui mai'que notre époque ont, à
fort peu d'exceptions près, rompu définitivel^ent a^ec
la tradition des « tètes ", des mises bizarres, des effets
d' « épatement ", de même qu'ils ont renoncé aux
mœurs de bohème que le public continue à leur prêter.
La conclusion? Il n'y en a pas. On peut être un très
grand artiste et aimer à se singulariser. Mais la ten-
dance à supprimer de l'art, cette grande force sociale.
jusqu'à l'apparence du cabotinage, nous plaît infiniment,
et peut-être n'était-il pas inutile de noter, en ces sil-
houettes sommaires, la rentrée dans les ranas de notre
société démocratique de tous ecux qu'on se plait
à traiter d 'irréguliers. Telle est la pensée qui- nous
obsédait tandis que nous marchions, par une nuit
étoilée, dans les rues solitaires, après ce confraternel
repas où nous avions réveillé de chers souvenirs
assoupis
U COHFÉRENGE DE STÉPHANE MALLARUIIÉ
SUR VILLIERS DE LiSLE-ADAM (1)
III
Atleslaicur du désastre qni suivra, je me diMiiando vis-h-vis do
cet afflux de splendeur en dedans, l^e plus grand qui fut chez un
être, indéniablomenl que des circonstances préparaient, hérédité,
éducation sauvage par soi et les grèves, un nom, à lancer haut
comme sa pensée, si Villiers de l'Isle Adam ne resta pas inlé-
(1) Suite et fin. — Voir notre dernier numéro.
riouremcnt et îi jamais consumé par celte jeunesse qui fut — son
coup do foudre pour lui-même; encore jo me demande cela et me
demanderai bientôt d'autres choses, car voici de ['rnailendu —
«Vous savez. Villiers va mal. » — « Bah! un rhume >». —
. « Plus! » s'ahorda-t-on : Voici l'invasion, brusquée, il semble,
du tragique, tant sa vie, dans des redites d'ennuis, s'était essouf-
llc'e, et usée, ou supprimée : maintenant gil la comme un fort
ancien vieillard, dénué d'âge, ayant beaucoup bataillé, l'homme
qui n'a pas été, que dans ses rêves.
Tant de bravoure! et ne survit que ce visage émacié de mori-
bond avec angoisse, recherchant en soi la personnification d'un
dos types humains absolus Consomption, que sais-jc? désordre
du rœW, mais on oublie un certain virus laissé par la rage d'avoir
semblé superflu à son temps; et c'est adossé aux oreillers du
malade, la rcconslltulion de Intime tierlé devant une évlclence
que, tout ce qu'il y avait de pos-sible, dans le milieu, il le tenta
et que donc sa vie si dissémiiiée, omise presque, existait. Il dis-
cutait son cas, se livrait ^ des règlements de compte particuliers
avec le ciel : « Ce ne serait pas juste », puis un soupir. — « Tu
assistes » je vote la Visitation funèbre du regret « sache-le » con-
tinuait sa face au crépuscule qui retombait dans la propreté de
rideaux blancs, « à un litige c.rilre Dieu et moi » : ou, un malin,
affolé; el comme instruit, par quehiuc sagace cauchemar, que
grâce ne serait pas faite : « J'ai trouvé, dans la nuil, doux blas-
phèmes au trois... » mais il n'achevait pas, hlial ; soit qu'il les
tint pour le moment opportun.
IV
Tel, dans son intégrité, restituée enfin, durable, tout à l'effigie
d'un homme énigm.uique de qui la présence en ce temps est un
fait, l'œuvre qu'évoquera le .nom de Villiers de l'Iilc-Adam; et
dont l'impression, somme toute, no ressemblant à autre chose,
choc de triomphes, trislcsse abstraite, rire éperdu ou pire qoand
il se lait, et le gli.ssemoni majestueux d'ombres el do soirs avec
une inconnue gravité et la paix, no romcmore ([uo l'énigme do
l'orchestre : et mon suprême avis, le voici. Il semble que par un
ordre de l'esprit litiéraire, et par prévoyance, au moment exact
où la Musique parait s'adapler mieux (^u'aacun rite "a ce qiio do
latent recèle ei d'à jamais lénébroux une prcSi.^nco do foulo, col
écrivain ait été montré que rion, dans l'inarliculation ou l'ano-
nymat do ces cris, jubilation, orgueils, ivresse et tous transports,
n'existe, que ne puisse, avec une magnificonce it'j^i}.<^ et do plus
notre conscience, cotl'e clarté, rendre la vieille et sainte élocuiion ;
'bu le Verbe, quand c'est quelqu'un qui lo protore.
MeSDA.MES, - ^
Messielrs,
Tandis qu'ici venu j'espcrais, comme fréquemment nous lo fai-
sons, quelques tidèlos," entre nous, évoqijer d'un traiî. ou do Ct'l
autre, une figure, qui n'oiit dans le siècle et n'aura plus, i cause
de circonstances spéciales, sa pareille oxaclemcnt, voici que jo
me suis avisé que ces riens qu'à part soi on se dit, brusquemonl
s'évanouiraient, dans la solennité que rend aujourd'hui le nom de
Villiers de l'Iste-Adam, à votre attention proposé; et que, du reste,
celui que je croyais raconter — avaii si peu vécu.
Maintenant l'espèce de silence, immédiat et décent, sur les inci-
A
/
68
U ART MODERNE
-^
I
i
dents de sa carrière cl même rclativemenl k sa pcrsonnej qui suit
la disparition de tout contemporain, a déjà lieu pour ce grand
homme; oubli, non, mais attente, la vraie dalle funéraire, cela :
jusqu'à ce, que très inopinément et soudain une conviction se
répande, par personne et d'autant mieux, établie. Nous ne pou-
vions, vous ni moi, rompre cette trêve auguste, pnr un entretien
facile; et vous étiez, j'en demeurai surpris, du coup privés de ce
qui, je le sais, fait l'altrail des causeries en public, l'anecdote;
cette j^xistence d'un pur héros des lettres, totalement, ayant
tourné au drame : irruption, naguères, de précoce enfant de
yictoires et de songe, dans un cénacle expcclant de lettrés, ou la
résignation d'hier acceptée par le glorieux défait.
Vous avez bien voulu que l'espace qui isole d"une assemblée
celui h qui elle a conféré la parole, fût comblé par quelque chose
que j'ose croire de la sympathie, ou tout, au moins quelque
intérêt, pour l'aventure. Peut-être reconnaîlrcz-vous dans cet
accord, entre du tact, le vôtre, et ma sévère intention, un motif
de plaisir délicat, autre que ne l'eût fourni la distraction prise
à des menus faits, et même quelque contentement secret afférent
à une justice rendue à quelqu'un qui ne sera jamais là pour en
témoigner. Je le lui rapporte.
J'ai tâché de dérouler devant vous celte page humaine, en sa
virginité, une des plus belles, encore que lacérée en maint
endroit, et roulée, par de bien mauvaises conjonctures — gardant,
toutefois, pour vous, un charme, autant que s'il s'agissait de faits
d'un autre âge, ou même invraisemblables.
Etonné que j'étais, au début, devant ce manque aussitôt perçu
d'aucun amusement, en mémo temps que je m'en expliquai la
fuite futile par la haute atmosphère à l'avance dégagée de votre
auditoire, je me remémorais pourtant que si ! dans les dernières
années de mon camarade, il exista une circonstance vous rappro-
chant familièrement, vous et lui.
Oui chez celui en qui toujours sourdit l'allégresse sans cause,
prudemment et supérieurement soustraite à l'aljliaïfe des bonheurs
possibles, un fait, le seul, depuis d'infinis jours, qu'il ait con-
-senti b associer h son jaillissement personnel de délice, même au
milieu de tracas, je veux dire sa venue ici dans celte bienveil-
lante salle, assis qu'il fut, un soir, sur ce siège, où je prends
indûment sa place, sans en rendre l'équivalence, n'était que j'ai,
en les citant, éveillé plusieurs de ses immortelles pensées. Il se
sentait "las déjà, du vieux combat : et dans la main, très proche
de sa vue anxieuse^ s'agitait-et battait d'une blancheur particu-
lièrement fébrile le papier de tous ses instants intimes ou d'ap-
parat (du moins me l'a-t-on dit), mais il crut éprouver, fut-ce une
illusion? accordons la lui rétrospectivement, qu'il n'avait pas
été inaperçu. Ah! comme il nous revint transfiguré, et ceux,
vous, d'autres, dont la poignée de main distante lui suggéra une
foi émue en un enthousiaste accueil, ne me direz pas que non :
il le savait mieux que tous! et on ne peut dénier à autrui lui
avoir procuré un plaisir, sans que ce ne soit le reconnaissant qui
a raison, — rappelez-vous, il dut y avoir, ce soir de 1888, comme
aujourd'hui pour son absence, qui déjà l'accompagnait, l'enve-
loppait, de votre part un muet encouragement qui lui fil du bien.
L'écho vous en revient avec mo».
Je souris.
Sachez qu'il arrêtait, prolixe/ dans son sérieux orgueil , les
gens, même peu au fait, sur sa route : «< EJi! eh! — Bruxelles, »
je l'entendrai toujours, et dans/celte apostrophe comme un aver-
tissement gouailleur de : Vous n'avez qu'à vous bien tenir, vous
autres ici, — il reprenait : « Bruxelles, oui, je n'en dis pas
plus. » Il ne disait réellement pas autre chose', puis passait ; mais
revenu bientôt : v. lly a Liège aussi, Anvers, Bruges, Gand, »
au rappel de cités, qui font le voyageur attentif et ravi, ajoutant :
« Des messieurs que cela (il parlait du Génie), n'induit pas au
bâillement, et des dames qui ont l'air, je — m'y connais — ont
l'air de prendre goût; et quant à la jeunesse... là le terme
d' « ovations » se tempérait de cet autre seul de « fraternelle
bienvenue ». A la longue c'était un récit où, sous son geste de
sculpteur en horizons, vos paysages même, tout acquérait une
insolite valeur, et sa fixité se détendait en notre conviction.
Le pavé ordinaire deParis, quand s'éloignait lé fêté à son tour,
sonnait comme sous le pas de qui, mainlcnant, peut s'en aller, il
connaît quelque part une autre ville.
L'exlage longtemps persista.
Son plus tenace espoir, voici jour pour jour un an, fut de
revenir, et le matin qu'accablé il dit, déshabiiuani ses yeux de la
vision d'un cher lointain — qui était ce lieu : « Je n'irai pas,
apparemment, en Belgique, » moi, je compris un sens plus défi-
nitif à ses paroles. ^~ - .
Mon dessein se forma dès ce temps de vous parler, ici, un
jour, de lui; et ce serait, à ma présomption, un motif suffisant,
ou plausible, n'eussé-je pas, en des minutes comptées, à souhait
évoqué un si lumineux fantôme, que d'apporter en son nom
désoVmais imprimé seulement, — du pays prestigieux toujours
par lui habité et maintenant surtout (car ce pays n'est pas), —
comme une bouffée unique de joie et une exaltation suprême, —
à la terre amicale qui, un moment, se mêla à ses rêves, — ce
Message. , .
CONFESSION DE POÈTE
Voici la deuxième confession de poète. Voir notre dernier
numéro. Il s'agit encore de ces questions : Que pensez-vous de
l'Art en général? Quel est votre art? etc., etc. :
Vous désirez que je vous dise quelques mots de moi-même,
de mon art et de mes tendances. Je ne sais trop comment m'y
prendre sans une certaine fatuité. El d'abord, il faut bien que je
sois bref sur ce sujet, n'ayant presque rien publié, ensuite parce
que je ne pourrais vous caractériser en moi, et en un état encore
latent^ qu'une des forces de cet art byzantin et hermétique, tout de
raffinement de nuances d'aujourd'hui, dont une conception plus
générale, plus synthétique, vous détourne un peu, je crois, et
dont, dans tous les cas, il ne peut être question ici. Mes écrits
antérieurs, en effet, sont presque une exception pour moi. Je vis
d'habitude en une cité de nuages d'un bien différent caractère. Je
crois cela une manifestation isolée et réactive du Flamand que je
suis, une combinaison fortuite des éléments flamands et anglais
qui font ma vie intellectuelle, du fantastique des uns avec le réel
sensuel'dcs autres.
Du reste, je me définis généralement l'Art que j'aime et vers
lequel me portent mes tendances personnelles : une expression
particulière du surnaturel ou du divin dans la vie, un moyen de
communication avec la beauté absolue. C'est la Beauté célébrée
par Baudelaire dans le Sonnet XVIII et V Invitation au voyage.
Cette région que vous nonyniez un jour, très justement, le fan-
tastique imaginaire, celui de Ligeia et de Seraphila, en oppo-
■ I
^
VART MODERNE
69
silion avec le fantastique réel. Mais la distance enlre les deux csi
aisément franchissable, d'autant plus que l'esprit flamand me
semble assez bien le sens de l'imprévu, du bizarre, du grotesque
réel, comme dans Uylenspiegel et Breughél-le- Drôle, de ce que
«vous appeliez le bizarre dans l'effrayant, (esprit si différent de
celui des Latins, qui me paraît plus verbal et de raison) et qu'il
suffit, en somme, de divergences accidentelles pour que le rêve
» évolue tantôt en des régions plutôt morvcilleuses, imaginaires,
presque abstraites, tantôt en d'autres plutôt fantastiques, réelles
' et concrètes.
Celle-ci est celle de mes proses, l'autre est celle de mes
vers, et c'est celle ofi je m'enfonce de plus en plus. Je la conçois
un peu comme un Eden, un jardin fermé, voilé d'ombres cl sans
frissons, à peine encore terrestre et où vivrait seule, à côté de
créatures de révc, la Nature artificolle et lumineuse en elle-même,
sans réverbérations de G. Morcau, par exemple, de Baudelaire ou
de Mallarmé. J'ajouterai, pour compléter cette définition de mon
idéal, que j'en bannirai aussi la tristesse; c'est presque dire
l'humanité; mais je ne puis comprendre l'art qu'aux heures
heureuses (comme les chants ou les fleurs au soleil), que comme
un contact avec la beauté absolue, partant avec la Joie. Mais c'est
une appréciation personnelle, et chez moi plus instinctive que
raisonnée. Il m'est facile d'admirer des expressions d'art plus
général, d'art grec enlre autres; cependant, mon éducation litté-
raire et artistique me détermine h admirer presque exclusivement
des œuvres signalées comme exceptionnelles et maladives, même
comme produites par des situations anormales d'esprit. Je ne vois
pas bien, dès lors, la possibilité d'une communion des autres
esprits robustes et sains avec ce qui n'est, dans la vie qu'une
exception. C'est dire que je préfère des écrivains d'exception
comme Barboy, Baudelaire, Mallarmé, Laforgue, à des écrivains
d'un caractère plus général el plus grand peut-être, comme Hugo
et Balzac.
J'ajouterai, pour compléter la définition, que dans cette région
déjà particulière, quelques êtres, particuliers aussi, seuls me
sollicitent.
Ce sont des jeunes filles, presque des enfants, les Camille, les
Alberto, la petite Masque de Barbey, certaines de Laforgue, de
Poictevin, de Kalc Greenaway et des primitifs ; d'auires de Botti-
cclli, de Burne Jones. René Ghil, que je suis loin d'aimer, les
entrevoyait aussi, mais en naturaliste : « Qui nous a dit, demande
René Ghil, l'œuvre sourde et mystérieuse de la vie prise aux ûges
où se révèlent les éveils de sang el de pensée ; de dix et douze
ans à vingt ans : l'heure des Pubertés? » C'est cette puberté mêlée
de perversité et d'ingénuités, de troubles el de rêves, de précocité
singulière dont les suggestions me tentent ; c^cçt, je ne me le
dissimule pas, une tendance maladive, de décadence. 3Iais com-
ment ne pas être de son temps, et n'en pas subir les maladies ?
J'ai essayé, en quelques pièces timides, de réaliser cet idéal
britannique, sans trop y parvenir, en des vers, en quelques
contes très brefs et plutôt résumés, cl peut-être l'ai-je plus claire-
ment encore ébauché en quelques petits croquis, hélas bien
gauches, mais qui ont le mérite de résumer mieux par leurs
lignes que par mes paroles encore confuses certains côtés de l'art
que je rêve. Je me suis permis de vous en offrir un, le plus carac-
léristique, à titre de document ou de figure explicative dans cette
courte dissertation sur moi-même.
Nouveaux Concerts de Liège.
TROISIÈME SÉANCE
Cette fois encore, il convient de louer MM. Sylvain Dupuis et
Vandenschilde. Ce concert a été des meilleurs qu'ils nous aient
donnés.
M. Dupuis compose bien ses programmes. A côté des grands
maîtres : Beethoven cl Wagner, qu'il ne néglige jamais, il réserve
une place aux lutteurs, aux compositeurs jeunes ou peu connus,
qui n'ont pas encore conquis la gloire. Au dernier concert,
cette place était attribuée à Edouard Lalo.
L'auteur du Roi d'Vs, s'est par cet opéra élevé à la renommée;
certains même; qui tardivement reconnurent son talent, l'ont
exagéré.
La musique de Lalo ne brille pas, quoiqu'on en ail dit, par
l'originalité. Elle n'est pas marquée d'une personnalité bien nette,
bien qu'elle ne soit jamais banale. Ce qui la distingue, c'est une
réelle élégance el de doux chatoiements de couleurs atténuées.
Par ces qualités nous a plu la svmphonie en sol mineur, pas
empoignante, mais d'un beau style et d'un tour gracieux.
De Richard Wagner nous avons écouté — et avec quelle reli-
gieuse attention — les Murmures de- la Forêt et le prélude de
Parsifal.
Rien ne dépasse en grandeur ce merveilleux prélude de Par-
sifal. Quelles mystérieuses voix montent de l'orchestre chantant
dans nos âmes les sentiments les plus élevés!
Pour terminer le concert, la très belle ouverture de Tanii-
hduser. \
M. Dupliis, qui ne craint pas le travail et qui chaque jour
acquiert plus de sûreté et de précision, a obtenu de l'orchestre,
surchargé pourtant, — il avait encore sa partie dans le concerto
de Beethoven, — une interprétation, correcte, nuancée et vivante.
Certes, depuis un an nous avons entendu quantité de pianistes,
et sans parler du maître, Hans de Bulow, combien ont de talent
cl de personnalité : Padcrewski, D'Albert, Pachman, Scharwenka
et d'autres ! '
M. Bernhard Stavenhagcn nous vient après eux tous, el par
son talent éminemment personnel, par l'austérité de son interpré-
tation, il se place au premier rang.
Il ne joue pas seul, à côté de l'orchestre ; il joue avec l'orches-
tre. Ce n'est pas une œuvre où s'exhibe son « moi », où parade
une savante gymnastique des doigts, c'est l'œuvre du composi-
teur, c'est le concerto de Beethoven qu'il exécute. Il enfonce, il
absorbe sa personnalité dans l'œuvre.
Aussi quelle noble interprétation/dU concerto en ultnijiieur il
nous a donnée. Quelle étude parffffte! Quelle admirable compré-
hension ! Les détails sont finepjént nuancés et la synthèse domine.
C'est du plus beau style.
Avec une chaleur et une vigueur rares, il a joué le Prélude en
ré bémol de Chopin, et la XII^ Rapsodie de Liszt. Et pour finir,
son mécanisme a-fait fureur dans une des Etudes-Caprices do
Paganini. ,
CONFÉRENCES DE M. SIGOGNE
M. Emile Sigogne a repris ses entretiens sur les poètes contem-
porains.
Nous détachons ces réflexions sur l'œuvre de Leconlede Lisle ;
70
L'ART MODERNE
« Il y a dans le Cnin tic Lcconlc do Lisl<', une Irislessc plus
grande cl plus liif;ubro que celle de V Ecclésinste el bien supé-
rieure cl celle de Ilenéol-de Werlher, qui peuvent inspirer le sui-
cide, cl, .après loul, le suicide est un acte, landis que les magni-
fiques vers de Leconte de Lisle inspirent un dégoàt complet, une
sincère renonciation h la vie el un pessimisme entier, il est difli-
cile de faire entrer ce sentiment dans le cœur de nos races
actives; impossible de le faire même comprendre à des esprits il
demi culiivés. On les considère comme absurdes, ou dangereux,
ou malsains. On no se rend point compte que si l'on peut suc-
comber aux douleurs physiques, h un membre coupé, à une
blessure grave, el même aux douleurs morales, h la perle sou-
daine d'une personne aimée, les douleurs inlcllectuellcs sont
plutôt un excitant à la pensée; elles ont en elles-mêmes une sorte
de volupté sublime qui exalte et console.
Le plaisir de connaître est si grand qu'il triomphe de la dou-
leur que peut faire naître la tristesse do la découverte. Au dessus
de tout il y a une curiosité sereine, impassible, qui interroge la
vie et qui lui est supérieure.
Remonter vers l'antiquité grecque ne nous sulVit plus. El, on
effoi, nos origines sont bien au de'îi.et à mesure que nous appre-
nons davanlage, nous élargissons h la fois l'horizon qui est
devant nous et celui qui est derrière nous. Hcaucoup d'esprits
distingués se tournent vers ces origines lointaines, et les travaux
sur l'Inde n'ont jam;Ms-trt^ si noM)breux. Leconte de l'islo s'est
épris de l'Inde, de sa religion, de sa grande poésie. Il est fait
pour les hautes synthèses (|ui résument le monde dans une mys-
térieuse pensée.
(le monde, avec ses souillures et ses politesses, vous effraie el
vous ennuie, n'ayez ni crainie ni ennui, la philosophie bouddhiste
vous enseigne que ce monde n'existe |)as, c'est le rêve d'un rêve.
Imprégnez-vous de cette pensée d déiachez-vous du monde.
Vous avez été quehpiefois, peut-ê;re raremeiii, sous l'empire de
sensations si extrêmes que vous semiez voire pensée s'évaporer,
votre être se dissoudre, comme une lenle absorption do votre vie
par la vie universelle. \ ce momenl-lîi, volouliiirenïcnl ou non,
vous avez aspiréau néanl. Cet état passager do l'àmo, (jne les plus
cultivés (l'ont re nous ont cerlainemcni traversé, peut nous donner
une idée d'un état d'âme constant, immuable pour un bouddhiste.
Certes, le néanl est compréhensible, mais pas plus que l'élcrnilé.»
La Société nationale de musique.
{Correspondance particiilièf-e de /"Art moderne).
Vraiment, la Société Nnlionale n'est moderne que par ses
tendances ariistiqucs. Pour se faire connaiire, pour se pousser
dans le monde, elle n'est point dans le mouvement.
Figurez-vous que samedi dernier elle donnait son deux-cen-
tième concert d'œuvres presque toutes françaises et presque
toutes. jouées en première auflition; c'cstquclque chose. Vous
imaginfï fiicilemcnt ce que crrlains entrepreneurs musicaux
eussent fait en pareille occasion. Ranlanpian dans les journaux,
Iransparents lumineux à la porte, banquets, toast«, etc.. « tonte
la lyre » de la réclame. Les organisateurs des concerts de la
Société nationale n'y avaient seulement pas songé. La deux-cen-
tième audition fût passée complètemenl inaperçue, si le chef de
la maison Plcyel, M. Lyon, n'avait eu la gracieuse idée de fairi^
distribuer des fleurs h tous les assistants. ''
Comme de coutume, le programme contenait plusieurs œuvres
nouvelles, dos Variations pour piniw de M. Chevillard, admi-
rablement jouées par l'auteur; des pièces pour piano, violon et
violoncelle de M""* de Grandval; un délicieux Nocturne en mi
bémol de M. Fauré et deux morceaux do piano, fort brillants, de
M. Lacombe.
Les Variations de M. Clievillard m'ont beaucoup intéressé.
Dans un morceau de ce genre la virtuosité tient toujours une
grande place; trop souvent même elle y est prépondérante.
M. Chevillard o»l resté dans la juste mesure. Les formes de piano,
très neuves, n'étouffent pas les idées musicales, et c'est heureux,
car il y en a de fort jolies.
Je ne puis rien vous dire de VAndante et Intermezzo de M""* de
Grandval. Il est probai)le que c'est charmant. Par malheur, des
trois instruments on n'entendait que le piano, que M*"" Jaëll fai-
sait gémir avec habileté, mais trop vigoureusement.
M'"* Bordes-Pène — il y avait beaucoup do pianistes h ce con-
cert — est trop connue pour que j'aie à faire ici son éloge. Elle
a joué avec ses qualités habituelles, el si rares, le Nocturne do
M. Fauré. C'est une œuvre délicieuse où l'on ne sait que louer
davantage, le charme de l'harmonie, la perfection de la forme ou
la grâce émue el pénétrante du sonlimonl.
Les deux mélodies de M. Julien Ticrsot, chantées el accom-
pagnées par l'auteur, sont peu parisiennes. Ce n'est pas un défaut,
loin de \h. Ce qui en est un, c'est déchanter, comme l'a fait
M. Tiersol, à la façon des chansons populaires, des mélodies d'un
style tout différent. Le Folkloriste l'a emporté celle fois sur le
compositeur.
Le trio on sol mineiir de M. Erncsl Chausson terminait le con-
cert. Ce fut le début de l'autour à la Société Nationale, il y a dix
ans. J'ai goûlé principalement l'Inlroduclion et l'Intermezzo. Les
qualités me paraissent être la chaleur, l'entrain, la recherche
d'harmonies et de sonorités intéressantes ; les défauts : un peu
d'indécision dans rarchiloclure des morcoalix, de mauvaises rela-
tions de ions et surtout un manque do développement sympho-
nique. '
» •
Une audition exceptionnelle, avec orchestre et chœurs, iaura
lieu le vendredi 21 mars, à la salle Erard. CMi y entendra VActus
tragicus de J.-S. Bach, el les deux premières scènes de Gwen-
doline de Chabricr.
Mémento des Expositions
Amiens. — 31 mai-I6 juillet. Envois : io-20 mai. Renseigne-
ments : M. L. Dewailly, président.
Besançon. — 13 mai-30 juin. Envois : notices, 40 avril;
œuvres, 10-20 avril. Rensoignomor.ts : M. Allard, secrétaire de
la Société des Amis des beaux-arts, rue de In Bouteille, 14,
Besançon.
huov. — Société des Amis des Arts. 1" juin-15 juillet 1890.
Envois : l-i5mai. Renseignements iiSfcr^/anVi^ Palais des Etals,
Dijon.
Madrid. — V' Exposition (internalionale). Mai 1890. — Envois:
1"-10 avril.
Milan. — Salon annuel : 15 avril-31 mai. Envois : Notices,
<o mars ; œuvres, 31 mars. Rpiisei},'iiomenls : Secrétariat, Via
■principe Umberto, Milan'.
Munich. — Salon annuel. 1" juîlloi-15 ociobro 1890. Envois :
4-20 mai.
Nantes. — Sociéié des Amis des Arts. \T) mars-30 avril.
Envois : 5 mars, lhînsei(înomonls : MM. Flornoy et Maufre,
secrétaires, Galerie Préauhert, rue Lekain, 12, Nantes.
Paris. — Société des Artistes indépendants (F'aviilon de la
Ville de Paris). 20 mars-27 avril. Envois : 10-13 mars.
Paris. — Société des Artistes franç-ais (Pdh'is des Chamiis-Ely-
s6cs). I" mai-30juin. Envois : Peinture, lO-lo mars. Dessins,
aquarelles, pastels, miniatures, porcelaines, émaux, carions de
vitraux et vitraux, iO-12 mars. Sculpture, 30 mars-îi avril.
Architecture, 'i-^ a\vi\. Gravure, "2-^ nwW. . - ■
Paris. — Société nationale des Beaux-Arts (Palais du Champ-
de-Mars). 15 mai-30 juin. Envois : Peinture, 1-8 mars. Sculp-
ture, i-ÎO msr?. —
Périgueux. — 31 mai-30 juin. Délais d'envoi : noiices, l"mai;
œuvres, 10 mai. — Renseignements : M. Pertolelli, secrétaire
de la Société des Beaux- Arts, Périgueux.
Petite chrojsiique
Voici le chiffre des recolles réalisées celte année par le Salon
des A'A'. 11 serait ulilc qu'à l'exemple de ce qui se fail en France
pour le Salon de Paris, on publiât régulièromenl en Belgique les
résultats financiers des diverses expositions de pointure qui se
succèdent au Musée. 11 y aurait d'intéressantes comparaisons à
faire entre elles au sujet de l'attrait qu'elles exercent sur le publi
ot des sympathies qu'elles excitent :
Cartes permanentes . . . . . fr. 1,000 00
Enlréos à 2 francs . . '.--. . . 978 00
Entrécs.ù 50 centimes . . . .^ . 2,809 50
Vcnlo de catalogues 560 00
Total. . . fr. 5,347 50 ..^
Ce chiffre dépasse de fr. 685-30 les recelles de l'année der-
nière, lesquelles étaient de 4,662 francs.
H est à remarquer que, depuis la première année (1884). les
receltos annuelles onl doublé. Elles ne sY^evèrent, pour la pre-
mière exposition, qu'à fr. 2,466-50, ce qui n'empêchera pas les
imbéciles d'aftîrmer que les Salons des XX n'intéressent personne
cl que le public n'y va pas.
Liste complémentaire des acquisitions faites au Salon des XX :
.V.-W. Finch . . . Les meules.
G. Lemmen .... Études d'éléphants, n»' 2 et 5.
G. MiNNE Religieuse (siuc).
» Figure de femme assise ipVdlre).
. Eau dormante dans un jardinde sérénité.
Visage d'angoisse.
Ecce homo.
La morte.
Hantises, n»' 7 et 8.
^u programme : •
1. Trois lableaux symphoniqucs pour orchestre tirés de la
tragédie Polyeucte, de P. Corneille, par Edgar Tinel. N"> 1 : Ouver-
ture; n» 2 : Songe de Pauline; n» 3 : Fêle dans le temple de-
Jupiter. ■■
2. Le i'jiorbicr, poème lyrique et symphonique, par Emile
Mathieu.
3. Le Lac, larghetto; Sous 6ow, allegretto scherzando, pat
Emile Mathieu. / ■ '
4. /'Vet/Zar fpremièrc partie), par Emile Mathieu. i
Samedi 8, à 2 heures cl demie, à la Grande Harmonie, Tè^it-
lition générale. ~ -
"Les célèbres représonlalions de la Passion commenceront,
cette année, le 26 mai, à Oborammorgau, on Bavicie. Elles se
poursuivront jusqu'en automne. Elles auront, dil 177jrf<'peHdajJc«,
plus d'éclat encore qu'il y a dix ans. Les décors et tout l'arrange-
ment extérieur seront nrioins primitifs. Les habitants du village
et les hô'.eliors se sont déjà mis en frais pour offrir aux visiteurs
une hospitalité moins rudimeniaire.
R. Picard. . .
»
D. DE Regoyos
W. SChi.obach
Le deuxième conceri populaire aura lieu dimanche prochain,
9 mars, à l heure et demie, au théùlrc de la Monnaie, sous la
direction de MM. Emile Mathieu el^dgarTincI, avec le concours ^
des chœurs de l'École de musique de Louvain.
Un grand congres dramatique aura lieu à Liège, en mai, sous
les auspices du gouvernement, de la province cl de la ville. A
celte occasion, un congrès réunira, le 25 mai, toutes les personnes
s'intérossanl au développement de l'art dramatique, tant au point
de vue de la lilléralure nalioniile que de la représentation des
pièces d'auteurs belges.
Dans le but do circonscrire le plus possible les débals, voici,
suivant les organisateurs, les doux grands points qu'il y a lieu de
mettre en discussion :
1. Quels sont les moyens à mettre en œuvre pour favoriser la
repc4?cntalion des pièces d'auteurs belges?
2. (a) A quoi faut-il aiiribuor la crise sérieuse que iraversent les
sociétés dramatiques belges?
{b) Comment pourrait-on arriver à relever, au sein de ce*.
sociétés, le niveau du mouvement dramatique?
Toutes les correspondances relatives au congrès doivent être
adressées à M. Ch. Philippi, secrétaire du Cercle royal le Lien
belge, rue de Waremme, 2, à Liège.
La place de professeur de tromp,'tte, vacanie au Conservatoire
royal de musique de Bruxelles, est mise au concours.
Les postulants auront à se faire inscrire au secrétariat de l'éta-
blissement, avant le 1" mai 1890. L's joindront à Içur demande
d'inscription leur extrait de naissance et tous autres ceriiticats ou
renseignements.
Le concours aura lieu dans la première quinzaine dii mois de
juillel suivant.
Pour éire admis à concourir, il faut être ilgé de vingt ans au
moins et de trente-cinq ans au plus.
L'enseignement du Conservatoire se donne sur la trompette
chromatique en fa (sans/corps de rechange) Le professeur est
tenu, en outre, d'initier les élèves avancés à la pratique de la
trompette haute Cii si ^. pour l'usage ordinaire des orchestres de
théâtre, cl de la petite irompciie octave en r^'pour l'exécution de
la musique ancienne et notamment des œuvres de H*ndel et de
Bach.
Pour tous renseignements complémentaires, s'adresser au
secrétariat du Conservatoire.
i
V_i
PAQUEBOTS-POSTE DE L'ÉTAT-BELGE
LIGNE D'OSTENDE-DOUVRES
La plus courte ei la moins çMleuse des voies exlra-rapides entre le Continent et rANGLE-fERRE
Vienne à Londres en.
Bftle à Londres en.
Milan à Londres en
36 heures.
24 «
Bruxelles à Londres en . 8 heures.
Gologpie à Londres en . . 13
Berlin à Londres en ..... 24 «^
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D'Ostende à 6 h. matin, 10 h. 15 matin et 8 h. 40 soir. — De Douvres à IL h. 59 matijp, 3 h. soir et 10 h. 15 soir.
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Spécial cabine, 28 francs; Cabine de luxe, 75 francs.
Pour la location à l'avance s'adresser à M. le Chef de Station d'Ostende {Quai) ou à l'Agence des Chemins de fer de V État-Belge
Northumberland House, Strond Street, n" 17, à Douvres.
AVIS. — Buffet restaurant à bord. — Soins aux dames par un personnel féminin. — Accostage à quai vis-à vis des stations de chemin de
fer. — Correspondance directe avec les grands express internationaux (voitures directes et wagons-lits). — Voyages à prix réduits de Sociétés.
— Location de navires spéciaux. — Transport régulier de marchandises, colis postaux, valeurs, finances, etc. - Assurance.
Pour tous renseignements s'adresser à la Direction de l'Exploitation des Chemins de fer de l'État, à Bruxelles, à V Agence générale des
Malles-Poste de l'État-Belge, Montagne de la Cour, 90*, à Bruxelles ou Gracechurch-Street, a" 53, à Londres, à Y Agence de Chemins de fer
dc-i'^taf, à Douvres (voir plus haut), et à Af. yl»'//iMr F»'ancAe»î, Domkloster, n» 1; à Cologne. . j
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Vient de paraître chez Edm. DEMAN, éditeur à Bruxelles
LA DAMNATIÔTdE L'ARTISTE
Par IWAN aiLKIN
' " AVEC UN FONTISPICE PAR ODILON REDON
Tirage unique : 150 exemplaires.
N°» 1 à 10 sur papier Japon impérial; n°» 11 à 150 sur papier de
Hollande Van Oelder. (Les n°' 111 à 150 en sont pas mis dans le
commerce].
POUR PARAITRE EÎî FÉVRIER . ^'
CHEZ Edmond Deman, éditeur •
LES FLEURS DU MAL
DE ■
Charles Baudelaire
interprétation par Odilon Redon, album de 8 planches in-folio
avec couverture illustrée, tiré à 50 exemplaires, en souscription au
prix de 35 francs (40 francs à partir du jour de la mise en vente).
Les dessins originaux sont actuellement exposés au Salon des XX,
Breitkopf et Hartel, éditeurs, Leipzig-Bruxelles
• TRAITÉ PRATIQUE DE
COMPOSITION MUSICALE
depuis les premiers éléments de l'harmonie jusqu'à
la composition raisonnéc du quatuor et des principales
formes de la musique pour piano par J.-C. Lobe.
Traduit de l'allemand (d'après la 5® édition) par
Gustave Sandre.
VIII et 379- p. gr. in-8". l'rix : broché, 10 fr.; relié,, 12 fr.
Ce livre, dans lequel l'auteur a cherché à remplacer l'étude pure-
ment théorique et abstraite de l'harmonie par des exercices pratiques
de composition libre, fut accueilli, dès son apparition, par une
faveur marquée. La présente traduction mettra le public français à
même d'apprécier un des rares ouvrages d'enseignement musical les
plus estimés en Allemagne. !
, Bruxelles. — Imp. V* Monmom, 26, rue de l'Industrie.
Dixième année. — N" 10.
Le numéro : 26 centimes.
Dimanche 9 Mars 1890.
L'ART MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Comité de rédaction » Octave MAUS — Edmond PICARD — Émilb VERHAEREN
■ - ' .. I -— - .■ ■ ■■■ I— I ■ I .1 .--i. I — . ^ iirf I I. III, —
ABONNEMENTS : Belgiijue, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. —ANNONCES : Ou traite à forfait.
Adre&ser toutes les communications à
l'administration générale de TArt Moderne, rue de l'Industrie, 26, Bruxelles.
i
^OMMAIRE
Le Termite. — Confession de poète. ^ — Correspondance d'artiste.
- Théâtre de la Monnaie. — Au Conservatoire. — Les augures.
- Bibliographie musicale. — Petite chrojnique.
)
LE TERMITE
Roman de mœurs littéraires, par J.-H. Rosny. — Paris,
Albert Savine, iii-12, 314 p. et tit. — 1890 (1).
A
« Courbé funèbrement sur 8on aine, sur les recoins
intimes, l'ignominie et la candeur des arrière-fibres ,
l'inertie des phénomène, il eut les naïvetés noires, l'hor-
reur directe du « moi » dépouillée d'aphorismes. Il y
trouva de singulières ressources de patience, enfoncé
dans un labeur monotone, ruminatif, comme celui d'in-
sectes vaquant à la nourriture des générations suivantes
et qui agonisent sur la tâche accomplie... L'injustice
de sa naissance, les infirmités du sang, son grand efibrt
de fourmi gravissant un brin d'herbe, sa laideur, son
appétition de gloire injustifiée par la menuité de son
talent, tout cela coula par la mer cérébrale, passa par
les rivières nerveuses, cependant qu'une voix murmu-
rait en refrain, continue, omniprésente « qu'il était
(1) Voir sur J.-H. Rosny, VAvt modenie, 1888, pp. 123 et 268.
semblable à des myriades d'hommes, aussi intellectuels,
aussi déshérités, aussi lamentables. »
Ainsi songe tristement sUr soi-même le Termite, un
homme de lettres, symbolisant en un type luguj3re,
puissamment buriné, l'artiste médiocre, s'épuisant à
î'avant-garde, y poussant l'obscur et mal récompensé
travail du mineur qui ouvre les voies pour l'avancée
des autres. Sans conquête de gloire, sans notoriété dépas-
sant les petits cénacles, contesté ou passé soas
silence, sans confiance, pris dans les perpétuelles
oscillations des doutes et des découragements. Sa
' psychologie de .littérateur se complique des misères
d'une maladie de foie et d'un tremblant amour. Comme
intermèdes, démembrant l'œuvre plutôt que la forti-
fiant, des séances où, sous des noms d'emprunt trans-
parents, évoluent ou sont jugés, les plus en vogue des
-romanciers présentement en activité.
Ce livre nous paraît absolument remarquable, non
par sa construction (M. Rosny en a le dédain ou l'inap-
titude) sommairement établie, mais pas la notation
étonnamment neuve et pénétrante des phénomènes,
Qu'il s'agisse des fermentations du ce^v^eau ou des
inlassables agitations de la nature, l'œil de ce très ori-
ginal artiste voit de l'inaperçu. Il a aussi, à un degré
extraordinaire, le don de l'image saisissante prise aux
rapprochements imprévus , spécialement à ceux que
fournissent les sciefices.
Ces rares qualités qui, à notre avis, le mettent liors
de pair et permettent de dire qu'il est l'initiateur d'une
nouvelle évolution du roman français, se manifestaient
dans ses œuvres antérieures, si curieuses et si person-
nelles : Ni:li; Horn, mœurs londoniennes, Le Bila-
téral, mœurs révolutionnaires parisiennes, Marc Fane,
roman parisien, I'Immolation, les Corneilles, roman,
les XiPÉHUZ, restitution du merveilleux préhistorique,
la LÉGENDE 'SCEPTIQUE, étude^ de mysticisme scienti-
fique. Mais elles s'épanouissent cette fois plus largement
et dénoncent l'artiste de premier ordre. Certes, on en
ressent l'espérance et la jouissance alors que le vieillis-
sement d'écrivains naguère encore en possession de la
grande vogue apparaît inéluctable. Voici celui qifi les
remplacera !
Assurément, il n'a pas encore sur les épaules la pour-
pre des notoriétés éclatantes. Il a même, par sa brutale
franchise, suscité une opposition qui retarde pour lui
l'ouverture des avenues. Il dit parfois de rudes paroles,
comme celles-ci : «' L'extraordinaire de cette généra-
tion, c'est tous ces jeunes gens qui commencent par la
critique, des critiques de dix-huit, vingt ans, un débor-
dement d'impuissance à tirer de son propre fond, une
sénilité à bavarder sur le travail des autres. Et pas un
mâle! un principe ieioelle, lâche et odieux, un bavar-
dage d'eunuques philosophiques et de pédérastes arti-
sans... Pour être un grand littérateur, il faut non seu-
. lement le don, mais le caractère. Il est matériellement
impossible que, sans désintéressement, le plus haut
cerveau ne descende au deuxième rang ». Voilà des
mots qui font le silence autour du téméraire
qui les lâche. Aussi est -il encore dans l'heu-
reuse période où les œuvres ne sont comprises et goû-
tées que par le petit nombre. Il lui faudra des com-
pagnes nouvelles, celles notamment de ses œuvres en
préparation : le Livre étoile, les Nouvelles londo-
niennes, de la Critique, Ceiicher dame, et peut-être
surtout un autre voyage dans le préhistorique séduc-
teur : Vamireii. Mais on peut lui prédire le sceptre, —
à moins d'un des arrêts inquiétants et bizarres qui par-
fois et brusquement supprime la suite d'une personna-
lité évoluant vers la gloire.
Ci et là, dans le Tennite, on saisit des confidences
personnelles sur son art, révélatrices des phénomènes
internes de cet exceptionnel cerveau : « N'admettez-
vous pas qu'à de nouveaux ordres de sensations corres-
pondent des torsions nouvelles de la forme, des atti-
tudes de phrases, et que la langue qui exprime, en
somme, des vies d'époque, qui est une sécrétion d'êtres
organisés, se complique avec la complication même de
ceux qui s'en servent pour transporter leur être au
dehors? "
Donc une volonté de tordre la forme en des nouveau-
;jé*r-Equr M. Rosiiy,-ces nouveautés ne sont ^as les_
désarticulations de la phrase. Répétons-le : c'est surtout
l'image et une adaptation scientifique. C'est ici qu'il est
dans son meilleur empire. Il est un savant marchant
en terre do littérature. Impossible de bien rendre cette
spéciale aptitude sans citations. Impossible surtout de
faire saisir le Panthéisme, en quelque sorte, de son
style, ramenant constamment la petite individualité de
♦l'être humain, la minutie d'un événement, au prodi-
gieux ensemble de l'univers dans sa présente étendue
d'espace infini, dans son historique étendue de temps
infini. La solidarité énorme et moléculaire des choses,
la servitude des hérédités innombrables accumulant impi-
toyablement leurs alluvions dans chaque être, accom-
pagnent l'œuvre d'une résonance profonde et sinistre.
A chaque instant on pçnse à Lucrèce, et nous osons le
dire, à Shakespeare, dont la grandeui^^stfaite, ponr une
bonne part^.du don de marquer en quelques mots, en
quelques couleurs, l'indivisibilité écrasantede la nature.
Écoutez :
« Un soir, ce fut le cyclone, une fureur de l'Atlan-
tique, le broiement des navires contre les mâchoires du
récif. La grande éloquence de l'Elément hurla les ori-
gines, les guerres de l'Espace, les cycles nomades et
troglodytes, l'hymne chargé de l'encens des solitudes, de
l'âpreté des golfes, de la semence des promontoires et
des collines, de la poudre des savanes et de l'humus des
îles, la harpe harmoniée à la crête, des vagues, aux
embrasures des falaises, aux nels des clairières. Luce
et Noël écoutaient les voix vastes. Elles accouraient,
elles se ralliaient contre les tilleuls et sur les toitures,
comme des hordes nécromanciennes, tantôt enfantines,
troubles, ébaucheuses de langage, tantôt sans accent,
minéralisées, confuses, fouettantes. Eparses, elles sem-
blaient dévorées par l'étendue, faiblement accrochées
encore à quelque branche, à quelque girouette, à quel-
que gouttière, puis reparaissaient en troupeaux de
buffles, poursuivis de trompes chasseresses, de meutes
féroces, anx défilés d'un val. "
Et ailleurs : « Là-haut la nuit rôdait belliqueuse ! Aux
grandes nues surgies de l'horizon, des brasiers blancs
traînèrent parmi des lacs de bitu-Jme. Les électricités
denses tordirent chaque molécule, encore hésitantes,
amassées pour des fureurs prochaines. Cette ambiance
de terreurs occultes, les haleines spirales du vent, la sub-
mersion des constellations harmonieuses, les murailles
deû'ombre sur l'horizon, l'embuscade des forces mysté-
rieuses, se répercutaient dans la chair de Servaise
comme dans un hyjnne d'amour, merveilleusement
trouble et douloureux, plein des instincts du « quand
même ", des concordances du cataclysme et de la pas-
sion. Au cerveau cotnme aux sens, cette nuit était
femme, par l'effleurement des robes du vent, par les
chairs du nuage, par le parfum, par la moiteur flottante
et féconde, par la confidence des feuilles, par le glisse-
-mA
T
ment des formes fluides dans la ténèbre, femme comme
ne l'est jamais la mâle nuit pure, où la chaleur du sol
rayonne dans fe cristal firmamentaire, comme ne l'est
jamais la nuit d'ouragan sans orage. »
Et maintenant le printemps! Oh! la banale matière
à description! Oh! l'ai'chi-usé thème! Et quoi dii*e là
dessus qui ne soit la répétition en des phrases de répé-
tition! Voici, comment en projette la,^ sensation au
dehors cet esprit libre des accoutumées servitudes :
« Le caprice des jeunes soleils d'avril pointant après
l'équinoxe. Tout hésitait. Sur les torsades du rameau,
à peine des vert-de-gi'is, des pointules, de petits poils
or-émeraude. L'éveil à tâtons, la terre remuée, des
larmes montées vers la surface. Au cœur des hommes
l'induction de la racine et des branches, des ])ulsations
de poème, des redites du grand cantique. Des sorties de
lumière dans la verrerie dépolie du ciel, de petites
citernes de lazulite pâle, tous les oiseaux captifs reten-
tissants par les chambres parisiennes. Des pluies pâles
et féminines, de pauvres éveils de plantules dans le gra-
vât des terrains à bâtir, dans le ciment rongé, pellicule
de poussière féconde, des maisons vieilles. La venue de
vêtements à peine dépliés et qui se dérident à l'arr,
l'envahissemeHt de fronts rajeunis, avec un peu de
migraine. Des trépas nombreux, des convois funéraires
dans la gaminerie du soleil et les larmes brèves de
l'ondée. La fanfaronnade d'écoliers ivres bondissant de
crêtes de murailles, usant leurs semelles à grimper des
déclivités dijres, et pleins de rudesse barbare, de grands
instincts de bataille, de voyage, de volupté qui leur
pâlit la prunelle et les rend exécrables aux pédagogues.
Des cavernes de l'usine et du bureau, un. jaillissement
d'humains émus dje l'antique souvenir des jungles, des
plaines de chasse, des embuscades où l'homme fauve
surprend la femme, reparu sur les faces esclaves, dans
les recoins de l'organisme, et avivant la respiration,
poignant de suffocations angoisseuses, adorables, cent
mille poitrines mâles. »
Nous l'avons déjà écrit :
C'est étrange comme dans l'art, maintenant, dans les
arts, se lève un besoin d'au delà, de lointaines et mys-
tiques idées, évocatrices de rêves, prolongeant la réa-
lité, la dure, et matérielle, et précise réalité, aux fermes
contours, la prolongeant en de vaporeuses chimères^
l'auréolant, fumant autour d'elle, au dessus d'elle en un
encens de pensées.- Cette période longue, longue déjà,
dui-ant laquelle par répulsion, par horreur d'un roman-
tisme bruyant, détraquant l'innée raison qui gite en nos
âmes, on avait chassé la dansante fantaisie, la dansante
et voltigeante fantaisie, parce que, en ses voltiges et ses
danses, elle poursuivait de charlataniques visions sans
humanité, cette longue, longue période où les esprits
artistes s'appliquèrent à ne voir, à ne rendi'e que la
dure, et matérielle, et précise réalité, elle est finie!
De nouveau cette réalité apparaît morose, lourdement
froide et terne. Si elle n'est que là, la vie intellectuelle,
combien seïnblable à l'hiver, à l'hiver gris, plombé, sans
les éblouissances de la neige, sans les profondeurs stel-
laires du gel. Et voici que "sous les pinceaux, sous les
plumes, sans supprimer cette réalité matérielle, et pré-
cise, et dure, on l'enveloppe, on la pare_d'idéalités qui
lui laissent sa vérité solide en l'ornant d'une parure
cérébrale qui double son intensité. C'est le temps des
images, le temps où toute chose surgie, vuç, sentie,
entendue, venant du dehors, appelle du fond des ténè-
bres de notre intimité, une mystérieuse conceptipn qui
glisse, glisse, approchant, et s'adapte à cette chose
comme un parfum, une grâce, une mélodie murmu-
rante, ou bien encore cortime une physionomie grave,
songeuse, sinistre. Les images! analogies symboliques
douant le réel d'un fantastique séducteur, faisant flotter
autour de lui les draperies psychiques se perdant en
ondulations vers l'infini des rêveries. L'ambiance n'est
plus qu'un prétexte à idéal, un attouchement qui éveille
les cogitations sans nombre, et, désormais, quiconque se
borne à la reproduire n'allume point le feu des pensées,
n'apporte qu'un froid combustible sans la flamme.
Nous voulons qu'on nous fasse rêver, ou plutôt, plus
viplement, rêveusement réfléchir, monter ou descendre
dans un au delà où la pensée plane ou vole ou gire,
pareille au phalène dans la nuit.
De là 'cette littérature qui ne dit, n'écrit, ne parle
plus, en la claire simplicité des mots usuels, mais
cherche, cherche âprement, inépuisable en tropes, la
suscitante nouveauté des images si étroitement collant
à la chose exprimée qu'elles sont, en la phrase, indivi-
sibles, et que l'une et l'autre heurtent et troublent l'âme
en même temps. Plus rien de la correcte académique
écriture d'autrefois alignant les mots correctement
uniformes, élevant la fade architecture des œu\;res où
les mots ne sont que des signes. Une langue vivante, où
les idées ne sont plus derrière les mots, cachées sous
l'emballage et l'étiquette, des mots, mais où les mots
eux-mêmes sont les idées, étalées à la grande lumière,
Sorties de leurs voiles, colorées, mises à nu, écorchées.
La littérature faisant tableau, faisant harmonie, et
par toutes les magies, allumant constamment en nous
les cassolettes de la pensée: à chaque fleur montrée,
ajoutant une éclosion spontanée d'autres fleurs, non
dites par le verbe visible, mais suscitées par lui invin-
ciblement. De telle sorte que par cet art à prestiges, il
il y a plus autour de l'œuvre, que dans l'œuvre, qui se
déroule constamment enveloppée de ce cortège d'idées
volantes, comme un navire de l'écume, que sa vogue fait
mousser sous la proue, comme un coureur de Ijois
éveillant les oiseaux dans les taillis où il fraie sa roule
nocturne.
0 art cher! art qui fait penser! art fait de réalités
T+
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4 .>
76
VART MODERNE
'1
et d'images! art pictural qui est une littérature! art
littéraire qui est une peinture ! art cher, trois fois cher,
qui nous sort de nous-mêmes et nous emporte vers les
voyages d'esprit dont nous avons tant besoin, car là est
notre refuge, notre asilç, notre dernier paradis!
CONFESSION DE POÈTE
Voici une troisième confession de poète. Elle répond aux
mêmes questions que celles formulées dans nos deux dcrnicr&,
numéros
« En des soirs de seul à seul, où l'on s'ausculie après un livre
publié, qui retombe avec une désillusion de plus sur la télé, je
me suis résumé, voici un an, — et c'est ce raccourci, revu mais
non corrigé, que je vous envoie par bribes, raccourcies encore.
1" Contrairement à ceux qui se réfugient dans le rêve et s'y
bâtissent des maisons d'or et de nuées, je n'ai jamais cessé de
regarder la vie réelle et de me laisser tenter par elle. Elle m'inté-
resse comme un ennemi fort et subtil ; je la hais avec toute ma
haine, mais je considère comme une espèce de lâcheté et comme
une désertion d'aller loin d'elle se bâtir un palais imaginaire,
qu'on sait faux, et qui, par conséquent, ne porte aucun remède à
la morosité de l'existence. Si la vie n'est pas un mal, je la crois
cependant imprécisable et capricieuse comme un hasard, et c'est
la lutte de ce hasard contre la règle rectilignc de notre raison,
contre la monotone et symétrique raison, contre la raison qui
s'entête dans l'espoir du bien et du juste et de la joie, contre cette
raison bien cftiée sur des roulettes, pour suivre la ligne la plus
courte et la plus commode, c'est cette lutte 1^ qui me poigne.
L'idée au bbnheur, je l'ai comme le premier venu, mais je l'ai
surtout parce qu'on me l'a fourrée en tête, et que je la confonds
, avec l'idée d'un Dieu bon et protecteur et providentiel. Si je sup-
prime l'une, l'autre tombe. Le bonheur est une notion acquise,
- puisée au dessus, mais non pas dans la vie. D'où contradiction,
heurt, choc.
Quelques-uns se résignent et vivent comme ils peuvent; d'au-
tres inventent des cieux et lâchent de s'en éblouir; d'iaulres — et
j'en suis — après s'être persuadés que le désaccord existe, s'em-
portent contre le bonheur, s'en veulent à eux-mêmes de l'avoir
collé au cerveau, s'irritent contre la bêtise de ceux qui le croient
humain et dû, délestent l'éducation qu'ils en ont reçue, et paraissent,
à cause de leur sagesse même, des fous. Tout cela, à travers des
poussées en avant et des reculs^ des prostrations cl des redresse-
ments, des pleurs et des vaillances, des regrets cl des fureurs,
des apaisements et des sursauts. Résultat ? une existence cérébrale
excitée, exaspérée et embrouillée d'un esprit de contradiction,
toujours ardent.
De reste, — et ceci paraîtra bizarre — il se cache dans la folie
de colère que' le mensonge de la vie amène, une joie insoupçonnée
une joie à rebours, une joie à contre lumière qu'il m'a été donné de
goûter à certaines heures, infiniment. Un mal survient, exagérez-le
— vous en êtes le maître; une peine vous plombe, provoquez-la,
intensifiez-la — vpus en seriez trempé et fier. Le pessimisme
/n'est qu'une étape banale vers un état d'âme plus aigu. Si la dou-
leur était considérée et apprise comme normale ou simplement
comme un tremplin vers une sorte d'exallatign héroïque de la
pensée, les gammes si superficiellement mineures de notre poésie.
qui se flue aujourd'hui bien plus qu'el>é ne se vit, ne se feraient
point aussi bêtement bêlantes.
Si je m'explique ainsi, c'est que loule cette lutte d'esprit se rat-
tache à une très foncière propulsion plus profonde que je me
découvre : le besoin d'action. Il se manifeste en moi, sous une
forme peut-être étrange et mauvaise, mais indubitable, à chaque
examen de conscience. Je me démène contre moi, puisque tout
autre héroïsme est interdit. J'aime l'absurde, l'inutile, l'impos-
sible, l'affolé, l'excessif, l'intense parce qu'ils me provoquent,
parce que je les sens comme des épines en moi, et parce que je
veux n'avoir pas peur de leurs pointes. La maladie qui n'est que
physique, je l'ai presque cultivée, parce qu'elle me jetait en des
situations morales que je recherchais pour ma balaille.
Ces données qui me sont fondamentales et dont il est aisé, je
l'avoue, de rire et de faire les gorges chaudes, dominent l'idée
que je me fais de l'art. Mon art, à mes yeux, n'est que l'expression
de cette crispation contre l'hostilité d'une idée, celle du bonheur,
crispation quotidienne, profonde, silencieuse, contenue, mais qui
se rompt en des livres soudains. Ne jamais permettre qu'elle fasse
irruption, sérail peut-être plus sage. Est-ce possible? Les parnas-
siens l'ont tenté. Les rêveurs et les illusionnés d'aujourd'hui
veulent le tenter également. Je n'aime ni les uns ni les autres.
Pour moi, on ne peut se scinder et même ne faut-il l'essayer. Je
voudrais que l'art grinçât et criât la vie entre chaque deux vers
d'un poème et non pas la vie de tous, — comme l'entendent les
naturalistes — mais la vie subjective, personnelle, spéciale — cri
de joie ou cri de haine, qu'importe — mais cri toujours venu du
fond de l'être, dût le cœur en éclater, comme une chaudière sur-
chaufifée. Je songe quelquefois avec envie à ces flagellants du
moyen-âge, à ces messes nocturnes, flammées d'écume aux lèvres,
à ces trépidations folles et rouges, pour à tout jamais là-bas, dans
le passé barbare. -
Mais ceci n'a que faire en celte lettre.
2» Vous me demandez (je que je pense de la forme en art.
Dès que l'idée s'éveille dans le cerveau, je la crois armée de
pied en cap — de couleur et de rythme. Je parle évidemment de
l'idée poétique — le mol, je le sais, est vieux, — c'est-à-dire de
celle qui résulte d'une impression personnelle, émotionnante et
éclatante par à travers certains cerveaux.
Surprendre celle idée en sa forme primordiale au moment juste
où elle naît, avec ses dehors de coloration et de mouvement, voilà
tout ce que je désire.
Facile! dira-t-on. Que non.
Grâce à tant d'années de collège où l'on apprend à faire des
vers, grâce à tant de lectures inutiles et qui entraînent par leur
séduction même l'originalité et se dressent comme exemples et
modèles, il se fait que, dans notre usine à sensations et à images
cérébrale, l'idée trop souvent se coule aussitôt en un moule
d'alexandrins, de huitains, etc. Elle perd presque toujours de sa
substance soit pour se raccourcir, ou bien elle se délaie pour
s'allonger. On la tripote, on la dénature, on la pare suréroga-
toirement — et la hideuse chei'Itle apparaît. Elle n'a plus ni sa
soudaineté, ni sa virginité. Elle devient une forme avant d'être
une idée.
Le vers existe par lui-même : il a sa musique — indépendamment
des mesurages et des rimes riches — qui le sépare de la prose; cl
c'est cette musique qu'il s'agit de saisir au passage en éclair dans
le cerveau.
Les premiers poètes avaient cet avantage énorme de n'avoir
V
'?i^
J
personne à imilcr et de ne point avoir à subir le pédanlisme des
grammairiens ou des pescurs de diplbongues. Alors, les gens
habiles s'employaient à autre chose qu'à faire de beaux vers cor-
rects. Aujourd'hui, l'éducation du poète devrait, comme celle du
peintre, consister à oublier. Il serait bon de n'écouter que sa
voix intérieure, peu importe la beauté de ce qu'on entend
chanter autour de soi. Si l'on a bonne ouïe, on chantera diflférem-
ment, mais non pas faux.
Je m'insurge donc contre toute forme réglementée. Non seule-
ment je veux qu'on puisse choisir pour faire une pièce enire
l'alexandrin et le vers de huit pieds ou le vers de quatre, mais je
crois bon qu'on permette une bien plus buissonnière fantaisie.
La beauté existe surtout dans l'idée qui a sa forme primordiale
et non pas une forme doctorale. C'est en soi qu'il faut la trouver,
en soi seul, et non dans un livre.
30 Votre troisième question m'interroge sur l'avenir. Vous me
questionnez : vers quel art allez-vous?
Je n'en sais rien et n'en désire rien savoir. Je crois, d'ailleurs,
qu'on n'est pas maître d'aller où l'on veut, et que, les mystérieux
buissons qui, à tel instant, se feuillenl en nous, sont domina-
trices inconsciemment. Une maladie aggravée, une santé recon-
quise, un voyage vécu, (|)uelqu'un de soudain et d'unique rencontré
en des matins de renaissance, une survenue extraordinaire de
douceur en une lumière d'yeux, tout et rien, détermine le livre à
faire. Ceux qui, au début de leur œuvre, n'ayant encore produit
que de rares essais,. dressent le bilan de leur vie, me semblent
d'une présomption lourde. Je ne voudrais pour rien au monde me
suspendre ces quartiers de roc de volumes à faire, au dessus de
la tête ».
Et nuintenant voici les noms des trois âmes qui ont dinsi
entrouvert les voiles qui les cachent : Maurice Maeterlinck,
Charles Van Lerberghe, Emile Verhaeren, les trois poètes belges
d'exception^ dont Edmond Picard 9 entretenu, le jour de la
clôture, la petite élite assidue aux séances des XX.
CORRESPONDANCE D'ARTISTE C)
Nuremberg.
Ah ! vous savez, j'ai vu Nurnberg, Nurnberg, Niirnbcrg ! Mais
quelle désolation, quand on y arrive le soir, de heurter la foule
puante de bière et de leberwurstî II y avait aussi des charrettes
modernes, des affiches peut-être électorales, de grands magasins
ou\erls à toutes vitrines, et la lumière électrique entre les maisons
des vieux âges! Je me suis sauvé à travers les petites rues, j'ai
traversé la rivière sur son vieux pont encombré de boutiques, et
le marché avec sa fontaine sous la lune, toute noyée dans les"^
vagues de mille échoppes qui grouillent. Et puis encore des
petites rues, à gauche, à droite, au hasard dans ces merveilles,
maintenant, pour déboucher tout à coup devant le solitaire Rath-
haus, où j'ai pénétré. Et j'ai passé et encore passé sous les voûtes
(1) l^u de nos jeunes écrivains, actuellement en Allemagne, nous
envoie, en des lettres charmantes nullement destinées à la publicité,
des- poignées de notes et d'observations. Il ne nous en voudra pas,
nous l'espérons, s'il trouve dans V Art moderne quelques fragments
de cette correspondance à butons rompus, qui décèle une âme d'ar-
tiste. - • ,
aux ogives trapues, et j'ai vu Padorable petite cour du milieu,
sa fenêtre aux mihuscules carreaux tout verdûlres, si doucement
verts sous la caresse d'une lampe tranquille : c'est la petite lampe
d'Eva l'ingénue, qui regarde si Walihcr n'arrive pas, du là-bas des
grandes rues en montagnes, et si le bon Hans Sachs ne va pas
descendre enfin de là haut, par les degrés et les replis del'escalier
double ajouré. Mais des gnmins bruyants se ruèrent par les corri-
dors, et toute cette légende cria d'un tel mal, que je me sauvai
dans une gasthaus gothique, pour attendre la vraie nuit. Là, pen-
dant que j'usais mes dents sur une rindfleisch du xv« siècle,
j'observai à mon aise les habitués. Pogner causait gravement,
à longues paroles, avec Albert Durer et Adam Kraft. Tous les
autres maîtres-chanteurs étaient déjà partis, sauf Hans Sachs,
qu'on entendait frapper à grands coups sur une vieille semelle,
dans la cour. La conversation entre les trois artistes était calme ;
c'étaient des gens posés, aux gestes graves, — surtout Pogner,
qui tâchait de paraître très sur de soi, devant Durer plus simple-
ment bonhomme, un grand regard sous le haut front baigné de
cheveux en bouéles, et Adam Kraft, longuement pris d'un profond
penser naïf, dans l'attitude d'un hercule très pieux. Mais soudain.
Pogner devenant assommant avec sa tablature. Durer ne parla
plus qu'eaux-fortes, Pogner lui conseilla un voyage à Colmar, et
lui cria que Martin Schongauer était cent fois plus fort que lui,
son aîné, d'ailleurs, et autrement dévot que l'auteur A'Une grande
Fortune] Adam Kraft intervint pour rappeler Wohlgemuth qu'on
oubliait, puis s'emporta pour maintenir les droits de la ronde-
bosse. Or, ils parlaient tous à la fois, Hans Sachs ne rapetassait plus
ses vieux souliers, et, au lieu de sa bonne chanson, je n'enten-
dais plus qu'une Wacht am Rhein fredonnée dans la cour par
quelque David. _^
Je sortis, comme on allait fermer. Et écoutez bien! C'était
maintenant la vraie nuit tout autour de moi, la nuit sur Nurem-
berg, et du silence, du vrai silence. Il me semblait voir des choses
solennelles s'établir sur les rues, tantôt fourmillantes de foule, et
toute cette heure avait des secrets massifs à divulguer. J'ai
redescendu et remonté la ville, toute pensive et muette, avec ses
grandes pierres qui n'ont osé me dire ce qu'elles avaient vu. Et
soudain je me suis rappelé que Georges Khnopff fit comme moi.
jadis, ce pèlerinage dans la nuit, — et quel bon compagnon que
ce souvenir? — Voilà, j'ai erré, déambulé toujours au hasard, au
gré des pentes et des carrefours, tenté par un coin mystérieux
d'impasse qui tourne sous des poivrières, et puis les regards per-
dus dans les petites ruelles naïves. Il y a des ruelles comme des
vierges, qui gardent leur pensée sous de longs cils pétrifiés, des
venelles qu'on veut déchiffrer, et toujours, et toujours des rues
où l'on passerait pendant des siècles sans connaître leurs secret*
de femmes. Il y a les rues prostituées, celles de nos villes quoti-
diennes, heureusement lointaine*, celles-là! Il y a les rues qui
sont des épouses, d'une large fidélité presque droites avec des
airs savants, et qu'un seul passant foule du pied du maître. El
aussi, conduit par madame la Lune (elle a parfois de ces audaces^.
j'ai vu les mâles pour ces vierges, les grandes tours qui domptent
autour d'elles le petit harem ingénu ; des églises comme transpa-
rentes dans de la lune, et leurs clochers qui ne se rendent pas :
le Burg, au haut de la vieille montagne,|et les arbres qui tromblont
de peur à ses pieds; et le mystère de ses galeries aux angles
sombres, et sa masse, toute sa masse comme heurtée do voir là-
bas au haut d'une tour, cette fenêtre éclairée, cette toute petite
fenêtre au haut de la grande tour et les murs si grands, et der-
r
rii'^rc eux lu grt^c jeune tilU; en prières aux pieds de la Vierge. —
Kn bas, les petites maisons s'interrogent, silencieuses el non sans
terreur, el c'est très au loin la Lorcnzer-Kirclio, avec la droite
ascension jumelle do grands gestes qui portent les cloches.
THÉÂTRE DE LA MONNAIE
Le Songe d'une Nuit d'été
Nous avons eu, dans la quinzaine, deax Songe d'une Nuit d'élé
à Oruxcllcs": l'un, au Conservatoire, do Mendolssohn; l'aulrc, à la
Monnaie, de M. .\nibroise Thomas. Mais tandis que le premier
évoqua dans d'imaginaires décorsde forêt ilhiminée de lucioles cl
do clairs de lune la fderic du menu peuple crée par le poète, Tila-
ni:i, l'uck, Obéron, le second nous offrit les bizarres gargouillades
et borborigmes musicaux par lesquels le directeur du Conserva-
toire de Paris a traduit le non moins bizarre livret de M^. Rosier
et De Leuven. Oh j cette musique qui a l'air 4c Hier comme un
macaroni, ce dévidement perpétuel de vocalises, d'arpèges, de
gammes, de trilles, çetégrènement de noies, ce rosaire de doubles
croches dont les points d'orgue ser^iient les paters!
On n'imagine rien de moins musical que cette accumulation de
sons et l'on se demande avec stupéfaction comment des œuvres
d'une pareille vacuilé d'art ont pu donnera leur autour une si haulc
situation artistique.
MM. Sloumon et Calabrési ont bien fn\\ de reprendre ce curieux
échaniillon d'une époque abolie. Le Songe d'une Nuit d'été csl
une borne sur la route suivie par la musique moderne. Il peut ser-
vir à mesurer la distance parcourue. Et puis il est. toujours amu-
sant de voir s'effondrer des f'êpulations établies sur la badaudcric
des uns par la malice des autres.
La direction de la Monnaie a monté avec soin l'opéra-comique
de M. Thomas, dont l'intcrprétaiion est confiée k M"^* Merguillier
ol Noyl, à MM. Badiali, Isouard cl Sentein.
A.TJ aOITSEI^-V^u^TOIR,£]
Troisième concert. -
L' « altraclion » de la séance (avez-vous remarqué qu'en orga-
nisateur habile, connaissant admirablement son public, M. Ge-
vacrt a soin de ménager ii chacun de ses concerts un « effet »
à sensation?) l'atlraction, c'était M"» Dudlay, ex-élève du Conser-
vatoire, qui alors... mais depuis... Bref, la voici sociétaire de la
Comédie (C majuscule), après de retentissants démêlés avec les
chefs de la Maison, lesquels, eux-mêmes, ont ensuite cassé quel-
ques vitres... Mais ces potins et cancans sont trop connus pour
les redire. La vérité, c'est que M"« Dudlay est une très intéres-
sante artiste, au visage mobile et expressif,, au geste ample, à la
diction pure. In tanlinel de voix en plus, ce serait une grande
tragédienne. Son apparition sur l'estrade où, jadis, elle vint
concourir parmi les élèves de M"'' Tordeus, a été presque
triomphale. Et, de fait, le succès qu'elle a remporté était parfai-
tement mérité. Avec son chignon d'or, sa robe d'un rose mourant,
on rein prise pour une figurine de Tanagra. Immobile, très grave,
(OnceiJtrée,sans le soupçon d'un « me voilà, c'est moi, regardez-
moi »., durant tout le prélude symphonique el le premier chœur
de cette 1res belle œuvre : les Ruines d'Alhènes, 'elle sortit
lentement de son rêve, et avec des intonations solennelles, une
mimique sobre, de beaux mouvemenis harmonieux, elle donna
aux récits qui composent la partition une remarquable intensité,
suivant du regard et de la pensée visiblement exprimée les
tableaux tour à tour sombres et glorieux du poème.
Deux pièces : Stella el Après la bataille, de Victor Hugo, —
cette dernière en manière de remerciements au public, 1res
^'mballé, — lui conquirent définitivement l'auditoire.
L'orchestre el les choeurs ont donné des Ruines d'Athènes une
bonne interprétation; l'orchestre s'est particulièrement distingué
dans la scène des Derviches el de la Marche des Janissaires. Le
concert, qui comprenait, en oulre, l'air de ballet de Promcthée,
— prétexte à faire valoir la virtuosité des solistes : MM. Jacobs,
Anlhoni, Poncelet, Neumans et Mecrloo, — avait débuté par la
symphonie Jupiter, de Mozart; il se clôtura par l'ouverture de
Siruensée, dont le caractère superficiel, toul en façade, a paru
jurer avec les œuvres de style qui forment le répertoire habituel
du Conservatoire. On se serait cru aux beaux soirs de fou le Jardin
Zoologique ou du plus récent Waux-Hall.
LES .A.XJ(3-XJR.ES
Un prétendu Rembrandt a élé découvert au Pecq, par M. Bour-
gc<ïîsërpar M. Henri Ponon.
/ Mais est-ce bien lin Rembrandt?
Les opinions sont très partagées, et il est curieux de voir ce
que disent là-dessus les gens les plus compétents. Cola donne une
Idée de leur compétence !
M. Bonoat écrit :
« Certaines parties sont habiles d'exécution, je le veux bien,
mais d'autres, comme les lêtcs de l'ange cl des deux individus de
gnuclie, sont d'une faiblesse extrême:
« Ça du Rembrandt? Jamais ! »
M. Gérôme ;
« Ce tableau est cerlainement l'œuvre d'un homme de talent el
la tête du Christ a du mérite, comme exécution et comme carac-
tère, mais les autres personnages sont tout à fait inférieurs sous
tous les rapports. Lés trois autres têles des disciples sont molle-
ment peintes, mal construilcs el ne rappellent en rien la manière
vigoureuse el savante de^Rembrandt. En somme, cet ouvrage est
d'un homme de talent, il est d'un bon effet, d'une bonne tenue
générale, mais il n'est pas de Rembrandt.
Par contre, M. Tony Robert-Fleury déclare :
« L'œuvre est magnifique : sa beauté suffit à consliluer le plus
éloquent el le plus indiscutable témoignage en faveur de l'authen-
ticité de la signature.
« Personne, parnji les élèves ou les émules de Rembrandt
n'est capable d'avoir peint ce tableau merveilleux, »
MM. Vollon et Alfred Stovcns ont ilSservé leur opinion, ce qui
est le meilleure façon d'être expert.
Et dire que ce sont les mêmes gens très compétents qui sont
chargés de dire au public quand un tableau moderne est bo:i et
quand il est mauvais. Et le public les suit! !
iâÊÊÊt
iPlBLIOQRAPHlE MUSICALE
Œuvres belges
Parmi les œuvres rfîcemmenl éditées en Belgique cl dont les
couverlures cliamois, fcuirc, ardoise, paille marbrent les vitrines,
signalons la partition du dernier poème symphoniquc et lyrique
d'Emile MalliieUj,/e Sorbier, exécuté à la première séance musi-
cale dos XX et dont les Concerts populaires nous donneront,
aujourd'hui même, une audition k l'orchestre. La partition, très
clairement gravée, a paru à Louvain chez M. G. Daman. Du même
auteur, les Fumeurs de /Ci^, ballet en trois tableaux représenié
pour'la première fois en i876 à la Monnaie et repris celte année.
L'œuvre, qui comprend une inlroduclion cl douze morceaux, a
été réduite par l'auteur pour piano à deux mains. Elle est édiléo
par M""* G. Beycr, à Gand. ■
M. Bsrtram a mis en vente le petit poème musical de MM. Léon
Jourot et Louis de Casembrool : les Chansons du dimanche, on
quatre parties, dont M""" Cornélis-Servais^a fait valoir, aux
concerts des XX, les qualités gracieuses.
Enfin, la maison Scholt frères (Otto Junné^ vient de faire
paraître deux nouveaux recueils de Chansons et mélodies écrites
par M. Gustave Kefer sur des poésies de Jean .\icard, Verlaine,
Laforgue, Verhaeren, etc. La nouvelle série de compositions de
M. Kefer est plus intéressante encore que ses œuvres précédentes.
Nulle banalité. Un continuel souci de la forme, au service d'une
pensée toujours élevée cl pure. Nos préférences vont à la Chanson
du matelot, à la Chanson des olives, à la Chanson du mendiant,,
au Soir religieux 11"^ 2. On se souvient du succè^remporlé par
M. Renaud dans l'interprétation de deux de ces mélodies, bien que
la musique ne fûl nullement sacrifiée à la virtuosité du chanteur.
On trouvera dans les douze pièces du recueil d'autres œuvres
d'un égal intérêt d'art et d'un même raffinement d'écriture.
Petite chroj^ique
L'exposition de Portraits des maîtres du siècle a élé inaugurée^
hier avec le cérémonial accoutumé des ouvertures officielles : la
Cour et la Ville, les tapis rouges, les cravates blanches. Elle ren-
ft^rme quelques belles œuvres, mêlées à un déballage effroyable de
vilains bonshommes et de laides dames. Est-ce que vraiment le
siècle n'a, plasliquemenl, rien produit de mieux ? Bon nombre de
tableaux annoncés ne sont pas arrivés. On attend les Mancl, les
haffaclli, les' Puvis de Chavanncs qui rajeuniront un peu les
panneaux vétustés.
Le prix d'entrée esl de 2 francs dans la semaine, de 0 francs
le samedi et d'un franc le dimanche.
Pour rappel, aujourd'hui à 1 h. 1/2, au lliéâlrc de la Monnaie,
deuxième Concert populaire consacré aux œuvres de MM. Emile
Mathieu et Edgard Tinel, dirigées par leurs auteurs.
Chaque année, un Comité de dames organise une soirée artis-
tique au profit des enfanls pauvres de Boitsfort. Le concert de celle
année aura lieu samedi prochain 15 mars, à 8 1/2 heures, dans
la salle Marugg. Au programme sonl inscrits les noms de
MM. Henri Heuschling, Edouard Jacobs, Merck et dc'.M"* Berthe
Chainaye.
Le prix des places réservéer'él'numérotées est fixé à 5 francs.
On peut se procurer des caries rue de la Science, 1, rue de la
Loi, 61, rue Sainl-Josse, 51, et chez les éditeurs <le musique.
Le Club symphonique, fondé l'automne dernier par M. Emile
Agniez, donneuason premier coticert dimanche prochain, 16 cou-
rant, îi 2 h. et demie, au pal;iis des Académies, au bénéti.e de la
Caisse permanente de secours aux victimes du travail. Le pro-'
gramme promet une séance très atLravanli\»<'rix d'entrée : ;) francs
et fr. 2-50. ■ : l" " ,
^-^
Le Cercle musical de Namur, organise pour mardi prochain,
H mars, à 7 1/2 heures, un grand concert exclusivement con-
sacré aux œuvres de trois compositeurs belges : MM. Emile
Mathieu, Edgar Tinel et H. Ballbasar-Florence. On entendra, du
'pYcm\cv,le Hoyoux,\)Gi'.mc lyrique et symphonique fsoli, chœurs
et orchestre), une marche : Noces féodales, un air extrait de
Richilde et le Barde, ballade pour baryton et orcheslr.'; du
deuxième, la marche triomphale de la canlale De Klokke Roelaml;
du Iroisième. un concerto pour violon et orchestre, une scène
lyrique des Houilleiirs, des pièces pour violon cl une mélodie
pour ténor, violon et orchestre.
M. Candeilh, directeur du théâlrc dy P;irc, a traité avoT'Ie
Théâtre-Libre pour une nouvelle série de représentations. Celles-ci
commenceront le 20 mars. Au programme : IcJ! Frères Zemganno,
trois actes, que MM. Paul Alexis et Oscar Méiénier ont tirés du
roma.n de M. Edmond de Goncourt ; V Ecole itis Veufs, de
M. G. Ancey; Deux Tourtereaux, un arlede MM. Paul Ginisty et
Jules Guérin, etc., etc.
Dans la prcmièr.e pièce, qui vient dètre jouée avec succès au
Théâtre-Libre, nous reverrons M"" .Sylviac.
Le théâlrc fl«s Galeries donnera le 22 courant une représenl.i.
lion extraordinaire au bénéfice d'une de ses artistes les plus syni.
palhiques,M"'*= Madeleine Max. On jouera Jean-Marie ci Monsieur
Scapin.
On rïOus écril. d"Anvei"s :
Après l'Alcazar de Bruxelles, la Scala d'Anvers a eu la très
louable idée de convier son public à l'audition de vieilles chan-
sons, ^ interprétées, celle fois, avec un goût délicat, par une
artiste de race. M'"* Marthe Lys. Sa diction, faite de finesse et de;
grâce, n'a guère ou de peine à vaincre les hésitations du public,
toujours défiant des efforts dérogatoires à la coutumière banalili'-.
Dessiné, dès le début, par les syfnpathies de quelques lettrés, le
succès est allé en s'accenluant de jour en jour. En passant par
Murger, Musset, Déranger, Desaugiers et Parny, M"* Marthe Lys
est remontée jusqu'à des époques fort éloignées, et l'on. a vu ce
rare spectacle d'une très jolie et très naïve chanson du xti* sièiK\
applaudie à l'égal du Bidu bout du banc et du Pi-re In Victoire.
L'Académie de littéraW'e'yUimand^^ mis au concours les
questions suivantes : ^"-^
Philologie. — l^Hisloirc de l'infinitif dans les anciens dialectes
germ^aniqîTcs^ 2° élude sur le poète Pr. Van Duyse, considéré
comme linguiste cl littérateur.
Histoire.' — 1" Quel esl le rôle attribué dans le moyen-âge au
Principe du mal .- Lucifer, SUanas,Sinnekens, etc , et quels en
sonl les caractères généraux et, dans quelques ouvrages, les
caractères particuliers?
2» Faire l'histoire do l'emploi en Belgique de la langue né''rlan-
daise dans l'enseignement supérieur, moyen et primaire de 18;!0
à nos jours?
L'auteur aura soin de citer et d'analyser les lois, arrêtés roynu.x
et ministériels, circulaires, programmes, enfin tous les documents
officiels concernant la matière.
Poésie. — Une pièce de vers célébrant le vingt-cinquième
anniversaire de S. M. Léopold II.
Les lauréats recevront une médaille d"or dune valeur de
600 francs. -
Sommaire du Japon artistique, n» 22 : Les animaux dans l'art
aaJapon. par M. Ary Renan (suite et fin).
Planches hors texte •• Portrait d'acteur. — Sarcelles. — Petits
croquis. — Étude de corbeaux (double pagoi. — Èiude de pois-
sons. — Deuxfragments d'étoffes. — Modèles pour ciseleurs^ —
Trois vases de bronze. — Modèles indiistriels.
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Administration et rédaction : Rue des Minimes, 10, Bruxelles.
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Inventions. — Brevets. — Droit industriel.
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Administration et rédaction : Rue Royale, 15, Bruxelles.
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Revue mensuelle de littérature et d'art
5" Année
directeurs : MM. A. MOCKEL et P.-M. OLIN.
„ ( à Liège, rUe St-Adalbert, 8,
Bureaux ! , ^ ,, . ... „,„
( a Bruxelles, Avenue Loiuse, 317.
ABONNEMENTS : 5 francs l'an; Union postale, fr. 6-50
Breitkopf et H&rtel, éditeurs, Leipzig^Brux^es
V
TRAITÉ PRATIQUE DE
COMPOSITION MUSICALE
depuis les premiers éléments de l'harmonie jusqu'à
la composition raisonnée du quatuor et des principales
formes de la musique pour piano par J.-C. Lobe.
Traduit de l'allemand (d'après la 5^ édition) par
Gustave Sandre.
- VIII et 379 p. gr. iniSo. Prix : broché, 10 fr.; relié, 12 fr.
Ce livre, dans lequel l'auteur a cherché à remplacer l'étude pure-
ment théorique et abstrait* de l'harmonie par des exercices pratiques
de composi4ion libre, fut accueilli, dès son apparition; par une
faveur marquée. La présente traduction mettra le public français' à
même d'apprécier un des rares ouvrages d'enseignement musical les
plus estimés en Allemagne. ' -
— ^
Bruxelles. — Imp. V Monnoh, 26, rue de l'Industrie.
'À
Dixième année. — N" 11,
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 16 Mars 1890.
L'ART MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Comité de rédaction » Octave NTAtJS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
ABONNEMENTS': Belgique^ un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. —ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser toutes les communications à
l'administration générale de I^Art Moderne, rue de l'Industrie, 26, Bruxelles.
Sommaire
L'Exposition de portraits. — Impressions d'.\rt, par Eugène
Demolder. — Exposition Meunier. — Correspondance d'artiste :
Dresde. — Concerts populaires : Deuxième matinée. — Théâtre ^
de l'Alhambra : Surcouf. — Concerts parisiens : Société nationale
DE MUSIQUE. — Petite chronique. . <
L'EXPOSITION DE PORTRAITS
Très respectueusement, avec l'air de dire : '• Hein!
quel honneur pour Bruxelles d'avoir réuni tant de
Bonnat, de Munkacsy, et même un Chaplin, et même un
portrait de Monsieur Cabanel ! " dévotement presque, les
gens défilent, les bonnes gens qui ont lu dans les gazettes
que rien n'est plus beau, plus artistique, plus émou-
vant que ce déballage de portraits parmi lesquels il en
est qui font défaillir les chroniqueurs, et précipitent, à
leur suite, les dames du monde ^ chic <> en des pâmoisons
imprévues.
Très irrespectueusement, les sceptiques sourient de
cet accès subit d'enthousiasme suraigu, et, le tour des
salons fait, le triage efi'ectué, la douzaine de toiles de
valeur que comprend l'exposition mise à part, dans le
coin des souvenirs, songent à la médiocrité effrayante
des portraitistes célèbres (ou soi-disant tels, puisqu'on
les range parmi les Maîtres du siècle), à la pauvreté
d'invention qu'ils attestent, à la banalité de l'attitude et
du geste, à la puérilité des accessoires, au coloris terne et
fumeux dont l'œil s'attriste:
« Que d'Herbo ! que d'Herbo ! » disait hier, avec de
petites mines amusantes, une jeune tille assez artiste
pour se permettre le luxe d'une opinion individuelle et
assez indépendante pour l'exprimer, au grand scandale
des personnes d'âge mûr et d'idées toutes faites qui
l'entourent.
C'est l'impression dominante de ^ l'art du portrait ^
à notre époque. Des deux ou trois cents portraits con-
fectionnés depuis cent gins en France, en Belgique, en
Allemagne, en Hongrie, en Angleterre, que l'exposition
actuelle nous convie à admirer (et c'est une sélection!).
en est-il vraiment douze qui s'élèvent au dessus de la
représentation immédiate et .matérielle (ressemblance
garantie) du Monsieur ou de la Dame qui a consacré
quelques après-midi à parader en habit de gala ou dans
un négligé savamment éSmbiné devant une palette de
peintre? Pour faire pareille besogne, l'artiste peut être
aboli. Un agent mécanique suffit. Et le jour où la photo-
graphie en couleurs aura fait son apparition, on pourra,
sans regrets, supprimer le portrait à Ihuile ou au
pastel, — le portrait tel qu'on l'entend communément,
et qui nest qu'une image. Voyez les Bonnat,- lès
Gallait, les Dewinne même, dont un seul, le portrait de
M. Sandford, échappe peut-être au naufrage; voyez les
6^
■S
>
)
Wauters, les Heniiebicq, les Portaels, les Delpérée, les
de la Laing; voyez les Stevens; voyez aussi tous les
illustres inconnus qui peuplent les cinq salles de l'expo-
sition, accrochant aux panneaux tout un jeu de massacre
de figures historiques, mondaines ou quelconques, et
dites, dites quelles sont, parmi tant de rectangles de
toile peinte, soigneusement bordés d'or,' les œuvres qui
font penser, qui évoquent l'âme du personnage repré-
senté, qui donnent à celui-ci le catractère définitif, que
seul l'artiste est apte à exprimer parce que seul il
découvre la synthèse d'humanité que recèle chacun de
nous.
' Il est permis d'affirmer que le portrait, tel que l'ont
conçu les Maîtres, les vrais Maîtres, est au sommet de
l'échelle hiérarchique de l'Art, parce qu'en lui se fixent
toutes les sensations, toutes les émotions, toutes l'es
passions humaines. Quand le Titien peint, sur un cheval
d'armes caparaçonné de rouge, dans un, paysage ensan-
glanté par le coucher du soleil, l'Empereur Charles-
Quint en costume de tournoi, la lance en arrêt, on voit
flotter dans les yeux aigus du souverain, autour de sa
bouche hermétiquement close qu'encadre une .courte
barbe rude, des visions de batailles et de conquêtes, et
toute la puissance d'un formidable empire- se concentre
sous ce heaume de métal ^'où jaillit la courbe du nez
en bec d'aigle et la proéminence implacable du menton.
Lorsqu'il représente en son invraisemblable robe à
paniers et à falbalas, d'un rose éteint, la chevelure si
bizarrement apprêtée qu'elle fait songer à une tête de
King Charle's, et raide, et empesée, et solennelle, mais
juvénile malgré tout, et adorable , l'infante Marie
d'Autriche, fille de Philippe, IV, Velasquez fixe inbu-
bliablement le symbole d'une époque de faste et de
grandeur, et sur l'arc des lèvres entrouvertes , et
dans les prunelles largement dilatées, et sur la grâce
enfantile des narines plane l'aristocratie de toute une
dynastie des rois.
De cette synthèse, de cet agrandissement du portrait
aux proportions d'une page d'histoire définitivement
écrite ou d'un symbole réalisé, vainement on en cherche
la trace dans la plupart des bonshommes et des belles
dames présentement appendus aux parois du Musée,
et c'est ce qui nous empêche de ressentir devant ces
toiles, pas malrancies, plus' d'émotion qu'on n'en
éprouve, tous les ans, aux platanes renaissants , sous
les vitrages du Palais des Champs-Elysées , en contem-
plant l'image souriante de " la belle Madame X..., ».
ou le « portrait du général Bo\ilanger ".
Art de quatrième ordre ; art fait pour amuser les
bourgeois et chatouiller leur vanité; art mécanique, en
somme, qui n'exige du peintre qu'un œil exercé et une
main habile^ art d'où la pensée est absente. Nous nous
faisons, quant à nous, du Portrait une idée si haute
que les trois quarts et demi de la collection rassemblée
au Musée, un peu au has»rd dé la fourchette, il faut
en convenir, ne nous paraissent nullement mériter les
honneur8i»d'une exposition spéciale.
Quelques exceptions, heureusement, et parmi elles,
au premier rang, la Marquise de Touimon, peinte par
Ingres avec une netteté de gothique. L'œuvre s'impose.
La précision du dessin, le modelé des chairs, le coloris
(le coloris d'Ingres!) d'une fraîcheur étonnante, vrai-
ment, oui, avec des verts à la Memling, des blancs, des
jaunes superbes, tout est attachant en cette œuvre
suggestive, évocatrice d'une époque. Puis encore i un
admirable portrait de Delacroix par lui-même, mysté-
rieux, solennel, qui abrite des abîmes de méditations et
de rêves; quelques Courbet, noirs, mais hallucinants;
un petit Portrait du général Hugo, par, le baron Gros,
qui fait revivre l'ère des panaches, des uniformes cha-
marrés, et aussi de la bravoure des soldats du premier
Empire; et, parmi les nôtres, quelques Agneessens,
notamment le Portrait d'Isidore Verheyden, qui
demeure une œuvre de style, d'une intensité/ rare,
plusieurs Navez, qui grandit singulièrement, up Mel-»
lery, trois Khnopff", fort malmenés, ceux-ci, par la
commission de placement qui leur a octroyé le plus
mauvais coin de l'exposition. /
Les portraits de Lenbach, un artiste qui jouit en
Allemagne d'une grande autorité, font beaucoup d'effet
sur le public; il y découvre une foule de qualités que
nous avouons avoir vainement cherchées jusqu'ici. Il y
a:^, sans doute, une certaine allure dans son Bismarck;
son Léon Xïll est d'un ascétique étrange, et son
AS/rossmayer vous poursuit de ses regards d'illuminé.
Mais, le premier étonnement passé, quand on analyse
ces peintures au jus de tabac et au poiré, elles appa-
raissent vides et mornes, mal construites, brossées à la
Biable, et d'une coloration horrible. Et l'on retourne
avec joie au portrait de Delacroix et à la Marquise
de Toiirnon, les deux œuvres artistiques du Salon.
Quant aux Kaulbach, Vastagh, Mackart, Munckacsy
et autres, on nous permettra de n'en 'rien dire. Ces
choses-là doivent plaire à certaines parties du public :
mais ce n'est pas celle pour laquelle nous écrivons.
Au demeurant, ce ne sont peut-être pas les peintres
qu'il faut critiquer, en ce domaine spécial de la
*» pourctraiture " qui si rarement échappe à la banalité,
mais leurs modèles. Le portrait a été, de tous temps, et
sauf exception, le pot-au-feu de l'artiste, un travail
manuel destiné à donner des robes à l'épouse et des
chemises aux mioches. C'est quelque chose d'analogue
au journalisme, que sont obligés d'exercer certains écri-
vains, et qui ne peut être confondu avec la littérature.
Une réunion de chroniques et d'articles n'a jamais pro-
duit un bon livre. Une collection de portraits ne sera
jamais qu'une exposition médiocre, à moins qu'on ne
fasse, ce qui n'est pratiquement /guère possible, parmi
^
la multitude de portraits commerciaux, le triage des
quelques œuvres que le peintre a créées dans un unique
souci d'art. N'est-elle pas profondément vraie, cette
réflexion de Louis Dubois (dont aucune œuvre n'est
exposée, ô ironie !) :
« Nous pensons qu'il n'existe pas de beaux portraits
dont les modèles soient nuls ou inconnus. C'est toujours
le résultat d'un sentiment qui a profondément ému le
peintre ou le sculpteur. C'est soit une marque de
respect, de vénération : aussi rencontre-t-on parmi 1^
portraits les plus remarquables des grands peintres
ceux de leur père, de leur mère, d'un intelligent protec-
teur, d'un ami, ou d'un homme pour les facultés duquel
ils avaient une profonde admiration ; la femme qu'ils
aiment est naturellement le motif de leurs plus belles
productions; donc, la raison majeure d'un portrait est
d'être « ■ commémoratif ». L'indifïérence de l'artiste
envers son modèle est la cause première de sa mauvaise
exécution, ce qui n'a malheureusement que trop souvent
raison d'être. »
Impressions d'art
par Eugène Demolder. — Des presses de M"" V« Monnom.
Pour juger M. Demolder, il faut bien s'imaginer ce qu'élail pour
le public belge d'anlan un critique modèle.
Sensuel, promenant sur la peinture plutôt sa langue que ses
yeux, jutant d'aise à voir de beaux tons saucés, aimant les pâtes
et encore les pâles, comme on aime les confitures, s'en fourrant
jusque-là et puis, didactisant : il n'y a que le tableau solide, sain,
vigoureux et grassement peint. Tout cela en ces deux mots, qui,,
chalouilleurs de vanité nationale, se plantent sur toute discussion
comme un drapeau tricolore : art flamand. El l'inévitable cortège
des Rubens, des Teniers, des Jordaens sortait des coulisses de la
mémoire et du double fond de l'Iiisloire pour dire au critique :
« Brigadier de lettres, vous avez raison ». Et le public croyait —
j'allais dire gobait — car on ne résiste pas à des arguments où les
noms de Rubens, Teniers, Jordaens passent avec, au devant d'eux,
des qualificatifs illustres.
Le critique exemplaire est d'ordinaire un monsieur fori, bien
portant, buveur d'esthétique et de bière, ne sortant jamais de la
cave d'un raisonnement étroil, se tenant appuyé contre des mu-
railles d'entêtement et des piliers de préjugés. Son homme? Cour-
bel — et fort probablement l'a-t-il entendu, jadis, gueuler dans les
estaminets : Il n'y a qu'un art au monde : celui qu'on mange
des yeux, qu'on lappe de la langue et qu'on peut affirmer à coups
de poings.
Au physique, M. Demolder pourrait être pris pour un critique
belge exemplaire. 11 est trapu, sanguin, musculeux.
A lire ses articles, celle appréhension immédiatement dispa-
raît. On les sent compréhensifs, intelligents, relourneurs en tous
sens des qirestijons d'arl, éveillés vers le neuf, fureleiirs de renom-
mées à naître, curieux de dessous; en un mol : modernes. En rien
pédants ni dogmatiques. M. Demolder fait à travers les Salons
des promenades intelleclucUes, il cause avec son moi cl consigne
« ce qu'ils se sont dit ». Il sait ce qu'est la phrase littéraire et le
mol juste et demeure persuadéquc, même pour faire delà critiqué
sérieuse, il ne faut pas nécessairement écrire comme des porte-
faix; il soigne son noir^r blanc. J'en sais qui aftirment : « Tels
articles ne peuvent être profonds, parce qu'ils sont trop parfaits,
de style. Un adjectif fait lâche et une comparaison trou. El l'ap-
préciation pour juger une critique se rt-sume : « Oui, pas mal
écrit ».
Les teneurs de plume au rez-de-chaussée des journaux calés,
abondent presque tous en ce sens. Ils écrivent comme des com-
mis de l'enregisiremenl, ils parlent d'art comme les sacristains
parlent de Dieu, ils font des livres qui sont des compilations de
lieux communs et de la besogne comme des pousse-cailloux :
manieurs de pelles, de piques et de brouellcs — mais artistes
passifs émus par les artistes actifs, allons donc!
El pourtant c'est bien ce que devrait être le critique. D'une
réceptivité subtile : miroir aux mille facettes où la nuance de la
nuance s'arrêterait, ne iûl-ce que l'inslant^d'un trait de plume sur
le papier. Avanl>toul, aigu cl intelligent, puis, très scnsiiif et pas
néanmoins impersonnel tout à fait. Partial, — comme l'a dit Bau-
delaire — non pas. Partiale c'est se mêler aux gens qui luttent
sur un même palier d'art, et le critique doit se trouver sur le pa-
lier au dessus, là où il peut tout voir, tout -juger, et rester en
dehors et dominer. M. Demolder occupe le palier supérieur aux
luttes de nos écoles en Belgique. Il est libre de toute attache ar-
tistique et son impartialité est totale.
Le livre : Impressions d'art témoigne de celle indépendance.
Son jugement rencontre sur sa route les tendances les plus oppo-
sées et les analyse toutes avec persp.icacité. .Aucun effort, aucune
œuvre, qui ne le sollicite; il a le courage de salonner encore et
jusqu'à la dernière ligne de rester calme, patient, sans jamais en-
voyer le catalague au diable ni bâcler des réflexions sur le menu-
fretin des exposants secondaires'. ' .
Le voici enthousiaste de Meunier, sévère pour Jef Lambeaux,
minutieux examinateur d'une exposition d'art ancien ou d'un Salon
des XX. La cenlcnnale de Paris le pousse à de pittoresques el
vivantes descriptions, el le réceni livre : Certains de Huysmans,
à l'hyperbole.
En insistant sur la valeur littéraire de M. Demolder, nous avons'
voulu indiquer que rien n'-élonne moins que de le voir s'acharner
à certaines transpositions d'art, nombreuses en ce Kvre, et dont
nous citons celle-ci, d'après d'anciens maîtres flamandu ■
« Bethléhem était un village aux huttes maçonnées de glaise et
blotties sous des chaumes bronzés par les chaleurs Cl rongés par
tes mousses aux verts d'émeraudc. Des moulins y battaient le ciel
de leurs ailes folles par les temps de bise, el, durant l'époque des
cueillettes, des coquelicots y saignaient dans l'opulence des mois-
sons. Avec la tour de son église, sonnant des angélus pieusement
ouïs, "son Calvaire où notre bon Dieu agonisait, une plaie aux
côtes, et ses Notre Dame hissées aux ormes et idolâtrées, les nuits
de mai, par des cires brûlant au clair des étoiles, — c'était un*vil-
lage très dévot, car Jésus l'élut pour lieu de sa naissance.
« Ce fut un soir de Noël. Par les chemins, des rondes de mar-
mols, tignasse au vent, tournaient, malgré la neige tombée. Les
cabarets jetaient leur reflel rouge au sol blanchi. Dans les inté-
rieurs, piqués de points ignés par les pipes, les bières gonflaient
les panses, cl des baesincs, les seins crevant leurs corsages déla-
cés en la beuverie, caressaient le menton à des gaillards clignant
de l'oeil sous un béret crânement orné d'une plume. Tout le jour
I '
iC
84
UART MODERNE
avaient résonné, doux comme chants de rossignols.au temps
d'amour, le rissolemenl des beurrées et les cris des boudins en
poclc. Une odeur de mangeaille floUait dans la nuitée : le parfum
des crêpes rondes et dorées, rappelant lesécus d'or où l'on frappe
les effigies des empereurs, le fumet des jambons et celui des ome-
lettes, l'émanation des tartes de kermesse. Aussi des manants trop
gavés se soulageaient, brayettes bas, dans les coins; et le long des
murs, avec des gestes lourdauds, une fumée d'hydromel au
cerveau, des magots en veston brun titubaient, saisis par la sou-
daine froidure. »
Quoi conclure?
M. Demolder est un peintre de plume dont l'encrier renferme
de précieuses encres de palette et qui s'impose excellent critique.
EXPOSITION MEUNIER
Que d'expositions se sont succédées au Cercle et dont il n'était
guère plus utile de parler que de feuilles mortes et de toiles
goudronnées pour navires marchands — mais voici que la série
grise s'interrompt et qu'au moins quelqu'un invile à son salon,
vraiment artistique cette fois, notre critique indifférente aux Van
Dyme-Sylva, aux Pion, aux La Boulaye, etc.
Si les murs de la petite salle du Cercle étaient perfectionnés
et outillés de phonographes, il serait joyeux d'écouter, après
l'exposition, toutes les âncries qu'ils recueilleront. On trouvera
probablement ces toiles trop hardies, trop peu agréables, trop
brutales, que sais-je? On n'en surprendra guère la haute impres-
sion de pitié forte et tragique qu'elles dégagent. Meunier est un
peintre apitoyé et bon. En même temps rude-et débuche plé-
bécnne. En même temps, attiré vers le caractère et la physionomie
spéciale de ces modèles. En même temps exécutant plutôt vigou-
reux que minutieux et improvisateur que méditateur. On peut, à
travers l'œuvre faite, deviner le croquis. Chez des peintres plus
lents et plus tenaces, cela devient difficile et même impossible.
Dites, où le croquis de la Muse de Mellery, exposée aux aquarel-
listes?
Meunier poursuit avec suite le plan de son art. 11 s'est assigné
la gloire de raconter et de fixer plastiquement la vie d'une
catégorie d'hommes vers lesquels tant de préoccupations graves
s'en vont à celte heure et que tous ceux, hommes de lettres,
hommes de sciences, hommes même de trône et d'Empire, qui se
sentent angoussés par l'avenir, regardent.
Ces descentes en des fosses, ces causeries au cabaret, ces
marches vers le travail, le soir, ces puddleurs, ces porions, ces
femmes en culotte et en blouse, tout le monde et toute l'activité
ouvrière sont là, .saisis peut-être un peu trop en anecdotes et en
commentaires, mais en tout cas, typiquement et quelquefois défi-
nitivement.
Meunier possède en art une province h lui : il a les charbon-
nages, comme Mellery a Marken.
Si à deux reprises le nom de Mellery nous revient, c'est que
ces deux peintres, très profondément sérieux, ont des affinités
non pas tant d'art que de sentiment. Ils sont tous deux tournés
vers les humbles.
Un jour, nous poursuivrons le parallèle. Disons, dès à présent,
qu'ils sont les seuls vivants de la génération de peintres immé-
diatement nous précédant, qui soient dignes d'admiration nette.
L'exposition actuelle de Meunier, ne fût-ce que par un dessin.
la Lutte, et par un quadro, le Puddleur, le classe parmi ceux
qui, cherchant toujours plus loin, trouvent toujours mieux.
Quant aux sculptures? — d'un grand artiste, dont les bronies
et les plâtres crient la souffrance et la mort très pénétramment.
Le groupe du Grisou est chef-d'œuvre, le Supplicié également,
et V Homme qui boit et Celui qui fauche ? — admirables de prise
sur le fait du mouvement.
On reproche h Meunier de manquer de correction. Correction
veut dire souvent académisme. C'est, croyons-nous, le cas. Pas-
sons.
CORRESPONDANCE D'ARTISTE (')
Dresde.
Je vous ai parlé longuement de Nuremberg, parce que j'avais
peur d'arriver à Dresde. Quelle horreur, ce Dresde ! Une ville assu-
rément carrée, qui s'efforce d'être convenablement xviii* siècle et
capitale, et qui parvient très bien à n'être que prussienne. Dresde!
et ses églises en rocaille où le prêtre parie en chaire entre de
petits amours; et ses rues, et ses statues, et le Zwinger qui pleure
fles glaçons, et ses Dresdois, et le" « souvenir » de Maurice de; Saxe !
Pendant la semaine, de même qu'à Munich, les ramoneurs sont
seuls à porter le chapeau de soie, et sont d'un fantastique à la
Hoffmann. Mais le dimanche on ne voit plus de ramoneurs, et
c'est aux bourgeois d'exhiber le cylindre; seulemeàt, comme ils
n'en ont pas l'habitude, ils le pOKènt sans conviction, et comme
ils se souviennent de la landwehr, ils arrivent parfaitement à se
donner l'air d'épais marguilliers matamores. Vous devinez l'élé-
gance de cette foule!
.4h ! que Dresde ressemble peu à ce qu'on imagine! Ne vous êtes-
vous pas figuré comme moi Dresde sous l'aspect d'une ville mi-
gnonne, aux cicux de soleil lièd€, aux maisons de sucre candi rele-
vées de crespclcments de soie, et des lunes bleu pâle, un soleil pour
rire, les pontonniers arrosant les rues de poudre d'iris, un
théâtre où l'on joue les Jeux de VA inour et du Hasard, le Droit du
Seignettr, la Belle Arsène, le Déserteur, Armide, voire Zémire
et Azor? Je m'attendais à des arbres en satin mauve à grandes
fleurs en ramages, à un Zwinger minuscule, à des abbés par trop
galants, à des palais en biscuit blanc et lilas avec corniches en
porcelaine frisée; des pavés recouverts de soies mourantes, par
ci par là quelque son grêle de clavecin (Piccini, le père Martini,
à peine Haydn et Mozart), et partout, toujours, fourmillant de
mille gestes mignards et d'attitudes penchées, un petit peuple
blanc et rose d'un xvin* siècle par à peu près. — Mais ce n'est
pas cela du tout, du tout. Nous nous trompions. Il y a des
gendarmes, des officiers à hauts paratonnerres,-.des facteurs à
casquettes larges, des- gommeux allemands sans bottes, et des
brasseries où l'on mange des saucisses. Et pourtant nous sommes
bien en Saxe, le pays des Saxe! C'est à n'y rien comprendre.
S'il n'y avait pas l'Opéra, le Théâlre Shakespearien, les musées
(entre autres le Musée des Porcelaines, mais plus beau comme
anciens Chine que comme Saxe, malgré tout !), et s'il n'y avait pas
quelques jeunes filles anglaises aux longs cheveux, on mourrait
vite à Dresde. ^
Le musée, je ne vous en parierai guère, ce serait trop long, et.
(1) Suite
.-l
oir notre dernier numéro.
• T J
-*i
^
pour 1res beau qu'il soit, il me plaît beaucoup moins que la Pina
coihèque. Mais vous pouvez noter ce délail, que les rares tableaux
des primitifs allemands et ilalicns, de même que les très merveil-
leux Walteàu et Claude F-orrain se cachent dans les cabinets,
au flanc et dans les ailes du musée, tandis que Murillo, Caravage
et tous les saucissons de Bologne s'étalent au juste centre. Tant
MIEUX, certes! Jamais je ne me suis trou^uta compagnon, dans
les petits réduits des primitifs, et quand par hasard un égaré pas-
sait, dès le premier coup d'œil il tournait la tête et fuyait.
Mais ce qui est plus fort, c'est qu'à Dresde il soit impossible de
se procurer les photographies de ces tableaux ! Ni les merveilleux
Van der Mcer de Delft (1), [ni les Lorchzo di Credi,' Ghirlandajo,
Botlicelli, primitifs inconnus toscans, allemands et flamands, —
ni ce curieux panneau byzantin, étrange et chaud, on dirait de
l'émail sur toile, cl toile sur bois; — eh bien ! rien de tout cela
ne peut se trouver chez les marchands d'estampes : on vou« offre
toujours la Madone au saint Sixte {on en vend aussi des photo-
grapjiies retouchées selon le goût allemand, et qui la complètent à
ravir). Comment n'être pas agacé jusqu'à la nausée qu^nd on voit
des chefs-d'œuvre rester inaperçus, tandis que la jolie petite
bourgeoise de Raphaël, avec les deux hagiographies à ses côtés,
et sous ses pieds les petits anges si jolis, si jolis, si jolis, trône
seule dans la salle qui lui est exclusivement réservée, entre ses
lliéûlralcs draperies, et devant maints sophas préparés avec solli-
citude pour ses admirateurs fatigués... Une excursion à la salle
de la madone est une partie de plaisir pour les Dresdois ; il y fait
bien chaud, on peut y causer (à voix basse devant le chef-d'œuvre)
et faire doucement la sieste sur les sophas en se disant qu'on est
artiste ; — malheureusement on n'y vend ni bière ni saucisses, et
l'on n'y joue pas de valses ; mais cela viendra : on y annexera une
ronditorei et une brasserie, on y donnera des redoutes et des par-
tics de café, et ce sera heureusement complet.
Eh bien, eh bien ! ne vous avais-je pas dit que je ne vous don-
nerais aucun détail sur le musée? Ah oui! les Anglaises... Oui,
j'en ai rencontré de sveltes, aux yeux tout éb|/ouis, et d'autres aux
longues paupières où se cachait tant d'inconnu ! Elles ne. sont pas
bien nombreuses, mais j'en ai vu quelques-unes, oh ! quelques-
unes à faire tressaillir Charles Van Lerberghe jusqu^u fond des
moelles. J'ai aperçu la Jeune Fille des Flaireurs, la Pileuse, la
Fille aux dérives de ruisseaux, et celle qui
... Daus l'ombre s'est illuminée
Du réveil d'une chambre d'or.
J'ai même causé longuement avec la princesse Maleine, mais
c'était au musée, et je n'ai pas besoin de vous dire ^pi'^Ue me
regardait étrangement du fond d'un Bolticelli.
., deuxième matinée.
La musique belge, qui jadis faisait fuir la foule, a aujourd'hui
le don de l'attirer. On eût inscrit sur les affiches le nom de Richard
(1) J'ai l'air de fourrer Vermeei' de Delft parmi les primitifs !
Je voulais dire seulement que dans la Renaissance, on peut trou-
ver la photographie des Rubehs, des Véronèse, de quelques splen-
dides Rembrandt et très nobles Van Dyck, mais pas du rare Van der
Meer de Delft, l'un des joyaux du musée, bien certainement.
^4
Wagner qu'il n'y eût pas eu, dimanche, plus de monde au Con-
cert populaire. Réjouissons-nous de cet empressement, et félici-
tons notre public, jadis réfractaire aux productions indigènes, de
faire amende honorable. ,
Deux noms au programme, deux noms que des -œuvres de
valeur. Saint- François pour l'un, Richilde pour l'autre, ont rendu
populaires, Edgar (est-ce avec un d ou sans d? jamais nous ne le
saurons) TincI cl Emile Mathieu.
Du premier, trois pages symphoniqueç-inspirées de Polyeucte ':
une ouverture, le « Songe de Pauline » et la « Fêle dans le tem-
ple de Jupiter », avec cortège, danses, etc. -*
La reprise de cet ouvrage, joué autrefois, à l'époque où les
Concerts populaires tenaient leurs assises à l'Alhambra, n'a pas
été aussi heureuse qu'on l'espérait. Si l'on y découvre certaines
qualités qui onl fait de M. Tinel un de nos premiers composi-
teurs : la distinction de la forme, de la logique dans les dévelop-
pements, une connaissance non superficielle de l'orchestre, on
rencontre, par contre, des réminiscences d'œuvres connues.
L'influence de Schumann et de Mendclssohn 5e fait trop visi-
blement sentir. Des trois parties, nous préférons l'ouverlure, qui
a du souffle. Le cortège qui ouvre la troisième esl coulé dans la
forme de tous les cortèges de théâtre et les danses manquent
d'intérêt.
En résumé, une partition bien écrite, mais que l'oratorio de
Saint- François et certains chœurs composés ultérieurement par
M. Tinel permettent de taxer: œuvre de jeunesse, essai et exer-
cice d'élève.
Le Sorbier, entendu au premier concert des XX, deux frag-
ments symphoniques {Le Lac, larghetto ; Sous Bois, schcr-
zando),-ct la première partie de Freyhir composaient le lot de
M. Emile Mathieu. Nous avons parlé déjà du petit poème rustique
dans lequel l'auteur exprime en langue poétique son amour pour
la terre ardennaise, et nous avons, lors de la première exécution
de Freyhir, dit l'excellente impression produite par cette œuvre
d'une belle et large inspiration. Les deux fragments symphoni-
ques (|ui servaient de lien entre ces deux œuvres ont le tort, à
nos yeux, d'être trop exactement dans le même caractère et de
lasser quelque peu l'attention par le retour trop fréquent des
mêmes idées, lis gagneraient à être condensés, ou tout au moins
est-ce peut-être une erreur de les jouer l'un h la suite de l'autre.
Très bien écrits d'ailleurs, par une plume experte, ils révèlent,
comme le Sorbier, comme Freyhir, une nature fine, sensible,
ouverte aux impressions agrestes.
L'orchestre des Concerts populaires a donné de ces diff'érentes
œuvres une bonne exécution; les chœurs de^l'école de musique
de Louvain, et, comme solistes, M"'' Cornélis-Servais et
M. S. Byrom onl interprété avec talonl les parties vocales du
Sorbier et de Freyhir.
THÉÂTRE DE L'ALHAMBRA
Surcouf
Le Surcouf de MM. Chivol et Duru est un bon petit Breton de
Saint-Malo, qui se fail corsaire pour gagner beaucoup d'argent et
pour épouser la gentille Yvonne, qu'on ne lui donnera que s'il
po.ssède au moins trois cent mille francs. 11 en rapport(^ix cent
mille, cl bien dav^antage, car le métier de corsaire, à l'époque
/
ofi.se passe la véridiquc liisloirc qu'on nous raconlo^ csi un.
oxcellcnl métier, \\H lucratif, cl qui n'exigeait ni diplôme-, ni con-
naissances spéciales.
Ali! le bon et honnête corsaire que Surcouf! A Sumatra, il
sauve la vie à une belle dame, que taquinait un caïman. Délivrée
de ce flirt trop entreprenant (il voulait litiéialcmenl la manger de
caresses), la dame épouse l'oncle d'Yvonne, et la \oici, fort heu-
("cusemenl pour leliénoi^emeul nécessaire, l'alliée de Surcoût' dans
ses amours. Vainement les Anglais, en guerre avec la Franco,
s'emparent-ils du corsaire pour le pendre haut et court, à la mode
(lu pays. La dame le sauve ingénieusetneni on lui substituant son
Jocrisse de mari. El voici Surcouf réintégré sur sa belle corvelte,
et coulant bas une frégate anglaise, bijum ! boum! pif! paf ! pa-
talra ! '
Et grâce à la damo, et grâce à son courage, et grâce à MM. Clii-
vol et Duru, Surcouf épouse Yvonne à Saini-Malo, et tout nous
fait espérer que le ménage sera heureux cl qu'il aura beaucoup
d'cnfanls. , , v
La musique que M. Robert Flanqu'lie a écrite sur celte idylle
maritime a toule la banalité et la niaiserie senlimenlale qui
doivent lui assurer le plus vif succès auprès des amateurs d'opé-
rette. El la direction de l'Alhambra a donné à la mise en scène
les soins que réclamail impérieusement l'indigence de l'œuvretlc
pour attirer la foule et transformer l'entreprise en un gros succès.
Il y a un ballet de petits horse-guards ot de jeunes higiilanders
fort bien n^glé el très agréablement désliabillé. Il y a un abordage
à sensation. Il y a uno scène réjouissante où los matelots de l'équi-
page du cdfsaire, travestis en seigneurs siciliens, font mille folies.
En faut-il davantage pour amuser?
Ajoutons que l'inierprétation, confiée à M™*» Zelo Duran el
Blanche Marie, à MM. Favart, Guffroy, Devilliers, Druart, etc.,
est excellente. Et dès lors personne ne s'étonnera de voir la salle
de l'Alhambra pleine comme aux beaux soirs d'antan.
Société nationale de inusique.
{Correspondance particulière de l'Art modekne.)
Le dernier concert do 1j Société nationale a été particulière-
ment brillant. Lue première audition de Saint-Saèns, une exécu-
tion remarquable de la sonate pour piano et violon de Fauré et
de la réduction pour deux pianos de la Symphonie de Vincent
d'indy sur un chant montagnard, dont vous avez eu la primeur
à Bruxelles, aux concerts des A'A'; joignez à cela de ravissantes
mélodies, fort bien chantées; voilà de quoi satisfaire les plus
difficiles.
Le Sckerzode Saint-Saëns pouV deux pianos est une production
toute récente. Le titre du morceau, avec cette 5 majuscule aux
ailes de chauve-^otHTi^r-ful dit-on, dessiné par l'auteur et cnvové
de Cadix, avant d^^^H^cprendre ce voyage à destination inconnue
dont les chroniqueurs sftanonlrenl si fort intrigués.
Une œuvre nouvelle de Sainl-Saëns est toujours intéressanle.
Celle-ci ne. changera rien à sa réputation., C'est un peu une Danse
macabre, moins réussie. Ce qui frappé tout d'abord, c'est le
manque d'unité dans les idées. Le morceau commence dans la
fantaisie, avec des accords quelque peu réches, puis On arrive à
un scherzo classique, où détonne un développement en. style
fugué. Ce mélange d'une harmonisation moderne el d'un style
scolastique se rencontre si fréquemment dans la musique de
Saint-Saëns que c'en est presque une marque distinctive.
' La sonate pour piano et violon est une œuvre déjà ancienne de
Fauré. La personnalité de l'auteur n'y est pas aussi fortement
caractérisée que dans ses admirables quatuors, ou, plutôt, elle
y est différente. Une délicieuse fluidité, une grâce caressante et
languide sont des qualités qui appartiennent en propre à Gabriel
Fauré. On les reirouve moins dans la sonate pour piano el violon.
Par contre, on y rencontre d'autres qualités de vigueur cl de rythme,
plus accusées que dans le^ulres compositions du même auteur.
C'est en loul cas une œuvre dé premier ordre et qui peut élro
comparée à ce que l'on a écrit de plus remarquable dans co
genre.
La symphonie de Vincent d'indy est peut-être l'œuvre la plus
parfaite qu'il ail écrite jusqu'à présent. On peut trouver dans le
Chant de la Cloche ou dans la Trilogie de Wallenstein des idées
])lus élevées, des aspirations plus grandes, mais la symphonie est
incomparable par son unité de composition el par la perfection
de sa forme. Elle a déjà les allures d'une œuvre classique.
Il va sans dire que l'exécution de l'autre soir, à la Nationale,
malgré 1 excellence de la yanscription et le talent tout à fait supé-
rieur de M"»" Bordes-Pène, qui jouait la partie de piano solo,
ne pouvait remplacer le coloris de l'orchcslre. Mais, dans celte
œuvre heureuse, il y a assez de qualités musicales proprement
dites pour affronter les dangers d'une transcription. L'effcl pro-
duit a été énorme et le public a fait une véritable ovation à
l'auteur.
M. Hue, prix de Rome d'il y a quelques années, faisait entendre
au même concert une Cavatine pour piano el violoncelle. On
devine que le compositeur aime la musique moderne; il a du
goût pour les harmonies compliquées, les notes dissonantes qui
se frôlent el se résolvent d'une manière inattendue. Mallicurcuse-
menl son goût et son tempérament ne semblent pas d'accord. Les
harmonies compliquées ne s'adaptent pas indifféremmenl à
toutes les phrases; il faut qu'elles naissent avec l'idée musicale;
si elles so'nt rajoutées après coup, comme un ornement, elles ne
paraissent plus naturelles el, par conséquent, font mal.
Ce don de l'harmonie primcsautière, M. Charles Bordes le pos-
-^de au plus haut degré. Ses mélodies: Tristesse, Sérénade,
Fantaiéie Persane, sont d'un senlimenl exquis et d'une élégance
charmante. M. Bordes est un des jeunes musiciens sur lesquels
on peut le plus compter. Il a des dons naturels d'une qualité
rare. Qu'il se défende seulement contre une trop grande et dange-
reuse facilité.
M. Lamourcux a donné, dimanche dernier, une très belle
exécution de la trilogie de Wallenstein, par Vincent d'indy. Le
programme, admirablement composé, portail entre autres le final
de la Gôtterdàmmerung qui, chanlé par M™* Materna, a obtenu
un succès prodigieux. ".
Le programme du prochain concert de la Société nationale,
fixé au 2i courant, porte, outre l'Actus Iragicus de Bach pour
soli, chœurs el orchestre (deux violes de gambe, contrebasses,
clavecin et quatre flûtes) que nous avons annoncé, le Chant élé-
giaque (op. il8) de Beethoven pour chœurs cl quatuor, un
/
O Saliitnris de P. de Brdville el les'dpux' premières scènes de
GwendoUiie d'Emmanuel Chabrier. /^
Le nouveau quatuor à cordes de César Franck sera joué pour
la première fois à la séance du 49 avril.
Petite chroj^ique
La deuxième séance de musique de chambre pour inslrumenls
à venl et piano, donnée par MM. Anlhoni, Guidé, Poncelet,
Merck, Neumans et Dcgreef, aura lieu aujourd'hui, dimanche, h
2 heures de relevée, au Conservatoire, avec le concours de
M"« Julia Milcamps.
On y exécutera des œuvres de Grélry, Bizel, Chaminade,
Brarans, et même une composition de Frédéric-le-Grand,
En même temps, au Palais des Académies,', premier concert
donné par le Cercle symphonique sous la direction de M. Agniez.
Dans sa séance du 6 mars, M. L. Maeterlinck a été nommé
président de la section dos Arts plastiques du Cercle Artistique et
littéraire de Gand. "
Nous avons reçu au sujet de la conférence de M.. Stéphane
Mallarmé une longue lettre qu'il nous est malheureusement im-
possible de publier, noîre correspondant (l'écriture paraît être
plutôt d'une correspondante?) n'ayant pas signé sa communica-
tion et ne s'étant pas fait connaître de nous.
Une mondame qui est en même temps une artiste de talent,
M^^Hellman, a eu l'idée de faire représenter dans son hôtel, h
Paris, le premier acte de Tristan et Iseiilt. La maîtresse de la
maison remplissait le rôle d'Iseuli. M. Bagès"celui de Trislan. Le
rôle de Brangaene était confié à M"'" Grammacini née Soubre,
sœur de noire excellent professeur au Conservatoire, Léon
Soubre. ■ .
L'exécution, dirigée par M. Vincent d'Indy, a été excellente, à ce
qu'on nous écrit. Chanteurs et choristes ont fort bien chanté et
joué, dans un décor superbe.
Malgré l'absence de l'orcheslrc, remplacé par deux pianos
placés sous la scène el joués par MM. Chcvillard cl Luzzalo, l'im-
pression a été considérable.
Camille Pissarro, dont on a, l'an dernier, apprécié quelques
œuvres limpides et sereines au Salon des A'.Y, expose en ce
moment une trentaine de toiles da»s les galeries de MM. Boussod,
Valadon et C'*. « L'heure du succès venue, dit M. Gustave
Geffroy, au moment où les hommes, d'habitude, ont leur siège
fait, et se contentent de récolter poncluellemenl ce qu'ils ont
semé dans l'inquictudo, à une époque de production effrénée ek:
mécanique où tant de triomphateurs se contentent d'être les
exploiteurs d'un genre, les fournisseurs d'un succès, cl répètent
jusqu'à satiété une formule, une manière et un sujet, lui, le sin-
cère et obstiné travailleur, décidait une halle, et un départ par un
nouveau chemin. Il n'y eut pas reniement d'une conception, chan-
gement de vision, radicale révolution dans le procédé. H y eut un
désir de s'accroître, un instinctif cl logique besoin de développe-
ment. Camille Pissarro voulut l'djservalion plus serrée des phéno-
mènes, une analyse plus exacte "^es influences el des reflets. Il
était doux el clair, il voulut être plus doux el plus clair encore,
il exigea de sa science de fin coloriste une production de lumière
d'une fraîcheur plus intense et d'une transparence plus vive.
Il n'est pas d'effort, plus honorablo et qui mérite mieux la
louange. Il n'est pas de spectacle plus enseignant que celui d'(m
tel peintre, accepté par la critique el par les amateurs, el qui
lente un effort de plus, et qui se remet de bonne foi à l'école de
l'art. Ou plutôt il crut s'y remettre. La vérité, c'est qu'il en était
dé lui comme de tous les vrais artistes. Il n'avait jamais cessé
d'étudier et d'acquérir, et au moment où il croyait réapprendre,
if réalisait toute une vie d'étude acharnée, de science amassée
jour'par jour. »
M ■ m
La délégation de la Société nationale des beauk-ârts a nommé
son bureau. Au début de la séance M. Meissonîer a annoncé b ses
confrères que M. le président du conseil des ministres avait
définitivement accordé le palais des beaux-arts, du Champ de
Mars, à la société.
Touîî les ariislcs, français ou étrangers, peuvent exposer au
nouveau Salon, môme s'ils ne sont ni sociétaires, ni associés de la
nouvelle Société.
Voici la composition du bureau :
Président : M. Meissonier; Vice-Président : M. Puvis de
Chava.nnes; Présidents de section ; peinture, M. Carolus Duran;
sculpture, M. Daiou; gravure, M. Braquemond; secrétaires :
MM. Billolle el J. Béraud. Sous-commission : peinture, MM. Dagnan-
Bouveref, Lhermiltc, Cazin, Gervex, Renouard, Baron. Courtois,
Guignard,Besnard, Ducz; sculpture, MM. Rodin, Lenoir, Desbois.
Le théAire de la Porte Saint-Martin se propose de monter
pendant la semaine sainte l'adaptation d'un mystère du moyen-
âge faite par M. Haraucouft.
Le Monde artiste publie à ce sujet les lignes suivantes :
« Le 'grand attrait de ce projet consiste dans la distribution
suivante des deux principaux rôles :
Jésus . . . . . . V. M. Garnior.
La Vierge .M"'^ Sarah Bcrnhardt.
Le tout est de savoir si la censure autorisera celle rcprésénia-
lion, car un grand ballet, qui met en scène les mêmes person-
nages, a déjà rencontré une vive opposition auprès d'un directeur
parisien, malgré le tact el le talent dont avaient fait preuve los
auteurs en traitant ce sujet délicat. La pièce a pour litre le Juif
Errant, el les auteurs sont, pour le livret, M. Maurice Lefèvn».
et pour la musique, MM. André .Messager et Georges Street. »
VExcursion organise, pour le lundi de Pâques, 7 avril, un
voyage à Venise et dans le Nord de l'Italie, en passant par la
Forêt-Noire, la Chute du Rhin, la ligne do l'Arlberg, le Tyrol, la
Passe du Brenner ; on visitera Strasbourg, Sihaffouse, Constance,
Innsprùck, Vérone, Venise, Padouo, Milan, le Lac Majeur, les
Lacs de Lugano el de Côme^ pour revenir par la ligne du Goihard,
le Lac des Quatre-Canlons el la Suisse. — Durée : 15 jours ; prix,
-i95' francs, tous frais compris.
Au i^ mars, excursion dans toute l'Italie, y compris la Sicile
et les Lacs du Nord, avec séjour îi Rome pendant la Semaine-
Sainte. (
A la même époque, excursion de la Semaine-Sainle à Sévillo,
et voyages divers en Espagne, en Portugal, en Algérie, en Tuni-
sie, en Egypte et en. Palestine.
Le programme (|l les comliiions de tous ces voy jges seront
envoyés gratuitemcrii aux personnes qui en feront la domaude à
M. Ch. Parmenlier, directeur do VExcursion, 109, boulevard
Anspach, î» Bruxelles. .
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depuis les premiers éléments de l'harmonie jusqu'à
la composition raisonnée du quatuor et des principales
formes de la musique pour piano par J.-G. Lobe.
Traduit de l'allemand (d'après la 5® édition) par
Gustave Sandre.
VIII et 379 p. gr. in-8". Prix : broché, 10 fr.; relié, 12 fr.
Ce livré, dans lequel l'auteur a cherché à remplacer l'étude pure-
ment théorique et abstraite de l'harmonie par des exercices pratiques
de composition libre, fut accueilli, dès son apparition, par une
faveur marquée. La présente traduction mettra le public français à
même d'apprécier un des rares ouvrages d'enseignement musical les
plus estimés en Allemagne.
BruxeUea. — Imp. V* Mommou, 28, rue de l' Industrie.
Dixième année.
— N°^l
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 23 Mars 1S90.
URT MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Comité de rédaction t Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union posjale, fr. 13.00. —ANNONCES ; On traite à forfait.
^ Adresser toutes les communications à
l'administration générale de TArt Moderne, rue de Plndustrie, 26, Bruxelles.
?
OMMAIRE
Lb Vaisseau-Fantôme. — Cueillettbt de livres. — Correspon-
dance d'Artistes : Les représentations -wagnériennes en Alle-
magne. — Nouveaux Concerts liégeois. — Notes de musique. —
Mémento des Expositions. — - Petite chronique.
Le Vaisseau-Fantôme
— Dix-huit ans? Vous en êtes sûr?
— Oui, mon cher, il y a dix-huit ans que le Vaisseau-
Fantôme fut représenté à la Monnaie. Cela ne nous
rajeunit pas! C'était en avril 1872. Je me souviens par-
faitement de Brion d'Orgeval, un baryton bizarre, qui
créa le Hollandais, de M""* Sternberg, très poétique
dans le rôle de Senta, de Warot
-^ C'était alors une nouveauté?
— Ohl très relative ! L'ouvrage date de 1843.
— Et jamais il n'a été représenté en France?
* — Jamais. En Allemagne, il est au répertoire des
grandes scènes. En France, on a laissé passer l'époque
favorable. Il serait maladroit de le représenter actuel-
lement, en supposant qu'on voulût se résoudre à mettre
l'Art au dessus du chauvinisme.
Le V aisseau -Faniômé e%i l'une de ces œuvres^ de
transition qui contiennent tout juste assez de nouveauté
pour qu'autour d'elles on puisse mener la bataille, mais
qui, la période de luttes close, ne valent que par le sou-
venir des bagarres dont elles ont été le prétexte ou de
l'évolution dont elles ont été le point de départ.
- — Alors, quel intérêt y avait-il de la reprendre à
Bruxelles?
— Précisément cet intérêt archéologique, très vif
pour tous ceux qui ont eu le souci de suivre l'Art en sa
marche historique et dans toutes ses étapes. Je ne sais
si c'est bien là le mobile qui a guidé les directeurs du
théâtre, mais c'est assurément l'impression que la
représentation de jeudi a fait naître au cœur de tous^
Oh! l'étonnante soirée, dont le début, quand l'ouver-"^
ture, magistralement jouée, a fait routier ' l'Océan et
mugir la tempête, a transporté les auditeurs dans le
royaume des émotions héroïques et qui, petit à petit,
s'est rapetissée au très lointain art lyrique d'autrefois,
en ses redondances et ses déclamations ampoulées, en
ses fioritures et ses cadences, en les panaches et les
aigrettes de ses mélodies à l'italienne, si drôles et si
mesquines aujourd'hui que le drame wagnérien, le
vrai, a balayé tous ces oripeaux !
Il y a, à cet égard, une contradiction notable entre la
musique du Vaisseau- Fantôme, resserrée en grande
partie dans les formules en usage à l'époque où Wagner
l'écrivit, et l'admirable poème dont Catulle Mendès a
dit : « Nous croyons sincèrement que pour rencontrer
\.
dans une tragédie une telle hauteur de pensé<^, une telle
simplicité de moyens, une telle intensité d'épouvante, il
faudrait remonter aux plus nobles chefs-d'œuvre des
grands tragiques grecs ».
Pourtant les prodromes de l'art qui devait produire
les Maîtres- Chanteur s, Tristan, les Nibelungen,
Parsifaly apparaissent déjà, ci et là, dans la forme
donnée aux récits, dans certaines phrases qui élargissent
singulièrement l'horizon restreint de l'opéra romanti-
que, et aussi dans le rôle prépondérant accordé, déjà, à
l'orchestre, dont la voix tonnante décrit, avec une puis-
sance extraordinaire, la poésie de la mer.
MaiS/Cn général le drame l'emporte sur la musique, et
c'est en lui que réside principalement l'innovation du
Maître, qui s'en est ouvert en ces termes-dans sa lettre
à Frédéric Villot: « Dans le Vaisseau Fantôme, la seule
chose que je me fusse proposée principalement était de
ne pas sortir des traits les plus simples de l'action, de
bannir tout détail superflu et toute intrigue empruntée
à la vie vulgaire, et en revanche de développer davan-
tage les traits propres à mettre dans son vrai jour le
coloris caractéristique du sujet légendaire; ce coloris
me semblait, en eff'et, complètement approprié aux
motifs intimes de l'action, et par conséquent s'identifier
avec l'action même ".
Ce qui a empêché le Maître de donner à son poème
toute la largeur que comportait sa merveilleuse concep-
tion, — et qu'il a atteinte dans la suite, spécialement
dans Tristan et Yseult et dans Parsifal, — c'est, et
il le reconnaît, la nécessité à laquelle il se croyait asservi
d'employer les formes traditionnelles de la musique
d'opéra. Avec plus d'indépendance relative que dans
Rienzi, où il avait accumulé tous les poncifs usités r
airs, duos, trios, mais avec moins de liberté que dans
Tan7ihduser,'et surtout que dans Lohengrin, pour ne
citer que les œuvres de la première époque, il a donc
composé un opéra « selon la formule «, amoindrissant
forcément le poème par l'introduction de scènes unique-
ment destinées au ^ morceau », et par des répétitions
de paroles rigoureusement exclues dans les œuvres
subséquentes. Et déjà s'agitait en lui le germe des for-
midables Nil)elungen ! ^
La remarque est particulièrement intéressante pour
ceux que préoccupe la question de savoir si l'artiste
crée son œuvre d'après la théorie qu'il a émise, ou si,
tout au contraire, la théorie ne naît pas, peu à peu, de
la synthèse des productions écloses spontanément. Pour
Wagner; il n'est pas douteux — le dégageinent pro-
gressif de son art le prouve clairement — que le sys-
tème qu'il a adopté dans les dernières années n'est
que l'expression abstraite des qualités qui, lentement,
s'étaient développées en lui.
A cet égard, le Vaisseau-Fantôme peut donnerliiçu
à des comparaisons intéressantes et à des rapproche-
ments piquants avec les drames qui suivent, chronolo-
giquement, ce premier essai de drame lyrique ration-
nel. C'est là, principalement, que gît l'attrait de cette
représentation qui a, chose singulière, enthousiasmé
les uns par le caractère « grand-opéi'a *> de là partition,
déçu les autres par Ja vétusté de certaines pages musi-
cales. Le pavillon Wagner couvrant la marchandise, on
s'est cru obligé, dans certains groupes, de tout louer, et
l'on a fait grise mine à ceux qui n'avaient pas l'air
exultants. Au contraire, de fervents wagnéristes pleu-
raient leurs illusions envolées. Le bon sens écarte
péremptoirement ces deux impressions opposées. Le
Vaisseau- Fantôme demeure, en son romantisme d'il y
a cinquante ans, l'œuvre attachante et émouvante que
pouvait concevoir un artiste supérieur imbu des préju-
gés de son époque, subissant l'influence du milieu dans
lequel il avait vécu et de l'éducation qu'il avait reçue
(l'Italie et la France tendent fraternellement la main à
l'Allemagne, dans cette curieuse partition). Mieux que
cela, elle marque, et c'est ce qui justifie l'hostilité
qu'elle rencontra (1), une tendance nettement accusée à
secouer le joug, à élargir le drame, à \e hausser à ce
que magnifiquement il exprima dans la su\te : le heurt
des passions qui secouent l'humanité, au rebours des
menus faits épisodiques qui seuls avaient été trop long-
temps jugés dignes d'intérêt.
Et c'est ce qui a permis à Catulle Mendès d'écrire, —
nous aimons à le citer parce qu'il a nettement discerné,
à une époque où il n'y avait point de wagnéristes en
France, le merveilleux génie qu'annonçaient les primes
œuvres du Maître : « Ce drame musical est enveloppé
tout entier de ténèbres et de tempêtes; il est lui-même
comme un grand vaisseau battu sans fin par l'orage ;
tousjes vents de l'abîme soufflent, toutes les voix des
profondeurs mugiss'ent dans ses sauvages harmonies, et
l'âme du spectateur se sent entraînée, roulée, dispersée
dans les noires vagues de la mer. Nous n'ignorons pas
(1) A ce propos, quelques dates. C'est le 15 février 1860 que fut
jouée à Paris pour la première fois, et sans aucun succès, ,sous la
direction de Wagner, l'ouverture du Vaisseau- Fantôme. Elle fut
accueillie comme une œuvre banale, vide, confuse et bruyante.
Lorsque M. Pasdeloup la fit exécuter le 25 décembre 1864, puis les
25 janvier et 29 décembre 18G8, l'impression fut la même. Ce n'est
qu'en 1881, le 6 février, que trois fragments du Vaisseau- Fantôme :
l'air de basse du premier acte, le chœur des fileuses et la ballade de
Senta (celle-ci chantée par M""" Caron) furent applaudis. Le 22 jan-
vier 1882, sous la direction de M. Lamoureux, le chœur des fileuses
fut bissé, et le 31 janvier 1886 on l'exécuta au Conservatoire.
Berlioz, qui avait entendu le Vaisseau- Fantôme à. Dresde, en 1843,
écrivit le 2 septembre de cotte année au Journal des Débats : " La
partition du Vaisseau, hollandais m'a semblé remarquable par un
coloris sombre et certains effets orageux parfaitement motivés par le
sujet; mais j'ai dû y reconnaître aussi un abus du trémolo d'autant
plus fâcheux qu'il m'avait déjà frappé dans Rienzi et qu'il indique
chez l'auteur une certaine paresse d'esprit (!) contre laquelle il ne se
tient pas assez en garde ». . "
/
ir-.
r; ART MODERNE
91
que depuis l'époque à laquelle il écrivit leVaisseaur
Fantôme, Richard Wagner a produit des œuvres plus
parfaites, plus conformes dans toutes teurs parties à
l'idée qui gouverna sa vie artistique ; mais le Hollandais
et Senta sont deux conceptions qui n'ont pas été sur-
passées, et tout le drame se résume dans ces deux types
surnaturels, l'un à force d'ombre, l'autre à force de
lumière, et cependant si humains ". ,!
• L'exécution qu'a donnée du Vaisseau-Fantôme le
théâtre de la Monnaie est loin d'être parfaite. M""® Fie-
rens, chargée du rôle de Senta, n'en a point pénétré la
. poésie et le chante d'une voix hésitante. M. Bourgeois
remplit convenablement — sans plus — celui du marin
• norvégien Daland. M. Renaud a composé un Hollandais
typique qu'il joue avec intelligence, mais on le sent
mal à l'aise dans un rôle qui, décidément, n'est pas dans
ses moyens. M. Isouard mérite une mention pour son
interprétation de la jolie romance du premier acte.
M. Delmas, qui remplit le rôle d'Eric, est insignifiant.
L'œuvre méritait mieux que la mise en scène de paco-
tille dont on l'a gratifiée. Quant à l'orchestre, conduit
pour la première fois par la main souple de M. Franz
Servais, il a été remarquable, surtout dans l'exécution
de l'ouverture et du premier acte.
Cueillette de livrer
L'Absente, par Adrien Remacle. — Uu vol. in-lS Jésus de 354 p.
Paris, Albert Savine, 1890.
Dans ce livre, M. Remacle dit, quelque part, d'un vieux peintre
paysagiste, qu'il aurait été peut-être un homme de génie s'il
n'avait pas trop aimé la nature pour n'en rien omettre. On peut
dire aussi de M. Remacle qu'il serait peut-èlre un écrivain alta-
ciiant s'il ne voulait mettre trop de choses en ses livres. Des per-
sonnages parlant par sentences et qui n'interviennent dans le récit
qu'à celle fin exposent les théories de l'auieursur Dieu, surles mys-
tères de la génération, sur la musique, sur la peinture, sur larl
en général, sur la vie mondaine, sur l'éducation des jeunes filles,
sur cent choses encore. D'action, il n'y en a presque point. Tout
jusie les incidents nécessaires pour amener de perpétuels rappro-
chements entre un jeune homme, dont les obsédantes préoccupa-
tions artistiques n'aboutissent le plus souvent qu'à d'irritantes
grossièretés, et une jeune femme qui traverse le livre, glaciale el^
muette, poussée par une fatalité d'aiavisme, du lit adultère où elle
est née jusqu'en u une de ces fastueuses maisons qui, au centre,
desservent les ruts riches, suppléent aux impuissances rat^inéos ».
Malgré l'abondance des développemejUs, la psychologie de cet
amour, l'une des parties les plus étudiées du livre, déconcerte
l'esprit.pac uu, manque évident de déduction et de nuances. Nous
préférerions la partie descriptive, un dimanche dans une ville de
province, tel paysage de banlieue, telle silhouette habilement desr
sinée, si, là encore, l'intérêt n'était noyé souvent dans l'infini dii
détail. Lisez, dès les premières pages, la description du pied de
Berthe : « Le pied de Berlhe était un marbre lisse, tendre, pur et
si candide que, posé nu, les herbes d'alentour s'assombrirent. Il
semblait exsangue, le cou -de-pied se fuselait en corps d'anguille,
les veines bleuissaient vers la. délicate dépression entre la carn-
brurc et la montée des doigts, à travers le derme diaphanOj^^les
doigts allongés s'arrondissaient, se modelaient, s'étendaient, pen-
sifs, eût-on dit, entre leurs parallèles commissures, pour s'achever
sous les convexes ovales des ongles perles. Aucune roseur. Les
contours inférieurs du lalon cl du majeur orteil se fonçaient seuls
en une lactescence à peine ambrée. Le dess'ous de la cambrure,
d'un blanc mal, se creusait, sans plis, montueux d'imperceptibles
monts; l'attache était mince, la cheville en ronde saillie blanche,
et la jambe s'élevail comme la lubuleusc naissance du calice de
quelque grande tubéreuse ». ■
Pour résumer notre impression, nous dirons que .M. Remacle a
dépensé beaucoup de talent pour écrire cette œuvre d'une lecture
souvent malaisée. -V^
Le catalogue du jardin de Jean Hermans, maître apothicaire
à Bruxelles au xvir" siècle. — Anvers, établissement typoç'raphique
de J.-E. Buschma'nn, 1889.
C'est une plaquette de 4-2 pages, petit in-8'>, tirée sur papier
Van Gelder à 30 exemplaires seulement; titre en deux couleurs;
frontispice représentant une boutique d'apothicaire avec jardin
apparaissant, au fond, dans une baie cintrée, reproduction d'une
gravure de 1631 ; cul-de-lampQ terminal au trait rouge représen-
tant un serpent enroulant un mortier avec la devise Prudenier ;
couverture en papier jaspé, avec étiquette portant : « Charle.-i
Rigouts. — Jardin de Jean Hermans ».
Cet opuscule, extrait des A nnales de la Société de 'médecine
d'A mers, est souscrit : « De mon officine, à .\nvers, 1889. Charles
Rigouts,' pharmacien ».
Le début en indique l'occasion et l'objet :
« Il y a quelques années, je fis à .Anvers, à l'échopjje on plein,
vent d'un bouquiniste, l'acquisition d'un petit livre intitulé :
« Recensio plantariim in horlo magistri Joannis Hermanni,
a Pharmacopœi Bruxellensis, exultanim. BruxelUie , Typis
« Jonnnis MommarLi. Anno 16o-2 », in-4'> de 8 pages non chif-
frées et de 64 pages chiffrées; suivi de « Appendix plintirum
anni 1633 », de 8 pages chiffrées.
« k mon insu je fis, ce jour-là, une précieuse trouvaille. Ma
vieille habitude de recueillir tout ce qui, à première vue, mè
paraît pouvoir être utile à l'histoire de la pharmacie, me servit
cette fois à merveille. Sans m'en douter, je venais de mettre la
main sur une rareté bibliographique, sur un écrit unique en son
genre dans notre pays, et que ni Broeckx, ni Pasquier. ces collec-
tionneurs infatigables des œuvres de nos devanciers, n'ont connu.
L'e:^emplaire conservé à la Bibliothèque royale à Bruxelles est le
seul, outre le mien, dont, fort récemment, l'existence' m'ait été
signalée. » . .
Et, décrivant avec amour ce livre précieux, .M. Rigou'.s en prend
texte pour donner sur les apothicaires d'autrefois, sur l'exercice
de leur profession dont la base était alors l'élude des plantes et.
de là, sur la culture des jardins à celte époque, les rensoigne-
mehts les plus intéressants et les pi is curieux.
C'est à la fois œuvre de bibliophile et d'érudit et on la maniant.
dans sa forme très artistique, on éprouve quelqu.' chose des jouis-
sances intimes que procurèrent à l'auteur les tro^uvailles et l'eiudo
du livre de Jean Hermans.
^
92
VART MODERNE
Coups d'éperon, par Euoènb Monsen. Des presses de H. Vaillant-
Carmanne, à Liège, 12 décembre 1889. Brochure in-l8, de 46 p.
« Ulenspiegel est joyeux, il siffle comme i'alouclle, de tous
côtés répond le clairon guerrier du coq. Decoster, Ulenspie-
gel, 369. » Le CCU3, c'est Eugène Monsen. A propos de la récente
discussion de la loi sur l'enseignement supérieur, il pique
gaiement ses coups d'éperons dans les vieux programmes, dans les
formules surannées, mais officielles. Cela est alerte, jeune et
d'une allure batailleuse anpusante, au surplus très précis. Chaque
piqûre a son adresse : Pour M. Côllard, professeur à l'université
de Louvain; pour M. Bcgerem ; pour M. Bilaut; pour M. Woestc;
pour M. Devolder; encore pour M. Uevolder; pourtou* le
monde, etc., etc.
Chacun a eu sa petite parti; beaucoup n'ont fait semblant de
rien.
Tout cela avait paru déjà dans la Réforme et dans la Flandre
libérale, mais un journal, ce n'est pas commode à conserver. Les
amis vous tracassent pour obtenir les numéros qui manquent.
Voilà pourquoi Eugène Monsen a recousu et ravaudé ses articles
en une plaquette.
CORRESPONDANCE D'ARTISTE C)
Les représentations viragnériennes en Allemagne.
-M^ich.
Cette fois, nous causerons un peu de Wagner, s'il vous plaît
car je sors de Lohengrin et suis encore ébloui de ses merveilles.
J'ai vu aussi du Shakespeare, à Dresde et ici, — à Dresde avec
des coupures, cela va de soi — et il me semble que la compa-
raison m'a appris bien des choses. Ce qui fait d'une œuvre un
tout, un être vivant distinct de la foule, et qui s'impose à elle, —
la continuité, — m'a conduit à des réflexions prodigieusement
profondes, qui vous ennuyeraient ; soyez tranquille, je passe. Je
ne vous dis rien non plus d'un petit traité d'esthétique du
patinage que j'ai eu vaguement l'intention dlécrire. Tout cela
touche pourtant d'assez près à Wagner, je vous assure. Enfin,
m'y voici. A Dresde, je n'ai pu entendre que la Trilogie. Mais
Munich nous a donné Siegfried et la Gùtterdàmmerung, puis
les Fées, Rienzi, le Vaisseau Fantôme, Tannhauser, Lohen-
grin. Je n'ai pas à analyser la musique, n'est-ce pas? Il y
aurait pourtant encore des choses curieuses à dire, il me semble,
sur le mystérieux travail de puberté intellectuelle qu'on perçoit
dans les premiers drames, et qui reçoit une signification mysté-
rieuse lorsque, d^s Rienzi, on voit, par exemple, s'ébaucher
des thèmes d'œuvres à venir, — comme le thème de là Fatalité
de la Trilogie. Et puis, connaissez-vous les Fées? Bien curieuse
impression d'opéra de Weber, tout à fait Weber, avec un troi-
sième acte déjà assez intéressant, mais rien de plus.
Mais ce qui m'a requis plus encore que je ne le pensais, c'est la
grandeur des poèmes. A les relire en Allemagne, l'ouïe pleine du
souvenir de la déclamation orchestrale, on y découvre tous les
accords captifs, et je vous assure qu'on en devine mieux la portée.
Sauf Goethe, nul poète allemand — et quel poète étranger
— n'arrive aux hautes cimes que foule Richard Wagner. Litté-
rairement, oui, sans la musique, Tristan, Parsifal, Siegfriei.,
(I) Suite, — voir nos deux derniers numéros.
Oûtterdàmmerung sont d'une ampleur qui écrase; et dans le
'Vaisseau Fantôme, le poème ne vous pàratl-ij pas dépasser la
musique? Et dans TannhaiiserJVonr Lohengrin, je n'ose me
prononcer; il me paraît y avoir éqnation. Je ne parle pas du
Rheîngold ni des Maîtres Chanteurs, dont le drame me paraît
très inférieur. j
Dès Lohengrin aussi la géniale compréhension de la plastique:
ce par quoi Wagner indique peut-être le plus prophétiquement le
Théâtre à venir, elle s'impose à rfous, elle nous lie en nous
ouvrant tout grands les yeux. Voyez : c'est le roi Henri sur son
tertre, — et le récitatif lui indique des gestes nobles, — c'est
l'avenir candide d'Eisa, parnii les vierges, puis les fanfares disant
le métal des armures, et enfin Lohengrin
Chevalier grave du Saint-Graal.
Les chanteurs allemands sont parfois très loin de comprendre
cet art^ et, dans l'harmonie sonore, nous voyons malheureuse-
ment la dissonance de la forme humaine dont l'accidentel, geste
ne correspond nullement au geste nécessaire contenu dans la
musique. A Dresde cependant, Hagen, Wolan, Mime et presque
toujours Brûnnhilde avaient la devination du mouvement logique;
ils comprenaient la déclamation, liée absolument à la voix
silencieuse des corps, si (attendez-vous à de longs mots) si, dis-je,
à toute musique agitée par un être doit correspondre une...
orchestrique qui en est non seulement le complément, mais le
résultat rendu soudain visible. C'est ce que comprenait si bien
M»* Martiny, épiant dans l'orchestre le soudain modèle qu'y
sculptait l'idée formulée par sa voix, pour le faire surgir d'un
imperceptible geste. — Mais, à Dresde déjà, que de déconvenues !
Gudehus, qui incarna Walther dans les Maîtres Chanteurs à
Bayreulh, semble ici dépaysé." Pendant les premiers drames où
je l'entendis, il se montra beau chanteur, sans plus ; imaginez
Siegmund tenant Urgence comme un fer à galettes, ou Siegfried
oubliant de repousser Mime, oubliant qu'il est jeune et trop brave,
et grand béta de héros ingénu, pour ne songer qu'à son « air »,
oui, bien qu'il n'y eût pas d'air. Evidemment il ne faudrait pas
exagérer : quelques scènes, dès Siegfried, étaient belles; et
soudain, dans la Oôtterdâmmerung, voici qu'il incarna le Siegfried-
homme mieux que tout autre ne pourrait le faire, je pense ! Oh,
superbement. Cette soirée de la Gôtterdammerung, très complète,
serait mon plus cher souvenir d'ici, sans les coupures. Cela ne
serait-il pas un argument pour Stéphane Mallarmé, qui veut
séparer le déclamateur du mime?
M™* Malten, de qui j'attendais des merveilles en Brûnnhilde,
tomba malheureusement malade après Rheingold, et je ne pus en
juger. Mais M™* Wiltich, chanteuse à méthode trop allemande,
hélas, fut une Brûnnhilde vive, passionnée, grande, parfois
mystérieusedans la scène du réveil, par exemple, et très femme, très
bellement femme dans la Gôtterdammerung ; sa déclamation est
peut-être plutôt lyrique que toujours dramatique, — ja plastique
en devient parfois inégale, — mais son lyrisme est si vrai, il est
si bien celui qu'on peut prêter à Brûnnhilde, qu'il émeut. Je crois
bien avoir entendu jadis M""^ Wîttich à un festival rhénan, où
elle chanta odieusement le Messie de Hândel, et terriblement et
largement le final de la Gôtterdammerung : n'est-ce pas à rappro-
cher de M"* Martiny, révélée seulement par Wagner ?
A Munich, la plastique fait malheureusement bien défaut.
M™* Vogl donne à Brûnnhilde les mouvements désordonnés de
bras qu'avait aussi la Brûnnhilde de Bruxelles, et, de plus, lui
Oc
»■■■— A
t)
^
fait faire de constants ports de voix qu'une Walkûre distinguée
n'eût jamais commis.
Mime, dans Siegfried, c'est M. Gura (le Hans Sachs de Bayreulh,
l'année dernière); sans être mauvais, il ne vaut l'excellent Kruis; de
Dresde, ni pour la déclamation « glapie » ni pour les gestes, et,
dans Giintlier, ne peut faire oublier l'incarnation noble et souf-
frante de M. Scheidemanlel de Dresde, qui, dans Wotan, égalait
au moins Seguin. Hagcn est M. Siehr (Gurnemanz de Bayreulh),
meilleur, mais trop élégant ici, trop mince, pour ce terrible héros
des Nijjelungen.
Mais il y a une véritable artiste, l'Eva de Bayreulh, l'année
dernière,' M"* Dressier. Non seulement elle chante mieux que
tous ses comparses, mais vous ne pouvez imaginer sa grâce
gothique lorsqu'elle joue Tannhaûser. D'un clin de?, yeux,
lorsqu'au deuxième acte les chanteurs concourent, d'une incli-
nation de télc, d'un vague mouvement esquissé par la main, elle
indique profondément la signification du drame. Dans Lohengrin
aussi elle fut merveilleuse. — Au physique elle est peut-être un
peu forte, et la face n'est point d'une régulière beauté (irop large
surtout); mais elle apparaît comme une vierge de mailre Stéphane
Lochner de Cologne, au grand front qui bombe sous les cheveux
un peu ardents, oui, une vierge de Lochner avec les spéciales et
décisives gaucheries d'un Griinwald, ou les altitudes primitives de
quelque Wohigemuth. Plus tard, sous la couronne large, avec ses
gestes allongés très lents — même d'une pureté presque lascive,
— son innocence et des grâces infantiles, elle évoqua précieuse-
ment un très moderne Martin Schongauer, le maître candide aux ,
vierges enfants.
Mais je serais un monstre si je ne vous parlais pas d'Alvary.
Ordinaire dans la Gôtterdàmmerung et inégal dans Tannhaûser, il
me révéla dans Siegfiied le vrai Siegfried, celui que Wagner dut
rêver pour traduire son merveilleux poème. Assez bien entouré,
— car, en somme, toutes mes critiques sont relatives, — il pou-
vait d'ailleurs, dans Siegfried, dépasser tous les autres, le poème
le permet. Et Vous n'imaginez pas son espièglerie ignorante de
héros jeune, ses gestes un peu gamins, jamais vulgaires, l'enfan-
tine volonté d'entêtement qui le crispe, et ses bouderies, et ses.
mouvements de corps pour railler Mime, guis, soudain, l'ii^génu
des désirs guerriers, et c'est avec une fougue devenue pr'èsque
grave qu'il forge Nothung, le glaive magique. Tous ses /gestes,
toutes ses poses sont d'ailleurs contenus en la musique. Beau
comme un dieu, il méprise toutes laideurs el ne peut voir/que soi,
jusqu'au moment où, dans la forêl, il se découvre un cœur. Et
Briinnhilde, quand il la réveille, ses gestes de surprise, son émoi
naïf, l'interminable baiser qu'il lente, — le premier ! — et ses
terredH d'enfant des bois, désireux, intrigué aussi, adorablement
gauche el craintif jusqu'à ce que l'homme parle en lui plus luut
que toute voix!
Ce fut un beau soir et, au moins, j'entendis Siegfried. A Dresde,
on f^it des coupures ! On supprime la moitié de la scène de Wotan
au premier acte, on taille dans les autres, on supprime des ques-
tions naïves du jeune WœlsUng au Wanderer, on retranche même
des fragments de la dernière scïrie ! Pour la Gotterdimmerinig,
c'est pis encore : on ampute le drame de toute la scène des
Nornes, ce qui lui enlève, certes, de sa signification, vous l'avoue-
rez; le titre même ne se comprendrait plus sans la scène de
Waltraute, et encore le spectateur doit se demander d'où peut
venir ce Crépuscule des dieux ! Et puis vous voyez d'ici
l'unité du drame dans l'orchcslre : du thème des Nornes, dont
on ne saisit pas le rappel, on passe squ^:^^^^^ thème de
Siegfried, au thème féminin de Briinnhilde, etc., etc., etc. On
est, du reste, fort illogique à Dresde. Si l'on supprime la scène
des Nornes, c'est donc que l'action surhumaine paraît sans
importance, l'anneau une chétive babiole, etc. Mais si l'on ne
veut que raconter les amours d'une certaine Briinnhilde avec le
nommé Siegfried, pourquoi conserver la scène de Waltraute, celle
d'Albérich, celle des Filles du Rhin qui, évidemment, sont super-
flues? Pourquoi même faire/tuer Siegfried par Hagen, qui n'a plus
de motif nécessaire pour cet acte, suivant le vrai symbole du
drame? Il vaudrait bien mieux réconcilier tous ces ennemis, et
laisser Briinnhilde passer des jours heureux avec Gùnther, Sieg-
fried avec Gutrune. On y arrivera, j'espère. A Dresde c'est, du
reste, une habitude; on taille dans Othello (de Shakespeare, pas
de Verdi) et on arrange tout cela avec plus d'art, Shakespeare et
Wagner n'ayant, en somrajil', jamais su faire un drame.
Outre des acteurs comme la Malten, M""* Wiltich, Gudehus
(dans Gôtterdàmmerung), Scheidemantel, etc., ce qui console, à-
Dresde, c'est l'orchestre. Je ne sais s'il se rappelle que Wagner
lui-même le dirigea autrefois; mais il a une cohésion, une unité
tout à fait remarquables. Il rappelle, et peut-être en mieux, l'or-
chestre de Joseph Dupont dont il a les qualités et un peu les
rares défauts. Certes, il n'y a pas à Dresde un hautboïste comme
Guidé, mais les cuivres sont tout ^l(mt surprenants el les cordes
excellentes. L'orchestre marche d'une seule masse, avec vigueur,
sans traînards, très décisivemeni ; la qualité du son rejette toute
idée de vulgarité, et c'est bien, ce son, un seul être aux mille
voix, comme le monde extérieur qu'il symbolise dans le drame.
Malheureusement, on pourrait lui reprocher un manque de déli-
catesse ; il n'a pas assez de sensibilité, les plans ont une tendance
à se confondre. Je ne parle pas de ces plans étages qui permettent
à chaque ordre d'instruments de faire entendre ce qu'il doit dire,
ce serait ici très faux, mais ces pljns de l'idée, qui indiquent par
les mille nuances d'un vi.f., par exemple, qu'un thème va s'enfuir
en réminiscences vagues ou s'ériger en souvenir qui s'impose.
L'orchestre de Lévy, à Munich, m'a fait l'impression contraire :
il serait, avec de meilleurs éléments pourtant, plus proche de
l'orchestre de Franz Servais, isolément, les musiciens qui le com-
posent paraissent dç.yaleur très inégale; de plus, chose rare en
Allemagne, les cuivres ne sont pas tous sans reproche. Mais sous
la baguette de Lévy, tout s'anime, des lignes se tracent nette-
ment, des contours saillent, un peu rudes, une teinte s'accentue
aux premiers plans, s'accuse encore, puis diminue et se mêle aux
plus vagues linéaments des lointains : la perspective s'est établie.
Evidemment, on sent moins de solidité dans les traits, la trace de
mains nerveuses plus que sûres de leurs forces; l'ensemble et la
cohésion matériels sont très loin d'être parfaits : pourtant, il y a
dans tous ces gestes sonores un inconscient vouloir de dire vrai,
de tout dire, de bien montrer, qui entraîne. — Puis, à Munich, on
n'a fait de coupures que AzmRienxi — que je sache, au moins,
— et cela dispose mieux ! -
<^Y
Nou'^eaux Concerts liégeois.
{Corres/pondance pdrticulière de l'Art moderne. )l
Voici close la série des Nouveaux Concerts.
Le succès artistique en a été non moins franc, non moins solide
U
94
VART MODERNE
■\;
J^
et non moins spontané que celui remporté dans la précédente
campagne.
Souhaitons (^uc MM. Dupuis et Vandepscliildo, non découragés
par les trop nombreuses abstentions, reprennent, l'hiver prochain,
la lutte avec la même ardeur.
Au programme, un poème symphonique de Tschaïkowski :
Françoise de lUmini, composition très intéressante où de belles
choses' perdues un peu dans de l'amplification. De l'inspiration,
cependant ; cette furieuse description de l'enfer, où .grondent
d'affreux tourments, ne me déplaît pas; un andante est d'une
touchante beauté.
Chez nous, plus de concert sans Wagner. Certes, nous ne nous
en i)laignons pas, et le publie des Nouveaux Concerts non plus,
il l'applaudit frénétiquement.
Dimanche encore le prélude de Lohengrin et l'ouverture des
Maîtres Cliantctirs ont été écoutés avec recueillement et chaude-
ment applaudis.
Mais aussi quelle couleur, quelle richesse de mélodie, quelle
mâle orchestration, quelle puissance!
L'orchestre a été très inégal ; de Françoise de Rimini et du
prélude de Lohengrin i\ nous a donné de bonnes exécutions;
dans la huitième symphonie de Beethoven et surtout dans les
Maîtres Chanteurs, il s'est montré insuffisant. Interprétation
grossière, pas de nuances, un lourd vacarme des cuivres.
Notre orchestre a de fûcheux entêtements; qu'il soit au grand
complet et dirigé par M. Radoux, ou restreint et dirigé par
M. Sylvain Dupuis, il est des jours où il résiste, avec une
farouche mauvaise humeur, à toute direction.
Jean Gerardy, un jeune violoncelliste d'une douzaine d'années,
nous a fait un vif, un réel plaisir.
On sent une nature d'artiste dans ce précoce gamin. Ce n'est
pas seulement un petit prodige du mécanisme. 11 n'y a rien de
l'élève bien stylé qui se renferme dans sa leçon studieusement
apprise. Il phrase avec aisance, il nuance simplement, avec déli-
e.itesse, il a de l'expression : une expression juste et louchante.
Il a donné d'un concerto de Goltermann, en soi assez insigni-
hani, une charmante interprétation, et vraiment avec beaucoup
d'allun'. . ■
L'exécution avec orchestre de Kol Nidrei de Max Bruch, une
tarentelle de Popper et un andantino de Widor, qu'il a joués
ensuite, ont confirmé notre très favorable impi^ession.
^ Notes de musique
Le Club sywphonigue, fondé et dirigé par M. Emile Agniez, a
fait, dimanche, au Palais des Académies, ses débiits dans le
monde. Quaranle-cinq membres, tous amateurs, dit l'affiche, et
parmi eux bofi noml)re d'«amatrices ». De l'ensemble, une bonne,
sonorité, de la discipline. Le s\iccès a été très vif et l'attention
religieusement soutenue jusqu'au bout d'un programme assez
long qui comprenait dos mélodies de Svendsen, une Suite en style
ancien de Crieg, les Xuveleltes de Gade, une composition un peu
filandreuse de Grunewald, etc.
M"« R. Neyt, MM. Merck et Chômé avaient été chargés des soli.
A noter, parmi ceux-ci, la Berceuse ûq M. Agniez, texte de L. de
Casembroodt.avec accompagnement d'orchestre, et deux mélodies
de M. De Greef : f Etoile et Bonjour Suzon.
En ménïe temps que le Club symphonique inaugurait ses con-
certs au Palais des Académies, V Association des professeurs d'in-
struments à vent donnait, au Conservatoire, sa deuxième matinée
musicale. On a écouté avec intérêt, jouées avec le soin et la correc-
tion habituels aux excellents instrumentistes qui composent l'Asso-
ciatioa, une Suite pour fli'ile et quatuor d'instruments à vent par
Charles Lefebvre, composition de facture ingénieuse et d'idées
distinguées, écrite peut-être avec trop de facilité et d'une .plume
qui se contente trop aisément de la première inspiration; et pour
finir la séance, la Sérénade de Brahms pour petit orchestre,
cordes, bois et" cors, pour laquelle on avait doublé les parties
d'instruments à cordes. Sérieuse et forte composition, un peu
massive, un peu longue, et qui sent furieusement son professeur
de contrepoint. . ,
A citer encore" une très jolie composition pour flûte, aVëc
accompagnement de piano, de Frédéric-le-Grand, oui Monsieur!
jouée h ravir par MM. Anthony et Degreef. M"* Julia Milcamps,
premier prix de chant de l'an passé, remplissait assez agréable-
ment les intermèdes de la séance.
Chez un amateur de musique très connu, M. Van Hal, dans
l'intimité d'une soirée essentiellement artistique, Jeno Hubay
l'excellent violoniste que la Hongrie nous a repris, a fait entendre
quelques-unes de ses plus récentes compositions : une Sonate
romantique pour piano et violon, quatre mélodies sur des poésies
de Victor Hugo, Sully-Prudhomme, Hélène Vacaresco, cl des frag-
ments d'un cycje de morceaux de violon intitulé : /a Vie d'une
peur, inspiré d'un poème du comte Zichy.
La fraîcheur d'inspiration, le charme délicat et la distinction
de ces diverses œuvres ont été très appréciés. Exécution d'ail-
leurs excellente par l'auteur et, pour la partie vocale, par
M"« Hélène Brohez, qui a dit et chanté avec beaucoup de goût
les mélodies de M. Hubay.
Deux œuvres d'ensemble complétaient ce remarquable pro-
gramme : le quatuor en Ja mineur, n° Ip, de Beethoven, pour
instruments à cordes (MM. Hubay, M"^ H. Sclimidt, MM. Agniez
et Jacobs), l'irne des plus belles compositions du maître, rare-
ment exécutée à cause de sa difficulté, et le trio en ul mineur de
Brahms, îiuquel MM. Tonnelier, Hubay et Jacobs ont donné un
relief saisissant.
Il a été naturellement question, en cette soirée, de l'opéra que.
vient d'achever M. Jenô Hubay sur un livret d'Edniond Harau-
court : Merlin. L'auteur a été en pourparlers au sujet de cette
œuvre avec les directeurs de la Monnaie, mais il ne paraît pas
que ceux-ci soient disposés h la mettre en scène. Une audition
intime qui a eu lieu récemment à Boitsfort, chez M. Charles Tar-
dieu, a produit une impression des plus favorab'les, malgré l'in-
terprétation un peu sommaire que, forcément, l'auteur, obligé de
chanter tous les rôles et de s'accompagner, en a donnée.
Mémento des Expositions
Amiens. — 31 mai-16 juillet. Envois : 45-20 mai. Renseigne-
ments : M. L. Dewailly, président.
Arnhem (Pays-Bas). — lo juillet-i5 septembre. Envois :
15 jum-i" juillet. Renseignements: M. A.-C. Van Daelen,
secrétaire delà Comi^ission directrice de l'exposition des Beaux-
Arts, à Arnhem. '
Besançon. — 15 mai-30 juin. Envois : neticcs, 10 avril;
<
^
œuvres, 10-20 avril. Renseignements : M. Allard, secrétaire de
la Société des Amis des beaux-arts, rue de la Bouteille, iA,
Besançon.
Dijon. — Société des Amis des Arts, l^juin-15 juillet 1890.
Envois :l-15mai. Renseignements :5'fcre7anVï/, Palaisdes Etats,
Itijon.
Liège. — 7 juin-10 août 1890. Demandes d'admission : avant
le 30 mars, au Secrétariat général, rue SaintLéonard, 214, Liège.
Madrid. — 1« ■Exposition^(inlernalionale). Mai 1890. — Envois :
1"-10 avril.
Milan. — Salon annuel : 15 avril-31 mai. Envois : 31 mars.
Renseignements : Secrétariat, Via principe Umberto, Milan..
Munich. — Salon annuel: l«'juillel-15 octobre 1890. Envois :
1-20 mai.
Paris. — Société des Artistes fraiiçais {Pah'is des Champs-Ely-
sées), l" mai-30juin. Envois : Peinture, ddhi expiré. Dessins,
aquarelles, pastels, etc., idom. Sculpture, 30 mars-o avril.
Architecture, 2-.*) avril. Gravure, 2-5 avril. .
Paris. — Société nationale des Beaux- Arts (Palais du Cfiamp-
dc-Mar.s). 15 mai-30 juin. Envois : Délai expiré.
Périglel'x. — 31 mai-30 juin. Délais d'envoi : notices, l"mai;
œuvres^ 10 mai. — Renseignements : M. Pertoletti, secrétaire
de la Société des Beaux-Arts, Périgueux.
Rome. — 26 avril-8 juin 1890. Délai d'envoi : 1-5 .avril.
Renseignements : Secrétariat du Comité directeur. Palais des
Beaux-Arts, via Nazionale, Rome.
Turin. —1" mai-1" juin 1890. — Délai d'envoi : l«'"-20 avril.
Renseignements : Secrétariat de la Société des Beaux-Arts,
Turin:
Petite chro;^ique
Depuis hier, M. .Vnloine et ses camarades du Théûtre-Librc
sont installés, pour une semaine au lliéâtrc du Parc. Nous ren-
drons compte dimanche prochain de ces représentations de
haute attraction. i.
Le Théâtre des Galeries annonce pour mardi prochain la pre-
mière représentation de YArlésienne avec le concours de
M""^ M. Dcfresnes et de M. Bcrlon, de l'Odéon.
Le Théâtre Molière lient un sérieux succès avec Don César de
Bazan, que M. d'Enncry a taillé dans le manteau d'Hugo, cl
Vinccncttc, une petite pièce en un acte de M. Pierre Barbier,
applaudie lous les soirs.
Les Soirées populaires de Vcrvicrs ouvrent leur troisième Con-
cours trimestriel de Littérature. Le sujet imposé est une pièce en
prose intitulé} La Fleur.
S'adresser pour tous renseignements à M. Léon Lobct, à
Vervicrs, Présidenl de l'OEuvrc.
Inc nouvelle artistique dont le Gaulois garantit l'aulhenticilé :
In personnage fort riche est entré en pourparlers avec le
Directeur de l'Union Art Association de New-York, acquéreur, on
se le rappelle, de V Angélus, pour acheter le célèbre tableau de
Millet.
L'anivro, ([ui tigure en Ce moment à une Exposition d'art de
Chicago, à côté d'une quantité de bronzes de Baj-ye, pourrait,
sous peu, réintégrer le sol d 2 la patrie.
De l'Eventail, celle correspondance qui nous révèle des mœurs
théâtrales de province bien amusantes : ■
« Les Anversois ont la coutume de manifester de sérieu-e
.façon leur sympathie aux artistes qui-leur plaisent, à l'occasion
des représentations à bénéfice données hebdomadairement à la fin
de la saison du Théâtre Royal.
A ces repr(?5enialions, les cadeaux sont exposés, dès le com-
mencement du spectacle, sur une table près du contrôle, puis, au
milieu de la soirée, le tout est porté sur la scène et le régisseur,
après avoir lu un discours, fait l'énumération des cadeaux.
La liste en esl souvent longue et elle mentionne les objets les.
plus hétéroclites.
Il nous souvient d'avoir assisté, la saison dernière, à la soirée
donnée au bénéfice de M. Noté el, entre autres objets qui lui
forent offerts au cours de la représentation d'Hamlet, nous nous
rappelons toujours, non sans gaieté, deux cannes à pèche que l'on
présenta le plus sérieusement du monde au prince de Danemark.
A M. Duzas on a offert tout récemment des monceaux de fleurs,
de couronnes, une chaîne de montre, une breloque, une canne,
deux photographies, douze cuillers, d(?s actions de la ville
d'Anvers, un portrait à l'huile, un service à ihé, une louche en
argent, deux moutardiers et un char à quatre chevaux en carton
pour le fils de l'artiste.'
Huit jours après, pendant l'acte du Cours-la-Reinc de Manon,
on a offert à M™^ Vaillant, la bénéficiaire, de la part des abonnés,
un cache-pot avec fleurs artificielles, deux porle-bougies en fer
forgé,* un vide-poche en argent, u 3 chaîne en or, trois vases du
Japon, une amphore en cuivre ciselé, onze cuillers k café en
argent, une pendule et une couronne. Des amis et des habitués
ont ajouté à ces cadeaux .- des fleurs, des vases garnis de den-
telles, des éventails, des corbeilles, des écrins avec des bijoux,
des actions de la Ville et une brosse à cheveux (!!!!).
En souscription : Derniers Vers par Jules Laforgue. (Di.s
fleurs de bonne volonté, le Concile féerique, Derniers vers). Edition
définitive avec toutes les variantes tirées des manuscrits originaui
et classées par MM. Edouard Dujardin et Félix Fénéon.
Grand volume de luxe* lire h un peiil nombre d'exemplaires
numérotés à la presse. Prix : 25 francs. Le volume, exclusive-/'
ment réservé aux souscripteurs, ne sera pas mis dans le commerce
et n'aura pas d'autre édition. Cet ouvrage est publié par les soins
de M. Edouard Dujardin, à t[ui les bull'lins de souscription
devront èl'-Q adressés, à Paris, 11, rue lo Pelolier, avant le
31 mars prochain.
/>e Japon artistique. — Sommaire du n' WIII : Elude sur
Kôrin, peintre el laqueur, par M. Louis Gonse.
Planches hors texte. — In paysage do Hiroshighe. — L'no
grande planche double roproduisanl un Kalïêniono poini par
Kôrin, \cShoki. — Ino étude tie jeunes chiens par Kùrin. — Lu
portrait d'acteur, pur Massanobou. — Une oie au vol. par
Morikonni. — Dos oies au bord d'un marais, très ancienne pein-
ture, par Sesson. — Deux oiseaux de proie, par Tsho-Kwan. —
Deux planches de modèles industriels.
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Dixième année. — N" 13.
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 30 Mars 1890.
L'ART MDDERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Comité de rédaction » Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, uu an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. —ANNONCES : Ou traite à foi-fait.
Adresser toutes les communications à
l'administration générale de TArt Moderne, rue de rindustrie, 26, Bruxelles.
^OMMAIRE
Au Thkatre-Liure — Sociétk des artistes indépendants :
Sixième exposition. — Théâtre des Galeries : L'Arlésienne. —
Théâtre Molière. — L'Art en Angleterre depuis 188o. — Petite
chronique. ;
AU THÉATRE-LIBRE
« En composant cette paysannerie, je n'ai point cher-
ché à mettre en pratique les formules de telle ou telle
école. J'ai fait simplement ce qui me semblait bon, sans
autre contrôle que moi-même. Parmi les nombreux
paysans chez lesquels j'ai fréquenté, j'ai reconnu, sous
des manifestations diverses, des sentiments similairesr-
et ainsi je suis arrivé à constituer, pour chacun de ces
personnages, un caractère tranché et typique qui est
comme l'émanation même de la terre et le fond intime
du paysan. Ils parlent leur langue, vivent leur vie dans
leur inconscience brutale sans que j'aie cherché à les
charger ou à les blanchir.
« Ce qui domine à la ferme, c'est encore l'autorité du
pèrôi Autrefois tout pliait devant elle, aujourd'hui on
se révolte, les jeunes ont des désirs de bien-être qui se
concilient mal avec l'économie paternelle ; de là une
lutte incessante avec les enfants. La. mère générale-
ment prend parti pour le fils, et la fille reste à l'écart
des combinaisons; car la fille, un jour, morcellera le
domaine par son mariage, tandis que le fils, lui, peut
l'accroître. Cette division des familles campagnardes
est soigneusement exploitée par les agents d'affaires de
villages, hommes véreux, quelquefois repris de justice,
qui peu à peu, arrivent à s'enrichir sur la bonne foi de
ces braves gens. " ^ . . ■
En ces termes, l'auteur du M.vître, M. Jean JuUien,
expose lui-même la synthèse de son œuvre, l'une des
plus fortes et des plus émouvantes que le Théâtre-Libre
ait glorieusement mises au jour, la plus forte peut-être
et la plus émouvante. Et retenez ce mot -.V émanation
même de la terre et le fond intime du paysan. C'est
ce qui donne au petit drame rustique de M. Jullien sa
haute portée, ce qui le place dans la hiérarchie artis-
tique au sommet de l'échelle, bien au dessus des œuvres
épi'sodiques et fugitives relatant tels personnages d'excep-
tion, tels milieux vrais mais spéciaux, tels événements
contingents et passagers. L'exactitude d'observation se
combine avec la condensation que seule l'artiste supé-
rieur est apte à réaliser. Ce que l'auteur met en scène,
ce n'est pas le père Fleutiot, ce n'est pas le féroce
^oïsme du maître de la ferme des Ardillats, qui flanque
à la porte, lorsqu'il se sent guéri, le brave homme de
va-nu-pieds qui lui a sauvé la vie : c'est le paysan,
l'extraordinaire bipède fruste et rusé, féroce et làcheL,
têtu- et faible que trois actes, trois tableaux plutôt,
montrent dans des manifestations diverses : le paysan
malade, le paysan méfiant, le paysan rancunier et impi-
toyable. L'intrigue ? Elle est de mince importance, au
rebours du théâtre de naguère, qi^i prenait pour devise :
«» L'action, l'action, et toujours l'action •». Ici, — ^ en ce
théâtre nouveau, dont l'expression est tantôt un réalisme
qui serre de plus en plus la vérité, toutes broussailles
élaguées des anciennes conventions, tantôt en un symbo-
lisme destiné, peu à peu, à transformer l'art scénique, en
ce théâtre qui parfois se pénètre des deux éléments
en apparence contradictoires — l'intérêt gît dans le
développement des caractères, nettement établis dès
le début et logiquement menés à travers le déroulement
du récit. Qu'on é«oute les scènes brèves, incisives, du
Maître, ei cette langue sobre, qui n'emprunte pas un
mot au répertoire des paysanneries d'opéra-comique.
Et que soudainement l'esprit évoque les copieuses
intrigues campagnardes péniblement échafaudées par
les écrivains du théâtre de jadis, les sentiments de pala-
dins prêtés aux rustres, leurs amours enrubannées,
leurs expressions fleuries (oh ! ce n'est pas jusqu'à l'abbé
Delille qu'il faut remonter pour en trouver de réjouis-
sants exemples!) le MaHre de M. Jean JuUien appa-
raîtra d'autant plus grand, plus ferme sur ses assises
d'art neuf, plus inattaquable en son architecture de
pierre et de fer.
• Nous croyons que personne, avant M. Jullien, ne
s'est livré avec le Paysan à un corps-à-corps aussi éner-
gique. Nous estimons qu'il n'est guère d'œuvre d'où
les préjugés soient plus strictement exclus. Nous pen-
sons qu'il n'en est point qui exprime avec plus de force
ce « fond intime du paysan », domaine hermétiquement
clos jusqu'ici, aussi hermétiquement que demeure
fermé, malgré d'innombrables tentatives pour le péné-
trer, le cœur de l'Ouvrier.
Les conventions théâtrales, le vague fleur de mélo
qui se glisse insidieusement dans la plupart des essais
de littérature naturaliste, tant est persistante l'habitude
de né compter, pour le succès d'un drame, que sur les
mouchoirs du public, les Frères Zemganno en sont
pénétrés. Mettre en scène ce beau livre, qui vaut sur-
tout par la confession littéraire qu'il contient, la tenta-
tive était, certes, curieuse, et les adaptateurs, MM. Paul
Alexis et Oscar Méténier, ont fait preuve de goût et de
scrupule en respectant, le plus possible, le dialogue
même de M. de Goncourt. Mais du meilleur roman on
ne fera jamais qu'un drame médiocre. Les Frères
Zemganno, au théâtre, malgré l'intérêt très vif qui
s'attache à l'entreprise, laissent une impression de
regret. Le public des salles de spectacle est inapte à dis-
cerner, en ce touchant récit de l'amitié fraternelle bri-
sée par une catastrophe, l'autobiographie qu'il recèle.
Et même cette autobiographie, qui transparaît ingé-
nieusement à travers les chapitres du roman, s'eff'ace
à la scène, où les faits dominent brutalement la délica-
tesse des souvenirs évoqués. Puis, la vérité que nous
cherchons, que nous exigeons presque,, s'accommode
mal du désaccord flagrant qui existe entre les person-
nages et la langue châtiée qu'ils parlent, entre leur état
social et leurs sentiments. C'est du romantisme pur,
cela, intéressant, sans doute, mais si éloigné, déjà, du
théâtre nouveau, auquel les écrivains d'aujourd'hui
nous ont accoutumés !
Parmi ceux-ci, M. Georges Ancey tient incontestable-
ment, le premier rang. Nous l'avons dit à propos de
V Ecole des Veufs, que nous avons qualifiée : l'un des
très rares chefs-d'œuvre du théâtre moderne (1). Deux
pièces du même auteur, antérieures en date, d'une
observation moins cruelle,, mais d'un art raffiné et
d'une intensité rare : Les Inséparables et Monsieur
Lamblm, ont confirmé l'impression que nous avions
ressentie en assistant à la représentation de l'Ecole des
Veufs.
Nous ne parlerons des Inséparables, analysés en
détail par M. Jean Ajalbert (2), que pour rappeler, le
très grand éloge que nous en avons fait. Cette duperie de
l'amitié, réalisée par de malignes et hypocrites louanges
qui cachent une atroce perfidie, est supérieurement
exprimée*. En quelques scènes rapides, dessinées d'une
pointe ferme, drôles sans charge, spirituelles sans que
l'esprit s'y affiche, sans que l'unité du dialogue soit
rompue par l'intromission des « traits « ou des « mots »
chers aux Sardou et aux Dumas, et qui font les délices
des chroniqueurs, M. Ancey décrit avec cette amer-
tume qui lui est spéciale les petites lâchetés, les petites
trahisons, les petites infamies de certaines gens de bon
ton et de bonne compagnie dont les amabilités recèlent
des lamefe de poignard. C'est d'un pessimisme tempéré
d'humojjr qui n'a, croyons-nous, point d'analogie dans
la littérature dramatique, -«t qui donne aux Insépa-
rables, comme à toutes les pièces de M. Ancey, une
originalité et une saveur particulières. Il y a en ces
tableaux croqués sur le vif bien plus que de l'ob-
servation. Il y aNdes coups de cravache distribués
d'une main nerveuse et le sourire aux lèvres, selon la
formule classique de la comédie : Castigat ridendo
mores. A cet égard, le théâtre de M. Ancey se rattache
par une filiation difecte aux maîtres d'autrefois. Mais
combien il est de son temps par la vérité des situations ,
par l'étude patiente et l'exacte reconstitution du méca-
nisme des hommes d'aujourd'hui, par la peinture vivante
de nos habitudes, de nos travers, de notre éducation !
Le type de Monsieur Lamblin demeurera l'expression
définitive de l'égoïste inconscient. Il est exprimé avec
(1) Voir FAtt modn-ne des 26 janvier et 3 février 1890.
(2) Voir lArt moderne, 1889, p. 164. '
« •
V-i
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tant d'exactitude, il est si logique dans ses actes et dans
ses paroles, il est si étonnamment d'aplomb qu'on
pourrait ne pas soupçonner la somme considérable
d'art qu'atteste cette création. Joué en lever de rideau,
et bien à tort, car l'œuvre est l'une des plus attachantes
que le théâtre de M. Antoine nous ait offertes, Monsieur
Lamblin n'a peut-être pas produit tout l'effet qu'il
aurait dû faire. Pour nous, nous considérons cette
pièce de début de M. Ancey — elle fut jouée pour la
première fois en juin 1888, — comme une comédie de
haute valeur, qui affirme les exceptionnelles qualités de
son auteur. ^-
A l'appui de ce dire, une citation, prise au" hasard.
C'est le dialogue entre Lamblin et sa maîtresse, l'élé-
gante M'"*= Cogé, qui est venue le surprendre cliez lui,
sous un prétexte quelconque, pour l'emmener au théâtre.
C'est précis, net, médullaire :
Madame Cogé. — Comment, lu refuses! Moi qui me faisais une
joie...
Lamblin. — Ecoule, ma chère amie, je l'ai dil une fois pour
toutes que je*n'élais pas un cascadeur, moi... je suis très loin
d elre un cascadeur... j'aime les petites choses bien réglées, les
bonnes petites habitudes bien assises, les petits arrangements bien
convenus, et qu'une boutade ne vient pas inopinément renverser.
Je suis très famille, moi, très famille; je té l'ai dit souvent, et je
suis étonné que lu ne t'en rendes pas compte. .
Madame Cogé, criqnt. — Tu m'ennuies! là!
Lamblin. — Ne crie donc pas si fort... Pour rien au mondr,
-pour rien au monde, je ne sortirais ce soir. Hier, Dieu sait si
• j'étais heureux d'aller te voir; nous avons bien ri, nous avons fait
une bonne petite fête, très réussie, je n'en disconviens pas; c'était
charmant, et je nejdemande qu'à recommencer; seulement, pas ce
soir... domain. Nous avons pris le lundi, le mercredi, le vendredi
et un dimanche de temps en temps; je n'y veux rien changer. Je
' suis réglé comme un coucou, moi ;tu n'as pas l'air de l'en douter;
et je ne sonne qu'à l'heure où je dois sonner.
Madame Cogé. — C'est-à-dire que tu m'aimes trois jours sur
six, et que le reste du temps tu te soucies de moi comme du
grand Turc ! Drôle d'amour que celui-là !...
Lamblin. — Pas du tout ; je pense à toi, très souvent, et si tu
venais à disparaître, lu me manquerais beaucoup. Seulement de
là à déranger l'équilibre de mon existence...
Madame Cogé. — Et puis tu aimes ta femme, n'est-ce pas?
Lamblin. — Tu es jalouse?
■" Madame Cogé. — Absolument, et j'en ai sujet...
Lamblin. — Que tu es bébéte, va !... Tu sais bien qu'il n'y a
que loi , voyons ! . . . seulement. . .
Madame Cogé. -^ Ah ! il y a un seulement!
Lamblin. — Oui... seulement ce n'est pas une raison parce
que je t'aime, pour que je n'aie aucune affection pour ma pauvre
petite Marthe, que lu traites trop à la légère et qui est si dévouée !
Madame Cogé. — Qu'est-ce qu'elle a donc de si extraordinaire?
Lamblin. — Elle a d'extraordinaire, qu'elle fait pour moi ce
que d'autres ne feraient pas... là... toi, la première. C'est une
affection sûre, que'j'ai là, en réserve pour mes mauvais moments,
une affection qui ne tourne pas à tous les vents, qui n'a pas des
hauts et des bas! 11 faut la voir douce, résignée, attentive, se
mettant en quatre pour me faire plaisir, inquiète quand j'ai seule-
ment mal à la tôle, allant me chercher mes pantoufles quand je
reviens tout crotté et tout mouillé... de chez toi! {Très ému.)
Tout à l'heure encore, lu vois ce verre d'eau-de-vie qui est là...
c'est le second que je me préparais à boire, et au moment où je
me le versais, j'ai vu sa petite main s'avancer et me le retirer,
sons prétexte que je n'étais pas raisonnable et que j'allais me faire
du mal!... {Il pleure à moitié.) D'ailleurs je n'en avais repris
que pour qu'elle me dise cela, mais voilà de ces choses qui vous
remuent le cœur... {Un temps.) Et maintenant il faut t'en aller!..
Madame Cogé. — Oh! ça non! je t'aime, moi, et...
Lamblin. — El tu es égoïste... Tu sais bien que je ne peux
pas souffrir les égoïstes, moi!... Tu veux me priver d'une bonne
soirée bien tranquille et bien calme, à ton profit, à toi qui n'es ni
tranquille, ni calme!
Madame Cogé. — Je veux que tu m'aimes, que tu m'aimes
exclusivement, et pour cela que tu quittes ton ménage, s'il le
faut?
Lamblin. — Oui! et puis que je vienne à être malade, ce qui
peut arriver, quoique j'ai une bonne santé. Dieu merci ! et lu nie
planteras là, avec ion caractère !... je le connais... tu es la
meilleure femme du monde, mais cela ne t'empêche pas d'élre
superficielle...
Madame Cogé. — Superficielle!...
Lamblin. — Tu es superficielle, avoue-le... Ta façon de tomber
i^i comme une bombe, en est la preuve. Quand tu te mets à
parler de toi, de ics robes, de tes fantaisies, ça n'en finit pas ; lu
ne sais pas être sérieuse^ lu n'as pas celle conversation qui plaîi à
un homme, qui hi flatte et qui l'amuse...
Madame Cogé. — Oh !
Lamblin. — Tu ne lui parles jamais de lui!... Un soir que
j'avais mal à l'estomac, lu m'as presque renvoyé à la maison, où
l'on m'a fait du thé... La cuisinière était couchée... Marthe n'a
pas craint d'aller à la cuisiiie et de se çalir les mains !
Madame Cogé. — Quand ça, quand donc ça?
Lamblin. — Pour Dieu, ne crie pas si fort!... il n'y pas plus
de quinze jours.
Madame Cogé. — C'est que lu ne t'expliquais pas, voilà tout!
Lamblin. — Je me plaignais cependant assez pour attirer ton
attention. .
Et ce rôle de la belle-mère, qui, sans rien dire, a tout
arrangé. M*"* Cogé est partie furieuse et Lamblin se
désole :
Madame Bail. — Ayez donc confiance en moi... parlez!
Lamblin. — Eh bien ! c'est que tout à l'heure, celte dame qui
esl venue... j'ai peur de lui avoir parlé trop durement, je crains
de l'avoir fâchée, je l'ai presque mise à la porte.
Madame Bail. — Ne vous inquiétez donc pas de tout cela, vous
vous trompez peut-être.
Lamblin {ennuyé). — Non, je ne me trompe pas... je sais bien
que...
Madame Bail. — Je vous dis que vous avez tort do vous inoir.or
la tête.
'9
Lamblin {impatienté). — Enfin qu'en savoz-vous ?
Madame Bail {les yeuj: baissés). — Je n'en sais rien, seulement...
comme je me suis doutée de ce qui s'était passé ici, comme j'ai
craint... si une brouille... survenait avec cette dame... que vous
ne fissiez... avec d'autres... des sottises... des sottises qui
cnlratncraicnt une séparation... je l'ai rcjoinlc sur le palier... cl
je lui ai... park^. '
Ces spectacles de choix ont été complétés par une
pièce en un acte de MM. Paul Ginisty et Jules Guérin :
Deux Tourtereaux,, dans laquelle deux déportés,
vieux et laids, s aiment, se querellent et se raccommo-
dent. Est-ce, comme l'ont cru quelques spectateurs, une
simple pochade, un vaudeville amusant? Il est possible
que les auteurs n'aient pas voulu donner à leur pièce
d'autre portée. Mais l'œuvre dépasse, en ce cas, le
cadre qui lui a été assigné. Elle est sinistre et terrible.
La dégradation des deux êtres qui sont les héros de ce
petit drame : l'homme, jadis potard, devenu empôisoîi-
neur pour se débarrasser de sa femme qui tardait à
mourir, la femme, institutrice au Faubourg, assassin
de sa patronne pour lui prendre son argent, ne nous
fait pas rire ; elle est d'une horreur tragique émouvante.
■ Quand nous aurons rappelé que toutes ces œuvres
sont jouées avec naturel, avec aisance, sans pose, sans
l'ombre d'une convention quelconque par l'excellent
acteur Antoine et ses camarades, parmi lesquels il faut
•citer surtout M. Grand, M"^* Sjlviac, Barny, Henriot,
Luce Colas et France, quand nous aurons dit que le
directeur du Théâtre-Libre a réalisé une mise en scène
tout à fait saisissante dans le tableau du cirque des
Frères Zemganno, nous aurons terminé l'exposé de la
semaine artistique qui vient de s'achever. Un cycle de
représentations comme celles-là console de l'universel:
cabotinage dans ^lequel nous pataugeons. Une fois de
plus, nous adressons aux artistes du Théâtre-Libre
un fraternel salut, et nous exprimons l'espoir de les
revoir souvent parmi nous.
SIXIEME EXPOSITION.
Pavillon de la Ville de Paris (Champs-Elysées).
Correspondance particulière de I'Art moderne.
■^
Quatre salles. Les trois premières constitueraient un supplé-
ment posthume de l'enfer du Dante. Les ombces du Slyx et les
déformations des corps putréfiés ont envahi les toiles. 0 douceurs
harmoniques des nuits, combien lumineuses vous êtes à côté de
ces pollutions enténébrées! C'est une cacophonie fuligineuse, le
poème de la suie, la vendetta des noirs et des bruns. Un Villette
hurle dans cette morose ambiance la discordance de ses tons
grinçants. Ses antipodiques accouplements dfe couleurs, d'aspect
malpropre, apparaissent comme les suppurations de pustules à
suintements divers. Le dessinateur du Chat noir ne craint pas de
surplomber cette débâcle d'un métallique arc-en-ciel et de con-
fronter ainsi sa terne palette avec les couleurs primordiales.
11 nous incite de. la sorte à visiter l'exposition des artistes qui
ne peignent qu'avec les dites couleurs et divisent le Ion. Leur
manifestation est fort concluante.
SOCIÉTÉ DES ARTISTES INDÉPENDANTS. .,
Vos compatriotes d'abord : • •
De M. Théo Van Ryssclberghc, le Porlrait de Madame D. B.
La lumineuse intensité en laquelle sont modelés la lôte et le cou
de . la gracieuse jeune femme s'irradie dans une glace où les
splendeurs d'une nuque fauve se reflètent. C'est une fête d'or et
de tons roux, une diffusion de soleil. L'atmosphère est adéquate
au personnage qui vil intensément. Les bras pendent en une non-
chalance naturelle et souple sur la robe aux plis soyeux, aux cha-
toyants reflets, aux cassures où jouent les rayons. Mais le panneau
de jupe, que le"vioIenl soleil inonde, semble un peu décoloré.
Le Portrait de Madame P., d'un faire moins savoureux, est
légèrement sacrifié à l'accessoire, au décor, à l'intimité du home
qui est celui d'une femme de goût, très artiste : des étoffes, un
bronze d'un galbe verdâtre; un sopha recouvert d'une somptueuse
soie, accrochant largement la lumière. A côté, un Portrait de
^lletle, sobre de tons et de facture, d'un fort beau dessin.
La Forêt vue par les cimes à r aurore de M. Robert Picard,
éjouit par le frais éveil de cette aube rosissanle et la tendre colo-
ration des cimes qui moutonnent dans la gaie diffusion de
l'astre.
Les Eléphants dcM. Lemmen valent par un dessin très carac-
téristique de leur douce résignation, de leur massivité patiente,
de leurs lourds efforts d'équilibre.
M. Van de Velde acquiert l'harmonie et le rayonnement par
des procédés vraiment simples. 11 semble qu'il ait disposé, au
centre de sa toile, un prisme décomposant la lumière blanche et
qu'il ail appliqué la couleur appropriée à la place de chacun des
rayons réfléchis par le prisme. Paysages mondains sont d'un
effet agréable mais bien aisément obtenu. La Femme assise à la
fenêtre requiert par la chaude lumière du plein air, encore que
l'intérieur de la chambre soit d'une lumière trop identique à celle
de la rue.
M""^ Anna Boch expose les Foins, les Sabotiers, les Pavots,
Octobre.
Les diviseurs français, très vaillants, accentuent leur effort.
M. Georges Sèurat ne se soucie plus uniquement d'irradier ses
toiles de luftiière intense et delà libre harmonie des clartés
astrales, il lâche aussi de faire concourir les directions des lignes
et leur intersection sous certains angles à l'idée dominante du
tableau. Une sensation de gaieté ne sera pas seulement exprimée
par des vermillons, des oranges, des verts, etc.... mais par des
lignes dirigées de bas en haut et par des angles dont le sommet
est tourné vers le bas. Tout sera calculé dans ce souci :. inflexion
des paupières, altitudes des bras el des jambes, port de la léte,
plis des vêlements. '
SaN,loile le Chahut est en ce sens une première réalisation théo-
rique très concluante. Fouettés par un orchestre précipitant la
mesure, dans un tonnerre de cuivres devinés, que scandent
les rapides et sourdes vibrations des contre-basses, les deux
couples cabrés à la rampe, en un rayonnement cru du gaz,
marquent par une voltige de jambes élastiques, la cadence d'un
chahul bien réglé. Dans ce désossemenl de leur féminité, les
danseuses maintiennent la rigidité impeccable de leur torse, la
tête très haute, el coulent sous leurs paupières de conquérantes
un œil sûr des lentalions déchaînées : il sourd de là une sensation
de gaieté, réglementée par la mesure, une molilité de cheval
savant que stimule un orchestre, toute une joie de commande.
Celte recherche de l'harmonie des lignes el des couleurs, pour
l'expression nette jusqu'à l'exagération de l'idée dominante du
6
lablcau, a}»oulira Ji dos effets puissants de peinture décorative,
pour pou qu'on arrive à dissimuler le trop apparent procédé.
Les. autres toiles de M. Seurat attestent sa juste vision, sa
science du dessin, son inlelligtenlc synthèse. Quatre aspects de
Port-en-Bessin rayonnent des joies d'un soloil non frauduleux. La
Gmnde-Jalle, temps fjrU, prouve que môme par la torpeur d'un
ciel opaque, le soleil opère encore une diffusion, sourde et latente.
Une jeune femnne de la bourgeoisie moderne, à sa table de
toilette gracile, légère, fanfreluchante de mâwiuise du xviii» siècle,
poudre ses chairs épaisses rendues par un travail et un modelé
savoureux.
. M. Paul Signac crée de la lumière, embellit le soleil, capte ses
rayons. Ses toiles resplendissent des magnificences de l'astre.
Autour d'elles s'épa'nd comme un halo de clarté. C'i^st un envelop-
pement d'immatérielles et harmoniques transparences.
Les profondeurs diaphanes d'un ciel d'azur . s'atténuent, en .
décroissances insensibles, dans un infini pâlissant; la mer, d'une
placidité bleue, se perd, immensément épandue, dans un lointain
aux colorations pâles. Ces éléments se fondent en une lumineuse
jonction, en une ligne d'horizon irradiée. C'est, au loin, un baiser
d'harmonies somptueuses, une union féconde de complémentaires
et de transparences. Entre ciel et eau, l'orangé des roches sur-
plombant la mer, toute une théorie de voiles blanches. VOp. 201
{Un- dimanche, Pam 1889), relate le morne ennui d'un couple
étirant sa spleenétique nonchalance dans la richesse d'un salon
surchauffé.
Voila des résultats superbement atteints.
M. Maximilien Luce restitue en violentes harmonies le remue-
ment des foules parisiennes, le grouillement populeux des
chaussées. La rue Mouffelard s'emplit de passants hâtifs, circu-
lant avec l'alerte et bousculante marche de gens affairés. Des
ambulants poussent leurs évenlaires où les oranges s'associent
aux verdeurs des légumes, il s'élève de cette toile toute la rumeur
montante du Paris matinal, l'accélération bruyante de notre vie
moderne. Les toits s'illuminent chaudement des rayons du pre-
mier soleil. L'Eglise Sainl-Médard vaut par une lumière intense
irradiant la gajnme savante du vert des arbres. Une Femme à sa
toilelle, pastel d'un modelé exquis, révèle en M. Luce un âpre
dessinateur du nu.
Le talent de M. Lucien Pissarro, qui évoluait en tâtonnements
intéressants, paraît avoir trouvé son expression définitive. Ses
Prairies à Oisors, bien enveloppées cependant des tristes
harmonies d'un temps gris, semblent de dix années antérieures à
sdi Rue Saint- Vincent, éblouissante d'un soleil partout épandu,
qui souffle la vie au paysage, colore les ombres. Ce tableau, d'une
belle composition, charme par la douceur de son éclat.
Le Soir d'été de M. Gausson, encore qu'inachevé, séduit^par
de joyeuses colorations. Sans dos rochers aux tloconnements de
grise crème fouettée, le A ma fenêtre de*^. Henri Cross serait
d'une belle placidité.
MM. Dubois-Pillet, Porrot, Angrand (qi/i cejnt une modeste
barque d'une surprenante auréole) et Guillaumin, complètent
cette manifestation. VJvry de M. Guillaumin doit aux couleurs
du pastel la facile harmonie des violets et des bleus de son
horizon. Les tons clairs de VEnfant dans la prairie sont exquis.
M. de Toulouse-Lautrec décarcasse la lourde musculature d'une
fille, en ruades chahuteuses et gauches, en caracolements de
cavale débridée. Sa cuisse épaisse surgit de ses dessous crapuleux.
Vis-à-vis, le nerveux lircbouchonnement des jambes désossées de
■ /
Valeniin : Au Moulitu-Rougs, le Dressage des nouvelles, Ce
labloau, d'un âpre dessin, restitue la furie forcenée de ces
iressauteuses de tétons ot leur pénible dégingandcmenl. Autour du
couple, des silhouettes de gommeux à la morne imbécillité, le
dédain curieux des filles mieux entretenues.
Le pastel de M. de Regoyos, étiqueté Fête Basque, exprime
dûment le rytjimo paresseux d'une danse, après dînor, sur l'herbe,
la passivité de luronnes soumises aux volontés de sinistres"
voyous. ' ' ■ .
Les farouches empâtements de .M. Vincent Van Gogh et son
emploi exclusif de couleurs aux harmonies aisées aboutissent k
des effets puissants : les fonds violets du Cyprès et la symphonie
des verls d'un sous-bois impressionnent vivement.
Cette poussée de talents forts a provoqué les ricanements de
gens imbéciles et les moqueries d'une presse abaissée à leur
niveau. . '
Georoes Lecomte.
Théâtre des Galeries
L'ARLÉSIENNE
L'interprétation que donne le théâtre des Galeries de l'A rlé-
sienne, le drame émouvant d'Alphonse Daudet, et certes sa plus
belle œuvre, est irréprochable. .M. Pierre Berton a créé un Bal-
thazar insoupçonné, tragique, superbe d'attitudes et do gestes,
très artistement costumé cl grimé. M""" Marie Defrosnes, tant
applaudie naguère au Parc dans la Femme de Tabarin et au
théâtre Molière dans le Pain du péché, s'est montrée, dans le rôle
de Rose Mamai, — la mère torturée par l'amour de son fils pour
l'Arlésienne, — artiste passionnée, touchante et pathétique; les
cris qu'elles pousse au cinquième acte ont secoué toute la salle du
frisson des grandes impressions d'art. A côté de ces deux excel-
lents comédiens, .deux débutants qui donnent dfi-^sérieuses pro-
messes : M. Berton fils, auquel le personnage do Frédéri convient
admirablement, et M"« de Byen, qui joue celui de Vivelte. Les
artistes de la troupe des Galeries ; MM. Garnier, Valbret, etc., et
M"* Real, complètent ce remarquable ensemble, que ne dépare
pas l'effet du petit orchestre et des chœurs auxquels est confiée
la délicate mission de ne pas massacrer la musique de Georges
Bizet.
Théâtre Molière.
y
La Famille Benoilon, représentée p'^ur la première fois à
Paris sur le théâtre du Vaudeville, le 4 novembre lH6o.
Dans celle Famille, qui remonte aux plus beaux jours du
second empire ot de Victorien Sardou. il y ace qu'on est convenu
d'appeler de l'esprit ; il y a dos Tirades sontiinentales et pathé-
tiques suscitant les bravos; il y a dos lirados sur les femmes, sur
la morale, sur la mode, qu'on trouve ogalemoni dans telles
comédies de M. .\loxandre Dumas : L'Ami des Femmes, le Demi-
Monde. Tout cela est bien long et dégage un vieux parfum do
moisissure.
Quaq,t au comique, un peu pincé, do Victorien. i,"a ne vaut pas
le rire aux larmes de cet exoilleni Labiche.
Cependant, un Benoilon extraordinaire. .M. Charvet, — les
invraisemblances de la-pièce, — une sensationnelle .Vdolphine où
A (•*
^
102
UART MODERNE
la hidcurde M""-' Pomineret esl une Ijipnnc forluno, — les cheveux
roux sanglants, la robe rose et ceinture vcrl-pommc de M"" Arscl,
— la précoce expérience de vieux cabotin du petit Henri Desnoyer,
Fanfan Benoiton, — la crànerie gamine de M''* Chesneau en
Tliéodule •."c'est, au long de ces cinq actes, de suffisantes
distractions.
F.cs autres interprètes sont excellents et suffisants : traditions
du Conservatoire.
L'ART EN ANGLETERRE DEPUIS 1880
L'Exposition universelle a suggéré à un rédacteur du Nineteenth
Century, M, Huisli, ridée de passer en revue tout ce qui s'est
fait depuis dix ans en Angleterre dans le domaine de l'art. Son
étude esl pleine de renseignements curieux : en voici quelques-
uns qui ne peuvent manquer d'intéresser nos lecteurs.
L'ensemble des sommes volées par le Parlement et dépensées
depuis i 880 pour les besoins artistiques de la nation s'élève à
fi millions 453,000 livres sterling, dont 315,762 livres sterling
(environ huit millions de francs) pour la National Gallery. Celte
dernière somme elle-même se décompose en 112,415 livres pour
l'administration, 64,500 pour ouverture de nouvelles salles, et
138,847 pour achat de peintures.
La National Gallery possédait, en 1880, 1,040 tableaux : elle
en possède aujourd'hui 1,270. Les principaux achats de ces dix
dernières années sont ceux de la Madone Ansiciei de Raphaël
(70,000 livres), du Cliarles j"' de Van Dyck (17,500 livres), du
Philippe /F de Velasquez (6,300 livres), de V Assomption de
Bolticelli (4,777 livres), de la Vierge avec saint François du
Pérugin (3,200 livres) et de la Circoncision de Luca Signorelli
(3,150 livres). En outro, de nombreuses innovations ont été
réalisées : des 1,270 tableaux, il ne reste plus aujourd'hui que 80
<iui ne soient pas sous verre; cinq nou\elles salles ont été créées
vl ont permis un classement plus suivi ; la galerie, au lieu détrc
fermée en octobre et avril, comme autrefois, esl ouverte toute
l'aniiéi', tous les jours, sauf le dimanche; elle esl ouverte l'élé
jus((u'à sept heures et demie.
Les Galeries Nationales d'Ecosse et d'Irlande n'ont reçu que peu
(le subventions et ne se sont guère agrandies.
La Galerie Nationale des Portraits, à Londres, fort mal installée
jusqu'à ces dorniers temps, vient d'être mise en possession par
un bienfaiteur iinonyme, de 100,000 livn s, qui pernieliront de
la transporter dans un local plus convenable. C'est également à
la générosité d'un particulier qu'Edimbourg est redevable d'une
Galerie Nationale de Portraits.
Le total des sommes dépensées depuis 1880 pour le British
Muséum est de 1,138,000 livres, dont 258,000 pour acquisition
d'objets divers. Les collections se sont énormément enrichies;
plus de 7,500 gravures sont venues s'ajouter^^u fonds ancien.
Le nombre oes, écoles d'art a également augmenté: au lieu
d'être, comme en 1880, de 146 avec 29,000 élèves, il est aujour-
d'hui <lc 213 avec 42,000 élèves. /*
Au contraire des deux Musées cités plus haut, le South Ken-
singlon n'a guère fait de progrès depuis 1880. Les acquisitions
nouvelles fl'objets d'art ont monté k la somme de 100,009 livres,
mais plusieurs ne sont pas 1res heureuses; et un très grand
nombre .d'objets de valeur ont été transportés dans des Musées
provinciaux. 11 faut pourlant ajouter que le South Kensinglon
s'e&l enrichi d'une bibliothèque et de plusieurs donations impor-
tantes, entre autres les porcelaines, miniatures, etc.,- de M. John
Jones.
M. Huish se plaint de ce que les commandes officielles aux
artistes soient, en Angleterre, plus rares el moins largement
payées que dans les autres pays. Pourtant la fresque du Souih
Kensinglon a été payée à Sir F. Leighton 3,000 livres
(75,000 francs); un sculpteur a reçu 150,000 francs pour une
statue de lord Beaconsfield. Dans quel autre pays M. Huish a-l-il
vu des commandes mieux payées?
Il reconnaît, <railleurs, que jamais les artistes n'ont reçu autant
de distinctions honorifiques : MM. Leighton, Millais, Bœhm,
Walker, ont été créés baronnets; MM! Douglas, Linlon, Blomfield,
Robiûson, Newion el Brierley, chevaliéî^s.
La Royal Academy a considérablement agrandi le local con-
sacré h ses Expositions. Le nombre total des œuvres exposées
depuis 1880 est de 82,789. Chaque année, le nombre des tableaux
exposés augmente : le nombre des visiteurs, au contraire, tend
sensiblement à diminuer, ce qui s'explique par la multiplicité
croissante des Expositions (;ivales. Celles-ci sont nées ces temps
derniers en telle quantité, qu'il esl impossible de les citer toutes :
nommons seulement l'Institut des Peintres à l'Huile, les Peintres-
Graveurs, le Club d'Art Anglais el les Pastellistes. En 1880, il y
a eu en tout 6,000 tableaj^x exposés à Londres; en 4889, il y en
a eu plus de 11,000.
En 1880, il/fffcxistait guère dans les provinces anglaises qu'un
seul Musée important, celui ée Liverpool : il y a aujourd'hui, dans
la plupart des gi^âml^ villesjde remarquables Musées, au premier
rang desquels esl venu se placer le Musée Municipal de Birmin-
gham, recevant lous les ans plus d'un million de visiteurs, el
possédant une collection de peintures évaluée à deux millions de
francs.
Les Expositions de Manchester (en 1887) et de Glasgow (en
1888), ont eu l'imporlance de véritables événements artistiques.
A Sidney, à Melbourne, à Ottawa, dans le Canada, de nouveaux
Musées ont été ouverts. Des sommes considérables leur ont été
atfeciées. La galerie de Sidney esl dès à présent en possession de
nombreux spécimens de toutes les écoles de peinture.
Le prix des œuvres d'art, dans les ventes, esl resté fort élevé.
Voici les principaux événements dont a été témoin depuis dii^ans
le marché anglais :
En 1882, la collection Hamilton a produit la somme de
397,562 livres (près de dix millions de francs); une paire d'ar-
moires Louis XIV y a été vendue 12,075 livres; une commode
Louis XVJ, 9,450. En 1883, une gravure de Rembrandt, le
Docteur Van Toi, a été adjugée 1,500 livres (37,500 francs),
En 1884, à la vente Fontaine, un plat de Limoges s'est vendu
7,303 livres (182,625 francs). En 1887, à la vente Lonsdale un
portrait de Madame de Pompadoitr, par Boucher, s'esl vendu
239,875 francs. Il faut ajoutera cette petite liste de prix maxima.
la vente en 1884 de trois tableaux de la collection de Blenheim :
la Madone Ansidei {10, y)00 livres) el deux Rubens (50,000 livres).
Il resterait une dernière question à trancher. Depuis dix ans,
l'art anglais a-t-il été en progrès ou en décadence? Les in^lrcs
de génie se sont-ils faits, plus nombreux ou plus rares. Et la
somme de talent chez les artistes anglais a-l-elle grandi ou dimi-
nué? Mais c'est un point sur lequel il semble que la statistique
n'ait pas encore statué, car M. Huish a tout à fait omis d'en
faire mention dans son intéressant article du Nineteenth Cenlury.
T. W. [La Chronique des Arts.)
IJART MODERNE
103
Petite CHROf^iQUE
Le TlitVilrc-Librc donnera ce soir, au iliéâtrc du Parc, sa
dernière reprC'Sciilaiion. Le spectacle se, composera de l'Ecole des
Veufs (irois actes) ot des Inséparables (trois actes), de M. Georges
Ancey.
M. Anloiiie compte mettre \\ l'étude, pour ses plus prochains
spectacles, les œuvres suivantes : La Tante Léontine, par
M. Maurice Boiùface ; les Revenants d'Ibsen, traduction du
comte Prozor; la Fille Elisa de J. et E. de Concourt, adaptée
par M. Jean Ajalbert; la Pêche, par M. Henry Céard.
Le troisième concert du Conservatoire aura lieu aujourd'hui,
dimanche, à 2 heures. On yexécutera Orphée, tic Gluck, et deux
ouvertures, l'une de Beethoven, l'autre de Mendolssohn. Les
solistes sont: M"'^" Desvignes (Orphée), Cornélis-Servais (Eurydice),
et Dyna Beumcr (l'Amour).
Samedi passé huit jours a eu lieu, au théâtre des Galeries Saint-
Hubert, une représentation au bénéfice d'une charmante artiste
dont la direction de M. Bahier eût bien fait d'utiliser davantage
le talent sympathique, simple et distingué : M"** Madeleine Max.
Elle a joué le Pater de Coppée, et Jean-Marie de Theuriet, et a
été fort applaudie par un public peu nombreux mais d'amateurs.
Nous l'avions entendue précédemment dans \^ Porteuse de Pain
où elle a doublé avec succès M"eRoybet. Nous sommes convaincus
que si on lui donnait l'occasion de perdre la légère timidité qu'elle
a encore, M*"* Madeleine Max prendrait une fort bonne place dans
nos troupes de comédie el de drame.
M™* Materna, qui s'est fait entendre récemment, avec un très
grand succès, aux Concerts Lamoureux, a été l'objet d'une mani-
festation artistique à l'hôtel où elle était descendue.
Un flacon, en jaspe, monté en argent délicatement ciselé et
enrichi de pierres précieuses, lui a été offert ainsi qu'un carnet
en maroquin du Levant, contenant, avec les signatures des dona-
taires, cette adresse :
« A Madame Materna,
« Quelques Français, admirateurs de voire talent, vous prient,
Madame, d'accepter ce flacon en souvenir de vos nouveaux éuccès
à Paris.
« Ils se réunissent pour exprimer à l'interprète inspirée du
Maître le désir sincère de l'applaudir souvent encore à Bayreulh
et ici. »
Paris, mars 1890.
Le flacon à parfum est enchâssé dans un élégant écrin, sur
lequel on a gravé cette légende en lettres d'or : ^
« A Madame Materna »
Paris, i890.
« L'Arabie n'a rien de meilleur » *"
{Parsifal, i^'^ acte).
M""' Materna doit se faire entendre de nouveau à Paris l'an"
prochain.
Une publication nouvelle vient de paraître à Liège, à la librairie
C. Brandi. La Revue des Sciences el des Arts donne tous les mois
une livraison de 32 pages. Parmi les collaborateurs figurent la
plupart des professeurs à l'Université de Liège, M^L, ^ile
de Lavcleyc, Delbœuf, Hubert, Thiry, Dwelsauwers, puis MM. le
docteur Jorissenne, Dupont, Mahaim, Van der Maescn, etc. L*^
prix d'abonnement esl de 8 francs par an. Bureaux : 46, rue de
ri'niversité.
Les Hommes d'aujourd'hui, l'intéressante publication du
libraire Vanicr, contiennent, dans les derniers numéros parus,
les portraits au crayon et à la plume de CxMiLt.E PrssAURO (dessin
de Lucien Pissarro, Icxie de Georges Lecomte), Mëissonier (dessin
de Luque, texie de Pierre et Paul), Lucien Descaves (dessin de
Rcboul, texte de J.-K. Huysmans).
Il vient d'être décidé qu'une exposition internationale d'instru-
ments de musique de toutes sortes, de partitions originales,
d'autographes,' lettres, portraits, photographies, de tous les musi-
ciens célèbres, aura lieu à Vienne dans le courant du mois
d'aoïll. —-,•-,,,_- —
Celte exposition coïncidera avec le festivaJ du Sangirbund, qui
réunira, dit-on, douze mille choristes.
On nous -écrit de Lisbonne :
Lohengrin vient de remporter au San-Carlos un succès, sinon
bruyant, du moins d'une portée artistique considérable ; le public,
trop habitué aux guirlandes des opéras italiens, a certes dû faire
un effort pour s'assimiler les beautés dé l'œuvre de Wagner, mais
il esl, au fond, trop musicien pour ne pas accentuer ses marques
d'admiration aux représentations suivantes. L'interprétation esl
de premier ordre : Brogi a fouillé dans tous sos détails le rôle de
Lohengrin, la Teir.izzini a chanté Eisa de sa plus belle voix, et la
Pasqua a mis en pleine lumière les phrases de haine d'Ortrude.'
Le duo des deux femmes au deuxième acte a été bissé, et l'on a
acclamé l'arrivée de Lohengrin, chantée el joude surtout en
perfection par les chœurs, de vrais Meininger.
A sa représentation d'adieux, M"« Van Zandl s'esl présentée en
scène dans le même étal qu'à sa célèbre représentation de Paris;
elle a bredouillé le styriéhne de Mignon et esl resté en plan
dans l'air dos bijoux de Faust; aussi a-t-clle été copieusement
sifïlée.
La Tetrazzini, qui va l'an prochain à Madrid, a obtenu un
triomphe dans Othello de Verdi ; quand donc une dirociion intel-
ligente vous fera-t-elle connaître celle belle œuvre, vingi fois
supérieure à Salammbô. -^
M""* Cosima Wagner a arrêté dès à présent la distribution du
Tannhduser qui figurera parmi les œuvres qui seront exécutées en
4891 au théâtre de Bayreulh. Le rôle de Tannhâuscr sera tenu
alternarivement par MM. VanDyck, Alvary, el Winckelmann. Pour
le rôle du landgrave, M. Blauwaerl esl dès à présent-engagé comme
nous l'avons annoncé. Wolfram, ce sera M. Reichmann, de Vienne ;
Elisabeth, la belle M™* Sucher, de Berlm, el M"'» Mika Termina,
une nouvelle étoile, paraît-il, actuellement à Brème. M""* Wagner
se propose de suivre exaclemenl la mise en scène des représen-
tations de 1861 à l'Opéra de Paris, auxquelles Wagner avait
présidé. 11 va sans dire que l'œuvre sera exécutée en entier,
sans une suppression.
Une faute de typographie, trois fois reproduite avec une insis'
lance fâcheuse, nous fait attribuer à Eugène Monsen l'alerte petite
brochure intitulée Coups d'éperon dont nous avons rendu compte
dans notre dernier numéro.
Il s'agit de M. Eugène Monseur, professeur de litlératïire
grecque el latine el d'histoire comparée des litléralurts modernes
à l'Université de Bruxelles.
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Gustave Sandre.
VIII et 379 p. gr. in-8o. Prix : broché, 10 fr.; reli^^ 12 fr.
Ce livre, dans lequel l'auteur a cherché à remplacer l'étude pure-
ment théorique et abstraite de l'harmonie par des exercices pratiques
de composition .libre, fut accueilli, dès son apparition, par une
faveur marquée. La présente traduction mettra le public français à
même d'apprécier un des rares ouvrages d'enseignement musical les
plus estimés en Allemagne.
Bruxelles. — Irap. V* Monnom, 26, rue de l'Industrie.
Dixième année. — N" 14.
Le numéro : 25 CENTIMES.
Dimanche G Avril 1890.
L'ART MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Comité de rédaction » Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, un an, ,fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. —ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser toutes les communications à
l'administration générale de TArt Moderne, rue de Tlndustrie, 26, Bruxelles.
Sommaire
- Une actrice célèbre. — Le demi-monde. — Au Conservatoire :
Quatrième concert. — Conservatoire de Liéoe : Dernier concert.
— Cueillette de livres. — Chronique judiciaire des Arts. —
Petite chronique.
UNE ACTRICE CÉLÈBRE
Les actrices du xviu» siècle. — Mademoiselle Clairon, d'après
s€s correspondances et les rapports de police du temps, par
Edmond de Concourt. Paris, Charpentier, 1890, in-S» de vi!i-5'.?4 [k
Depuis que Jules de Concourt est mort, Edmond de
Goncourt ne fait plus d'art, en littérature. Souvenez-
vous de la scène finale des Frères Zemganno, quand"
le cadet, les jambes cassées, fait promettre à son frère
qu'il ne fera plus, plus jamais, le bel acrobatisme pour
lequel, Bohémiens, ils étaient nés. Non ! plus jamais, crie
l'aîné; je ne veux plus être qu'un râcleur de violon ! Et
le cadet s'endort apaisé. Cette légende symbolise la
vie dtr'Goncourt survivant.
Plus d'art ! Des recherches, des chasses patientes aux
curiosités historiques. Des archives fouillées, des docu-
ments mis au jour, des accumulations de fait«, avec le
désir de démolir, ou, au moins, de rectifier les idées
reçues. En longues séries, des révélations, produites sans
entrain, pour tuer le temps, dirait-on, ce temps si long,
si lent, de la vie si courte, si rapide.
Edmond de Goncourt a laminé ainsi Sophie Arnould,
puis M^edeSaint-Huberty. Il vient de faire de même pour
M''^ Clairon. Et il prépare la Guimard. On dirait qu'il
rabote des planches, par hygiène intellectuelle, par
besoin de se désœuvrer, et quand une est achevée à son
gré, il en met en rabotage une autre, résolu, résigné à
aller ainsi jusqu'à la mort.
Ces livres fluent le long ennui monotone, la page écrite
en des dispositions moroses. Maderaoiselle Clairon sur-
tout. Plus de cinq cents pages, également ternes, sans
un mot plus haut que l'autre, tel qu'un rapport acadé-
mique, très nourri, très érudit, mais gris, gris, gris.
Et dans le coloris interminable de cette' grisaille, on
suit l'auteur vieilli et respecté, l'écoutant \ s'étonnant
de le trouver désormais si blasé sur les merveilleux
tours de force qui l'occupaient aux jours lointains de sa
virtuosité littéraire, mais charmé pourtant, soit par le
souvenir de ces belles fantaisies, soit par l'intérêt de
son récit.
Car ces actrices du xviii« siècle sont d'étranges, cho-
quantes et séductrices personnes. Les grandes, s'entend.
De même les grandes de ce siècle-ci. Il est< en eflét, entre
ces femmes de théâtre une mystique et fantastique pa-
renté qui vaguement pousse qui les connaît ou les étudie
à des idées de métempsycose. Ne renaissent-elles pas
J
r
ces folles de génie, ù l'âme inquiète, tourmentées sans
cesse et sans cesse tourmentantes, enivrant et martyri-
sant qui les adore, et laissant cette impression très âpre
à toutes les admirations et à toutes les passions, de
l'inachevé, de l'inassouvi, avec le désir de recommencer,
d'essayer à nouveau, d'aller enfin jusqu'au bout des
ténèbres de ces mystérieuses natures, inconnues d'elles
surtout.
Elle se révéla double, celle dont nous parlons aujour-
d'hui, énigmatique et bi-frons. Effroyablement courti-
sane sous le nom de Frétillon. Prodigieusement artiste
sous le nom'de Clairon. Messaline et Melpomène selon
l'heure et l'occasion. Déesse par le haut du corps, le
visage et la voix divinement doués pour rendre tout le
clavier de l'âme. Infernale par le bas, insatiable, ignoble.
Une figure expressive, des yeux de flamme d'où jail-
lissait la compréhension passionnée de son rôle, une
mobilité de traits donnant à sa physionomie une énergie
fiévreuse, de la noblesse, de la fierté dans son maintien,
ses attitudes, sa gesticulation, ses mouvements, ses
coups de tête. Elle avait la face nerveuse que demande
cette profession fatigante. Hérault de Séchelles raconte :
" Un jour, M"^ Clairon s'assit dans un fauteuil et sans
proférer une seule parole, elle peignit avec le visage
seul, toutes les passions, la haine, la colère, l'indigna-
tion, l'indifférence, la tristesse, la douleur, l'amour,
l'temanité, la gaieté, la joie... Elle peignit non seule-
ment les passions elles-mêmes, mais encore toutes les
nuances qui les caractérisent : dans la crainte elle
exprima la frayeur, la peur, l'émotion, le saisissement,
l'inquiétude, la terreur ".
C'est la déesse ! Voici la goule. Un rapport de police
du 18 septembre 1748, volume XII des Archives de la
'Bastille, porte : « Cette fille passe pour un des tempé-
raments des plus forts, des plus passionnés, et pour la
demoiselle la plus lubrique. Elle crie dans l'action, qu'il
faut fermer les fenêtres [sic) » . C'est à ce côté nymphomane
que s'applique le nom de Frétillon, « la trémoussante,
l'active, l'infatigable Frétillon, la sensuelle Clairon, aux
cris indiscrets dans ses ébats amoureux ». Avide aussi,
gaspilleuse en ses passades et ses fantaisies, ses quitte-
ries, ses festoiries journalières qui eurent un temps
pour logis orgiaque, l'ancien appartement de Racine,
petite rue du Marais, où il avait habité quarante ans.
Dès ses débuts au Théâtre-Français, elle tourne la tête
à Grandval, le beau des beaux, le comédien aimé entre
tous, le guerluchon ayant grugé toutes les actrices et
toutes les filles qui lui avaient passé par les mains. Et
elle, la Clairon, en sept mois, elle savait lui tirer assez
d'argent pour qu'on fût obligé de lui accorder une
représentation à bénéfice. Puis, ce fut un gentilhomme
breton, M. A. Senan, ruiné en moins de rien et qui se
rompt une veine. Pul^, un Espagnol, le marquis de
Cortès. Puis, un Polonais, le comte Bratocki, qui en
moins de quatre mois perdit carrosse, diamants, taba-
tières et fut obligé de prétexter un deuil pour pouvoir,
sans honte, arborer l'habit noir. Et des amants qui
échappent aux investigations de la police! Enfin, un
M. de Jaucourt, un charmant officier de dragons, dont
il est ainsi parlé dans les Archives de la Bastille :
a Le public a trouvé un vengeur dans ce personnage.
Il l'a vengé des rapines de cette harpie, et il a trouvé
le secret d'entretenir, pendant quelque temps, un équi-
page, en faisant rendre gorge à cette sangsue ». Tout
cela fut interrompu par une maladie de matrice.
A ces divulgations terrifiantes, Edmond de Goncourt
se complaît. Il a cette justice amère des vieillards et des
désillusionnés qui lèvent les jupes de la vie pour montrer
ses ulcères. Il débute par ceci : « Voici une biographie
écrite au moyen du secret d€s correspondances intimes
de M"" Clairon, à l'aide des révélations des rapports de
police du temps sur sa vie privée ; voici une biographie
qui restitue le personnage de la femme dans sa réalité
crue, en le terre-à-terre inconnu de son existence d'il-
lustre tragédienne et de quasi-princesse allemande, qui
la peint, cette originale, avec les jalousies, les intolé-
rances, les tyrannies de son caractère, et les faiblesses
les vices et les côtés terriblement humains de la femme,
aux lieu et place de l'être conventionnel, de la créature
idéalement accomplie et toujours en veiiette., que nous
rencontrons dans le roman de ses Mémoires. "
Car elle écrivit ses mémoires, cette détraquée illustre,
aux jours, affreusement lourds, de sa retraite, de sa-
vieillesse, de ses infirmités. Et ce fut une apothéose!
Dans un style qui semble la mise en prose des grands
vers cornéliens dont elle avait nourri sa mémoire. Un
très beau style d'homme, pompeux et fort, profond de
tous les' souvenirs que lui avaient laissés les grands
hommes de son temps qu'elle avait tenus tous, oui tous,
dans ces conjonctures intimes si révélatrices que Cham-
fort a pu dire, qu'à moins d'y avoir été à deux, on ne se
connaît pas. De longues phrases lapidaires, auxquelles
elle s'était à ce point accoutumée que nàême, dans les
minuties de la vie quotidienne, elle les employait, La
recherche, la poursuite psychologique des personnages
du passé, le travail d'identification avec le"s reines et les
princesses de l'antiquité, étaient continuées dans les
actes les plus simples, les plus plats, dans les détails
domestiques de la chambre à coucher, de la salle à man-
ger, du boudoir. Elle demandait son éventail ou son
carrosse dû ton d'Agrippine, elle parlait à son laqueton
comme^urJ^héâire au commandant de ses gardes. De
la digirire~^gu8te, elle en mettait partout et en tout.
On raconte qu'un jour la princesse Galitzin, étant allée
la voir et la trouvant malade sur sa bergère, lui demanda
plusieurs fois où était son mal. M"^ Clairon de ne pas
répondre. La princesse d'insister. A la fin, impatientée,
la tragédienne répond : « Au cul, princesse ! » Et cela,
sur un ton si noble, que la princesse déclarait que
M"* Clairon, en prononçant cette phrase» lui avait éton-
namment imposé.
Cette anecdote héroïco-comique est de celles que M. de
Goncourt rappelle volontiers. Il ressent un plaisir rageur
à moijtrer les misères de ces divinités de théâtre si ingé-
nument grandies, par la foule, aux proportions olym-
piques. C'est ainsi qu'il ne manque pas de donner en
note, certain état de réparations d'un appartement
qu'elle prend en location, rue du Bac, au pied duquel
on trouve sa signature de femme célèbre, et qui con-
tient des mentions comme celles-ci : « Premièrement
supprimer le siège d'aisance, près le premier étage de
l'appartement, dont l'odeur incommode. Ouvrir une
porte sur le petit escalier pour dégager la chaise percée
du premier. Rétablir la fosse d'aisances de fond en
comble "• *
Mais dans la vie complexe et cahotante de M"^ Clai-
ron, il y a aut^e chose, et mieux. Il est digne d'elle, et
juste, d'y venir. ;
Tout grand artiste dramatique est préoccupé de faire
mieux et sa cervelle est sans cesse à la recherche d'un
nouveau, apportant à son jeu quelque chose de plus
original, de plus personnel. Il lui vient l'ambition de se
contenter lui-même, et le gros succès près de la multi-
tude, qu'il sait si facilement emporter, au moyen de
grands éclate de voix et de gestes immenses, ne le satis-
fait que médiocrement. Il arrivait donc que ce qu'ap-
plaudissaient, chez M"^ Clairon, les chefs de meute,
ainssi qu'elle les appelle, ne lui paraissait plus mériter
d'applaudissements et ces applaudissements ne lui
étaient de rien; elle les eût voulu autres, et d'après
une certaine vo\± intérieure qui parlait en elle. Et
lorsqu'elle jouait, elle cherchait le vrai connaisseur
qui pouvait être dans la salle, et jouait pour lui,
et à défaut de ce connaisseur, jouait pour elle-même.
W^^ Clairon, par la réflexion, par son sens d'artiste,
était tentée par la diction ordinaire et l'action natu-
relle.
Cette disposition aventureuse de son esprit, cette ten-
dance à la découyerte dans le domaine tragique furent
peut-être éveillées, ou au moins encouragées, par les
remarques et les observations de son amant Marmon-
tel. Il était en dispute réglée avec M"'" Clairon, à propos
de son jeu, auquel il trouvait trop d'éclat, trop de
fougue, pas assez de souplesse et de variété, reprochant
surtout à l'actrice une force qui, faute d'être modérée,
donnait trop à l'emportement et pas assez à la sensibi-
lité.
Un jour, elle se décidait, et avec sa nouvelle décla-
mation, et sonjeît au naturel, comme on disait, elle
était admirable dans V Electre de Crébillon, et plus
sublime encore, quelque temps atj^ès, dans V Electre de
Voltaire, que l'auteur avait eu, jusque-là, la malheu-
reuse idée de lui faire déclamer dans une lamentation
continuelle et monotone.
La déclamation simple et l'action naturelle devaient
amener forcément la réforme du costume de convention
inventé et créé pour la tragédie, lorsqu'elle était une
sorte de ballet, une espèce d'opéra, et avec cette réforme
. la mise au rancart des agréments de la broderie, des
pompons, du clinquant de l'habit de théâtre. Un soir
qu'elle devait jouer Roxane, sur le petit théâtre de
Versailles, Marmontel allait lui faire visite à sa toilette,
et était surpris de la trouver sans panier, les bras demi-
nus, presque dans la vérité d'un costume oriental. Et
Diderot d'imprimer : Une actrice courageuse vient de
se défaire du panier et personne ne l'a trouvé mauvais.
M"* Clairon eut une ambition plus haute que de resti-
tuer aux figures du passé leurs vrais habits, elle chercha
à les faire revivre, ces figures, dans la particularité de
leur temps, de leur pays, de leur nationalité. L Amour,
• la Haine, l'Ambition, ces passions sur lesquelles
s'exerce l'Art tragique, elle veut que l'acteur ne les
représente plus, comme des mouvements de l'âme, en
tout semblables, sous toutes les latitudes, et à toutes les
époques du monde, elle veut qu'il apporte à les rendre,
un tact, une science rétrospectives, et ne les joue plus
dans son ignorance de l'histoire, avec ses propres senti-
ments et sa façon d'être habituelle. Pour être grand
acteur tragique, il ne parait plus suffisant à M"* Clairon
d'avoir le don d'une vcJîi^onore, d'accents émotionnants,
et d'entrailles, et d'un cœur, et d'une intelligence dra-
loatiques.il faut que l'acteur, et c'eiWacteur des temps
Modernes, touche son public par des sentiments teintés,
des mœurs, des milieux, des époques, où les personnages
ont vécu.
A tenter cette réforme, non seulement Clairon.faisait
preuve d'un certain courage, mais elle montrait encore
un désintéressement, un esprit de sacrifice à la gloire
de son art, qu'on ne rencontre pas tous les jours.
Comme si le carnavalesque de l'ancien habit de
théâtre sautait, tout à coup, aux yeux, c'en était fait
dès lors des capitaines grecs ou romains apparaissant,
au retour d'une victoire, dans ce fameux tonnelet, auquel
était adapté un petit jupon, c'en était fait, pour les
femmes, des grands paniers, des robes de cour, des dia-
mants dans les cheveux, des fourreaux garnis de bouil-
lons et de dentelles, des retroussis à gordous et à glands.
Le public ne voulut plus absolument voir Oreste reve-
nir poudré et frisé du temple, oCi il a fait assassiner
Pyrrhus, voir César parader en belle veste blanche, les
cheveux réunis à la catogan par un nœud de ruban,
voir Bayard débiter de vertueux hexamètres, vêtu d'un
habit chinois, et rasé et frisé comme un petit-maitredu
temps, voir Gustave-Adolphe sortir des cavernes de la
Dalécarlie, en surtout bleu céleste à parements d'her-
mine, voir enfin, Ariane et les autres figures de femmes
A
^
i .
tragiques de l'antiquité, sous les lambrequins de bro-
cart, avec lesquels Largillière habille et drape, à larges
plis, la Duclos.
Tel fut le côté social et vraiment grand de cette femme
extraordinaire, qui ne joua que vingt-deux ans. Née en
1723, elle quitta la scène prématurément en 1765.
Elle mourut en 1803, à quatre-vingts ans, à Paris.
Elle se tua en tombant de son lit.
Elle était née à Condé, fille naturelle d'une ouvrière
portant ce singulier nom : Scanapiecq. Son père était
un sergent, François Lerys. Elle avait pour prénom
Claire, dont elle fit Clairon, y ajoutani^on ne sait com-
ment, ni pourquoi : de Latude. Un jugement du 17 ven-
démiaire an XI, ordonna la radiation de cette appella-
tion nobiliaire dans son acte de décès. Quand elle entra
à l'Opéra, qu'elle avait d'abord choisi, elle changea son
sobriquet de Frétillon en celui de Clairon, et signifia
en ces termes sa volonté de ne plus être autrement
nommée : « Quiconque m'appellera encore Frétillon,
peut compter que je lui f. le meilleur soufflet qu'il
ait peut-être reçu de sa vie ».
Elle fut enterrée au cimetière de Vaugirard.
Dans tout cela que de traits qui s'appliquent aux
actrices célèbres de notre temps. Sublime et canaille est
une devise qui siérait à jîlus d'une.
LE DE3i/ri-M:01TDE
La comédie un peu prêcheuse, pas mal démodée, et longue !
longue ! malgré les coups de ciseaux donnés adroitement dans les
tirades, celte comédie qui a révolutionné une génération et qui
apparaît aujourd'hui singulièrement vieillie et lassante par le
labeur des imbroglios jugés nécessaires : le Demi-Monde, a élé
jouée cette semaine, avec toutes les traditions, par les chefs
d'emploi du Théâtre-Français, sur la scène de la Monnaie, trop
grande pour les spectacles de genre, devant un auditoire de
Jeudi-Saint, clairsemé et froid.
Après les soirées du Théûlre-Libre, après le bain d'art vrai,
neuf, vivifiant, que nous ont donné MM. Georges Ancey et Jean
Jullien, les paradoxales combinaisons d'Alexandre Dumas nous
ont laissé limpression de choses très lointaines, entrevues en rôve,
d'êtres morts, oubliés, brusquement évoqués, et gardant à travers
leur sourire la grimace de l'agonie. Ce péroreur d'Olivier deJalin,
ce benêt de Nanjac, celte baronne d'Ange chimérique, tout ce
peuple de fantoches mus par un Holden très adroit, çirfjBepv^îU^
leusemenl adroit! se sont agiles, trémoussés, sans nous faire res/
sentir le frisson sans lequel il n'est pas d'émotion artistique t^
pyrotechnie des mois amuse ; le vernis dont reluisent les ^rson-
nagcs éblouit par instants; l'intrigue qui marche 'd travers un
labyrinthe de situations inénarrables, avec, à chaque carrefour,
des lettres interceptées ou qui se trompent d'adresse, l'inlriguc
relient par le casse-tête de son mécanisme.
Mais l'humanité, la vérité, l'observation, la logique des carac-
tères, seuls éléments qui requièrent dans une comédie qui a la
prétention d'exprimer la vie, oè les trouver? En quels coins
obscurs Dumas les a-t-il rélégi^?
L'interprétation nous paraît en parfait accord avec ce ihéftlrc
faux et convenu. MM. Febvre, Worms, M""" Marcy, Barella,
Céline Monlaland en expriment miraculeusement le côté fac-
tice, artificiel, en comédiens impeccables. Ils savent l'art de
détacher le « mol », de décocher le « trait », sans en avoir l'air,
à l'avant-scène, de souligner avec adresse les paillettes qui font
dire : « Oh! ce Dumas! que d'esprit ! » Ils sont superlalivement
distingués, bien que tous les hommes entrent avec leur canne
dans les salons, ce qui, même en 4846, date de l'action, ne nous
paraît pas être le comble du chic. Ils ne tournent jamais le dos
au public. Ils oât même toujours soin, lorsqu'ils parlent, même à
un personnage qui tient le fond delà scène, de se tourner k demi
vers la salle. Ils s'expriment avec une correction merveilleuse.
Et ils sont viètus h la dernière mode de 1890, bien qu'il y a cin-
quante-quatre ans le costume différât quelque peu, sans doute, de
celui que nous portons. Et leurs gestes sont toujours nobles,
savamment calculés en vue de l'eifet décoratif. C'est très beau de
les voir, posilivemenl, et c'est une joie de les entendre. Ils sont
académiquemeni parfaits, Cabanellement irçéprochables.
Chose bizarre (ainsi sommes nous faits, hérésiarques que nous
confessons être) tout en applaudissant ces merveilleux acteurs,
cl énergiquement, certes, notre pensée s'en allait vers un théâtre
où des artistes rtioins distingués et qui ont l'impertinence de tour-
ner le dos au spectateur quand la situation commande celte
inconvenance, joyent sans aucune pose, parfois très bien, parfois
médiocrement, des pièces où il y a moins de lettres interceptées.
Et le souvenir nous hantait des réconfortantes soifées qijc ces
comédiens pas sociétaires ni pensionnaires nous ont, de compli-
cilé avec des auteurs subversifs, offertes tout récemment, en une
semaine inoubliable -
Au Conservatoire.
ORPHÉE
^
Dans le cadre' de deux ouvertures, l'une, limpide et sereine, de
Beethoven, -^ l'ouverture en ut majeur composée pour l'anniver
saire de l'empereur François^t fort peu connue, — l'autre,
bruyante et emphatique, imprégnée d'un romantisme déjà lointain,
de Nendeissohn, — la Trompeten-Ouverlure (op. 101) — l'ad-
mirable partition d^luck a rayonné d'un vif éclat en ce dernier
concert taquiné par les chatteries du soleil et l'éclosion des
premiers bourgeons.
Les quatre actes à' Orphée, un Orphée en toilette de ville,
sans décors, sans mise en scène, en rivalité avec les attirances du
Bois! l'entreprise était presque hasardeuse. Mais telle est la puis-
sance fascinatrice de ce drame émouvant, même réduit aux seules
nuances de la musique, que personne n'a bougé. On est venu, on
a écouté, on est resté. El il y avait dans la salle beaucoup plus
que les dix personnes que le directeur du Conservatoire a publi-
quement déclaré, à la répétition du jeudi, seules capables de com-
prendre la musique«qu'il fait entendre...
L'architecture pondérée et harmonieuse A' Orphée, le style sou-
tenu de ses quatre parties, l'accent tantôt dramatique, tantôt inef-
fablement affectueux de ses récils, de ses srfM^de ses ensembles,
^les formes souples de sa structure musioale conservent à l'œuvre
une éternelle jeunesse. Malgré la longueur relative de la partition
. / ■ . .
y
l'audileur demeufe sous le charme jusqu'au bout. El c'est avec un
intérêt croissant qu'on suit le héros dans ses pérégrinations' au
tombeau d'Eurydice, aux Enfers, aux Champs-Elysées, befcé
par une inspiration étonnamment pure et toujours élevée. Et
malgré l'orchestralion un peu uniforme, si magnifiquement déve-
loppée de nos jours, telles scènes instrumentales, le ballet des
Furies, entre autres, produisent un effet considérable.
L'interprétation donnée par le Conservatoire à l'œuvre de Gluck
mérite d'ailleurs tous éloges. M"« Carlotta Desvignes, chargée du
rôle principal, est une cantatrice de style,' dont la voix timbrée et
vibrante, spécialement dans les registres inférieurs, a fait une
excellente ijnpression. Sa diction est irréprochable : on n'a pas
perdu une syllabe. M""= Dyna Beumer a chanté le rôle de l'Arpour
de sa jolie voix flûtée, merveilleusement limpide. Au quatrième
acte, ses trilles lui ont valu une ovation enthousiaste. Dégagée,
enfin ! du répertoire bizarre dans lequel elle tirait ses trop brillants
feux d'artifices, voici M'^" Beumer classée parmi nos chanteuses en
vedette. L'effort est sérieux et le succès le récompense. Dans le
personnage d^Eurydice, enfin. M""* Cornélis a fait valoir ses qua-
lités habituelles de chanteuse de bonne école et de musicienne
accomplie, et M. ^nlhony mérite une mention spéciale pour l'art
délicat avec lequel il a exécuté le solo de flûte qui ouvre le troi-
sième acte.
Chœurs et orchestre ont été, selon la coutume, excellents.
CONSERVATOIRE DE LIÈGE
Dernier concert.
{Correspondance parlidulière de l'Art moderne).
Le Conservatoire vient de remporter un éclatant succès avec la
Damnation de Faust de Berlioz. Cette exécution est une des meil-
leures qu'il nous ait été donné d'entendre à Liège.
Nous félicitons très sincèrement M. Radoux. Il a entouré de
soins tout spéciaux l'étude de cette œuvre importante. Longtemps
-il l'a préparée, y consacrant beaucoup de son temps, n'épargnant
aucun effort. Aussi a-l-il obtenu un résultat inespéré. L'orchesire
s'est fait docile, il s'est plié aux rythmes de Berlioz, les nuances
ne lui ont pas échappé; pleinement il nous a satisfait. Les chopurs
ont marché à merveille, les voix féminines se distinguant parti-
culièrement.
Tout à fait remarquables les solistes : M"«* Lépine, de Paris,
MM. Bouhy et Vergnet.
A tort dit-on que Wagner a tué Berlioz. Il reste à ce dernier
une imagination riche, une vive» coloration, de la puissance. Sa
musique nerveuse jette du trouble dans l'ûmc et dans l'esprit.
Son orchestration est toujours savante, éion?N(mmenl. "^
De ces hautes qualités est marquée la Damnation de Faust.
Non qu'elle soit uniformément belle. Dans la troisième partie, le
duo de Fausl et de Marguerite et le trio qui suit m'impres-
sionnent peu ; je les voudrais d'émotion plus enveloppante. Le
Menuet des follets, d'un rythme assez banal, fatigue par sa lon-
gueur; certaines reprises des chœurs sont entachées de vulgarité;
de ci, de là, quelques fautes de goût. Mais quelle inspiration,
comme elle circule, débordante, dans toute l'œuvre! Quelle
variété de nuances! Que.de sensations, que de sentiments vive-
ment exprimés! Quelle belle analyse cl quelle poignante expres-
sion !
Dès le début, par le monologue de Faust nous sommes péné-
trés de l'âme tourmentée du héros, et plus âprement le mono-
logue de la seconde partie nous dit sa noire désespérance.
M. Vergnet les a chantés d'une belle voix persuasive. Et plus
intimement, à mesure que l'œuvre se développe, la cruelle tor-
ture et la complexité des sentiments de Faust nous- absorbent.
L'Invocation de Faust, dans la quatrième partie, est une page
superbe, d'une étonnante psychologie; le désespoir de Fausi
éclate en un cri déchirant d'une prodigieuse grandeur. M. Ver-
gnet a lancé cette invocation avec une vigueur cl une conviction
qui ont empoigné. ~ ,
L'hymne pascal ; Christ vient de ressusciter, reportant Faust
aux sentiments religieux de son jeune âge, est d'une grande élé-
vation; les chœurs l'ont très bien chanté.
La chanson de Méphisto : « Une puce gentille chez un prince
logeait », dite d'exquise manière par M. Bouhy, est d'une ironie
amusante et fine; et la fugue, si bien faite, qui la précède
est d'une drôlerie quelque peu satanique.
Presque lotJtes les parties d'orchestre seraient à citer. Remar-
quons la Scène pastorale et ballet des sylphes, parfaitcmerii exé-
cutés, les chœurs des gnomes et des sylphes, pendant le rêve d,-
Faust; de quelle douceur, de quelle tendre cl imprégnante
poésie!
Bien poétique aussi et combien brûlante de voluptueuses sen-
teurs, l'air de Méphisto : « Voici des roses ». M. Bouhy, avec sa
belle diction et d'une voix chaude, le chante à ravir.
La Marguerite de Berlioz, bien différente de celle de Gœthe,
est tout entière dans la chanson : « Autrefois ! un roi de Thulé »,
dans la très mélancolique romance : « D'amour lardente flanune »,
cl les deux scènes d'une grande intensité dramatique qui les pré-
cèdent: û.
D'une originalité grave, la ballade, peu légendaire, s'impose
par la parfaite harmonie qui règne entre son rythme et Tétai
d'âme de la jeune fille. M"« Lépine l'a chantée d'un très beau
style. ..^, .
Plus contenue, d'un talent plus sévère que ses partenaires,
M"« Lépine arqve, par une grande simplicité de moyens et sans
une voix bien éclatante, à produire une impression plus poi-
gnante. Elle charme par sa grâce attendrie, par la délicatesse des
mœurs ; elle est louchante dans la mélancolie, étreignanie dans la
tristesse. La voix sort sans effort. L'expression, pour sobre qu'elle
soit, est toujours puissante.
Certaines phrases sont dites avec un tel accent de sincérité que,
le drame continuant, elles vous hauient encore et que. par après,
dominant le souvenir, elles reviennent s'imposer à vous.
11 semble que M"« Lépine ait pénétré l'œuvre cl que l'émotion
qu'elle provoque soit celle qui l'a troublée.
Lorsque Faust, désabusé; lassé même de l'amour de Margue-
rite, désespéré, vend son âme au démon pour sauver, pourtant,
la' pauvre sacrifiée, alors commence la course à l'abime, el hale-
tant, terrifié, anéanti presî^ue, nous suivons l'infernal et fantas-
tique galop qui gronde magistralement à l'orchestre.
Une apothéose termine l'œuvre. Après l'effroyable chevauchée
c'est d'un brutal contraste. On regretterait que Berlioz n'eût ter-
miné paV la chute de Faust dans le gouffre, n'était le grandiose
récil : « Alors l'Enfer se tut » .cl .la reposante douceur de la
musique religieuse.
Cueillette de livrer
Au Caire, par E. Minnaert. — Extrait de la Revue de Belgique ;
- brochure de 34 pages.
M. Minnaert, qui fut conseiller à la cour d'appel du Caire, con-
tinue, dans la Rçvue de Belgique, la publication de ses impres-
sions de là-bas. La troisième partie, que nous recevons, contient
d'intéressantes descriptions du marché et du bazar du Caire, de
sa mosquée et de sa vie religieuse, de sa prison, d'un enterre-
ment et d'un mariage. M. Minnaert raconte ce qu'il a vu, en
homme qu'ont pénétré profondément la simplicité des Arabes et
l'accueil qu'il a reçu chez eux. 11 les aime et rien ne l'impatiente
comme les importations anglaises qui tendent à façonner le pays
à leurs modes. « Laissons, dit-il, laissons l'Orient à l'Orient: il a
sa grandeur, sa poésie, sa raison d'être religieuse et politique. Il
représente la frugalité dans le monde, la joie faite de peu, la
croyance en de sublimes vérités? » Et le fait est que tes rappro-
chemenls qu'il fait sans cesse entre leurs mœurs, leurs croyances
et les nôtres, ne sont pas toujours à noire avantage.
Fin de siècle. — Un acte, par Miluaur.
Fin de Siècle! un titre trouv<5 !
Les bonnes mœurs, représentées par le bourgeois lit commun,
opposées aux mœurs de canapé, dont une damç fait la théorie.
Cela amène quelques mots, mais si peu de conviction que l'on se
demande de quel côté penchent les sympathies.
Notez que les personnages vertueux ont vingt-cinq ans de plus
que les autres, ce qui nuit à la démonstration dont s'alourdit cet
acte léger. •
Les monuments mégalltlkiques de Sol'wraster, par Charles
O. CoMHAiRE. — Liège, H. Vaillant-Carmanne, mars 1889. Bro-
chure in-I2 de 20 pages, avec plans.
A ceux qui s'intéressent au dolmen et aux cromlechs de Sol-
waster, signalons cette petite brochure qui les décrit minutieuse-
ment et qui, antérieure au livre de M. Harroy dont nous avons
rendu compte (1), a le mérite d'avoir abordé un sujet que d'autres
ont,* depuis, plus amplement développé.
f HRONiqUE JUDICIAIRE DE? J\rT?
Basse ou baryton?
Le tribunal civil de Dresde vient d'être appelé à se prononcer
sur un cas assez original. Il s'agissait de décider sr -le plaignant,
un chanteur du nom de Kiefer, est une basse ou un baryton ! Voici
les faits : Il y a quelques années, M. Kiefer, — qui depuis s'est
produit avec succès dans les concerts de Dresde, — se présenta
chez les professeurs Wullner et Stolzenberg pour connaître leurs
avis sur ses facultés vocales. Des deux côtés, on lui assura qu'il
disposait de moyens suffisants pour tenir l'emploi des basses.
M. Kiefer ne se tint pas pour suffisamment édifié et s'adressa à un
professeur de Dresde, M. Armin von Bohme, qui lui déclara que
sa voix n'était pas celle d'une basse, mais bien celle d'un barytt)n.
Ce témoignage parut à M. Kiefer plus digne de foi et il suivit
(1) V. notr&jjuméro du 12 janvier dernier.
les leçons de M. von Bohme, s'engageant à les lui payer à raison
de dix marks. Il y eut désaccord au sujet du règlement. Un pro-
cès s'ensuivit, et M. Kiefer fut condamné à payer à M. von Bohme
800 marks çn tout pour prix de son enseignement. Pourtant
M. Kiefer déclara qu'il était prêt à ajouter 3,000 marks à celle
somme, s'il réussissait, avec linstruction que lui avait donnée
M. von Bohme, à obtenir un engagement de chanteur dramatique.
Ce vœu ne se réalisa pas, malgré tous les efforts de M. Kiefer.
Partout il reçut la même réponse : « Vous n'êtes pas un baryton,
mais une basse ». Au comble de la perplexité, notre chanteur s'en
fut auprès du directeur général de musique, le conseiller royal
Schuch, qui, sans hésiter, lui certifia qu'il avait une voix de
basse, nettement caractérisée. Cette appréciation reçut la confir-
mation d'une autre autorité musicale, le professeur G. Scharfe.
M. Kiefer se décida alors à poursuivre son ex-professeur. Il fit
valoir que par suite de la fausse direction donnée à ses études
vocales, sa voix avait élé forcée hors de son registre naturel, et
développée à l'aigu alors qu'elle devait l'être au grave. En consé-
quence, il demande : 1° l'annulation de son contrat envers M. von
Bohme; 1° le paiement par celui-ci de 4,500 marks de dom-
mages-intérêts et d'une autre somme de 2,000 marks comme
compensation pour le temps perdu pendant vingt mois, qu'il va
lui falloir consacrer k de nouvelles éludes, sans pouvoir rien
gagner. Avant de rendre son jugement, le tribunal a décidé d'en-
tendre des avis compétents et il a fait appeler les professeurs
D» Wûllner, Stolzenberg et Wermann. L'affaire en est là.
Petite CHROjsiiquE
F^a troisième matinée des Concerts populaires, fixée àdimanche
prochain, 43 avril, offrira un intérêt exceptionnel.
Le programme se compose d'un ensemble d'œuvres sympho-
niquesde l'Ecole russe moderne, exécutées pour la première fois à
Bruxelles, en partie inédites, et choisies de manière à donner
une synthèse tant du style de chacun' des compositeurs russes
contemporains que de la caractéristique générale du groupe. Ce
sera, pour les inusicîens, une bonne/ortune rare que d'entendre,
sous la direction d'un artiste de haute valeur, M. Rimsky-Korsa-
kow, cette sélection d'œuvres d'un art neuf et vivant.
M. Rimsky-Korsakow, arrivé jeudi de Saint-Pétersbourg, s'est
imposé du premier coup comme un chef d'orchestre de premier
ordre A en jugei par les répétitions, l'exécution sera irrépro-
chable. •
Ceci dit, voici le programme de Ceite attrayante séance :
Première partie : I. Grande Pâque russe, ouverture (N, Rimsky-
Korsakow). — 2. Symphonie en mi b majeur (A. Borodine),
première exécution.
Deuxième^ partie : 3. Ouverture sur Trois thèmes russes
(Balakirew)r — 4. Fragments symphoniques de l'opéra Le Fli-
bustier, poème xlc Jean Richepin (César Cui). — 5. Une nuit sur
le Mont Chauve (Kiew), fantaisie pour orchesire (M. Moussorgski).
— 6. Poème lyrique, andantino pour orchestre (A. Glazounow).
— 7. Capriccio espagnol pour gr^nd orchestre (M. Rimsky-
Korsakow). *'
La répétition générale aura lieu samedi prochain, 12 avril,
à 2 1/2 heures précises, à la Grande Harmonie.
\
VART MODERNE
111
M"" Suzanne Riclimond, qjjc nous avons applaudie au théâtre
du Parc dans nombre d(î créations auxquelles elle apportait sa
grâce de jolie femme et son raient de comédienne intelligente et
fine, vient d'être engagée à l'Odéon, où elle débutera au début de
la prochaine campagne. Nos félicitations, — et nos regrets.
M. Paul Saintenoy, architecle, secrétaire général de la Société
d'archéologie de Bruxelles, nous a adressé dei'niôi'cment une bro-
chure dans laquelle il examine et critique vivement la mise en
scène de Salammbô au point de vue archéologique. L'élude,
imprimée par l'Alliance typographique, est extraite de VEmula-
tion, organe spécial de la Société centrale TTarchileclure. Sa con-
clusion, en parfaite harmonie avec les observations que nous
avons présentées lors de la première représentation de l'ouvrage,
c'est que la mise en scène de Salammbô dénote le manque de cri"-
tique historique de l'art décoratif Ihéûtral en Belgique.'
On nous écrit de Paris :
Samedi dernier, k la Société nationale, concert avec petit
orchestre et choiurs. Le programme comprenait VActus tra-
gicus de J.-S. Bach (soli par M""' Slorm, MM. Auguez et Mau-
guière) ; des fragments d'une messe (offertoire et 0 Salutaris!) de
M. P. de Bréville, un air de Rédemption de César Franck, et les
deux premières scènes de Gwendoline de Chabrier (soli par
M"" Hellman et M. Mauguière).
Le concert à été un des plus brillanis qu'ait donnés la Société
nationale.
Assistance nombreuse et enthousiaste.
On a surtout applaudi l'admirable solo d'alto dans la cantate
de Bach, \'0 Salutaris! de M. de Bréville et la ballade de Gweji-
doline.
L'Exposition des peintres-graveurs qui vient d'avoir lieu dans
les galeries Durand-Ruel, k Paris, a obtenu un vif succès. Nous
apprenons que le gouvernement français, par l'intermédiaire de la
Direction des beaux-arts, a acquis les œuvres de plusieurs expo-
sants pour le Musée du Luxembourg. Parmi ces derniers figurent
M. Ch. Storm de s'Gravesande, dont on a vu récemment, au
Salon des XX, un cycle de dessins très remarquables,
J. et M. Maris, Ph. Zilcken, Van der Maarel, Miss Mary Cassait et
M. John Lcwis-Brown. Ce dernier avait exposé de superbes
lithographies.
C'est le théâtre du Vaudeville qui montera, k Paris, la pièce
nouvelle d'Henri Becque, les Polichinelles. Aux termes du contrat
qui vient d'être signé, le manuscrit doit être livré au plus lard le
!«■■ octobre. . ""
Une publication mensuelle nouvelle : Entretiens politiques et
littéraires, \\enl de paraître, en petits fascicules à 23 centimes.chez
l'éditeur Savine, à Paris. Le premier numéro (mars) contient
d'intéressantes études signées F. Viellé-Griflin, Paul Adam et
Henri de.>Régnicr (A propos du vers libre, Lignominie des politi-
ciens devant la question juive. Souvenirs d'un camarade de col-
lège sur le duc d'Orléans).
Amèrcs, mais justes, ces réflexions de M. E. Lepelletier dans
l'Echo de Paris ;
M La grande majorité du public frïrtiçais, qui est bien le public
le moins esthétique, le plus anti-artiste qui soit, se connaissant
en peinture comme un chaudronnier en dentelles do Malines, ne
va au Salon que parce que, le. printemps venu, il faut y avoir
été. Le vernissage est un des plus tenaces préjugés de notre
temps. Un gentil préjugé. Les femmes y sont charmantes en
toilettes claires, et fumer un cigare dans le grand jardin d'en bas
vautencort) mieux que d'aller au café. Et puis, il faut se montrer
là. C'est de rigueur, ça coupe l'année. Une ère, une tradition. La
grande coutume de Paris, qui est moins féroce qu3 celle du Daho-
mey. On n'immole que des réputations, et ron.ne fait saigner que
les filets de chez Ledoyen
« Il n'y a pas que les experts qui ne se connaissent pas en
tableaux. Quand on considère combien peu de gens sont ca^iablos
de distinguer ufrdicf-d'œuvre d'une épouvantable croûte, et com-
bien, en dehors du sujet, ne se rendent même pas compte de ce
qu'ils ont sous les yeux, on se demande pourquoi cette tradition
annuelle du Salon?
« Le Salon n'est qu'une représentation parisienne, Aine revue,
un défilé, qui pourrait presque se passer de toiles >>\
Le manuscrit de Tannhiiuser, qu'on croyait perdu, vient d'élre
retiré des ruines du théâtre de Zurich.
Le directeur fouillant dans les décombres, a découvert presque
intact un petit paquet soigneusement ficelé cl enveloppé, dans
lequel se trouvait la partition entièrement écrite de la main de
Wagner. Tous les feuillets du manuscrit sont en bon étal.
Paraîtront prochainement chez .Aug. Bénard, éditeur k Liège,
13, rue Lambert-Ie-Bègue : Contes et nouvelles, par Alfred Lava-
chery,*avec dessins de L. Bauës, E. Berchmans. E.De Baré, Emile
Delperéc, Adrien De Witte, etc. Un beau volume de 300 pages,
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frontispice, culs-de-lampe, etc., reproduits en simili-gravure".
25 exemplaires sur japon impérial, au prix de 20 francs;
100 exemplaires sur papier crème, à 7 francs; 123 exemplaires
sur papier de luxe, à 3 francs.
Les souffrances accompagnent toujours un développement
moral supérieur; une nature de génie peut ne pas souffrir quel-
quefois, en se concentrant sur elle-même, en se contentant d'elle-
même, ou dte la science, ou de l'art ; mais, dans les sphères pra-
tiques, elle souff"rira toujours. El c'est fort simple : de telles
natures, lorsqu'elles entrent dans l'engrenage de la vie ordinaire,
dérangent l'équilibre; le milieu qui les entoure est trop étroit,
insupportable; les rapports, calculés pour d'autres dimensions,
les gênent, ils sont faits pour d'autres épaules, auxquelles ils vont
et auxquelles ils sont indispensables. Tout ce qui, pour celui-ci
ou celui-là est une gêne- légère, tout ce sur quoi l'on discute tout
doucement, et à quoi les gens ordinaires se soumettent, '.oui cela,
dans la poitrine d'une individualité puissante, amène une douleur
intolérable, une protestation implacable, une haine ouverte et une
provocation téméraire au combat ; de là, avec les contemporjins,
un inévitable conflit. La foule voit le mépris professé pour ce
qu'elle adore, et lance au génie des pierres et de la boue, jusqu'à
ce qu'elle ait compris qu'il avait raison. Le génie est-il fautif
d'être supérieur à la foule, et la foule est-elle fautive de ne pas
comprendre?
(Alexandre Herzen. Sur l'autre Rive, p. 133.)
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COMPOSITION MUSICALE
depuis les premiers éléments do l'harmonie jusqu'à
la composition raisonnée du quatuor et des principales
formes de la musique pour piano par J.-C. Lobe.
Traduit^ de l'allemand (d'après la 5® édition) par
Gustave Sandre.
VIII et 379 p. gr. in-8». Prix : broché, 10 fr.; relié, 12 fr.
Ce livre, dans lequel l'auteur a cherché à remplacer l'étude pure-
ment théorique et abstraite de l'harmonie par des exercices pratiques
de composition libre, fut accueilli, dès son apparition, par une
faveur marquée. La présente traduction mettra le public français à
même d'apprécier un des rares ouvrages d'enseignement musical les
plus estimés en Allemagne.
BrujieUes. — tnip. V* Monnom, 26, rue de l'Industiie.
\
Dixième année. — N" 15.
J.E NUMERO : 25 CENTIMES.
Dimanche l',i Avril 1890.
MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Gdmité de rédaction : Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. —ANNONCES : -On traite à forfait.
Adresser toutes les communications à
l'administration générale de l'Art Moderne, rue de rindustrie, 26, Bruxelles.
Sommaire
Désillusions. — Correspond.\nce d'artiste : Les représentations
wagnérienn'es en allemagne — theatres. bibliographie
MUSICALE. — Chronique judiciaire des Arts. — Me.mento des
Expositions. — Petite chronique.
DÉSILLUSIONS
La Vie privée d'autrefois, arts et métiers, modes, mœurs,
usages des Parisiens du xW au xviii« siècle, d'après des docu-
ments originaux ou inédits, par Alfred Franklin. — L'Hygiène.
ia-80 de iii-244-41 pp. — P;iris, E. Plon, Nourrit et C'e. 1890.
Nous fûmes, le Samedi-Saint, à la représentation sur
notre théâtre de la Monnaie, de la naïve, tragique,
intéressante, déclamatoire et saugrenue pièce en cmq
actes d'Alexandre Dumas, le grand, le père, Henri III
ET SA Cour, froidement, sèchement, traditionnellement
interprétée par les soi-disant premiers comédiens du
monde, sociétaires et pensionnaires de la Comédie-
Française, qui semblent avoir pour mission sociale de
conserver tous les vieux gestes, tous les poncifs scéni-
ques, toutes lesdéclamationsdeConservàtoire, accumula-
tion de choses aussi vieilles et surannées que les modes
du Directoire, de la Restauration ou du règne grandio-
sement bourgeois de Louis-Philippe.
Lé public, nonobstant les recommandations, parues la
veille, des critiques professionnels et leurs signalétiques
articles sur la distinction, la correction, la bonne pos-
ture des premiers comédiens du monde, fit à ceux-ci
très sèche mine, car vraiment les routinières conven-
tions-ne tiennent plus, quoi que fasse l'entêtement des
bonshommes qui, ayant cinquante ans durant vanté ces
magnifiques turlutaines, ne peuvent se résoudre à remi-
ser. Malgré son entrain de drame de cape et d epée, ses
iieres hardiesses, ses aventurières et invraisemblables
complications, Henri III et sa Cour fit fiasco, — ce fut
un four, quoique l'accueil fût glacial.
Cette solennité, comme ont dit les poncifards imper-
turbables en leurs admirations décrépites, n'eût pas
mérité ici mention, si elle n'eût ramené nos esprits sur
un très curieux volume qui vient de paraître, un volume
documentairement vrai, c'est-à-dire redoutable, auquel
nous pensâmes constamment en voyant, entre autres,
évoluer sur la scène, à grands coups de pied dans la
queue de sa robe, l'élégante M^'^ Brandès, cette si par-
faite personne à physionomie immobile qui jouait la
duchesse de Guise comme le peut comprendre et le faire
une belle dame des actuels salons parisiens. Oui, la
comédienne est à ce point supérieure ^'elle doit l'être,
puisqu'elle fait partie des premiers comédiens du
monde), qu-'elle n'a pas " pénétré cette historique
duchesse de Guise autrement qu'en lui donnant la
robe à peine déguisée, l'allure et le corset d'une mon-
-^
daine de l'hiver dernier. Et à ce point elle était dans sou
rôle, qu'au cours des scènes les plus tragiques, tandis
que l'assassinat bataillait dans la coulisse, et qu'elle se
défendait en scène contre l'assaut de son amant, écou-
tant sonne^la mort mais voulant aimer en ses dernières
minutes, elle n'oubliait pas, non elle n'oubliait pas, la
grande comédienne, de donner juste au moment voulu,
le grand coup de pied obligé dans la queue, de sa robe
pour la renvoyer ù la place qu'elle croyait la seule cor-
recte.
Le documentaire volume dont nous entendons parler
rapporte d'historiques détails de la vie privée en ces
temps de Ligueurs et de Ligueuses, qui crient violem-
ment le ridicule de cette belle personne salonnant sur
les planches. Et vraiment nous ressentîmes le besoin
brutal de révéler ici certaines particularités cruelles
qui, pour cette époque des Guise, et même plus tard,
longtemps plus tard, remettent les choses au point, et
en disent un peu plus sur ce qu'était le beau monde
d'alors, que les efforts de M'"^ Brandès, qui entend res-
ter une femme élégante du Paris de nos jours, quel que
soit le rôle qu'un auteur ingénu confie k ses soins de
comédienne faisant partie du premier théâtre du
monde. \
M. Alfred Franklin s'est chargé de renseigner ses
contemporains à ce sujet et de nous dire ce qu'était,
à certains points de vue intimes, mais certes caracté-
ristiques des mœurs et des psychologies , une cour
comme celle de Henri III, ou de ses successeurs, ou de
ses prédécesseurs. La matière est scatologique, hâtons-
nous de le dire, pour éviter déception et effarouche-,
ment au lecteur. Elle est scatologique et tout à fait
"tlépourvue de décence, mais si décisive en sa vérité ter-
rible, que c'est un devoir de s'y arrêter.
Il s'agit de la façon dont les Français (et a fortiori
toute l'européennité) a compris \^ question de ce qu'un
trèsbète euphémisme a qualifié les aisances, et ce durant
six cents années finissant au commencement de ce
siècle. La désillusion est navrante. M. Alfred Franklin
dit ù ce sujet : « Je dois, bien qu'il m'en coûte, aborder
un sujet peu attrayant, et que j'ai eu un moment la
pensée de négliger. Après réflexion, il m'a paru
indispensable de lui consacrer quelques lignes. D'abord,
ce sujet répugnant a toujours été laissé dans l'ombre;
ensuite, il est impossible d'en rencontrer aucun qui
s'impose plus directement à ces petits volumes, qui fasse
plus essentiellement partie de la vie privée » .
Moyennant cette précaution oratoire, l'auteur aborde,
et non sans copiosité, sa matière.
Longtemps, à Paris, comme partout, la population ne
connut d'autre système que celui du tout à la rue. Les
plus abominables ordures s'étalaient au coin de chaque
porte, et elles y arrivaient probablement sans intermé-
diaire. Les vignettes .des anciens manuscrits montrent.
il est vrai, placés sous les lits des reines, où à côté d'eux,
des vases de nuit i peu près semblables aux nôtres.
Isabeau de Bavière en possédait deux, dont elle ne
voulait pas se séparer, car le 21 mai 1387, son trésorier
paya trente-deux sous parisis « un estuy de cuir bouUy
double, î\ mettre et porter les orinaulx de la royne,
ycellui poinçonné et armoié des armes de ladicte dame,
et fermant à clef ".
Mais c'était Jà"un raffinement royal. Les plus grandes
maisons en étaient dépourvues. Le luxe dont s'entou-
raient leurs propriétaires s'alliait à une malpropreté
qui avait gagné jusqu'aux plus hautes classes. Les
grandes dames elles-mêmes ne prenaient aucun soin de
leur personne, et la population tout entière paraissait
ignorer les règles les plus élémentaires de l'hygiène. De
ces' vases dont il est parlé plus haut il n'en existait pas
chez la comtesse de Chateaubriand, au grand dam de
l'amiral Bonnivet qui, caché dans la cheminée, y fut
inondé par le galant roi François r^"*, i\ ^'en existait pas
dans les chambres des hôtelleries, comme le prouve une
anecdote très déplaisante où la cheminée joue encore
son rôle, et qui est racontée par Béroalde de Verville.
Il n'en existait pas dans les collèges : les écoliers,
aussitôt habillés, allaient faire une station dans la cour
le long de quelque muraille. Toutes celles de la ville
avaient cette destination, et la municipalité ne semble
pas s'en être préoccupée le moins du monde. Dans une
circonstance solennelle, elle donna cependant une
preuve de galanterie. En 1504, le jour où Anne de
Bretagne fit son entrée à Paris, les échevins avaient
posté de distance en distance, le long des" rues que
la reine devait parcourir, des personnes chargées
de présenter aux dames composant le cortège tout ce
qu'il fallait pour calmer leur faim et leur soif, et aussi
des vases'destinés à un autre usage. Cette attention est
révélée par Sauvai. F. -G. d'Ierni, un Italien attaché
à la personne du légat Alexandre de Médicis, écrivait
dans ses impressions de voyage : « Il circule dans toutes
les rues un ruisseau d'eau fétide, où se déversent les
eaux sales de chaque maison, et qui empeste l'air ; aussi
est-on obligé de porter à la main des fleurs ou quelque
parfum pour chasser cette odeur ".
Dès 1507, Charles IX avait publié une ordonnance
de police oîi se trouvent quelques « articles pour
purger, tenir nettes et bien pavées la ville et les rues
d'icelle ". Elle insistait sur la défense « de jetter
ou faire vuider par les fenestres des maisons, tant de
jour que de nuict, urines, excrémens, ni autres eaues
quelconques. » Il était interdit « aux vidangeurs,
bizarrement qualifiés " maistres fify » de ne laisser
épandre par les rues nulles ordures ou excrémens, en
vuidant les basses fosses et retraits «. Quelques hahi-,
tants avaient chez eux, non des cabinets, mais une
fosse commune, qu'ils faisaient vider de temps eu
\^-
\
temps dans le jardin de la maison. A part l'odeur,
tout était profit, car on regardait le produit des fosses
comme le plus puissant des engrais ; les voiries étaient
"^ans cesse dévalisées par les cultivateurs voisins.
Un voyageur hollandais, qui vint visiter Paris en 1057,
laconte qu'étant arrivé à la porte Dauphine, " il y eut
(juelqu'un d'une maison voisine qui s'estant levé pour
verser son pot de chambre, le lui jetta à demi sur la
teste ". On n'était à peu près en sûreté dans les voies
les plus larges, qu'à la condition de ne pas quitter le
milieu de la chaussée. A chaque instant une fenêtre
s'ouvrait, et une inondation nauséabonde menaçait le
distrait qui. n'avait pas entendu les mots sacramentels :
(jm'e Veau '.Les, comédies du temps abondent en inci-
dents de ce genre.
Les latrines continuèrent à être fort rares dans Paris.
•Les commissaires du Chàtelet déclarent, le 24 ; sep-
tembre 1608, " qu'en la pluspart des quartiers, les pro-
priétaires des maisons se sont dispensez d'y faire des
fosses et latrines, quoy qu'ils ayent logé dans aucunes
desdites maisons jusques à vingt et vingt-cinq familles,
ce qui cause en la pluspart de si grandes puanteurs
qu'il y a lieu d'en craindre des inconvéniens fascheux ».
Pas un endroit de la ville qui n'exhalât une odeur
affreuse, et o(i l'on put marcher avec sécurité. Les car-
refours, les alentours des églises, les voies les plus fré-
quentées étaient bordées de puantes déjections. Dans les
grands établissements, au Palais de^joistice, par exemple,
on en rencontrait dans tous les coins. Le Louvre lui-même
présentait un spectacle repoussant : dans les cours,, sur
■ les escaliers, sur les balcons, derrière les portes, les
visiteurs se mettaient à l'aise, sans que les hôtes du
palais parussent s'en soucier. Tout s'y faisait au grand
' jour, et on ne cherchait pas à dissimuler. L'éclabous-
•sement des bassins vidés à chaque instant entassait des
dépôts fétides sur les ornements en saillie, et laissait
d'immondes empreintes le long des murailles. Il en était
de même dans les châteaux de Saiiit-Germain, de Vin-
cennes et de Fontainebleau.
On nommait à cette époque garde-robe, un cabinet'
qui renfermait les vêtements, les étoffes précieuses, les
armes de luxe, les bijoux ; c'était donc une pièce ordi-
'^nairement fermée, où l'on ne séjournait guère, et oiii^n
pouvait se retirer si l'on cherchait, soit à s'isoler, .soit
à se dérober aux regards. Il paraît donc tout naturel
que l!on ait songé à y installer la chaise percée, quand
elle commença à entrer eA usage. Si la disposition
des heux le permettait, on la reléguait après la garde-
robe. Ecoutons l'architecte Savot : - L'arrière garde-
robe n'est nécessaire que pour y retirer une chaise per
cée, de sorte que sa capacité sera assez grande quand
elle ne sera que de quatre pieds; si ce n"»?st, ajoute-t-il,
en celles 'des princes, où il est besoin de plus' grande
place »:
Laissons parler la princesse Palatine : " Paris -est un
endroit horrible, puant et très chaud. Les rues y ont
une si mauvaise odeur qu'on ne peut y tenir ; l'extrême
chaleur y fait pourrir beaucoup de viande et de pois-
son ; et cela joint à la foule de gens qui pissent (jians les
rues, cause une odeur si détestable qu'il n'y a pas moyen
d'y tenir », La princesse, ne sortant qu'en carrosse, ne
redoutait pas les averses aromatiques auxquelles conti-
nuaient à être expo.sés les passants. Mais Le Sage, qui
dans son Gil-Blas décrit Paris sous le nom de
Madrid, n'a garde de les oublier. Ecoutez ce qui arriva
au pauvre Diego : « Je ne pus sortir de chez mon maître
avant la nuit, qui, pour mes péchés, se trouva très
obscure. Je marchois à tâtons dans la rue, et j'avois fait
peut-être la moitié de mon chemin, lorsque d'une fenêtre
. on me coiffa d'une cassolette qui ne chatouilloit pas
l'odorat. Je puis même dire que je n'en perdis rien, tant
je fus bien ajusté «.
Les rois de France trouvaient dans leurs apparte-
ments des meubles que Ton nommait selle nécessaire,
selle aisée, cliaire à reirait, etc. L'intérieur recelait
un grand bassin de cuivre ou de laiton, et le siège unis-"
sait le luxe au confort. La « chaière de retrait » que
l'élégante Isabeau emportait partout avec elle était gar-
nie de velours bleu garanti bon teint : «• de veloux azur
.sanz destaindre ». Le roi dédaignait ces raffinements :
la - selle aisée » de Philippe le Long avait pour garni-
ture une étoffé de laine noire appelée brunette ». Le roi
Jean possédait deux « selles nécessaires feutrées et cou-
vertes de cuir et de drap ».. Charlotte d'Albret « une
chaize percée couverte de drap vert ». Le duc et la
duchesse de Lorraine avaient fait surmonter d'un dais
leurs - selles percées » et leurs <- cheyres à pi.sser »
revêtues de velours '^ aux armes de monseigneur et de
madame ». La - chayère percée •• d'Elià^beth, fille de
Henri II, reposait également sous un dais où, comme pour
l'entourage du siège, on avait prodigué le velours violet
frangé d'or. Le duc de Guise avait préféré entourer la
sienne d'un double rideau en toile de Hollande et satin
cramoisi. Catherine de Médicis se -contentait d' - une
chaise d'affaires •' garnie de velours bleu. Lorsque
Jacques Clé^ient fut introduit auprès de Henri III,
celui-ci " estoit sur sa chaise percée, aiant une robbe de
chambre sur ses espaules -, et c'est dans cette situation
qu'il fut assassiné.
Bussy-Habutin raconte que vers 1075{ mesdames de
Saulx et de la Trémoille se trouvaient un jour à la
comédie. Prises d'un besoin, elles n'hésitèrent pas à le
satisfaire dans leur loge; - puis, pour <"'ter la méchante
odeur, elles jetèrent tout sur le parterre -. Ou leur dit
- tant d'injures qu'elles furent contraintes de partir ».
Dans l'intérieur des appartements, les murs n'étaient
pas plus que ceux de la rue^ù l'abri, des plus indignes
souillures. C'est inouï, mais c'est ainsi, l'n iirand sei-
"^\
110
UART MODERNE
V
^
gneur se levait de son fauteuil, et allait tranquillement
se satisfaire contre une tapisserie, dans l'angle de la
pièce, dans l'escalier, dans -l'antichambre ou dans la
cheminée. Furetière racontait que le comte de Brancas,
chevalier d'honneur d'Anne d'Autriche, " quitta un jour
la main de la reine pour aller pisser contre une tapisse-
rie n. Voulez-vous un autre exemple de ce laisser-aller?
La scène se passe dans le cabinet du ministre des
finances et c'est Tallemant des Réaux qui raconte :
« Le comte du Lude heurta un jour assez foi^t au cabinet
de M. de Schomberg, surintendant des finances : il étoit
son neveu. Un nouveau suivant, qui ne le connoissoit,
dit : « Qui heurte comme cela? — Ouvre! — Monsieur,
on ne heurte point ainsy céans ». Il entre, et va tout
droit pisser dans la cheminée : « Ne pisse-t-on point
ainsy céans? M! de Schomberg ne fit qu'en rire ".
Louis XIII rit aussi, le jour où mademoiselle de
Lafayette, s'oubliant devant lui, donna naissance à " une
grande mare " sur le parq^uet, et si la reine y trouva à
redire, c'est qu'elle était alors jalouse de sa fille d'hon-
neur.
La chaise percée est en plein triomphe au dix-sep-
tième siècle. On ne la dissimiile pas. Elle est admise
dans la meilleure société; c est un siège favori sur
lequel on s'oublie pendant longtemps. On y médite, on
y rêve, on y cause, on y écrit, on y joue. Les ministres
y donnent audience à des ambassadeurs. Les grandes
dames n'ont pas honte de s'y montrer, ne rougissent
pas de voir se former autour de ce siège empesté le "
cercle de leurs intimes.
Voici, par exemple, comment faisait Louis- Joseph,
duc de Vendôme, arrière-petit-fils de HeferDu Saint-
Simon : « Il se levoit assez tard à l'armée, se mettoit
sur sa chaise percée, y faisoit ses lettres et y donnoit
désordres du matin. Qui avoit afl'aire à lui, c'est-à-dire
les officiers généraux et les gens distingués, c'étoit le^
temps de lui parler. Là, il déjeunoit à fond, et
souvent avec deux ou trois familiers, rendoit d'au-
tant, soit en mangeant, soit en écoutant ou en don-
' nant ses ordres, et toujours force spectateurs debout. Il
rendoit beaucoup; quand le bassin étoit plein à répan-
dre, on le tiroit et on le passoit sous le nez de toute la
compagnie pour l'aller vider, et souvent plus d'une fois.
Les jours de barbe, le même bassin dans lequel il venoit
de se soulager servoit à lui faire la barbe. C'étoit une
simplicité de mœurs, selon lui, digne des premiers
Romains, et qui condamnoit tout le fasta et superflu
des autres. Le duc de Parme eut à traiter avec M. de
Vendôme : il envoya l'évèque de Parme, qui se trouva
bien surpris d'être reçu par lui sur sa chaise percée, et
plus encore de le voir se lever au milieu de la confé-
rence et se torcher le C. devant lui. Il en fut si indi-
gné que, sans mot dire, il s'en retourna à Parme. Le
duc chargea Alberoni, un aventurier, d'aller conti-
nuer et finir ce que l'évèque avoit laissé à achever.
Alberoni, qui n'avoit point de morgue à garder, et qui
savoit très bien quel étoit Vendôme, résolut de lui plaire
à quelque prix que ce fût. Il traita .donc avec M. de
Vendôme sur sa chaise percée, égaya son affaire par des
plaisanteries qui firent d'autant mieux rire le général
qu'il l'avôit préparé par force louanges et hommages,
Vendôme en usa avec lui comme il avoit fait avec
l'évèque. Il se iorcha le c. devant lui. A cette vue,
Alberoni : 0 ciilo di angelo '. et courut le baiser. Rien
n'avança plus ses affaires que cette infâme bouffon-
nerie ».
Le meuble en question n'éveillait aucune idée déplai-
sante. C'était un cadeau que l'on n'hésitait pas à faire,
même à une grande dame, pour ses étrennes ou pour le
jour de sa fête. Piron en envoya une à Madame de
Tencin, sœur d'un cardinal, et comme il poussait la
galanterie jusqu'au raffinement, il plaça dans le bassin
une pièce de vers.
Sous Louis XVI, il n'y avait encore dans Ip palais de
Versailles qu'un seul cabinet d'aisances, confortable
d'ailleurs, « construit à l'anglaise, en marbre, porce-
laine et acajou». Il était, bien entendu, à l'usage exclu-
sif de Leurs Majestés. Rien de semblable n'existait aux
Tuileries, ni à Saint-Clpud. Quand le roi habitait un de
ces palais, un personnel spécial était chargé d'y faire
chaque matin une vidange générale. « Nous nous souve-
nons, écrit M. Violtet4e-Duc, de l'odeur qui était répan-
due, du temps du roi Louis XVIII, dans les corridors
de Saint-Cloud, car les traditions de Versailles s'y
étaient conservées scrupuleusement. Un jour que nous
visitions, étant très jeune, le palais de Versailles avec
une respectable dame de la cour de Louis XV, passant
dans un couloir empesté, elle ne put retenir cette excla-
mation de regret : Cette odeur me rappelle un bien beau
temps. Parmi les meub^gs expédiés à Strasbourg, lors de
l'arrivée en France de Marie- Antoinette, figurent « une
table de nuit, un seau pour laver les pieds, un bidet
tout garni et une chaise d'affaires ».
Si à cette époque, si proche de nous, les grandes
rues étaient un peu plus respectées qu'aux siècles précé-
dents, les voies étroites, les passages, les quais, les
jardins publics offraient toujours un spectacle repous-
sant. Dès que le jour tombait, une pluie d'abominables
ordures commençait à inonder les passants, « surtout
dans les quartiers des halles, dans les faubourgs et dans
toutes les petites rues ; les plaintes portées journelle-
ment chez les commissaires à ce sujet constatent
l'étendue du mal. " Les terrasses des Tuileries étaient
inabordables et répandaient au loin une odeur révol-
tante. A l'abri de haies d'ifs, délicate prévenance d'un
architecte ami du public, une multitude de gens se
succédaient sans relâche, trouvant avec peine une place
pour poser les pieds. Le comte d'Angiyiller, directeur
général des bâtiments du roi, fit abattre les ifs et établir
en cet endroit des latrines dont l'entrée coûtait deux
sous. Cette mesure fut très sévèrement jugée. Les habi-
tués des Tuileries trouvèrent le prix exagéré et se trans-
portèrent au Palais-Royal. Le duc d'Orléans se hâta d'y
construire douze cabinets d'aisances qui eurent plus de
vogue que ceux des Tuileries, et dont la réputation
dure encore. En 1798, ils rapportaient douze mille livres
par an.
Et maintenant tâchons de nous rendre compte de
toute cette société que de plaisants auteurs et de non
moins plaisants acteurs habillent à la moderne. De tels
' détails révèlent le côté brutal et sauvage d'une civilisa-
tion et montrent, par les dessous, qu'on ne saurait être
vrai, quand on en parle, ou qu'on la joue, qu'à la condi-
tion de proscrire les modernes conventions et en
demeurant quelque peu barbare.
CORRESPONDANCE D'ARTISTE (')
Les représentations Tvagnériennes en Allemagne.
Munich.
^ El puis, ce qui vous console, pour l'art, c'esl la mise en scène.
A Dresde déjà, sauf les Filles du Uliin, c'éiaii surprenant, réali-
sant parfois l'énorme qu'on voudrait pour de tels drames.
A Munich, c'est mieu.x encore, peut-être. Tous les décors, la
régie des chœurs, les degrés de lumière, les changements de
scène sont bien près de satisfaire. A Dresde, on obtient que le
chœur des hommes, au deuxième acte du Crépuscule des Dieux,
chante en tournant le dos au public et en s'adressanl à Hagen. A
Munich, il y a compromis; ils arrivent bien isolément et par
groupes, comme c'est indiqué, et se massent en foule houleuse,
mais les Munichois sont des gens trop polis pour tourner le dos à
-^ un public dans lequel figure le prince-régent, pensez donc!
Dans les deux théâtres, les costumes, les gestes dos chœurs, leurs
mouvements m'ont étonné. Ainsi, dans Lohengrin et dans la
Gôlterdammerung, l'entrain barbare avec lequel ils heurtent leurs
armes; en signe de joie. Dans le Vflisseau Fantôme, à Munich, —
j'y ai vu pour la première fois de vraies vagues au théâtre — les
navires approchent, évoluent, tournent, fouettés par des lames
et tanguant. Et, vous savez, nous sommes loin ici du pauvre bidet
d« M"*" Litvinne, à Bruxelles, le bidet qui n'osait bouger et
dont on avait cependant si peur qu'on le renvoyait tout de suiTe
dans les coulisses; à Dresde, M"'* Wiliich entraîne le cheval au
galop, courant h côté, vers le bûcher. A Munich, nriinnhiide saute
sur Grane, saisit sa crinière, et, d'un bond de galop magnifique,
s'emporte vers les flammes. Dans Riemi, Scholt arrivait à cheval,
couvert de son armure, et chantait ainsi ; le cheval virevoltait dans
l'éclatante fanfare d'or et de fer des clairons, il se cabrait, voltait
pour revenir, jusqu'à ce qu'un furieux galop l'emportât vers la
bataille.
Il y'aurait pourtant bien des critiques a faire sur les détails, mais
ils vous importent fort peu; et j'aime mieux vous donner ici
(1) Suite et fin. — Voir uôs numéros des 9, 16 et 23 mars.
quelques notes prises sur la Walkure à votre intention — la Wal-.
ktire, parce qu'elle est devenue une « pièce du répertoire » à
Bruxelles!
A Dresde. Kapellmeislcr : M. Schuch. Au prélude, peu d'éclat ;
.en effet, ce n'est pas de la musique descri,i)iivc comme l'orage de
la Symphonie pastorale, mais l'orchestre montre bien qu'il énonce
le reflet de cet orage dans le cœur de Siegmund. Les mouvements
sont presque entièrement semblables à ceux de Bruxelles; en
général peut-être un peu plus lents, sauf le récit de Siegmund,
pressé. — Le pommeau do l'épée Urgence n'est pas éclaire
sottement en rouge comme à Bruxelles (on même temps on étei-
gnait le feu, à Bruxelles !), mais par un rayon direct émané du
foyer, ce qui est beaucoup plus vraisemblable. Puis, comme vous
le devinez, ce n'est plus un rideau qui tombe, dans la scènï sui-
vante, pour montrer un paysage des tropiques; mais la porte
s'ouvre soudain, laissant pénétrer un vague rayon de lune dont on
aperçoit la fine poussière sur les lointains d'un bois au prin-
temps.
Enfin, il faut voir jouer par une Allemande la fin de la dernière
scène; M'"^ Marliny, si belle, y mettait peut-être trop de réserve,
et l'qn ne semait pas aussi terriblement qu'ici combien, en celle
scène, l'amour s'épanouit jusqu'à rester le type de l'amour pendant
toute la trilogie (thème de Sieglinde ^appclé plusieurs lois
dans les autres soirs), cet amour.qui.se chante en partie sur les
thèmes de la Renonciation à l'amour ci de la Malédiction de
[^»J0W''(1). Aux actes suivants, j'ai élé tropdominé parl'admiration
pouNprendre des notes ; les rares qui me restent sont sans inté-
rêt pour vous. Je me rappelle pourtant que Wotan fait son récit à
Brûnnhiido d'une voix très basse, après la scène de Fricka, et
qu'il eh surgit un mystère de vagues terreurs inconnues, très pro-
fondément beau. — Quant aux fameuses décalcomanies des Wal-
kiires qui pussent dans le ciel, au troisième acte, elles étaient
moins drôles qu'à Bruxelles, et même, dès la fin de la scène, et
ensuite pour Gôtterdàmmerung, on les remplaçait par un éclat
errant des nuages, tl:è;^. merveilleux vraiment, et rendant la scène
plus grandit)se et profonde. — ^ J'ai d'autant plus remarqué l'etï'el,
qu'avec sa recherche de la plastique et les admirables suggestions
qu'il demande à la mise en scène, le théâtre wagnérien m'a paru
en général d'une couleur désastreuse ; cela tient évidemment à
Tioil allemand des peintres qui nuancèrent les décors; mais rappe-
4cz-vous la couleur de la scène, à Bruxelles, aux deuxième el troi-
sième actes de la Walklire. Tout cela m'a plus vivement enfoncé
dans mon rêve d'un théâtre où les acteurs dessineraient leurs
gestes sur fond d'or et sur fond d'argent; théâtre musical, bien»
entendu !
Outre la couleur, une crispation constante est celle (|ue cause
le public, ce public allemand qui entre à grand bruit dans les
loges et au balcon, malgré l'obscurité (d'ailleurs nx's relative; en
revanche, on l'a adoptée, très logiquement, potir Shakespeare et
les autres drames), cause presque à haute voix quand, la toile
baissée, l'orchestre donne la transition des scènes, etc. Notez que
ce public est poli, trop poli. Il ne voudrait pour rien au monde
interrompre les changeurs par des mouchades ou des loussaille-
rios ; aussi, dès que les premiers accords résonnent, tout le monde
(1) Avez-vous remarqué qu'en (.et te so-ne dernière du premier acte
est esquissé déjà le thème de Brimnhilde femme, le plus décisif pour
marquer la puissance de l'amour, si l'on songe à ce qu'est ce résultat,
et, ici, très caractéristique? Pourquoi Wolzogen n'en parle-t-il pasî
( ■
V,
mouche el loiisso en cliœur, poui^n'avoir pas à le faire plus larJ.
(irûcc à cela, je n'ai pu cnloiidre. un seul prélude.
Ali ! la manière dont les Allemands aiment la nmsique! Erasme
Kaway m'avait promis trop de joie, cl, itialpré les salutaires aver-
tissements de Georges Klinopff, j'avais gardé bien des illusions.
Sauf aux couceilsde la Musicalisclie Akademie, vrai, cela ne vaut
guère mieux qu.j chez nous. On cause pendant que Siegfried tra-
vci'se les flammes pour trouver Briinnhilde, on cause pendant le
fragment symplionique qui unit le prologue du crépuscule au pre-
mier acte, pendant le fragment symphonique suivant aussi, et
pendant la marche funèbre encore ; je vous ai dit la politesse des
rhumes allemands, rappelez-vous de plus les coupures do Dresde;
on trouve la Walkilre supérieure à la Gotlerdummeruug, et sans
doute Rienzi k Lohengrin... On irouve aussi très souvent que
Wagner fatigue el que « la musique ainsi comprise n'est plus un
art d'agrément ». — Un. art d'agrément! — C'est le public, tou-
jours le même, et s'il n'y avait pas une élite prodigieusement
ouverte aux sensations de la musique (je l'ai étudiée aux con-
certs), on ne s'expliquerait pas la possibilité de représentations
cycliques comme celles auxquelles j'ai assisté. — Les pièces de
Wagner sont entrées « dans le répertoire » ici ; on y produit les
cabotins en vedette, et l'on s'y rend en foule pour applaudir Mon-
sieur un tel
A Dresde, pour le 31 décembre, des tlons-tlons tlonflonnaient
partout ; il y en avait dans les rues, dans les maisons particulières,
dans tout ce qui s'appelle lieu public, et j'ai été épouvanté
d'enierjdre, dans un restaurant grand comme les deux tiers du
Sesino, toute une musique militaire claironnant valses et fanfares.
— Evidemment cela prouve qu'on aime la musique.
. Il y a aussi, à Dresde, la Gewerbhaus; j'y fus : un largo de
lliindel et le finale du Rheiugold de Wagner y fraternisaient avec
les plus entraînantes des valses, et les plus salutaires (antaisies
pour xylophone et cornet à piston (textuel).... ^Munich, à la
Monachia, on écoute un pot-pourri sur le Vaisseau Fantôme,
voire des « souvenirs des Maîtres Chanteurs », puis un monsieur
vient montrer des oies savantes, et un autre imite tous les cris
d'animaux, depuis le rossignol jusqu'à là truie en colère. Alors,
j'aime encore mieux la « cave à bière » des redoutes, où l'on ne
joue au moins que de mauvaise musique pendant que tous les
danseurs, la voix pleine de lourde bière, chantent en cœur :
Du bist moia idéal,
Du bist meih idéal...
L
Théâtres.
Le théâtre de l'Alhambra a repris Boccace en l'agrémentant
d'un ballet. L'idée n'est peut-être pas très-heureuse. L'opérette de
Suppé a été jouée si souvent aux Galeries que le succès en est
(juelque peu usé, et le ballet, dansé sur une musique foraine,
alourdit inutilement la partition. Le publie de la première a néan-
moins fait bon accueil à la musique « mousseuse» du petit maître
Viennois, en souvenir, sans doute, des joyeuses soirées de jadis.
L'interprétation actuelle est faible. M™"* Zélo Duran, Noémi Ver-
non e( Blanche .Monthy se donnent beaucoup de peine pour
n'arriver qu'à un médiocre résultat. A part M. Gaffroy, les artistes
masculins sont insuffisants. Même dans la bouffonnerie, il y a de
l'art, et un art difficile à réaliser, qui exige du tact, de la mesure,
du goût. Puis, .M. Diirieux, en quels mouvements de train express
lancez-vous vos musiciens? On ne retrouve plus un rythme, plus
un accent de la partitionnette sautillante et dansante, qui ne vaut
que par la légèreté, le tour pimpant de ses motifs et les rythmes
pafliculièremcnt aux valses et aux mazourkes des bords du Danube.
Nous voici loin, bien loin, du sémillant J5occflce aperçu jadis, en
sa grâce de jouvenceau, dans le cadre élégant du Cari Theater.
Le théâtre des Galeries a abandonné les noirs mélos pour inau-
gurer un genre de spectacle nouveau.
Cendrillonnttte, qui tient du vaudeville et de l'opérette, a bien
réussi el attire chaque jour la foule.
Au Parc, la Course aux jupons, de folâtre mémoire, a fait place
sur l'affiche, depuis hier, à Feu Toupinel. Nous en parlerons
dimanche prochain.
Quant au théâtre Molière, il bouleverse la paisible population
d'Ixelles par les aventures, de Cartouche et des Voleurs de Paris
en 1721. Les serruriers ixellois sont sur les dents tant ils ont eu
à faire cette semaine de verrous de sûreté.
ÇlBLlOQRAPHlE MUSICALE
La légende de Viviane el de Merlin a inspiré h M. Ernest Chaus-
son un poème symphonique dont nous prisons fort le charme
poétique et l'extrême distinction. Nous en jugeons par laj-éduc-
lion pour piano k quatre mains'^qïTcn a faite M. Vincent d'Indy et
que l'éditeur Bruneau vient de mettre en vente.
Viviane est proche parente dn Saugefleurie. Elle évoque»
comme celle-ci, des fraîcheurs de foret, des lumières de clairières,
toute la féerie des futaies hantées par les dryades. Un joli dessin
mélodique tissé dans l'armure d'une harmonisation 'raffinée mène
l'auditeur à travers les enchantements de Brocéliande emplie de
sonneries lointaines. Une scène d'amour brève et intense, la ten-
tative de fuite de Merlin, qui veut rejoindre les envoj'és du roi
Arthus.le sommeil dans lequel le tient captif le pouvoir magique
deViviane, tels sont les épisodes que décrit, en une langue châ-
tiée, ce poème que nous souhaitons fort entendre exécuté par
l'orchestre.
La réduction pour piano, très bien écrite, en' donne une idée
exacte. Mais on pressent que les timbres des insiruments sympho-
niques doivent lui donner une toute autre saveur. Viviane, dans
sa forme réduite, figurait, en première audition, au programme[du
"âernier concert de la Société nationale, à Paris.
Chez le même éditeur, vient de paraître : Clair de lune, élude
dramatique pour chant et orchestre par Vincent d'Indy sur les
vers d'Hugo : '
La lune était sereine et jouait sur les flots.
L'inspiration est fort belle el l'accompagnement d'orcheslrc,
transcrit pour piano, est d'un raffinement d'écriture qui donne à
l'œuvre un attrait artistique spécial.
Chez Bruneau encore, une mélodie avec accompagnement de
flûte ou de violon par M. Lucien Lambert, fragment d'un drame
antique : Hymnis sur des vers de M. André Alexandre.
Puisque nous en sommes aux mélodies, rappelons aux musi-
ciens et amateurs q'iie les très attachants lieder de Brahms sont
acluellemenl, grâce k là traduction de M. Wilder, à la portée dos
chanteurs cl cantatrfces de langue française. La maison Brcitkopft"
cl Harlel met en vente un choix de douze des plus célèbres inspi-
rations du maître allemand, réunies en deux, cahiers?. On sait que
c'est dans les lieder surtout que Brahms excolle. Il a continué, sans .
asservir sa pensée aux formes déjii employées, la tradition de
Schumann, et telles de ses mélodies : Sérénade inutile. Mon
amour est pareil aux buissons, Soir d'été, la Belle fille aux yeux
d'azur, etc., ne le cùdenl pas aux plus belles compositions de
l'auteur de Manfred. Elles ont une grandeur, une originalité, une
puissance vraiment remarquables.
Rappelons aussi que l'éditeur Petors, do Leipzig, publie les Ires
jolis lieder de Griog avec des paroles françaises de M. Wilder
d'après des poésies norwégicnnes. Le premier volume, que nous
a adressé la maison Scholl frères, renferme douze chants, parmi
lesquels il on est de déjà populaires, notamment hi Princesse et
le Rêve d'enfant, sur un texte d'Ibsen. Dans la môraC édition a
paru, réduit pour piano, le mélodrame Bcrgliol, joué au premier
Concert populaire.
Chronique fuDiciAiRE de^ ^rt^
Statues contrefaites
La police parisienne continue à traquer les industriels italiens
qui ont infesté le marché arlislicjuc de conlrofaçons ou d'imita-
tions des œuvres principales des sculpteurs les plus renommés.
Sur un ordre émané du parquet, à la requête de MM. Thiébaul
frères, agissant au nom de M. Falguière, M. liuchanoy, commis-
saire de police, a fait une.perquisition chez un nommé Gasparini,
habitant Monlreuil, et y a saisi huit contrefaçons de la Diane et
plusieurs moules. Les saisies d'objets d'art contrefaits se multi-
plient dans de telles conditions que le greffe en est encombré.
On a dû se résigner à envoyer les objets saisis à la fourrière. Dor-
nieremcnt, M. du Foussat, agent délégué de la Société des ar-
tiste? français, Nçepréscntanl en celte occasion MM. Mercié, Paul
Dubois et René de Sainl-Marceaux, a fait saisir chez les mar-
clrands italiens Gonella et Gasparïni, deux David vainqueur de
Goliath, six Chanteur /lorentin et deux Arlequin avec les moules
de ces contrefaçons. Décidément les lois sur les droits d'auteur
commencent à sortir leurs effets et les mœurs y seront bientôt
accoutumées. On avait cru si longtemps que dans ce domaine
loules les pirateries étaient licites.
Mement^- des Expositions .
Amiens. — 31 mai- 16 juill.'t. Envois : l.")-'-20 mai. Uenseigne"-
ments : M. Lr DewailUj, président.
Arniiem (Pays-Ras). — {W juillol-lo septembre. Envois :
13 juin-i" juiflel. Renseignements: M. A.-C. Van Daelen,
secrétaire de la Commission directrice de l'exposition des Beaux-
Arts, à Arnhem.
Resançon. — t."> mai-30 juin. Envois : 10-20 avril. Renseigne-
ments : M. Allard, secrétaire de la Société des Amis des
beaux-arts, rue de la Bouteille, 11, Besançon.
Dijon. — Société des Amis des Arts. I*'''juin45 juillet 1890.
Envois : l-lo mai. Renseignements :.S'rtvr'/rtnV?/, Palaisdes Etats,
Dijon.
EvREL'x. — 1''' juiliet-3i août. Délai d'envoi : lo juin. Ren-
seignements : M. Ilérissay, vice-président de la Société des
Amis des arts, atelier Dcnet, rue Buzet, Evreux. ^
La Haye. — 12 mai-29 juin. Délai d'envoi : 1-4-28 avril. Rcn-
seignemonls : M. J. Gram, secrétaire de la Commission direc-
trice à l'exposition des Beaux-Arts, La Haye.
Le Havre. — l-^' aoûl-DO septembre. Dépôt chez .M. Poitier,
rue de (Jaillon 16, du 20 juin„au l'"" juillet (jusqu'au 8 pour les
œuvres venant du Salon de Paris).
LI.ÉGE. — 7 juin-10 août 1890. Renseignements : Secrétariat
général, rue Saint Léonard, 214, Liège.
Maurii). — l'" Exposition (internationale). Mai 1890.
Milan. — Salon annuel : \^ avril-31 mai. Renseignements :
Secrétariat, Via principe Umberto, Milan.
Mulhouse. — Société des Arts (limitée aux artistes invités).
8 mai-22 juin. Renseignements : M. le président de la Société
des Arts, au secrétariat de la Société industrielle, Mulhouse.
Munich. — Salon annuel: 1'' ju il lel-l.*) octobre 1890. Envois :
1-20 mai.
Paris. — Société des Artistes français {P;\\ùh des Cham[»s-Ely-
sées). l*"'' mai-30juin.
Paris. — Société nationale îles Beaux-Arts (Psihh du Cliamp-
de-Màrs). 1") mai-30 juin.
Périgueux. — 31 mai-30 Juin. Délais d'envoi : notices,' 1'' mai;
œuvres, 10 mai. — Renseignements .- M. Pertoletti, secrétaire
de la Société des Beaux- Arts, Périgueux.
Rome. — 2G avril-8 juin=1890. Délai d'envoi expiré. Renseigne-
ments: Secrétariat du Comité directeur, Palaisdes Beaux-Arts,
via Naùonale, Rome.
Turin. — l'"" mai-1" juiii 1890. — Délai d'envoi : l''-20 avril.
■Renseignements : Sccrétnriiit de ta S(rriélé des Benu.v-Art^.
Turin.
fETlTE CHROJMiqUE
_Pour r.ippel : aujourd'hui dimanche, à 1 t 2 heuies, au LIk-ûIi-i-
de la Monnaie, troisième concert populaire consacré iiux (ouvres
de compositeurs russes sous la direction de .M. Rimsky-Korsakow.
A l'occasion de la distribution îles prix aux lauréiits des con-
cours de 1889, l'Ecole de musique de Verviers donnera aujour-
d'hui, à 8 12 heures, sous la direction de .M. L. Kefor, un tivs
intéressant concert, exclusivement consacré aux lenvres d'auteurs
belges, avec le concours de M. Eugène Vsaye. et de M''* M. Roe-
lants. Le programme porte : le Sorbier d'Emile Mathieu, pour
soli, chœurs et orchestre, la Ballade pour instruinents à cordes
sur un thème flamand, d'Arthur Do Greef, la Suiie dans le style
ancien pour violon, de Viouxtenins, des pièces pour violon par
Eugène Ysaye, des mélodies de Gustave Kefor ; enfin, deux pre-
mières exécutions : la Symphonie à.jjraiid orchestre de Louis
Kefor, couronnée par l'Académie de Rolgique en octobre dcrnirr.
et une étude symphoni<iue de M. G. Lekeu intitulée : Chant de
Iriomphal&ifélicrancc.
Un grand concert aura lieu demain lundi, à huit heures, à ht
salle Veydt, avec lo concours de M"*"' DavitI, Pisart, Rnybet, Mal-
vina, Hélène et Henriette Schmidt, et de MM. Houschiing, Mau-
rice Lefèvre, Chômé et Massage, au profit de \' Œuvre pliilan-
thropique du Travail. ' •
Entrée de famillo (trois personnes) : 5 francs; entrée person-
nelle : 2 francs. On peut se procurer dos cartes rue Veydt, I",
au local de l'œuvre. ■
Du 21 au 26 avril, ainsi que du o au 9 et du 27 au 30 mai pro-
chain, une vente iniporlanto aura lieu à Amsterdam. La maison
^Fréolérik Muilor cl C''', Doelenslraat, 10, ofVrira au public In
bibliothèque de fou M. Alberdingk-Thym, docteur ès-lettres et pro-
fesseur d'esthétique à PAcadémic royale d'Amsterdam.
La littérature du xviie siècle et ,du moyen-âge y est fortemoui
représentée.
l'nc collection unique de gravures anciennes, do manuscrits,
blasons, généalogies, documents du xiv*, xV et \vr' siècles y
sera vendue. Les catalogues en -4 volumes sonl.cnvoyés gratis
sur demande par la maison Frédérik MuUer.
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Revue mensuelle de littérature et d'art
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- Directeurs : MM, A. MOCKEL et P.-M. OLIN. •
( à Liège, rue St-Adalbert, 8.
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ABONNEMENTS "5 francs l'an; Union postale, fr. 6-50
Breitltopf et Hartel, éditeurs, Leipzig-Bruxelles
TRAITÉ PRATIQUE DE
COMPOSITION MUSICALE
depuis les premiers éléments de l'harmonie jusqu'à
la composition raisonnée du quatuor et des principales
formes de la musique pour piano par J.-C. LQbe.
Traduit de l'allemand (d'après la 5® édition) par
Gustave^andré.
VIII et 379 p. gr. iu-8». Prix : broché, 10 fr.; relié, 12 fr.
Ce livre, dans lequel l'auteur a cherché à remplacer l'étude pure-
ment théorique et abstraite dé l'harmonie par des, exercices pratiques
de composition libre, fut accueilli, dès son apparition, par une
faveur marquée. La présente traduction mettra le public français à
même d'apprécier un des rares ouvrages d'enseignement musical les
plus estimés en Allemagne.
Bruxelles. — Inip. V' Monmom, 12C, rue de rindustrie.
Dixième année. — N** 16,
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 20 Avril 1890.
L'ART MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Comité de rédaction t Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
■ /
u
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. —ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser toutes les communications à
l'administration générale de l'Art Moderne, rue de Tlndustrie, 26, Bruxelles.
Sommaire
Musique russe. — Poèmes anciens et romanesques. — L'EIden
ET LE THEATRE DE LA BoUBSE. ECOLE DE MCSIQUE DE VeRVIERS.
Concerts parisiens : Société nationale de musique. — Théâtres :
Carmen. Feu Toupinel. — La conférence du livre. — Petite
chronique.
MUSIQUE RUSSE
Descriptive, presque toujours ; dramatique, souvent ;
teintée d'orientalisme, parfois : telle nous est apparue,
en la sélection d'œuvres qui nous a été présentée
dimanche par M. Rimsky-Korsakow, la musique du
groupe néo-russe qui, après les inévitables luttas de^^
débuts, est arrivé à s'imposer.
Comme procédé : l'emploi fréquent de thèmes popu-
laires dont les rythmes curieux, les licences d'expres-
sion, les modes fluctuants donnent aux œuvres une
saveur particulière. Comme technique : une instrumen-
tation colorée, vivante, judicieusement écrite , poussée
parfois jusqu'à l'exaspération des sonorités, jusqu'au
$ délire des timbres bizarres compliqués de carillons, de
sourdines, de sons bouchés, de l'éclair du piccolo, du
tonnerre des gongs.
Musique attrayante et pittoresque, fortement épicée,
plus brillante que profonde, d'un exotisme quelque peu
barbare, attestant plus de virtuosité et de talent que de
philosophie. Musique qui- marque une étape, peut-être,
dans l'évolution des concepts artistiques , entre les
formes épuisées de la symphonie traditionnelle et une
expression houvelle, inconnue, dressée en point d'inter-
rogation dans l'esprit des compositeurs.
Comme nous l'avons fait remarquer précédemment,
et quoi qu'en dise M. César Cui, le porte-étendard de la
Jeune Russie musicale, les œuvres de MM. Borodine,
Balakirev, Rimsky-Korsakow, Glazounow (nous ne
parlons que de ceux qui, à nbtre connaissance, ont écrit
des symphonies ou des poèmes symphoniques ) s'écartent
radicalement des voies suivies par Beethoven et ses
continuateurs. Elles ne présentent d'analogie qu'avec
les compositions de Berlioz, le premier qui ait affranchi
la symphonie des lisières classiques. Au lieu de déve-
loi^er, dans chacune des parties de l'œuvre, un thème
initial, les musiciens russes exposent et reproduisent
sous différents aspects, avec des altérations de rythmes
et en les revêtant d'une livrée instrumentale différente,
les motifs choisis par eux, qui tantôt jaillissent des
broussailles orchestrales en récits dramatiques, tantôt
se poursuivent, disparaissent, reparaissent, avec des
intentions d'ironierÂe plaisanterie, de jeu, en tableaux
symphoniques attachants et curieux. Comme la pupart
des thèmes adoptés sont des chants populaires, il est
permis de croire que le fait de les développer selon les
^^
traditions classiques leur enlèveraient de leur saveur et
que le système suivi par les musiciens dont nous nous
occupons est rigoureusement logique. Dans certaines
œuvres, par exemple dans la symphonie en fa dièze
mineur Ae Glazounow, jouée en juin dernier au Troca-
déro (et qu'on n'eût pas mal fait de nous faire entendre
à Bruxelles, au lieu de Vandantino, assez pâle, du jeune
maître), on découvre, toutefois, une préoccupation dif-
férente : celle de faire reposer les quatre parties de la
symphonie (traditionnellement établies, celles-ci), surun
thème générateur unique. C'est, on s'en souvient, la
même idée qui a guidé M. Vincent d'Indy dans la com-
position de sa Sijmphonie cévenole, dont les trois
- parties sont construites sur le même chant, diversement
rythmé. C'est également le mode adopté par M. Erasme
Raway dans sa symphonie. Mais cetexemple est, pen-
sons-nous, isolé dans l'école russe. A en juger par le
plus puissant de ses symphonistes, Borodine, l'intention
de ceux-ci est autre,, et c'est à la façoh des rhapsodes
qu'ils écrivent en belle langue musicale sonore et har-
monieuse, les impressions qu'ils ressentent.
Cette symphonie en m^ bémol majeur, la première
en date, classe irréfutablement Borodine à la tête du
groupe (1). Nous connaissions de lui la symphonie en si
mineur, jouée pour la première fois en 1886 aux
Concerts populaires, et qui fît, on s'en souvient, une
profonde impression. Bien que nos préférences demeu-
rent acquises à la symphonie en si, constatons que
l'autre renferme deux morceaux absolument remar-
quables : la première partie (adagio— allegro moderato)
et le scherzo, d'une finesse et d'une intensité rares. La
quatrième partie rappelle, malheureusement avec trop
\ d'évidence, le finale d'une symphonie de Schumann.
L'élément dramatique domine dans la conception que
se font les Russes de la symphonie. Nous l'avons fait
observer à propos d'Antar, la superbe composition de
Rimsky-Korsakow, que nous entendîmes en février 1887
et qui figura au programme des récents concerts du
Trocadéro. Cela paraît tout Aturel, quand on réfléchit
que c'est par le théâtre que l'école a commencé et que
les symphonistes ne sont nés que longtemps après que
Glinka et Dargomijsky, les vétérans de la cohorte,
eurent fait représenter la Vie pour le Tsar, Rousslan
et Ludmila, la Roussalha. Les nouveaux-venus eux-
mêmes (est-ce parce que le tempérament russe s'accom-
mode mieux du drame que de la musique purement
symphonique?) abordèrent tous le théâtre : César Cui a
écrit cjnq opéras, Borodine, un; Rimsky-Korsakow,
quatre. Dans les fantaisies, caprices, suites d'orchestre,
c'est l'élément pittoresque qui l'emporte, les auteurs
'puisant leurs, principaux effets dans la description,
(1) Elle fut exécutée, pour la première fois en Belgique, à Liège, en
mars 1885.
de la nature. On se souvient, à cet égard, de là
Tempête de Tschaïkowsky. Une nuit sur le Mont-
Chquve de Moussorgsky et le Capriccio espagnol
de Rimsky-Korsakow sortent de la même veine.
Chose assez curieuse, il y a dans ces œuvres compli-
quées (d'une complication purement apparente, d'ail-
leurs), une j^ertaine ingénuité que révèle le souci
d'exprimer naïvement tels bruits, de rendre telles
impressions. On découvre parfois en ces musiciens
raffinés une âme d'enfant, qui se plaît à des jeux puérils.
Si la technique de l'orchestre est poussée par eux jus-
qu'à ses dernières limites, le fond de leur art est sou-
vent très primitif. On dirait d'un Giotto repeint par
Vincent Van Gogh. Quel croquemitaine cocasse que ce
dieu Tchernobog, qui met en rumeur, sur le sommet du
Mont-Chauve, toute la chaudronnerie des classiques
sabbats! Et de quelle naïveté s'imprègnent ces soi-disant
motifs espagnols, grattés en pizzicato ou hurlés par les
trombones, en cet étrange Caprice espagnol !
Cet art-là a des affinités avec les musiques rudimen-
taires dont les expositions déroulent le chatoyant
panorama. Oui, telles pensées de ces Slaves mâtinés
d'orientalisme évoquent le souvenir des anklangs
javanais, des noubas arabes, des mélopées annamites.
Nous constatons, sans critiquer : la compréhension, à
vrai dire, de ces musiques exotiques nous échappe, et si
notre oreille est chatouillée par les harmonies inusitées
qu'elles recèlent, nous ne sommes guère aptes à discer-
ner le fond, l'essence d'art qu'elles contiennent. Peut-
être y a-t-il de ce côté un domaine à défricher, dans
lequel les Russes, les plus rapprochés des pays du
soleil, ont, les premiers, mis la pioche. Le vieux sol
musical est si appauvri, on en a tiré tant et tant de
moissons, que l'émigration serait sans doute utile. Déjà,
en France, la jeune école' trouve dans la mélodie popu-
laire l'occasion de sortir la musique des moules usés .
En Russie, où tout l'art musical vient des chansons du
peuple (nous ne parlons évidemment pas des composi-
teurs dont l'internationalisme n'a rien à voir ici, Rubin-
stein, Davidoff'et autres) (1), on va tout naturellement
un peu plus loin, et c'est l'Orieiit, proche, qui s'ouvre
aux explorateurs.
L'influence est visible dans bon nombre des composi-
tions exécutées à Liège, à Bruxelles et à Paris. Est-elle
consciente? Est-ce vraiment un voy£^ge de découvertes
qu'entreprennent les musiciens russes? Ou faut-il n'y
voir qu'un reflet éclairant leur musique de même qu'il
réchauff'e l'architecture du pays?
(1) Il est juste de rappeler, toutefois, que Rubinsteiii est le pre-
mier qui ait fait connaître à l'étranger les œuvres de ses compatriotes.
Au programme du concert qu'il dirigça à Paris le 19 février 1882
figuraient, outre plusieurs de ses compositions et un concerto pour
^ violoncelle de DavidolT, l'ouverture de Roméo et Juliette de Tschaï-
kowsky, Kasatchok de Dargomijsky et la symphonie Sadka de
Rimsky-Korsakow.
-r
LART MODERNE
123
Un autre élément se glisse dans la musique russe et lui
donne une couleur particulière : ce sont les chants litur-
giques déposés aux cartulaires des églises grecques et
précieusement conservés dans leur forme authentique,
dans la virginité des modes d'autrefois, lydien ou dorien.
Les compositeurs de la Jeune Russie y ont fait ample
cueillette d'inspirations fécondes. La Grande Pâque
tnisse de M. Rimsky-Korsakow, entendue [dimanche,
est un exemple remarquable de ce que peut faire un
homme de talent, sensible aux beautés de ces chants
religieux et sachant les harmoniser, les enchâsser, les
mettre en lumière en respectant la pureté de leurs
lignes architecturales. Nous pensons qu'avec la sympho"
nie de Borodine, la Pâque russe constituait l'œuvre la
plus intense, la plus caractéristique de toutes celles qui
figuraient au programme. Le final déclamé par les
cuivres dans un carillon sonnant à toute volée est d'un
effet grandiose.
Quant à la musique théâtrale, qui forme, nous l'avons
dit, une part importante du bagage' musical accumulé
en Russie dans uux^ace de temps très restreint (les
premières œuvres datent d'une trentaine d'années), elle
n'était représentée au Concert populaire que par le pré-
lude et les danses du Flibustier, un opéra encore
inédit, écrit par César Cui sur un texte de Jean Riche-
pin. 11 serait téméraire déjuger le théâtre rus^ sur
ces fragments d'un ouvrage dû à la collaboration olïn
auteur français et du moins national des musiciens du
groupe. ",
César Cui, dont nous avons apprécié, naguère, le
Prisonnier du Caucase, pué à Liège en 1886, grâce à
l'influence de M"*® la comtesse de Mercy-Argenteau (1),
a rendu de grands services à la cause de la musique
nationale par la polémique ardpnte qu'il soutint en sa
faveur. C'est en raison de cette circonstance, seinble-t-il,
plutôt que par le caractère de ses compositions, qu'il
figure habituellement sur les programmes « de propa-
gande » qui portent les noms de' Balakirev, de
Borodine, de Rimsky-Korsakow, de Moussorgsky,
de Liadow, de Glazounow. Ses œuvres se rattachent
directement à l'école allemande (Schumann parait
être son auteur préféré), et même à l'école italienne. Le
prélude du Flibustier est une bonne page symphoniq^
écrite par un homme connaissant son métier, mais elle
ne présente, au point de vue spécial qui nous occupe,
aucun intérêt particulier. Le ballet est banal et de
mince valeur musicale. Souhaitons qu'une occasion se
présente de juger, autrement que par des fragments de
ce genre, le théâtre lyrique russe que M. Cui, dans son
livre, la Musique en Russie, dit avoir beaucoup d'affi-
nités avec celui de Wagner, au point de vue de l'esthé-
tique, tout au moins, la technique en étant essentielle-
ment différente.
(1) V. VAt't moderne, 1886, p. 21. ,
Et s'il faut une conclusion à ces observations, disons
que les Concerts populaires, en nous faisant connaître
un ensemble d'œuvres d'une école peu connue et réelle-
ment intéressante, tant par les tendances qu'elle affirme
que par la réalisation de certaines conceptions neuves,
a bien mérité des musiciens et des esthètes. A la direc-
•tion du théâtre, maintenant, à nous mettre à même de
juger ce qui est la véritable force de l'école russe : le
drame lyrique (1).
POÈMES ANCIENS ET ROMANESQUES
par Henri de Régnier. — Paris, librairie de l'Art indépendant.
C'est un monde bien à lui, que M. Henri de Régnier inaugure
en ces poèmes. Il a parcouru quelques îles — celles où M. de
Hérédia, eh des grands arsenaux, construisit ses navires, celles
où M. Mallarmé édifia ses palais, somptueux des miroirs de son
rêve — avant d'aborder à Ses terres.
L'y voici :
Pour les créer selon ses vœux, il y a fait venir d'un passé
très lointain, les belles qui dorment en des bois, cent ans ; les
vierges des antiquités helléniques; les chevaliers des contes bla-
sonnés d'orgueil et de bravoure; les pâtres puérils et sacrés des
visions bleues; les conquéreurs de toisons et de peaux de lions;
les rouets des Elainc et des Omphale; les pèlerins lassés des
roules légendaires; les Viviane et les dames merveilleuses, les
Armide et les magiciennes; et puis encore des paons, des--
colombes, des chevaux et des licornes. En sa contrée, il a bâti
des tours et des manoirs, il a créé des forêts et des golfes, et des
clairières et des rades. Une brise de rêve qui donne souffle à tout
passe sur ce monjde et, légèrement, par son seul mouvement,
l'anime d'une vie luxueusement claire et gracieuse. On croit assis-
ter no», pas à des éveils, mais à des réveils qui auraient con-
servé toute leur naïveté de candide enfance, bien qu'ils soient
venus après de vieux et coupables sommeils. Une fraîcheur pré-
cieuse, une aurore de flammes rares mais nullement primitives,
un lac lustral ou se mireraient des fleurs de serre, voiiîu_____J
. Et c'est d'abord, en un prélude dans « l'ombre d'or d'un vieux
palais », l'Omphale, celle pour qui « le glaive rutile, 1'
Hôtesse du seuil morue et de la solitude,
Seule ombre passagère au gel des purs miroirs,
qui attend celui dont elle sera « l'âme éternelle à son âme éphé-
mère », celui à qui la quenouille est douce parce que, et non pas;
quoique porteur de massues.
La Vigile des grèves? — l'attirance par trois sœurs, vers bien-
veilïrïl%mour. Elles lui chantent : ,
Nous t'aurons rencontré proche de la fontaine
Où se miraient nos yeux et la première étoile.
Tu demandais à boire et la ville prochaine.
Nous nous sommes aimés à cause de l'étoile.
(1) Pour compléter ces renseignements, on trouvera, dans la col-
lection de l'Art moderne, des articles ou des notes sur la musique
russe au^ pages ci-après : 1882, p. 69. — 1885, pp. 15, 20, 78. —
1886, pp. 19, 21. — 1887, pp. 36, 85. — 18S9, p. 69.
^
124
U ART MODERNE
Le blanc palais drapé d'un vieux luxe de soie
S'ouvre en colonnes de marbre sur la mer pâle.
La cire en l'argent brûle sans pleur qui larmoie.
Nous mettrons à ton doigt la plus antique opale.
Nos seins aigus seront tes montagnes d'aurore, .
Doux pâtre, 6 ùidissonneur, tes blés, nos chevelures,
Où, comme aux épis, ondule le vent sonore!
Nos yeux, les glauques lacs, pêcheur, où tu captures.
Elles lui seront la conquête, la joie, la beauté, la volupté, la
vie, mais lui, viendra-l-il et enlrera-l-il dans « la barque du pas-
seur d'âmes, qui par la mer est venu vers l'exil des pauvres
âmes », viendra-l-il vers les trois sœurs qui lui seront le Miroir,
l'Amphore et la Lampe?
Il règne en ce poème une impression de lointain et d'ineffable
clarté mélancolique. Les trois sœurs, à la fois Madeleine et
Vénus, ont l'ambiguilé de mythes contraires fondus ensemble.
Elles font songer à certaines créations préraphaélites oiî les trois
vertus théologales semblent se muer en les trois Grâces et où les
sirènes ne se sont à nouveau enfoncées dans la mer qu'après avoir
passé par un Jourdain baptismal. Cette si délicate fusion de con-
traires en un nouveau type de pensée, n'est-ce pas Léonard qui le
prèrïiier l'a réalisé? Et les glaciers d'argent bleu de ses fonds de
paysages n'ont-ils pas fait réfléchir M. de Régnier?
Dans la Vigile des grèves comme dans le Prélude et dans
quelques poèmes qui vont suivre, le héros, le pâtre, l'attendu, le
bien — accueilli, c'est pas tant le poète que son rêve lui-même, son
rêve I habillé de guerre ou de repos, vêtu d'orgueil ou de mélan-
colie— et qui s'en va à la conquête de lui-même- en des livres.
C'est là une caractéristique de notre poésie, que cette recherche
de soi-même dans soi-même, et ce seul souci de l'extérieur pour y
puiser uniquement matière à se voir. Si l'on demandait à de tels
jeunes écrivains pourquoi encore ils publient des vers, combien
d'entre eux pourraient répondre que c'est uniquement pour se
rêver de la moins imparfaite manière possible.
Le Fol automne est une joie de nature bue sensuellement aux
coupes siléniennes et dansée au pas des satyres et des faunesses.
Tout un ruissellement de couleurs lie de vin et de soleils roux
parmi des feuilles éclatantes le décore,' et, néanmoins, la vision
reste délicate et, au. fond, triste.
^ La flammé, les cris, les rires' sont morts et nous mêmes
Terne pierrerie à l'or frontal des diadèmes,
Mourez selon les torches noires en les mains blêmes.
Et là-bas, aux rampes des terrasses merveilleuses,
Comme un lis se fane la quenouille des fileuses
i D'attendre encor la laine des toisons fabuleuses.
Le Salut à l'étranger se proclame ainsi ;
Etrangère, fatale en£ant, espoir des fées.
Le geste de ta main où luit la fieur d'Endbr
Destine les hécos à la gloire ou la mort, ~~.. •
Et les voue au travail des bêtes étouffées. <• * .
.••■*'■
C'est par toi que de sang fe parent les trophéev' ^
Et se crispe la-chair sous la dent qui U mord,
Et qu'au bois noir où l'arc de<frône vibre «ncoïs - ^
Une odeur de tuecie éclal^ par .^ouffées.
Si le pied triomphal parmi Tache et la flouve
Foule hors de l'antre un crin de laie ou de louve
Le cri de l'olifant qui vocifère au soir
L'angoisse de rubis dont s'orne l'âpre corne
Du fond du passé fabuleux, t'appelle à voir
La hure bestiale au poing du tueur morne.
Les Atotifs de légende et de nj^tencoh> pourraient titrer le
volume entier, n'était le mot « motif », un peu mince. En cette
partie du livre,, plusieurs épisodes féeriques défilent, les uns tirés
de vieux contes, d'autres de fables périmées. Teintes fanées,
rubans pâles, treillis de corbeilles usées or et blanc, on ne sait
quelle désuétude de fleurs et de ganses invoquer pour noter juste
ces exquis quatrains. Parfois,^ un vent froid de deuil y court en
frisson, mais la dominante n'en reste pas moins une vieille chose
claire et sonore, un cristal avec des étoffes autour qui en amor-
tissent le bruit, si l'on y touche. Des figurées de Geneviève de Brar
bant et de princesses au bois seules, et de Cendrillon en chau-
mières vétustés, tout un autrefois fané, mais si revécu e» esprit,
y passe derrière des fenêtres où « ne brûle plus aucun feu de
lampe ».
Les fleurs sont mortes sous ses pas,
De la plaine aux collines pâles,
Et le ciel est d'un rose las
Comme les roses automnales.
Les fleurs sont mortes en ses mains.
De la maison aux jardins pâles.
Et le vent chasse à pleins chemins
Un tiède sang de purs pétales
Au delà des Scènes du crépuscule où quelques pièces encore se
marquent du sceau mallarméen, voici le Songe de la forêt.
En les premières pièces est indiquée l'histoire de la Forêt et de
la Dame qui l'habite, puis le Tannhauser de cette dame surgit
à son tour, et c'est leur superbe dialogue qui est peut-être la
gloire du livre entier. Ce dialogue, c'est l'antique mais toujours
neuve lutte de la chair et de la vie "haute mais adaptée à notre
rêve et notre idéal à nous. /
Quelqu'un chantait dans la forêt, parmi le soir, '
A la dame de sa folie et de son espoir :
Quand vous prîtes rnes mains entre vos mains pâlies;
En le lileu/mdrt
° De leurs opales
Mon âme fascinée a vu des lacs de mort.
Et dai^s le bois bleui d'ombre glauque, aux opales
D'eau morte, d'eau miraculeuse et végétale
De fleurs flottantes où le silence dort,
J'entends sur l'étang chanter notre oiseau d'or.
El plus loin, vers la fin': ( "
Le millième fou de l'anti'que folie,
Moi, le sage éperdu de l'antique sagesse,
L'errant qu'un vœu du dur destin pourchasse et lie.
Moi, le pauvre affamé de toute la largesse,
Je suis venu vers toi pour une heure éphémère
Où je fus l'hôte de 'ta niagie éternelle,
« Toi le songe, toi l'opale, toi la chimère •'
Vers qui d'autres iront comme j'allais vers olte. .
Le dialogue tout entier est orné de tels vers superbes. Plus
qu'ailleurs, en ce Songe de la forêt, M. de Régnier déploie son
don — le plus beau -r- de transposer au delà de la réalité, quel-
que part, là haut, dans un monde spirituel de figures, d'allégories
et de mythesi'la conceptipn qu'il se fait de ses sensations et de ses
pensées., Bien que le mot agace — que d'imbéciles l'ont employé
~L
à tort el à travers — nous jugeons M. de Régnier : le plus
nel poète symboliste- qui soit en France. Naturellemenl, sans
qucun effort, ses idées s'incarnent en symboles, et c'est merveille
à lui de nous les produire toujours quelque peu dans le vague el
l'indéfini, pour qu'on soient augmentées la simplification el la
poésie. " '*
Ce n'est pas uniquement chez lui comme chez bien d'autres,
une question de lettres majuscules en coefficient devant certains
substantifs.
Les vers de M. de Régnier — de la technique desquels je n'ai
pas le temps de parler — sont suscitaieurs et provocateurs de
visions fières. Ils vont souvent loin au delà des mots. Ses images
sont pleines de grâce héraldique et tels tours de phrase rythmés
au pas de l'idée.
Certes, les Poèmes anciens et romanesques feront date.
L'ÉDEN ET LE THÉÂTRE DE LA BOURSE
11 semble que l'administration communale de Bruxelles a tenu
compte de la récente étude consacrée par VArt moderne à la
reconstruction du théâtre de la Bourse (I). Nous apprenons, en
effet, que le collège est décidé à exiger deux escaliers spéciaux
desservant chaque étage de la salle. Tout est donc bien de ce
côté. Ce qui est plus fâcheux, c'est qu'en présence d'autres
exigences de la ville — celle ci voudrait notamment que
M. De Luyck démolit tous les magasins, échoppes et cafés établis
au rez de chaussée du théâtre — le propriétaire du théâtre prenne
le parti de ne pas le reconstruire. Coïncidence bizarre, le collège
propose en môme temps de démolir TEden. C'est aller trop
loin. On s'est plaint souvent de l'abondance des théâtres à
Bruxelle^, mais il y aurait de l'exagération à en supprimer deux
d'un coup : nous serions ainsi ramenés à la situation ante i880. .
Le public s'est habitué h ce nouveau genre de théfflre (créé à
l'Eden d'une manière très originale par l'architecte W.Kuhnen),et
ce serait le priver d'un vif plaisir que de lui enlever ces vastes
promenoirs, ces bars, ces jardins d'hiver, etc., qui sont pour
beaucoup dans l'agrément d'une soirée joyeuse; ce serait dur de
devoir de nouvenu se contenter des couloirs et des foyers exigus
de la plupart de nos salles de spectacles.
Si, bien décidément, la ville maintient ses exigences el si le
théâtre de la Bourse ne doit pas être reconstruit, nous insistons
vivement après du collège pour qu'il nous laisse au moins|l'Eden ;
k défaut de Palais des féies, il y aura, à Bruxelles, au moins
une salle un peu vaste et où l'on n'étouffe pas l'été, la présence
de nombreux étrangers exige absolument qu'on leur donne un
lieu de réunion où ils puissent passer une soirée ; en conservant-
l'Eden on leur donnera satisfaction et on laissera subsister la
jolie création architecturale qui a donné naissance à tant d'autres
édifices similaires>
ÉCOLE DE MUSIQUE DE VERVIERS
Concert annuel.
{Correspondance particulière de l'Kkî ^oviZ'K^i).
Le succès du concert de l'Ecole de musique atteste la sincérité
des aspirations artistiques de notre population. Y méle-l-elle un
(1) Voir notre n" 6, 1890, page 44.
grain d'esprit de clocher? C'est possible, mais où est le mal? Dans
notre pays de débinage chronique il est consolant de trouver des
sympathies et des encouragements.
Le Sorbier d'Emile Mathieu vous est/connu. C'était, pour la
plupart des Verviéiois, du fruit nouveau. On a écoulé avec plaisir
ce peiit poème descriptif, qui, en vives couleurs, dépeint si bien
et la solitude ardennaise et l'arbre isolé dan^ les Fanges et sa
capricieuse habitante. ^
M. Lekeu est un compatriote, jeune encore (il a vingt ans â
peine), qui travaille à Paris sous la direction de César Franck. Son
Chant de délivrance cons\\{yi& son Opus. i. Peul-élre révèle-t-il
l'abus de la formule, qui par trop se répète et n'a pas le carac-
tère des /«7wo/it;c de Wagner. Mais l'inspiration est large, la mélo-
die se développe franchement el l'impression générale n'a rien de
mince ni de vulgaire.
Citons aussi deux mélodies de Gustave Kefcr qui ont été fort
gentiment dites par M"* Roelanls, une jolie voix cl une jolie dic-
tion, et des pièces pour violon de M. Eugène Ysaye, jouées par
l'auteur.
Tous nous attendions impatiemment la Symphonie de Louis
Kefer, qui, au concours de. 1887, a été couronnée par l'Académie
de Belgique. Sur la conception philosophique de la lutte de la
. Force et de la Beauté contre le Hlal, Kcfer a créé une œuvre qui,
à notre avis, réalise adcpirablement l'idée inspiratrice. Les leit-
mo/ifc sont très caractéristiques, très vrais; les développements
polyphoniques dont est revêtue la pensée, puissamment colorés
et savamment amenés; les harmonies, larges cl neuves; l'oiches-
Iration a été détaillée et soignée de près. Le thème du Mal, par
exemple, dit tantôt par les trombones, tantôt en sons bouchés
par les cuivres, produit un effet empoignant. La Force éclate en
toute sa grandeur dans le premier allegro, la Beauté s'affirme dans
toute sa splendeur dans Vandante, et nous pourrions ajouter que
la Grâce ne perd pas ses droits, qu'ell&revendique dans le délicat
menuetto et dans le très rythmique et H-ès enlevant finale qui cou-
ronne l'œuvre. v '
Un penseur, un philosophe, un artiste l'ont créée, cette sym-
phonie qui atteste la triple compréhension de l'art progressif.
Notre public l'a hautement appréciée el parfaitement comprise ; il
eu a souligné le succès par ses chaleureux applaudissements.
CONCERTS PARISIENS
SOCIÉTÉ NATIONALE DE MUSIQUE
{Co^Tespondayice particulière de l'Art moderne.)
Paris, 17 avril 1890.
On accuse volontiers le comité de la Société nationale d'avoir
des idées révolutionnaires en art el de faire jouer de préférence
la musique qu'il aime. N'est-ce donc pas fort naturel? L'Institut et
le Conservatoire ne défendent-ils pas, eux aussi, les idées qu'ils
croient justes?
En tout cas, si la Société nationale est à la tête du mouvement
musical français moderne, elle n'est pas pour cela une société
fermée. Le concert de samedi dernier était vraiment peu révolu-
tionnaire.
Un allegro et andante pour piano,'\iolon cl flûte de M. Meurani,
un débutant; un Quintette de M. Chcviliard; des Variations
artistiques (singulier litre!) de M. Pfeiffer; des mélodies de
rs-^
126
i:art moderne
^
M"'«» Pfeiffer cl Marty ; la siiile de yahos Helvelia de V. d'Iiidy,
délicieusemcnl jouées par M"* Kara Chalteloyn; la réduclion à
qiialre mains, par M: d'indy, de la Viviane de M. Eriicsl Cliausson ;
tout cela ne, fait pas un ensemble de musique « sulfureuse »,
comme on dit au Ménestrel.
Mais peut-élrc se r^smail-on pour le concert de samedi pro-
chain, pour lequel on annonce la première audition du Quatuor à
cordes de César Franck. On peut s'attendre à un déchaînement de
colères et de sottises, car le génie si indéniable, et pourtant si
laissé dans l'ombre de César Franck, a le don d'exaspérer les
défenseurs des traditions dites saines. Malheureusement pour eux,
le public commence à se lasser de la musique bien pensante, et
nous parierions volontiers qu'il y aura foule, à la Nationale, pour
applaudir le nouveau chef-d'œuvre d'un des plus grands maîtres
de la musique moderne.
CARMEN
On a repris Carmen, la semaine dernière, au théâtre de la
Monnaie, et cet événement a donné lieu à des manifestations
diverses, d'un goût douteux. Chuter une artiste de la valeur de
M"'- Samé parce qu'elle instaure une interprétation à elle, diffé-
rente de celle des titulaires précédentes du rôle, nous paraît assez
déplacé. Il est permis de discuter l'artiste. Il est grossier d'ac-
cueillir par des « chuls » la tentative qu'elle fait d'être origi-
nale. Dans Carmen, M"" Samé est, jusqu'au fond des moelles,
provocante, populacière, gitana. Elle a des déhanchements
canailles, des dins d'oeil aigus comme des pointes d'épée, des
gestes non équiji^oques. Elle joue le rôle en fille des rues, en
cigarièrc amoureuse d'un soldat, et cette prétention d'être la
Carmen de Mérimée nous semble tout aussi respectable que
celle de ne pas s'écarter des traditions... Après l'algarade au
cours de laquelle elle dessine, avec son couteau, une croix de
-Saint-André sur le visage d'une camarade, elle entre en scène la
manche déchirée, les yeux farouches. Chez Lilas Pasiia, elle est
merveilleusement chatte, sa taille s'assouplit avec grâce aux
rythmes de la Sevillana. Dans la montagne, elle redevient la bête
mauvaise, révoltée et sournoise, qui amène logiquement le coup
de couteau du quatrième acte, lancé par Don José tandis qu'écla-
tent les triomphales fanfares qui exaltent le courage d'Escamillo.
Après les Carmen plantureuses et' mûres, menant tout d'un bloc
leur personnage en se préoccupant surtout dfe bien chanter, à la
rampe, le sourire aux lèvres, les « airs » de Bizel, l'inlerpréta-
lion de M"* Samé a pu paraître étrange à ceux qui n'admettent
pas qu'on les contrarie dans leurs habitudes. Nous l'avons trouvée
très intéressante, et \raiment artiste. Comme chanteuse, M"^ Samé
n'a évidemment pas l'organe de M™^ Deschamps, dont les notes
graves vibraient comme des cloches. Elle rajjctisse la musique
en la Autant de sa petite voix fine. Mais elle se lire fort adroite-
ment d'aft'aire, et mime si bien son rôle qu'elle fait perdre
l'envie de critiquer la manière dont elle le chante.
En M"* Samé résidait l'intérêt unique de la représentation, le
cadre dont elle est entouré étant parfaitement banal et insigni-
fiant. Nous n'exceptons même pas l'orchestre, qui a été au dessous
de lui-même. Et pourtant, quelle jolie chose que cette partition
délicate, el quel charme il y aurait à lui donner tous les soins
qu'elle mérite !
Feu Toupinel
■ Feu Toupinel continue la série des pièces destinées, par la
direction du Théâtre du Parc, à consoler les habitués des rigueurs
duThéâlrc-Librc.Lrie pochade dérobée au réperloire du théâtre du
Vaudeville.
. Toupinel, feu Toupinel, avait une femme et une maîtresse.
Duperron a épousé la veuve, et le capitaine Mathieu, qui
revient du Tonkin après trois ans d'absence, a été l'amant de la
maîtresse, qu'il croyait être la véritable M""= Toupinel.
L'histoire de celte liaison, qu'il commet la gaffe de raconter à
son vieil ami^uperron, met celui-ci en émoi. 11 faut à tout prix
éviter que Mathieu voie sa femme, rex-M'"''Toupinel que Duperron
s'imagine avoir été l'amie trop intime du capitaine. Ceci a^nène
des incidents burlesques dont le plus corsé est l'apparition de^
Mathieu coiffé d'un moule à pâtisserie et roulé dans une couver-
turc. L'imbroglio se dénoue, après des complications insenséesy»
et l'on applaudit les deux ex-Mesdames Toupinel, celle de la
main droite et celle de la main gauche, Mii«»Richmond et Besnier,
très élégantes çn'^ leurs robes mauves presque identiques.
La Conférence du Livre.
Le programme provisoire des travaux de la Conférence du
Livre, qui se réunira â Anvers au mois d'août prochain, 1» l'occa-
sion du troisième centenaire de Christophe Plantin, vient d'être
publié.
On verra, par renonciation sommaire des questions à l'ordre
du jour, l'importance el l'intérêt de celte réunion.
PREMIÈRE SECTION
Questions relatives à l'objectivité du Livre ; sa nature, sa com-
position, sa conservation, etc.
Adoption d'un système général de détermination des formats.
Classement international des caractères d'imprimerie.
Règles d'uniformité à proposer en ce qui concerne la tomaison,
la pagination, les titres courants, les tables des matières, etc.
Questions relatives aux procèdes d'illustration, au meilleur éta-
blissement du Livre dans les divers ordres subjectifs ; livres con-
sacrés aux sciences, aux lettres, aux arts, à la liturgie, etc.
Reliure : moyens à proposer pour le développement de cet art;
reliure des ouvrages destinés aux bibliothèques publiques ; entente
internationale concernant la reliure des ouvrages échangés entre
les gouvernements, etc.
DEUXIl^ME SECTION
Questions relatives à l'expédition du Livre et à la librairie.
Questions relatives au taux de transport et aux droits de
douane. '^
Suppression des droits de douane sur le Livre.
Recherche des moyens de perfectionner l'organisation de la
librairie en Belgique el de créer une fédération inlernationale des
associations de libraires établies ou à établir.
Examen des règles suivies dans les relations des libraires et des
éditeurs avec les auteurs, concernant les tirages, les remises, les
droits d'auteur, etc.
TROISIÈME SECTION
Usage public el échange international officiel du Livre.
V
Organisation dos bibliothèques publiques.
Création de bibliog^raphies nationales.
Etude d'un syslônie uniforme de catalogues pour les grandes
bibliothèques. '
Communication des livres imprimés et des manuscrits d'une
bihiiothèque publique; projet d'entente internationale.
Echange officiel du Livre; extension k donner aux traités con-
clus entre divers pays.
Formule de garantie muluelle, légale, entre gouvernements, de
tous les objets faisant partie du domaine public spécial des
musées et des bibliothèques.
toute personne désireuse de prendre part à la Conférence est
priée de s'adresser par écril, avant le i" mai, à M. Max Rooses,
conservateur du Musée Planlin, à Anvers. L'admission est gratuite.
Toutefois, les membres de la Conférence qui désirent recevoir le
compte-rendu des travaux, auront à acquitter une cotisation de
10 francs.
Une exposition du Livre sera organisée, à la même époque, à
Anvers, dans les locaux du Palais de l'Industrie, des Arts et du
Commerce. / ..
Petite chro|^ique
La troisième des séances de musique classique pour instru-
ments h vent et piano données au Conservatoire par MM. Anthoni,
Guidé, Poncelet, Merck, Neumans et De Greef aura lieu aujour-
d'hui dimanche.
On y entendra le Quintette de Rubinslein, lin Caprice de
Saint-Saëns et un Ottetlo de Lachner.
En outre, M. De Greef exécutera plusieurs pièces de Schumann
pour piano. Nul doute que le public dilettante ne se porte en
foule à celle intéressante audition.
M. Joseph Mcrlens donnera une audition musicale à la salle
Marugg, le mardi 29 avril 1890, à 8 1 2 heures du soir.
Celle audition, consacrée aux œuvres de l'auteur, aura lieu
avec le concours de M"** Dyna Boumer, Berthe Chainaye, Hélène
et Malvina Schmidt, Vandercammen, et de MM. Vandergoten et
Saey.
Le programme, varié et intéressant, qui comprend des com-
positions vocales et instrumcnlales, promet une séance des plus
attrayantes.
Des cartes cTenlr^îe (à 6 et à o fr.) sont déposées chez les édi-
teurs de musique et chez M. René Devleeschouwer, ol, rue Saint-
Josse!
Une audition d'œuvres de musiciens belges sera donnée le
30 avril, à 8 heures du soir, à la salle Marugg, par les soins des
membres de l'Unie club qui, l'an dernier, avaient organisé déjà
une séance analogue.
Par jugement en date d'hier, le tribunal de commerce do
Bruxelles a rapporté la faillite q^ui-avait été prononcée par défaut,
il y a quinze jours, à charge de M. Victor Silvestre, ancien
directeur de l'Alhambr^^cluellement à Paris.
Le comité forhié pour l'organisation de celle expositron se
compose de MM. Edmond de Concourt, Pli. Burly, Gonse,
Monlefiore, Anlonin Proust, E Taigny, Ch. Gillotel Bing.
M. Bing, dont on sait les merveilleuses collections, a été l'ini-
tiateur do ce projet qui est assuré d'un grand succès. Celle expo-
slion foni connaître au public parisien les merveilles de délica-
tesse ci de coloris que jusqu'à présent quelques amateurs avaient
seuls pu apprécier.
La quatrième exposition de Blanc et Noir aura lieu cetlc année,
en octobre et novembre, au Pavillon de la Ville de Paris.
Pour tous renseignements, s'adresser à M. E. Bernard, direc-
leur-adminislraleur, 7i, rue La Condamine.
Une intéressante exposition de l'Estampe Japonaise s'ouvrira
le 22 de ce mois, h Paris, à l'Ecole des BeauxT,\ris.
L'Exposition musicale qui devait s'ouvrir à Vienne l'été pro-
chain, en même temps que le grand festival des chanteurs alle-
mands, sera remise au printemps de l'année 1891. Au lieu d'être
circonscrite à l'élément auslro-hongrois, l'Exposiiîon sera inter-
nationale et toules les nations du monde civilisé seront invitées à
y participer.
Madame_.Cosima Wagner vient, dit Gil Bla.%, d'accorder à
l'Opéra royal de Milan l'autorisation de donner celle année quel-
ques représentations de Parsifnl. On sait que, jusqu'ici, le
théâtre de Bayreulh avait conservé le monopole de la dernière
œuvre de Richard Wagner.
L'influence d'Antoine s'étend jusqu'en Allemagne, dit l'Echo de
Paris.
La.tréalion d'un théâtre libre à Berlin est assurée. Les repré-
sentations seront données les dimanches après-midi. Le prix
d'entrée unique sera très .modique et se montera à"' peine à'
2 francs. . '
Parmi les dift'érenles villes des Etai^^^lai^ où l' Angélus de
Millet a été exposé, il s'en trouve quelques-unes dont les habi-
.tants ont plus le sentiment dès affaires que celui des f^eaux-arts.
Dans l'une de ces dernières, le public ne semblant pas se rendre
compte de ce que voulait dire au juste le tableau, les organisa-
teurs de la tournée d'exposition eurent l'idée merveilleuse do
placer au dessous une pancarte explicative sur laquelle on lisait :
« Ils enterrent leur enfant » !
Entretiens politiques et littéraires. — Sommaire du numéro
d'avril : Thomas Carlyle, Des Symboles. Paul Adam, Le Socia-
lisme européen. Georges Vanor, Propos de Carême. Francis
Vielé-Grifïî'n, Un livre nouveau. Notes ei noiulos. — Paris, librai-
riç de VArt indépendant, rue de la Chaussée d'Anlin, \l. —
Prix : 25 centimes.
' La Wallonie. — Sommaire des n"» 2-3 : Emije Verhaoren,
Soirs de jardin. Charles Van Lerborghe, Taie. Francis Vielé-
Griffin, Mon rêve de ce soir. Charles Delchevalerie. i4i'n7 d'âme.
Gabriel fiourex, Prélude. M^rio Varvara, de i <■•■ Album parisien ».
Jules Bois, Tes Veux. Au^usie Vierset, From Home: The Tower
I Westminster-Abbey). Charles Sluyts, Vers. Henry van de Vclde.
Not^ d'Art. Jean Delville, Saint-Jean, le Théoloqieji : l'Ame
lies foules. P. -M. 01in,,Ch. D.. etc. Chronique d'Art. Hubert
Krains, Chroynque littéraire. Petite Chronique.
y
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Pour tous renseignements s'adresser à la Direction de l'Exploitation des Chemins de fer de l'État, à Bruxelles, à l'Agence générale des
Malles-Poste de V État- Belge, Montagne de la Cour, 90*, à Bruxelles ou Qracechurch-Street, n» 53, à Londres, à V Agence de Chemins de fer
de VÉtat, à Douvres (voir plus haut), et à M. Arthur Vrancken, Domkloster, n» 1, à Cologne.
p'TUDE DU NOTAIRE DELVAULX, A MALIXES
VENTE PUBLIQUE
DE SPLENDIDES
ANCIENNES TAPISSERIES FLAMANDES
-A. :m:-a.i_.iites
Le notaire VAN . MELCKEBEKE, résidant à Maiiiics, à l'inter-
vention de son collègue maître DEL VAUX, en la même ville, vendra
publiquement le Vendredi 9 Mai, ù 3 heures, en la mortuaire de
M. D'Avoine, rue des Vaches, n» 33, à Malines :
Les magnifiques TAPISSERIES FLAMANDES garnissant le grand
salon, représentant : paysages, oiseaux et verdures avec larges boi"-
*dures de fleurs et comprenant cinq grands panneaux, mesurant :
l» 5«',45 sur 3'n,25 ; 2» 4">,86 sur 3'n,25 ; 3* 2'»,66 sur 3"',23 ; 4° 4'n,53
sur 3", 25; 5° 3'°,40 sur 3", 25; et deux petits panneaux, mesurant le
1" 0'n,82 sur 3", 25 et le 2« 0'n,4û sur 3"',25.
Ces tapisseries, par leur ancienneté,*'le fini de leur exécution, la
délicatesse des couleurs et leur parftiit état de conservation, méritent
de fixer l'attention de tous les amateurs.
Deux magnifiques MEUBLES ANCIENS avec incrustations et
peintures (scribans).
On peut se procurer la photographie du panneau prin-
cipal en l'étude du dit notaire DELVAULX, rue Louise,
35, à Malines, moyennant envoi d'une somme de 2 francs.
PIANOS
BRUXELLES
me Thérésiénne, 6
GUNTHER
VENTE
ÉCHANGE
LOCATION
Paris 1867, 1878, 1" prix. — Sidney, seuls 1" et 2« prix
EIPOSITIOIS ilSTERDil 1883, ilTEBS 1885 DIPLOIE D'IOmOl.
Breitkopf et Hartel, éditeurs, Leipzig-Bruxelles
TRAITÉ PRATIQUE DE
COMPOSITION MUSICALE
depuis les premiers éléments de l'harmonie jusqu'à
la composition raisonnée du quatuor et des principales
formes de la musique pour piano par J.-G. Lobe.
Traduit de l'allemand (d'après la 5^ édition) par
Gustave Sandre.
VIII et 379 p. gr. in-8f>. Prix : broché, 10 fr.; relié, 12 fr.
Ce livre, dans lequel l'auteur a cherché à remplacer l'étude pure-
ment théorique et abstraite de l'harmonie par des exercices pratiques
de con^pàsition libri^, fut accueilli, dès son apparition, par ube
faveur marquée. La présente traduction metti^a le public français à
'même d'apprécier un des rares ouvrages d'enseignement musical les
plus estimés eh Allemagne. '
BruxeUes. — Iinp. V* Monnom, 26, rue d« l'Industrie.
Dixième année. — N" 17.
Le numéro
: 2^
centimes.
Dimanche 27 Avuil 1890.
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
/
/ Comité de rédaction : Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgifiue, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. —ANNONCES : Qn traite à forfait.
_
Adresser toutes tes communications â >
l'administration générale de l'Art Moderne, rue de l'Industrie, 26, Bruxelles.
S 0 M M
AIRE
La Bête humaine. -^ Mort d'Edouard De Winteb. — Les
MicRoiiES. — Livres de i'romexades. — Les Crcmlecus tr Dolmens
DE Belgique. — Note.s de musique : Au Conservatoire. Aux
Artistes-Musiciens. — SociiiTÉ nationale de musique : 20ô<^ concert.
— Cueillette de livres. — Petite chronique.
LA BÊTE HUMAINE
par Emile Zola. - Paris, chez Charpentier, éditeur.
Certes, ce roman, vers la trois cent cinquantième
page, sent la fatigue. L'instruction de l'aflaire Cabuche-
Roubaud n'est guère aussi magistralement décrite.quft.
celle de l'aff'alre Grand-Morin et la lutte de Pecqueux
et de Jacques L|intier, trop à la diable, menée, aurait
précipité le dénouement dans la chute mortelle des deux
hommes, n'étaient les quelques splendides lignes finales
sur le " train fantôme ". Et, au surplusyci et là, on songe
à tels romans-feuilletons à caisse de suspensions brusques
de récit, augmentant, selon les vieilles formules, « l'in-
térêt du récit " . Quand Flore amène l'attelage du jcar-
rier Cabuche sur les rails du passage à niveau de la
Croix-Maufras et que le déraillement de l'express du
Havre à Paris se produit, il y a des pages et des pages
d'arrêt avant que l'auteur ne décrive les résultats
angoisseux de la catastrophe.
Ajoutons que les procédés ne changent point : le^
personnages se' racontent en discours indirects tout
au long du livre; les bouts de conversations coupent,
•d point nommé, les récits; les caractéristiques toujours
identiques sont données chaque fois que tel personnage
entre en scène ; le tout, presqu'automatiquement.
Mais qu'importe ! — légères tares que ceci. L'œuvre
n'en demeure guère moins : une qui prend place à côté
des Assomtnoir, la Terre et Geryainal.
■ La critique a été prolixe à l'endroit de la Bête
humaine. On en connaît le sujet; tous ceux qui se
sentent attirés par le^ aimants du génie gros et vaste
de Zola l'ont lue. Il n'est donc nécessaire de raconter
le drame ou plutôt les drames de ces quatre cent et
quinze pages. Mieux vaut, crôyons-nous, faire la cri-
tique des critiques qu'on en a faites et fixer ainsi, inci-
demment, la signification et la valeup-diTtravail.
Un des à la mode greffiers, enregistreurs de nouveautés
littéraires, parisiens, atfirme que^ pour la première fois,
l'auteur n'a pas établi ses personnages eu rapport avec
leur milieu. Des êtres instinctifs tels que Jacques,
Flore, Cabuche, Séverine poiiyaieut se mouvoir et
développer leurs vices n'importe où ailleurs que dans
des centres tels que Paris et lé HAvre et en d^s halls, des
entrepôts, magasins, des cabines de. garde et des tun-
130
VÂRT MODERNE
nels. Ce milieu de civilisation leur est indifférent, si
pas contraire.
En alignant ce reproche, on ne sait pas l'étonnante
atmosphère de fièvre et de surexcitation que suscitent
les gares et les ligne»jerrées. La soudaineté des signaux
rouge-sang, l'éclair et les tonnerres des express se suc-*
codant, les enfoncements des rapides en dçs gouffres de
noir, les sinistres appels des locomotives, les départs
affolés, les foules, les cris et les adieux, tout ne se fond-il
pas en de l'anxiété et de la trépidation? Ceux qui tuent
n'éprouvent - ils pas des agitations correspondantes
ébranler leur cervèànTUn meurtre brusque, longue-
ment prémédité, n'est-ce pas un train passant comme la
foudre à travers mille périls mathématiquement con-
jurés par les aiguilleurs de la route. La perpétration
du désir ne fait-il songer à des affolements de cohue?
La tempête d'une arrivée et le démarrage lent d'un con-
voi bondé, n'ont-ils pas toujours une signification sinistre
de victoire ouae catastrophe en relation avec le hasard.
Et puis, comment n'avoir pas compris la signification du
milieu où baignçnt les personnages, quand, dans la mai-
sonnette des Misard, il crie à chaque ligne l'opportunité
de son choix? Vraiment, les greffiers de la critique
parisienne ont des distractions graves.
Ils appuient encore : Zola, en la Bête humaine, n'a
pas entrepris une étude unique; il a étudié deux classes
dé gens : les fonctionnaires des chemins de fer et ceux de
la justice. L'intérêt bifurque, le roman se relâche au
lieu de se serrer.
Parfait — seulement on oublié que les fonctionnaires
des chemins de fer ne sont envisagés que comme délin-
quants : joueurs ou assassins — ce qui ne veut pas dire
évidemment qu'il n'y a que des criminels dans la Com-
pagnie de l'Ouest français — et qu'envisagés tels, ils sont
nécessairement mis en présence de cette autre catégorie
de fonctionnaires, les juges. Il est impossible de faire
une physiologie d'assassin ou d'empoisonneur se mou-
vant en une société moderne, sans lui donner comme
relation une physiologie de magistrat. Le monde des
filous et celui des cours de justice entretiennent de trop
nécessaires rapports. Il était donc fatal que, dans la
Bêle humaine, les deux mondes fussent examinés
coiTélativement.
Et maintenant, un mot sur les protagonistes du livre.
D'abord Jacques Lantier. C'est lui l'assassin né, celui
qui tue parce qu'il le doit, parce qu'à tel instant ses
mains n'obéissent plus à sa volonté et que rien au monde
ne pourrait retarder ce qui doit, à tels moments,
arriver malgré tout. C'est le type !e plus net de bête
humaine. ^
yauteur ne le fait agir que sous ce mobile général ci :
venger d'anciennes injures reçues de la femme par les
mâles, ses ancêtres, là-bas, très loin dans les temps, au
fond des cavernes. Cette raison de tuer nous paraît
littéraire. Et surtout n'admettons-nous p?is qu'elle
vienne à l'esprit d'un mécanicien, simple employé,
presqu'un ouvrier. Des hommes comme Jacques Lantier
ne se font pas de tels raisonnements. Mais nous admet-
tons parfaitement que des types d'assassins, tels que
Jacques existent, nombreux, et que, dans le roman, il
vive de sa vraie vie de bête incivilisable.
Roubaud n'est qu'un quelconque brutal. C'est le
jaloux, un Othello bourgeois, un Othello d'occasion,
qui obéit plus à des préjugés, qu'à de la vraie passion.
Le président Grandmorin l'a déshonoré en violant sa
femme. C'est leur injure qu'il venge, bien plus qu'autre
chose. Sa femme il l'aime, mais non pas assez pour
continuer à l'aimer à travers leur crime.
Misard fait songeràces assassins vieillots, méticuleux,
petits, dont l'arme doit nécessairement être sournoise
comme le poison est lent. Il y a en lui du putois et de la
souris. C'est un rongeur de vie et non pas un abatteur
d'existences. Il est terne, d'un ton gris et jaune, il fait
songer à des types comme l'horloger de Montreuil. C'est
l'assassin de village, des chaumières, des petites fermes
au loin en des abandons de campagne. Et naturellement
son mobile à lui doit être le plus bas qui soit : l'argent.
Flore tue comme une femme, étourdiment. Que lui
importe une vingtaine de morts inutiles, pourvu qu'elle
arrive au but. Elle fait dérailler tout un train, et
occasionne une catastrophe vaine pour elle. Et logique,
toute >à sa passion, elle se tue après.
Séverine, c'est la complice. Celle qui pourrait avoir
des remords, mais dont la passion violente et profonde
étouff'e toute reddition de compte de conscience. Son
amour pour Jacques, amour net, vrai, total, seul, la
jette dans la lutte humaine et logiquement dans la
mort. Assassiner lui paraît naturel, si pas légitime.
Aussi, quand Jacques venu pour abattre Roubaud,. la
tue, elle, n'a-t-elle qu'un cri. Elle ne proteste pas contre
le meurtre, elle ne proteste que contre l'erreur sur la
personne. — « Jacques, Jacques. . moi! mon Dieu!
pourquoi ? » Zola a fouillé assez profondément cette pas-
sion : l'amour sanglant. Mais, quoiqu'il proteste, il ne
la distingue guère assez du sadisme ; l'idée de la mort
vient à Jacques toujours au juste moment précis où lui
vient l'idée de volupté. La chair l'aveugle jusqu'au sang.
Certes, lutte-t-il contre sa sinistre fatalité. Il s'en défend
— victorieusement souvent. Ce qui n'empêche, que c'est
au récit fait, par Séverine, du meurtre du président
Grandmorin, qu'il se renfiamme à sa manie et que c'est
pour sentir des tressants d'agonie, scander leurs baisers
qu'il ne peut retarder de l'abattre, elle aussi. C'est pas
sadisme pur : de la cruauté pour de la cruauté ; mais :
de la cruauté çlour de l'amour.
Il suffit d6"noter, comme nous venons de le faire, ces
quelques caractères et d'ajouter que c'est leur dévelop-
pementlogique et habile, qui seul compte, pour faire
Vc
'^A
. . . ■)
admettre, croyons-nous, qu'avant d'être n'importe quoi,
la Bête humaine est une étude sociale du crime. Et
puissante, certes.
Dans V Assommoir, Zola documenta la passion alcoo-
lique; dans Germinal, l'agitation révolutionnaire ; dans
la TetTe, l'avarice terrienne ; dans la Bêle humaine,
l'assassinat. Tous ces livres, au premier chef, sont
livresdémocratiques.Les vices étudiés? — ceuxdu peuple.
Les protagoniste»? — gens de travail manuel, ouvriers,
• paysans, ou gens à peine sortis du tâcheronat. Et pour
mener à bien ces problèmes d'une signification si grande,
certes, a-t-il été permis au romancier de négliger et, au
'^pis, de rater telle étude précédemment consacrée aux
mondes bourgeois ou aristocratique. Il avait les doigts
trop gros pour tou^er à autre chose qu'au peuple.
Mais à celui-là, il a atteint avec des doigts chargés de
génie. C'est là sa force, toute. Et tel, prend-il rang
parmi les hommes littéraires de ce siècle, les plus ori-
ginaux et les /plus superbes.
Balzac? C'étaient des marquises et des ducs, des
canailles huppées et des aventurières raffinées, des
bourgeoise^ dignes d'être princessesou asàez impatientes
d'elles pour se créer courtisanes; c'étaient des rasta-
qouères de génie, des bandits dandysés, des criminels
plus audacieux et plus habiles que des hommes d'Etat;
c'était, en un mot, l'individu-héros, placé dans le haut
de la société, ou bien, venu du bas, mais y étant grimpé ;
c'était l'homme seul et la comédie humaine n'est qu'une
collection de spécimens, tous haussés jusqu'au type —
îiu fond, jusqu'à Balzac-Protée.
Stendhal? C'était la volonté. Une étude non pas tant
de personnages que de facultés d'âme. Etudes aussi de
l'habileté, de la bravoure à froid, de la diplomatique
passion d'amour. Stendhal disserte avec des preuves à
l'appui de son dire. Il était trop monsieur cravaté de
blanc et habillé de noir pour descendre en dessous d'un
certain pî^lier de l'escalier social.
Flaubert? — son art trop parfait pour être vaste. Et
les Concourt? — mosaïstes patients et curieux et aigus,
plutôt que romanciers nécessaires. Livres suprêmes,
mais œuvre, ni assez large, ni assez ramue.
Hugo? Celui qui n'a jamais été un regardeur mais
qui toujours fut un voyant. Ses Misérables et ^on
Homme qui r<7etses Travailleurs delà «îc'r sont, avant
d'être des livres, des légendes. Légendes modernes ou
contemporaines, comme ses poésies sont légendes à tra-
vers les temps. Mais, s'il est vrai que toujours le vague
en n'importe quoi précède le déterminé et le positif, et
(juexde lui sort le certain et le réel, comment ne pas sai-
sir, presque instantanément, la liaison et le rapport entre
les romans fobuleux de Hugo et les romans précis de Zola.
N'ont-ils pas le rapport de l'astrologie avec l'astre-
minie, de l'alchiniie avec la chimie? En somme, ne sor-
tent-ils pas les uns des autres?
r
Au peuple, Balzac n'avait guère touché. Hugo avait
imaginé d'en extraire une épopée. Zola, le premier,
en tire des éludes, qu'il étiquiFtte romans. D'où l'on peut
conclure, que si le chef du naturalisme français se
réclame de Balzac, il n'est certes pas, comme il l'écrit,
indépendant de Hugo. Il les réunit en lui, et peut être
tient-il plus de celui-ci que de celui-là. '
La Terre, Germinal, la Bête humaine évoluent au-
tour des Misérables bien plus qu'autour des Paysans
ou de Vautrin. Ils sortent de ce livre social, lui aussi,
livre aïeul, livre héroïque, livre plein d'utopies et de
rêves, de fables et de merveilleux, mais livre vaste où
— ce qu'on ne sent pas dans Balzac — on voit passer et
penser et agir des foules et les hommes de la foule.
Il resterait à examiner le symbolisme de Zola, ses
attaches romantiques, sa manie de personnification des
choses. Il grossit comme tels autres lyriques grandissent.
Aussi, à dire pourquoi il arrive à son heure et pour-
quoi ses livres, criants d'actualité, inaugurent — psy-
chologie ou physiologie? — question de mots ! — l'étude
de l'humanité de demain, celle- non plus d'un type
humain, mais de classes humaines. Dans cet avenir,
qui, suivant nous, Réparera de plus en plus les prosa-
teurs des poètes, le fait du romancier sera de faire
l'histoire des groupes et des collectivités en une langue
très plane et très compréhensible.
Le reste sera aristocratie et poésiej Et la prose poé-
tique mais bâtarde n'existera plus,
A ce>Mtre\ les derniers livres de Zola sont précur-
seur^ pour notre personnel souhait.
MORT D'EDOUARD DE WINTER
Inopinément, Edouard De Winter, directeur de l'im-
primerie d'où notre journal se publie depuis deux
lustres, est mort, jeudi dernier.
Ceux qui, depuis ces quelques ans, ont tâché, en Bel-
gique, de présenter leurs œuvres en des éditions déco-
ratives et belles ont trouvé en lui l'auxiliaire qu'il fallait.
Ouvrier artiste, il l'était. C'est sous sa continuelle sur-
veillance qu'ont paru ces éditions dont quelques-unes
resteront classées comme chefs-d'œuvre de typographie :
ia Forge Roussel, le Jwv, la dernière édition de la
Veillée de rhuissier, les Milices de SaiHt-Fra)içois,
le Parnasse de la Jeune Belgique, les Chi?nèrcs,
Hors du Siècle, Mon C(CHr pleure d'autrefois, les
Soirs.
Les lettres belges lui doivent donc d'être sorties du
bouquin et d'être entrées dans le livre. . ^
L Art moderne SQ souvient aussi : c'était grâce à lui
(|ue la composition des articles se faisait vite, que
is mises en page s'accéléraient et que, le dimanche
î
132
L'ART MODERNE
matin, toujours, sans jamais une omission, le journal
paraissait.
Edouard De Winter, de manières rondes et bien por-
tantes, avait l'accueil bon, ce qui ne l'empêchait d'avoir
îœil toiijours vigilant et clair en afîiiires. Il était aimé
d^ceux à qui il" commandait. Il laisse après lui le sou-
venir d'un nom qu'on n'oubliera pas dans la biblio-
philie de sop^pays.
i^KS mieitORES
l'ièco en lroisact(>s, par Jules GiiilliSumo, un vélcran, le sccré-
laire du Conscrvaloiiv do lîruxelics, el Louis Clacs, soldai mûr
de l'an dramatique, irès opiniâlro, qui n'a recueilli en celle clière
> Belgique, i)alri.e de la Zwanzo, qu'ennuis el ddboires, et, depuis
quelques mois, gile à Paris. \
Deux Beljjj^! Assurés donc do trouver la presse d'ici hostile.
Non pas jiislc en sa sévérité si celle-ci était nécessaire, mais
hostile, goguenarde, zwanzeusc,, c'est obligé. VA on l'a vu ces jours
derniers. Dédain ou blague, c'est tout ce qu'ob;ienl d'elle l'efforl^
des obstinés de chez nous, se donnant en proie, non pas L des cri-
tiques d'art (où y en a-t-il?), mais à de vulgaires reporters d'art,
ignorants el insolents pour la plupart cl, par dessus le marché,
réclaïnanl des égards.
Les Microbes sont assurément,^ après le Mâle de Camille
Lomonnier, la meilleure des œuvres belges de lliéâire qui furent
ici jouées. « Qui ftirent jouées », car il en est d'autre^que leurs
auleurs avisés ont soustraites au.x bavardages et aux bavages des
journalisles employés au service des premières cl s'acquillanl des
Revoirs de celle domesticité comme ils fq^t de la réception d'un
personnage célèbre djns une gare, courant devant, courant der-
rière, et montant, s'ils sont adroits^ en valets de pied h côté du
cocher. ' '
MM.tjftlliaumc el Claes ont tenté, à propos des moeurs bruxel-
loises, les descriptions hardies du Théâtre-Libre. Ils avaient pré-
cédemment, chacun de son côié, broché des œuvres théâtrales
sur les vieux patrons des comédies el des drames, soit en prose,
soit en vers. Qui, même parmi les plus forts, saurait encore faire
accepter cessempilernalités? Très bravement, très modesiemeni,
ils onL lûché le culte usé pour s'essayer au neuf que Bocque,
Ancel el les autres ont découvert et osé. Les Microbes s'ingé-
nient à dépeindre pai' les Ions crus, les perspectives courtes,
l'action brusque, le? procédés concentrés de la scène, un très
vilain côté de Texi^lcn^e bourgeoise : les domestiques ! ceux du
beau monde s'entend; et surtout la lutte constante, hyprocrile,
hideuse du domestique contre le maître, le sabbat de l'oflice, de
la cuisine, de la mansarde où ce monde de parasites avilis parla
servitude, se livre Ji ses vices, imités de ceux du salon el à ses
haines mé|)risantes,. féroces, sournoises.
Au premier acte on les voit au Bal des gens de maison, insii-
tulion réelle et bizarre, qui a le Pelit-^Paris du boulevard du
Itégcnt pour champ clos. Ils sont là, singeant les Hlaïïrïîs, emprun-
tant leurs titres, et peut-être aussi leurs babiurct leurs robes, tra-
vestis en personnages du monde, les^Temmcs minaudant, les
hommes paradant, et tous crarhant les récils des malpropretés
sans nombre auxquelles ils assistent, ou qu'ils devinent avec la
perspicacité de leur affreuse expérience. Certes, si le' personnel
scéniquc chargé d'exprimer celle mêlée d'êtres redoutables se
eommuniquant le bilan de ses espionnages, avait moins de lour-
deur et plus de naturel, cet acte apparaîtrait valant mieux, beau-
coup mieux que les adaptations gauches qu'on a fuites des
romans de Zola. Mais qu'ils sont Lourds! qu'ils sont lourds! et
composés!
Les doux autres actes tiennent du drame. Ils développent en
incidents rapides, typiques, souvent saisissants, celte anecdote
tragique : un couple de ménagers, intendants, concierges, circon-
venanl une vieille fille 1res riche, non par la douceur caressante,
mais par celte douceur spéciale et terrible sous laquelle on sent
la menace, la violence toujours prêtes h éclater, inspirant la ter-
reur, une terreur muette, fascinée, qui n'ose pas résister, qui se
soumet humblement, avec, pourtant, l'ardent désir impuissant
de fuir, de se libérer, d'obtenir du. secours. Psychologie com-
plexe-d'une âme féminine timide, désarmée par l'âge et l'isole-
menl, que M""" Marie Georges a admirablement exprimée dans ses
multiples nuances. *-
Celte tragique figure de l.i vieille M"" Englebert est ce qu'il y
a de mieux dans l'œuvre, et l'inlerprètc en a saisi les nuances avec
une pénétrante intelligence. A lui ^eul ce type d'hésitation crain-
tive, de bonté asservie, d'âme tremblante dont la tendresse est
écrasée par l'effroi, eût mérité les éloges d'une presse qui n'eût pas
éié pourrie de zwanze. Il va sans dire que, sauf de rares unités,
SOS représentants ont écoulé el regardé en ne songeant qu'à ceci :
Qu'est-ce qu'il y a là dedans qu'on ])ourrail blaguer ?
Los deux vampiriques serviteurs qui volètent autour du tou-
chant principal rôle, sont très justes de dessin : avides, incon-
scients, horriblement froids et destructeurs. Les auteurs les oni
fortement peints pap-des bribes de langage, des jeux de scène,
des mots à nette effigie. El les deux acteurs sont bien dans la
peau de ces calmes brigands, qui ne représentent plus la domes-
ticité universelle du premier acte, s'agilant en foule compacte et
fongible, mais des lypes de la domesticité héroïquement per-
verse., i ■
Les Microbes ont éié bien accueillis par le public restreint qui
aime l'effort en avant. On n'y trouve pas la persistante aisance
des grands faiseurs : de cl de là, des défauts d'adresse. Mais
l'œuvre est sincère et vaillante. Elle est telle qu'on pressent
''<iu'avec quelque encouragement elle sentiment qu'il y a chez les
auditeurs certaine bienveillance, ceux qui l'ont charpentée feraient
apparemment mieux sans tarder. Mais comment espérer cettb
bonne volonté de noire public el de notre presse? Un écrivain
qui court la piste littéraire en Belgique, ressemble à ces chiens
qui, sur les champs de course, se risquent entre les deux rangées
de spectateurs : on les hue, on les siffle, on les épouvante, on leur
j'ilc dos pierres el des ordures; les pauvres bêtes effarées
prennent le galop, poussent en avant, reviennent, pointent,
repartent, et finissent par disparaître, fuyant au delà des fcûn-
lières.
Ah! le Belgico-morbus!
TT
VART MODERNE
133
r^
JiIVRE? DE PROMENADE^
Guide pratique du promeneur aux environs de Bruxelles,
publié sous les nuspicosdii Club alpin belge par Albert Dohois el
* Louis Navez. lUuslrations de II. Cassieus el A. Roweh. —
Bruxelles, J. Lobè;^c el C'''; in-16 de -174. pages, couvorlure toile,
avec une carte.
Huy- Pittoresque. — Guide de roxcursionniste|par Jean GouaVARu,
avec une préface de M. Edmond Picaud, — Huy, Charpentier el
Emond, éditeurs, 1889; petit in-S" de 20G pages, avec une carte et
un plan.
Voici que le printemps vcidil les campai:;n('s ol invilo à qiiiltor
les réclusions ciiadinos. Aussi son!-ils bien vonus les livres qui
s'offrent à guider ce désir de promenade el nous signalent que lii,
il nos portes, il y a de frais p;rysiges, de belles foréls, d(! pelilB
chemins ombreux le long des ruisseaux, des lieux riches de sou-
venirs, des châteaux qui onl en leur jour dans l'histoire, des églises
attestant encore la splendeur d'abbayes disparues, cent choses
curieuses ou charmantes, que nous ne connaissons pas el qui
cependant sont plus intéressantes pour nous, que' bien des pays
lointains que nous allons visiter ^ grands frais. Dans son pelii
espace, notre pays offre aux excursions une remarquable variété.
En son ascension conliAue depuis les dunes de la côte jusqu'aux
plateaux des hautes fagnes", le dé^or change sans cesse el îi part
ces gigantesques accidents de nature, qui ne s; rencon'rent que
dans les grandes chaînes de montagnes, on p^ul dire que l'on y
trouve loul ce qui peut émou\7)ir dans la nature, tout ce qui con-
tribue à la rendre tour à tour gracieuse ou sauvage, les vastes
horizons et les vallées obscures, les beautés do la plaine cl celles
du mont.
Ce conlrast > est bien marqué dans les^ deux pelils livres
que nous présentons aujourd'hui h nos lecteurs. D'un côté le
paysage bruxellois, qui est comme une première transition de la
plaine aux collines, présentant ici ses eaux paresseuses, ses
grandes prairies aux lointains bleuâtr>'s coupés de longues lignes
d'arbres frissonnants, là ses coteaux boisés ou couveris de villas
cl de culiures, mais offrant toujours aux yeux leurs courbes
molles et adoucies. De l'autre, Huy, dans son entonnoir de mpn-
lign'^s avec ses eaux torrentueuses resserrées entre des rochers ou
coulant au fond de vallées profondes; les courbes molles so'iil
maintenant d's falaises h pic ou des dégringolades d • broussailles
et les lointains n'appiraissent plus que pir échapp.'es. dans
l'échancrurç des sommets. El que de roniraslcs encon*. si nous
voulions poursuivre, si" nouv passions des immenses briiyèrçs
et des sables de la Campine aux gazons mill '•tiaires des hautes
fiigncs où l'on a pu reircmver^a ijaoe de passages antérieurs h
ceux des armées romaines; diiVpaysage boriin loul noirci de
fumée aux h 'rhages du pays de Hervé que des liaie^ vives divisent
en mille enclos; di' la grande foret ardennaise, si variée elle-
même c^ son étendue, h la grasse Hesbaye débordante de culture*
ds bords de 1 1 Lys ou de l'Escaut h ceux de la Semois ou de la
l.esse si difTéieiiles entre elles et si différentes aussi de la Meuse
dans la quelle elles se pr^-denl. Conçoil-on qu'avec une pareille
diversité d • paysages à noire portée, nous soyons en général si
sédentaires el (pie, pour la p'upirt, I -s l)ourg<oisde nos villes ne
connaLssen! (pie leurs murailles. Bienvcaus donc encore soient
les livres qui essaieul de nous tirer de cell|j,^ inertie, qui nous
appellent îi celle fcle des sens, qui nous convient îi rentrer dans
ce que la préface de Huy-Atlraclions appelle si bien ce paradis
volontairement perdu : la campagne. (Chaque ville devriilTiiro
pour ses environs ce que viennent de faire Huy el Bruxelles ; elles
d(!vraient montrer leurs richesses, attirer a'nsi le touriste indo-
lent, le prendre par la main, le guider pas à pas, lui apprendre à
voir, et bientôt il y trouverait tant de charme qu'il étendrait do
lui-même le cercle de ses pérégrinations et arriverait rapidement
h ce raffmemeni, de trouver lui-même les promenadi-s à fi ire el
de savoir en inventer. Les belles cartes du dépoi de la. guerre au
20,000"'* sont le meilleur maître en cet art. Pour qui sait les lire-,
elles révfdeni, par des indices certains, les roules ombreuses ou
ensoleillées, les coins -de fraîcheur, les fontaines inconnues, les
I udroils d'où la vue s'étend au loin el ceux où l'on peut trouver
une retraite pour se re|)Oser dans la chaleur du jojr. Il est vrai
(pi'il peut y avoir place |>our de petits ennuis, surloul aux abords
des villes où sévit la clôture el où s'est muhip!i'' à litifini,
l'homme de Rousseau, qui, le premier, mil une borne aux champs
el dit : « Ceci est \\ moi «; mais ces imprévus, loin de rebuter le
touriste digne de ce 'norp ajoutent du piqua/il îi sa promenade en
h; forçant à développer toute son ingéniosité pour tourner les
obstacles. Que ceux qui ne comprennent pas celle volupté,
suivent les grandes route> !
Mais non : qu'ils se procurent les petits livres doril nous par-
lons : celui de Druxelles s'appelle Guide praliijtie et il est bien
nommé. En un loul petit format, facile à mettre en poch? comme
un porlef>.'uille, il indique, tout -autour de la ville, dix-neiif pro-
menades en marquant avec précision les chemins, les distances,
les bifurcations, les points intéressants el les lieux de repos : il
note les renseignements' sommaires», suffisants pour aviv-cr l'atten-
tion, sur les chaicatlx, les églises anciennes, les endroits consacrés
par l'art ou par l'histoire, et il en donne môme de jolis dessins.
II n'était pas possible d'être plus complet, <fn un si peiii volume.
Le guide de Huy-piltorcsque, plus développé, est'aussh plus
fmtaisisle. C'est plutôt une anthologie hulgise qu'un simple
çuide. Il coniienl sur la ville et s^ environsiTun peu dé tout : des
passades des anciennes chroniques, des extraits de Victor Hugo
et de Camille L'^monnier,' de la liltérature el de l'histoire, dos
descriptions cl dc> récits du cru, tout cela un peu pêle-mêle,
enchevêtré comme Is riu^s de la pelite ville, de sorte que l'on
revient pfas d'une fois au même endroit, on repasse devant la
cntlégiale et devant le chriieau, on aperçoit sous un nouveau jour
lin paysage qui déjà avait attiré raltenlion el l'on ne s'en fami-
liaris ■ fpie mieux avec les lieux que l'on parcourt à hi suite de ce
conducteur vagabond. Au surjJus, il y a aussi quelques excursions
très nellemctit indiquées sur le bords dû Hoyoux et de la
Méhaigne, aax châteaux de Modave, de Palais, de Jehay ,
aux ruines de Beaufort et de Moha, au trou Manlo qui a les
honneurs d\in plan spécjal et qui, dans la p'-nsée de l'auteur,
rivalisera un jour avec la grotte de Han, car le livre est tout
plein d'espérances. Il annonce que l'oa va mettre ici la main "a
des travaux, importants; qu'ailleurs on placera des bancs pour
([ue le touriste fatigué puisse, tout en se repo-aut, admirer le
grandiose panorama que l.a nature déploie sous ses yeux, et il
promet, pour sa deuxième édition, une quantiié de renseigne-
ments nouveaux. . *'
\/
Les Cromlechs et Dolmens de Belgique
M. Harroy, auteur du livre sur les Cromlechii et Dolmens de
Belgique, don! nous avons rendu complc dans noire numéro du
12 janvier, s'est ému des quelques lignes que nous avons consa-
crées, dans celui du 6 avril, à une brochure sur le mémo sujet p:ir
M. Charies-J. Comhaire. Noys avions constaté rantérioHlé de
celle brochure et M. Harroy y a vu pour lui un reproche d'imitation
qui n'élail pas dans notre pensée. Il nous écrit que c'est M. Brille
qui a-découverl et signalé le Dolmen de Soiwasier; qu'avant do
publier sa brochure, M. Comhaire avait assisté à plusieurs contc-
rences et démonstrations faites par lui, M. Harroy, sur le terrain,
cl avait reçu communication des croquis qu'il avait dressés ; que
M. Comhaire lui offrit sa colLiboralion en mars 1888 et qu'il la
refusa, son livre ^lëtanl alors à peu près terminé; « Enfin, ajouie-
l-il, quand M. Comhaire m'annonça son intention de publier —
prématurément — une note sur la découverte de M. Briller/ sur
les miennes, je le priai — sa brochure ayant 20 pages et mon
livre 200 — de relarder son tirage de quinze jours afin que nous
pussions paraître en même temps et que toute idée de plagiai
fût écartée. Il refusa. Voilà toute l'affaire. »
Nous en donnons acte à M. Harroy d'autant plus volontiers que
la supériorité de son livre sur la brochure concurrente est hors
de contestation.
J^OTJEp DE ^U^IQUE
Au Conservatoire.
La troisième séance de musique de chambre pour instruments
à vent et piano a eu ^ieu dimanete dernier, el-le public a fait bon
accueil au Quintette de Rubinstcin, à VOctelt de Laciincr,
œuvres de facture, (récriture habile, mais dénuées d'inspiration
cl de réel intérêt artistique. y\n caprice écrit par Sainl-Saëns, sur
des airs danois et russes, forl joliment joué par MM. Anthoni,
Guidé, Poncclct et De Greef, a la saveur des thèmes exotiques et
l'attrait d'une harmonisation rafiinée. Enfin, M. De Greef s'est fail
applaudir, comme soliste, dans l'exécUlion de deux pages de
Schumann, choisies parmi les plus pénétrantes : VArabeske et le
final du Taschingschwank, auxquelles il a donné l'acccnl et la
couleur voulus.
Aux Artistes-Musiciens.
A noter, en ce troisième- concert des Artistes-Musiciens , voué
presque exclusivejfnenl à la virtuosité d^ quelques artistes en vogue,
l'apparition d'une petite planiste-prodige (14 ans, dit la réclame)
quia très crânement joué,'comme une grande, des choses difficiles :
la première partie du cl^icerto en ut mineur de Beethoven, la
première partie du concerh italien de Bach, el d'aulres œuvres
que les pianistes adultes n'abordent que respectueusement. Elle
s'est tiré d'affaire mieux qu'un enfant-phénomène. Elle a mis dans
l'exécution de ces œuvres de large envergure du sentiment, de
l'aisance cl presque du style. Son nom? M"e Painparé. Un nom
qui marquera, si l'enfant n'est pas gâtée par les applaudissements
avant l'éclosion définitive.
Société Nationale de Musique
205'' Concert avec orchestre et chœurs.
{Correspondance particulière (U TArt moderne).
A la Société Nationale les solennités se suivent de près; deux
jours seulement nous séparent des joies intimes et intenses causées
par l'audition du quatuor de G. Franck et voici que nous sommes
convoqués à un concert avec orchestre et chœurs composé ,
comme d'habitude, exclusivement de premières auditions.
C'est d'abord une ouverture de Bncéliande de Lucien Lambert,
sagement écrite et brillamment instrumentée k la façon bizelo-
mcyerbeorienne ; le motif de Vamour chevaleresque ne manque
pas d'une certaine élégance raffinée, on y verrait assez une
Viviane peinte par Natiier.
Puis le prologue d'Azacl, cet opéra de Léon Husson sur un
poème de M. Kufferalh, qui eût été représenté à la Monnaie sans
la retraite de Dupont el Lapissida. La musique de ce prologue est
d'une belle el poétique couleur et l'expression dramatique, bien
que manquant quelquefois de régularité prosodique, est exacte
et soignée dans son ensemble.
Pourquoi M. Husson a-t-il fait inscrire au programme la date
de composition de son œuvre? bien qu'âgée de cinq ans, sa
musique reste absolument moderne. Serait-ce pour excuser quel-
ques influences wagnériennes,-nolammenl certains dessins un p^"
p:(r \rop Meistersinger?
M"* Lépinc et M. Warmbroodi ont forl bien interprété les rôles
de Trilby el d'Azaël.
Venaient ensuite une Fiancée de /^nZ/iw/" quelconque, .de
M"* de Grandval, sur une poésie (?!) de Grandmougin, une
Epiphanie non moins quelconque de G. Hue, d'après Lecontefle
Lisle, puis le Prologue pour chœurs el orchestre écrit parFauré
en vue de la problématique représentation du mystère d'Harau-
courl : la Passion, superbe marche au Calvaire où se déroule
lenlemieni une de ces pénétrantes phrases musicales dont FjmfS^
est coutumier.
J'ai gardé pour la fin la mélodie de Charîes Bordes sur Vaqua-
relle de Verlaine : Dansons la gigue! voilà de l'art vraiment
moderne et d'un sentiment vraiment humain. Ce que le poète
maudit a mis dedouloureusemcnl ironique dans celte admirable
pièce est exprimé d'une façon encore plus intense par la musique ;
aux vers :
Je me souvleiis, je me souviens ■
Des heures et des entretiens
Et c'est le meilleur de mes biens...
rinffji*e«ion est telle que Upn ne peut se défendre d'un serrement
de cœur fl'est vrai cl c'est beau. Dansons la gigue! est sans con-
tredit (en exceptant. certaines mélodies de Fauré) l'œuvre expres-
sive la plus remarqirable qui ait paru depuis longtemps el
l'orchestre finement ciselé en rehausse encore le sentiment très
personnel. Quoique chantée par un opérateur comique phxs habitué
aux Noces de Jeannette qu'aux œuvres pensées, celle mélodie a
produit une grande impression.
Le concert s'est terminé par un Prélude {pourquoi pas Postlude
ou Interlude?) de J. Durand, cuivrage inconscient du thème ini-
t^ial de Siegfried- Idylle. L'orchesircjît les chœurs étaient dirigés
par Vincenl d'indy.
>-..
s •-■-f-
V
VAUT MODERNE
r
Cueillette de livre?
Des architectes de l'église CQ-llégiale de Sainte -TVaudru
à, Mons, par J. Hubert, ardiitecte chargé de la restfliuration de
la dite église, membre correspondant do la Commission royale des
monuments, architecte-ingénieur honoraire de la ville de Mons, etc.
— Bruxelles, Vromanl et C'«, 1889. - '
Résumant un important mémoire paru en 1889 dans l'Enuilu-
tion, la savante revue de la Société centrale d'arcliiteclure de
Belgique, M. J. Hubert vient de publier, en une curieuse bro-
chure, le résultat de longues et patientes éludes relatives aux ori-
gines de la collégiale monloise.
W. J. Hubert commence par rappeler que, durant de longues
années, Jehan de Thuin le père passa pour avoir fait exécuter les
plans de l'église de Sainte-Waudru-; or, on s'aperçut, un beau
jour, qu'à l'époguc de sn mort l'édifice était commencé depuis
cent sept ans. Des historiographes tels que Schayès, Chalon,
Wauiers, Van Even, attribuèrent ensuite la paternité des plans à
Mathieu de Layens, le célèbre architecte de l'hôlcl-de-ville de
Louvain; mais cetle^ opinion dut être abandonnée, M. Devillers
ayant acquis la preuve, en consultant les comp'.es du chapitre,
que les projets et devis étaient terminés lors du premier voyage
de Mathieu de Layens à Mons.
Vers I80O, Schayès contribua k répandre une nouvelle légende
d'après laquelle Miehel de Raius, maître maçon de Valencienncs,
pouvait être considéré comme l'architecte de Sainte-Waudru ; il
en trouvait la justification dans les comptes du chapitre de i448,
mentionnant un paiement de IJ guiUarmus de IIJJ livres tour-
nois fuit à Michel de Jiains pour avoir mis et compassel en par-
chemin IJ patrons, etc. Ces deux patrons ou plans du chœur sûnl
conservés aux archives de l'Etal à Moiis et ont figuré à l'Exposition
rétrospective d'architecture organisée à Bruxelles, en 1883, par^
la Société centrale d'architecture. Personne, jusqu'ici, ne s'était
avisé de contrôler les dires de Schayès en étudiant les plans et
en les comparant à l'église existante ; il appartenait k M. J. Hubert
de se livrer k ces curieuses investigations quijui démontrèrent
qu'il n'existait aucun rapport entre les parchemins de Michel de
Rains et l'église de Sainte-Waudru. En effet, les piliers de cette
dernière sont à nervures prismatiques, tandis que ceux du patron
sont à colonnes cylindriques cantonnées de demi-colonnes; deux
siècles les séparent donc, les uns étant du xv' et les autres du
xiii'^ siècle. Mais que pouvait bien représenter le fameux par-
chemin de 1448? De nouvelles recherches amenèrent M. J. Hubert
à découvrir qu'en réalité le soi-disant patron de Michiel De Rains
est un tracé... de Robert de Luzanches : c'est le plan de... la
cathédrale d'Amiens! (i).
On peut donc conclure que Mathieu de Layens et Michel De
Rains, pas plus que Jehan de Thuin, ne peuvent être regardés
comme les architectes de Sainte-Waudru.
Architectes et archéologues seront unanimes à féliciter l'érudit
auteur, M. Hubert, de l'intéressante question qu'il a élucidée et
de l'ardeur infatigable qu'il apporte dans ses hautes études sur
"notre art national. :^
(i) Voir Viollet le-Duc. Dictionnaire de l'aixhiietture française,
tome II, page 327. •
pETlTE CHRO^^IQUE
W""- Malerm, l'artiste viennoise, vient d'être l'objet d'ovations
en'housiastes en chantant le rôle de Sélika, dans l'Africaine, et
celui d'Elisabeth, dans Tannhduser, au théafk-o de Strasbourg.
L'Economiste français donnejdc curjeux renseignements sur les
receltes des théâtres de Paris de 4848 à 1889. Pendant co temps,'
les théâtres ont encaissé environ 730 millions. En prélevant seu-
lement 10 p. c, on arrive à 73 millions pour les auteurs. Un
chiffre qui laissera rêveurs blende jeunes dramaturges.
Années. Recettos liruio.s.
' 1848 fr. 5,ri53,4il
1849. ........ 6,431,2;il
18.^0 8,205,818
• 1851 8,661,916
1852 9,537,993
1853. 11,352,222
1854 10,738,078
1855 (Exposition) 13,828,123
1856. 12,186,125
1857. . ; 12,722,501
1858 12,737,498
1859 12,452,314
1860 14,.532,944
1861. . ,.- 13,704,501
1862 14,506,603
i«63. ........ 13,800,517
1864 15,033,665
1865 15,906,006
• 1866 16,962,502-
1867 (Exposition) 21,983,867
1868. ........ 13,361,040
1869. . . ■ . ; . . . . 15,198,000
1870 (guerre) 8,107,285
1871 (guerre) ...... 5,715,113
1872 16,114,597
1873. ■ . . 16,503,379"^'
1874. . 18,368,279
1875 20,907,391
1876." )f1,6fr3,662 1
1877 , . 20,978,180
1878 (Exposition). " . . . . 30,657,490
1879. ......... 20.619,310
1880 "^^ . . . . 22,614,018
1881 >J7,434,418
1882 29,068,.592
1883 29,144,600
1884. . . . • . . . ." . 29,984,051
1885 ' 25,590,077
1886 . . • . 25,074,4.58
. 1887 12,062,440
1888 23,007,975
1889 (Exposition) 32,138,998
Revue des sciences et des arts. — Sommaire du n^' 3(15 avril) :
La législation internationale du travail (Bogaert-Vaché). — Elude
sur les écoles symbolistes et décadentes (G. Jorissenne). — Des
silos et de la conservation du grain (J. -F. Jovva). — Les glyccridos
ou étliers de glycérine. — Curiosités aéroslatiques. — Revue
horticole. — Bibliographie musicale, etc. — Bureaux : rue do
l'Université, 46, à Liège.
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Cologne à Londres en
Berlin à Londres en .
■ 8 heiiros.
13 "
24 "
Vienne à Londres en.
Bâle à Londres en.
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24 -
33 -
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A bord des malles : Princesse Joséphifie et Princesse Henriette
Spécial cabine, 2^rancs; Cabine de luxe, 75 francs.
Pour la location à l'avance s'adresser à M. le Chef de Station d'Ostende [Qvai) ou à l'Agence des Chemins de fer de l'État- Belge
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i^er. — Correspondance directe avec les grands express internationaux (voilures directes et wagons-lu-).— Voyages à prix léduits de Sociétés.
— Location de navires spéciaux. — Transport régulier de marchandises, colis postaux, valeurs, finances, etc. - Assurance.
Pour tous renseignements s'adresser à'ia direction de l'Ea^loitaticn des Chtmins de fer de l'État, à Bruxelles, à Y Agence générale des
Malles-Poste de l'État-Belge, Montagne de la Cour, 90*, à Bruxelles ou Graccchurch-Street, n° 53, à Londres, à V Agence de Chemins de fer
de VÉtat, à Douvres (voir plus haut), et à M. Arthur Vranchen, Domkloster, n" 1, à Cologn^. - —
ÉTUDE DU NOTAIRE DELVAULX, A MALINÉS
VENTE PUBLIQUE
DE SPLENDIDES
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Le iio.kiire VAN MELGKEBEKE, ro.sidant à Malines, à 1 inler-
venlioii de son cotlèguc ni«ître DELVAUX, on la mémo ville, vendra
publiquement le Vendredi 9 Mai, à 3 lieuros, en la mortuaire de
M. D'Avoine, rue des Vaches, ne 33, à Malines :
Los magnifiques TAPISSERIES FLAMANDES gariiLs.sant le grand
salon, représentant : jiaj'sages, oiseaux et verdures avec larges bor-
dures de (leurs et comproiiaiit cinq grands panneaux, mosuranl :
lo5'",45 sur 3m, 25; 2» 4™, 8G sur 3'", 25; 3« 2"',6Gsur 3"',23; 4«4"',53
.sur 3"», 25; 5° 3™, 40 sur 3'", 25; et deux petits panneaux, mesurant le
pr On',82 .sur 3«',25 et le 2" 0"',45 sur 3'",25. '
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délicatesse des couleurs et leur parfait état de con.servalion, méritent
de fixer l'î^ilontion de tous les amateurs.
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peintures (scribans).
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cipal en l'étude du dit notaire DELVAULl^frueLouise,
35, à Malines, moyennant envoi d'une somme de 2 francs.
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rue Thérésienne, 6
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Paris 1867, 1878, 1«' prix. — Sjdney, seuls 1" et 2« prix
EIPOSITIOIS AISTEBDil 1883, ÂHTEBS 1885 DIPLOIE D'IOnEBl.
Breitkopf et Hftrtel, éditeurs, Leipzig-Bruxelles
TRAITÉ PRATIQUE DE
COMPOSITION MUSICALE
depuis les premiers éléments de l'harmonie jusqu'à
la composition raisonnée dU quatuor et des principales
formes de la musique pour piano par J.-G.^obe.
Traduit de^ l'allemand (d'après la 5^ éditioD|-^par
Gustave Sandre.
VIII et 379 p. gr. in-8». Prix : broché, 10 fr.; relié, 12 fr.
Ce livre, dans lequel l'auteur a cherché à remplacer l'étude pure-
jnent théorique et abstraite de l'harmonie par des exercices pratiques
de composition libre, fut accueilli, dès sou apparition, par une
Jfiveur marquée. La présente traduction mettra le public français à
même d'apprécier un des rares ouvrages d'enseignement musical les
" plus estiifiés en Allemagne.
a
Uru.xelles. — liiip. V* Monnom, 2G, rue de l'Industrip.
r
Dixième année. — N** 18.
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 4 Mai 1890.
'^ /■
-7
MODERNE
\
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUÉ DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
, Comité de rédaction t Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN *
'
ABONNEMENTS : Belgique, un ai), fr. 10.00; Union postale, fi-. 13.00. —ANNONCES*: On traite à forfait.
'. . : ■ "^
Adresser toutes les communications à
l'administration générale de l'Art Moderne, rue de l'Industrie, 26, Bruxelles.
^OMMAIRE
Axel. — Collaboration artistique. — Littérature wallonne.
— La pantomime. — Concerts parisiens : Société nationale, de
MUSIQUE. — Petite chronique.
* -
par Y*LLiERS DE l'Isle-Adam. — Paris, Quantin, éditeur.
Une œuvre commçi Axel, clôt une vie. Elle est ency-
clopédique d'une personnalité. Ce que des années et des
années de réflexion, d'étude, de divina^tic^n, de rêve, de
désir et de vouloir ont fait d'un grand cerveau '^^ est
traduit — et c'est comme un testament d'âme. On y
peut découvrir le Villiers des Premières poésies, le
Villiers d'/sis, celui des Contes crmts : Vera et Vlnter-
signe, celui à' Akedysse^nl et, enfin, le Villiers àeXEi'e
future. Axel est un résumé et jiu total.
Et tel a bien été, croyons-nous, l'intention de l'écri-
vain : s'exprimer totalement dans une œuvre suprême
et si possible, immortelle. La division seule du livre en
titres généraux et indéfiniment larges : le monde reli-
gieux,\q inonde Jragique, le monde occulte, le monde
passionnel ne fait surgir nul doute sur ce point. L'affa-
bulation du drame est excessivement simple. Deux per-
sonnages et d'autres pour leur permettre de se mani-
fester. - • .
Et le décor? ,
Celui-ci très important — trop. Villiers par certains
déploiements de luxe et d'or, de pierres et de soleils,
s'est laissé éblouir toute sa vie. Lui, très profond d'in-
tuition et de pensée, n'a jamais compris, néanmoins, le
nu développement d'une passion ou d'une doctrine. Il lui
a toujours fallu le rêve drapé, taillé, ciselé, merveil-
leux de matière grandiose. Songez à Akedysseril.
Et disant ({xx'Axël est un\testament d'âme, nous
n'avons garde de préciser qu'il sbU complet. Des omis-
sions : défauts de suite en ses développements'; mémo
parfois des points essentiels presque non traités. Vrai-
ment, quelle mort blasphématoire de l'art a été celle
de cet écrivain . Son dernier livre, que Villiers retra-
vaillait, a dû être publié à moitié terminé. La quatrième
partie, la plus importante puisqu'elle était la conclusion
du reste, n'a pas sa carrure de base sur laquelle l'œuvro
devait s'asseoir. La troisième ment à l'une des inten-
tions du poète orthodoxe. La deuxième, trop longue
maintenant, aurait peut-être mieux tenue dans l'en-
semble, si les suivantes avaient reçu le coup de burin
final. • ^ ' /
a' parcourir le livre, les idées de Villiers s!affîrment
ainsi ; sur la religion :
r^
■)
\
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L'ART MODERNE
■k
Illusion pour iliiLsion, nous ç^rAon^i, celle de Dion, qui donno,
seule, h SCS Cleinols éblouis, la joie, la lumière, la force el la
paix. NuIIq créaUire, nulle vitalité n'échappe ïi la Foi. L'homme
prélère une 'croyance à une autre, el, pour celui-qui doute, même
à l'iiîdéfmi de sa pensée, le doule, qu'il admet librement en son
esprit, n'est encore <iu'uiic forme de la FoF, puisque, en principe,
il est aussi mystérieux que nos mystères. Seulement, l'indécis
demeure avec son irrésolution, qui devient la somme nulle de sa
vie. Il croit « analyser», il creuse la fosse de son âme cl retourne
vers un néant qui ne |)eut plus s'appeler que l'Enfer, — car il est
à jamais Iroj) tard pour n'cirb plus. Nous sommes irrévocables.
— Oui, la Foi nous enveloppe! L'univers n'est que son sym-
bole. Il faut penser. Il faut a§ir. Nous sommes contraints à cet
esclavage : penser. En douter, c'esl encore y obéir. Pas un acte
qui ne soit créé d'une instinctive pensée! Pas une pensée qui ne
soil aveugle en sa notion primordiale! lié bien, puisque nous ne
pouvons devenir que notre pensée unie à la chair occulte de nos
actes, pensons cl agissons de manière h ce qu'un Dieu puisse
devenir en nous! — cl cela tout d'abord ! si nous voulons acqué-
rir la croyance, c'est-à-dire mériter de croire.
Toutes songeries contraires à l'augmenlion de noire âme en
Dieu, sonl du temps perdu, que le Sauveur seul peut racheter. —
Tout S'EFFORCE autour de nous! Le grain de blé, qui pourril
dans la terre cl dans la nuit, voit-il donc le soleil? Non, mais il a
la foi. C'est pourquoi il monte, par et à travers la mort, vers la
lumière. Ainsi ^es germes élus, de toute chose, excepté des
germes incrédules, où dorment le Doute, ses impuretés et ses
scandales, et qui meurent, indifférents, tout entiers. Nous, nous
sommes le blé de Dieu ; nous sentons que nous'ressuscitcrons en
Lui, — qui est, suivant la parole éclairée et magnifique d'un
théologien, le lieu des esprits, comme l'espace est celui des
corps. ' I . ' /
Croite, dans l'attende et la prière!, et le coeur plein d'amour !
telle est notre doctrine. El quand bien même, par impossible,
com'me nous en prévient le Concile, un ange du Ciel viendrait
nous en enseigner -une autre, nous persisterions, fermes el
inébranlables, en notre foi. k
Sur la mort vulgaire — du Commandeur.
Passant, — lu es passé. Te voici, l'abîmant dans l'ImpcnsaMè: —
En ton étroite suffisance ne s'affinèrent, durant tes jours, que les
instincts d'une animalité réfractaire à toute sélection divine! Rien
ne {'appela, jamais, de l'Au-delà du monde! El tu l'es accompli.
Tu tombes au profond de la Mort comme une pierre dans le vide,
— sans attirance. et sans but. La vitesse d'une telle chule, multi-
pliée par le seul poids idéal, csl à ce point... sans mesure... que
cette pierre, en réalité, n'est plus nulle part. — Disparais donc!
même d'enlre mes deux sour^ijs.
Sur la perfection de soi-même.
Les xlieux sont ceux qui ne doutent jamais. Échappe-toi,
comme eux, par la foi, dans l'Incréé. Accomplis-toi. dans ta
lumière astrale ! Sjurgis ! Moissonne ! Monle ! Deviens la propre
fleur! Tu n'es que ce que tu penses : pense-loi donc éterhel. Ne
perds pas l'heure à douter de la porte qui s'ouvre, des instants
que tu l'es dévolus en ton germe, et qui le sont laissés, ç— Ne
sensUu pas ton être impérissable briller au delà des doutes, au
delà de toutes les nuits! ..- - . -
Sur la bliilosopliie qui mène à l'occultisme'.
Sache une fois pour toujours, qu'il n'est d'îlutrc» univers pour
toi que la conception même qui s'en réfléchit au fond de les
pensées; — car tu ne peux le voir pleinemetit, ni le connaître,
en distinguer même un seul point tel que -ce mystérieux point
doit être en sq. réalité. Si, par impossible, lu pouvais, un moment,
embrasser l'omnivision du monde, ce serait encore une illusion
l'instant d'après, puisque l'univers change — comme lu changes
loi-même — à chaque l?altemenl de tes veines, — et qu'ainsi
son Apparaître, quel qu'il puisse être, n'est, en principe, que
fictif, mobile, illusoire, insaisissable. tx
Et tu en fais partie! — Où ta limite, en lui? Où la sienne^ en
toi ?... C'est toi qu'il appellerait 1' « univers « s'il n'était aveugle
et sans parole! Il s'agit donc de l'en isol»F ! de l'en affrancîiic!
■de vaincre, en toi, ses fictions, ses mobilités, son illusoire, —
son caractère! Telle est la vérité, selon l'absolu que lu. peux
pressentir, car la Vérité n'est, elle-même, qu'une indécise concep-
tion de l'espèce où tu passes el qui prête à la Totalité les formes
de son esprit. Si lu veux la posséder, crée-la ! comme tout le
reste! Tu n'emporteras, lu ne seras que ta création. Le monde
n'aura jamais, pour toi, d'autre sens que celui que tu lui atlri-
' hueras. Grandis-toi donc, sous ses voiles, en lui conférant le sens
sublime de t'en délivrer! ne t'amoindris pas en t'asservissanl aux
sens d'esclave par lesquels il t'enserre et l'enchaîne. Puisque tu
ne so^liras pas de l'illusion que tu te feras de l'univers, choisis >
la plus divine. Ne perds pas le temps à^iressaillir, ni à somnoler
dans une indolence incrédule x^u indécise, ni à disputer avec Ic^
langage changeant de la poudre eï^^le la vermine. Tu es ton futur
créateur. Tu ^s un Dieu qui ne feint7d'oublier sa toute-essencq
qu'afin d'en réaliser lé rayonnement. Ce que lu nommes l'univers
n'est qqe le résullat de celte feintise jlonl lu contiens le secret.
Reconnais-toi! Profère-toi dans l'Être! E*trais-toi de la geôle du
monde, enfant des prisonniers. Évade-toi du Devenir! Ta
« Vérité >v sera ce que tu l'auras coi^ue : son essence n'est-elle
pas infinie, comme loi ! Ose donc l'enfanter la plus radieuse,
c'est-à-dire la choisir telle... car elle aura, déjà, précédé de son
être les pensées, devant ^'y appeler sous celte forme où tu l'y
reconnaîtras!... — Conclus, enfin, qu'il est difficile de redevenir
un Dieu — et passe outre : car cette pensée, même, si tu l'y
arrêtes, devient inférieure : elle contient une hésitation stérile.
Ceci csl la Loi de l'Espérable : c'est l'évidence unique, atleslée
par notre infini intérieur. Le devoir csl donc d'essayer, si l'on csl
appelé par le dieu que l'on porte! Et j-^ioLque ccux-lîi,qui ont
osé, qui ont voulu, qui ont, en confiance natale, embrassé la loi
du radical détachement ^Bs choses et confqrnjc leur vie, tous
leurs actes, cl leurs plus intimes pensées, à la sublimité de cette
doctrine, affranchissant leur être dans l'ascétisme, — voici que,
tout à coup, ces élus de l'Esprit sentent eftluer d'eux-mêmes où leur
p^venir, de toutes parts, dans la vasiiiude, mille et mille invi-
sibles fils vibrants en lesquels court leur Volonté sur les événP'
ments du monde, sur les phases des destins, des empires, sur
l'influente lueur des astres, sur les forces déchaînées des
éléments? El, de plus en plus, ils grandissent/en celte puissance,
à chaque degré-^de pureté conquise! C'e^ la sanction de l'Espé-
rable. C'pst là le seuil da monde occulte.
Sur l'amour. Nous citons une partie du dialogue
d'Axel et de Sara.
Sara ! je le remercie^cr^^tteNravoir vue. {L'attirant entre ses
/"
■■ K
< /
l
s
/ bras.) Je suis heureux,- ô ma liliale épousée! rha maîlrcssc! ma
• vierge! ma vie! Je suis heureux que nous soyons ici, ensemble,
' pleins de jeunesse et d'espérance, pénétrés d'un sentiment vrai-
ment immortel, seuls, dominateurs inconnus,' et tout rayonnants
de cet or mystérieux, — perdus, au fond de ce manoir, pendant
celte effrayante nuit.
Sara, i--- ' ■'
Là-bas, tout nous appelle, Axel, mon unique maîlre, mon-
amour! La jeunesse! la liberté ! le vertige de notre puissance! Et
^^ qui sait, de grandes causes à défendre... tous les rêves U réa-
liser ! {Elle va vers les lueurs de l'aurore et tient les draperies
soulevées).
. ^ Axel {grave et impénétrable).
A quoi bon les réaliser?... ils sont si beaux!
Sara {surprise un peu — se i^etourne vers lui en le regardant).
Mon bien-aimé, que veux-tu dire?
AxEi. {toujours tranquille et grave).
Laisse tomber ces draperies, Sara ; j'ai assez vu le soleil. Un
silence.)
Sara {anxieuse, à elle-même et. l'observant encore).
Pâle, — et les yeux fixés à terre, — il médite quel([ue projet.
Axel (à demi-voix, pensif et comme à lui-même). j
Sans doute, un dieu me jalouse en cet instant, moi qui peux
mourir.
Sara.
Axel, Axel, m'oublics-tu déjà, pour des pensées divines?...
Viens, voici la terre! viens vivre!
Axel {froid, souriant, scandant nettement ses paroles).
Vivre? Non! — Notre existence est remplie, :— et sa coupe
déborde! — Quel sablier comptera les heures de celte nuit!
L'avenir?... Sara, crois en cette parole ; nous venons de l'épui-
ser. Toutes les réalités, demain, que seraient-elles, en compa-
raison des mirages que nous venons de vivre? A quoirbQn mon-
nayer, à l'-exemple des lâches humains, nos anciens freres^tctte
drachme d'or à l'effigie du rêve, — obole du Styx — qul^intille
entre nos mains trionîiphales !
J.a- qualité de notre espoir ne tious permet plus la terre. Que
demander, sinon de pâles reflets de tels instants, à celte misérable
étoile, où s'attarde notre mélancolie? La Terre, dis-tu ? Qu'a-t-elle
donc jamais réalisé, celte goutte de fange glacée, dont l'Heure ne
sait que menlir au milieu du ciel? C'est elle, ne le vois-tu pas,
qui est devenie flllusion! Reconnais-le, Sara : nous avons
détruit, dans nos étranges cœurs, l'amour de la vie, — el c'est
bien en réalité que nous sommes devenus nos âmes! Accepter,
désormais, .de vivre ne serait plus qu'un sacrilège envers fTrjus-
même. Vivre? les serviteurs feront cela pour nous.
Nous doutons" que jainaîs lès suprêmes idées émises
en ce choix, légèrement trop ample de 'citations, aient
été mieux exprimées. Pour les rendre telles, pour leur
faire crever le bourgeon du vague et les épanouir en si
pures fleurs, il les fallait sentir et presque Jes vivre.
Cette science haute, ces conceptions merveilleuses, cette
spiritualité profonde, Villiers ne les avait pas acquises
au hasard dans les livres, il les avait comme créées, il se
les était'pensées pour lui seul. L'extériorité ^le le solli-
1
citait que par la simple plume qu'il faut pour les pro-
clamer. Loin de tout contrôle expérimental, loin de
toute vérification, loin même de toute possibilité
humaine, c'était son orgueil d'esprit de les croire indu-
bitables. Il était tour à tour l'Archidiacre, la Sara,
l'Axel, le Janus de son livre. Il n'avait bien à lui, que
leur âme. C'était son fond, c'était ce qui permanait der-
rière les décors et les coulisses de son ironie, derrière
la rampe flamboyante de sa mise en scène d'acteui%
toujours attentif à tenir son rôle de parleur étonnant
et soudain. C'était ce qu'on voyait derrière le vague de
ses yeux et la vitre de sa prunelle. Il en venait lui, son
regard — et Villiers tout entier n'était-il psfs son regard
— des cryptes du burg d'Auersperg, ébloui par l'or
entrevu, par l'or hallucinant et par les ombres écla-
tantes qui peuplaient les rnurs de leurs éblouissements? .
Villiers de l'Isle-Adam donnait, — que de fois?— l'im-
pression d'iin prodige qui passe. Il semblait absent du lieu
où il était, il écoutait poliment et laissait dire ; ^)uis tout
à coup, saisissait la parole à son tour, comme quelqu'un
qu'on, prend aux cheveux, et c'était alors un remue-
. ment brusque de quelque grande chose invisible dans
l'air dont il semblait le porte-voix. Il nous a été donné
de le voir tel et d'avoir eu à nous retrouver nous-mêmes
et de n'y pas trop vitement réussir, après que, depuis
des instants déjà, le miraculeux évocateur de soi-même,
s'était tu. , " ,
L'influence de Villiers sur ses auditeurs a été' peut-
être plus. puissante encore que sur ses lecteurs. Toute-
fois, est-il un maitre;.et certains jeunes écrivains, entre
autres Charles Morice, l'ont subi.
Il s'est imposé par ces qualités d'aristocrate et de
mystique. Lui-même prend rang parmi les poètes de ce
temps., qui forment cycle autour de Poë et de Baude-,
laire. Il estde leur lignée, si pas de leur temps, Barbey
'd'Aurevilly ne lui était guèi% étranger non plus. Il sera'
placé parmi eux, au même rang, dans l'avenir.
Pour ce qui est d'Aϑl on peut certes en discuter les
données. On a déjà fait observer que la,nouveau signe
que Sarah et Axel devraient, d'après maître Janus,
créer, existait déjà : c'est le signe de la croix, qui
symbolise l^^enonôiation à la chair et à la puissance.
Mais resta une question préalable. Ce signe — ancien
ou nouveau, qu'importe! ■ — les deux protagonistes font-
•• ils vraiment en sorte pour qu'il soit par leur fait. L^
peuvent-ils? Alors que déjà — .Janus le sait — Sara a
renoncé à la vie mystique, séduite par le rêve de l'or?
Au surplus, que dire de ces soudages de philosophie
allemande — Hegel plus que Schopenhauer — avec les
théories occultistes? Et ce suicide final qui est une
débâcle de toutes les précédentes théories émises camme
vraies?" "^ .
Mais qu'importe! Une idée demeure superbe et gt-ande.
— est-elle logique dans la tête ' d'Axj'l nous ne le
1.
^
croyons pas. -r- cette idée est : se servir de la mort
pour continuer l'amour, pour le maintenir à son paro-
xysme, éternellement, ^xël et Sara se sont — le temps
d'un éclair — si au delà de tout aimés, que le recom-
mencement dans la vie ne leur est plus possible. Ils
s'empoisonnent — et s'il y a quelque part renoncement
c'est bien le renoncement à la vie, mais non pas au
profit de la perfection. Tout au contraire : au profit
de Tajnour. C'est, en somme, lui qui triomphe, qui fait
de ces deux créatures choisie!?', Sara et Axel, des types
aussi inoubliables que Tristan et Isolde. Villiers les a
grandis si puissamment qu'ils en sont légendaires et
que, dans cette déjà si- longue théorie d'amants,' qui
marçhgjit immortels à travers les siècles, les Dante et
les Béatrice, les Roméo et Juliette, les Elvire et les Joce-
lyn, les Abeilard et les Héloïse, les Lohengrin et les
Eisa, eux les derniers venus, mais les si haut et les si
miraculeusement créés, peuvent certes prendre rang.
S'il ne restait du livre que cela, qu'importeraient les
nombreux trous dans son ensemble inachevé.
ire
COLLABORATION ARTIStlQUE
Quelques détails curieux rapportés par un chroniqueur de
VEcho de. Paris à propos du tableau récemment découvert au
Puy et qu'on cVôit avoir été peint par Rembrandt aidé d'un colla-
borateur.
Il s'agit de Rubens et du travail préparatoire qu'il faisfiit fa
à, ses élèves : \
Le procédé employé était invariable. Rubens remettait l'es
quisse -de; son tableau à l'un do ses élèves; et cet élève' finissait
le tableau. en le poussant si loin que quelques reloucnes du
maître suffisaient potfr le terminer.
Les choses ne marchaient pas toujours facilement, du reste,
' — et maintes fois les marchands de tableaux qu'alimentait Rubens
s'insurgèrent et le firent s'engager solennellement à peindre lui-
même les t.oilcs qu'il vendait comme siennes.
L'ambassadeur d'Angleterre à la Haye, sir Dudiey Carlctoti,
avait commandé à Rubens un tableau représentant Une chasse
au lion. Fidèle à son» habitude, le maître fil faire le tableau par
ses élèves et le livra comme étant de lui. Sir Dudiey Carleton
soumit l'œuvre à d^s experts, et ceux-ci déclarèrent qu' « elle
n'était pas de Rubens ou tout au moins n'était pas digne de lui ».
L'ambassadeur renvoya la ioile, — et voici la lettre que le
célèbre peintre fil en réponse ù ce retour quelque peu désobli-
geant :
« Je m'engage sur l'honneur à faire et à achever entièrement
de ma main le nouveau tableau sans que personne autre que moi
y travaille." Je regrette que le précédent tableau ail excité le
moindre mécontentement de sir Carleton. Cependant, ce dernier
ne m'a jamais fait comprendre clairement, bien que je l'eusse fré-
quemment pressé de questions, qu'il voulût que le tableau fût
complètement original ou simplement retouché par moi.
« Anvers, le 13 septembre 1621 ». •
Autre anecdote, non moins piquante : .
Le chapitre de l'église métropolitaine de Malincs avail com-
mandé à Rubens son fameux tableau la Cène. De crainte que la
toile ne fût endommagée dans le transport d'Anvers à Malines, le
doyen proposa au maître de l'exécuter dans sa maison. Ce dernier
accepta, mais au lieu de venir lui-même, il envoya îi sa place son
élève Van Egmont, avec l'esquisse habituelle. L'œuvre fut poussée
si loin par Egmont, que le chapitre craignit qu'elle ne lui fût
remise sans que Rubens y eût donne un'scul coup de pinceau.
Aussi lui écrivit-il « qu'il avait commandé le tableau au maître ej
non à l'élève ». . • -
Ûue croyez-vous que Rubens répondit ? Il déclara tout bonne-
ment au chapitre que « pour pouvoir satisfaire à toutes les com-
mandes qui lui étaient adressées, il avail pris J'habilude de ne faire
que l'esquisse de ses tableaux cl que c'était d'aprçs celte esquisse
que ses élèves meitaicnt en place et exécutaient au besoin le
tableau entier auquel alors il donnait l'éclat de son talent per-
sonnel par les dernj/ers coups de pinceau (sic) ».
Les pères Jésuites connaissaient si bien les habirudes de Rubens
que, le 29 mars 1620, le père Jacques Tirinus, Iraiianl en leur
nom avec Rubens, stipula que « trente-neuf panneaux de lui
devaient cire dessinés par lui, mais pourraient être peints par ses
élèves, à la condition qu'ils fussent dignes de lui ». Le rparché
stipulait que le prix de cette eommandc était de 7,000 florins
(14,000 francs) « lesquels ne seraient payés qu'autant que les
quatre côtés du maître-autel seraient non seulement dessinés
mais peints par le maître. ^^
LITTÉRATURE WALLOME
Les Aventures de Jean d' Nivelles, el fils de s'père. — Poème
épique, rassauré, erdoublé, erlouï à l'histoire du pais, avè des
imaches, pa Olivier Dessa, et cor in ptit dictionnaire au dsus du
marchi. — Toisième édition, in .douze chants, pa l'auteur d§s
deux autes. -^ Un vol. in-12 de 213 p., Bruxelles. Ad. Mer-
tens, 1890.
11 existe en. Belgique une Société de liiiérature wallonne
très active, qui s'occujîe avec une véritable passion de tout
ce qui.se rapporte à celte vieille langue nationale? Elle en
recherche les origines, recueille soigneusement les monuments
laissés aux diverses époques de l'histoire, établit les règles .
de son orlhographc el de sa grammaire, et enrichit ». son
dictionnaire de glossaires technologiques puisés dans les annales
des métiers. Chaque année, celle société organise des concours
1res suivis dont les productions sont examinées avec le plus grand
soin, et ses travaux, ainsi que les pièces couronnées, sont publiés
dans un Bulletin qui en est li son vingt-septième volume, et qui
constitue, pour l'élude dupays waltôn, la mine la plus riche que
l'on puisse imaginer.
Naturellement, le siège de la Société est à Liége,Tnais ceux qui
s'occupent des dialectes des autres parties de la wallonnie sonl
venus se rattacher h ce rameau principal, et il est sorti de Ih une
liiiérature vraiment populaire, qui peint les petites gens sur le
vif avec leurs allures, leurs mœurs, leurs préjugés et leurs senti-
ments, bien mieux que ne pourrait le faire le français, au travers
duquel ils apparaissent raides et gênés, comme en un hcTbîrv.
d'emprunt. . ' , •
Dans cet épanouissement 4iltéraire du vieux langage, M. l'abbé
Renard, auteur du livre dont nous avons transcrit le litre, repré-
sente la branche nivelloise, et, d'un vers facile et léger, il chante
V.
l'dpopée de la capitale duBrabani wallon. Oyez, comme il com-
mence : , .
Apollon, ô grand maiss des vers et des chausonSj,
Rawaitiz, d'in boun ouie, el pu laid des Wallons !
Puis, après s'être présenté avec celte absence dvidenic de pré-
tention, il nous montre Nivelles, « la vilie yuss que Gédru », toute
remplie encore du souvenir de ses abbfesscs : /
/ / '
C'esst ènn Dame, à Nivell, qu'a poùrté les maronnes
Leu trace est là cougnée. On voit cor, de nos jous,
Que leu gouvernèmint n'astait qu'aimâbe et doux.
■ii Dins Is allûrs, les rappourts, dins 1 eglîche, à les fiesses,
0 recounnait co toudi 1' bia royaum des abbesses.
Il a là r coquètrie, avè d'ell propreté,
In ptit pau d' coumairâche et branmin d'cll piété.
Je n' tints ni ses maisos'pou les palais des rois,
C'est ni tant l'or qui rlut. A m' moûde el bia Nivelle
A n' saquet d' pu madame, a pu d' grâce : ènn dintelle !
Suit la représentation d'un éventail, car le livre est illustré, cf
la gaie naïveté des dessins ne le cède pas h celle du ipxlc.
Et le poème se développe ainsi à travers douze chants, mêlant,
dans un désordre tout pindarique, les légendes locales, le chien
de Jean de Nivelles, la Dodaine, etc., avec des morce aux d'his-
tofre : Jean-le-Bon, Châles l'Estorné, Louis XI, le saccajmint
d' Dinant, les Franchimontois, et des choses plus actuelles,
comme la question flamande, el aussi de l'amour, sans lequel ij
n'y a pas de poème, et du merveilleux à foison, tout cela abso-
lument peuple, par la manière positive do l'exprimer, et qui
forme le plus souvent un amusant contraste avec le sujet.
En somme, c'est un livre de bonne santé et de belle humeur
qui sera certainement reçu avec enthousiasme dans le pays des
Aclots. ' - . .
La mode est aux marjonneUes.. Tout cet hiver, elles ont fait
merveille; on a presq'tïe autant parlé d'elles que si elles étaient
des comédiens et des comédiennes; des conférenciers expliquaient
encore ces jOurs-ci, au Théâtre d'application, copimont leurs
petits gestes automatiqties el leurs évolutfons naïves pouvaient
exprimer les passions humaines, et rien ne transpose, en effet,
et ne reflète curieusement la vie comme ces minuscules et mys-
térieux personnages d'où nous arrive la sensation d'une humanité*
qui nous ressemble sans être nous. C'est que l'art doit peul-êire,
avant tout, être suggestif, et puisqu'il y a un endroit de Paris-ûù
ïjIc^ l'on s'occupe ainsi passionnément de tout ce qui touche à l'art
théâtral, et où l'on recherche les moyens de le transformer et de
le, perfectionner, je voudrais y voir se créer, en faveur de la pan-
tomime, le mouvement qui se dessine déjà si bien en faveur des
. marionnettes. "^ ■
Connaissez-vous rren de comparable h la pantomime? Quelque
chose qui vous remue, vous secoue, vous affecte davantage, el
qui vous laisse dans la mémoire des images plus persistantes?
Est-elle l'Art supérieur, el peul-on dire, d'ailleurs, qu'il y ail un
Art supérieur? C'est une .question. Mais elle est bien celui dont
un artiste pourra tirer les effets les plus surprenants, el dont les
souvenirs seront .toujours le plus\ faits pour frapper et hanter
l'esprit. Elle est la musique des yeux. De la musique, elle a le
vague, l'étrangeléj l'indéterminé menaçant ou aimable, le charme
ensorcelant, la profondeur voilée. Comme la musique, et bien
que silencieuse, elle vous fait signe d'écouler; elle a un doigt sur
la bouche. i
Vous éles-vous quelquefois trouvé dans un salon qu'une, glace
sans tain séparait d'un autre salon, et d'où l'on pouvait voir* causer
les personnes sans entendre le son des voix? Vous savez, dans ce
cas, l'espèce de fascination qu'exerce cette conversation dont on
voit les gestes mais dont on n'entend pas les paroles. Vous av^z
senli l'impossibilité qu'il y a à ne pas suivre, malgré soi, par une
attirance étrange, ces causeurs qui se lèveni, s'assoient, avancent
la main, secouent la tête, arrondissent les yeux, rient, se ren-
versent, s'exclament, sans qu'aucun bruit vous parvienne.
Outre la curiosité qu'on éprouve, l'intérêt qu'on met à deviner
h quel enlrctien peut bien correspondre le langage visible mais
muet qu'on aperçoit, à quelles finesses ou h quels sous-entendus
dans les mots pnuvent bien s'adapter les finesses et les sous-
entendus de la mimique, outre celte sensaiion de curiosité très
vive, on en ressent encore une aulrc, plus subtile, mais tout aussi
réelle, et qui réside dans le fait singulier de voir du bruit, comme
si le bruit, avec le son qui le caractérise cl s'adresse à louïe,
pouvait aussi avoir une figure ignorée et rêvée qui s'adresserj
aux yeux. Celle dernière sensation du bruit quon voit est si par-
ticulière, elle existe si posilivemenl, malgré sa bizarrerie, el son
absurdité apparente, qu'au fond, lorsqu'on voit ainsi, sans les:
entendre, des personnes se sourire et remuer la bouche, on ne
larde p:is, pour peu que le spectacle dure, à en recevoir une
impression d'hallucination, et même h en souffrir comme d'une
hallacinalîbn véritable.
, Et pourtant, selon toute vraisemblance, elle e-tforl banale,
cette conversation qui a lieu devant nous, derrière cette glace de
salon, et nous savons, nous voyons peut-être même qu'elle esl
banale, mais il suffit que nous n'en entendions pas les mois pour ^"^e-r
qu'immédiatement elle nous captive. -Nous en connaîtrions mieux
le sujet, quelque chose nous aurait prévenu que tous ces interlo-
cuteurs parlent de la pluie et du beau temps, de la dernière baisse C
ou de la dernière hausse de la Bourse, du dernier chien écrasé,
ou des prochaines élections municipales,que nous n'en suivrions
pas' moins chaque geste,, chaque mouvement de lêle, cl que nous
n'en serions pas moins pris el retenus par ces mots que nous n'en.-
tendons pas et par ce bruit que nous voyons, c'esl-à-ilire par
Vinconnu d'ahovà, par k mystérieux cnsullc. ,, J
Toute l'explication des puissants effets qu'on "(5tMient par la
pantomime réside effectivement Ih. Il y a, dans une mimique
qu'aucune parole n'accompagne, un mystère permanent, el si
transparente qu'elle soit, si netlemenl que les gcs'.es el les jeux
de la physionomie disent, précisent cl expriment une passion ou
uii sentiment, une pantomime aura toujours une uinte et ('omine
une gaze de mystère. On y verra bien un mari jnloux, mais on ne
verra"" pas ^jusqu'où il l'e^st, ce qu'on verrait s'il parlait, el celle
' jalousie, dont on ne verra pas le fond, paraîtra mille fois plus
_, terrible, et sera beaucoup plus terrifiante que les jalousies Ic^^ '
plus féroces, mais dont la férocité s'expliquerait.
La pantomime, en art, esl ce que sonl, dans la nature. Us
gouffres insondés et les grandes lignes des horizons. Vous avez
beau savoir que ces gouffres coniiennenl la mon ; personne n'a
jamais pu dire^comment elle y élaii, ce qu'elle y était, et c'est
précisément ce qui en fait l'horreur. Vous avez beau connaître le
^
112
VÀRT MODERNE
(
pays qui se trouve là-bas, au loin, dans ces grandes monlagncs
bleuâtres; vous n'y sentez pas moins loulc une vie voilée, incon-
nue, toute une vie que vous pourriez regarder éternellement sans
la voir, et vous éprouvez, devant ces brumes lointaines, une
impression intense et subtile que ne vous donnera jamais le plus
beau parc dont vous compterez les pelouses et les massifs, ef
dont vous verrez remuer les lier|jcs.
Le génie de l'acteul", dans la pantomime, tout en exprimant
certaines nuances, ne fera donc, en somme, qu'étendre et agrandir
encore le mystère inséparable de toute action muette. Plus un
acteur, dans une pantomime, aura do sourires significatifs, d'im-
mobilités éloquentes, plus il trouvera de détails expressifs, et plus
il sera, par cela même, énigm^ati(iue. Contrairement à ce qui
arrive souvent quand on parle, plus il exprimera el plus il laiissera
à deviner; plus il réalisera, et plus il fera entrevoir de choses
au delà 'du réel!
N'esl-il pas singulier que la pantomime soit née de simples
basards? Elle paraît être la conception d'un génie étrange et pro-
fond, cl elle n'est que l'effet fortuit de difficultés matérielles.
Toute sacrée qu'elle fût dans l'antiquité, elle n'en avait pas moins
été d'abord, le résultai peu estliéiique, de l'impossibilité de faire*
entendre la voix bumaine sur les vastes théâlfcs où se déroulaient
alors les spectacles, et son origine, chez nous, est tout bonne-
ment administrative. Pour sauvegarder, à un moment, les privi-
lèges de l'Académie de musique et du Théâtre Français, on avait
interdit la parole à tous les autres théâtres, et cei^dcrniers jouèrent
alors des drames el des comédies mimés. Quelques-uns avaient
même imaginé de mettre entre les mains des acteurs des bandes
de loile sur lesquelles leurs répliques étaient écrites, et qu'ils
dépToyaienl à tour de rôle pour les faire lire au public. Ils rappe-
.4aicnl ainsi ces personnages des vieilles peintures primitives dans
la bouche desquels on voit des banderoles où se déroulent des
phrases naïves. , • .
* *
En loul, en ce moment, nous clierchons«-cl nous tâtonnons.' 11
semble que nous ayons tout éprouvé, que tout nous ail fatigués,
et l'art qui, aujourd'hui, nous saisira avec le plus de force, sera
certainement celui qui contiendra le plus d'inconnu. La véritable
folie de musique qui rem'plil les s;illcs de concert n'a pas d'autre
/ c.iùse, el la pantomime nous attirerait de même, pour les mêmes
raisons, el avec le même magnétisme. Ce qui fait la magie xle la
musique, c'est qu'elle évoque des figures, mais qu'elle est elle-
même sans figure ; ce qui fait celle de la pantomime, c'est qu'elle
évoque des paroles, mais qu'elle esl elle-même sans parole el
avec ce que nous sommes, ce que nous voulons, ce que nous sen-
tons, et surtout ce que nous deviendrons, l'avenir n'est pas à un
autre Frederick Lemaîlre, il est â un autre Deburcau.
Maurice Tal-mevu {Gxl Blas),
foNCERT? PyVF(I31EN?
SOCIÉTÉ NATIONALE DE MUSIQUE
(Correspondance particulière de /'Art moderne).
Le Qautuor à cordes en rc majeur de César Franck, dont la
première audition, si impatiemment attendue, vient d'avoir lieu à
la Société nationale, esl une œuvre de loul premier ordre. Force
de conception, noblesse et générosité des idées, architecture
magistrale, forme admirable el nouvellr, toutes les qualités qui
constituent une véritable oeuvre d'art s'y trouvent réunies.
Le premier morceau commence par un mouvement Icnl où
s'expose, sans hâte, la phrase principale de l'œuvre. Comme cela
arrive presque toujours dans les œuvres symphoniques du mêiiïé
auteur, cette phrase se retrouve, modifiée, dans les autres parties. .
Puis vient nw allegro en ré mineur. Après la reprise du motif,
en fa^ la phrase de l'introduction réapparaît. Celte fois elle se
développe en forme de fugue. Ce premier morceau, conçu dans
des proportions inusitées (il dure près de dix-sept minutes) esl
construit el conduit avec un&-&ûrelé de main vraiment merveil-
leuse. Il peut être comparé h tout ce qui a été fait de plus beau
dans ce genre. \
Le scherzo, où l'on retrouve comme un ressouvenir des Eolides,
el Validante sont dé moins grandes dimensions.
Le début du fmal rappelle par sa disposition, el nullement par
la nature des idées musicales, le début du final de la 9* Synipho-
nie. Les thèmes des trois premiers morceaux y sont ramenés tour
à lour, encadrés dans une phrase vive, qui -conduit à Y allegro. Les
mêmes thèmes revien'nent encore àla fin du morceau el, à noire
avis, d'une façon plus heureuse, parce qu'ils se mêlent alors à la
trame musicale. ,. . .\
Il estévidemmenl impossible de donner avec des mois une idée,
même imparfaite, d'une œuvre aussi complexe et aussi complète-
ment feçUe. Qu'il nous suffise de dire qu'il y a dans la musique de
chambre un chef-d'œuvre de plus.
Le programnic comprenait d'autres œuvres inléressanles. Tout
d'abord le beau Poème des montagnes de M. Vincent d'Indy, si
personnel, et la réduction à deux pianos de la Lénore de
M. Henry Duparc. .
M. Ernest Chausson faisait entendre trois nouvelles mélodies,
sur des paroles de Verlaine, Villiers de l'Isle-Adam et Leconte de
Lisle. Ces mélodies, d'un sentimenf contenfl, r-éfléchies et. très
enveloppées d'harmonies non communes, auraient gagné à être
entendues dans une salle moins grande.
Notons encore que M. Diémer a contribué à l'éclat de celle
séance en exécutant, avec sa virtuosité impeccable, de gracieux
morceaux de piano.
pETlTE CHROjvilQUE
Le quatrième et^dernier Concert populaire de la saison aura
lieu au ibéâtreuic la Monnaie, mercredi prochain, à 8 h. de soir,
sous la direction du capellmeister Hans Richler.
Voici le programme de cette audition exceptionnelle :
A.' 0\i\er[[irû dès Maîtres Chanteurs.
2. Prélude de Tristan cl Yseult. Mort d'Yseult.
3. Prélude de Parsifal.
A. Final du troisième acte delà Va Iky rie {tiàicux de Wolùu),
chanté par M. Blauwaert. '
5. Première rhapsodie hongroise de Liszt.
6. Symphonie en u* mineur de Boeihoven.
La répétition générale aura lieu, au Ihéâtre de la Monnaie éga-
lement, mardi soir, à 8 h. .
Samedi prochain aura lieu à l'A.lhambra une représentation
extraordinaire donnée au bénéfice de M. Hubert Van Dijk, in^pec-
.^
'h
i\\.
">.;
VART MODERNE
113
leur-général -du lliôàlrc et ancien contrôleur en chef du théâtre de
la Bourse.
Le programme de la roprésenialion est composé d'une des
pièces montées par M. Duricux pendant sa campagne, et d'un
intermède auquel prendront part plusieurs artistes.
La place de professeur de gravure à l'Académie d'Anvers Ci-t
devenue vacante par la mort de l'aquafortisle Michicls. Le hruit
court qu'elle csi demandée notamment par M. Danse, actuelle-
ment à Mons. Le choix serait cxcellenl. Depuis longtemps
M. Danse est au premier rang de nbs graveurs et son enseigne-
ment est parfait au point de vue de l'art et de la pratique. C'est
lui qui travaille à la gravure de la Kermesse do Hùbcns (Musée
du Louvre), dont on attend l'apparilion avec une impatiente curio-
sité. Quantité d'autres oeuvres de cet artiste, très laborieux, sont
connues.
)>I. Alhaiza, directeur du théâtre Molière, va, en juin prochain,
tenter avec sa trpupc une campagne à Paris, au théâire des Nou-
veautés. Il débutera par le Voyage de Chaudfontaine, l'opéra-
comique de Hamal, qui eut cet hiver un vif succès à Ixollcs.
A l'occasion des fêtes organisées sous ses auspices pour célé-
brer le soixantième anniversaire de la proclamation de l'Indépen-
dance nationale, l'administration communale de Bruxelles ouvre
un concours pour la composition^artislique d'une aflîchc restrernl
aux artistes belges. , :
La composition de l'affiche comprendra notamment : le pano-
rama de la ville; 2» une vue du square du Petit-Sablon, avec
quelques groupes ou chars de la cavalcade organisée lors des
, prochaines fétcs et représentant les grands faits de l'histoire natio-
nale au xvi^ siècle ; 3° un dessin représcniant la revue des écoles;
¥ un schéma de la carte de l'Europe indiquant les grandes voies
de communication vers Bruxelles.
Les concurrents doivent fournir une esquisse peinte ou coloriée
en trois teintes, mesurant 32 centimètres de largeur sur 7o centi-
mètres de hauteur, marge comprise. La décoration, y compris
l'espace réservé au tilre, ne pourra dépasser la moitié de la sur-
face, l'autre moitié étant réservée au texte.
Ces esquisses seront adressées sous cachot à M. l'échcvin André,
président de la commission communale des fêles natiqnales, à
l'Hôtel de ville, 24, rue du Lombard. Il en sera délivré reçu. Elles
seront déposées, au plus lard, le mercredi M mai, à midi.
Les esquisses porteront une devise ou marque qui sera répétée
sur une enveloppe cachetée, jointe à l'envoi, et qui contiendra
les nom, prénom et "adresse du concurrent. ^.^
S'il y a lieu, la commission désignera les trois meilleures
csqursses j)Oiir éire exécutées par leurs auteurs en grandeur d'exé-
cution, soit l'",25 de largeur sur 3 nicires de haut, et déposées
à l'Hôtel de ville, le 26 mai, avant quatre heures.
L'auteur du projet classé premier recevra" une prime de
1,000 francs, offerte par la Société de Bruxelles- Attractions. Les
auteurs des projets classés deuxième et troisième recevront. res-
pectivement une prime de 300 francs et de 200 francs.
Voici le résultat stupéfiant 'de l'élection (dite ùc% 'Treix,e) k
l'Académie. \
Nous donnons successivement le dépouillement des sept scru-
tins :
\
V" 2" 3" -i" :;•■ <5'= 7-
Thureau-Dangin ..8 88 9 OlO 8
Manuel ..*... 0 8 9 7 8 7 -ii
Lavissc ...... n r; 7 .8-9 9 10
Bru'nctière .... 4 43 0 4 3 3
H. Houssavc ... 4 4 3 1 1 1 2
Theurict. \ . . . 4 3 0 0 0 0 1
F. Fabrc .... 2 K 0 00 0 0
Loti 2 2 5 4 3 .^. G
Zola 1 3 3 34 2 2
Becque -1 0 0 0 0 0 0
Barbier ' \ 0 0 0 0. 0 0
Charles Naurov . . 0 0 0 0 0 0 0
Begnaull . '. . . 0 0 0 0 0 0 0
Votants. . . 38 38 38 38 38 37 38
Après le septième tour de scrutin, l'Académie a remis l'élection
à une époque indéterminée.
Nous comprenons cela.
M. Hcnrv Céard vient de lire aux artistes du Théâtrc-iwibre
La Pêche, pièce en- un acte.
' Les foies seront tenus par MM. Antoine et Pinsard,
M™»* Hcnriot et France.
Il reste îi<listribucr un rôle d'enfant, — qui, le soir do la i)io-
mière, fora sensation.
La Réunion des Arls et du Travail organise pour le jeudi'
8 mai, à 7 h. 1/2, une représentation dramatique au profit do
Y Œuvre philanthropique du Travail, dans son local de. la salle
. Veydt, à Saint-Gilles.
La spectacle se composera des Vivacités du capitaine Tic, et
de les Espérances." '
Le prix des places est fixé à 2 francs. Carte de famille (trois
personnes) 5 francs. ' -
On peut se procurer des caries au local del'OEuvre, rue Voydi, 17.
Le Joif-rnal des Débats raconte qlie l'administration du génie
de France vient de fai^^e une jolie gafl'e. Elle a vcnTu comme
vieilles planches, à un prix dérisoire, des boiseries artistiques,
sculptures, provenant de l'hôtel de Sens, qu'on aménageait pour
divers services de la guerre. L'un do ces lot*, après quelques
reventes successives, a fini par être payé 12,000 francs par un
amateur qui s'y connaissait; mais c'est un brocanteur qui a Béné-
ficié de l'aubaine.
L'orgue de Marie-Antoinette est h Saint-Sulpice, dans la c1i:h
pelle de Notre-Damo-des-Eludiants; il porte eniiore le chillro do
la reine et se dislingue pan l'élégance de ses formes. Cet instru-
ment, qui a été l'objet d'une restauration récente, a été inauguré
h l'occasion des cérémonies do la Somaine-Savnle. Les morceaux
qui avaient été choisis sont des compositions de (lluck et de
Mozart que ces grands artistes ont exécutés autrefois sur le mémo
clavecin. /
Quelques artistes belges, en nombre très restreint, ont envoyô
des œu\res h la vingt-neuvièmo exposition de llnstitut dos,
Beaux-Arts de Glasgow, qui vient de s'ouvrir. Ce sont M.M. Charles ^
Van dcr Stappen {Saint-Michel et la Pieuvre\, Paid do Vigtfc
{la Foi, l'Abbé, la Poverella,) M"'* Henriette Ronnor (les Con-
naisseurs, les ï>eux Amii), M. Alfred Ronner et M"*"* A. et
E. Ronner. L'école française est représentée par dos toiles do
Diaz, de Julien Dupré, d'Isaboy, de Léon Lhermitte, de Tou-
douze, de Comerre, de Damoye^ de Pierre Billet, de Borgeret, etc.
L'école hollandaise, par des œuvres de Mesdag et de M""" Mesdag,
de Gabriel, de Vos, de Mauve, de Josef Israëls,de Storm de Grave-
sande, etc. L'exposition comprend 1,047 numéros.
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Pour tous renseignements s'adresser à la Direction de VEcrploitation dés Chemins de fer de l'État, à Bruxelles, à V Agence générale des
Malles-Poste de l'Êtat-Belge, Montagne de la. Cour, 90*, à Bruxelles ou Gracechurch-Street, n» 53, à Londres, à V Agence de Chemins de fer
de VÊtat, à Douvres (voir plus haut), et à M. Arthur Vrancken, Domklofiter, n» l, à Cologne.
KTUDE DU NOTAIRE DELVAULX, A MALINES.
VENTE PUBLIQUE
DE SI'LENUIDES
ANCIENNES TAPISSERIES FLANANDES
Le iiotmre VANMELCKEBEKE, résidant à Malines, à 1 inter-
vention de son collègue maître DEL VAUX, en laméme ville, vendra
publiquement le Vendredi 9 Mai, à 3 lieures, en la mortuaire de
M. D'Avoine, rue des Vaches, ii» 33, à Malines :
Les magnifîquc^TAPISSERlES FLAMANDES garnissant le grand
salon, représentant : j)aysnges, oiseaux et verdures avec larges bor-
dures de fleuiis et comi)rcnant cinq grands panneaux, mesurant : .
10 S"", 45 sur 311,25; SMin.SB sur 3<»,25; 3o2»',6C sur 3'",23; 4° 4î",53
sur 3™, 25; 5" d'^AO sur 3"", 25; et deux petits panneaux, mesurant le
1er Om32 .sur 3'",25 et le 2» On',45 sur 3'°,25.
Ces tapisseries, par leur ancienneté, le fini de leur exécution, la
délicatesse des couleurs et leur parfait état de conservation, méritent
de fixer l'attention de tous les amateurs.
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On peut se procm'èv la photographie du panneau prin-
cipal en l'étude du dit notaire r^LVAULX, rue Louise,
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TRAITÉ PRATIQUE DE
COMPOSITION MUSICALE
depuis les premiers éléments de l'harmonie jusqu'à
la compositiony raisonnée du quatuor et des principales
formes de/a m\isique pour pîano par J.-G. LiObe>
Traduit de l'allemand (d'après là 5^ édition) par
Gustave Sandre.
VIII et 379 p. gr. in-8». Prix : broché, 10 fr.; relié, 12 fr.
Ce livre, dans lequel l'auteur a cherché à remplacer l'étude pure-
ment théorique et abstraite de l'harmonie par des exercices pratiques
de composition libre, fut accueilli, dès son apparition, par une
faveur marquée. La présente traduction mettra le public français à
même d'apprécier un des rares ouvrages d'enseignement musical les
plus estimés en Allemagne.
BruxeUes. — Inip. V* Monnoh, 26, rue de l'Industrie.
^
/^
^
Dixième année. — N** 19.
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche U Mai 1890.
L'ART MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE toiQUE DES ARTS. ET DE LA LITTÉRATURE
Comité de rédaction : Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00 ; Union postale, fr. 13.00 — ANNONCES : On traite à forfait.
, _-,^ — . — _ , ■
"^ Adresser toutes les communications à
l'administration générale de l'Art Moderne, rue de rindustrie, 26, BrusÉelles.
Sommaire
HaNS RlCHTEH. — NÉOI'HOBES OU MySONÈISTES. — Le MYSTÈRE DE
LA RESSEMULANCE. — CUEIU.ETTE DE LIVRES. — Au RiDEAU !
Chronique JUDicLMUE des Arts. — Mémento des Expositions. —
Petite chronique.
/ HMS RICHTER
L'apparition sur l'estrade des Concerts populaires du
capellmeister Richter, le doux colosse germain à la
barbe couleur de Pilsener-bier, a été révénement de la
'y\ semaine. Plus qu'un événement, une solennité. Et le
succès s'est élevé aux vertigineuses hauteurs du triom- ,
phe, presque de l'affolement. Richter a été l'homme du
jour, le héros dont on parlait comme s'il eût gagné une
bataille. Mardi et mercredi, en ces deux inoubliables
soirées d'art qui ont scellé l'union et affirmé la parenté
des deux musiciens du siècle, Wagner et Beethoven,
Bruxelles a été secoué de la torpeur qui, durant tout
l'hiver, l'avait engourdi. Quel réveil! Quels cris de joie
et de reconnaissance! Quel salut de Brunnhilde à la
lumière restituée par le Siegfried de Raab, qui dompte
les rafales symphoniques comme le fils de Sieglinde
maîtrisait les ours et commandait aux flammes !
En ce défilé de chefs d'orchestre exotiques que
/
\
M. Joseph Dupont à eu la coquetterie de nous présenter,
on avait applaudi la souple direction d'Edward Grieg, on
avait admiré le coup de bâton, énergique et décidé de
Rimsky-Korsakow. Pour Hans Richter, c'a été de la
stupeur. Jamais on n'avait vu réuni dans un chef d'or-
chestre pareil ensemble de mérites divers : l'autorité, la
fermeté unie à la douceur, le sens subtil des nuances les
plus délicates, le sentiment du rythme, la clarté et la
simplicité.
Dès les premières mesures du prélude des Maîtres-
Chanteurs, qui ouvrait le concert, le courant magné-
tique &'est établi entre le magique bâton directorial et le
public, et jusqu'à la fin de cette extraordinaire audi-
tion, qui comprenait les plus belles pages symphoniques
lie Wagner : préludes de Tristan et de Parsifal,
Chevauchée des Walkyries, Mort d'Isolde,' Adieux dé
Wotan et Conjuration du feu, pour se clore par la sym-
phonie en uî mineur àe Beethoven, l'enthousiasmé a
été croissant, manifesté par des tempêtes d'applaudisse-
ments, par des tonnerres d'acclamations.
D'ordinaire c'est aux virtuoses que vont ces triomphes
inusités. Notre public a fait preuve, cette fois, d'un
goût musical sérieux en faisant fête au musicien dont la
science et le sentiment artistique provoquent ces
émotions profondes que jamais le virtuose le plus
impeccable n'arrive à faire naître. Wagner avait
discerné bien -^ite, en lui confiant la direction de ses
A
f--.
V.
^--\
œuvres, Je mérite rare de Richter. Et ceux qui assis-
tèrent avec nous aux répétitions des Nibelungen
doivent se souvenirde la surprise qu'ils éprouvèrent en
constatant que le Maître, si pointilleux, si difficile, si
minutieux dans tout ce qui concernait la mise en scène
de ses drames, n'adressait jamais à son chef d'orchestre
la moindre observation, n'arrêtait en aucune cir-
constance le fleuve d'harmonie qui roulait à ses pieds,
toujours immuablement satisfait des mouvements choisis
et des nuances adoptées. C'est que Richter s'était si
exactement pénétré de la pensée de Wagner qu'il
s'identifiait en quelque sorte avec son génie. L'intermé-
diaire, l'interprète, était effacé : c'était Wagner lui-
même qui conduisait l'orchestre par le bras et le cerveau
de'son cappelmeister.
A Londres, quelques années plus tard, aux festivals
rhénans, à Bayreuth, où il monta et dirigea en 1887
et 1888,les Maîtres Chanteurs (Lévy fut chargé de la
condtfite de Parsifal, Mottl de celle de Tristan et
Isolde), on le retrouva, toujours merveilleux, dirigeant
avec la plus étonnante sûreté, électrisant ses musiciens
par l'ascendant qu'il exerçait sur eux, les menant au
triomphe comme un général qui a la confiance de ses
troupes. Tel il nous apparut cette semaine à Bruxelles,
après vingt ans d'absence, depuis l'époque lointaine où,
sur les instances de Louis Brassin, il consenti^t à mettre
« au point »• les répétitions de Lohengrin sous la direc-
tion Vachot. Ce qu'il a fait de l'orchestre, d'ailleurs
excellent mais parfois indiscipliné, des Concerts popu-
laires, le relief saisissant qu'il a donné, dans leurs moin-
dres détails, aux' œuvres qui composaient le programme,
la cohésion et la puissance sonore auxquelles il est
arrivé en quelques répétitions, ceux-là seuls qui ont
assisté aux concerts de mardi et de mercredi peuvent
l'apprécier. \
Cette fascination du chef sur les musiciens de l'or-
chestre est un phénomène curieux. Quel que soit son
mérite, le directeur peut n'obtenir qu'un médiocre
résultat. Il faut qu'il s'impose aux instrumentistes, qu'il
les dompte comme un cavalier habile gouverne sa mon-'
ture. Ce n'est pas seulement une aff'aire de talent, c'est
presque une question de « fluide ». Lorsque les musi-
ciens, qui ne sont pas aisés à mener, aperçoivent la
moindre hésitation, découvrent le plus minime travers
de leur chief (et rien n'échappe à leur malicieuse clair-
voyance), celui-ci est perdu, irrévocablement. Il aura
beau s'agiter et beau prêcher, il s'ingéniera vainement
à prouver sa compétence. Les écoliers mutins ne l'écou-
teront plus que d'une oreille distraite, ils inventeront
mille tours pour le démonter, multiplieront les couacs
à plaisiç. Après le métier de maître d'école, celui de
chef d'orchestf e est bien le plus infernal qui se puisse
concevoir.
En Richter, leâ musiciens ont senti leur maître. Ce
fait prodigieux Jde conduire de mémoire les partitions
les plus compliquées sans jamais oublier d'indiquer une
entrée, de souligner une nuance, les a littéralement
« matés ». Et ils n'ont plus eu qu'une seule préoccupa-
tion : celle de se montrer dignes, par la tension de
toutes leurs facultés, par l'énergfe de toutes leurs forces
concentrées sur ce seul objet, d'un chef aussi remar-
quable. Ils ont réussi au delà de toute attente et ils ont
prouvé qu'ils savaient être (ce qu'ils devraient être tou-
jours) un orchestre absolument hors de pair,-vibrant et
nervQux, passionné et emporté tout en restant précis
et clair. _ - \
L'admiration que nous expriiûQns ici n'a rien d'exces-
sif. Elle a été partagée^croyons-nous, par tous les audi-
teurs de cet extraordinaire concert, On eût dit que
Rich ter jou4t d'un instrument colossal, d'un instrument
unique aux cent voix dont il mettait le mécanisme en
mouvement par des fils mystérieux rattachés à son
bâton de commandement. Les œuvres animées, violentes
de couleur, il les interpréta surtout avec un coloris
prestigieux : l'ouverture des Maîtres -Chanteurs et la
Chevauchée des Walkyries. S'il était possible de faire
un tri dans ces exécutions de premier ordre, nous place-
rions la compréhension de ces œuvres au dessus de celle
des pages mystiques, peut-être moins en harmonie avec
le tempérament sanguin de l'excellent musicien. -
On s'est étonné un peu de l'intercalation en ce magni-
fique programme, de la Fantaisie hongroise de Liszt,
qui ne vaut que par le pittoresque et l'exotisme. Faut-il
voir dans ce choix une coquetterie de chef d'orchestre
désireux de conduire une œuvre aux rythmes ondoyants,
aux mesures heurtées, coupées de repos, scandées d'alté-
rations? Est-ce un hommage au compatriote mort? Un
souvenir à celui qui résolument s'institua le liéfenseur
et l'admirateur du Maître,, à une époque où l'on avait
encore l'impertinence et l'invraisemblable sottise de dis-
cuter de pareilles œuvres? Peut-être tout cela réuni. Le
fait est qu'elle détonait un peu entre le prélude de Par-
sifal et la symphonie en id, cette fantaisie déhanchée et
clinquante, d'ailleurs étrangement enguii'landée de
fioritures, follement pomponnée et enrubannée.
Un seul soliste a collaboré à ces belles soirées :
M. Emile Blauwaert, l'excellent Gurnemanz de Bay-
reuth, dont l'interprétation artistique a donné le carac-
tère et la grandeur voulus à la scène finale de la Wal-
AyWe, admirablement jouée par l'orchestre.
i
X
NEOPHOBES OU MYSONElSTES
A PROPOS DÈ)J.-G. HOUZEAU.
Néos, en grec, signifie levNeuf. Quant à la désinence phobe et
au radical myso, c'est aussi au grec, du grec vulgaire; il suffit de
2.
■ /
i-appelcr le mot hydrophobe, qui veut dire : j'ai horreur de l'ean,
gl le mol mysogyne, qui veut dire < j'ai horreur des femmes. Un
inielicct (^veillé eu conclura prestement que Néophobe, correcle-
mcnl interprété, équivaut à : qui hait )e Neuf,— et Mysonéiste à :
qui a horreur du mônie Neuf.
C'est LombrosOj'de raseur de génie, qui a inauguré les deux
vocables. :
Et ils méritent d'ôire retenus, ces néolo^ismes ! car ils expri-
ment bien ce qu'on veut leur faire dire, ils comblent une lacune
dont souffrait le mépris, désireux de se manifester en quelque
invective bien nette, facile à lancer, portant coup. Us seront d'un
usage fréquent et opportun.
Honneur donc à Lombrosp, et merci ! C'est lui qui a inventé
aussi ce superbe subslanlif : Un paranoïde! xiéjà acclimaté dans
lajangue, au "moins chez les raffinés, attentifs aux irouvîiilies
expressives et hardies, qui qualifie énergiquement et pittoresque-
ment l'innombrable Iribii des demi-lôles, des côtoyants de l'esprit
et de la sottise, des gens entre deux vagues, flottant dans le creux,
qui ne sont pas assez sots pour être internés et qui sont pourtant
assez déprimés pour qu'on les tienne à dislance. \ ,
11 va de soi que les Paranoïdcs sont l'espèce, et les Néophobes
' cf Mysonéislcs les genres. Le tout constitue l'intéressante famille
des dégénérés.
Jusqu'ici on avait dit : doctrinaires — ou plus poliment : con-
servateurs, — ou moins poliment : arriérés, réactionnaires,
retardataires, eUci-oûtés. Nous avons écrit un jour : Ganaches!
Désormais on dira : Mysonéistes ou Néophobes! C'eît plus
moderne et plus subiil. \
Une brochure vient de paraître, intitulée : J. C. Houzeau,"^ par
J.-B.-J. Liagre. Elle est enrégimentée dans le vaste régimenl delà
bibliothèque Gilon e| eu. porte l'uniforme serin. Elle donne la
biographie de ce grand homme hirsute, et peu considéré dans
notre hichelifferie, qui eut le bizarre et scandaleux travers, alors
qu'il se nommait Houzeao de Lehaie, et que son nom figurait sur
la liste des nobles de noire almanach royal officiel, de s'obsiinerà
se nommer Houzeau, tout court; du grand homme qui eut le non-
moins scandaleux et bizarre travers de * s'obstiner à refuser la
décoration de l'ordre de Léopold ! !
Comme la plupart de nos compatriotes se dcmandroni appa-
remment qui celui-ci peut être, nous ajoutons : que c'est un cer-
tain astronome, auteur de la Physique du Globe, dos Règles île
Climatologie, de la Géographie physique de ta Belgique, de
l'Histoire du sol de l' Europe, des Etudes sur les facultés mentales
des aniinaux, du Ciel mis à la portée de tout le monde, de
y Etude de la nature, ses charmes et ses dangers, de VUra7W-
mélrie générale, du Traité élémentaire, de Météorologie, et de cette
œuvre colossale, aussi ignorée de noire public que le recueil des"
hymnes védiques : la Bibliographie générale de l'Astronomie.
Et comme cette énuméralion laissera apparemment nos excel-
lents oompâtriotes aussi perplexes que si nous n'avions rien dit,
nous ajoutons par surcrbil : qu'en Belgique il fut outragé lors
de ses funérailles par le directeur de l'Observatoire de Bruxelles,
tandis qu'à l'étranger, le président de l'Académie des Sciences de
Paris, annonçant à ses collègues la mort de cet Houzeau, survenue
lé 12 juillet 1888, il n'y a pas doux ans (qui, chez nous, se doute
que ce fut un événement?) disait : « Celait une âme haute el
« belle, éprise de justice afbsolue el de vérité... Rendons un
« hommage mérité à sa mémoire. Elle honoçe l'humanité, elle
« glorifie la science, elle illustre la Belgique ! ^
Vraiment elle nous illustre! Qui l'eûl jamais cru sur les rives
de l'Escaut cl de la Meuse, où nous jouissons de tant d'illustres
inconnus, comme rallesienl les statues el les bustes de nos places
publiques.
Or, cet Houzeau tout court, 4oin d'être un Néophobe, était
un furieux Néophile. Pour le démontrer il suffira de dire que c'est
^ous sa présidence qu'eut lieu, le 23 marâ 1849, te fameux ban-
quet-meeting qui réu"nil au Prfl</o, à Molenbeck-Sainl-Jean, les
partisans du mouvement républicain. En ouvrant la séance il
donna solennellement lecture de l'article 19 de la Cotisiitulion, qui
reconnaîl aux Belges le droit de s'assen\bler paisiblement et sans
armes; ce qui n'empêcha pas\ une troupe , de Lf'opoWw/w
néophobes de disperser les càinviv'«s à coups de canne. Il était
tellement néophile que le minh^tre' de l'inlérieur de l'époque,
M. Charles Rogiep, — cet homme politique si libéral! — le
révoqua de ses fonctions d'aide astronome à l'Observaloife. ^
Tellemeni Néophile ^u'il écrivit dan^ son testament celle pres-
cription stupéfiante de la pari d'un monsieur auihoniiqucment
noble et muni dç la particule avec adjonction d'une queue genlil-
hommesque à son nojn : « Je serai inhumé dans la fosse com-
mune, sans marque disiinctive sur ma tombe ». Tellenrtenl
Néophile, qu'il osçf, ce sauvage! donner sa démi|ssion ile direc-
IcurderObscrv^ldire^où il était entré malgré tout, surtout malgré
ses mérites el sa gloire, le 17 juin 1876,— après sept ans seule-
mont de fonctions, en accompagnant colle déroulante démission
d'une letlro où on put. lire des blasphèmes comme ceux-ci : « Un
« homme n'a qu'un nombre borné d'idées. J'ai eu le temps d'ap-
« porter mon contingent. Il y a avantage pour un établissement
« scientifique à mettre, de temps à aulre^ de jiouvelles sources à
« contribution ».
Quoi d'extraordinaire après ces calmes vitupérations des usages,
que la multitude des Néophobes et des Mysonéistes ail fait un
silence de ténèbres autour de ce mort empêcheur de danser en
rond et à perpétuité dans les honneurs, les places et les routines ;
de ce mort qui avait eu la cocasse idée, lors dp son installation
comme directeur de l'Observatoire (ce qui fait un gros personnage
ofliciel), de renoncer à la totalité de l'aile du bâtiment qui ser-
vait d'habitation à son prédécesseur, de la consacrer à l'installa-
tion des services astronomiques, et de se contenter, pour loge-
gement, d'un polit cabinet attenant à son bureau de travail. 11
consomma l'inconvenance de colle altitude en déclarant effronté-
ment que Je nouvel Observatoire ne pouvait être construit sur le
plateau de Koekelberg où le roi voulait le ganter pour embellir
le quartier, attendu, disait ce paysan, qu'un lel élablissemenl
doit être non au Nord, mais au Sud de la ville, parce que les
observations célestes les plus nombreuses et les plus importantes
se faisant dans la direction du sud, il faut éviter que le rayon
visuel doive traverser ratmosl>hèré enfumée qui flotte au dessus
d'une grande cité. - V
On ne peut s'imaginer combien ces incartades réitérées firent
(lu tort au maladroit ^rand homme. H v eut contre lui une ligue
des susdits Mysonéi^tes el Néophobes qui le déolarèrenl oulragcu- .
somenl peu sélect el gentleman like, tout à fait improper, et indigne
àii hichelijfe. Le Bel- Air trouva. sa posture mauvaise.
Il était très fin, très pénétrant, ce rustique; dans la leilre que
nous mentionnions plus haut, il écrivit : u II aurait fallu que le
directeur de l'Observatoire fùl une sorte de représentative man,
l^omme du monde dans les corcle^.ofticicls du pays et personnifia^
cation de l'élablissement dans toutes les réunions à l'étranger.
Sous ces deux rapports, vous avez pii voir (il s'adressail au per-
sonnel qu'il quittait) quelle était mon insuflisartce ! »
Il est mort ! Heureux débarras ! ont pensé Néopliobes et Myso-
néistos. A pJus d'un autre-iK-Qû souliaitcnt autant, certes, dans le
for de leur "belle conscience. C'est si bon d'être tranquille dans le
marais natal, d'y vivotôr dans la bouc et au soleil, ainsi qu'il con
vient à une gi"cnouillèr|e modèle, sous la direction, par exemple
d'un ministre éminemment libéral, tel quÇ' M. Charks Rogier
C'est si bon, quand on a une place éminenté, une direction d'éta
bassement, de s'y éterniser, 'malgré l'ûgc,- malgré la décrépitude
.jnalgré le poil blanc, malgré le recul qu'on subit par l'avancée de
toutes choses, dans ses idées, ses sentiments, ses théories qu
s'aigrissent en préjugés, qui se raccornîssent en routines. C'est si
confortable, le règne paisible du Ganachisme, où l'on voit la
Ganache en chef trôner, sommeillante, entourée d'une cour de
Néophobcs, soutenus par une armée de Mysonéistes. Pourquoi
déranger un si bel ordre? Sus aux fauteyrs de troubles! Sus aux
meneurs! Qu'on nous laisse dans notre jus. Nous sommes les
iqoqs-en-pAtc. Nous sommes les officiels dans du colon. Au diable
les turlupins ! A la rescousse la bonne police ! Heureusement qu'on
a la presse bien pensante et bien nourrie pour la faire !
C'est si ennuyeux d'avoir à changer tous les dix ans, si pas plus
vite, le mobilier de sa cervelle, de devoir décrocher les vieux
lambrequins, changer les tentures et renouveler les bibelots.
Mieux vaut laisser tel qu'il est l'appartement intellectuel avec ses
bahuts, ses dressoirs chargés d'antiquailles, vases fêlés, assiettes
ébréchés, bagage d'anciennetés sur l'art, le droit, la litl^ture, la
musique, et tout, et tout. Cela vous a un^air si rcsn^table et si
qualifié! / . - . ^^'^v
. H s'écoulera du temps encore avant que les médiocres soient
liquidés chez nous. Ils sont le nombrç, ils ont l'argent : donc, ils
sont la force. Le Neuf est leur cauchemar. Il ressemble tant à la
révolution, ce maudit Neuf. Il est toujours en train de marcher
sur les plaTes-bandes et de vouloir renverser la table du festin.
Il faut envoyer paître ces turbulents qui veulent empêcher les
sages de se repaître. *
A bas les Novateurs ! A bas les Néophiles.
Et vivent les Néophobcs, ces gens très corrects. Vivent les
Mysonéistes, ces gens très sensés? Les seuls! les seuls!
Hurrah ! pour le Ganachisme! Qu'il vive à jamais !
Le mystère de la ressemblance
La ressemblance ne consiste pas, dit excellemment Edmond
Bonnafé, dans la reproduction exclusive et matérielle des traits.
Cette reproduction n'pst qu'un des éléments de la ressemblance;
bien mieux, réduite à elle-même, elle produit une dissemblance.
Maggcsi, le sculpteur bordelais, disait un jour: «Peignez
votre figure en blanc, ou. si vous le voulez, couvrez-la de farine
bien fine et soigneusement étendue ; je vous réponds que personne
ne vous reconnaîtra. C'est le meilleur masque et le plus sûr que
, vous puissiez'prendrc. Pourtant, tous vos traits matériels sont con-
servés. Quand je fais votre buste en marbre, en matière blanche,
il faut donc que je fasse une interprétation, que je vous traduise
en blanc. Voilà en quoi consiste mon art; autrement je n'aurais
qu'à prendre un moulage de votre figure, pour le donner à mon
praticien. Perso.nne ne vous reconnaîtrait ».
I La ressemblance est la reproduction matértellc des traits com-
binés avec ce je ne sais quoi qui est la vie, l'expression.'la physio-
nomile en un mot ; série de vibrations imperceptibles qui se suc-
cèdeiil avec une prodigieuse rapidité.
Coinment procède le peintre qui fait votre portrait? Sans doute,
il rcpi;oduil la forme extérieure et tangible, l'enveloppe, la sur-
face, les dehors ; c'est le canevas obligé de son œurre. Mais il
vous regarde, il vous pénètre et va droit à l'âme ; il étudie lon-
guement, attentivement votre physionomie; il en suit fous les
mouvements, toutes les phases, et fait une moyenne de ces phé-
nomènes; et celte moyenne,, fixée sur la toile, détermine la res-
semblance. ^
L'appareil photographique, appareil passif et mécanique, ne
peut pas faire de moyennes; il ne peut même pas, quelle que soit
sa rapidité, saisir au passage une des phaSés mobiles de la phv-
sionomie, car il est incapable de fixer le mouvement. Il ne prend
que le point mort entre les vibrations successives. Regardez ces
photographies instanianées, qui sont censées représenter le
mouvement des mers furieuses, des navires sortant du port, des
rues avec les voitures qui circulent, les passants qui courent ;
tout cela est cristallisé, ne se remue pas, ne vit pas. La vague
est figée, le- piéton lient la jambe en l'air^ il ne marche pas, le
navire reste en place. Comme ces malheureux Pompéiens qui se
sauvaient par la ville cl que l'on retrouve aujourd'hui, surpris,
asphyxiés par les. cendres «l moulés en plein mouvement, le
photographe saisit ses personnages et les étouffe; il en fait des
cadavres.
jjUElLLETTE DE LIVRE?
Du Caucase aux monts Alaï. — Transcaspie. —Boukharie.
— Fei'ganah, — par Jules Leclercq, président de k Société royale
belge de géographie. — 1 vol. iu-18 de vin-270 pages, avec une
carte. — Paris, E. Pion, Nourrit et C'*, 1890.
Pour avfeir umc position assise, M. le juge Leclercq n'en a pas
moins une remarquable passion de locomotion. Déjà il a parcouru
rislànde, l'Amérique, le nord de l'Afrique, sans compter la vul-
gaire Europe et d'innombrables îles de l'Océan, et, pour passer ses
dernières vacances judiciaires, il n'a trouvé rien de mieux que
d'aller se promener à Marghellane, dans le Ferganah,.523 kilo-
mètres au delà du point terminus du chemin de fer Iranscaspien.
ll^^sl parti le 21 juillet, cl, bien qu'il ait musé quelque peu dans
le- Caucgge cl qu'il ail élé arrêté par des obstacles imprévus; qu'il
ait trouvé rompu le pont de l'Amou-Daria; qu'il ait dû attendre,
durant d'interminables heures, des chevaux de poste dans de misé-
rables slantsia du Kokan; qu'il ail stationné quatre jours dans son
wagon en détresse, au milieu du désert, pendant que des soldats
russes rassemblaient les rails dispersés par l'orage comme de
simples félus de paille, il est rentré à Bruxelles pour la date légale
du l'^^'^octobre, ei a pu entendre la mercuriale du procureur géné-
ral et reprendre audience.
Il nous conte aujourd'hui ce voyage en un style simple el
rapide, qui note les choses essentielles el ne s'arrête j)as trop aux
détails, cl si, pour la couleur locale, il nous décrit les incommo-
dités de ;la roule, les soleils, lorrides, les logis infects et vermi-
neux, les nourritures problématiques, les nuages opaques d'im-
palpables poussières qui se mêlent à tout, que l'on mange et que
l'on r^pire, les taratilass sans nissorts dont on descend bossue cl
meurtri, il lefail en homme pour qui un beau spectacle paie lar-
s.
.' \
. /
gemcnl toutes ces misères; et, devant le pic de l'Elbrouz, dans le
Caucase, plus haut que le Mont Blanc; dievanl la mer Caspienne,
flambant, la nuit, comme un bol de punch par l'inflammalion du
naphle jailli à sa surface ; devant l'antique Merv, épave de ville
émergeant de l'Océan de sable qui l'engloutit au siècle dernier;
devant les ruines dé Samarcande, comparables par la grandeur
aux seules ruines romaines, on, sent que la pensée de ce coureur
du monde se recueille en d'inoubliables extases, et il lui vient, pour
les décrire, des accents lyriques, comme quand, dans son impuis-
sance à peindre le verl idéal et céleste qui décore la'Coupole d'une
chapelle du palais d'été de Tamerlan, il nous dit qu'on voudrait
en emporter un morceau pour le mettre dans un écrin à côté d'un
morceau de l'azur du ciel !
D'ailleurs, M. Leclercq sait redescendre de ces hauteurs pour
nous donner des renseignements pratiques sur la culture,
l'industrie, l'administration, l'avenir de ce pays où, il y a
vingt ans à peine, un Européen ne pouvait s'aventurer qu'au
risque de sa vie, et que l'élément russe pénètre si profondément
aujourd'hui, grâce à l'habilclé colonisatrice des conquérants, — et
la région est si vastie et se transforme si rapideme^P que, bien
qu'elle ait été plusieurs fois décrite depuis que la vapeur l'a
ouverte aux curiosités des voyageurs, celui qui l'a parcourue le
plus récemment peut en appoftcr une ample moisson de docu-
ments nouN^eaux.
Les romanciers d'aujourd'hui par Caarles Lk Ooffic. —
In -18 Jésus de V-357 pages, Pans. — Léon Vanier, 1890.
Dans la courte introduction de ce vo),ume, l'auteur nous
apprend qu'il y aurait actuellement six mille romanciers vivants.
Pour la seule année i887, le Journal général de la librairie
fraji^îse porté, environ 576 titres de romans nouveaux, sans
compter les rééditions et les li^ductions, Quelle intelligence
humaine seraitcapable d'analyser ce (Toi trouble! M. Le Ooffic ne
l'a point tenté; cependant il-. a voulu pénétrer au delà de la
surface miroilanle et, dans l'onde choisie qu'il nous olTre, il y a
bien des impuretés encore, bien des choses molles cl flottantes.
11 eût été curieux de voir réunis en une table alphab<îlique
tous les noms cités. Ils sont en telle multitude que certain
chapitre, celui des Nouvellistes, est comme un dénombrement
homérique où ^chacun, caractérisé par un qualificatif éclatant
comme une aigrette sur un casque, apparaît suivi de la phalange
ilo^ses œuvres cl ne fait que passer pour laisser place à l'intermi-
nable armée. Interminable vraiment, cardepuis que le chapitre esl
écrit, voici qu'une nouvelle troupe esl née à la VK^liiléraire cl il
a fallu reprendre, dans une note, l'énuméralion inl
Pour les œuvres qui alleignenl l'ampleur d'un {^\
lique esl, un peu moins sommaire, bien que les
aient à peine quatre pages. Afin d'apporter iin peu de mélTîôde
dans ce fouillis, M. Le Gofiic a fait des catégories sans y attacher
d'ailleurs plus d'importance qu'il ne faut cl, tour à tour, on voit
défiler les naturalisles, les impressionnistes, les symbolistes, les
philosophes, les rustiques, les mondains, les romantiques, les
éclectiques, puis ceux qui échappent à toute dénominaiion.
Au milieu de ces genres divers, l'auteur penche évidemment
vers les philosophes. C'est affaire de lempéramenl. Qu'il glo-
rifie lé"s analyses quiniessenciées de Paul Bourgel el de llarau-
courl, nous n'y contredirons certes pas; mais qu'il étende son
enthousiasme jusqu'au bon sens de Sarcey, nous craignons que
ce ne soit, pour les choses de l'art, un instrumenljquelque peu
insuflîsanlel en effet, en poursuivant noire lecture, nous voyons
qu'il a fait de la raison en littérature un véritable lil de Procusle.
Impitoyablement, il retranche tout ce qui dépasse. Après avoir
hésité à ranger parmi les rustiques Cladel, qui a si bien rhagnifié
les terriens, il en a fait simplement un créateur de monstres; il
ne cite que par dérision Mallarmé, cel admirable ciseleur du
verbe; pour lui Villiers de l'Isle-Adam, ce candide artiste si
dédaigneux do tout le resle, n'est qu'un penseur vide el Barbey
d'Aurevilly qu'un dandy prétentieux. Ainsi lui échappent ces
raffinements qui sont la véritable^source des pures jouissances
littéraires. Il est vrai qu'il semble revenir à résipiscence. Après la
mort de Barbey d'Aurevilly, il a ajouté une note où il salue écri-
vain de marque ei balleurde style, cmi que, dans le texte, il
avail sr étrangement présenté comme n'élanl qu'un metteur de
belles cravates.
M. Le Goffic a été bien lent à apercevoir cette clarté, mais
enfin il confesse son erreur el l'on pei t espérer qu'il (jn recon-
naîtra bien 5'aulres car, en somme, s6n livre est l'œuvre d'un
espril consciencieux cl libre et, telles de ses pages sur Pierre
Loti, sur'^ichepin, sur Gyp qui, d'après lui, esl, avec Henri
Monnier, le seul écrivain absolument vrai du siècle, sont d'un
tour original cl d'une critique ingénieuse qui en font une agréable
lecture.
L'Esclave, drame antiesclavagisle et national, en. quatre actes, par
Loui.-, Delmer, scf-rétairc du comité antiesclavagisle de Bruxelles.
- In-8o de 140 p., Bruxelles et Paris, 1800.
C'est le comble du convenu. Les bons blancs, qui chantcnl des
caniiquss sur le bord d'un lac quelconque, nommé Tanganika.
empêchent les noirs malheureux d'être livrés par leiir roi cruel à
un marchand d'esclaves avide. Pour égayer ce sombre tableau,. ^
une négresse, qui épouse pitit blanc, paple nègre, alors que tous
les autres nègres parlent comme^.' Louis Delmer el disent
« diableT» quand ils sont étomjés, el piiil blanc parle marollien.
Dénouement : il faut donn^de l'argent pour le Congo.
C'est une pièce-torobola. Elle n'a pas fait recette.
La Vieille Fille, drame en trois actes en prose, [>&r Ernest
BosiERS. -^ In-8° de 54 p., tiré à [100 exemplaires numérotes et
hors du commerce, Anvers, imp. O.-E. Buschmann, 189i).
La vieille fille,., pas si vieille. Elle est aimée; elle aime, à en
mourir, vers la dernière scène, trouvant b point pour cela de
petites fioles de poison soi£;neusement préparée*, dès la première
scène, pour une conférence.
LU surplus, toutes les femmes de la pièce poursuivent l'amour,
cherche le plaisir simpleineni. Lno autre, tr«s proche
' de la sous-préfète de Pailleron, embrassa son mari dans les
coiirè, el une enfant demande aux échos ce que c'est que ce senti-
ment doni tout le monde parle autour d'elle.
Elle le demande îi la vieille ÎHle dans une jolie scène pas-
sionnée; et puis... El puis, il y a d'autres scènes assez mal liées
entre elles, et de longs raisonnements en aparté, qui alanguissenl
l'action, et un dénouement on ne peut moins satisfaisant, et, au '^'
milieu de lonles ces inexpériences, je ne sais quoi de juvénile qui .
intéresse à ce début. -
w
\
\
AU RIDEAU!
La saison .ihéûirale se meurt, la saison iliéàlrale csl morte. La
Monnaie a fermé ses porJcs dimanche, après le Iradilionncl défilé
de bouquets,, corbeilles, couronnes, gerbes, triangles, lyres et
autres ^accessoires qui flatte la vaaité des artistes mais ravale
le théâtre au rang des scènes de Carpentras et de Carcassonne.
Les objets solides, utiles, en métal ou en bois, commencent à
s'introduire parmi l'avalanche des fleurs et des feuilles. C'est
ainsi qu'on a offert k M. Renaud, dans dos brassées de roses, un
petit buste en bronze. Nous ne désespérons pas de voir bientôt à
Bruxelles le réjouissant spectacle qu'on décrivait récemment à
propos du théâtre d'une ville de province : les abonnés donnant
aux artistes des brosses à cheveux, des lots de ville, des usten-
siles de ménage divers, des jouets pour leurs gosses...
Parmi les artistes fleuris à la Monnaie, M""» Rose Caron a été
triomphalenft^fêiée. C'était de toute justice, ce genre d'ovations
déparlemenlatés étant admis, et l'on a témoigné à Salammbô la
vive et sympaihique admiration qu'elle excite à Bruxelles. Mais
c'es|! égal, quelles drôles de mœurs! La rcprésontatiqp arrêtée nef,
loui le monde criant et tapageant, et les terrasses de Carihage
sur lesquelles plane la blonde Tanil transformées en autel du
mois de mai devant lequel trônait une madone souriante, remer-
ciant du geste, la main sur le cœur.
Au Parc, soirée d'adieux^ mercredi, dernier, au bénéfice de
M"* Suzanne Richmondqui, malheureusement,' nous quitte aussi.
Bouquets, corbeilles, gerbes de fleurs ont défilé pendant les trois
actes de Few Toupinel, affirmant les aniitiés et les sympathies
que s'est acquises ii Bruxelles la charmante artiste. Avant ses
débuts à rOdéon, qui auront lieu en septembre, Mi'' Richmond
jouera aux Nouveautés, sous la direction Alhaiza, une pièce nou-
velle en vers : la Chanson du Tsigane.
El tandis que s'endorment du sommeil des mois d'été les deux
scènes principales de Bruxelles , on liitte encore vaillamment
-ailleurs contrç la tiédeur des belles soirées de mai et les attirances
du Waux-Hall. Une saison d'été commence au théâtre Molière.
M""^ Rose Desnoyers y fait jouer Lucrèce Borgia. Au théâtre des
Galeries, la Mascotte sévit, jouée par une aimable artiste qui a
de l'entrain et du charme, M"« Andrée, ce qui sert d'excuse à cette
reprise. A l'Alhambra, .M. Durieux clôlurera demain une campagne
qu'on assure avoir été fructueuse. Ce théâtre rouvrira ses portes s
vers le 20; on y donnera le drame à grand spectacle. Pièce
d'ouverture : la Reine Margot.
fHRONiqUE JUDICIAIRE DE? ^RT?
Le genre et l'emploi
La cinquième chambre du tribunal civil de Bruxelles, présidée
par M. Jamar, est saisie en ce moment d'une intéressante question
de droit théâtral. Une artiste du théâtre des Galeries, M""* Made-
leine Max, engagée en qualité de jeune première dans le drame et
la comédie, a refusé de jouer le rôle qu'on voulait lui distribuer
dans Cendrilionnette, l'opérette représentée dernièrement par
.M. Bahier. Elle fonde ce refus sur ce qu'étant engagée pour la
comédie et le drame elle ne peut être tenue de jouer l'opérette,
qui constitue un genre essentiellement diffcr<!Jit, et ce bien que
son contrat d'engagement stipule qu'elle doit au besoin accepte''
les rôles de complaisance qu'il plaira à la direction de lui attribuer.
On pourrait, dit-elle, d'après cette clause, l'obliger à changer
d'emploi, mais il est inadmissible qu'on la fasse sortir du genre
pour lequel elle est engagée.
La direction plaide que sa pensionnaire eût dû tout au moins,
répéter et jouer provisoirement le rôle jusqu'à décision de
justice, et réclame le dédjit de 5,000 francs stipulé dans l'engage-
ment. Mais, d'après l'artiste, cette demande n'est pas recevable,
l'engagement spécifiant qu'en cas d'infraction aux obligations
résultant du contrat l'artiste encourt non la résiliation et le dédit
mais une amende réglementaire laquelle n'est pas réclamée dans
l'exploit d'assignation. De plus, il est de jurisprudence que
l'artiste ne doit jouer par provision que s'il n'en résulte pour lui
aucun préjudice et s'il ne s'expose pas par là à subir un déclas-
sement. L'action, h ce point de vue, serait non fondée.
L(?s plaidoiries, commencées merdredi passé, seront continuées
demain.
L'Angelus.
Un industriel peu scrupuleux a exhibé, ces jours. derniers, à
Rouen, un faux /l?j^e/M5, retour d'Amérique.
Le Journal de Rouen dit à ce sujet qu'à la suite des plaintes
des visiteurs, le procureur de la République ordonna une enquête
ei, hier après-midi, au moment où le barnum, le nommé Charles
Vandermaesen, se disposait à embaUpr son soi-disant .4 Jijfc/j/is et
à quitter Rouen pour aller chercher fortune ailleurs, deux agents
se présentèrent chez lui et le prièrent. <le se rendre chez le com-
missaire de police du 2* arrondissement, pendant que le tableau
était porté au cabinet de M. Masquin, commissaire central.
D'après notre homme, le tableau dont il était détenteur et qu'il
avait payé*40,000 francs à un peintre dans le malheur {sic),
n'était, a-t-il dit, qu'une copie de Y Angélus, et il ne l'avait
jamais caché à personne. Du reste, a-t-il ajouté, le véritable
Angélus est signé J.-F. Millet, tand» que le mien est signé tout
simplement Millet.
Malgré cette ingénieuse explication, M. Vandermaesen a été
mis à la disposition du procureur de la République.
Mémento des Expositions
Amiens. — 31 mai-16 juillet. Envois : 13-20 mai. Renseigne-
ments : M. L. Deivailly^ président.
Arnhesi (Pays-Bas). — IS juillet-! 5 septembre. Envois :
15 juin-1" juillet. Renseignements : M. A.-C. Van Daelen,
secrétaire dê'la Commission directrice de Vexposition dès Beaux-
Arts, à Arnhcm.
Besançon. — 15 mai-30^juiiï. Renseignements : M. AUard,
secrétaire de la Société ds Amis des beaux-arts, rue de la Bou-
teille, a, ^Besançon.
Dijon. — - Société des Amis des Arts. l^'juin-IS juillet 1890.
Envois: 1-13 mai. Rcnsc\gnemcnl;>: Secrétariat, Palaisdes Etats,
Dijon.
EvREux. — 1" juillet-31 août. Délai d'envoi : 15 juin. Ren-
seignements : M. Hérissay, vice-président de la Société des
Amis des arts, atelier Denct, rue Buxet, Evreux. ^
Grenoble. — 1" juilIet-30 août. Envoi : 1-10 juin (quatre
œuvres par artiste). Renseignemenis : Secrétaire de H Société des
Amis des arts. i
La Haye. — 12 mai-29juin. Délai d'envoi expiré. Renseigne-
ments : M. J. Gram, secrétaire de la Commission directrice à
l'exposition dfs Beaux- Arts, La Haye.
Le Havre. — I" aoûl-30 septembre. Dépôt chez M. Potticr,
'\ ' . -
■ \
\'
•\
N:
rue de Gaillon i6, du 20 juin au 1" juiHel (jusqu'au 8 pour les
œuvres venant du Salon de Paris). .
Liège. ^- 7 juin-10 août 1890. Rcnseignemcnls : Secrétariat
général, rue $nint Léonard, 214, Liège.
Munich. — Salon annuel: l^juiliei-lS octobre 1890. Envois :
1-20 mai.
Paris, -rr Société nationale des Beaux-Arts {?^m?, du Champ-
de-Mars). 15 mai-30 juin.
PÉRiGUEux. — 31 mai-30 juin. Délai d'envoi expiré. — Rensei-
gnements : M. Pertoletti, secrétaire de la Société des Beaux-
A rts, Périgueux. .
Spa. — 6 juillel-fin septembre. 'Graluilé de transport sur le
rriioire belfije pour les invités expédiant leurs œuvres par
tarif 2; pour les invités étrangers, exemplion de frais à l'aller.
Frais de retour (hors du territoire belge) à charge des exposants. ,
Envoie : 10 juin-1" juillel. Renseignemenis :*M. Louis. Sossel,
secrétaire de l'Exposition dos Beaux-Arts,' Spa.
Versailles. — 6 juillei-5 octobre. Envoi : 2-lQ juin. Rensei-
gnements : Secrétaire général de l'exposition éÊs Amis des arts
de Seine-et-Oisc, Versailles.
O
^ETITE CHRO;^IQUE
Aujourd'hui, dimanche, au Conservatoire, quatrième et der-
nière séance de musique de chambre de la saison donnée par
MM. AnthonT, Guidé, Poncelet, Merck, Neurhans et De Greef,
professeurs au Conservatoire, avec le concours de M*"* De Nuo-
vina, de M'"* De Zarembska et de MM. Colyns, Van Slyvoorl,
Agniez et Jacobs, professeurs au Conservatoire. Ces derniers
inlerpréleropt avec M™^ De Zarembska le quintette resté inédit de
Jules de Zarembski.
Un Sextuor de Ludwig Thuille terminera celle intéressante
audition.
L'ouverture officielle de l'Exposition internationale de l'Even-
tail, au Musée du Nord, est fixée au l.'i mai.
Mercredi dernier a été prononcé, à Saint-Josse-ten-Noode, le
divorce que M"'^ Montaiba a obtenu contre son mari, M. Arthur
Renier, ancien consul général de Belgique. Souhaitons que la
charmante artiste, débarrassée des ennuis et des soucis de son
procès, reprenne bientôt la carrière lyrique qu'elle avait été-forcée
d'interrompre momentanément et retrouve, k la scène et au con-
cert, les succès dont tout le monde a- gardé le souvenir.
Le quatrième Salon des Jeunes Artistes s'ouvrira à Namur
aujourd'hui, dimanche, à midi, dans les salles de l'Hôtel de Ville,
sous les auspices du Cercle le Progrès. .
Nous avons parlé récemment des acquisitions fuites par l'Étal
français k l'Exposition des Peintres-Graveurs, ouverte che^
M. Durand-Ruel.
Voici la liste complète de ces achats, qui comprennent plu-
sieurs œuvres connues à Bruxelles, où elles ont été vues aux
Salons dos XX :
M. Albert Besnard. — Eaux-fortes et pointes sèches : éludes et
portraits d'enfants. "
M"* Marie Bracquemond. — Eaux-fortes et pointes sèches :
études et portraits.
M. Félix Bracquomiond. — . Eaux-fortes d'après J.-F. Millel,
plusietirs étals. I '
M. John-Lewis Brown. — Eaux-fçrtes, acqua-tinles et litho-
graphies avec couleurs : personnages, éludes d'après^ nature.
Miss Mary Cassait. — Pointes sèches cl aqua-tinles : études
d'après des femmes et des enfants.
M. Jules Cli(érel. — Lithographies imprimées et sanguines.
M. Dclauncy. — Eau-forte : Vue de Paris. '
M. Robert Goff (Anglais). — Pointes sèches : Vues d'Angleterre
et du Japon, d'après nature.
M. H. Guérard. — Eaux-fortes, pointes sèches, manière noire,
a'qua-tintes,. gravures en couleurs.
M. Norbert Gœneulle. — Eaux-fortes et pointes sèches : per-
sonnages d'après nature.
M. A. Lepère. — Gravures sur bois : Scènes parisiennes et
paysages.
M. Henri Rivière. — Eaux-forles, pointes sèches, aquà-tintes,
lithographies en couleurs : éludes d'après nature, paysages, com-
positions.
M. H. Somm. — Pointes sèches : compositions, vues d'après
nature, fantaisies.
M. Ph. Zilcken (Hollandais). — ' Eaux-fortes : éludes d'après
nature.
M. G. Jeanniot. — Eaux-fbrles el pointes sèches : études pari-
siennt^s.
M. V. Vignon. — Eaux-forles : accessoires, natures mortes.
M. Sioriï^ de Gravesande (Hollandais).— Eaux-forles .-paysages,
marines.
M. Camille Pissarro. — Eaux-forles : 'paysages aux environs de
Paris.
M. Van der Maarel (Hollandais). — Eau-forte et pijinle sèche :
étude de jeune fille.
M. Ch. Serrel. -..- Lithographies en noir : scènes enfantines.
M. Fantin-Latour. — Lithographies en noir : scènes d'opora
allemand. * . ^
L'un de nos amis nous communique la durée exacte des
diverses représçnlaliQns wagnériennes auxquelles il a assisté en
Allemagne. Les renseignements qu'il donne sont de nal,ure, pen-
sons-nous, à intéresser les musiciens. Il s'agit, d'abord, de la
Walk'ùre, à Munich. ' . ,
Vous jugerez des mouvements par ces chiffres (authentiques),
que j'ai eu soin de prendre moi-même, les yeux sur ma montre et
sur la fameuse horloge (on n'en voit plus, de ces dévouements) :
Du prélude à l'arrivée de Hunding, 14 1/2 minutes; la scène sui-
vante dure 20 minutes juste; le monologue de Siegmund, jusqu'à
l'arrivée de Sieglinde, 7 minutes; l.a scène suivante (dernière',
33 1,2 minutes; l'acte entier, 1 h. 15 minutes. Deuxième acte,-l h.
20 minutes. (Annonciation de la mort, très lente.) Troisième acte,
j'ai oublié de prendre, au tomber de la toile.
Dresde. Siegfried, premier acte; coupure : les trois dernières
questions; durée : 1 h. 8 minutes. Deuxième acte : coupiu-e insigni-
fiante (déduisez 3 minutes tout au plus), 1 h. 5 minutes. Troisième acte :
coupure : les trois boutades de Siegfried à propos du "chapeau, etc.,
dans sa scène avec Wotan; mris la description du feu entourant
Brùnnhilde, dans cette scène; quelques mesures dans la dernière
scène (d'autres peut-être, dont je ne me suis pas aperçu , je n'avais pas
le texte, et lue le connais pas entièrement par cœur, mais c'est peu
probable); 1 h. 15 minutes.
Gôttei'dâmma'ung; coupure : scène des Nomes . Premier acte et pro-
.'ogue, 1 h. 25 minutes; deuxième acte, 52 minutes; troisième acte.
*1 heure. ^
Munich (chef d'orchestre ïL^vy)/Pa8 découpures.
SiegfHed : premier acte. Ih. 2a minutes (lenteur excessive pour
Mime); deuxième acte. 1 h 5 minutes; troisième acte. 1 h. 20 mi-
nutes. '
Gôtterdâmmenoig 'pas de (Coupures) : premier acte avec prologue
(pris extrêmement lentement/ 1 h 50 minuff*.- deuxième acte. 1 h.
4 minutes; troisième acte. 1/h 10 minutes.
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Ce livre, dans lequel l'auteur a cherché à remplacer l'étude pure-
mont théorique et abstraite de l'harmonie par des exercices pratiques
de composition libre, fut accueilli, dès son apparition, par une
faveur marquée. La présente traduction mettra le public français à
même d'apprécier un des ouvrages d'enseignement musical les plus
estimés en Allemagne.
t....
Bruxelles. — Inip. V* Monnom, 26, rue de l'Industrie.
/
/ <
Dixième année. — N" 20.
Le NUMÉko : 25 centimes.
Dimanche 18 Mai 1890.
MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
. Comité de rédaction i Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr, 13.00. —ANNONCES : On .traite à forfait.
„ / Adresser toutes les communications à "" .
l'administration générale de TArt Moderne, rue de l^ndustrie, 26, Bruxelles.
Sommaire
Le quatrième Salon de «l'Essor ". — Ad Conservatoire. —
La collection Daupias a Lisbonne. — Décentrausation. —
Récentes acquisitions du Musée de peinture. — Théâtre Molière.
— Bibliographie. — Petite chronique.
Le quatorzième SalUn de « l'Essor»
Ainsi qu'il suit s'exprimait-on dans la Réforme de
dimanche dernier. ...
" L'ouverture de l'Essor, à laquelle le déffl[é final du
concours hippique faisait une concurrence redoutable,
a néanmoins attiré au Musée de peinture une foule assez-
considérable. Dans la cohue artistico-mondaine qui se
pressait à l'exposition de l'Essor, on admirait sans
réserve plusieurs minois charmants.
« Mais tout était loin d'être aussi agréable dans cette
solennité de l'art jeune; il ressort de l'impression que
nous avons emportée de notre première visite, que si le
Salon des Essoriens renferme quelques envois curieux,
une foule d'œuvres médiocres s'étalent à sa cimaise :
cett€! exhibition ne constitue évidemment pas un progrès
sur les treize précédentes. »'
Tu quoque!
^
Les bras nous en tombent ! ces bras dont l'un tenait
déjà la plume pour plumer escriptoirement quelques-
uns des petits oiseaux qui, pour la quatorzième fois,
tentent de prendre leur essor!
Et voilà qu'on les plume avant nous ! ^^
Puisque, même les critiques brabançonneux jettent
leur plume aux chiens; qu'il est à craindre qneT Essor
n'aura plus, entre un dithyram'be en l'hofeneur des
garçons-abatteurs et un dithyrambe en l'honneur des.
musiciens-gagistes des pompiers, ces articles aux vacar-
raeux sous-titres d'où les substantifs « chef-d'œuvre,
génie, maître, talent » partent en volée, mêlés aux adjec-
tifs : " sublime, admirabje, émouvant, renversant,
impeccable, incomparable, indicible, splendiose, gigan-
tique », en un rçnflement pareil à celui des catapultes,
sous les murs de Carthage, dans la Sàlamrabà dii
grand Flaubert; — quand une aussi retentissante défec-
tion se manifeste aux regards stupéfaits des mortels !
qu'avons-nous en&re à dire, qu'avons-nous encore à
faire, nous, les humbles, très humbles, infiniment hum-
bles critiques qu'en un jour dé colère, dans un de ces
intervalles lucides que laisse leclébordant, l'encombrant
et toujours remontant enthousiasme, on a qualifié avec
sérénité et justice : mauvais Sphinx !
Il faut pourtant bégayer ici (quelque chose. Allons-y,
quoique moroses, sans nous essouffler davantage en un
déi^ulement de phrases kilométriques et euthousias*
J54
LART MODERNE
•V
r^
tiques dont la seule pensée des suaves reporters donne
la démangeaison et communique l'épidémie.
Eli bien, la I^fotmie est injuste. Ce quatorzième
,. Salon àe V Essor vUesi ni au dessous, ni au dessus des
treize autres... ni du quinzième, que nous connaissons
déjà, car on peut appliquer à la chose ce mot de... (non,
ne le nommons pas; l'homme est fort mais n'aime les
mots qu'en a parte)' -. « Avez- vous vu le Salon de Paris ?
Certes. — Et quand? — Il y a dix ans : c'est toujours
le même ».
Ainsi pour l'Essor. C'est toujours le même. Le même
art figé, s'entêtant, par anaour-propre ou impuissance,
dans les routines exsangues. Ne comprehant pas, ne
voulant pas comprendre que l'art est fatalement évo-
lutif; qu'il n'y a pas de force qui puisse le comprimer ;
que ceux qui s'obStinent à perpétuer les formules en
leur temps belles, fécondes, vivantes, n'ont bientôt
^ plus à leur disposition que des gousses flasques, vides,
raccornies; qu'il faut marcher ou mourir; qu'il n'y a
pas d'élixir Brown-Sequard qui puisse ragaillardir-
cette décrépitude; qu'en vain l'illusion personnelle,
l'auxiliaire des camaraderies, les vanteries d'une presse
aveugle ou complaisante, se coalisent ; que tout cela
craque, chancelle et vous lâche tôt ou tard. Alors les
misères sont vues, tout à coup, en pleine lumière, et
même les amis, les fidèles disent : c'est fini !
L'attitude de la presse, en la présente conjoncture,
est curieuse. Les vitupérations sont voilées, hésitantes.
Mais elles marquent un raté. On dit aussi : c'est pour
Ciette fois. On ne se rend pas compte que c'est pour
toujours. On ne se rend pas compte non plus que le
phénomène de glissement s'opère non pas dans cet art,,
mais dans cette presse. Il n'a pas changé, lui. C'est elle
qui change, qui voit mieux tout à coup, qui progresse
sans s'en douter, qui a subi, quoi qu'elle en .ait, l'in-
fluence des tentatives nouvelles dont elle s'est moqué ;
qui, pareilles au chien qu'on bat mais qui vous happe,
l'ont mordue et lui ont coulé leur virus dans le sang.
N'est-il pas curieux aussi de voir que, malgré les
prédications, les haines et les mots d'ordre des pon-
tifes, il y a, accrochées dans ce Salon^ des toiles où
l'on ?i sacrifié à l'art neuf, à l'art de lumière et d'atmo-
sphère, à l'art qui ne sait plus se résigner à employer,
pour peindre la transparente et vibrante ambiance en
laquelle tout baigne, le jus de chique étenda de suie.
Il y en a deux au moins : Omer Coppens et Léon Dar-
denne, si nous nous souvenons bieh (car peu importent
les noms aux œuvres)^^ qui vont ai;^ clair du mieux qu'ils
peuvent et semblent des moutons gris dahs un troupeau
de moutons^oirs. Ils font brèche cèjiwrlà ; peut-être la
brèche par laquelle vont sauter un à un tous les jeunes
du groupe, enfin libérés !
Ils sont quarante-et-un exposants, exposant deux-
cent-treizè œuvres, dont plusieurs multiples en leurs
panneaux. Et là dedans peu, peu de chose à piquer. Ce
qui reste dans la mémoire, c'est surtout l'impression
générale morne. Il l'a bien exprimé dans son compte-
rendu terne de V Indépendance, le critique vétéran et
placide qui, par un caprice du sort, avait adopté dès
longtemps pour marque signaturale les XX^i, depuis,
sont devenus le blfison batailleur des Vingt. Ce Salon
vous est une vue de cimetière, a lugubres pierres tom-
bales. Si quelque chose détonne/, c'est en sens inverse,
machine en arrière, quand un médiocre se crispant
pour saisir la fuyante originalité, n'attrape que le
grotesque. L'art qui bat dans tout cela ne marque
certes pas plusieurs atmosphères au manomètre.
Que de forces perdues! car certes, de la bonne
.volonté s'accuse. Et de l'opiniâtreté, cette qualité des
forts... ou des imbéciles. Ils s'obstinent. Mais il y a
pour eux l'honneur du régiment, et c'est aux traditions
du régiment qu'ils s'obstinent. Jusqu'où n'il'âit pas ce
rêveur, cet artiste vrai : Léon Frédéric! s'il lâchait la
-règk de l'ordre et jetait le froc aux orties? On y pense
mélaïKjoliquement en regardant ses peintures, ses pas-
tels, sesînsains. Il a, au moins, cette hardiesse (la seule,"
et petite) déployer la vitre, parfois, au lieu du vernis.
Amédée Lynen aussi, avec son n° 1, retient; Blanche,!
Claire, Candide, trois vierges gothiques, charmantes en|
leurs chevauchées ingénues, des illustrations de missel
pour la deuxième des légendes flamandes de Ch. De
Coster, depuis si longtemps mort, et ainsi renaissant
par admiration pieuse du dessinateur que hanjte le^an-
tôme de l'écrivain. Et d'autres noms, quelques-uns que
nous saluâmes jadis' comme des espérances, et qui mar-
quent le p|is, le pas, le pas, qui le marquent interminable-
ment, domptés, dirait-on, parun enchantement J;oujours
là à le cythmer, à le battre, sur le trottoir, suscitant
le besoin irritant de leur crier : En avant î allons donc !
en avant ! en avant ! Tels Hubert Bellis, Omer Dierickx,
Georges Fichefet, Edouard >Duyck, Adolphe Hamesse,
Léon Houyoux, Jean Mayné, Eugène Van Gelder, ce
dernier, notable en la circonstance, par ses types nette-
ment croqués d'épaves humaines ramassées dans les
rues de Bruxelles et de sa banlieue. '
Voilà les souvenances qui flottent quand on est là à
écrire pour dire ce qu'on pense du quatorzième Salon
dtQV Essor, et qu'on a l'ennui de devoir le dire sincère-
ment ainsi qu'on le pense, ingrat devoir dû critique,'
inévitablement cruel s'il est véridique,. lanceur de
flèches et non distributeur de banales couronnes. ïl y a
aussi des souvenances d'hommages à la Garde civique,
à la Société agricole, à la Royale Waterzoei. Cela tour-
noie, tournoie dans le cerveau, avec un mauvais goût,
très vulgaire. Il y a «ncore un portrait de M"® Rose
Caron, qu elle reçut, si nous rt'errons, le soir de cet hiver
où, selon l'usage, elle fut conviée à s'asseoir et à chanter
au banquet de cette susdite Royale Zwanszoei. Oh!
/
l'amoindrissement, en cette peinkire funèbre et plu-
vieuse", du sauvage visage de la grande tragique, dont
Villiers de Tlsle-Adam eût dit, comme Axel à Sara :
- Ton visage est, pour moi, tel qu'une forêt frappée par
la foudre ». Plus rien qu'une figure ronde, avec une
lyre dorée au col (oh ! les emblèmes!). Plus rien de la
double trouée en abîmes des yeux de Brunehilde et de
Salammbô :
Tes yeux, tes grands yeux gris nous lianlont sans relàclie!
La Tristesse et la Joie y passent comme au ciol
Les nuages !
AU CONSERVATOIRE
Quatrième séance de musique de chambre.
Le grand intérêt de celte séance qui clôturai dimanche dernier,
une attrayante série de concerts, fut l'exécution du Q u in telle pour
piano et instruments à cordes de Jules de Zarembski, que la mort
a prématurément enlevé à l'art. Chose curieuse, ce quinletle,
œuvre de sérieuse valeur, n'avait été joué qu'une seule fois en
public, à une audition presque intime donnée en avril 1885 au
Conservatoire, et il est resté inédit, bien que cette unique audi-
tion en eût révélé les mérites exceptionnels. A deux reprises, les
XX s'étaient proposés de l'inscrire. au programme de leurs con-
certs de musique de chambre. Des; entpéchcments étaient survC"
nus, chaque fois, qui en avaient retardé l'exécution. Si bien qu'un
sort semblait attaché à l'ouvrage et que M™» de Zarembska/ qui
garde un culte à la mémoire de l'artiste et brûlait du désir de faire
connaîire son œuvre capitale, désespérgjt de- réaliser ce pieux
devoir. •
Voici le destin conjuré, enfin. Le Quintette a été joué, et fort
bien joué par M™« de Zarembska, assistée de MM. Colyns, Van
Styvoori, Agniez et Jacobs. Les interprètes lui ont donné la cou-
leur èl le relief voulus, avec un ensemble et une entente des
nuances remarquables. El la composition est apparue avec son
charme et sa puissance, très personnelle de conception, très atta-
chante de style, très bien écrite au point de vue technique, lais-
sant l'auditeur sous le charme d'une inspiration mélodique élevée,
servie par un travail polyphonique toujours attrayant et sans
sécheresse.
Noire impression première, consignée dans l'Art moderne \ors
de la première audition, est demeurée entière, et nous ne pou-
vons que répéter ce que nous écrivîmes alors : « Elles se dévelop-
pent superbement, les quatre parties de cette composition" vrai-
ment personnelle et impressionnante, tantôt mystérieuse, Iravefe.
sée d'harmonies poignantes, évocatrices d'on ne sait quel cortège^
de douleurs, tantôt fougueux, rythmant 'sur dès mètres inégaux
(ips'mélôdies aux allures emportées, qui passent comme une tem-
pête dans le déchaînement des instruments. Le premier allegro,
Vandante, le scherw aux contours pimpants, le finale qui débute
par le motif sautillant du scherzo et s'élève rapidement à des hau-
teurs d'inspiration peu communes, graduent logiquement l'impres-
sion qui, dès la première partie, étreint l'auditcar. Depuis long-
temps on n'a écrit pareille page ^e musique dcTchambre. Pour ses
débuts dans ce genre, M. Zarembski a fait une œuvre magis-
trale »(l).
(1) 1885, p. 14L Le Quintette fut interprété alors par l'auteur et
par MM. Hubay, Van Styvoort, Colyns et Servais.
• ' '_ • ^- • \
Aujourd'hui que la mort a passé, emportant les espérances que
faisait naître la personnalité brillante de l'artiste, combien mélan-
coliques revivent ces lignes! '
Un Quintette assez banal de Taflanel, le^viriuose de la flûte, et
une filandreuse composition de M. Luaivig Thuille, pour piano et.
instruments à vcnl,~ bourrée de souvenirs de Brahms et de Men-
delssohn, complétaient le programme, t— 1 une cl l'autre exécutés
avec soin el avec talent par les membres ^e l'Association.
Enfin, .M"'^ de Nuovina a rempli, de sa v6ix un peu métallique,
les intermèdes vocaux, cl s'est fait applaudtr ajjrès l'air d'Elisa-
beth du Tannltuuser cl wn arioso de Léo pelib^s.
El voici close, définitivcmcni, la saison des coViccrts.
i7
LA COLLECTIODî DAUPIAS A LISBO^E
{Correspondance particulière- de /'Art moderne).
Bien avisés sont les 'touristes qui, ayant parcouru l'Espagrtc,
complètent leur voyage par une excursion en Portugal : ils y
trouvent un pays pittoresque, verdoyant, séduisant, quelques
villes de curieux aspect, et, pour peu qu'ils s'intéressent aux
choses d'art, des collections dé tous points remarquables. Parmi
celles-ci, la collection de M. le comie Daupias, à Lisbonne, doit
venir en première ligne, el il nous a paru intéressant de noter,
pour les lecteurs de VArt moderne, quelques-unes des richesses
qu'elle renferme.
Quajxe longues galeries el plusieurs salons, dont la surface
peut être comparée à celle du Musée moderne de Bruxelles,
suffisent à peiM pour exposer lescinq cents tableaux, les meubles,
les bronzes, Iffi porcelaines, les bibelots rarissimes qu'avec un
goût raffiné M. Je comte Daupias a patiemment rassemblés depuis
de longues années; tout est disposé avec une entente parfaite,
' l'éclairage diurne ou nocturne est excellent, et il règne dans ces
salles le calme indispensable pour la contemplation recueillie des
œuvres d'art; aussi emporle-t-on, des longues heures qu'une
gracieuse hospitalité vous permet d'y passer, le souvenir de
jouissances délicates, point banales el d'un ordre absolurticnl
supérieur. y ' }
Toutes les écoles sont représentées dans ce que nous pouvons
appeler le Musée Daupias; ouvrant la marche, voici d'abord les
gothiques, d'un,jCOloris profond et d'un intérêt archéologique si
puissant : à noter tout particulièrement une Sainte-Famille d'un
incohnu, bien flamand par sa robustesse d'aUijres, et une Descente
de croix, où l'on peut admii'er h vigueur de louche de l'espagnol
(iallegos.
Après l'impression d^stérité et de sévère grandeur que laissent
les œuvres du xv" sièclë^quel charme ne ressent-on pas devant
celles de la Renaissance italienne :.Çassan-le-Vicux a prodigué les
savoureù.ses séductions de sa rutilante pafetle dans ses superbes
toiles représentant Rébecca offrant à boire à Eliex^r et Eliezer
chez'Laban, Titien a rarement été aussi magistral que tians sa
Madeleine aux cheveux d'or, d'une virtuosité incomparable, êl
Tiepolo esl élourdissanl dan? son Triomphe de la Vierge, vaste *
composition, aux exquises colorations et aux envolées de corps
enlacés qui rappellenl le Jugement dernier de Rubens à la Pina-
cothèque de Munich. <.
Dans le groupe espagnol, il convient de tirer de pair un Coëllo
y"
, /
/
"-^
156
LART MODERNE
_1
/
; des plus remarquables, le portrait de Jeanne de CastilU ^ fiWe de
^ Charles-Quinl ; oo ne sail ce qu'il faut le plus admirer, du visage
si finement model<?, de la robe de velours moelleusement rendue
ou des orncmenls d'or d'une ténuité de dessin fort curieusey
c'est là une œuvre de tout xpremier ordre. \
il, citer, parmi les petits maîtres hollandais, amusants et bien^
vivaÀts, deux toiles de Terburg d'un faire des plus habiles : le
Récihdu combat et la Lecture de la lettre. Passant aux flamands,
Breugbei attire entre tous les regards avec un Paradis terrestre
supérieur, il n'y a pas de doute, à celui tant célébré du Musée de
La Haye; Van Dyck, toujours élégaiit et séduisant, a ici un
portrait de Princesse en robe de velours noir qui peut rivaliser
avec ceux du palais Brignole-Sale, à Géncs; enfin Rubens occupe
la place d'honneur de la galerie Renaissance avec une Vierge
couronnée, d'une majesté indéniable.
Le dix-huitième siècle français semble être une des périodes de
l'art pour laquelle M. le comlc Daupias a une prédilection parti-
culière, car il a réuni dans ses galeries tous les peintres de celle
tant séduisante époque, représentés par des œuvres d'une grâce
et dTun charme adorables; nous voudrions consacrer des pages
entières à tel portrait ou telle composition décorative, et c'^st à
regret que nous devons nous borner à une sèche énuméralion
de cette merveilleuse réunion de chefs-d'œuvre. Notons, entre
iiutres, trois portraits de Nattler, dont l'un, celui de ^"e Victoire
de France, la maîtresse de l'artiste paraît-il; est un tour de force
de finesse dans les tons gris et blanc; deux Van Loo, une Joueuse
de guitare et une Joueuse Ae Jiarpe, marquises ou duchesses à la
perruque poudrée et à l'œil fripon ; des Tournières et des Drouais
représeniant d'aimables grandes dames autour desquelles ce
devait être une joie de papillonner; un Fragonard, panneau
décoratif spirituellement enlevé; une Léda fascinante de Boucher;
9 deux Greuze, un portrait d'homme palpitant de vie et une tête
de jeune fille, Rêverie, ()ui fait rêver dans sa double incarnation,
pastel et sanguine; un Paier,^ Loisirs champftres, verveux et
pétillant en diable; un Prudhon, jeune femme et deux enfants,
d'un naturalisme étonnant; des sanguines de Charlier et, enfin,
comme apothéose de cette pléiade, une énorme tapisserie de
Boucher (de 9»,00 X 3",00) figurant le' Triomphe de Bacchus,
dans laquelle les personnages, le paysage, les panthères de
l'avant-plan, sont traités avec un^sûreté de dessin et une science
du coloris qui déconcertent : c'est une merveille dont aucune
description ne pourrait donner une idée.
I La plupart de ces toiles sont groupées dans le Salon de musique,
-^et c'est un régal divin que d'entendre, dans ce milieu, une gavotte
de Rameau et un menuet de Lulli, joués au piano ou sur la man-
doline; les grandes dames poudrées semblent revivre, les joueuses
,de guitare et de harpe font leur partie dans le concert et les mar-
quises vous décochent leurs sourires capiteux et leurs œillade^
assassines : la résurrection est complète, et pour peu qu'on lâcl;
la bride'à la folle du logis, on se sent \ivre de l'existence musqi
de l'aristocratique assistance du xvin* siècle.
Deux œuvres seulement de l'Ecole anglaise, mais exquises et
dignes de figurer à côté des meilleures de la Nattonai Gallerj'.
De Reynolds, un portrait de femme d'une légèreté de touche et
d'dn goût parfaits : la robe blanche, les cheveux poudrés et le
ciel gris forment un ensemble d'une délicatesse des plus harmo-
nieuses. Le portrait de deux femmes de Lawrence, dans une note
plus vigoureuse, est captivant au suprénr)e degré: la femme décol-
letée avec sa robe de satin noir el ses. cheveux aile de corbeau,
donne une note étrange qu'accentue l'allure de sa toute gracieuse
' compagne/
Une large place est faite aux modernes, qui n'occupent pas
moins de ^eux galeries de la collection Daupias ; tous les grands
noms y figurent avec des œuvres que l'on sent avoir été choisies
entre toutes par un amateur de goût éclairé.: aussi éprouve-t-on
\ici une jouissance d'arl peu ordinaire que bon nombre de
célèbres Musées modernes seraient impuissants à -dbnner.
Saluons d'abord un prestigieux Courbet de la meilleure époque
du maître ,d'Ornans : Effet de neige sur lequel se détache en
vigueur une femme traînant une chèvre et portant un fagot;
impression puissante, facture grasse en pleine pûte. Près de là un
exquis petit Paysage dé Théodore Rousseau, tin Etang,\ine Rivière
avec bouquet de bouleaux et une Lisière de bois où Corot a mis le
meilleur de sa poésie charmeresse, un Paysage de Jules Dupré
avec des arbres et un ciel bleu d'un coloris corsé et savoureux,
un Matin et une Mare aux canards où l'on retrouve les effets déco-
ratifs qu'affectionnail Daubigny, deux Paysages éChiver de de
Neuville, des Moulins et un Troupeau d£ vaches deTroyon de tout
premier ordre (deux joyaux de la collection), enfin, un Sous bois
de Diaz absolument féerique. Si, des paysagistes, nous passons
aux peintres de genre, nous renfiarquons notamment : un magis-
tral pastel de Millet représentant une paysanne versant du lait
dans des cruches, une Femme aux champs de Bastion Lepage,
qui s'est surpassé dans cette œuvre, un Hotnme écrivant de Meis-
sonier, une Fantasia de Fortuny, d'une moelleuse coloration,
de voluptueuses Nymphes de Diaz, un Chevalier allumant sa
pipe que Roybet a superbement campé, un mélancolique Hamlet
de Jean-Paul Laurens, une buire et des oranges de Vollon, une
Hôtellerie d'Isabey, enlevée avec esprit, une lascive Odalisque au
Cirque de Benjamin Constant, une composition décorative Oio-
venlu, primavera. délia vita, que Baudry a caressée avec amour,
une Femme au piano âk Vollon, d'un fondu étonnant, un Trou-
peau de moutons, comme Jacque seul sait en faire, un Petit abbé
dans un salon Louis XV, par Rossi, Trois Juifs de Decamps,
Inorcéau ^empoignant donnant presque la sensation d'un Rem-
brandt, la fameuse Alerte de Détaille, qui a figuré à l'Exposition
centenale de Paris, une Porte du Sérail, toile de LecOnte du
Nouy dps plus suggestives avec ses eunuques couchés et son déli-
cieux fond architectural qu'éclaire l'aube matinale, une femme
blanche et une négresse que Cérome a accompagtiées d'un ara
bleu éblouissant, un mince et élégant cavalier de John-I^wis
- Brown, un Combat de Fromentin, qui est une fête pour les yeux.
Deux nègres de Bonnat, un Juif lisant, de grand caractère, par
Henri Leys, Deux états-majors de l'espagnol Domingo, rival heu-
reux de Meissonier, qu'il égale s'il ne le dépasse pas, enfin, une
prestigieuse Bataille de Delacroix, d'une fougue de dessin et d'un"
emportement de coloris merveilleux. — Telles sont les princi-
pales œuvres qui nous ont particulièrement impressionné; ajou-
tons-y, pour ne pas les oublier, de nombreuses aquarelles el de
curieux dessins parmi lesquels trois cents croquis originaux de
Cham cinglants d'ironie et de verve.
Ce qui est surtout merveilleux dans le Musée Daupias, et
qui donne une sensation énorme, c'est de voir cette longue suite
d'œuvres picturales accompagnée de meubles anciens, de bronzes,
de porcelaines, etc., 4e quoi composer un njusée historique.
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comme à Cluny. Nous consignons ici, pour les collcclionneurs, la
présence d'un meuble Henri II en noyer avec appliques de mar-
bre, un pur chef-d'œuvre, un meuble Henri IV grassement sculpté,
une table authentique d'Ândrouet Ducerceau, des bahuts flamands
de Vredeman de Vries, un somptueux mobilier de salon Louis XIV
dé Boule, un autre mobilier de salon, Louis XVI celui-ci, avec de
délicieuses tapisseries de Beauvais, des meubles indiens en teck,
ébène et ivoire, d'adorables commodes Louis XV de Caffieri, des
guéridons en vernis Martin, etc.. Pui» des vases étrusques raris-
simes, des vases d'Urbino et de Gubbio, des potiches de Chine et
du Japon aux décors vertigineux, des plais arabes uniques, des
médaillons en faïence polychromique de Luca deJla Robbia, des
pièces exceptionnelles de Limoges, notamment un grand émail
elliptique représentant la guerre, cinq émaux d'un bleu incompa-
rable, faisant partie d'un chemin de la croix, et deux délicieuses
coupes; un coffret, des vases et de délicates figurines en ivoire de
la Renaissance, des médaillons en cire renversants, des bronzes
de Clodion, un idéal petit retable de la Renaissance en albâtre,
un fier buste en mirbre de la princesse de Lamballe, des cartels
Louis XVI eh bronze doré, des porcelaines de Sèvres de M"** de
Pompadour, un crucifix en cristal de roche, une pendule et de
nombreux groupes et statuettes'en porcelaine de Saxe, enfin la
précieuse collection de bijoux, éventails -et bonbonnières de
M"7 la comtesse Daupias.
«
• ♦
Bien des choses ont été oubliées ou laissées de côté dans cette
rapide esquisse, et il faut vraiment avoir vu et revu la collection
Daupias pour apprécier ses richesses artistiques, que l'on peut
évaluer certainement ^ huit ou neuf millions. Lisbonne est bien
un peu loin de la Belgique, mais s'il arrivait que des lecteurs de
l'Art moderne dussent s'y rendre, qu'ils n'oublient pas de passer
quelques heures au milieu des œuv'res d'art dont nous les avons
entretenus; en apposant leur signature sur le livre des visiteurs
de M. le comte Daupias, nous ne doutons pas qu'ils ne soient
tentés d'y ajouter, comme la grande Sarah Bemhardt : De l'art
plein les ^ux, de la reconnaissance plein le cœur! " /
- Lisbonne, mars 1890.
DÉCENTRALISATION .
Nous avons annoncé, au cours de l'hiver, la fondation à Mons
d'une Société de musique dont M. Camille Gurickx a accep^ la
direction. Cette société vient de faire ses débuts en public, et le
succès, à ce qu'on nous rapporte, a été très vif.
Le Journal de Mans dit entre autres : 7
« Le programme, composé par M. Gurickx avec un goût artis-
tique tout particulier, comportait des œuvres d'auteurs anciens :
Bach, Rameau, Haydri, Grétry, Cherubini, et quatre chorals d'au-
teurs inconnus très anciens, harmonisés pour quatre voix sans
accompagnement par F. -A. Gevaert. C'est dans ces quatre petits
chefs-d'œuvre de style large et sévère que nous avons pu appré-
cier d'une façon absolue les qualités vocales des chœurs de la
Société. Dans ces morceaux, impossible d'avoir recours à n'im-
porte quel artifice pour' cacher les défectuosités des interprèles;
il fiaut chanter juste, nuancer dans la perfection et arriver à une
homogénéité de voix telle qu'elles doivent sembler h'en former
qu'une. De l'avis des plus compétents, ce beau résultat a été
obtenu
Nous devons faire remarquer spécialement le grand succès du
fragment des « Indes Galantes », V Adoration du Soleil de Ra-
meau. Celte composition splendide a été enlevée par les chœurs .
et l'orchestre de la façon la plus brillante. Notre excellent baryton
Achille Tondeur chantait le solo ; comme toujours, sa voix mâle
et bien timbrée lui a valu de nombreux applaudissements, qui ont
redoublé après l'air des Saisons de Haydn, qu'il a chanté en fai-
sant montre de qualités qui dénotent chez lui une connaissance
approfondie du chant et un tempérament musical bien développé.
Nos félicitations les plus sincères à M. Camille Gurickx, à qui
les honneurs de cette belle soirée reviennent en grande partie.
Son dévouement infatigable, son opiniâtreté et son ardeur ont
reçu une éclatante récompense. Sa direction est simple, modeste,
m.iis pourtant empreinte de cette autorité et de ce sang-froid qui
inspirent aux exéculanls la confiance dans le chef, confiance sans
laquelle il n'y a pas de victoire possible. » -,
* *
Le lendemain du concert de la Société de musique de Mons,
Tournai offrait à un nombreux public d'invités l'exécution de
quelques œuvrdç de César Franck et notamment, sous la direc-
tion du maître, son oratorio biblique Rulh, qui garde, malgré sa
date déjà reculée, une grâce et une saveur rares.
a A celle exécution tournaisienne de Ruth, dit M. Maurice
Kufferalh, il n'a manqué qu'un ensemble de solistes plus maîtres
de leur voix et de leur diction, pour avoir été très distinguée. Il
faut mettre toutefois hors de pair les chœurs, qui ont eu bonne
sonorité, et une jeune cantatrice du Conservatoire de Bruxelles,
M*** Gorlé, qui a dit d'une voix aimable le joli rôle de Ruth. La
même artiste, accompagnée au piano parole maître, a chanté avec
une'^motion communicative deux de ses plus belles mélodies : la
Profession et les Cloches. ~
r- Mais le triomphe de la soirée a été, en somme, pour le quin-
tette on fa et la sonate en la pour piano et violon: Vous savez. à
Bruxelles, pour les y avoir entendues au Cercle artistique et aux
XX, quelle est la grapdeur émouvante ei la puissance évocatrice
de ces compositions instrumentales de César Franck.
Sous l'archet d'Eugène Ysaïe, elles oni une force expressive et
un entraînement irrésistibles. Le célèbre virtuose était accompa-
gné de son quatuor (MM. Crickboom, Van Bout et Jacob); au piano
a pris place M. Braud, un pianiste parisien, élève de Marmontel,
qui a la fermeté de rythme, le jeu martelé et l'égalité de ioucher
qui sont la marque di^tinctive de l'école. Le public tournaisien
n'est pas d'ordinaire à pareille fêle. Aussi a-l-il longuement ova-
tionné l'aulcur et ses admirables interprètes; mais ce qui est
mieux encore, il a écouté avec une attention qui fait honneur à
son goût autant qu'à son éducation musicale. »
Réoentesi acquisitions du Musée de Peinture .
Un De Heem, —oranges, raisins, roses, homards, cristaux,
insectes,— ^ un Willem Van Aeist, — oiseaux occis et variés, carnas-
sière, fusil, — un Abraham Mignon, — coq pendu par une patte
et dont on compie les plume?^: travaux de phoiograpbes.
Pourquoi, au lieu d'augmenter lacohorie.de ces imbéciles
peinturés, ne pas nous débarrasser, au contraire, de celles qui,
avec les Fleurs de l'odieuse Rachel Rujsch, déshonorent déjà nos
galeries?
N'avons-nous pas un débouch^ tout kidiqué? l'Afrique?.,.
\J
\
Le RiibcniJ, licurcuscmeiU, est extraordinaire et raclièlc ces
croûtes : c'est, — merveille de vie, de couleur, de dessin, —
(Iiialre fois répétée, la lôle d'un nùgre, sérieux en sa pose ou
étalant dons un rire les blancheurs de sa denture.
Etude pcut-C'tre pour un mage d'Ethiopie ou simple délasse-
ment, mais peinte, en tous cas, dans un moment d'absolue
liberté d'esprit, celte œuvre, avec le Martyre de Sainte-Ursule,
ce joyau, et l'émouvante Chasse d'Alalante et de Méléagre dans
le mystère et le murmure profond d'une forêt, est ce que le
Musée possède de mieux du plus grand parmi les peintres, ce
Pierre-Paul Rubcns!
THÉÂTRE MOLIÈRE
LUCRÈCE BORGIA
Sans nul souci de la haute température tout à l'heure estivale
et du désir nalurct de respirer un air plus frais ou d'ouïr des
musiques sans importance sous les verdures du Waux-Hall, les
d'Esté, les Borgja conviaient à leurs disputes un public -plutôt
ixellois. Et ce furent durant cinq actes, oh ! des drames! avec des
sbfres, du poison, des épées luisant dans l'ombre, — une femme,
ensemble criminelle, adultère et incestueuse, se torturant à vou-
loir sauver son amant, cl tour à tour tendrement séductrice et
véliémcntement passionnée, emportée, hors des gonds, en un
mot, — "un'mari froid et cruef, vêtu de rouge avec de la fourrure,
obstiné à ne vouloir rien entendre, vilainement cocu et préten-
dant en somme se venger, — puis celle orgie et ces moines,
sinistres clamant des psaumes, cl ce final coup de "couteau à la
Pranzitii!
M""» Rose Desnoyer, M. Jules Mary et M. Munie furent respec-
tivement Lucrèce Borgia, Don Alphonse d'Esté et Gennaro le
bicn-aimé.
?'
ilBJ-IOQRAPHlE
ACCUSÉS DE RÉCEPTION
Hier, aujourdh'ui, par Emile Greyson. — L'n vol, in-16 de
- 380 pagesr — J. Lebègue et C'«, Bruxelles.
. A part quelques paysages bruxellois, accrochés au récit comme
des tableaux ù la muraille, et si bien traités en tableaux que
l'auteur nous y montre Yélonnaule hardiesse des teintes de la
nature, ce roman, d'une observation très'raisonnable assurément,
mais à fleur de peau, pourrait se placer aussi Jiien en Angleterre
ou en France, qu'en Belgique. Les mœurs d'aujourd'hui, oppo-
sées h celles d'hier, y sont trop retracées dans leur banalité cos-
mopolite, pour avoir rien qui puisse nous loucher particulière-
ment, et nous croyons que, dans tous les pays du monde, on
rencontre de ces personnages qui réiissisent, dit M. Greyson, par
les ressources de la cybisiique (voir le supplément de Littré). Au
surplus, le manque d'unilé nuit à l'intérêt du livre. En l'ouvrant,
on s'imagine que l'on va lire une critique de nos habitudes poli-
tiques, cl le sujet a des côtés assez plaisants pour que l'on s'en
promette quelque gaieté, mais à peine a-t-on tourné quelques
pages, que l'on se trouve en plein high-life, vie de château, des-
criptions de toilettes et de voitures, avec l'altitude des cochers ot
le bruit des rou?s sur le sable, saison des eaux, hiver mondain,
bals, spectacles, et le manège, pas nouveau, des demoiselles à
marier. On n'a pas eu le temps de s'habituer à ce changement que
la narration fail encore un crochet et nous transporte en un
mélodrame étranger, et ces sujets divers se poursuivent parallèle-
ment, n'ayant d'autres points de contacl que des rencontVes de
voisinage, sans parler des épisodes qui ne se rattachent h rien,
comme celui du bonhomme de huit ans qui apparaît seulement
pour dire « canaille! » à son domestique, et qu'on ne revoit
plus. * . ' -^
Cette absence de concentration- des effets vers un but-commun
leur enlève la plus grande. p.yiîe de leur portée, et, n'étant pas
empoignée par celte action trop hlùltiple, rallenlion distraite a
le temps de s'arrêter aux. petites défaillances du style. Ainsi, nous
avons été si horripilés d'un « On a beau pu être solide... », que
nous ne résistons pas au désir de le consigner ici par repré-
sailles.
Petite chro^^ique
Du Figaro (signature Albert VV^) cette appréciation d'un de
nos artistes belges les plus méritants, dont les œuvres figurent au
Salon de Paris :
« J'insiste sur un grand succès d'artiste, les statuettes d'ouvriers
d'un tour puissant, malgré les petites dimensions, d'un ^elge,
M. Constantin Meunier ».
Et sur le même Constantin Meunier, dans Gil Blas, sous la
signature René Maizeroy, citant quelques rares sculptures- :
Eugène Rodin, Dalou, Desbois, Baffier, h ces quatre le chroni-
queur ajoute notre corapairifltey.disanl :
« A côté, en une sà^Ac slaluelles, M. Baffier et M. Conslan(in
Meunier onl puissamment, et avec une pénétrante et saine émo-
tion, modelé des types de lâcherons et d'artisans. C'est tout le
poème monotone, triste, toute la procession des pauvres gens qui
se déroule ici, comme imprégné dû grand souffle de la glèbcydes
puanteurs acres du pays noir, des arômes delà forêt.... que les
amaieur*se disputeront bientôt autant qu'un lableau de Millet ou
un bronze de Barye. Leur réalilé intense, prise sur le vif, m'inlé-
resse et me délecte, éveille en moi tout un flot de souvenirs et de
sensations. M, Meunier, se révèle comme un artiste de haute
race et d'une" originalité peu commune »,
Une des plus estimées sociétés savantes françaises est venue
récemment faire une excursion en Belgique : nous voulons parler
de la Société régionale des architectes du Nord de la France donl
le siège est à Lille.
Après leur avoir souhaité la bienvenue à leur descente du train^
M. Acker, président de la Société centrale d'architecture de
Belgique, a cpnduil au Palais de la Bourse les architectes fran-
çais qui ont été l'oCjét d^ne récepiion des plus chaleureuses de la
parlée leurs confrères bruxellois. Puis a commencé la visite de
divers monuments et d'un certain nombre d'hôtels particuliers
dont nos voisins de la Flandre Française onl hautement apprécié
les mérites divers. _ v
Les membres des deux sociétés se sont rendus le lendemain à
Anvers où, accompagnés de leurs confrères de la Société des
archileAes Aiiversois, \is onl étudié dans tous leurs détails
quelques-unes des plus intéressantes constructions élevées dans
ces dernières années, notamment l'Hôlel-de-Ville, les églises de
^
Rorgcrhoul'la basilique du Sacré-Cœur, riiôpilaldu Sluyvenberg,
les orphclinals cl hospices, clc.
"Le gouvernement vient d'acheter, pour le Musée de Bruxelles,
une toile qui a figuré au dernier Salon des XX, et même une
toile dfe tort grandes dimensions'.
La clef de cette énigme? La toile en quoslioii, qui est d'un joli
ton vcrt-olivâtjc, avait été placée par les XX en manière de tapis-
serie pour masquer les abominables murailles éraflées ei sales des
galeries destinées aux expositions particulières. On se souvient de
l'aspect coquet cl élégant que celte tenture avait donné au Salon
des XX, dont tout le monde romanjua l'inslallalion arlistique.
L'exposition finie, la commission de l'Exposition dos Forlrails de
Maîtres du Siècle proposa aux XX le rachat de la toile en ques-
tion, ce qui fut accordé. On se contenta d "enlever tant bien que
mal le double X traditionnel dont l'or ilamboyaii sur les étoffes,
cl on l'agrémenta d'un baldaquin rouge, assez disgracieux, soil
dit en passant. Très ingénieusement, les « Portraits du Siècle »
ont repassé à l'Élit la tapisserie vingliste, qui fait actuellement
partie du mobilier du Musée. Il est permis de se demander ce qui
fût advenu si les XX avaient offert eux-mêmes au gouvernement
le rachat de leur tenture?
Une eiposiiion d'oeuvres de MM. Edouard Cliappel et Paul
Kustohs,/ariistes peintres, s'esl ouverte hier au Cercle nrtistiqiK
et littérane. L'exposition sera clôturée le 26 courant.
choix artistique des ueuvres exposées, qui a primé l'intérèl histo-
rique, chose rare à de semblables exhibitions.
Une intéressante exposition d'archileclurc et d'art décoratif
s'^esl ouverte à Liège, le 45 mai, dans la salle do .l'Emulation;
elle est organisée par la section provinciale liégeoise de la Société
centrale d'architecture de Belgique. Nous en reparlerons.
■ Le Cercle .4 /s ik Kan vient d'ouvrir à Anvers sa vingt-deuxième
exposition (Salle Verlal). Le salonnet restera ouvert jusqu'au
25 courant.
lîes architectes d'Aix-la-Chapelle voulant rendre un hommage
posthume à leur savant et regretlé confrère Franz Ewerbeck, ont.
ouvert le 12 courant une exposition'de ses œuvres parmi lesquelles
figurent notamment ses nombreux dessins sur la Renaissance en
Belgique et en Hollande. . '
On nous écrit de La Haye : 7
Le Cercle artistique de La Haye Pulchri-Studio vient d'ouvrir
une exposition d'œuvrcs de maîtres anciens qui est particulière-
ment remarriuable. Grûce à l'espril-d'iniiiative do M. Mesdag, le
président de la Société, et aux soins de MM. Termoulen et Koster,
un choix excellent a été fait dans les collections particulières de
La Haye, d'Ulrechi, d'Amsterdam et la plupart des toiles
exposées n'ont été vuc^ que fort rarement ; quelques-unes sont
même inconnues du public. L'exposition, qui durera deux mois
environ (mai et juin), compte à peu près cent trente numéros,
parmi lesquels des van dcr Meer exquis, trois Rembrandt, des
Hais, des Jan Steen, Ter Burch, Wouwerman, van Everdingen,
Cuyp, van de Veldc, hors pair, des œuvres de derrière les fagols,
rarissimes.
L'excellente salle, au jour fin et puissant, meilleure que la
plupart des Musées, fait de cette réunion d'œuvres d'élite une
sélection digne d'être visitée par les amateurs sérieux de tous les
pays environnanlSj^jl ce qui la rend surtout intéressante, c'est le
M. Edouard Dujardin vient de terminer une pièce .en vers qu'il
doit lire au Théâtre-Libre. Titre : La fin d'Antonia, tragédie
moderne en trois actes. C'est la première œuvre décadente qui
■ ail été écrite pour le théâtre.
Un théâtre de Berlin vient d'atteindre le dernier degré du
réalisme, dit Gil Blas, en engageant Kranlz, l'ex-bourreau du
royaume de Prusse, pour tenir l'emploi dos... bourreaux.
L'ancien coupeur de têtes, pris de la nostalgie du métier poul-
êlre, est revenu « pour Vire*» â son ancienne profession; cela,
dans un drame des plus émouvants, dont la scène culminante
montre un homme sur le point d'être décapité. Le patient est
suivi sur la scène par Krantz qui balance la hache même dont il
faisait usage du temps que c'était arrivé. Brrrrr
. Du Monde-Artiste : -
Le rénovateur de la peinture à l'encaustique des ancien*.
M. Gabriel Dericux, a deux toiles aux Champs-Elysées, exécutées
d'après son nouveau procédé. Ilviehld'on vendre une 6,000 francs
h un riche collectionneur américain, M. Donealson.
Le Pardon de Notre-Dame de C/ar/t;' partira pour Saint-Louis,
dans le Missouri, après la clôture du Salon.
Il i.''a rejoindre une merveilleuse collcclion i\g maîtres français
que possède dc^jà M. Doncalson.
Une Exposition particulière de celle nouvelle peinture à l'en-
caustique, ou peinture inaltérable^ la cire-copal au feu, aura lieu
prochainement à Paris.
Les peintres nouvoHement initiés, les sculpteurs coloristes à la
cire, les faïenciers et les ciriers de tous genres sont conviés à
celte exhibition qui devra contenir tous les essais de ce genre (i).
! .. ,.-/•'
Du même :
On a beaucoup parlé de l'essai de peinture sur marbre tenté
cot'.e année par M. Gérôme. Ce n'est pas le membre de l'Institut
qui a eu l'idée première de cette application de la couleur à la
sculpture. — Il y a cinq ans, Paris artistique visita, rue do
Bruxelles, l'atelier de- M. Soldi et la critique s'occupa de cello
innovation.
M. Soldi trouva un défenseur dans M. Hugues Leroux cl un
critique dans M. Anatole France. Depuis on a récemment vu cin((
bas-reliefs du même artiste qui étaient des essais moins timides
que celui de M. Gérôme et plus décis^, pros(iue aussi charmants,
4que ceux de M. Gros sur le verre.
On an-nonce pour la fin du mois lo mariage de M. Jean-Louis
Forain avec M"*" Bosch, artiste peinir','
Entretiens politiques et littéraires, V' mai. 1800. — Sommaire :
I. Paul Adam, Excitation à la révolte. — II. Henri de Régnier.
Philosophie du pastel. — III. Georges Vanor, le Mandai sacré.
— IV. Francis Vielé-Griftin, A l'Illettré. — V. Notes el notules.
(1) Rapj)cloi)s à ce propos riiiléressauto étude sur l'Encaustique et
les autres procédés de peinture chez les aneien.^ liistoire et toth-
niqiie) publié à la librairie de l'Art, à Paris, par MM. Henry CrosoI
Charles Hbnry, et dont nous avons rendu coni[)to daus notre numéro
du 24 mars ISSU.
-A
■^
• /
f
^-..
PAQUEBOTS-POSTE DE L'ÉTAT-BELGE '
LIGNE D'OSTENDE-DQUVRES
La plus courte et la moins caàteuse des voies extra-rapides entre le Continent et TAngleterrc
Bruxelles à Londres en ... . 8 heurel
Cologne à Londres en . . . .13 »
Berlin à Londres en .... . 24 »
Vienne à Londres en 36 heures..
Baie à Londres en. ..... 24 »
Milan à Londres en . . . 33 »
D'Ostende à 6 h. matin, 10 h. 15 matin et 8 h. 20 soir. — De Douvres à 11 h. 59 matin, 3 h. soir et 10 h. 15 soir.
xra^erisée: eiv xroii^ heures
PAR LES NOUVEAUX Et SPLENDIDES PAQUEBOTS
Princesse Josépliine, Princesse Henriette, Prince Albert, La Flandre et Ville de Douvres
parUot journeUeuMot d'OSTENDE à 6 h. matin et 10 ^^ i|5 matin; de DOUVRES à 11 h. 59 matin et 3 h., après-.midi.
Salons luxueux. — Fumoirs. — Ventillation perfebtioimée. — Éclairage éleeCrftqve. — Bcatawraat.
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Uverpool, Manchester et toutes leàgrandes villes de la Belgique
et entre LONDRES ou DOUTRES et tç/utes les grandes villes de l'Europe. r^^~S
. . BILLETS CIRCULAIRES .
4t Supplément de 2' en !<« classe sur le bateau, fr. 2-35
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Pour la location à l'atanee s'adressej' à M.' le Chef de Station d'Ostende {Quat) ou à l'Agence des Chemins de fçr de FÊtat-Belge
Northumberland House, Strond Street, n' 17, à Douvres.
Excursions à prl x réduits de 50 ff^, entre Ostende et Douvres, tous les Jours, du 1^' Juin an 30 septembre.
Entre les principales villes de\la Belgique et Douvres, aux fêtes de Pentecôte et de l'Assomption.
AVIS. — Buffet restaurant à bord. — Soins aux dames par un personnel féminin. — Accostage à quai vis-à vis des stations de chemin de
fer. — Correspondance directe avec les grands express internationaux (voitures directes et wagons-lits). — Voyages à prix réduits de Sociétés.
— Location de navires spéciaux. — Transport régulier de oiarchandises, colis postaux, valeurs, finances, etc. - Assurance.
Pour tous renseignements s'adresser à la Direction de rEa-ploitaiicn des Chemins de fer de l'État, à Bruxelles, à l'Agence générale des
■ Malles-Poste de l'Êtat-Belge, Montagne de la Cour, 90*, à Bruxelles ou Gracechurch-Street, n" 53, à Londres, à V Agence de Chemins.de fer
de VÊtat, à Douvres (voir plus haut), et à Jtf . 3t»-^«r Vrancketi, Domkloster, n» 1» à Cologne. r
COLLECTION DE NEUFFORGE
Le Notaire ELOT, à Bruxelles, vendra publiquement, sous la
direction de M' Edm. DEMAN, les 22, 23, 24, .27, 28, 29 et
30 mai 1890, à 2 heures précises, en l'hôtel de Ravenstein, rue de
Ravenstein, 11, à Bruxelles, la 2« partie (1634 numéros de l'impor-
tante collection de livres ancifns, manuscrits, concernant
l'histoire héraldique et généalogique spécialement des familles
nobles de Belgique, des livres à figures, des voyages, etc., etc.,
délaissés par feu M. le chevalier J. de Neufforge, ainsi que des
violons, des violoncelles et des panneaux décoratifs anciens.
JOURNAL DES TRIBUNAUX
paraissant le jeudi et le dimanche.
Faits et débats Judiciaires. — Jurisprudence.
— Bibliographie. —Législation. — Notaria,t.
HuTIKlfF ANNÉE. ^
Abonnements j Bf'giq"*' 18 francs par an.
( étranger, 23 id.
Administration et rédaction : Rue des Minimes, 10, Bruxelles.
t
L'Industrie Moderne
paraissant deux fois par mois.
Inventions. — Brevets. — Droit industriel.
Troisiêmk'>annkb.
Abonnements i Belgique. 12 francs par an.
( Etranger, 14 id.
Administration et rédaction
Rue Royale, 15, Bruxelles.
Rue Lafayette, 123, Paris.
PIANOS
BRUXELLES
me Thérésienne, 6
VENTE
.^Ax^fo^ GUNTHEB
Paris 1867, 1878, 1" prix. — Sidney, seuls 1" et 2* prix
ElPOSmOIS AlSTEBOil 1883, ilTERS 1885 BIPLtR D'IOimi.
Breitkopf et Hartel, éditeurs, Leipzig-Bruxelles
TRAITÉ PRATIQUE DE
COMPOSITION MUSICALE
depuis les premiers éléments de l'harmonie jusqu'à
la composition raisonnée du quatuor et des principales
formes de la musique pour piano par J.-G. Lobe. "*
Traduit de l'allemand (d'aj^rès la 5^ édition) par «
Gustave Sandre.
VIII et 379 p. gr..in-8°. Prix : broché, 10 fr.; relié, 12 fr.
Ce livre, dans lequel l'auteur a cherché à remplacer l'étude pure-
ment théorique et abstraite de l'harmonie par des exercices pratiques
de composition libre, fut accueilli, dès son apparition, par une
faveur marquée. I^ présente traductioq mettra le public français à
même d'apprécier un des ouvrages d'enseignement musical les plus
estimés en Allemagne. •
Bruxelles. — Imp. V* Monmom, 26, rue de l'Industrie.
V
Dixième année. — N" 21. \
Lk NUMKRO : 25 CKNTÏSlES.
Dimanche 25 Mai 1890)
L'ART MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
qomité de rédaction i Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale,- fr. 13.00 —ANNONCES : On traite à forfait.
.,„...,j
Adresser taupes les communications à ' .
l'administration générale de TArt Moderne, rue de l'Industrie, 26, Bruxelles.
S 0 lv<N1 A I RE
•^•
^
Au CiiAMi- DE" Mars. — Paris médaillé. — Gaston Dlbedat. -:-
Lk Theatuk Dt i.\ Monnaie dki'LIj sa kundatkjn jlsûl'a no> jours.
T. r • • ^
— LNK COMMANDE DE 30i),Mi»0 FRANCS. — L ^;X^uSITIO^■ D ARCHITECTUBE
A LiÈrjE. — SuciKiK NATIONALE DE Mi^iÇi.'E. '20^ t'onccrt a.ti<^
orrfies'rr '■( chii'ios. — Petite chromqle. ■
/
AU CHAMP DE MARS
Un Salon de bonne tenue, que régit M. Meissonier,
et auquel collabora, pour les fleurs et }a décoration,
-M. Alphaud. Un Salon où il y a bien une cinquantaine
de numéros à marquer Jun asiérisque. Un Salon sans
débandade, à deux rangs de cadrés, groupant les firmes
Un Salon sympathique, expurgé des horreurs acides qui
font crisser ailleurs, dépouiljé des basses vinasses, des
crapuleux mirotons, des pleutres ratatouilles qui com-
posent l'habituel menu des Champs-Elysées, cette gar-
gote monstrueuse. Un Salon d'où on n'a pas l'air de
s'évader comme d'un bordeau. Malgré cela, des alois
douteux, des ragoûts grossement épicés, des relents
f, d'académie, un faisandage de talents blets, d'abusives
"iplérances. Deux ^rrands halls seulement et un petit
nombre de réserves. Au îlaut du grand escalier, la
sculpture.
Sur un socle, dès Tentrée, cinq' Constant Meunier,
l'un des indubitables succès du Salon De brusques et
nerveux bronzesde haut style, aux mimiques concrètes,
aux rnyologies pui.>.«-amment synthétisées, le campé
d'un étonnant JJ/bai-deur, la minceur élevée d'un Souf-
fleur de ven-e, des réductionuiu Marteleur et du
Piiddleur, un superbe Pèeheur boidonr/is, criant vers
la mer. Il fallait voir, au vernissage, l'artiste entouré,
fêté, modestement trii»mphaût. En face, un groupe : la
Mort de Jules Desbuis. Deux figures, le nu d'un vieil
homme, au torse raviné et cariqueux, modelé dans les
masses, par accents vigoureux, et l'effroi d'un squalide
détritus humain symbolisant la caraarde, un haillon de
chairs putrides et dévastées, un horrifique masque
comme surgi des liquiiles désagrégations du sépulcre.
Ce morceau tragique fait honneur à l'école et relègue
les niaises plastiques, les commodes attributs des veules
morts usuelles. C'est la sculpture Jiéroique et pitto-
resque professée par ce maître inconîparable. Rodin.
Il règne en'six envdis d'un art définitif : l'écharnement
cruel d'un nu dé vieille femme, un tronc calciné,
rugueux, abrupt, fossile, l'a beauté d</uIoureuse d'une
géhitrice à la matrice ravagée par les races, aux mamelles^
comme des gousses exténuées, aux membres>c4K'arLtiés
d'ans et dé travaux. Je ne vois pas dans tout l'art mo-
derne un paueil cci d'humanité. Encore : des esquisses,
uu maillis de formes décelant dés stupres, détrangea
r'
l
- r
^
\
et fatals labeurs, l'oppression d'inexorables chaos, l'ad-
■Jtérence d'une Andromède ou d'une Niohé qm marbre
qui- la tient captive; un torse vert, comme sorti des
exhurii^tio^s d'une ère d'art inconnue. Dalou, avec son
lisse Victor Noir couché sur la dàlî67son Floquft en
stéarine, et son fœtus (tète d'enfant) déchoit, par com-
paraison,aux industries innommables. De M'^^'Besnard, |
une faïence" d'un onctueux polychromisme, des études,
et cette Mère et V enfant, vue aux XX, si foncièrement
maternelle. De M'"® Cazin, un bas-relief aux figures
aérisées, inexprimablement détachées et fondues en
manière de tableau (Secours aux malades). Divers
Charpentier (et ses délicats médaillons), 'Devillez, Bai-
fier. , " ~ ,
(vhez les peintres (il est entendu, n'est-ce pas, que
le Meissonier [1814), le Jean Béraud (Saieon de Monte-
Carlo), les nobiliaires Carolus Duran attestent une fois
de plus la valeur monétaire de l'art et son incontes-
table-importance comme branche d'industrie), à un
degré moindre, le's'Gervex, les Sargent, les Roll, les
Rixens, sont également cotés. Cependant , quelques
peintres naïfs assument encore l'universelle réprobation
en s'efïbrçant à une pratique d'art moins roublarde et
moins fructueuse. Le Champ de Mars, entre autres por-
traits méprisés, possède un Téodor de Wyzeva de
Blanche, une sabrade à grandes touches, qui remet un
peu des nauséeux caramels étiquetés sous des rappels
de noms mondains. Ce même Blanche, il est vrai, se
propose plus loin, sous des aspects conformes au goût,
pour lés oléagines distinguées et poncives.
Boldini, au contraire, le capillaire Italien d'antan,
crûment déroule une peinture très française, d'un tour
de main et d'esprit qui parisianise les violences ruda-
nières du vieux Hais et condimente ses énergiques
ragoûts, ses nerveux coulis de diligentS' et modernes
épices. Un déambulementde là tribu John Lewis Brown,
notamment avec ses figures de femmes balancées comme
dans un roulis de vent et son étonnant bopljorame barbu,
écarquant un rire aux dents chevalines, — le peintre
Lewis Brown en personne. -—Des dames encore, desÇ^
silhouettes d'épaules et de hanches joliment croquées
en peinture claire, grasse, actionnée par les reflets, avec
tels froutements d'écharpes etde robes qui déshabillent
les sinuosités de la forme en dessous.
Carrière, lui, persévère dans son rôle de la vie inti-
miste et pensive, de la vie qui s'écoute vivre et s'isole
en dehors des "sphères d'action, aux sources de la médi-
tation et du songe. Il semble qu'il peigne plutôt la sen-
sation du réel; à travers le-vague et le nébuleux d'un
mirage, que la réalité même. C'est un art musical et
suggestif que le sien, un art aux fines résonances
intérieures, aux délicates vibrations cérébrales et où des
âmes échangent entre elles, dans la pénombre des aveux,
des rappels d'autres patries. Après l'avoir longtemps
discuté,' voici qu'on s'aperçoit qpe les six" toiles du
CJiamp de Mars sont de véritables œuvres d'art, 'î<ti sens
le plus intellectuel. C'est du Michel-Ange, disait Rodin
devant son Sommeil, —"d'une pâle nuit deux chairs
enlacées, l'embrassement des bras d'une mère aux lys
tl'une joue d'enfant. Et dans cet évanouissement con-
certé des formes, de si précises indications, une si mar-
morale structure que c'est, en efïet, comme un marbre
noctuaire. •
On ne se bat plus aùtourde Puvis de Chavannes. IL
est permis de constater seulement qu'il est présent. Art
de songe aussi, art de répercussion d'un autre âge à
travers le symbole, art qui mjtige d'un peu d'hiératisme
les' modernes tumultes, art qui oriente à des sensations
d'éternité sur des rives d'édens, dans des paysages
d'âmes où, njême les arbres, les eaux, le ciel, se sensibi-
lisent.
Douze Alfred Stevens : figures et paysages, de millé-
simes-variés: Les Ophélieei les Macbeth qui, depuis
quelques années, requièrent le peintre, mêlés à des hori-
zons de mer, à des vols dé mouettes sur des plages, à
des assomptions de lunes sur des eaux d'abîmes. Deux
joyaux encore : la Jeune veuve de la collection Waroc-
que, et la Musicienne, L'inutilité des controverses
s'irrécuse quand, après tîint d'esthétiques, il est encore
possible de proclamer un pur chef-d'œuvre la première
de ces toiles. Une maturité qui s'éternise semble le mot
qui résume ces voluptés de l'une des plus belles mains
de peintre qu'ait connues ce temps.
Riber^. — Ribot — Ribotte, jeu de mot d'atelier pour
définir ce maître aux pralines fuligineuses, aux cuisines
ibériques et féroces, — ce maître hanté de crépuscu-
laires phantasmes et qui nous apparaît vénérable,
comme le legs d'une époque affligée d'une trop rigou-
reuse mémoire. Mais tout de même, dix Ribot, c'est
beaucoup, quand un seul, indéfiniment, le résume et le
répète. ^ .
Et ce sont d'ardentes et calcaires échappées d'Espagne
du Danois K. Willumsen, des éclairages mordants des
Suédois Zorn et Osterlind, des neiges un peu frêles du
Norvégien Thaulow, un paysage de Skredsvig, d'émou-
vantes figures d'Israëls etdeLiebermann.non sans simi-
larité, les réfractions solaicfig^ du Danois Larsson {le
septentrion donne ferme), un Ave Maria de Kuehl,
une somptueuse marine nocturne de l'Américain Har-
risson, des prismes du Chilien Errazariz.
Trois paysagistes, 4oi|t un : Sisléy, hors pair. Ah ! le
radieux, limpide et loyal panneau de ces six Sisley
aérisés d'humides effluves, chauff'és de grand soleil,
fuyant -aux horizons sous des ciels qui marchent, à tra-
versées étés et les printemps! (On dit qu'il fallut peiner
-pour les y faire entrer, mais ils y sont, et peut-être l'an
qui viendra : Monet, Pissarro.) Ensuite, Billotte et ses
fines . atmosphères des banlieues parisiennes. Huit
^
X
i:art moderne
103
Harau, parmi lesquels au moins doux, du plus alerte
impressionnisme. Un peu en arrière, plus débraillé,
mais intrépide, copieux, substantiel, Lebourg.
Des Provences crétacées, aveuglantes, supratorrides
de Montenard, des .bouts de route, des éteules, dts
vagues, des labours et un placide Vieux ménafje de
Jeanniot, toutes notes d'artiste avisé ; d'aléatoires Gœu-
nette; un début d'Engel; une résurrection de M™** Des-
bordes; de mélancoliques et douces campagnes de
Cazin; un excellent Breslau, parmi d'autres; des Mue-
nier; un incendiaire et vermilleux A w^owMte de Besnard,
dans un décor de fleurs en touffes, sous un ciel ful-
gide, le nu jaillissement d'une femme aux ttambois (J^
peau comme d'un feu à travers les versicolores parois
■'uno lanterne. Mais flaireur de neuf, ce Besnard,
chercheur d'aventures, coureur diles vers un plus défi-
nitif essor.
Un lot de Belges : les joli s saynètes de M"*= d'Ane-
than, les Iris de M"*^ Meunier, une scène militaire
d'Abry.des tamponnages deCourtens,un ciel inhabituel
de Van der Hecht, des Verstraete, des Goethals, .les
Boëchelles de Frédéric.
Aux dessiné, une suite d'ext^Jaxmiiflaires Forain aux
légendes lapidaires, 'deux rudes Meunier. Et des pas-
tels, des pastels... des aquarelles, des aquarelles, celles
de Binjé, d'Anquetin, d'Abry. Un Michelet d'après
Couture, formelle et savante gravure de Lenain qu'on
pourra bientôt juger d'après ses Rubens; des eaux-
fortes de Lewis Brown, de prestigieux bois de Florian,
filigranes comme les plus déliées intailles.
Un Salon de bonne tenue, un Salon d'où on n'a pas
l'air de s'évader comme d'un 43ordeau. " ■
PARIS MÉDAILLÉ
par Cii. ViREMAiTRE. — P;iri<, OoiicnKeaux, f(.lit<iu-.
Grûcc peul-êlrc à M. Cli. Viromailri.', nui vient chez l'édileur
Genonceaux de publier Paris médaille, l'Iiisloire de Li scission des
arliïles l'rançais fera dorénavant parlic des t'.iiis curieu.x et liislo-
litiiies. W. Cil. Viremaiire, depuis loii^temps s'est réservé une
spécipliié d'anecdolier el colleclioniie'ir de curiosités. Il a signé
Pr'^^is oublié, Paris escarpe, Paris impur, Paris paletie, Paris
Gavroelie, Paris ijalant, Puhis poliee, Paris qmard, etiTr'Lo
talent de M. Viremaiire y'esl certes celui d'un clironiiiiieur spi-
rituel et vif; mais il nar. .» claireineiil,co »iuil trouve intéressant à
diiv, il se sert .d'une phrase courante propre el honnèie. Sans
style îi recherches ni à trouvailles, ses livres apparaissent docu-
mentaires et nets.
' Sous ba couverture couleur chair, oi. une fée à ailes en forme
de palettes s'envole avec les deux médiillons de MM. Uouguereau et
Meissonier et une branche de palme cri main, l'histoire des cor-
porations, des jurandes et des mailriscs, celle de la confrérie
Saint-Viic, celle de la première E.xposition libro-etde h premilJre
AcadéniTc^inaugurent les notes arii>ii .ues. Ppuriant, dès ce début
on sent que M. Viremaiire a liàlo d'arriver à la question .Mcisso-
nier-Bouguercau ou plutôt, comme il le dil, à la question
Anlonin Proust. M, Viremaiire croit que le vrai -coupable (?) de la
scission est cet ancien ministrO' des 15eaux-.\rls el non pas, comnie
on l'affirme, M. Jullian, le célèbre fondateur des .Vcadémies libr's
à Paris, i^ien des pièces du procès sont produites. Oii sait qu'il
s'agissait de décider dans l'assemblée annuelle des artistes français
qui préside aux destinées des Salons de mai, si oui ou non, on
tieudraii compte en 1890 pour fixer les exempts el les hors
concours, des mentions el récompenses accordées j)ar le jury de
l'Exposition universelle de 1880. Ce jury nommé par l'État rie
(levait, pas, suivant M. F)ouguereau, imposer ses décisions au jury
du Salon nommé cjiaque année par les seuls ai listes français, au
Palais de l'Industrie. M. Bouguereau atlirmait en nuire que le
chiffre des hors concours étant déjà de 1,.'»86, si Ton y ajoutait les
49H récompensés au Champ de Mars en 1889 ce toial de 2,079
aurait pu empêcher qu'aucune œuvre déjeune artiste irouvAi
place à l'avenir dans le Salon annuel. En effet, chaque liors ,
concours peut envoyer deux toiles reçues d'emblée. Donc, s'il
arrive que 4,1^>8 toiles soient envoyées à Paris, avec l'obligalion
de les placer — alors que le Salon do 1888 ne coniej;i^ii en tout
que -^,.")86 envois, -r comment s'arrangerait-on'.'
M., Meissonier répliqlia que cette hypothèse d'abord no se "
présenterait pas; ensuite (|ue, puisque les artistes éir.ingers
avaient été désignés hors concours en France, il était .île la pro-
bité la plus élémentaire de tenir compte de ce fail chaque fois
(|u'ils exposeraient en France, aussi bien au Palais de l'Industrie
(ju'au Champ de .Mars.
On essaya vainement décoller un papier sar la vitre cessée de
l'union, S' ^-ôuvent montrée au clair, dos artistes parisiens, cl ceci
arriva que Meissonier entraîna à sa suite les moins poncifs des
peintres ofticiels :, Puvis de Chavannes, Desuard , Ryff.élli ,
Pioll, Damoye, Zacharian, Oagnan-Iîouverel, Gorvcx, Cnrolus
Duran, etc. Bouguereau, lui, rosia avec Donnai, Lefèvre, H-enncr
el Tonv Koberi-Fleurv sur les îrfsw: ~" — ~ ^ —.
Dé'sormais" deux Salons adversaires se reaanloni tout commo
frères ennemis, à chaque printemps parisien. Lequej «les deux
tuera l'autre"? I.e mieux serait qu'ils s'enferrassent niutuollemen'.
Relouons toutefois que, par le fail même de celle dispule, l'in-ti-
lulion elle-même esl^iulnérée. Elle était. alla([uée déjà pap le
toujours croissant nombre d'expositions particulières qui s'inau-
gurent tout au long de l'bivi^v-à commencer du mois de novoiiî-
bre ; la voici aujourd'hui attaquée non plus de coté, mais parie
milieu. Pden qu'elle soit profondément enracinée dans le uar i
prisât l'habitude, il faudrait qu'elle eûi en elle de l'immorlaliié
pour y survivre. ■
Puisque la. question des médailles. et des récompenses a dohn '•
lieu à celte scission, 'M. Ch. Viremaiire s'est enquis de l'opinion
de certains artistes non pas. seulement sur la division éclat e
entre les gens du Salon, mais sur la valeur même de ces distin-
lions qu'ils accordent. Les opinions de MM. Roll, Laurens,
Gérôme, Garnier, Dalou, Meissonier. Bouguereau, RatîaêUi,
Signac, s'y heurtent. Voici c?lle de ce dernier :
. « Les rythrties mystérieux dis lignes et l 's triomphantes har-
monies d'S couleurs tn inq liètent b.Mucp-ip plus que les mes-
([uincs agitations des Messiours peinîr ij.
« Je n'ai jamais envoyé et n'enverrai jamais au Salon. Je. me
soucie donc fort peu d' loléaginou-e ei.trepri e. qui., chaque
mai, balaye les crotlins du coiico !r> !iipp\nii\
\
\-
c
164
VART MODERNE
\f
« Mon avis^ur la qucslioii iln-^our, vous me voulez bion
demander : on désire abolir les récompenses, ces scolaires con-
. filures. — Parfait. — Mais ne reslerait-il pas plus urgent de
supprimer d'abord cel alrabihiire sérateur, le jury! »
Le livre de M, Viremaitre se termine par une justification de
l'atelier Jullian. C est la partie la moins intéressante do Paris
médaillé. Suivent encore des notes diverses et des dorumenis —
entre .autres, le livret du premier Salon, celni de 1673, dont l'en-
lélc est : Liste des tableaux ^l jiièces de sculpture exposés dans
la cour du Palais royal par Messieurs les peintres et sculpteurs
du Palais royal. Très intéressant d'arcbaïsme ce naïf caialogue
qui survit en exemplaire unique à la Bibliothèque nationale sous
la classification : 4» V. 2654 Aa 1. .
' Paris méd'iiilé sera suivi à peu de distance par Paris cocu. On
voit que l'auteur aime la variété dans les sujets et que son instinct
de fureteur le mène indifféremment en tous les coins -où se lave
du linge sale. Le linge sale des artistes, il pend aux Clramps-
Élysées, sous drts toits de verre, au long de combien de mètres
de frise et de cimaise. Il est acheté, chaque été, par des Améri-
cains bêtes et des Anglais pesants, et il se paie plus cher que
la plus piire baùsie. Celui des femmes de cocus est moins sale et
^moins déshonoré somme toute, et par on ne sait qui lie injustice
les policiers seuls le recueillent quelquefois gratis. Comme tout
est mal compris en ce monde!...
■ ■ ^
GASTON DUBEBAT
Nous apprenons la mort de Gaston Dubedat, le fondateur des
Écrits pour l'art. L'éternelle. interrogation : est-ce vrai? nous
vient fatalement, et nous nous souvenons d'une rencontre, voici
deqx ans, à Bordeaux, et d'une bonne journée passée ensemble à
causer art.
M. Gaston Dubodat se défendait d'écrire, et nous croyons que
son intention était de n'écrire jamais. Il aimait, certes, la littérature
ou plutôt la poésie autant que n'importe qui, mais il trouvait
qu'à moips de se sentir^ élu .parmi un millier d'appelés, il fal-
lait l'aimer platoniquemcni. 11 n'était guère riche, matasse peu
qu'il avait, superbement il le donnait à son révc. El son rêve,
c'était : découvrir des hommes, des porteurs en avant de l'art, des
convaincus et des innovateurs. C'est ainsi qu'il créa les Ecrits,
qu'il alla droit à tels poètes et qu'il attacha son nom à une sincère
et désintéressée tentative de rénovation poétique.
En tout ceci il faut voir bien moins le résultat que l'intention.
Ce qui est indéniable, c'est la conviction et la foi en eux qu'avaient
et ont encore tous les rédacteurs des Ecrits pour l'art. On a pu
les « blaguer », les contester; cela n'importe. Ils ont eu et ont
•encore l'indéniable supériorité de l'homme qui croit. Des querelles
sont iniervenues,'des gros mots et des gestes inutiles. Nous, après
tout ce qui s'est passé, nOus persistons à affirmer qu'il n'y a
jamai^ eu un vénal ni un fumiste parmi ces jeunes aujourd'hui
dispersés et ennemis.
♦ M. Gaston Dubedat s'est peu mêlé k ces querelles.
Il reste de lui l'intact souvenir d'un ardent et d'un fier, qui s'csi
complu i) s'eff'acer dans le bien qu'il faisait.
■- • .. 7 ■ ■
LE THÉÂTRE DE LA MONNAIE '
depuis sa fondation jusqu/ài nos jours,
pnr Jacques Isî*ardon; préface d'ÀRTnuR Pougin; illustrations de
Dardenne. — Bruxelles, Scliott frères.
En un gros volume de près de 7S0 pages, M. Jacques Isnardon,
que Bruxelles a fréquemment applaudi dans des créations où
l'artiste apportait beaucoup de verve et de talent (qui ne se
rappelle l'excellente interprétation qu'il donna du.^ Docteur
Miracle dans Les Coûtes d' Hoffmann?) fait, depuis sa fondation,
l'histoire documentée du ThéAtre de la l^ionnaie. Il a fureté dans
les archives, dépouillé les bibliothèques, mis à sac les collections-
particulières, arraché de gré ou de force aux abonnés anté-
diluviens le meilleur de leurs souvenirs. Et de l'amas des maté-
riaux qu'un travail long et consciencieux lui a fourni, il a édifié
un livre vraiment intéressant, qui montre le développement
successif d'une scène, autrefois modeste, qui compte aujourd'hui
parmi les premières de l'Europe.
La partie documentaire : tableaux de toutes les troupes qui se
sont succédées au théâtre, affiches, notes biographiques emprun-
tées aux livres et aux journaux de l'épociuc, portraits, autogra-
phes, occupent naturellement la place la plus importante dans
l'ouvrage. Mais le travail personnel de l'auteur apparaît constam-
ment. Avec beaucoup de goût et d'intelligence, il épingle ces
doi?uments de menus faits, d'anecdotes, de réflexions humoris-
tiques^ qui rendent la lecture de son livre attrayante cl facile.
L'écrivain apparaît plus nettement encore dans les chapitres de
la fin, qui contiennent quelques articles lestement écrits sur
Le Théâtre _eMABS8 et une série de profils et silhouettes excel-
lemment typés. L'ouvrage est original, certes, il plaira à tous ceux
qu'intéresse le théâtre.
Pour faire un peu enrager l'auteur, nous publions ci-après un
document qui a échappé à ses investigations, et qui eût dû,
logiquement, prendre place d;ins VHistoire du Théâtre de la
Monnaie. C'est uii curieux règlemeni édicié en 1781 et qu'un
hasard nDus a fait découvrir dans une morluaire. Nous l'offrons
à M. Isnardon pour la deuxième édition de son ouvrage, et lui
souhaitons qu'il puisse l'utiliser à bref délai :
DE PAR LE TRIBUNAL AULTQUE DE SA MAJESTÉ
RÈGLEMENT
pour le maintien de la police et du bon ordre au théâtre
de Bruxelles
I. — Aucune personne étrangère au spectacle ne pourra,
sous aucun prétexte, être admise aux répétitions, ni assister à la
formation du répertoire qui devra se faire le vendredi de chaque
semaine, à dix heures du malin précises; sauf, cependant, l'inter-
vention des personnes qui pourraient se rendre soit aux répé-
titions, soit à la formation du répertoire, par^jrdreou par com-
mission du Gouvernement.
II. — Tous les acteurs et actrices, sans disiinciion, devront se
trouver à la formation du répertoire, et ne pourront se retirer
avant la dislrihutiori des pièces, h peine d'une couronne d'amende;
III. — Les^ directeurs devront présenter le samedi ou le
dimanche au maliri leur répertoire au Gouvernement, et ces
répertoires ne pourront ensuite jamais êirc changés sans la per-
mission ou sans un ordre exprès du Gouvcrnemenl ; cl en cas qu'il
0^
VART MODERNE
165
survienne quelque chaugcmenl après que la pièce aura déjà été
annoncée, les directeurs devront faire annoncer ce changement au
théâtre avant de commencer la représentation.
IV. — Les acteurs et actrices ne pourront en aucune manière
réaiamer quelque règle ou usage de théâtres étrangers, pour se
dispenser de jouer aucuns rôles, sous prétexte qu'ils ne feraient
pas leur emploi ; mais ils devront se conformera ce qui sera déter-
miné, à cet égard, par la direction.
V. — La direction ne Sera tenue de fournir les pièces, et de
faire copier les rôles, que pour l<'s pièces nouvelles.
VI. — En cas de changement au répertoire, aucun acteur ou
actrice ne pourra refuser les pièces qui auront été jouées pareiix
dans le courant du mois, ou depx fois dans l'année, b peine de
dix couronnes d'amende.
»
Vn. — Aucun acteur ou actrice m> pourra faire doubler son
rôle par quelque autre, sans l'aveu et le consentement exprès de
la direction, à peine de quatre couronnes d'amende.
VIII. — Tous les acteurs et actrices qui refuseront, avec obsti-
palion, déjouer les rôles qui leur seront distribués par la direc-
tion, y seront conl'raiuls par les directeurs, même par emp^-ison-
nement, et en faisant conduire de la prison au théâtre, tant pour
les répétitions que pour les représentations, eux entiers.
S'ils croient avoir à se plaindre des procédés des directeurs, de
se pourvoir devant le tribunal aulique, qui y disposera sommaire-
ment après avoir entendu les direc!eîh:s.
IX. — Les acteurs et les actrices devront se rendre exactement
aux heures indiquées, à toutes les répétitions, de quelque nature
qu'elles soieiCt. Celui qui n'arrivera poinl ï sa réplique, payera
une amende de deux escalins^ et celui qui sera totalement en
défaut de se trouver à la répétition? encourra une amende d'une
demi-couronne. ,
X. — Les acteurs et les actrices ne pourront pas répéter leurs
fôlps, SQJt de ehanf on aiitrcA «n lisant w»^ In papier, mai^4k
devfpnl, à la dernière répétition, être en état de le jouer par
cœur.
XI. — Tout acteur ou actrice qui devra paraître au premier acte
dés représentations, et ne se trouvera pas au théâtre à six heures
précises à la pendule du foyer, payera une ^emi-couronne
d'amende, et deux couronnes, s'il n'j est pas au quart après
six heures.
Xri. -^ Pareillement ceux qui devront paraître dans les actes
suivants, et ne seront pas prêts à la fin de l'acte précédent, paye-
ront une demi-couronne d'amende, et deux couronnes s'ils occa-
sionnent un retard de plus de dix minutes^
XIII. — Les représentations et les entre-actes devront toujours
être arrangés de manière que le speciacle no commence jamais
plus tard que six heures et quart. ""
XIV. — Il ne scra_,pormis à personne de complinienier le
public, ni d'ajouter quoi qiie ce puisse être, sojl à l'annonce, soil
aux rôles, ni de chanter des vaudevilles ou des couplets, n'étant
pas de la pièce, â moins que les directeurs n'eu aient demandé
une permission au Gouvernement.
XV. — Les personnes attachées au spectacle, sans distinction,
ne pourront occuper d'autres, places dans la salle que celles qui
leur sont destinées; en conséquence, il est défendu aux comé-
diens, musiciens et autres attachés au spectacle, de se tenir au
parterre, ni même à rentrée du parterre, sous quelque prétexte
que ce soit, h peine de trois escalins d'amende, du double en cas
de récidive et de punition arbitraire pour la troisième fois.
XVI. — Les directeurs pourront interdire l'entrée du speciacle,
les jours qu'ils n'y seront pas nécessaires, aux comédiens et autres
suppôts de la troupe qui ne se comporteraient pas avec la décence
requise dans les loges ou autres places qui leur sont assignées.
XVII. — Toute personne, attachée, au spectacle, qui cmployera
des termes injurieux envers s'es camarades, paiera deux cou-
ronnes d'amende, sans préjudice à l'action ordinaire de la perj
sonne lésée.
XVIII. — Il est très sévèrement défendu aux comédiens, cl à
tous autres attachés au spectacle, de se permettre. au. 4héâ4fe,-
soil qu'il s'y IrQuvent pour les répétitions, représentations ou tout
autrement, des propos indécents ou quelque excès contraires au
bon ordre et î» la discipline, sous peine -que ceux qui sont sup-
pôts du spectacle, et comme soumis à la juridiction du tribunal
aulique, pourront être sur le champ et en flagrant, arrêtés et
emprisonnés à la porte de Laeken, do la part des directeurs, qui
devront, dans ces cas, en faire rapport incontinent au dit tribu-
nal, avec un détail^; duement vérifié, du fait et des circonstances,
pour y être pourvu ultérieurement suivant l'exigence du cas; et
qujnl aux musiciens et autres qui pourraient être attachés au spec-
tacle, sans en ère proprement suppôts, et sans ressortir, comme
tels, au dit tribunal, les directeurs pourront, en pareils cas* les
faire arrêter par la garde du specl;irli», et délivrer aux officiers de
justice de la ville, pour être poursuivis et punis de leurs excès
comme il appartiendra. .
XIX. — Personne ne pourra emporter aucun effet du magasin,
sous peine de payer la valeur d'un pareil eff"et neiif, qui lui sera
retenu sur le mois courant.
XX. — Les directeurs, comme acteurs de la troupe, seront
assujetfis aux mêmes règles de discipline et de police que les
autres; indépendamment de quoi, ils auront à. s'acquitter avec
ponctualité de tous les devoirs qui leur incojnbenl comme direc-
tearsr^ peine, en cas de défaut ou de négfigencg,^d'gtre corriges,
même par emprisonnement, selon les circonstances.
XXI. — II y aura un des directeurs, par semaine et par tour,
qui devra se tenir constamment au théâtre pendant les repn'sen-
taiions, pour veiller à ce que tout s'y passe dans l'ordre, et que
tout ce qui devra y servir soit à la main et arrangé au moment,
à moins que les dits directeurs ne profôrenl d'établir, à cet eft'el, y
un inspecteur intelligent et exact, dont ils devront répondje.
XXII. — Il sera tenu une caisse particulière des amendes, et
les directeurs ne- pourront disposer des deniers de celte caisse
sans l'aveu et la participation du Gouvernement.
XXIII. Les directeurs t|^dront un registre des dites amendes,
dont ils devront remettre, à la fin de chaque mois, un extrait au
greffier du tribunal aulique.
XXIV. — Les amendes seront retenues, en vertu du présenl
règlement et sans autre jugement, sur les appointements do ceux
quF les auront encourues; moyennant que les directeurs leur
signifient l'amende dans les vingt-quatre heures qu'ils auront com-
mis la faute pour laquelle ils 1 auront encourue, laquelle siguifica-
tron devra se faire par écrit, signé de l'un des dirccleurs, qui cou-
chera sur le registre, à la marge, un acle de la signification qu'il
aura faite; sauf, cependant, que ceux qui prétendraient avoir été
amendés k tort^ pourront se pourvoir devant le tribunal aulique,
qui, après avoir ouï sommairement les directeurs, ildisposéra
comme il sera trouvé convenir. ^/^^
XXV. — Aucun acteur ou actrice ne pourra di>lribuer des bil-
lets d'entrée pour aucune représentation, et l'un des directeurs
;
//
/■ : ^
n'en pourra poiiil accorder gratis à l'insn cl sans la. parlicipalion
(les auires. '
WVl. — Les acteurs ou aclricos qui, par leur faute, conlrac-
teronl- quelque cmpéçlicnienl qui les mclle hors d'étal de jouei\
pq(ur tout le temps que durera cet empêchement, la moitié de
leurs appointements, qui sera consignée à la caisse des amendes.
XXVII. — Les musiciens seront obligés de se conformer, en
tout, aux ordres que donnera le maître de musique Aiour la police
concernant l'orcheslro. -^ /
XXVIIL — Il est défcifdu à tous^el à chacun, n'étant point
attaché au spectacle, de s'arrêter sur le théâtre ou dans lc3 cou-
lisses, depuis six heures jusqu'à la fin du spectacle.
\XI\. — 11 est pareillement défendu à tout comédien ou cc^é-
dienne, figurant ou figurante qui ne sera point de service au spec-
.acle du jour, ainsi qu'à tous autres suppôts du théâtre, qui ne
doivent pas y être par élal de se tenir dans les coulisses pendant
le speclacle, sous quehiue prétexte que ce soil, à peine d'une
co«*o«flc d'amende, et d'être emprisonné pendant trois jour.s, en
cas de récidive;. enjoint au suisse de faire sortir incontinent ceux
ou celles qui oseraient se présenter dans les coulisses en contra-
vcnlion à cette défense.
Le présent règlement sera imprimé et publié à la troupe, et res-
tera constamment affiché au foyer de la comédie, pour que per-
sonne n'en ignore.
Fait à Bruxelles, au tribunal aulique de Sa Majesté, le 27 mars
1781.
Paraphé, pub. v'. ' '
{Signé) G.-F. i/Ortgyes.
" n
' Une commande de 300,000 francs.
M. Jef Lambeaux jcsl l'auteur, au-fusain, d'une plus qu'énorme
composition qui, ^aiW l'esprit de l'artiste, tendrait simplement à
représenter les passions humaines./
Ces PASSIONS? Un amas de corps le plus nus possible et
coniorsionnés,des musculatures de lutteurs en délire, uneabsolue
et inégalable puérilité de concept. C'est tout à la fois cahotique
cl vague, boursoutté et préteniicux, emphatique cl vid^ — et
moins encore du Wierlztiuc du Léonard. '
Et voilà ce qu'il s'agirait de transformer^en un spacieux bas-
jrlief, sans doute e» bronze, on -que ^c machinaux praticiens
tailleraient dans du marbre, el même uninutile édifice s'érigerait,
destiné à ce qu'on se plaîili désigner dès à présent comme « le
clief d'œuvre du maître ». •
Coûl: 300,000 francs.
Les hangars à plâtres de la Plaine des Manœuvres ne renfer-
r.^'^'H donc pas, des moins sympathiques Mich/'l-^lnge, de sufli-
sanls moulages? . , '
Pourquoi encore ce volontaire gâchage d'onéreuses « matières
premières » ? ^ ., ,
El si au lieu do te payer pour 300,000 francs de « passions »
le couverncment aclielaii tout bonnement des œuvres d'art ?...
Qui pi court, en effet, le Musée Moderne, peut à bon droit
s'étpnner de l'aftligeante pénurie des loyales peintures. Quelques
De Groux, De Brackelecr, Dubois, Artan, cl c'est tout ; mais on
n'y voit, pour ne jîarler^-fei^îi entendu, ^ue d'arlisles belges,
aucunp toile, par. exemple, de Mellery, qui cependant exposa, en
mainîs salons, sa Vetile à l'e)u\ji, des Têtes peintes à Rome, des
.Paysages ardennais, — dans des cercles de peintres à l'eau sur-
tout, des aquarelles admirables, — cl récemment encore, à l'Ex-
position des ^^Y, de précieux dessins.
Félicien Uops csl Belge, mais habile Paris. Cet artiste extraor-
dinaire ne pourrait trouver dans nos collections publiques aucune
œuvre, — peinture, eau-lopte, ou dessin — griffée de son nom.
On lui préfère les réceiils produits, Veuves et Salomés, de
M. Alfred Slcvens, le « peintre de la modernité », n'est-ce pas?
qui, lui aussi, traîne la sepicllc dans la Ville-Lumière.
El Constantin Meunier, un sincère arj.isle, celui-là, — cl qui
justement lente, autre Brown-Séquard, un rajeunissement de l'kn-
tique statuaire, et y réussit, — nli, en ce même Musée, qu'une
toile encore indécise, la Guerre des Paysans, et pas une des
sombres pages de cet âpre poème du travail, qui csl son œuvre,
et que lui inspirèrent les fonderies el les verreries à Liège,
les bassins à Anvers, les hauts-fourneaux dans le Borinage,^ — et
parmi ses '. «vrages sculptés: Hiercheuscs, Mineurs, Souffleurs
ile verre ou Marins, seulement le Puddjetfr en bronze qxposé à
Paris.
En omellant volontairement quelques jeuiics gens, des plus
hardis, mais dont les œuvres ne seront susceptibles d'achat offi-
ciel que uans peul-êirc cinquante ans, — ces (rois sont les sCUis"
artistes qu'actuellement possè(le noire heureux i)ays.
Mon Dieu, s'ils étaient un peu plus intrigants, qui sait?...
L'EXPOSITION D'ARCHITECTURE A UBG^^
{Correspondance particulière de_ l'Art moderne).
Elle est vraiment charmante cl d'un attrait absolument nou-
veau, la première exposition organisée parla section liégeoise de
\^ Spciêté centrale d'architecture de Belgique, installée dans la
grande Salle de l'Émulaiion; elle développe le long des cymaises
l'^s châssis des archiieclcs qu'entrecoupent; diversion heureuse,
ûOa"' compositions d'art décoratif des peintres-décorateurs et des
sculpteurs-ornemanistes. Les visiteurs peuvent ainsi, sans se buter
à (fes détails trop techniques, s'initier aux diverses phases de
l'histoire d^i honie dans ce qu'elles onl de tangible et de séduisant
pour les profanes."' '
Dans ïeur ensemble, les œuvres des archiieclcs liégeois pré-
sentent des qualités de pilloresque el de rationalisme qui ne sont
pas ordinaires : tels, p.ir exemple, M. Paul Jaspai- en ses nom-
breuses maisons, cliâicaux et châlcts, composés avec esprit ;
m; Charlier, à signaler pour ses recherchcsde motifs silhouelianls,
M. HciiTC, distingué dans son mausolée el souriant dans sa pim-
pante aquarelle du château de la Molle-en-Gée; enfin, le très
estimé professeur M. Cli. Soubrc, dont il faut louer l'élégance et
la correction dans les divers hôtels qu'il a élevés à Liège..
D'autres exposants, MM. Delhoz, Gaspard, Hanson, Hauzeur,
Hens, Jamar, Thirion, Marissiaux, Lousberg, concourent au
succès général par des documenls de mérites divers. Nous
retrouvons iM. P. Jaspar dans la section rétrosprctive où il a
rassemblé de consciencieux el très habiles relevés des cheminées
el pavements de la Renaissance que l'on peut admirer à l'ancien
hôtel Curlius, le Monl-de-Piélé actuel ; notons aussi une série de
. curieuses maisons du vieux liège, el les dessins de Marcelis pour
l'audacieuse coupole eu fer de la Bour.-e d'Anvers détruite lors do
l'incendie de 4834.
..1
LART MODERNE
IftT
Beaucoup (Je choses inlércssanics dans les envois des décora-
teurs : M. Berchmans père, avec un bagage considérable,
M. E. Jaspar, avec une jolyc^suiie do panneaux décoratifs el des
éludes de rideaux de scène d'harmonieuse lonalilé. Mais nos sym-
pathies vont aux moileriiisles et aux japonisants : les es(}ui?scs de
vie contemporaine de M. Donijay sont (Jminemmonl captivantes,
le pastel de M. Berchmans fds est une séduisante symphonie en
ultra-marin, enfin les panneaux en bois brûlé que M. Rassenfosse
égaie de délicats lavis constituent un suggestif régal pour les,,
yeux. Dans le groupe des sculpteurs se signale M. Herman qui
continue les traditions de ses ancêtres en nous présentant des
compositions de spirituelle ordonnance.
N'oubliom pas le catalogue, illustré de nombreuses pl'iolo-
lypies, et émettons le vœu que la présente exliibiton, si réussie,
soit renouvelée les années suivantes parles vaillants organisateurs
qui en ont eu l'idée.
^OCIÉTÉi NATIONALE DE ^U?IQUE
2Ô6N^ncert (avec orchestre et chœurs)
(Correspondahce particulière de /'Aht moderne).
Au programme : 1* Suite d'orchestre de Léon Boellmann.
Signes particuliers : néant. 2» Chant laotien (laotien, je veux bien,
mais pourquoi : chant?) d^ Bourgault-Ducoudray ; puis wna Fan-
taisie pour piano et orchestre, de M. de la Tombello, morceau qui
a laissé un terrible doute dans l'esprit des auditeurs. Etait-ce
bien pour piano et orchestre?... On Qntendait à peu près l'or-
chestre, mais la très jolie dame qui était assise devant le clavier
avait beau brodiguer ses caresses à l'ivoire (un veinard, l'ivoire),
celui-ci ne savait répondre que par de muets ou trop discrets
transports
G. Marty nous donnait cnsuitCideux petites pièces écrites sur
de pseudo airs bretons el plus que probablement destinés au
Café des Ambassadeurs, dont elles rappelaient parfaitement le
répertoire ; oh ! ces prix de Rome, ça a beau faire semblant de se
brouiller avec la maison-mère, ça finit toujours par y revenir!
l*nssim,itnf Paysage breton de J.-.G. Rnpari/, avec quelques
harmonies un peu bien parsifaliennes, mais joune el assez poé-
tique. — Un autre Paysage tout court (que de peinture !) d'après
une poésie d'A.'Jhouney, un peu tristanesque cc\u\-\U, mais débu-
tant d'une façon ravissante comme pensée cl comme.nuance orches-
trale. L'autour, R. Bonheur, est un jeune; c'est son premier essai
instrumcnlal, il faut faire attention à lui.
J'ai gardé pour la fin les deux pièces principales, d'abord le
Shylock de G. Fauré (musique de scène pour la comédie d'Edmon?!
Haraucouri), ensemble de six p§jits morceaux absolument char-
mants, pleins de ces trouvailles mélodico-iiarmonicpies propres à
la fine nature de Fauré et qui rendent sa musique si personnelle;
il y a notamment, à la fin du Nocturne (bien joué par Marsick)
une suspension de la tonalité qui produit^utr effet de' fîélenle
d'une nouveauté el d'un charme étranges?^
Le concerl se terminait par la 6« Béatitude de César Franck.
Non ! je ne connais rien en musiquC\VOcalc qui approche de l'im-
pression de cà'mc sérénité produite j)ar le sublime chœur en fa
majeur sur l«s paroles : Heureux les cœurs purs, c'est de l'art
vraimcnl haut et insoucieux des bravos immédiats, c'est de VArt
enfin, qui console de tous les misérables Dante el autres Ascanio.
Celle admirable Béatitude a dignement clos la série des Con-
certs de 1890, où la Société nationale a mis au jour dix sept
œuvres d'orchesire inédites cl donné, en première audition à
Paris, huit œuvres avec chœurs, dont' les deux premières scènes ,
de Gwendoline de Chabrier, .sept œuvres nouvelles de musique
de chambre, parmi lesquelles le superbe quatuor à cordes de r.
•Franck et le 2« quatuor de Clazounow, el une quarantaine de
mélodies ou pièces pour piano.
On traite communément, dans un ccriaili'monde artistique (?),
la Sociélé nationale de petite chapelle ; je voudrais bien que l'on
pût me citer n'importe quelle grande église musicale ayant pré-
senté au publie, dan« ces six derniers mois, un total ôc soixante-
douze œuvres nouvelles ou non ertcore exécutées à Paris
Petite chroj^ique
C'est lo 2 juin que paraît chez Charpentier Le Possédé, de
Camille LemonnicM-, cette œuvre étrange dont Gil Bios uchv.yo,
en ce moment, la publication en tVuiilelon. A la suite du succès
obtenu par le roman, GilBlas a fait avec l'écrivain un traité
pour trois autres romans à paraître d'année en année. -
Camille Lomonnior reprendra à partir do mardi prochain la
publication de ses nouvelles.
VUnion littéraire ouvre un concours d(; romans, nouvelles,
contes ou récits en langue française, exclusivement réservé aux
écrivains de nationalité belge. Chaque envoi devra comprendre
la matière de cent à trois cent cinquante pages format Char-
pentier.
Un prix de 500 francs sera décerné à l'œuvre couronnée.
Dépôt des manuscrits avant le {"' mars 1891 chez le secrétaire
de VUnion littéraire, M. F. Descamps, rue du Pépin, 2-i, Bru-
xelles," auquel on peut s'adresser ppur tous renseignements.
Pour fêter l'achèvement des écoles de Saint-Josse-ten-Noode,
le conseil communal a déridé l'organisation d une fêle publique
qui aura lieu le dimanche 1" juin 4îrochain. Lcsenfanls des écoles
se rendront en cortège place Sainl-Josse, où sera chantée, à
cinq heures, une cantate « Instruction-Liberté », œuvre de
MM. Lucien Solvay el Henry Warnols. Elle sera exécutée par
4,200 enfants, sout'^nus par un orchestre d'harmonie composé
des meilleurs éléments des diverses sociétés de la commune.
Le cortège sera formé chausscode Haeclit et rue du Méridien. Il
se rendra place |Saint-Josse par l'avenue de l'Astronomie et
la chaussée de Louvain. Le ^Collège el le Conseil passeront
les élèves en revue à la Maison communale, à 4 12 heur>'s de
relevée.
>^yménée! M. Paul de Vigne, l'éminenl sculpteur, s'est uni le
21 courant SM""^ veuve Coppieters, née Aline Do Nayeri\
On nous écrit d'Anvers :
Nous avons eu l'occasion de visiter une intéressante exposition
organisée par le Cercle d'escrime d'Anvers. Il s'agit d'une collec-
tion de dessins, aquarelles et pastels de M. Frédéric Régamey, se
rapporlanl à l'art de l'épée. A côléde tharmanles illustrations de
l'AImanach de l'escrime de Vigoant, nous avons admiré une
importante série de portraits de tireurs parisiens, bruxellois,
gantois et anversois, — tous d'une élégance de facture exlréme-
mcnl remarquable. C'est d'un art h la fois très mondain et très
subtil.
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Bâle à Londres en. .
Milan à^ondres en .
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COMfIBITION MUSICALE
depuis les premiers éléntients de l'harmonie jusqu'à
la composition raisonnée du quatuor et des principales
formes de la musique pour piano par J.-G. Lobe.
Traduit de l'allemand (d'après la 5® édition) par
' Gustave Sandre.
VIII et 379 p. gr. in-8». Prix : broché, 10 fr.; relié, 12 fr.
Ce livre, dans lequel l'auteur a cherché à remplacer l'étude pure-
ment théorique et abstraite de l'harmonie par des exercices pratiques
de coinposition libre, fut accueilli, dès son apparition, par une
faveur marquée. La présente traduction mettra le public français à
même d'apprécier-un des ouvrages d'enseignement musical les plus
.estimés en Allemagne. -
■ V
Itriixelles, — Iinp. V* Monnom, 26, rue de l'Iodustrie.
</^
Dixième année. — N" 22.
Le numéro : 26 centimes.
Dimanche l^"" Juin 1890.
L'ART MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
. ■ ' ' ■ ■ - ^ ' •■■■"■' " . ' —'---
Comité de rédaction » Octave MAUS — Edmond PICARD — Émilb VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, uu an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. —ANNONCES : Ou traite à forfait.
Adresser toutes les communications à
l'administration générale de TArt Moderne, rue de l^Industrie, 26, Bruxelles.
^OMMAIRE.„
Le Théâtre Libre. — Louis Artan. — La Royal Academy. —
L'AnCIE* THEATRE DE LA MoNNAIE. UnE LETTRE. EXPOSITION
Chappel-KOstohs. — Bibliographie musicale. — Petite chro-
nique.
LE THEATRE-LIBRE
ln-4o, IV-186 p. Titre, Supplément et Table.
Paris, mai 1890. — Imp. Eugène Verneau.
Sans' nom d'auteur, mais d'Antoine, te fondateur,
Torganisateur, le propagateur de l'œuvre^^'Il y raconte,
sobrement mais avec l'éloquence puissamment démon-
strative des faits, des chitfres, des datés, cet événement
artistique extraordinaire : la création du Théâtre Libre,
qui commença il y a trois ans, et achève ce triennal après
avoir joué cent vingt-cinq actes inédits constituant
cinquante-six ouvrages, depuis le 30 mars 1887, jour
de la première représentation où fut produit notamment
Jacques Damour, jusques fin mai 1889, Sur ses pro-
grammes avaient été inscrits cinquante-neuf noms, dont
trente auteurs dramatiques n'ayant jamais été repré-
sentés et quatorze ayant été représentés une seule fois.
Telle fut la trouée faite par cet effort dans la routine et
les injustes refus subis par cette pléiade, qu'en peu de
temps vingt-trois de ces pièces, jusqu'alors dédaignées,
furent reprises sur ^d'autres scènes. Cette campagne
menée tambours battant, clairons claironnant avec un
étonnant succès, eut-^ses champs de bataille successifs,
d'abord dans la petite salle du passage de l'Elysée-
des-Beaux-Arts, puis au théâtre Montparnasse, puis
au"x Menus- Plaisirs. Présentement, les ressources
recueillies sont telles, qu'il s'agit de construire un
édifice spécial d'après les principes de Bayreuth.
Antoine, qui n'était qu'un employé de la Compagnie
du Gaz aux appointements de 1,800 fr. par an, qui
n'avait jamais jouê^ devant un vrai public, qui faisait
-Seulement partie d'un modeste cercle d'amateurs, , est
dévenu le chef incontesté d'une rénovation dramatique
à laquelle une partie considérable du public et de la
presse de Paris donne un incessant et décisif appui.
Le livre dont nous rendons compte çjit du plus haut
intérêt et restera une des curiosités artistiques et biblio-
graphiques de l'époque.
Après un bref Avant-propos, où l'auteur constate
l'existence d'une nouvelle génération d'auteurs drama-
tiques et la nécessité d'un rajeunissement des formules
théâtrales, où il afiirme aussi que son œuvre est d'inté-
rçt général et ignore les bas trafics en lesquels s'enlise
l'industrie des directeurs vulgaires, il- examine succes-
sivement l'historique de sa tentative, les résultats acquis,
les causes de la crise actuelle, la nécessité d'uh nouveau
\
V
théâtre, la nouvelle salle qu'il compte inaugurer, le
programme qu'il veut suivre pour les œuvres, les comé-
diens, la mise en scène, le régime de son entreprise, sa
réalisation financière. Dans des annexes, il donne des
citations de journaux sur cette période de trois ans, la
liste complète de* ouvrages représentés, les budgets des
. deux dernières saisons. Tout cela est curieux et instruc-
tif au suprême degré et mérite que nous le résunaions.
Rarement on aura vu, en un temps si court, une telle
révolution s'accomplir. Elle contraste, sous ce rapport,
avec la lenteur des transformations dans les autres
arts : la musique, lapeinture, la littérature. Elle mon-
tre qu'il faut non seulement espérer, mais avoir la con-
viction que, malgré toutes les résistances, les novateurs-
sont assurés du triomphe. Que les hésitants et les néo-
phobes se le tiennent pour dit.
A ce point de vue, il importe de rappeler d'abord les
prédictions, grotesquement démenties par l'événement,
et les dédains aujourd'hui ridicules, de quelques augures.
< Malicieusement, Antoine les reproduit, sans commen-
\ taires. Avant les douze mille articles que les journaux
ont consacrés au ThéâtrerLibre, depuis qu'il est devenu
, une institution au sujet de laquelle on ne peut se taire
(ils vous étonnent, n'est-ce pas, ô Bruxellois, mes frères,
tous ces chiffres quasi-fabuleux?), des princes de la cri-
tique avaient formulé des consultations, notamment sur
la Puissance des Ténèbres, le fameux drame en six
actes et en prose du comte Léon Tolstoï. Antoine allait
lé jouer- à Paris avec un succès qui restera légendaire.
M. Alexandre Dumas fils, M. Victorien Sardou,
M. Emile Augier, trois experts selon la routine, en
parlèrent comme suit ayant la représentation :
Le pnEMiER : Au point de vue de noire scène française, je ne
crois pas qiic la pièce de M. Tolsloï soit possible. Elle est trop
sombre. Aucun des personnages n'est sympathique, et le langage
que parle Akimj'^ar exemple, serait toul-à-fait incômpréhensîble
chez nous. La Nikila, si étrange et si vraie, ne paraît qu'ennuyeuse
au commencement et odieuse à la fin.
. Le deuxième : C'est cruellement vrai et très beau ; mais c'est
fait pour être lu et non pour être viî, et, à mon avis, injouable.
Tout ce que l'on tentera pour le rendre possible au théâtre ne
réussira qu'à le gûler sans profit..
Le troisième : C'est moijis une pièce qu'un roman dialogué
dont la longueur serait insupportable sur une scène française.
C'est cette pièce injouable, impossible, insupportable
dans laquelle Antoine se lança avec sa belle témérité de
révolutionnaire, et qui souleva l'enthousiasme. Le len-
demain toute la presse, y compris le Journal des Dé-
bats et M. Jules Lemaître, y compris M. Auguste Vitu
et le Figaro, furent forcés d'en convenir.
Le Figaro! Il est réjouissant de voir comment, avec
sa suffisance sémitique, l'Albert Wolfl'que l'on sait, écri-
vait à Antoine, avant ses succès ! Antoine avait sollicité
dix lignes,, rien que dix lignes (non payées; il est vrai ;
il était si besogneux alors !), rien que dix lignes dans le
Courrier de Paris pour signaler ses projets. Il lui fut
répondu en ces termes insolents et goguenards :
Saint-Germain-cn-Laye.
Monsieur, .
Votre lettre m'a singulièrement intéressé, mais vous vous exa-
gérez singulièrement l'influence que je pourrais avoir sur les des-
tinées du Théûtre-Libre.
Il vous faut 7 ou 8,000 francs et vous jugez que "rien ne sérail
plus facile que de vous procurer celte somme.
Prenez 20,000 francs, dit une femme mariée à Thibousl, el
fuyons à l'étranger.
Je veux bien prendre 20,000 francs, répondit le vaudevilliste,
mais dites-moi oiï?
Vous pensez que dix lignes de moi feront sortir les dits
8,000 francs des caisses.
Je vous dirai d'abord que la question du Théûlre-Librc n'entre
pas dans mes atlribulions, que Vitu est au Figaro pour cela.
J'ajoute que le pi<è/ic ne s'intéresse pas déinesurément à votre
tentative louable. Théaire-Libre ou non, que lui importe; il res-
tera sourd et ne donnera pas un sou.
Si 7 ou 8,000 francs peuvent faire vivre le Théâtre-Libre, Sar-
ccy, Vitu et tous les critiques les trouveront plus facilement que
moi. lls'agirail de trouver parmi nous 70 ou 80 personnes qui
consentissent chacune à donner cent francs. Les directeurs, les
auteurs en vue, les critiques et peut-être quelques journalistes.
Si un pareil mouvement se faisait en faveur du Théâtre-Libre,
tout irait bien ; mais je ne puis et ne veux en prendre Vinitiative
et j'ajoute que le moment est peu favorable; on n'est pas à Paris
et je vais rejoindre les autres dehors. Venez donc me voir vers le
15 septembre, nous causerons pli^s utilement. x
Recevez, Monsieur, mes salutations empressées.
■ . Albert WoLFF.
Assez sur ces préliminaires, toujours intéressants
pourtant à signaler , malgré l'inévitable répétition
des incidents-. Passons à l'exposé rapide du mémoire
explicatif d'Antoine', où tout est si simplement narré,
avec une confiance de jeune vainqueur, avec une séré-
nité de prédestiné. ■ ■
Il dit d'abord les causes de la crise actuelle qui sévit
dans le théâtre. La lassitude du public en présence de
spectacles toujours pareils, la production dramatique
étant limitée à une quinzaine d'auteurs qui font la
navette de théâtre en théâtre, monopolisent l'affiche et
servent toujours au spectateur la même mixture, dissi-
mulée sous un .simple changement d'étiquette. Chacun
a sa « marque « assez semblable, d'ailleurs, à celle du
voisin, chacun fait constamment la même pièce, un
peu plus mal à chaque récidive parce que l'âgé vient et
que le tour de main s'alourdit. Les directeurs ne se
lassent pas d'offrir au public ces fruits de la décrépitude^,
mais le public, saturé, s'en détourne et passe^son
chemin.
Donc, cause première de la crise, un impérieux
BESOIN DE NOUVEAU.
Ensuite, incommodité des salles actuelles. Sans
rappeler un désastre présent à toutes les mémoires,
désastre dû surtout, qu'on veuille bien y penser, à l'exi-
guité des dégagements, il est bien permis de poser en
fait que tous nos théâtres, — disons presque tous pour
ne décourager personne^ — sont construits et aménagés
dans des conditions d'insécurité et d'inconfortable
absolument évidentes.
Troisième cause, la cherté des places. Par une
marche progressive dont l'illogisme a lieu de surprendre,
par un étrange renversement de la transformation
sociale qui s'opère partout sous nos yeux, alors que « le
meilleur marché » est, depuis cinquante ans, devenu la
loi universelle, que le prix des journaux a constamment
diminué, que les moyens de transport sont de plus en
plus faciles et de moins en moins coûteux, que l'indus-
drie, que le commerce s'ingénient à fabriquer et à
vendre leurs produits meilleur marché, qu'on va pour
trois sous de Bercy à. Auteuil et qu'on traverse pour
quelques louis la France d'un bout à l'autre, pourquoi
les théâtres, se butant contre une irrésistible force, ont-
ils sans cesse augmenté leurs tarifs, au point qu'un fau-
teuil coûte trois fois plus cher qu'il y a quarante ans,
qu'une loge est inabordable et, qu'à moins d'un fort
budget, le spectateur, chassé de l'orchestre et du balcon,
seules places tolérables, est forcé de grimper au second
et au troisième étages, d^s de petites cases où il est
aussi mal installé que sur une impériale d'omnibus, avec
la chaleur en plus et l'agrément de la rue en moins?
Le résultat d'une telle situation est qu'en dehors du
billet de faveur,' — cette plaie que les directeurs, tenan-
ciers avides mais maladroits, ont fait naître, qu'ils ont
complaisamment développée et dont ils souffrent
aujourd'hui au point de lui attribuer naïvement to^tes
leurs infortunes, — en dehors du billet de faveur, le
théâtre qui était autrefois un plaisir possible, à la portée
de toutes les bourses, est devenu un véritable « luxe »,
restreignant ainsi peu à peu sa clientèle, diminuant ses
recettes à mesure qu'il augmentait ses prix, et chassant
lentement le grand public vers les cafés-concerts e't les
spectacles acrobatiques.
Quatrième cause de décadence, la désorganisation
DES TROUPES DE COMÉDIENS. Ici cncore, on se hturte à
une maladresse qui désarmerait toute critique si elle
n'avait d'aussi désastreuses conséquences. ,
Alors que l'interprétation d'un ouvrage exige, avant
tout, une qualité tellement essentielle qu'elle dispense
des autres, l'ensemble, condition sans laquelle l'œuvre
littéraire est défigurée et massacrée comme le serait
une œuvre musicale dont les exécutants 'ne joue-
raient pas en mesure, les directeurs, substituant au
système de l'ensemble le système des étoiles, mettent en
vedette un ou deux noms connus et cotés, pur-sangs
dont ils paient à prix d'or la course plus ou moins bril-
lante, et entourent ces grands favoris souvent fatigués
mais tenant toujours la corde, de malheureux acteurs
recrutés au hasard pour servir de repoussoirs aux têtes
d'affiches. De cette interprétation hétéroclite résulte
une absolue déformation de l'œuvre, d'où nouvelle et
irrémédiable cause de répulsion pour le public intel-
ligent. . •
En résumé, le théâtre actuel offre au spectateur des
pièces sans intérêt, dans des salles déploràblement
agencées, à des prix exorbitants, avec des troupes
sans cohésion.
Tels sont les principaux vices à réformer, tels sont
les points essentiels sur lesquels il faut insister de façon
à conclure que les quatre réformes suivantes sont indis-
pensables : Pièces nouvelles, — Salle confortable, —
Places à bon marché, — Troupe d'ensemble. Là est le
programme de la. tentative nouvelle. Nous le dévelop-
perons dans la suite de cette étude. Rien n'est plus
digne, pensons-nous, d'intéresser le public spécial de
l'Art moderne, composé d'Esthètes et de Néophiles.
LOUIS ART AN
La dernière fois que nous le vîmes, c'était à l'automne, à
l'époque où les fortes marées battent comme un bélier redoutable
celte côte de la mer du Nord où il passa sa vie. Et toujours sa
silhouette amaigrie, profilée sur les clairs horizons de septembre,
demeurera dans nos souvenirs, unie au spectacle des vagues
tumultueuses qui frappaient la digue d'Oslende et couvraient
d'embruns les villas, avcc~dcs détonations d'artillerie.
Un dandysme bizarre lui avait fait adopter un costume stricte-
monl ajusté qui paraissait le fourreau de celte lame d'épée,
droite eLilexible, en laquelle la nature avait forgé son corps.
Mince, tout en. profil, le geste nerveux, le visage — ce brun
visage d'hidalgo — tanné par le soleil et le vent du large, il arpen-
tait la digue d'un pas 'souverainement dédaigneux des rafales, des
bourrasques, des soudaines inondations. On le sentait sur ses
domaines, rivé à ces grèves dont il avait, depuis trente ans cl
plus, battu le territoire, scruté de ses yeuxjnquisitcurs les recoins
les plus ignorés.
La mer, il 1^ connaissait dans ses infinies transformations, dans
son humeur capricieuse, dans la subiilité de ses plus délicates
nuances. Et Icbouleverscmenl amené par l'équinoxe d'automne,
ces trohibes pfojelées sut: les cslacadcs qui arrachaient les balus-
Iraijes et brisaient les éclitilies, ces lames qui balayaient le carre-
lage de la digue, ces coups de vent qui faisaient gémir le phare et
remuaient les cheminées le laissaienl calme, immuablement. Il
observait d'un rogardT?irnquille la bousculade des flots, éludianl
les rythmes heurtés des ligues et l'harmonie raflinée des couleurs
que provoquaient ces prodigieux phénomènes.
Nous passâmes des heures ensemble dans une hospilalière
demeure où d'anciennes amitiés réveillèrent chez le peintre des
souvenirs de jadis, évoqués en anecdotes, en traits incisifs, en
taquineries sans fiel.
Et bien qu'il fût usé, lui aussi, par les naufrages de la vie,
Artan nous apparut tel que nous l'avions connu de tout temps.
depuis ses triomphâmes bagarres pour la défense des idées géné-
reuses el indépendantes, depuis ses querelles en faveur de l'Art
libre contre l'académisante routine. Il retrouva sa verve, son
hùnî,our, son esprit railleur. L'âge était venu, toutefois, qui avait
amené en ce tempérament batailleur la philosophie de la rési-
. gnalion. Et rinclémençc de la vie (n'est-ce pas fatal en notre pays
de bourgeoise prospérité?) avait, sans ébrçcho^r l'esprit, miné et
affaibli le corps." '
En cette soirée que l'irrévocable de la récente catastrophe
empreint de mélancolie, l'art eut sa large part : c'était la grande,
l'unique absorption d'Arlan. Quelqu'un h qui, contemporain du
peintre, nous demandions ces jours-cides notes pour la biographie
de l'artiste, nous répondit : « A quOi bon? Il peignit la mer, tou-
jours-, toute sa vie. Cela suffît. Que voulez-vous dire de plus? »
Ce fut, en effet, la passion dominante d'Artan. Il se voua au culte
de la mer avec une ferveur qui ne faillit jamais. En aucune cir-
constance il ne lui fut infidèle. Et l'on peut dire que si l'hisloire
de l'art relate bon nombre d'artistes qui peignirent des bateaux,
des batailles navales, des ports, des matelots, il n'en est pas un
qui, à l'exemple d'Artan, peignit La Mer, exclusivement la mer,
et qui sut y apporter une pareille variété d'expression. 'On a pu
voir, à l'un des derniers Salons des XX^ une dizaine de toiles du
maître attestant cette qualité rare.
Joignons l'appréciation que fit du talent d'Artan Camille
Lemonnier'dans son Histoire des Beaux-Arts, au salut dont
nous avons honoré la mémoire de l'artiste, de l'ami que la mort
vient d'abattre.
Louis Artan s'initie aux poésies de la mer, en peintre admira-
blement doué pour saisir les jeux fugitifs de la lumière. Colo-
riste très fin, il fit miroiteries prismes des vagues, irrisa de reflets
nacrés les flaques déferlant sur la plage, donna aux sables l'espèce
de chaleur animée qui les rend pareils à du satin. On remarquait
chez lui, comme on l'avait remarquée chez Boulengcr, une sensi-
bilité de l'oeil plus grande que celle des autres peintres belges;
tous deux avaient dans les veines le mélange de la race française
et de la race flamande, la première nerveuse et affinée, la seconde
puissante et rassise, et celte double origine leur avait composé
une physionomie particulière,- où se combinaient la force et la
grâce.
La distinction unie à la vigueur est, en effet un des traits
imporlanls d'Arlan ; ses tons sont déliés, avec, des surfaces de
pûtes résistantes ; il a des audaces d'exécution tempérées par la
délicatesse du coloris ; il recherche les teintes amorties et pâles,
les bleus éteints, les verts noyés, les roses assoupis, un accord
d'harmonies en sourdine. Chez lui, comme chez les beaux pein-
tres du groupe auquel il se rattache, l'exécution prend une ani-
mation de vie; les touches se posent comme des caresses; une
vibration passe sur tout le champ de la toile et lui communique
une sorte d'électricité. Le rôle de la couleur, en effet, s'est élargi ;
elle ne sert plus. à revêtir l'interprétation d'un prisme vaguement
chatovant el convcntionel ; elle devient le mouvement et l'âme du
tableau. Remarquez avec quelles délicatesses elle exprime les
tons les plus fugitifs de l'atmosphère, avec quelle sûreté elle fixe
les fris les plus tendres; elle fait circuler partout la lumière, met
sur les choses une palpitation, donne aux arbres aussi bien
qu'aux vagues le frisson profond de l'être.
Au Salon de 1866, une première toile d'Artan, les Dunes aux
bords de la Mer du Nord, fait déjà pressentir la séduction de cet
art personnel. Trois ans après, sa manière s'aft'rme dans trois
• a?* /
notes robustes et fines, les Côtes de la mer du Nord, le Retour
de la pêche, \q Souvenir de la Manche. Il reparaît en 1872 avec
un Ouragan (côtes de la mer du Nord) et un Effet de lune (sou-
venir de Bretagne). Puis successivement, il expose la Plage de
B^rcfc (Pas-de-Calais), en 1875, et, en 1878, le Ville de Fies-
singueci\z Jetée dé Flessingue. Une large notoriété lui était
venue de cette vision particulière de la mer qu'il appporlaità
chaque Salon nouveau, non seulement aux Salons de Bruxelles,
mais à ceux d'Anvers el de Gand, où il occupait le premier rang
parmi les peintres de marines. On lui reprochait avec raison une
certaine confusion dans la trame, un manque d'équilibre dans
l'assiette des plans, l'absence de solidité dans le dessin. Il
semblait, en effet, que, dans le feu du travail, l'artiste négligeât
tout ce qui ne concourait pas immédiatement à l'effet. II était à
ce point préoccupé de saisir le ton dans sa mobilité, qu'il oubliait
d'assurer ses dessous par de fortes indications. Et il se montrait
vif, emporté, plein d'entrain, avec une spontanéité d'exécution
presque sans égale, au détriment des qualités moins brillantes
qui constituent le fond même des œuvres d'art.
Artan, comme Clays avant lui, avait nettement rompu avec la
tradition des grandes mers tourmentées. Les naufrages et les tem-
pêtes avaient fait leur temps : on en était venu à ne plus chercher
exclusivement le drame dans le mouvant empire des eaux, mais
prineipalenïent le mystère, l'émotion, la poésie. De même, le
paysage avait abandonné la recherche des aspects tragiques de la
terre ; un champ peint dans sa vérité de vie fermentante semblait
préférable à toutes les fantasmagories des ca^clysmes; on aimait
finalement la nature, comme une matrice sacrée. L'enchantement
des matins, la splendeur des crépuscules, l'infinie variété des
prismes que la lumière fait jouer dans les vagues devinrent l'idéal
des peintres de marine. C'est à peine si Artan abandonne les
côtes; quand il se lance au large, il n'oublie pas d'indiquer la
ligne pâle des dunes moutonnant à l'horizon; au milieu de ses
contemplations marines, la pensée de la terre le poursuit comme
celle d'un observatoire tranquille d'où il, peut assister avec séré-
nité à la bataille des flots. -
LA ROYAL ACADEMY
Depuis les quelques années que nous voici à Londres vers la*
même époque, celte exposition d'art officielle ne nous a encore
procuré auctine surprise.
On espère voir s'y affirmer les deux vraiment belles, quoique
opposées, tendances dont ces deux grands artistes, Whistler et
Burne-Jones sont les représentants à Londres, ou se lever
quclqu'autne qui entr'ouvrirait une nouvelle voie, mais rien. Le
Salon de Paris seul, ici, fait des victimes. Il envahit de son quel-
conque art d'habileté et d'apparat, l'école anglaise. Les jeiines
regardent vers le Palais de l'Industrie pour y chercher leur
déroute. Ils font des efforts vers une peinture de clarté et de plein
air. Timidement, toutefois, comme le firent et le font tous les
suivants de Bastien Lçpage.
Scènes d'intérieur crayeuses, au lieu d'être atmosphérées; vues
de ville avec des opacités de fonds bleus, paysages où le blanc d'ar-
gent domine, toute la veulerie de la fausse jeune peinture s'étale à
VAcademy. Voici des toiles qu'on croirait démarquées, tellement
elles rappellent des œuvres françaises, Whistler, Burne-Jones,
Watts sont comme s'ils n'existaient pas. Personne ne se dit qu'eux
VART MODERNE
173
seuls font à celte heure l'originalité de demain, qu'ils sont des
leveurs de barrière. On en parle ici comme de peintres excen-
triques, qui ne doivent ôlre écoutds, dont l'art jamais ne sera
compris. ^
Seules quelques personnalités, déjà d'antan, marquent à la
rampe. Mais elles non plus, quoique très officielles, ne font école.
La tendance jeune est ailleurs; elle est continentale.
Parmi les très importants représentants de l'art ang^Iais, voici "
Sir F. Leighton, Bart. P. R. A. Après tous ces titres, le moins est
qu'on le tienne en respect. Le peintre est à la peinture natio-
nale, ce que Tennyson est à la poésie. Ils sont deux lauréats
dont la patrie croit avoir besoin pour prétendre qu'elle n'est infé-
rieure à aucun pays en art et en lettres. Leurs photographies sont
placées aux vitrines parmi celles des hommes d'Etat. 11 est d\ine
bonne administratif n d'avoir ainsi certains noms qui font figure.
L'Angleterre les veut avoir.
Leighton, en réalité, cstunema'nièrc de Monsieur Bouguereau très
dédaigneux de la couleur et très attentif à dessiner froidement et
correctement. Il adore l'antiquité et sa recherche c'est de réaliser
une sorte de grâce grecque adaptée à une sorte de mélancolie
distinguée moderne. Ses femmes se dévêtent tristement, s'assoient
en des poses pensives, prennent des attitudes longues et lentes.
Il étudie précieusement les plis des voiles et des robes et les
enroulements et les tresses des chevelures. Ses cadres sont
soignés.
Pointer et Collier peignent des marbres aussi bien que Benja-
min Constant et jettent des corps nus de femme'S sur des tapis
et des fleurs; Pcltie et Lucas font des scènes de genre, parfois
des portraits, et tous entourent royalacadémiquement Sir F.
Leighton.
Un peintre, bien qu'il soit de la R. A., un vrai peintre est
W. Q. Orchardson. Ses sujets? — banals souvent, futiles même.
Mais son élégance est si spéciale, son pbservation'parfois si réelle,
la vie de ses acteurs si minuticusemVnt .parlante ou silencieuse.
Et sa couleur, quoique conventionnelle, se joue en des harmo-
nies dorées si complètes. 11 peint, dirait-on, comme on improvise;
il a la touche fondante et toutefois nerveuse; il aime les vieilles
choses pour leur éclat assourdi et leur ûme de gloire triste. On
ihe North Forelandet un portrait constituent son présent envoi.
Herkomer s'impose par de graves portraits et un paysage soljde
et fort. C'est de l'art sérieux et méritant. Trop 'de mérite —
ordinaire.
Heureusement voici Watts. X la rampe il étale un chef-
d'œuvre ; A patient life of mireivarded toil. Cette idée de
fatigue irrécompensée, il(t'^\prime en se servant d'un animal, le
cheval, au lieu de prendre n'importe quel exemple de labeur
humain. L'art de ce peintre a ceci de caractéristique, 'que toujours
il s'approfondit jusqu'à la pensée. Tous ces tableaux en témoi-
gnent.
Le pauvre «: horse » éreinté qu'il a peint cette année,
cette pauvre bêle de peine, creusée par ses années de sér- '
vice et si résignée pourtant, si mélancolique et si seule et si
muette de toute révolte devant un bois de ronces et de souches,
devient une synthèse de douleur tranquille. L'impression est
très intense.
M. Watts a la couleur vinaigrée et Alcoolisée, le dessin fruste.
Et ces moyens d'expression presque d'un barbare, mais d'un
barbare très savant, concourent plus que nuls autres à fortifier
son art de vrai Anglo-Saxon. /
Restent encore à signaler les Rcid, les Bougthon, les Aumô-
nier, toute cette série de paysagistes d'il y a quinze ans dont
aucun ne dégénère. On se demande vraiment, pourquoi lesjeunes
ne les continuent pas au lieu de s'encanailler au Salon de Paris.
Puisxencore voici Williequi torche ses marines habituelles et
Moore qui les hache et les casse. A mçtlre à part le Davy Jones's
Locker du premier.
Les aquarellistes se tiennent mieux dans la tradition anglaise,
quelques-unes vont .même vers les préraphaélites, tels que Cham-
bers et Henry Holiday.
Ain bas-relief en [ lâtre de Harry Baies, nous a arrêté un ins-
tant. C'est un Ensevelissement conçu à la façon des Italiens du
XV* siècle avec draperies et personnages symétriques à genoux
des deux cotés du corps gisant. L'ordonnance est simple, naïve
et belle. L'exécution amp!e, quoique discrète.
L'exarçcn de la Grosvenor, de la New G(iUery,c[û(i la légende
of Briar Rose par Burne Jones, suivra ce premier compte-rendu
d'expositons anglaises durant la présente saison.
L'ANCIEN THÉÂTRE DE LA MONNAIE
On nous communique le document ci-après, qui complète celui
que nous avons publié dans noire dernier numéro, et qui, de
même que le premier, manque a^x pièces recueillies par
M. 'Jacques Isnardon dans l'intéressante publication qu'il a con-
sacrée au 7'heiUre de In Monnaie depuis sa fondation jusqu'à nos
jours (1).
Dekpar le Tribunal Auliqle de l' Empereur et Roi
Articles additionnels au règlement pour le maintien de la
police et du bon ordre au Thi'dtre de Bruxelles du -21 mars ITSf.
Article Premier
Les acteurs, actrices et autres suppôts du "spectacle ne poutre ni
se tenir dans la salle pour voir les rep'-ésentations. ailleurs que
dans l'un des ampliilhécitrcs au fond du parterre.
II
Aucun acteur, actrice, ni auire suppôt de la troupe ne pourra,
soit qu'il se trouve dans cet amphithéâtre ou dans les coulisse*.
applaudir quelque acteur, qcirice, danseur ou danseuse que ce
soit, ni faire aucune espèce de bruit ou de rumeur, à peine d'éire
puni sur le champ soit par la prison ou aulremint, selon lexir
gence du cas.
Les présents articles seront imprimés et publiés h la troupe et
resteront constamment atîichés avec le règlement du "27 mars
dernier au foïer de la Comédie, pour que personne n'en'Lgnore.
^ Fait à Bruxelles, au Tribunal Aulique de Sa Majesté, le 1 sep-
tembre 1781. Etoit paraphé, le C* v'. Signé J. -F. l'Oriyo.
A Bruxelles, de l'Imprimerie royale.
Mox Cher Directeur,
M. Arthur Stevens, d'après ce que vous m'apprenez, so serait
ému, — pour son frère, — d'une phrase de l'artitulet que je
\ous avais envoyé et qui a paru, dans l'Art M-c-ilerne, ce dernier
dimanche.
' (1) Voir r^/( wo<ff;>if du 25 mai dernier.
174
L'ART MODERNE
Colle oîi j 'écrivais :
« F(5licicn Rops osl Belge, mais habile Paris. Cel arlisle extra-
ordinaire ne pourrait trouver dans nos collections publiques
aucune œuvre, — peinture, cau-forle ou dessin — griffée de son
nom. On lui préfère tes récents produits, Veuves cl Salomés, de
M. Alfred Stevens, le « peintre de la Modernité », n'est-cc-pas?
qui, lui aussi, tratnc la semelle dans la Ville-Lumière. »
« Qui traîne la semelle dans la Ville-Lumière. »
Mon intention n'était pas d'attribuer à cette expression un sens
désobligeant, — qu'elle a, paraît-il, — mais, seulement, signi-
fier : que, deux artistes, -:— insuffisamment appréciés en leur
patrie — la quittent, et traînent-dans la grande ville étrangère le
pesant souci d'exilés.
S'il vous plaît en faire pari à vos lecteurs, ce serait éviter une
équivoque qui, — je li* vois, — a pu contrarier ceux que j'ai
rilés.
Et croyez, mon clier Directeur, à mes cor baux sentiments.
Georges LeMmen.
Exposition Chappel-Kûstohs
Les murs du Ccrch'. artistique sont présentement tapissés :
ceux de la peliJe salle^ de natures mortes signées A. Cbappcl, —
l>oissons, gibier, fruits, victuailles de tous genres; ceux delà
grande, do paysages hollandais et de marines dus h M. Paul
Kùstobs.
Le premier de ces peintres est Anversois. La couleur sirupeuse
■ (le ses toiles, l'absolu manque de giût qu'elles révèlent, éloignent
d'uno fabrication qui paraît abonlanle. M. Chappol a une incon-
l 'Stable facilité de brosse, une habileté de décorateur qui doit
plaire à telle catégorie de personnes pour qui les expressions :
sens arlisle, distinction, sont choses inconnues.
Le second semble s,e„râltacber à Courlens, dont il a le coloris
bruyant, les pftles lourdes, la facture maçonnée. Une gaucherie
iTailieurs absoluè^peu d'observations dans les valeurs, un dessin
insuffisant (voir spéciah'inenl In Vache blanche), mais de ci, de
là, une pointe de sentiment qui annonce, vnguement encore, un
|ieu plus qu'un broyeur de tons approximatifs. ^
Un venl frais passe sur les E.^t'icades d'Oslende, et tels champs
de jacinthes et de tuli)»es font espérer un tempérament de peintre.
M. Kuslohs en est, pensons-nous, à ses débuts. Son exposition
ost cî^ihotanle, pleine de s'ories cl de tares que l'expérience, peut-
«êire, corrigera. Elle marque tout au moins beaucoup de bonne
volonté, et le louable désir d'exprimer loyalement les impressions
fugaces de la nature.
Bibliogrnjihie musicale
Tra«litionnellemenl, selon les formules autorisées par les plus
doctes facultés musical'S, M. Auguste Vaslersavendls, professeur
au Conservatoire de Mons et pianiste de valeur, a écrit un con-
certo pourpia7w et orchestre (op. 12j, que vient de publier l'édi-
teur Cranz, à Bruxelles. L'œuvre', pour n'apporter point de nou-
veauté, ni comme forme, ni comme fond,v n'en est pas moins une
composition de sérieux mérite, remarquablement écrite pour le
piano dont c\h fait valoir les ressources multiples, et d'un intérêt
soutenu malgré sa^ longueur. Elle se divise en trois parlies,''un
Allegro, un Andante et un final Vivace, comme tout concerto
qui se respecte, et chacune de ces parties développe deux sujets
choisis avec goût autour desquels rinstrumont concertant enroule
la fantaisie de ses arpèges, de ses traits, de ses trilles, de ses
gammes. OEuvre de virtuose, et, mieux que cela: œuvre de
musicien consciencieux et habile, rompu au métier, aimant son
art et le connaissant à fond. Nous ne parlons pas de l'orchestre,
la transcription pour deux pianos, qui seule est éditée, ne nous
permettant pas de le juger. Nous pensons qu'il serait intéressant
d'inscrire ce concerto de M. Vaslersavendls au programme d'un
de. nos concerts symplioniqucs, ofi il tiendrait une place très
honorable.
Du nième auteur, un ./4>idan/e (op. 3), extrait d'une sonate
pour piano et transcrit pour. violon et violoncelle avec accompa-
gnement de piano. -^.^_J^
EnTrance, la littérature musicale ne chôme pas, cl chaque
semaine voit éclore chez les éditeurs, tout comme les peintures à
l'huile et à l'eau dans les ateliers, toute une floraison d'oeuvres et.
d'œuvretles. C'est, chez MM. Enoch et Costallat, outre les très-
intéressantes compositions d'Emmanuel Chabrier dont nous parle-
rons spécialement, un printemps de choses tendres et souriantes,
des gavottes, des pavanes, des rondes, des chansons, des madri-
gaux, sur lesquels des vignettes imprimées en bleu d'azur et en
rose d'aurore, déroulent' de sémillantes théories d'amours, de
papilhns, d'hirondelles, dans des forêts de rêve et des paysages
^•liimériques. Les titres? Ils font la joie des pensionnaires senti-
mentales. Voici, parmi les jikis récemment épanouies, quelques-
unes de ces fleurs fragiles : d'André Messager, Neige rose (Armand
Silvestre), Chanson mélancolique (Catulle Mendès), la Chanson
des cerises (Armand Silvestre), toutes trois pour ténor ou soprano,
baryton ou mezzo. De M"« Chaminade, le Madrigal (G. van
Ormelingen) que si joliment chante M"'' Dyna Beumer de sa voix
flûiée et Anwurs d'automne (Armand Silvestre),' toutes deux pour
les quatre voix susdites ; puis, pour ténor, i^^rfl^j/i'/^ (M""* Hameau)
* et pour baryton les Deax Ménétriers (Richepin), De Lacome,
Balancelle (Armand Silvestre) et J'ai perdu Myrtille (M. Drack),
De Ferraris, J'ét<iis-là (M™* Blanchecotte), De Flégier , Au temps
des moissons (A. Marin).
Pour le piano, môme végétation touffue, même répertoire de
titres alléchants : Les Willis, Pierrette, Gigue (ChaminVie);
Menuet rose, Pavane, Marche russe (Louis Gaune); Le Refrain
des Braconniers (Paul Waclis).
- - I . * *
La même firme Enoch et Costallat abrite des œuvres d'une
visée supérieure, qui, sous leur apparence frivole, recèlent un
sentiment d'arl intense. Ce sont les hilarantes et ulira-fantaisisles
compositions d'Emmanuel Chabrier, qui a prouvé, en écrivant
Gtvendoline, que s'il aime à rire, il est capable aussi de faire
œuvre sérieuse el forte. Nous avons signalé déjà la Joyeuse
Maïrche pour orchestre, présentée au public par la Société
nationale, el dans laquelle le tempérament gavroche de
Chabrier éclate avec une verve, un humour, une gaieté irré-
sistibles. Une série d'œuvretles récemment écloses achève de
caractériser cette curieuse personnalité : la Vilanelle des petits
Canards, la Ballade des gros Dindons, la Pastorale des Cochons
roses, d'une bouffonnerie exprimée avec un art réel, échappent
à toute classification. Poùf la première fois pcul-élrc, la musique
,/
r
,..a
gain se dérobe aux vulgaril(''s de l'opc'-ra-bouffc et rit d'un large
rire aristopliancsque qui (:^tonncra quelque peu ceux qui affirment
que la génération française aclucllo est pleurarde et funèbre.
F-es Cigales (R. Gérard), et Vile heureuse (E. Mikhaël), deux
mélodies bien venues, complèlcnt le loi de M. Chabrior. M. Che-
ret a, pour la Joyeuse Marche, les Pelils Canards el les Gros
Dindons, prêté la collaboration de son crayon d'humoriste.
Petite CHROfnquE
M. Louis Obozinski, secrétaire du Cercle le Progrès, a eu une
idée originale cl amus-ante : c'est d'ouvrir, l'automne prochain, à
Bruxelles, une exposition générale de- poupées. La poupée à
travers les âges! La poupée dan^ toiile^ les nalions! La poupée
au Japon, la poupée de Nuremberg, la poupée qui dit papa et
maman, la poupée contem[)oraine, attifée comme une petite dame.
On pressent le parti qu'il y aura à tirer d'une idée de ce genre,
appelée à faire la joie dos onfmts, le bonheur et la sécurité des
familles. L'exposition aura lieu au bénéfice de Y Assiette de soupe
el de la Colonie scolaire, les deux œuvres patronées par le
Progrés, et, pour éviter à l'en!re|)rise tout caractère polilifjue,
au bénéfice aussi de \' Hospitalité de nuit (irés hospitalières,
d'ailleurs, les petites dames que ces poupées font mine de repré-
senter).
Une tombola sera jointe à l'exposition (et tirée, n'est-ce pas, le
jour de la Saint-Nicolas?) Dos représentations de piipazzi auront
lieu, au cours de l'exhibition, cela va sans dire. Et d'ici là, que
de projets, de perfoclionnemenis, de surprises!
On nous écrit de Liège :
Un concours dramatique pour le prix d'honneur a eu lieu
dimanche dernier, à Liégo, entre diverses sociétés d'amateurs.
C'est le Cercle dramatique de Schaerheek qui a décroché la. tim-
bale, battant YEuterpe, de Bruxelles. Les deux comédies jouées
par le Cercle dramatique, — Le Homard de Gondiiiet, et Les
Vieux Poulets (pièce inédite d'un membre du Cercle, M. Mon-
seur), avaient été mises en scène par >I. Gariner, — l'excellent
acteur des Galeries. Une artiste avait pris part b l'interprétation :
M""^ Madeleine Max. La Société rivale avait pour metteur en scène
M. Vcrmandele, professeur au Conservatoire de Bruxelles, et
entrait en ligne avec Le Feu au Couvent et Par devant Xotaire.
Une artiste faisait ég;dement partie dei la troupe : M"* Andrée
Bourgeois, du théâtre Molière. Ce concours, qui clôt une intéres-
sante série, a obtenu beaucoup de succès. La comédie de .M.j.Mon-
scur. Les vieux Poulets, a été surtout très goûtée.
La Société des grandes auditions musicales donnera, le 3 juin,
à rOdéon, la première représentation de Béatrice et Benédicl, de
Berlioz, une des plus belles œuvres du maître, maisaussi'une des
plus ignorées en France; elle n'a été jouée qu'en Allemagne et,
il y a (pielques semaines encore, on la reprenait h Vienne avec
un très grand succès.
La vente de la collection de M. Porto-Riche à la galerie Georges
Petit a produit 310,310 francs.
Le « 1814 » de Meis-^onier a été adjugé 131,000 fr. h MM. Bous-
sod et Valadon, ainsi que Le Hallebardier du même peintre,
29,000 fr. De Th. Rousseau, Pécheur levant ses filets, 27,400 fr.,
à M. Antony Roux. Du même, Les Marais, 16,200 fr. à M. de
Monlaignac. Corot, Courances, 6,600 fr. ; Après l'orage,
6,700 fr.; Daubigny, Bords de l'Oise, 9,500 fr. ; D az, Vile des
amours, 17,500 fr.; Ophélie, 4,400 fr. ; Isabey, Seigneurs sur
la plage. H, 500 fr. ; Y Enlèvement, 7,500 fr. ; Ch. Jacque, Berger
et son troupeau, 5,000 fr. ; Ziem, F«)iis«, 6,000 fr.
A propos de cette vente, .M. Georges de Porto-Riche, l'auteur
de YInfidéle, vient d'adresser à un journal parisien la lettre sui-
vante :
« Cher .Monsieur,
« Vous vous trompez. ^^ n'est pas moi, mais .M. Edgard
de Porto-Riche, qui vient de vendre à la salle P«iit sa col'ection
de tableaux. On est en général si peu disposi- à la bienveillance
envers les auteurs soupçonnés de richesse que. je vous serais
obligé de ne pas m'ailribuer plus longtemps la qualité de million-
naire, dont je ne fais pas fi, mais que je n'ai pas, que je n'ai
jamais eue, el qu'hélas ! je n'aurai probablement jamais..
Je suis un fils de famille qui a mal tourné, je fais des vors el ji^
n'ai pas le sou.
Agréez, cher Monsieur, l'assurance de ma parfaite considé-
rai ion.
Georges de Porto-Riche.
La même vertte a donné lieu à un incident curieux. Un amateur
qui posséilail un « !8I4 « du même artiste, fit annoncer par
le Figaro que son « 1814 >■> n'aviiil rien de commun avec celui
qui venait d'être vendu à la giderie Petit (ré:erne!> histoire
de Jean-Marie Farinai. Aussitôt, l'attention étant appelée sur
ce tableau, "un ex[ ert pari.-iien en offrit 300,000 t'rancs au
collectionneur, qui s'empressa d'accepter ce prix peu usité.
Mais quelle fut sa surprise en apprenant que l'expert avait
revendu, dans les huit jours, le même tableau, 830,000 francs,
réalisant ainsi, sans coup férir, l.i bagatelle de 330,000 francs!
Du sémilisme en plein, comme on voit.
Victor Nessler, le compositeur très appla^idi du Trompette de
Sdkkingen, massacré par la troupe de M"^« Marion au théûlre de
l'Alhambra, vient de mourir en Allemagne'.
r^
■ Le Figaro établit le calcul suivant:
Le Salon des Champs-Elysées comprend environ cinq mille
numéros 3,000
Celui du Camp de .Mars en compte quatorze cents . 1,400
Les Aquarellistes, en moyenne ._ 509,
Les Pastellistes, idem 300
^L'Union »les Femmes ....._ 1,000
Les Indépendants 1,000
Les expositions particulières de peintres bon an, mal
an. l.OOO
Total effrayant. . . 10,400
Cela fait approximativement trois cents objets plus ou moins
d'art que les artistes produisent par jour, sans^ompter ceux qu'ils
nous cachent.
On se demande avec effroi où l'on pourra caser tout cela dans
quelques années.
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Cologne à Londres en . . 13
Berlin à Londres en 24 » .
Vienne à Londres en.
B&le à Londres on. .
Milan à Londres en .
36 heures.
24 -
33 -
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Gustave Sandre.
VIII et 379 p. gr. in-8°. l'rix : broché, 10 fr.; relié, 12 fr.
Ce livre, dans lequel l'auteUr a cherché à remplacer l'étude pure-
ment théorique et abstraite de l'harmonie par des exercices pratiques
de composition libre, fut accueilli, dès son apparition, par une
faveur marquée. La présente traduction mettra le public français à
même d'apprécier un des ouvrages d'enseignement musical les plus
estimés en Allemagne.
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Dixième année. — N" 23.
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 8 Juin 1890.
ésl
L'ART MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Comité de rédactioA t Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. —ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser toutef les communications à
l'administration générale de l'Art Moderne, rue de rindustrie, 26, Bruxelles.
^OMMAIRE
Le Tiiéatre-Liure. — • Les Revenants » d'Ibsen au Théâtre-
Libre. — L"exp(isition Raffaëlli. — Albert Wolf embêté par
Antoine. — Struggle for médailles. — Que deviennent les
TABLEAUX? CHRONIQUE JUDICIAIRE DES ARTS. PeTITE CHRONIQKR.
LE THEATRE -LIE RE
Les lecteurs de Z'Ar^ »îOC?erne, Esthètes et Néophiles,
comme nous le disions, se seront intéressés, nous n'en
doutons pas, aux premiers renseignements que nous
avons donnés sur le passé, encore si court, de cette
audacieuse tentative, si promptement réussie.
Continuons cette analyse. Elle vaut, beaucoup comme
étude d'un phénomène d'éclosion du neuf dans un art
spécial, comme leçon triomphante aux Néophobes et
aux Mysonéistes, comme encouragement puissant à
ceux qui ne désespèrent jamais de l'En avant !
Le Théâtre- Libre qui, selon la prédiction d'un Pari-
sien autorisé, l'Albert WolfF du Figaro, devait baisser
le public indifl'érent, ne trouver aucun écho et faire
fermer les caisses, amenait, en trois années, cent vingt
mille francs entre les mains de l'organisateur. Le bruit
et l'influence s-en répandaient victorieusement en
Europe : à Londres, Bruxelles, Berlin, Pétersbourg,etc.
Un théâtre, avec une organisation analogue, s'installait
fructueusement à Berlin, une tentative semblable s'éla-
borait en Angleterre au milieu des sympathies de la
presse londonienne.
Et qu'on ne parle point de vogue, de succès- éphé-
mère. Paris entier est monté pendant toute une saison
vers un théâtre de banlieue. Depuis deux hivers, la
salle des Menus-Plaisirs est trop petite et ne suffit
plus aux demandes. Pour garder à ces soirées littéraires
leur caractère artistique, on a dû, chaque saison,
refuser plus de deux cents souscripteurs.
En même temps que le Théâtre-Libre pro.spérait, une
crise sévissait sur les théâtres parisiens. Comment
expliquer, sinon par un universel besoin de nouveau,
q*ie le public, dont le goût est si vif pour le théâtre, ait
déserté de grandes scènes, à tel point que plusieurs ont
été, cet hiverj' contraintes à des relâches de quinze jours
et d'un mois en pleine saison ?
L'heure n'est plus où le Théâtre-Libre doit seulement
donner à des jeunes gens la petite célébrité, le pied à
l'étrier. Puisque l'influence de la maison parait devoir
s'exercer dans l'ordre matériel, après avoir produit
quelques résultats intéressants dans l'ordre purement
théorique, il faut que la pièce apportée par un inconnu
ne lui donne .pas seulement la récompense morale de
Tœuvre faite; il faut que matériellement, en cas de
178
UART MOHERNE
succès, elle le mette en situation de produire d'autres
œuvres.
Longtemps, M. Antoine a cru que son œuvre reste-
rait, en sa forme actuelle, un simple laboratoire d'essai
d'où les jeunes gens, après avoir appris leur métier,
perfectionné leur art, élargi leur conception, iraient
agir sur d'autres scènes et remplacer leurs aînés
lorsque ceux-ci céderaient la place. Il a fallu renoncer
à cette utopie, car, et on doit le proclamer, toute une
coalition s'est formée, dès les premiers succès, contre la
tentative naissante, pour lui barrer la route. Les direc-
teurs de scènes littéraires, pour lesquels le Théiâtre-
Libre devait être, semblait-il, une pépinière d'auteurs
et de comédiens, une sorte de Conservatoire pratique et
accessible, se sont déclarés, sournoisement ou ouverte-
ment, les adversaires de ces nouveaux venus qui ne
demandaient qu'à aller vers eux.
Toutes les portes se sont fermées plus hermétique-
ment! Les rares essais tentés l'ont été dans des
conditions qui ne laissaient aucun doute sur la bienveil-
lance^et la bonne foi des imprésarios non pas intéressés,
mais seulement agacés par les succès de plusieurs jeunes
auteurs, succès que la presse commençait à constater
en les opposant à des fours de plus en plus nombreux.
Et le joli trafic des mœurs théâtrales d'à présent suit
son cours : auteurs médiocres admis aux honneurs de
la rampe moyennant des subventions et des comman-
dites secrètes, nouveaux venus dévalisés et contraints
pour être ji)ués à abandonner leurs droits d'auteurs.
Les. menaçantes inimitiés se sont accrues à mesure
que le succès s'affirmait ; alors que lés sympathies de la
presse et des littérateurs allaient grandissant, tout ce
qui vit aux dépens des auteurs, des artistes et du public,
poursuivait une guerre sourde et sans relâche contre la ,
maison.
Il n'y a ni grâce ni merci à attendre. Il faut porter
le débat devant le grand public. Il ne faut pas que,
comme son aînée, cette génération-ci d'hommes de
lettres, désespérant de surmonter tant d'obstacles, aban-
donne l'art dramatique pour se rejeter dans le livre ou
le journal. Il faut que les jeunes auteurs soient assurés
en écrivant une pièce, qu'elle sera accueillie sans arrière-
pensée dans une maison devenue leur et où ils ne seront
ni dévalisés ni étranglés.
Mais expliquons ce que sera la Salle nouvelle.
Elle est fort bien expliquée dans la brochure militante
de M. Antoine.Cinq planches en montrent tous les détails.
Il n'y aurait, assurément, aucune nécessité d'édifier
une nouvelle salle et le projet pourrait être, dès l'abord,
taxé d'inutilité, si la construction ne devait s'effectuer
dans des conditions particulières destinées à en faire la
salle modèle, conçue normalement et en vue des
exigences légitimes du spectateur qui veut et doit
trouver au théâtre le confortable et la sécurité.
La forme circulaire, adoptée généralement jusqu'ici,
condamne les deux tiers des spectateurs des étages
supérieurs à être placés littéralemélit les uns en face
des autres. L'action dramatique ne peut être suivie
par eux sur la scène, qu'en tournant péniblement la
tête. Si à la rigueur, toutes les personnes placées
au premier rang d'un étage peuvent jouir du spectacle,
les occupants des trois ou quatre rangs placés en arrière
sont obligés de se tenir debout, de s'arc-bouter, de se
pencher dans le vide pour apercevoir une très petite
partie du théâtre. On peut affirmer que dans tous les
théâtres actuels, il existe, aux deux derniers étages,
une série de places d'où l'on ne- voit absolument rien.
On peut avancer sans se tromper que sur douze cents
personnes, il y en a six cents, trois cents à droite, trois
cents à gauche, qui ne voient pas le spectacle dans
son intégralité. Tout l'art des décorateurs, toute la
partie pittoresque du spectacle^est perdue. Un tiers de
la salle n'entend pas.
• La forme circulaire d'une salle de^ théâtre est donc
contraire à une représentation rationnelle.
Le spectateur mal placé est encore plus mal installé ,
dans "des sièges étroits, chauds, poussiéreux, incom-
modes, d'accès difficile. Les couloirs de dégagement
sont encombrés par les vestiaires, desservis par un
personnel besoigneux, âpre, agaçant, despotique. Si,
l'entr'acte se prolongeant, on éprouve le besoin de
remuer, de fumer, de se rafraîchir, il faut sortir, piéti-
ner sous le péristyle, et aller faire, dans les courants
d'air, provision de rhumes et de bronchites.
Ces désagréments se paient très cher. Les bourgeois,
les petits commerçants, les ouvriers, sont tout à fait
exclus du théâtre. Les débours actuels d'une soirée au
spectacle représentent, pour la grosse moyenne du
public, deux ou trois journées de travail.
Nous irons encore longtemps avec les immeubles
actjiels qu'il faudrait reconstruire de fond en comble.
Un directeur bien intentionné, après avoir pris posses-
sion d'une salle existante, ne peut réaliser que d'insi-
gnifiantes améliorations, Si les fauteuils sont mieux
rembourrés, il ne saurait les déplacer, et s'il peut poser
de meilleurs tapis, il lui est impossible d'élargir les cou-
loire ou d'aérer les loges.
Une tentative nouvelle ne sera donc absolue, com-
plète, satisfaisante, qu'en partant tout de suite et
inexorablement de ce principe : édifier une salle de
théâtre pour le spectateur le plus mal placé de cette
salle. C'est ce millième auditeur qui doit nous occuper.
Et non seulement il faut lui donner un fauteuil où
il puisse s'asseoir, où il lui soit possible d'arriver sans
se briser les rotules, mais il faut placer le spectacle
qu'il vient voir, en face de lui, et nbn à sa droite ou
à sa gauche. Si l'on maintient les galeries dans la
forme actuelUe, c'est-à-dire si Ion place l'auditeUr au
u
dessus du tableau qu'il paie pour voir, il ne pourra,
même placé de face, que contempler le plancher du
théâtre ou, s'il est aux deux derniers étages, le crâne et
la raccourci des acteurs. •*™
On a donc été amené à supprimer les galeries et
toutes les places de côté, loges, baignoires ou pourtour.
C'est le principe même du théâtre de Bayreuth. i^
On a fractionné les foyers, de manière que les spec-
tateurs de la partie inférieure aient à leur disposition,
les uns à gauche, les autres à droite, deux vastes pro-
menoirs, d'accès facile. La partie supérieure de la salle
a été organisée de la même façon. Ainsi on n'aura plus la
cohue formée par le public affluant dans un unique salon.
Des fumoirs aérés, une salle de correspondance, un
salon de lecture pour les journaux du soir, sont aména-
gés ainsi que des cafés. On pourra se rafraîchir, écrire
un mot, télégraphier ou téléphoner, fumer, sans quitter
le théâtre, sans affronter le contrôle et, dans la saison
rigoureuse, sans exposer sa vie pour un mazagran.
Un local particulier sera mis à la disposition de la
Presse..
La suppression des vestiaires actuels s'imposait. Le
système le meilleur consisterait à laisser le spectateur
possesseur de ses objets de toilette. Le fauteuil même,
aménagé spécialement, servirait de vestiaire. On pour-
rait se vêtir et se dévêtir dans la salle. Le modèle-type
sera mis au concours.
Le spectateur, s'il ne s'est pas muni d'un billet dans
la journée, soit par correspondance, soit par le télé-
phone, recevra, en se présentant au guichet, un ticket
numéroté. Un système de numérotage, par rang et non
par catégories de places, permettra à chacun, au simple
vu du ticket, de connaître l'emplacement exact de son
fauteuil.
M. Antoine, fidèle à son programme, a voulu que le
plan de* cette salle et son exécution matérielle fussent
Confiés à un jeune architecte désirant faire ses preuves
et affirmer les tendances nouvelles. M. Henri Grand-
pierre s'est chargé de ce soin et, s'adjoignant
MM. Alexandre Charpentier, sculpteur, et ^Ibert Vail-
lant, pour la partie mécanique, il a établi, rendu pra-
tiques et scientifiquement réalisables les projets conçus.
Les plans et les calculs techniques, soumis à l'appré-
ciation de M. Eiffel, ont été reconnus absolument réali-
sables.
Un plafond mobile assurera l'aération de la salle dans
des conditions inconnues jusqu'ici et permettra d'ac-
complir, au soleil, dans la lumière et l'air respirable,
le long travail des répétitions journalières qui s'effectue,
on le sait, dans les théâtres actuels, au milieu d'une
atmosphère viciée, dans une vague et fatigante obscu-
rité.
Dans notre prochain numéro, nous parlerons de la
troupe et du programme.
(( LES REVENANTS » D'IBSEN AU THEATRE LIBRE
Toute la presse parisienne constate le nouveau et éclalpnt suc-
cès de M. Antoine. 11 a oaé une fois de plus. 11 a osé représenter
les Revenants du Norvégien Ibsen, qu'assurément MM. Alexandre
Dunïfls (le fils), Victorien Sardou et Emile Augier ont déclaré, ou dû.
déclarer, ou auraient déclaré « injouable, impossible, insuppor-
table » en France. Leur fameuse consultation triple sur la' Puis-
sance des Ténèbres de Léon Tolstoï, si magistralement camoufletée
par l'événement, a besoin d'un pendant.
L'interprélat1t)n des Revenants a été une des plus belles dont
le régalait encore été donné chez M.Antoine. Sans entrer dans le
détail, on peut la caractériser par un mot qu'a dit un compatriote
d'Ibsen :
« J'ai vu la pièce tf!openhague, à Londres, à Christiania. Eh
« bien ! on ne la joue ici ni comme en lîanemark, ni comme en
« Angleterre... On la joue comme la jouent en Norvège les
« artistes norvégiens. »
N'est-ce pas le plus bel éloge qu'on puisse adressera M"""'' Bar-
ny, Luce Colas, MM. Antoine, Arquillière et Janvier; et — si l'on
considère que ces vaillants artistes ont créé de. toutes pièces des
personnages dont ils n'avaient jamais oui parler — la plus écla-
tante sanction de la théorie d'Ibsen sur les revenants?
Il n'est pas inutile, pour marquer que désormais le Théûlre-Libre
va de succès en succès, d'ajouter que le drame norvégien était
accompagné d'une fantaisie ultra-parisienne, la Pêche, un acte
d'une noire et féroce ironie, dont le comique, suivant la pitto-.
resque expression de M. Rodolphe Darzens, vous arrache le rire
avec des tenailles, et où se retrouvent les qualités d'observation
sagace, la rigoureuse logique et l'esprit à l'emporle-pièce do
M. Henry Céard.
C'est, avec la fantaisie, d'un tour analogue, de MM. Paul Ginisty
et Jules Guérin, les Tourtereaux, que nous avons entendus à
Bruxelles, ce qui a été joué de plus intense, conrnie pièce en un
acte, au Théâtre-Libre. MM. Antoine et Ponsard, M"" Henrion,
France et la petite Laùr'ence la rendent admirablement.
L'EXPOSITION RAFFAÊLLI
{Correspondance spéciale de l'Art .moderne).
En celte même salle du boulevard Montmarlie, où, roT^iois qui
fut, Camille Pissarro nous livra des chefs-d'œuvre, c'est, depuis
quelques jours, Raffaëlli.
*" Ces deux Frères se sont retirés là, loin des profanes cxi-Iama-
lions, pour la seule joie des seuls artistes. ;
El tandis que les expositions eiffelesqucs attirent la Mode au
Champ-de-Mars, aux Champs-Elysées, voire au Palais où pas-a
un mois ce groupe bizarre dit : Indépendant, les quchiues lo'les
de Raffaëlli apparaissent très curieuses, surtout curicues.
De cet artiste, je ne dirai pas : c'est un grand ptintic! car il
n'apporte pas une de ces particularités qui classent les hommes
très haut entre tous, mais son talent est intéressant par quc!(|uos
façons de voir spéciales. Il n'est pas un chef d'école, mais il esl,
certes! un des triumvirs de l'impressionnisme : aux côtés
de Camille Pissarro et de Claude Monet, il conserve quelque pou
la tradition. Est-ce pour cela qu'il me semble inférieur à ses deux
frères? Cependant, si l'on base les degrés du talent des hommes ^
sur ce que leur personnalité ajoute aux siècles précédents, on doit
convenir que les novateurs sont Pissarro et Claude Monel. Supé-
rieur, ceMonet violent et âpre et ce Pissarro lumineux et
immense! Raffaëlli est leur trait d'union ; il les a subis dans leurs
emporiemenls et s'est efforcé de les rendre élastiques par son pin-
ceau.
Je ne m'inquiète pas de savoir si, Instoriquement, l'un a. pré-
cédé l'autre sur le chemin de l'impressionnisme : cela importe
peu! Les tableaux de Millcl, en effet, ne laissaient-ils pas entre-
voir une tendance au pointillé? et depuis Corot, la recherche du
vrai jour ne sourdait-elle pas? Eh bien, doit-on considérer ces
doux nobles artistes comme les créateurs de l'impressionnisme?
— La réponse est dans le saisissement que l'on éprouve la pre-
mière fois que Pissarro se révèle. Un naïf qui voit MilletyJ^k^t,
Courbet, même Moreau, trouvera beau ou laid, l)ien ou mal ; mais^
conduisez-le devant un Puvis de Chavannes, un Manet, un Pis-
sarro, il s'écriera : « Tiens! je n'ai jamais vu ça!... C'est un fou,
n'est-ce pas? qui l'a peint? ».
Je veux bien convenir que je suis comme «e naïf. Je n'ai pas
pensé un seul moment que M. Raffaëlli soii fou et je conclus à son
infériorité.
D'autant plus dur envers ce peintre qu'il me semble s'êire assi-
milé Monet et Pissarro, en tout ce que ceux-ci ont de fou, pour
faire de sa personne un fou trop raisonnable.
C'est bien la confusion crispée des rameaux de Monet que celle
des arbres (paysage 8) émergeant d'un talus terne en un temps
sombre, mais la crispation des taches ne se recroqueville pas
comme chet Monet, au contraire ! les arbres portent droites et
longues leurs branches sèches. Cjest bien aussi l'influence de Pis-
sarro qui incita Raffaëlli aux incohérents pointillés de cette place
de bourgade (n° 15) où passent —combien quoites! — deux cui-
sinières... — Oh Pissarro! vous n'avez pas ces cuisinières! Elles
sont très accortes quoique un peu indécises, avec de la vie très
confuse sous les jupes. Vous ne peindrez pas non plus ces
ouvriers solides, ce coupeur de bois (n" 2) aux forme» observées,
précises, ni le cordonnier ambulant qui travaille, celui-là, tandis
.que tant d'autres feignirent de travailler.
J'insiste sur celte note-ci, : Raffaëlli reste le peintre des
ouvriers. , '
Avec quelle rudesse il les campe ! Son crayon cingle, en des
hachis serrés, d'où naît, minutieusement ressentie, l'intimité des
pnolétaircs.
Comme tout cela est aigu! J.-K. Huysmans a dû rêver ses
œuvres peintes ainsi.
Certes, Raffaëlli eût mieux illustré A Rebours que Lucrèce
Borgia : car je les trouve très quelconques, simplement gauches,
les dessins qui avoisinenl des toiles étonnantes. J'ai eu le regret
de leur préférer Forain. Néanmoins, une pochade est très impres-
sionnante : c'est une brasserie sinistre où titubent deux soldats
près de la catin déhanchée — ce fut torché avec de la vomissure
d'ivrogne; l'atmosphère en est empoisonnée, blafarde.
Non loin contrastent les deux chefs-d'œuvre de cette Exposi-
tion : fleurs et grappes superbes, riches d'odeur et de saveur par
l'intensité troublante des couleurs. Je n'aime guère la « peinture
de fleur », ce ||<;nre étant resté l'apanage des demoiselles et des
commerçants, mais je fais une enthousiaste exception pour celles-ci
et pour une rose (d'un peintre peu connu) restée, malgré le temps,
très parfumée, en un coin du musée de Lyon.
Mais, quel que soit le talent qu'on y dépense, la. peinture de
fleurs ne vaudra jamais le paysage, aussi m'attarderai-je sur deux
tableaux où Raffaëlli a mis le meilleur de son art : or, le dessin en
est impeccable, l'exécution profondément fouillée, mais! la clarté
en est terne.
M. Raffaëlli n'a jamais vu le soleil. Quelle vie d'éternels cré-
puscules!
Et voici — encore et toujours ! — l'obsession de Pissarro : ce
dernier regorge d'éclats chauds dont les lointains fuient, intermi-
nables; des taches mises en harmonie jaillissent : senteur, fraî-
cheur, rudesse, sainteté de la terre sous un ciel qui est le ciel.
Contre lui la multiplicité des moyens matériels : il est monotone.
Ce défaut Raffaëlli l'évite, et fort naturellement, d'ailleurs. Je
l'explique : Raffaëlli voit le détail, Pissarro aperçoit l'ensemble.
Quelle merveille, ce premier plan d'un paysage des environs
de Paris — carrefour de routes jaunâtres ravagées par les ornières ,
où s'enfonce un paysan tranquille (n° 12)! — Mais comme ce
premier plan est écrasé par le lointain ! Comme le jour est cré-
pusculaire! C'est à ce tableau qu'il faudrait l'ampleur rayonnante
de Camille Pissarro!
De celui-ci, je regrette encore les gouaches dont des foules se
meuvent, lorsque je considère le champ de course où Raffaëlli a
étalé une série de taches ternes sans mouvements et d'une obser-
vation factice.
C'est là un reproche qui ne naît pas souvent lorsqu'on étudie
Raffaëlli; cet artiste est un consciencieux, un chercheur, un tra-
vailleur. D'un talent incontestable, il doit plaire davantage aux
« gens du métier », mais pour nous, lettrés préoccupés simple-
ment de l'impression et de la suggestion des peintures, enchantés
plutôt par la violence des procédés et des sensations que par la
précision et la science du peintre, Raffaëlli sera le peintre esti-
mable
P.Marids André.
ALBERT WOLFF EIIBËTË PAR ANTOIIVË
Danst? brochure rouge du Théâlre-Libreest insérée — nous
l'avons reproduite (1) — l'outrecuidante réponse de M: Albert Wolff
à M. Antoine, qui sollicitait naïvement de ce chroniqueur sémite
dix lignes de publicité gratuite en faveur de son entreprise artis-
tique. La publication de celle lettre irrite le journaliste, qui se
venge en déversant sur la têie d'Antoine une hottée d'insultes
dans un Courrier de Paris figarcsque paru le 28 mai : « M. Antoine
veut un vrai théâtre, qui ouvrirait ses portes toutes grandes
vers les huit heures du soir. Le malheureux ne pense pas que
du moment où 4e Théâlrc-Librc cessera d'être une sorte de
scène secrète où l'on peut tout se pcrmeilrc, il perdra du coup
ce qui a fait son succès ; il semble qu'en dehors du public des
raffinés qui pardonnent tout au talent, et de dépravés qui, pour
cent francs, se paient le malin plaisir de voir d'honnêies femmes
sourire devant des mots qui souvent feraient rougir un régi-
ment de cuirassiers, il y a un autre public, celui qui alimente les
autres théâtres, qui sifflerait, dans sa naïveté, ce qu'on applaudit
au boulevard de Strasbourg, et qui casserait les banquettes si on
représentait devant lui Lucie Pellegrin ou la Marmite. » Et
ceci : « Pour les quelques soirées intéressantes où le talent véri-
(1) Voir notre dernier numéro.
; ■■
lable s'est produit sur son ihéûlre, on lui a pardonné d'en avoir
fait si souvent une simple boîte à ordures ».
A ces phrases qui appellent les coups de bottes, M. Antoine
s'est contenté de répondre en rappelant, dans . un interview,
l'incurable ignorance du vieux chroniqueur, qui n'a jamais su
prévoir un avenir d'artiste et qui, toute sa vie, a bavé sur les
jeunes gloires qu'il avait mission d'appi-écier.
« Je comprends qu'il ne soit pas content. J'ai prouvé, en effet,
que cet homme qui a eu de l'esprit en 1860, a, il y a trois ans,
manqué non seulement de flair, — ce qui n'est pas un crime, —
mais encore de cette bonne et simple bienveillance qui doit être
l'apanage des riches. Le Théâtre-Libre avait besoin, pour ouvrir,
de sept à huit mille francs. J'avais publié une petite brochure
bleue où j'exposai mes vues et mes ambitions désintéressées ; je
demandai à M. Wolff dix lignes de publicité dans une de ses chro-
niques pour attirer l'attention s)jr cette brochure; je ne souhai-
tais qu'une chose : qu'on la lût. J'étais très jeune, — et combien
plus naïf! — je me figurais niaisement qu'il suffirait de ces dix
lignes signées Wolff pour que Tout-Paris dévorât mon projet.
M. Wolff n'a pas voulu les écrire... Il a bien fait, sans doute,
puisque j'ai réussi sans lui, — cl que j'ai pu, il y a un mois à
peine, monter une pièce de son neveu, M. Pierre Wolff. Mais j'ai
bien le droit de rappeler qu'il a refusé de ra'aider, et que, pour
éviter un conflit d'attributions, il m'a renvoyé à Vitu et à Sarcey !
Il aurait bien pu, alors, pour demeurer logique, et gardant jus-
qu'aujourd'hui ce scrupule très légitime, ne pas me consacrer, à
quatre reprises différentes, deux cent cinquante lignes d'injures,
moitié pour mon compte, moitié à mon œuvre, que je ne lui
demandais plus...
« On finira par croire que M. Wolff porte bonheur à ceux qu'il
délaisse et à ceux qu'il dénigre. Masseuel ne va pas mal, Manet,
dit-on, entrera au Louvre, et Zola à l'Académie, — n'en déplaise
^ son vieux adversaire. Le Théâtre-Libre ne peut que se montrer
flatté, en somme, d'avoir sa place dans cette << galerie des éreintés
de M. Wolff »; la compagnie n'est pas pour lui déplaire... »
Et celte conclusion :
« .M. Wolff a manifesté une fois de plus qu'il est ,fermé k la
compréhension de certaines choses et qu'il est irèp « vieux » pour
les apprendre.
« Je suis un « cabot », c'est vrai, mais un cabot qui adore le
théâtre, la vérité, la nouveauté, un cabot qui n'a pas l'amour du
lucre, et qui trouverait plus simple, s'il était vraiment intéressé,
d'entrer demain dans un théâtre où il gagnerait le triple de ce que
lui rapporte sa modeste direction d'un théâtre sans troupe, sans
salle, hélas, sans capitaux !
M Le Théâtre-Libre ouvrira en plein boulevard, au nez et à la
barbe de M. Wolff, malgré lui, malgré de tout-puissants adver-
saires, malgré les directeurs jaloux, les vaudevillistes aux abois,
les « maîtres du théâtre » qui sourient ou qui ragent; il ouvrira
sans subvention de l'Etat, avec le million de souscriptions dont je
suis déjà assuré, et avec l'autre million tout prêt; il ouvrira parce
qu'il est utile, indispensable, parce que le public l'attend, l'exige,
parce qu'il y a plus de jeunes que de vieux, et parce que rien ne
peut arrêter la poussée des jeunes sèves; il ouvrira et il
triomphera, enfin, juslemenu parce que M. Wofff lui a jeté un
sort ! »
• Et sur une riposte de s»n adversaire, M. Antoine le cloue au
mur d'un coup droit, en exhumant les extraits Suivants qu'il"
encarte dans une lettre adressée à l'Echo de Pans .-
« M. Albert Wolff a écrit ceci :
« Ma curiosité a glissé ces jours-ci dans une flaque de boue cl
de sang qui s'appelle Thérèse Raquin. Enthousiaste des crudités,
il (M. Zola) a publié déjà la Cofifession de Claude, qui était l'idylle
d'un étudiant et d'une prostituée : il voit la femme comme
M. Manet la peint, couleur de boue avec des maquillages roses.
Je ne sais si M. Zola a la force d'écrire un livre fin, délicat,
substantiel et décent. 11 faut de la volonté, de l'esprit, des idées
et du style pour renoncer aux violences, mais je puis déjà indi-
quer à l'auteur de Thérèse Raquin une conversion... » {Figaro
du 23 janvier 1868.)
Dans la suite de l'article, M. Albert Wolff proposait à M. Emile
Zola l'exemple de M. Jules Claretie, qui venait de publier un
volume...
M. Wolff décocha à Massenel une grêle de traits envenimés.
Dans le Figaro du 4 février 1868, une colonne de plaisanteries
déplacées. ,11 y eut une réponse de M. Massenel, alors débutant,
et tout un incident de presse qui se termina par une lettre de
M. Théodore Dubois, dont voici la conclusion {Figaro du 9 février
1868) :
« Le public qui vous lit dit en se frottant les mains : Ah ! ah I
ce Wolff est vraiment très drôle, mais il n'est -nullement rensei-
gné sur la valeur de l'œuvre; et vous, Monsieur, vous jetez, de
gaieté de cœur, le découragement dans l'esprit d'un jeune compo-
siteur qui peut avoir du talent et de l'avenir. »
Lors de l'apparition des Troyens de Berlioz, M. Albert Wolff
écrivait : '
« Ces hommes-là doivent tomber sous le ridicule, et si le ridi-
cule lue encore en France, l'auteur des Troyens n'a plus qu'à
s'occuper d'un joli petit monument. »(^flin;a«Jie du 7 novembre
1863.) • ■
El encore, lors du Vaisseau- Fan tome de Wagner :
« Tout ceci ressemble furieusemenl au Compositeur toqué, une
des plus délicieuses folies d'Hervé. » {Figaro du 4 février 1868.)
Après cela, M. Albert Wolff n'a plus répliqué: El il n'y avait rien
à répondre. Il est bon que ces choses soient connues ; car en
Belgique nous avons aussi nos Albert Wolff. Puissie la cinglante
leçon que vient d'administrer Antoine à leur proto-type leur
être salutaire à tous. Ainsi-soil-il.
i
STRUGGLE FOR MEDAILLES
La distribution des médailles aux peintres du Sîlon suggère à
Raoul Ponchon, de Gil Blas, quelques réflexions vraiment amu-
santes :
Au Palais de l'Industrie, on va décerner des médailles aux
rares peintres qui n'en ont pas encore. On fera monter d'une
classe ceux qui en ont déjà. Ainsi ceux qui ne sont que mention-
nés honorablement auront droit à la troisième classe. Les troi-
sième classe seront médaillés de seconde classe, et les seconde
classe hurleront après la première. Tel est le principe de la pein-
ture. Quand un peintre n'a plus rien à souhaiter comme récom-
pense, il ne veut plus entendre parler de médailles — pour les
autres — et va au Champ-de-Mars, où il continue son commerce.
Telle est la règle.
On pourrait croire que la première médaille est le dernier cri
de l'ambition de ces messieurs? Pas du tout. Il y a encore la
médaille d'honneur, qui leur est une sorte de bâton de maréchal.
182
L'ART MODERNE
Ils n'y arrivenl pas lous, mais tous en sonl frappés. Il faut bici)
l'avouer, on peinture comme en autre cliose, il y a des crétins.
Ceux-là n'arrivent jamais ([u'à la première médaille. Ainsi, il est
probable que Meissonier a du génie, et qu'il a eu la médaille
d'honneur? Oui. Je consulte les catalogues de n'importe quel
siècle, et je vois qu'il l'a eue! Aussi expose-t-i^au C!'amp-de-
'Marsel vend-il 850,000 francs. Tout est là.
Quoi qu'il en soit de celte barbe qui marche, la médaille d'hon-
neur resplendit comme un astre, et quelques vieux présomptueux
vont tantôt s'y brûler. 11 y a comme cela, tous les ans, quelques
m'as-tu vu de la peinture, qui sonl désignés par leurs confrères
comme étant mûrs pour affronter leur suffrage, d'autres qui se
désignent eux-mêmes pour l'affronter pareillement.
Voici déjà plusieurs années que M. Benjamin Constant la rate.
11 est certain qu'il l'aura un jour ou l'autre. Il suffit de le vouloir
ardemment. Il y a des insectes, dit Michelct, qui n'ont d'ailes que
parce qu'ils (/c'sù'CH/ voler!
Quand on m'a dit que M. Henner éiail sur les rangs, on m'a
beaucoup surpris. Je pensais qu'il était médaillé d'honneur depuis
l'annexion. Il faut la lui donner aussi, à lui, la médaille, puisqu'il
n? l'a pas et avant qu'il ne fasse plus^mauvais. Ah bien ! si l'on
l'accroche à un de ces deux navets, elle lui ira comme un faux-col
h un canard, je vous en réponds. Vous les avez vues les deux
blafardcurs que M. Henner expose celte année? C'est fichu comme
l'as de pique. Ça n'est ni dessiné, ni peint. On ne sait quelle
margarine il emploie pour cuisiner ses portraits. 11 les vend pour-
tant comme du beurre aux Américains. Il est vrai que ce sonl des
ânes on art et qu'ils achètent indifféremment des Millet et des
Rosa iîonheur, la vieille chocolatière. Si l'on doit donner la mé-
daille à rancienneté, M. Henner a des chances. Il a de nombreuses
afinécs de service, quinze campagnes, six bfessures el une cita-
lion à l'ordre du jour.
Deux paysagistes, MM. P'rançais et /Jarbrep\gnKS, concourent
également. Doit-on donner la médaille à un paysagiste?... Telle
est la question surannée que l'on va vous poser. On disait
naguère : Doit-on décorer un comédien? Maintenant que la déci-
sion est prise, on en décore un par jour. Donnez donc également
des médailles d'honneur aux paysagisteé. Ce sont .des hommes
comme les autres. Ils boivent davantage, mais c'est le grand air
qui veut ça. A qui des deux faut-il donner la médaille d'honneur?
Ils sonl mériianls tous les deux. Moi je dis : A celui qui peut
boire le plus de cognac.
Le chaudronnier Vollon aspire de même à celle médaille. Ça
n'est pas moi qui contesterai sa batterie de cuisine. Il peint une
casserole comme père et mère, et vous torche une citrouille comme
une nourrice fait un derrière d'enfant. Il serait pourtant doulou-
reux de voir accrocher une médaille d'honneur h un tableau qui
ne représente qu'une terrine cl une botte de poireaux, quand ils -
seraient peints avec une virtuosité voisine de l'ivresse
Ceci dit, voici, pour ceux que cela peut intéresser, le résultat
de la distribution des prix annuelle au Salon des Champs-Elysées :
Peinture. — Médaille d'honneur : M.. Français.
Médaille de l"^ classe : M. Richemont.
Médailles de 2« classe : MM. Le Licpvre, Fournier, Carpenlier,
Dompart, Gueldry, Lamy, Mcngin, Yarz, Chigol, Beauvais, PezanI,
Lambert, Bertrand (P.).
Sculpture. — Pas de médaille d'honneur.
Médailles do ii^^ classe : MM. Charpentier (F.-M.), et Puecli.
Médailles de 2" classe : MM. Gauquié, Pech, Dolivel, Mathel,
Rambaud, Icard. Tonnellier et Borrel (ces deux derniers graveurs
en médailles). ' ^
Architecture. — Médaille d'honneur : M. Redon.
, Médailles de i'* classe: MM. Fournereau cl Marcel.
Médailles de 2* classe : MM. Ridel, Espony cl Laffillée.
Gravure et lithographie. — Médaille d'honneur : M.
lermie.
Médaille de l'« classe : M. Levy (G.).
Médaille de 2" classe : M. Milius.
11 a été distribué en pulre une soixantaine de médailles de
3" classe et dix douzaines de mentions honorables.
Laguil-
Que deviennent les tableau^?
Hoeylaert, !«■• juin 1890.
Monsieur le Directeur de l'Arl Moderne. ■
Vous posez cette question dans votre dernier numéro, à l'occa-
sion d'une statistique du Figaro, qui démontre que l'on produit
en France, non pas trois cents comme vous dites, mais trente
tableaux par jour, soit plus de dix mille par an.
J'habite Hoeylaert, le pays des serres à raisin, le pays des -
miroitements sans nombre, le pays où des myriades d'alouettes
(étrange et charmant phénomène), attirées par tous ces scintil-
lements virent, revirent et débobincnl leurs cris, leurs petits
cris égayeurs, aussi multiples que les moucherons dans un rayon
de soleil au dessiis de cent hectares de vitrages.
Or, quand ce soleil cuit trop, il faut masquer celle mer de
vitres aux vagues immobiles. Cola se faisait jadis au moyen de
grandes toiles. Cela se fait maintenant par un procédé moins
cher, au moyen des tableaux qui n'ont pas trouvé acheteurs.
Après chaque grand Salon, il en arrive des tapissières; pleines. J'ai
reconnu, et je m'amuse à ces découvertes, nonjbre de toiles
peintes
Dont on eût fait de bonnes voiles,
Ou des chemises de maçons.
Voici qu'on en fait des parasols.
Il doit y avoir un commerce d'échange entre Hoeylaert et Paris.
Hoeylaert envoie ses raisins, Paris envoie ses peintures. Je m'in-
formerai.
Veuillez agréer, Monsieur le Directeur, mes salutations très
distinguées.
Un DE vos ABONNÉS.
Voilà une curieuse pratique. Ne fût-elle pas en usage qu'elle
mériterait de l'être. Avis aux viticulteurs.
' Chronique judiciaire de^ ^rt?
Artiste et Critique.
Les journaux anglais rendent compte d'un bien curieux procès.
Le Siinday Times avait affirmé qu'un acteur, nommé Terris, au
cours d'une tournée en Amérique, avait été plutôt froidement
accueilli par le public de New-York.
Terris s'en est offensé. Il en a appelé au tribunal ; cl comme il
a pu, au contraire, démontrer qu'il avait été rappelé huit ou neuf
fois, la cour lui a alloué 200 livres (5,000 francs) de dommages-
intérêts. »
.J
La Gavotte Stéphanie.
M. Czibulka a été « plagié » par M. Froehlicli, et voici la
GavoUe Stéphanie cl la Krolewna Gayoot aux prises, devant le
tribunal de Cracovie, qui envoie les plaideurs... danser ailleurs.
Appel. Et devant la cour, le plaignant fait jouer successivement
les deux gavottes sur le violon. L'identité apparaît, et les conseil-
lers fléirissent le compositeur indélicat d'une amende et d'une
condamnation aux dépens, avec saisie des exemplaires, destruc-
tion des planches, bref : le grand jeu. ,
Petite chrojmique
J/ouverture des concours publics du Conservatoire, avec le
petit concert d'usage, est fixée 'au lundi i6 juin à 3 heures. Le
lèîidemain malin commenceront les épreuves qui, durant un
mois, font battre des cœurs ingénus et mouillent de larmes les
mouchoirs des mamans... Voici l'ordre des concours :
Mardi 17 juin, à 9 heures, Instruments à embouchure (trom-
bone, trompette, cor). — Mercredi 48, à 8 heures, Instruments
à anche (basson, hautbois, clarinette) et flûte. — Vendredi, 20, à
9 heures. Musique de chambre avec piano; à 2 heures, id. (cours
supérieur). — Lundi 23, à 3 heures, Orgue. — Mercredi 23, à .
10 heures, Alto; à 2 heures, Violoncelle. — Vendredi 27, à
2 heures, Harpe et piano (hommes). — Samedi 28, à 2 heures,
Pifljjo (demoiselles). Prix Laure Van Cutsem. — Mardi l*"" juillet,
à 2 heures, Violon. — Mercredi 2, à 9 heures et à 2 heures.
Violon, — Vendredi 4, à 10 heures (h huis clos), C/jah/ (hommes) ;
à 2 heures, Chant (demoiselles). — Samedi 5, à 10 heures.
Chant théâtral (hommes); k 2 heures, id. (demoiselles) et duos
de chambre. — Mardi 15, à 9 heures (à huis clos), déclamation ;
ii ^ heures, tragédie et comédie.
Le lundi de la Pentecôte ont commencé les représentations
fameuses d'Oberammergau.
Oberammergau est un petit village perdu des Alpes Bavaroises,
où, tous les dix ans, on donne une série de représentations de la
Passion. Ce spectacle n'est pas un reste des mystères du moyen-
âge c'est une représentation réaliste, sui geueris, instituée
en. 1633, comme les loleHes expiatoires de l'antiquité, à la suite
d'une épidémie de peste noire qui ravageait lo pays. Pour
conjurer le fléau et attendrir le ciel, l'abbé d'Eilal et les moines
de l'abbaye de qui relevait le pays d'Oberammergau firent le vœu
solennel de représenter tous les dix ans la Passion de Noire-
Seigneur. Ils tinrent parole. La première eut lieu en. 1634. Mais
ce n'est guère qu'au milieu de notre siècle que celte coutume fut
.connue du public et suivie.
Le grand artiste Edouard De Vrient, en 18o0, découvrit ce
spectacle et en parla avec enthousiasme. C'est depuis lors qu'une
sorte de pèlerinage de plus en plus important porte à Oberam-
mergau dévots, artistes et curieux.
Les représentations ont lieu celte année aux dates ci-après : 26
mai, 1", 8, 15, 16, 22, 23 et 29 juin ; 6, 13, 20, 23 el 27 juillet ; '
3, 6, 10, 17, 20, 24 et 31 août; 3, 7, 14, 21 et 28 septembre.
.\joutons, pour ceux de nos lecteurs que tenlerait un voyage
de vacances dans ces parages, quelques renseignements « tou-
ristiques ». X
En usant de billets circulaires combinés, le prix du voyage,
aller el retour, n'est que de 157 francs en première classe, de
118 francs en seconde classe.
Chaque jour de représentation, un train direct part de Munich
à 3 h. 10 du malin pour arriver k 6 h. 01 k Oberau, -d'où les
voyageurs sont transportés en voilure el arrivent k Oberammergau
vers 7 heures el demie.
Le retour peut avoir lieu le même soir par le train direct par-
tant d'Oberau k 7 h. 23 pour arriver k Munich k 10 h. 40 soir.
Des billets circulaires sont délivrés de Munich avec le parcours
suivant : Munich, Murnau, Oberau, Garmisch, Parlenkirchen,
Fussen, Biessenhofen, Munich,' et peuvent être utilisés pour la
visite des chûteaux du roi de Bavière. •
La vente de M"'« Carvalho a atteint le chiffre de 88,000 francs.
Le prix Je plus élevé a été atteint par le Chien au terrier de
Troyon.
On a adjugé : le ^oi//iM de Jules Dupré, 4,500 francs; le
Pêcheur de Diaz, 8,100 francs ; la Traite des vaches de Daubignv,
2,500 francs.
Une aquarelle d'Ingres : le Cardinal de Dabiena fiance sa nièce
à Raphaël, 3,800 francs.
Une rivale de la Tour Eiffel. . "' '
Elle s'appellera Columbus lower (la Tour de Clirislophe
Colomb). Elle s'élèvera k Chicago, où aura lieu l'exposition uni-
verselle de 1893. — (Vous voyez qu'elle a été reculée d'un an).
La lour sera permanente, aura 1,500 pieds de haut et 480 pieds
de diamètre k sa base; coût 2,000,000 de dollars, soit plus de
50,000,000 de francs. Elle sera prête six mois avant l'ouverture
de l'exposition.
MM. Charles Kinkie et R. Pohl de Washington, les architectes
qui ont fait le plan de l'Exposiiion de Philadelphie, ont préparc
le dessin de celte lour, et des capitalistes de Chicago el de l'Est
des Etats-Unis fourufronl les fonds.
On annonce de Saint-Pétersbourg la mort d'Oslap Véressaï,
luthier pclit-russienpius qu'octogénaire qui était considéré comme
le dernier survivant des «.bardes » populaires de l'Ukraine.
On doit k la mémoire exceptionnelle de ce vieux chantre la
conservation d'une foule de légendes et de ch"knsons de la Pelite-
Russie. Il est mort k l'âge de quatre-vingt-trois ans.
A l'Union-Square-Theater de New-York, dans une pièce fin de
siècle, les auteurs ont introduit une course de chevaux. On voit
les chevaux galoper ventre k terre, stimulés par de véritables
coups d'éperon et de cravache; les barrières, les arbres, les
feollines disparaissent derrière eux comme s'ils fendaient réelle-
ment l'espace.
Un moteur enroule uniformément la toile sur laquelle est peint
"le paysage qui doit défiler sous l'œil du spectateur pour donner
l'illusion de la course. Un autre fait dérouler dans le même sens,
e^ avec une vitesse convenable, un plancher sur lequel les che-
vaux courent. Si l'on voit les chevaux toujours au milieu du
théâtre, c'est que tous leurs efforts ne parviennent qu'k les main-
tenir au même point, tant la piste se déroule vite sous leurs pieds.
Chaque cheval a sa piste particulière qui est animée d'uno
vitesse que l'on peut faire varier de façon k ce que l'un d'entre eux
finisse par dépasser les autres. Un troisième moteur fait progres-
ser la palissade qui limite la piste. C'est la combinaison -des
diverses vitesses de progression du plancher, du paysage, etc ,
qui assure l'illusion. Un quatrième moteur est chargé d'action-
ner un ventilateur qui envoie un courant d'air sur la télé des
chevaux el des jockeys; secoue les crinières, enfle les casaques
et soulève un nuage de poussière. C'est M. Neil Burglcrs, le
machinisle en chef du théâtre, qui a combiné ce dispositif.
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Pour tous renseignements s'adresser à la Direction de rEcrploitation dès Chemins de fer de l'État, à Bruxelles, à V Agence générale des
Malles-Poste de l'État-Belge, Montagne de la Cour, QO*, à Bruxelles ou Qracechurch-Street, n» 53, à Londres, à Y Agence de Chemins de fer
de l'État, à Douvres (voir plus haut), et à M. Arthur Vranchen, Domkloster, n» 1, à Cologne.
JOURNAL DES TRIBUNAUX
paraissant le jeudi et le dimanche.
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ment théorique et abstraite de l'harmonie par des exercices pratiques
de composition libre, (ut accueilli, dès son apparition, par une
faveur marquée. La pr^ente traduction mettra le public français à
même d'apprécier un des ouvrages d'enseignement musical les plus
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BruzeUefs. — Imp. V* Monnom, 26, rue de l'Industrie.
Al
r
Dixième année. — N" 24.
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 15 Juin 1890.
MODERNE
. PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
.1 /
Comité de rédaction t Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, un an, Ir. 10.00 ; Union postale, fr. 13.00. — ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser toutes les communications à
l'administration générale de l'Art Moderne, rue de Tlndustrie, 26, Bruxelles.
Sommaire :
-Le TiiÉATRE-LiitRE. — La. Grosvexor et la New Gai.leky. —
L'Art Arajîk kn Es;pagne. — Pelaua> au Sai.on, — Ai.ukrt Woi.i f
EMBÊTÉ PAU Antoine. — La vi;nte C.rauue — Petite ciironique.
LE THEATRE -LIBRE
' ' Troisième article (1).
Il est intéressant de jeter un coup d'œil sur ce qui
s'est passé de 1887 à 1890, sur les grandes scènes lit-té-
raires de Paris.
L'une, la Comédie-Française, jouissant de préroga-
tives inouïes, de toutes les facilités pos.sibles, servie
encore par une école de déclamation, semblerait devoir
être, pour les chefs-d'œuvre de la langue française, une
sorte de Musée où les lettrés, les artistes, les dilettantes
puissent aller chercher des jouissances d'art particu-
lières. \,
Elle devrait encore, outre la tâche de maintenir tou-
jours au point les grands ^chefs-d'œuvre classiques,
s'occuper de recueillir les œuvres contemporaines con-
sacrées après une série de reprises décisives sur les
autres scènes.
(1) \^)ir ni»s deux derniers numéros.
Or*, voici ce qui s'y passe : Au milieu de décors
pénibles, malpropres, dans une mise en scène négligée,
une incurie qui se traduit presque chaque fois par des
absences de mémoire, des négligences visibles même
pour le gros public. Aussi en est-on réduit' à ne plus
i^etcouver qu'à de trop rares intervalles quelques fortes
sensations d'art, grâce à trois ou quatre comédiens
qui luttent pour sauver du naufrage leur niaison.
Si la Comédie -Française ne peut recevoir que les
auteurs déjà consacrés par le succès, l'Odéon ne doit-il
pas être, de par son passé et ses traditions, une école
d'apprentissage pour les jeunes écrivains? ■
Or, que dire d'un directeur subventionné, ayant
inission et mandat de jouer les jeunes gens, de les
accueillir, de les réconforter et qui, le matin d'une
-première représentation, laisse échapper cette phrase
significative, rapportée dans une chronique de M. Fran-
cisque ' Sarcey : " J'espère qu'après cette épreuve, on
me fichera la paix avec X... ». Que penser de qui
lâche ainsi un conscrit, le matin d'une bataille? —
qui ferme la porte à tout débutant assez affermi dans
ses convictions pour garder le respect |de son œuvre et
ne pas la laisser tripatouiller?
Il y a donc urgence, urgence absolue, à perfectionner
une tentative dont l'utilité s'affirme si nettement, car
si l'on veut des auteurs, il faut fournir aux écrivains
dramatiques la possibilité d'aborder la scène.
18G
VART MODERNE
Le Théâtre-Libre, dans sa forme nouvelle, rendra
sur ce premier point d'importants services. Et avec
une vraie troupe, une base solide de travail journalier,
ce n'est plus quarante actes par saison, un spectacle
nouveau par mois, qui seront donnés, mais, en renou-
velant l'affiche tous les quinze jours, on assurera la
production de quatre-vingts actes inédits par saison.
Cette proportion paraîtrait même excessive s'il ne
fallait considérer l'arriéré, l'accumi^lation énormes qui
existent. Il n'y a point, on peut le dire, un seul-éerivaïn
célèbre n'ayant dans ses cartons une œuvre datant de
plusieurs années.
Et lors même que, au bout de quelques saisons, cette
production subirait un ralentissement, n'y a-t^il pas
toute une série de reprises littéraires à effectuer, de
procès à faire reviser, pour des œuvres, dont le sort, a
été fâcheux et injuste autrefois? N'y à-t-il pas aussi
toute une série d'originales et fortes études a pour-
suivre, parmi les œuvres des littératiH'es étrangères^
Est-il besoin de citer le drame de Tolstoi\ la Puis-
sance des Ténèbres, pour se convaincre de l'intérêt et de
la considérable importance de ces excursions littéraires,
sans musique, à'ffâvers les répertoires étrangers?
Venons aux comédiens. Il n'est pas exagéré d'avancer
que, à quelques rares exceptions près, toutes les œuvres
représentées au Théâtre Libre ont été jouées par des
amateurs, par des comédiens volontaires n'exerçant pas
couramment cette profession et n'ayaut jamais paru
sur un théâtre public. ■ ; ,
A la soirée du 10 février 1888, les divers rôles du
drame de Tolstoï furent créés par un employé du
ministère des finances, un secrétaire de commissariat
de police, un architecte, un chimiste, un voyageur de
commerce, un marchand de vin, un fabricant de
bronzes, Mévisto, chargé du rôle de Nikita et qui, à lia
suite de cette création, entra à la Porte-Saint-Martin,
n'avait paru sur aucun théâtre. Les rôles féminins,
considérables, furent tenus par une couturière, une
brocheusê'et une employée des po.stes. Tous ces jeunes
gens avaient répété le soir seulement, après leurs tra-
vaux de la journée. Il serait facile de citer le nom de
l'une des sommités de la critique française qui, en face
de l'ensemble et de la tonalité de l'interprétatiop, aflfir-
mait n'avoir jamais vu une pièce de théâtre mieux
jouée. M. de Vogiié, familier des mœurs russes, dans
une savante étude de la Revue des Deux-Mondes,
s'étonnait de la saisissante vérité avec laquelle avaient
été restitués les principaux personnages. Cet exemple
conduit à rechercher s'il ne serait point possible de
constituer, pour un véritable théâtre, upe troupe
spéciale, unique, de laquelle, en faisant abstraction des
personnalités et des talents de premier ordre, on
obtiendrait des exécutions particulièrement intéres-
santes.
Nous devons nous demander si, de ces faits, il ne se
dégage pas simplement ceci, que l'enseignement officiel
qui leur faisait défaut, est peut-être dangereux, tout au
moins inutile, et surtout mal réglementé? Devant les
déplorables résultats des concours de fin d'année, tout
le monde se récrie et demande une réforme. Les résul-
tats sont tels, qu'à l'heure présente quelques-uns des
lauréats ne sont niême pas utilisés. Il y a sur le pavé
de Paris dix premiers prix dont aucun directeur ne
veut et qui sont absolument incapables d'exercer un
art étudié pendant quatre ans.
Pourquoi ne pas le dire? Les professeurs du Conser-
vatoire eux-mêmes ne croient pas aux bienfaits du
régime et l'un d'eux envoie ses élèves au Théâtre-Libre
pour y apprendre leur métier à la meilleure et à la seule
grande école : le public.
En présence de la formation espérée d'une génération
nouvelle d'écrivains et d'œuvres dramatiques, il est per-
mis d'afiirmer que cette renaissance exigera des
moyens d'expression nouveaux. A des ouvrages tout
d'observation et d'étude, il faudra des interprètes, des
comédiens primesautiers et vrais, imprégnés de réa-
lité. Ces œuvres attendues, conçues dans une esthétique
plus souple, plus large, ne spécialisant plus les person-
nages, ce théâtre nouveau ne s'appuyant plus, comme le
précédent, sur cinq ou six types, convenus, toujours les
mêmes, sans cesse retrouvés sous des noms, dans des
actions et parmi des milieux différents, la multiplicité,
la complexité des figures mises à la scène feront surgir,
il n'en faut point douter, une génération nouvelle de^
comédiens assouplis à tous les emplois : des jeunes pre-
miers, par exemple, qui cesseront d'être d'une seule
pièce et qui deviendront tour à tour bons, méchants,
bêtes, spirituels, élégants, communs, forts, faibles, vail-
lants et -lâches, enfin qui seront des êtres vivants,
variables et divers. L'art du comédien ne s'appuiera
plus, comme dans les répertoires précédents, sur des
qualités physiques, des dons naturels; il vivra de vérité,
d'observation, d'étude directe de la nature. On retrou-
vera là ce qui a été observé dans les autres arts d'inter-
prétation, la peinture, par exemple, oti le paysagiste
n'a plus tra\^illé dans son atelier, mais en pleine
nature et en pleine vie. On ne formera plus des artistes
dramatiques, avec quelques rôles ressassés, commentés,
établis depuis des siècles par plusieurs générations
d'acteurs illustres. Le talent plus cérébral de l'acteur
sera ramené vers la vérité et l'exactitude.
Ce qu'on désigne actuellement par ces mots : fart de
dire, consiste uniquement à doter l'élève d'une articu-
lation exagérée, à lui confectionner une voix, uiuorgane
spécial tout différent de celui qu'il possède en réalité.
Depuis soixante ans, tous les comédiens ont uniformé-
ment parlé du nez, uniquement parce que ce mode
d'élocution est nécessaire pour être entendu du specta-
1 1
leur dans wos salles trop vastes ou d\me acoustique
défectueuse, et aussi parce que cette voix du nez ne
vieillit pas et résiste aux années.
Tous les personnages du théâtre actuel gesticulent,
s'expriment techniquement de la même façon, qu'ils
soient vieux, jeunes, souffrants ou bien portants. Tous
les artistes disant bien renoncent à ces infiniment
nombreuses nuances qui peuvent éclairer un person-
nage et lui donner une vie plus intense. Les élisions, si
fréquentes dans le langage courant, sont interdites,
tous les e sont ouverts, tout le monde dramatique vibre
sans raison, alors que dans la vérité, personne, pariant
normalement la langue française, n'a souci d'empêtrer
son discours dans cette malencontreuse et assommante
lettre /? qui empâte tout Ife jeu de nos tragédiens et de
nos comédiens.
Nous avons, il y a plusieurs années déjà, exprimé ces
vérités dans VArt moderne. Elles ont fait l'objet d'une
étude approfondie publiée dans notre numéro du 24 juil-
let 1881 (1). Nous enregistrons avec joie le chemin
qu'elles ont fait. Nous avons encore à nous occuper des
décors, de la mise en scène, des affiches. Dans toutes
ces parties M. Antoine poursuit sa réforme. Elle est si
importante, elle touche à un art si longtemps en dehors
de toute transformation et de tout progrès, que nos lec-
teurs ne nous en voudront pas, nous l'espérons, d'v
consacrer un quatrième et dernier article.
é
U GROSVBNOR ET LA NEW GALLE
{Correspondance parliculière de l'Art moderne).
A la Grosvenor, on rencontre encore quelques représentants
du paysage anglais de ces quelques dernièr.^s vingt années.
L'école de.s Walker, des Hook est vivante dans John R. Reid cl
dans quelques jeunes venus à la rescousse. Reid prouve en quatre
tableautins son toujours habile et spontané talent à plaquer des
tons crus et saignants dans des rousseurs de bergesou des terrains
d'orée. Des verts et des rouges gras et des bleus de ciel chimiques
lui constituent une palette pour paysages à sa manière,
qu'adop'.ent également les Napicr et les Hagues.
A suivre ce paysage anglais d'il y a vingt ans, on soupçonne
Bastiea-Lepage d'avoir étudié ces fourrés et ces halliers, pour
peindre soit les fonds de la Jeanne dArc, soit celui de VAmour
auvillage. Seulement le peintre français atténuait la sonorité rude
des couleurs, raflfadissaii, et était hanté, d'un autre côté, par les
miracles des soudains impressionnistes. C'est ainsi que, parti des
Anglais, il leur est revenu. Car si son talent de compromis et do
transactions constantes lui a assigné cette place moyenne qu'il
tient dans l'art de son pays, toutefois est-il incontestable qu'ici,
en Angleterre, il a eu et a encore une sjluaiion forte de maître et
d'initiateur, puisqu'à VAcadetny et à la Grosvenor, et mémeàla
New Gallery, son influence persiste, multiple. Les Clausen et les
James Cutlnie sortent de lui.
(1) Voir aussi l'Art moda-nc 18S4, iP S, p. 57.
Aussi est il h .noter que J. CpUier fait du Bouguereau pur, que
Forbes cl Thompson et Beach transportent au delà du détroit la
mode française et le chic dont le Palais de l'Industrie ou le
Champ de- Mars sont les maisons d'exportation — Carlos Duran
and C" — les plus vastes du monde.
Swan tapisse la rampe d'une fade et molle Maternily : une
lionne allaitant ses lionceaux ; Hubert Vos exhibe son Hospice de
vieilles à Bruxelles; on trouve les inévitables portraits de Pettic
el de Schannon, dont heureusement un excellent et très fin por-
trait par Orchardson console.
Deux noms relativement frais cl intéressants à retenir: ceux de
Hornel el de Roche.
Le premier maçonne, abuse des couleurs fortes cl saignantes,
jette de la pâte à larges coups de brosse sur la toile, ne semble
jamais pouvoir assez se prouver qu'il faut être rude et violent. Mais
derrière cet étalage de sauvagerie saxonne, on sent quelqu'un.
L'autre plus calme, est tenté vers une certaine spiritualité. Une
scène de femmes rassemblées sous des arbres fait songer au rfelà
des simples questions de couleur.
El puis? — Plus guère. On rencontre encore, il est vrai, des
imitateurs de Corot de même de Courbet, disséminés en des
coins. . \
La New Gallery est la plus intéressante des nombreux Salons
d'art actuellement ouverts k Londres.
Et tout d'abord, voici toute une poignée d'esquisses de Burne
Joncs pour sa nouvelle œuvre : The Briar Rose. Des casques,
des ailerons, des boucliers, des morceaux d'armures, faits avec
précision et avec caractère. Un coup de crayon nullement
emporté, mais lent et calme et pourtant très expressif. Puis des
têtes de femmes et de jeunes filles — celles qui dorment sur la
fontaine du troisième panneau de l'œuvre totale — et réssaî
vers celle qui s'est assoupie, le bras allongé, sur son métier à
lisser. Le tout traité avec grâce, à traits longs el fins comme des
cheveux, et enveloppé de ce rêve de poésie légendaire, si parti-
culière à ce peintre, mais que souvent certaine couleur grinçante
el criarde écarte ou du moins contrarie dans ses tableaux. Deux
œuvres séparées, sur fond d'or, font songer à tels nus d'Andréa
del.Castagno, el sont d'une sombre el poignante signification.
Dans la New Gallery, des élèves de Burne-Jones s'afllrment.
En premier lieu, une femme. M"* Morgan, qui expose ure
Médée, traitée en héroïne de maître italien du xv* siècle. C'est
plus gothique el plus florentin que le Miroir de Vénus. La
Médée foule un parvis de marbre dans un vestibule de palais
toscan ; ses cheveux sont volants comme ceux de certains ang(%-
de Bolticelli; ses yeux ont la clarté du vice irrcsponsible; ses
vêtements sont drapés à l'antique; l'arohitecture des colonnes,
les marbres el les dorures sont a.issi nets aux derniers plans
qu'à l'avanl-plan el la perspective n'est que géomi^trique.
A côté, iine œuvre : le combat de la Vérité contre l'erreur,
signée Sianhope. Mêmes Uniorics appliquées, même art tout en
recul, avec rien de moderne dans loxécution, mais avec de réels
efforts vers une expression moderne de pensée.
Enfin, Slrudwick, l'éièvi^ déjà ancien, de runie Jones, ilont
une œuvre orne les galeries du Kcnsington.
La m-^rvri'Ie de la New Gallery est un Walis : Ariadue.
Non loin de là se trouve Liltle Red riding Hool, mais la pre-
mière œavre est d'une l'Ile supériorité qu'elle fait oublier la sui-
vante.
t88
UART MODERNE
"' i
Le révcflc celle Grecque, affaissée sur des rocs, le regard. nulle
pari si ce n'est vers son désir, l'atlilude lasse el douce, cl tout ce
corps cl celte pensée qui altendeni, fonl de celle oeuvre un chef-
d'œuvre. L'a facture et la couleur sont frustes comme à l'ordi-
naire', mais pourtant quelle tout à coup splendeur, ci et là, de
métaux el de minéraux voilés! Le paysage est d'un soir doulou-
reux et triste; les montagnes de l'Iiorizon^et la mer encadrent et
expliquent le songe des yeux d'Ariadne. Contrairement à toute
donnée académique, Watts a vraiment rendu, en ce tableau, la
beauté hellénique telle qu'elle nous est révélée par la Vénus de
Milo etcerlaine Cérèsdu Brilish Muséum, c'est-à-dire puissante,
saine, large el grande. " -^
A signaler encore un paysage de Millais, un Boughlon , un
Richmond el un bas-relief de Bâtes.
L'AkT ARABE EN ESPAGNE
Sous cet intitulé, au retour d'un séjour en Espagne, M. le docteur
Schœiifeld nous donne très savamment, très sincèrement, une
énuméralion descriptive de ce qui a survécu des grands monuments
mauresques. Sans idée préconçue ni Ihèse à défendre, l'auteur
arrive à celle conclusion : « Après des tâtonnements successifs,
et en s'imprégnant des idées des nations vaincues, l'archileclure
mauresque est parvenue à une certaine originalité. « Mais,
malgré le talent des artistes arabes, nous admirons, dans les
œuvres qui nous restent de leur plus brillante époque, plutôt
l'aspect gracieux et l'habileté pratique que la grandeur de la
conception, l'artisan chargé de l'exécution plutôt que l'auteur
de l'idée ».
Voilà bien, dans la sphère de l'architecture, et élayée de faits,
une idée très confirmalive de cette autre, développée ici même :
l'absence presque complète d'originalité et d'invention dans l'art
sémite en général (1). . -
Il faut en revenir de l'impression première, intense et dérou-
tante, des grands Alcazars et des Alharobra. Quand s'y applique
une analyse un peu érudiie, l'architecture arabe dévoile bien
vite l'origine toujours étrangère de ses éléments.
L'arc en fer à cheval^.-— cintre arrondi ou brisé en haut, mais
étranglé à la base, — fut directement inspiré après la conquête,
par la section verticale de la coupole bulbeuse des Persans et des
Byzantins, — celte coupole dont le slyle moscovite fait si grand
usage. Les azulejos, plaques de faïences, hautes en couleur et
masquant la nudité des soubassements, étaient déjà connus des
contemporains de Qarius. Les bains fameux de Grenade et de
Cordoue ont des dispositions servilement copiées des thermes
romains. Ce sont les colonnes enlevées aux temples de l'Espagne
el de l'Afrique romaine qui ont décoré par milliers les palais des
Califes. Quant aux arabesques, —entre tout, ce qu'il va peul-être
de plus arabe, — ce n'est au fond qu'une combinaison de formes
géométriques connues depuis longtemps des Egyptiens el des
Grecs, et d'ornements kufiques employés sur les monuments
babyloniens. Sans doute les Arabes, et surtout les maures d'Es-
pagne, surent rendre plus élégante l'archileclure, plus légers
les matériaux, plus minutieusement soignées leurs constructions.
Mais leur génie s'est contenté d'agrémenter et d'approprier ce
(1) Vqir l'Ai-l modrrnc du 24 mars 18S0.
qu'il empruntait aux autres. Loin de découvrir par lui-ml^mc des
éléments essentiels, il n'a même pas utilisé ceux empruntés, au
profit d'un conception vraiment originale.
Et quand on songe que c'est en Espagne que se développa sur-
tout leur architecture, et qu'ils ne cultivèrent jamais d'autre art,
leur religion défendant la représentation de la forme humaine
el animale, c'est-à-dire la peinture et la sculpture, on sent s'élever
des doules sérieux sur leur capacité artistique.
Chez nous. Aryens, l'art n'a cessé d'être présent à tous les
stades de notre développement. Chez les Sémites arabes, ce n'est
qu'un incident dans leur ^histoire, tout comme la science et la
civilisation. Cela leur est venu par d'autres, quelque jour. Cela
s'est en allé, tout seul, peu après : ils n'en ont jamais souffert.
S'en sont-ils même aperçus? Avant les conquêtes de Mahomet,
l'Arabie est stagnante, immobile, par nature, improgressive!
Essaims de nomades sans cohésion, de contemplatifs, n'ayant que
la 'religion pour seul mobile, comme tout le théocraliquc Orient.
Naîl le Prophète. En quelques années, ils chevauchent victorieu-
sement du Gange aux Pyrénées. Ils rencontreîit partout un état
social nouveau organisé par Rome elByzance plus compliqué que
le leur, el le subissent malgré eux. Ils se civilisent, mais dans la
mesure de leur réceptivité; civilisation d'emprunt non spon-
tanée. Tradiiionnalisles en politique, comme en sciences, comme
en art, ils n'ajoutent rien à la grande chaîne du progrès.
Ils se contentent de n'en pas laisser échapper le bout, pour la
passer aux Barbares du Nord, le jour où ceux-ci seront de taille
à lui forger quelques nouveaux chaînons. Alors commence le
refoulement du Sémite par l'Europe dans les possessions premières
el le retour de l'Arabie à la primitivité absolue.
Non pas cristallisée comme la Chine, dans une civilisation trop
bien adaptée au milieu pour évoluer encore. Non pas contrainte à
disparaître par la force de la conquête blanche, comme les grands
empires mexicains et péruviens mais semblable à un arc tendu
fortement par une main étrangère, qui revient à l'état normal,
sans que rien dans la corde débandée puisse faire soupçonner
l'effort produit jadis, sans même avoir conservé une aptitude plus
grande à un nouvel effort. Car le contact européen du xix* siècle
a été de nul effet.
En vérité, voilà des faits bien bizarres. On peut s'arrêter au
seuil des pourquoi, en disant : Cas fortuit. On peut tenter une
explication en interrogeant elhnographiquemenl la race. La Race?
produit des mille facteurs du temps el de l'espace, qui ont donné
à tel peuple les caractéristiques refusées à tel autre. C'est l'expé-
rience inscrite dans les replis du cerveau qui en a assis les strati-
fications successives; ce sont des milieux millénaires qui l'ont
frappée d'immalléabililé absolue ou d'activité infinie.
Les Arabes? des diminués de leur histoire !
Stagnants parce que tels les ont faits de longs siècles, ce n'est
pas le court incident de la conquête qui eût pu altérer, encore
moins nover les caractéristiques de leur race. Aussi, échappés
aux circonstances qui les ont extériorisés un temps et en ont fait
savants politiques, artistes improvisés, ils sont redevenus les fana-
tiques immobiles qu'ils étaient. D'autrefois, ils n'ont conservé que
la r'eligion et la langue, ces deux manifestations d'eux-mêmes.
Mais le sentiment artistique ne fut qu'une greffe aryenne que ne
sut pas alimenter leur sève sémitique.
Les sentiments, plus profonds, plus fondamenlaux à la race,
que les idées,* les institutions ou les formes artistiques qui les
incarnent, sont d'acquisition infiniment lente; mais une foie acquis,
VART MODERNE
189
^
ils persistent, essenlicllemcnl môme. Voyez, chez nous, l'allruisrac
n'avait longlemips d'autre manteau que celui du Christ et portait
nom : Charité. Changent les mobiles, les raisons d'être, les
conceptions, mais demeure le sentiment : il est aujourd'hui phi-
lanthropie et justice sociale. ■' .
Et notre atavique instinct de l'infini, de l'au delà, ne subsisle-t-il
pas à toutes les métamorphoses. Moulé successivement par les
formes religieuses et philosophiques, depuis que soa^nanilé est
devenue le corollaire de tous nos raisonnements, il n'a rien perdu
de sa vitalité d'autrefois : c'est lui qui trouve une troisième incar-
nation dans l'art nouveau, cette chose chez nous toujours chan-
geante, tandis que chez le Sémite, du moins sur ses terres d'ori-
gine et d'occupation actuelle, il n'existe même plus.
PÉLADAN AU SALON
La décadence esthétique (Hiérophanie), XIX, LE SALON de
Joséphin Péladan (neuvième année). Salon national et Salon Jiil-
lian, suivi Se trois mandements de la Rose Croix Catholique, à
l'Aristie. — Paris, E. Dentu, éditeur, 14 mai 1890. Brochure in-12
de 75 pages.
Voir adaptés à la scène anglaise les plus beaux romans de
Joséphin Péladan, serait l'ardent désir de Mislress Anne Payne.
Elle se voue, en ce sens, à une traduction d'Istar, qui lui vaut la
dédicace de ce neuvième « Salon ».
Quoique l'art n'y ait nul intérêt, une « Note pour l'Histoire lit-
téraire » nous apprend que le Prince de Byzance a été refusé à
rOdéon (avril 1890), et une lettre de M. Porel motive ce refus.
Et quant au Sar Mérodack Beladan, l'auteur nous prévient qu'il
sera refusé en novembre 1890 à la Comédie-Française.
Puis débute la sereine et limpide critique :
Salon I. — D'abord le plafond de Besnard, « gageure d'un
teinturier devenu fou et peintre », l'ahurit; « ignoble crépon » ;
« à la Chienlit! »
Salon II. — Côtoyant diverses croûtes, il va « droit à la fresque
harmonieuse », mais regrette, en passant, que Troubetzkoy, —
un Prince! — se soit compromis en peignant une femme, k car
la morale princière s'augmente incroyablement, tandis que tout le
reste diminue ». A ce propos, il nous révèle que la princesse
Mellernich, qui fit représenter TannMiiser, en fut récompensée
par le don gracieux de la Victoire du Mari.
Quelques pages, ensuite, s'emploient à glorifier Pcvis de Cha-
VANNES. 11 exalte la virilité de Constantin Meunier, la subtilité
de Khnopff.
Salon III. — Ce Besnard est « inférieur à un kakémono de
3 francs. » « Il doit jouer du chromatisme de Chevreul et des
/ théories de Charles Henry » ; « il copie, en couleur de papier-
peinl, Odilon Redon, ce dessinateur qui ne sait pas dessiner ». —
Cazin, à la bonne heure. — .\u lieu de ce bleu dur, le Bitume de
Judée, dans le portrait d'Lllen Therry de J.-S. Sargent, « eût
mis l'ombre même de l'ûme de Lady Macbeth dans le fond du
tableau ».
D'Eguzquiza, il dit : « Il prépare dans le secret une œuvre
splendide. Son grand maître désolé, — je ne m'exprime pas plus,
h dessein, — est le plus beau Christ que ce siècle m'ait donné à
admirer. Seul, R. de Egisquiza a compris comment Wagner cl
ses leitmotivs pouvaient compléter l'art passionné de Delacroix.
C'est un des rares personna^ges avec qui ma rencontre dans une
admiration commune, ait été harmonieuse dès l'abord. Il idolâtre
Wagner et moi je l'adore, et malgré qu'il sera mécontent du peu
que j'ai dit, je veux l'avoir annoncé, et ce sera un mérite le jour
où il dévoilera le fruit étonnant de son labeur mystérieux. Son
œuvre de grand peintre s'est décidée à Bayreuth, comme mon
œuvre de tragédisle ».
Salon V. — Desboutin n'est pas que cet excellent graveur,
il est marquis italien.
Salon VI. — Berlioz, Wagner, Balakirew, également il les
admire. — L'harmonieux Séon est un maître. — Point aussi, etc.
El des gros mots, miintenant, à propos de Carnot, d'égalita-
risme, de chapeau haute-forme.
Salon VII. — Point est encore un maître. Le Point du jour,
alors? — Cochon de Voltaire !
Salon VIII. — « Qui écrira l'éloge du chat?... » Ici, Péladan,
je suis, — comme Baudelaire, tout à fait de votre avis. Cette
petite poilue et douce bête, sensible à la caresse, j'aijpourelleun
amour véritable.
Salon X. — Petite réclaihe pour Vincent d'Indy : « Ne pas
confond^! ce musicien, wagnérien véritable, avec 1 il. Massenet
qui a galvaudé l'art auguste dans Esclarmonde » (^lecteurs, on
vous trompe!...)
Salons XI, — XII, — XIII, — XIV, — XV — « Les traits hachés
et le grotesque, chez Forain, nuisent à l'intensité de l'effet »,
et, attrape, Lhermitte : « en art comme en amoiir,la bonne
volonté ne suffit pas ». — R. de Eguszquiza, a fait un portrait
de Schopenhauer, et un, — plus sublime, et le vrai, le seul, —
de Richard Wagner, « le Karlemagne de la musique ».
Salon XVI et Sculpture. — Marquest de Vasselot et sa
« facilité supérieure à rendre visible l'étincelle ou le flambeau que
contient une tête illustre ». Les ceux, en un mot, qui ont un
flambeau dans la lanterne. — Un Millet sculpteur, tel Constantin
Meunier : « Quel dommage que ce puissant modeleur abaisse sa
main au Pêcheur Boulonnais, au lieu de nous donner un Saint-
Pierre ; que son Débardeur ne soit pas un Titan, et son Marte-
leur Siegfried forgeant., l'^pée, et son Souffleur un alchi-
miste ! » etc.
El quelques considérations inutiles sont la Conclusion.
Le salon Jullian (Champs-Elysées) n'est ici que pour mémoire;
l'auteur s'en étant vu refuser l'entrée, il vitupère et complète sa
brochure par trois mandements, litres : Tiers-Ordre inlellecluel
de la Rose-Croix catholique. SYNCELLI ACTA. , ,
I. — Mandement à ceux des Arts du Dessin. A la revision
des travaux d'art il se propose, et en ce style :
« Stupéfait de ce que vos œuvres perdent pour des erreurs
qu'une remarque empêcherait ; persuadé qu'il ne vous manque
qu'une immense lecture et son assimilation, il nous a paru con-
forme et à noire amour de l'Art et à notre maîtrise de la Rose-
Croix catholique de paraître en légat de l'idée, devant vous,
manieurs des couleurs et des lignes : si vous nous conviez à
l'examen de vos esquisses et maquettes (écrire h l'adrçsse de notre
éditeur). Accoutumé à voir nos plus pures intentions vitupérées,
nous attendons indiffîérent l'accusation d'orgueil dont on nous
remerciera ». -4 '
II. — Au cardinal archevêque île Paris, il dénonce comme
« lieu poUulionnel où les femmes vont chercher le spasme cl où
elles obtiennent le spasme» la Plaza de Toros delà rue Pergoièse.
III. — Excommunication de la femme Rothschild pour crime de
sacrilège et d'iconoclnstie. Elle détruisil une chapelle de slyle
presque Empire el fit démolir la maison de Balzac. Aussi :
« Pour CCS crimes, qui écliappenl aux lois du pays, Nous,
) Tribunal Vehmique, déclarons infûme celle femme, infâme son
nom, à moins que ceux qui le portent ne désavonenl publique-
me;it la coupable. .j
« La R. C. objurgue los La Rochefoucauld comme les d'Uzès
et autres gens de nom.^i^ils ne peuvent plus' recevoir la femme
Rothschild. ^^J
« La R. C. objurguc les hommes de lellres et d'Art qu'ils nel
peuvent plus saluer même la femme Rothschild.
« Si elle entre dans une église, une bibliothèque, un musée,
un concert, quiconque à le droit moral de la chasser.
« Tout artiste qui travaillera pour elle, à moins de faim, est
un renégat et nous engageons même les pauvres à refuser son or
qui est maudit. »
Espérons que les peintres et la prochaine année et des faits
encore curieux nous vaudront le iO'" « Salon » de Joséphin
Péladan.
(1)
ALBERT WOLFF ËIIIBËTË PAR Ai^TOlNE
Comme complément aux documents curieux que nous avons
analysés la semaine dernière au sujet de l'incident dans lequel
Albert Wolff a joué un rôle si piteux, publions l'amusante faniai;
sic que l'escarmouche a inspirée à Graindorgc, le spirituel chro-
niqueur de r£'<;/to de Pam ;
TENTATIVE INFRUCTUEUSE
. (M. Antoine, directeur du Théâtre-Libre, est assis dans le
magnifique cabinet directorial qu'il ne tardera pas à posséder sur
le boulevard des Italiens. Un valet de pied, porlantMa livrée du
•Théâtre-Libre, annonce M. Albert Wolffl)
M. Antoine. — Je ne connais pas ce nom-là. Faites entrer tout
de même. Le Théâtre-Libre est un théâtre ouvert.
M. Albert Wolff {timide et embarrassé). — Monsieur, je...
M. Antoine {avec boute']!. — Asseyez-vous. Je vous écoule...
M. Albert Wolff {rougissant). — Monsieur, j'ai une idée...
M. Antoine. — Une idée de pièce? Dites-la vite.
M. Albert Wolff. — Ce n'est pas une idée de pièce; mais,
. puisque vous m'autorisez à parler franchement, voici ce dont il
sagit. Avcz-vous remarqué. Monsieur, que le journalisme traverse
une crise; que les directeurs de journaux n'accueillent que diffi-
cilement les jeunes écrivains, et que le besoin d'un journal nou-
. veau commence à se faire sentir? Avcz-vous remarqué cela?
M. Antoine {indifférent). — Je l'ai remarqué vaguement.
M. Albert Wolff. — J'ai donc eu l'idée de fonder un journal
ouvert aux débutants et dont je suis le directeur. II me faudrait
seulement de sept à huit mille francs, et...
~M. Antoine (froid). — C'est peu.
M. Albert Wolff. — Ça me suffit pour débuter.
M. Antoine. — Un mot. Je ne crois pas que le public s'inté-
resse démesurément k votre lenlative louche. Il restera sourd cl
ne donnera pas un sou.
I M. Albert Wolff. — Je réponds du public. Avec sepi ou huit
mille francs et de la réclame...
M. Antoine. — Je n'ai jamais eu sept ou huit mille francs,
(1) Voir notre dernier numéro.
Mais je vais vous donner une idée. Fondéz-le par petites parts de
cent francs. ^
M. Albert Wolff {enthousiasmé). — Voilà une idée admi-
rable! Et pourvu que vous fassiez prendre de ces petites parts
aux abonnés du Théâtre-Libre... Ils sont très riches vos abonnés
et cent francs de plus ou de moins! C'est entendu, n'est-ce pas?
M. Antoine {glacial). — Je réfléchirai. Revenez me voir en
septembre.
LA VENTE GRABBE
On^ous écrit de Paris :
Grand tralala, mardi, mercredi et jeudi, rue de La Rochefou-
cauld, chez Sedelmcyer.';La vente de la collection Prospcr Crabbe,
très intelligemment lancée, claironnée par toute la presse, était
passée au rang d' « événement parisien », et malgré la concur-
rence redoutable des steeples d'Auteuil, tout Paris a défilé devant
les cinquante œuvres qui composaient la galerie de votre compa-
triote. Ron nombre de Belges dans la foule, et, parmi eux,
M.' Arthur Slevens, qui était venu assister M« Paul Chevallier,
commissaire-priseur chargé de la vente.
Le produit total des enchères a atteint, avec les frais,
1,669,395 francs. L'Etat belge a fait deux acquisitions, et son
choix a été très heureux : il a acheté, au prix de 32,200 francs,
les Pourceauoç de Paul Potier, une des plus belles œuvres de
l'arlisle, et, pour 10,500 francs, le Chien au miroir de Joseph
Stevens, l'une de ses toiles capitales.
Ceci dit, voici, en suivant l'ordre du catalogue, le résultat com-
plet de la vente.
tableaux modernes
^ Corot, le Matin, 63,000 francs. — Id., le Soir, 60,000. —
Decamps, les Mendiantes, 9,800. — Delacroix, Chasse au tigre,
76,000. — Diaz, la Meute sous bois, 27,500. — Dupré (Jules), la
Forêt, 25,^0. — Fromentin, Une Halte de cavaliers arabes,
42,000. — Gallait, Jeanne la Folle, 3,050. — Géricaull, Une
Charge d'artillerie, 12,500. — Leys (Henri), Une Ronde, 8^00.
— Maddu, Intérieur de cabaret, 7,800. — Meissonier, leGiiide,
177,000. — Id., le Billet doux, 43,500. — Id., Molière lisant,
35,'000. — W\\\el{i.-¥.), Une Famille de paysans, 20,500. —
Ricard, Buste de jeune femme, 3,650. — Rousseau (Th.), Pay-
sage, soleil couchant, 30,500. — Id., les Chênes, 34,000. — Id.,
La plaine, près Barbizon, 13,600. — Slevens (A)., Ophélie,
29,100. — Id., Fédora, 15,000. — Id., le Masque japonais,
15,000. — Id., la Rentrée, 9,600. — Stevens (J.), le Chien au
miroir, 10,500. — Troyon, le Garde-chasse et .ses chiens, 40,000.
— Id., Départ pour le marché, 65,000. — Id., la Vache blanche,
85,000. — Willems, le Message, 6,800.
aquarelles
Meissonier, Au bord du Zuyderzce, 9,000. — Id., Jeune Flo-
rentin duw" siècle, 3,550. — Id., le Factionnaire, 3,500.
tableaux anciens
Boucher, Pastorale, 15,000. — Goyen (Jan van), l'Hiver en
Hollande, 9,000. — Grehze, Jeune fille, 17,500. — Id., Buste
de petite fille, 4,250. — Guardi, la Fête du Bucentaure, 16,000.
— Hais (Frans), le Joueur de violon, 46,500. — Largillière (N. de)
Bossuel et le Grand Dauphin de France, 28,000. — Macs
(Nicolas), le Prince d'Orange, 6,000. — Nattier, Portrait de
- 1r
A/™* de Flesselles, 75,000. — Osladc (A. vpn), Buveur et fumeur,
5,100. — Potier (Paul), /^s Pourceaux, 32,200. — Rembrandt,
Portrait d'un amiral, 106,500. — Rubans, la -Sainte Famille,
112,000. — Portrait d'un recteur de l'Université de Louvain,
15,000. — Id., Portrait de dame Van Parys, 25,000. — Id.,
Hygie, 14,500. — U., le Martyre de saint LiVt^m (esquisse),
25,500. — Id., /fl Chasse au lion (esquisse;), 15,000. — Ruisdacl
(Jacob), la Tempête, 13,000. — Teniers (D.), Intérieur de cui-
sine, 7,000. — Tcrburg, Portrait d'une dame hollandaise,
10,100. — Toqué, Portrait de jeune femme, 12,800.
Petite chroj^ique
II y a quelques semaines, nous avons reçu une note par laquelle
M. Ch.-J. Comhaire réclame sa pari d'invention dans les crom-
lechs el dolmens de Solwasler. Celle note détaillée ayant été publiée
et discutée dans le Journal des Soirées populaires de Vcrviers,
nous nous bornons à y renvoyer nos lecteurs qu'intéresserait cette
querelle, dans laquelle l'Art moderne n'a pas à prendre parti.
M. Cornelis, un des plus brillanls ariistes belges vient d'at-
teindre sa cinquantième année de professorat au Conservatoire
royal de Bruxelles.
Un comité s'esl constitué U celte occasion dans le but d'offrir
h l'éminent professeur un souvenir de sympathie el de reconnais-
sance.
En conséquence, le comité a chargé le peintre bien connu
M. Alfred Cluysenacr de faire le portrait dii vaillant cinquante-
naire, qui lui sera remis en séance solennelle au Conservatoire.
Le comité organisateur est composé de :
M"'*« Lemmens - Shcrrington , van Sousl de Borkenfeld ;
MM. Henry Warnols, Aug. Dupont, Alph. Mailly, Léon Jourel,
Ed. Bauwens, Fcrnand Raquez, secrétaire.
L'Exposition des femmes peintres s'ouvrira le 19 courant, îi
3 heures, dans les locaux de l'ancien Musée de peinture.
On a vendu cette semaine, à la galerie Saint-Luc, les tableaux,
dessins, aquarelles, bijoux, autographes, etc., de feu M. Edouard
Elkan. Les enchères n'ont pas été très animées, b en juger par ces
prix, choisis parmi 'les' plus élevés : F. Willems, Intérieur,
4,600 francs. — A.Slevens, la Violoniste, 1,000 francs (le défunt
avait payé ce tableau 10,000 francs, il y a quelques années). —
Clays, Mer calme, 1,000 francs. — Français, Promenade dans
les hautes herbes^ 875 francs. — Van Dcers, Berger italien,
600 francs. — Gervcx,L*e coucher, ^'io francs. — Cazin, In Nuit,
510 francs. — Col, le Marchand de lapins, 380 francs. — Dell'
Acqua, Retour de la chasse, 340 francs. — Rops, Bords de la
mer, 325 francs, etc.
Quelques artistes de la Comédie-Française, parmi lesquels
M. Febvre et M"'" Rcichenbcrg, vont entreprendre une tournée en
Russie, en Roumanie el en Aulriche-Hongrie. Le départ est fixé
au 25 courant et le voyage comprendra : Saint-Péiersbourg,
Moscou, Kief, Odessa, Bucarest, Buda-Pesth, Vienne, où seront
données, au total, vingt représentations.. On jouera Pépa, Margot
et l'Ami Fritz; chacune de ces pièces sera précédée d'un lever
de rideau.
Le mois prochain, M. Mounel-Sully entreprendra à son tour un
voyage à l'élrangor. Il se rendra en Espagne avec un nombreux
personnel el représcnlera Ilamlet.
M. Philippe Burty, écrivain cl amateur d'art, vient de mourir
à Paris. Un des premiers, il rechercha les épreuves d'élal ^|cs
graveurs contemporains ; un des premiers également il rechercha
les premières éditions de la période romantique, les livres illus-
trés- par les Célestin Nanteuil, les frères Johannof, les Boulanger,
les Rogier cl les autres. Un des premiers aussi, il s'élail épris de
l'art Japonais et avait amassé les bronzes, les porcelaines, les
armes, les albums du Nippon.
Philippe Burty a beaucoup écril sur tout ce qui éveillait sa
curiosité. Il a publié un livre : Les chefs d'œuvre des arts indus-
triels qui a eu, en France, plusieurs éditions el a été traduit en
Angleterre. A Londres, il a publié : Les eaux-Bortes de Seymour-
Haden; en 1858, il a publié une curieuse étude sur Les Emaux
cloisonnés anciens et modernes; en 1869, une brochure ?,\xv Paul
Huet; en 1876, il a publié Les eaux-fortes de Jules de Goncourt;
en 1878, sous le titre de Maîtres et Petits Maîtres, il a remis
en volume des éludes J-ur Delacroix, Huet, Th. Rousseau, Mille!.
Gavarni et les dessins de Victor Hugo; en 1880, il a publié la
correspondance de Delacroix sous le titre : Lettres d'Eugène
Delacroix recueillies et publiées par Philippe Burty; il a fait
paraître en 1886, à la librairie de l'Art, une étude sur Bernard
Palissy.
Depuis deux ans, enfin, dans le Japon artistique de M. Ding,
M. Burty a publié de très curieux cl tiès intéressants arlich^s sur
les armes, la céramique, l'an Japonais, dont les manifestations
rintéressaiept tout particulièrement.
A la veft:e des portraits de Landseer qui vient dêire faite h
Londres, Henri Rochefort s'est rendu acquéreur du portrait de
sir Grant pour le prix de 150 giiincrs (plus de 4,000 francs).
M. Rocheforl a déclaré, au milieu des applaudissements de
l'assistance, qu'il faisait don de cette toile à la Galerie nationale
en reconnaissance de l'îiospiialiié qu'il reçoit en Angleterre.
Une Exposition d'œuvr^îs de M. Th. Ribol, vient de s'ouvrir
chez M. Bernheim jeune, pour se continuer jusqu'au 10 juillet.
On y Irouvabon nombre d'œuvres de l'arliste, des toiles déjà
anciennes ù côté de ses dernières productions.
M""' Mell|a va quitter l'Opéra de Paris. On lui a fait d'Amé-
rique de telles propositions qu'elle préfère payer le dédit de
70,000 francs, stipulé dans son contra', que de continuer son
engagement h Paris. ' >
-Voici les premiers achats de l'Etat au Salon des Champs-Ely-
sées :
.Peimurk. — Danton : Une serre en construction. Daricn : Le
quai du Louvre, à Paris. Fouace : La pêche. Hareux : Ln ren-
trée du troupeau. Le Quesne : La légende du Kerdeck. Marcc : La
veillée. Nozal : Matin d'automne aux Andely-f. Quignon : La
Moisson. . ■ >
Sculpture. — Carlicr : Gilliath et la pieuvre (Crgure marbre).
Gérôme : Tanagra (figure marbre).
Marqueste : Persée et la Gorgone (groupe marbre).
?»cch : La Sirène (iii.).
Roulleau : Léda (id.). . .'
PAQUEBOTS-POSTjB DE, L'ÉTAT-BELGE , .
LIGNE D'OSTENbE-DOUVRES
La plus courte et la moins coûteuse des voies extra-rapides entre le Continent et TAngleterre
Bruxelles à Londres en ... . 8 heures.
Cologne à Londres en ... . 13 »
Berlin à Londres en
24
Vienne à Londres en. ... 36 heures.
Bâle à Londres en. . . . . 24 »
Milan à Londres en 33 »
XROII» SERVICES K^i%R JOUR
D'Ostende à 6 h. matin, 11 h. 10 matin et 8 h. 20 soir. -^ De Douvres à midi 15, 3 h. soir et 10 h. 15 soir.
XRAVERSÊE EIV TROIS HEURES
~" PAR LES NOUVEAUX ET SPLENDIDES PAQUEBOTS
Princesse Joséphine, Princesse Henriette, Prince Albert, La Flandre et Ville de Douvres
partant journellement d'OSTENDE à 6 h. matin et H h. 10 matin; de DOUVRES à midi 15 et 3 h. après-midi.
Salons luxueux. — Fumoirs. — Ventillation\perfectioniiée. — Éclairage électrique. — Restaurant.
BILLETS DIBECTS (simples ou aller et retour) entre LONDRES, DOUVRES, Birmingham, Dublin, EdimlMurg, Glascow,
Liverpool, Manch0s4M! et toutes les grandes villes de la Belgique
et entre LONDRES ou DOUVRES et toutes les grandes villes de l'Europe.
BILLETS CIRCULAIRES ^.
Supplément de 2° en !>■« classe sur le bateau, fr. 2-35
CABINES. PARTICULIÈRES. - Prix : (en sus du prix de la l'e classe). Petite cabine, 7 francs; Grande cabine, 14 francs.
A bord des malles : Princesse Joséphine et Princesse Henriette
■'■ r ~ Spécial cabine, 28 francs; Cabine de luxe, 75 francs.
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Ce livre, dans lequel l'auteur a cherché à remplacer l'étude pure-
ment théorique et abstraite de l'harmonie par des exercices pratiques
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L'ART MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DESJIRTS ET DE LA LITTÉRATURE
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Comité de rédaction t Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. —ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser toutes les communications à
l'administration générale de TArt Moderne, rue de l'Industrie, 26, Bruxelles.
^OMMAIRE
Lb Théatre-Librk. — The corporation aht-«allery. — La
Basoche. — L'Exposition des femmes peintres. — Concours du
CONSERVATOIRE. ThÉATRE MoLIÈRE. VeNTE DES ŒUVRES DE
F. Rops. — Chronique judiciaire des arts. — Mémento des expo-
sitions. — Petite CHRONiQirE.
LE THEATRE-LIBRE
Quatrième et deitiier article (1)
La transformation que poursuit M. Antoine devra
s'effectuer dans toutes les parties de l'art dramatique :
les décors étant ramenés aux dimensions courantes des
milieux de la vie contemporaine, les pers'onnages s'agi-
teront dans des cadres vraisemblables, sans le souci de
faire tableau. Le spectateur goûtera les simples gestes,
les justes mouvements d'un homme moderne, vivant de
notre vie journalière.
Les mouvements proprement dits de mise en scèn^^.
seront modifiés : le comédien ne sortira plus constam- ^
ment du cadre où il se meut, courant à la rampe pour
poser devant la salle; il évoluera dans les meubles, dans
les accessoires, et, son jeu s'élargira de ces mille
nuances et de ces mille détails devenus indispensables
(1) Voir nos numéros des l""', 8 et 15 juin.
pour fixer et composer logiquement un personnage.
Le* mouvement purement mécanique, les effets de
voix, les gestes empiriques et redondants disparaissant
avec la simplification et le retour à la réalité de l'action
théâtrale, le comédien sera ramené aux gestes natu-
rels; les expressions s'appuieront sur des accessoires
familiers et réels ; un crayon retourné, une tasse ren-
versée, seront aussi significatifs, d'un effet aussi intense
sur l'esprit du spectateur que les exagérations grandi-
loques du théâtre romantique.
Cet apparent bouleversement n'est qu'un retour
vers les grands exemples de la tradition et- les plus
renommés comédiens ont dû leurs beaux effets à des
moyens simples? Chez le comédien, le métier est V en-
nemi de Vart* Entendons le métier envahissant tout,
l'habileté et le tour de main trop constants étouffant la
personnalité et dominant la suprême qualité de l'exé-
cutant dramatique : \ émotion ^ cette sensibilité dédou-
blée et spéciale qui pénètre le comédien véritablement
artiste.
Là, comme dans tous les arts, la sincérité, l'élan,
l'espèce de conviction, la fièvre particulière qui
secouent l'interprète, sont les dons les plus précieux.
Les plus grands acteurs ont été des élèves médiocre-
ment classés, précisément parce que leur tempérament
artistique se trouvait réfractaire aux traditions et aux
enseignements étroitement exclusifs.
1
194
UART MODERNE
'N
Stendhal répondità quelqu'un lui demandant s'il avait
jamais vu une pièce de théâtre parfaitement rendue :
Oui, autrefois, en Italie, par des acteurs médiocres,
dans une grange.
Le système de vedettes a fait un tort énorme à l'art
dramatique : un ou deux artistes de premier ordre
autour desquels tout gravite et pour lesquels tout est
réglé. Avec un pareil état de choses, que deviennent la
pondération, l'équilibre, l'harmonie d'une œuvre? N'im-
porte quel comédien de l'heure présente ne s'occupera
dans la représentation que de la partie qui lui incombe,
ne songera qu'à amplifier, développer son rôle et l'eff'et
de ce rôle, quitte à déséquilibrer tout le reste.
Le modèle d'une troupe d'ensemble serait le groupe-
ment d'une trentaine d'acteurs de qualités égales, de
talents moyens, de personnalités simples, qui se plie-
raient toujours et quand même à cette loi fondamen-
tale de l'ensemble. Et ceci implique une modification
très curieuse signalée par M. Antoine : Plus de noms
dacteurs et d'actrices sur les affiches. Rien que le titre
de la pièce et de ses auteurs. Les sottes vanités de
l'odieux cabotinage supprimées.
On ne saurait passer sous silence une très grave
question : celle du luxe au théâtre. On sait l'impor-.
tance qu'a prise la question toilette pour les femmes.
Il n'est point rare de voir une comédienne dépenser
douze ou quinze mille francs, ses appointements d'une
année, pour habiller un rôle. La question de moralité
ne peut être discutée ici, mais nous constatons l'impos-
sibilité absolue où se trouve une femme de théâtre de
se suffire avec ses gains. Certains directeurs ne crai-
gnent pas d'exiger àe leurs artistes des toilettes tout à
- fait hors de proportion avec les appointements qu'ils
leur allouent; l'industrie théâtrale côtoie d'un peu trop
près l'exploitation de la galanterie.
Il n'est pas rare de voir, sur les premières scènes, des
femmes de chambre habillées de robes de cinquante
louis et vêtues comme des duchesses. Si, à la rigueur,
une pièce mondaine peut servir de thème aux variations
des couturières en renom, il ne serait point oiseux
d'exiger des actrices une mise appropriée au caractère
des rôles interprétés par elles. Est-il rien de plus faux,
de plus déplaisant, que de voir une comédienne empê-
trée dans des robes trop neuves, obsédée par l'appré-
hension de détériorer sa toilette et circulant dans une
action dramatique où ces considérations de dernier ordre
viennent dénaturer son jeu et gêner ses mouvements?
La galanterie ténale et le proxénétisme, soigneuse-
ment maintenus jusqu'ici dans les milieux spéciaux et
les théâtres à exhibitions, envahissent de plus en plus
les scènes classées. Or, une actrice ne peut pas travailler
sérieusement avec des préoccupations de cet ordre.
Autre point. Depuis des années, le public semble avoir
pris un goût très vif pour la partie purement décorative.
Toute une pléiade d'auteurs dramatiques s'est évertuée
à ne produire que des ouvrages se réduisant à un simple
motif de décorations originales! ^.
Or, pour quelle raison les mises en scène anglaises et
allemandes laissent-elles une si profonde impl'ession
d'art, bien supérieure à celle éprouvée devant le plus
somptueux décor de l'une des scènes parisiennes? Voici :
les Allemands ont porté l'éclairage des décors et les
projections lumineuses à un degré de perfection consi-
dérable. Windham, au Criterion de Londres, dispose
d'un plancher mouvant machiné très simplement et
très commodément pour opérer à l'infini et sans bruit
les changements les plus compliqués. Irving a fait
mouvoir les figurations avec un soin patient et un
ensemble qui émerveillent les voyageurs. Presque tous
les théâtres anglais emploient avec un rare bonheur
les objets en relief, les plantes naturelles, les fleurs
artificielles dans leur décoraUon. Les Meininger, au
théâtre Grand-Ducal de Saxe, ont poussé fort loin l'art
des plantations de décors curieuses et variées.
Il y a à introduire dans les pièces modernes les instal-
lations irrégulières, diverses, conformes à nos apparte-
ments, à nos intérieurs actuels. Il faudrait se rendre
compte de l'eff'et que produiraient des décors en boiserie
pleine. Il y aurait lieu, dans les tableaux de plein air,
de tenter la suppression complète des coulisses, des
bandes d'air, de tout l'encadrement factice qui rétrécit
le tableau. Des décors peints avec des procédés autres
que ceux employés actuellement, prendraient un relief
tout nouveau, une impression de vie, de nature et de
fraîcheur particulière.
Le moment est venu de conclure. Pour expliquer,
rendre plausible l'effort nouveau et particulier que le
Théâtre-Libre va tenter, l'année prochaine^, il a fallu
crier la* vérité très haut. Le mérite du livre de
M. Antoine sera d'avoir réuni, condensé et rendu public
ce qui se dit actuellement et partout sur le théâtre. Il
pousse à la révolution dramatique et tout fait espérer
qu'il triomphera.
THE CORPORATION ART GUIERY
(Correspondance particulière de VArt modome).
Celle Exposition qui vienl'dc s'ouvrir, à Londres, est éclatante
d'œuvres de grande marque. Elle prouve les maîtres anciens et
les maîtres modernes, péremptoirement.
Parmi ceux-là s'iliuslrc, liors de rang, Genlilc Bellini. Le por-
trait d'un doge de Venise, plus superbe même que celui de la
National, est une œuvre d'une splendeur et aussi d'une profon-
fondeur larges. Les couleurs les plus fastueuses caractérisent les
insignes et les vêlements traditionnels, tandis que le dessin le
plus synthétique et à la fois le plus scrupuleux d'exactitude
marque l'élude de la figure. A côté de ce merveilleux fragment
d'art, voici des Francia, un Raphaël, un Fra Barlolomeo, négli-
VART MODERNE
195
/
geables. Aussi un Jean Van Eyk de second ordre ou plulôt de
seconde main.
Exquise d'esprit, de finesse, de grâce et de joie, Madame de
Parabère, par Largillière. La spirituelle opulence de la toilette,
le goûl de la coiffure indiqtient la grande dame amoureuse de son
luxe plus encore que de ses amants. Et presqu'en face les trois
comtesses Elisabeth , CharloUe et Horatia Waldegrave , par
Reynolds, toutes avec un charme de rafiincmenl mélancolique et
d élégance sans apprôts et comme matinale.
Voici un paysage de jardins, très curieux, d'Hogarih, entendu
en ce style vénitien du xviii" siècle des Guardi et de Canaletto
quand ils peignent autre chose que de marines; aussi une lêtë
de Romney et deux Lawrence, médiocres. Un Reynolds sec laisse
deviner la parenté ou plulôt l'imitation de la peinture française
par les portraitistes anglais à. leurs débuts. Restent des Van Dyck
quelconques, des Teniers, dps Steen, des Both, des Backhuysen,
des Cuyp. De ce tas émerge un remarquable paysage de Jan van
Haegen et un portrait du très peu notoire, mais très artiste Guil-
laume Stretcs, — une merveille. '
Dans la salle voisine, les modernes.
Si l'on voulait suivre la peinture du rêve depuis son origine
dans l'école anglaise, certes, faudrait-il débuter par la signaler
puissante et très personnelle dans William Black. L'Art moderne
a publié jadis une étude sur ce peintre. Puis la suivre dans Stot-
tard et d'autres; puis la caractériser dans Madox Brown oiï elle
devient historique et dans Patou où elle s'émerveille de féerie.
Celui qui, certes, a le plus influencé les préraphaélites — à
part, bien entendu, les Italiens — c'est Madox Brown. Holman
Hunt sort de lui. Cela est notoire en ce présent Salon. Egalement,
dans le' Corps de Don Juan découvert pur Haydée, une figure de.
femme est comme le modèle du type des Proserpine, des Pia et
des Véronique adopté prcsqu'invariablcment par Rossclti.
Madox Brown est un grand peintre qui, toujours, croyons-nous,
sera mécoima. Il a si peu d'aimant pour tenter môme certains
artistes. Mais quand par réflexion, par pensée, on est entré dans
son an, colui-ci grandit soudainement. C'est un maître rude et
barbare, anglo-saxon jusqu'au fond du sang, puissant et rouge.
D'une humanité rudimcntaire cl populaire, il met à traduire son
art, une naïveté et une réalité étonnantes. Son : Vous mangerez
votre pnin à la sueur de votre front, est une œuvre (J|c la plus
étrange imj)rcssion. La scène est d'un détail tout moderne : des
ouvriers paveurs, des mendiants, des enfants qui se battent, des
hommes-sandwiches, des dames, un cavalier et une amazone, une
marchande d'oranges, etc. 3/étrange consiste en ce que, par la dis-
position des plans, par une certaine gaucherie de présentation,
par un jeu de perspective curieux, par la couleur et la distribu-
lion d'ombre et dé lumière, on ne songe pas un instant à la'
modernité du sujet. Le tableau tient si bien de la légende, de la
mise en pratique d'un enseignement, d'une œuvre allégorique et
symbolique, qu'elle déroute. Elle est extraordinaire de contraste.
On sait que Madox Brown fut un disciple de Leys.
Lui, Holman Hunt, le plus sincère, le plus scrupuleux, le plus
probe artiste que nous sachions, csl certes encore plus grand par
son caractère que par son talent. C'est lui surtout, lui et Seddon
— dont un tableau, récemment acquit, s'impose à la National
Oallery — qui paraissent les représentants les plus purs des aspi-
rations préraphaélites. Ils sont, pour ainsi dire, des ascétiques.
Rossetli est un grand passionné, un souffrant d'au delà du monde.
Eux, comme des moines patients, comme de pieux et stricts
adorateurs de la nature de Dieu, ils témoignent, par leurs œuvres,
de leur àme profonde, vénérante et soumise. Holman Hunt se
prouve en trois envois : Les deux gentilshommes de Vérone,
Jsabella et le Triomphe des innocents. Ce dernier, le plus impor-
tant du peinire, que nous connaissions, a toute la crudité d'un
Watts. Même dessin à cordes et à nœuds, même lourdeur, mêmes,
aussi, alcools de ions. La scène indique une fuite en Egypte. Le
Jésus, avec des épis dans les mains, sourit k une multitude
d'enfants gras qui l'accompagnent, couronnés de roses et tenant
des palmes. L'œuvre, quoique ûpre et vinaigrée, est profondé-
ment attirante et ne rebute qu'à première vue.
Rossetli est représenté par deux panneaux, dont l'un, la Fiancée,
est exquisement charmeur et rêveusement doux et triste. Cet
artiste, le plus grand, certes, du groupe préraphaélite, a exprimé
l'amour comme aucun peintre en ce siècle.
Burne-Jones, beaucoup moins original et bien plus italianisé,
se présente à la rampe avec le Chant d'amour, d'un songe char-
mant de légende. Son élève Strudwich expose également, en des
tons fanés de poussière et de feuilles rousses et brunes, l'histoire
d'un chevalier endormi dans un bois fabuleux et le tête-à-tête de
deux jeunes filles lisant un livre et effeuillant des fleurs en un
palais. M. Strudwich reste, en ces deux œuvres, personnel.
Leigton, Aima Tadema, Storey ne surprennent guère. On
côtoie également les lions assez inoffonsifs de Rivière et des gens
qui font grand effort de biceps et de poings tendus, sur des toiles
de minuscule intérêt. Quelques scènes d'intérieur calmes, très
goûlées par le public, tranquilliseraient d'ailleurs les plus crain-
tifs.
Bien que déjà nous ayons eu l'occasion de caractériser, à
maintes 'reprises, l'art si original de Watts, nous y voulons revenir
encore. 11 y a des messieurs qui confondraient assez facilement
les œuvres de Watts avec certaines toiles de Wierlz. Mais de ces
messieurs, il ne faut pas tenir compte.
Ce peintre range au présent Salon, côte à côte, des portraits cl
des légendes : Fata morgana, le Mal, Ariadne à Naxvs et Miss
Violet Lundsay, ainsi que le poète-critique William Morris.
Nous avons suffisamment, en des articles précédents, parlé de
l'artiste symboliste. Le portraitiste est attirant, certes, autant. La
tête de Miss Violet Lundsay, sur des fonds bleus étouffés comme
des lazuli voilés, se délache blonde, émaciée et vaguement son-
geuse. Une tristesse frêle comme un regret d'on ne sait quoi flotte
autour de ce front doucement penché. C'est une évocation très
féminine et — quoique cela puisse étonner de la part de Watts
— gracieuse. William Morris est exprimé dans son intelligence,
dans son rêve et dans sa volonté tranquille. On nous disait, der-
nièrement, que c'est bien de parti-pris que Watts adopte sa
manière brutale et barbare de peindre. Tout comme un autre, il
lui serait facile d'avoir la touche élégante, fine cl distinguée. Des
œuvres tenues cachées le prouvent. Mais rien ne le laisse plus
froid que celte joliesse courante, que ce faire propre et banal et
que toute cette mode dé correction et de prestigieuse habileté
extérieure.
Nous reviendrons encore sur l'art de ce peintre.
A
196
VART MODERNE
Opéra comique de MM. Albert Carré et André Messager,
{Correspondance ■particulière de l'Art moderne).
Moult joyeusement escholiers cl ribaudcs, en l'hoslellerie
du Plat d'étain, par leurs plaisants propos et leurs génies
chansons, ont chassé les araignées qui lamentablement commen-
çaient de tisser leurs toiles dans la solitude de l'Opéra-Comique, où
traînait l'ennui du Dante de Messire Benjamin. Et le public
accourt, et claque des mains, et houpe du gosier, et fait redire
une et deux et trois fois les jolis couplels cl les ingénieux passe-
pieds, vilanelles, rondos et rigodons du jeune maître ès-musique,
André Messager.
En langage moins sixcenliste, la Basoche est un très gros
succès, el un double succès dons lequel le parolier et le compo-
siteur ont chacun leur part. Le livret, spirituellement agencé,
repose sur le quiproquo que voici : Colette, la femme de Clément
Marot, vient en cachette, et malgré la défense de son époux (les
statuts de la Basoche interdisaient strictement le mariage aux
escholiers), rejoindre à Paris son cher petit mari. En le voyant
couronner par ses camarades, caracoler au milieu d'une cour
carnavalesque, elle est convaincue qu'elle a épousé le roi, le vrai
roi de France, que des raisons d'Etat ont seules empêché de se
dévoiler à elle. Mais elle se heurte, eji l'hoslellerie où elle
débarque, à la reine de France aulhenlique, Marie d'Angleterre,
que le duc de Longueville a été solennellement quérir à la cour
d'Henri Vlll et qui a l'étrange fantaisie, en attendant sa présen-
tation à Louis XII, son futur époux, de courir les rues de Paris.
Elle prend innocemment Clément Marot, roi de la Basoche, pour
son fiance, et la voilà « emballée » comme on dit en la langue
pittoresque du xix* siècle, pour le héros de la folle esiudiantfna.
Si loul cela n'est pas très vraisemblable, l'intrigue a le mérite
d'amener d'extraordinaires complications el des scènes vraiment
gaJes qui ont excité la verve du compositeur et lui ont fourni
l'occasion d'écrire une vingtaine de morceaux charmants.
M. André Messager est, comme chacun sait, un excellent musi-
cien, essentiellement artiste et d'une éducation musicale raffinée.
S'il a écrit François-les-Bas- Bleus et la Fauvette du Temple,
dont le genre léger contraste quelque peu avec le sentiment intense
. d'an que dix minutes de conversation révèlent en lui, c'est, sans
doute, qu'il s'est dit : « On joue les opérettes, el les drames
lyriques sommeillent dans les carions des directeurs. Ecrivons
d'abord des opérettes, faisons-les jouer, et rira bien qui rira le
dernier. »Nous apprendrons sarts 'aucune surprise que l'auteur de
K^François-les-Bas-Bleus travaille à une œuvre lyrique de la plus
large envergure. Et peut-être qu'en ce moment même... Mais
chut ! soyons discret.
La Basoche est, dans la hiérarchie des œuvres de M. Messager,
d'un degré plus élevé que les partitions que nous venons de citer-
Ne serait-ce pas l'échelon qui va lui servir h escalader tout à coup
l'étage supérieur? La musique en est pimpante cl gaie, mais
extrêmement fine et toujours distinguée. Une instrumentation
piquante, pleine de trouvailles et d'effets amusants, relève le tissu
mélodique, qui côtoie souvent l'opéreite sans y choir. Les
(1) La partition de la Basoche, réduite par l'auleur pour piano et
chtfnt, vient de paraître chez Choudens, à Paris.
ensembles symphoniques el vocaux sont traités par un musi-
cien expert, connaissant son métier sur le bout des doigts,
el tout à fait maître de sa main. Citons notamment... Mais à quoi
bon citer? A pari l'air d'entrée de Marie d'Angleterre, un air à
cocottes et à roulades qui jure dans ce milieu coquet, tout est à
son plan el mériterait une mention. On en jugera d'ailleurs à
Bruxelles l'an prochain sans doute : le succès de la Basoche à
rOpéra-Comique impose à la direction du théâtre de la Monnaie
l'obligation de monter l'œuvre à son tour. Et précisément la
semaine dernière, pous avons aperçu M. Sloumon qui traversait
résolument la place du Châtelet au moment précis où la toile
allait se lever sur « une place du vieux Paris »...
L'interprétation de la Basoche est bonne, même très bonne.
M""* Landouzy égrène, dans le joli rôle de la reine, le chapelet de
ses notes cristallines, et M"* Molé-Truffier joue avec beaucoup
d'intelligence et de grâce celui de Colette, qu'elle chante d'une
voix un peu métallique mais néanmoins agréable. M. Soulacroix
a créé un Clément Marot plein de jeunesse, de verve, de séduction,
et les mélodies écrites par l'auteur (quelques-unes le sont sur des
vers du poète lui-même) tombent fort bien dans sa voix. Enfin, la
basse-bouffe, M. Fugère, est un artiste de premier ordre, qui joue
en comédien de race et chante d'une voix superbe le personnage
du duc de Longueville. Les chœurs et l'orchestre, sous la direc-
tion de M. Danbé, marchent avec ensemble et avec précision. Si
la Basoche eût été donnée quelques mois plus tôt, M. Paravey
eût certes fait une campagne plus brillante que celle que lui a
valu ce pauvre Dante, décédé avant l'âge, et ravi inopinément à
l'affection des siens.
L'Exposition dps Femmes peintres.
Les « femmes peintres » ont eu l'amabilité de nous convier à
l'ouverture d'un Salonnet dans lequel elles ont réuni une centaine
de tableaux peints par elles, et même plusieurs morceaux de
sculpture qu'elles ont pris la peine de modeler dans la cire et la
terre plastique, au risque de tacher leurs jolis doigts. Celte ouver-
ture était très coquette, avec son joyeux bourdonnement, son
froufrou de toilettes, ses bavettes taillées dans les coins, son flir-
tage discret, l'effarement des gentilles exposantes, très fières de
poser au rapin.
A part M"« Louise Desbordes, dont on connaît les œuvres pour
les avoir appréciées dans les vrais Salons où exposent des pein-
tres barbus, M"« Pauline Cuno, dont les fleurs, adroitement cro-
quées, ornent parfois telle vitrine de marchand, M"* d'Espiennes,
vouée aux chevaux, et M"* Dupré, qui expose souvent avec les
aquarellistes, tous les noms (il y en a de délicieux : Andaluzia,
Fausline, Angélique, Cornélia) qui décorent les cadres sont
vierges, croyons-nous, de toute accoinlance avec les catalogues
officiels. — Du moins, les catalogues bruxellois : car la plupart
de ces dames ont eu des médailles de bronze, et même d'argent,
à Cologne et ailleurs. L'une d'elles est chevalier de Mélusine, litre
charmant, argentin et frais comme un conte de fées.
Cet ensemble de fleurs, de nalures-morles, de pajeages el de por-
traits paraît être un peu en avance sur l'époque des distributions
de prix où, dans les pensionnats, s'exhibent aux parents émer-
veillés les travaux des élèves.
Pour la seconde fois, le Cercle des femmes peintres ouvre son
Salon, qui paraît devoir être chronique. La mode est donc
actuellement, chez ces dames, de peindre ei de sculpter. Elles
mettent à passer le peignoir de toile grise la même coquetterie
que jadis à nouer le tablier pour la fabrication des confitures.
Peinture ou confiture, n'est-ce pas toujours un emploi des longues
heures de la journée et pour nous, les maris, les frères, les amants,
quelque Illusion de sécurité?
foNCOUR? DU foN^ZRYATOlRE
Le petit concert d'usage a commencé la fête. Sous la dir.cctiou
des professeurs des classes d'ensemble, MM. Warnots, Soubre,
Bauwens, Colyns, Agniez, les élèves ont fait entendre quelques
choeurs sans accompagnement : des Psaumes harmonisés par
M. Gevaerl, un Adoramus dp Palestrina, plus un Surrcxit pastor
de Mendelssohn soutenu par l'orgue. Au résumé, musique aus-
tère, décente, appropriée au caractère de la maison et à la solen-
nité du jour.
Dans la seconde partie, outre la symphonie en la de Mozart
destinée à mettre en relief les progrès très sensibles de la classe
d'ensemble instrumental, l'orchcslrc a fait entendre deux œuvres
nouvelles, et, mieux encore, deux œuvres belges.
L'une est une Symphonietta de M. Edouard Samuel, dont on
n'a malheureusement exécuté que deux fragments : VAndante et
le Final. Ces deux morceaux sont écrits avec talent et donnent
l'envie de connaître l'œuvre entière. Le thème de VAndajite est
très attachant, et si les développements trahissent encore l'inexpé-
rience, du moins l'œuvre ne manque ni de distinction, ni de
charme. F^e FUial est finement écrit et habilement instrumenté.
L'autre œuvre nationale est la Marche nuptiale composée par
M. Auguste Dupont pour le mariage de sa fille. Exécutée à
l'orgue de l'église Saint-Boniface le jour des noces, puis, avec
orchestre, au Concert populaire, l'œuvre est apparue, celte fois,
avec son véritable caractère et dans tout son éclat. C'est un mor-
ceau décoratif d'un grand effet, haut en couleurs et qui sonne
joyeusement la fête des épousailles. L'impression produite a été
très grande. '
Le lendemain ont commencé les épreuves des concours, dont
voici les résultats :
Instrlmexts a embouchlre
Trompette .- chargé de cours, M. Goeyess. — Rappel avec dis-
tinction du 2' prix, M. Grillaert ; 1" accessit, M. Javarl ; 2» acces-
sit, M. Charlier.
Cor : professeur M. Merck. — i" prix, M. Geraerts (avec dis-
tinction); 1" prix, M. Dcgrom ; 2» prix : M. Guekcrt.
Trombone •• professeur M. Seha. — 1" prix (avec distinction),
M. A. Scgers; l^"" prix, M. Ghevy ; 2' prix, M. Cyprès; 3«^ prix,
M. A. Lefcbvre ; 1" accessit, M. Dusch.
INSTRU.MEXTS A ANCHE.
Basson: professeur, M. Neumans. — 1" prix, M. Pieltain;
1"' accessit, MM. Vandesscl, Tassct, Mondus et Provosl.
Clarinette .- professeur, M. Poxcelet. — l"prix, MM. Bouteca
et Otten; 2« prix avec distinction, M. Tourneur; 2* prix,
MM. Hubprt et Marcel ; 1«' accessit, M. Van Altenhove ; 2» accessit,
M. AHart.
Hautbois : professeur, M. Guidé. — i" prix, M. Gorin; 2« prix,
M. Bievelez; i" accessit, M. Carlier.
Flite.
Professeur, M. Anthoni. — i" prix, M. Brocckaert; 2« prix,
MM. Maeck et Strauwen; i"' accessit, MM. Gondry, Borlée,
Nawez et Frémy; 2* accessil, M. Buyssens.
Mu.SIQLE de chambre AVEC PIANO.
• Cours inférieur : professeur, M™* de Zarembska. — i" prix,
M"" Smit et Robyl.
Cours supérieur : professeur, M. A. Dupont. — \" prix,
M"e Parcus, 2" prix, M"« Falkenstein et Bles; i-' accessit,
M"«Lemaire.
THÉÂTRE MOLIÈRE
D'Artagnan, Athos, Aramis et Porihos remplissent, mordious!
de clairs cliquetis d'épées et de jurons sonores comme des crépi-
tements de mousqueterie, la petite scène ixelloise. El lous les soirs
on pleure abondamment au supplice de Charles \". Des envies
planent d'aller, dans les coulisses, gifler Mordauni et étrangler
Cromwell, cl les mains battent, et les poitrines oppressées se
dilatent quand, parmi les vagues de toile consciencieusement agi-
tées par d'honnêtes tourlourous, passe, flottant el bedonné, devant
la barque qui porte les mousquetaires cl leur fortune, l'infâme
séide du Prétendant, un poignard planté dans la gorge.
Cet art là, malgré le Théâtre-Libre et les innombrables lenla-
tives de réforme dramatique, aura toujours ses fanatiques. Il a
pris racine profondément et résistera victorieusement à la tour-
mente. Ils le savent bien, les directeurs malins, qui, lorsque la
recette baisse, s'empressent d'annoncer le Bossu ou les Deux
Orphelines ! M""* Rose Desnoyer s'est dit que les vieilles pièces à
panaches d'Alexandre Dumas avaient, plus encore que les mélo-
drames préciiés, chance de plaire, parce qu'elles sont plus
oubliées. Elles le sont à loi point que pour quelques-uns elles
paraissent toutes neuves. Aussi, après la Jeunesse des Mousque-
taires, représentée sous la direction Alhaiza, voici que Vingt ans
après attire la foule, et que l'aftiche va se vouer k la Prise de la
Bastille.
Très honnêtement montés, mis en scène avec le souci du
mieux possible, les drames qui passionnent once moment Ixcllos
trouvent dans les artistes qui composent la troupe de M*"* Des-
noyer une inlerprétation congrue. La directrice paie de sa per-
sonne, en comédienne inlolligenle, ardente el expérimentée. Du
côié masculin, M. Mary incarne un d'Artagnan chevaleresque,
plein de bravoure et d'entrain. M. Venkcns a trouvé dans le rôle
de Porihos un véritable succès : chaque mol qu'il laisse tomber,
de sa voix traînante de soudard bon enfant, soulève les rires et
les applaudissements. M. Keppens révèle, dans le personnage
d'Aramis, de sérieuses qualités de diction cl de tenue qui font
présager un artiste d'avenir. MM. Munie et Ileurion remplissent
avec talent les personnages de Mordauni cl d'Alhos. Bref, on se
donne beaucoup de peine, sur la scène ixelloise, pour obtenir un
bon ensemble, cl l'on y arrive. Ce t}ue doivent rêver, depuis
quinze jours, exploits héroïques, duels, enlèvements, aventures
extraordinaires et dévouements surhumains, les jeunes filles de |a
Chaussée et de la Place Communale!....
VENTE DES ŒUVRES DE F. ROPS
On a vendu celle semaine, chez M. BItrff, la colleclion des gra-
vures, liihograpliics el croquis de Félicien Rops, formée par feu
M. François Olin. Les enchères, 1res animées, onl produil, pour
802 numéros, un lolal de 6112 francs, prix fort élevé quand on
remarque qu'à pari quelques dessins (l'un, exposé en 1888 au
salon des XX, sous le lilre : Une Gueuse, a alleinl 700 francs)
la collection ne se composail que de planches gravées, dont un
grand nombre de lellrines, de vigncUcs, cic, el de lithographies
ayani servi, pour la pluparl, d'illustralions à V Uylenspùgel
qu'il élaii aisé de se procurer, il y a quelques années, ù bon
marché.
Les épreuves d'éiai des caux-forles sonl montées, en général, à
20, 30 cl 40 francs.
Voici, pour les collectionneurs, quelques prix : Le massage
H" état), 40 fr. — L'ariette (avanl-projei, 1" élat), 40 fr. —
Id. (2« état), 36 fr. — Pallns {i" élat), 38 fr. — Femme au cha-
peau cabriolet (l" élat), 38 fr. — Parisine (1" état) 36 fr. — Le
Vol et la Prostitution dominant le monde, Z^ fr. — Essuie-
mains réactifs belges (l" élat), 32 fr. — M. (2« étal), 30 fr. — La
diligence d'Uccle (sur Chine), 32 fr. — Id. (sur vélin), 32 fr. —
Femme à Ja toque écossaise (1" état), 32 fr. — Id. (3« étal),
32 fr. — Id. (étal spécial, sur Chine), 30 fr. — La Norwégienne
(2* étal), 32 fr. — Les mannequins (IcUrine), 32 fr. — La ques-
tion d'Orient (4^ élai), 30 fr. — La foire aux amours (petite
planche), 30 fr. — En prenant le thé, 30 fr. — Mon grand oncle
(planche d'ensemble, l'^' élat), 30 fr. — Les Cythères parisiennes
30 fr.
Onl élé adjugées de 20 à 30 francs les planches suivantes :
Orphée (Whaiman, 1" état). — Pêcheurs napolitains (Chine).
-^ Le démon de la coquetterie (Japon). — Le gamin à la pierre
(Chine). — Id. (Hollande, 2« état). — Le vieux docteur (l"élal).
— La lecture du grimoire (Chine). — L'Affûteur (Hollande,
1" élat). — Id. (Chine, état non décrit). — Cuisine à Anseremme
(1" élat). — Id. (dernier élat). — Laitière anversoise. — Prin-
temps (l*"" état). — Laitière flamande. — Jeune n\oiiste. — Chez
de Bériot. — La Zélandaise. — Le doigt dans /'û»j7(vernrs-mou,
Hollande, 1" étal). — Folies-Bergère (veriiis-mou et pointe-sèche).
Curieuse. — Don Paes. — Le Sphinx. — Le dessous des cartes
d'une partie de tvhist. — Le bonheur dans le crime. — La ven-
geance d'une femme. — La Femme et la Folie dominant le
monde, etc.
On le voit, les collectionneurs de gravures et de dessins de
Rops ne sonl pas volés. Détail caractéristique, : à part quelques
planches emportées comme souvenir par des amis de Rops et de
rares fervents d'art attirés à la vente, tout a été acquis par des
marchands : M. Sagoi, de Paris ; MM. Edmond Deman, Vos et Meu-
lenaerc, de Bruxelles. Il est certain que les prix établis par celle
première vente publique d'une colleclion d'œuvres de Rops ne
feront qu'augmenter.
j^HRONlQUE JUDICIAIRE DE^ ^RT^
Le genre et l'emploi.
N"'« Madeleine Max, la jeune artiste dramatique dont nous
avons relaté le différend avec le théâtre des Galeries (1), gagne
(1) Voir Y Art moderne du 11 mai dernier.
décidément son procès. Un premier jugement, j-endu le. 21 mai
par le tribunal civil de Bruxelles, a établi nettement la distinc-
tion qu'il convient de faire, au point de vue de la distribution des
rôles, entre le genre pour lequel l'artiste est engagée et l'emploi
qu'elle a à remplir dans ce genre. Si la direction d'un théâtre
s'est, dans un contrat d'engagement, réservé le droit de faire
jouer à une artiste lous rôles autres que ceux désignés spéciale-
ment dans le dit engagement, celte slipulalion permet à la direc-
tion de faire sortir l'artiste de Vemploi pour lequel elle est enga-
gée, mais nullement de lui faire aborder un genre différenl.
Tel est, en résumé, la décision du tribunal.
M"'« Madeleine Max a donc eu raison de refuser le rôle qu'on
voulait lui attribuer dans Cendrillonnette, cet ouvrage, qualifié
« opérette » par ses auteurs eux-mêmes, ne rentrant pas dans le
genre (drame et comédie) pour lequel l'artiste avait élé engagée.
Et le jugement ajoute : une pièce classée par ses auteurs dans Ig
genre « opéreltc », et présentée comme telle au public par la
dircclion du théâtre, conserve ce caractère, bien qu'elle renferme
des scènes où la musique lient peu de place et d'autres où le
dialogue est tout.
On se souvient que la direction prétendait que M"-* Madeleine
Max eût été tenue de répéter, néanmoins, et de jouer provisoire-
„ment le rôle jusqu'à décision de justice. Sur ce point, le juge-
ment prononce que malgré la stipulation obligeant l'artiste à
remplir son service par provision, la résiliation n'est pas encourue
lorsqu'il est reconnu que l'artiste avait raison en soutenant que le
rôle ne rentrait pas dans son genre el ne pouvait lui être imposé.
La demande des directeurs tendant à la résiliation avec dédit
n'est donc pas fondée.
Mais une autre contestation vint se greffer sur celle-ci. La
direction des Galeries, débitrice envers M™" Madeleine Max du
dernier mois de ses appointements, refusa de les payer, prétex-
tant que les amendes encourues par l'ariislepour avoir refusé de
prendre pari aux répétitions el représentations de Cendrillonnette
compensaient le montant des dils appointements. Nouveau pro-
cès, à la requête, celle fois, de M"'<= Max, el devant le tribunal de
commerce. Par jugement rendu le 10 juin, ce tribunal a condamné
les directeurs "h payer les appointements réclamés avec les iowêls
el les frais, et s'est déclaré incompétent à l'égard de la demande
reconvcnlioraielle introduite par MM. Bahiei;, Docquier cl Courtier
au sujet des amendes. Il s'agit, en effet, d'une action dirigée
conlrc une artiste à raison d'un acte non commercial dans son
chef, qui échappe à la compétence du juge consulaire.
Il reste aux directeurs la ressource d'un troisième procès devant
la juridiction compétente. Mais il esl vraisemblable que les deux
premières expériences les décideront à en rester là.
Mémento des Expositions
Arnhem (Pays-Bas). — 15 juillel-15 septembre. Envois :
15 juin-1" juillet. Renseignements : M. A.-C. Van Daelen,
secrétaire de la Commission directrice de l'exposition des Beaux-
Arts, à Arnhem.
Bruxelles. — Salon triennal, 15 seplembre-15 novembre.
Délai d'envoi : 11 août. (Gratuité de transport, aller et retour,
surlg territoire belge, pour les œuvres expédiées par chemin
de'ier, grande vitesse, tarif n» 2). Renseignements : Commission
directrice de l'Exposition générale des Beaux- Arts, Bruxelles.
{Secrétaire : M. Stiénon).
Dresde. — Exposition du Cercle arlistique : aquarelles.
VART MODERNE
199
pastels, dessins et caux-forlos, sous le protectorat du roi de
Saxe. Les invitations et prospectus seront envoyés prochainement.
EvREL'x. — i*' juillet-31 août. Délai d'envoi : expiré. Ren-
seignements : M. Hérissay, vice-président de la Société des
Amis des arts y atelier Deneï, rue Buut, Evreux.
Grenoble. — 4" juillcl-30 août. Envois : délai expiré. Rensei-
gncrtionis : Secrétaire de la Société des Amis des arts.
Le Havre. — i".août-30 septembre. Dépôt, rue de Gaiilon 16,
du 20 juin au i"' juillet (jusqu'au 8 pour les œuvres venant du
Salon de Paris).
Milan. — Exposition triennale des Bcaux-.'Vrls. — l*'-30 juin
1891. — Trois prix de 4,000 francs chacun, fondés par le
roi Humbert, seront décernés h la peinture et à la sculpture. Trois
prix de 4,000 francs chacun, fondés par Saverio FumagalFi,
seront décernés h la sculpture, à la peinture religieuse, historique
ou de genre. L'n prix de 4,000 francs, fondé [lar Antonio Gavazzi,
sera décerné à la peinture historique. Médailles et diplômes. —
Les demandes d'admission devront être adressées au président,
M. Emile Visconli-Venos^a, à l'Académie des Beaux- Arts
de Milan.
Munich. — Salon annuel : 1" juillel-15 octobre 1890. Envois :
délai expiré.
Paris. — Exposition de Blanc et Noir (au pavillon de la Ville
de Paris). — \" octobre-30 novembre. Envois : 1-S scpicmbro.
Renseignements : M. Bernard, directeur.
Spa. — 6 juillet-fin septembre. Gratuité de transport sur le
territoire belge pour les invités expédiant leurs œuvres par
tarif 2; pour les invités étrangers, exemption de frais à l'aller,
frais de retour (hors du territoire belge) à charge des exposants.
Envois : 10 juin-1" juillet. Renseignements : M. Louis Sosset,
secrétaire de l'Exposition des Beaux- Arts, Spa.
Versailles. — 6 juillet-5 octobre. Envoi : délai expiré.
Renseignements -.Secrétaire général de l'exposition des Amis
des arts de Seine-et- Oise, Versailles.
Petite çHRo;>iiquE
Les concerts du Waux-Hall, dirigés par M.M. Philippe Flon et
Alfred Marchot, sont très suivis et fort inlérossanis. La semaine
dernière, le programme du concert extraordinaire de jeudi était
consacré, exclusivement aux œuvres de Saint-Saëns dont l'or-
chestre a exécuté avec beaucoup de soin la Marche héroïque, la
Jeunesse d'Hercule, Phaëlon, la Danse macabre, le Rouet d'Om-
p/tflie, des fragments d'Etienne Marcel el de Henri VIII, cl
deux compositions nouvelles, une Suite d'orchestre et une Séré-
nade. Dans celte dernière, le soliste, M. Guidé, s'est particulière-
ment distingué.
Diverses œuvres symphoniqucs de Wagner, inscrites au pro-
gramme de jeudi passé, ont produit grand effet.
M""^ Marcy, la charmante cantatrice qu'on a eu trop rarement
l'occasion d'apprécier cet hiver à la Monnaie, a ouvert la série des
concerts avec chant, et s'est fail chaleureusement applaudir en
chantant d'une jolie voix fraîche l'air de Mireille et une valse de
Ricci.
M. Eugène Ysaye, l'éminent professeur au Conservatoire de
Druxellcs, vient d'être engagé à participer au concert delà Société
Philharmonique cje Londres, fixé au 28 courant. C'est la qua-
trième fois, en deux ans , que M. Ysaye est appelé à se faire
entendre à ces concerts où seuls ont accès les virtuoses les plus
célèbres. L'artiste jouera le 9» concerto de Spohr.
siiion par l'Etat, à la vente Prosper Crabbc, de l'Ophélie d'Alfred
Stevens. Il n'y a pas eu d'autre achat que ceux que nous avons
annoncés : M. Sliénon s'est fait adjuger pour le compte du gou-
vernement les Pourceaux de Paul Potier, et le Chien au miroir
de Joseph Sievens.
La Fédération des sociétés d'Histoire et d'Archéologie de Bel-
•gique organise un Congrès historique el arcJiéologicjue, qui s'ou-
vrira à Liège le 3 août 1890.
Le Congrès durera quatre jours, qui seront consacrés aux
séances, à l'étude des collections des Musées el aux diverses
excursions organisées dans la vallée de la Meuse.
La souscription est de 5 francs pour les membres des Sociétés
fédérées, et de 10 francs pour les autres souscripteurs.
Adresser le demandes d'adhésion à M. Julien Fraipont, secré-
taire général du Congrès, Mont-Saint-Marlin, 17, à Liège.
M. R. de Egusquiza vient de graver à l'eau-forto, dans do
grandes dimensions (38 cr;ntimèlres de hauteur sur 43 de largeur),
deux portraits, l'un de Richard Wagner, l'autre de Schopcn-
hauer, tous deux d'après des documents authentiques.
Les deux planches sont aclueilemcal exposées au Salon du
Champ de .Mars et présentent un réel intérêt. Un tirage restreint
ajoute une rareté bibliophilique à celte œuvre d'art : 20 épreuves
seulement seront tirées, de chacune des planches, sur parchemin,
et 30 épreuves sur Japon.
Le prix des premières est de 100 francs; des secondes, de
30 francs.- Les souscriptions sont reçues chez l'auteur, 32, rue
Copernic, à Paris.
M. Verdhurt, ancien directeur du théâtre de la Monnaie, ouvrira
au mois de septembre le Théâtre Lyrique qu'il est occupé à
installer dans l'ancien Eden de Paris.
Les œuvres dont la représentation est, jusqu'à présent, décidée,
sont : Sainson et Dalila, le Vénitien, la Coupe et les Lèvres,
le PrinlempslGwendoline ; enfin : Chanson nouvelle de MM. Jules
Bordier et Hehfi Moreau.
C'est par erreur que le Journat de Bruxelles a annoncé l'acqui-
Le prix du Salon de Paris a été attribué à M. Félix Charpentier
par 30 voix dontre 6 à M. Gauquié.
M. Charpentier exposait le groupe en plâtre déjà récompensé
par le jury du\Salon : Lutteurs. ,
Trois bourses de voyage ont été accordées aux peintres, trois
aux sculpteurs, deux aux architectes, une aux graveurs. Voici la
liste des artistes Ihvorisés :
Peinture. — MM. Bourgonnier", les Ciseleurs; Gueldry, Un
jour de régates; Pierre Poujol, Dante apercevant Paolo et Fran-
cesca de Rimini dans le tourment des voluptueux.
Sculpture. — .M.M. G. Loiseau, Adieu, groupe en plaire; Raoul
Larche, Jésus enfant devant les docteurs el le buste de Thomas
Corneille; Désiré Gosse, la Fin d'un héros el le buste du Colonel
Mouton.
Architecture. — MM. Alphonse Conin, Breffendille.
Gravure. — M. Franck Baudoin.
Le prix Marie BashkirtsetT, d'une valeur de 300 francs, a été
décerné à M. Paulin Bertrand, auteur do doux paysages . le Pra-
don et Carqueiranne.
Le prix Raigecourl-Goyon, d'une valeur de 1,000 francs i récem-
ment fondé), est échu ù M. Armand Guéry, qui exposait un tableau
intitulée : les Chardons {Champagne).
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la composition raisoniiée du quatuor et des principales
formes de la musique pour piano par J.-G. Lobe.
Traduit de l'allemand (d'après la 5® édition) par
Gustave Sandre.
VIII et 379 p. gr. in-S». Prix : broché, 10 fr.; relié, 12 fr.
Ce livre, dans lequel l'auteur a cherché à remplacer l'étude pure-
ment théorique et abstraite de l'harmonie par des exercices pratiques
de composition libre, fut accueilli, dès son apparition, par une
faveur marquée. La présente traduction mettra le public français à
même d'apprécier un des ouvrages d'enseignement musical les plus
estimés en Allemagne.
Bruxelles. — Iiup. V MoNNOii, 26, rue de l'Industrie.
Dixième année. — N° 20.
Le numéro : 25 centimi.s
Dimanche 29 Juin 1890.
L'ART MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE OÎIITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Comité de rédaction : Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, uu an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. — ANNONCES : On* traite à forfait.
Adresser toutes les communications à
l'administration générale de l'Art Moderne, rue de l'Industrie, 26, Bruxelles.
^OMMAIRE
Le Possi;i)t;,/par Camille Lenionnier. — Le Nouveau Ruuens.
— A PROPOS DK Félicien Rops. — L'IIùtel-de-Ville de Borger-
iiouT. — BiDLioGRAPHiE. Accitsés (Ic réception. — Le concours
POUR UNE nouvelle ÉCOLE MOYENNE. CONCOURS DU CONSERVA-
TOIRE. — lîIIiLIOGllAPHIK MUSICALE. ClIRONKjUE Jl DICIAIRE^DES
ARTS. — Petite cjironique.
LE FOSSÉDÉ
Etude passionnelle, par Camille Lumonnier, 1 vol. dé 348 pages. —
Paris, Charpentier, 1890.
« A quoi bon vouloir, puisqu'aussi bien l'acte constam-
ment dément le meilleur calcul ? »
A cette troublante conclusion aboutit l'étude doulou-
reuse et poignante que vient de publier Camille Lemon-
nier. Un magistrat honnête, fils d'un honnête homme,
sous l'œil fascinateur d'une femme perverse — « œil
obsessionnel et qui toujours plus avant descend aux
troubles eaux de son désir, — œil nageant avec son
regard, comme un lumineux poisson, par dessus les
limons soulevés de la concupiscence », — sent remuer
en lui les ferments de débauche transmis à son sging par
un aïeul roulé aux basses abjections. A cet envahisse-
ment des mauvais désirs s'établit dans l'esprit raison-
neur et déjà irrémédiablement perdu du magistrat, non
pas une lutte en tre^la bonne conscience qui le guida jus-
qu'alors et ce personnage de désorcfre apparaissant en
lui par un dédoublement de sa nature, — mais une
explication pour légitimer chaque fléchissement de la
volonté, une constatation que tout débat est vain et que
le " chancre de l'hérédité adhère sans remède possible
à la peau ».
« La torse et polypeuse hérédité , ramiculée en
l'homme, vrillée à ses fibres, — inaliénable squelette
adhérant à la chair des races, arbre incrusté dans le
limon humain et portant à ses rameaux les familles,
spectre bâtissant la maison des postéritésVavec les
pierres sanglantes et pourries du tombeau des ancêtres,
— cette revapche des courroux de Dieu contre la créa-
ture orgueilleiise qui le blasphème et serige souveraine
en le niant, ne le tourmentait plus; il subissait la loi
sans récriminer, à présent que s'était consommée la
transsubstantiation, à présent que le louche et caute-
leux conseiller s'était résorbé en lui. •>
Ainsi portant les corruptions et les vices accumulés
de ses ancêtres, Thomine descend la pente infernale,
consciemment, faisant mieux ressortir, par chaque
objection, la fatalité de sa chute et, plus profondément
que le baron Hulot de Balzac , il s'enfonce dans la
déchéance, malgré le secours aussi d'une épouse dont le
dévouement et l'inaltérable candeur ne sont qu'un
r\
202
UART MODERNE
adjuvant au ragoût de la dépravation, par son lit et ses
plus saints souvenirs pollués, et il en arrive aux hoquets
de l'ivrogne, agrippant, dans un dernier accès d'éré-
thisme, la religieuse qui le soigne et finissant par l'ou-
trage aux mœurs solitaire.
Cependant sa fille est morte de l'aspect d'une souillure
qui ne savait plus se contraindre assez pour échapper à
fccs regards d'ange et que « sa douce Ame en blanc « n'a
pu supporter, — et son fils, charriant dans ses veines
le feu empoisonné, apparaît voué aux mêmes luxures.
Tel est ce livre qui est comme l'analyse d'un cauche-
mar au travers duquel l'homme, jouet de passions héré-
ditaires, le Possédé, marche, le cerveau vide, la volonté
abolie, vers les plus écœurantes réalités :
« ... la sensation, comme en un autre jour, la sensa-
tion d'une contrée sans espcîir, la sensation d'une immo-
bile éternité de blanches et vides ténèbres, — non, pas
même la seiisation ! car il ne sentait plus, il était couché
sur le dos dans la vide horreur de ces latitudes sans
commencement ni fin. Et de son flanc, un pic (comme en
l'autre jour) jaillissait, eflt'rayant, pareil à la colonne sur
laquelle pesait le prodigieux ennui des cieux en silence,
des rigides cieux aveugles que nulle aile, nul souffle,
nul espoir d'aurore ne décomprimaient. Or, dans cette
immobile éternité de sommeil ou de mort (rien n'aurait
pu l'en avertir), mais les yeux ouverts sur le vide et le
silence, les yeux comme des gouffres ouverts sur ces
gouffres de silence et de vide, avec le ver vivant d'un
fixe regard au fond de ses orbites gelées.
- Et dans ce regard, enfin, enfin! un petit point se
mettait à bouger, comme un embryon issu de la décom- .
position même de ce regard; et une vie de matières
-grasses et visqueuses, en cercles qui lentement s'éten-
daient et giroyaient,en blanchâtres cercles d'opaques et
gélatineuses nuées (comme l'autre jour), ensuite fluait
des sécrétions de ce même regard liquéfié et toutefois
inexorablement vivant. Toujours les laiteuses ondes
s'élargissaient : c'était, à travers l'espace, comme l'oscil-
lation d'une mer pâle ofi tout à coup un vibriônnement
de larves, sans fo^'mes définies encore, en tournant sur
elles-mêmes, rom
initiales. Elles tourBillonnaient^d'une vitesse eff'royable,
à présent, ces larves précipitées à travers l'abîme et
comme aspirées par la bouche d'un vortex qui ensuite
les revomissait.
" Mais, à la longue, dans le vertigineux vironnement
commença à s'indiquer le dessin de confuses agréga-
tions. Une ébauche de formes nouait et dénouait cette
masse rotatoire qui, après un petit temps (une éternité
dans cette éternité) finissait par former des lianes de
viscères, d'immenses et serpentaires lianes comme de
roses et vertes fleurs entortillées, car une lumière de
diamants et de cristaux maintenant prismatisait le peu-
plement de cette ancienne horreur du vide paysage.
- C'était bien des viscères, d'humaines viscères que
déroulaient ces lianes, en torses guirlandes, en grappes
de fruits vermeils, en bouquets de sanglantes roses
autour desquels soudaîn deux lèvres sans corps (rien
qu'une bouche) volutèrent, agitées du souffle léger d'un
vent de l'amoureux été. Et à mesure que cette bouche
frôlait les jantes de cette roue de viscères, une pulpe de
chair blonde naissait, sinuait, se gonflait ; un ondoie-
ment de mois seins féminins éclosait, avec, au bout, la
palpitation de deux papillons roses, — les pointes mêmes
de toutes ces gorges. Sous le tourbillon du vent de la
bouche, elles fleurissaient par milliers, les divines roses
de chair, les rafraîchissantes et neuves mamelles, comme
un jardin de fleurs-femmes.
" Mais ces gorges à leur tour grandissaient, se déve-
loppaient en le rythme de beaux corps voluptueux aux-
quels seulement manquait le sourire des lèvres; et
toutes, par dessus leurs bustes flexibles et lascifs, attes-
taient les béantes orbites et les caves maxillaires d'une
tête de mort. Comme une houle de ventres et de seins,
elles ondulaient par flots innombrables, avec le balan-
cement de leurs têtes hideuses sous des touffes d'ironi-
ques lys et de flottantes chevelures. Et maintenant
qu'elles se rapprochaient, il voyait que leurs ventres et
leurs seins s'ouvraient à une blessure de lèvres resti-
tuant la forme de cette bouche dont se dénuait l'échar-
nement de leurs mâchoires. Et en frauduleuses bouches
se mouvaient comme autant de bêtes voratoires, en des
étirements tentaculaires et succides.
« Mais surtout une chose l'étonnait : à travers les
trous de ténèbres de leurs orbites, elles dardaient les
regards de Rakma,et leurs corps aussi, aux petits seins
irrités et aux hanches ambiguës, étaient moulés à la
ressemblance de cette fille. Avec des baisers au bout du
geste de leur bras et qu'elles prenaient à leur corps (là
où s'ouvrait le mensonge des bouches), ensuite elles
nouaient une orchestique, arrivaient en dansant jus-
qu'à le toucher; et chacune à son tour arrachait un
lambeau de l'étrange pic qui lui jaillissait du flanc, le
donnait à manger aux cruelles lèvres affamées de ses
plaies. Et à la fin il ne restait plus, à la place de son
flanc, qu'une ouverture caverneuse par où son vert
intestin dégorgeait et qui laissait béer l'ossature inté-
rieure, dénudant la double dalle du sternum, comme si
des nuées de rats lui avaient foui lès entrailles. «
Et à côté de ces rêves symbolisant la réalité, la préci-
sion des détails matériels, l'observation exacte de cer-
tains gestes familiers, de certains mouvements incon-
scients, d'habitudes, en quelque sorte, professionnelles,
concourent, comme dans les contes d'Edgard Poë, à
rendre plus saisissantes les impressions mystérieuses se
dégageant de la banalité des choses. Ce ne sont pas les
personnages qui agissent ; ce sont des forces aveugles
qui les poussent. En leur individualité s'absorbe la
J.
L'ART MODERNE
203
légende de la triste humanité; leurs paroles sont comme
des formules tracées d'avance, fixant, au moment
voulu, le sort de rencontres qui devaient arriver, de telle
sorte que quand elles se réalisent, ce sont ces mots qui
devaient être prononcés, ces mots seulement et aucun
autre. Parfois, le récit se particularisant davantage, on
a quelque crainte de voir le poème se transformer en
un roman d'aventures-, mais l'inquiétude jamais ne se
prolonge. Une brusque- diversion bientôt rappelle la loi
du livre qui ne fait, non l'histoire honteuse d'une indivi-
dualité pervertie, mais la parabole de l'originelle fata-
lité. C'est ce qui en fait l'ampleur et la force. L'auteur
y a semé la profusion des images et cette recherche du
style qui lui est habituelle, et si l'art avec lequel il l'a
réalisé fait éprouver plus fortement tout ce que sa con-
ception a de cruel, il apporte avec lui sa compensation
par le sentiment esthétique satisfait.
Ainsi persévère, en une œuvre nouvelle," forte et
obsédante, ce grand écrivain, méconnu des siens, fécond
quand même et toujours; apportant à cette ingrate
Belgique peuplée de sourds et d'aveugles, les puissantes
productions de sa fécondité. Il va, il va, inépuisable
en sa virilité, donnant, donnant sans arrêt, se modi-
fiant, se transformant avec une flexibilité singulière,
distançant quiconque, la poitrine gonflée du souflle égal
de sa puissante nature artistique, ne connaissant ni la
fatigue, ni le halètement. Ignorant surtout du découra-
gement des faibles qui, dans ce pays morose de la bêtise
doctrinaire, désespèrent de jamais fixer l'attention. Il
s'en moque, ce mâle, et il va, battant les chemins de ses
fortes semelles, plus allègre et plus héroïque chaque
fois. ,
I
LE NOUVEAU RUBENS •
Ce sont quatre lêios de nègres, jetées sur la toile avec l'inap-
prété du premier jet. Elude, peut-être, de quelque morceau plus
gros, premiers essais d'un type nouveau, qui n'avait pas encore
trouvé place sur les grandes toiles. Peu importe, puisqu'on sent
que le peintre s'est délecté à cette ébauche et qu'il n'a pas lésiné
avec les couleurs. Lui, le grand Pierre-Paul, si encombré toujours
de commandes « décoratives » qu'on a peine, dans ses œuvres, à
faire la part du sien et celle de ses collaborateurs, il s'est donne
lui-même, tout entier, dans la petite toile que vient d'acheter le
Musée de Bruxelles.
Quand on lit les dates qui souscrivent le tableautin (mot justifie
par l'écrasement quantitatif d'une Assomption voisine) on
demeure étonné de son déj^ très lointain passé : deux siècles cl
demi ! Les couleurs sont fraîches d'hier, l'absence de sujet est
toute contemporaine ctJ'ion ne choque de la vision picluralo du
maître.
On regarde et l'on est charmé, sans demander plus. Les visages
de cuivre rouge et de bronze ronronnent comme do vieux chau-
(1) A, rapprocher de notre arlicle sur Les NonvclU's f'cqiiisilinn.i
(lu Musée, numéro du 18 mai dt-rnier.
drons polis. Les bleus-Rubens, comme di;s taches de palettes,
azurenl intensément les fonds. Les ors des pourpoints, les blancs
sales dos cols, sans aucune senteur de procédé ni de bitume,
chantonnent à l'unisson, sans la moindre défaillance... depuis
deux siècles et demi! C'est chaud, c'est plein, c'est vibrant comme
un violoncelle qui exulte.
Et l'expression. Oh! le bon nègre qui rit à bouche désossée et
sans pouvoir penser à mal, montrant sa rutilante gencive au
dessus de l'ivoire des dents. Et cet autre que toriure une préoc-
cupation, plus encore qu'une souffrance présente, avec son front
d'iniutcUigcnl, aux plissements de bas en haut. Reproduite aussi
celle atiilude chez le troisième, mais moins caractérisée, et chez
le quatrième en décroissant. Ces tôles sont superbes, mélange de
bonasserie et de barbarie. Leur proguatisme sutVirait à les rendre
féroces. Mais la douceur mélancolique du gnind o'il blanc, réyé-
lalcur de l'incomplexilé de l'àme, donne à ces visages l'cxpres-
sibn de grands enfants noirs.
Le peintre des carnations puissantes, des roses et des rouges
de santé est intéressant sous cette tonalité sombre, très peu habi-
tuelle à son pinceau. Intéressant aussi par la substiluliou des
ossatures anguleuses aux formes arrondies et pleines de ses com-
positions ordinaires.
A PROPOS DE FÉLICIEN ROPS
Nous avons, à maintes reprises, critiqué la singulière indiffé-
rence de l'Eial à l'égard de Félicien Rops, dont nos colleclions
ne possédaient, jusqu'à ces derniers jours, que deux lithogra-
phies (!).
La Bibliothèque a fait acheter, à la vente de la collection Fran-
çois Olin (1), quelques planches, mais en nombre strictement
restreint, et encore le choix eùl-il pu être plus judicieux. Voici
que le Journal de Bruxelles lui-même réclame pour le grand
artiste l'honneur de figurer dans les galeries nationales. Il
demande, tout simplement, dans son numéro do dimanche der-
nier, qu'on fasse l'acquisition de I'cucuvre complet du maîlre :
« Comme Rops est destiné k êlre l'une des plus grandes noto-
riétés artistiques de noire pays, dit le Journal, souhailons que
l'Etal belge songe à se procurer la collection complète de ses
ouvrages, avant qu'ils ne soient hors de prix. Nous nous épargne-
rons ainsi le ridicule de ces enchères démentes, dont la vente
récente de V Angélus de Millet a donné un si slupéfionl
exemple. »
A la bonne heure! Voilà qui est bien dit et inonirc, de la part
de la -rédaciion du .Tournai de Bruxelles, une indépendance
d'appréciation qui lui fait honneur. ^
L'article consacré par notre confrère à Félicien Rops, est
d'ailleurs des plus élogieux. Nous en oxlrayons ce passige cuiicux
ett^aractérisliqùe :
« .Si Roi)s est le premier dc!>sinnt'^i:r de c siècle, il no f;iut
pas oublier qu'il a porté loulo la pénélrolion do son analyse,
toute la profondeur do sa pensée, irute li malice do son prodi-
gieux e^prit dans l'exclusive pcinlurc du mal. Le m;d, la luxure,
voilà le siiji'i do son œuvre inniicnse. Voilà pourquoi son œuvre
n'est accessible, comme les traités do ni;rclialogio, ([u'à un.poiii
nombre do personnes. Et cependant il ne f.iut pas s'y lrom)H»r.:
Rops n'a point Iridié avec la nioral\ <hn> -e< pr.imles (ihivits
\
(1) \'oir noire dernier nnniéro.
/
204
UART MODERNE
loul au moins. Il ne ment pas : à côlé de la luxure il a mis con-
stamment la mort et l'effroyable figure de Satan. Il ne s'agit point
ici de petites scônes galantes, faites à souhait pour la diMectàtion
des vieux liberlins. C'est la vision profonde, terrifiante, toute spi-
rilualiste, de -la damnation de la chair coupable. Au fond des
désordres charnels, au lieu de la béatitude mensongère célébrée
par quelques poètes égarés, il y a la mort, il y a Satan. Et
qu'elles sont effroyables, les têtes de mort que Rops fait rouler h
travers ses monstrueuses débauches! Jamais artiste chrétien n'a
peint avec plus de vigueur les ravages produits par le mal jusqu'au
fond des os; jamais non plus peintre mystique n'a poussé jusqu'à
ce degré d'horreur l'expression des tortures que subit le cerveau,
l'organe de la pensée, dans la chute bestiale. Et le Salan est plus
hideux, plus épouvantable encore. C'est en vain qu'on cherche-
rait parmi les peintres les plus célèbres du moyen-ftge une vision
plus atroce de l'esprit du mal.
« Et, en effet, l'œuvre de Rops c'est bien la Mystique noire
dans sa parfaite orthodoxie. On dirait, si ce n'était sa puissante
modernité, qu'il a voulu illustrer les œuvres de Bodin ou de
Delrio. Son art célèbre la messe noire et dit les horreurs de la
possession démoniaque; elle est la théologie de Satan, cl Rops
est un véritable père de l'Eglise infernale. »
Il est permis de reconnaître, dans ces appréciations piquantes,
la plume du rédacteur en chef du journal, M. de Haulleville. Qui
ne se souvient de l'article h sensation que publia, il y a quatre ou
cinq ans, le même écrivain lorsque fut exposée au Salon des XX
la Dame au cochon (Pornocratès), qui fil un beau tapage dans
notre pudique bourgeoisie. M. de Haulleville, comparant la nudité
de h Dame h celle des bonshommes en bronze et en marbre dont
on décore les monuments et les places publiques (les deux
groupes qui ornent "extérieurement le Palais des beaux-arts
venaient d'être placés), démontra victorieusement que l'art de
Félicien Rops, même dans ses créations les plus audacieuses,
n'est nullement indécent, et que s'il est permis de critiquer, au
point de vue de la chasteté, bon nombre de figures ostensible- '
ment placées par l'Etat lui-même ou par l'administration commu-
nale dans les rues et les carrefours, les œuvres du maître, en
raison de leur but et de leur haute visée artistique, échappent à
loul reproche de ce genre.
L'article paru dimanche accentue cette appréciation et sa con-
clusion est tout à fait significative.
L'hôtel-de-ville de Borgerhout.
•
Joyeux d'aspect avec son frais mélange de briques de Boom et
de pierre d'Euville, curieux en ses multiples détails spirituelle-
ment agencés, pittoresque et pimpant dans ses intéressantes sil-
houettes de tourelles et de pignons, d'une superbe envolée, enfin,*
dans son hardi campanile, découpant ses amusants motifs sur le
ciel : tel se présente, à première vue, le charmant hôtel-de-ville
dont les estimés architectes anversois, MM. Blomme frères, vien-
nent de dolcr la commune de Borgerhout.
Un examen plus attentif ne diminue pas J'exceilente inîpression
du début : suivez la ligne si raisonnée de la tour, examinez
l'encorbellement et la brelèche de l'étage, détaillez les lucarnes
et les échauguettes d'angle, jetez un coup d'œil sur les pignons
latéraux, et vous serez convaincu de la haute valeur de celte
œuvre architecturale. L'intérieur, lui, est une véritable sur-
prise : au lieu d'y trouver, comme trop souvent ailleurs, des
vestibules étroits et des couloirs mal éclairés, on pénètre dans
un vaste hall, entouré de galeries, couvert d'une légère charpente
en chêne, en partie fencstrce au plomb, et où tout est lumière,
couleur et joie pour les yeux. Les architecles, en vrais néophiles
flamands, ont tiré un excellent parti du mélange des pierres
bleues et blanches, des marbres noirs et roses, des briquettes
rouges, des cuivres et du vieux chêne : aussi le hall et le grand
escalier valent, non seulement par le savant agencement du plan
et le profilage très personnel des détails, mais aussi par une
entente de l'allure décorative à donner aux divers éléments mis en
œuvre. Ces qualités, nous les trouvons à un plus haut degré
encore, et avec des trouvailles de régal raffiné, dans la salle des
mariages, la salle du conseil et surtout dans la salle des fêtes,
très crûne et d'un grand caractère.
L'espace nous fait défaut pour décrire par le menu et dire le
bien que nous pensons de ce qui nous a le plus longuement
retenu, mais nous nous en voudrions de ne pas attirer l'attention
sur les cheminées monumentales en marbre noir, les vitraux, déli-
cieux de composition et de couleur, et toute l'huisserie, lambris,
plafonds, meubles, que MM. Blomme s'entendent à traiter avec
toutes les finesses et l'esprit des huchiers de la Renaissance.
Conseillons aux artistes de passage à Anvers de faire un crochet
jusqu'au nouvel hôtel-de-ville de Borgerhout : ils y éprouveront
une intense sensation d'art.
?'
• lBLIOqF(APHIE
ACCUSÉS DE RÉCEPTION
A l'Aventure, carnets de roule, par James Vandrunen. — Pre-
mier carnet (gris), 1889, 171 pages. — Deuxième (rose), 1890,
139 pages. ■^ "Troisième (bleu), 1890, 138 pages, — non compris les
titres et les tables des matières. — Petits in-8°, élégamment édités
par M™« veuve Monnom, à Bruxelles, et tirés ;'i cent exemplaires qui
ne sont pas .mis eu vente.
Aquarelles^ minuscules en trois coups de phrase, — bons-
hommes silhouettés à la plume, — pastels amourachés de cer-
taines harmonies de Ions, — pages entêtées dans une subtilité de
notation, — nocturnes rêvasseurs, — duos de hasard, — effets
de soleil en vingt mois, — peintures écrites, — instantanées au
crayon, — grands riens photographiés à l'encre, — portraits de
mes souvenirs : c'est ainsi que M. Vandrunen nomme, en les
dédiant à sa lampe, ces choses écloses dans le rond lumineux de
sa flamme et jetées en ces carnels dans le désordre d'un tiroir
renversé. " —
El Ion ne peut mieux caractériser que par ces multiples appel-
lations, cette œilivre chatoyante qui, au hasard des impressions et
des souvenirs, prqmène le lecteur en cent lieux divers et le trans-
porte, sans transition, d'un coin de la banlieue bruxelloise en
iine auberge d'Italie, de la Normandie en Allemagne, du Rhin au
Danube, d'un cabaret à une église, piquant ici un paysage, à côté
une scène de mœurs, plus loin un portrait de femme, décrivant
une place ou une ville, ,une nuit éloilée ou un hôpilal, avec, tou-
jours, la préoccupation du mot propre, de l'expression qui fait
image, de l'art, en un motqui, dans les plus infimes choses comme
dans les plus grandes, trouve matière à sensation el illumine tout
ce qu'il touche de son rayon d'or.
f'
Le soin 'conslanl de la forme fait de ce recueil une lecture
aimable, d'aulonl plus attirante que, par l,a concentration de ses
petits tableaux, elle présente à chaque page un tout complet par
lui-même; qu'on peut la laisser et la reprendre à son gré et qu'en
l'ouvrant a l'aventure^ on peut se réjouir un instant à l'aspect de
ses vives couleurs. ^
Essais de philosophie et de littérature, par Emile Sigoone.
— Un volume in-12 de 232 pages. Paris, Georges Carré, éditeur,
1890.
C'est ce que l'on appelait autrefois un livre de mélanges, où
sont traités des objets fort divers : un exposé des idées de Herbert
Spencer sur VEducnlion, sur les VénlaHes (onctions du Gouver-
nement et sur la Philosophie de la mode; une comparaison de
l'Esprit français à l'Esprit anglais ; des biographies de William
Pilt et de Fox; des notes fort sommaires sur la Méthode expé-
rimentale et sur la Littérature de l'avenir; et, pour terminer, un
recueil de pensées et d'aphorismes qui, pour être quelque peu
pessimistes, n'en présentent pas moins du La Rochefoucauld fort
ddulcoré comme semble l'indiquer ceci, qui nous a rendu rêveur :
« En moi, l'animal est toujours gai et la pensée toujours triste ».
En somme, c'est l'œuvre d'un honnête homme, comme on
disait au xvii'' siècle, respectueux de sa pansée et familiarisé avec
les bons auteurs, dans le commerce desquels il a pris une cer-
taine ampleur de style qui convient au professoral.
Autour du Journal'des Goncourt, étude littéraire par Firmix
Vanden Bosch. — Brochure in-S» de 48 pages. Gand, typographie
A. Siffer, 1890.
« Je ne connais point de joie littéraire comparable à celle-ci :
avoir lu .une à une les œuvres d'un auteur, et par cette fréquenta-
tion assidue, s'être formé de lui, à côté d'un portrait de l'artistiî
net et précis, une silhouette plus incertaine et plus vague de
l'homme privé — et alors, plus tard, constater sur le témoignage
de ceux qui ont vécu dans l'intimiste h la fois de l'artiste et de
l'homme, que non seulement le portrait de l'artiste correspondait
à la réalité vraie, mais que même la silhouette de l'homme privé
en avait déjà les éléments confus. »
C'est cette satisfaction de dilettante que M. Vanden Bosch
éprouva en feuilletant le Journal des Goncourt « h tant de pages
où sont éparpillées en traits successifs, glanés au caprice irrégu-
lier du va-et-vi€nt de la vie, les esquisses fragmentaires de tous
les hommes de lettres, qui constituèrent l'entourage plus ou moins
immédiat des Goncourt ».
11 s'est plu à réunir ces traits épars, et dans une étude rapide,
il fait passer sous nos yeux d'intéressants portraits des de Gon-
court eux-mêmes, « ces curieux, d'une curiosité nerveuse et
remuante, qui papillonna longtemps autour des choses de l'art Qt_^
du xviii* siècle, et se posa enfin sur les modernes réalités », de
Sainte-Beuve, habile à « tripoter les morts », de Flaubert, ce
« grand passionné de lettres, désespérément acharné au travail,
fougueusement méprisant de vulgarité bourgeoise », de Théophile
Gautier, «*niarqué de ce modernisme fiévreux, déséquilibré et
contradictoire dont tout fils de ce siècle finissant sent* un peu la
trace en lui », de Baudelaire, « sans cravate, le col nu, la tête
rasée, en vr^ie toilette de guillotiné, et.^avec cela, une voix cou-
pante comme une voix d'acier, une élocution visant à la précision
ornée d'un Saint-Just et l'attrapant », de bien d'autres encore,
que les de Goncourt ont fixés d'un trait, dans la vérité momen-
tanée de l'ondoyante humanité, si bien qu'un critique a pu dire
qu'il sera désormais impossible d'écrire l'histoire littéraire, des
siècles saris recourir à leur journal.
L'étude de M. Vanden Bosch est comme une page détachée de
cette histoire, puisée à cette source abondante, avec toute la fer-
veur, mais aussi avec le discernement d'un lettré, dont les admi-
rations n'excluent pas l'indépendance.
LE GONCOIRS POtJR M NOUVELLE ÉCOLE MUm
La Ville de Bruxelles acharnée, on le sait, à démolir l'Eden,
malgré les réclamations du public et les raisons développées par
l'Art moderne {n° IG, 1890), a décidé d'y construire une école
moyenne et vient de mettre les plans au concours.
Alors que le principe du concours est excellent en soi, l'Admi-
nistration a tout fait pour en rendre la réalisation impossible;
le programme et les conditions semblent avoir été arrêtées par
des personnes incompétentes ou décidées h aboutir à un échec.
Aux revendications répétées de la Société centrale d'architec-
ture, denîandant des concours à deux épreuves, un jury composé
en majorité d'architectes, avec des délégués des concurrents, des
primes aux meilleurs projets, etc., l'Administration décide que le
Collège choisira le projet à exécuter, qu'il n'y aura pas de
primes, que le taux des honoraires sera abaissé de 5 à 4 p. c,
que les architectes fourniront un devis sans que la Ville indique
le chiffre consacré à la construction.
Organisé dans de pareilles conditions, le concours est une vraie
mystification et nous mettons les architectes en garde, surtout
en ce qui concerne la dernière clause ; il saute aux yeux qu'il y
a là une adjudication déguisée, et que, ne tenant pas compte des
mérites techniques, la Ville choisira certainement un projet
médiocre si elle peut avoir pour 300,000 francs une école qui,
bien conçue, en coûterait 400,000.
Nous ne pouvons donc qu'engager les architectes à répondre
à la Ville par une abstention générale; c'est la seule façon de
l'obliger à suivre l'exemple du Gouvernement, de la province du
Brabant et d'un grand nombre d'administrations qui, dans ces
dernières années, ont organisé des concours dont la réussite a
été complète parce que les conditions en étaient satisfaisantes,, .,
•pONCouR^ DU Conservatoire
(1)
Orgue : professeur, M. Maii.i.y. — l*' prix (avec distinction),
M. Deneufbourg; 2« prix (avec distinction), M. Gortebeek ;
3* prix, MM. Byl et Declercq.
Alto : professeur, M. Firket. — 1" prix (avec distinction),
M. Luffin ; 2* prix (avec distinction) (par rappel), M. Seghers:
2«'prix, M. Hélin; l*' accessit, M. Nagels.
Violoncelle • professeur, M. Jacobs. — i''' prix (avec la plus
grande distinction), M. Rotondo; l'^prix, MM. De Lceuw et Miry;
2« prix (avec distinction), M. Van Islerdacl; 1'' prix, MM. Gillet,
Van Meerbeek etinslegers; i'^' accessit, M. Goffm.
Harpe • professeur, M. Meeiiloo. — '\" prix. M"" Lunssens^
et Keyzer ; 2* prix, M"« Césarion.
Piajjo (hommes): professeur, M. De Greef. — l^i^prix, M. Lîtta;
2«prix (avec distinction), M. Sierck; 2*prix, M. Sevenants.
(i) SVtVr. Voir notre deruier numéro. .
&
plBLlOQRAPHlE MUSICALE
Publications^Bruneau
La devise : Poi'R l'Art, des édiieurs Bruneau el C, cslampille
quelques œuvres nouvelles, parmi lesquelles il en csl qui s'im-
poseni.
C'est, d'abord, la parlilion (réduite par l'auteur pour piano à
(|ualrc mains cl cliani) du joli poème symphonique de César
Franck pour orclicstrc et chœurs. Psyché, 'exécuté ce printemps
aux concerts Colonne. En trois parties, titrés : I. Le Sommeil de
Psyché. — II. Les Jardins d'Eros. — III. Le Châtiment. Souf-
frances el plaintes de Psyché. Apothéose, César Franck a écrii,
(L* sa fine plume d'harmoniste raffiné ei de mélodiste subtil, le
poème de l'Amour (jui s'éveille, grandit, éclate, souffre el
triomphe. Les thèmes, dessinés avec la plus vaporeuse délicatesse
(le contours, sont merveillcuscmenl appropriés à la légende. Dire
qu'ils sont de la' plus extrême distinction serait banalité. Ce qui
caractérise cotte œuvre nouvelle du maître, sorte d'aquarelle
toute en demi-teintes, en nuances assourdies, c'est l'impression
de rêve qu'elle dégage. La musique plane, frôle à peine la terre
d'une aile soyeuse, se fond en nuées indécises, renaît, radieuse,
pour s'eifacer encore. L'amour dont elle est pénétrée, c'est le
plus chaste amour qui se puisse concevoir, la mystique tendresse
que respirent les toiles des maîtres primitifs en des enlacements
d'une angéliquc et pudique douceur. Comme moyens d'expres-
sion : l'orchestre, ciselé en joyau de prix, et le chœur mixte,
introduit dans la deuxième et la troisième pjriie, sans aucun solo.
Citons encore : Hymne à Vénus, duo ou chœur k deux voix
de femmes en mode phrygien, sur une poésie de Villiers de l'Isle-
Adanj, par Pierre de Bréville. Celle composition récente d'un des
disciples les plus distingués de César Franck, fut, on s'en sou-
vient, exécutée avec succès à l'un des concerts des XX àe cette
année, par un ensemble vocal formé d'élèves du Conservatoire.
— Da.nsons la gigue! ingénieuse et charmante transposition musi-
cale (chant el orchestre) du poème de Verlaine, par Charles Bordes.
CÎiantée pour la première fois à la Société nationale de musique
de Paris, le 21 avril dernier, celte très jolie composition, dans
laquelle se mêle au rythme canaille de la gigue la douloureuse
ironie de Verlaine, a eu un relent isscmeni dont nous avons apporté
l'écho à nos lecteurs (1|.
Les dernières publications, d'une visée d'art moins haute et
d'un intérêt moindre, sont : quatre pièces pour piano {Prélude,
A dagiello. Pavane, Rigaudon), pastiches délicats des danses
anciennes, par Joseph Jeniain ; une assez banale « rêverie » pour
orgue ou harmonium; Chant du soir (op. 122), par H. -P. Toby;
deux pièces pour violoncelle avec accompagnement de piano
(Romance, Menuet), par E. Bonnadicr, et une Ronde flamande
(op. 25) écrite par Emile Ratez sur un poème de Charles Cros.
^ fÎHRONlQUE JUDlCiyVIRE DE^ ^RT?
La maison de Victor Hugo.
Quel merveilleux miroir de la vie que les tribunaux ! Tout s'y
roflète, el l'on serait au courant de toutes les enircpriscs conlem-
{{) Yoïv l'Art modertir il\i 21 n\r'i\.
poraines, de loules les inventions, de toutes les nouvelles, rien
qu'en lisant la Gazette des Tribunaux. ■
Celle fois, c'est de la maison du Poète qu'il s'agit, el voici,
d'après la dllc Oauilc, le procès auquel elle vient de donner
lieu.
« Pèlerinage national à la maison de Victor Hugo », tel était
le titre sous lequel des affiches apposées, l'éic dernier, sur les
murs de Paris, conviaient 'le public à visiter l'exposition du
mobilier du grand poète, installée dans les deux hôtels qu'il avait
habités, avenue Victor Hugo, 126 et 128.
Le pèlerinage n'était pas gratuit ; un tourniquet placé à l'entrée
l'indiquait de reste ; il n'éiait pas obligatoire non plus, et les
organisateurs de l'entreprise ont pu s'en apercevoir au chiffre de
la recelle.
Dernièrement, ils se trouvaient assignés par un de leurs em-
ployés, M. Barre, en payement de 1,200 francs, à lui dus pour
appointcmenis, et ils opposaient à celle demande une exception
d'incompétence, alléguant qu'ils n'avaient pas fait acte de com-
merce, et que si leur entreprise avait réussi, ils avaient l'intention
d'acquérir les immeubles et d'en faire don à l'Etat ou h la Ville,
ce qui, suivant eux, excluait toute idée de spéculation.
Et voici le texte du jugement intervenu :
Attendu que les défendeurs soutiennent qu'ils ne seraient pas
commerçants;
Que le bail a eux consenti et passé devant M» Renard, notaire
à Paris, stipulerait l'obligation de n'occuper les lieux que « bour-
geoisement » ;
Que, par suite, ils n'ont pu y installer une exploitation com-
merciale ;
Attendu que les défendeurs soutiennent enfeore qu'ayant, dès
l'origine de l'entreprise, exprimé l'intention, en cas de succès
de leurs efforts, d'acquérir les immeubles pour en faire don à
l'Etat ou à la Ville de Paris, ils ne sauraient avoir fait œuvre de
spéculation;
Que la cause ne serait donc pas commerciale,, et que ce
Tribunal serait incompétent pour en connaître;
Mais attendu qu'il appert des stipulations mêmes du bail dont
il est excjpé, que Roche et Goudchaux n'ont loué les deux hôtels
précédemment habités par Victor Hugo, avenue Victor Hugo,
126 et 128, que « pour y installer des expositions et y donner
« des fêles accessibles au public, moyennant une rétribution à
« l'entrée » ; ^
Qu'il n'importe que ces expositions aient eu pour objet ou pour
prétexte d'honorer la mémoire de Victor Hugo;
Qu'il suffit de constater, en la cause, que les défendeurs ont
eu en vue de créer une entreprise d'attraction dont ils devaient
tirer profil ;
Qu'en effet, au bail précité, ils se sont réservé le droit, non de
sous-loucr les lieux, mais de céder l'enlreprise;
Attendu qu'ils ont traité de celte cession avec un tiers, moyen-
nant un prix payable comptant cl une participation dans les béné-
fices, s'engageanl, par contre, vis-à-vis de leurs concessionnaires,
h supporter notamment les frais de reconstitution, d'entretien et
de renouvellement du mobilier de Victor Hugo;
Qu'une publicité importante devait être faite aux frais de Roche
et Goudchaux, publicité destinée à faire naître et à entretenir la
curiosité du public, dont la faveur était l'élément indispensable
du succès financier de l'opération ;
Attendu qu'il n'y a lieu de rechercher ni de s'arrêter aux inlen-
7
lions que pouvaient avoir les défendeurs en cas de réussite de
leur entreprise ;
Qu'il suffit de constater que ces intentions, fussent-elles réelles,
fussent-elles mêmes réalisées, ne sauraient modifier le caracière
de l'entreprise au cours de son exploitation ;
Que Roche et Goudcliaux ont, en l'espèce, fait œuvre de spécu- .
iation, et que leur entreprise a eu un caractère commercial;
Et attendu que la demande a pour objet le payement îi un
employé, d'appointements dus par Roche et Goudchaux;
D'où il suit que la cause est commerciale, et ce Tribunal com-
pétent pour en connaître;
Par ces motifs, le Tribunal retient la cause;
Condamne les défendeurs solidairement à payer au demandeur
la somme de 1,200 francs, montant de la demande avec les inté-
rêts suivant la loi ; -
Et les condamne aux dépens.
pETlTE CHROj^IQUE
Les femmes peintres et un peu sculpteurs qui exposent en ce
moment, collectivement, au 31usée, ont un (ou une?) secrétaire
dont le dévouement égale l'amabilité. 11 (ou elle?) plaide la cause
de ses amies et collègues avec un zèle, une conviction, une ingé-
niosité d'arguments et de répliques à rendre jalouse M"^ Popelin
elle-même. Encore sous le charme de sa parole insinuante, nous
sommes tenté de Irouver à toutes les exposantes un talent trans-
cendant; et au moindre bout de toile décoré de peinture par ces
dames, au Salon, des mérites exceptionnels. Mais peut-être
dépasserions-nous le désir exprimé par la gentille secrétaire, qui
tient surtout à ce qu'on sache que les dames peintres sont de
vraies peintres, exposant, pour la plupart, dans de vrais Salons
et y recherchant, avec la même ûprelé que leurs confrères mascu-
lins, les médailles et les récompenses. Sur quarante-huit expo-
santes, il y en a trente-deux qui se sont produites, soit dans les
Salons triennaux de Belgique, soit à Paris ; sept ont reçu des
médailles; une a été récompensée d'une mention, et cette der-
nière, qui n'est autre que la pauvre Marie Bashkirisctf, morte
toute jeune, a dos œuvres au Luxembourg.
Etes-vous satisfaite, ô Mary Gasparoli, ange protecteur des
femmes peintres, porle-bannièrc décidé et charmant de l'éman-
cipation féminine?
L'intéressant ouvrage de M. Antoine sur le Tliédire-Libre, doul
nous avons publié une analyse détaillée (1), est en vente à
Bruxelles, à l'OfTice de publicité,
A la vente de la collection E. May, qui vient d'avoir lieu^à
Paris chez Georges Petit (et qui a produit o00,060 francs), quel-
ques tableaux modernes ont atteint des enchères élevées, ainsi
qu'on en jugera par les prix suivants :
Degas. Leçon an foijcr, 8,000 fr. ; kl. Répétition d'un ballet
sur la scène (pastel), 8,400 fr, ; Id.* Danseuses à leur toilette
(pastel), 2,5S0 fr. ; Manet. Femme à la guitare, 3,000 fr, ; Pis-
sarro. Entrée de village, 2,100 fr. ; Raffaclli. Le Déjeuner,
2,100 fr. ; Cazin. La Vieille route, o,900 fr.; Id. Efftt de hme,
S,100 fr.; Id. LElang, 6,300 fr. ; id. Théocrile, 3,900 fr. ; Id.
Clair de lune, 3,200 fr, ; Id. MaraU en Hollande, 3,1S0 fr. ;
Corot. La femme du pécheur, 13,700 fr. ; Id. Ln Rochelle,
(1) Voir nos quatre derniers numéros. '
12,100 fr. ; Id. Le Cabaret, l.'>,700 fr. ; Id. Dunkerque, 6,600 fr.;
Id. Le pont Saint-Ange à Rome, 21,100 fr. ; Id. Saint- Georges-
Majeur^^^Venise, 5,100 fr. ; Id. Gênes, 7,100 fr. ; Id. Le Palais
des Papes à Avignon, 7,100 fr. ; Id. La Seine à Rouen, 1,000 fr. ;
Id, Saintry, n, 000 fv.; Id. Le lac de Genève, 10,000 fr.; Id.
Port de Bordeaux, 10,000 fr. ; Id. Environs de Saivt-Malo,
.n,&00k,;]d, Grand Canal à Venue, 10,200 fr.; Id. L'Entrée
du village, 16, .^00 fr. ; Id. Marine,\0.000 fr. ; Troyon. LaVallée
de la Toucques, 3,8S0 fr. ; Fromentin. Le Grand Canal à
Venise, 3,500 fr. ; Jongkind. Un canal en Hollande, 2,700 fr.
La tournée de concerts que le violoniste Sarasate vient d'efifoc-
tucr en Amérique comprenait 100 séances, pour chacune des-
quelles il a reçu 3,000 francs, tons ses frais de transport payés.
Le pianiste Eugène d'Albert, engagé avec lui, avait 1,000 francs
par séance, -auxquels il faut ajouter une somme de 150,000 francs
(nous disons : cent cinquante mille) qui lui était payée par la mai-
son Stcinway pour jouer exclusivement sur ses pianos.
Le dernier n" (mai) de la Wallonie est consacré exclusivement
à notre collaborateur Emile Verhacren. \
En voici le sommaire : Silencieusement. — Une promenade.
— Un soir. — Un Réveil. — Sais-je oii? — Une Nuit. —
L'Aquarium. — Quelques-uns. — En Biscaye. — Le Polder.
— Sonnet. — Les Maîtres du Siècle.
Ce que gagne un ténor.
Voici le détail de ce que Julian Gayarre a gagné dans sa car-'
rièrc. Quatre ou cinq jours avant de mourir, le célèbre chanteur
remit à un ami la liste que nous publions ci-dessous, écrite de sa
main. — avec une petite lacune relative à la season de Londres,
en 1887 :
A Varase, 110 fr. — Como(I870), 110 fr. — Traversa, 30Q fr.
— Milan, 300 fr. — Parme, 3,000 fr. - Crcmona (1871),
lo,000 fr. — Roma,- 1,500 fr. — Genova (1872), 11,000 fr. —
Sevilla, 12,000 fr. — Bologna, 7,000 fr. — Roma (1883),
23,000 fr. — Padoua, 12,OOo"^fr. — San-Petersburgo, 500 fr. —
Vicnna (1875), 74,000 fr. — Palermo, 8,000 fr. — Scala, Milan,
(1876), 32,000 fr. — Buenos- Ayres, 100,000 fr. — Milan (1877),
40,000 fr. — Londres (1878), 40,000 fr. — Madrid, 80,000 fr.
— Londres (1879), 40,000 fr. -- Madrid, 100,000 fr, — Londres
(1880), 40,000 fr. — Madrid, 123,000 fr. — Londres (1881),
4,000 fr. - Barcelona y Mallorca, 8,000 fr. — ValenGia(1882),
40,000 fr. — Monlecarlo, 3,000 fr. — Roma, 20,000 fr. —
Bilbao, 60,000 fr. — Valladolid, 20,000 fr. — Lisboa, 90,000 fr.
— Napoles (1883), 60,000 fr. — Zaragoza, 30,000 fr.— Malaga,
60,000 fr. — Granada, 30,000 fr. — Lisboa (1884), 30,000 fr.
— Paris, 80,000 fr. — Turin, 30,000 fr.— Barcelona, 110.000 fr.
— Valencia (188.5), 50,000 fr. — Sevilla, 10,000 fr. — Madrid
(.1886), 110,000 fr. — P;iris, 20,000 fr. — Londres, ne se accor-
daba. — Milan (1880), 110,000 iV. — Roma, 60,000 fr. — Bolo-
gna, 20,000 fr— Barcelona, 60,000'fr. — Barcelona, 520,000 fr.
— Napoles (1887), 14,000 fr. — Madrid, 3,000 fr.
Total : 3,186,320 fr. en vingt ans.
La Pléiade. Sommaire du numéro de juin : Maurice Dormal,
Albert Arnay. — Soir; Automne, Ch. Flippcn. — TerxA Rima,
F, Severin. — La Nuit de nmi, L. Thiousl-Edgy. — Ecroule-
ment, i. Bo^Is. — Pour l'infante de Velasquez-, P. Marins Andié.
— Chevalier fabuleux, J. Hcnncbicq. — Livres, Ecbos. (Lacom-
blez, éd., rue des Paroissiens, 33, à Bruxelles).
i _ —
L
PAQUEBOTS-POSTE DE L'ETAT-BELGE
LIGNE D'OSTENDE-DOUVRES
La plus courte et la moins coûteuse des voies exlra-rajUdes entre le Continent et TAngleterre
Bruxelles à Londres en
Cologne à Londres en
Berlin à Londres en .
8 heures.
13 »
24 «
Vienne à Londres en.
Belle à Londres en.
Milan à Londres en .
36 heures.
24 " ,
33 -
XROiis ise:rvice:is x^^ilr jour
D'Ostende à 6 h. matin, 11 h. 10 matin et 8 h. 20 soir. — De Douvres à midi 15, 3 h. soir et 10 h. 15 soir.
xra\^e:r6ée: eiv xroiis he:ure:s
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Princesse Joséphine, Princesse Henriette, Prince Albert, La Flandre et Ville de Douvres
partant journellement cVOSTENDE à 6 h. matin et 11 h. 10 matir ; de DOUVRES à midi 15 et 3 h. après-midi.
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CABINES PARTICULIÈRES. - Prix : (en sus du prix de la i"-» classe). Petite cabine, 7 francs; Grande cabine, 14 francs.
A bord des malles : Princesse Joséphine et Princesse Henriette
Spécial cabine, 28 francs; Cabine de luxe, 75 francs.
Pour la location à l'avance s'adresser à M. le Chef de Station d'Ostende {Quai) ou à l'Agence des Chemins de fer de VÊtat-Belge
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Entre les principales villes de la Belgique et Douvres, aux fêtes de Pentecôte et de l'Assomption.
AVIS. — Buffet restaurant à bord. — Soins aux dames par un personnel féminin. — Accostage à quai vis-à vis des stations de chemin de
fer. — Correspondance directe avec les grands express internationaux (voitures directes et wagons-lits). — Voyages à prix réduits de Sociétés.
— Location de navires spéciaux. — Transport régulier de marchandises, colis postaux, valeurs, finances, etc. - Assurance.
Pour tous renseignements s'adresser à la Direction de VEorploitation des Chemins de fer de l'État, à Bruxelles, à V Agence générale des
Malles-Poste de V Etat-Belge, Montagne de la Cour, 90*, à Bruxelles ou Graçechurch-Street, n" 53, à Londres, à Y Agence de Chemins de fer
de V'Êtat, à Douvres (voir plus haut), et à M. Arthur Vrancken, Domkloster, n» 1, à Cologne.
chez MM." SCHOTT frères, 82, Moiitngiie de la Cour, Bruxelles.
L'OR DU RHIN
DE
RICHARD WAGNER
Version firanpaise de Victor "WILDER
Partition pour chajit et piano, réduite j)ar R. Kleinmichel
PRIX NET : 20 Francs
JOURNAL DES TRIBUNAUX
paraissant le jeudi et le dimanche.
Faits et débats judiciaires. — Jurisjprudence.
— Bibliographie. — Législation. — Notariat.
HUTIKME ANNÉE.
Abonnements i Belgique, 18 francs par an.
( iitranger, 23 id.
Administration et rédaction : Rue des Minimes, 10, Bruxelles.
Revue mensuelle de littérature et d'art
Directeurs
Bureaux
ABONNEMENTS
5" Année
MM, A. MOCKEL et P.-M. .OLIN.
à Liège, rue St-Adalbert, 8.
à Bruxelles, Avenue Louise, 317.
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Paris 1867, 1878, !•' prix. — Sidney, seuls 1" el 2« prix
EIPOSITIOIS ilSTERDAI 1883, AITEIS 1885 BIPLOIE D'IOllEn.
Breitkopf et Hâ.rtel, éditeurs, Leipzig-Bruxelles
TRAITÉ PRATIQUE DE
COMPOSITION MUSICALE
depuis les premiers éléments de l'harmonie jusqu'à
la composition raisonnée du quatuor et des principales
formes de la musique pour piano par J.-G. Lobe.
Traduit de l'allemand (d'après la 5® édition) par
Gustave Sandre.
VIII et 379 p. gr. in-8". Prix : broché, 10 fr.; relié, 12 fr.
Ce livre, dans lequel l'auteur a cherché à rennplacer l'étude pure-
ment théorique et abstraite de l'harmonie par des exercices pratiques
de composition libre, fut accueilli, dès son apparition, par une
faveur marquée. La présente traduction mettra le public français à
même d'apprécier un des ouvrages d'enseignement musical les plus
estimés en Allemagne,
Bruxelles. — Imp. V* Monmom, 26, rue de l'Industrie.
•^
Dixième année. — N" 27.
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 6 Juillet 1890.
L'ART MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Comité de rédaction i Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. — ANNONCES V On traite à forfait.
Adresser toutes les communications à
l'administration générale de TArt Moderne, rue de Plndustrie, 26, Bruxelles.
Sommaire
La joie du Livre fait. — Les évolutions de l'Art. — Expo-
sition RoYBET. — Les derniers des Mysonéistes. — Au théâtre
Molière. — Au Salon de Paris. — Le Stekn d'Anvers et sa
restauration. — Chronique judiciaire des Arts. — Concours du
Conservatoire. — Bibliographie musicale. — Petite chronique.
U JOIE DU LIVRE FAIT
II est banal d'insister sur la presque toujours désillu-
sion de l'œuvre. Les bras ne quittent pas le travail ;
d'ordinaire, ils en tombent. Sitôt le mot fin écrit au bas
des pages, le supplice commence, sourd d'abord, quasi
traître; puis aigu, poignant, sinistre. La tentation se
lève de détruire toute cette preuve de labeur et dHn-
quiétude et de supprimer cet avorton de rêve et cette
erreur de merveille. Anéantir, devient comme un ordre.
Une publication hâtive ne s'explique souvent que par la
révolte contre l'obsédant cauchemar.
Rares ceux-là dont le livre terminé est une joie de
triomphe et comme un enivrement. Nous n'en con-
naissons guère — et vraiment nous a-t-il été surprise
de constater, dernièrement, chez un poète, aimé s'il en
fut, Edgar Ppë, l'attestation de cette ivresse. Et son
titre d'abord : Eurêka n'est-il pas à lui seul le cri le
plus follement audacieux qu'il soit possible de jeter vers
le triomphe? Le proférer alors que toute étude ne sert
en réalité qu'à se construire à soi-même son propre
labyrinthe, ou à s'illusionner d'une étoile morte, depuis
quel temps? Ou encore à prendre un mirage sur la mer
pour le palais d'or d'un miracle.
On comprend l'emballement d'une heure ou d'un jour
— et même qu'un cri de certitude soit poussé par le seul
désir de martyriser son doute. Mais pour Edgar Poë ce
n'est le cas, nullement. C'est après mûr examen,
l'esprit libre et à froid, c'est en pleine conscience qu'il
se célèbre.
Ajoutons que la joie victorieuse lui vient non pas
après un poème fait ou un conte ou une nouvelle. Bien
plus. Elle lui échoit alors que torturé comme nous tous
par la grande énigme universelle, par le sphinx des fir-
maments, il a voulu se chercher la raison d'être de
l'univers. Le plus grand problème, le seul que depuis
des siècles et des siècles chaque suprême cerveau se
pose, il a eu la conviction de l'avoir résolu. Sa joie a
dû se centupler en étendue et en profondeur. Il a dû se
sentir, un instant, l'attendu du monde;^ l'auréolé de
Dieu, la fin de la misère spirituelle des âges et l'initiateur
de l'avenir ôonquis enfin au repos et à la paix.^n se
demande comment sa tête ne. s'est point envolée, dans
une gloire soudaine de folie.
Le favorisé d'une telle victoire n'a certes pu raison-
«. .
^
210
VAUT MODERNE
nablement se plaindre de la vie, quelque dure qu'elle
ait pu matériellement être. Car la joie ne doit guère se
mesurer de long en large, mais de bas en haut. La durée,
toujours amortie par la veule habitude, la vulgarise; la
joie n'existe grande que par intensité et surprise. Elle
est acérée délicieusement : elle est une électricité qui
s'attaque au cerveau dans sa fébrilité la plus délicate;
elle est tressaillement profond et par sa nature même
hostile à tout séjour à perpétuelle demeure. Le bonheur
est rassis, régulier, rente. Il a foyer et fauteuil. Il
arrange, il songe, il s'accommode de précautions et de
calculs. Il est d'essence bourgeoise. Il est hebdomadaire.
En Amérique, un jour, on s'abonnera peut être à du
bonheur.
Elle, la joie se sentant infinie, se manifeste en des
•tout-à-coup d'émotion telle, qu'il serait impossible à la
constitution du cerveau humain de l'éprouver long-
temps. Elle est extrême et d'essence artiste. Et celui
qui l'a connue totale et profonde en garde sa vie pleine,
par le souvenir. Cette joie là, Poe a dû la ressentir.
Quant à l'etïicacité de son système à supprimer le
doute, nous n'y croyons guère. Il n'y a rien de plus
simple pour expliquer le monde que d'affirmer Dieu,
mais rien de plus ardu que de le prouver, péremptoire-
ment. Dieu restera l'énigme éternelle; connu, serait-il
Dieu encore? Il est l'expression la plus haute du mystère.
S'il est une inquiétude pour la raison et l'intelligence ;
pour l'art, il est un attrait merveilleux. Le rêve monte
vers son crépuscule plus délicieusement que vers son
soleil. Les poètes, si sa croyance devait s'éteindre,
seraient ses derniers fidèles. Aussi est-il dans l'ordre
que la science athée combatte la poésie telle qu'elle se
prouve aujourd'hui : sentimentale et mystique —
comme une ennemie. C'est de guerre logique.
Le système de Poë, un système dont la science astro-
nomique et mathématique font les frais, est très lucide-
ment exposé dans Eurêka.
Sa méthode n'est pas nouvelle, mais se présente avec
de belles illusions de nouveauté. L'intuition lui sert de
base pour établir une hypothèse que les faits et le
raisonnement justifieront après. Laplace et même les
Darwinistes ne procèdent autrement. Leur théorie est
une affirmation, qu'aucun fait n'est sensé démentir. Le
système d'Edgar Poë n'est, au reste, que la t^orie
planétaire de Laplace étendue à l'univers, cette « quan-
tité d'espace la plus vaste que l'esprit puisse concevoir
avec tous les êtres spirituels et matériels qu'il peut
imaginer existant dans la limite de cet espace •» .
Cet univers se doit à un acte de volition divine,
^exerçant sur la molécule absolue, indépendante et
originellement créée d'elle par elle pour se diffuser dans
l'espace. La diffusion ayant eu lieu par répulsion,
immédiatement l'attraction des atomes entre eux et par
suite vers la molécule primitive* s'est manifeste. Les
mondes obéissent à ces deux lois et ces deux lois sont
toute la matière, puisque celui qui dit matière dit
attraction et répulsion. Quand l'évolution de tous les
atomes à travers les âges se sera accomplie, c'est-à-dire
quand Véther séparatif, qui tient les molécules distan-
cées l'une de l'autre, ne sera plus nécessaire ou encore
quand la loi de répulsion sera morte et que l'attraction
seule prédominera, irrésistiblement, la matière, excluant
l'éther séparatif, sera retournée à l'unité. La matière
existera alors sans attraction ni répulsion.
« En d'autres termes ce sera la matière sans la
matière ou l'absence de matière. En plongeant dans
l'unité, elle plongera en même temps dans ce non-être
qui, pour toute perception finie, doit être identique à
l'unité — dans ce néant matériel du fond duquel nous
savons qu'elle a été évoquée — avec lequel seul elle a
été créée par la volition de Dieu.
« Et maintenant efforçons-nous de comprendre que ce
dernier globe fait de tous les globes disparaîtra instan-
tanément, et que Dieu seul restera, tout entier, suprême
résidu des choses '».
Tel est en raccourci le système philosophique d'Edgar
Poë. Aji début il emploie son ironie à railler les parti-
sans du sens commun et de la scolastique axiomatique.
Ce sont des pages de verve et les plus agréables du
livre.
Revenons à notre point de départ. Quelle que soit la
probance de l'œuvre, un fait est certain : c'est qu'Edgar
Poë a eu l'illusion qu'elle était décisive et que ce cas
s'est présenté d'un écrivain enchanté de lui-même. Cet
enchantement couve sous chaque phrase. On voit telle-
ment que l'auteur est heureux d'avoir raison et qu'il
n'en admet jamais le moindre doute que, malgré la froi-
deur des démonstrations et des déductions, on sent qu'il
exulte. Au reste» cette phrase en italiques est péremp-
toire.
« R m'importe peu que mon ouwage soit lu
maintenant ou parla postérité. Je puis bien attendre
un siècle pour trouver quelques lecteurs, puisque
Dieu lui-même a attendu un observateur six mille
ans. Je triomphe l Jai volé le secret dor des Egyp-
tiens! Je veux m'abandonner à mon ivresse saci-ée. «
On a peine à croire que ces lignes soient. Elles
témoignent d'une exaltation d'intelligence magnifique.
C'est du soleil d'or sur une tête et dans un cœur. C'est
une apothéose que le poète se prépare, qu'il attend,
qu'il se prédit. C'est de l'orgueil large et suprême.
L'observateur attendu six mille ans fait songer au
Messie attendu également pendant des siècles de géné-
rations évoluantes.
Fait plus curieux encore. Le même qui publia en de
tels termes sa joie, habite la Maison Usher, est
l'adorateur des Ligeia et des MoreWa, regarde le Masque
de la mort rouge et dialogue avec le Corbeau. Le spleen
V.
morne lui bat d'une aile nocturne la tête; c'egt l'homme
qui boit par rage et par ennui.
Certes est-elle ouverte merveilleusement à toute
l'immense diversité d'impression, l'âme des poètes, et
vraiment vivent-ils toutes les vies en vivant la leur.
I
MS ÉVOLUTIONS DE L'ART
s.
Essai sur le comte de Caylus. L'Homme. L'Artiste. L'Anti-
quaire, par Samuel Rochebla^e ; 1 vol. de 382 pages. — Paris,
Hachette, 1889.
Etudiées dans leur genèse r^icroscopique et polymorphe, les
grandes réformes artistiques du passé sont bien faites pour
ranimer le courage des lutteurs ayant foi dans l'éternel rajeu-
nissement de l'art. Suivre pas à pas la lente intégration des con-
cepts nouveaux, insoupçonnés autrefois, devenus aujourd'hui de
banals lieux communs, c'est lire, inscrite dans les faits, l'inéluc-
tableloide l'en avant. C'estconstaler expérimentalement celle autre
loi, inassimilable pour des cerveaux dogmatico-doctrinaires : la
relativité de toutes nos idées, même et surlout artistiques.
Certes, s'ébaudiraient encore maints nombreux personnages,
si on leur apprenait que l'art académique — ce poseur pour
l'absolu — ne plonge pas si profondément dans le passé de par-
tout et toujours mêmes racines, qu'avec évidence on en doive
conclure son absoluité.
11 y a u» siècle et demi, aucune de ses formules favorites
n'avait vu le jour. Pour les appeler à la vie, il ne fallait rien
moins que l'accouplement, monstrueux apparemment, de l'archéo-
logie et de la peinture. ^^ - -
Ce que pouvait être la fabrique de grande peinture en France
au commencement du xviii^ siècle, ce fait entre mille permet d'en
juger... Deux hommes, entretenus par l'Académie et dont l'un
faisait office de concierge, posaient alternativement une semaine
chacun à l'Académie et aux Gobelins, — excepté le samedi, où
on les réunissait pour le groupe. Ceci pour la nature. ^ Quant à
l'antique, le consuller, même de loin, comme Poussin, c'était
vraiment excès de coniscience et d'originalité. Aucun des sujets
ordinaires de la grande peinture, les compositions de la Fable,
de l'Ecriture, de l'Histoire ne l'exigeaient d'ailleurs. On se con-
tentait de peindre suivant les recettes italiennes de si immuables
traditions que Caylus crut devoir alimenter l'imagination de ses
contemporains en écrivant ses Nouveaux sujets de peinture et de
sculpture, tirés d'Homère et de Virgile. Quelques étoffes drapant,
maniéreusement, une attitude plus ou moins pédante, copiée du
Caravage ou du Bernin, suilisaient à l'esthétique du temps comme
morceau de résistance. Le goût était ailleurs, dans tout cet art
mièvre de chiffons et de mouches qui date de la Pompadour. Le
b^u antique et les grandes leçons qu'il aurait pu donner restaient
encore insoupçonnés.
Par contre, depuis quelques années avait surgi par toute la
France une pullulante classe nouvelle d'amateurs : celle des anti-
quaires. Un type des plus curieux, dont l'espèce n'est guère
parvenue intacte jusqu'à nous. A vrai dire, on ne démêle pas
trop l'ardent mobile de ses recherches. Peut-être simple curiosité
qui cherchait dans le passé le contraire du présent. Sans visées
artistiques ni scientifiques, les antiquaires se contentaient d'aimer
l'objet antique pour lui-môme, parce que antique, peu importe
lequel, pourvu qu'il vint de Rome, — l'antiquité, dans l'idée de
l'époque, s'arrêtant à l'Italie, et l'Italie se résumant en Rome.
L'antiquaire n'était peut-être qu'un historien au petit pied, à la
conception singulièrement étriquée. Il avait découvert dans les
monuments un moyen nouveau d'interpréter les auteurs, et comme
ce Bernard de Montfaucon, il publiait « dans le but de montrer
au lecteur la forme des objets dont parlent les écrivains anciens
et rendre par là celte lecture plus vivante ». A l'Académie des
Inscriptions, sans idées générales, sans ombre de critique, on
citait pour citer, faisant défiler à propos de tout et de rien les
longues accumulations de détails oiseux et insignifiants entre
deux passages d'auleur fidèlement retenus de mémoir<3.
Peintres d'attitudes théâtrales, méticuleux, étiquetcurs de pots
cassés, voilà pourtant les hommes dont les efforts communs vont
créer la seconde Renaissance et jeter les fondements du « grand
art».
Pour ce faire, il fallait un homme assez libre de prévention et
suffisamment préparé par l'étude pour fusionner en lui deux
ordres de connaissances jusque là sans rapport. Ce fut Caylus.
Frappé de la décadence du grand art conteihporain, il rêve son
rajeunissement par l'histoire, par celle antiquité surtout dont il
n'avait reconnu qu'un reflet dans la Renaissance, et dont ses
éludes sur les monuments anciens lui révélèrent toute la grandeur.
Là où d'autres n'avaient vu que fragments propres à éclairer un
texte, son âme d'ariisle sait découvrir œuvre propre à émouvoir.
Désormais — c'est l'époque des premières fouilles d'Ilercula-
num — touJes les antiquailles vont servir à un but : « Rapprocher
de nous l'antiquité vénérable, la mettre à portée de nos yeux, la
mieux juger par comparaison avec l'art moderne, bref, la faire
vivre et, par là, la faire aimer ». Ceci est le bul assigné par
Caylus. Mais — plus positif que ce raisonneur de AVinkelman,
qui sut habilement se servir des vues de son rival pour tenter
d'expliquer mélaphysiquement la beauté antique — Caylus s'ingé-
nia surlout à découvrir les procédés des anciens, persuadé « que
chaque procédé nouveau enrichit l'art d'un effet nouveau ». Aussi,
l'action sur ses contemporains de cet arliste antiquaire, qui avait
un pied à l'Académie royale, un autre à celle des Inscriptions,
fut-elle considérable et immédiate. A sa mort, le terrain était
théoriquement préparé à l'éclosion d'une grande école nouvelle
qui aurait accommodé la forme antique à la pensée moderne ».
Les Horaces de David ne tardèrent pas à affirmer l'existence de
cette école.
Ainsi fut engendré le « grand art académique » qui perdure
-encore chez nous, survivance déplacée d'un autre âge. C'est plai-
sir d'en rechercher les origines avec M. de Rocheblave, dans un
livre très solidement architecture de faits, épingle de judicieuses
réflexions et conclu par une très naturelle envolée vers les idées
générales. Livre salutaire, donnant historiquement raison à ceux
qui pensent que la vie de l'art, uniquement sur lui-même, ne peut
suffire à son progrès. Des incursions dans les domaines voisins
peuvent être grandement profitables : on en revient avec des
points de vue nouveaux, nés de simples rapprochements.
A preuve, M. de Caylus, retrouvé à une certaine bifurcation de
l'art et de l'archéologie. Etudiant les antiquités en artiste, il sut
créer une science nouvelle : l'archéologie; et, sachant envisager
les problèmes d'art avec les yeux d'un antiquaire, il put rêver une
seconde Renaissance. Depuis, il est vrai, les temps ont marché.
/
-»v
212
UART MODERNE
L'essentielle révolution que nous avons consommée, c'a été d'ex-
clure définitivement l'archéologie de noire art actif et de n'en
plus vouloir comme source vive d'inspiration pour nos produc-
teurs. De nos jours, il est vrai, tout artiste, tout amateur est
encore archéologue. 'Nous sommes trop poussés vers un tolérant
éclectisme et l'érudition nous^st trop facile pour ne pas goûter
dans les choses du passé la fine et particulière sensation d'art
qu'elles peuvent donner.
Mais l'œuvre d'art, actuellement produite, se modernise, elle,
par la pensée et par le procédé, de plus en plus. Par la pensée,
car les idées et les sentiments d'aujourd'hui sont trouvés au
moins aussi intéressants à rendre que ceux d'autrefois, relégués
désormais au rang de poncifs par l'abus qu'il en fut fait. Et si
pour mettre au jour un monde nouveau, il faut des procédés
encore inlrouvés, point n'est besoin de les aller quérir auprès des
Ages scientifiquement et industriellement inférieurs aux nôtres.
EXPOSITION ROYBET
On nous écrit de Paris :
Une gigantesque toile de M. Roybet attire en ce moment les
badauds en quôle d'émotions esthétiques chez M. Georges Petit.
C'est, en un fouillis de costumes de théâtre que portent des man-
nequins d'atelier, la banale représentation d'un Charles-le-Témé-
raire bardé de fer, pénétrant à cheval dans la cathédrale de Nesle
et y faisant massacrer la population qui s'y était réfugiée.
M. Roybet a transporté dans un cadre énorme l'art froid,
minutieux, propret et crispant qu'il exerce d'ordinaire sur des
toiles de proportions plus modestes, en des Leçon de guitare, des
Partie d'échecs, des Main-chaude et des Hallebardier en senti-
nelle qui sentent leur sous Meissonier. (Et justement, les murailles
de la galerie Petit sont tapissées d'une cinquantaine de ces pro-
duits haut cotés sur le marché des huiles colorées, accompagnant
le gros morceau, Charles -le- Téméraire, comme les pommes de
terre le beefsleack).
Vraiment, on désarme devant l'extraordinaire naïveté des pein-
tres qui osent encore, en l'an i890, pratiquer l'art conventionnel,
figé, l'art de zinc et dé fer blanc qui nous vaut « un chef d'œuvre
de plus » ainsi que s'expriment les gazettes qui ne veulent pas
chagriner l'artiste, ni, surtout, déplaire à son imprésario. C'est si
loin de nous, ces choses-là, cela s'enfonce dans un si profond
recul, alors que l'art a marché et pris un essor merveilleux, qu'on
demeure devant elles sans impression et sans pensées, avec le
seul étonnement du temps perdu et de la vanité du labeur.
Déjà il est question de promener le Téméraire dans les capi-
tales, comme on a fait des Munkacsy et des Piloty. La France
envie, paraît-il, la gloire vagabonde de la Hongrie. Le montrera-
t-on avec ou sans musique, c'est ce que nous ne pourrions dire.
Mais qu'on se hâte de le mettre en wagon, puis en bateau, et
qu'un très riche marchand de porc salé l'achète en Amérique pour
nous débarrasser de cet objet encombrant et inutile.
LES DERNIERS DES MYSGNÉISTES
lis vont bien, les doctrinaires de l'Art. C'est une conversion
générale, au moiqs à Paris. Avis aux « vieilles gardes » de chez
nous qui règlent leurs pas et leurs chansons sur les rythmes ei
les airs de là-bas. Nous n'aurons bientôt plus rien à faire à
VArt Moderne. Nous pourrons nous retirer à la campagne,
après fortune faite.
Voici que le Figaro lui-même, par la prose de M. Henry Fou-
quier, un poncifard, attaque les institutions! et risque des mots
sacrilèges comme celui-ci r Les conservatoires, ça ne sert à rien
qu'à conserver leurs conservateurs !
Et ailleurs, il continue ses blasphèmes en ces termes :
« J'avoue que, pour ce qui touche aux Beaux-Arts, je m'aper-
çois de plus en plus que l'intervention de l'Etat ne sert à rien, ni
à personne, sinon à maintenir des abus, dont quelques-uns ne
sont pas sans gravité, et à satisfaire des ambitions particulfères,
qui se satisferont autrement sans inconvénients. Je n'ai pas tou-
jours ainsi pensé. Respectueux de ma nature, discipliné d'esprit
et n'allant aux nouveautés qu'en jetant un regard sur les tradi-
tions qui les tempèrent, j'ai été élevé dans le culte de l'Institut,
des écoles du gouvernement, croyant à la nécessité de sa protec-
tion. Mais j'ai changé d'avis, je n'hésite pas à le reconnaître, à
mesure que l'expérience m'a démontré, tout au moins, la vanité
et l'inutilité du système protecteur de l'Etat, à mesure que j'ai
constaté que ce « père nourricier » des arts employait des lisières
à la fois courtes et lâches, n'empêchant pas les chutes, mais
gênant la marche, et qu'avec beaucoup de bonne volonté et pas
mal d'argent qu'il nous prend, il n'arrivait qu'à ne satisfaire per-
sonne../.
Et l'éducation de l'Etat? Ne doit-elle pas, pour rentrer à la fois
dans les nécessités de la démocratie et dans les voies de l'art
contemporain, se modifier du tout au tout? On envoie les musi-
ciens à Rome, comme au temps où Chérubini régnait au Conser-
vatoire, à Rome où, quand ils ont entendu une messe à la Cha-
pelle Sixtine, ils ont épuisé ce que la ville sainte peut leur fournir
d'enseignements! A Rome! alors que les faiseurs d'opérettes
eux-mêmes étudient les Allemands et que la mélodie «wo/u/a,
les cabalettes et le reste excitent des cris d'horreur dans le
public! Quant aux peintres, quand ils descendent des hauteurs
de Montmartre ou arrivent des champs, où ils ont étudié la
nature, on les encage pour le concours et on leur demande froi-
dement de représenter Priam allant demander le corps d'Hector à
Achille aux pieds légers...
Hé! certes, je l'adore, l'antiquité... Mais c'est pour cela que
la parodie de l'Ecole des Beaux-Barts finit par m'irriler et je crie :
haro sur les « pompiers », comme un rapin... Enseignements,
programmes, concours, il faut mettre la vie, faire entrer la
lumière dans tout cela, fût-ce à coups de hache, comme dans les
vieilles maisons sombres et fermées. 11 faut surtout que les pein-
tres et les sculpteurs ne puissent plus dire à l'Etat ce qu'ils lui
disent encore, avec raison : « Vous m'avez appris à peindre, ou à
sculpter Priam... Achetez-le moi. Vous me le devez, puisque vous
m'avez fait croire qu'il y avait un art officiel que\ous étiez tenu
d'encourager, personne ne l'aimant que vous. » L'Etat doit rester,
vis-à-vis de l'art, un consommateur comme les. autres, achetant
pour nos musées, commandant pour nos monuments, mais libre-
ment, sans s'engager envers les artistes par le caractère particulier
de renseignement qu'il leur donne. J'aime mieux un Etat ayant
mauvais goût, si ce goût est celui de ses contemporains, qu'un
Etat ayant un goût qui retarde. J'aime mieux qu'il se trompe
sur le talent d'un artiste que de tuer toute originalité dans le
talent.
Quant aux théâtres, on peut bien dire que le contrat qui les
VART MODERNE
213
lie à l'Etat, en échange de grosses subventions, est le comble de
l'incohérence!... L'Odéon louche une subvention pour « encou-
rager les jeunes auteurs », qui ne'sont pas mûrs encore pour la
Comédie. Les jeunes au-teurs, du reste, il les laisse débuter au
Théâtre-Libre... »
Hein! qu'en dites-vous? Je parie qu'avant peu on verra Vin-
dépendance belge elle-même se mettre b l'unisson et chanter
l'antienne de I'art neuf. A moins qu'une consigne sémitique n'y
fasse obstacle.
AU THÉÂTRE MOLIÈRE
Pleurez, mes yeux! Porthos est mort. II est mort à Belle-Isle,
écrasé par des quartiers de rocs en toile, aplati sous des châssis
mobiles, et voici, tous les soirs, Ixelles en larmes, à l'heure pré-
cise où saute le baril de poudre qui opère cette catastrophe.
Après tout, les Mousquetaires ne pouvaient pas durer toujours.
Leur jeunesse a excité l'enthousiasme; hommes faits, ils ont fait
tourner toutes les tôles ixelloises; vieux et concassés par des
grottes qui s'effondrent, ils parviennent encore â soulever les
populations. Quel autre exemple de pareille fortune! Louis XIV
ctMarchiali, Fouquet, Colbcrt, la reine Anne et M"^de la Vallière,
Madame Henriette et Madame de Chevreuse ont passionné le
public, non moins que s'il s'agissait de Bibi-Ia-Grillade, de Mes
Bottes ou de quelque autre conception « fin de siècle ». L'his.
loire ne fait plus peur à personne. IxcUcs la regarde en face, très
fière du privilège qu'on lui confère. Car c'est chez elle, exclusi-
vement, que s'est réfugié le drame « historique », qui instruit
en amusant. Aussi, gare à qui oserait insinuer qu'Alexandre Dumas
s'est agréablement moqué du monde en écrivant les bizarres feuil-
letons dont il a tiré ses invraisemblables pièces!
M™» Desnoyer a monté le Prisonnier de la Bastille avec les
mêmes soins que Vingt ans après. 11 y a même un « clou », indé-
pendamment de la Mort de'î^orlhos : c'est le Souper du roi, qui
excite les convoitises de toute la benoite population de rex-« fau-
bourg de Namur ».
Les artistes : M'"" Desnoyer, A. Bourgeois, Marie Georges,
Juliani, MM. Mary, Munie, Heurion, Bolnay, Venkens, Kcppens, etc. .
forment un ensemble homogène ; ils montrent tous de la bonne
volonté et quelques-uns du talent.
AU SALON DE PARIS
Le Nu est mort
Très amusante, l'humoristique revue des Nus du Salon passée
par Raoul Ponchon. Les observations contiennent beaucoup de
vérité en leur forme plaisante et gamine :
La plupart des peintres ont adopté un ton particulier pour
peindre le nti, sans se soucier autrement de la nature de leurs
modèles. Ce ton flotte généralement entre le rose cru et le bran
numéro un, en passant par des intermédiaires de groseille, lie de
vin, café au lait, jus de chique, etc. Quelques-uns trouvent plus
simple encore de n'opter pour aucune couleur. Ilsnecommencent
à peindre leurs femmes nues qu'après avoir sucé tout leur sang,
Henner pinxiJ. Benner le suit à une lettre près. Pour appuyer
mon dire, regardons au hasard quelques morceaux de nu. Le
premier qui s'offre à nous est de M. Moreau de Tours et s'inti-
tule « Jeunesse ». Cela hésite entre le lie de vin et le jus de
chique, je m'en rapporte à vous.
Sans compter que cette jeunesse la connaît dan«s les coins, je
vous en flanque mon billet,' Pourquoi cette créature afîecte-t-elle
de se passer dans un olein air? On peut classer dans la mémo
gamme de tons la fenune à la toilette de Mousset. On se demande
si c'est avant ou aprèsV_Si elle s'est déjà lavée, elle peut se payer
une autre tournée de cuvette. Jus de chique. Flore et Zéphire, de
Parrot, entre comme dans du beurre dans la catégorie des inco-
lores. La Naissance de la Perle de Maignan, d'une composition
douteuse, est d'une inconsistance indubitable. Absence de nu
totale. On ne saurait faire avec cette nacre et ces perles que des
boutons de chemise. La Sainte-Marthe de Pinta est incolore,
flasque, baudrucharde. Plus loin, Gulliver assiste à la toilette
d'une femme rose dans un pays de géants. Continuons. Que
vois-je? Un morceau de nu signé Apoil. Parbleu, M. Apoii se
devait à lui-même de faire du nu. Son nu, intitulé VEté, rentre
dans les lie de vin. Celui de M. Marius Vasselon : Sarah la
baigneuse, est particulièrement rose, d'un rose de pommade à
soldats, au point que, au lieu de ces vers de Hugo qui scandent
son tableau, on voit la baigneuse blanche qui se penche, il
devrait mettre : On voit la baigneuse rose qui s'arrose, etc.
V Expiation de M. Bordes appartient à l'école du;«j de chique,
de même que M. Ballavoine se réclame du rose, sans compter
que son plein air se passe dans un atelier et qu'il est le patron
de l'école du chic.
Lz Bacchanale de Fourié participe du rose et du lilas; Le lilas
est devenu un genre, depuis les impressionnistes. Ln beau jour
quelqu'un s'est avisé que les ombres étaient violettes, lilas, sui-
vant l'intensité et, depuis,, un tas de peintres en délire ont ren-
chéri là-dessus et ont déclaré que 'non seulement... mais encore
tout était violet. Pierre Bellet est un de ces sombres fantaisistes
qui éclairent leurs femmes nues avec une négresse. Paul Bou-
chard, itou. Ecole du rose, Henri Delacroix. Plein air d'atelier.
Femme au réveil, s'étirant les bras, en lilas clair avec des appé-
tits vers le bleu. Benner, une petite Folle est ternement couchée
dans un paysage de même. Le ton hésite — mais pas longtemps —
entre celui d'Henner et le néant. La Daphné de M. Granier est en
sirop cruellement Aq groseille ; le Lever de Marius Borell, en lie
de vin; la A'amo«7m de Deihumeau, en pommade à la rose; La
Légende de Kerdeck, de Lequesne, serait plutôt en café au lait;
Après le Péché, d'Eugène Deuliy aussi.
M. Comerre nous donne, comme il .sied, une femme blanche
— si l'on veut — dans un effet de négresse. La Libellule de
J^. Landelle — comme vous pouvez le voir — est rose, c'est
même tout ce qu'elle est; l'Araignée de M. Henri Jacquet est
simplement mouche : il ne me doit même aucun remerciement
pour lui dire ce que je pense.
Les femmes de Laughard, Hierle, Hodebert, Lenoir, Dau-
vergne plongent dans l'incolore jusqu'au cou. Sivori nous repré-
sente, en sirop de groseille, une femme qui a un arrière-train
assez important et qui se sèche devant le feu après avoir fait ses
misérables ablutions. M. Poujol prétend purifier tout à fait les
siennes — de femmes, dans le feu lui-même. (Voir Dante, tour-
ment des voluptueux, passim.) Elles sont là à se rôtir les fesses
au sein d'un brasier de groseille coupé de bran numéro un. Vous
savez, si c'est pour moi, pas trop cuit.
214
VART MODERNE
LE STEEN D'ANVERS ET SA RESTAURATION
Lorsqu'émergeant des ruines accumulées par les travaux du
port, le Slecn montra, en de récentes années, ses tant vénérables
murailles se réflétanly comme aux temps abolis, dans les eaux du
Scaldus, nous eûmes la vision de l'antique castellum ressuscité,
buccinant haut et clair la gloire d'Antwerpia!
Alas! mille fois alas! L'Anvers contemporaine qui, parce qu'elle
le clame elle-même, s'imagine complaisamment élre la métropole
des arts, nécropolise, au contraire, ce qu'elle élreint et vient de
perpétrer la plus complète des profanations : ce qui ne devait
être touché qu'avec une respectueuse crainte, elle l'a livré
h des mains enfantines, balourdes, inconscientes, cataplasmant
le Steen de choses inouies, où l'art ni l'archéologie n'ont
rien à' voir. Au sud^ presque intacts, murs et tourelles, aux
pierres frustes, que le temps a patinées de ses bavochures noi-
râtres, ont un aspect farouche, un caractère énorme d'où surgit
brusquement la lugubre épopée de ses cîdiois : rempoignement
vous cloue au sol au souvenir des affres dont se délectaient nos
niafircs espagnols du xvi* siècle, et il n'est pas de drame plus
sombre que celui qu'évoque la suggestive silhouette du Slecn.
Passé la voûte, la boutique U treize en plein, nous reporlant à
noire prime enfance où, joyeux, nous voyions sortir pareille
naïve architecture d'une boîte de Nuremberg; ici l'on se sent pris
à la fois de rage et de tristesse k la vue de ce déballage de motifs
incohérents, de lucarnes non stylisées, d'arcatures mal cncor-
bellées, de tourelles sentant les castels épiciers des digues de
mer; en un mot, d'une composition dont ni l'ensemble ni les
détails ne concordent avec l'austère grandeur du monument his-
torique qu'il fallait religieusement respecter. Que faire maintenant
en présence de ce tripatouillage déshonorant? Une seule solution
est possible : que les artistes pétitionnent et lâchent d'obtenir de
l'administration communale ou de la commission des monuments
la revision de celle grave question de la restauration du Steen.
Il ne manque pas en Belgique d'architectes de talent et d'archéo-
logues très entendus; que l'on s'adresse à eux par voie de con-
cours, et l'on peut être certain de réunir, en quelques mois, des
documents absolument sérieux pour entreprendre une restitution
des plus scrupuleuses du vénérable château anversois. VArt
moderne souhaite que ce vœu se réalise promptemenl : la dispa-
rition de la cauchcmardanie verrue actuelle sera saluée avec joie
par tous ceux que les choses d'art tiennent au cœur.
Chronique judiciaire de^ J\rt3
Faux tableaux
On \icnt de découvrir encore de faux tableaux, dit VEcho de
Paris. Celte fois, ils sont signés Bastien Lepage, Une plainte
a été adressée au parquet par M. Emile-Baslien Lepage, frère
du célèbre peintre. Voici dans quelles circonstances a été décou-
verte l'existence de ces faux tableaux.
M. Emile-Baslien Lepage recevait, le 12 mai dernier, la visite
de deux marchands de tableaux qui lui annonçaient qu'une dame
X..., demeurant rue de Presbourg, avait offert de leur vendre
deux tableaux de son frère et ils lui demandaient — doutant de
l'authenlicilé de ces œuvres — de les accompagner chez la
vendeuse cl de leur donner son avis.
M. Emilë-Baslien Lepage se rendit aux désirs des' deux mar-
chands. M"!'* X... possède une nombreuse collection de tableaux,
signés de noms célèbres : Courbet, Corot, Meissonier, etc. Cette
dame élait absente lorsque se présentèrent, chez elle, le frère du
regretté peintre et les deux marchands de tableaux. Néanmoins
les domestiques les firent entrer et leur firent visiter la galerie.
Mis en présence de ces toiles signées du nom de son frère,
M. Emile-Baslien Lepage déclara qu'elles portaient une fausse
signature et que jamais son frère ne les avait peintes.
L'un de ces tableaux représente un paysan fumant sa pipe;
l'autre, une paysanne assise sur un fagot-
• M. Albanel, juge d'instruction, a été désigné pour procéder à
une enquête et M. Goron, chef de la sûreté, a élé chargé d'opérer
une perquisition chez un collectionneur qui a été signalé comme
possédant plusieurs de ces faux tableaux.
Le frère d'Eyraud a introduit une instance en référé contre les
directeurs du Palajs de Cristal, à Marseille, où se joue actuelle-
ment une pantomime intitulée : rAffaire Gouffé, et dans laquelle
Michel Eyraud joue, naturellement, un rôle essentiel.
Eyraud (celui de Marseille) demandait l'interdiction de cette
pièce. Le président du tribunal a prononcé une ordonnance aux
termes de laquelle les directeurs du Palais de Cristal sont tenus
de faire disparaître le nom d'Eyraud de leur affiche.
On se souvient qu'un procès analogue fut plaidé à Bruxelles,
à propos des représentations d'un drame tiré de l'affaire Pellzer.
La conférence du Jeune Barreau de Paris, réunie sous la prési-
dence dé M. le Bâtonnier, a discuté la question suivante :
« Un artiste peut-il, en dehors de toute intention diffamatoire,
reproduire les traits d'une personne sans son autorisation, dans
un tableau ou dans un dessin? »
M«» Gaston Mercier et Faure ont soutenu l'affirmative; M«»
Jauffret et Auteroche ont soutenu la négative. M* Frémard, comme
ministère public, a conclu dans le sens de la négative. La Confé-
rence a adopté lar négative. En Belgique le cas est résolu dans le
même sens par la loi de 1886 et la Jurisprudence.
foNCOUR^ DU f ON^ERYATOIRE
(1)
Piano (jeunes filles) : professeur, M. Auguste Dupont. —
!•■■ prix, M"« Lemaire; 2« prix (avec distinction). M"" Parcus et
Blés ; 2« prix. M"* Falkenslein.
Prix Laure Van Cutsem : M"« Hoffmann.
Viobn : professeurs, MM. Ysaye, Colyns et A. Cornélis. —
i" prix (avec la plus grande distinction), M. Hill (classe de
M. Ysaye), M"« Von Stosch (classe de M. Cornélis); 4" prix (avec
distinction), MM. Biermasz (Ysaye) et Frank (Colyns); i"' prix,
M. Huguenin (Ysaye); 2« prix (avec distinction), MM. Dupont
(Ysaye) et Enderlé (Colyns) ; i» prix, M"» de Wagslaffe (Cornélis),
MM. Barthélémy (Colyns), Sartoni (Ysaye), Bosard (idem), Pirard
(idem), Hayet (Cornélis), Miry (Ysaye), Jahn (Cornélis), Goffin
(idem), Laurent (idem), Fontava (Colyns). — 1« accessit,
MM. Fabrion, Lambioite, M»« Nanney, MM. Barrachin et Valdes.
Chant monodique (jeunes filles), professeurs: M"»» Lemmens-
(1) Suite. Voir nos deux derniers numéros.
( )
UART MODERNE
215
ScHENiNGTON, M. Warnots. — Chargée de cours : M'"« Cornélis-
Servais. — i™ menlion avec distinction : M"" Daugenel, De
Haene, Hcndricx, Van Langendonck; l"^" menlion : M""' Dclliaye,
Ilobé, De Le Coeiiilleric, S. Bolle, Van Damme ; 2* mention :
M"«» Dewinler, Coessens, Artot, Vranckx, Hassclmans, A. de
Kozoubsky, Paye, George; 3" menlion : M"« Dobbelaere.
Chant théâtral (hommes) : professeurs, MM. Cornélis et
Bauwens. — 1" prix (avec distinction), M. Ficrens; 1" prix,
MM. Smeesters ctLefebvre; 2" prix (avec distinction), MM. Saey
cl De Baeker. Rappel de 2* prix (avec distinction), M. Binard.
,. '■-■ !piBX.IOqRAPHlZ: MUSICALE
La Chanson et le Madrigal écrits par Gabriel Fauré pour le
Shylock d'Edmond Haraucourl, joue ce printemps à l'Odéon,
viennent de paraître chez M. Hamélle, sous une jolie couverture
dessinée par Fremiet. On trouvera, dans l'une et l'autre de ces
mélodies, le charme délicat et l'inspiration élev(hs,^qui marquent
chacune des compositions du jeune maître.
La Chanson est éditée en quatre tons différents {ut, si b., la 6.,
sol); le Madrigal, en fa et en mi b.
Petite chroj^ique
L'Art moderne, qui a été tout le premier à saluer le grand
artiste Constant Meunier, enregistre avec joie le nouveau et légi-
time succès qui, après trente ans de luttes ingrates, le paie de
l'indifférence de ses compatriotes. •
Le gouvernement français a décidé d'acquérir pour le musée du
Luxembourg deux des œuvres exposées au Champ de Mars, le
Débardeur et le Marteleur.
Quand le talent d'un maître comme Meunier est encore contesté
et ne suffit pas à lui valoir dans son propre pays la situation
artistique à laquelle il a droit, il est consolant de constater qu'un
pays voisin lui fait, parmi ses propres maîtres, une place qui le
range parmi les artistes universels.
La France, en nous enlevant l'une après l'autre nos vraies
gloires nationales, aura bientôt fait d'épuiser les dernières forces
de noire marâtre patrie. En adoptant cette fois le rude statuaire à
qui l'Etal marchande encore une commande digne de ses mâles
énergies, elle ravive en nous les amertumes ressenties devant ce
grand labeur méconnu que peut-être, enfin, de réitérés succès vonl
nous forcer à esiimer.
Du Soir : Camille Lemonnier, qui depuis quelques années
passe ses hivers à Paris, vient de rentrer jusqu'à l'automne dans
sa retraite de La Hulpe, bien connue des promeneurs du
dimanche.
Notre compatriote n'entend pas se reposer sur le succès du
Possédé, son dernier livre, signalé par les journaux de Paris
comme un véritable gvénemenl littéraire."
Il réunit en ce monieni les matériaux d'une nouvelle œuvre où
il compte étudier les mœurs artistes et les dernières évolutions
d'art. Puis ce sera le tour d'un autre roman, qui s appellera Le
Livre et sera consacré à l'élude des milieux et des plus récentes
écoles littéraires.
Dans la pensée de l'écrivain, ces deux romans compléteront
l'un l'autre et formeront une sorte de synthèse des activités intel-
lectuelles de ce temps.
La commune de Molpnbcek-Sainl-Jean fêlera dimanche pro-
chain le 25* anniversaire de la fondation de son Ecole de dessin,
de peinture, d'architecture et de modelage.
A celle occasion l'administration communale organise, dans
les locaux de la rue Mommaerls, une exposition des œuvres
des élèves et anciens élèves de celle école.
Celle exposition permettra au public d'apprécier les services
que les études pratiques de l'Ecole de Molenbeek-Saint-Jean
ont rendus à l'art et à l'industrie. Elle démontrera aussi la valeur
de la méthode qui y est suivie et l'influence que son enseignement
a exercée sur l'avenir des élèves sortis de celle institution.
Le public sera admis à visiter gratuitement celte exposition,
du dimanche 13 au dimanche 20 juillet inclus, de 1 à 5 heures.
La manifestation qu'on prépare en l'honneur du cinquante-
naire professoral de M. Cornélis, cl que nous avons annoncée der-
nièrement, est fixée à mardi prochain, 8 juillet, à il Jieures du
matin, au Conservatoire.
A la vente du duc de Somerset, qui vient d'avoir lieu à Londres,
un paysage de Paul Potier a atteint 152,000 francs. Un portrait
de femme, par Hoppner, a été acquis 37,500 francs. UnVanDyck,
40,000 francs; un paysage de Ilobbema, 13,250 francs; un
Raphaël ne s'est élevé qu'à 2,625 francs. En, revanche, la Vénus
polychrome de John Gebson, un morceau de sculnlure qui fil il y
a quarante ans quelque bruit, a été porté à 45,1 7ft francs.
Les deux Salons de Paris ont fait, nous dit-on, de belles
recettes. Celui, du Champ-de-Mars, qui n'a été ouvert que six
semaines, a encaissé 170,000 francs. Celui des Champs-Elysées,
dont la vie habituelle est de deux mois, a reçu 240,000 francs.
Au Champ-de-Mars, on ne décerné pas de médailles, mais on
jnomme les artistes les plus méritants sociétaires, et associés s'ils
sont étrangers. Voici la liste des élus :
^Sociétaires ; MM. Muenier, Picard, Prinet, Sislcy, M"'* Cazin.
Associés : MM. Anlhonissen, Andra, Griinwald, Brétignier,
Dulac, Frédéric, Gérald-Lafitte, Hoecker, Kuehl, Leroy-Saini-
Auberl, Uhde, Williamsen, M™* Rulh-Mercier, peintres ;
MM. Charpentier, Ringet, Devillez, Vernier, Grenet-Leduc,
sculpteurs; MM. Michel Cazin, Leratei Mordant, graveurs.
On remarquera que dans cette liste figurent deux artistes belges :
MM. Devillez et Frédéric.
Enfin, sept bourses de voyage de 3,000 francs chacune ont été
conférées à MM. Tournés, Couturier, Andra et Picard, peintres;
à MM. Desbois et Baffier, sculpteurs ; à M. Lepère, graveur.
"TW""» Monlalba, qui s'est, durant ces dernières années, tenue
éloignée du théâtre, a fait la semaine passée, à Paris, une bril-
lante rentrée en interprétant, avec grand succès, le rôle principal
de la Judith de M"* Pauline Thys.
Les Hommes d'aujourd'hui, l'intéressante publication du
libraire Vanier, donne, dans ses derniers numéros, les porlrails
des néo-impressionnistes Signac et Dubois-Pillei.
La ville de Leipzig élève à Wagner une statue. C'est le sculp-
teur berlinois Schapper qui est chargé de l'exécuter. L'œuvre
sera placée devant le théâtre municipal.
* •^
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JOURNAL DES TRIBUNAUX
paraissant le jeudi et le dimanche.
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Administration et rédaction : Rue des Minimes, 10, Bruxelles.
Revue tnensitelle de littérature et d'art
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Directeurs : MM A. MOCKEL et P. -M. OLIN.
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la composition raisonnée du quatuor et des principales
formes de la musique'pour piano par J.-G. Lobe.
Traduit de l'allemand (d'après la 5" édition) par
Gustave Sandre.
VIII et 379 p. gr. in-8». Prix : broché, 10 fr.; relié, 12 fr.
Ce livre, dans lequel l'auteur a cherché à remplacer l'étude pure-
ment théorique et abstraite de l'harmonie par des exercices pratiques
de coiftposition libre, fut accueilli, dès son apparition, par une
faveur marquée. La présente traduction mettra le public français à
même d'apprécier, un des ouvrages d'enseignement musical les plus
estimés en Allemagne.
Bruxelles. — Imp. V* Monnom, 26, rue de l'Industrie.
N
Dixième année. — N° 28.
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche l.'i .Tuii.let 1890.
L'ART MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Comité de rédaction t Octave MAUS — Edmond PICARD - Emile VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00 —ANNONCES : (^n traite à forfait.
_ . __^ i >
Adresser toutes les communications à
i/administration générale de l'Art Moderne, rue de l'Industrie, 26, Bruxelles.
^OMMAIRE
EmERSIoX. — PllKNKZ' VOS fiONCl-LSIONS. — CoNr.OUHS DU CONSER-
VATOIRE. — CHHONIOUE JLDICIAIRK I>KS ARTS. — PeTITK THROXIQUE.
EMERSON
Emerson dit quelque part que les francs campagnards
de l'Ouest Américain savent reconnaître si l'homme
civilisé qui vient à eux est un homme « substantiel -
ou si « la main peut passer à travers lui ".
Je ne peux pas me targuer de plus de compétence
(jue ces campagnards, mais celle-là me suffit ; et c'est de
celle-là seule que je veux me servir, parce qu'elle est
universelle, pour parler d'un homme qui devrait être
universellement connu. Je serais honteuse qu'un Amé-
ricain vît cet article, qui lui semblerait un maladroit
effort pour enfoncer une porte ouverte, car Emerson
est aussi connu dans son pays (et aussi peu lu, du reste),
que Spinoza ou Schopenhauer, dans le nôtre. Il faut
être dans cette Amérique pour juger du dédain qu'on y a
pour l'Europe, plus savante, plus artiste mais moins
bien renseignée, comme ils disent.
Tout le monde, il e.st vrai, lîe discerne pas instanta-
nément les êtres superficiels ou même faux, de ceux qui,
selon la pittoresque expression américaine, sont sub-
stantiels; mais nous avons tous' des heures où nous dis-
cernons la valeur des gens; c'est quand nous avons
besoin d'eux.
Je crois que cette heure est arri^•ée pour Emerson.
Nous avons entendu parler de lui comme pasteur uni-
tairien puis comme écrivain et penseur, mais nous ne
le connaissons pas, et aujourd'hui que cinquante ans
se sont écoulés depuis la publication de son prenfier
livre, aujourd'hui seulement nous pouvons bien le
comprendre, car nous avons besoin de son vigoureux
idéalisme.
* • .
Nous avons tous renconti^é des hommes, encore à
iiMÙtié enfants peut-être, sortant des chaudes illusions
d'une religion positive et se débattant dans les '• ténè-
bres extérieures - de la pensée moderne pour essayer
d'y retrouver ce qu'ils viennent de perdre-, se débattant
d'autant plus qu'ils ont cru plus fermement ; cherchant,
aux grands jours de la pensée, un enthousiasme élevé,
et dans, les jours de lutte, d'action, une force qui les
soutienne. .
Ceux qui n'ont pas connu le nid si bien clos et si
commode des doctrines infaillibles, ne se plaignent pas
(îu froid ; mais ils le subissent quand même,, sans le
savoir. Vienne un pessimiste de génie qui du Nord nous
envoie l'antique pensée hindoue, refroidie en passant
>»
I
218
UART MODERNE
par son cerveau, — et voilà notre époque bloquée dans
la glace nour longtemps.
Les indmérents continuent à végéter sans se douter
du couranKjUi les entraîne ; les enthousiastes se jettent
dans la lutte pour tous, cette religion de l'humanité, et
elle les nourrit d'idéal à sa manière; les penseurs, les
artistes, les hommes d'action se résignent à douter, à
flotter dans ces horizons gris. De quoi vivent-ils? On
s'en aperçoit à ces ardentes et fiévreuses recherches du
vrai, du vrai quand même, qui s'enfoncent dans une
intensité noire, n'en pouvant trouver de lumineuse.
Et dans l'air de notre siècle si remuant, flotte un léger
parfum de choses empaillées que de trop rares flammes
fumigatrices ne parviennent pas à dissiper.
Quelque chose dans notre timide conscience bour-
geoise proteste cependant contre l'affirmation absolue
que la vie est une souflrance, un mal. Mais nous n'osons
pas nous lever dans notre orgueil humain et crier : « Je
sens le contraire! le démenti est en moi, dans ma
nature, dans ma santé et ma gaieté, et si je peux ren-
verser en moi votre théorie, c'est qu'elle doit avoir poui\
tous un revers positif ".
Voilà l'attitude d'Emerson.
Il combat le scepticisme, le pessimisme, soit qu'il les
rencontre dans les interprétations de la science ou dans
les dogmes absolus des anciennes croyances, parce qu'il
les trouve choses malsaines, négatives, débilitantes pour
l'humanité qui, selon lui, a besoin d'être « fortifiée par
d'incessantes affirmations ".
« L'homme n'ose pas dire : je pense, je suis; il cite
quelque saint ou sage ", dit-il dans son magnifique cha-
pitre de la « confiance en soi ».
« Si nous considérons le présent aspect de ce qu'on
appelle par distinction, la société, nous reconnaîtrons la
nécessité de cette morale. Nous manquons de nerf et de
cœur ; nous sommes devenus des pleurnicheurs crain-
tifs et découragés; 4ious avons peur de la vérité, peur
du destin, peur de la mort et peur les uns des autres.
La plupart des natures sont insolvables, ne peuvent pas
satisfaire leurs propres besoins, ont une ambition hors
de proportion avec leur force pratique, s'appuient et
mendient jour et nuit.
« Notre ménage trahit cette mendicité; nous n'avons
pas choisi nos arts, nos occupations, nos mariages, nos
religions. La société les a choisis pour nous. Nous
sommes des soldats de salon. Nous nous détournons de
la rude bataille du sort, où germe la force
« Qu'un stoique ouvre les ressources des hommes et
leur dise qu'ils ne sont pas des saules pleureurs inclinés
les uns sur les autres, mais qu'ils peuvent et doivent se
détacher ; qu'avec l'exercice de la confiance en soi
apparaîtront de nouveaux pouvoirs; qu'un homme est
le monde fait chair, né pour apporter un remède aux
nations; qu'il devrait être honteux de notre compassion;
et que du moment où il agit par lui-même et jette par
la fenêtre les vieilles lois, les livres, les idolâtries et les
coutumes, nous ne le plaignons plus, mais nous le
remercions et le révérons; et ce maître rendra à la
vie de l'homme sa splendeur, et son nom sera cher à
l'histoire ".
Notre vieille Europe manquerait-elle de force ? Nous
le disons sans le croire. Mais nous devons reconnaître
dans cette jeune Amérique, qui a encore tant à appren-
dre de nous, Une plus grande vigueur d'action et de
réaction.
Emerson est la condensation consciente et philoso-
phique de cette vie intense, positive, à la fois confiante
et circonspecte, audacieuse et croyante, du nouveau
continent.
Si vous cherchez des traductions françaises de ce
philosophe, vous n'en trouverez pas.- On en a fait quel-
ques-unes pourtant, mais elles sont ou épuisées, ou si
mauvaises qu'on ne peut pas reconnaître Emerson sous
ces travestissements. Il est connu dans le monde de la
pensée, on en cite parfois des fragments ; mais les grands
frères de la famille humaine, entachés, il faut bien le
dire, d*un peu de paresse européenne, ont gardé pour
eux la découverte de cet esprit et n'en ont guère parlé à
leurs cadets qu'il eût tant aidés.
Quelques écrivains l'ont timidement analysé, il y a
longtemi)s, alors qu'ils étaient peut-être trop près de
lui pour bien le juger. Il me souvient même que l'un
d'eux trouvait qu'Emerson était surtout un poète plutôt
qu'autre chose. \ >.
Erreur. Emerson est, dans la plus large acception du
mot, un penseur. De plus, il est ce que les philosophes
ont rarement le pouvoir d'être, un Apôtre.
Cette mission qu'il a sentie en lui, fait à la fois le fond
de son être et la base de son génie. C'est elle qui l'a
porté à creuser toujours plus profondément en lui,
jusqu'à ce qu'il trouve au fond de sa propre person-
nalité, ce qu'il y a là d'universel, cei:}u'il pouvait par
conséquent expliquer à tous et non pas seulement à une
élite d'auditeurs.
Ses livres ne traduisent passa pensée; ils le tradui-
sent, lui, à tel point que lorsque Marguerite Fuller se
plaint de ne pas le connaître assez, il lui répond qu'il ne
peut pas se faire connaître mieux que par ses livres, où
il s'est mis tout entier. Il le fait parce qu'il a la convic-
tion, la perception intime que « c'est à travers la lentille
d'une personnalité que nous lisons notre propre pen-
sée ». Et son œuvre qui n'est qu'une amplification de
son journal quotidien, est telle pour être plus sûrement
un long appel à notre volonté, à notre énergie.
■^ N'est-ce pas il'un apôtre, ce cri qui lui échappe dans
un de ses plus beaux chapitres (lois morales, ou lois de
LART MODERNE
219
l'esprit) et qui sort du ton habituel de ses Essais : « 0
mes frètes. Dieu existe; il y a au centre du inonde une
âme qui domine toute volonté humaine et l'empêche de
faire tort à l'univers ".
Emerson est-il spiritualiste, matérialiste, panthéiste,
déiste, athée? Questions vaines et presque frivoles devant
un esprit de cette élévation. « Les matérialistes et les
spiritualistes , dit-il, sont comme deux moitiés d'un ,
ensemble, qui, au lieu de se réunir, s'obstinent à se
tourner le dos et à s'injurier ".
Emerson est surtout, avant tout, un esprit original,
un homme de génie. Son érudition peut être prise en
défaut; sa philosophie peut être discutée, mais il serait
un fidèle Mahométan au lieu d'être un Américain du
XIX'' siècle, que ses œuvres n'en seraient pas moins
le reflet d'un grand cœur et d'un esprit transcendant.
En le lisant bien, on découvre qu'il n'y a que deux
choses dans cet homme, et peut-être même ces deux
pensées ne viennent-elles que d'une seule impulsion. C'est
d'abord la conviction de l'unité universelle, du fait un,
divin, principe et source de tout être, — puis cette autre
conviction qui, chez lui, dérive directement de la premiè-
re, que l'instinct personnel est notre plus grande force.
'• Le magnétisme qu'exerce toute action originale
s'explique quand nous recherchons la raison de cette
confiance en soi qui la produit. A qui s'est-on fié?
<|uel est ce « moi « intime et « primitif » sur lequel on
a basé une confiance universelle ? Quelle est la nature et
le pouvoir de cette lumière qui défie la science, de cet
astre sans parallaxe, sans élément calculable qui darde
un rayon de beauté jusque sur des actions triviales et
impures, si elles renferment la moindre trace d'indé-
pendance ? — Cette recherche nous conduit à une source
qui est à la fois l'essence du génie, de la vertu et de la
vie, et que nous appelons Spontanéité ou Instinct.
« Ce que l'instinct nous révèle nous l'appelons intui-
tion. Les gens superficiels contredisent aussi bien nos
instincts que nos opinions parce qu'ils ne distinguent
pas une perception d'une notion. Ils croient que je choi-
sis de voir ceci ou cela Mais la perception n'est pas une
fantaisie, elle est fatale. Nous reposons dans le sein
d'une vaste intelligence qui nous fait receveurs de sa
vérité et organes de son activité. Quand nous discer-
nons le vrai, le juste, nous ne le faisons pas de nous-
même, nous laissons passer la lumière de cette intel-
ligence. Si nous cherchons d'où vient cette lumière et
essayons de l'analyser, toutes les philosophies sont im-
puissantes. "
Je me le demande avec impatience, quand secouerons-
nous cette européenne et pédagogique manie, de laisser
passer devant nous des hommes de génie en nous con-
tentant de les étiqueter, quelquefois de travers, sans
essayer seulement d'entrer dans leur pensée et de nous
en pénétrer.
Qu'Émerson ait été le prince des transceudantalistes,
que sa foi soit panthéiste, ce n'est pas là ce qui surtout
le distingue des hommes de talent et de zèle ardent
(comme Parker, Alcott, Ripley, etc.) qui se sont, pour
la plupart, inspirés de lui.
Emerson n'est pas dévoré de ce zèle de conversions
immédiates et de démonstrations vulgarisatrices. Il est
apùtrè, mais il ne s'adresse pas spécialement aux
hommes de son temps. Ce qui, chez lui, remplace le
zèle de plusieurs de ses contemporains et amis, c'est
une sereine confiance qui luj laisse une grande liberté
de pensée.
Tout son apostolat consiste dans l'effort qu'il fait
pour traduire dans ses œuvres une forte personnalité; -
il est penseur, il est poète, enthousiaste, ironique,
rempli de dédalii pour les [mesquineries des choses et
des gens, et il se donne tel qu'il est, avec cette convic-
tion qui fait son génie, que ce n'est pas une opinion,
une théorie, un système qui rendent service à l'huma-
nité, mais bien un homme, une force vivante, remuant
" les vieux blocs de bois des coutumes, des croyances
routinières " et affirmant par une protestation intime,
l'insuffisance des vieilles institutions, la nécessité d'une
nouvelle conception de la vie.
On ne peut pas le lire sans sentir en soi grandir cet
orgueil si nécessaire à la vie, à la santé, à la force, et
contre lequel tant de religions successives ont vacciné
nos générations.
Cet individualisme, qui pourrait effrayer quelques
tinîides, est contrebalancé chez Emers(m par sa con-
ception de l'amour de l'humanité, pour lequel, selon
lui, tous les autres amours, dans l'histoire de l'homme
comme dans sa vie individuelle, ne sont que des initia-
tions. « Ainsi tous ces amours font en nous l'éducation
d'un amour qui ne connaît ni sexes ni partialités, mais
qui cherche partout la vertu et la sagesse, dans le but
de les multiplier •».
Je n'ai pas compétence, moi femme, pour parler d'un
tel homme comme il faudrait le faire. J'ai voulu seule-
ment dire, je voudrais le crier si je pouvais, le bien qu'il
m'a fait, le bien qu'il peut rendre û d'autres petits
comme moi.
^ PRENEZ VOS CONCLUSIONS
Il est arrivé à M"*' Marguerilo Vandc Wielo, noire 1res sympa-
thique nouvelliste, une petite aventure qui, nous ne pouvons le
lui dissimuler, nous paraît méritée.
Son âme impressionnable d'artiste, frappée des aspects si diffé-
rents que présente la misère, selon le caractère et le dejçré de
résistance de ceux i|ui la supportent, lui a inspiré une série de
petits tableaux où, guidée par un sens liiléraire très juste, elle a
laissé l'émoiion se dégager du fond même du sujet.
r/csl très bien cela ! Mais ne voilîi-t-il pas qu'elle s'est avisée
de soumettre son oeuvre à l'Académie !
/'
f
Il csl vrai ([ue l'Académie lui avait fait dos agaceries. Le
4. '> février 1887, M.Je sccrt'taire perpétuel lui ccriva-il : « Le jury
pour les. Prix Ue Kkyn, à décerner cette année, m'a signalé voire,
ouvrage qui pourrait prendre part au concours, si vous lui en
soumettiez un exemplaire ».
Seulement, il y avait erreur. Quatre jours aprùs, le manuscrit
revenait avec une lettre disant : « Le concours pour les prix De
Keyn, h décerner cette année, ayant pour objet l'enseignement
primaire, }e voua restitue Votre travail intitulé : les Misères, qui,
par sa nature, rentre (hns l'enseignement moyen! Le jury espère.
Mademoiselle, voir figurer votre (ouvre dans son prochain con-
cours, dont la période expire IcHI décembre de l'année actuelle ».
On le voit, la piMile agacerie CTicourageaote continuait, et
M"" Vande Wiele ne sut pas y résister mieux que la première
t'ois. Elle envoya de nouveau son caliier qui, cette t'ois, lit partie
(lu concours.
Mallieureusenieni, les disposiiions avaient changé. Le jury ({ui,
apparemment, d'après le titre, avait pensé qu'il s'agissait d'une
œuvre jo\'iale et tout à fait récréative, s'avisa que c'était, au con-
traire, chose triste et, par conséquent, malsaine, et il l'écaria, en
lieux lignes d'un rapport rédigé par Dieu sait quel bélilre. On sait
qu'il n'en manque gtièros dans ces solennelles institutions :
« On retrouve les qualités d'écrivain de M"" Vande Wiele dans
quinze historicités désespérées et décourageantes, peu faites pour
la jeunesse ».-
Et le manuscrit fut retourné définitivement.
Mais il ne revenait pas dans sa nudité première; malgré « les
qualités d'écrivxiin » signalées dans le rapport comme une fleur
consolatrice jetée sur un catafalque, un quidam 1res soigneux
l'avait orné de corrections, oh! de délicates et vraiment minus-
cules pelites corrections, mais combien précieuses pour avertir le
goût égaré et le ramener dans la bonne voie : des virgules habi-
lement semées; des point-et-virgulc remplaçant des c/ réellement
trop nombreux, de l'avis du mystérieux et pédantesqùe person-
nage ; des l'on pour des on, qui sont vocables rocailleux, ne se
pouvant tolérer dans le beau style; des signes algébriques
comme ceci : nia thariié incommensurable (l^T)», et des
points d'interrogation ! et dos points d'exclamation ! se dressant
comme une barrière autour des expressions assez audacieuses
pour faire image et s'écarter de leur sens propre. Exemples :
« Son avenir muré (?). »
<c Lui se montrait doux, serviable et fidèle, mais très
« loque » (!!). »
« On no remplace pas de l'argent sonnant et trébuchant par
des noyaux de pêche (!!!). » 0 combien sémitiques ces trois
points hérissés contre cette image peu respectueuse du pecnniitm!!!!
Mais ce qui avait surtout offusqué l'étrange et puérile anno-
tateur, c'est que l'écrivain, presque jamais, n'avait conclu. Où
irait la litiéValure, bon Dieu! si maintenant les auteurs se met-
taient à ne pas expliquer leurs conceptions et ne prenaient pas
le soin de dégager eux-mêmes la. moralité qui doit y être incluse.
Jugez plutôt :
Un vagabond, d'un caractère faible et lâche (la loque de
tantôt), fatigué de chercher inutilement fortune par le monde, se
réfugie chez des parents aisés qui le reçoivent en rechignant.
Peu à peu, il se rend utile, se charge de toutes les rudes beso-
gnes, fait prospérer le commerce, devient indispensable, sans
cesser d'être IraUé comme un parent nécessiteux que l'on héberge
par charité. « 11 resta, se faisant do plus en plus pelil, de plus en
plus infime, pesant ses actions, ses mots, ses gestes; toujours
anxieux de deviner s'il devait se taire ou parler, se lever ou
s'psseoir. Il en arriva à se dissimuler dans les coins", comme un
pauvre chien batlu et toléré, iqui craint de déplaire à ses m;iîtres
et qui n'ignore pas que sa place csl à la niche. »
L'n point. C'est tout. Pas tle conclusion, dil l'homme, et,
en elf'et, il faut bien convenir qu'il n'y a pas de conclusion. Il n'y
avait pas eu d'exorde non plus. Le vagabond était tombé chez ses
parents un beau soir, en haillons, -manquant de tout. D'où
venait-il? on ne le voit qu'après et encore cela est à peine
indiqué; pour ce qu'il deviendra ensuite et ce que deviendront
ces parents qui l'cxploilcnt si indignement, on ne le saura jamais.
Voilà ce qui arrive quand il n'y a pas de conclusion.
Autre exemple : un gueux, poussé par le désir de manger \x sa
faim ne fût-ce qu'un seul jour en sa vie, va pour voler chez une
vieille femme qu'il croit absente. Il la trouve chez elle, et, ainsi
' pris b l'improvisle, l'élrangie ; mais il cherche en vain de l'argent
et, pour ne' pas sortir les mains vides il emporte un serin dans sa
cage. « Le calme est revenu au misérable; il sourit, et il court,
dans le vent, ayant froid, ayant faim, crotté et hirsute, cette
cage serrée contre lui. L'oiseau, comme une fleur d'or bousculée
par la tempête, saute et tourne dans sa prison, éperdùmeni,
tandis que les graines de sa mangeoire s'éparpillent au long des
rues ».
Ici, du moins, il y a une conclusion : les graines de la man-
geoire qui tombent dans la rue. L'homme académique le confesse,
mais cela ne le satisfait pas et il écrit d'un crayon indigné : Quelle
conclusion! C'est affaire de sentiment que nous ne voulons pas
discuter. Il est certain que quelques grains de millet comme con-
clusion du meurtre d'une vieille femme, peuvent sembler insuHi-
sanls.
Mais où l'académicien nous paraît sévère, -véritablement et
cruellemenl sévère, c'est lorsque, à la suite d'un conte de M"* Van'
de Wiele, non content d'exprimer qu'il n'y a pas Irouvé de con-
clusion, il indique encore qu'à son avis, il ne peut pas y en avoir,
par cette interrogation désolante : Qu'est-ce que cela prouve ?
Lorsqu'une question se pose avec celle autorité, on ne peut
recourir à trop de lumières pour la résoudre. Nous voulons la
soumettre à nos- lecteurs et nous accueillerons avec une vive
reconnaissance les éclaircissements qu'ils voudront bien nous
procurer. Voici l'énigme. C'est intitulé : Les Funérailles de
Plévoot.
I
« Il avait été toute sa vie un pauvre hère, un de ces humbles
sans ambition et sans exigence, qu'on appellerait martyrs si la
Destinée prévoyante ne leur avait adjugé la philosophie sereine
des inconscients. Lorsqu'il mourut, ses enfants qui, depuis qu'ils
avaient âge d'hommes et de femmes s'en préoccupaient fort peu,
lui firent un splendide enielrement.
Tous avaient prospéré, étaient parvenus à ce que la petite
bourgeoisie considère comme de « bonnes positions» : l'un des
fils était agent-voyer, en province; le second tripotait, je ne sais
quoi, dans les entreprises de démolition; l'aînée des filles était
gouvernante d'une princesse, à l'étranger; l'autre, qui était jolie,
avait fait un brillant mari^jge.
Allez, après cela, avouer que vous avez un père, vivant en
gueux dans une bicoque de Saint-Gilles, avec quatre-vingts francs
par mois, de rentes, qu'on li^servait en se cotisant ; un incorri-
gible bohème qui avait été maître de danse en son temps, et qui
r
le disait; qui, los jours où on l'invilail à dîner, et y cCil-il
cinquante convives à lablc, ne craignait pas, pourvu qu'il eût un
doigt de vin dans la tête, de chanter, en flamand des Marollcs, sa'
romance du Sckeer-slijp qu'il scandait d'un accompagnement
canaille, en faisant sonner la lame de son couteau sur le bord de
son verre!
Depuis des années on ne le voyait plus, on l'évitait; et il était
mort là, tout seul, dans son coin.
Celte catastrophe arriva inopinément : le bonhomme s'ét:iii
éteint un beau soir, étiolé et las, sans souffrance. Quand les voi-
sins, étonnés de ne l'avoir pas aperçu durant vingt-quatre heures,
forcèrent sa porte et entrèrent chez lui, Gobe Plevoot avait déjà
la rigidité des cadavres; oh le trouva en son lit, très maigre cl
très pâle, les yeux fixes, la bouche crispée. Il n'y avait pas nu
centime dans son secrétaire, mais le nom de ses enfants, comme
une vanité suprême ou une vengeance macabre, attirait le regard
à chaque pas; en marge sur ^on calendrier, au fusain sur les
murailles blijnches de sa cuisine, tracées au crayon malhabilemenl
sur une ancienne bande de journal, qu'une épingle retenait aux
rideaux de son alcôve, apparaissaient les adresses de Plevool,
agenl-voyer ; de Plevool, etitrepreneur; de Snykers-Pleiioot,
banquier, consul honoraire.
On courut les avertir. Ils manifestèrent une violente surprise.
L'entrepreneur, qui était en affaire, eut un mot naïf qui résomail
la situation.
— Ah! diable,, s'écria ce bon fils, fallait-il qu'il mourût,
celui-là !
II —
Renier Plevoot vivant, c'était simple : on n^n parlait pas, on
lâchait de le faire oublier aux autres comme on l'oubliait soi-
même. Mort, il devenait gênant.
On n'enterre pas une créature humaine sans remuer quelque
curiosité, sans que l'entourage observe et commente : les lorts de
Cobc Plevoot s'aggravaient.
Fallail-il, devant le décès, reconnaître l'infortuné si bien
enseveli déjà depuis un quart de siècle..., etqui sortait de la vie,
tout au rebours des autres, pour attirer l'attention sur lui?
Hélas! sa modestc*existence était si méthodiquement arrangée:
on lui faisait tenir sa pension chaque trimestre et il dépensait ses
revenus à sa guise; son fils aîné, qui avait même taille et même
corpulence, lui abandonnait sa garde- robe aux fins de saisons. On
lui achetait des douceurs : un pain d'épiccs et des oranges pour
son anniversaire ; du labac à priser, aux jours de grandes fêtes.
Enfin, à la nouvelle année, exactement, on lui envoyait par son
unique petitc-fillo, vingt francs d'éircnnes, en deux pièces d'oi-
pliées dans un papier de soie. ^-
*I1 avait vraiment bien besoin de mourir, de venir bouleverse'r
les gens, de mettre la déroute en un étal de choses aussi sage-
ment réglées, de tomber là, avec ses guenilles et le ridibule de
son passé impossible, sans égard pour le décorum que sa progé-
niture gardait!
Cependant,. ne fallail-il point qu'il finît par trépasser, ce lamen-
table sire?
Hélas! il approchait des quatre-vingts ans, c'était à croire que
l'ironique 3lort eût négligé de le prendre. On s'habituait à' cotte
idée que s'il eût dû quitter ce monde, il l'aurait fait dofiuis long-
temps. Cela était fou; mais il semblait ([ue, puisqu'il avait son
pain assuré, plus rien ne dût changer en lui, qu'il était caché
pour jamais, bien caché, cl qu'on ne le retrouverait pas.
A l'annonce de la perle (ju'ellc venait de faire, la famille fut
. très embarrassée. Les fils et le gondiic se consultaient, répétant,
toute leur plate bêlise saisissabic dans l'accent particulier
de leurs voix, dans l'expression* stupéfaite de leurs physio-
nomies :
— C'est drôle qu'il soU parti si subitement..., un vieillard de
cet âge !
Ils no pouvaient s'en remettre.
Cobe Plevoot étant mort, il fallait l'inhumer... Commeiil
ferait-on?
Ici, les difficultés surgirent. On balança entre diverses alterna-
tives : donner à ce pauvre une fin de pauvre, le mener à la terre
au jKîtit jour, sans tapage, discrètement..., ou bien, lui accorder
une cérémonie funèbre en rapport avec les po.'^ilions sociales si
bien établies de sa parenté.
L'enfouissement mystérieux offrait des avantages. On s'y arrê-
tait, cpiand la fille cadette, celle qui s'était si bien mariée, risqua,
d'un air d'inquiétude, cette exclamation :
— Si on allait apprendre!
En effet, cela ferait scandale.
La famille tomba dans rexirême en décidant d'accorder à Ple-
vool des funérailles superbes.
On commanda, à l'église, un service de première classe, avec
volées de cloches sanglotantes, messe en musique, corbillard orné
de panaches; les voilures auraient leurs lanternes allumées recou-
vertes de crêpe et des chevaux en caparaçons. Les frais furent
considérables, mais on avait réfléchi que c'était remplir un devoir
et, qu'après cela, on en aurait fini pour jamais de ces piteux
restes qu'on n'avait su comment traiter d'abord.
On lança des lettres de faire-part, mirades de lithographie, où
le défunt — qui avait élé pendant une dizaine d'années direcleu'-
de bals publics et qui, jadis, avait obtenu une médaille de sauve-
tage pour un bambin retiré à*lemps d'un ruisseau gelé — se révé-
lait sous le double qualificatif de fonctionnaire et de décore. Au
surplus, les invités furent avertis de ce que, dans l'intimité, feu
Cobe Plevoot avait toujours été un original de la plus extrava-
gante espèce, vivant en grigou, dans une masure, pour mieux.se
singulariser et il s'en fallut de bien peu que les siens ne décla-
rassent qu'ils en héritaient.
On s'habilla de noir des pieds, à la tête. On se munit de cou-
ronnes d'immortelles. On fut très digne.
111 1
Dans la maison du vieux, une chapelle ardente avait été dressée
tant bien que mal, d'innombrables cierges brûlaient. A côté du
cercueil, un bénitier et un goupillon; un riche crucifix sur le drap
mortuaire ; des tentures de mérinos roussfitre prodiguées au long
(T?s murailles, l'ne légère, délicate et suave fumée d'encens par-
tout.
C'était si réussi, si correct que lorsque les fil;j|^ pénétrèrent,
crêpe au chapeau, des gants de filoselle tout neufs aux doigts,
chacun tenant sa couronne, ris furent profondément impres-
sionnés, en même temps qu'ils éprouvaient une certaine satisfac-
tion de s'être résolus à une grosse dépense s.ins lésinerie. C'était
comme un étrange saisissement qui les prenait devant tant de
pompe déployée en un logis qu'ils n'avaient jamais connu que
misérable, un coup d'émotion quiics força de parler à voix basse
ei les rendil très graves, les yeux soudain obscurcis, la poitrine
gonflée d'une vague désespérance.
■ — C'csl toul k l'ail convenable, n'ost-cc pas? murmuraienl-ils,
on se serrant les mains.
Puis, brusquement, ils se laissèrent aller à leur sensibililé, une
sorte tic sensibilité fébrile, contagieuse. Un immense chagrin les
élreignail, lîi, devant ce ciitafalque somptueux où reposait une
dépouille si intime; le gliis qui gémissait au loin, la lumière
désolée des tlambeaux, tout ce deuil magnifique, qu'ils avaient
payé," produisit sur eux un grand effet. De leurs nerfs tendus,
l'émotion se communi<|ua irrésistiblement à leur cœur, ainsi que
par une secousse galvanique ; d'indécis souvenirs d'enfance leur
traversaient la mémoire; ils ne furent plus que des orphelins se
rapprochant les uns des autres, d'un mouvement instinctif, comme
pour refermer le cercle de la famille que la Mort venait de
rompre.
Ils pleurèrent le trépassé, sincèrement, du meilleur de leur
àme. Pendant une minute, Plevool fut regretté de ses enfants.
Il ne le sut point ; il ne sut pas davantage pour combien entrait,
dans ce phénomène, le génie décoratif des Pompes funèbres, le
caractère de lugubre solennité qu'avait, à celle minute, sa cliétive
demeure. »
C'est fini. El alors le bizarre acadénii(iuc rapporteur du jury,
é'cril :
Ou est-ce que cela prouve?
Mais, à noire sens, et sans préjudice des solutions ingénieuses
(|ui ne manqueront pas de nous parvenir, cela prouve simplement
que lorsqu'on a fait œuvre d'artiste, que, sans aucune préoc-
cupation utilitaire, on a essayé de donner une forme saisissante à
une faiblesse ou à une passion liumaine et qu'on y d, réussi, il ne
faut pas porter cela à TAcadén^e; ce n'esl pas ce qu'il lui faut.
L'œuvre littéraire qui a emporté ses suffrages est un livre de
M. le colonel Kraus intitulé : Echos militaires, souvenirs d'un
milicien. Nous devons reconnaître que nous ne connaissons pas
col ouvrage et nous ne pouvons l'apprécier que par le rapport
même du jury. .Nous y voyons qu'il s'agit de la mobilisation de
l'armée belge en 1870, pour proléger nos frontières : « Les pre-
miers chapitres nous racontent les préparatifs de la mobilisation,
avec force détails qui doivent faire la joie des soldais : équipe-
ment, départ pour la citadelle de Namur, défilé, exercices de tir,
manœuvres, inspections, remplissent une bonne centaine de
pages ■>■>.
« La compagnie dont le héros du roman fait partie, la S™» du
:)"'*, esl envoyée au delà de Bouillon »
« Il y a beaucoup d'optimisme dans ce volume. Peut-être un
peu trop. Malgré leur diversité, tous les personnages inspirent de
la sympathie. Mais de tels hommes nous reposent au moins des
bêles humaines : la littérature actuelle a si fort l'habitude de
« |»ousscr au noir », qu'il n'est ]!ias interdit, de temps en temps,
do pousser un peu au rose. Pourquoi d'ailleurs, comme l'a dit
un tlo nos spirituels confrères (!), pour qui la critique lilléraire n'a
pas de secrets, pourquoi cette « 3""" du 3"'* » n'aurait-ellç,'pas
été composée à souhait pour l'exemple bienfaisant des miliciens
à venir.
« Le style est clair et correct, et les quelques négligences
((u'on remarque c'a et là sont peut-être voulues, puisqu'elles don-
nent plus de couleur locale à celle autobiographie d'un soldat. »
A la bonne heure! Voilà qui est fait pour la jeunesse! El pour
les jurys!
« Sans doute les virtuoses de l'adverbe ne se déclareraient
point satisfaits : tous les mots sont à leur place. Nais le colonel
Kraus n'a pas recherché leur approbation. »
Et puis, il y a une conclusion : « L'auteur touche, sans y
appuyer, au problème militaire cl nous fait comprendre qu'on
ne charge personne de défendre la patrie à sa place ».
Etaliez donc! En avant pour le service personnel! Voilà qui
couronne dignement une œuvre vraiment lilléraire.
On voit que 0*^081 tout un programme et voilà M"* Vande Wiele
bien avertie. Qu'elle prenne un des grands desiderata de notre
droit public (c'est le fonds qui manque le moins); qu'elle tisse là
dessus un récit agréable et poussé au rose, sans trop de préoc-
cupation du style et sans concessions aux virtuoses de l'adverbe ;
qu'elle ait soin surtout de bien dégager la conclusion nationale
et patriotique, et, à son tour, elle pourra cueillir les palmes.
Et un bonhomme, chargé de faire rapport, lui dira des choses
niaises en témoignage de sa satisfaction d'imbécile.
foNCOUR^ DU Conservatoire
(i)
Chant monodique (hommes) : professeurs, MM. Cornélis et '
Waiingts. — 4"^ mention, MM. Verboomet Ccuppens; 2* men-
tion, M. Laulers.
Chant Ihàitral (jeunes filles) : professeurs, M'"« Lemmens-Sher-
RiNGTON et M. Warnots — !«'• prix (avec la plus grande distinc-
tion), M"" lioelants cl Cuvelier; i"'' prix (avec distinction),
M'»<= Langlois ; A" prix, M'i« Gorié; S*" prix (avec distinction),
M"*" Flament, Pafenlani, Olivier, Boauvais, F. Guilliaume;
2e prix, M"«* J. Guilleaume et Gaelz; rappel (avec distinction) du
2« prix, M'i" Vincent.
Duo (prix de la Reine) : M"""» Langlois cl Flament.
M"* Hasselmans, que nous avons citée, par erreur, parmi les
concurrentes ayant obtenu la seconde mention au concours de
chant monodique à huis clos, a obtenu la première mention. '
Une autre erreur s'est glissée dans le même numéro. Nous avons
nommé M. Bauwens au lieu de M. Warnols (hommes), parmi les
professeurs dont les élèves concouraient pour le chant Ihéâlral.
Chronique juoiciyviRE de? ^rt?
Librairie et Orthodoxie
La cour suprême d'Oltawa (Canada) vient de rendre un arrêt
intéressant. Il s'agissait d'une action intentée par M. Taché,
secrétaire particulier de M. Chapleau, secrétaire d'Etal, contre
MM. Cadieux et Derome, libraires à Montréal, pour refus par
ceux-ci d'exécuter un contrat par lequel ils s'étaient engagés à
importer une certaine édition des œuvres de Victor Hugo. Le
refas des défendeurs était basé sur la prétendue immoralité des
écrits de Victor Hugo, dont divers ouvrages, notamment Notre-
Dame de Paris et les Misérables, ^ont compris dans la liste des
livres condamnés par la Congrégation de l'Index. M.M. Cadieux et
Derome soutenaient que, se faisant une spécialité de vendre des
livres autorisés par l'Eglise, ils ne pouvaient pas être tenus de
livrer une édition conlenant des ouvrages spécialement désignés
dans la liste des livres prohir)és.
Le juge Davidson, de la cour suprême d'Ottawa, n'a pas admis
(1) Suite. Voir nos trois derniers numéros.
LART MODERNE
celle théorie, opposée à un engagement également contracté.
Etant donné, a-l-il dit dans ses considérants, que Notre-Dame de
Paris et les Misérables se trouvent dans VIndex des livres
prohibés, cela afleclc-l-il un contrat civil? Répondre affirmative-
ment serait établir le principe que la Congrégation de l'Index, ou
l'autorité ecclésiasiique d'une Eglise quelconque, aurait le
pouvoir d'interpréter, de confirmer, ou d'annuler des contrats.
pETITE CHROJ^IQUE
Quelques renseignements pour la prochaine campagne théâlrtile
de la Monnaie. Les rôles de Siegfried sont distribués, h part celui
de Brunnhilde qui n'a pas encore de titulaire. M. L^ifarge, le nou-
veau ténor, chantera Siegfried; le personnage de Wolan est
dévolu à M. Bouvet, qui se rtiontrc très enthousiaste de cotte
création.
Mime sera joué par un jeune comédien, engagé spécialement
et qui débutera par ce rôle dans le théâtre lyri(|ue. l>es répétitions
commenceront dès le début de la saison, cl l'on espère être prêt
pour la fin de novembre.
En attendant, on reprendra Snlammbû cl Esclar monde, et l'on
jouera Roméo et JiUictte pour les débuts de M"" Sybill Sanderson,
On reprendra, en outre, Obéron et la Flûte enchantée. Rien
n'est décidé encore au sujet de la Basoche.
Une exposition locale des arts, de l'enseignement, de l'horti-
culture et de l'industrie s'ouvrira au mois d'août prochain, à
Schaerbcek, dans les spacieux bâtiments de l'Ecole moyenne, rue
Royale-Saintc-Marie.
Le comité organisateur est placé sous la présidence de
M. Drand, échevin de l'instruction publique et dos beaux-arts.
Nous apprenons que le succès de l'Exposition rétrospective
organisée k l'occasion du S.-J* anniversaire de la création de l'Ecole
de dessin, de peinture, d'architeclure et de modelage de Molen-
bcek-Sainl-Jean est dès à présent assuré.
La plupart des élèves et anciens éjèvos de cette institution ont
voulu contribuer à sa réussite. Le nombre d'œuvres envoyées
jusqu'ici dépasse de beaucoup les espérances des organisateurs.
Nous insistons sui* le caractère inlérossaniet instructif de cette
exposition, dont les résultats permettront d'apprécier les services
rendus li l'art et à l'industrie par l'enseignement pratique donné
dans cette écolo, située rue Mommacrts.
Le public sera admis à la visiter gratuitement le dimanche
13 juillet 1890, à partir de 3 heures, et du lundi 11 au dimanche
20 juillet inclus, de 1 à o heures de relevée.
M. Verdhurt ouvrira l'Edon-Tliéâtre le l" octobre avec XflJH.vo»
et Dalila de Camille Saint-Saëns ; le lendemain il jouera la
Coupe et les lèvres.
Parmi les ouvrages nouveaux que doit monter le directeur du
Théâtre-Lyrique, il faut citer Lenick, drame lyri(pu> de M. Raoul
Pugno.
En cinq semaines, jour pour jour, du .'i mai au l'i juin, les
ventes Seillière, Piot, May, Roilian, d'Armaillé et C.rabbc ont
versé leurs trésors sur le marché de Paris. Et ces cinq semaines
auront eu le rare privilège de voir défiler sous le marteau du
commissaire-priscur toutes les variétés chères aux amateurs,
représentées par les spécimens les plus accomplis : avec Seillière,
les émaux limousins, les faïences de Palissy et les plus beaux
meubles de la Renaissance; avec Eugène Piot, les plus braiix
exemplaires du mobilier dos doux derniers siècles; enfin, les
ventes Rolhan, May et Crabbc ont jelé en pâture aux raffinés un
choix de peintures, depuis le xvi" siècle jusqu'à nos jours.
Voulez-vous connaître les vain(iucurs de la saison? Los voici
dans l'ordre des prix obtenus par chacun. La macédoine est
curieuse à |)Ius d'un litre et pleine de rapprochements imprévus:
Meissonier, le Guide, 177,000 francs. — Rubens, Sainte
Famille, 112,000 francs. — Rembrandt, Portrait d'amiral,
106,300 francs. — Léonard Limosin, Portrait sur émail,
07,000 francs. — Troyon, Vache blanche, 8."),000 francs. — Eug.
Delacroix, Chasse an tigre, 76,000 francs. — Natlicr, Madame
de Flessell(s, 75,000 francs. — Adr. Vricso, Groupe en bronze,
66,f)00 francs. — Corot, le Matin, 63,000 francs'; le Soir,
60,000 francs. — Jordaens, Portrait d'un syndic, ")8,000 francs.
— Donalello, Enfants de bronze, oO,000 francs. — Fr. Iliils,
Joueur de violon, 46,.-)00 francs. — Fromentin, lîalte de cava-
liers, -i2,d00 francs. — Inconnu, Meuble du XVP siccle,
•40,000 francs. — Crcsscnt, Régulateur, 36,000 francs. — Rous-
seau, les Chênes, 3i,000 francs, — Ponicaud, Plaque d'émail,
33,000 francs. — Paul Polter, les Pourceaux, ■Ai,{^Qi) francs.
A la suite viennent : P. Raymond, Millet, Boucher, Jean Cour-
tois, Pater, Ruysdael, etc., etc.
Ces ventes ont produit 5,837,000 francs, près de 6 millions,
soit 1,200,000 francs par semaine versés dans la circulation
parisienne. • -
Le Dictionnaire international des Ecrivains du jour que publie
l'éditeur NiCcolai, de Florence, se composera de dix-huit livrai-
sons, dont la dernière formera un supplémerit contenant les
modifications et les corrections remises par les personnes qu'inté-
ressent les notices publiées, ainsi que les notices originales
venues en retard.
Le prix d'abonnement pour les dix-huit livraisons -est de
30 francs.
Le Dictionnaire arrivé au terme de sa "publication (ociobro
1890), sera mis en vente aii prix de 36 francs broché, et de
iO francs relié en trois volumes.
La fonte du monument d'Eugène Delacroix est terminée. Le
Comité a visité samedi, chez Bingon, les dernières figures^orties
du moule. L'opération a parfaitomeni réussi, et on espère
pouvoir fixer au mois de septembre prochain l'inauguration du
monument ï\u jardin du Luxembourg.
■^ Le dernier numéro des Hommes du jour, du libraire Vanier.
est consacré à Jean .\jalbcrt, auteur d'En amour, le P'tit, Sur
les talià. Paysages de femmes, etc. Dessins de J.-F. Rattaelli:
texte par C.ustave Gofîroy.
On annonce l'entrée au Luxembourg d'un tableau de F. Bons in :
VAve Maria, légué par M. Vinco. Ce tableau, qui représonto une
cour du couvent d'Aramont à l'heure où l'Angolus réunit un cer-
tain nombre de sœurs grises, mesure I mètre de hauteur sur
83 centimètres do largeur; il a figuré au Salon de 1870 et à
l'Exposition des œuvres de Ronvin en mai 1886.
Le musée du Luxembourg a re(;u en don de M""' veuve Otto
von Thoren et de son fils Maurice un tableau : Intérieur d'étable
de feu Otto von Thoren, peintre animalier.
PAQUEBOTS-POSTE DE L'ETAT-BELGE
LIGNE D'OSTENDE-DOUVRES
La plus courte et la moi7i.<i coûteuse des voies extra-rapides entre le Continent et /'Angleterre
Bruxelles n X^ondres en .
Cologne à Londres en .
Berlin à Londres on .
8
13
24
lienres.
Vienne à Londres on;
Bâle à Londres en.
Milan à Londres en
3G lioures.
24 "
3:3 "
XROIIS ^KIl^^K
Ï*AR ,f OUR
D'Ostende àr)li. 20matin, 11 h. 10 matin et 8 h. 31 soir. — De Douvres à midi 15, 3 h. soir et 10 h. 15 soir.
PAR LES NOUVEAUX ET SPLENDIDES PAQUEBOTS •
Princesse Joséphine, Princesse Henriette, Prince Albert, La Flandre et Ville de Douvres
partant jouruellemeiit d'OSTKNDE à 5 h. 29 matin et 11 h. 10 matin: de DOUVRES à raidi 15 ei 10 h. 15 w>iiv —
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AVIS. — Buffet restaurant à bord. — Soins aux dames ))ar un personnel féminin. — Accostage à quai vis-à vis des stations de chemin de
for. — Correspondance directe avec les grands express internationaux (voitures directes et wagons-lits). — Voyages à ju-ix léduits de Sociétés.
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Pour tous renseignements s'adresser à la Direction tfe V Ecrploitation des Chemins de fer de l'État, à Bruxelles, à Y Agence* générale des
Malles-Poste de V Etat-Belge, Montagne de la Cour, 90*, à Bruxelles ou Gracechurch-Street, n» 53, à Londres, à Y Agence de Chemins de fer
de VÊtat, à Douvres (voir plus haut), et à M. Arthur Vrancken, Domkloster, u° 1, à Cologne.
<-liez- WM. SCHOTT frères, 82, Montagne de la Cour, Bruxelles,
L'OR DU RHIN
DE
RICHARD WAGNER "
Version firançaise de Victor "W^ILDER
Partition jiour chant et piano, réduite jiar R. Kleinmichkl
PRIX NET : 20 Francs
JOURNAL DES TRIBUNAUX
paraissant te jeudi et le dimanche.
Faits et débats judiciaires. — Jurisp
— Bibliographie. — Législation. — No
HUTIKMF ANNÉE. V
ABONNEMENTS \ ^^-Igique, 18 Irancs par an.
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Administration et rédaction : Rue des Minimes, l(\B^^ellet
Revue /naisuelle de littérature et d'art
6" Année
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Paris 1867^^ 4878, 1" prix. — Sidney, seuls 1" et 2« prix
EIPOSITIOIS AISTEHDAI 1883, ANTERS 1885 DIPLOME D'HOIIEDR.
Breitkopf et Hàrtel, éditeurs, Leipzig-Bruxelles
TRAITÉ PRATIQUE DE
COMPOSITION MUSICALE
depuis les premiers éléments de riiai^monie jusqu'à
la composition raisonnée du quatuor et des principales
formes de la musique pour piano ])ar J.-C. Lobe.
Traduit de l'allemand (d'après la 5" édition) par
Gustave Sandre.
VIII et 379 p. gr. in-8". Prix : broché, 10 fr.; relié, 12 fr.
Ce livre, dans lequel l'auteur a cherché à remplacer l'étude pure-
"hient théorique et abstraite de l'harmonie par des exercices pratiques
de composition libre, fut accueilli, dès .son ajiparilion, par une
faveur marquée. La présente traduction mettra le |)ublic français a
même d'apprécier un des ouvrages d'enseignement mu.sical les plu.s
estimés en Allemagne.
liruxelles. — Imp. V« Mo.nnom, ^j, rue de l'Industrie.
Dixième année. — N<* 29.
Le numéro : 85 centimes.
Dimanche 20 Juillet 1890.
L'ART MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Comité de rédaction i Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
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Adresser toutes les communications à
l'administration générale de TArt Moderne, rue de Tlndustrie, 26, Bruxelles.
^OMMAIRE
Les acquisitions ukcentes du Mlske. — Théâtre faE Pisemsky.
— Le Salon Libre. — Bibliographie. — Le Muske des Beaux-
Arts A A.NTERs. — Une lettre de Thijophile Gauthier. — Chro-
nique uudiciaire DES Arts. — Mémento des /^x^o^ITIONS. — Petite
CHRONIQUE.
Les acquisitions récentes du Musée. -
^ -
Les occasions d'approuver les Messieurs des bureaux
et des sections des Beaux'Arts, sont trop rares pour que
nous ne mettions pas immédiatement toute notre bonne
volonté à saisir la moindre d'elles. On vient d'acquérir
au nom de l'État, à la vente Crabbe, deux tableaux, l'un
ancien, l'autre moderne, d'une nette et claire valeur
artistique. Et plus encore le Chien au Miroir de
M. Joseph Stevens, que les Porcs de Paul Potter nous
induit en félicitations. Main heureuse et choix excel-
lent.
Il convient, nous semble-t-il, de dresser en lumière et
en justice, ce nom de Joseph Stevens, trop demeuré
dans la demi-teinte de peintre simplement bien. On
croit avoir tout dit quand on s'est acquitté vis-à^vis de
lui par les presque banalités de « coloriste puissant et
d'animalier robuste j^ Je l'entendais nommer l'autre
jour « le Vollon belge ».
Est-ce agaçant, ces toujours mises en parallèle de
peintres nationaux avec des peintres étrangers et même
humiliant ! Qu'on dise en France en désignant Vollon
que c'est le Stevens français, les protestations pleu-
vront. . ^
M. Joseph Stevens est d'une puissance de nature telle
qu'il existe de par lui seul, et que, pour le placer au
bon rang, on ne le doit ranger sous aucun maître. C'est
lui : le maître.
Il est dans la tradition, certes, des grands animaliers,
mais ce qui le sépare d'eux et l'élève, c'est la psycho-
logie plus profonde qu'il a mise à caractériser ses bêtes
Il a fait de son art plus qu'une question de métier de
brosse et de palette. On ne le considère d'ordinaire que
sous ce secondaire rapport. Et l'on croit s'être acquitté
en le proclamant «^ un beau peintre ".
Pour nous — même avant de connaître les toiles
capitales de Joseph Stevens — il nous avait plus qu'in-
téressé, puisque, par une dédicace de poème en prose.
Charles Baudelaire l'avait montré et expliqué : poète.
On sait cette si tristement tendre histoire des Bons
chiens, où tant de compassion est versée avec l'encre
noire mélancolique, et que l'écrivain, qui fît les Petites
vieilles, voulut adresser à quelque chose de plus lamen-
table et dl^ plus bohème encore que les pauvres
à'
« vestales énamourées de Frascati '». Ce poème, dont les
Bons chiens sont la gloire et l'orgueil, il l'écrivit —
avec le nom de Joseph Stevens en haut et le sien en bas.
Plus tard, Léon Cladel consacra au Marché aux
chieyis du Musée moderne, une superbe page de sa
Kyrielle. ■
Les deux écrivains saisirent donc immédiatement tout
ce qui va, dans l'art de Stevens, au delà de la technique
même de la peinture. Ils en comprirent l'observa-
tion, non seulement des yeux, mais de l'esprit; ils
durent penser à quelque Esope très au courant des
mœurs canines, mais plus compassionneux et plus vrai.
Joseph Stevens fait du chien un personnage. Ce qu'il
exprime le mieux c'est sa vivacité, sa malice, son intelli-
gence. Il lui donne l'intensité de la vie intérieure ; il la
détaille en ses attitudes, en sa nervosité et en ses yeux.
Tels chiens apparaissent vifs comme des gamins, curieux
comme des tpuchè-à-tout et fiers comme des maîtres.
Le peintre divise son monde en oppresseurs et en parias,
en grand? seigneurs et en bohèmes et son attention et
sa compassion s'en vont plus volontiers vers les derniers
que vers les premiers.
Les autres animaliers, surtout les Flamands, trai-
taient leurs sujets presque comme des natures-mortes et
la plupart d'entre eux étaient même natures-mortiers.
Exemples? Fyt et Snyders.
Lui, se rapproche plutôt des peintres français, soit
d'un Decamps. Il est comme lui, en peignant ses bêtes,
à la fois analyste et philosophe.
La toile acquise par le Musée moderne nous le montre
tel. Ce Chien au miroir^est non seulement un magnifi.que
morceau de belle couleur ancienne, c'est également
une page de vie aiguë et nette. C'est un chef-d'œuvre.
Bien que l'affirmation puisse à plusieurs paraître
blasphéàiatoire, nous ne découvrons pas dans les Porcs
de Potter d'aussi claires qualités d'artiste. Et encore
n'ignorons-nous guère que parmi les œuvres de ce
peintre, celle-ci, quoique de dimensionsexiguës.esthau-
tement remarquable. Le si célèbre Taureau de la Haye,
découpé sur un paysage avec lequel il n'a aucune rela-
tion, n'est que décor et groupement. Jamais Joseph
Stevens n'a sacrifié aussi uniquement à l'extérieur et à
la virtuosité.
' 'Il construit fortement, non pas seuls ses bêtes et ses
sujets, mais encore les fait mouvoir en des apparte-
ments réels, peints avec autant de soin que ses anato-
mies d'animaux elles-mêmes ,"^en un mot, il comprend
que pour donner vie à ses chiens, il faut qu'il fasse
vivant aussi leur milieu. Son talent est un talent com-
plet, sans trous, sans cassure. Toutes ses toiles appa-
raissent, non pas comme des morceaux, mais comme des
totalités; non pas comme des fractions, mais comme des
sommes. Il ne resterait au monde qu'un seul tableau de
lui, qu'il apparaîtrait par ce seul, témoignage grand
peintre, car on y rencontrerait une science très sûre et
profondément acquise par un homme, qui semble né
pour synthétiser et épurer toutes les qualités tradition-
nelles de sa race. ' ,
THEATRE DE PISEMSKY
Paris, Albert Savine, éditeur.
La rénovation du théâtre moderne étant prochaine, inévita-
blement, il convient d'insister — croyons-nous — sur chacun
des facteurs qui amèneront cet attendu résultat. Certes, M, Henry
Becque est-il celui qui, à coups de maître, a imposé la nouvelle
formule, si décisivement, que sa Parisienne demeure la plus
éclatante manifestation d'art dramatique français de ces derniers
vingt ans de siècle. Mais n'est-il point évident aussi que certains
étrangers — je ne parle ni de Tolstoï ni d'Ibsen, dont les for-
mules sont éloignées plus même qu'on ne le croit des siennes
— ont contribué à cette merveilleuse évolution.
M. Albert Savine, qui fut homme de lettres avant d'être éditeur,
a réuni en son catalogue nombre de traductions de dramaturges
russes, anglais et méridionaux. On connaît son Théâtre de
Marlowe, transposé en français parRabbe et préfacé par Richepin.
Le vieux maître anglo-saxon, fruste et magnifique, rude et
sauvage y apparaît incontestablement : celui dont Shakespeare a
élargi et approfondi fes moyens, mais continué l'esprit. Le drame
sanglant et farouche, le drame rouge, Marlowe l'avait superbe-
ment paré d& génie, avant déjà que les Richard III et les
Macbeth ne montassent sur les planches.
Ibsen fut également édité par M. Albert Savine, ainsi que le
comte Alexis Tolstoï. Aujourd'hui, voici Pisemsky.
De tous les auteurs étrangers, il se rapproche le plus de
l'actuelle formule réaliste française. Le merveilleux ou plutôt le
mystérieux sont négligés dans ses livres. Avant de rechercher
l'inquiétant, il veut atteindre le réel, le palpable, le vrai parmi
le quotidien'et le journalier. Pisemsky, tout comme MM. Becque
et Ancey, fait des comédies plutôt que des drames. La vie s'y
manifeste menue, terre à terre, puissante de faits.
Ses œuvres se titrent : l'Hypocondriaque, le Partage, les
Mines, Lieutenant Gladkoff, Une amère destinée, Baal.
Il nous semble inutile d'insister sur chacune de ces oeuvres ;
un écrivain et un penseur- personnels se retrouvant dans toutes.
Nous essayerons de fixer dans l'unique Baal, le système drama-
tique et la philosophie de Pisemsky.
L'idée qui sort de toutes les pièces de l'auteur russe est essen-
tiellement misanthropique. Les axiomes imposés par les Hobbes
et les Darwin, d'où se dégagent des idées de lutte et de bataille,
régissent les cerveaux et les cœurs de ses personnages. Le type
sympathique, il l'ignore. Il pourrait se réclamer de Balzac ou de
Stendhal; plutôt encore de ce dernier. Il en a l'âpreté et la conci-
sion d'observation; la sécheresse quelquefois. L'amour, il le
subordonne toujours à l'ambition, au désir du gain, à la magie de
l'or. Si bien, — la remarqué en est faite par M. Derely — que
l'argent devient le moteur colossal de son monde de personnages
à travers l'action, et l'objectif et le but de tous leurs efforts. L'hon-
neur, la fierté, la tendresse, la bonté, la vertu, fleurs très frêles
Z'
V
UART MODERNE .
227
et de hasard que le moindre coup de soleil du midi d'or ei
d'argent sèche comme féluset brindilles. Pisemsky croit l'homme
méchant, brutal, soupçonneux, irailre, lâche, abusant de sa force
et ne se développant magnifiquement comme un bel animal per-
vers qu'en ce monde moderne russe, où tout est à point pour
qu'il soit à la fois très barbare et très hypocritement civilisé. Les
braves, les courageux et les bons qui sont tels, gratuitement et
par volonté, ou bien parce qu'ils sont des rêveurs d'impossible,
immédiatement apparaissent comme des dupes ou des inutiles.
L'immense roue écarlatc, à dents noires, de la destinée humaine
les déchire et les broie avec une lenteur tragique, mais sûre —
et l'idée naît que c'est bien fait, puisque cela devait être.
De ceci résulte que le théâtre de Pysemski se prouve : la
mise en scène des batailles de l'intérêt plutôt que des duels de la
passion. C'est le point, au reste, qui différencie spécialement
notre théâtre de ceux qui l'ont précédé. Il est des drames ou la
passion seule d'amour lutte contre une passion d'amour rivale ;
,d'autrcs où les passions s'empoignent avec la fatalité ou avec le
devoir ou môme simplement avec le préjugé de l'honneur. Les
modernes — au moins les réalistes — ont remisé la passion et
le devoir et l'honneur pour ne plus faire agir que l'intérêt et
l'égoïsme. El l'Ecole des Veufs est un chef-d'œuvre incontestable
qui affirme cette remarque nette.
Qu'on déplore cette tendance et qu'on juge les caractères mon-
trés, sévèrement, avec des idées' de moralité haule et vaillante,
libre aux spectateurs de le faire. Ces appréciations n'entament
point la valeur artistique de la pièce. Que le théâtre doive mora-
liser, c'est au prédicateur et non pas au critique dele dire.
Baal est l'histoire d'une femme russe, mariée à quelque riche
entrepreneur '.Alexandre Gregorievitch, chez qui arrive un simple
délégué du conseil provincial : MikhaélovitchMirovitch.Ce dernier
aime Cléopâtre Sergueievna ; elle quitte son mari riche et fripon,
industriel voleur et fourbe, mais millionnaire, pour suivre son
amant pauvre. Gregorievilch les maintient dans la misère, con-
vaincu que l'axiome :« Une chaumière et un. cœur », n'est qu'une
phrase de roman. La suite des péripéties dramatiques lui donne
raison. Cléopâtre Sergueievna lui revient, vaincue.
Mirovitch quitte la Russie, et ces derniers mots renferment
l'enseignement : « Reçois, Baal, ces deux nouvelles victimes,
tourmente et déchire leur cœur et leur âme, dieu sanguinaire
aux ongles de feu. Bientôt tous t'adoreront, en ce siècle sans idéal
et sans espérance, dans ce siècle des roubles, de cuivre et des
fau* assignats ».
Ce pauvre squelette raclé d'expositiond'une pièce ne peut en rien
donner l'idée de la force des nœuds et des muscles de l'action.
Comment les événements s'agrafent lentement et nerveusement,
la lecture seule le renseigne. Des scènes comme des eaux-fortes
s'incrustent dans la mémoire — et les protagonistes. Surtout ce
vieux malin de Grcgorievitch, tour à tour humble, bas, sournois,
corrupteur, lâche, cruel, rusé, implacable, qui grandit non pas
jusqu'au type, mais certes jusqu'au personnage inoubliable.
Cléopâtre est la femme généreuse, passionnée, sans volonté;
Mikhaélovitch, l'écrasé et la victime. Dans Baal, Pisemsky fait
exception à sa règle de ne mettre en lutte que des intérêts. Si
Gregorievilch est un homme de proie, un vrai et spécial animal,
l'autre, ce^ui vers lequel sa femme s'en est allée est un exemple
de probité et de cœur franc. Cléopâtre, elle aussi, obéit plus à ses
sentiments qu'à son égoïsmc, mais elle finit, domptée par lui cl
séduite. Les comparses du livre, ne comptent guère. Le drame
comme la Parisienne de Becque est un drame à trois. Il est
curieux de rapprocher les deux données. On y découvre certes la
supériorité de l'écrivain parisien, quoiqu'il y ait dans l'écrivain
russe je ne sais quelle pitié en plus. Moins de malice, moins
d'ironie, moins d'osprit — mais plus de résignation à se soumettre
au sort, quel qu'il soit, à exposer crûment les événements, quitte
à plaindre, fut-ce U l'aide de sous-onlendus, ceux qui les teintent
en noir. Par réflexion on préfère l'un ; par instinct on s'en va vers
l'autre. •
Une remarque dernière. Les modernes suppriment impitoyable-
ment de leurs, œuvres les protagonistes caricaturais. Ceux du
second empire, les Sardou, les Dumas, les Meilnac et même les
Feuillet, déformaient certaines figures jusqu'à nous les montrer
en des rôles faisant office de miroirs convexes ou concaves.
L'opérette faisait tache d'huile sur leurs manuscrits de drames et
de comédies. Pisemsky, du moins dans ces pièces de marque,
biffe toute caricature. Il reste l'analyste des vices; il ne devient
jamais leur barnum; Il ne bat point la grosse caisse devant des
mannequins; il ne leur fait point tirer la langue, ni ne les coiffe
d'un chapeau de pitre. Ainsi réalise-t-il la vie et non la mascarade
humaine.
Son théâtre est fait d'observation stricte, de pensée aiguë,
d'exactitude profonde. C'est un maître.
LE SALOA LIBRE
Les gazettes d'art font, à Paris, quelque tapage au sujet de la
création projetée d'un Salon libre, où chacun exposerait sans
aucune restriction ce qu'il voudrait. La liberté dont nous jouis-
sons en Belgique, l'Indépendance avec laquelle nos Cercles el
groupes divers organisent leurs exposiiions, nous font regarder
ce projet comme peu nouveau. Il y a belle lurette, en effet, qu'on
ne s'offusque plus, à Bruxelles, d'une hardiesse de sujet, d'une
audace de procédé artistique, liais en France, où les artistes
subissent encore, bien plus que chez nous, l'asservissement des
jurys, des commissions, des intlucnces officielles, l'organisation
d'un Salon libre peut être salutaire. Voici d'ailleurs comment
ceux qui en ont eu l'idée, présentent leur projet :
Le Salon libre, dont l'idée est due naturellement à des jeunçs
peintres, sera un Salon où la censure ne s'exercera jamais que
sur la forme. L'artiste sera libre de traiter tel sujet qui lui plaira
et comme il lui plaira; on n'exigera que du talent.
Avec le système d'un Salon public, il est des œuvres qu'il est
iftconvenant ou que l'on croit inconvenant d'exposer. Le jury est
tenu à certaines réserves et à certaines pudeurs. Moins fern^ que
jadis aux -manifestations hardies, il est encore l'esclave de quel-
ques conventions. Il ne refuserait plus la femme énamourée de
Clésinger, la Diane de Houdon ou telle étude de Courbet; dans
un ordre plus vulgaire, il se montrerait pèut-êlre moins effarouciié
devant des scènes à tendances comme celles que peignait trop
volontiers M. Jules Garnier. Depuis qu'il refusait une Salammbô
en coquellerie avec son serpent bien-aimé et la Rolla do Gervex, -
il a accueilli une certaine femme au masque du même Gervex et
autrement lascive que la i?o//<z. Toutefois, son libéralisme obéit
encore à des considérations telles^ que M Raffaëlli aurait risqué
de voir refuser le chaste coin de maison Tcllier, qu'il expose en
228
UART MODERNE
privé sur le boulevard à côlé d'œuvres si puissammenl originales,
et que Degas eûl vu expulser, pour outrage aux mœurs, plusieurs
de ses femmes à leur loilelle.
On connaît cespn5jugés dans le monde des artistes, 'et on s'y
soumet. On ne s'expose pas de gaîlé de cœur à un blackboulage,
toujours pénible lorsqu'on a la discrétion de ne pas jouer de la
réclanie. Si l'on a l'idée d'une œuvre dont l'action, la pensée
pourraient déplaire, on ne l'exécute point, quelqu'intérêt qu'on
trouverait à son exécution. Ou st on l'exécute, on triche, on se
guindé. Celte contrainte ne s'exerce que dans des cas déterminés,
assez rares, mais elle s'exerce et cela suffit à la condamner. Elle
a atteint des artistes véritables qui, dominés par une idée d'art
supérieur, auraient pu donner contre toute hypocrisie, une toile
ou un marbre dont l'idéalisme audacieux aurait été acceptable
sous la caution du talent.
Ce serait une erreur de s'imaginer que le nu seul paie son
tribut à la morale"" courante, qui va tous les jours, d'ailleurs, se
relâchant un peu de son rigorisme. On a expulsé du Salon des
toiles militaires de Détaille autrefois, pour des raisons diploma-
tiques : il ne fallait pas donner à l'Allemagne motif de se plaindre.
On a mis à l'interdit des tableaux politiques, qui, ainsi expulsés
ont fait un tapage hors de mesure. Le Salon libre les admettrait.
11 admettrait le Boutet de Monvel, qui est une satire anti-répu-
blicaine, la nature morte anti-ministérielle de M. Castellani, et
tous les Boulanger de ceux-ci ou de ceux-là, s'ils étaient bien
peints. Et le public dirait : « Penh ! n'est-ce que cela ? » Car la
liberté ôte au scandale son piquant et le rend par là>inoffensif.
Sans doute, le Salon libre, ainsi entendu, ne devrait qu'être
entrebaillé ; on y entrerait gratuitement, par invitation, comme on
va au Théâtre- Libre. On serait chez soi et entre soi. Les specta-
teurs, prévenus, n'auraient pas h s'indigner pour quelques
touches un peu crues, pour quelques vérités franchementdites,
pour quelques accents crânement poussés. C'est un dangljj^qui
n'est pas à prévoir. Les organisateurs qui resteront — croient-ils
— disciples du beau, sans préoccupations étrangères à l'art pur,
sans provocation à la curiosité malsaine, sont certains que si le
public, qui se disputera les invitations, se plaint, ce sera de leur
trop grande retenue.
La pudeur a ses saisons et s,es latitudes; elle s'offusquerait
d'un déshabillé le matin qu'elle tolérerait le plus outragcux
décolletage le soir ; elle trouverait parfaitement convenable chez
M. Antoine ce qu'elle ne supporterait pas chez M. Koning.
• Mais il faut appuyer sur ce fait, que ces artistes ne veulent pas
faire une exposition d'arrière-boulique, qu'ils ne veulent pas
montrer une Nana ou une Danac visible pour les hommes seule-
ment. Ils se défendent de glisser à l'obscénité et évidemment ils
ne seront pas obscènes s'ils ont du talent, le talent n'étant jamais
obscène — pas plus chez l'Eve, si naïvement nue du Tintorct,
que cheWcs filles dévoilées brutalement par le crayon sans
hypocrisie de Rops; pas plus dans les fresques du Vatican que
dans les gimblettes des gracieux polissons du xviik siècle.
Le Salon libre demande à faire ce qu'il voit, et tout ce qu'il
voit — simplement.
On prévoit les écueils. « Il y aura la première année, nous
disait M. Bloch (secrétaire du groupe provisoire, qui reçoit les
adhésions et qui en a déjà plus de dSO), il y aura une évidente
exagération, mais cela se passera ; on arrivera à une conception
très franche, mais aussi très acceptable, on arrivera à une bonne
moyenne d'audace, que tout artiste soucieux de sa renommée se
refusera à franchir. Ce ne sera pas le musée secret, ce ne sera
q^e le Salon libre. Vouloir affranchir l'art des quelques conventions
parfaitement superflues et qu'on sera d'ailleurs toujours à même
d[observer, ce n'est pas élever un autel à la pornographie ».
!PlBX.IOqï\y^PHIE
Loi générale des réactions psychp-motriôes, par M. Charles
Henry, bibliothécaire de lUniversité. (Publication de l'Association
française pour l'avancement des sciences. — Parjs, au secrétariat
de l'Association, rue Serpense, 28. — Broch. de 37 p., petit in-4°).
Dans un mémoire Sur une loi générale des réactions psycho-
motrices, M. Charles Henry présente d'abord une classification
des sensations fondée sur ses nouveaux principes. Il les dislingue
en quatre catégories : 1° sensations de son, de lumière, de poids,
de travail musculaire ; 2" sensation de couleur-pigment, d'odeur
cl de saveur; S" sensation de forme; 4» sensation de température.
Pour l'ensemble de ces sensations, mais avec des modifications
dans la forme des unités suivant la catégorie de la sensation, il
ressort de l'expérience une loi générale des accroissements
ou des diminutions des réactions motrices, corrélatifs au
plaisir ou à la peine produits chez des sujets normaux par des
variations d'excitation. Parfois, ces variations des réactions
motrices sont trop petites pour être facilement mesurées : dans
ces cas, considérant que la douleur détermine de l'hyperes-
thésie, l'auteur dose l'anesthésie ou l'hyperesthésie consécutive à
cette variation d'excitation, en recherchant les variations soit du
minimum perceptible, soit de la fraction différentielle, c'est-à-
dire de la quantité d'excitation nécessaire à un nouveau degré de
la sensation. Tous les degrés du plaisir et de la peine en présence
d'objets bien définis sont ainsi précisables par des nombres et il
sera possible d'en prévoir non seulement le sens, mais les quan-
tités respectives. Dans ce mémoire l'auteur nous ofiFre une appli-
cation curieuse de ses méthodes à des problèmes d'ordre phy-
sique. Ayant précisé la catégorie des réactions subjectives
correspondant à l'odorat et au goût, il montre comment, en pre-
nant pour guide le sens de ces réactions convenablement précisées,
on pourra sans doute arriver par un grand nombre d'expériences
sur des sujets normaux à préciser des nombres caractéristiques
de l'odorance et de la sapidité. Ces méthodes peuvent également
conduire à des résultats mathématiques puisqu'elles consistent
dans la délerminaliî)fl-^es convenances d'un être intelligent,
mathématique, doué d'un mécanisme simple qui lui sert à repré-
senter des nombres par une symbolique spéciale.
Athlètes et Psychologues,
par Hugues Rebell. — Paris, Léon Vanier, 1890.
En une plaquette de quinze pages, M. Hugues Rebell raille
amèrement l'optimisme de ceux que les sports athlétiques
passionnent et qui espèrent y trouver la régénérescence. Guerre
au Lendit ! Et cette conclusion : « Laissez-nous à nos analyses, à
nos songes, à notre pessimisme. Notre vie intérieure est plus
digne, plus calme, peut-être plus utile que la vie toute physique
dés hommes faits que vous nous annoncez. Ceux-là,^our vouloir
^ -
. )
réaliser quelque chose sur la terre, sont condamnés à des déboires
continuels, à de nonnbreux ennuis.
« Nous, au moins, demeurant avec nos livres eldans la solitude,
nous aurons la consolation de nous dire à notre, mort que nous
avons fait moins de mal que d'autres et goûté dans l'Art quelques
moments d'un bonheur pur et complet. »
Le Musée des Beaux-Arts, à Anvers.
Un journal français, le Moniteur des Arts, donne des détails
très complets sur l'installation du nouveau Musée des Beaux-
Arts d'Anvers, qui sera inauguré le 26 de ce mois :
Le nouveau musée est un monument de vastes proportions,
dans le caractère des temples néo-grecs; il a été construit sur
les projets combinés de MM. Winders et Van Dyck. Un square
précède l'édifice. Dans ce square seront placés, dans quelque
temps, les groupes équestres et les quadriges commandés à
Thomas Vinçotte.
Sur la façade principale, les sculpteurs Dupuis, Ducaju, Fabri
et Pleyn, achèvent de tailler sur place les quatre statues monu-
mentales qui leur ont été demandées.
• Quelques salles sont déjà garnies. On n'a établi aucune classe
pour le placement des toiles. On avait d'abord songé à affecter
un compartiment spécial aux académiciens. Mais on a renoncé à
celte idée pour prévenir la monotonie résultant de la juxtaposi-
tion d'œuvres à tendances communes. Les tableaux ont donc été
répartis un peu partout.
Un escalier monumental, dont M. Van Beurden a sculpté les
quatre cariatides de marbre blanc et dont les murs sont ornés
des peintures de feu De Keyser, conduit aux salles de peinture.
Dans la première salle, la plus petite, se trou,vent des œuvres
d'une valeur considérable. C'est, d'abord, l'admirable portrait de
Martin Devos, un chef-d'œuvre confié en dépôt par les hospices
d'Anvers. Puis, encore, le portrait de Gevartius, par Rubens, la
réduction de la Descente de Croix; les esquisses de chars et
d'arcs de triomphe brossées par lui à l'occasion de la joyeuse
entrée d'Albert et d'Isabelle; le Christ de Van Dyck. Enfin,
d'autres Rubens, le triptyque de Saint-Thomas au Christ gras,
avec les admirables portraits du bourgmestre et de sa femme et
le tableau de la famille de KnyfF : Vénus et l'Amour, racheté
très cher à M. Allard, de Bruxelles.
Dans une autre salle se trouvent : le Christ en croix et
L'Adoration des Mages.
Un certain nombre de salles constituent le musée moderne qui
vient de s'enrichir de cinq tableaux offerts par M. Arthur Van der
Nest, échevin des Beaux-Arts : un sujet espagnol, de Van Beers;
une vue d'Anvers, de Piet Verhaerl; des chiens, de Stobbaerts;
un tableau moyen-âge de Cleynhens et un portrait par Wiertz.
Tout récemment la ville a fait l'acquisition d'un grand paysage
de Keelhof. Enfin, M. JanCVan Beers, vient d'envoyer au musée
son beau portrait de Peter Benoit.
Dans les salles du musée ancien doivent prendre place le
Saint Fi'ançois d'Assises de Rubens, et quatre Jordaens.
Dans la même salle sera placé, encadré dans un entourage
sculpté d'après les dessins de M. Backelmans, r(i:tcur de l'Aca-
démie des Beaux-Arts, le fameux Christ au Tombeau de Quentin
Metsys, flanqué de ses volets merveilleux.
Puis, dans d'autres salles : Le Jugement dernier de Van
Orley; des triptyques de Kcyni, De Vos, etc.
Une salle a ^té spécialement réservée aux maîtres hollandais.
On y mettra les Rembrandt, les Frans Hais, les Micris, les Metsu,
les Terburg, etc.
UNE LETTRE DE THÉOPHILE GAUTIER,
SUR LES PEINTRES FLAMANDS .
La voici : Elle est de d838; rien que ça ! C'est M. Bonnaffé qui
la rapporte dans sa préface du catalogue de la vente Pioi. Elle
est adressée à ce Piqt qui allait partir pour la Belgique et l'Alle-
magne. Elle contient de très exactes pensées j)Our ce temps loin-
tain et qui ressemblent beaucoup aux trouvailles d'aujourd'hui.
Elle contient aussi beaucoup de fautes d'orthographe dans les
noms; mais à celle époque on savait encore si peu sur nos
vieux peintres. C'est ce qui rend plus curieuses les appréciations
de Gauiier, qui, vraiment en cela précédait son temps.
« Mon cher Eugène, tu me demandes quelques explications;
je te dirai ce que je sais. 11 faut voir à Cologne beaucoup d'.AIbert
Diirer, d'Hemlinck, de Quantin Maisys, de Franz Flore, d'Holbein,
de Lucas de Leyde, de Jean de Bruges et autres de l'école alle-
mande et religieuse.
M Quant au Vander Werf, ne t'en préoccupe pas autrement ;
c'est à peu prc"s un cuistre qui a appliqué h l'histoire la manière
de Drolling et qui recure ses personnages comme des casseroles.
Gérard Dow vaut mieux infiniment, mais si tu trouves des Mclzu
et des Terburg, regarde-les ît deux fois. Tâche de découvrir des
Adrien Brawer et des Craèsbeck, je ne connais rien de ces maîtres.
Si tu rencontres un Everdingen, fais m'en deux pages de descrip-
tion ; c'est un maître dans le goût de Salvalor Rosa. J'ai vu une
Cascade de lui, à la vente Jrard, — magnifique. On dit aussi
qu'il y a par là, à la Haye, Dordrechl ou je ne sais où, des Rem-
brandt clairs et blonds comme de l'or ; attention triple sur
ceux-là. Le portrait de l'amiral Tromp et de sa femme faisait
l'effet du plus beau Paul Véronèse.
« A Dûsseldorf, ouvre les yeux comme des portes cochères, ou
comme des arcs de triomphe, pour voir (a Précipitation des A nges
de Rubens; c'est un diamant de couleur. Celte immensité n'a que
quatre ou cinq pieds de haut. Je crois que le Passage du Ther-
madon s'y trouve aussi.
TTEn peintures modernes, il y a Schadow, Bendemann. Hubncr
et Sunderlapd, ce dernier très bizarre. H applique le style de
Michel-Ange à des sujets de marchands de poissons et autres
scènes de ce genre. •
« Quant à la manière de prendre des notes sur ces peintures, il
faut décrire exactement et insister sur les côtés singuliers et carac-
téristiques de chaque peintre, faire à peu près ce que je fais pour
donner idée d'un tableau ^peu de réflexions, de verbiage et d'idées
synthétiques; la chose, la chose et toujours la chose. A Anvers, des
Rubens, des Jordaens, des Van Dick ; à Bruxelles* des Rubens,
des Jordaens, des Van Dick; à.Gand, des Rubens, des Jordaens,
des Van Dick ; et partout ainsi. C'est cfl'rayant. Ou les trois quarts
de ces tableaux sont apocryphes, qu nous sommes devenus de
230
LkRT MODERNE
fiers lâches ; car irente peintres modernes ne feraient pas dajjs
toute leur vie la moitié de l'œuvre d'un de ces.maitres. Essaie dé
distinguer les plus gros et d'établir un type certain de ces trois
maîtres. Voilà* peu près le plan de la campagne pittoresque.
Excuse mon gribouillage, je n'ai pas encore la patte bien libre.
— ■ Je te salue, ô Piot plein de grâces. » /
Chronique judiciaire de^ ^rt3
L'affaire GouiBré ou la Malle sanglante.
Nous avons sommairement relaté, dans notre dernier numéro,
le procès intenté à Marseille par M. Jcan-Bapiiste Eyraud, le frère
du trop célèbre Michel. Nous croyons utile de publier intégrale-
ment l'ordonnance intervenue, en raison du vif intérêt juridique
qu'elle présente. La voici :
~^« Nous, Président ;
En fait :
Attendu que depuis quelques jours les sieurs Demolins et
Pompéi, directeurs du « Palais de Cristal », font jouer sur la
scène de leur établissement une pantomime qui a pour titre :
l'Affaire Gouffé ou la Malle sanglante, qui expose aux regards
du public un drame sanglant dont toute la presse s'est occupée;
«lue, parmi les personnages mis en scène, figure Eyraud, inculpé',
comme auteur principal du meurtre de Gouffé;
Attendu que J.-B. Eyraud, frère de Michel, se prétendant lésé,
aussi bien par la pantomime que par l'exposition d'un tableau
placé à l'entrée du « Palais de Cristal », demande la suppression
dudit tableau et l'interdiction du jeu de la pantomime;
Attendu qu'aux noms de Demolins et Pompéi on a soutenu :
1° que le juge des référés n'était pas compétent pour connaître de
l'action de J.-B. Eyraud; 2" que ce dernier n'était pas rccevable
et que, dans tous les cas^son action n'était pas fondée ;
Sûr le premier point :
Attendu que le juge des référés est toujours compétent quand
il s'agit de mettre obstacle à un dommage qui s'accomplit à toute
heure et qui lèse les intérêts ou l'honneur de quelqu'un ; que,
dans l'espèce, les exhibitions malsaines du Palais de Cristal ren-
trent dans cet ordre d'idées;
Sur le deuxième point ■•
Attendu que J.-B. Eyraud n'est pas nommément mis en scène
mais qu'il s'agit du nom d'un des membres de sa famille, repré-
senté comme le véritable auteur de l'assassinat de l'huissier
Gouffé; que c'est le nom qu'il porte lui-même qui est ainsi jeté
en pâture à la curiosité du public et qu'à 'ce litre il est fondé à se
plaindre, car tout fait de l'homme qui porte préjudice à autrui
donne action en justice à celui qui en est victime;
Sur le troisième point ; >
Attendu que le demandeur ne peut se plaindre que du dom-
mage qu'il éprouve par la reproduction de son nom sur les
affiches et dans 1^ représentation du drame; mais qu'il ne saurait
agir au nom des autres personnages qu'il n'a point qualité de
représenter ; qu'il ne peut pas agir non plus au nom de la morale
publique qui a ses défenseurs légaux el naturels;
Par ces motifs.
Statuant en référé :
Nous déclarons compétent ; n
Et, ayant tel égard que de raison aux fins el conclusions des
parties;
Ordonnons que les sieurs Demolins et Pompéi seront tenus de
supprimer dans la représentation de la pantomime qui a pour
titre : l'Affaire Gouffé ou la Malle sanglante, le nom de Michel
Eyraud, de supprimer également ce nom sur leurs affiches,
tableaux, ou placards et programmes, sous peine de dommages-
intérêts que nous évaluons à 20 francs par chaque jour de relard ;
Les condamne aux dépens avec exécution sur minute ».
Commissions sur les engagements de thé&tre
Le tribunal civil de Berlin vient de rendre un jugement qui
intéresse tout .particulièrement le monde des agences théûtrales.
II établit la nullité de certains contrats par lesquels une jeune
artiste, nouvelle dans la carrière, s'oblige à verser à l'agent qui
lui a procuré son premier engagement une commission, non
seulement sur le bénéfice de cet engagement, mais encore sur
tous ceux qu'elle réalisera dans le cours de sa carrière. Le
tribunal considère une pareille convention comme « contraire à
la morale » et indigne d'une sanction légale.
Partitions manuscrites. — Contrefaçon.
Le tribunal correctionnel de Reims vient de juger que la repro-
duction manuscrite d'une partition d'opéra et, en général, de
toute œuvre littéraire. ou artistique, constitue une contrefaçon,
el que le directeur qui fait exécuter cet opéra sur son théâtre, à
l'aide de partitions manuscrites, se rend coupable du même délit.
Ce jugement est intervenu à la requête d'un certain nombre
d'éditeurs de musique qui avaient fait saisir entre les mains de
M. Vilanou, directeur du Grand-Théâtre de Reims, des copies
manuscrites de partitions et de parties d'orchestre.
Le tribunal de Reims a donc condamné le prévenu k une
amende et à des dommages-intérêts enverâ les plaignants.
Mémento des Expositions "
Arnhem (Pays-Bas). — 15 juilIet-15 septembre. Délai d'envoi
expiré. — Renseignements : M. A.-C. Fan Daelen, secrétaire
(le la Commission directrice de l'exposition des Beaux- Arts, à
Arnhem.
Bruxelles. — Salon triennal, 15 septembre-15 novembre.
Délai d'envoi : il août. (Gratuité de tran.^ort, aller et retour,
sur le territoire belge, pour les œuvres expédiées par chemin
de fer, grande vitesse, tarif n° 2). Renseignements : Commission
directrice de l'Exposition générale des Èeaux-Arts, Bruxelles.
{Secrétaire : M. Stiénon).
Dresde. — Exposition du Cercle artistique : aquarelles,
pastels, dessins et eaux-fortes, sous le protectorat du roi de
Saxe. Les invitations et prospectus seront envoyés prochainement.
EvREUx. — 1" juillet-31 août. Délai d'envoi expiré. Ren-
seignements : M. Bérissay, vice-président de la Société des
Amis des arts, atelier Denet, rue Buzet, Evreux.
Fontainebleau. — 4* exposition annuelle. 1«' aoûl-30 septem-
bre; Délai d'envoi expiré. -^ Renseignements : M. Weber,
secrétaire général. Grande Rue, Fontainebleau.
Le Havre. — 1" août-|}0 septembre. Délai de dépôt, rue de
Gaillon 16. — Expiré.
Milan. — Exposition triennale des Beaux-Arts. — l"-30 juin
1891. — Trois prix de 4,000 francs chacun, fondés par le
roi Humbert, décernés à la peinture et à la sculpture. Trois prix de
4,000 francs chaci'n, fondés par Saverio Fumagalli, décernés à la
< —
' .
sculpture, h la peinture religieuse, liistorique ou de genre. Un
prix dc4,000 francs, fondé par Antonio Gavazzi, décerné àla pein-
turé historique. Médailles et diplômes. — Les demandes d'admis-
sion devront être adressées au président, M. Emile Visconii-
Venosta, à l'Académie des Beaux-Arts de ^ilan.
Paris. ^ — Quatrième expositfon internationale de Blanc et Noir
(pavillon de la ville de Paris). Dessins au crayon, à la plume, au
lavis, sanguines, fusains, gravures au burin, eaux-fortes, gravures
sur bois, lithograpliics, etc. — i'''' octobrc-30 novembre 4890. —
Envqis : 1-5 septembre. \- Renseignements : M. E. Bernard,
directeur, 71, rue de la Comamine, Paris.
fETITE CHRO^IIQUE
Le n" 27 du Japo7i artistique contient une étude de M. H. Tro-
wcr sur les Netsuké, ces charmants 'petilsl objets de bois ou
d'ivoire sculpté qni faisaient partie du costume des Japonais au
siècle dernier, et que les amateurs admirent et recherchent avec
passion.
Parmi les planches hors texte, une gracieuse idylle par Haru-
nobou, un paysage, des ivoires, des gardes de sabre en fer,
etc., etc.
On vient de placer au Musée du Luxembourg, qui ne contenait
jusqu'ici que des oyvragcs de peinture, de sculpture et des des-
sins, deux cadres de médailles. Les unes sont gravées par M. Cha-
plain, les autres par M. Roty. Elles ont été choisies, originaux et
copies, dans le meilleur de l'œuvre de ces deux maîtres.
Chacun de ces deux cadres renferme une cinquantaine de spé-
cimens.
Le eorrespondarit parisien de CEventail donne sur M.'Mévisto
(de son vrai nom Wistaux), que nous avons plusieurs fois
apprécié à Bruxelles, lors des représentations du Théâtre-Libre,
d'intéressants détails biographiques, y
Camarade d'enfance d'Antoine, iFcréa au Théâtre-Libre : En
famille de Méténier (rôle d'Auguste Paradis), l'Evasion de Villiers,
la Sérénade de Jean Jullien (rôle de M. Cottin), la Puissance des
Ténèbres de Tolstoï (rôle de Nikita), l Amante du Christ de
Darzens (rôle de Jésus), la Patrie en danger de Concourt (rôle de
Perrin).
A la Porte-Sainl-Marlin, le rôle du « Roussot >> de la Grande
Marnière lui valut un triomphe, et la façon dont il interpréta
Clioppart du Courrier de Lyon lui concilia la sympathie de
quiconque apprécie l'effort, la volonté de bien faire et la lutte
d'une nature contre les^uvenirs glorieux ou réputés tels.
De la Porlc-Sainl-Martin, Mévisto est allé à l'Odéon, sur la
prière de M. Porel, qui est venu au devant de lui et ne lui a pas
confié uq seul rôle.
L'artiste qui a des moyens à lui, des effets à lui, une esthétique
théâtrale à lui, — il l'a prouvé souvent et surtout dans Ravaillac
à la Tour de Nesie, sa plus belle création peut-être, — l'artiste
n'a pas accepté la technique classique et Porelienne que préten-
dait lui imposer son directeur.
Aussi a-t-il lâché l'Odéon.
On reverra l'hiver prochain Mévisto aux Menus-Plaisirs dans
le rôle de Coupeau de l'Assommoir.
Eu somme, l'ami d'Antoine et l'ennemi de Porel est un\garçon
de réel avenir, s'il continue à se montrer toujours indépendant et
si son talent conserve sa marque personnelle de vibrante
originalité.
Mévisto n'a pas un « physique m déduisant; sa voix est rauque,
voilée et ne « porte » pas, sauf dans les effets contenus, amortis,
étouffés, où elle acquiert alors une intensité d'expression péné-
trante. ' ■ •
Mévisto joue comme il voit, comme il sent ; il a des théories
spéciales, révolutionnaires, très intéressantes sur la manière de
dire le vers.
Il est l'ennemi de toute concession aux préjugés, aux conven-
tions du théâtre, il a l'horreur du Conservatoire et il adore le
classique qu'il comprend en moderne.
Signe particulier : professe la plus haute estime pour le taleht -
de tragédien de M, Mounct-Sully.
Un double monument commémoratif du peintre Henri Régnault
vient d'être placé simultanément à l'Ecole des Beaux-Arts, à
Paris, et à la villa Médicis, à Rome. Ce monument est composé
d'une plaque de marbre noir sur laquelle est fixé le masque en
bronze de l'artiste ; une palme et une branche de chêne, égale-
ment en bronze, encadrent la figure.
Une statue de Voltaire, œuvre du sculpteur Lambert, sera
inaugurée très prochainement à Ferney-Voltaire, dans le pays
de Gex. ^
M. Le Rover, président du Sénat, présidera la cérémonie
d'inauguration. " .
Deux autographes de Beethoven, exposés actuellement à
Bonn : '
« Le public est un souverain qui veut être adulé si l'on veut
se le rendre .favorablejj'art vrai, pourtant, est obstiné et ne se.
laisse pas imposer l'adulation. Les ar^sles de valeur sont toujours
inquiets; leurs premières œuvres sont généralement les meil-
leures, alors qu'elles sont obscures. On dit que l'art est long et
que la vie est brève ; c'est la.vie qui est longue et l'art qui est
bref. »
« 0 vous qui me croyez plein de fiel et de haine, vous qui me
faites passer pour un misanthrope, comme vous m'accusez injus-
tement! Mon cœur et mon esprit m'ont toujours porté à la bien-
veillance depuis ma plus tendre enfance. Le désir d'accomplir de
grandes et nobles actions m'a toujours possédé. Rappelez-vous
seulement ceci, que depuis six ans je suis affligé d'un mal incu-
rable, aggravé encore par l'ignorance des médecins. »
Ce second autographe appartient à la Bibliothèque de Ham-
bourg.
Le docteur Mackenzie vient de publier un traité de VHygiène
des organes vocaux, à l'usage des chanteurs et des orateurs.
On assure que M""* Materna est décidée à se retirer dès l'année
prochaine, ou du moins à ne plus paraître sur la scène de l'Opéra
impérial de Vienne que dans certains rôles du répertoire wagné- »
rien, dans lesquels elle n'a pas trouvé jusqu'ici de rivale.
Entreliens politiques et littéraires. — Sommaire du numéro de
juillet : Thomas Carlyle, Deux hommes. — Paul Adam, Cente-
naire. — Henri de Régnier, l'Eau. — Bernard Lazare, l'Eternel
Fugitif. — Francis Vielé-Grifïin, Inulilisalions. — Georges
Vanor, Noies et notules. {BaWW, chaussée d'Antin 11, Paris)*
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— Location de navires spéciaux. — Transport régulier de marchandises, colis postaux, valeurs, finances, etc. - Assurance.
Pour tous renseignements s'adresser à la Direction de l'Ecrploitation des Chemins de fer de l'État, à Bruxelles, à l'Agence générale des
Malles-Poste de l'État-Belge, Montagne de la Cour, 90*, à Bruxelles ou Gracechurch-Street, n° 53, à Londres, à V Agence de Chemins de fer
de l'État, à Douvres (voir plus haut), et à M. Arthur Vrancken, Domkloster, n» 1, à Cologne.
^
chez MM. SCHOTT frère.s, 82, Montagne de la Cour, Bruxelles.
L'OR DÛ RHIN
DB
RICHARD W.\GNER
Version firanpaise de Victor 'WILDER
Partition pour chant et piano, réduite par R. Ki.einmichel
PRIX NET : 20 Francs
JOURNAL DES TRIBUItAUX
paraissant le jeudi et le dimanche.
Faits et débats judiciaires. — Jurisprudence.
— Bibliographie. — Législation. — Notariat.
HuTUiME ANNÉE.
Abonnements i Belgique, 18 francs par an.
( étranger, 23 id.
Administration et rédaction : Rue des Minimes, 10, Bruxelles.
Revue maisuèlle de littéi'ature et d'art
5" Année
Directeurs : M.M. A. MOCKEL et P. -M. OLIN.
„ (à Liège» rue St-Adalbert, 8.
Bureaux \ . ^ T* '
( a Bruxelles, Avenue Louise, 317.
ABONNEMENTS : 5 francs l'an ; Union postale, fr. 6-50 •
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Breitkopf et Hârtel, éditeurs, Leipzig-Bruxelles
TRAITÉ PRATIQUE DE
COMPOSITION MUSICALE
depuis les premiers éléments de l'harmonie jusqu'à
la composition raisonnée du quatuor et des principales
formes de la musique pour piano par J.-C. Lobe.
Traduit de l'allemand (d'après la 5^ édition) par
Gustave Sandre.
VIII et 379 p. gr. in-8". Prix : broché, 10 fr.; relié, 12 fr.
Ce livre, dans lequel l'auteur a cherché à remplacer l'étude pure-
ment théorique et abstraite de l'harmonie par des exercices pratiques
de composition libre, fut accueilli, dès son apparition, par une
faveur marquée. La présente traduction mettra le public français à
même d'apprécier un des ouvrages d'enseignement musical les plus
estimés en Allemagne.
BruxeUes. — Inip. V Monnom, 2C, rue de l'Industrie.
Dixième année. — N" 30.
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 27 Juillet 1890.
L'ART MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Comité de rédaction t Octave MAUS ~ Edmond PICARD — Emile VERHAERÊN
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. —ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser toutes les communications d ' ■ ■
l'administration génér!Ile de l'Art Moderne, rue de Tlndustrie, 26, Bruxelles.
^OMMAIRE
La Belgique juoke par Baudelaire. — Le Musée des Arts
DÉCORATIFS. EXPOSITION DES CONCOURS DE l'AcaDÉMIE ROYALE
d'Anvers. Les œuvres d'élèves drs ateliers libres-. — Wagner a
Berlin. — Concours do Conservatoire. — Mémento des P]xpo-
siTiONS. — Petite chronique.
LA BELGIQUE JUGÉE PAR BAUDELAIRE
En 1887 \ M. Eugène Crépet a publié chez Quantin
des Œuvresjioslhijmë^et correspondaaces médites
de Charles Baudelaire. Nous en avons parlé dans notre
numéro du 3 juillet 1887. Déjà alors nous avons signalé
les sévères appréciàtïoi^ jde l'illustre poète sur notre
pays. Nous avons cité/ses formules redoutables : Les
Belges ne pensent qi/en b.vnde, et d'autres. Mais
M. Eugène Crépet n'avait donné qu« des fragments,
effrayé apparemnient du corrosif de l'œuvre.
Voici qu'une revue nouvelle, la Revue d'aujou/vihui,
dirigée par M. Rodolph'e Darzens, n'a pas les mêmes
scrupules, et hardiment, dès son troisième numéro, et
en tète, publie dix pages 4es notes terribles accumulées
par Baudelaire sous la mention : Argument d'un livre
SUR LA Belgique. On sait que l'auteur des Fleurs du
Mal a vécu plusieurs années à Bruxelles, exilé volon-
taire pour des causes mal définies.
Ces notes débutent par ces mots où il fixe au hasard
de ses pensées, les titres, parmi lesquels un à choisir,
du livre futur, que, heureusement pour nous, sa mort
prématurée a empêché; car' lorsque le génie fixe en
une forme définitive ses jugements, même injustes ou
exagérés, la puissance des coups frappés peut causer
l'irréparable: La vraie Belgique. La Belgique toute
nue. Jjtt Belgique déshabillée. Une capitale pour
rire. Une capitale de singes.
Viennent ensuite les remarques, dangereuses comme
des gouttes.de poison. Et pourtant pas inutiles peut-être
pour qui, Belge, les lira et les méditera : elles ont par-
fois un fond de vérité inquiétant qui peut devenir une
leçon. A se sentir si violemment attaqué, on ressent un
besoin d'examen de conscience et de correction. C'est
bien l'impression que nous avions éprouvée, il y a quel-
-%ue trente ans, quand Proudhon, lui aussi, eut dit sur
la Belgique de mortifiantes vérités qui le firent sotte-
ment chasser de chez nous.
De ces étranges remarques voici les principales :
1. Préliminaires. — La France a l'air bien barbare,
vue de près. Mais allez Çq Belgique, et vous deviendrez
moins sévère pour votre pays. Grand mérite à faire un
livre sur la Belgique. Il s'agit d'être amusant en parlant
de l'ennui, instructif en parlant de rien. La Belgique,
amoui'euse des compliments, les prend toujours au
sérieux. .
c-
2. Bruxelles. — Premières impressions. On dit que
chaque ville, chaque pays a son odeur : Bruxelles sent
N le savon noir. Les chambres d'hôtel sentent le savon
noir. Lavage des façades et des trottoirs, même quand
il pleut à flots. Manie nationale, universelle. Fadeur
générale de la vie» Tout est fade^ tout est triste, insi-
pide, endormi. La physionomie humaine, vague, sombre,
endormie. Bruxelles, beaucoup plus bruyant que Paris;
le pourquoi. La fragilité. et la sonorité des maisons;
l'étroitesse des rues ; l'accent sauvage et immodéré du
peuple; la maladresse universelle; \esifflement national
(ce que c'est). Pas de vie danslarue. Beaucoup de balcons,
personne au x balcons. Tristesse d'une ville sans fleuve .
La flânerie, si chère aux peuples doués d'imagination,
impossible à Bruxelles. Le visage belge ou plutôt bru-
xellois, obspur, informe, blafard ou vineux. Stupidité
naenaçante. La démarche des Belges, folle et lourde.
3. Bruxelles, t- La vie : tabac, cuisine, vins.
A côté du fameux mensonge de la liberté belge et de
la propreté belge, mettons le mensonge de la vie à
bon tnarché en Belgique. Ici, tout est cher, excepté le
loyer. Peinture du régime et de l'hygiène belges. La
question des vins. Le vin, objet de curiosité et de bric à
brac. Merveilleuses caves, très riches, toutes sem-
blables. Les Belges montrent leurs vins. Boissons du
peuple. Le faro et le genièvre.
4. Les femmes et l'amour. — Pas de galanterie
chez l'homnie, pas de pudeur chez la femme. Por-
trait général de la flamande. Type général de physiono-
mie, analogue à celui du mouton et du bélier. Les che-
veux jaunes. Les jambes, les gorges, énormes, pleines
de suif, les pieds, horreur!!-! En général, une précocité
d'embonpoint, un gonflement marécageux. Ici, il y a
des' femelles. Il n'y a pas de femmes. ■
5. Mœurs. — Grossièreté belge. Aménités de con-
frères dans les journaux. Ton de la critique et du
journalisme belges. Bassesse et domesticité.
0. Mœurs (suite). — Le cerveau belge. La conversa-
tion belge. Caractère sinistre et glacé. Silence lugubre.
Toujours l'esprit de conformité. On ne s'amuse qu'en
bande.
7. M&URS (suite). — Esprit de petite ville. Jalousies.
Calomnies. Diffamations. Curiosités des aff'aires d'au-
trui. Jouissance du malheur d'autrui. Résultats de
l'oisiveté et de l'incapacité.
8. Mœurs (suite). ^ Esprit d'obéissance et de confor-
"MiTÉ. Esprit d'association. Dans l'individu, paressé de
penser. En s'associant, les individus se dispensent de
penser individuellement. La Société des Joyeux.
9.. Mœurs (suite). — La cordialité belge. Incomplai-
sance. Le pisseur et le vomisseur, statues nationales
que je trouve symboliques. Plaisanteries excrémen-
tielles.
10. Mœ.urs (suite). — Lenteur et paresse des Belges :
dans l'homme du monde, dans les employés et dans les
ouvriers. Torpeur et complication des administrations.
11. Mœurs (suite) . — Moralité belge. Glorification du
succès. Argent. Défiance universelle et réciproque. A
aucune action, même a une belle, un Belge ne
SUPPOSE UN bon motif. Le Belge est porté à se réjouir
du malheur d'autrui. Passion générale de la calomnie.
Grandes fortunes. Pas de charité. On dirait qu'il y a
conspiration pour maintenir le peuple dans la misère et
l'abrutissement. Haine de la beauté, pour faire pendant
à la haine de Vesprit. N'être pas conforme, c'est le
GRAND crime.
12. Mœurs (suite). . — Le préjugé de la propreté
belge. En quoi elle consiste. Choses propres et choses
sales en Belgique. Mauvais métiers. Maisons de bains.
Quartiers pauvres. Moeurs populaires. Nudité. Ivro-
gnerie. Mendicité.
13. Divertissements belges. — Bals populaires. Les
jeux de balle. Le tir à l'arc.
14. Enseignement. — Haine de la poésie. Education
pour faire des ingénieurs ou des banquiers. M. Alt-
meyer, celui que Proudhon appelait : cette vieille
chouette! Haine générale de la littérature.
15. La langue française en Belgique. — Style des
rares livres qu'on écrit ici. On ne sait pas le français,
mais tout le monde affecte de ne pas savoir le flamand.
C'est de bon goût.
16. Journalistes et littérateurs. — Des gens qui
ramassent et d'autres qui achètent à vil prix un tas de
papiers (entrées de princes, comptes-rendus des séances
des conseils communaux, copies d'archives) et puis
revendent tout cela en bloc, comme un livre d'histoire.
Le ton du journalisme. Correspondances ridicules de
l'Office de publicité. L'Indépendance belge. L'Etoile
belge.
17. Impiété belge. Un fameux chapitre celui-là. —
Insultes contre le pape. Propagande d'impiété. Il est
aussi difficile de définir le caractère belge que de classer
le Belge dans l'échelle des êtres. Il est singe, mais il
est mollusque. Une prodigieuse étourderie, une éton-
nante lourdeur. Il est facile de l'opprimer, comme l'his-
toire le constate; il est presque impossible de l'écraser.
Ne sortons pas, pour le juger, de certaines idées : sin-
gerie, contrefaçon, conformité, impuissance haineuse.
Leurs vices sont des contrefaçons. Le gandin belge. Le
libre-penseur belge, dont la principale caractéristique
est de crwre que vous ne croyez pas ce que vous. dites,
puisqu'il ne le comprend pas. Contrefaçon de l'impiété
française. L'obscénité belge, contrefaçon de la gau-
driole française. Horreur générale et absolue de
l'esprit. Eclats de. rire sans motif. On conte une his-
toire touchante; le Belge éclate de rire. Les Belges sont
des ruminants qui ne digèrent rien. Et cependant, qui le
croirait? La Belgique a son Carpentras, sa Béotie,
'^
dont Bruxelles plaisante, C'est Poperinghe. Enterre-
ments civils. Cadavres disputés ou volés.
18. Prkïrophobie. — Funérailles d'un abbé mort en
libre-penseur. Jésuitophobie. Ce que c'est que notre"
brave De Buck, persécuté par les Jésuites. Le parti
clérical et le parti libéral. Également bêtes. Le célèbre
Boniface, ou De Fré (Paul-Louis Courier belge), croit
qu'il mourra tragiquement comme Courier qt se fait
accompagner le soir pour ne pas être assassiné par les
Jésuites. Ma première entrevue avec cet imbécile. Il a
interrompu le piano, pour faire un discours en faveur
du Progrès, et contre Rubens, en tant que peintre
catholique. Bigoterie belge. Laideur, crapule, méchan-
ceté et bêtise du clergé flamand. Les dévots belges font
penser aux chrétiens anthroj^ophages de l'Amérique du
Sud.
Pour que rien ne manque à ce terrible et humiliant
crayon, la rédaction de la Revue (T Aujourd'hui
ajoute :
« Dans le livre inachevé, dont notre manuscrit donne
le canevas complet, qu'il recopia plusieurs fois de sa
main, le poète des Fleurs du mcd attestait avec une
franchise poussée à l'outrance, son- horreur de l'esprit
plat, des mœurs mesquinement bourgeoises, du peuple
au milieu duquel l'exil le condamnait à vivre. Les pos-
sesseurs s uccessifs de ce manuscrit n'avaient pas cru
pouvoir le publier; nous n'hésitons pas à le faire, con-
vaincus que la pensée d'une si rare intelligence est tou-
jours précieuse a connaître, même sous sa forme incom-
plète et tronquée par la mort II faut voir, dans ces très
originales notes, que nous compléterons par des déve-
loppements^galemènts inédits, la protestation fière et
hardie de l'indépendance de la pensée, si chère au grand
poète et au savant critique, mais proscrite, comme un
luxe inutile ou dangereux par la race utilitaire, posi-
tive et plagiaire qu'il étudiait avec autant de curiosité
que d'antipathie.
Mt
LE MUSEE DES ARTS DÉœRATIPS
Les f'cles de seplembre commencèrenl, celle année, le "21 juillel.
Divers congrès, des régales, une cavalcade historique, une pro-
cession de géanig, des illuminalions, une revue dkj troupes à jamais
pacifiques les particularisèrent, — malgré la mauvaise humeur
de nues à ces allégresses dédiantMeurs ondes. Et (pavillon de
gauche du Palais du Cinquantenaire) s'ouvrit le Musée des Arts
décora lik. '^
On traverse la haute, claire et sidérurgique salle que ses impor-
lants gisements do plâtres désignaient déjà sous le nom de Musée
des échanges, cl dans les locaux où fut — au Grand Concours
internalional de 1888 — la 1res belle et très somptueuse Exposi-
tion de l'An ancien et des Arts décoratifs, se trouve inslallé le
récent Musée. *
Inslallé, non. Ce verbe évoque l'idée de soins précieux elde
confort. El il est évident que seuls des terrassiers cl des ressemel-
Icurs, des chiffonniers et des nègres, ont élé chargés d'appendre
à ces murs lustrés de rose l'hétérogène totalité des cartons et des
toiles. C'est, — malgré de signifiantes œuvres, et des chefs-
d'œuvre même, — un désastre pour l'œil.
Des toiles aux bitumes insondables sont au milieu d'immenses
et blancs papiers qu'un fusain léger zèbre, — un Rembrandt
s'environne des enluminures douloureuses dont M. J.-P. Làurens
n'est que le trop certain auteur, — liTtristcsse de photographies
trouble la joie de purs kakémonos égarés. Des toiles sont sans
cadre, et quel plancher !
Ah ! ce Musée n'est pas, certes, malgré son immérité et triste
carnaval, comme la Belgique, en fête. Vrai, nous pouvons nous
vanter de posséder, mieux qu'aucun peuple, le culte cl l'amour
du mesïjuin, du grotesque et du laid. (La scandaleuse restaura-
tion, à Anvers, du Stecn, le maintien, 'a Bruxelles, de cet
absurde cvlindre coiffé d'un cône el dénommé la Tour Noire, le
légendaire kiosque de la Grand'PIace, n'en sont-ils pas des
exemples?) " / '
Mais ici, l'arrangement était cependant tout indiqué : les copies,
les huiles se devaient réunir .en une môme salle, les carions, les
papiers blancs dans une autre, et par écoles, et selon un aspect
harmonieux. Lne troisième eût été pour l'épanouissement de
japonais, etc. Etait-ce donc vraiment trop simple?
Charles Mftriel, Sainte Geneviève, Ludiis proPatria (carions)
sont de Puvis; des épreuves de Braun traduisent de ce maître les
plus ailiers décors : Marseille, la Saône et le Rhône, Vision
antique, Inspiration chrétienne, Bois sacré. Par Loils Dubois
(ce grand peintre encore dans l'ombre) se dédoublent, — mais
extraordinaires', — Hais et Rembrandt. Précis et large, Xavier
Mellery copie les Carpaccio de Venise. Les formes graciles, les
alliances les plus mélodiques de couleurs éclosenl aux (>stampes
du Japon.
A ces œuvres de prochaines noies seront consacrées.
EXPOSITION DES CONCOURS DE L\\CADÉMIE ROYALE D'ANVERS
Les œuvres d'élèves des ateliers libres.
[Correspondance particulière dç l'Art moderne).
Cohue vraiment étonnante, pôpulacière surtout ; du bourgeois
aussi, nettoyé des poussières de l'arrière-bou tique; d'inimagi-
nables redingotes convoyant des toilettes sorties d'hier des cuves
du teinturier; lout ça, venu par groupe, parlant haut, déambu-
lant par les rues pavoiséeg en l'honneur des « primus » de notre
Académie, s'écoulanl le long des trottoirs vers ces salles d'expo-
sition, comme les eaux sales vers un égoul.
La maison — pompeusement enseignée déjà — travaillait en
petit, el voilà qu'on vient d'agrandir l'exploitation en y accolant
un laboratoire nouveau.
Dans le public, on s'impatientait, on demandait trop « d'artistes »
et la vieille maison ne pouvait répondre efticacement à toutes ces
demandes. Aus^i le gouvernement décida-t-il la création de la
nouvelle otticine, ci^^ « Institut supérieur des beaux-arts
d'.invers! » J
On y ferait l'article demandé ^zt un procédé plus sûr, plus
perfectionné, et de façon à contenter les plus exigeants. El au
fait, lout le monde semble ravi. On s'assemble, on s'émeùl, on
applaudit ^ loul rompre. C'est la sortie Iriompliale de ce trou-
peau pelé, conduit par les bergers choisis parmi les plus
illustres de nos provinces, cavalcadanl pour la grande joie des
badauds, auréolés de leur victorieuse médiocrité, de leur suffi-
sance arrogante, de leur inaltérable dédain de l'art qui les a si
sûrement menés aux « honneurs », l'idéal monnayable où ils
sont chargés de diriger le bétail qui se confie sans défiance b
eux, et que, pour désencolércr le vrai dieu d'arl, on devrait mener
impitoyablement à la boucherie!
Se prendrait-on de pitié peut-être pour ces crottées victimes,
si elles n'étaient si irrémédiablement nulles, si lâchement
dociles!
Et que si, vraiment, un vrai tempérament d'arlistc se trouve en
ce répugnant triage, il faut qu'à l'heure de la virilité — si elle lui
vient aux flasques tétons de cette mère — il y morde jusqu'à ce
qu'elle en hurle!
Qu'il y morde jusqu'au sang ; alors verra-l-il d'assez près sa
couleur. Sang d'anémiée, de chlorotiquc décolorée en l'atmo-
sphère de fa « maison » qu'elle tient!
Car l'Académie est là, à ces murs, accrochée, pantelante ; c'est
l'exhibition de sa nudité nauséeuse, qui l'accuse.
Qu'on mette donc, une fois pour toutes, le nez de celte « nour-
ricière sur èa décrépitude, qu'on lui fasse tâler sa peau desséchée
sous son maquillage de vieille catin. Fait-elle autre métier que
celui-ci : polluer ceux qui l'approchent, inoculant à ces jeunes
ses tricheries d'art, ses roueries dégradantes, toutes les pratiques
de son inépuisable fond d'expérience de vieille garde?
Et les fidèles financiers commis à son exploitation, — les a-
t-elle pas lilevés soigneusement pour cette besogne? — pourront-
ils toujours impunément ainsi, en l'émolliente tiédeur de leur
enseignement, corrompre celte jeunesse, attachante malgré tout,
en raison, pout-étre, de l'espoir déçu des audaces et des assauts
que nous attendions d'elle et en prévision desquels ils l'ont si hon-
teusement énervée et abêtie !
Plus cyniquement qu'en le tour de ces salles, en la contem-
plation de ce chapelet de torses, de plâtres grotesques, de pay-
sages phtisiques, de tel Job sur le fumier, de la légende de
sainte une telle, de cette martyre s'exposant au loin et de plus
innommables choses encore, réjouissantes, à la longue, par leur
multiplicité — et l'orgueil m'est venu alors d'être seul, ici, à
éprouver ces joies ! — plus cyniquement qu'en cette salle réservée
aux concours des jeunes filles, évoquant en sa propreté de bonne
ménagère qui contraste avec ce débraillé des autres salles, toutes
les basses aménités, toutes les avilisanles complaisances, les
plaies veuleries qu'il aura fallu au professeur qui voudrait s'attirer
leurs bonnes grâces, plus cyniquement se proclame dans les
cahiers primés renseignement vrai de l'Académi?.
Oyez r'élève qui répond à cette question du professeur de lilté-
ralure française, le gabelou pensif et myope qui veille si atten-
livcment dans les colonnes du Précurseur aux littératures dan-
gereuses qu'on tente d'introduire frauduleusement dans la place :
« Quel sujet de comfosilion pourrait-on tirer du drame Othello ?
— On pourrait prendre comme sujet de composition d'un
tableau le moment oii Othello a souffleté Desdémone, devant les
envoyés vénitiens !
Desdémone, triste et profondément abattue (on le serait à
moins) se retire (cl c^st prudent). Othello, d'un air menaçant,
la suit du regard et lance encore un reproche. »
Tout cela esl très pathétique, en efVety cl l'intensité d'effet
est augmentée encore par la présence de ces envoyés qui, avec
différentes expressions, sont groupés autour de la salle !
Est-ce à croire que l'enseignement de quelque autre professeur
découvre de la puissance chez le plus exsangue des peintres :
Lesueur ! fait une gloire à Greuze d'avoir eu comme ami le pre-
mier et grand critique d'art •• Diderot.
Et M. le professeur doit avoir insisté sur ce mérite, puisque
chez tous les concurrents je retrouve l'annotation de «- ce
mérite ».
Ce résumé-ci en dît plus et doil synthétiser le cours de l'eslhé-
tiqueur :
Greuze : Art moral — fil des paysans — n'était pas colo-
riste — avait cependant tm dessin distingué — fut l'ami de
Diderot, qui le nommait le peintre des bonnes mœurs.
Il est bien évident que l'amitié d'un critique d'art supplée
amplement aux qualités que M. le professeur refuse â Greuze; el
comme cette pensée esl rassurante pour tous ces jeunes élèves en
qui elle doit lever le ferment des couriisaneries latentes, des
promiscuités prochaines !
Et puis, cueillies en une trop courte visite, des âneries :
Louis XIV est ce qu'on appelle un roi Soleil.
D'un autre :
Le style Louis XV est tout à fait le contraire : celui d'un roi
d'intérieur, aux mœurs dissolues.
D un autre, cette ineptie pontifiante et soulignée — comme
pour attirer l'attention sur cette vocation au sermonnage acadé-
mique :
Cet amour pour la symétrie et l'ordre est presque une nécessité
à cette époque de grandeur et de gloire.
Puis des joyeusetés : .
A propos de Teniers : Enfant d'Anvers, il entreprit tous les
genres, même la grande histoire.
Un autre concurrent n'avoue-l-il pas que David Teniers est un
peintre essentiellement anversois! Car voilà le bout de l'oreille
qui perce, et l'insistance qu'on met à attirer l'attention, à chaque
occasion, sur « l'origine anversoise », n'est pas une gloriole
simple de clocher; non, en l'esprit des magisters de l'officine, il
esl un type de peintre, type idéal que la nwison doit créer plus
spécialement : peintre anversois !
N'est-ce pas le même lauréat qui trahit ingénument son indomp-
table appétit en inscrivant, en marge de l'énoncé des tableaux de
Rubens, à l'un d'eux : lui fut payé WO, 000 francs!
Un autre affirme que Boucher était un grand travailleur, et
n'ajoute pas un mot de plus, cl avec raison, puisque cela suffit
pour être couronné !•
Tous affirment, en plus, — le mot aura-l-il assez vivement
frappé leur imagination — que Madame de Pompadour était
l'âme de l'époque.
Voyons, Monsieur le professeur, un peu plus de précision dans
les mots : l'âme! Cherchez donc plus bas!
... El d'autres, d'autres choses encore en l'abondant dégouli-
nagc de celte lessive fétide, de détritus visqueux cl de vomis-
sures de ce délétère enseignement d'Académie.
-1
-V
WAGNER A BERLIN
{Correspoudajice ■particulière de l'Art moderne).
Projetant récemment un voyage d'éludé en Allemagne, le désir
nous vint d'assisler à quelques représentations de l'Opéra de
Berlin, afin d'en lirer des conclusions au sujet de la valeur exacte
du théâtre de la Monnaie en matière artistique ; vous vous doutez
aisément que c'est surtout Wagner qui piquait notre curiosité. Le
séjour que nous pouvions faire dans la capitale de l'empire étant
limité, nous transmîmes notre vœu à la General-Inlendantur der
Kôniglichen Schaiispiele, et quelques jours après, l'aimable régis-
seur en chef, M. Ch. Teiziaff, nous fil savoir qu'il avait pris ses
dispositions pour qu'aux daies indiquées par nous, nous pussions
entendre Lohengrin et la Walkiire : agirait-on avec autant de
courtoisie envers des étrangers en France ou en Belgique? Il est
permis d'en douter.
Les abonnés de l'Art moderne connaisscHt assez leur Wagner
pour que nous n'ayons pas besoin d'insister sur le mérite de ces
deux partitions, l'époque de leur apparition, et les manières fort
différentes dont sont traitées lés voix et l'orchestre ; si nous
leur remémorons ces divers points, c'est pour leur faire part de
l'impression inattendue, contraire à nos prévisions, que nous
avons ressentie à Berlin : alors que nous nous attendions à avoir
l'oreille agréablement caressée par les suavités de Lohengrin et.
à être fortement secoué par les pages géniales de la Walkiire,
c'est Lohengrin qui nous a profondément ému et nous a éic
comme une révélalioniandis que la Walkiire ne nous apportait
aucune sensation nouvelle. A quoi cela tient-il? Uniquement à
l'interprétation, et voici comment nous nous l'expliquons. Grûce
à Joseph Dupont qui a mis toute son àme dans la nerveuse exécu-
tion qu'il nous en a donnée, la Walkiire a été représentée h
Bruxelles dans des conditions très remarquables, avec un Sigmund
el un Wotan qui classent Engel et Seguin parmi les meilleurs
chanteurs wagnériens ; M""*"* Martini et Cagniard ont donné h
Sieglinde le relief voulu, et seuls les rôles de Briinhilde et de
Fricka, en y ajoutant nos miaulantes Walkyries, ont fait trou dan.s
le tableau qui eut, l'on s'en souvient, un succès sensationnel.
Pour Lohengrin, c'est autre chose : en dehors de la création sim-
plement convenable de i870, cette œuvre, d'un charme incom-
parable, a été reprise en 1878, en 1880 et en 1889, et, voyez la
guigne, chaque fois fin avril de manière à n'avoir que trois ou
qtfirtre représentations : ces exécutions ont toujours eu un relent
de liquidation pour fin de bail, lorchcstre raclant et soufflant à
la diable, el même des artistes de haut mérite comme Enctel el la
grande Caron donnant la note mais jouant à côlc, faute du temps
nécessaire pour fouiller les rôles en leurs moindres replis et
camper les personnages avec leurs passions, leur allure et lo
caraclère voulu.
A Berlin, nous le répétons, Lohengrin a été une révélation.
Rendons d'abord hommage à l'orchestre qui, sous la direction
attentive du kapcllmeister Suchcr, a exécuté la partition entière
ayce un respect et un souci des nuances absolument remarquables ;
on sentait se dégager de celte interprétation, comme une ferveur
d'art, les instrumentistes jetant en un idéal creuset leur vibrante
traduclioit des phrases mélodiques du Maître pour aboutir à un
ensemble plein d'Ame, palpitant d'émotion et d'une harmonieuse
religiosité. Quand vous saurez que c'est la Sucher qui chantait
Eisa, vous vous figurerez, sans doute, ce que cette femme, artiste,
jusqu'aux hioclles, a pu faire de cette délicate création de Wagner;
mais ce qui est impossible h rendre par des mois, c'est l'impres-
sion produite par celle voix veloutée, aux inflexions caressantes,
et arrivant, dans le rêve et la prière du premier acte, à celte
intensité d'émotion qui donne le frisson et vous arrache les
larmes'; merveilleuse aussi dans le duo avec Orlrude et celui du
troisième acte, la Sucher a réalisé pour nous le type d'Eisa, que
nous avions souvent cherché dans d'autres clianleuscs, et le cachet
impressionnant avec lequel elle l'a fixé dans noire souvenir ne
nous permet pas d'espérer retrouver jamais semblable sensation
d'an... Quel partenaire aussi, pour la- Sucher, que l'excellent
ténor Rothmiihl qui, outre la mysticité exigée, a absolument D^f»
son Lohengrin en y apportant une jeunesse et une fraîcheur de
voix charmantes, sans oublier une^diction claire el un senlimenl
des plus justes : il a admirablement détaillé son grand récit du
dernier tableau et a mis une mélancolie touchante dans ses adieux
A Eisa. Qui donc disait qu'il n'y avait plus de ténors : en voici
un, el de tout premier ordre. — Vous avez encore présentes à la
mémoire 'es diverses Ortrudcs que nous avons eues à Bruxelles (la
dernière surtout), lançant à tort et- à travers des notes de la force
de plusieurs chevaux et étalant une indifférence totale pour le côté
humain et passionnel du rôle : d'où impression bassinante pour
le public, qui a fini par prendre Orlrude en grippe. — Ici, la Stau-
digl (la Brangaene de Bayreuth), a non seulement chanlé, mais sur-
tout joué en grande artiste, mettant en lumière le caractère hai-
neux, fourbe, astucieux de son personnage, el y apportant une telle
véritéd'attilude et d'expression qu'elle s'est vu acclamer par toute
la salle, en plejn deuxième acte, malgré la consigne wagnérienne.
Compris tel qu'il doit l'être, ce rôle d'Ortrude apparaît comme
le complément indispensable et la vigoureuse antithèse des douces
figures d'Eisa el de Lohengrin; en le laissant dans l'ombre, l'im-
pression triplyquante qui doit se dégager de l'œuvre disparaît :
c'est ce qu'a compris la Slaudigl.
El les chœurs, nous dircz-vous? — Là encore il semble que
l'on se trouve en présence de gens qui ne considèrent pas la
musique comme une corvée, mais y mettent de leur sentiment
personnel ; l'arrivée de Lohengrin et les chœurs du deuxième acte
ont été enlevés en perfection, nolammcnlpar les premiers dessus.
L'influence des Meininger se retrouve ici aussi, et l'on éprouve
un vrai plaisir b voir l'intelligent groupement des choristes et
leurs attitudes variées, naturelles, concordant avec les scènes dont
ils sont les spectateurs, au lieu du rang d'oignons en si grand
honneur à Bruxelles. Les décors et les cosiumes sont ordinaires,
mais comme jeux de scène nous tenons à noter un lever de soleil
d^ne lumière intelligemment colorée et graduée, et une entrée
du Roi d'un grand effet : les divers groupes de seigneurs arrivant
au dernier tableau sont précédés chacun de quaire trompettes, de
telle façon que la troisième reprise de la marche est claironnée
en scène par seize instrumentistes saluant le Roi de leurs fanfares
auxquelles viennent s'ajouter les acclamations des chevaliers don-
nant de brirj'ants coups de plats d'épée sur leur sculum orné de
l'umbo traditionnel.
Nous nous faisions une fête de retrouver, dans la Walkiire, la
voix jeune el fraîche du ténor Rothmùhl ; quelle n'a pas élé notre
déconvenue en entendant Siegmund chanté par Herr Sylva ! La
voix et la façon de phraser de notre compatriote n'ont guère
changé depuis "sa dernière apparition à Bruxelles; ce sont toujours
ces mêmes notes bary tonnantes, épaisses, lourdes, qui ont pris
l'Iiabiludc des cffèls d'éclal et ne peuvent s'assouplir suffisam-
inenl; il y a loin du « Rtn du ciel... » du Prophète îi V Hymne
du Printemps de la Walkiire : ausi^i, malgré la jolie voix el la
juvénile ardeur de M""^ Piersou, le duo d'amour nous a-l-il pro-
duit une médiocre impression, Sieglinde ayant l'air de clianter
avec ronclc de Siegmund!... ■
Le reslc de la soirée a effacé la pénible impression du début,
grâce à la Suclier lançant son Hojotnjo] en fanfare joyeuse, chan-
tant sa scène avec Siegmund en y menant un sl^le et une largeur
de déclamai ion remarquables, el se montrant absolument tou-
clinnle dans ses supplications à VVoian au troisième cctc. La
seule chose qui a fait défaui, par moments, c'est le volume de la
voix, et par suite, quelques phrases, notamment les exhortations
\i Sieglinde, n'ont pas eu l'ampleur et la fébrilité que lui commu-
niquaient la grande et incomparable Maierna. La puissance n'est
pas non plus la qualité dominante du baryton Krolop. Mais si sa
scène de fureur du troisième acte n'a pas eu toute la vigueur
voulue, les phrases de tendresse de Woian pour Briinhildc
ont été dites par lui en excellent chanteur, et il a trouvé des
accents justes et convaincus dans sa dispute conjugale, où
la Staudigl, dans Tricka, a remporté un succès équivalent à
celui d'Ortrudç.
Ce qui nou» a causé une vraie surprise, c'est \z groupe des
W'alkyrics ; la direction a réuni là ses meilleures chanteuses dont
les voix jeunes et habiles ont la chevauchée clamé avec une sûreté
d'attaque et un éclat merveilleux. Quant à l'orchestre, nous ne
pouvons que répéter les éloges que nous en avons faits dans
Lohengrin ; ici nous avons apprécié, à un plus haut degré encore,
l'ensemble des instruments de cuivre d'un moelleux et d'un fondu
étonnants, et l'impeccabilité du quatuor.
Diinsla Walkiire encore, rien de supérieur, dans les costumes
et les décors, à ceux du iliéâtre de la Monnaie; nous dirons
même, à la louange de M. Lapissida, que son incendie était bien
plus grandiose el effrayant que celui de Berlin. Au premier acte
notons seulement un éclaira^'C bien plus logique : au moment de
la chanson du printemps, la porte s'ouvre lentement el les rayons
de la lune viennent éclairer la hutte de Hunding, tandis qu'à
Bruxelles on a recours à un grossier troc de féerie -en faisant
tomber brusquement, on ne sait pourquoi, une grande draperie
qui découvre le paysage piqué de fleurs en clinquant (!) et éclairé
en pleine nuit {!!) par un ardent soleil.
Espérons qu'à la prochaine reprise de la Walkiire à la
Monnaie le régisseur voudra bien corriger ce choquant détail de
mise en scène.
En résumé, et sans vouloir le moins du monde dénigrer les
directeurs et les artistes qui se sont succédés au théâtre de la
.Monnaie, nous trouvons que les représentations que l'on y donne
laissent percer, de ci de là, des traces d'entceprise commerciale
tandis qu'à Berlin, le souci de fa^e de l'an est patent ; on nous
objectera sans doute qu'à Bruxelles le principe même de l'orga-
nisation de l'opéra doit amener fatalement les directeurs à se
montrer commerçants, plus souvcfit qu'ils ne voudraient et cela
de crainte de la fuillite que des subsides iasuffisants rendent tou-
jours menaçante, tandis qu'un intendant royal gère l'Opéra de
Berlin et sans autre souci que celui de représenter les œuvres
musicales dans les conditions les plus parfaites posibles. Quoi
qu'il en soit, nous pensons que, personnellemeut, les chanteurs
et plus encore les instrumentistes sont, en Allemagne, plus
artistes, plus sincèrement amoureux de la musique qu'en Bel-
gique ou en France; c'est l'impression finale que nous ont pro-
duite les soirées que nous venons de passer à l'Opéra de Berlin.
Cette passion vraie, sans pose, se retrouve aussi dans le public
qui va, ici, à l'Opéra, non pour se montrer, jacasser, et déranger
les voisins erLarmaiil trop tard et en parlant trop tôt comme le
font les abonnés, peu i;pusiciens au fond, du théâtre de la Monnaie,
mais bien pour écouler une œuvre sans en perdre une noie; aussi
la salle esi-ellc comble quand le Kapellmeister monte au pupitre,
el un coup de timbre est le signal d'un silence profond qui s'éta-
blit aussitôt et que les spectateurs observcnl religieusement pen-
dant les actes. Disons enfin, que les dames, d'après le règlement,
doivent déposer leurs' chapeaux au vestiaire, el émettons le vœu
que pareille mesure soit bientôt édictée par notre aimable échevin
des Beaux-Arls.
f0NC0UF(? DU -PON^ERVATOIRE
(1)
Déclamation (hommes) : professeur, M. Monrosk. — i" prix,
MM. Binard et Saye; 2« prix, M. Rosseels.
Déclamation (jeunes filles) : professeur, M"« J. Tordeus. —
1" prix (avec la plus grande distinction), M"« Parys; 1"" prix,
Mi'« Jenny Guilleaume; 2« pri^. M"" De Haen el A. Guilleaume.
Harmonie théorique {hms-c]os) : professeur, M. G. Huberti. —
l*"" prix (avec distinction), MM. Biarenl el Marchand; l*' prix,
MM. Van Overeem et Lambiolte,M"" Fichefel, von Slosch ; 2" prix
(avec distinction). M""!* Spierkél et Massun; 1" accessit, M. Ste-
vens; 2« accessit, M"« Pardon, MM. Kuipers el Baize, et M»" Pi-
sart.
Harmonie écrite (huis-clos) : professeur, M. Joseph Dupont.
— l" prix (avec distinction), M"« R. Hoffmann ; rappel (avec dis-
tinction) du 2eprix,M"eSmit; 2« prix (avec distinction), MM.Kips
et Thiébaut; 2« prix, M»« Dupont; l" accessit, MM. Van Oosl el
Byl ; 2"* accessit, M. Gorlebeek.
Harmonie pratique (huis-clos) : professeur, M. Edouard
Samuel. — l" prix (avec la plus grande distinction). M"" R. Hoff-
mann ; 1" prix (avec distinction), Mi'«Docquier; i^' prix, MM.Dc-
neufbourg et Jonas; rappel (avec distinction) du 2«prix, MM. Gor-
lebeek et Bvl.
Mémento des Expositions
Bruxelles. — Salon triennal, io septembre-15 novembre.
Délai d'envoi : H août. (Gratuité de transport, aller et retour,
sur le territoire belge, pour les œuvres expédiées par chemin
de fer, grande vitesse, tarif n" 2). Renseignements : Commission
directrice de l'Exposition générale des Beaux-Arts, Bruxelles.
(Secrétaire : M. Stiénon).
Dresde. — Exposition du Cercle artistique : aquarelles,
pastels, dessins et eaUx-fories, sous le protectorat du roi de
Saxe. Les invitations et prospectus seront envoyés proch!?fnement.
Fontainebleau. — A" exposition annuelle, i" aoûl-30 sepiem-
bre. Délai d'envoi expiré. — Renseignements : M. Weber,
secrétaire général. Grande Rue, Fontainebleau.
Le Havre. — 1" août-30 septembre. Délai de dépôt, ruç de
Gaillon 16. — Délai d'envoi expiré.
Milan. — Exposition triennale des Boaux-Arls.^ l*''"-30 juin
1891. — Trois prix de 4,000 francs chacun, fo^ndés par le
roi Humbcrl, décernés à la peinture et à la sculpture. Trois prix de
(1) Suite et fin. Voir nos numéros dos 29 juin, 0 ot 13 juillet.
♦ .
gt-^s=l.
]
4,000 francs chacun, fontlt-s par Saverio Fumagalli, décernés à la
sculpture, b la peinture religieuse, historique ou de genre. Un
prix de 4,000 francs, fondé par Antonio G^avâzzi, décerné à la pein-
ture historique. Médailles et diplômes. — Les demandes d'admis
sion devront être adressées au président, M. Emile Visconli-,
Venosta, à l'Académie des Beaux- Arts de Milan.
Paris. — Quatrième exposition internationale de Blanc et Noir
(pavillon de la ville de Paris). Dessins au crayon, à la plume, au
lavis, sanguines, fusains, gravures au burin, eau.\-forles, gravures
sur bois, lithographies, etc. — 1" oclobre-30 novembre 1890. —
Envois : i-5 septembre. — Renseignements : M. E. Bernard,
directeur, 71, rue de la Condamine, Paris.'
Reims. — Exposition des Amis des Arts.4octobre-i7 novembre.
Délai d'envoi : 10 septembre. — Renseignements : Secrétaire
de la Société des Amis des Ans, Reims.
-pETITE CH^ROJ^IQUJE
Quelques nouvelles des anciens artistes du théâtre de la Mon-
naie : • ■ '
M. Seguin a traité avec le directeur du théâtre de Bordeaux,
qui a fait à rexcellenl artiste un engagement superbe.
On montera, spécialement pour M. Seguin : Siguj'd et la Statue
de Reyer, le Roi de Lahore, Hérodiade et le Cid de Massenel.
M""* Marguerite Martini vient de traiter à de très belles condi-
tions avec l'Opéra Français de la Nouvelle-Orléans en qualité de
falcon.^
M. Renaud fera ses débuis, en septembre, à l'Opéra-Comique,
dans le rôle de Karnac, du Roi d'Ys.
M"« Samé débutera, à la rentrée, au théâtre de la Gaieté, dans
la Fée aux Chèvres, pièce à grand spectacle de MM. P. Fcrrier et
Van Loo, musique de L. Varney.
La nouvelle de l'engagement, à l'Opéra, de M"'* Deschamps-
Jehin est prématurée, le contrat de cette artiste avec l'Opéra-
Comique n'expirant que dans un an.
A l'occasion du X.W" anniversaire de l'ovènement au trône de
S. M. le Roi et du LX« anniversaire de l'Indépendance nationale
la Société d'archéologie de Bruxelles tiendra line assemblée géné-
rale extraordinaire le 27 juillet, à 10 1/2 heures, dans la Salle des
. Mariages, h l'hôtel de ville de Bruxelles.
Voici l'ordre du jour de cette séance :
l» Vote d'une adresse à S. M. le Roi ;
2" La protection des monuments historiques et dos objets d'art
ancien eu Belgique. *
3» Conférence par M. Alphonse Gossci, architecte à Reims
(France) sur les coupoles d'Orient et d'Occident.
Rappelons en outre que, samedi 26 courant, à 2 1/2 heures, la
Société viisiiera, au Parc du Cinquantenaire, les nouveaux musées
royaux d'art ancien, d'art monumcnlal, etc., sous la conduite de
MM. Désirée, conservateur adjoint du Musée et conseiller de lu
Société, et Vermeersch, secrétaire de la commission de surveil-
lance de ce Musée.
A l'Exposition du Cercle des Femmes peintres, les œuvres
ci-après ont trouvé amateur :
Fleurs, parC. Schouten; Dévotion, par \. Terlinden; Pensées,
par Mary Gasparoli ; trois pastels de A. Evans; le Départ {ùqua-
■ relie) de Fausline Keym; une miniature de M""* Donnct-Puraye;
trois terres cuites de M. Terlinden.
Un auteur dramatique qui a fait jouer plus de cinquante vau-
devilles et comédies, dont plusieurs ont obtenu beaucoup de suc-
cès, M. Victor Bernard, vient de mourir à Paris.
Parmi les pièces les plus connues de Victor Bernard, générale-
ment faites en collaboration, citons : Madameest couchée,' On
demande des ingénues, le Gendre du^ Colonel, le Baptême du petit
Oscar, le Moulin du Vert-Galant, les Vitriers, la Couronne
nuptiale, le Petit Ludovic, etc.
Victor Bernard a été substitut du procureur impérial. Il mani-
festa peu de goût pour les choses judiciaires et entra au ministère
de l'intérieur, où il arriva au grade de sous-chef.
Il est probable que le théâtre de l'Odéon, montera, l'hiver pro-
chain, une comédie ^e Molbeck, un des poètes les plus char-
mants et les plus virils à la fois du Danemark, mort il y a juste
un an. Titre : Ambrosius.
Cette comédie, représentée sur le Théâtre-Royal de Copen-
hague, a obtenu un succès considérable. Les théâtres allemands
en ont une traduction du professeur Slradlmann. L'adaptation
française a été faite par une dame qui gardera l'anonyme et par
M. Morgère, secrétaire de l'ambassade de France, à Copenhague.
Voici la liste complète des acquisitions faites par J'Etal français
à l'Exposition du Champ-de-Mars :
Peinture.
René Billotle. La Neige à la porte d'Asnières. — Victor Binet.
Le Soir. — John-Lewis Brown. Before the start. — Carolus
Duran. Lilia. — Dauphin. Un coin du vieux Toulon. —
M"* C. Dcsliens. Au printemps. — Girardot. Terrasse à Tanger.
— G. LaTouchû. Les Phlox. — L.-A. Lepère. A prè^ forage; le
Vieux bachot. — Mesdag. Avant forage. — Armand Point. La
Joie des choses. — Schuller. Soleil; Fin d'été. — Skredsvig. Villa
Baciocchi; Jour d'hiver près d'Ajacci'o. — Zakarian. Prunes et
verre de vin. — r Prinet. Lé Petit quadrille (pastel). — Henri
Saintin. Soir d'him^r. — A. Harrison. Paysage, rivière. — Jean-
niol. Vieux ménage. — Parrot-Lecomte. Un coin de f atelier rf«
M. Ch. Meissonier.
^
Sculpture.
C. Lefèvre. Dans la n/^ (groupe plâtre). — C. Meunier. Mar-
teleur (figurine bronze). — C. Meunier. Débardeur du port
(Anvers) (figurine bronze). — Michel-Malherbe. La dernière ^
Nimphe (plâtre). — Rodin. Danaé (marbre). — E. S. Varnier.
Conférence internationale ouvrière à Berlin; Délégation fran-
çaise (plaquette plâtre).
Le monument de Flaubert, par M. Chapu, qui figurait au
Salon de 1889, vient d'être expédié à Rouen, où il sera inauguré
ou octobre prochain.
La veuve de Richard Wagner est à la veille de quitter Bayreuili
pour Londres où elle se propose d'établir sa résidence perma-
nente.
Les journaux turfs signalent la récente découverte faite à Troie
des ruines d'un théâtre, construit en forme d'hémicycle et pou-
vant contenir environ deux cents spectateurs. Des inscriptions
nrocques font remonter cette construction à l'époque de l'empe-
reur Tibère. Les dalles et les gradins sont en marbre. Les fouilles
ont amené au jour deux belles statues de femmes, également en
marbre.
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Ce livre, dans lequel l'auteur a cherché à remplacer l'étude pure-
ment tBêDriquj^et abstraite de l'harmonie par des exercices pratiques
de composition libre, fut accueilli, dès sou apparition, par une
faveur marquée. La présente traduction mettra le public français à
même d'apprécier un des ouvrages d'enseignement musical les plus
estimés en Allemagne.
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DE FEU. — Mort m-: M. Vincent Van Gogh. — Confiance en soi-
même. Traduction inédite- de l'cinglais d'Emn-son , par une
inconnue. — Bibliographie, l'n libre poiseur au XVI'' siècle:
Ér;t.sme. — Wagner a Paris. — La Belgique jugée par Baude-
LAiRE. — Chronique judiciaire des arts. Voite d'éditions musi-
cales prohibées en Belgique. — I'etite chroniqiie.
SUPPLIQUE
A Monsieur VANDEN PEEREBOOM
Ministre des Chemins de Fer.
' Sans nulle intention, Monsieur le Ministre, de vous
adresser des zwanzeries, ce qui doit être votre impres-
sion première, vu l'imbécile injustice de vos conci-
toyens, quand, dans un journal, vous voyez votre nom.
Si, dans VArt moderne du 27 de ce mois vous avez lu
ce que pensait Baudelaire de ces concitoyens et de leur
journalisme et de leur zwanze et de leurs plaisanteries
excrémentielles, comme il dit, vous aurez recueilli de
quoi renforcer votre coutumière impassibilité.
Nous voulons vous entretenir d'un olyet fort opportun
en ces jours de vacances commencées : les gares, les
gares champêtres surtout, dont la presque totalité sont,
en Belgique, abominablement moroses, et qui pourraient
aisément devenir^^^antes.
Certes, sous yiitre^administration, il a été fait effort
pour réaliser mieuxrons les bâtiments des gares que la
lugubre, monotone et économique maison de jadis, aussi
platement bête que les maisons d'école. Ah ! que d'occa-
sions perdues d'embellir le village par des constructions
pittoresques ! Grâce à vous, de ci de là on échappe à la
vue navrante de la triste casernette qui abrite nos chefs
de station. Mais sans démolir ces glaciales horreurs,
vous pourriez, pour l'été au moins, pour les mois de
vacances, ceux où l'on regarde beaucoup au dehors, les
cervelles étant vides d'affaires, obtenir des effets qui
étonneraient nos yeux et vous feraient honneur.
La Compagnie du Nord donne l'exemple à cet égard.
De Namur à Dinant , de Dinant à Heer-Agimont, à
chaque étape, les petites gares sont transformées en
jardins charmants, éblouissants de fleurs ; sur les murs,
sur les palissades grimpent la vigne vierge, la glycine,
l'aristoloche, la capucine, la clématite. La maisonnette
de Waulsort est le chef-d'œuvre de ce rustique jardi-
nage, qui donne envie de descendre, qui fait rêver d'un
coin de pays enchanteur, qui console des fumées suf-
focantes, dés poussières aff'reuses, des trépidations mal-
saines, des coups de sifflet déchirants et des voisinages
agaçants, quintette d'ennuis et de douleurs qui symbo-
lisent ce mode de voyager perfectionné inventé par
notre civilisation : le chemin de fer !
On dit que cette ornementation florale a été obtenue
des chefs de station, grâce à une prime modeste qu'on
attribue tous les ans à celui qui la réussit le mieux.
Une sorte de concours auquel aident assurément les
compliments que nombre de touristes font à l'auteur en
attendant le train. Car le public n'est pas insensible à
l'air de fête qu'il trouve en ces lieux d'arrivée ou de
départ fertiles d'ordinaire en impressions maussades ou
mélancoliques.
Si ce système de prime existe, il faudrait l'imiter. S'il
n'existe pas, il faudrait l'appliquer. N'est-il pas déplo-
rable de voir succéder aux campagnes dont le pano-
rama se déroule pendant l'avancée du train, les saletés
accumulées dès qu'on approche des gares? Les vieux
wagons sordides utilisés comme aubettes, les amoncel-
lements de cendres, les hangars lépreux, et surtout les
noires, loifrdes, affligeantes palissades des billes hors de
service? Allons! Des fleurs sur tout cela, des penderies
sarmenteuses de lianes, de la verdure, des couleurs, des
broderies végétales.
Et aussi, quand on le pourra, chaque fois qu'on le
pourra, des tons variés, à la hollandaise, des verts, des
rouges, des bruns, des jaunes ; des châssis se détachant
en vif, des encadrements, du peinturlurage, tout ce qui
égaie et rend propret ; plus rien "de l'horrible style dit
administratifs qui pue la mort, la prison, l'hôpital.
Des chalets, des maisons flamandes, des exemplaires dé
tous les genres, appropriés aux sites, une succession de
jolies bâtisses corrigeant l'âpreté du barbare voyage
dans la poussière, la fumée, les cahots, le vacarme et
les voisins.
Et ce vacarme! Ce tintamarre effroyable des entrées
en gare. Ces sifflements d'épouvante et de désespoir,
que les machines furieuses poussent comme si des cata-
strophes allaient fondre sur les infortunés voyageurs
qui garnissent les quais? Vraiment, ne peut-on lea sup-
primer, les adoucir ou y substituer quelque mode
d'avertissement moins terrifiant? A l'étranger cela
n'existe guère. Un train arrive sans ces démonstrations
retentissantes, et s'en va de même. On n'y gaspille pas
ainsi le bruit. Les passagers ner\'eux ne sont pas expo-
sés à des syncopes. Ceux qui sont péniblement parvenus
à s'endormir, ne sont pas réveillés par c€s cauchemar-
dantes explosions d'inutile tintamarre. Les règlements
y sont plus humains. Il faudrait étudier cette question
par comparaison avec les administrations où plus de
retenue et de décence sont pratiquées.
L'industrie, Monsieur le Ministre, ne s'est préoccupée
jusqu'ici que de réaliser promptement ses conquêtes. Ce
qui touche à l'ornement et à l'art, elle l'a brutalement
dédaigné. Y a-t-il beaucoup de choses plus désolantes
qu'un district de fabriques? N*a-t-il pas l'aspect de là
dévastation, de la ruine, de la misère, du bagne? Vos
stations de chemins de fer, et tout ce qui fonctionne
pour les chemins de fer, n'a-t-il pas ces mêmes appa-
rences grossières et sordides? Tout n'y est-il pas laid et
triste? Et, d'autre part, maintenant qu'il y a un acquis
si considérable, ne convient-il pas de songer à désaf-
fliger tout cela par quelque préoccupation d'ornement
et d'art? N'objectez pas la dépense : le bon goût a cette
aptitude de faire charmant avec le même prix, ce que le
mauvais goût gâche outrageusement. Vos wagons, en
dedans et en dehors, ^ont hideux, les uniformes de vos
employés sont nauséeux, tout est à reprendre, tout est
à améliorer. Consultez sur ceci non plus la routine des
bureaux, mais quelques artistes. Provoquez des pro-
jets : il en surgira d'heureux. C'est important, on vous
l'assure, que d'avoir des chemins de fer d'élégante tenue ;
en nulle autre chose un pays n'est plus fréquenaraent
jugé, n'est plus fréquemment regardé. Là sont, en efl'et,
désormais les grandes routes où tout passe.
Récemment, on nous disait que la gare d'Herbesthal
avait été singulièrement agrandie et embellie sur les
ordres du jeune empereur d'Allemagne, et qu'il en était
de même de toutes les gares- frontières de son empire.
— « Je veux, aurait-il dit, que tout étranger arrivant
chez nous, ait l'impression d'un changement en notre
honneur; je veux que tout Allemand rentrant chez lui,
ait l'impression que sa patrie est la plus belle ». — ^. C'est
très profond et très salutaire, très humain et très artis-
tique. Ce n'est assurément pas le voyageur qui entre en
Belgique par l'abominable lazaret de Quévy, qui ressen-
tira quelque impression réjouissante ou quelque orgueil
national.
Vous pouvez beaucoup, Monsieur le Ministre, car
vous êtes à la fois de haute intelligence et d'adroite éco-
nomie. Vous avez aussi la suprême qualité d'un gouver-
nant énerçique : l'opiniâtreté. Votre administration de
nos chemins de fer a été admirable, quoiqu'en disent
les zwanzeurs imbéciles. Il y manque un peu d'art pour
qu'aux sufl'rages des hommes d'affaires se joignent ceux
des artistes, groupe que nul ne dédaigna jamais impu-
nément, car on y pense juste et haut. Il y a chez vous
du sentiment artiste, puisque vous êtes amateur de
beaux livres et de reliures raffinées. Voyez si, dans les
pensées sommairement exprimées ci-dessus, il n'y aurait
pas pour vous une application plus large et plus sociale
de ces aptitudes. Dans les efforts que vous tenterez à ce
point de vue, vous rencontrerez peut-être les gouaille-
ries de cette fille publique : la zwanze, mais vous aurez
le très cordial appui de ceux qui aiment le goût en
toutes choses et qui aiment assez notre Belgique pour
la souhaiter aussi bien que possible; car ils sont. d'avis
que c'est un très beau pays, quoique assez mal habité.
LART MODERNE
243
MORT DE M. VINCENT VAN GOGH
Vous éles prié d'assisler aux Convoi, Service cl Inhumalion de
Monsieur Vincent VAN GOGH
ARTISTE-PEINTRE ,
Décédé en son domicile, à Auvers-sur-Oise, le Mardi 29 Juillet \ 890,
dans sa 37* année ; qui so feront le Mercredi 30 Juillet, à
2 1/2 heures précises.
On se réunira, 2, place de la Mairie, b Auvers-sur-Oiso.
DE PROFUNDIS.
Celle lettre navrante, nous venons do la recevoir, et immédiate-
ment lout le passé d'art de ce jeune grand peintre nous traverse,
en éclairs, l'esprit. Depuis les cinq ans que nous avions rencontré
quelques-unes de ses oeuvres, chez les petits marchands modestes
des rues Chauzal et Blanche, nous suivions ses coups de pinceau
à chaque exposition des Indépendants. Kt toujours sa couleur
violente, broyée de lumière et de force, triomphait. Dans la
mêlée des toiles, les siennes étaient comme des porte-drapeaux.
On les voyait de loin crier leur audace de tons. C'étaient des exci-
tations aux révoltes, des folies rouges de guerre. On eût dit qu'en
des pâtes embrasées, le peintre dessinait ses sujets avec des burins
implacables. Toute l'exaspération de l'art actuel s'y prouvait.
Ce n'était pas la réalité qui le tentait, c'était la vision incendiée
des choses. Quand il titrait ses envois : la Vigne rouge, il pei-
gnait le vin enflammant un cerveau ; quand il titrait : le Lierre,
on avait la sensation d'une force myriadairetie verdure qui mon-
tait du sol vers les arbres pour étouffer toute une forêt.
Au dernier Salon des Indépendants, des paysages cosmiques
où les forces de la terre conflagraienl, indiquaient une nouvelle
voie ouverte — que la mort, lout à coup, ferme.
CONFIANCE EN SOI-MÊME
TRADUCTION INÉDITE DE l'aNGLAIS d'EmERSON
par une Inconnue (1).
J'ai lu l'autre jour des vers, écrits par un grand peintre; ils
étaient pleins d'originalité et n'avaient rien de conventionnel. Des
lignes écrites de ce ton contiennent toujours un avertissement
pour l'âme, quel qu'en soit le sujet. Le sentiment qu'elles inspi-
rent a plus de valeur que la pensée qu'elles peuvent contenir.
Croire en notre propre pensée, croire que ce qui est vrai pour
nous au fond de notre cœur, est vrai pour tous, voilà le génie.
Dites voire conviction secrète, et elle deviendra l'opinion univer-
selle; — car le temps transforme les choses intérieures et les rend
extérieures, — et notre première pensée nous est renvoyée par
les trompettes du ju{;ement %rnier. Quelque familière que puisse
être pour chacun de nous la voix de l'esprit, le plus grand mérite
que nous accordions à Moïse, à Platon, à Milton, c'est qu'ils
réduisant à néant les livres et les traditions, et nous parlent, non
de ce que les hommes pensaient de leur temps, mais de ce
(1) Voici de fortes et salutaires pensées sur l'Originalité, cette
substance suprême de l'art véritable. Vue Inconnue nous les adresse.
Merci au nom de VArt moderne. C'est Elle qui écrivit larticle sur
Emerson publié dans rArt moderne, i890, p. 317.
qu'eux-mêmes pensaient. L'homme devrait apprendre à recher-
cher et à étudier ce rayon de lumière qui, parlant du plus profond
de son être, traverse son esprit, et devrait être préféré à la lueur
de tout un firmament de bardes et de sages.
Au lieu de cela, il renonce à sa pensée et la dédaigne, parce
qu'elle est à lui. Dans chaque œuvre de génie, nous roirouvons
nos, propres pensées que nous avions méprisées; elles nous
revieniienl avec une majeité étrangère. Les grandes œuvres
d'art n'ont pas dé leçon plus impressionnante que celle-là. Elles
nous apprennent k respecter, à garder avec une inflexibilité de
bonnc^iumeur, nos impressions spontanées, surtout quand la
clameur des voix leur est opposée. Sans cela, demain, un
étranger dira avec l'autorité du bon sens ce que nous avons tou-
jours pensé et senti, et nour? serons obligés de recevoir honteu-
sement notre propre opinion des mains d'un autre.
Il y a dans l'éducation de tout homme une époque où il arrive
à la conviction que l'envie est de l'ignorance, que l'imitation est
un suicide, qu'il doit s^ prendre tel. qu'il est, bon ou mauvais;
que, bien que ce vaste univers soit rempli de bonnes choses,
aucune semence de blé ne peut, germer pour lui et le nourrir si
ce n'est par le labeur qu'il répand sur l'espace qu'il lui est donné
de cultiver. Le pouvoir qui réside en lui est nouveau dans la
nature ; nul autre que lui ne sait ce qu'il peut en faire, et lui ne le
sait qu'après l'avoir essayé. Ce n'est pas pour rien qu'une figure,
un caractère, un fuit l'impressionnent vivement, tandis que d'autres
le laissent indifférent. La mémoire qui choisit et sculpte ces sou-
venirs n'est pas sans une harmonie préétablie. L'œil a été placé
là où un certain rayon pouvait tomber, afin qu'il puisse renvoyer
ce rayon.
Nous ne nous exprimons presque jamais qu'à moitié. On dirait
que nous sommes honteux de cette idée divine que chacun de
nous représente. On peut, cependant, s'y fier avec sûreté, comme
à une chose proportionnée à nos forces et promettant un succès,
pourvu qu'elle soit fidèlement interprétée. Mais Dieu ne veut pas
que son œuvre soit faite par des lâches. Un homme se sent sou-
lagé et content quand il a mis tout son cœur dans son œuvre et
qu'il a fait de son mieux. Mais, ce qu'il a dit et fait autrement, ne
lui procure aucune paix. C'est une délivrance qui ne délivre pas.
Dans l'effort qu'il doit faire, son génie l'abandonne, aucune muse,
aucune invention, aucun espoir ne l'aide.
Crois en toi-même : chaque cœur vibre à cette corde de fer.
Accepte la place que la Providence a trouvée pour toi, la société
de les contemporains, l'enchaînement ^s événements. l,es grands
hommes l'ont toujours fait, se confiam comme des enfants au
génie de leur époque, trahissant dans leurs œuvres cette grande
perception : que cette chose, digne d'une confiance absolue, celle
nnssion, pénétrait leur cœur, travaillait par leurs mains, domi-
nait tout leur être. Nous sommes aussi des hommes, cl nous
devons accepter, dans le sens le plus élevé, celte même sublime
destinée; nous ne sommes pas des mineurs ni des invalides abri-
lés dans un coin protégé, ni des lâches fuyant devant une révolu-
lion, mais des guides, des sauveurs, des bienfaiteurs obéissant
à l'effort tout-puissant et marchant en avant dans le chaos cl
l'obscurité.
Quels jolis oracles la nature rend à ce sujet par la physionomie
des enfants, par leurs manières, par celles des brutes elles-mêmes.
Eux n'ont pas cet esprit hésitant, divisé et rebelle, celle méfiance
d'un sentiment dont nos calcul^ ont supputé le fort et le^faible.
Leur esprit étant entier, leur œil est encore indompté, et nous
^^
r^
244
VART MODERNE
déconcerte. L'enfance ne se conforme à personne, loul le monde
se conforme à elle, à lel point qu'un bébé se joue ordinairement
des quatre ou cinq grandes personnes qui s'amusent et badinent
avec lui. Dieu a armé la jeunesse, l'adolescence et l'Age mûr do
tout autant de charmes et d'atiraits; il les a rendus enviables,
gracieux, il leur a donné des droits indéniables, pourvu qu'ils
gardent bien leur caractère propre. Ne croyez pas qbe ce jeune
homme n'a pas de force parce qu'il ne peut résister i)i à vous lii
à moi. Ecoulez sa voix dans la chambre voisine, elle eBt suffisam-
ment claire et accentuée. Il sait parler à ses contemporains. Qu'il
soit timide ou hardi, sa jeunesse fera de nous « des vTeux >> avant
que. nous ne le désirions. La nonchalance des gamins qui sont
sûrs d'un dîner et dédaignent souverainement de dire ou faire
quoi que ce soit pour se concilier quelqu'un, est une des saines
attitudes de la nature humaine. Un gamin est dans un salon ce
qu'un croupier est dans une salle de jeu : indépendant, irrespon-
sable, regardant de son coin tous les gens qui passent, les jugeant,
prononçant leur sentence suivant leur mérite et les qualifiant,
suivant la coutume vive et sommaire des gamins, de bons, mau-
vais, intéressants, sots, ennuyeux. Ni son intérêt, ni les consé-
quences de ses paroles ne le gênent, il rend un verdict indépen-
dant et sincère. A vous de lui faire la cour; il ne vous la fera pas.
Tandis que l'homme, lui, est pour ainsi dire emprisonné par son
expérience. Aussitôt qu'il a parlé ou agi avec quelque éclat, il s'est
commis; il est surveillé par la haine ou la sympathie de plusieurs
centaines d'hommes dont les appréciations et les affections entre-
ront en ligne de compte.
Plus de Léthé pour remédier à cela. Celui qui peut éviter de
se commettre et qui, ayant déjà observé, observe encore, du
haut de cette même innocence naturelle, droite, incorruptible,
sans peur, doit être et sera toujours une personnalité formidable.
Il pourrait donner, sur les affaires courantes, une opinion qu'on
sentirait être l'opinion nécessaire, philosophique, si l'on veut, et
non une opinion simplement personnelle. Elle entrerait comme
un dard dans les oreilles des hommes.
Nous entendons ces voix dans la solitude, mais elles s'affai-
blissent et nous les entendons à peine quand nous rentrons dans
le monde. La société conspire partout contre la virilité de chacun
de ses membres. La société est comme une « société par
actions » dont les membres s'entendent, — pour le plus grand
bien de la masse — afin de sacrifier la liberté et l'excès d'éduca-
tion de chacun, La vertu qui y est le plus désirée est la con-
formité (1); on y prend en aversion ceux qui se fient à eux-
mêmes. Ce n'est pas les réalités, les créateurs qu'on aime \\ mais
les renommées et les coutumes.
Celui qui veut être un homme doit être un non-conformiste.
Celui qui veut acquérir des palmes immortelles ne doit pas être
arrêté par ce qu'on appelle le bien ; il doit s'enquérir si c'est véri-
tablement le bien. Rien n'est sacré que l'intégrité de votre propre
conscience. Si vous pouvez vous absoudre vous-même, vous
aurez le suffrage du monde.
Je me rappelle une réponse que j'ai faite tout jeune à un émi-
ncnt donneur de conseils, qui avait l'habitude de m'ennuyer avec
« les chères vieilles doctrines de l'Eglise ». Comme je lui disais
que je n'avais que faire de la sainteté des traditions, puisque je
vivais d'une vie toute inléri«ure, mon ami répondit : « Mais ces
A
(i) Quel étrange accord de pensée avec Baudelaire : voir notre
dernier numéro : N'être pas conforme, c'est le grand crime !
impulsions intérieures peuvent venir de l'enfer autant que du
ciel », Je répliquai : « Elles ne me semblent pas venir d'en bas;
mais si je suis l'enfant du diable, je vivrai par le diable ! » Aucune
loi ne peut m'êtrc sacrée que celle de mon être. Le bien, le mal
ne sont que des noms qu'on peut appliquer îi des choses très
différentes; ce'qui seul est pour moi le bien, la voie droite, est ce
qui est selon la constitution de mon être, de ma conscience; et le
mal, ce qui est contre. L'homme doit se conduire en face de
toute opposition, comme si tout, excepté lui, était éphémère,
comme si tout le reste n'était qu'apparence. — Je suis honteux
(le voir combien facikmenl nous capitulons devant des noms et
dos étiquettes, de grandes sociétés ou des institutions mortes-.
(.4 suivre). :
!PlBI.IOqF(^PHlE
Un libre penseur au XVI'' siècle. — Erasme, p/ir Emile
Amiei.. — Un vol. in-18 Jésus, de 452 p., Paris, Lemerre, 1889.
Erasme est l'un des promoteurs incontestés de la Renaissance.
Il a remis en honneur les lettres grecques et latines; il a porté h
la scolastique et à la théologie bêtes de son temps des coups dont
elles ne se sont pas relevées et, si sa gloire n'est pas plus popu-
l;iire, c'est qu'il n'a écrit que dans les langues mortes et
que son œuvre immense, enseveli dans des in-foUo accessibles
aux seuls savants, n'est plus guère connu que par ses parties les
plus légères : les Colloques, l'Eloge de la Folie, qui contien-
nent cependant en germe tous les principes au service desquels
il a consacré sa vie. C'est aussi que, dans un siècle de luttes
ardentes, où chacun recourait aux armes pour faire triompher ses
croyances et où la force brutale était partout invoquée comme
la suprême loi, il a été, au physique, un être souffreteux et
timide, craignant loul ce qui pouvait troubler son repos, et
louvoyant entre les partis pour ne pas se compromettre. « J'aime
la concorde, écrivait-il à un de ses amis, au point d'abandonner
une partie de la vérité plutôt que de me brouiller,.» Aussi fut-il
suspect à tous en un temps où H n'y avait plus de place pour les
compromis. Des hommes décidés h tout braver plutôt qu'à recu-
ler dans leur foi ne pouvaient tenir en haute estime un savant
timoré qui redoutait la lutte et craignait de mourir. Les proles-
tants lui ont reproché de changer à tout vent pour un morceau de
pain ; les catholiques ne l'ont pas ménagé davantage, et la Sor-
bonne a condamné solennellement ses écrits. Jusqu'à nos jours, il
est resté attaché à son nom comme un reproche de pusillanimité :
on l'a représenté comme le créateur du parti politique de l'habileté
et de l'intérêt, comme un opportuniste, uq doctrinaire, subor-
donnant ses principes à l'ulilité du moment et visant surtout à sa
tranquillité personnelle.
L'étude consciencieuse de M. Amiel a eu principalement pour
but de dissiper ces ombres. Sous certaines restrictions de forme,
que ne justifiaient que trop les troubles du temps, il a montré en
Erasme un véritable libre penseur, non peut:être comme on le
conçoit aujourd'hui, mais comme il était difficile et hardi de l'être
au xvi" siècle, faisant peu de cas du dogme au point d'abandon-
ner à la controverse la divinité même du Christ, et s'atlachant sur-
tout à la restauration, par les lettres, du pur esprit chrétien. De
là son indifférence pour des luttes qui né portaient en réalité que
sur des institutions de l'Eglise; de là aussi son effort conslant
pour dégager des écritures l'essence même de la morale, en
VART MODERN.
'ly
245
dehors de toute pratique et de toute forme consacrées. Il ne
croyait pas à l'efficacilé de ces bouleversements qui déplacent le
mal au lieu de le faire disparaître ; sa vie a été la lutte d'un scep-
ticisme avisé contre les deux partis extrêmes; il a rêvé le progrès
constant de l'humaniié par l'évolution, et à ce titre, que M. Amiel
s'est appliqué à faire ressortir, il doit être placé au rang dos
plus illustres ancêtres de la science moderne .
En le suivant pas à pas dans les péripéties de son existence
agitée, M. Amiel présente encore sous un autre aspect,
curieux pour nos lecteurs, cet ami de Holbein et de Durer, traver-
sant rilalie sans presque jeter un regard, ni sur ces grandes
ruines toutes remplies du passé, dont cependant il recherchait si
avidement les écrits, ni sur les monuments de la Renaissance au
temps même où Brunelleschi, Michel-Ange et Raphaël en étaient
les architectes et les décorateurs. « Les humanistes de la Renais-
sance, dit M. Amiel, s'occupent exclusivement de leurs éludes,
sont subjectifs, comme disent les Allemands, négligent la nature
et ce qui s'agite autour d'eux... Ils n'aimaient un pays qu'autant
qu'ils pouvaient y trouver des livres et des savants pour accroître
leurs connaissances et y puiser des sujets littéraires ».
Aussi leur œuvre a-l-elle quelque chose de glacé et d'immobile.
Pour puissante qu'elle soit, elle n'attire pas. Us ont retrouvé
la momie de l'antiquité, mais ils n'ont pas su lui rendre la vie,
la remettre dans l'air éthéré et dans la chaude lumière ; et cela
explique, mieux encore que les considérations que nous expri-
mions tout à l'heure, leur gloire de second plan, laissée dans la
pénombre par celle des purs artistes qui surent rendre ses formes
adorables et son sourire, à la déesse reconquise.
WAGNER A PARIS
Où allons-nous! où allons-nous!... Voici le plus parisiennarfl
des journaux parisiens, Gil Bios lui-même, qui, par la plume
de son spirituel rédacteur Emile Bergerat, demande tout simple-
ment... demande (faut-il .le dire?...) qu'on joue la Tétralogie à
l'Opéra. Et le Premier-Paris qu'il consacre à cette audacieuse con-
ception est impératif. Qu'on en juge :
Nous sommes en République, tout le proclame; mais il ne
me sera démontré que nous y sommes absolument, c'est-à-dire
comme on doit y êtrç quand on y est jusqu'au cou, que lorsque
l'on pourra, sans être hué, lapidé, taxé de prussianisme et dégradé
de la Légion d'honneur, publier dans un journal français la
simple et inoffensive vérité suivante : « L'Opéra ne peut être
sauvé que par le répertoire de Richard Wagjier •».
Jusqu'au jour où cette phrase, effrayante, je le sais, mais
libérale, sera imprimable et n'ameutera pas devant le journal qui
l'aura risquée au péril de ses presses, les patriotes d'élite de
notre Ville-Phare, nous serons en France, à qui le dites-vous!
mais nous ne serons pas en République.
Je vous prie d'ailleurs d'observer que cette vérité, terrible, mais
éclatante, éclate de plus en plus terriblement aux yeux de tous
les gens de bonne foi et fait sauter les lunettes des autres. Mais
on ne se sent pas, et voilà lout, assez en République pour oser
en proclamer l'honnête évidence. Comme pour lout le reste et
toujours, on attend que la théorie de la liberté se réconcilie avec
sa pratt(i[ue par l'iniervenlion d'une initiative individuelle.
Le monument de Charles Garnier, par son développement
gigantesque qu'aucun génie ne peuple, semble avoir été fatidi-
quement conçu pour la manifestation de ces vastes poèmes
héroïques où chantent les légendes, originaire»' d'une race, do
laquelle, entre parenthèses, les Welches sont issus. Sous peine
de vide sonore, il faut un culle à ce temple de l'harmonie
moderne, dont l'optique • ne se prêle qu'à des évocalicins
d'êtres et de choses plus grands que nature et dont l'acoustique
appelle des voix surhumaines. Ce n'est la faute de personne,
pas même de l'architecte, si ce Richard Wagner est l'unique
maître de son art qui ail taillé des personnages de mesure pour
notre nouveau dôme musical, et si Gluck lui-même s'y étriqué, si
"Weber s'y recroqueville et si le seul gros mélodrame des Hugue-
nots l'empli! à peu près de ses tumultes. Il est donc matérielle-
ment évident que le salùl cje l'Opéra est dans la tétralogie, et non
ailleurs. Mais oser le dire, c'est courir au massacre, d'aulanl plus,
encore une fois, que toul le monde le pense cl s'enrage de le
penser.
La situation est donc celle-ci : On demande à la direction de
l'Académie nationale dé musique un fou qur veuille bien s'y casser
les reins, sans garantie du gouvernement, en moulant celte tétra-
logie salutaire, afin de prouver qu'il ne se les serait point cassés
si on l'avait voulu et de convaincre le public, par sa perle même,
de l'impossibilité où l'on est de s'en tirer autrement et mieux que
lui ! Quel problème ! La pratique de la liberté en France n'en
propose pas d'autre, et, parmi les insolubles, celui-ci est le moins
chinois. Où est ce directeur? Bouc, qui dois porter la bêtise
immense d'Israël, montre-loi ! Qui veut payer de sa tête héroïque
la réconciliation du peuple français avec la logique?
La République cherche cet homme, mais elle le cherche avec
une lanterne sourde, et elle a peur de le trouver. Voilà, belle
Emilie! •
La Belgique jugée par Baudelaire.
Pour compléter l'article publié, dimanche passé, par VArt
moderne : la Belgique jugée par Baudelaire, il nous a paru inté-
ressant de reproduire trois quatrains que composa Baudelaire
pendant son séjour en Belgique ei qui se rapportent pariicalière-
meni au paragraphe 4 : les Femmes et ï Amour. Nous lés
extrayons du Nouveau Parnasse satyrique (1864).
Les voici :
VENl'S BELGA
EN FAISANT l'ascension DE LA rue Montagne de la Cour,
A Bruxelles.
Ces mollets sur ces pieds montas,
^^ Qui vont sous ces cottes peu blanches.
Ressemblent à des troncs plantés
Dans des planches.
Les seins des moindres femmelettes
Ici pèsent plusieurs quintaux,
Et leurs membres sont des poteaux
Qui dounent le goût des squelettes.
Il ne me sufifit pas qu'un sein soit gros et doux ;
Il le faut un peu ferme, — ou je tourne casaque!
Car, sacré nom de Dieu ! je ne suis pas cosaque,
Pour me soûler avec du suif et du saindoux. -
f^^RONIQUE JUDICIAIRE DE? ^RT?
Vento d'éditions musicales prohibées en Belgique.
Un procès qui intéresse au plus haut point les éditeurs do
musique et les compositeurs, a été plaidé récemment devant le
tribunal civil de Bruxelles et jugé le 18 juin. Il s'agissait de pour-
suites dirigées parla maison Breitkopf el Hârtel contre la maison
Schoti frères — les deux plus importantes maisons d'édition musi-
cale de Belgique — en réparation du préjudice causé à !a pre-
mière par la vente d'œuvres musicules sur lesquelles celle-ci
prétendait avoir un droit exclusif.
Ce droit lui avait été cédé pour l'Allemagne et toits autres pays,
sauf la France. C'est à propos de cette clause, qui ne paraît
guère ambiguë, que le débat s'engagea. MM. Schoti frères soule-
naicnl qu'à l'époque de celte convention, la Belgique était consi-
dérée, comme faisant partie de la France au point de vue de la
propriété artistique et littéraire, et que, dans l'usage, les cessions
faites pour le premier de ces deux pays étaient implicitement
faites pour le second ; d'où la conséquence que les demandeurs
n'ont pas acquis le droit de vendre les œuvres susdites en Bel-
gique.
Les défendeurs invoquaient, en outre, leur bonne foi. Mais le
tribunal n'a pas accueilli leurs conclusions. La Belgique formait,
dès l'époque de la cession, un pays indépendant et distinct de la
France. Ce qui a été stipulé pour celle-ci ne peut être étendu à
celle-là. Et quant à la question de bonne foi, voici les intéres-
santes questions juridiques par lesquelles le tribunal motive la
condamnation de MM. Schoti frères à 500 francs de dommages-
intérêts :
*( Attendu qu'en matière de propriété artistique et littéraire, pas
plus qu'en aucune autre matière, la bonne foi n'est un obstacle à
l'action en dommages-intérêts ;
, Attendu que la loi du 22 mars 1886 n'a pas dérogé, par son
texte, aux principes généraux du droit en vertu desquels il suffit
d'uii^ simple faute pour être tenu à la réparation du dommage
causé ; "^
Attendu que les discussions préliminaires démontrent, au sur-
plus, que le législateur, toul en réglant l'action pénale el l'action
civile dérivant des altcinles portées méchamment ou frauduleuse-
ment au droit d'auteur, a entendu maintenir l'obligation de répa-
rer les atteintes portées à ce droit sans intention méchante, ou,
en d'autres termes, à laisser subsister le quasi-délit de contre-
façon artistique ou littéraire à côté du délit;
Attendu que la faute des défendeurs résulte' du fait d'avoir
vendu ou exposé en vente, en Belgique, des éditions françaises de
certaines œuvres musicales, alors que les demandeurs avaient le
monopole de celte vente pour la Belgique;
Attendu que les défendeurs, en achetant ces œuvres aux édi-
teurs français, autorisés à les imprimer dans leur pays, auraient
dû s'assurer que les éditions françaises n'étaient pas prohibées en
Belgique; qu'en s'abstenanl de le fuirc, ils ont commis une faute
et engagé leur responsabilité;
Attendu que l'on ne peut pas prétendre que la vente de ces
éditions françaises est licite en Belgique, par le motif qu'elles ne
sont pas entachées de contrefaçon en France ;
Attendu qu'elles revêtent le caractère d'œuvres contrefaites par
leur introduction dans un pays où la vente en est prohibée, sinon
le droit de l'auteur ou de son ayant-cause serail'illuscirc. »
Restait un dernier point : les défendeurs prétendaient que la
convention conclue le 1" mai i888 entre les éditeurs allemands
leur permettait toul au moins de vendre des arrnugenwUs cl
transcnptions de celles des compositions musicales dont ils
n'avaient pas la propriété exclusive.
Le jugement repousse également celte affirmation :
« Attendu, en ce qui concerne les arrangcmcols el les tran-
scriptions de l'opéra Lohengrin, imprimés par la maison Schoti,
de Mayence, que les' défendeurs invoquent la convention avenue
le 1'' mai 1888 entre les éditeurs de musique allemands;
Attendu que, si cette convention permet à d'autres qu'à
l'auteur ou ses ayants-cause de publier des arrangements sur des
motifs d'une œuvre originale, c'est à la condition que ces arran-
gements présentent le caractère d'une nouvelle œuvre originale ;
Attendu que les défendeurs ne prouvent pas et n'offrent pas de
prouver que les arrangements et transcriptions dont s'agit ren-
trent dans celte catégorie. » \
Le dernier moyen consistait dans l'absence de la mention :
« Edition interdite en France » sur les œuvres mises en vente
pur Mil, Breitkopf el Ilârtel. Le jugement répond :
« Attjendu que les défendeurs invoquent vainement le fait que
les demandeurs ne font pas figurer sur les œuvres saisies dont ils
ont Me droit de reproduction pour tous les pay.s, à l'exclusion de
la France, la mention : « Edition interdite eu France », alors que
celte mention est prescrite par la 4M)nvenlion avenue entre la
France el l'Allemagne, le 19 avril i883;
Attendu que, si cette omission peut créer des droits au profil
des éditeurs français, elle ne modifie pas la situation des mar-
chands de musique belges; que l'on ne conçoit pas comment ce
fait pourrait avoir pour conséquence de légitimer, en Belgique,
la vente d'éditioiis françaises qui y sont prohibées. »
pETITE CHR0;4iqUE
A l'Exposition de Munich sept premières médailles étaient à
conquérir : quatre pour la peinture, deux pour la gravure et l'ar-
chitecture el une pour la sculpture.
Celte dernière a été attribuée à M. Ch. Vander Siappen, qui
avait comme concurrents : MM. Delvigne, Diilciis, Lambeaux,
Mignon. Les œuvres victorieuses sont : le Saint-Michel el le
David.
L'importance de celte nouvelle distinction est d'autant plus
significative, qu'outre ses concurrents belges, M. Ch. Vander
Stappen comptait comme rivaux plusieurs sculpteurs de marque
français el allemands.
La Société d'Archéologie de Bruxelles a tenu, dimanche der-
nier, son assemblée générale extraordinaire. Deux architectes
français, MM. Alphonse Gossctel Charles Lucas avaient répondu
à l'invitation de la société bruxelloise el ont tenu l'assemblée
sous le charme de leur parole.
M. Charles Lucas, architecte à Paris, a dit à l'assemblée com-
bien, en France, depuis i830, les monumcnis anciens sont sau-
vegardés avec zèle. Des comité» et di«8 sociétés, des hommes
émincnts, tels que Victor Hugo, de Coumonl, Mérimée, Viollet-
le-Duc, etc., se sonloccupés de sauver de la pioche de nos
VART MODERNE
247
moJcrncs vandales ou de la truelle des rcslauraleurs, les monu- '
menls «l'arl dos siècles passés. M. Lucas i conclu en dcmandani
que les éducaicurs de l'cnfunl s'allaclicnt à lui inculquer le res-
pocl du mpnument.
Voili certes une réforme à faire dans les programmes d'études.
C'est une législation semblable qu'a rérlamée pour la Belgique,
M. Paul Sainicnoy, secrétaire général de la Société.
Une conférence de M. Gossel, de Reims, sur les coupoles
d'Orient et d'Occident, a clôturé cette séance. L'arcliitecte fran-
çais a fait l'histoire de ce genre de voûte, en partant de ses exem-
ples les plus anciens : les coupoles assyriennes. Passant ensuite
par les coupoles des Perses, des Grecs de l«poque pélasgique,des
Elrusques,des Romains, des Byzantins, des Persans et des Arabes,
'il est arrivé aux coupoles européennes de l'époque romane et de
la Renaissance. D«'S considérai ions esthétiques et symboliques
diverses ont terminé cet exposé de l'histoire cl de la théorie des
coupoles.
Ha Monde artiste :
La propriété artistique au temps de Weber. — Voici la
circulaire que l'iinteur du FreyscUiiti avait cru devoir adresser à
toutes les directions de l'AIlcniagnc, et qui prouve que la question
n'a guère éié élucidée depuis plus d'un demi-siècle :
« Attendu qu'en dehors de la France et de l'Angleterre, la pro-
priété intelleciuelle n'est nullement garantie contre les entre-
prises .«spoliatrices, que des copistes larrons, des éditeurs de
musique sans scrupules et mC'me des ihéâlros de premier rang se
sont approprié mes œuvres par des voies, illicites, je me vois
obligé d'aviser et de vous importuner de la présente déclaration^
J'ai donc l'honneur de vous informer que l'opéra Obéron,
que j'pi composé pour Londres et qui sera représenté en Alle-
magne avec une excellente adaptation de M. le conseiller de la
cour Winkler (Théodore Hell), ne pourra être légalement acquis
que de moi, direciement. Je sollicite de votre obligeance deux
mots comme accusé de réception de la présonte communication,
que veuilK^ bien ne pas considérer comme une invitation à acqué-
rir mon œuvre. Je s.ijs fort bien que chaque scène n'est guidée,
dans l'établissement de son rép«rloire, que par ses ressources et
sa position spéciale. Je ferai publier cette communication, avec
la liste des directions théâtrales auxquelles elle a été adressée,
dans les journaux les plus répandus, atin (|uc le public en ait
connaissance cl que les escrocs soient avertis.
« Signé: Carl Maria von Weber.
« Dresde, janvier i 826. »
Un Musée dimtruments de musique à Berlin. — Le fonds de
ce Mubée qui vient d'étje ouvert, et qui c^t place .<-ous la direction
du ministère des Beaux-Arts, est formé par la collection d'instru-
ments anciens que l'Etat prussien a rachetée en 1889 à N. Paul de
WitI, de Leipzig.
D'autres colKctions tirées des musées de l'E«nt et des biblio-
thèques-royales ont rapidement augmenté l'imporlance de ce
Musée qui est déjà le plus riche de l'Europe après ceux de Paris
et de Bruxelles.
Parmi les insiruments précieux qu'on y voit, il y a le fameux
quatuor de Beethoven qui, récemment, a été exposé à Bonn, et le
violon d'étude de Mozart. 11 y a également un oichestre complet
des vieux instruments à vent en parfait état de conservation.
La maison Schotl grave actuellement la partition française du
Crépuscule des Dieux, qui paraîtra dans le courant d'octobre.
Parsifal, dont M. Victor Wilder achève en ce moment la traduc-
tion, paraîtra peu de temps après le Crépuscule.
Antoine Rubinstein vient de terminer un nouvel opéra intitulé :
Un malheureux, représentant l'histoire d'un homme amoureux
sans retour d'une princesse au douzième siècle.
L'oeuvre est remplie d'anciens airs russes, et elle sera représen-
tée d'abord à Saint-Pétersbourg.
M. César Cui, le compositeur russe, termine son opéra, le Fli-
bustier, tiré de la pièce que M. Richepin a fait représenter à la
Comédie française.
Thermidor de M. Victorien Sardou, sera lu en septembre et
représenté en décembre.
La pièce. est en quatre actes et l'action .se passe entre six heures
du matin et six heures du soir, le 9 Ihcrmidor Mai. • — -^
M. Pierre Berton adapte en ce moment pour- Paris the Middle-
man, quelque chose comme V Intermédiaire, un des gr^ds suc-
cès de Londres. »
Londres va aussi avoir un Théâtre-Libre. M. J.-T. Grein est le
directeur du Free Théâtre.
Le célèbre ténor Tamagno se propose de se retirer du théâtre
el de passer le reste de ses jours dans sa belle villa de Varese,
cultivant ses fleurs el augmentant sa belle collection de papillons.
La sienne est une des plus belles que l'on connaisse.
M. Paul Delaroche, mort à Alger il y a quelques mois, petit-
fils du peintre dont il portait le nom et arrière-petit-neveu de
Carie Vernet, a légué au Louvre deux œuvres, importantes.
M"* Delaroche mère, qui en avait la jouissance viagère, s'est
empressée de les remettre à l'administration des beaux-arts, et le
comité consultatif des musées nationaux a voté l'acceptation de ce
don dans rfne de ses dernières séances.
Les deux œuvres léguées sont : l'un un portrait de Carie Ver-
net, l'autre une ébauche du portrait de M""* Clialgrin, par Louis
David.
Le hasard des excursions dominicales nous conduisait l'autre
jour en Zélande, dans Pile de Walchcren. Organisés tous les
dimanches par la Compagnie du chemin de fer de Malines-Ter-
neuzen, ces petits voyages par le pays de Waes el la traversée du
Bas-Escaut sont des plus intéressants, el nous n'hésitons pas à les
recommander aux artistes et aux amis de pittoresque ; ils s'accom-^
plissent dans les meilleures conditions de célérité el de confort ;
ils ont de plus le mérite d'élrc peu coûteux.
Moyennant fr. 7-70, on fait le trajet (2* classe en chemin de fer,
de^ruxelles à Terneuzen, et 1"= classe en steamer, de Terneuzen
à Middelbourg). Départ de Bruxelles à 6 h. 27 matin, relour à
10 h. 52 soir.
Le roi du Dahomey, dit/e Ménestrel, fait annoncer dans une
feuille coloniale allemande, la West africauische Post, qu'il cher-
che des musiciens pour la formation d'une chapelle royale des-
tinée à se faire entendre pendant les repas ainsi qu'aux fêtes
données par les amazones. Instrumentistes sans emploi, vogue/
bien vile vers la cour du Dahomey ! Vous y serez goûtés, c'est
certain.
PAQUEBOTS-POSTE DE L'ÉTAT-BELGE
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L'OR DÛ RHIN
DE
RICHARD WAGNER
Version française de Victor "WILDER
Parlilioii pour- chant el j)inn(), réduite par R. Kleinmichei,
PRIX NET : 20 Francs
JOURNAL DES TRIBUNAUX
paraissant le jeudi et le dimanche.
Faits et débats judiciaires. — Jurisprudence.
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Administration et rédaction : Rue des Minimes, 10, Bruxelles.
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Revue mensuelle de littérature et d'art
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Ce livre, dans lequel l'auteur a cherché à remplacer l'étude pure-
ment théorique et abstraite de l'harmonie par des exercices pratiques
de composition libre, fut accueilli, dès son apparition, par une
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même d'apprécier un des ouvrages d'enseignement musical les plus
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BruxeUes. — Imp. V« Monnom, 26, rue de l'Industrie.
Dixième année. — N" 32.
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 10 Août 1890.
L'ART MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Comité de rédaction » Octave MAUS — Edmond PICARD — Émilk VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. — ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser toutes les communications à
l'administration générale de TArt Moderne, rue de l'Industrie, 26, Bruxelles.
Sommaire
Les Aveuoles, par Maurice Maeterlinck. — Paris-Cocu, par
Charles Viremaître. — Chéret. — Confiance en soi-même. Tra-
duction inédite de Vanglais d'Emerson, par une inconnue (suite).
— Artistes et Marchands. — Chronique judiciaire des arts.
Bronzes contrefaits. — Petite chronique.
LES AVEUGLES
par Maurice Maeterlinck. — > Bruxelles, Lacomblez.
Il nous ennuie de devoir parler trop hâtivement du
nouveau volume de M. Maurice Maeterlinck. Nous
voudrions n'inaugurer en ce numéro, qu'une étude
large sur ce poète, un des plus personnels d'entre
les jeunes. M. Maeterlinck, fait son œuvre silencieuse-
ment et continuement. On sent celui qui toujours tra-
vaille. Chez tels, chaque volume s'égare en un autre
chemin. Entre les vers qu'ils publient et ceux parus
avant, la route a fait un coude. Certes, foulent-ils les
mômes pavés, dans le même pays. Seulement ils chan-
gent de direction et l'horizon diffère de teinte et de
forme de l'immédiatement précédent. M. Maeterlinck,
par contre, suit une ligne droite, la sienne, celle de son
regard. %
Non seulement, y a-t-il filiation entre ses différents
livres. Il y à creusement. Les mêmes données revien-
nent, mais plus nettes, plus fortes, plus elles. C'est en
profondeur qu'il évolue, comme les flots se nouent
entre eux dans un tourbillon de golfe.
Il a imaginé le théâtre inquiétant.
Dans les drames antiques, on voyait, au delà de la
scène, la fatalité ; plus tard on inventa une justice rému-
nératrice du bien et vengeresse du mal ; puis l'idée de
devoir dans un sens plus restreint s'affirma. Fatalité,
justice, devoir étaient les personnages surnaturels de
toute œuvre dramatique. Ils agissaient par au dessus
de la tête des personnages, comme dans les récits
d'Homère, les Dieux agissent parmi les nuages et sur
les montagnes.
Une impression magnifique de grandeur et de force
eii^ résultait, puisque le cerveau de l'homme aime
l'occulte. La fatalité surtout, dont les lois étaient même
au dessus- du juste et de l'injuste, eff'rayait par son irré-
ductibilité. Telle chose devait être : parce que. La raison
humaine, la puissance divine ne valaient guère quand
tel signe c^e^atï apparaître. De cette fatalité profonde et
souveraine, les modernes ont fait la destinée ; une pure
figure de rhétorique à l'eau de rose. A moins que, sans
le vouloir, leur justice ne se soit souvenu d'elle en se
laissant bander les yeux. Mais ce n'est évidemment pas
cette ténébreuse et redoutable signification que nos
sculpteurs de frontons de portes et de tympans de
f^'
cours d'assises ont instaurée dans leur esprit. Leurs mor-
ceaux de bois et de pierre, par ce fait seul, seraient plus
grandement éloquents.
On pourrait poursuivre cette diminution du person-
nage surnaturel à travers les théâtres français, espa-
gnol, anglais et allemand jusqu'aux modernes qui, eux,
l'ont, par réalisme, presque totalement abandonné. Pour
plusieurs, c'était une baudruche, un mannequin d'osier,
comme certains dieux sauvages. On proclamait toute
croyance finie et l'on ajoutait qu'il fallait souffler coipme
une chandelle cette terrible lueur d'extraordinaire qui
sortait jadis jusque des fentes des planches et des inter-
stices des décors.
Maurice Maeterlinck installe l'inquiétude à la place
de la fatalité, de la justice et du ciel. Par là se rat-
tacjie-t-il aux génies du passé, aux plus graiHis.
A l'apparition de la Princesse Maleine quelques-
uns ont soutenu qu'il imitait Shakespeare. C'était des
gens à vue courte qui ne faisaient attention qu'à la
coupe des scènes et au perpétuel changement de milieu.
Cette admirable Princesse Maleine avait sa significa-
tion personnelle et aujourd'hui V Intruse et X^i Aveugles,
puisqu'ils n'en sont que l'accentuation de certaines qua-
lités, en "fournissent la preuve nette. Qui encore, en pré-
sence de ces deux actes, soutiendra qu'il y a pastiche
shakespearien? C'est bien plus désolé, bien plus
lamentable et en un sens bien plus irrémédiablement
misérable. Cela sent la cave, le parloir morne, l'hôpital
aux fenêtres à petits rideaux, le suaire humide;
Shakespeare, quand il est triste, fait songer à des
ruines de palais; il déclame de la douleur et l'étalé.
L'impression d^ensemble est toute autre, d'un autre ton,
d'une autre mentalité. Et comme tout se tient, il se fait
que la langue, qui elle aussi est d'ensemble, s'affirme
totalement différente. La rhétorique Shakespearienne,
ses gestes larges de phrase, sa sonorité grandiloquente,
rien dans la Princesse Maleine ni dans Vlhtruse ni
dans les Aveugles ne la rappelle.
Il serait opportun d'insister plus longuement sur ces
dissemblances parce qu'il est admis — à tort suivant
nous — que notre poète ne travaille que d'après modèle
et par décalques.
L'inquiétude vague et universelle dont il se sert poui**
intensifier et faire participer la vie de ses personnages
à la vie de l'univers total, se manifeste non uniquement
dans le décor, dans le milieu et l'extérieur. Elle est au
cœur même des protagonistes. Tous sont des angoissés,
des superstitieux et souvent des visionnaires. Certes le
vent, les feuilles, le jour qui tombe, la nuit rôdeuse, les
paroles des sources, les oiseaux nocturnes, le bruit
frôleur d'un vol, l'élan d'une bête à travers les fourrés
influencent de leurs présages et de leur voloûté, le
drame. Mais sans tous ces moyens d'appréhension,
encore serait-il que les types d'humanité que la Prin-
cesse Maleine, V Intruse et les Aveugles font surgir,
sont, de par eux-mêmes, par leur fait : des eff'rayés
d'être. Leur nature est passive — active jamais. Ils
subissent le monde et eux-mêmes. Si l'ont veut aller
chercher une philosophie au fond de l'œuvre de Maurice
Maeterlinck il faut se reporter aux idées qui surgissaient
naturellement dans les cerveaux des premiers hommes,
quand ils faisaient connaissance avec leur séjour : la
terre. Rien pour eux ne trouvait d'explication en dehors
d'un motif de peur et de terreur. Tout leur était
signe — et eux-mêmes étaient le signe de quoi ?
On revient donc, aux rudimentaires sentiments, à la o
naïve expression des pensées, à l'instinctivité. Ce théâtre
est non seulement différent, mais opposé à celui que
les jeunes auteurs dramatiques français ont inauguré
récemmment. Chez eux, les personnages sont de raison
implacablement égoïste ; ici, les protagonistes sont de
nature toute élémentaire. LIntruse et les Aveugles,
dont il nous resterait à parler si notre volonté n'était
de n'émettre ici que des idées générales, nous feraient
constater leur parenté avec les blocs de bois primitifs
que le sculpteur Minne exposa jadis. Les personnages
de ces deux drames et les rêves de pierre du sculpteur
sortent de ce monde où déjà vivaient les béguines de
la Princesse Maleine.
PARIS-COCU
Accusé de réception à M. Charles Vireraaitre, pour son in-12 de
314 p. et tit., chez L. Genonceaux. — Paris, 1890.
Paris-Gocu! Cocu, écrivons-le, comme sur le liire de ce livre
d'anecdotes quelconques, d'anecdotes de table d'hôtes de province,
très peu littéraire donc. Cocu! pourquoi ne pas l'écrire en toutes
lettres, en ses quatre lettres mystérieuses et d'énigmatique étymo-
logie, qui n'effrayaient ni Molière, ni le grand siècle d'alors, moins
grand, et de combien, que le nôtre. Cocu! nous en lisons et en
entendons bien d'autres dans les temps erotiques où nous vivofis.
L'outrance de la polissonerie et de la scatologie s'apparie à toutes
les autres outrances. Cocu ! vraiment, c'est désormais un vocable
bien anodin et dont on peut user en toutes circonstances et''dans
tous les mondes, comme de la chose.
M. Charles Viremaitre, qui a assemblé Paris-Cocu, car ce n'est
que travail d'assemblage, a un joli nom d'écrivain, qui fouette
bien l'atmosphère. Mais il se dépense en claquements qui font
un bruit de postillonnerie, sans rien atteindre. Cela appelle
l'attention, cela amuse vaguement, mais n'a nulle conséquence.
C'est du syphonisme littéraire. Et on peut rendre la bouteille.
M. Viremaitre la remplit de nouveau et la refonrnit pleine.
C'est ainsi que pour faire pendant, au moins par l'assonance
à Paris-Cocu, il annonce Paris-Tutu. On pourra les mettre de
chaque côté de la cheminée. Il avait déjà fait : Paris oublié,
Paris-Police, Paris qui s'efface, Paris-Escarpe, Paris- Canard,
Paris- Boursicotier , Paris - Galette , Paris -Impur, Paris-
Galant, Paris -Médaillé (1), — et pour paraître successivement,
(1) Voir notre compte-rendu dans le n» 21 de VArt moderne, 1890.
vingl-qualre autres Paris : Paris-la- Nuit, Paris-Ambulant,
Paris-Dompteur, Paris-Mastroquet, Paris-Brasserie, Paris-
Bastringue, Paris- Cabotin, Paris-Palais, Paris- Brocanteur,
Paris-Gargantua, Paris-Canotier, Paris-Tripot, Paris-à-
Tahle, Paris-Mendigo (?), Paris- Escrime, Paris-qui-s'éveille,
Paris-Toqué, Paris-Musicien, Paris- Plaideur, Paris-Domes-
tique, Paris-Oavroche, Paris-Borgia, Paris-Badaud! Ouf! on
croirait jouer à pigeon-voie.
Quel rayon de bocaux étiquetés par'un apothicaire ! Toute la
flore médicinale d'une pharmacopée de contrebande. De quoi amu-
ser, sur les chemins de fer, des milliers de désœuvrés, qu'excitent
les suggestives et rythmiques secousses des trains en marche.
Car dans la mixture, les trois grains de cantharide ne manquent
jamais. Ils forment la base de ces drogues équivoques. Tisane de
Champagne cantharidée, Messieurs el dames, à fr. 3-50 la bou-
teille avec vignette parlante : une nymphe de musico, décolletée
et retroussée plus haut que les gerfoux, bénissant de ses mains
levées digitalcmenl en cornes, deux raffalés, un vieux, un jeune,
le mari, l'amant, se saluant symboliquement et mutueljement
cocus, absolument comme Wellington et Blucher, le soir de
Waterloo, au cabaret de la Belle-Alliance, se saluèrent mutuelle-
ment vainqueurs.
M. yiremaitrc doit être un sceptique gouailleur, très résolu à se
moquer des lecteurs spéciaux qui recherchent ses bouquins sur
le titre et le frontispice. Il n'y a là-dedans que des riens, recueil-
lis au hasard des rencontres, et les rencontres ne furent, en géné-
ral, guère chanceuses. La verve gauloise des inventeurs de
grivoiseries n désormais des trouvailles autrement encayennées.
Le choix de M. Viremaitre est un choix de commis- voyageurs
Son Paris-Cocu est quelconque. Les cocus de ce temps sont, dans
les aventures où on les hérone, devenus épiques, comme toute la
Gaudriole. Les fabulations où on leur donne le premier rôle, font
rire et frémir. On y accouple Satan à Polichinelle, les bonnes
vieilles histoires racontées au dessert des dîners de 4860 sont
démodées autant que les vaudevilles. Nous sommes aux jours des
cocus grandioses, des cocus shakespeariens, des cocus tragiques,
non parce que cette affaire tournerait au drame, mais parce que
les proportions du froid sarcasme et des caractéristiques épisodes
du cocuage sont devenues colossales.
M. Viremaitre se contente des vieux refrains. On dirait presque
Déranger. Dans le défilé de ses marionnettes, un tas d'anciennes
connaissances, que son style, honnêtement banal, ne rajeunit
guère. Beaucoup d'emprunts aux historiettes du second Empire,
cet empire déteint, plus lointain que le premier.
El pour ce que nous nommerions le côté historique et scienti-
fique de l'égrillanlc matière, si Science cl Histoire ne dédai-
gnaient pas ce que les savants et les historiens ne dédaignent
certes pas, les polissons! rien, vraiment rien de neuf. Au con-
traire, toutes les guilarisantes rengaines.
Ainsi, quant à l'origine des emblèmes de l'insiitution, à savoir
les cornes el la couleur jaune, M. Viremaitre en est encoreà expli-
quer, très puérilement, que c'est parce, que les cocus rient jaune,
et qu'au lieu de porter les culottes, ils portent les cornettes de
leurs femmes. Il signale aussi, sans l'approuver, coucou, le nom
du sonore oiseau qui a l'ingénieuse habitude de s'emparer du nid
d'autrui, comme l'origine du substantif cocu ; M. Viremaitre
observe, avec raison, que c'est le cocufiant et non le cocufié qui,
dans ce cas, mériterait le litre. Il est trop superficiel raconteur
pour avoir creusé la question au point de discerner le rapport
des cornes avec les prostitutions antiques du sémitisme, devant
les Molochs cornus. Aux jours solennels, les femmes mariées
se couchaient dans les temples, ou dans les bois voisins
des temples, et, en l'honneur du dieu féroce à tète de taureau, se
livraient aux passants. Impassible, aveugle, muette, inconsciente,
l'idole monstrueuse assistait aux fornications. Ilfutaisémentélàbli
un rapport entre ces adultères sacrés et le bon petit agréable
adultère courant.
L'idole n'y était plus, mais le mari. On le molochisail, oh le
minautorisait, comme a dit Balzac, par une très curieuse pres-
cience de l'explication nouvelle que nous donnons ici. Il était le
dieu à cornes, le cornigère, le cornifex maximus, le cornard, le
taureau, le bœuf, le cerf, le bouc. Et comme le Moloch était doré,
comme il trônait dans sa carapace de veau d'or, remplacée plus
tard par la soie jaune, il fut naturel aussi d'affubler le mari cocu-
larisé de la fameuse couleur. Dorer son époux, lui donner la
dorure, sont expressions synonymes de l'encorner; au lieu d'être
venues du jaime el apr-ès le jaune, elles l'ont apparemment pré-
cédé. Le diable, qui est l'expression chrétienne du Moloch, a
souvent été nommé le roi des cocus, ou l'empereur des cocus.
Au Sabbat, on le représentait en bouc très encorné et c'était
devant lui, comme à Carthage, qu'on livrait aux* initiés, en pré-
sence du mari rendu inerte par la belladone, la femme mariée
néophyte. Michelet l'explique superbement et tragiquement dans
la Sorcière. En résumé, c'est au sémitisme que nous serions
redevables des séculaires emblèmes de l'insiitution.
De tout cela, M. Viremaitre n'a pas la notion. Mais, par contre,
11 révèle sur le ci-devant Bruxelles, une particularité qui paraîtra
singulière à nos conciiadins. C'est en note de la page 76. Il s'agit
des hommes de compagnie, pour faire pendant aux dames de com-
pagnie. L'auteur écrit : « Une tentative de ce genre fut faite à
Bruxelles, en 4866; les hommes, assez bien faits de leur per-
sonne, étaient d'une extrême recherche dans leur tenue; leur
mission consistait à accompagner les femmes partout où il n'était
pas admis qu'elles se produisissent seules. Ces guides se tenaient
en disponibilité à ceriains endroits de la ville. La dame s'appro-
chait du groupe et prenait sans façon le bras du ciccrono qui lui
agréait; celui-ci saluait et se mettait en marche après avoir con-
féré avec la dame; si elle ne lui indiquait pas un itinéraire, il
commençait sa tournée aux monuments, aux promenades, aux
musées, aux cafés célèbres. Il y avait un tarif; la matinée se
payait six francs, sans pourboire, car ces messieurs étaient trop
bien élevés pour en accepter. Ils ne buvaient jamais, étaient polis,
rangés, d'autant plus que les bénéfices étaient en raison de la
réputation de convenance et de vertu dont ils jouissaient sur la
place. »!!!
T^n souviens-tu?... disait un mystificateur.
M. Viremaitre ne mentionne pas une vieille chanson que nous
entendîmes on notre enfance et n'entendîmes plus depuis. Son
premier couplet chante encore en notre souvenir. Le voici à titre
de rareté. Peut-être quelqu'un de nos contemporains d'il y a dix
lustres se rappellera-t-il les autres.
Les coucous sont gras.
Mais on n'en veut guère.
Les coucous sont grras,
Mais on n'en veut pas.
On a toujours peur de manger son t'rere.
Son cousin germain, son oncle, ^ou père.
Donc on n'en veut guère.
Donc on n'eu veut pas.
252
U ART MODERNE
CHERET
. Malgré la bruyante liesse d'une foire el ces chaleurs, le Musée
du Nord convie le public à maints spectacles attrayants : manne-
quins de cire ineffablement grotesques et rigides, galerie crimi-
nelle et historique, aimées aux mouvants abdomens lascifs. Aussi,
et surtout, une exhibition internationale d'affiches.
Mais tant d'ennui est aux placards coloriés de l'Allemagne, aux
annonces mornes des hôtels suisses! Et encore que lés scènes de
cirques, de courses, les dessinateurs anglais — par d'outrées et
féroces bariolures — excellent à les restituer, là s'affirme, immé-
diate, incontestable, sautant aux yeux, la supériorité vraiment
artiste d'un pays, la France, d'un artiste plutôt : Jules *Chéret.
Aux murs d'une salle entière, en effet, s'épanouissent — vives
el odorantes — comme fleurs! une centaine environ, choisies
parmi les plus lumineuses images de cet enchanteur.
Art tout en joie, séduisant et gracieux, — fait remarquable en ce
temps morose. Nous ne voyons en France, vraiment, que deux
artistes par qui quelque gaieté encore soit aux peintures : Renoir
et Chéret. Mais tandis que l'œuvre entier du plus charmeur des
peintres, P.-A. Renoir,' pourrait se définir : un sourire mélan-
colique, — c'est en un clair, frais, pimpant rire enfantin qu'écla-
tent les lumineuses images de Chéret.
Continuateur de Rubens, et comme le grand Flamand, abon-
dant, sensuel, lyrique, il passe par Boucher et le wiii» siècle, se
vét d'élégance. Et un sens natif du décor le guide vers un sys-
tème de couleurs et de lignes qui, de jour en jour, va s'affirmant,
se précisant davantage.
Et parmi les plus récentes œuvres du maître — qui sont là
— on voudrait posséder :
Paris-Courses, la Fête des Fleurs, le Moulin-Rouge, VAlca-
zar d'Eté, le Jardin de Paris, émerveillantes floraisons de féerie
et de rêve. •
Une femme est l'unique thème, une Parisienne exquise, pas
vraie, adorable, les lèwes saignant dans un visage peint.
Elle galope dans Paru-Course snr un cheval violacé, — et
l'ordonnance de celle-là est admirable et la splendeur magnifique
des tons unique. Rousse, chapeau jaune el robe rouge, elle est
sur du bleu dans la Fête des Fleurs, — el nous recommandons
comme une chose parfaitement belle, la tête du monsieur mode-
lée dans la localité du fond. Le Moulin-Rouge est plus ravissant
encore, où la petite femme, en robe jaune, monte un minuscule
mulçt noir; sur le fond blanc courent, très délibérées, les lettres
rouges autour du très rouge moulin, et un bleu, un gris, un rose
complètent l'harmonie. Pour la Revue fin de siècle de l'Alcazar
d'Eté, c'est une Arlequine — bas noirs, gants rouges et fourrure
— qu'un monsieur d'en bas regarde ; le titre se détache en bou-
ton d'or, complémentaire de l'outre-mer du fond. Munie d'un
éventail bleu, une cocotte, drapée d'un très atténué jaune pâle,
se découpe sur un fond violemment rouge et bleu se muant en
jaune vers le bas : Jardin de Paris. Encore, le Thééfrophone,
qui, par la septicité quasi rigide des lignes, fait songer — un
peu — à Seurat.
Mais évoquer, par la plume, les radieuses clartés de ces chefs-
d'œuvre d'où les noirs sont bannis, où les couleurs innovent des
accords subtils, ce serait tentative vaine.
Citons encore, parmi de plus anciennes ou les déjà vues, le rire
gras et rouge du Rabelais, les nus charmants de fEau des Sirènes
(Rccoloralion des cheveux, chez tous coiffeurs et parfumeurs),
l'Arabe de Paris- Hippodrome, qui vaut, pour nous, les plus
vantés Fromentin, la capiteuse manola des Montagnes russes,
l'élancée ballerine de V Amant des Danseuses, la turbulente jovia-
lité de mioches dans les Magasins des Buttes-Chaumont.
Deux, très particulières, pour le Tivoli et Cendrillon, beaucoup
plus linéaires, où, au lieu des légères couleurs habituelles, des
bistres-rouille et des noirs, — non vulgaires cependant, — attris-
tent la composition.
Et tant d'autres, le Pays des Fées, VEcho de Paris, la Terre
(un peu CoNST. Meunier), la Gomme, l'Exposition Willette, les
Maquettes animées, tant d'autres sont ravissantes !...
Nous n'avons pas la prétention d'avoir analysé, au courant de
ces noies, le si personnel génie d'un fécond artiste, qui a pro-
duit plus de mille affiches, sans compter une foule d'illustrations
de livres et de musiques, des pastels et des éventails charmants.
Nous renvoyons à la belle, si pas définitive, étude que lui con-
sacra J.-K. HuusMANS, dans son livre Certains (Tresse et Stock,
1889), et les curieux de détails sur l'artiste lui-même et ses
œuvres, les trou^ieront dans les Hommes d'aujourd'hui, n* 275
(Vanier, éditeur), dans les Graveurs du xix" siècle, de M. Henri
Béraldi (Conquet), dans les Affiches illustrées de M, Ernest
Maindron (Launette). Un portrait du peintre par le fantaisiste
Besnard, orne la couverture de la Revue illustrée du 15 février
4890, laquelle détient encore un article de M. Frantz Jourdain
et de sémillants Chéret.
Enfin, le Courrier français du 9 février 1890, outre de docu-
mentaires notes de M. Jean Lorrain, contient des dessins du
maître, comparables aux plus beaux de l'école française, depuis
le de|;nier siècle, el où je choisis une inappréciable petite mer-
veille : aux feux d'une rampe, surgit d'entre les masques de la
Comédie et du Drame, — symbole du moderne ballet — la Dan-
seuse !
Maintenant, si ce n'était présumer de rintelligence de notre
Direction des Beauxf Arts — (à Paris même, les affiches de Chéret
s'abîment Ia|nentablemenl au coin des rues, au lieu de glorifier
un Luxembourg!) — il nous plairait émettre ce très réalisable
souhait : * , *
Puisque nous possédais un Musée d'art décoratif, ne pour-
rait-on, parmi les nombreux spécimegs divers, qui déjà s'y trou-
vent, appendre quelques dessins de Chëret, quelques affiches en
couleur?
Ce serait, pour un œil d'artiste, ensemble une joie et un
enseignement. *
.CONFIANCE EN SOI-MÊME
TRADUCTION INÉDITE DE l' ANGLAIS d'EmERSON
par une Inconnue (l)i <>
Chaque individu bien mis, et de bonnes manières, m'en impose
plus qu'il ne conviendrait. Je devrais marcher droit, être vivant el
dire la vérité brutale de toutes les façons. Si la vanité et l'astuce
prennent le manteau de la philanthropie, puis-je laisser passer
cela? Si un bigot, enflammé de>zèle, épouse cette belle cause de
l'abolition de la traite des noirs et m'arrive avec les dernières nou-
(1) Voir notre numéro du 3 août.
I
VAUT MODERNE
253
velles des esclavagistes, pourquoi ne lui dirais-je pas : « Va,
aime les enfants, aime ton plus humble prochain, sois bon et
modeste, fais-moi ce plaisir; et ne vernis pas ta dure et peu cha-
ritable ambition avec cette incroyable tendresse pour des négril-
lons qui sont à mille lieues d'ici. Ton zèle lointain est du dédain
pour ce qui t'entoure ». Cette réception serait grossière et entiè-
rement dépourvue de grâce, mais la vérité vaut mieux que l'affec-
tation et un faux semblant de sympathie. Votre bonté doit avoir
un angle quelconque, ou bien elle n'est pas. La doctrine de la
haine doit être préchée comme celle de l'amour quand celui-ci
devient plaignant et pleurnicheur. Quand mon génie m'appelle,
j'évite père, mère, frères, sœurs. — Je voudrais défendre ma
porte en écrivant dessus : « lubie ». J'espère qu'en fin de compte
ce qui me force à m'isoler vaut mieux qu'une lubie, mais on ne
peut passer sa vie en explications.
Ne vous attendez pas à ce que je vous explique pourquoi j'évite
ou recherche la société. Et puis, >pe venez pas me dire, comme
un brave homme l'a fait aujourd'hui, que je suis obligé d'aider
tous les pauvres. Sont-ils mes pauvres? Je te dis, sol philan-
thrope, que je regrette le dollar, le franc et le centime que je donne
à ces gens qui ne m'appartiennent pas. Il ya une classe de gens à
laquelle je suis lié, vendu, — qui m'a acheté et à laquelle je
tiens par toute espèce d'affinités morales et intellectuelles. Pour
ces gens-là j'irai^^en prison si c'était nécessaire ; mais vos diverses
charités populaires, comme l'éducation donnée dans un asile
d'aliénés, l'établissement de sociétés comme il y en a tant, — les
aumônes à des sots — et les milliers de sociétés de secotirs, non
— quoique je confesse avec honte que je succombe parfois et
que je donne le dollar; mais c'est un mauvais dollar que j'aquerrai
peu à peu la virilité de refuser.
Dans l'appréciation populaire, les vertus sont plutôt l'exception
que la règle. Il y a l'homme, et ses vertus. Les hommes font ce
qu'ils appellent une bonne action, un acte de courage ou de cha-
rité, un peu comme s'ils payaient ainsi une amende pour ne s'être
pas montrés journellement à la parade. Leurs œuvres sont faites
pour excuser ou atténuer la vie qu'ils mènent dans le monde, —
tels des invalides ou des fous qui paient une pension plus forte
que les autres. Leurs vertus sont des pénitences. Je ne désire
pas expier, mais vivre. Ma vie existe pour elle-même et non pour
servir de spectacle. J'aime mieux lui laisser un cours modeste
mais naturel et égal, que de la rendre brillante et inégale.
Je la veux saine et doj^ce, et non irrégulière, nécessitant la
diète et la saignée. Je demande une évidence irréfutable, primaire,
que vous êtes un homme et je refuse d'en appeler de l'homme à
ses actions. Je sais que pour moi cela ne fait aucune différence si
je fais ou si j'évite ces actions qu'on dit excellentes. Je ne con-
sens pas à payer pour un privilège là où j'ai un droit intrinsèque.
Si petites, si infimes que soient mes facultés, je suis tel, et n'ai
besoin, pour m'en assurer ou en assurer mes semblables, d'aucun
témoignage secondaire.
Ce que je dois faire, c'est ce qui concerne ma personnalité, et
non ce que les gens pensent que je dois faire. Celte règle, aussi
ardue à appliquer dans la vie pratique que dans la vie intellec-
tuelle, peut tenir lieu de toute distinction entre la grandeur et la
bassesse.
£lle est d'autant plus difficile à suivre que vous trouverez
toujours des gens qui croient connaître votre devoir mieux que
vous. — Il est facile, dans le monde, de vivre d'après l'opinion
du monde ; il est facile de vivre d'après la nôtre, dans la solitude.
y
Mais le grand homme est celui qui garde dans le monde, avec une
parfaite douceur, l'indépendance de la solitude.
L'objection qu'on peut faire à ceux qui se conforment. à des
usages devenus pour eux des lettres mortes, c'est que cela épar-
pille leur force. Vous perdez du temps et cela ternit l'impression
que fait voire caractère. Si vous soutenez une église, un culte
morts, si vous contribuez à une société biblique dont l'influence
est éteinte, si vous votez avec un grand parti pour ou contre le
gouvernement, si vous étendez à tous votre hospitalité comme le
plus misérable aubergiste, il me sera difficile de discerner exacte-
ment, saus ces voiles, quel homme vous êtes.
Et, naturellement, c'esi autant de" force perdue pour votre
propre vie. Mais faites voire œuvre et je vous reconnaîtrai. Faites
votre œuvre et vous vous fortifierez. Un homme doit prendre
pour ce qu'il vaut ce jeu de Colin^Maillard, qu'on appelle la con-
formité. Si je connais votre secte, je sais votre argument d'avance.
J'entends un prédicateur annoncer qu'il prêchera sur l'examen de
telle ou jtelle doctrine de son église. Ne sais-je pas très bien
d'avance qu'il ne dira pas un mot spontané ou neuf? Ne sais-je
pas qu'avec toute son ostentation de vouloir examiner les bases
de l'institution en litige, il ne le fera pas? Ne sais-je pas qu'il
s'est engagé envers lui-même, non comme homme mais comme
pasteur, à ne regarder qu'un côté des choses* le côté permis?
C'est un avocat engagé pour la cause, et ces airs qu'il se donne
en chaire sont de la plus vide affectation. Eh! bien, la plupart
des hommes ont bande leurs yeux a^ec un mouchoir ou l'autre,
et se sont attachés à une communauté d'opinion quelconque. Cette
conformité ne les rend pas seulement faux en quelques points,
ne leur imposç pas seulement quelques mensonges, mais les
rend faux dans tous les points. Chacune de leurs vérités n'est
pas tout à faîl vraie. Leur deux n'est pas le vrai deux, leur
quatre, pas le vrai quatre; de sorte que chaque mot qu'ils
disent nous chagrine, et nous ne savons par où commencer pour
les remettre d'aplomb.
La nature ne larde à nous affubler de la livrée du parti auquel
nous tenons. Nous arrivons à acquérir une certaine coupe de
figure, une certaine forme et, petit à peiil souvent, la plus char-
mante expression asinine. Il y a surtout un fait mortifiant qui
se faufile dans celte histoire générale. Je veux parler de « la sotte^^
mine de la louange », le sourire forcé que nous arborons dans
une société où nous ne nous sentons pas à notre aise, pour
répondre à une conversation qui ne nous intéresse pas. Les
muscles, qui ne sont pas mus spontanément, mais par une vellétié
inférieure, se figent sur les contours du masque avec la sensation
la plus désagréable.
Pour un défaut de conformité, le monde vous fouette de sa
défaveur. El c'est pour cela qu'un homme doit s»voir estimer à sa
juste valeur une figure aigre. On le regarde de travers dans la rue
ou dans un salon ami. Si cette aversion avait pour origine une
orgueilleuse résistance comme la sienne, alors il pourrait se
retirer chez lui avec un air triste.
Mais les figures aigres de la masse, comme ses figures douces,
n'ont pas de causes profondes, elles changent d'après le souffle
du vent ou l'influence d'un journal. Malgré cela, le mécontente-
ment des masses est plus formidable que celui du sénat ou des
universités. Il est assez facile à un homme ferme, qui connaît le
monde, d'endurer la colère des classes cultivées. Leur colère est
prudente, elle a du décorum, car ces classes sont timides étant
très vulnérables elles-mêmes. Mais qi^and l'indignation du peuple
\
s'ajoulc à celle colère féminine, quand le pauvre et l'ignorant
sont excités, quand on remue jusqu'à la faire grogner et grincer
des dents la force brute, inintelligente qui gtt au bas de la société,
il faut alors avoir des habitudes de magnanimité et de religion,
pour la traiter, comme le ferait un dieu, de' bagatelle sans impor-
tance (i). {A suivre).
ARTISTES ET MMCHANDS
De Louis Davyl, ce coup droit aux marchands' de tableaux,
destructifs de l'originalité des artistes :
« A mon sens, la principale cause de la décadence de la grande
peinture est le marchand de tableaux, auquel est presque fatale-
ment forcé de se livrer le jeune peintre harcelé de besoins tou-
jours nouveaux, acculé à des obligations sans cesse renaissantes;
l'industriel devient leur maître, leur seigneur, les coupe, les
taille, les rogne et les émascule pour la facilité de la vente et la
réussite de ses affaires, à lui.
Le tentateur est toujours derrière eux, tirant d'un petit porte-
feuille de maroquin un billet violet qu'il froisse délicatement
entre ses doigts; à l'aide de cet argument, il obtient de sa victime
tout ce qu'il désire et, la plupart du temps, celui qui, à l'école de {
la pauvreté, serait devenu un grand peintre, un talent à large
envergure, est, par ce Mécène à 200 p. c, condamné à rester à
jamais un nain, refaisant pendant vingt ans le même tableau.
Si, par hasard, l'artiste s'éveille un malin avec une idée
lumineuse, si une page neuve a surgi dans son esprit et qu'il
essaye de la mettre à exécution, quand son. bienfaiteur arrive, ce
sont de sa part des noms d'abord, puis des colères qui vont jus-
qu'à l'indignation :
— Je vous remercie! Voilà comment vous me récompensez!
Mais que voulez-vous que je fasse de cette toile?... Contre qui
m'en débarrasser?... A qui l'offrir?... Mais vous savez tout aussi
bien que moi que ce n'est pas de vente, et qu'à passer votre temps
à brosser de ces machines-là, vous ne vous acquitterez jamais
envers moi ! J'avais pourtant bien juré de ne plus désormais me
hisser etnpor 1er par mo7i cœur!...
Ton cœiir, ô Shylock!...
Quand l'artiste n'est pas un homme vigoureusement trempé,
il pose le châssis le long du mur et repique le petit tableau dit
de genre. L'homme consent alors à s'adoucir, el la poignée de
main qu'il lui donne en sortant est le bon coup de poing qui le
replonge plus av,anl encore dans la médiocrité. »
j^HRONIQUE JUDICIAIRE DE? ^RT^
Bronzes contrefaits.
La Gazelle des Tribunaux rend compte, en ces termes, d'un
procès en contrefaçon artistique dont vient d'être saisi le tribunal
correctionnel de la Seine :
Après la clôture de l'Exposition des Beaux-Arts au Palais de
llnduslrie et au Palais du Champ-de-Mars, allons-nous assister à
une exposition nouvelle au Palais de Justice? On aurait pu le
(1) Oh! les belles et fortes choses à méditer par l'artiste qui se sent
entraîné vers ce péril : lb Neuf ! Dédain des foules, rare et héroïque
v«rtu !
croire en pénétrant dans le prétoire de la onzième chambre cor-
rectionnelle.
Et quelle exposition de sculpture!
Celle de maîtres français qui ont nom Paul Dubois, Barrias,
Mercié. Leurs statuettes de bronze sont là, sur le bureau du Tri-
bunal, toujours nouvelles et toujours vivantes. Le Chanteur flo-
rentin semble plaider sa cause en musique, Mozart enfant
accorde son violon pour conclure en si bémol et quel air
fièrement vainqueur a le jeune David posant le pied sur la léte
de Goliath ! On dirait le bon droit terrassant le monstre de la
contrefaçon.
Car c'est de contrefaçon qu'il s'agit au procès. A c^iiidldes
reproductions de Barbedienne, ou plutôt de l'autre côlé des repto^'
duciions de Barbedienne, il y a des imitations plus ou moins mal-
heureuses de ces chefs-d'œuvre.
On remarque notamment, un autre jeune compatriote du
Dante, qui ouvre, lui aussi la bouche en s'accompagnant de la
mandoline, mais qui est bien étrange avec son air ahuri, et son
petit manteau recouvrant pudiquement les formes trop accentuées
du haut de chausses.
MM. Paul Dubois, Barrias et Mercié onl, de concert avec
M. Barbedienne, poursuivi pour contrefaçon M. Pierre Dubois,
fabricant de bronzes d'art, et pour débit des objets contrefaits
M. Batlendier, marchand de meubles.
Ce dernier a excipé de sa bonne foi.
Quant à M. Pierre Dubois, il a fait valoir les différences très
sensibles qui séparent les œuvres éditées par lui de celles dues
aux maîtres. Il a ajouté que ces derniers se reconnaîtraient bien
peu de valeur personnelle s'ils eslimaient ses produits capables
de nuire à la vente des leurs. Il a insisté enfm sur cette circon-
stance particulière, très imporlanle, suivant lui, que non seule-
ment son Florentin, son David, son Mozart, son Arlequin, etc.,
ont figuré à l'Exposition de 1889, mais que déjà, en 1886, ils lui
avaient même valu à l'Exposition du travail des Champs-Elysées
une médaille de bronze! M. Barbedienne, disait-il, n'avait jamais
réclamé, parce que jamais celte vente n'a pu lui causer réelle-
ment de préjudice, et comment lui et les auteurs peuvent-ils
poursuivre une prétendue contrefaçon si longtemps et si publi-
quement toléréQ?
A l'appui de ses obsg^vations M. Dubois a fait citer plusieurs
témoins, et il a posé aussi différentes questions sur ce point à
M. Barbedienne.
Le Tribunal, après avoir entendu M« Pouillet pour M. Barbe-
dienne et les sculpteurs, M« Desjardin, pour Pierre Dubois, et
M« Forni pour M. Baltendier, a rendu, le 22 juillet dernier, un
jugement par lequel il renvoie Baltendier des fins de la plainte,
mais déclare Pierre Dubois coupable du délit de contrefaçon, et
le condarr.ne à 200 francs d'amende et 500 francs de dommages-
intérêts.
fETITE CHROJSIIQUE
Les journaux quotidiens ont annoncé la mort, celle semaine,
du docteur Victor Desmeth.'lls ont montré en lui le savant et le
praticien, Victor Desmeth joignait à ses qualités rares, le don de
s'intéresser à tout. Aucune manifestation hardie et neuve ne lui
était quelconque. Nous lui avons entendu émettre les plus larges
çt les plus belles théories sociales. Egalement quand il se préseh-
tait une question d'art, son attention sympathique tout entière se
dardait vers ce qu'elle contenait de vrai et d'en avant. C'est à ce
titre que nous voulons lui rendre ici en consignant, avec regret,
sa mort, l'hommage dû à toute grande et belle intelligence qui
disparaît et nous souvenir du penseur et du rêveur fier et haut,
qu'il était.
M""* de Zarembska, qui vient d'obtenir un congé au Conserva-
toire, a été engagée pour une tournée de deux mois aux Etats-Unis,
La sympathique artiste donnera des piano-récitals dans les prin-
cipales villes du Nouveau-Monde : à New-York, Boston, Philadel-
phie, Chicago, Washington,.etc.
Nous lui souhaitons grand succès.
A l'occasion de la Conférence internationale du livre qui s'est
réunie à Anvers ces jours-ci, on a organisé une exposition fort
intéressante. C'est celle de la Librairie et des produits de tous les
arts et des procédés qui se rattachent à la confection du Livre.
Elle est divisée en neuf classes distinctes et comprend tout
ce qui se rapporte au Livre : caractères, machines et outils de
graveurs et de fondeurs de caractères; appareils de galvanoplastie
et de stéréolypie; machines à composer et à distribuer; presses
typographiques, lithographiques, phototypiques, zincographiques
et de taille-douce; applications de la photographie à l'illustration
du livre; reliures, papiers, encres, outils et machines de tout
genre, etc., en y ajoutant, bien entendu, le Livre lui-même, mais
seulement en tant qu'il donne la preuve d'une exécution maté-
rielle supérieure, constate un sérieux perfectionnement ou offre
la solution de quelque problème de bon marché.
Voici, au surplus, la classification générale :
Classe L Machines, outils et matériaux pour la gravure et la
fonderie. Produits de la gravure typographique et de la fon-
derie.
Classe IL Presses à imprimer et accessoires. Machines à com-
poser et à distribuer. Moteurs pour imprimeries.
Classe IIL Papier. Machines et outils pour papetiers.
Classe 1 V. Encres, vernis et couleurs.
Classe V. Dessins et modèles.
Classe VL Arts graphiques appliqués à l'illusiralion du livre.
— Gravures et estampes. (Xylographie, lithographie, zincogra-
phie, photographie et ses applications, taille douce, eau
forte, etc.)
Classe VIL Le Livre. (Editions de luxe et à bon marché;
éditions spéciales, revues, publications périodiques et spéciales;
livres en feuilles; feuilles-spécimens séparées de titres, de
tableaux pour ouvrages scientifiques, de dispositions de texte
avec renvois et notes, avec encadrements et illustrations typogra-
phiques, avec intercalalion de gravures, vignettes ou portées
musicales, etc. Cartes géographiques, atlas, éditions musicales.)
Classe VIIL Reliure. Machines et outils pour relieurs.
Classe IX. Mobilier du Livre. (Bibliothèques, armoires, casiers,
rayons, tables, chaises, lampes, échelles, escaliers, pupitres,
cadres sculptés ou ciselés, passe-parlout, glaces et vitrines, etc.)
Nous apprenons la mort, à Domène, où il était en villégiature
chez sa sœur, de M. Charles Laposiolel, peintre de marines, élève
de Léon Cogniet. Hors concours au Salon, médaillé en 1870 et
en 1882, M. Lapostolet avait obtenu une médaille d'argent à
l'Exposition universelle de 1889. Un de ses tabijeaux, le Port d$
Dunkerque, ost au Musée du Luxembourg. M. Lapostolet était né
à Vêlas (Côle-d'Or), le 26 septembre 1824.
On vient d'élever sur son piédestal, dans la cour du Musée
Carnavalet, la belle statue de Louis XIV, par Antoine Coysevox,
qui décorail la cour d'honneur de l'ancien Hôtel de Ville de Paris.
Ce monument avait été érigé le 14 juillet 1689, en mémoire de
la réconciliation du roi avec la ville de Paris, après trente-cinq
ans d'implacable rancune.
Pour la première fois depuis les troubles de la Fronde,
Louis XIV daigna se rendre à l'Hôtel de Ville le 30 janvier 1687
et accepter le festin solennel que lui faisaient humblement, de
leurs propres iîiains, les prévôts des marchands et les échevins.
Remarquant tout d'abord l'ancienne statue de Gilles Gérin, qui
représentait le monarque foulant aux pieds le frondeur terrassé,
le roi aurait dit : « Ceci n'est plus de saison » ; et les édiles s'em-
pressèrent de remplacer le monument d'humiliation par le monu-
ment triomphal h la gloire de Louis-le-Grand.
Coupé dans un récent feuilleton de Jules Lemaître sur les gens
de théâtre :
M Vivre en bourgeois, c'était autrefois la rarissime exception
chez les comédiens. Cela tend à devenir la règle aujjourd'hui. Les
mœurs de nos acteurs ne me paraissent pas sensiblement pires
que celles de nos bourgeois. Ce qui les distingue de nous, ce n'est
plus leur genre de vie, c'est seulement, quelquefois, l'azur de
leur menton, et peut-être dans leur geste et leur accent, un res-
souvenir de la diction et de l'attitude de théâtre. Leur art est
devenu chose d'Etal ; il est officiellement protégé et honoré. La
société civile et la société religieuse, en leur rendant le droit
commiM), les onf ramenés, par \h même â la morale bourgeoise.
Au reste, il n'y a plus guère chez nous de corporations ni de
castes originales par leurs mœurs : il y a seulement encore çà et
Ik, des individus originaux.
« Tout le monde a rencontré de ces comédiens, plus notaires
que les notaires, qui, lorsqu'ils entrent, précédés de leur femnne
légitime, dans un salon oîi on les a fait venir à prix d'or pour
réciter quelque scène de comédie, ont l'air si profondément, si
démesurément sérieux et convenable, qu'on les dirait fourvoyés
parmi l'immoralité de tous ces bourgeois, et qu'en vérité on a
envie de leur faire des excuses. Et ces artistes ont raison, et cela
est très bien ainsi. »
On écrit de Londres au Ménestrel de Paris :
« Nous relevons les enchères suivantes dans une intéressante
vente de manuscrits et d'autographes qui a eu lieu la semaine der-
nière à Londres : Auber, Benedictus, dédié à M™» Gueymard-Lau-
ters,^5 francs; Beethoven, six feuillets au crayon, 93 francs;
Gœihe, un reçu au crayon pour le Tartuffe, de Hohère, lOfrancs;
Haydn, quelques lignes datées de Vienne, 1803, 136 francs, et
un fragment, Dona 7iobis, pour quatre voix, 80 francs ; Liszt,
deux lettres de Weimar, 18S4, 32 francs; Mendclssohn, manus-
crit d'un morceau pour piano à quatre mains, daté 26 mars 184 1,-
250 francs; un Volkslied, 155 francs; huit lettres, 1837-1844,
380 francs; Schiller, cinq lettres très importantes, 17931803,
1,070 francs; Schubert, manuscrit de trois romances, 180 francs;
Schumann, marche n" 2 pour piano, 100 francs; Wagner, frag-
ment d'ouverture inédite, 70 francs; un feuillet de la partition de
Rienzi, 63 francs ; une page de la partition allemande de Norma,
62 francs. »
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paraissant le jeudi et le dimanche.
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depuis les premiers éléments de rharmonie jusqu'à
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formes de la musique pour piano par J.-G. Lobe.
Traduit de l'allemand (d'après la 5® édition) par
Gustave Sandre.
VIII et 379 p. gr. in-S». Prix : broché, 10 fr.; relié, 12 fr.
Ce livre, dans lequel l'auteur a cherché à remplacer l'étude pure-
ment théorique et abstraite de l'harmonie par des exercices pratiques
de composition libre, fut accueilli, dès son apparition, par ime
faveur marquée, La présente traduction mettra le public français A
même d'apprécier un des ouvrages d'enseignement musical les plus
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Dimanche 17 Août 1890.
LART MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUH CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Comfté de rédaction : Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, un au, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. —ANNONCES : On traite- à forfait.
Adresser toutes tes communications à
l'administration générale de TArt Moderne, rue de rindustrie, 26, Bruxelles.
Sommaire
La Gr.vnde Mystêbiei'sk. — Lk Mlske de.s Auts DiicoR.xriKS.
(Second article). — Confiance en soi-même. Traduction inédite de
l'anglais d'Emcrson, par une inconiuuj (suite). — A niopos du
LIVRE DE Viuemaitue. — COMMISSIONS OFKICIEI.LES. L'tnddcnt Jlodin.
— Cueillette dk livres. — Chronique judiciaire i>es arts.
IJenrcmtto Ccllini. — Petite chroniqiie.
LA GRANDE MYSTÉRIEUSE
D'Alycr, 9 août, à bord du bon steamer
danois Léopold II, capitaine Ingerslcv.
Amiel a dit : un paysage est un état d ame. Avant
lui Beyle, dans son autobiographie qui vient de paraître :
Henri Brulard, avait dit quelque chose d'analogue
pour exprimer cette vérité qu'en tout nous nous proje-
tons au dehors, couvrant la réalité des mousselines arti-
ficielles de nos sensations, et spécialement dans l'art,
n'exprimant par la main, par la parole, par le corps
que l'intimité de notre psychologie personnelle. L'exté-
rieur n'est qu'un prétexte à nos impressions; sentir
originalement et puissamment, ces impressions, c'est
tout le génie-, les exprimer avec grùce, avec force, avec
ingéniosité, c'est tout l'art.
Mais alors, les rechercher, ces impressions, les sus-
citer, ces sensations, c'est recueillir la matière première
de tous les arts, c'est fournir à la machine artistique
son combustible? Oui. Et voilà pourquoi voyager, tan-
tôt sans bouger, dans le rêve, tantôt eu courant le
monde, dans la réalité, fut toujours le besoin, la fai-
blesse, la passion de l'artiste.
Donnez-moi de quoi sentir, et je serai heureux, quand
même ce serait la douleur.
Voici les vacances! Voici les jours où l'asservi du
social esclavage redevient passagèrement libre. Les
jours où il peut sortir de son alvéole, quitter la ruche
et butiner au hasard. Où aller? Que voir?
Je veux voir la Mer. Ou plutôt la revoir.
Balnéairement, aux plages mondain^? A Ostende, la
reine, à Blankenberghe, la bourgeoise, à Heyst, la
dévûte, à Middelkerke, la gaie, à Knocke, à Wen-
duyne, à d'autres, les familières, les débraillées? Non.
Non ! non ! chez Elle. En pleins flots. Loin des terres,
loin des digues, loin des kursaals. Pas la mer élégante.
Pas la mer des ombrelles et des costumes de bains. Pas
la mer qu'on regarde. Il me faut celle qui vous porte,
qui vous enlève, qui vous caresse, qui vous secoue.
Celle qui n'est pas bornée par la corde des rivages,
incomplète en son demi-cercle. Celle qu'on voit tout
autour, bornée sans bornes par le circulaire horizon où
l'indéfini des eaux touche, de sa lèvre, la lèvre de l'indé-
fini du ciel.
Oh! la sereine saveur, goûtée même avant le départ,
de l'atmosphère vide et pure, maquillant la peau de la
, couche légère des émanations salines. Les longs balan-
cements bercéurs du roulis et du tangage vous collant
au pont par les pieds à la descente, et, à la montée,
vous enlevant comme en un essor. Plus rien de l'hor-
reur des assommants parcours dans les trains de che-
min de fer, dans la trombe des poussières et des fumées,
dans le tumultueux vacarme des stridents appels, dans
le supplice des chaleurs et des voisinages, avec. les
humiliantes besognes des attentes aux guichets et des
pesées de bagages. Plus rien des persécutions du kellné-
risme, des arrivées en omnibus, des ascensions quoti-
diennes aux moroses chambres d'hôtel, des ouvertures
et des fermetures de malles, du contrôle arithmétique
des notes, de la distribution des pourboires aux piteux
personnages apostés dans les couloirs, sur les escaliers,*
sous les porches.
La vie libre et rustique du bord. La couchette où
l'on s'étend tout habillé. Le lavage à grande eau, sur le
pont, à l'aube, dans la cuvelle commune. Le compa-
gnonnage avec l'équipage. Le coup de main donné à la
manœuvre. Le sommeil sur le pont, tout habillé, aux
brillantes étoiles. Le retour à la simplicité, incompres-
sible besoin atavique affirmant en nous les lointaines
mœurs primitives, aux temps de l'existence dans les
cavernes ou dans les bois, réveillant au profond de notre
ancestralité, le chasseur, le coureur, le pécheur que
furent ceux dont nous descendons, ceux auxquels nous
relient les innombrables chaînons des générations
humaines.
En mer! Que le chemin soit lui-même le but du
voyage. Il y aura, certes, des escales à suggestives
nominalités : Alger, Tunis, Athènes, Smyrne, Salo-
nique, Constantinople, Trébizonde, Batoum, Novo-
rossik,Sébastopol, Odessa. Qu'importe! Nous les regar-
derons du bord, en leur aspect merveilleux de villes
approchées, non point par l'ignoble intestin des voies
ferrées entrant pédérastiquement dans les cités, par les
voies où tout est vu à rebours, avec les lèpres, les gue-
nilles, les saletés des choses vues à rebours; mais des
villes aperçues avec l'avant^plan féerique des eaux,
vaguement d'abord, dans les voiles des lointains, et len-
tement se précisant durant les heures divines de Tarri-
vée.
Ne touchons pas les terres. Contentons-nous des
panoramas où ce sont les terres qui semblent défiler
devant le fuyant navire. Pourquoi céder à la désenchan-
tante manie de courir les rues, de visiter les monu-
ments? Qu'ajoute aux sensations cette manie d'inven-
taire? Non. Qv£ le chemin soit et reste le but, Qu'est-il
de plus beau, qu'est-il de plus grand à connaître que la
Mer?
Constan^'inople ! Oui, Constantinople est au long de ce
trajet rêvé. Mais que le dieu des voyageurs nous pré-
serve de rOrient-express qui nous y conduirait en
soixante-neuf heures, ticketé et casé en colis humain.
C'est d'Anvers que nous partons et nous aurons, quelle
chance r vingt-et-un jours de mer! Demain matin, nous
partons, à trois heures, avec la marée, sous l'inondation
de clarté d'une pleine lune de juillet. Des amis, des
confrères nous fêtent des adieux, comme si nous allions
aff'ronter des périls, tant les terriennes habitudes font
soupçonner de maléfices les traversées maritimes, dans
l'hospitalière auberge flottante qu'est un navire. On a
bu à l'amitié, vieille et douce coutume ; on a bu au Bar-
reau. Ils sont là une trentaine qui rendent témoignage
de la fidélité professionnelle, et quelques-uns partent
avec nous, jusqu'à Flessingue, par besoin de ces pro-
longements d'afli3ction et d'attendrissement qui font
partie du meilleur de la vie.
On s'est embrassé en frères d'armes, on s'est quitté,
et maintenant nous voici dans le silence de la grande
vogue maritime, sur notre vapeur danois, car cet élé-
ment de la traversée sous un pavillon étranger, nous
l'avons ajouté à tout ce qui déjà devait nous séparer,
pour nous affranchir du monotone journalier de la vie.
Plus d'affaires, plus de lettres, plus de journaux, plus de
télégraphe, plus de téléphone! Nous voici cloîtrés, et
cette claustration nous rend l'indépendance. A cinq :
deux avocats, deux artistes, un magistrat; c'étaient là
nos étiquettes dans la foule besoignante des civilisés.
Nous voici redevenus des hommes, fongibles, rien que
des hommes, et par cela même presque des heureux.
De Flessingue au balancier des Wielingen, puis au
balancier du West-Hinder, puisau phare des Goodwin-
Sands, puis à Dungeness, à Beachy-Head, à la pointe
Sainte-Catherine. Les côtes de la mer du Nord, les
nôtres, le Pas-de-Calais, où nous vîmes la mer « floris-
sante de voiles «, la Manche, débutant par la falaise de
Shakespeare, celle dont le fou explique au roi Lear
aveugle, la prodigieuse hauteur. Partout la transpa-
rence, la lumière, l'affirmation par cette grande et
salutaire éducatrice, la Mer, de l'éblouissant coloris des
écoles nouvelles. Une ininterrompue leçon de peinture,
où rien ne parle, où tout est dit. Une leçon de peinture
avec l'accompagnement wagnérien des flots.
Et voici qu'en effet, nous mettons le cap sur Oues-
sant, pour gagner le cap Finisterre de France, d'où
nous irons, d'un seul sillage, jusqu'au cap Finisterre
d'Espagne, se regardant à deux cents lieues à travers
le golfe de Gascogne.
Sur ces eaux qui baignent la Cornouaille, Wagner a
fait naviguer Tristan et Isolde. La proue du vaisseau
qui [conduisait l'héroïque fiancée et son gardien, qui
n'était pas encore son héroïque amant, s'élevait et
s'abaissait sur les flots blanchissants comme le nôtre.
La même brise fraîche soufflait, le même profond mur-
LART MODERNE
250
mure berçait le rythme de leur navigation idéale.
Comme aisément 1 ume, à ces spectacles grandioses
se vide des coutumières misères. Et comme elle est
fausse cette pensée qu'un voyage sur mer est monotone.
Chaque jour amène un acte nouveau, pour la pièce à
grand spectacle qu'on peut se donner en s'embarquant
sur LA GRANDE MYSTÉRIEUSE. Pas Une heuro d'ennui.
Un dépliement de sensations larges, que Texistence à
terre tient comprimées et ignorées au fond des armoires
secrètes de notre être. Elles se déroulent en blanches
draperies au souffle vivifiant des très pures étendues.
Vraiment, ces voyages de mer entreront dans les
mœurs des voyageurs fatigués du tour banal à billets
circulaires. On parcourra la mer comme on parcourt
la Suisse. Certes, on incline à^arder pour soi ces secrets
de haute vie psychique par un besoin d'aristocratie
intellectuelle et un désir de se distinguer de la tourbe
qui embourgeoise tout. Et pourtant, comment se taire
dans l'enivrement de ces sensations supérieures, com-
ment ne pas le crier, au moins aux quelques-uns qu'on
aime? Alors que depuis tant d'années nous avons pris
ici l'affectueuse habitude de communiquer à nos lec-
teurs, avec le charme d'une témérité absolue, nos
impressions sur ce que nous croyons être le beau de la
vie, il nous plaît de leur dire où leur élite peut, en sor-
tant des ornières, trouver de quoi satisfaire noblement
la vagabonde humeur qui pousse l'homme au voyage,
comme les oiseaux migrateurs.
LE MUSEE DES ARTS DECORATIFS d)
(Second article)
En plâtre blanc, — R. Siemering, sculptor, — un équestre
Prince de Bismarck promène sur ce chaos un regard épouvanté.
Les Japonais . — Un méli-mélo d'estampes en couleur, — aux
murs, — dans des vitrines. Auï murs aussi, quelques kakémonos,
tous étiquetés Kakémono comme si c'était le nom de l'auteur!
— On découvre cependant quelques Harolngbou aux allures
calmes, sereines de primitifs (1730), aux tons neutres : bistre-
rouge, violet d'ardoise, marron, qu'éveillent un jaune ou un vert.
Et ce sont des jeunes filles, des jeunes femmes, promeneuses,
musiciennes ou rêvantes du très doux Souzouki Harolnobou.
— Dos Lavandières de Shuntsho (1830), — des couleurs à la
fois vives et amorties. — Un gracieux Koriolsa'i : enfunl souf-
flant en l'air des bulles de savon. — Un Outagava Toyokouni
(i82o) est splendide : une femme agenouillée et implorante aux
pieds d'un mari visiblement trompé, inflexible : traits décisifs,
rigides. — Shl'NSAï (1830) : Femmes au bord d'un fleuve. — De
Yeïshi (1790) aux harmonies douces : s'élève, noire, la proue
immense d'une jonque : deux femmes passent en une barque
légère. — Des Shunsho (1765) et un Tori-i-Kionaga (1770) :
Devant son miroir une dame, — poitrine nue exquise! — soutient
d'une main la torsade dénouée de ses cheveux, tandis qu'une
(t) Voir i"^r< »Jorffr;jr du 27 juillet. •..
femme lui présente un makimono, — note, probablement, de
quelque fournisseur. — Mais voici, au hasard de vitrines, le
« glorieux et honnête chevalier » Hokousaï et ses Vues du Fou-
ziynma : un roc, parmi les flots, s'avance en membre de caïman;
des pécheurs, k son sommet, pochent; des vagues jaillissent, se
croient d'écumes, bouillonnent; une bande bleue, puis une portée
de fils télégraphiques indique leur galopante fuite, au loin;
tout au sommet, une autre bande bleue, — ciel, et un cône, —
le Fouzi. Autre : des nues basses se déchirant découvrent les toits
d'un village ; en haut le pic neigeux du volcan ; un pignon tour-
menté bleu-potiche remplit la droite de l'estampe, et, traversant
les nues, un échafaudage s'élève, un cerf-volant plane. Encore :
le lointain Fouzi vu par le cercle sans fond d'une énorme cuve
que radoube un bonhomme. — Plus champêtre, — un Claude
MoNET japonais, — tel Hiroshighé (1825): des paysages d'hiver
aux arbres flores de givre, des paysages d'été aux sombres ver-
dures, aux ciels orangés, aux eaux bleues, composent son lot.
— Voici les rudes portraits masculins de l'étonnant Sharakou,
et les effigies, la plupart féminines, où excella le tendre Kitagava
Outamaro : une merveille : Homme et femme 'lans la pluie, — et
la Mère et son enfant est divine.
C'est seulement citer les principales de ces estampes, mais
cent autres encore sont admirables, et parmi le fretin des souri-
monos, il est de fines merveilles.
Observations et desiderata. — Ne vaudrait-il pas mieux classer
les images que de les éparpiller sans soucis d'écoles ni même
d'aspect décoratif? Et puis, nous réclamons une orthographe
moins fantaisiste des noms japonais. Ensuite, ne trouvez-vous pas
que ces vitrines peintes en noir sont d'un effet triste et lourd,
déplorable? Un bois blanc, ciré ou verni, — le sapin, par
exemple — eût mieux convenu, et même le chêne naturel (comme
les meubles similaires qui contenaient, au Musée ancien, jadis,
les photographies, et qui ont, sans raison, disparu). On pourrait
conseiller encore l'achat du Japon artistique, de M. Bing (men-
suel), dont l'exhibition des principales planches serait si instruc-
tive.
Déambulons : Nous avons dit la belle dignité des Puvis, —
carions d'oeuvres aimées, — mais entourés des compositions
subalternes de M. Lévy (décoration d'une mairie), et surtout des
kilomètres carrés d'héroïsme munichois, par un M. Geselschap.
A signaler aussi l'atterrante abjection (V une Allégorie de l'A ri japo-
nais par M. Luc-Olivier Merson. La photographie des panneaux
qui ornent son hôtel, à Anvers, attestent quel homme fut Leys.
Deux esquisses dAGNEESSEXs : Réflexion et Indécision, sans grand
charme. Notons enfin les dessins de Statuettes de Mellery, à qui
et auxquelles se devait l'originale et discrète tenue du square du
PetU-Sablon.que de lourdes statues en marbre blanc ont, récem-
ment, détruite.
Les copiés. — Nous les avons pour la plupart citées : celles de
Mellery (Venise, 1872), d'après Carpaccio, sont d'authentiques
œuvres d'art. De Louis Dubois : les Régents et les Régentes d'Hô-
pital, d'après les Frans Hals de Haarlem, et la Ronde de Nuit
cl les Syndics, d'après Rembrandt, révèlent riionnOio et grand
artiste, mort, hélas, trop tôt. Mais une admiration doit olre solide
pour résister à un pareil désarroi de placement. En voici une
idée :
En l'air, les Jeunes Picards de Puvis, — contours logers sur
une blanche toile. S'alignent dessous : copie au sirop d'après '
MuRiLLO; Sainte-Radegonde, carton do Puvis; les Régents,
d';iprcs Hai.s; esquisse décoralivc de M. Lévy; les Ri'gentcs
(IIai.s); Charles Martel (Pivis), cl copie d'après Van Dy<;k,
Enfants et ehien. El loul on bas, à la rampe, s'ciale l'obsct^tiiié
ol l'infamie sans bornes dos culs nus encadrés d'or, vomis par
M. J.-P. Lairens, — et qu'on devrait brûler, voyons! puisque
aucune loi ne peut cmpôclior leur auteur de les ])roduire
Restent : la Descente de Croix, d'après le Kempkneer de
Séville, par Constantin Meunier, le grand triptyque de Hico
VAN DER GoES {l'AdoratioH des Bergers, de Florence), par Meerts,
et un fragment de la Mort de Saint-François de Giorro, par
Théo van Uyssei.beugiie (Florence, 1890).
En outre, ce Musde détient une très complète collection de
pbotoj^Tapbies d'après les malifes italiens, do Cimarue à Raphaël,
— des pbotograpliies de tapisseries agréablement tirées en cou-
leurs, — des chromos d'après des mosaùjues byzantines et dos
églises, — de très iniéressants spécimens cliromoliiliograpliiés
d'an pompéien et égyptien.
Desideratum : un catalogue.
Nous avons récemment, à celte même place, souliniié au Musée
de posséder quelques œuvres de Chéket; nous venons de, con-
seiller l'achat d'une publication artistique mensuelle. L;iissera-t-on
que nous recommandions maintenant les albums pour enfanis de
M. Walter Crâne? la plupart, 7t'5 Contes de Perrault, les Pan
Pipes, le Dahys own ^Tùop, sont des merveilles d'imagination
et de goût décoratif, doirt la place est là toute indiquée, puis-
qu'aucunc collection, aucun Musée — à notre honte! — ne los
possède.
. CONFIANCE EN SOI-MÊME
TRADUCTION INÉDITE DE LANGLAIS d'EmERSON
par une Inconnue (1).
Une autre terreur, qui nous éloigne de la confiance en nous-
mêmes, c'est notre esprit de suite, notre désir d'être conséquent
avec nous-môme; c'est une espèce de vénération pour nos actes
ou nos paroles passées, parce que nous croyons que les yeu.x des
autres n'ont pas d'autre point de repaire pour supputer l'orbite de
notre personnalité, que nos actes passés ; et nous sommes
ennuyés de les désappointer.
Mais pourquoi vous obligcricz-vous à retourner la tôle? Pour-
quoi traîner avec vous ce poids de la mémoire pour éviter de
contredire ce que vous avez dit dans telle ou telle circonstance?
Supposez que vous vous contredisiez; — et puis, après? II
semble que la sagesse nous fasse une règle de ne jamais nous en
rapporter h notre seule mémoire, même dans les actes de pure
mémoire, mais de regarder le passé h la lumière du présent aux
cent yeux, et de vivre dans un jour nouveau. Dans votre méta-
physique vous n'avez pas reconnu de personnalité à la Divinité.
Cependant, si une religieuse impulsion s'empare de vous, cédez-
lui votre cœur et votre vie, dussiez-vous vous figurer Dieu
on formes et en couleurs. Abandonnez votre théorie, comme
Joseph abandonna son manteau aux mains de la femme adultère,
cl fuyez.
Une sotte persévérance dans la même pensée est la manie des
petits esprits, adorée par les petits hommes d'étal et d'église, par
(1] Voir nos numéros des 3 et 10 août.
les petits philosophes, par les petits artistes. Une ûme g;pande ne
s'en inquiète pas. Elle pourrait aussi bien s'occuper de son ombre
sur un mur. Dites ce que vous pensez aujourd'hui en termes forts;
et demain faites de même, quoique vous puissiez vous contredire
d'un jour h l'autre. — « Mais ainsi vous serez sûr d'être mal com-
pris? n — Est-ce si mauvais d'être mal compris? Pythagore ne
fut pas compris, ni Socrate, ni Jésus, ni i.ulher, ni Cojicrnic, ni
Galilée, ni Newton, ni aucun des esprits purs et sages qui furent
jamais. Etre crand, c'est être incompris.
Je crois qu'aucun homme ne peut forcer sa nature. Toutes les
saillies de sa volonté sont nivelées par la loi de son être comme
les inéc[alit(!'S saillantes des .Andes et de l'Ilimalava sont insicrni-
liaules dans la courbe de la sphère. La manière dont vous vous y
prenez pour le juger est à peu près indifterentc ; un cqractère est
comme un acrostiche on une slancc alexandrine; lisez-le de haul
en bas, de bas en haut, de gauche à droite ou de droite h gauche,
il dit toujours la même chose. Dans cette cliarmante vie dès bois
si retirée que Dieu m'accorde, je veux consigner sincèrement jour
par jour ma pensée sans regarder dans le passé ni dans l'avenir,
et je suis sûr qu'on la trouvera semblable à elle-même quoique je
no m'en aperçoive pas et que je ne le fasse pas exprès. Mon livre
devrait évoquer un parfum de pins et un bourdonnement d'abeilles.
Le brin de fil ou de paille que l'hirondelle au dessus de ma fenêtre,
apporte dans son bec, devrait être tissé aussi dans le liss'i de
mon livre. On nous prend pour ce que nous sommes. Notre
caractère se révèle malgré nous. Les hommes s'imaginent qu'ils
ne communiquent leurs vertus ou leurs vices que par leurs actions
connues, ouvertes, cl ils ne voient pas que la venu et le vice onl
une haleine qui leur est propre et qu'ils ne cessent pas un instant
d'émettre.
Il y aura de la ressemblance entre vos actions les plus dispa-
rates, les plus opposées, si elles sont toutes accomplies à leur
heure, honnêtement et naturellement. Les actions seront harmo-
nieuses parce qu'elles panent d'une seule volonté, quelque dis-
semblables qu'elles soient. A une petite dislance, h une certaine
hauteur de pensée on perd de vue ces divergences.
Une seule tendance les unit. Le voyage du meilleur bateau est
une ligne en zfg-zag. Vue h distance, elle se réduit k une moyenne.
Votre action spontanée, naturelle, s'expliquera d'elle-même et
expliquera vos autres actions spontanées. Votre conformité
n'explique rien. Agissez simplement cl voire précédente simplicité
vous justifiera. Tout ce qui est grand en appelle à l'avenir. Si
aujourd'hui j'ai la fermeté de fjire le bien et de braver l'opinion
en le faisant, le bien que j'ai fait auparavant peut prendre ma
défense maintenant. Mais que cela s'arrange d'ailleurs n'importe
comment, faites-le bien maintenant. Dédaignez les apparences;
c'est toujours possible. La force de caractère est une force accu-
mulée. Tous Ics.momenis vertueux de voire passé apportent leur
énergie au moment présent. Qu'est-ce qui donne aux héros des
champs de bataille ou du Sénat cette majesté qui frappe l'imagi-
nation? c'est la conscience d'une suite de grands jours el de vic-
toires qu'ils onl derrière eux.
Ces victoires projettent sur eux une lumière semblable h celle
qui éclaire d'en haul licteur qui s'avance. IL est entouré d'une
visible escorte d'anges. C'est cette conscience, ce pouvoir qui mcl
le tonnerre dans la voix de Chatham, qui donne de la dignité à
Washington cl qui met toute l'Amérique dans les yeux de
J.-Q. Adams. Nous vénérons l'honneur parce qu'il n'csl pas une
chose éphémère. C'est toujours une vcrlu d'ancienne date. Nous
VART MODERNE
261
l'adorons aujourd'liui parce qu'il n'csl pos d'aiijourd'liui. Nous
l'aimons et lui rendons hommage parce qu'il n'est pns un piège
tendu h notre admiration, mais qu'il ne dépend et ne dérive que
de lui-môme et qu'il a de ce fait une longue généalogie intime,
même quand on le rencontre dans une personne jeune.
J'espère qu'on ne parlera plus, de nos jours, de cette vertu de
conformité à l'opinion ou de conséquences dans ses principes.
J'espère que ces mots seront ridiculises dorénavant. Au lieu de
la sonnette du dîner ou du gong japonais, écoutons le sifllel
Spartiate. Ne faisons plus tant de compliments et tant d'excuses.
Un grand homme dîne à ma tahlc. Je ne désire pas lui phiire, je
désire qu'il désire, lui, me plaire. En celte circonstance, je repré-
sente l'humanité et si je veux en roprésenler la bonté, je veux
aussi en représenter la sincérité, la vérité. Affrontons cl répri-
mandons cette médiocrité sucrée, ce vulgaire optimisme de
l'époque; hurlons à la face de la routine, de Tétai, du commerce
ce fait qui se déduit de toute l'Histoire : c'est qu'un grand Penseur,
un grand Acleur responsable agit partout où « un homme » agit;
c'est qu'un homme sincère, complet, n'appartient pas à une
époque à un endroit quelconque, autres ou indifférents, de celui
où il est; l;i où il est, est pour lui le centre des choses. Où il est,
est la nature ; il vous mesure, vous, tous les autres hommes, cl
tous les événements. Ordinairement les gens que nous rencon-
trons dans le monde nous en rappellent d'autres. Le vrai carac-
tère, l'homme réel ne vous rappelle personne d'autre; il repré-
sente toute la création. 11 faut que l'homme ait tant de valeur que
les circonstances dans lesquelles il se trouve, soient indifférentes.
Chaque homme véritable est une cause, un pays, une époque. Il
faut beaucoup de temps, d'espace et d'hommes pour que ses des-
seins soient pleinement accomplis; et la postérité, comme une
suite de clients, semble suivre ses pas. César naît cl pour des
siècles entiers nous avons un empire romain. Le Christ naît et des
millions d'esprits s'attachent si bien à son génie qu'on le confond
avec la vcrlu el avec les plus grandes possibilités humaines. Une
inslitulion est V ombre allongée d' un homme. Oui, comme le Mona-
chisme de l'hcrmite Antoine, la Réforme de Luther, le Quake-
risme de Fox, le Méthodism6.de Wesle.y, l'Abolition de Clarkson.
Millon appelle Scipion le sommet de Rome; et toute l'histoire se
résume facilement dans la biographie de quelques personnalités
fortes el graves (i).
{A suivre.) ^
A PROPOS DU LIVRE DE VIREMAITRE
Monsieur le Directeur de VA rt moderne.
Dans votre compte-rendu du livre de M. Viremailre, Paris-
Cocu ("2), vous émettez une ingénieuse explication au sujet de
l'emblème des Cornes, d'origine sémitique, d'après vous, et en
rapport avec la prostitution obligatoire des femmes mariées dans
le temple ou les bois sacrés du dieu cornu, Moloch, ou Daal, rap-
pelée notamment par Hérodote, non sans horreur.
J'ajoute quelques renseignements, ou plutôt quelques réflexions,
(1) Vraiment, n'est-ce pas lecteur? cet Emerson si peu connu chez
nous a de grandes et salutaires pensées. Et nous remercions de grand
cœur la collaboratrice inconnue qui nous fait connaître cette Con-
fiance EN SOI-MÊME, si suggostive. Quel bon pain pour fartiste !
(2) Voir CAjt modcrtic du 10 août 1890, p. 250.
à celle Ihèse, qui assurément est jdus rationnelle que les explica-
tions niaises qui ordinairement ont cours.
Le polichinelle musulman, Karaghous, célèbre par ses gesticu-
lations éroticpics et priapiques, parle fréquemment des copnes
avec la même signification. Le terme cornard (kcrata) est courant
chez les peuples islamiles. Théophile Gautier le signale dans .son
voyage à Constaniinople, au chapitre des Femmes. D'autre part,
quand, dans les cultes sémitiques, le taureau cornu, le veau d'or,
disparut, les autels conservèrent les cornes comme ornements.
La mitre juive des prêtres, devenue la mitre de nos évêqucs, était
cornue. Le signe favorable dos sémites, qui écartait les ma'éfices
et gardait du mauvais œil, comme le signe de croix des chrétiens,
ce sont les cornes, usitées aussi avec cette signification chez les
nations européennes méridionales, où la conquête arabe a péné-
tré. L'emblème national des mahométans, c'est le croissant, c'est-
à-dire les cornes.
N'y a-l-il pas là un ensemble de circonstances qui font croire,
mieux encore, que vous avez raison en rapportant l'origine de
l'emblcmc aux rites religieux des Sémites?
Singulière coïncidence, qui touche à l'élymologic mystérieuse
du mot cocu; Aristophane, dans sa comédie les Oiseaux, dit
textuellement que les Phéniciens, les Sémites par excellence dans
l'anliquilé, honoraient spécialement le coucou. N'y a-l-il pas là
un rapport nouveau entre celle matière et les adorateurs du
Moloch. Pcul-êlrc est-ce depuis les croisades que les emblèmes
en question et le mol ont été usiiés en Lurope.
Enfin, le signe des cornes est considéré comme porte-bonheur
en Orient, el par certains européens supcrslilicux. Or, on dii une
chance, un bonheur de cocu.
Veuillez excuser. Monsieur je Directeur, ces considérations
badines. Mais le sujet est si général el la matière si curieuse, que
j'ai osé m'y risquer après votre excellent journal.
In lecteur assidu.
foMMl^^ION? OFFICIELLE?
L'incident Rodin.
Tandis que M. Injalberl voyait accepter à l'unanimité, par la
Commission des Beaux-Arts, le projet de monument qui lui a été
commandé pour le Panthéon : Mirabeau à la tribune, celte même
Commission refusait avec sérénité le Victor Hu(jo de Rodiri...
Vous avez bien lu, de Rodin, l'un des plus illustres sculpteurs de
l'époque. Le projet, d'après elle, n'était pas assez « décoratif >> ;
c'était à refaire. El, tranquillement, avec sa philosophie paisible
de grand arlisle que n'atteignent nullement les oflicielles iineries.
Rodin a répondu : « Eh ! bien, nous le referons •>•>.
Ce qui procure à la Commission, désormais légendaire. la voloo
de bois vert que voici, administrée magislralemenl par Caliban :
« Est-elle assez documentaire, l'aventure de ce monument do
Victor Hugo refusé à son auteur, M. Auguste Rodin, par une Com-
mission dite des Beaux-Arts, rcst-elle assez!
Pour moi, je trouve qu'elle définit à miracle el résume la
belle idée que nous nous faisons de l'artiste et de son rôle dans
les sociétés modernes. Oui, c'est ça, c'est bien ça! Ce jugement
de l'œuvre d'un maîlre par des autorités consliluéos, il mesure à
l'aune platonicienne le droit que nous avons à l'individualité dans
le génie : ne pas dépasser en originalité ce qu'on attend d'un prix
de Rome dans les arls plastiques, d'un prix de vcrlu dans les
mœurs cl d'un académicien dans les Lcllres. Le lalon du poûtcsl
h la Monnaie avec celui du mèlrc. Pauvre Rodin!
Tout y est,, rien ne manque îi sa disgrûce, cl nous avons,
d'une part, le chef-d'œuvre, dans toute son évidence, car le projet
on est un, et son créateur hors de pair, le plus beau statuaire de
ce temps; puis, d'autre part, s'oppose la bonne cécité tradition-
nelle des juges, l'allental naïf de l'envie inconsciente pcul-éirc,
mais oflicacc b l'individualité cl à sa liberté d'être, la réserve de
la sainte critique, et la turqueric, que dis-je, la lurqueleric du
gouvernement qui nous subdivise le plus.
Oh ! la la ! Oh! la la ! Oh! la la!... Mais comme je m'amuse.
Or, dans tous les arts il en est ainsi, et il faut qu'il en soit
ainsi. Le drapeau l'exige! Une commission ne peut pas se trom-
per, d'abord, parce qu'elle est nommée pour ça, étant d'ailleurs
composée d'infaillibles de profession, élus eux-mêmes par des
impeccables officiels, choisis par un homme dont la certitude va
jusqu'à rincompétence sans appel, et remonte, de responsabilité
en responsabilité, jusqu'au chef de l'Etal, successeur de ce petit
gnome d'Adolphe Thiers. Ensuite, celte commission est « plu-
sieurs », tandis que l'artiste n'est qu' « un », dans un pays où
le Beau c'est la Moyenne. 11 en résulte que si une pareille élite dit
à un Rude, à un Carpcaux, à un Frémiet ou à un Rodin : a Tu
l'es trompé! » il y a erreur, évidemment.
Mais de quel côté, vaniteux imbéciles? »
Tous les journaux se sont naturellement occupés de l'incident,
et la Commission n'est pas épargnée, comme on le suppose.
Le Journal des artistes demande qu'on passe outre, purement
et simplement, sans tenir nul compte de l'arrêt rendu par les pon-
tifes en question : ■ "
« Nous disons que de pareilles hontes ne sauraient se
renouveler. Tous ceux qui, ayant quelque sens du beau, ont vu
la maquette de M. Rodin, s'accordent à déclarer que c'était une de
ses plus belles visions; que rien n'évoquait te pensée du grand
poète comme ces trois Voix, venant se poser, capricieuses ei fris-
sonnantes, au dessus de la tête du vieillard absorbé dans son rêve.
Tous s'accordent à dire que la transparente complicité du marbre
eut fait de cette œuvre un immortel chef-d'œuvre. Si la Commis-
sion ne l'a pas compris, tant pis pour elle.
11 appartient au Ministre et au Directeur des Beaux-Arts d'infir-
mer une pareille décision. Nous avons trop rarement l'occasion
de louer M. Larroumet pour ne pas dire aujourd'hui qu'il s'hono-
rera grandement en confiant à Rodin le Victor Hugo du Panthéon.
C'est également lui qui, par une pensée qui sera applaudie par
tous les vrais artistes, vient de demander au maître statuaire de
faire le buste de Puvis de Chavannes.
A cet éloge, que nous faisons bien volontiers, tout en réservant
nos appréciations sur les antres actes et tendances du Directeur
des Beaux-Arts, nous joindrons un appel chaleureux en faveur de
l'œuvre qu'on veut anéantir.
Nous comptons sur la fermeté de M. Bourgeois et de M. Larrou-
met pour que la ridicule décision de celle semaine soit nulle et
non avenue, quand même la Commission devrait donner sa démis-^
sion en masse, ce qui ne serait pas déjà si bête. »
jjUEILLETTE DE LIVRE?
Annuaire du Caveau verviétois, Verviers, J.-P. Mnssin, 1890.
A l'occasion de son dixième anniversaire, le CrtWrt« décore son
annuaire d'un frontispice dessiné par P. de Wil et qui montre,
sur une pierre dressée en autel, une figure de femme levant fièrc-
menl un (frapeau tandis que la main gauche porte une branche de
laurier. Le nouveau volume du Caveau atteste la vitalité de la
Société et témoigne d'un sincère attachement aux choses de l'Art.
Cent cinquante pièces (en français : 77 pièces eu vers, 24 pièces
en prose; en wallon : 49 pièces, toutes en vers) forment l'actif de
l'année littéraire 4888-89. Trois conférences ont été données aux
membres de la Société par MM. Karl Grùn, le président d'honneur
toujours actif et dévoué, Emile Lefobvre et Emile Gens. On sait
que le Caveau est. le centre d'un mouvement intellectuel très
intense qui a singulièrement propagé et développé les idées artis-
tiques à Verviers.
Ont paru :
Brieven van Multaluli. Het Ontstaan van den Havelaar, par
DoLWES Dekker (Multaluli). (Amsterdam, W. Versluijs, 1 fl. GO.)
Maxime, par Arnold Gofkin. (Bruxelles, Vos. 3-50 fr.)
7'he gentle Art of making Enemies, par James Me Neill
Whistler. (Londres, William Heinemann. 10 sh. 6.)
Les ^Aveugles, par Maurice Maeterlinck. (Bruxelles, Paul
Lacomblez. 3 fr.)
La Bièvre, par J.-K. Hlysmans. (Paris, Genonceaux. 3-50 fr.)
Villiers de VIsle-Adam, par S. Mallarmé. (Paris, Comptoir
d'Edition.) ^
Lire dans la Revue des Deux-Mondes (1" juillet 1890), un
intéressant article de Teodor de Wyzewa : les Peintres Japonais;
Dans Art et Critique (9 aoûl 1890), le Théâtre Vivant, pré-
face à V Echéance, par Jean Jullien;
Et, dans la Plume (bi-mensuelle), les articles de Léon Bloy.
Chronique judiciaire de? J\rt?
Benvenuto Cellini.
L'opéra Benvenuto Cellini de Berlioz, fut, dit la Gazette des
Tribunaux, représenté pour la première fois en 1835.
Cette œuvre n'eut alors aucun succès. Néanmoins en 1838,
l'éditeur Brandus obtint de Berlioz le droit de publier l'ouver-
ture et certains morceaux détachés de cet opéra.
Sur les instances de Liszt, Berlioz concéda, en 1835, à M.Litolff,
éditeur à Brunswick (Allemagne), la publication de la partition
pour piano de Benvenuto Cellini, avec paroles en français el en
allemand.
.Aucun droit d'auteur ne devait être payé à Berlioz par M. Lilolfî.
Berlioz se réservait seulement quelque^ exemplaires sur l'édition
qui allait êire faite el la possibilité de publier la grande partition
pour orchestre ou tout autre arrangement qu'il lui conviendrait
d'en faire.
MM. Choudens ayant acquis en 1864, de l^auleur, Te droit de
publier la partition pour orchestre de Benvenuto Cellini, fil
paraître postérieurement une partition pour piano.
M. Lilolfî, en vertu de la concession qui lui avait été faite en
1855, pour la publication de la partition pour piano, assigna
MM. Choudons devant le tribunal civil de la Seine, pour voir dire
fiu'il leur soit fait défense de continuer la publication de la par-
tition pour piano.
Devant le tribunal, MM. Choudens soutinrent rpie l'autorisalion
donnée en IH.^i.'», à M. Litoiff de publier la partition pour piano,
n'était pas une cession, mais nnc simple tolérance à titre pure-
ment gracieux; qu'aucun prix comme droits d'auteur, n'avait
été stipulé.
Le Ifi novembre 1888, le tribunal civil de la Seine rendit un
jugement, décidant que l'autorisalion donnée k M. Litolff par
Berlioz, constituait bel et bien une rcssion, et ordonnant aux
éditeurs Choudens de cesser immédiatement la publication de la
partition pour piano et chant de lienvenuto^ avec textes alle-
mand et français.
MM. Choiidciis, inlerjetrrent ap()el de cette décision, mais
sans succès, carie 25 juin dernier, la Cour a confirmé la sen-
tence des premiers juges, avec amende et dépens.
pETlTE CHROJ^llQUE
La réouverture de la Monnaie aura lieu, comme tous les ans,
les premiers jours de septembre.
Le spectacle de réouverture se composera de Faust.
Nous publierons le tableau de la troupe dans noire prochain
numéro.
Nous lisons dans la Coitlisie :
« La direction de l'Opéra n'est pas encore vacante ; elle a seize
mois pour elle avant d'atteindre le terme de son privilège. Ce qui
n'empêche pas de nombreux candidats de se présenter au minis-
tère pour solliciter le privilège de ce théâtre si difficile à conduire
cl objet de tant de convoitise.
Voici les noms en vue, sans compter ceux qui restent dans
l'obscurité jusqu'au moment où ils se produiront publiquement : ,
M. Porel, directeur de rOdéon;
M. Lamoureux, chef d'orchestre;
ou ces deux personnages réunis à un troisième, dont le nom est
encore un mystère ;
M. \yilder, critique musical de Gil Blas et le porie^drapeau du
parti wagnérien ;
M. Calabrési, directeur du théâtre de la Monnaie, à Bruxelles ;
M. Ritt;
M. Gailhard,
ou les deux réunis, la probabilité étant pour la continuation de
leur Société, si l'un des deux est nommé ; et enfin M. Burg, le
président des sauveteurs de la Seine.
Pourquoi M. Burg?
L'Opéra est-il en détresse?
Est-il nécessaire d'appeler un sauveteur, quelle que soit
son honorabilité, pour remettre à flot l'Académie nationale de
musique ? »
Pour ceux de nos lecteui-s que tenterait un voyage à Ober-
Ammcrgau, voici trois itinéraires dressés par i Excursion, a\cc le
prix du trajet :
Premier itinéraire. — Bruxelles, Luxembourg, Strasbourg,
Stuttgart, Munich, Murnau {eii voilure aller et retour pour Ober-
Ammergau), Munich, Mayence, les bords du Rhin, Coblence,
Cologne, Liégé, Bruxelles.
Prix : l'" (lasse, 1;;7 fr.; 2" classe, 118 fr.
Deuxième itinéraire. — Bruxelles, Luxembourg, Strasbourg,
la Poréi-Noire, la chute du Rhin, Zurich, la ligne de l'Aribcrg,
Innsbriick et le Tyrol, Munich, Murnau (en voilure aller él retour
pour Obcr-Ammergau), Munich, Mayence, 1rs bords du Rhin,
Coblence, Cologne, Liège et Bruxelles.
Prix : l'e classe, 182 fr.; "i" classe, 13o fr.i
Troisième itinéraire. — Bruxelles, Liège, Cologne, les Bords
«lu Rhin, Mayence, Nuremberg, Linz, les bords du Tianube,
Vienne, Buda-Pest, Vienne, la ligne du Semering, la ligne de la
Carintliic, Franzenfeste, la ligne du Brenner, Innsbriick, Rosen-
heim, Munich. Murnau {en voilure pour Ober-Ammergau et
retour par les montagnes à Innshriick)^ la ligne de l'Arlberg, le
lac de Constance, la chute du Rhin, la Forét-.Voire, Strasbourg,
Luxembourg, Bruxelles.
Prix : 1'" classe, 302 fr.; 2" classe, 222 ir.
Voici, d'après VA7inuaire de In Société des auteurs et composi-
teurs dramatifjues, les recettes encaissées par les théâtres de Paris,
du l"' mars 1889 au 28 février 1890 :
Théâtres R*>cettf^s
Opéra ....
Français . . .
Opéra-Comique .
Odéon. . . .
Vaudeville
Variétés .
Gymnase . . .
Palais-Royal . .
Nouveautés. .
Porle-Saint-.Martin
Gaité ....
Ambigu . . .
Châteiet . . .
Cluny. . . .
Château-d'Eau .
Renaissance . .
Folies-Dramatiques
Bouffes-Parisiens
Menus-Plaisirs .
Déjazct . . .
Beaumarchais .
Bouffes-du-Nord.
Eden-Théâtre
Folies- Bergère .
Folies-Voliaire .
^.Théâtre d'application .
Totaux .... 25,408,996 48 2,.oo0,."}3l tt6
Grâce à l'Exposition, les théâtres parisiens ont encaissé
fr. 25,408,996-48.
La différence est donc, en faveur de cet exoreico, do
fr. 7,218,548-37.
Les auteurs et compositeurs dramatiques ont perçu pour leurs
droits, à Paris seulement, la jolie somme de 2, 550, 531 francs.
fr. 4,015,224 16
. 2,385,2.36 01
. 1,982,590 .^0
810,682 .10
687, .H82 »
. 1,4.54,612 »
. 1,212,204 )]{)
997,456 »
828,726 »
1,523,727 75
•. 1,091,619 25
715,748 .50
. 1,927,788 25
324,103 50
78,443 »
277,638 »
700,860 »
546,286 »
4i6,.o65 85
. ^ 194.445 25
74,649 75
109,. 354 25
. 1,694,790 .50
. 1,313,302 50
47,243 05
Droits perçu.**
321,215
20
300,695''
60
240,645
90
80,976
H
82,.550
25
177,750
35
156,455
35
129,200
.30
99,487
35
108,465
»
107,929
n
71, .554
7.5
200,414
10
32,410
30
7,922 05
33,316
70
•84,102
65,564
.so
41,726
.00
19,443
»
7,462
05
6,441
15
83,188
35
26,256 45
4,722
OO
672
05
Une inauguration en pays félibre : celle du buste de Théo-
phile Gautier, fait par sa fille, et qui sera prochainement placé â
Tarbes. C'est M. Fernand Mazade qui sera chargé de l'allocution.
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Malles-Poste de l'État-Belge, Montagne de la Cour, 90*, à Bruxelles ou Gracechurch-Street, n° 53, à Londres, à l'Agence de Chemins de fer
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Administration et rédaction : Rue des Minimes, 10, BruxelUt.
Retuc mensuelle de littérature et d'art
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COMPOSITION MUSICALE
depuis les premiers éléments de rharmonie jusqu'à
la composition raisonnée du quatuor et des principales
formes de la musique pour piano par J.-G. Lobe;
Traduit de l'allemand (d'après la 5® édition) par
Gustave Sandre.
VIII et 379 p. gr, in-8». Prix : broché, 10 fr.; relié, 12 fr.
Ce livre, dans lequel l'auteur aicherché à remplacer l'étude pure-
ment théorique et abstraite de l'harmonie par des exercices pratiques *
de composition libre, fut accueilli, dès son apparition, par une
faveur niarquée. La présente traduction mettra le public français à
même d'apprécier un des ouvrages d'enseignement musical les plus
estimés en Allemagne.
Bruxelles. i- Imp. V MomoM, 26, rue de l'Industrie.
Dixième année. — N" 'M.
Le nlmkko : 25 centimes.
Dimanche 21 Aouf 1890.
L'ART MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
^ — — ^^^^^-^ "^ \
Comité de rédaction t Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
I
— ^^ ■ IIM^H^i— ^«^ ■ ' ' ' _ ^^— ^— ■ ■■■■ ■— ■ I l'-l • l.^— ^ Il II I ■■
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. —ANNONCES : On traite à forfait.
' Adresser toutes les communications à
l'administration générale de l'Art Moderne, rue de Plndustrle, 26, Bruxelles.
?
OMMAIRE
Genck. — M.ARiNE. — Jésus-Christ en Bavikre. — Albert
DuBOIS-PiLLET MORT. — ChROMQUE JfDICI.VlRE DES .\RTS. A MoitaCO.
— Petite chronique.
GENCK
Nous recevions dernièrement le « faire-part » annon-
çant la mort de Jean Gilekens, l'aubergiste de la Cloche,
à Genck,— Monsieur Jean, comme on l'appelait là-bas,
— et toute une bouffée de souvenirs, par ce nom évo-
qués, nous ramenait à des temps abolis, déjà si lointains,
ofi Genck joua un rôle dans l'art, prit une place dans la
géographie pittoresque, devint presque célèbre. Oui, il
a sa renommée, ce village perdu au milieu des bruyères,
parmi les sommeillants marais, les dunes de sable et les
boqueteaux de pins. Telle place forte ignorée s'illustre
par quelque résistance héroïque. Des chevalets de pein-
tres plantés le long d'une route suffisent à tirer de la
nuit un bourg inconnu. En France : Barbizon, Mar-
iette, Moret. En Belgique : Anseremme, Tervueren,
Knocke, Genck.
A Genck on travailla ferme et l'on ne se dépensa
jamais en farces de rapins. A l'époque de sa splendeur,
qui réunit dans la salle à manger de la Cloche : Théo-
dore Baron, Tscharner, Louise Héger, Jules Raymae-
kers , Joseph Coosemans , Anna et Eugène Boch ,
Lacomblé, Delfosse, Eugène Maus, enlevé à l'art avant
d'avoir donné sa moisson, Pierre Oyens, Montigny.
Bouvier, d'autres encore, on était debout dès l'aube, et
les levers de soleil irradiaient d'impressions joyeuses,
fixées par quatre clous, les murailles de l'auberge.
Flambeau, l'honnête barbet de Monsieur Jean, avait
fort à faire pour choisir, parmi tant de peintres mati-
naux et laborieux, celui qu'il présageait devoir l'em-
mener le plus loin dans la bruyère odorante, vers les
hameaux de Gelieren, Camerloo, Assche ou Niel dont
les chauraines branlantes, aux toitures couronnées de
joubarbes, zébrées de lichens, écartelées de l'émeraude
des mousses, off'raient à l'œil de séduisants motifs d'étude.
J^e grand branle-bas du départ quotidien terminé, le
brouillard refermé sur des silhouettes de peintres armés
de leur boîte, du chevalet de campagne et du parasol,
l'auberge retombait dans le silence, et le tic-tac mono-
tone de l'horloge de la cuisine rythmait les occupations
ménagères d'Hubertine, Ja femme de l'hOttelier, aidée
dans les coups de feu difficiles par sa sœur Rosalie,
taudis que leur père, le vieux Reymans, assis dans sou
large fauteuil de cuir, fumait sa pipe eu surveillant du
coin de l'œil le miroton.
L'heure du dîner ramenait tous les membres du pha-
lanstère autour de la table, en cette chambre basse,
206
UART MODERNE
-^
tapissée d'études et de tableaux que récemment nous
allâmes revoir avec l'émotion d'un pèlerin. Et c'étaient,
à la veillée, de longues causeries, des discussions
courtoises entre gens qu'unissait un même amour de
l'art. Parfois, le vieux piano était ouvert, et le con-
tralto superbe de Louise Héger, accompagné par les
grêles martèlements de l'instrument rétif, charmait le
recueillement de l'auditoire.
Il se dégageait de cette vie calme et laborieuse, de
cette intimité d'artistes sincères, une impression inou-
bliable pour ceux qui y ont été mêlés. C'est, croyons-
nous, la caractéristique de Genck, qui échappa au car-
naval implanté en jyermanence dans d'autres localités
—par des artistes de tempérament plus turbulent. Peut-
être l'austérité du pays exerca-t-elle son influence sur le
moral des peintres qui s'y installèrent. Et puis, en cette
pudibonde Campine, l'existence régulière était de tra-
dition. La patriarcale famille Reymans s'effarouchait
vite d'un accroc à la rigidité des principes, et il nous
souvient encore de la mésaventure arrivée à un jeune
peintre qui avait invité une amie de la capitale à venir
passer à Genck quelques jours avec lui. Les toilettes
bruyantes de la jeune femme ne furent pas du goût de
ces braves gens, qui prièrent poliment, mais avec fer-
meté, l'artiste de renvoyer la demoiselle.
Les villages de peintres ont leur décadence, car dans
les tableaux même il y a une mode. Qui, si ce n'est les
Américains, songe encore à planter son chevalet à Bar-
bizon? L'école du gris sonna pour Genck l'heure glo-
rieuse. Ce coin de Campine, tout en marécages, en landes
plantées de pins et de genévriers, en bossellements de
terre noire et de sable argenté, devait enthousiasmer
la génération d'artistes qui, pour exprimer la nature
dans sa vérité (principe déjà fort en avance sur les
théories précédentes) croyait nécessaire d'atténuer la
crudité de ses colorations. L'étude directe de la lumière
pousse la génération actuelle vers les plages étince-
lantes, vers les clairs terrains illuminés, vers les fleuves
qui roulent en leurs eaux transparentes l'or et les rubis
du soleil. C'est la fin de Genck, de ses mélancoliques
horizons, de ses nappes d'eau stagnante sur lesquelles
s'attardent les brouillards.
Seuls, quelques obstinés, cramponnés aux souvenirs
de jadis, poursuivent imperturbablement l'étude de la
chaumière de pisé, du chemin sablonneux fuyant sous
le feuillage sombre des pins, du vallonnement taché de
genêts, hérissé de pierres noires. Coosemans et Mon •
tigny étaient, à Genck, lorsque nous y allâmes cette
année, aux feuilles verdissantes, les derniers survivants
du phalanstère de jadis. Ermel et de Baré, qui, durant
dix ans, restèrent fidèles a la Cloche du pauvre Jean,
avaient eux-mêmes lâché pied et s'en étaient allés à là
découverte d'une contrée moins ravagée d'obsédants
souvenirs.
Ainsi passent et s'évanouissent les traditionnelles
institutions. Genck deviendra peut-être une villégiature
bourgeoise, comme Anseremme, comme Knocke, comme
Tervueren, qui ont, tous trois, eux aussi, joyeusement
palpité autrefois de la vie artistique. Et des gens dont
le po<age et le rôti sont l'exclusive préoccupation, regar-
deront avec dédain les gaies esquisses que tous nous
avons peintes sur les portes des chambres à coucher,
en mémoire de nos séjours. Ils hausseront les épaules
devant les croquades qui représentent la face souriante
de Jean, l'endimanchement d'Hubertine, et tous ces
chers coins de pays oft s'est accroché un peu de notre
jeunesse, de nos espoirs, de notre cœur.
Jean Gilekens, qui aimait tous les peintres et qui était
un peu devenu leur ami, présidant à leur table et trin-
quant avec eux, a eu raison de s'en aller avant cette
profanation. Il a compris que c'en était fait de Genck,
que le néo-impressionnisme avait amené l'irrémédiable
catastrophe, le Genksdcimmerwig , et il s'est endormi
avant que les derniers chevalets de campagne aient été
portés au chemin de fer.
Pour nous, nous avons tenu à saluer d'un cordial
souvenir ce brave homme que beaucoup d'entre nous
ont coudoyé, et à faire revivre un instant la physio-
nomie caractéristique d'une station d'artistes qui a, pen-
dant un quart de siècle, groupé une élite de gens de
cœur et de talent, aujourd'hui dispersés aux quatre
vents de la vie ou déjà abattus par la mort.
MARINE
En mer, on pense à la mer.
Et on la voit. J'entends autrement que de terre, de la
rive. Et pour l'art, c'est important, l'art de l'exprimer,
cette mer, par le pinceau, par la plume.
Tristan Corbière, 'l.'auteur brutal des Amours
jaunes, livre inconnu des Bouvard et des Pécuchet,
honneur de notre temps, un des poètes maudits mis
en croix par Verlaine sur un autel de gloire, a cliché
impérissablement cette vérité dans la Fin, une des
pièces de ses Gens de mer, lues et relues par mes
compagnons'de traversée et moi, ces jours derniers :
En fumée, la voici chassée
L'éternité, là traversée,
Qui fit de vous ma sœur d'un jour.
Ma sœur d'amour!
Il était marin, Corbière, et il a daté nombre de ses
vers du degré de latitude et du degré de longitude où,
intrépide corsaire, il le^ ravit à l'inspiration fugitive,
le crayon d'abordage, à la main. La Fiji est une ter-
rible satire de YOceano nox de Victor Hugo, poète de
la mer vue de terre, vue, il est vrai, avec les yeux d'un
génie, ces yeux qui, pareils à de noires ailes, emportent
j^
l'âme partout, surtout dans le mystère, plus loin, peut-
être et plus profondément dans les ténèbres que toute
navigation à la boussole, et dans des tempêtes plus
bousculantes que celles subies sur le pont des navires.
Mais à la condition que ce soit le génie.
N'importe ! Voici le cas. Il est curieux comme duel
entre deux âmes de poète, dont l'une fut uniformément
grande, dont l'autre fut grande au même point, mais
à certaines heures seulement. Car, il est tel vers de Cor-
bière qui égale Hugo et atteint Shakespeare. Et le cas
a cet intérêt de poser pour le lecteur, toujours ama-
teur d'énigme, le problème du jugement entre ces deux
jouteurs. Est-ce le puissant sentimental, au rythme
large, à la langue sonore et chantante? est-ce le vigou-
reux matelot-poète plein de^mots sacrés comme des
jurons, amarrant ses images comme des cordages, qu'il
faut préférer? Hugo versifiait chez lui sur le plancher
des vaches ; Corbière, au milieu des récifs de la Bre-
tagne, à bord de son cotre le Négrier, son rouleur
de cotre, son noceur de cotre, ainsi qu'il le nomme dans
la pièce qu'il lui dédia le jour où il le vendit, sur l'air
de : Adieu mon beau Navire.
Les beaux vers de Oceano nox chantent dans plus
d'une mémoire :
Oh! combien de marins, combien de capitaines
Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines
Dans ce morne horizon se sont évanouis?
Combien de patrons morts avec leurs équipages !
• L'Océan de leur vie a pris toutes les pages.
Et d'un souftle il a tout dispersé sur les flots.
Nul ne saura leur fin dans l'abîme plongée
Nul ne saura leurs noms, pas même l'humble pierre
Dans l'étroit cimetière oii l'écho nous répond.
Pas même un saule vert qui s'effeuille à l'automne.
Pas même la chanson plaintive et monotone
^'un aveugle qui chante à l'angle d'un vieux pont.
Et l'élégie va ainsi. Avec.d'autres vers encore, char-
gés de pitié et d'angoisse pour les marins morts en mer,
équipages de navires péris corps et biens. Jamais la
compassion, la paternelle compassion humaine ne s'est
épanchée en accents plus douloureux et plus touchants.
Corbière-le-Marin ne l'entend pas ainsi. 11^ ne veut
pas qu'on larmoie sur de tels morts. Mourir n'est pour
eux, selon lui, qu'une liquidation, résolument acceptée
par avance, du compte hasardeux de leur vie aventu-
reuse. Il s'irrite de ces larmes trémolantes, et, brutale-
ment, fait chavirer tout ce pavoisement de regrets et
de deuil. Ecoutez. Voici le morceau tout entier. Les
Amours Jaunes, où il a sa place, sont un livre rare,
trouyaille de bibliophile et joyau pour les lettrés; une
reproduction est presque de l'inédit :
Eh bien, tous ces marins — matelots, capitaines,
Dans leur grand Océan à jamais engloutis
Partis insoucieux pour leurs courses lointaines.
Sont morls — absolument comme ils étaient partis.
Allons! c'est leur métier; ils sont morts dans leurs bottes!
Leur buujaron au cœgr, tout vifs dans leurs capotes
-— Morts... Ilerci : la Camarde a pas le pied marin;
Qu'elle couche avec vous; c'est votre bonne femme
Eux, allons donc : Entiers! enlevés par la lame!
Ou perdus dans un grain
Un grain... est-ce la mort ça? la basse voilure
Battant à travers l'eau! — Ça se dit encombrer
Un coup de mer plombé, puis la haute mâture
Fouettant les ttois ras — et ça se dit sombrer.
Sombrer. — Sondez ce mot. Votre mort est bien pâle
El pas grand'chose à bord, sons la lourde rafale
Pas grand'chose devant le grand sourire amer
Du matelot qui lutte. — Allons donc, de la place! —
Vieux fantôme éventé, la mort change de face :
La mer!
Noyés? — Eh allons donc! Les noyés sont d'eau douce.
— Coulés! Corps et biens! Et, jusqu'au petit mousse.
Le défi dans les yeux, dans les dents le juron !
Buvant sans hauls-le-cœur In grand' tasse salée..
— Comme ils ont bu leur boujaron. —
— Pas de fond de six pieds, ni rais de cimetière;
Eux ils vont aux requins! L'âme d'un malolot .
Au lieu de suinter dans vos pommes de terre,
Respire à chaque flot.
— Voyez à l'horizon se soulever la houle ;
On dirait le ventre amoureux
D'une tille de joie en rut, à moitié soûle
Ils sont là ! — La houle a du creux. —
— Écoutez, écoutez la tourmente qui beugle!
C'est leur anniversaire. — Il revient bien souvent. -—
0 poète, gardez pour vous vos chants d'aveugle;
— Eux : le De pj'ofundis que leur corne le vent.
Qu'ils roulent infinis dans les espaces vierges!
Qu'ils roulent verts et nus,
Sans clous et sans sapin, sans couvercle, sans cierges
— Laissez les donc rouler, terriers parvenus !
Qu'en dites-vous? N'est-ce pas d'une belle insolence, et
vraiment n'hésite-t-on pas entre ces strophes heurtées
et violentes comme les vagues, déferlantes, hurlant les
mots, et l'hymne solennel et déprécatoire du poète des
Contemplations? N'est-ce pas plus marin ? plus homme
de mer? plus fait à bord? Et c'est là ce qui est surtout à
considérer au point de vue artistique.
J'en reviens, en effet, à cette idée, émise tantôt, qu'on
saurait dithcilement être un bon peintre de marine en
se contentant d'aller séjourner à Knocke ou à La Panne,
dans-les dunes, voire à Ostende sur l'estacade, même en
agrémentant le séjour de quelques excursions en yacht
et de quelques nuits en mer sur les bateaux de pèche
On n'a ainsi que l'odeur de la mer, comme on a l'odeur
du dîner en passant sur le trottoir qui longe les cuisines
d'un gourmet. La vraie mer ne se voit qu'en mer, chez
elle. Là seulement elle se livre dans sa variété infinie^
sa grandeur et son mystérieux symbolisme.
L'étude des marinistes contemporains confirme cette
observation. Leurs mers sont presque toutes des mers à
rivages, de jour ou de nuit, monotones, des mers policées,
très peu suggestives, manquant des miraculeux colo-
r
268
UART MODERNE
lis du large se lévèlant avec une prodigieuse fantaisie
au cours d'une longue traversée; écrasante leçon de har-
diesse pour cçux qui croient encore au gris, au terne, et
liésitent devant les , fulgurantes luminosités dont la
nature, vue de près, est prodigué jusqu'ùréblouissement.
Le navire aussi, ce héros de la mer, cet habitant, ce
vivant des flots ne saurait être compris que par Tinti-
niité, la familiarité d'une navigation prolongée, où on le
voit agir dans la gloire des beaux jours et dans les
misères et les luttes du gros temps. C'est là qu'il prend
cette personnalité que les Anglais, ces navigateurs par
excellence, lui ont instinctivement reconnue en lui attri-
buant un sexe, en le traitant comme un être liumain. Il
est intéressant, à cet égard, de réfléchir combien peu le
navire a de place, d'action et surtoutd'individualité agis-
sante dans les marines modernes. Il n'y est qu'un acces-
soire, un étofîage, un figurant sacrifié, alors qu'il serait
facile et exact de lui donner un rôle héroïque ou sédui-
sant. Que peut dire de profond à l'Ame un navire qu'on
voit passer ? Il vous parle, au contraire, à toute heure,
celui qui vous porte et vous emporte, quand, juché sur
sa croupe, on se sent un des fils Aymon de ce coursier
épique.
Donc navigue, navigue, artiste qui penses à dégager
pour ceux qui restent à terre les inconnues àela grande
mijsléricusc. Navigue, vis à bord, laisse-toi aller aux
chevauchées du monstre sur le dos du monstre. Sinon,
ne nous en parle pas, tu ferais de la simple rhétorique.
Décidément, j'aime mieux la mer à la façon de Cor-
bière qu'à la façon de Hugo.
I
JÉSLS-CIIIIIST Ei\ BAVIEIIE
Sous co lilro, ^(7 Dlaii a public une intt^ressanic dcscriplion
dos roprc'sciilalions qui allironl la foule de touristes à Obcr-
A!iimcr£îau. Jadis nous en avons déjà entretenu nos lecteurs (i) :
l'nler-Aninicrgau.
Me voilà au but de mon voyage, f/est ici, — dans un
rc\\\'\ des monts tyroliens, à quelques lieues au sud du Ijc de
Starnberg, (jue le Clirisl revient, cliaque dix ans, se montrer
l)armi les iiommes, — prêcher la bonne nouvelle, affronter
les pharisiens et les prcires, livrer sa cliair à la tlagellaiion cl
à la croi.x. Chaque dix ans, les pèlerins d'Ammergau peu-
vent, durant trois mois, vivre en pleine épopée chrétienne. —
Loger chez Caïphc, dîner chez saint Pierre, converser avec la
Vierge, Judas et Jésus... Puis, septembre s'aclievant, la divine
illusion s'évanouit. Les jwlerins regagnent leor pays; le théâtre
de la Passion ferme ses portes; Caïj)lic redevient serrurfer ; Jésus,
aubergiste ; saint Pierre, forgeron ou boulanger. El le petit vil-
lage d'Ammergau se rendort pour dix ans.
En ce moment, il est en plein éveil et en pleine vie. Depuis
Obérai! (la plus proche station de chemin de fer), jusquà Ober-
(1) W'ir noire numéro du S juin dernier.
Ammergau. c'est, par la roule de montagne, une fde indisconti-
nue de voilures, amenant les voyageurs pour la représentation de
demain. Dien que j'aie écrit quinze jours à. l'avance au bourgmes-
ire, je ne puis trouver de logement dans le village même, il me
faut aller chercher un gito à quatre kilomètres de là; à Unler-
Aiiimergau. Ensemble, les deux villaces'conlienncnl actuellement
plus do sept mille étrangers, qui seront partis après-demain, cl
tout de suite remplacés par d'autres.
... Accoudé à la petite fenêtre de ma chambre, aux murs
écham|>is de chaux blanche, décorés de Vierges et de Jésus enca-
drés, je regarde le soir descendre sur le paysage des deux Ammer-
gau, noyé de pluie tine. Les montagnes enceignenl en ovale
allongé la vallée de l'Ammer; Inter-Ammergau est à la pointe
nord-de l'ovale, — Ober-Ammergau à la pointe sud; deux amas
(le maisons pareilles, deux clochers pareils, en forme de lour
maigre coiffée d'un oignon. Entre les deux villages, un lapis de
prairie rase (les foins sont coupés), presque sans arbres, — où
serpente la route. Le verl tapis escalade le pied des montagnes
environnantes; il cesse où commencent les forêts de sapins, les
innombrables cônes sombres, iienchés, tassés l'un contre l'autre,
(|ui semblent monter à l'assaut des cimes... Certes, le site est
agréable, mi-riant, mi-sauvage : mais presque toute la contrée
avoisinanle, soit à l'ouesl, vers Constance, soit au sud, vers le
Tyrol aulricliicn, est de beaucoup plus pittoresque...
Ce n'est donc pas le sile qu'on vient voir l'ci d'Allemagne,
d'Angleterre, de France et même d'Amérique. C'est le spectacle
auquel j'assisterai demain : la Passion du Christ, jouée par des
villageois sur un théâtre de planches.
J'ai comme l'anxiélé d'une désillusion, lue fantaisie de souve-
nir m'a rappelé certain soir de vendredi-saint, là-bas, là-bas, en
Franco — au Cirque d'IIiver, où l'on jouait aussi la Passion,
devant beaucoup de spcclaleurs!...
Le maliu.
On m'a réveillé à sixMieures : car je dormais d'un vrai soiwmeil
de voyageur dans col étrange lit qu'on m'a donné, composé de
doux édredons séparés par un drap unique. La représentation
commence à huit heures. Je m'habille et je déjeune à la hât(\
Ine bciline'ii deux chovaux\ grande comme un wagon, m'em-
mène vers Ober-Ammergau.
Comme hier, il pleut. Le fond du ciel est gris, d'un gris de
vitro dépolie ; sur ce gris uni courent, très bas, des lambeaux de
nuages blancs qui s'accrochent aux aspérités dos montagnes et
enveloppent toutes les cimes de ouate légère. Trinqueballéc, au
trot de ses deux chevaux, la grande berline éclabousse d'innom-
brables piétons qui, eux aussi, vont entendre la Passionspiel à.
Ober-Ammergau. Dès l'entrée du village, il faut prendre la file, ni
plus ni moins qu'un jour de grande première à l'Opéra. Je des-
cends de voilure; je donne au cocher les quatre marcs convenus,
et je m'en vais, à pied, jusqu'au théâtre.
C'est, en somme, un immense, solide et commode ihéàiro
forain. In plan incliné où sonl dos rangées parallèles de sièges;
ce plan incliné recouvert à peu près au\ trois quarts par un
hangar ; le dernier quart (les petites places qui sonl, d'ailleurs,
les plus proches de la scène), à ciel ouvert. Puis le proscenium,
large d'environ trente-cinq rtièlres, aussi à ciel ouvert; à droite,
une rue de Jérusalem, ci la maison d'Anne; à gauche, une rue de
Jérusalem et la maison dePilate; au contre, la scène proprement
dite, la scène h rideau : suivant que le rideau csl levé ou baisse,
elle fait ou ne fait pas corps avec le décor environnant.
/
/
VART MODERNE
2G9
^
lî
J'ai enfin £[agn(5 ma place. Je jclic un coup d'œil sur l'assis-
lance. Il y a Oviilommcnl deux publics distincts, les curieux el les
pèlerins. Les curieux sont des Anglais, des Amc^-ricains, des Alle-
mands du Nord, quelques Français. Les pèlerins sont de modeslcs
bourg(îois, des ))rèlres, des femmes, beaucoup de gens de
Bavière el d'Aulriclic, venus là comme nos Urctons ou nos Fla-
mands vont en dévotion vénérer la Vierge l\ Lourdes... Les plus
pauvres ou les moins prévoyanls ont dû se contenter des places
découvertes : ils sont là environ quinze cents qui, sous la pluie
fine, empaquetés dans des couverlurcs, et, naturelement, sans
parapluie, vonljcsLer assis liuil heures en tout.
... In coup de mortier annonce le commencement de la repré-.
senlalion. L'orchestre (invisible), attaque le prélude. Vingt qi:alre
choristes, hommes el femmes, qui figurent le chœur antique, el
sont, paraît-il, des anges gardiens, viennenl se ranger au bord
de ravanl-scène. Avec leurs grosses barbes d'Allemands, ou leurs
minables figures d'Allemandes, Ils ont Y •dw'^ Air bondieuseries'
échappées des magasins de Saint-Sulpice... Serait-ce là loul le
spectacle ?
Résolu à être un spectateur impartial, je remise iirovisoiremenl
mes tablettes, que je reprendrai à l'entr'acle...
Midi. — A laubcrgc Luitpokl.
La première partie de la représentation est aclievée (de l'entrée
de Jésus à Jérusalem jusqu'au baiser de Judas). Tout en déjeunant
à la hâte, je m'eftbrcc de mettre en ordre mes impressions. Elles
sont complexes. Ce que je viens de voir est, suivant les moments,
notoire ou vulgaire, — passionnant ou ennuyeux, — prestpie
héroïque ou presque puéril.
Le spectacle se compose, en somme : des scènes parlées em-
pruntées à riiisloire même de la Passion ; de tableaux vivants
empruntés à l'Ancien Testament; de chœurs chantés, chargés
d'interpréter les tableaux.
Des cha^urs, je ne saurais rien dire, sinon qu'ils m'ont assommé
par leur longueur et leur monotonie. La musique (sauf en trois
endroits), ne s'élève pas au dessus de la moyenne des cantiques
des couvents. Les choristes ont une voix forte, un peu rude, avec
(juelques défaillances : mais aussi, pensez que ces malheureux
exécutent leur oratorio debout, sous la pluie! On souffre pour
eux d'abord, puis on s'habitue; cl l'on finit par trouver presque
comique le spectacle de ces vingt-quatre individus bariolés qui
chantent h tiic-tcie sous des torrents d'eau. 11 paraît que la neige
même ne les arrête pas.
Les tableaux vivants, disposés sur la scène couverte, sont
presque tous remarquables ; ceux qui représentent l'aclion d'une
foule sont absolument merveilleux : tels les deux tableaux de
VExode (la manne et le raisin de Chanaan). Beauté du décor,
harmonie des couleurs, justesse des atlitudes, rien n'y manque.
Cela vaudrait le vovage.
Quant h la pièce parlée et jouée, il serait absurde d'en critiquer
le livret au point de vue littéraire : on peut dire pourtant que ce
livret est habilement el sincèrement fait. L'intérêt du spectacle est
surtout dans l'interprétation, d'un réalisme et d'une conviction
incomparables. Pour la première fois, il m'a été donné de voir
une œuvre dramatique que des cabotins ne gâtaient pas par leur
parler el leurs gestes absurdes, appris ailleurs que dans la vie
vraie. La demi-impersonnalité où demeurent les acteurs d'Ober-
Ammergau (il n'y ï pas d'aftiche), les a jusqu'à présent garés du
cabotinage. Ils jouent, non pour eux-mêmes, mais pour la pièce;
ils jouent avec simplicité el avec foi. Tous sont bons, sauf, à mon
avis, la Vierge, qui a dû aller à Munich appreridre à gesticuler en
mélodrame et à se maquiller. Quant au Christ, il est admirable
de dignité, d'onction, de divinité. On dit que, le malin de chaque
représentation, il communie. «
Jo veux noter entre tous, dans cette première partie, la scène
de l'entrée h Jérusalem (les Hameaux). Je ne sais pas combien il
y a de monde alors sur le théâtre : vraiment, ils paraissent un
peuple — hommes, femmes, vieillards, petits garçons agitant
des palmes, étendant leurs vêlements sur le sol, poussant des
bosannali... Jésus paraît alors, monté sur l'ânesse (|uun ânier
conduit. El les beaux vers de la Fin de Snlan me viennenl au
souvenir ; ■
Il avfiil les cheveux pai'l.ipï's sur le front :
Des femmes qui ehaiilaieiil el qui (l.insaieiil en rond...
etc.
Deux heures.
La représentation recommence. La pluie recommence avec elle :
elle avait cessé durant l'enlr'acle. L'assistance semble légèremcnl
alourdie par la nourriture... Quelques spectateurs sommeillent
doucement... A côté de moi, une jeiine Anglaise croque sur son
album les bonnes têtes des choristes. Je tire aussi* mon carnet, et
je noie, au passage les sprclacles ((ui changent.
Maintenant, c'est, sur le théâtre, le pj/ocès de Jésus, sa compa-
rution devant Aune, devant Caïpho, devant Pilale, devant ilérode.
Toutes ces allées et venues, beaucoup plus développées dans le
livrel qucdans le Nouveau-Testament, semblent fatiguer le public.
Le nombre des dormeurs augmente. Seuls, les acteurs jouent
avec le même entrain que le matin; et, comme le malin, ils sont
cxcellenls.
Il pleut si fort que tout l'horizon a disparu. Les montagnes
elles-mêmes se sont comme dissoutes dans le brouillard ; on ne
voit plus que la scène, fouettée par la pluie.
Voici deux tableaux de foule, admirables, comme toujours : (le
triomphe de Joseph en Egypte, el l'émeute du peuple, réclamant
Jésus à Pilate). Aucune troupe au monde, sans en excepter les
Meiniuger, n'esl capable de rendre une |»areilie scène avec cette
intensité...
... Cependant la pluie s'apaise, l'horizon reparaît; la perspec-
tive des vertes montagnes encadre de nouveau le théâtre. C'est
l'heure où le drame divin va se dénouer. Jésus, charijé de sa
croix, apparaît, au milieu des soldats et du peuple. Tiès belle, la
scvnc où le cortège rencontre les saintes femmes. Mais décidé-
ment, la sainte Vierge est mauvaise.
El maintenant, à partir du moment où l'on dresse les croix sur
lû^Golgotha, il faut admirer sans réserve, el se laisser toucher.
L'auteur du « Mystère » a eu le tact de ne mêler presque aucune
parole humaine aux événements; le crucifiement, la mort de
Jésus, la descente de croix s'accomplissent presque en silence.
Mais les détails sont d'un réalisme saisissant ; l'effet produit est
inimaginable. L'intérêt du spectacle a eu raison de la fatigue du
public. Autour de moi, des fi^înmes, des prêtres pleurent. Quand
le soldat romain perce de sa lance le flanc de Jésus, el que le sang
jaillit, des cris sortent des poitrines...
C'est absolument beau^ cl les deux derniers tableaux (la Béné-
diction el l'Assomption), quoique moins remarquables, n'empê-
chent pas celle fin de drame de laisser une impression d'intense
émoiion...
270
VART MODERNE
Six heures du soir. — En voiture.
Une carriole, Irouvée à grand'peine à l'issue de la rcprésenla-
lion, m'emporte vers Murnau,où je prendrai le Irain pour Munich.
Devant et derrière la mienne, d'autres voilures, innombrables,
suivent le môme chemin, tandis qu'un fourmillement de piétons
s'dpai-pille sur la roule traversière, plus courte.
J'évoque le souvenir du rare spectacle dont je viens d'être
témoin, et je pense que vraiment, tel qu'il est, avec ses imperfec-
tions inévitables, il vaut bien ce concours de peuple. Je pense
aussi que c'est peut-éire la dernière fois qu'on le verra lel que je
Tai vu, car on entend parler ici d'un imprésario proposant aux
naïfs acl«ors d'Obcr-Ammcrgau des rcprésenlations dans diverses
villes du continent.
Seigneur, épargnez-leur celle aventure! Epargnez-nous ce
mélancolique spectacle : Jésus-Christ en tournée, saint Pierre
errant de capitale en capitale, — et la sainte Vierge à l'Hippo-
drome! Marcel Prévost.
ALBERT DUBOIS-PILLET MORT
Dubois-Pillel est monde la variole à l'hôpital mixte du Puy, le
18 août malin. — Vers 1886, après une longue période de colo-
riages quelconques et un court stage impressionniste, il adopta,
après MM. Seurat, Signac et Pissarro, la technique néo-impres-
sionniste, dont il adultéra souvent la pureté, cl l'élégance vaporeuse
de sa manière antérieure devint une élégance un peu roide. Mais
toujours, à défaut d'un style vigoureux et expansif, une évidente
sincérité, l'habile choix des thèmes et l'imprévu des dispositifs
vivifiaient son art. 11 fut l'un des fondateurs de la Société des
Artistes indépendants (il juin 1884), et figura deux fois aux
Salons vingiistes, comme invité. Cet homme lettré, spirituel et
cordial était né,^e 2o octobre 1845, à Paris, où il vécut, et dont il
célébra les édificé's et le fleuve. Il s'était (fin 1889) établi au Puy
en qualité de chef d'escadron, commandanl la gendarmerie de la
Hautc-Loirc. Au surplus, la biographie et le catalogue de Dubois
sont établis, et 1res précisément, par M. Jules Christophe, dans le
n" 370 des Hommes d'aiijourd^hui:
F. Fénéon.
-fHROmqUE JUDICIAIRE DE? ^RT?
A Monaco.
La Société des bains de mer de Monaco, après avoir commandé
au sculpteur Slocchi quatre statues destinées à orner une Ijaçade
du Casino de Monte-Carlo, refuse de lui remettre les monacos sti-
pulés, — du moins ceux de la quatrième statue, qu'elle refuse
avec la désinvoliure d'une simple commission des Beaux-Arts.
Quant aux deux premières statues, elle les a acceptées, les a
payées, puis les a trouvées i nfecles et les a détruites. Terrible-
ment irrité de ges procédés barbares, le sculpteur assigne la
Société. Il réclame le solde de son élai, soil 4,ti00 francs, plus
10,000 francs de dommages-inlérêis pour le tort que lui a causé
la destruction de deux de ses œuvres. Et voici, en résumé, la déci-
sion du tribunal supérieur de Monaco, rendue le 14 mars der-
nier :
Attendu que la Sociéié a traité ferme, sans aucune réserve
quant aux conditions de réception des œuvres; qu'elle savait, en
«'adressant à Stecchi, que jusqu'alors le talent de cet artiste ne
s'était jamais affirmé dans la grande statuaire ;
Qu'elle était d'ailleurs certaine que, guidé par son intérêt
et soucieux de sa réputation, le sculpteur ferait tous ses efforts
pour réussir;
Qu'elle a suivi sa foi que la Société courait ainsi la chance d'être
en possession d'un chef-d'œuvre, comme aussi de n'obtenir
qu'une œuvre médiocre, peut-être défectueuse ; que le prix était
fixé en conséquence; qu'enfin, avant la mise en place, la statue
originairement destinée à être envoyée à l'usine de Vallauris a
pu être complètement appréciée, ce qui équivalait à sa réception;
Attendu que, dans ces conditions, le refus de la Société est
inadmissible, et qu'il n'y a pas fteu de recourir à une expertise
qui manquerait de pertinence, comme les termes dans lesquels la
demande en est formulée manquent dVprécision ; d'où il suit que
les 4,500 francs doivent être portés à l'actif du demandeur;
En ce qui touche la demande de 10,000 francs de dommages-
intérêts pour le tort causé au demandeur par la\^eslruction des
deux statues du fronton ;
Attendu que Stecchi avait aliéné et livré son oeuvre sans
réserve; que la Société devenue propriétaire des statues, avait le
droit d'en disposer b son gré ; que, sans s'arrêter à leuryaleur
artistique, la défenderesse a jugé que l'effet ne répondait piks à
son allonto et nuisait à l'harmonie architecturale de son édifices
qu'à son propre dommage et sans nulle intention de nuire au
demandeur, elle a préféré détruire les statues ; qu'il faut d'ailleurs
reconnaître que leur coulage en ciment obligeait à les briser pour
les faire disparaître ;
Qu'en usant de son droit dans la mesure indiquée, la Société
n'a encouru aucune responsabilité qui la rende passible de dom-
mages-intérêts envers le demandeur ;
Par ces motifs.
Condamne la Société des Bains de mer à payer à Stecchi la
somme de 4,500 francs ;
Déclare Stecchi mal fondé en sa demande en 10,000 francs de
dommages-intérêts.
pETITE CHROJ^IQUï:
Les concerts Lamoureux organisés en Hollande, en Belgique
et dans le nord de la France par l'inSpresario Schurmann, auront
lieu dans Tordre suivant :
A Rotterdam, le 16 octobre; à Amsterdam (trois concerts), les
17, 18 et 19; à La Haye (deux concerts), les 20 et 21 ; à Haarlem,
le 22 ; à Arnhem, le 23; à LUrecht, le 24 ; à Anvers, le 25 ; à
Bruxelles (deux concerts), les 26 et 29; à Liège, le 27 ; à Gand,
le 28; à Lille, le 30; à Roubaix, le 3l/.
Les concerts auront lieu : à Roltçrdam, au Grand Théâtre; à
Amsterdam, dans la Grande salle de Concert, et à Itruxellcs, au
théâtre de l'Alhambra.
M. lamoureux fera entendre à Bruxelles des fragments do
Parsifal, de Lohengrin, de Tristan, un morceau de lArlésienuc
et une composition inédite de Delibcs, etc.
De l'Eventail, quelques nouvelles relatives à la Monnaie. La
réouverture se fera par Faust, dont voici la distribution :
M. Lafarge (Faust); M. Vérin (Méphislophélès) ; M. Bouvet
(Valentin); M. Challel (Wagner); M"*" De Nuovina (Marpiierile);
BI"« Paulain-Archaimbaud (Siebel) ; M"* Wallcr (dame Marllic).
Le lendemain, spectacle d'opéra-comique.
Puis viendront les reprises d'^sc/rtnH07J(/c avec M"'"* Sanderson
et Nardi ; do Roméo avec M"" Sanderson cl M. Dupeyron; de
Carmen avec M"*» Nardi, Carrère, Paujain-Arcliaimbaud el Wolf,
MM. Dupeyron, Badiali, Isouard ; de Manon avec M"* Sanderson;
de Don Juan avec M. Bouvet (don Juan), M. Senlcin (Leporello),
M. Vérin (le Commandeur), M"* f)e Nuovina (Anna), M"« Sybill
Sanderson (Zcrline).
Siegfried passera du 8 au 4S décembre. Les directeurs comptent
sur M. Lafarge pour chanter le rôle du héros. Il est question, pour
les représentations de cette œuvre, de l'engagement do M"*' Crcmer
qui chanta, l'an dernier, à Marseille.
Voici le tableau de la troupe :
Directeurs : MM. Stoumon et Calabrési.
Chefs de service.
MM. Barwolf et Franz Servais, premiers chefs d'orchestre;
Léon Dubois, deuxième chef; Gravier, régisseur général; Léon
Herbaut, régisseur; Lafont, maître de ballot; Louis Barwolf,
bibliothécaire; Bullens, chef de la comptabilité; Charles Lom-
baerls, machiniste en chef; Feignaerl, costumier; Bardin, coiffeur;
Colle, armurier; Jean Cloelens, préposé à la location, contrôleur
en chef; Maillard, percepteur de l'abonnement; Devis et Lynen,
peintres-décorateurs.
Artistes nu chant.
Ténors .• MM. Lafarge, Dupeyron, Dclmas, Isouard, Froment.
Barytons : MM. Bouvet, Badiali.
Basses : MM. Vérin, Sentcin, Challet et Chappuis.
Cantatrices : M™»" De Nuovina, Sybill Sanderson, Nardi,
Carrère, Paulain-Archaimbaud, Langlois, Wolf, Wallcr.
Artistes de la danse. '
Danseuses .- M"*^" Tereslta Riccio, première danseuse ; Ratcro,
deuxième danseuse; Dierickx, troisième danseuse.
Danseurs : MM. Lafoni, Duchamps, Ph. Ilansen et Dosmct.
Huit coryphées, trente-deux danseuses et douze danseurs.
Orchestre : Quatre-vingl-et-un musiciens ; musique de scène,
un chef el vingt musiciens; chœurs : trente femmes, huit enfants,
(juaranle-quatre hommes.
Vingt machinistes, vingt employés placeurs et ouvreuses; trente
habilleurs et habilleuses.
Le ihcâlre du Parc fora sa réouverture entre le 10 et le
\i septembre.
La direction du théâtre des Galeries Saint-Hubert pa.sse aux
mains de M. Camille Durieux, l'ancien chef d'orchestre du théûtre
(le la Bourse el le collaborateur de M. De Luyck.
M. Durit'ux a dirigé, l'année dernière, le théâtre de l'Alhanibra
où il a remporté plus d'un succès.
Le Semeur public une intéressante étude de M. Albert Troude
sur Léon Cladel. Voici la description de la demeure de l'artiste :
V Lcnlcmcnt, nous nous approchons de la demeure du maître,
sombre maison bâtie au fond d'une terrasse plantée de grands
arbres, où l'on pénètre par un étroit escalier de pierre creusé dans
le mur d'alignement. C'est sur sa terrasse que d'habitude, Cladel
fait les cent pas en rêvant h quelque œuvre nouvelle.
Nous entrons; le vestibule ou plutôt l'antichambre du roz-de-
chaùsséc possède pour tout ameublement une Vénus de Milo et)
plâtre. Dans la salle à manger se trouvent des meubles fort
simples en bois sculpté; aux murs, un polichinelle à l'aquarello
par Manct, avec dédicace, un Baudelaire gravé h l'eau-forle; un
portrait de Cladel à l'âge de dix-neuf ans, peint dans le goût- do
Flandrin et... c'est tout.
Dans le salon, autre ameublement fort modeste aussi : très beau
portrait du maître, par Carolus Duran; portrait de Victor Hugo,
celui de fioncoiirt par Bracquemond, et une magnifique épreuve do
Cladel, k l'eau-forte, par le célèbre graveur ; puis un^dessin repré-
sentant Monlauhan-Tu-Ne-Le-Sanras-Pas couché sous un arbro
au milieu des champs pendant un3 tempête el du au crayon de
Legros, ainsi qu'un nouveau portrait du fils unique de ce modèle
des Compagnons du Devoir, tout à côté. Puis, sur la cheminée,
buste du même, par Arthur d'Echérac; sur un meuble, le Baiser,
par Rodin, et au dessus du piano, tête de Damné on plâtre, frag-
ment de la fameuse « porte » dont on parle tant sans l'avoir vue;
enfin, un portrait de famille, le conventionnel Jean-Bon Saint-
André, par David, datant de l'an III de la République, avec cette
épitapho latine du grand peintre de la Révolution française :
Donum amicitiœ solatium amoris, David faciebat in vincli.is,
anno R. p. 3, 479.-). — Messidoris 20.
Tout cela n'est, certes, pas banal. Rien n'est plus beau, à mon
avis, que le Cladel de Bracquemond. Vous retrouverez là dans
toute sa noblesse le Seigneur-Christ fjtigué, tendre, compatis-
sant, dont je vous parlais tout à l'heure, le Dieu secourable qui
semble gémir sur les malheurs du monde et cherche à consoler.
Cladel, en effet, est un grand consolateur. Pas un jeune débu-
tant n'est venu le trouver qu'il n'ait reçu conseils et encourage-
ments salutaires. Ses œuvres nombreuses sont, d'autre pari, on le
sait,'d'admirables plaidoyers en faveur dos humbles, dos obscurs,
des opprimés, ses pères, dit-il avec quelque orgueil. »
Un concours vient d'être ouverlà Vicnn?, pour l'exécution du
monument â la mémoire de Mozart. Dos prix de 8,000, 1,000 ol
.^)00 florins seront décernés aux trois moil leurs projets.
Il paraît que Gœlhe était à la fois poète et musicien.
A la dernière réunion de YJssofintion Gœthe, à° Weimar.
M. le conseiller do la cour Ruiand a lu une communication qui
produit dans le monde musical une véritable sensation.
Il paraiirait qu'en opérant récemment le classement de l,i
bibliothèque de Gœlhe au musée national qui porte son nom, on
a trouvé, au fond d'une armoire oubliée, plusieurs cahiers de
musique écrits de la main de Gœlhe, entre autres dos devoirs
d'harmonie et des arrangements pour quatuor d'œuvres do
Bach.
Toute une collection d'ouvrages de musique classique était
également enfouie dans cette armoire : pièces religieuses et dra-
matiques d'anciensinaîlros italiens, compositions de Bach pour
orgue, etc. La plus grande partie do cette musique provient do
Leipzig. Celle découvx'rte va singulièrement modifier l'opinion
que les biographes ont répanduo dans le public au sujol du pou
de goût musical qu'avait le grand poète allemand.
Œdipe et le Sphyvx, le Jeune homme et la Mort, DioméJ,-
dévoré par ses chevaux, lEnlèvemeut d'Europe. Prométhee.
Jason, Orphée, diverses Sapho, ta Naissance de Vénus, Mol-i,-
exposé sur le Nil, Hercule et l'hydre de Lerne, la Chimère, la
Péri, le Bon Samaritain, wnc Descente d-i croix, xini^ Pifti, bi
Sainte el le Poète, Saint- Georges, Salomé, l'Apparition : do ces
peintures, de ces aquarelles, de ces dessins de M. Gustave Moreai
on trouve un choix de bonnes photographies chez MM. Dietrich
et Ce, Montagne de la Cour, 75.
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Partition pour chant et piano, réduite par R. Kleinmichel
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JOURNAL DES TRIBUNAUX
paraissant le jeudi et le dimanche.
Faits et débats judiciaires. — Jurisprudence.
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Administration et rédaction : Rue des Minimes, 10, Bruxelles.
LA ^V^A.LLONIE
Revue mensuelle de littéraire et d'art
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Directeurs : MM. A. MOCKEL et P. -M. OLIN.
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Breitkopf et Hartel, éditeurs, Leipzig-Bruxelles
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TRAITÉ PRATIQUE DE
COMPOSITION MUSICALE
depuis les premiers éléments de l'harmonie jusqu'à
la composition raisonnée du quatuor et des principales
formes de la musique pour piano par J.-G. Lobe.
Traduit de l'allemand (d'après la 5« édition) par
Gustave Sandre.
VIII et 379 p. gr. in-8". Prix : broché, 10 fr.; relié, 12 fr.
Ce livre, dans lequel l'auteur a cherché à remplacer l'étude pure-
ment théorique et abstraite de l'harmonie par des exercices pratiques
de composition libre, fut accueilli, dès son apparition, par une
faveur marquée. La présente traduction mettra le public français à
même d'apprécier un des ouvrages d'enseignement musical les plus
estimés en Allemagne.
BruxeUes. — Imp. V Monkom, 26, rue de Vlndu«trie.
Dixième année. — N" liô.
Lk numéro : 26 centimes.
Dimanche 31 Août 1890.
L'ART MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Comité de rédaction t Octave MAUS — Edmond PICARD — Émilb VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. —ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser toutes les communications à
l'administration générale de l'Art Moderne, rue de rindustrie, 26, Bruxelles.
^OMMAIRE
Un article net. — Prouduon et la Belgique, pour faire
SUITE A LA BeLGIQUK JUGÉE PAR BAUDELAIRE. CoNKIANCE EN SOI-
MÊME. Traduction inédite de l'anglais d' Emerson, par une incon-
nue (suite). — Conseils aux collectionneurs qui fréquentent
l'Hotel Drouot. — Chronique judiciaire des arts. Marat dans
sa baignoire. — Petite chronique.
UN ARTICLE NET
L'article d'Octave Mirbeau, dans le Figaro, sur Mau-
rice Maeterlinck nous a beaucoup, mais heureusement,
surpris.
D'ordinaire ce journal ne consacre que des réputa-
tions consacrées, si toutefois il consacre. Le gros
public français et belge prétend, en le lisant, se tenir
au courant des choses littéraires. Dans sa revue biblio-
graphique M. Philippe Gille cite à tort et à travers
quelques extraits des romans, ni bons ni mauvais, qui
paraissent; les lecteurs s'approvisionnent la mémoire
de quelques noms et de quelques titres de volumes à
fr. 3-50, et voilà. Quant à M. Albert Wolff'et M. Henry
Fouquier, ils jettent les pots à eau du bon sens bour-
geois, hebdomadairement, à la tète des artistes. Toute
originalité, tant littéraire que picturale, leur déplaît.
Leurs articles sont des délayages d'axiomes usés et de
jugements veules. Ils font des besognes de ménagères;
ils ont des recettes pour remplir- leurs deujç colonnes de
prose, comme Cross et Blackwell ont des recettes pour
accommoder leur marmelade au goût de tous. Ils sont
universels, dans le sens honteux de ce mot.
Or, voici que tout à coup, dans ce même Figaro, un
premier-Paris, enthousiaste, sincère et hardi, est arboré,
avec le nom d'un inconnu comme étiquette. Rien qui
sente la réclame. C'est jeune, vif, généreux, ardent et
clair. On aime à lire et à relire l'article, ne fût-ce que
pour se persuader que malgré toute la misère et la veu-
lerie du journalisme, il ekt encore, même dans les
gazettes boulevardières, des. gens de plume chevale-
resquç et de fierté nette. DésigbeïLXstdmirable drame de
laj*rincesse Maleine, le marquer chef-d'œuvre, le
mettre à sa place, très haut — et crier tout cela sim-
plement mais fermement, à tous les facteurs et à tous
les habiles metteurs en actes du boulevard, qui, s'ils
lisaient le drame, n'en comprendraient rien et le décla-
reraient un enfantillage, c'est une action bonne et belle.
Cela rachète.
« Lm Princesse Maleine est un drame écrit, ainsi que
le déclare l'auteur, pour un théâtre de fantoches.
Raconter ce drame dans ses détails ? Je ne le puis. Ce
serait en gâter le charme immense, en atténuer l'im-
mense terreur où il jette les âmes. Il faut le lire, et
quand on l'a lu, le relire encore. Je crois que, pour ma
part, je le relirai toujours. Jamais, dans aucun ouvrage
tragique, le tragique n'atteignit cette hauteur vertigi-
neuse de l'épouvante et de la pitié. Depuis la première
scène jusqu'à la dernière, c'est un crescendo d'horreur
qui ne se ralentit pas une seconde et se renouvelle sans
cesse. Et le livre fermé, cela vous hante, vous laisse
effaré et pantelant, et charmé aussi par la grâce infinie,
par la suavité triste et jolie qui circule à travers cet eff'roi.
Pour arriver à cette impression d'effroi total, M. Maurice
Maeterlinck n'emploie aucun des moyens en usage dans
le théâtre. Ses personnages nedébitentaucune tirade. Ils
ne sont compliqués en rien, ni dans le crime, ni dans
le vice, ni dans l'amour. Ce sont, tous, de petites âmes
embryonnaires qui vagissent de petites plaintes et pous-
sent de petits cris. Et il se trouve que les petites plaintes
et les petits cris de ces petites âmes sont ce que je con-
nais de plus terrible, de plus profond et de plus déli-
cieux ,~au delà de la vie et au delà du rêve. C'est en cela
que je crois la Princesse Maleine supérieure à n'im-
porte lequel des immortels ouvrages de Shakespeare.
Plus tragique que Macbeth, plus extraordinaire de
pensée que Hamlet, elle est d'une simplicité, d'une
familiarité — si je puis dire — par où M. Maurice
Maeterlinck se montre un artiste consommé, sous l'ad-
mirable instinctif qu'il est : et la poésie qui encadre
chacune de ces scènes d'horreur en est tout à fait ori-
ginale et nouvelle ; plus que cela : véritablement vision-
naire.
« Avant la Princesse Maleine, M. Maurice Maeter-
linck avait publié (S^erres chaudes, d'étranges et souvent
admirables poèmes. Tout l'art si absolument réalisé
depuis dans la Princesse Maleine s'y troiiyj^ contenu,
à l'état de minerai, pour ainsi dire, mais un minerai
d'une abondance incroyable et d'une excessive richesse.
Il y a là, vraiment, parmi beaucoup de choses, peut-
être inutiles et trop touffues, des sensations encore iné-
dites dans la littérature; il y a là, vraiment, de l'inex-
primé. Si jamais un critique s'avise par hasard d'ouvrir
ce livre, il est probable qu'il accusera l'auteur d'être
obscur et même décadent. Et il se livrera à de très
anciennes plaisanteries dont là facilité vulgaire réjouit
toujours les sots et les gens de bon sens. La vérité est
que personne n'a plus de clarté dans le verbe que
M. Maeterlinck. Pour le comprendre en l'intimité de sa
pensée et l'étrangeté de ses analogies, il faut, en quelque
sorte, épouser ses états d'âme et se vivre en lui, comme
lui-même se vit dans les choses. Ce n'est qu'une affaire
d'intelligence ; une affaire d'âme aussi, noij pas même
d'âme sœur de la sienne, mais d'âme qui à senti quel-
quefois comme la sienne. Alors, ce livre s'illumine et
. nous illumine de clartés éblouissantes. Et l'on n'est plus
étonné que de ceci : c'est de n'avoir pas su soi-même,
tant elles paraissent familières et simples, donner à ces
pensées, à ces visions, à ces sensations, la forme inat-
tendue et lumineuse et délicieuse suprêmement qu'elles
revêtent, sans cesse, sous la plume de ce sensitif vibrant
qui est, en même temps, un merveilleux et unique
artiste.
« Je voudrais pouvoir citer, pour la joie d'un lecteur
lointain et inconnu, beaucoup de poèmes de ces Serres
chaudes, car l'impression de trouble et de délices où
ils laissent l'esprit, se ressent mieux, se goûte mieux
qu'elle ne s'exprime en vaines phrases. Par exemple, je
voudrais citer V Hôpital, où la réalité est décrite, évo-
quée, ressuscitée — avec quel mystère, avec qu'elle pré-
cision mélancolique et tragique ! — par les cauchemars
vagabonds d'un malade; ou bien cet autre poème :
Cloche à plongeur, qui est, en ses analogies choisies et
douloureuses, le plus poignant cri de désespérance de
l'homme enfermé dans la prison de sa matérialité, alors
qu'autour de lui passent les rêves qu'il n'atteindra
jamais. Malheureusement, je n'ai pas la place qu'il me
faudrait. C'est surtout dans Regards que le talent de
M. Maeterlinck se présente le mieux, avec tous ses
caractères de sensibilité intense, profonde, nouvelle. »
Toutefois, M. Octave Mirbeau se trompe s'il croit
^- comme il l'affirme — qu'aucun critique ne s'est jus-
qu'ici occupé de M. Maurice Maeterlinck. Tous les
journaux d'art, en Belgique, ont longuement analysé
et loué les Setyes chaudes ^t la Princesse Maleine.
Ici, même, il y a quinze jours à peine, on exprimait des
idées assez semblables aux siennes, en mettant en paral-
lèle avec les drames shakespeariens, le drame qu'il
loue aujourd'hui.
Il nous plaît, en terminant, de rapprocher l'article
de M. Octave Mirbeau de celui de M. Paul Adam, paru
dans les Entretiens politiques et littéraires. Celui-ci,
également,' dans une de ses phrases, semble viser « la
plume gantoise » de M. Maurice Maeterlinck. Il en dit
tant de mal — c'est, de reste, son droit — qu'il nous
fait sourire — ceci, c'est notre droit. L'article de
M. Paul Adam est très outré et d'une abracadabrance
réjouissante. Nous l'avons lu avec indifférence car nous
admettons parfaitement qu'on soit excessif et injuste
contre les forts. Cette injustice ne fait tort... qu'aux
autres, un jour. Et cela nous plaît. '^
Au reste, que les jeunes écrivains parisiens montrent
les dents aux jeunes écrivains belges, c'est si bien dans
la mesquine logique humaine. L'esprit de clocher règne
autour de Notre-Dame, aussi bien qu'à Carpentras ou
à Etampes.
Passons. Et ne voyons dans ces deux articles, qui
entrecroisent leurs attaques et leurs louanges, que le
triomphe d'un poète. .
J
PROUDHON ET LA BELGIQUE
pour faire suite à
LA BELGIQUE JUGÉE PAR BAUDELAIRE.
(Voir l'Art moderne, 1890, p. 232 et suivantes).
A propos de l'âpre et outrance pamphlet préparé contre la
Belgique par Baudelaire, et resté à l'état de notes de police, vio-
lentes comme des dénonciations, nous avons rappelé que
Proudhon, lui aussi, avait émis à notre sujet des remarques très
dures.
Nous avons eu la curiosité de rechercher ces vieilles impré-
cations. Elles sont de 1862. L'illustre socialiste, le fondateur le
plus en vue de l'évolution ouvrière, qui lentement roule U l'écrase-
ment de l'organisation bourgeoise, était chez nous en exil pour
son livre fameux, et resté si beau dans quelques-unes de ses
parties : La Justice dans la Révolution et dans l'Eglise. A ce
propos, disons pour compléter un détail resté indécis dans notre
article sur Baudelaire, que celui-ci était en Belgique pour prescrire
les mois de prison qu'on lui avait stupidement infligés pour ce
dominant chef-d'œuvre : les Fleurs du mal, incriminé d'outrage
aux moeurs et à la religion, à la Gion comme dit Stendhal dans
sa curieuse autobiographie qui vient de paraître sous le titre :
f^ie de Henri Brulard (1). Proudhon collaborait à l'Office de
Publicité, journal hebdomadaire, à cette époque très lu, et, ma
foi, souvent très intéressant. Il publia, dans le numéro du 7 sep-
tembre, un article étendu intitulé : Garibaldiet V Unité italienne,
hautement pensé et vigoureusement écrit en excellent style
Proudhonien, style de sculpteur en phrases. Il y échappait au
brutal polémiste des invectives contre diverses de nos belles
institutions, des invectives d'assommeur, dont plus d'une bien
appliquées. Entre autres : « Braves journalistes belges qui ne
savez qu'emplir vos colonnes de tartines parisiennes, écrites entre
deux chopes ». Puis, dans une prosopopée, où il s'adressait à
Napoléon III, le conviant à une annexion de la Belgique, dans
une forme ironique qui fut prise au sérieux par Louis Defré,
patriote professionnel comme on sait, et porte-parole des braban-
çonneux, Proudhon disait, terriblement : « La Belgique vous
attend, il faut le croire : là, comme chez nous, et plus encore
que chez nous, le peuple jeûne et rêve, la bourgeoisie digère cl
ronfle, la jeunesse fume et fait l'amour, le militaire s'ennuie,
l'opinion reste vide et la vie politique s'éteint. Déjà le commerçant
et l'industriel ont supputé ce qu'ils gagneraient à l'annexion ».
Adressées à des Béotiens, peu versés (à cette époque) dans les
artifices littéraires, à ceux dont peu après Baudelaire devait dire :
Ils ont la haine de la littérature, ces fusées provoquèrent une
explosion. Joseph Boniface se réveilla dans Louis Defré, des
manife^ions eurent lieu devant l'humble logis de Proudhon, le
suave et doux Van Bcmmel lui-même, introducteur en un temps
lointain des poètes timides et des jeunes écrivains élégants, se
mit en colère, et le grand démocrate français, coupable d'employer
des Iropes trop peu à la portée de ses lecteurs, dut quitter le pays
comme un simple Victor Hugo. Il fut expulsé pour crime d'élo-
quence incomprise.
(1) Voir le jugement condamnant Baudelaire, cité dans notre
numéro du 4 novembre 1888, à f)ropos du procès de VEnfant du
Crapaud, par Camille Lomonnier.
Ce ne fut pas, on le pressent, sans que le sanglier se retournât
et envoyât quelques coups de boutoir à la meute qui le mordait
aux jambes. Tous les documents relatifs à cet épisode ont été
réunis dans une grosse brochure publiée par Dentu, à Paris,
en 4862, sous le titre : la Fédération et l'Unité en Italie, par
P. -J. Proudhon; quelques-uns y ont été tronqués par crainte du
gouvernement impérial. Dans un article écrit de Paris, le
1*' octobre 1862: la Presse belge et l'Unité italienne, et plus
spécialement dans un paragraphe intitulé : la Presse libérale belge,
on lisait entre autres : « L'honorable Boniface, et vous, Messieurs
delà presse libérale, qui vous croyez libres parce que votre sac
est vide et qui n'êtes que des maraudeurs politiques ». —
« Boniface, pamphlétaire maladroit, qui, dans votre ardeur de
dénonciation, ne prenez garde ni à ce que dit votre adversaire, ni
à ce qu'il est ». — Et plus loin : « Certes, Boniface, ce n'est pas
trop mal raisonné pour un ancien élève de l'Université catholique
de Louvain, devenu plus tard libéral, déiste, fourriériste même,
et dont le mandat législatif devra être renouvelé aux prochaines
élections. Priez le nouveau Dieu que vous adorçz, ce Dieu doctri-
naire qui ne diffère de celui des cléricaux que parce qu'il n'y a en
lui ni Esprit, ni Verbe ». — Et encore : « Gardez-vous, bourgeois
de Belgique, de ces jeunes doctrinaires qui s'arrogent en ce
moment le privilège du patriotisme; qui vous parlent, comme
Joseph Boniface, de vous ensevelir dans l'immortalité de la mort,
et qui, au jour des catastrophes, seraient les premiers à vous
donner le signal de la résignation ». .
L'écrit qui valait à Louis Defré ces violences avait pour litre :
la Belgique calomniée. Réponse à M. Proudhon. '
La brochure de Dcntu contient, en appendice, diverses noies,
nolamrhent une note C où Proudhon apprécie la presse belge. En
voici quelques curieux extraits qui paraîtront peut-être comme
vrais aujourd'hui, après vingt-huit ans de soi-disant progrès dans
les moeurs journalistiques :
« Une des plus grandes misères de la presse en Belgique : les
journaux se classant tous dans l'une ou l'autre de ces deux caté-
gories, libérale ou cléricale, on peut parier d'avance et presque à
coup sûr, que si une idée est embrassée par un des principaux
organes de l'un ou de l'autre parti, tous les journaux de la même
opinion se rangeront de son côté, pendant que les journaux du
parti contraire se réuniront contre lui. Le libéral et le clérical
s'excommunient réciproquement : rien de ce que dit l'un ne peut
être vérité pour l'autre. Les rédacteurs d'opinion opposée se
lisent les uns les autres, il le faut bien ; le public est inflexible
dans son intolérance : il ne connaît que les siens. En sorte que^,
dans cette Belgique si Iil)re, la liberté des opinions est plus nomi-
nale que réelle. C'est un exemple qui peut servir à prouver que,
pour asservir la pensée, on n'a pas rigoureusement besoin de lois
de répression, ni de cautionnement, ni de timbre, ni de censure
préalable, ni d'avertissements.
« La cause de celte nullité, à quelques exceptions près géné-
rale, de la presse en Belgique, lient, selon moi, au caractère
même de la nation. J'ai écrit quelque part, dans une biographie
qui m'a valu force compliments, parce que diaque Belge en la
lisant croyait s'y reconnaître, que la Belgique était avant tout
bourgeoise. C'est la bourgeoisie qui règne et gouverne, qui pense
et qui agit, comme elle entreprend, trafique cl possède. La noblesse
n'existe plus depuis longtemps; la plèbe donne à peine signe de
vie. Celte bourgetoisie a conservé de ses anciennes mœurs quelque
chose de hautain, qui lui fait rejeter sur le second plan les tra-
vaux de rinlelligence, notamment la littérature, à plus forte
raison les journaux. Aujourd'hui, comme au temps de Descaries,
de Spinosa, de Voltaire, la production cl la circulation des idées
sont, pour un Belge de la vieille roche, article de curiosité et de
commerce, mais doni il ne se soucie pas autrement. Le journal
./
n'est pour lui qu'un moyen d'information, dcpubliciK'', dont il se
sert pour défendre ses irlées ei ses intérêts, afaqucr ses ennemis,
que lui-même inspire par con-^équenl, el qui ne le gouverne pas.
Sans doute, il existe une puissance d'opinion en Belgique, mais
elle vient des mœurs el ne doit rien aux journaux. Il en résulte
que la position de ceux-ci, comme fonction sociale el comme
expression de la pensée du pays, est secondaire; que pas un
n'os»'rait rompre en visière avec le sentiment, général, el que la
vérité est cODslumménl subordonnée par eux au convenu.
M Ainsi subalternisée, la presse est condamnée à se mouvoir
exclusivement dans le cercle qui lui est tracé d'en haut par la
bourgeoisie, grande et petite, à peine de se voir imméfiialemeni
abandonnée. Les gens de lettres qui se livrent à la profession de
journalistes n'obtiennent qu'une considération médiocre; le par-
ticulier aisé qui, par dévouement k une opinion, se fait rédacteur
de gazelle, semble déchoir; et, comme la conscience chez l'homme
tend toujours à se mettre de niveau avec l'opinion qu'on a de lui,
il arrive qu'en Belgique, parmi des journalistes fort honorables,
se rencontrent des induslritls dont la vénalité, les habitudes de
chantage el l'insolence atteignent un degré qui ne s'observe nulle
pari.
« Le journaliste n'élaot qu'un instrument aux mains d'une
caste, un auxiliaire du crieur public, de l'avocat, du recors, un
follicuhiire gagne-pelit, comme nos écrivains publics, se façonne
de lui-même à son triste métier : il faut réellement qu'il soit de
vertu robuste pour ne pas dégénérer tout à fait en sbire littéraire.
« On n'est pas Thommè d'une idée, on ne connaît plus d'amis
quand on écrit dans une feuille belge ; on esl Flamand ou Wallon,
libéral ou clérical, Gantois, Liégeois ou Anversois par dessus
tout ; on esl bourgeois, doctrinaire même, quitte à se dédom-
mager sur la politique étrangère du jeûne forcé qu'impose celle de
l'intérieur, et à procurer à son pays le plus de bien possible sans
faire ombrage aux préjugés nationaux.
« La vraie vérité esl difficilement accueillie en Belgique, dès
qu'elle froisse l'opinion reçue ou qu'elle parait affliger tant soit
peu les amours-propres. La vérité, même la plus dure, dite à un
Anglais, le fait réfléchir, cl, si l'observation lui paraît juste, il
tâche, sans rien dire, de se corriger : c'est sa force. Le Français,
eh Cas semblable, se met à rire, enchérit même sur la critique,
cl n'en fait ni plus nTlnoins : c'est sa faiblesse. Le Belge se cabre,
cl c'est sonlort. Aussi n'cst-il pas de peuple plus avide de louange
que le peuple belge.
« Enfin, quant à la dignité même du journaliste, comment la
bourgeoisie ne s'apcrçoil-ello pas que les turpitudes du personnel
chargé^ dans une certaine mesure, d'exprimer ses idées et de
défendre ses intérêts, rejaillissent sur elle; que le journalisme
avili se venge en corrompant l'esprit public el que là où la parole
est prostituée, la conscience bientôt le sera? »
La même note contient une appréciation de nos principaux
journaux, nommés un à un et, un à un, magistralement accom-
modés. La plupart de ces journaux vivent encore.
Ces rétrospeclivilés sont amusantes. Il est surtout frappant de
noter la concordance entre certains jugements de Proudhon et de
Baudelaire, et spécialement sur celui-ci, qui nous touche de plus
près, nous, artistes, qui nous cflForçons de donner à la patrie cette
Heur charmante, à la fois ornement el grâce : Une littérature.
Le Belge a la haine de la Littérature.
A part le petit groupe des esthètes, comme c'est toujours vrai !
CONFIANCE EN SOI-MÊME /
TRADUCTION INÉDITE DE L ANGLAIS d'EmERSON
par nne Inconnue (1).
Que l'homme connaisse sa valeur et qu'il sache dominer
les choses. Qu'il ne s'en aille pas louchant, volant, rôdant çà et
là avec l'apparence d'un mendiant, d'un bâtard ou d'un intrus,
dans un monde qui est fait pour lui.
Mais l'homme de la rue, qui ne sent pas en lui-même une force
correspondante à celle qui a bâti celle tour ou sculpté ce dieu de
marbre, se sent pauvre en regardant cela. Pour lui, un palais,
une statue, un livre précieux ont un air étranger, ont l'air de lui
interdire quelque chose, tout comme ce bel équipage qui semble
lui dire en passant : « Qui êtes-vous, monsieur »? El cependant
tout cela sollicite son attention, tout cela est fait pour être
approuvé par lui, tout cela s'adresse à lui et pétitionne pour que
ses facultés viennent en prendre possession.
La peinture exposée là attend mon verdict; elle ne doit pas
m'en imposer, c'est moi qui dois fixer son droit à la louange.
Celte fable populaire du paysan imbécile ramassé ivre-mort
dans la rue, et conduit dans le palais du duc, habillé, couché
dans le lit de celui-ci, puis traité, quand il se réveille, comme s'il
était duc et avait fait un mauvais rêve, — celle fable doit sa
popularité à ce fait qu'elle symbolise bien l'état de l'homme;
il est dans le monde el la vie ordinaire une manière d'idiot, mais
il s'éveille de-temps en temps, exerce sa raison et se trouve un
vrai prince.
Nos lectures sont pauvres et pleines de flagorneries. En his-
toire, notre imagination nous trompe. « Royaume, domaine,
pouvoir, seigneurie », tout cela forme un vocabulaire plus bril-
lant que le « Jean » et le « Paul » des particuliers modestes fai-
sant, dans une petite maison, leur ouvrage journalier.
Cependant les choses de la vie sont les mêmes pour tous, la
somme totale de la valeur de «es deux hommes différents est la
même. Pourquoi tant de déférence envers le roi Alfred, Scaoder-
berg ou Gustave-Adolphe? Supposez qu'ils aient été vertueux;
ont-ils épuisé la vertu? Un aussi grand enjeu que celui qui dépen-
dait de leurs actions célèbres, dépend de votre simple action
d'aujourd'hui. Quand les''parliculiers agiront avec des vues origi-
nales, la renommée, l'éclat, l'illustration se transféreront des
actions des rois à celles des simples gentlemen.
Le monde a été instruit par ses rois, qui ont si longtemps
magnétisé les yeux des nations. 11 a appris par ce symbole colos-
sal la révérence mutuelle que l'homme doit k l'homme. La sou-
mission joyeuse, la fidélité généreuse avec laquelle les hommes
ont permis aux rois, aux nobles et aux grands, de marcher au
milieu d'eux par une loi qui leur fût propre, d'arranger leur
échelle de gens et de choses au rebours de celle de la généralité,
de payer, non en argent, mais en honneurs, et de représenter la
loi dans leur personne, celte généreuse soumission était l'iriéro-
glyphe, te symbole obscur qui signifiait la conscience qu'avaient
les hommes de leurs propres droits, de leur propre valeur; cet
hommage à quelques-uns était pour eux l'image inconsciente des
droits de lous.
Le magnétisme qu'exerce chaque action originale s'explique,
(1) Voir nos numéros des 3, 10 et 17 août.
quand on rccherclic la base, la raison de la confiance en soi-
môme. Quel ^st celui à qui on se fie? Quel est ce « moi » primor-
dial sur lequel on peut baser une confiance aussi universelle?
Quelle esl la nature cl le pouvoir de celle éloile qui se joue de la
science, — sans parallaxe, sans élément calculable, — qui darde
un rayon de beauté jusque sur des artions triviales ou mauvaises,
pourvu qu'on y trouve la moindre trace de personnalité indépen-
dante? — La recherche nous conduit à celle source, qui est à la
fois l'essence du génie, de la vertu et de la vie, et que nous appe-
lons spontanéité ou instinct.
Nous nommons cette sagesse primitive « intuition », tandis
que tout ce que nous déduisons et apprenons^ ensuite, n'est consi-
déré que comme « tuition ». '
C'est dans cette force profonde — dernier fait que l'analyse ne
peut scruter — que toutes les choses trouvent leur commune
origine. Car le sentiment de la vie, de l'existence qui s'élève dans
l'âme pendant les heures calmes, tious ne savons comment, n'est
pas différent de l'espace, de la lumière, du temps, de l'homme,
mais il ne fait qu'un avec eux et il procède manifestement de
cette même source, d'où procède aussi leur vie. Nous partageons
d'abord la vie par laquelle les choses existent ; puis, nous rencon-
trons ces choses comme apparences, dans la nature, et nous
oublions que nous avons partagé leur cause.
Voilà la fontaine, la source de l'action et de la pensée, — les
poumons dont l'aspiration donne la sagesse à l'homme, la source
qui ne peut être niée sans impiété et athéisme.
Nous reposons dans le sein d'une vaste existence, qui nous
fait receveurs de son activité el organes de sa vérité. Quand nous
discernons la justice et la vérité, nous ne faisons rien par nous-
même, nous livrons passage au rayon de celte intelligence. Si
nous cherchons d'où cela provient, si nous voulons épier l'âme-
cause, toutes nos philosophies sont en défaut; sa présence ou
son absence est tout ce qu'on peut affirmer. Chacun peut distin-
guer les actes volontaires de son esprit, de ses perceptions invo-
lontaires, et sait qu'il peut ajouter foi entière à ses perceptions
involontaires.
Il peut errer dans l'expression ou l'iriterprélalion de ces per-
ceptions, mais il sait que « c'est ainsi », qu'on ne, peut pas plus
les discuter que le jour et la nuit. Mes actions et mes acquisitions
volontaires ne sont que des espèces de vagabondages, des essais
errants; — tandis que la plus légère rêverie, la moindre émotion
naturelle, commandent ma curiosité cl mon respect. Les étourdis
contredisent aussi bien le rapport ou l'exposé d'une perception,
que celui d'une opinion ; — aussi bien, el peut-être même davan-
tage, car ils ne distinguent pas entre une perception et une
notion. Ils croient que je choisis de voir telle ou telle chose,
mais la perception n'est pas fantaisiste, elle est fatale. Si je vois
un fait, mes enfants le voient après moi et toute l'humanité le
voit ensuite, quoiqu'il soit possible que personne ne l'ait vu avant
moi. Car la perceplion*que j'en ai, est autant un fait que le soleil
en esl un.
Les relations de l'âme â cet esprit divin sont si pures qu'on les
profane en essayant de les interpréter. Cela doit venir de ce que,
quand Dieu parle, nous nous persuadons qu'il devrait communi-
quer non pas une chose, mais toutes choses, qu'il devrait rem-
plir le monde de sa voix, qu'il devrait, par une seule pensée,
répandre la lumière sur la nature, le temps les âmes, qu'il pour-
rail d'un mot recréer et recommencer le tout. Quand un esprit
esl simple et qu'il reçoit celle sagesse, les choses du passé perdent
leur valeur; moyens, enseignements, textesi temples, tout tombe;
il vit aujourd'hui, ol iihsorhc le passé et l'avenir dans l'heure pré-
sente. Tout ce qui se rapporte U celle conception, de quelque
façon que ce soit, devient sacré. Toutes les choses sont dissoutes
jusqu'au centre par leur cause, el dans le miracle universel', les
miracles particuliers et minuscules, disparaissent.
{A suivre.)
OOITSEILS
aux collectionneurs qui fréquentent l'Hôtel Drouot.
Dans son volume : l'Hôtel des commissaires-priseurs, Champ-
fleury donne aux collectionneurs el amateurs des conseils très
amusants.
Nous en détachons les plus caractéristiques :
Acheter à la baisse, revendre à la hausse.
Se dépouiller de toute illusion en entrant â l'hôtel Drouol.
Regarder Raphaël, Rembrandt, Velasquez avec les yeux du
doute.
Etant acheté un objet de cent francs, ne pas s'imaginer qu'il
vaut mille francs. Dites vous : il ne vaut que cent sous.
Apprendre par cœur (avec une légère variante) |e fameux vers
de M. Scribe : Pérugin esl une chimère. Le chanter constamment
afin que la valeuc. purement idéale des objets d'art se fixe bien
dans l'esprit. ' ,
Toute signature de tableau est une fausse signature. Tout auto-
graphe de Molière esl un faux autographe.
Seuls, les paysans eroicnl qu'en se grattant le bout du nex ou
en secouanl avec acharnement un bouton d'habit, celte façon
mystérieuse d'enchérir soii profitable.
Ne pas causer pendant la vente avec son voisin. Un voisin est
un adversaire.
Peu de céramiques sont absolument pures. La restauration se
trahit par une odeur de vernis. Toute céramique doit être
flairée.
Etant certain qu'il manque une estampe à un ouvrage de prix,
ief-laisser monter à cent francs, avec le désir d'en devenir proprié-
taire pour cent sous. D'une voix ferme, mais polie: « Ne manque-
l-il pas, direz-vous à l'expert, une planche importante à la page
tant?» L'expert se trouble, répond en balbutiant; les enchères
s'éteignent comme par miracle. L'ouvrage vous est adjugé à cent
sous.
Tuer l'enthousiasme. Acquéir l'œil d'acier.
Ne pas dénigrer une collection de mauvaises peintures.
Tout fumier donne sa fleur. Peu de collections médiocres qui
ne renferment une perle.
Ne pas s'affoler de la perle. L'estimer au même prix que les
crasses qui l'entourent.
Tout objet d'art doit éirc acheté au quart de sa valeur vénale.
Payer un objet d'art sa valeur n'amène au cœur aucun con-
leniement.
Fréquenter les amateurs, les marchands de bric-à-brac, les
commissaires-priseurs, les experts, dire bonjour au crieur, frap-
per à propos sur l'épaule des garçons.
Pas de fierté, pas de familiarité.
Tout amateur doit poser ses jalons à l'exposition. — J'achèterai
tel objet, j'y mettrai tant.
Se laisser entraîner par le courant des enchères, c'est vouloir
faire sa fortune ù la roulette.
Les courants fiévreux sont contagieux à riiôlcl Drouol. Il esl
bon d'arriver frais el dispos, le corps en parfait équilibre.
Immense avfinlage sur les collectionneurs malingres, faibles de
corps et d'esprit, dont les nerfs sont attachés au bâton d'ivoire
1
278
LkRT MODERNE
du chef d'orchestre de la vente, comme les crins à l'archet du
violon.
Une tablette de chocolat, une conserve sucrée rétablissent
l'estomac vers cinq heures du soir, au moment où l'enchère
devient flamboyante.
Un flacon d'odeurs est indispensable pour combattre les exha-
laisons de la foule entassée.
Lh lutteur appelé à combattre contre un redoutable adversaire,
Marseille contre Arpin, pratique la chasteté huit jours au moins
avant la lutte. Un acheteur est un lutteur. Donc, modérer ses
passions.
Un collectionneur marié n'est pas un collectionneur.
Tout collectionneur qui prend femme abdique. 11 sera châtié
dans sa collection, ou il la vendra.
Un chat qui saute sur une console couverte de verreries de
Venise est moins dangereux qu'une femme, au lendemain de ses
noces, dans une galerie de tableaux.
La femme ou la collection. La femme et la collection, deux
rivales, feraient de l'intérieur conjugal uij enfer.
Le collectionneur qui ddnne commission et n'achète pas lui-
même, ressemble à cet Anglais qui, ayant noté sur son calepin la
vue de Paris du haut du Panthéon, y fit monter son domes-
tique.
Collectionner certains objets, les regarder sans cesse, ne pou-
voir s'en séparer, amène une calvitie prématurée.
Le véritable amateur garde un tableau huit jours, un mois, un
an, le vend, en achète un autre et passe, comme on dit, de la
brune à la blonde.
Toute collection qui n'offre pas une sorte de Panorama varié et
sans cesse renouvelé, fatigue comme une femnie trop fidèle.
M. Ingres, qui adorait Raphaël, le trompait et lui faisait
quelques infidélités sans conséquence avec Velasquez. Il en reve-
nait plus épris pour Raphaël.
Il se pourrait qu'un habit noir, une cravate blanche, un panta-
lon irréprochable, des bottes vernies et des manchettes impo-
sassent aux penailieux. En y joignant quelques décorations, un
grand cordon quelconque, la plaque du Nicham, peut-être les
marchands se laisseraient-ils prendre à cet apparat? Je ne le con-
seille à personne.
Prendre garde aux magasins trop propres. Tout y est cher. Se *
défier des taudis en désordre. Plus cher encore. L'acheteur a affaire
à deuï marchands systématiques.
Ne pas négliger les clercs de commissaires-priseurs. Faire de
de temps à autre un petit cadeau à leurs concubines.
Toute pensée étrangère doit être sacrifiée à la collection. Ne pas
s'occuper de politique, n'aller jamais au théAtre, se garder d'ou-
vrir un livre, dédaigner les joies de la famille, avoir toujours de
l'argent liquide en poche, arriver chaque jour à l'hôtel à une heure,
-n sortir à six, retourner le soir auv- ventes, voilà une vie bien
mplie. Vous êtes un parfait collectionneur.
Au bout de dix ans, vous porterez des chapeaux à grandes ailes;
tout Paris vous reconnaîtra collectionneur.
Au bout de quinze ans, vous aurez mangé les deux tiers de
votre fortune.
Et un jour, sans feu ni draps, finissant votre vie dans un gale-
tas, reconnaissant trop lard le néant de la brocante, vous maudi-
rez tableaux, majbliques, émaux, bronzes. Et la mort qui entrera
dans la mansarde vous apparaîtra sous les traits d'un horrible cra-
paud chinois, au corps vert, aux écailles sanglantes, aux gros yeux
blancs. El de sa gueule enir'ouverte, le crapaud vous crachera à
la figure toutes sortes d'ironies.
fÎHRONIQUE jaDICIAlRE DE? ^"RT?
Marat dans sa baignoire
Le légendaire procès du tableau de Marat dans sa baignoire,
par David, commencé en 1885 et dont nous avons relaté les
phases diverses (1), vient enfin de recevoir une solution définitive.
Il s'agissait, on s'en souvient, de savoir si la toile achetée à
M. Durand-Ruel par M. Terme, et exposée par celui-ci à l'Exposi-
tion des Portraits du siècle, était un original ou une copie.
Mme David-Chassagnolle, veuve du petit-fils de l'artiste, préten-
dait être en possession du seul Marat authentique peint par
David. M. Durand-Ruel, appelé en garantie par M. Terme, affir-
mait de son côté que le- tableau vendu par lui était ce qu'on
appelle une « répétition », c'est-à-dire un second exemplaire, tout
entier de la main du peintre, et par conséquent aussi authentique
que le premier.
L'expertise ordonnée par le tribunal et confiée à MM. Cabanel,
Caro et Lafenestre, avait été défavorable à la thèse de M. Durand-
Ruel. D'après ces Messieurs, le Marat vendu à M. Terme n'était
qu'une copie, exécutée, il est vrai, sous les yeux et sous la direc-
lion de David, et à laquelle ce dernier donna peut-être quelques
retouches, sans que ces retouches soient toutefois assez impor-
tantes pour donner à l'œuvre le caractère d'une répétition.
Celte appréciation fil naître immédiatement une série de décla-
rations en sens contraire, parmi lesquelles il faut citer celles de
MM. Donnât, Gérôme, Henner, et l'appréciation signée collective-
ment par MM. Puvis de Chavannes, Français, Delaunay, Leroux,
J.-L. Brown, Roll, Besnard, Gustave Morcau, Gervex, A. Ste-
vens, etc.
Le jugement entérina le rapport des experts, malgré l'ensemble
imposant des déclarations opposées. Et, devant la Cour, l'avocat-
général Symonel conclut à la confirmation de la première déci-
sion. Mais la Cour n'a pas adopté les conclusions du ministère
public. Par arrêt rendu le 16 mai dernier, elle a réformé le juge-
ment et déchargé M. Durand-Ruel des condamnations prononcées
contre lui.
Les motifs qui ont dicté à la Cour cet arrêt sont assez intéres-
sants pour que nous publiions les principaux d'entre eux :
« Considérant qu'il résulte des documents soumis à la Cour que
David exécuta, immédiatement après la mort de Marat, le tableau
original actuellement en la possession de la dame veuve David-
Chassagnole, et portant cette mention : « A Marat, David, l'an II » ;
« Que par ordre de la Convention, deux reproductions de ce
tableau, qualifiées dans le décret du 10 mai 1794 de « copies soi-
gnées à faire sous la direction de David », furent exécutées pour
les Gobelins, et que l'une d'elles, après avoir fait partie de la col-
lection du prince Napoléon, a été vendue en 1875 par Durand-
Ruel à Terme, comme étant une œuvre de David;
« Considérant qu'il a été généralement admis à toutes les
époques qu'une œuvre d'art pouvait légitimement être attribuée à
un maître, soit comme original, soit comme répétition, alors
même qu'il était notoire que, pour son exécution, le maître s'était
fait assister par un ou plusieurs de ses élèves;
« Que les termes employés dans le décret comportent une indi-
cation sur le but et les conditions de la commande, mais ne
(1) Voir VArl moderne, 1885, pp. 158 et 194; 1887, p. 23;
1888, pp. 93 et 150 ; 1889, p. 174.
^
VART MODERNE
270
résolvent pas la question de* savoir si l'œuvre réalisée constitue
une copie allribuablo au maître, c'esl-à-dire une répélilion, ou
une copie attribuabie à un élève, c'csl-à-dire une copie véritable;
« Que les cliangcmenls politiques postérieurs à l'exécution de
l'œuvre paraissent avoir déterminé David à dissimuler l'existence
des trois tableaux rentrés en sa possession et demeurés dans son
atelier jusqu'à sa mort, couverts d'une couche de chaux;
« Considérant qu'il est établi que plusieurs tableaux de David
non contestés, originaux ou répétitions, ne portent point de signa-
ture, et qu'il n'y a lieu de s'arrêter à cette circonstance accessoire ;
qu'il y a lieu, au contraire, de relever l'incompatibilité pouvant
résulter des modifications apportées à l'œuvre primitive avec le
caractère de copie attribué au tableau contesté;
« Que la conclusion du rapport est formellement contredite,
non seulement par la rétractation di> premier des experts commis,
M. Cabanel, mais encore par les attestations d'un grand nombre
d'artistes et d'experts, considérables par leur talent ou leur expé-
rience, lesquels estiment que le tableau doit être considéré comme
l'œuvre personnelle de David »
Voici donc enfin ce conflit apaisé et la chronique judiciaire
débarrassée d'un procès qui tournait à la scie. .
pETITE CHROj^IQUE
C'est jeudi prochain, 4 septembre, que se rouvriront les portes
de la Monnaie. Samedi 6, reprise d'Esclarmonde.
Les noms suivants sont à ajouter au tableau de la troupe que
nous avons publié : MM. Slephan et Gillon, troisièmes ténors ;
MM. Vallier et Bénard, barytons ; M. De Mayer, coryphée basse ;
M"^* Maurelli et Neyt, dugazons; M"« Louisan, troisième dan-
seuse. .
Aujourd'hui, à 3 heures, aura lieu au Cirque Royal, rue de
l'Enseignement, un grand concert au bénéfice des victimes de
Ja catastrophe de Saint-Etienne.
Ce concert est organisé par la Société royale V Orphéon, qui y
chantera, sous la direction de M. Edouard Bauvvens, plusieurs
chœurs de son riche répertoire.
VOryUéon s'est entouré, au surplus, d'éléments de tout pre-
mier choix : M"* Dyna Beumer, M. De Ruy, premier baryton du
théâtre de Grenoble, et la Phalange artistique.
L'Opéra de Vienne a donné, le lundi 48 août, la 200* représen-
tation de Lohengrin. La première représentation de l'œuvre de
Wagner a eu lieu, à Vienne, le 49 août 4858.
Très intéressant numéro de la Walbnie (juin-juillet), paru
celle semaine. En voici le sommaire :
Stéphanfe Mallarmé, Ballets. — Jean Moréas, le Trophée,
Galalée, Chanson, Elégie première. Elégie deuxième, Eglogue à
yEmilius. — Picrre-M. Olin, les Petits Enfanta. — Henri de
Régnier. Odelettes. — A*, Sous les yeux, le Vain sourire. —
S. Ml., Impressions d'artiste. — Achille Delaroche, Vers. —
Grégoire Le Roy, Laisse tomber les roses. — Alb. M., Chronique
littéraire.
Paru chez Lacomblez (Bruxelles), le beau drame de M. Ch. Van
Lerberghe : les Flaireurs. Prtx 4 fr.
Le lendemain d'un concert à Leipzig, raconte la Neuc Musikzei-
tung, Paganini était allé faire une promenade dans les environs
de la ville, avec son accompagnateur. Près du Rosenihnl, ils ren-
contrèrent un bon vieux boutiquier qui s'escrimait sur un violon
de la plus lamentable façon. Mis en bonne humeur par son succès
de la veille, Paganini demanda au vieillard de lui confier son
instrunient pendant un instant. Dès qu'il l'eut entre les mains, il
l'accorda' rigoureusement, l'épaula et en fit jaillir les traits, les
arpèges el les trilles les plus étourdissants. L'accompagnateur
était dans le ravissement : « Eh bien? dit ce dernier au vieux
campagnard qui avait écouté sans broncher, sans dire une parole,
que penscz-folâs de ce jeu? » Et le vieux, pour qui les tours de
force de Paganini n'étaient sans doute que des coups d'archet
manques, de répondre sur un ton de bienveillance : « Voyez-vous,
mon bon monsieur, il faut encore un peu étudier; ensuite cela
viendra ».
L'année qui s'avance — 4894 — nous amènera les centenaires
de quatre grands compositeurs : Ferdinand Hérold, le composi-
teur du Pré-aux- Clercs, né à Paris le 28 janvier 4794; Cari
Czerny, né à Vienne, le 24 février 4794; Giacomo Meyerbeer (de
son vrai nom Jacob Meyer Béer), né à Berlin, le 5 septembre 4794 ;
el de Mozart, né à Salzbourg en 4756, et mort à Vienne le
5 décembre 4794, à l'âge de trente-cinq ans.
L'exemple d'Antoine el du Théâtre-Libre, dit l'Echo de Paris,
fait surgir une foule de concurrents.
On nous apprend que le Théâtre-Idéaliste (?) — scène pour
jeunes — fusionne avec le Théâtre-Mixte — autre scène pour
jeunes.
Nous rappellerons qu'il y a aussi le Théâtre-Moderne, toujours
scène pour les jeunes.
Enfin, au moment où nous achevons celte note, nous recevons
un avis de M. P. de Riel, 40, avenue des Gobelins, qui nous
apprend que « dans le courant du mois d'octobre prochain, le
Théâtre des Jeunes, complètement organisé, fera sa réouverture
sous la direction artistique de M. Paul de Riel.
Un «encours est ouvert, dès maintenant, entre tous les jeunes
auteurs désireux de faire représenter leurs œuvres. Tous les genres
peuvent y prendre part j^péra, opéra-cojnique, opérette, vaude-
ville, comédie, drame,-«tc., y compris le monologue et la chan-
son. Les œuvres primées seront jouées dans les soirées données
par le Théâtre des Jeunes.
Nous souhaitons que tous ces théâtres réussissent; mais,
comme dit mon concierge, ah ! monsieur, qu'il y a loin de la croupe
aux lèvres.
On va placer, au musée du Luxembourg, le Portrait de Varchi-
tecte Armand, par Alexandre Cabanel, offert à l'Eiat par
M. Barlhéleiny Cabanel, frère du peintre décédé.
M. J. Maciet vient d'offrir au Louvre un petit tableau d'un maître
hollandais : Pieler Codde, qui ne figurait pas encore dans la
galerie du Louvre. Ce tableau, offert par M.J. Maciei, représente
Une Dame à sa toilette.
Le Louvre a également reçu un album de croquis de Carpeaux
et de Soumy, légué par le regretté Philippe Buriy.
Enfin, M. A. de Rothschild et M. Paul Leroi ont offert à la direc-
tion des Beaux-Arts, le premier une loilc d'Alfred Guillou, le
second un cadre de médailles d'AIphée Dubois, tous deux destinés
au musée de Roubaix.
V.
V
PAQUEBOTS-POSTE DE L'ÉTAT-BELGE
LIGNE D'OSTENDE-DOUVRES
La plus couru et la moins coûteuse des voies extra-rapides entre le Continent et /'Angleterre
Bruxelles à Londres en . . .
8 heures.
Vienne à Londres en. . .
. . 36 heures
Cologne à Londres em . .
. 13 -
B&le à Londres en. . . .
. . 24 -
Berlin à Londres en . . . .
. 24 -
Milan à Londres en . . :
. . 33 -
XROiis iSE:RViCE:is r^Awt jtour ^
D'Ostende à 5 h. 29 matin, 11 h. 10 matin et 8 h. 31 soir..— De Douvres à midi 15, 3 h. soir et 10 h. 15 soir. ,
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. L'OR DÛ RHIN
^ DE
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Partition pour chant et piano, réduite par R. Kleinmichel
PRIX NET : 20 Francs
JOURNAL DES TRIBUNAUX
paraissant le jeudi et le dimanche. /
Faits et débats jadiclaires. — Jurisprudence.
— Bibliographie. — Législation. — Notariat.
HUTIKME ANNÉB.
Abonnements i Belgique, 18 francs par an.
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Administration et rédaction : Rue des Minimes, 10, Bruxelià.
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Revue mensuelle de littérature et d'art
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Directeurs : MM. A. MOCKEL el P.-M. OLIN.
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(à Bruxelles, Avenue Louise, 317.
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Paris 1867, 1878, 1" prix. — Sidney, seuls !•' et î« prix
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Breitkopf et H&rtel, éditeurs, Leipzig-Bruxelles
TRAITÉ PRATIQUE DE
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depuis les premiers éléments de Tharmonie jusqu'à
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formes de la musique pour piano par J.-G. Lobe.
Traduit de l'allemand (d'après la 5* édition) par
Gustave Sandre.
VIII et 379 p. gr. in-8". Prix : broché, 10 fr.; relié, 12 fr.
Ce livre, dans lequel l'auteur « cherché à remplacer l'étude pure-
ment théorique et abstraite de l'harmonie par des exercices pratiques
de composition libre, fut accueilli, dès son apparition, par une
faveur marquée. La présente traduction mettra le public français à
même d'apprécier un des ouvrages d'enseignement musical les plus
estimés en Allemagne.
BruxeUes. — Imp. V Mohmom, 26, ma de l'Industrie.
Dixième année. — N" 30.
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 7 SEPTEMimE 1890.
L'ART MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Comité de rédaction t Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. —ANNONCES : -On traite à forfait.
Adresser toutes les communications à
l'administration générale de TArt Moderne, rue de l'Industrie, 26, Bruxelles.
^OMMAIRE
Baruons kt distancés. ^- CoNKiASCE E.\ SOI-MÊME. Trccdt'clioii
médite de l'anglais d'Eincrson, par wic inconnue (suite). — Li:s
Néo-Impu'essiunnistes. Signnc. — • CiinoMQUE judiciaire des arts.
Encore le licmbrcoidt du l'ccq. — Petite ciiRfiNiQiE.
BARBONS ET DISTANCÉS
On a pu lire (ra-t-on lu?) dans le supplément (qua-
lifié littéraire) d'un de nos grands journaux, financier
et opportuniste, qui croit décent de s'occuper plus ou
moins d'art, les ligues suivantes :
« Le monde de nos jeunes lettres belges est tout glo-
rieux du foudroyant éloge que l'éminent paroxyste
Octave Mirabeau vient de décerner à l'un des siens,
M. Maurice Maeterlinck, dont nous avons signalé les
premiers essais poétiques. Nos lecteurs nous sauront
gré de leur donner — sinon une analyse de son drame,
la Princesse Maleine^ dont «» la beauté absolue '•, au
dire du critique du Figaro, est surtout dans le détail,
dans la recherche minutieuse des sensibilités inexpri-
mées — du moins quelques extraits qui les initient à la
manière de l'auteur, et leur inspirent la curiosité de
l'ensemble. Dans cet ouvrage, supérieur à n'importe quel
chef-d'œuvre de Shakespeare (est-ce un pavé ?), « plus tra-
gique que Macbeth, plus extraordinaire que Ilamlel, »
nous choisissons les trois scènes du début qui indiquent
le mystère de l'action, et une scène du second acte qui
met en présence les deux amants, principaux person-
nages du drame »,
Suivent les citations qui tranchent, comme un coup
de soleil dans le brouillard d'un marécage, sur les habi-
tuelles productions du susdit supplément littéraire.
.Les barbons qui ont commis l'entrefiel-et-miel que
nous venons de reproduire, n'ont pu éviter de sacri-
fier à l'habituelle manie* de leur journal qui affirme
incessamment « qu'il a été le premier " à tout faire.
Voici que c'est lui qui a découvert Maurice Maeterlinck :
" lien a signalé les premiers essais poétiques «. On peut
aisément, par le ton de l'extrait ci-dessus, s'imaginer
dans quels termes il a dû donner ce signal !
Ces critiques distancés fréquentent, on le sait, le
monde du bel air dans lequel ils s'etibrceut de se main-
tenir en bonne posture. Ils ont là une cour étrange de
femmes distinguées, (\\i plus haut ton, qui leur font
des succès aussi grands et aussi sérieux que ceux de
Bellac dans le Momie où Von s'ennuie. Et ils s'ima-
ginent qu'ils représentent la grande littérature, et que
leur cacochymie fixe les règles de l'art d'écrire. Ils
nomment les écrivains qui ontescarboté les bafouilleries
. ^ ^ ^
de leur sénilité, le monde de nos jeunes lettres belges ,
comme, dans les Burgraves, le vieil édenté de quatre
vingts ans appelle ^ jeune homme » son petit-fils de
quarante.
Il est temps d'en finir avec ces radotages de vieillards,
qui ont eu leur temps, sinon leur beau temps, et pour
qui l'heure d'aller se coucher est venue. Ce qu'ils nom-
ment «» la jeune littérature " a bientôt vingt ans de
date quand on la prend au moment où elle a commencé
à donner des coups de sabots dans la giberne de ces
vieilles gardes. Si on l'ignore, c'est à cause du silence
malveillant et voulu entretenu par ces roquentins, qui,
n'ont touché aux œuvres de la nouvelle école, désormais
triomphante, que pour tenter de la faire avorter en la
dénigrant et en la décourageant. Elle n'a jamais obtenu
d'eux un sincère éloge. Ils ont ameuté contre elle
l'ignorance des belles dames et des financiers, absolu-
ment comme ce vieux Sylène de Sarcey ameute contre
le Théâtre-Libre, les actrices maniérées de la Comédie-
Française et les messieurs de ces dames. Leurs prédi-
lections ont toujours été aux fadaises des Coppée, des
Theuriet, des Halévy, des Bourget, des Cherbuliez et
tutti quanti. Chaque fois qu'un téméraire a affirmé
chez nous l'invincible évolution de l'art, ils se sont sentis
atteints dans leur incurable et doctrinaire stagnation.
Il serait à souhaiter que ces gens fissent silence quand
un succès impérieux inflige un démenti à leurs juge-
ments et à leurs pronostics. On s'irrite de les voir inter-
venir alors, en vue d'un accaparement, et employer un
langage à double face qui leur permet de prétendre,
à l'occasion, soit qu'ils ont, dès l'origine, annoncé ou
défendu un artiste, soit de le conspuer et de le piétiner
avec upe nouvelle ardeur si la chance tourne. L'art
nouveau, qui est un art mûr et fort, ayant déjà ses
aines et ses indiscutés, n'a pas besoin de leurs suffrages
et dédaigne leur appui, coniptomettant tant il a été
aux médiocres, aux nullités et aux succès de coteries.
Il ne chante pas, cet art sain, pour les belles dames et
les critiques du bel-air. Il ne tient aucuii' compte de
pareils facteurs. Il y aura toujours assez de Bellac au
service de ces quotités négligeables. Et, certes, ni
Maurice Maeterlinck quand il a écrit la Princesse
Maleine pour les vrais esthètes, ni Octave Mirbeau
quand il a publié le foudroyant article du Figaro,
n'ont pensé à plaire ou à déplaire à ces groupes et à ces
jupes. Qu'ils laissçnt en repos « le monde de nos jeunes
lettres belges » , dont ils ne sont pas et qui n'en veut
pas; qu'ils continuent à patiner de leur platitude
bafouillante les Theuriet et autres Cherbuliez pour
la plus grande distraction des Tète-de -Linotte qui font
bon accueil à leur gâtisme. Et qu'en sa rude bataille,
notre art les tourne, comme on tourne les citadelles
dont il ne vaut plus la peine de faire le siège.
Cet hiver, à une conférence chez les Vingtistes (ces
autres conspués impassibles), un orateur a dit tout cela
alors qu'il signalait, sincèrement, lui, et avec une foi
profonde, la suprême valeur de la Princesse Maleine
qui venait de paraître. Mais il importe de le répéter
pour marquer nettement la ligne de démarcation entre
les vieux farceurs qui font de la critique à la ligne, sui-
vant la faveur du moment, et le véritable art, le véri-
table critique, qui n'écrit que par besoin d'écrire, sans
penser ni au succès, ni au salaire.
N'est-il pas curieux et navrant, de voir tout ce monde
qui, suivant l'âpre jugement de Baudelaire a ^a haifie de
la littérature, ne lever le rideau sur l'un des nôtres, que
lorsque les trois coups ont été frappés à Paris. Voici
plusieurs mois que la Princesse Maleine a paru : la
susdite gazette financière et opportuniste n'en avait
soufflé mot et continuait à 'alimenter son supplément
LITTÉRAIRE dos plus incolores nouvelles, fragments et
morceaux choisis. Le Figaro parle! sursum corda :
ces sentinelles de Gerolstein qui montent la .garde le
long des murs de l'art commencent à se douter de quel-
que chose ; ces critiques vigilants qui racontaient par
le menu, en les clichant dans les formules invariables
de leur chronique, les productions, même les plus
ineptes, de la romancerie parisienne, vont jusqu'à
écrire en trente lignes un salamis de louanges et de
perfidies. Nous préférons le procédé de M. Paul Adam
qui, sans y mettre tant de malice, engueule notre litté-
rature belge, désormais adulte et redoutable, en criant
très franchement : Ces polissons m'empêchent de gagner
ma journée; ne voilà-t-il pas qu'on préfère leur façon à
la mienne. ^v„,^-n
Ce que nous admirons, c'est la grande indépendance
de ce Figaro, que nous n'aimons guère. Octave
Mirbeau lui envoie sur un inconnu, un étranger, le
foudroyant atiîcle. Cet article passe, sans correction !
Que n'importe qui, supposons le plus grand nom, tente
la même aventure auprès du journal financier, cosmo-
polite et opportuniste dont nous nous occupons : il subira
une mesquine et offensante censure, et, très probable-
ment, s'il s'agit d'un de ces auteurs belges dont la
défense ne peut servir à rien, l'article sera mis à la
corbeille.
Assez sur cela. C'est surtout en matière journalis-
tique que s'applique la bonne maxime : Sinere mundum
ire qûomodo vadit. On parle pour son plaisir et non
en vue d'amender les incurables. L'Art va toujours, de
son pas écrasant, engrenant le neuf sur le neuf, et
broyant les pattes des barbons.
Et pour ceux de nos habituels lecteurs qui voudront
mieux connaître cette Princesse Maleine, nous rappe-
lons : et l'article paru dans notre dernier numéro, —
et l'étude que nous fûmes, nous, les vrais premiers, à
publier le 17 novembre 1889, — et la Confession que
nous demandâmes à l'auteur, dans lArt moderne du
23 février 1890, — et le nouvel article que nous y avons
consacré le 10 août dernier.
Quant au livre lui-même, tiré à très petit nombre, il
est peu trouvable. L'auteur a désiré qu'il ne subisse
pas la profanation d'être lu par les imbéciles. Ceci en
prive même les méritants.
CONFIANCE EN SOI-MÊME
TRADUCTION INÉDITE DE l' ANGLAIS d'EmERSON
par une Inconnue (1).
Si un homme qui dit connaître Dieu, qui en parle, vous
transporte en arrière dans la vieille phraséologie d'une ancienne
nation, d'un autre pays, ne le croyez pas. Le gland vaut-il mieu.\
que le chêne dans toute sa force? le père vaut-il mieux que
l'enfant auquel il a transmis son ôire mûri? Pourquoi alors cette
adoration du passé? Les siècles conspirent contre la sainteté et
l'autorité de râmc. Le temps et l'espace ne sont que des couleurs
physiologiques faites par l'oeil, mais l'âme est lumière : où elle
. est, il fait jour, où elle n'est plus, nuit; et l'histoire n'est qu'une
impertinence et une injure^ si elle veut être plus qu'un agréable
apologue, ou une parabole de ce que je suis et de ce que je
deviendrai.
L'homme est timide, il va s'cxcusant, il n'est pas droit, il n'ose
pas dire : « Je pense, je suis », mais il cite quelque saint ou
sage; il est honteux devant un brin d'herbe ou une rose fleurie.
Ces roses, sous ma fenêtre, n'en appellent pas à des roses plus
anciennes ou meilleures; elles existent au grand jour du Sei-
gneur; il n'y a pas de temps pour elles. 11 y a là simplement
une rose; elle est parfaite U chaque moment de son existence;
avant qu'un bourgeon ne s'ouvre, toute sa vie agit. Dans la fleur
épanouie il n'y a rien de plus, dans la racine sans feuilles, il n'y
a rien de moins; sa nature est satisfaite et elle satisfait la nature
k tous les moments de son existence. L'homme, lui, remet,
diffère et se souvient; il ne vit pas dans le présent, mais, les yeux
tournés en arrière, il se lamente sur le passé, en négligeant les
richesses accumulées autour de lui, il se met sur la pointe des
pieds pour apercevoir l'avenir. Il ne peut, cependant, être heureux
et fort que si lui aussi vit avec la nature, dans le présent, au
dessus du temps.
Ceci devrait être simple h comprendre. Et pourtant, voyez com-
bien d'hommes n'osent écouter Dieu lui-même qu'à travers la
phraséologie de quelque David ou Jérémieou Paul. Nous n'ajou-
terons pas toujours un si grand prix à quelques textes, à quelques
lignes. Nous sommes comme des enfants qui répètent les phrases
qu'ils ont entendu dire aux grandes personnes, ou, plus lard, aux
gens célèbres que nous avons vus, retenant péniblement les mots
exacts qu'ils ont prononcés. Lorsque, dans la suite de notre vie,
nous arrivons au point de vue de ceux qui ont dit ces choses, nous
les comprenons et nous oublions les mots, car nous pouvons en
employer d'autres tout aussi bons, à l'occasion. Si nous vivons
sincèrement, nous verrons clairement, 11 est aussi facile au fort
d'être fort, qu'au faible d'être faible. Quand nous aurons une per-
ception nouvelle, nous déchargerons notre mémoire des trésors
f
(1) Voir nos numéros des 3, 10, 17 et 31 août.
qu'elle aura amassés, comme s'ils étaient de vieux chiffons. Si
un homme vit avec Dieu, sa voix sera aussi douce que le murmure
du ruisseau et le bruissement du blé..
Et maintenant, enfin, la plus haute vérité sur ce sujet n'est pas
dite, probablement ne le sera jamais ; car tout ce que nous disons
n'est qu'une lointaine réminiscence de l'intuition. La pensée par
laquelle je puis en approcher davantage est celle-ci : Quand le
bien est près de vous, quand vous avez de la vie en vous, ce n'est
pas d'une façon connue ni ordinaire ; vous ne discernez pas les
traces des autres, vous ne voyez pas de figures, vous n'entendez
pas de noms propres; la voie, la pensée, le bien vous semble
étranger et nouveau. 11 excluera l'exemple et l'expérience. Vous
sentirez que vous parlez de l'homme, vous n'allez pas vers lui.
Tous les hommes qui ont existé sont les ministres oubliés de cette
pensée ; la crainte et l'espoir sont en dessous d'elle. II y a quelque -^
chose de bas même dans l'espérance. A l'heure de la vision, rien ne
peut être appelé joie ou satisfaction. L'âme élevée au dessus de
la passion, contemple l'idenlilé de la cause éternelle, perçoit
l'existence de la Vérité et du Droit et se calme dans la pensée
que tout est bien. De grands espaces dans la nature, l'océan, de
longs inlervalles de temps, des années, des siècles, ne comptent
plus. Ceci, que je pense et sens, souligne et base toutes les cir-
constances de ma vie passée, comme cela forme la" base de mon
étal présent, de ce qu'on appelle vie, de ce qu'on appelle mort.
C'est la vie seulement qui compte, et nOn pas avoir vécu. Le
pouvoir cesse à l'instant du repos; il réside dans le moment de
transition d'un état à l'autre, pendant qu'on franchit le gouffre ou
qu'on est lancé vers le but. Le monde hait ce fait de l'âme qui
a devient », qui change, car cela dégrade le passé, rend toutes
les richesses pauvres, renverse toutes les réputations, confond le
saint et le coquin, et met de côté du même coup Jésus et Judas.
Pourquoi nous larguons-nous alors de confiance en nous-mêmes?
Pour autant que l'âme soit présente, il y aura pouvoir, non pas
seulement désiré et espéré, mais agissant. C'est une façon de par-
ler pauvre et exlérieure que de parler de confiance en soi. Parlez
plutôt de ce à quoi on se confie, car cela agit, cela est. Celui qui
a plus de confiance et d'obéissance à celte cause que moi, est mon
maître, sans qu'il ait besoin do lever le doigt; je dois graviter
autour de lui par la loi de la gravitation des esprits. Nous croyons
faire une figure de rhétorique quand nous parlons d'une a émi-
nente » vertu. Mais nous n'avons pas vu que la vertu est de l'élé-
vation, et qu'un homme ou une sociéié qui sont formés par ces
principes ou plutôt qui les laissent passer à travers eux-mêmes
en les traduisant, doivent, par la loi de la nature, dominer et con-
duire les villes, les nations, les rois, les riches et les poêles qui
ne sont pas pétris de celte même force.
Nûus voici au fait universel, auquel jious arrivons si vite, en
ceci, comme en tout autre sujei, — la resolution de lout dans
celle bienheifrcusc Unilé. — L'existence, la vie proprement dite
(self-existence) est l'atlribut de la cause suprême; et le degré où
elle entre dans les formes les plus infimes, constitue comme une
échelle de ce qui est bien : toutes les choses réelles sont telles par
la portion devenu qu'elles conlionncnt.
Le commerce, le travail, la chasse, la pêche, la guerre, l'élo-
quence, la valeur personnelle sont quelque chose et attirent mon
respect, parce qu'elles témoignent de la présence d'une vertu (1)
/
(1) Le mot vertu semble être emi)loyé ici dans
naient les Romains : virtus, force.
sens que lui don-
cl de son action, fàl-clle imparfuilc; Je vois la même loi agissant
dans la nature pour la conservation et la croissance des êtres.
Le Pouvoir, dans la nature, est la mesure essentielle du Droit.
La nature ne permet pas b ceux qui ne peuvent s'aider eux-mêmes
de rester dans son royaume. La genèse et la maturité d'une pla-
nète, son poids et son orbite, l'arhrc courbé se relevant sous l'ou-
ragan, les ressources vitales de cliaque animal, de chaque végé-
tal, sont des démonstrations de l'âme se suffisant h elle-même, et
à cause de cela, confiante en elle-même.
Ainsi tout sr; concentre; ne continuons pas h errer çb et là,
restons assis avec la cause. Stupéfions, étourdissons les imperti-
nents bavardages des hommes, par une simple déclaration du
fait éternel. Disons aux envahisseurs d'ôler chapeau et souliers,
car Dieu habite ici, en nous. Que notre simi)Iicité les juge et
que notre docilité îi notre loi démontre la pauvreté de la nature
et de la fortune, comparée h nos richesses intérieures et person-
nelles.
— Maisaujourd'hui, nous ne sommes qu'une populace; l'Iiomnnc
n'inspire aucune respectueuse terreur à ses semblables, il ne
force pas son génie îi rester chez lui ni îi se mettre en communi-
cation avec l'océan intérieur; ce génie, au conlraire, se promène
et va çà et là emprunter une tasse d'eau à l'urne des autres
hommes. — Nous devons marcher seuls. — Je préfère à n'im-
porte quel sermon, l'église viJe avant l'office. Que les hommes
sont loin, — froids, purs, quand nous les voyons entourés pour
ainsi dire d'un sanctuaire qui les isole. Soyons toujours ainsi.
Pourquoi nous chargerions-nous des fautes de nos amis, de notre
femme, de no'.re père ou de nos enfants, parce qu'ils sont à notre
foyer ou qu'ils doivent avoir le même sang que nous? Tous les
hommes ont le même sang que moi, j'ai le même sang qu'eux.
Ce n'est pas pour cela que j'adopterai leur pétulance et leur
folie, fût-ce au point d'en rougir ïculemenl. Mais cet isole-
ment ne doit pas être mécanique, extérieur, il doit être moral,
c'esl-à-dirc qu'il doit être de l'élévation. Il y a des moments
où le jnonde entier semble conspirer pour vous ennuyer
pir des bagatelles pompeuses. Amis, clients, enfants, maladie,
peur, besoin, charité, tout cela frapp^j à la fois, b la porte de
voire bureau en disant : « Sors, viens à nous, écoute-nous ».
Mais loi, reste où lu es, ne sors pas, pour te trouver au milieu
de cette confusion. Le pouvoir que les hommes ont de m'ennuyer,
c'est moi qui le leur ai donné par ma curiosité, trop faible.
Personne ne peut m'approcher malgré moi. « Ce que nous
aimons, nous le possédons, mais par les vains désirs, nous nous
privons de l'amour ».
Si nous ne pouvons pas nous élever tout d'un coup aux sain-
tetés de l'obéissance et de la foi, résistons au moins à nos lenla-
, lions. Entrons en guerre; réveillons Thor et Odin dans nos cœurs
saxons, le courage et la constance dans notre sein. Ceci peut
s'accomplir en temps de paix, en disant la vérité. Réprimez cette
hospitalité et ces affections menteuses, ne vivez plus pour rem-
plir l'attente de ces gens déçus et décevants avec lesquels vous
conversez. Dites leur : 0 Parents, frères, femme, amis, j'ai vécu
avec vous d'après les apparences jusqu'à présent. Dorénavant
j'appartiens à la vérité. Sachez que je neveux plus obéir à d'autres
lois que la loi éternelle. ietiQ veux pas de conventions, mais
des rapprochements. J'essayerai d'entretenir mes parents et ma
famille, d'être l'époux fidèle d'une §eulc femme, mais je rem-
plirai ces devoirs d'une façon nouvelle. J'en appelle contre vos
coutumes. Je dois être moi-même. Je ne peux plus me briser, me
conljairidre pour vous ou pour cet autre. Si vous pouvez m'aimcr
pour ce que je suis, nous en serons plus heureux. Si vous neie
pouvez pas, j'essaierai encore de mériter que vous m'aimiez ; je
ne cacherai pas mes goûts ni mes aversions. J'aurai tant de con-
fiance dan? la sainteté do tout ce qui est profond que j'accom-
plirai avec force, à la face du soleil et de la lune, tout ce qui me
réjouit, tout ce que le cœur me dicte. Si votre caractère est
noble, je vous aimerai ; sinon je ne vous déshonorerai pas par
des attentions hypocrites qui me foraient du tort à moi-même.
Si vous étés sincère, mais si vous ne voyez pas la vérité comme
moi, attachez-vous à vos propres compagnons; je chercherai les
mions. Je ne fais pas cela par égoïsmc, mais pour être humble et
sincère, il est de votre intérêt, du mien, de l'intérêt de tous, do
vivre dans la vérité même si nous avons vécu longtemps dans le
mensonge. Cela vous semble-t-il dur aujourd'hui? Vous aimerez
bientôt ce que votre nature autant que la mienne, vous dicte, et
si nous suivons la vérité, elle nous fera sortir sains et saufs de
CCS difficultés. — Mais vous pourriez faire de la peine à tels et
tels amis? Oui, mais je ne peux pas vendre ma liberté, ma force
pour épargner leur sensibilité. D'ailleurs, tous les hommes ont
leurs moments de raison pendant lesquels ils reconnaissent la
religion de la vérité absolue; dans ces moments-là ils m'approu-
veront et ils m'imiteront.
Le vulgaire pense que si vous rejetez l'opinion populaire et
générale, vous les rejetez toutes, et que vous ne faites que de lu
contradiction, et le sensualiste le plus effronté prendra le man-
teau de votre philosophie pour dorer ses crimes. Mais la loi de
la conscience reste sur nous. Il y a deux espèces de confes-
sionnaux, et nous pouvons passer devant l'un ou devant l'autre.
On peut remplir son cercle de devoirs de deux façons, on pçut
os'cxaminer à ce sujet d'une façon directe ou d'une façon réflexe.
Vous pouvez , considérer si vous avez rempli vos obligations
envers vos parents, vos cousins, vos voisins, vos concitoyens,
envers votre chat et votre chien» çt vous demander si l'un d'eux
peut vous reprocher quelque chose. Mais vous pouvez aussi
négliger cette méthode d'examen réflexe et vous absoudre à votre
propre tribunal. J'ai mon but personnel, mon devoir propre,
mission sévère, ceccle dont je suis le centre, et ai> nom duquel je
refuse d'appeler devoir bien des choses qui en portent le nom.
Mais si je puis m'acquitter des obligations qu'il m'impose, il me
permet d'ignorer le code ordinaire. Si quelqu'un s'imagine que
celte loi est facile, qu'il essaie d'en garder les coramandemenîs
un seul jour.
(.4 suivre.)
LES NÉO-IMPRESSIONNISTES
SIGNAC
M. Félix Fénéon a publié dans les Hommes d'aujourd'hui, en
marge d'un portrait au crayon par Seurat, un portrait à la plume
du peintre Signac, dans lequel il donne, une fois de plus, la théo-
rie si discutée, bien qu'ignorée, des néo-impressionnistes. A tous
égards, l'élude est attachante et mérite d'être reproduite :
Ce peintre, la jeune gloire du née impressionnisme, est né le
41 novembre 4863, à Paris, passage des Panoramas, et sa vie
regorge d'événements que j'eusse aimé dire, mais quoi, il faut
d'abord calmer par des patrocinalions, l'étonnement soupçon-
neux, réprobateur ou hilare d'un public sur qui se vérifiera celle
VART MQDERNE
285
observation des oplilhalmographes : la disparition de la percep-
tion des complémentaires est un prodrome de l'alaxie.
Sauf en des cas paradoxaux, noire appréciation d'une surface
ne dépend évidemment pas de la seule couleur locale, mais de sa
coalition avec d'autres contingents, parmi lesquels lu lumière
éclairante : la qualité de cette lumière — pour éviter toute com-
plication, on supposera «les effets diurnes — s'accuse en un orangé
plus ou moins actif au gré de la saison, de l'atmosphère et de
l'heure, jamais absent, même à l'ombre ou par temps gris.
Celle surface n'étant pas isolée, ses primitifs éléments de colo-
ration — couleur locale el orangé solaire — vont être perturbés
par des phénomènes de con'raste,
car
Deux couleurs limitrophes s'influencent muluellemenl, chacune
imposant à l'autre sa propre complémentaire, le vert un pourpre,
le rouge un vert bleu, le jaune un outremer, le violet un jaune
vcrdâtre, l'orangé un bleu cyané : contraste de teintes.
La plus claire devient plus claire ; la plus foncée, plus foncéa :
contraste de tons.
Ce contraste est le régulateur du contraste de teintes :
avec l'écart des tons croît l'influence, par voie de complémen-
taires, de la région la plus lun^ineuse sur la plus sombre, tandis
que l'açlion inverse diminue cl, pour un puissant contraste de
tons. Ici que celui d'ombre à lumière, s'abolit presque.
Parfois une surface luisante réfléchit sa propre couleur sur une
surface placée angulairement, — el il arrivera que ces reflets,
presque toujours négligeables, primeront la manifestation des
complémentaires; mais celle-ci est d'absolue généralité, et ils
restent fortuits.
Le mélange de la couleur locale d'un objet avec les diverses
lumières colorées qui y afiluenl (lumière solaire, normales irra-
diations de complémentaires cl reflets accidentels), mélange qui
constitue la teinte sous laquelle nous percevons cet objet, est un
MÉLANGE OPTIQUE.
Entrée du peintre :
Si le peintre sur son subjeclile(ioile, cuir, bois, carton, mêlai,
ivoire, etc.) jlixtaposc d'exiguès occllurcs dont les séries corres-
pondent, qui à la couleur locale, qui î» la lumière solaire, qui aux
reflets, ces taches pluricolorcs ne seront pas perçues isolément :
au recul les faisceaux lumineux cfai en émanent se composeront
sur la rétine en un mf'f.ange optiqle. — L'artifice du peintre aura
rigoureusement restitué les procédés de la réalité (1).
(1) Synopsis :
A
dans la lumière :
1 Couleur locale.
Or€ini,'-é solaire.
B
dans ronil»re
1. Couleur locale.
1'''». Réaction de la couleur locale de A,
c'est-à-diie sa complémoutaire.
2. Orangé solaire, raréfié.
2''''. Réaction de l'orangé solaire, c'est-
à-dire sa complémentaire, le bleu.
et, de part et d'autre, le cas échéant, des reflets accidentels.
Quelques grossiers parangons.
Sur un ciel lumineux, un arbre aii soleil :
rarl)re s'affirmera i)ar des touches vertt>s (localité) el orangées
(soleil); le ciel, par des touches bleues (localité) et orangées (soleil) ;
le contraste de tons peul être faible; loraugé épars dans les deux
régions reste neutre; un commerce s'établit entre le vert de larbre,
qui caresse de rose le ciel, et le bleu du ciel, qui i>oudre de jaune
notre arbre.
L'Union" de toutes les lumières aboutissant au blanc cl l'union
de tous les pigments au noir, — tout mélange optique tend vers
la clarté, tout mélange pigmcntaire (i. c. mélange de couleurs-
pigments, mélange des pâtes, mélange sur la palette), vers les
ténèbres. Si l'on représente par 100 la laminosilé du mélange
optique de deux couleurs, la luminosité du mélarigc pigmentaire
des mêmes couleurs varie, suivant que le couple de couleurs est
tel ou tel,- entre 70 et 80, tombe à 47, se guindé à 96, chiffres qui
pour un mélange plus composite s'afTaissenl rapidement. Mélange
pigmcntaire implique toujours obscurcissement et souvent décolo-
raMon. Une teinte pigmentaire est veule el plate au prix d'une
teinte issue du mélange optique; celle-ci, myslérieusemenl vivi-
fiée par un perpétuel travail de recomposition, chatoie élastique,
opulente el lustrée. — C'est par des considérations de cet ordre
que s'expliquerait la décadence du vitrail. Elle est consécutive du
progrès de l'industrie verrière. Les vitraux modernes, si purs,
sont de glaciales el lisses nappes. Grâce îi leurs ganglionnaires
irrégularités les vitraux anciens se pointillcnl : d'où l'activité
fourmillante d'un mélange optique — el leur Ijeaulé.
On spéculera donc sur les prérogatives du mélange optique.
Tous les éléments consiilutifs de la coloration interviendront sans
salissures. — Leur polychrome cohue de taches minimes s'or-
donne selon le jeu des clairs et des ombres : justifiant les per-
spectives, fais:mi palpiter l'air sur les spectacles. Le modelé se
configure continûment : les énergies antagoniiiues de teintes se
calment à partir des lignes de collision, el mieux que dans les
bons sourimonos, le nuanccment de ciels, de plages, de mers
rivalise avec la dégradation délicieuse d'une feuille de rose. L'es-
sor de chaque couleur est libre el la solidarité de toutes stricte :
le tableau s'unifie sous leur houle.
Plus que tout autre, un tel procédé permettra au peintre d'ob-
jectiver ses sensations dans leur complexité, de traduire, avec
l'emphase licite, son originalité foncière. Mais, indépendant de la
dextérité digitale et si plein d'alliciantes embûches, peut-être ne
sera-t-il accessible qu'à un artiste doué de quelque génie.
Pour légitimer son instauration auprès d'une technique orgueil-
leuse de siècles cl de chefs-d'œuvre, une technique nouvelle doit
correspondre à une nouvelle manière de voir. Or, la peinture
optique dotait l'impressionnisme — spécialisé par assez de carac-
tères pour prétendre à s'isoler dans la série des formes d'art — d'un
langage capable d'exprimer ses vœux confus. L'accueil n'importe
que lui firent les vit'ux maîtres impressionnistes. Elle séduisit,
— c'était vers 1883, — quelques jeunes peintres, d'esprit plus
philosophique, qui la devinèrent apte p ir excellence à promul-
guer les synchromies qu'ils rêvaient. Entre leurs qualités en
latence et la technique neuve, il y eut intime accord. Ces quali-
tés, elle les dégagea cl somplueusemenl les exalta : cl .M. Paii.
SignÀc put créer les exemplaires spécimens d'un an à grand
développement décoratif, qui sacrifie l'anecdote à l'arabesque, la
nomenclature à la synthèse, le fugace au permanent, et, dans les
fêles cl les prestiges, confère à la Nature, que lassait îi laNrfi sa
Sur le même ciel, larbre dans l'ombre :
le voilà vert et très i)auvre d orangé; le bleu ambiant lui dcleiiue
un jaune paisible; mais, follement exaspérée par la diflereme dos t«>iis.
la lumière orangée du ciel inonde de bleu cyané cet arbre misérable
(pli tente en vain de râler le moindre rose.
Reflets accidentels : *
un pré mouillé et solçillé, exprimé i)ar du vert et do l'orangé,
enverrait un peu de cet orangé et de ce verl ànIx face d'ombre d'un
mur, sans préjudice des réactions normales.
)
réalité précaire, une aulhenliquc Réalité. Comme illustration à
trop de mots, qu'on voie ses œuvres les plus récentes et, entre
toutes l'op. 196 (Cassis, Cap Lombard), l'op. 200 (id., Cap
Canaille), l'op. 206 (la Seine au Val d'Herblay) : là se conjugue
indissolublement la vigueur de la forme aux délicates cl sereines
magnificences des colorations, et l'espace criblé de lumière s'ac-
cumule dans les ciels.
M. Paul Signac a débuté en 1881. Ses catalogues de Paris,
Nantes, Druxelles et New-York distribuent ainsi ses paysages cl
ses marines : Port-en-Bcssin, 82, 83, 84 ; Saint-Briac, 85, 90 ; le
Pctit-Andely €t. Fécamp, 86: Comblat-le-Giateau et Collioure, 87;
Anvers et Portrieux, 88; Cassis et Herblay, 89; et enregistrent
trois vastes intérieurs avec figures : « Apprèteuse et garnisseuse
(modes) rue du Caire », 85-86; « la Salle à manger », 87; « Un
Dimanche à Paris », 89-90. L'énumération se compléterait par
une « Chanteuse de café-concert », aquatinte, 84; une, autre
« Chanteuse de café-concert » et « Portrait de mon grand-père »,
pointes-sèches, 87; une lithographie, 87; quelques crayons;
(|uelques dessins piquetés à la plume; un programme chromo-
lithographique pour le Théâtre-Libre, 89 ; une affiche alphabéti-
que à l'aquarelle, savamment agencée, pour le Cercle chroma-
tique de Charles Henry ; et. des notules dans le « Cri du Peuple »,
signées Néo, dans « Art cl Critique », 90, signées S. P., et dans
la « Cravache », 88-89.
Bien qu'il sût les dénommer agréablement (« Un peu de soleil
au pont d'Auslerlitz » ou « Bonne brise de N JNO ») M. Signac
renonce à mettre de la lillérature sous ses tableaux. Il les numérote.
Signature, millésime et numéro sont harmonies aux fonds, —
harmonies de sen^blables pour un fond clair, de contraires pour
un fond sombre. Comme décor : le cadre blanc à quatre étroites
raies d'or en bordure extérieure.
Lorsque. M. Charles Henry voulut appliquer à l'art industriel
les méthodes d'étude esthétique de la forme et de la couleur aux-
(juelles lavaient conduit une théorie générale de la dynamogénie
et des expériences patientes, M. Signac lui apporta son concours :
son analyse du prolil (anses déployées) des vases de Cnide, de
Tliasos et do Rhodes et leur définition par indicateurs d'écart, de
dynamogénic, d'inhibition, de contraste, d'acuité, de diversité,
de variété et de complication sont un type très pur de critique
scientifique (1). Eu 1890 sera publiée IÉdjcatioj* du 'sens des
FORMES (2) dont il a établi les planches et les chiffres. Dans la
première partie il opère sur des échantillons, longuement choisis,
(le coupes grecques, vases persans, kodzukas, gardes d'épée
Louis XVI, piédouches de Deneuforge, et ses supputations, qui
culminent en des nombres rythmiques, sont d'accord avec le suf-
frage spontané des artistes, qui jugent satisfaisants ces objets.
Dans la seconde partie de l'album il reproduit, aux versos, quel-
(jues ustensiles usuels (couteau, cuiller, cruche marseillaise,
carafe, chaise), un volume Charpentier, le titre du « Figaro », qui
soumis au calcul, abandonnent un résidu non rythmique; et, aux
rectos, il astreint ces mêmes figures à une déformation qui les
ronde rythmiques : la confronialion des deux images est édifiante
pour tout œil normal qui sait s'abstraire de convenances utili-
taires ou logiques et, à ce poilit de vue, les planches constituent
ilj Pages 20-.31d'AppLic ATI ON | de : nouveaux ixstklments de pré-
' ISIOX I (cercle CHROMATKJUE, I RAPPORTEUR ET TRIPLE-DÉCIMÈTRE
ESTHETIQUES) | A l'aRCHÉOLOOIE j PAU | M. ClIARLES HeNRY | PaRIS ]
Ernest Leroux, editeuh | 28, rue Bonaparte, 28 | 1890.
(2) avec préface et notes scientifiques de M. Charles Henry.
des expériences uniques et probantes. Les non rythmiques ne
sonl pas seulement des exemples à éviter dans l'art industriel;
elles sont des exemples à suivre chaque fois qu'U- s'agit d'obtenir
avec une forme plus d'acuité visuelle (1), ou pour parler vague-
ment, plus d'utilité. Le désagréable hyperesthésie ; l'agréable anes-
thésie. Le laid.est pratique : il y a dans ces expériences la carac-
téristique et la justification des efforts les plus généraux de cet âge
scientifique.
Cette méthode permettrait peut-être l'étude mathématique de
chromoxylographies japonaises aux teintes autonomes dans leurs
confins nettement délinées. Mais il serait illusoire que M. Signac
cherchât à l'utiliser pour l'exécution d'un tableau ou M. X. pour
l'analyse ultérieure de ce tableau. Du moins semble-t-il, d'après
la maîtrise dont témoignent les dernières œuvres de ce peintre,
que, parmi tant d'ardues investigations, sa faculté de contrôle sur
ses intuitions d'harmonies polychromes et linéaires ail acquis
plus de décision encore et de lucidité.
Dans sa bibliothèque, les peaux, les papiers et les étoffes des
reliures s'accointent entre eux avec les textes : Léonard de Vinci,
argent bleu; Rimbaud et Mallarmé, parchemin blanc et or;
Baudelaire, violet; Kahn, bleu et orangé; Léon Tolstoï, pourpre
et noir; Paul Adam, rose glaceux. II feuillette aussi cartes marines
cl portulans. Une flottille est au service de sa peinture : sun
l'Océan, le Mage, sloop à tape-cul (7 tonneaux, 10 mètres de
l'étrave^ l'étambot, 2"', 80 au maître-bau); sur la Seine, un cat-
boat, LE TuB, et une norwégiennc, la Walkùre. Au hasard de
voyages, il sera promu le paysagiste officiel des lies Blanches
Ésotériqùes par le télrarque Émeraude Archetypas.
Chronique judiciaire de? ^rt?
Encore le Rembrandt du Pecq.
L'odyssée du tableau désormais connu, avant même son attri-
bution exacte, sous le nom de « Rembrandt du Pecq », est loin
d'être terminée, et nous entendrons sans doute encore parler de
cette toile légendaire, qui finira peut-être par rêvé 1er son secret.
En attendant, elle se prépare à faire son tour du monde, comme
tout bon tableau qui se respecte, et actuellement le fameux
«Rembrandt » est à Londres, où son heureux propriétaire,
M. Bourgeois, l'exhibe en bonne lumière.
C'est même ce déplacement qui fait l'objet d'un référé.
On se rappelle, en effet, qu'après la vente qui a eu lieu de cette
curiosité, dépendant de la succession d'une dame veuve Legrand,
moyennant un prix relativement peu élevé s'il s'agissait d'une
œuvre du grand artiste, un procès fut intenté par un légataire
de M™^ Legrand à l'acq-iéreur, M. Bourgeois, marchand de
tableaux, à M. Gandouin, expert, et à M. Haran, greffier de la jus-
tice de paix de Saint-Germain-en-Laye, qui avait procédé à cette
vente après décès.
M. Bernard, le légataire, prétendait que la vente était nulle parce
que le tableau en question avait été vendu comme étant de l'école
de Rembrandt, tandis qu'il était, en réalité, du maître lui-même.
II avait, en effet, été mentionné ainsi, dans le catalogue dressé
en vue de la vente : « Ecole de Rembrandt : Jésus et les disciples
d'Emmaûs. »
(1) mesurée par la distance à laquelle la forme se distingue d'une
tache grise amorphe.
-^r, il se^rouvait que les personnages représentés par le peintre
étaient un beau vieillard à longue barbe blanche, impossible à
confondre avec le Christ, et des figures ailées qui ne pouvaient
être prises pour de sinjples disciples : qu'enfin le tableau était
bien de Rembrandt lui-même puisqu'il portait sa signature.
Le 2*2 mai 1890, le tribunal civil de Versailles a rendu, sur
celte contestation, un jugement qui, sans annuler la vente vis-k-
vis de M. Bourgeois, a réservé la question des dommages-intérêts
en ce qui concerne l'expert, qui a nui à la vente par l'attribu-
tion du tableau soit à un peintre du nom d'Arnold Guelder,
soit à l'école de Rembrandt et en lui donnant la dénomina-
tion de Jésus et les disciples d'Emmaiis, et il a nommé trois
experts : MM. Paul Dubois, directeur de l'Ecole des Beaux-Arts,
le conservateur du Musée de peinture du Louvre et M. Emile
Michel, critique d'art, pour fixer la valeur vénale du tableau mis
en vente dans les conditions où il aurait dû l'élrc.
M. Bourgeois, l'acquéreur, se prét\;ndanl mis hors de cause,
par ce jugement, a disposé du tableau et l'a, comme nous l'avons
dit, transporté à Londres pour y être exposé. Il doit même, dit-on,
le promener dans d'autres pays, en Amérique, naturellement, oii
l'on paraît friand de ces sortes d'exhibitions, et tâcher de le
vendre.
Mais le jugement du tribunal de Versailles a été frappé d'appel
et il importe pour la garantie de la succession de M'"" veuve
Legrand, comme pour les besoins de l'expertise qui doit avoir
lieu, que le tableau ne disparaisse pas et reste à la disposition
des parties.
En conséquence, M. Bernard a assigné en référé, MM. Bour-
geois, Gandouin et Haran, pour faire nommer un séquestre, chargé
de conserver le tableau.
Sur les observations de M* Herbet, avoué de M. Bernard, et de
M« de Biéville, avoué de M. Bourgeois, M. le président a nommé
ce dernier séquestre du tableau, qu'il pourra vendre, mais à
charge par lui d'imposer à l'acquéreur la condition de le repré-
senter aux experts, dans le cas où le jugement serait confirmé,
et lorsqu'il sera procédé à l'expertise.
pËTITE CHROJMIQUfl
Les idées de l'Art moderne sur la décoration des gares (voir
dans notre numéro du 3 août l'article intitulé : Supplique à
M. Vandenpeereboom) on>de l'écho. Voici ce que publiait la
Réforme de mercredi dernier :
« On est en train de repeindre la gare du Midi. Vat-on encore
une fois lui donner celte teinte gris blanc uniforme de nos bâti-
ments ofliciels, qui ne tarde pas, surtout dans les gares, à devenir
d'un gris sale qui les rend absolument lugubres?
« Pourquoi ne paa apporter un peu de couleur, de vie et de
gaieté dans ces constructions? Pourquoi, par exemple, ne pas
peindre les colonnes et les fermes métalliques dans ces ions
bleuâtres ou rougeâircs, que les Anglais, dans leurs gares,
emploient sans beaucoup de goût, mais qui donnaient un aspect
si gai et si avenant aux constructions métalliques de l'Exposition
univorsellc de Paris?
« Ne sommes-nous pas le pays de la couleur el noire ciel n'est-
il pas déjà assez uniformément gris pour que nous réagissions
contre le spleen qui découle de l'uniformité el de la monochro-
mie. ».
La saison du Théâtre-Libre, qui ouvrira avec la Double con-
science, quatre actes en vers de M. Jean Aicard, comprendra huit
spectacles. -
Antoine se propose de supprimer sur les affiches de théâtre, les
noms de messieurs les Acteurs el de mesdames les Actrices. Cela
ne sert qu'à favoriser leur cabotjnagc cl leur insupportable et
solfe vanité, dit-il. Plus de vedette hors cadre, ni de vedetle
simple, ni de grande, ni de petite vedette : voir nos articles sur
sa fameuse brochure rouge {A rt moderne des 1", 8, 15 et 22 juin
de celle année).
Or, sail-on depuis quelle époque les noms des artistes figurent
sur les affiches ?
Depuis le 21 juin 1791, jour où le titre d'Académie royale de
musique fut remplacé, à Paris, par le mot Opéra.
Les autres théâtres suivirent l'exemple.
La formule par ordre fut inscrite pour la première fois en tête
des affiches des spectacles, le 28 octobre 1768.
En 1792, elle fut remplacée par : De par ci pour le Peuple.
En voici Un échantillon ; c'est l'affiche de l'Opéra, du 21 janvier
1794, jour où fut guillotiné Louis XVI :
De par el pour le. Peuple
GRATIS
En réjouissance de la mort du tyran
L'OPÉRA N.\TIONAL
donnera aujourd'hui, 6 pluviôse. An II de la République
Milliade à Marathon — Le Siège de Thionville
L'Offrande à la Liberté
Une des compositions de Weber citées par le biographe Jalin
comme ayant dis{îaru, vient d'être retrouvée, à Berlin. C'est une
canzonetta pour troix voix d'hommes, sans accompagnement,
dont le texte commence ainsi : « Son troppo innocente ncH'arte
d'amar ». Elle fut écrite en juillet 1811 à Starnberg, près
Munich, le lieu même qui fut témoin, plus tard, de la fin tragique
du roi Louis II de Bavière.
Le musée du LoùVre vient de recevoir une magnifique collec-
tion de nombreuses. amiquiiés provenant des ruines de Carihage
et achetées aux indigènçs^î^r lé commandant Marchant, de l'armée
d'Afrique. Elles daient, la plupart, non de la vieille Carthage
sémitique, où il n'y avait pas d'art, quoi qu'en ait pensé Baude-
laire, mais de la Carihage des empereurs romains.
Cette collection se compose : de 32 stèles puniques, prove-
nant de Carthage; d'une trentaine d'inscriptions grecques cl
latines; d'environ 150 lampes romaines, dont le plus grand nom-
bre ayec inscriptions el sujets; d'une belle série de médailles;
d'un certain nombre de fragments de statues cl de bas-reliefs, et
de 15 têtes d'empereurs ou de divinités, parmi lesquelles il faul
surtout signaler une magnifique lêle de Jupiter Serapis, une tête
d'Hadrien, lauré, ainsi qu'une tête d'impératrice admirablement
conservée. Les stèles puniques, qui forment une série particuliè-
rement intéressante, ont été communiquées en estampage à l'Aca-
démie des inscriptions el belles-lettres par M. Renan.
Les inscriptions latines, qui sont au nombre d'une trentaine,
ont été presque toutes trouvées ou achetées à des Arabes par le
commandant Marchant, sur l'emplacement même de Carthage, cl
proviennent principalement, soit de l'endroil où M. de Sainte-
Marie fit des fouilles et découvrit une série d'inscriptions en
l'honneur de Sérapis, soit de l'un des importants cimetières dos
« oftkiales », esclaves et aff'ranchis de la famille impériale,
découverts à Carihage el qui indiquent les fonctions qu'ils rem-
plissaient.
Cette belle collection est arrivée à Paris, et vient d'être
installée provisoirement dans deux vitrines de la salle des « pri-
sonniers barbares ».
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Comité de rédaction t Octave MAUS — Edmond PICARD — Émilb VERHAEREN
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Adresser toutes les communications à
l'administration générale de TArt Moderne, rue de Tlndustrie, 26, Bruxelles.
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PExrrES CHAPELLES. — L'n uptlmistk AMÉuiCAix, lùiicrsoii, par
. M"'« A. Levez. — Confiance en soi-même. Traduction inédite de
l'anglais d'Etncrso>i, par une inconnue (suite). — Chronique
JUDICIAIRE DES ARTS. Afpchcs de thé^'lrc. Vedette. — Schurniann
contre Paulus. — Mémento de?^ Expositions. — Petite chroniqie.
PETITES CHAPELLES
En un mordant article, Emile Goudeau raille, dans
les Entretiens j)olitiques et littéraires, les écoles —
lisez coteries — littéraires qui, ces derniers lustres, se
sont entre-dévorées avec quelque gloutonnerie. Il les
dénombre, pointe leur apogée et leur décadence, et le
kaléidoscope qu'il agite est amusant. Il suffit de rappe-
ler, dit-il, qu'après son triomphe définitif, le roman-
tisme se dispersa aussitôt en ordres orthodoxes et en
sectes hérétiques, que la grande cathédrale d'Hugo se
divisa en menues chapelles où des prêtres convaincus
durent officier devant les apôtres et les saints de la
récente création. Cela dura jusqu'à la fin de l'Empire.
Vers le commencement de la troisième République,
deux grandes églises se partageaient le domaine artis-
tique : les Parnassiens et les Naturalistes, les uns gar-
dant la poésie, les autres tenant la prose. Elles se cha-
maillaient un I)eu, comme le font les Carmes et les
Jésuites ; mais, parce que leurs terrains étaient parfai-
tement distincts, que la nature de leurs offices et la
qualité de leur clientèle devenaient très différentes,
leurs querelles de lutrin n'aboutirent point à la guerre
ouverte ni aux excommunications majeures.
Seulement, et ainsi se démontre la fatale étroitesse de
toutes les écoles, de toutes les confréries, de toutes les
chapelles, le Parnasse et le Naturalisme anathémati-
saient tout ce qui n'était pas eux. Hors de l'Eglise, point
de salut !
Cela soit dit non en guise de blâme, mais pour une
constatation dont nous voulons ultérieurement tirer
quelques corollaires.
Or, ces écoles disciplinées, où la préalable profession
de foi et une ardeur catéchuménale apparaissaient
nécessaires, ne tardèrent pas à déplaire à une généra-
tion nouvelle, révolutionnaire par tempérament, que les
événements de 70 et les luttes subséquentes douaient de
combativité.
C'est à partir de cette époque que les drapeaux litté-
raires, soie, laine ou coton, apparurent à tous les coins
de rue, au dessus de tous les cabarets dissertatoires, et
que d'innombrables journaux éi)hémères emportèrent
ces pavillons multicolores à travers l'espace, à l'instar
de mouches, affolées par un papier sous-caudal, qui se
prendraient pour des camelots célestes. .
Ici, un collectionneur émérite devrait offrir sa nt^ces-
saire collaboration à l'historien accablé. Pendant quinze
années, il ne se passa pas de semestre sans qu'apparût
quelque novateur. accompagné de quatre ou cinq apôtres,
fier de lancer sur les foules le nom d'une école adoles-
cente, destinée à triompher du romantisme récalcitrant,
du Parnasse formel et du Naturalisme expérimental.
- Au hasard de la mémoire, je citerai quelques ban-
nières entrevues durant cette croisade. \
Les Vivants, école fondée par Maurice Bouchor, les
Brutalistes, par Jean Richepin, les Néo-Réalistes ou
Lyrico-Réalistes, qui tentaient d'infuser le naturalisme
dans la poésie; d'autre part, le Macabrisme, paroles et
musique de M. RoUinat, effrayaient les peuples; tandis
que l'Ironisme comptait encore des apôtres, et le Pari-
sianisme, des martyrs,
Je ne parle pas des Hydropathes. Dans la pensée de
ses promoteurs, cette réunion bariolée ne fut point une
école, mais la négation même des écoles, la porte
ouverte au lieu du huis-clos.
Les Hirsutes, dont la gloire surgit peu après, rive
gauche, ne tardèrent pas A reconstituer l'usine à dra-
peaux littéraires, et à trouver des moellons pour bâtir
des chapelles.
Tandis que Félicien Champsaur innovait le Moder-
nisme, on voyait l'influence de Verlaine et de Mallarmé
passer décrétât latent à l'état concret ; cette opération
physique donnait le jour aux Décadents. Mais ceux-ci,
nombreux dès l'abord, disparurent vite, dès qu'une
popularité malsaine s'attacha à leur drapeau, et qu'on
les appela Déliquescents, après l'apparition d'une bro-
chure gaiement tapageuse (1). Ils semblaient être trente
mille, ils ne furent que quatre ou cinq. Mais les ex-
décadents surent, des cendres de la décadence, tirer un
phénix bien-venu qui s'appela le Symbolisme, et
auquel un moment fut dévolue la grande gloire.
Malheureusement la discorde veillait; d'amères scis-
sions se produisirent. Il y eut de vrais et de faux Sym-
bolistes; des Symbolistes voyants et des Symbolistes
sans le savoir.
C'était pourtant un superbe titre d'école, car poésie
est symbole, comme art, plastique, musique sont sym-
boles.
Malheureusement quoiqu'un apparut qui inventa le
symbolisme-instrumentiste. Amer trombonisme !
Dès lors, ce devint une orgie dans la débandade. Les
vocables les plus étranges furent hissés comme des
pavillons insurrectionnels. Pendant une période funeste,
on assista au débordement des ismes, jusqu'au Vérisme,
jusqu'au Zutisme, jusqu'au Jemenfichisme, jusqu'à cette
merveille que Ton fonda l'Ecole du Chat Noir et qu'elle
(1) Voir nos orticlcs «^ Essai de Pathologie littéraire ", An
mfjdcrne, 1885. \>i>. 22λ, 238, 245, 253, 201. 269, 278, 286, 301.
put s'appeler le Chatnoirisme. Enfin, par antithèse,
apparut le Magisme,sur l'horizon littéraire voiié au pur
chaos.
Car, entre temps, le Naturalisme lui-même se divisait
en sectes rivales : le Goncourtisme, le Daudétisme,
s'insurgeaient contre le Zolaïsme pur. D'un autre côté,
Paul Bourget inaugurait le psychologisme, dont Mau-
passant lui dispute la maîtrise. Bien d'autres ismes flo-
rissaient : l'Exotisme de P. Loti, l'Intuitivisme d'Edouard
Rod, le Dilettantisme de Maurice Barrés, le Scien ti-
tisme de celui-ci, le Métallurgisme de celui-là, le Préhis-
torisme de cet autre.
Si j'en néglige un certain nombre, que l'on ne mette
point cette défaillance numérale sur le compte d'un
injuste dédain ; seul en est cause l'abus du tabac, qui
diminue la mémoire.
Parmi tant d'ismes hérétiques, les chefs d'Ecole eux-
mêmes, les grands théologiens littéraires, arrivaient à
se tromper, si bien qu'un certain désarroi se manifesta
dans les doctrines les mieux établies et anciennes, si
bien que des prêtres affolés couraient officier dans des
chapelles d'un rite étranger au leur, à la stupeur des
paroissiens. Tandis que Catulle Mendès écrivait d'exquis
romans parisiens et naturalistes, Zola rentrait dans le
Romantisme pur et glissait au Symbolisme,"^ l'on
attendait, de minute en minute, l'annonce de quelque
roman moderniste et boulevardier, signé : Leconte de
Lisle.
Il n'y avait plus d'écoles, mais seulement des
vacatures.
La conclusion d'Emile Goudeau, c'est que l'indivi-
dualisme enfin régné en maître souverain, que l'ère des
petites chapelles est abolie, que l'écrivain désormais
trouvera tout seul son chemin et s'affirmera, au con-
tact de la vie, sans passer par aucune école, sans devoir
s'enrôler sous nul drapeau. En un mot, I'Originalité !
Confiance en soi-même.
On connaît notre avis sur les Ecoles artistiques, qui
n'ont jamais produit que pastiche et contrefaçon. Un
artiste doué n'a pas besoin de maître. S'il a en lui l'étin-
celle, celle-ci l'enflammera nécessairement. S'il ne l'a
pas, à quoi bon suivre un cours? L'art ne s'enseigne pas.
Les professeurs d'es+hétique qui exposent, avec un air
grave, la manière de composer un tableau, commç la
Cuisi'hière bourgeoise donne la recette d'un entremets
aux pommes, nous ont toujours fait rire. Mais les cote--
ries littéraires, comme toutes les coalitions, ont leur
utilité, et certes devons-nous à l'extraordinaire multi-
plicité des cercles rivaux, l'explosion artistique puis-
samment originale qui marque notre époque.
Si le public était assez coniipréhensif pour aller trou-
ver dans l'ombre dont sa modestie l'enveloppe l'artiste
véritable, écrivain, peintre, musicien, et l'amener triom-
phalement à la lumière, tous ces groupes en isme, aux
r»-
LART MODERNE
291
noms bizarres, aux allures quelque peu tapageuses,
n'auraient point raison d'être. Peut-être un jour (espoir
flatteur pour la foule), en un âge d'or rêvé par tous, les
associations seront dissoutes, l'artiste triomphera seul,
par le seul ascendant de son mérite, immédiatement
reconnu et consacré. En attendant cette époque bénie,
une providence mystérieuse supplée, incarnée en ces
groupes divers que le hasard ou une camaraderie d'ate-
lier fait naître, aux difficultés, souvent insurmontables,
du contact entre l'artiste et le public. Une revue fondée,
dans l'enthousiasme d'une discussion littéraire entre
amis, au tintement des verres choqués, et voici un,
deux, trois noms inconnus glissés dans la vie littéraire.
Le drapeau nouveau attire les regards blasés de la
foule. A bref délai, l'écrivain de valeur prendra rang.
De même pour les cercles de peintres, de même pour les
associations de musiciens. Combien d'artistes ont dû à
ces unions éphémères, mais fécondes en résultats artis-
tiques, la notoriété si lente à acquérir dans l'isolement.
Et quel encouragement donne le coude-à-coude des
batailles de l'Art, quel enfièvrement, productif d oeuvres
âpres, provoque la lutte en commun pour le triomphe
de ridée !
Le caractère fragile et transitoire de ces groupements
d'artistes en fait le mérite. L'influence, limitée quant au
temps, de l'œuvre d'art, s'accommode mal des institu-
tions durables, figées dans une formule bientôt suran-
née. Le renouvellement constant des idées, des prin-
cipes et des techniques artistiques est le salut de l'art,
spécialement de l'art nerveux, sensitif et merveilleuse-
ment intuitif de notre époque. Applaudissons donc aux
vaillants qui ont jalonné l'histoire littéraire de petites
chapelles, ainsi qu'un chemin de la croix dans la cam-
pagne, et saluons, en un pèlerinage pieux, les stations
qu'ils ont instaurées. Les plus excentriques même ont
droit à nos respects : pour trouver l'équilibre du pen-
dule, il^|ut bien le pousser avec exagération de l'un et
l'autre cwés.
UN OPTIMISTE AMÉRICAIN
Emerson, par M'"'' A. Levoz, iii-8'' ilo 125 p. et fab. — Bibliotlièquo
Gilon, 1890, Paris ot Verviers.
« Il s'étonnait toujours de rencontrer tant de braves
gens ; il se sentait heureux qu'il y eut tant de bons sur
la terre... Il croyait qu'une équité parfaite établit sa
balance dans toutes les conditions de la vie,.., que c'est
dans ce monde, non dans l'autre, que nous subirons la
conséquence de nos aTHes. »
C'est ainsi que la femme belge, d'un remarquable esprit,
qui a écrit une étude sur Emerson, résume la domi-
nante, naïve hélas! de l'âme de son héros. « Son
héros ", car elle en parle avec un enthousiasme qui
échauffe toutes les pages de ce livre sub.stantiel et court,
double qualité dans notre temps de hâte. Elle n'est pas
la seule femme à admirer le penseur américain, prédi-
cateur unitairien d'abord, plus tard simplement philo-
sophe, répandant par des écrits, des conférences et des
lectures, non pas sa doctrine (il semblç qu'elle n'ait
jamais eu la condensation nécessaire), mais ses idées
sur beaucoup de choses : la Nature, lès Grands hommes,
le Caractère anglais, la Conduite de la Vie, la Richesse,
l'Education, la Beauté, les Illusions, la Société, la
Solitude, la Littérature, l'Amour, l'Amitié, l'Art, la
Religion, la Morale et même les Bonnes manières. Ses
œuvres complètes, publiées dans sa ville natale, en 1884,
comportent onze volumes. Il commença la vie, à Boston,
en 1803, et l'acheva à Concord, en 1882.
M'"^ Levoz n'est pas la seule femme, disons-nous, à
ressentir pour lui une sympathie brûlante. EUe-même,
en eff'et, signale que " Miss Martineau reconnaissait
pleinement son génie et proclamait ses louanges ; que
miss Bremer fixait sur lui son œil pénétrant et le décla-
rait un noble caractère; que Marguerite Fuller, qui
collabora au même journal que lui, était une de ses
admiratrices les plus ardentes. »
C'est qu'Emerson fut un moraliste doux, d'une
bonté toujours transparaissante, aimant la femme, et
le disant : « Dans les œuvres de la nature et de l'art,
c'est elle qui.reali.se \e plus complètement la beauté «, —
aimant la femme, et le prouvant : il s'est marié deux
fois. Il est vrai qu'il caractérise ce penchant par une
remarque qui étonne M""" Levoz : « Ce n'est pas sur
l'objet aimé que se concentrent nos afl'ections, c'est
plutôt l'idéal rêvé que nous aimons à travers lui. »
Même réflexion que celle risquée par nous jadis dans
VArt moderne : les femmes ne sont que des prétextes
à idéal.
Emerson fut-il un génie, comme le dit miss Marti-
neau? La fine et consciencieuse étude de M"** Levoz en
fait douter. Non pas qu'elle ne partage point l'avis de
miss Martineau, mais inconsciemment, par les détails
qu'elle donne et les citations qu'elle fait, Emerson se
trouve réduit à des proportions moins surhumaines.
L'esquisse, très claire en ses traits, fort intelligem-
raeiit^ dessinée, donne l'impression d'une personnalité
remarquable, d'un cœur plein de bon vouloir, à l'esprit
ingénieux plutôt que pénétrant, d'un trouveur d'images
et de mots heureux pour exprimer du pour résoudre
quelques-uns des tourmentants problèmes de la vie cou-
rante, d'un philosophe serein, au visage empreint de
majesté académique, faisant la clinique des difficultés
habituelles de la psychologie bourgeoise, mais par qui
les grandes misères de l'enfer social n'ont été ni vues,
ni entendues. C'est un Christ pour la classe moyenne.
Mais là, assurément, on s'explique son succès et son
influence. M'"* Levoz le dit, en termes excellents, dans
une introduction hautement et gt^n^reusement pensée :
« Aux lieures de doute décourageant, alors que nos
aspirations se dirigent en vain vers une croyance solide,
si, dans notre accablement, nous entendons une parole
puissante, capable de dissiper nos incertitudes et
d'asseoir nos convictions sur une base réelle, combien
ne nous sentons-nous pas réconfortés? Une force inouïe
nous attire vers Tauteur des paroles qui ont rendu la
sérénité à notre ûmeet la fixité à nos idées... Ofi trou-
ver, mieux caractérisée que chez Emerson, une vue
plus lumineuse de toutes choses, une plus saine et plus
vigoureuse confiance en soi, un plus triomphant opti-
misme? •'
Oui. Mais tout cela n'est vrai que pour la classe que
nous mentionnions tout à l'heure. Il manque à ce Christ
la souverainegrandeur.de misère de l'autre, et la divine
sympathie qui lui fit voir que de tous les problèmes
humains, le plus poignant et le plus digne d'émouvoir
est celui des sacrifiés de l'organisme social. Il n'était pas
un optimiste, lui. Il ne se maria ni une, ni deux fois. Il
ne vécut pas de ses rentes dans une confortable maison.
II ne mourut pas octogénaire et dans son lit. Tout cela
à la bourgeoise. Il a réalisé le symbole du pauvre sans
espérance, en ce monde d'injustice incurable pour les
faibles et les opprimés. Il avait oublié de vivre son
évangile pour la bourgeoisie et de le parler pour elle.
Emerson a comblé la lacune, n'oubliant pas même les
Bonnes manièi-es, proclamant que la culture étant
impuissante à les inculquer si elle n'a pas affaire à une
nature perfectionnée déjà par l'hérédité, cela peut jus-
tifier le privilège du sang et de la naissance !
Nous en convenons, dans la sphère restreinte où il est
resté confiné, il a réalisé presque tous les desiderata, et
M'"^ Levoz comme miss Fuller s'étonnent à bon droit
que son influence ne s'étende pas encore à travers un
grand espace. A part quelques lettrés, dit-elle, personne
ne soupçonne l'existence du philosophe américain. Nous
nous félicitons d'avoir contribué à familiariser nos lec-
teurs avec ce grand nom, grâce à la collaboration d'une
Inconnue que nous ne pouvons nous empêcher de
nommer en nous-mêmes depuis que nous avons lu la
biographie dont nous rendons compte. Inconnue qui
nous a mis en mesure de publier la parfaite traduction
de Confiance en soi-même que nous poursuivons
aujourd'hui, que nous achèverons dans notre prochain
numéro. Certes ce curieux écrit, peut-être le plus
impersonnel et le meilleur d'Emerson, commande l'ad-
miration, mais combien là aussi il parle moins pour
l'universelle humanité, que pour une caste de privilé-
giés, abondant, pour elle, en maximes profondes, en
conseils virils, en aperçus ingénieux.
Peut-être aussi que la lenteur et la difficulté que
subit son œuvre à s'infiltrer en Europe, procède de ce
qu'elle n'est pas dépourvue de quelque américanisme.
Souvent l'expression ou la figure ont un parfum indus-
triel et mercantile qui ne laisse pas que de choquer.
« , Payez vos dettes de toute espèce », dit-il pour
recommander d'être sincère.— « Vous achetez beaucoup
de choses qui ne vous sont pas portées en compte ",
dit-il aux inutiles. — « DépensezVos idées avec système ",
dit-il aux penseurs. — « Accumulez les intérêts avec
une sévère économie », dit-il aux créateurs. Sa para-
bole se ressent de la même inclination : « La société
est une troupe parmi laquelle les mieux' doués prennent
les meilleures places. Un homme faible peut voir les
fermes qui sont labourées et clôturées, les maisons qui
sont bâties. L'homme fort voit les fermes et les maisons
qui peuvent être édifiées. Son œil crée les propriétés
aussi vite que le soleil faitnaître les nuages. » — Ilaaussi
écrit : Soyons riches, possédons, et, surtout, sachons
jouir des richesses, des biens accumulés depuis des
siècles par le talent et le travail d'autrui. Nous avons
besoin d'être riches, parce que c'est la fortune qui,
outre l'abri d'un toit et la nourriture de chaque jour,
nous procure les jouissances de l'art et de l'esprit, et ce
sont celles-là qui doivent avoir du prix à nos yeux -.
Singulier mélange, on le voit, de désintéressement et
d'amour du bien-être, programme nettement affirmé
d'une existence bourgeoise, confortable et réglée, fleu-
rant assurément ce que lui-même nomme : la grande,
sensuelle et avare Amérique. II pense, du reste, que le
Beau est intimement lié à l'Utile, et, dénonçant une
inconsciente tendance à la vulgarité même dans les
sujets les plus sentimentaux, il exprime, à propos de
l'Amitié, cette pensée que ce que l'on y ressent c'est
l'affection des âmes et l'oubli du corps, en posant cette
étonnante question : " Etes-vous l'ami des boutons 'de
votre ami, ou de ses pensées? »
r)ans un intéressant passage de son étude. M""® A. Le-
voz, préoccupée d'établir la supériorité d'Emerson, fait
cette remarque qu'en beaucoup de points il s'est rencon-
tré avec Victor Hugo et met en parallèle des extraits
de leurs œuvres. En eff'et, le rapport est frappant ; mais
dans la forme, quelle différence! Cette comparaison
achèvera de mettre le cerveau d'Emerson au point et de
juger définitivement s'il faut voir en lui un génie, ou
simplement un homm^j de grand talent.
Il a écrit : - Dieu offre à chaque esprit le choix entre
la vérité et le repos. Prenez celui que vous voulez, vous
ne pouvez avoir l'un et l'autre. Entre les deux, l'homme
oscille comme un pendule. Celui chez lequel l'amour du
repos prédomine, acceptera la première croyance, la
première philosophie, la première opinion politique
venue, le plus probablement celle de son père. Il aura
le repos, une vie commode, une bonne réputation ; mais
il aura fermé devant lui la porte de la vérité. Celui en
qui l'amour de la vérité prédomine, sera comme le
navire sur les flots, libre de tojjite amarre. Il s'abstien-
♦ TS
VAUT MODERNE
293
(ira de dogmatisme et tolérera toutes les négations oppo- '
sées entre lesquelles son être moral se balance, comme
entre des murailles. Il se soumet à l'inconvénient de
rester dans l'incertitude et d'av(>îr une opinion impar-
faite ; mais il est candidat de la vérité, tandis que
l'autre ne l'est pas, et il respecte la loi la plus élevée de
son être ".
Ces mêmes idées, Victor Hugo les a: frappées de la
superbe empreinte que voici : « Tout homme a en lui
son Pathmos. Il est libre d'aller ou de ne point aller sur
cet efl'rayant promontoire de la pensée d'où l'on aper-
çoit les ténèbres. S'il n'y va point, il reste dans la vie
ordinaire, dans la conscience ordinaire, dans la vertu
ordinaire, dans la foi ordinaire, ou dans le doute ordi-
naire; et c'est bien. Pour le repos intérieur, c'est évi-
demment le mieux. S'il va sur cette cime, il est pris. Les
profondes vagues du prodige lui ont apparu. Nul ne
voit, impunément cet océan-là. Désormais, il sera le.
penseur dilaté, agrandi, mais flottant, c'est-à-dire le
songeur. Il touchera par un point au poète et par
l'autre au prophète. Une certaine quantité de lui appar-
tient maintenant à l'ombre. L'illimité entre dans sa vie,
dans sa conscience, dans sa vertu, dans sa philosophie.
Il devient extraordinaire aux autres hommes, ayant
une mesure différente de la leur. Il a des devoirs qu'ils
n'ont pas. Il vit dans la prière diffuse, se rattachant,
chose étrange, à une certitude indéterminée qu'il
appelle Dieu. Il distingue dans ce crépuscule assez de la
vie antérieure et assez de la vie ultérieure pour saisir
ces deux bouts de fil sombre et y renouer son âme. Qui
a bu, boira: qui a songé, songera. Il s'obstine à cet
abîme attirant, à ce sondage de l'inexploré, à ce désin-
téressement de la terre et de la vie, à cette entrée dans
le défendu, à cet effort pour tenter l'impossible, à
ce regard sur l'invisible, il y vient, il y retourne, il s'y
accoude, il s'y penche, il y fait un pas, puis deux, et
c'est ainsi qu'on pénètre dans l'impénétrable, et c'est
ainsi qu'on s'en va dans les élargissements sans bords
de la méditation infinie ». n,
CONFIANCE EN SOI-MÊME
TRADUCTION INÉDITE DE l'aNGL.VFS d'EmERSON
par une Inconnue (1).
r
Vraiment, îi celui qui a n^jelé les mobiles ordinaires clos
hommes et qui a ose se prendre lui-même pour maiire, il faut
un force divine. Qu'il ait le cœur haut placé, la volonté fidèle, la
vue claire, qu'il puisse sérieusement être à lui-même doctrine,
société, loi, et qu'une simple résolution devienne pour lui aussi
t'orie que la loi de fer de la nécessité l'est pour les auins!
Si on considère l'aspect actuel de ce qu'on nomme par dislinc-
(1) Voir nos numéros des 3, 10, 17, 31 août et 7 soiiloniluv.
lion « la société », on roconnîiiira la nécessité de celte morale.
On dirait que le nerf, la vigueur, le cœur de l'homme s'en sont
relirés et que nous sommes devenus des pleurnicheurs timorés
et découragés. Nous sommes effrayés de la vérité, effrayés de la
fortune, effrayés de la mort, et effrayés les uns des autres. Notre
époque ne produit pas de |>ersoimagcs grands et entiers. Nous
avons besoin d'hommes, de femmes, f|ui renouvellent noire vie et
noire état social; mais nous voyons que la plupart des nalures
sont insolvables, qu'elles ne peuvent suffire k leurs propres
besoins, qu'elles s'appuient et mendient jour et nuit. Notre
ménage mendie, nos arts, nos occupations, nos mariages, noire
religion mendient, nous ne les avons pas choisis, la société les a
dioisis pour nous. Nous sommes des soldats de salon; nous
désertons la rude bataille du sort, où naît la force.
Si nos jeunes gens réussissent mal k leur première entreprise,
ils perdent courage. Si un jeune commerçant fait de mauvaises
affaires, on dit que c'est un homme à la mer. Si un homme de
génie étudie dans une de nos universités et n'est pas « installé »,
un an après, « dans une bonne position » à Boston ou à New-
York, il semble k ses amis et à lui-même qu'il a raison d'êlrc
découragé, de se plaindre le restant de ses jours. Un solide
gaillard du New-Hampsliire ou du Vcrmont, qui essaie de tout,
de la ferme, de l'attelage, du colportage, qui prend une école,
prêche, édile un journal, va à la Chambre, et ainsi de suite, et
qui retombe toujours sur ses patles, comme un chai, celui-là
vaut des centaines de ces mannequins des villes. Il marche de
front avec son époque, et n'est pas honteux parce qu'il n'a pas
étudié une profession, car il ne postpose pas sa vie, il la vit déjà.
Il n'a pas une chance, il en a cent.
Qu'un stoïquc .ouvre donc toutes grandes les ressources des
hommes devant eux ; qu'il leur dise qu'ils ne sont pas des saules
pleureurs, mais qu'ils peuvent et doivent se détacher les uns des
autres pour s'appuyer sur eUx-mêmes ; qu'avec l'exercice de la
confiance en soi apparaîtront de nouvelles forces ; que l'homme
est le verbe fait chair né pour répandre la guérison parmi les
nations; qu'il devrait élre hontcnx de noire compassion; que, A\x^
moment où il commence à agir par lui-même, jetant par la
fenêtre les lois, les livres, les idolâtries, les coutumes, nous ne le
plaignons plus, mais nous le remercions et le révérons; ce maîire
rendrait à la vie de l'homme toute sa splendeur, et son nom serait
cher à l'histoire.
Il est facile à voir qu'une plus grande confiance en soi-même
opérera une révolution forcée dans li's occupations et dans les
relations des hommes; dans leur religion; dans leur éducation:
dans leurs entreprises; dans leur manière de vivre; dans' leurs
associations; dans leurs propriétés; ei dans leurs vues spécola-
tives^
I. Quelles prières les hommes se permellenl! Ce qu'ils
appellent une occupation siinle n'est pas même brave ni viril.
Votre prière regarde au dohors et semble demandrr qu'une addi-
tion de biens étrangers lui soit accordée, par des moyens étran-
gers aussi ; elle se perd dans un dédale de naturel et de surnatu-
rel, de médiateurs et de miracles. La prière qui demande un bien
particulier — quoi que ce soil — de moins que « tout bien », est
vicieuse. La prière est la conlemplaiion des faits de la vie prise
du plus haut point de vue. C'est le monologue d'une âme joyeuse,
en extase, en admiration. C'est l'esprit de f>ieu prononçant ses
œuvres bonnes. Mais la prière employée comme moyen d'arriver
à un but particulier, esl une bassesse, un vol; elle suppose dans
la nature et dans la conscience un dualisme el non une unité.
Quand l'Iiommc n'est qu'un avec Dieu, il ne demande pas ; il voit
la prière dans toutes ses actions ; la prière du fermier à genoux
dans son champ pour le creuser, celle du rameur s'agcnouillant
pour faire ployer sa rame, sont de vraies prières entendues de
toute la nature, quoiqu'elles soient faites pour des tins très ordi-
naires.
■ - Caiarach, dans le Bondiica de Fletclier, étant obligé, par un
ordre sévère, d'aller consulter l'opinion du dieu Audate, répond
à cet ordre :
Le socrel do sa volonté git dans nos efforts,
Nos courages, nos vertus sont nos meilleurs dieux.
Nos regrets sont une autre espèce de fausse prière. Le mécon-»
lentement est un manque de confiance en soi-même, c'est une
infirmité de la volonté. Regrettez les calamités, déplorez-les, si
vous pouvez par là aider celui qui souft're; — sinon, travaillez à
votre propre besogne, et déjti le mal commencera à se réparer.
Notre sympathie est de tout aussi mauvais aloi. Nous allons à
ceux qui pleurent, nous nous assoyons près d'eux, el nous pleu-
rons stupidement de concert, au lieu de leur communiquer la
vérité cl la santé par des chocs rudes et électriques, on les mcl-
tanl, une fois de plus, en communication avec leur propre raison.
— Le secret de la fortune, c'est la joie dont nous disposons.
L'homme qui s'aide lui-même est bienvenu des dieux et des
hommes. — Pour lui, les portes s'ouvrent toutes grandes; toutes
los langues le complimentent, tous les honneurs le couronnent,
tous les yeux le suivent avec envie. Notre amour va h lui, et lui
reste, parce qu'il n'en a pas besoin. Nous le sollicitons, nous l'ex-
cusons complaisamment, nous le célébrons, parce qu'il a pour-
suivi son chemin en dédaignant notre désapprobation. Les dieux
l'aiment parce que les hommes le haïssent. « Les bienheureux
immortels, dit Zoroastre, aident le morlel persévérant ».
Comme les prières dos hommes sont une maladie de la volonté,
ainsi leurs credos sont une maladie de l'esprit. Ils disent avec les
israolitcs insensés : « Que Dieu ne nous parle pas, ou nous mour-
rons. , Parlez-nous, vous, traduisez-nous ses paroles, et nous
écouterons >>. Partout, quelque chose m'empêche de rencontrer
Dieu dans mon frère, parce que celui-ci a fermé les portes de son
lemple intime et qu'il récite des fables du Dieu de son frère ou du
Dieu du frère de son frère. — Chaque nouvel esprit est une nou-
velle classification. Si c'est un esprit d'une activité et d'une force
peu communes, un Locke, un Lavoisier, un Huiton, un Benlham,
un Fourrier, il Impose sa classification aux autres hommes et,
las! Toici un nouveau système! On s'arrête en proportion de la
profondeur de la pensée et du nombre de sujets que ces systèmes
traitent ou qu'ils mettent à la portée de leurs adeptes. Mais ceci
est manifeste surtout dans les credos et les églises, — qui sont
aussi les classifications de quelque puissant esprit, agissant sur la
pensée élémentaire du devoir et sur les relations de Thomme et
du Très-Haut. Tels sont le Calvinisme, le Quakerisme, le Sweden-
borgisme. L'adepte prend, à subordonner tout à la nouvelle ter-
minologie, le même plaisir qu'une enfant qui vient d'apprendre la
botanique el qui y voit de nouvelles saisons, un nouveau monde.
11 arrivera que, pendant un certain temps, l'adepte trouvera ses
facultés intellectuelles agrandies par l'étude de l'esprit du maître.
Seulement, dans tous les cerveaux mal équilibrés, la classifica-
tion passe pour le but cl non pour un moyen, vite épuisé ; de
sorte que les bornes du système se confondent à leurs yeux, dans
le lointain, avec les bornes de l'univers, — il leur semble que les
lumières du ciel sont suspendues à l'arche baiie par leur maître.
Ils ne peuvent pas s'imaginer comment vous, un étranger,' un
intrus, vous ayez le droit de voir, — comment il se fail que vous
puissiez voir; « cela doit être parce que vous avez volé notre
lumière ». — Us ne se sont pas encore aperçu que la lumière,
sans système indomptable, perce et percera toutes les portes,
même les leurs. — Laissez-les gazouiller et la nommer « leur
lumière ». S'ils sont honnêtes et qu'ils font le bien, leur joli petit
bercail neuf leur semblera trop étroit, trop bas, il craquera, rouil-
lera, penchera cl s'évanouira; et la lumière immortelle, jeune et
joyeuse, avec ses millions d'orbes et de couleurs, rayonnera sur
l'univers comme au premier malin.
{La fin au prochain numéro).
j^HRONiqUE JUDICIAIRE DE? ^RT?
Affiches de thé&tre. — Vedette.
Nous avons parlé, dans noire dernier numéro, des Vedettes, ce
procédé destiné à favoriser la vanité et le cabotinage des artistes
du théâtre, rappelant qu'An'toine a le projet de les supprimer, de
même que toutes les mentions de noms sur les affiches.
Le tribunal de commerce de Bruxelles a rendu, le 26 mars, un
jugement assez intéressant au sujet de ces vedettes.
Les faits sont suffisamment décrits dans les motifs du juge-
mcnl, dont voici le texte :
Attendu que, s'il y a lieu, comme le prétend le défendeur, de
distinguer la vedette ordinaire et la vedette hors cadre! le direc-
teur, qui s'engage à mettre le nom d'un artiste en vedette, ne peut
le confondre avec le reste de la troupe, et soutenir qu'il a rempli
ses obligations en faisant figurer son nom sur l'affiche au même
rang et en mêmes caractères que ceux des autres artistes ;
Attendu qu'ainsi a incontestablement agi le défendeur : l'affiche
du 15 mars et les programmes du -10 au 45 ne font aucune diffé-
rence entre la demanderesse et les artistes les moins favorisés ;
Attendu toutefois que, sur la sommation lui adressée le 15,
le défendeur a manifesté la volonté de faire droit à la réclama-
tion de la demanderesse, el, effectivement, aux programmes
des 16 et 17 mars, son nom a été inscrit en caractères apparents
et distinctifç;
Attendu que la gravité et l'intensité de l'infraction du défen-
deur aux obligations résultant du contrai d'engagement du 7 mars
ne sont pas suffisantes pour justifier la demande en résiliation ;
qu'il convient d'allouer à la demanderesse une indemnité en répa-
ration du préjudice qui lui a été causé;
Par CCS motifs, le Tribunal condamne le défendeur à payer
à la demanderesse la somme de 100 francs à titre de dommages-
intérêts; le condamne aux intérêts judiciaires et aux dépens.
Le débat était engagé entre M. Coppée, directeur du théâtre de
l'Alcazar, el l'une de ses pensionnaires, M"'^ Gayet.
Schurmann contre Paulus.
Au mois de mars 1885, M. Schurmann avait organisé une
tournée lyrique et dramatique en Espagne et en Portugal, pour
laquelle il avait, entre autres, engagé le chanteur Paulus aux
appointements de 12,000 francs par mois.
A Barcelone, en outre d'une dysenterie incoercible, Paulus
<.
T
1
i:art moderne
2i>r)
fut allcinl, paraît-il, d'un panaris au doigl. Dans celte situation,
il l'ut ol)ligé d'abandonner la tournée et de ronlrcr en France.
M. Scliiirmann partit deux jours après, annonçant aux artistes
qu'il avait emmenés que la « fantaisie » {sic) de M. Paulus était
cause do la ruine de l'entreprise.
Dès son retour en France, Paulus protesta vivement, par la
voie de la presse, contre cette accusation, et M. Scliurmann l'as-
signa pour injures et diffamation en police correctionnelle, lui
réclamant i(),000 francs de dommages-intérêts !
Paulus plaida alors que M. Schurmann essayait de se con-
"solcr des insuccès de ses tournées par des procès, mais que non
seulement ces procès étaient insoutenables, mais encore qu'il y
avait dans la loi française une petite disposition qui obligeait « tout
étranger demandeur à donner caution pour les frais cl dommages-
intérêts résultant du procès ».
I.e tribunal correctionnel rendit, le 13 août 1885, un jugement
condamnant M. Schurmann à verser une caution de 2,000 francs,
à défaut de quoi toute audience lui serait refusée.
L'imprésario ne versa pas les 2,000 francs. Comme la porte du
tribunal correctionnel lui était fermée, il alla frapper à celle du
tribunal civil.
Ce fut donc toujours au sujet de cette fameuse tournée de fJar-
celone qu'il assigna Paulus devant le tribunal civil; mais, cette
fois, ce n'était plus 10,000, mais 50,000 francs de dommages-
intérêts qu'il réclamait.
L'affaire est venue h l'audience d'hier. M" Leiliel a soutenu la
demande de M. Schurmann.
Me Doumerc, avocat de M. Paulus, a soutenu devant le tribunal
civil le même système de la « caution des étrangers » qui avait
déjà été admis en police correctionnelle.
Conformément aux conclusions de M. l'avocat de la République
Jambois, le tribunal a donné de nouveau gain dé cause à Paulus,
et a condamné M. Scliurmann à payer une nouvelle caution de
2,000 francs.
{Echo de Paris.)
Mémento des Expositions
Bruxelles. — : Salon triennal, 13 scpiembre-lo novembre.
Délai d'envoi "^expiré. (Gratuité de transport, aller' et retour,
sur le territoire TW?lgc, pour les œuvres expédiées par chemin
de fer, grande vitesse, tarif n** 2). Renseignements : Commission
direclrice de l'Exposition générale des Beaux- Arts, Bruxelles.
{Secrétaire : M. Stiéuon).
Dresde. — Exposition du Cercle artistique : aquarelles,
pastels, dessins et eaux-fortes, sous le protectorat du roi de
Saxe. Les invitations et prospectus seront envoyés prochainement.
Milan. — Exposition triennale des Beaux-Arts. — l"-30 juin
1891. — Trois prix de 4,000 francs chacun, fondés par le
roi Humbcrt, décernés à la peinture et à la sculpture. Trois prix de
4,000 francs chacun, fondés par Saverio Fumagalli, décernés îi la
sculpture, à la peinture religieuse, historique ou de genre. Un
.prix de 4,000 francs, fondé par Antonio Gavazzi, décorné à la pein-
ture historique. Médailles et diplômes. — Les demandes d'admis-
sion devront être adressées au président, M. Emile Visconti-
Venosla, à l'Académie des Beaux- Arts de Milan.
Paris. »^ Quatrième exposition internationale de Blanc et Noir
(pavillon de la ville de Paris). Dessins au crayon, à là plume, au
iavis, sanguines, fusains, gravures au burin, eaux-fortes, gravures
sur bois, lithographies, etc. — 1" octobro-30 novembre 1890. —
Délai d'envoi : expiré. — Renseignements : M. E. Bernard,
directeur, 71, rue de la Comiamine, Paris.
Reims. — Exposition des Amis des Arts. 4oclobrc-17 novembre.
Délai d'envoi : expiré. — Renseignements -.Secrétaire de la
Société des Amis des Arts, Reims.
RoL'BAix-ToLRCoiNG. — Exposilion (l(* la Société artistique,
12 octobre-17 novembre. Envois avant le 1" octobre. Pour être
admis k exposer, les artistes doivent faire partie de la Société
artistique de Roubaix, moyennant la cotisation annuelle de 10 fr.
Renseignements : M. A. Prouvost-Benaf, secrétaire, à Roubaix.
Petite chroj^ique
C'est aujourd'hui dimanche qu'a lieu, à Tournai, l'inaugura-
tion solennelle du Musée de tableaux et du Musée arcliéolo^ifiiie.
La National Gallery de Londres est entrée récemment eu pos-
session de trois chefs-d'œuvre jjrovenant du cliâleau de Lonj;-
ford, grâce à rintcrvcnlion du chancelier de l'Echiquier; ce sont :
Les Ambassadeurs d'Holbein; deux portraits d'homme debout,
côte li côte, vus en pied et de grandeur presque nature, tableau
daté 1;;33; 1; portrait de V Amiral Adrien Palido Pareja, par
Velasquoz, et le portrait d'un Homme noir debout près d'une
colonne, par Maroni. Ces trois belles peintures sont acquises au
prix de de 55,000 livres, dont 25,000 livres sont données par
l'Etal. La National Gallery s'est enrichie, en outre d'un Paysage
d'hiver avec château-fort, par Beorestraaten; d'une Scène de vil-
lage, par Jean Vicloor ; d'une Vue de Macs, par A. Storck, ces
trois derniers sont placés dans la salle hollandaise; puis dans la
salle espagnole, un Portrait dhomme, par Del Mazo, élève de
Velasquez.
On commencera, vers hi mois de novembre, le moulage du
monument de Dalou, le Triomphe de la République, qui fut inau-
guré l'an dernier place de la Nation, à Paris, puis démoli pièce
par pièce pour êlrc transporté chez lô fondeur. Le moulage ne
sera guère terminé qu'au printemps de 1801, et le coulage, qui
se fera -ensuite, demandera encore huit ou dix mois.
Le monument. ne pourra donc être définilivement érigé place
de la Nation qu'à la fin de l'année 1892.
La Société Nouvelle. Sommaire du numéro du 31 août IH'JU :
La Criminalité, S. Merlino. ^- Notes et silhouettes, Jules Barbey
d'Aurevillv, Jules Désirée. — Les Fusillés de Malines, Georses
Eekhoud. — Les Mystères de la Bourse, F. Borde. — Lettres de
Paris : La visite de Guillaume II à Paris; L'n empereur moder-
niste; La vieille Allemagne et la nouvelle; La lutte pour la Vie,
Francis Nautet. — Chronique littéraire : Le Possédé; Les Larrons;
Maxime, Hubert Krains. — Bulletin du mouvement social. C. De
Pae.^. — Le mois : La « Princesse Maleine » et le « Figaro » ;
Le prochain roman de Tolstoï; Nécrologie. — Livres et revues.
Lire dans la Plume du l" septembre, un bel article de M. Léon
Bloy sur les Chants de Maldoror, iniitulé : Le Cabanon de
Prométhée.
Le n" d'août de la Wallonie est consacré à des œuvres, vers et
proses, de M. Adolphe Retti.
Le dernier n" des Entreliens politiques et littéraires se dédie
presque en entier aux Belges, — mais sans sympathie.
Vient de paraître chez Savine, Miette, de M. Henry Maubel.
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Pour tous renseignements s'adresser à la Direction de l'Exploitation des Chemins de fa- de l'État, à Bruxelles, à l'Agence générale des
Malles-Poste de l'Êtat-Belge, Montagne de la Cour, 90*, à Bruxelles ou Gracechurch-Street, n° 53, à Londres, à l'Agence de Chemins de fer
de l'État,- à Douvres (voir plus haut), et à M. Arthur Vranchen, Domkloster, n» 1, à Cologne.
L-hcz MM. SCIIOTT frères, 82, Mojit;igiic de la Cour, Bruxelles.
L'OR DÛ RHIN
-^
DE
RICHARD WAGNER
Version française de Victor "W^ILDER "■
Partition jiour cli.nnt et piano, réduite par R. Ki.einmichel
PRIX NET : 20 Francs
JOURNAL DES TRIBUNAUX
paraissant le jeudi et le dimanche.
Faits et débats judiciaires. — Jurisprudence.
— Bibliographie. — Législation. — Notariat.
UVTlhME ANNEX.
Abonnements \ Belgique, 18 francf par an.
( £,tranger, 23 id.
Administration et rédaction : Rue des Minimes, 10, Bruxelles.
Revue maisuelle de littératttrert d'art
5" Année
Directeurs : MM. A. MOCKEL et P. -M. OLIN.
„ ( à Liège, rue St-Adalbert, 8,
Bureaux . ^ ° ,, .
. { a Bruxelles, Avenue Louise, 317.
ABONNEMENTS : 5 francs l'an ; Union postale, fr. 6-50
PIANOS
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rue Thérésienne, 6.
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LOCATION
Paris 1867, 1878, 1" prix. — Sidney, seuls 1" et 2« prix
EXPOSITIOIS AISTERDAI 1883, AHTERS 1885 DIPLOME D'HOnEUR.
Rreitkopf et Hartel, éditeurs, Leipzig-Bruxelles
TRAITÉ PRATIQUE DE
COMPOSITION MUSICALE
depuis les premiers éléments de l'harmonie jusqu'à
la composition raisonnée du quatuor et des principales
formes de la musique pour piano par J.-C. Lobe.
Traduit de l'allemand (d'après la 5® édition) par
Gustave Sandre.
VIII et 370 p. gr. in-8". Prix : broché, 10 fr.; relié, 12 fr.
Ce livre, dans lequel l'auteur a cherché à remplacer l'étude pure-
ment théorique et abstraite de l'harmonie par des exercices pratiques
de composition libre, fut accueilli, dès son apparition, par une
faveur marquée. La présente traduction mettra le public français à
même d'apprécier un des ouvrages d'enseignement musical les plus
estimés en Allemagne
Bruxelles. — Iiup. V« Monnom, 26, rue de l'Industrie.
Dixième année. — N** 38.
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 21 Septembre 1890.
L'ART MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
T
Comité de rédaction i Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. — ANNONCES : Oo traite à. forfait.
Adresser toutes les communications à
l'administration générale de l^Art Moderne, rue de Plndustrie, 26, Bruxelles.
J •
^OMMAIRE
Arthur Stevens. — L'Exhibition triennale a Bruxelles. —
Confiance en soi-même. Traduction inédite de l'anglais d'Emo'son,
par une inconnue (suite et fin). — Le nouveau musée d'Anvers.
— Petite chronique.
ARTHUR STEVENS •
Le plus jeune des trois frères d'une belle race. Mort
le premier, suivant la logique ténébreuse du hasard.
Un marchand de tableaux? Eh ! non. C'était l'air qui
lui était venu sous les doigts quand il promenait ses
mains d'artiste sur le clavier de la vie, qui lui avait plu
pour son rythme simple, quoique banal, et qu'il allait
sifflotant, la tête pleine de hautes pensées d'art. Il
offrait ses tableaux comme on off're un cigare. C'était
une politesse plutôt qu'une aff'aire. Et si l'on disait :
non, merci, il remettait l'étui en poche et continuait la con-
versation sur tout ce qu'il vous plaira. Du marchand de
tableaux, il n'avait rien : ni l'allure, ni l'extérieur, ni
le magasin. Les toiles, étaient chez lui, aux murs, fai-
sant partie de son mobilier. Il ramenait, pour les mon-
trer, plus souvent un ami qu'un amateur. A peine révé-
lait-il cette profession qui allait si peu à sa très belle
figure d'officier supérieur, par quelque boniment,toujours
composé des mêmes phrases, agencées kaléidoscopique-
ment suivant les circonstances, qu'il débitait d'une voix
spéciale, profonde, prenant une attitude de scène, dessi-
nant quelques gestes enveloppeurs. C'était une incan-
tation murmurée en prière, une oraison de rituel,
devenue chez lui machinale et que les nouveaux venus
prenaient très au sérieux. Il semblait qu'il la donnait
par dessus le marché chaque fois qu'il vendait un
tableau à quelque bourgeois enrichi, car il nous est
arrivé dix fois, chez M. Joseph Prudhomme, chez
MM. Bouvard et Pécuchet, ou chez le docteur Tribulat
Bonhomet, dont il avait formé les fameuses collections,
d'entendre ces illustrations, devant les trésors de leur
galerie, réciter les belles phrases ronflantes, de la
même voix profonde accompagnée des mêmes gestes
enveloppeurs.
Il était, lui, un pince-sans-rire. Très fin, pénétrant
comme une vrille, ne prenant assurément pas le change
sur les ridicules de sa clientèle, et sachant mieux que
personne qu'elle ne savait d'art que les leçons qu'il lui
avait serinées. Mais il était convaincu que c'est folie de
se mettre en travers des préjugés. Il s'était donc appli-
qué à apprivoiser ce bétail et à le corriger de l'habitude
de beugler devant les chefs-d'œuvre. Avec des précau-
tions infinies, il avait successivement présenté au trou-
peau des Millet, des Corot, des Rousseau, des Delacroix,
des Troyon, des Dupré, et aussi des Arthur et des
)
298
VAUT MODERNE
Joseph Stevens, voire même, sur le tard, quelques
Courbet. Et, merveilleux dresseur, il avait réussi à le
faire mugir de plaisir. Il vaguait ainsi, par la vie, ayant
une bonne demi-douzaine d'étables occupées par de très
gras ruminants quj conservaient pour lui, moyennant de
les avoir payées richement, les œuvres qui le délec-
taient entre toutes, et qu'il allait voir périodiquement
avec ses camarades ou des étrangers en vue, ce que les
ruminants en question considéraient comme un grand
honneur à eux personnellement décerné. Parfois, il lui
prenait fantaisie de les changer de place, de les mettre
en un meilleur jour ; alors, il induisait son acquéreur en
vente. On liquidait tout, les tableaux passaient chez un
autre et réciproquement. Il a piloté ainsi pendant qua-
rante ans, une centaine de chefs^l'œuvre, qu'il avait
découvert, et dont oii peut dire qu'ils formaient sa
collection particulière, mise en dépôt par lui chez
quelques imbéciles.
Qu'il fût artiste, au moins autant que ses^eux frères
dont il restera tant de superbes choses, sa prédilection
pour les grands hommes cités ci-dessus, à l'époque où
une génération de crétins les méconnaissaient, le démon-
tre avec évidence. Il était de ceux qui vont d'instinct au
génie, quand presque personne encore ne se doute qu'il
y a génie. Il faisait partie du groupe des téméraires, mais
eut cette habileté malicieuse de ne pas prendre des
poses de bataille, de ne pas assommer le bourgeois avec
ses propres sottises. Il les ramassait, au contraire,
respectueusement, les flairait avec componction, les
manipulait à sa manière et les rendait avec une forme
décente. Il fit de ce bourgeois le complice de ses aven-
tures. Il l'associa à ses escapades. Il l'entraîna avec lui
dans ces ateliers illustres qui passaient pour de mauvais
lieux. Il l'induisit à acheter des tableaux refusés au
Salon ! Il le décida à s'en vanter, comme d'un haut fait.
Il fit dire à des marchands de papiers et à des chan-
geurs : C'est moi qui ai inventé Millet! Sans moi, Corot
n'existerait pas! Quelle chance pour Rousseau de
m'avoir eu!
En réalité Rousseau, Corot, Delacroix et les autres,
durent à Arthur Stevens d'être arrivés à la gloire cent
ans plutôt qu'il ne le fallait en observant les étapes de
la bêtise humaine. Millet, oh! miracle, faillit être
célèbre dès son vivant. Toutes les grandes ventes de
Paris, depuis vingt ans, s'alimentent des noms qu'Arthur
Stevens a taillés en éclatantes facettes. Tout ce qu'on
dit devant les^toiles fameuses du groupe si longtemps
méprisé, il l'a dit « de sa voix profonde, en prenant une
attitude scénique, dessinant des gestes enveloppeurs » .
Et on continuera à le dire, de la même façon, lui don-
nant ainsi une vie posthume et fontômatique.
C'est là son honneur, son grand honneur. Son tort,
est d'avoir méconnu quelques grands peintres, ses com-
patriotes. Etait-ce jalousie fraternelle? secrète p>é.-
I
férence pour cette France, dont il avait beaucoup
en lui, malgré son nom flamand? peu importe. Il ne
comprit guère Hippolyte Boulanger, guère Louis
Dubois, j^t qui pire est, parfois « il les débinait ». Il fut
pour quelque chose dans ce dédain belge qui stérilisa
partiellement ces beaux tempéraments. S'il a daigné
parfois s'occuper des œuvres d'Artan, d'Alfred Verwée,
de quelques autres, c'était en sous-ordre et sans
conviction. .
Dans les notices consacrées, ces jours-ci, à cette per-
sonnalité belge remarquable et qui, certes, laisse vide une
grande alvéole, les journaux « bien posés » ont insisté
sur le service qu'il a rendu en présentant, avant4;ous
autres, quelques peintres désormais illustres, et en les
défendant quand partout on les conspuait. Pour eux,
c'est son principal titre à la reconnaissance. Est-il per- ■
mis de faire remarquer, à ces journaux « bien posés ",'
que c'est là une parabole qu'ils pourraient méditer, eux
qu'on trouve constamment aux premjers rangs de la
tourbe, qui insulte toute tentative hardie bousculant les
formules. Les artistes novateurs ne seraient pas fâchés
de recevoir quelquefois, tant qu'ils sont en vie, les éloges
qu'on tient en réserve pour leurs discours funèbres.
C'est pour eux une compensation insuffisante que le
ridicule qui atteint les palinodards le jour où leurs vieux
carrosses prennent la file des admirations légitimes.
LlxUliitlon triennale à Bruxelles
La mer morte de la peinture? Certes, car ces flots de
bitumes et de mélasses, ces flaques lourdes d'huiles et
de sirops collés aux toiles — toute la salerie des couleurs
— évoquent inévitablement l'idée de telles eaux putrides
et lourdes, là bas, en des Judées maudites. L'on se repète
ces deux mots : « mer morte '», appuyant plus encore
sur le second que le premier, parce que dans ce mot :
mort, est contenu la vérité sur cet art veule, destitué,
fini, irréinédiablement raclé de toute vie, comme un
crâne de femme chauve. Le néant de néant de la presque
totalité des numéros inscrits au catalogue est si évident
qu'on s'interroge s'il est encore possible de prononcer
le mot : art, en parlant de l'actuel Salon. Et notez
qu'on a tout fait pour faire reluire, comme une vieille
botte, le nom de cette triennale entreprise. On est allé
chercher^u cirage à l'étranger, si bien que ce sont des
noms d'ailleurs qui s'imposent avant tout. Mais quant à
l'art belge — et non seulement l'art académique, mais
l'art admis, calé, médaillonné, vendu et acheté à bon
prix — il accuse une . usure de casserolles retapées,
de murs lépreux, de chapeaux gras, de vieilles vestes
trouées et de pauvres meubles dont les vers ont fait des
écumoires. Cela est du raclage, de la rinçure, du fond
VART MODERNE
299
de bouteilles — et surtout du fond de cerveaux. Cela ne
grouille plus, cela ne bouge plus que comme une
décomposition à six pieds sous terre. Si la hideur
de quelques envois de Gand et d'Anvers pouvait se
transposer en puanteur, les chiens eux-mêmes ne
pourraient résister à l'infectiQn de tant de détritus
d'atelier et de charognes encadrées.
On peut s'attarder, en ce Salon, soit à suivre la
dégringolade de certains peintres, jadis marquants,
dont les présents envois sont déplorables ; soit à prendre
en pitié tous les coureurs du stade Godecharles, qui
taillent et découpent de la viande comme un boucher
équarit des bêtes à cornes. On peut encore faire quelques
réflexions sur l'art de la carricature dans la peinture
d'histoire et fixer des points^ archéologiques à propos
de tels costumes. Ceux qui ont l'audace de se réclamer
de Leys ne semblent plus avoir souci que de réparer
la lacune de la non-existance au moyen-âge de ces jour-
naux de mode et d'ameublement dont les Emeline
Raymond ont fait leur spécialité. Puis, ces remarques
terminées, il nous sera permis de plaindre ce beau
lin vert aux prunelles de fleurs bleues, que l'on met
d'abord pourrir en des vases et des mares et que l'on
enduit ensuite, quand il est devenu toile, de couleurs
plus excrémenteuses encore que les boues les plus
opaques. Pauvre lin bleu et vert, lui, qui connut le
soleil!
■ Nous écrivons cet article, fenêtres ouvertes sur la
campagne, avec du vent divin dans la lumière autour
de nous — et la haine nous vient de toute cette parade
bariolée à laquelle nous avons assisté hier à Bruxelles.
L'actuel Salon est pire que mauvais, il est profondément
médiocre. Quand on a battu le plancher de toutes ces
salles on s'ensauve avec à peine quelques souvenirs dans
la mémoire; mais, somme toute, n'ayant appris rien de
neuf, n'ayant rien vu d'inédit. On n'a pas même eu l'oc-
casion d'entendre contester un vrai artiste. On n'a sur-
pris aucun emballement, aucune violence ni de blâme ni
d'éloge. Il n'y a pas de quoi.
Les souvenirs rares emportés de notre visite s'adres-
sent à quelques noms que voici :
WisTHLER. Nous conuaissious ses deux portraits de
femme — élégance déliée et haute allure — jadis expo-
sés à Paris chez Petit. Ses paysages nous ont séduit
parce que merveilleux de tons rares et fins — et peints,
avec l'apparente négligence d'un maître très subtil sur
panneaux ou étofi'es qui paraissent lisses et luisants*
comme des pierres. Ce sont des riens qui renferment
des touts. Cela semble si prestigieusement fait qu'on le
dirait volé à la beauté ou plutôt au songe des belles
choses délicates. Le mot fantaisie est trop mince pour
qualifier de telles images délicieusement vagues et
immatérielles comme de bouclantes fumées.
Smits. Egalepaent un paysage de rêve. Atmosphère
rose empoussiérée où passeraient des légendes très
vieilles de marche et d'errance à travers les loins. La
Fuite en Egypte? — un prétexte à la fuite de l'imagi-
nation vers des ciels et des soirs vaguement désirés
tels, ou plutôt, un prétexte à harmonies de tons et de
couleurs eff'acés et doux. Cette œuvre est d'un artiste
net.
Pantin Latour. Toujours sobre , consciencieux ,
simple. Nous n'aimons guère le portrait de M. Adolphe
Jullien qui nous rappelle les Donnât exécrés. Mais le
portrait de M^'^ S. Y. nous remet en présence d'envois
pareils aux anciens du maître, d'une technique si spé-
ciale et d'une attirance si peu tapageuse.
WiLLY ScHLOBACH. Très artiste dans les arrange-
ments de décor, et d'une calme et très poussée exécution
dans l'étude des chairs et des traits de son modèle. Le
peintre s'est comme assagi. Il a supprimé tout ce qui
pouvait eff'aroucher le public le plus timide et s'est pré-
senté avec une belle somme d'efforts, tranquilles et vic-
torieux, dépensés" à produire une toile savante, bien
au dessus de toute habileté courante. Une simplicité de
haut goût, une gravité presque et une mélancolique
impression se dégagent de ces grandes masses de nuances
bleues-sombre et noires-mat, que des ors de fauteuil et
des roseurs de carnation avivent comme des lueurs à
travers un deuil.
Henry Degroux. Non pas que l'œuvre soit une
des plus nettement caractéristiques. Elle manque
d'excès. Et puis, son unité de violence est rompue par
des déchevèlements de chevelures plutôt flamboyantes
de richesse rousse que de terreur. Toutefois, la couleur
est extraordinaire, elle est soudaine, tragique, hur-
lante. Elle est de la couleur de l'âme, des foules en
émeute et en rage. Le Christ, un Christ de Calvaire
rustique ou d'image naïve, est tel que le cerveau de ce
peuple doit le comprendre et l'ironie demeure totale dès
qu'on songe que dans ce Jésus, sorti de lui, c'est bien
lui-même qu'il condamne — et qu'il crucifiera.
M"* Breslau. Pas bruyante mais pénétrante. On
se souvient du succès jadis remporté grâce aux Trois
amies. Cette fois, par le titre donné : A contre jour,
l'artiste indique elle-même quel a été la finalité de
soûL^effort : l'étude de la lumière. Ce n'est pas la réussite
de cette tentative qui nous frappe le plus. C'est plutôt
l'intimité et la tranquillité de ce coin, où deux femmes
causent près de la fenêtre et où dans un angle de pan-
neau quelques menus objets, peints largement, mais
avec grande justesse, donnent la sensatioii de la chambre
entière.
Van der Stappen. Un évêque — l'une main levée,
l'autre admirablement traitée, les doigts entre les feuil-
lets d'un livre — se présente non pas en buste, mais
plutôt à demi-corps. Une dignité et une gravité en tout
point sacerdotales : la bouche puissante, tenace, scellée
300
UART MODERNE
sur des paroles hautes. Œuvre de caractère et de
vigueur. Un portrait? nous ne le croyons pas. En tout
cas, si modèle d'atelier il y a, ce capital danger de le
laisser transparaître au travers, a-t-il été conjuré.
M. Van der Stappen est en pleine maturité forte de
talent.
Meunier. Le Grisou. Nous avons déjà apprécié ce
magnifique plâtre, aujourd'hui mué en bronze. Nous le
préférions avant sa métamorphose. La patine verdâtre,
sillonnée de poussière cuivreuse, ne nous évoque guère
la mine, le charbon et l'atmosphère du pays noir. Il y
a désaccordance, et mieux valait, certes, le ton neutre
et blanc, que cette enluminure d'un bronze vert-de-grisé.
Restent encore quelques travailleurs dont les efforts
n'ont pas raté : Binjé, qui s'acharne à conquérir de la
robustesse ; Maris, qui se répète, mais intéresse quand
même; Marie Collart, dont les tons faux et vitreux
produisent parfois d'étranges éclairages ; Abry, qui
réussit à mouvementer un fait divers militaire ; Ver-
haeren, dont les natures mortes induisent en tentation
les gourmands flamands ; Mertens, qui suit la tradition
des de Braekeleer, Frédéric dont la conception du
Ruisseau est originale, d'autres encore, mais combien
peu.
A quoi bon conclure ? Ce qui s'impose, c'est évidem-
ment la suppression de ces marchés annuels en des
palais soi-disant des beaux-arts. Seulement, ceci n'est
qu'un rêve. Un autre vœu à émettre serait que les pein-
tres fussent classés par écoles ou par tendances ou par
générations. Ainsi éviterait-on la tristesse de devoir
chercher les quelques tableaux qui intéressent, parmi
des amoncellements de veuleries. On pourrait aussi
réunir les différents envois d'un même artiste, et
les tableaux hostiles les uns aux autres ne se détrui-
raient point par des juxtapositions absurdes.
Pour réaliser ces incontestables améliorations, il suf-
firait d'avoir un local moins restreint, car il est vrai-
ment scandaleux qu'il faille bâtir des granges et des
hangars à chaque exposition triennale.
Les gens mécanisés pour débiter des compliments
monosyllabiques feraient seuls des salamalecs devant
chaque peintre montant la garde devant sa toile, les
autres laisseraient moisir dans le dédain toutes les
quelconqueries du vieux bazar.
CONFIANCE EN SOI-MÊME
TRADUCTION INÉDITE DE l'aNGLAIS d'EmERSON
par une Inconnue (1).
II. — C'est par un manque de culture de soi-même que la
superstition des voyages, — dont les idoles sont Tlialie, l'Angle-
terre, l'Egypte — fascine encore tous nos Américains bien élevés.
(1) Voir nos numéros des 3, 10, 17, 31 août 7. et 14 septembre.
Ceux qui nous ont rendu l'Angleterre, l'Italie, l'Egypte, vénéra-
bles, l'ont fait en se tenant fermement où ils étaient, conime s'ils'
étaient l'axe do la terre. Dans nos moments de virilité, nous sen-
tons que le devoir est notre place. L'âme n'est pas voyageuse.
L'homme sage reste chez lui; et quand la nécessité, ses besoins
ou ses devoirs l'appellent, n'importe à quelle heure, hors de sa
maison ou vers des pays étrangers, il est toujours comme chez
lui ; et par son attitude il fera sentir aux hommes qu'il porte avec
lui la sagesse Ot la vertu ; et qu'il visite les villes et les hommes
en souverain, non en fraudeur intrus ou en valet.
Je ne veux pas objecter grossièrement à la circumnavigation
du globe, faite dans un but d'art, d'étude, de bienfaisance, pourvu
que l'on soit d'abord acclimaté chez soi et que l'on ne s'en aille
pas avec l'espoir de trouver du plus grand que ce qu'on connaît.
^elui qui voyage pour être amusé, distrait, ou pour acquérir
une chose qu'il n'a pas en lui, voyage loin, toujours plus loin de
lui-même et devient vieux, au milieu des antiquités, si jeune qu'il
soit.
A Thèbes, à Palmyre, sa volonté, son esprit deviennent aussi
vieux, aussi affaissés que ces restes. Il apporte des ruines à des
ruines.
Voyager est le paradis des fous. Nos premiers voyages nous
démontrent le peu d'importance qu'il y a à être ici ou là.
Etant chez moi, je me mets à rêver qu'à Naples ou à Rome, je
serai ivre de beauté et que je secouerai ma tristesse. Je fais mes
malles, j'embrasse mes amis, je m'embarque, je m'éveille enfin
à Naples, et là devant moi se trouve le même fait sévère, le triste
moi, identique, inflexible, dont je voulais me sauver. Je cherche
le Vatican, les palais. J'affecte de m'enivrer de ce que je vois et
des idées que cela me suggère; mais je ne suis pas enivré.
Partout où je vais, mon géant intime est avec moi.
IH. — Mais la rage des voyages est le symptôme d'un mal plus
profond, qui affecté notre action intellectuelle tout entière. Notre
esprit est vagabond et notre système d'éducation engendre cette
agitation fébrile.
Nos cerveaux voyagent quand nos corps sont forcés de rester
tranquilles. Nous imitons. Et qu'est-ce que l'imitation si ce n'est
le voyage du cerveati? Nos maisons sont bûlics d'après un goût
étranger ; nos étagères sont garnies d'objets étrangers ; nos opi-
nions, nos goûts, nos facultés s'appuient sur le Passé, sur des
choses éloignées, et les suivent. — C'est l'iime qui a créé les arts,
là où ils ont fleuri ; c'est dans son propre esprit que l'artiste
chercha son modèle; c'était une application de sa propre pensée
à la chose à faire et aux conditions à observer.
Pourquoi copier le gothique ou le dorique? La beauté, le mode
approprié, la grandeur de la pensée, l'expression juste, sont à
notre portée aussi bien qu'à celle des autres; si l'artiste améri-
cain étudie avec confiance et amour la chose précise qui doit être
faite par lui, considérant le climat,, le sol, la longueur du jour, les
besoins du peuple, les coutumes et la forme du gouvernement, il
créera une maison où tout cela se trouvera adapté, et le goût et
le sentiment seront satisfaits aussi.
Insistez sur votre personnalité, n'imitez jamais. Vous pouvez à
toute heure montrer votre don propre renforcé par l'accumulation
d'une vie entière d'exercice ; — mais vous n'avez qu'une posses-
sion passagère, qu'une demi-possession du talent adopté d'un
autre. Ce que chacun peut faire de mieux, son auteur seul peut
le lui enseigner. Personne ne sait ce que vous êtes ou ce que' vous
pouvez avant que vous ne l'avez démontré. Où est le maître qui
1
VART MODERNE
301
aurait donné des leçons à Shakespeare, à Franklin, à Washington,
à Bacon, à Newton? Chaque grand homme est unique.
Le « scipionisme » de Scipion était justement ce qu'il ne pou-
vait emprunter à autrui.
■On ne produira pas un Shakespeare par l'étude de Shakespeare.
Faites ce qui vous est assigné, et vous ne pouvez ni trop espérer,
ni trop oser.
11 y a en ce moment, pour vous, une possibilité d'action aussi
grande, aussi courageuse que celle du colossal ciseau de Phidias,
de la truelle égyptienne, de la plume de Moïse ou de Dante, —
mais différentes de toutes celles-là. il n'est pas possible que l'âme
riche, puissamment éloquente, langue aux mille pointes, daigne
se répéter; — mais si vous pouvez, comprendre ce que ces
patriarches ont dit, à coup sûr vous pouvez répondre du même
ton, car l'oreille et" la langue sont deux organes d'une même
nature.
Reste dans les régions simples -et nobles de ta vie , obéis
à ton cœur, et toi aussi tu représenteras une partie de l'avenir.
IV. — Comme notre religion, noire éducation et nos arts, qui
. ont les yeux tournés vers l'étranger, notre esprit de société imite
et copie. Tout le monde se vante de ramélioralion de la société,
et personne ne s'améliore.
La « société » n'avance jamais. Elle perd d'un côté ce qu'elle
gagne de l'autre. Elle subit de perpétuels changements; elle est
barbare, puis civilisée, chrétienne, riche, scientifique, mais ces
changements ne sont pas des améliorations. Pour une chose
acquise, une chose perdue. La société acquiert de nouveaux arts
et perd de vieux instincts. Quel contraste entre l'Américain bien
mis, lisant, écrivant, pensant, qui a en poche une montre, un
crayon, une lettre de change, et le Nouveau-Zélandais, nu, dont
toute la propriété s'étend à une massue, une lance, une natte, et
le vingtième, — indivis, — d'un abri pour la nuit!
Mais comparez la force de ces deux hommes, et vous verrez
que le blanc a perdu de sa santé primitive. Si les voyageurs disent
vrai, vous pouvez frapper un coup de hache dans la chair du sau-
vage, et, en un jour ou deux, la plaie se refermera comme si vous
aviez frappé dans de la poix, — tandis que le même coup enver-
rait le blanc dans l'éternité.
L'homme civilisé a construit des carrosses, mais il a perdu
l'usage de ses pieds. Il s'appuie sur des béquilles, mais il se sup-
porte d'autant moins par les muscles ; il a une bonne montre de
Genève, mais il ne sait pas dire l'heure d'après le soleil. 11 a un
almanach, — et ainsi, sûr de trouver des renseignements quand
il en aura besoin, l'homme de la rue ne connaît pas une étoile au
ciel. Il ne remarque pas le solstice, connaît encore moins l'équi-
noxe, et tout le brillant calendrier de l'année n'a pas de cadran
dans son esprit. Son carnet invalide sa mémoire, les bibliothèques
surchargent son esprit, les sociétés d'assurance augmentent les
accidents, et on pourrait se demander si les machines n'encombrent
pas, si nous n'avons pas perdu quelque énergie en nous ratfinant,
quelque vertu et vigueur sauvage par une chrislianisalion implan-
tée dans les formes et les institutions. Car chaque stoïque était un
stoïque, mais dans la chrétienté on est le chrétien.
Il n'y a pas plus de changement dans le type moral que dans le
^lype de hauteur et de grosseur. Il n'y a pas de plus grands
hommes qu'il n'y en a eu. Il y a une singulière égalité entre les
grands hommes des premiers et des derniers ûges ; et la science,
l'art, la religion, la philosophie du xix* siècle ne parviennent pas
à faire des hommes plus grands que .les héros de Plutarque, vieux
de vingt-deux ou vingt-trois siècles. Ce n'est pas en raison du
temps que la race est progressive ; Phocion, Socrale, Anaxagore,
Diogène sont de grands hommes, mais ils ne laissent pas de
classe. Celui qui est vraiment de leur classe ne veut pas être appelé
de leurs noms, il veut être lui-même, et être à son tour le fond-i-
teur d'une secte. Les arts et les inventions d'une époque ne sont
que son costume et ne fortifient pas les hommes. Le tort fait par
l'amélioration des machines peut compenser le bien qu'elles font.
Hudson et Behring ont réussi tant de choses avec leur simple
bateau de pêche, qu'ils étonnaient Parry et Franklin, dont l'équi-
pement épuisait les ressources de la science et de l'art. Galilée,
avec une vulgaire lorgnette, a découvert une plus belle série de
phénomènes célestes que personne n'en a découvert depuis. Colomb
a trouvé le^Nouveau-Mondeavec un bateau sans ponl. 11 est curieux
de voir périodiquement dédaigner et détruire les moyens, les
machines introduits à grands renforts de louanges, il n'y a que
quelques années ou quelques siècles. Nous plaçons les progrès de
l'art de la guerre parmi les triomphes de la science, et cependant,
Napoléon conquit l'Europe par le bivouac, ce qui consistait à s'ap-
puyer sur la seule valeur et à la débarrasser de toutes ses aides.
M L'(împereur tenait pour impossible, dit Las Casas, de faire
une armée parfaite sans abolir nos armes, nos magasins, nos
commissaires, nos voitures; jusqu'il ce que, imitant. la coutume
romaine, le soldat reçoive sa part de grain, puisse le moudre dans
son moulin à main, et cuise son pain lui-même. »
La société est une vague. La vague avance,- mais l'eau dont elle
est composée n'avance pais. La même parcelle ne s'élève pas de la
vallée creuse au sommet. Son unité n'est qu'un phénomène. —
Les personnes qui constituent aujourd'hui une nation, meurent
demain, et leur expérience avec elles.
Ainsi, la confiance dans la propriété, qui comprend l'appui
qu'on attend du gouvernement, protecteur de la propriété, celte
confiance est un manque de confiance en soi-même. Les hommes
ont si longtemps regardé en dehors d'eux-mêmes, — du côté des
choses extérieures, qu'ils en sont venus à considérer les institu-
tions religieuses, savantes, civiles, comme des gardiennes de fa
propriété; et ils blâment les assauts donnés à ces choses parce
qu'ils croient que ce sont des assauts à la propriété. Ils mesurent
leur estime réciproque non à ce que chacun est, mais ÎJ ce que
chacun possède. — Tandis qu'un homme cultivé, au contraire,
devient honteux de ce qu'il possède, par respect pour sa naiure.
Et, spécialement, il déteste ce qu'il a, S^il voit que cet avoir est
accidentel, que cela lui est venu par héritage, par donation, par
crime ; alors il sent que cela n'est pas posséder ; cela ne lui
appartient pas, n'a pas de racines en lui, cela reste chez lui seu-
lement parce que ni les révolutions, ni les voleurs ne l'ont pris.
— Mais, ce qxCon m/, fait acquérir; et alors, nécessairement, ce
qu'oîTacquiert est une propriété vivante qui n'attend pas. pour
être confirmée ou détruite, le signe du législateur, de la popu-
lace, ou les révolutions, le feu, l'orage, la banqueroute, — m;iis
qui se renouvelle partout où l'homme respire. « Ton lot ou ta
portion de vie, dit le Caliphe Ali, cherche après toi ; c'est pour-
quoi tu peux te reposer et cesser de la chercher ».
Notre dépendance de ces biens extérieurs nous conJuit à un
respect servile du grand nombre. Les partis politiques se
retrouvent à des réunions nombreuses. Plus le concours de monde
est grand, et à chaque nouvelle bannière annonçant la société
d'une autre ville, le jeune patriote se sent plus fort, plus fort de
ces milliers de têtes et de bras. De même, les réformateurs, con-
voquanl des réunions, ne concluant que devant des foules. — Ce
n'est pas ainsi, ô mes amis, que le Dieu entrera en vous, — mais
d'une façon complètement opposée. C'est seulement quand
l'homme se débarrasse de tout support étranger et se tient seul,
que je le vois devenir fort, et dominer. Il devient plus faible à
cliaque recrue sous sa bannière. Un homme ne vaut-il pas mieux
qu'une ville? Ne demande rien aux hommes, et, dans le change-
ment perpétuel, loi, seule colonne ferme, tu paraîtras le soutien,
de ceux qui t'entourent. Celui qui sait que le pouvoir est inné,
qui sait qu'il est faible parce qu'il a cherché le bien en dehors
de liii-môme et qui, en s'apercevant de cela, se rejette sans hési-
tation sur sa propre pensée, — celui-là se redresse immédiate-
ment, se tient droit et commande à ses membres — précisément
comme un homme se tenant sur ses pieds, est plus fort qu'un
homme se tenant sur sa tète.
Use ainsi de tout ce qu'on appelle Fortune. La plupart des
hommes jouent avec elle, perdant et gagnant selon que sa roue
tourne. Mais toi, abandonne ces gains comme illégitimes, et traite
avec la Cause et l'Effet, les chanceliers de Dieu. Travaille et
acquiers par la volonté, el tu enchaîneras la roue de la Chance,
et lu seras à l'abri de ses rotations. Une victoire politique, la
hausse de la rente, la guérison de tes malades ou quelqu'autre
événement favorable te rejouit, el tu penses que de bons jours se
préparent pour loi. — Ne le crois pas : rien ne peul l'apporter
la paix que loi même; rien ne peut te donner la paix que le
triomphe des principes. R. W. Emerson.
, FIN.
Ainsi s'achève ce remarquable catéchisme résumant les articles de
foi des sincères et des forts.
Nous adressons de tout cœur, pour les vrais artistes et pour nous,
des remerciements à l'aimable et intelligente Femme inconnue à
qui nous devons cette précieuse aubaine. Nous ne pouvons nous
empêcher d'établir une corrélation entre l'auteur de la biographie
d'Emerson dont nous avons rendu compte dans le dernier no de
l'Avt moderne et cette Inconnue.
LE NOUVEAU MUSEE D'ANVERS
{Correspondance particulière de l'Art moderne).
En un quartier niort-né, en plein lorrains vagues si lamenta-
lilemcnt clôturés, en un quartier ébauché où pèse le morne silence
(le la gêne; quartier des misères. déguisées, d'existences accro-
chées à des rémunérations administratives, groupées autour de
cet invraisemblable et raté monument pour l'Affranchissement de
l'Escaut — où à plaisir on a entassé les plus grotesques amplifi-
cations décoratives — loin, — moins par dédain que par mouve-
ment instinctif, symbole de la dislance qui sépare les préoccupa-
tions pou élevées et journalières des choses de l'Art, — on a érigé
ce nouveau musée d'Anvers. Edifice vaste; d'une reconstitution
archilccluralc soignée, ce semble, de choses existantes; copie
sage, d'un néo-grec probable, partant inutile et d'intérêl nul.
Façade et péristyle visant à de la grandeur; côtés latéraux et
postérieur casernants. Autour, comme pour la montre de la pièce,
les traditionnelles plaies-bandes de persil. Qu'on sache pourtant
-qu'il faudrait au lieu du square rasé et puéril qu'on prépare, une
floraison haute, un luxueux envahissement de branches. Qu'on
lâche toutes les grimpantes, les vignes folles, les glycines, les 1
passiflores le long de ces murs et qu'on s'y prenne à temps;
nature aura raison du monument et nous aurons moin» longtemps
ainsi à en supporter l'ennui.
Dès l'entrée du musée, à gauche et à droite, les galeries de
sculptures et de gravures; devant soi, la salle de l'escalier, d'une
disposition pareille à celle de l'ancien local; autour sont placar-
dées les pommadeuses peintures murales de De Keyzer, plus
sourdes, plus inexistantes que jamais. Cette salle en marbre tacheté,
d'une canaillerie de ton avérée, hors de ses murs c'est une exsu-
dation malpropre et infectieuse. Immaculées pourtant — par quel
prodige? — et maussades, deux cariatides en marbre blanc
supportent le palier qui donnera accès aux salles de Peinture.
Une parfaite ordonnance de la lumière, le fond d'un rouge éteint
de bon aspect sur lequel, par un système importé d'Allemagne et
à imiter, on a accroché les tableaux, prédisposent bien et augu-
reraient de quelque bon goût qui aurait présidé à cette nouvelle
installation — riche et somptuçuse en tous points d'ailleurs, et
Irop! — si l'on n'était immédiatement frappé par l'odieux et sacri-
lège vernissage qu'ont subi la plupart des tableaux. Non content
d'avoir redoré tous les cadres — appuyant ainsi sur le mauvais
goût de ces bordures irrationnelles — n'a-t-on pas promené
la jarre de vernis le long de ces salles, vernissant à tour de bras.
Je sais /des toiles perdues : le merveilleux Titien, qui après
celte souillure n'a conservé aucune des infinies délicatesses grises
qui en faisaient le charme. Anéanties, l'idéale carnation maie, la
fluidité du fond ; c'est celte rare perle et inestimable irrémédiable-
ment détruite ! Et d'autres, — V Adoration de Van Eyck aussi,
— qu'une hâlive visite, avant l'ouverture officielle au fort du
tumulte de la dernière-main, m'a empêché de noter.
Voici une salle où sont rassemblés les Rubens; le regret s'im-
pose de n'y pas trouvisr ceux de noire cathédrale : en telle autre,
les Van Dyck, et puis on est conduit vers cette unique el rayon-
nante et parfaite œuvre : le triptyque de Quinten Matzys placé
seul en une salle, dévotieusement, je le reconnais, sur un autel
sculpté. Même religion et bon goût dans la salle des Gothiques.
Ceux de format moindre rassemblés par groupe, retenus en des
châssis de Velours vert passé et protégés par des glaces. Pourtant
une ou deux défectuosités de placement; entre autres ce joyau ; la
Sainte-Barbe, de Van Eyck, flanqué d'un lourd Van Orley qui
l'écrase et d'un portrait discutablement attribué à un gothique
flamand. En belle place, dans celte salle, le triptique de Van der
Weyden. Mode adopté d'ailleurs pour d'autres triptyques encore :
celui de Van Orley — une Résurrection, — attachant et sorti de
la galerie des Hospices comme ce chef-d'œuvre presque inconnu,
le portrait de Simon de Vos par lui-même.
Voilà un morceau d'Art suprême, qui fait crouler toutes les pan-
cartes vaines, d'art superficiel, à fleur de peau, avec lesquelles il
voisine. Dépassant en intensité de vie les plus beaux Rembrandt,
accomplissant ce miracle par les moyens les plus simples. Montée
à ses yeux, comme la sève du mystère qui gire tout autour de
celte superbe tête du peintre, la Pensée y éclate comme une
rayonnante floraison, impérieuse, inoubliable.
Surtout trop, beaucoup trop de choses qu'on a cru devoir ressus-
citer; dos salles entières sont manifestement inutiles, sans parler
de la galerie moderne qu'on eût dû, après un émondage d'une
dizaine de toiles, livrer à l'encan. N'a-l-on pas rassemblé pour ce
nouveau musée toutes toiles documentaires : vues de fortifications
démolies, de ruines locales ayant un exclusif intérêt historique,
dénuées de toute valeur artistique. Mais ainsi le musée changc-
/
^
VART MODERNE
303
,^ rail de destination. Doit-il être autre chose que le Panthéon où
les triomphateurs seuls de l'Art devraient avoir accès et où pieu-
sement nous irons vénérer le plus pur de la Pensée, les plus hau-
taines incarnations de l'Art?
Une salle entière y est réservée aux portraits — peints par eux-
mêmes ! des membres du corps académique d'Anvers. Elle devien-
dra la salle tortionnaire. Imagine-t-on un supplice plus raffiné
que celui d'être lié sur les fauteuils de cette salle; ce sera bien
autrement sûr et inhumain que le fauteuil électrique ! Et j'ai
grand tort de signaler ce nouveau genre de mort. N'en vais-je pas
être la première victime? On me signale de toutes parts depuis
ma dernière correspondance à VArt moderne et les mieux dis-
posés m'engagent à de la « prudence ».'
Ce que c'est que d'avoir le caractère mal fait! Mais vous autres,
n'est-ce pas, si vraiment je dois périr en cette oubliette, prierez
pour moi?
Petite chroj^ique
Le comité des fêles de Bayreuth vient de décider qu'on repren-
dra l'an prochain, en cette ville, Tristan et Yseult, qui alternera
avec Tannhâuser, monté, comme on sait, pour la première fois
ti Bayreuth, elParsifal. La diversité de ce spectable de premier
ordre, qui embrassera les trois périodes de l'art de Richard
Wagner, va de nouveau faire affluer les pèlerins dans la petite
cité franconienne.
De la chronique berlinoise du Figaro :
11 y a eu fête dernièrement à l'Opéra de Berlin : on donna la
deux centième de Lohengrin. Deux cents représentations, dans le
cours d'environ vingt-cinq ans, c'est un gssez joli chiffre, étant
donnée la diversité du répertoire de la maison.
A cette occasion on se rappelle naturellement les commence-
ments si difficiles de Richard Wagner. Tannhâuser et Lohengrin,
il les vendit jadis pour une aumône à l'Opéra de Vienne, 1,000 flo-
rins l'un dans l'autre. L'affaire fut excellente pour l'Opéra, qui
encaissait les plus belles recettes du monde avec les deux ouvrages,
Wagner essaya à plusieurs reprises de faire annuler ce traité
léonin toujours sans le moindre succès. Un jour pourtant on lui
demanda son opéra Tristan et Yseull, et il ne le donna qu'à
la condition que l'ancien contrat serait complètement revisé. I|
fallait bien passer par là, et le compositeur fut amplement dédom-
magé.
Plus lard, après 1876, il fut appelé à Vienne pour diriger le dit
Tannhâuser et trois autres opéras de sa composition, quatre soi-
rées en tout. Il demanda 20,000 florins (40.000 francs), frais
d'hôlel et voyage payés. Tout lui fut accordé. L'hôtelier présenta
même un mémoire pour meubles détériorés par le jeune Siegfried
Wagner. L'enfant s'était amusé à tracer son nom sur du salin
bleu de ciel avec ses doigts mouillés d'encre noire — total :
800 florins. Le caissier paya sans broncher. Morale : Rien ne
coûte parfois plus cher que d'acheter à bon marché les partitions
d'un débutant de génie.
M. Vincent d'Indy, qui passlu^élé dans sa propriété des Fangs,
en Ardèche, achève la composilioï^d'un quatuor pour instruments
à cordes dédié à Eugène Ysaye. A en juger d'après les fragments
que l'auteur nous en a joués, l'œuvre promet d'égaler, sinon de
dépasser, les plus belles compositions du jeune maîlre.
De V Indépendance :
Lohengrin vient d'être donné à Carlsruhe, sous la direction de
M. FélixMoltl, avec M. Ernest Van Dyck dans le rôle principal,
M'i« Rcuss, jouant Eisa, M"* Meilhac Ortrudc, M. Planck Telra-
mund, W. Relier le Roi. L'ouvrage est donné sans une seule cou-
pure. Un amateur de nos amis, qui assistait à la représentation,
nous écrit que, loin d'allonger le drame, le respect du texte,
restituant à l'ensemble l'équilibre des proportions, laisse à l'audi-
teur une impression plus harmonieuse et allégeante. L'intcrpréla-
tion est, du reste, remarquable, les chœurs et l'orchestre excel-
lents, et M. Van Dyck, vaillamment secondé par des artistes de
valeur, a obtenu un immense succès justifié par son talent de
chanteur et d'acteur.
Voici de quelle façon seront réparties cette année, les quinze
représentations de l'abonnement à l'Odéon :
Pour un tiers : cinq soirées populaires à prix réduits, compo-
sées chacune de deux chefs-d'œ.uvre du répertoire classique, tra-
gédie et comédie, prises dans les pièces de Corneille, Molière,
Racine, Regnard, Marivaux, Beaumarchais, Voltaire, etc.
Pour un autre tiers : cinq soirées composées de chefs-d'œuvre
du répertoire étranger remis à la scène spécialement pour les
représeni allons d'abonnement avec tout le luxe de mise en scène
nécessaire et une partie musicale importante :
1° Alceste, drame lyrique en cinq actes, en vers, d'après Euri-
pide, par M. Alfred Gassier, avec les chœurs « originaux » et la
musique d'orchestre de Gluck; orchestre et chœurs sous la direc-
tion de M. Charles Lamoureux;
2" Roméo et Juliette, drame en neuf tableaux, en vers, traduit
de Shakespeare par M. Georges Lefevré, musique de scène et
d'entr'actes tirée de la partition de Berlioz ;
30 Maison de Poupée, drame en trois actes, en prose, traduit
de Henrik Ibsen par le comte Prozor;
4° Don Carlos, drame on sept tableaux, en prose, traduit de
Schiller par M. Ch. Raymond;
3° Conte d'avril, comédie héroïque en six tableaux, en vers,
d'après la Douzième nuit, de Shakespeare, par M. A. Dorchain,
avec une partition nouvelle de M. Ch. Widor, exécutée par
M. Ch. Lamoureux et son orchestre ;
El enfin, pour le dernier liers : cinq représentations choisies
dans les grandes pièces nouvelles qui seront représentées dans le
courant de la saison d'hiver.
Une artiste de la Comédie-Française, souvent applaudie à
Bruxelles, M™ Jeanne Samary, vient de mourir à Paris d'une
fièvre typhoïde qui l'avait frappée, au cours des vacances, à Trou-
ville où elle était allé en villégiature.
M"" Samary était née le 4 mars 1837 à Neuilly ; elle éiait nièce
de M™" Augusline et Madeleine Brohan. Elle était entrée au Con-
servatoire en 1 871, dans la classe de Bressant où elle obtint le
prix de comédie en 1874, et elle débuta avec succès à la Comédie-
Française, le 24 août de la même année, dans Dorine de Tar-
tuffe.
Sa première création fut le rôle de Pulchérie dans Petite pluie
(fEdouard Paiileron, le 4 décembre 1873.
LiArt musical, d'après // Mondo Artistico, nous cite les habi-
tudes de quelques compositeurs illustres. Cimarosa ne pouvait
composer s'il n'entendait à ses côtés une conversation animée.
Paisicllo, au contraire, était incapable d'écrire une seule note s'il
ne s'étendait sur son lil. Haydn, lui, s'enfermait dans son cabinet,
se rasait, se poudrait, revêtait un coslume de grand luxe, se ser-
vant de plumes neuves, et n'oubliait pas de mettre à son doigt
l'anneau qui lui avait été donné par son souverain. Quanta Haen-
del, il aimait à voir sur son instrument et près de lui une bou-
teille de bon vin.
Deux pièces religieuses de Schubert, découvertes tout derniè-
rement, ont été entendues, pour la première fois, au récent fes-
tival de musique d'Eisenach. Ces compositions datent de 1828,
l'année de la mort du maître : ce sont un Tantum argo et un
Offertoire, tous deux pour chœurs et orchestre.
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L'OR DÛ RHIN
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RICHARD WAGNER
Version française de Victor VIOLDER
Partition pour chant et piano, réduite par R. Kleinmichel
PRIX NET : 20 Francs
JOURNAL DES TRIBUNAUX
paraissant le jeudi et le dimanche. .
Faits et débats judiciaires. — Jurisprudence.
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HUTIKME ANNÉE.
Abonnements \ Belgique, 18 francs par an.
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Administration et rédaction : Rue des Minimes, 10, Bruxelles.
Bcvuc mensuelle de littérature et d'art
5" Année
Directeurs : MM. A. MOCKEL et P. -M. OLIN.
„ ( à Liège, rue St-Adaibert, 8.
Bureaux . ^ ,, .
( a Bruxelles, Avenue Louise, 317.
ABONNEMENTS : 5 francs l'an ; Union postale, fr. 6-50
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Paris 1867, 1878, 1" prix. — Sidney, seuls 1" et 2» prix
EXPOSITIOIS ÂlSTERDil 1883, ÂRTERS 1885 DIPLOIE D'IOmni.
Breitkopf et Hartel, éditeurs, Leipzig-Bruxelles
TRAITÉ PRATIQUE DE _
COMPOSITION MUSICALE
depuis les premiers éléments de l'harmonie jusqu'à
la composition raisonnée du quatuor et des principales
formes de la musique pour piano par J.-G. Lobe.
Traduit de l'allemand (d'après la 5^ édition) par
Gustave Sandre.
VIII et 379 p. gr. in-8". Prix : broché, 10 fr.; relié, 12 fr.
Ce livre, dans lequel l'auteur a cherché à remplacer l'étude pure-
ment théorique et abstraite de l'harmonie par des exercices pratiques
de composition libre, fut accueilli, dès son apparition, par une
faveur marquée. La présente traduction mettra le public français à
même d'apprécier un des ouvrages d'enseignement musical les plus
estimés en Allemagne.
Bruxelles.— Imp. V Momnoii, 32, ru^ de l'Industrie.
fl
r-^
Dixième année. — N** 39.
Le numéro : 25 centimes.
Ddianche 28 Septembiœ 1890.
L'ART MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Comité de rédaction : Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr, 13.00. —ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser toutes les communications à
l'administration générale de l'Art Moderne, rue de l'Industrie, 26, Bruxelles.
?
OMMAIRE
La Sonate a Kreutzer, p^r le comte Léon Tolstoï. — George
MiNNE. — Le triomphe de la folie. — Admirateur jusqu'à l'imi-
tation. — Dumas au Parc. — Mémento des Expositions. —
Petite chroniqiie.
LA SONATE A KREUTZER
par le comte Léon Tolstoï, traduit du russe par E. Halpérine-
Kaminsky, pet. in-8o de 249 p. et tit. — Paris, Marpon et Flam-
marion, sans millésime.
« Mais moi je vous dis que quiconque regarde une
femme pour la convoiter charnellement, il a déjà com-
mis l'adultère avec elle dans son cœur. "
Cette parole du Christ, rapportée au verset 28 de
l'Evangile selon saint Mathieu, sert de première épi-
graphe au livre extraordinaire qui a pour titre énigma-
tique : La Sonate^ Kreutzer.
Et ce livre finit par ces mots : « Il faut bien saisir le
sens exact de l'Evangile selon saint Mathieu, verset 28;
il faut bien comprendre que cette phrase : « Quiconque
regarde une femme avec convoitise a déjà commis l'adul-
tère '> se rapporte aussi à la sœur, et non seulement à la
femme étrangère, mais aussi et surtout a sa propre
FEMME.
Alors commence à transparaître le motif pour lequel
ce Russe à àme multiple et surhumaine, le comte Léon
Tolstoï, populaire dans sa vaste patrie parce qu'il
exprime bien les mystères de l'âmé russe, multiple et
surhumaine, et y démêle l'action circonvolutive de la
puissance des ténèbres, c'est-à-dire de l'inconnu fatal
de la race, qu'il vienne du passé par l'atavisme, ou qu'il
vienne de l'avenirpar la pro-hérédité, a mis pour seconde
épigraphe à son livre extraordinaire, ces autres ver-
sets de saint Mathieu, les 10", IP, 12^ : « Ses disciples
lui dirent : Si telle est la condition de l'homme avec la
femme, il ne convient pas de se marier. Mais il leur
dit : Tous ne sont pas capables de cela, mais ceux-là
seulement à qui il a été donné ; car il y a des eunuques
qui sont nés tels dès le ventre^de leur mère ; il y en a
qui ont été faits eunuques par les hommes ; et il y en a
qui seront faits eunuques eux-mêmes pour le royaume
des cieux. Que celui qui peut cojûjj rendre ceci le
comprenne. ^
Alors se déroule le livre, court. Du style nous ne
parlerons pas : un traducteur quelconque a transvasé
rœuvî*e dans le récipient banal de son langage quel-
conque. Un vulgaire interprète de caravane. Mais
l'idée ! ?
L'idée est russe quintessentiellement. Pour nous, occi-
dentaux, sinon incompréhensible, au moins inexplicable.
La voici : toute union sexuelle entre homme et femme
est bestiale, partant contre nature puisque la nature
humaine veut l'idéal. C'est de la débauche. Dès lors tout
amour, spécialement l'amour conjugal, qui s'accomplit
en fornication, est un sacrilège, et engendre chez, les
deux complices de ce crime, une haine, incessamment
croissante, qui est l'explication de la presque universa-
lité des mauvais ménages! !
Théorie étrange, révélatrice, répétons-le, de l'âme
russe, éprise de mysticisme, venant après la nôtre dans
l'évolution de l'âme aryenne, mais plus près déjà,
semble-t-il, des régions idéales où peut-être notre race
aboutira, — ou moins proche des régions sensuelles où,
par l'eflét des mélanges avec les humanités inférieures,
cette race doit peut-être tomber.
Pozdnychew, l'acteur dominant du drame, le mari de
la femme innommée. Elle, qu'il tue finalement parce
qu'ailleurs, chez un violoniste, Troukhatchewsky (sans
réel accomplissement, semble-t-il, car le livre se perd
souvent en ténèbres qui en augmentent l'effroi), elle
a cherché l'idéal dont avait soif son âme russe et
que les bestialités, savourées pourtant, du toit con-
jugal avaient souillée, — Pozdnychew raconte tragique-
ment l'histoire terrible de son mariage qui s'achève
par le meurtre de cette femme , innommée parce
qu'elle doit symboliser la femme- mariée russe. Il
la tue (oh ! quelle épouvante dans le long analytique
récit des angoisses d'une âme russe d'homme, dans ce
qui précède le meurtre, et ce qui le perpètre, et ce qui
le suit!), il la tue, avec cette sensation : « la résistance
du corset, d'un autre objet encore, puis le. poignard
s'enfonçant dans la chair molle. » Et il ajoute, le con-
teur de l'effroyable forfait : « Je crois me rappeler que
je retirai tout de suite le poignard... comme pour
réparer ce que je venais de faire. "
Mais en outre du dramatique et artistique récit, à
côté, au dessus peut-être, il y a l'émouvante et décon-
certante confession d'une âme russe sur le mariage
russe, un dépliage de bizarres frémissements qui don-
nent la fièvre et infiltrent l'inquiétude, car dans cette
psychologie moscovite saturée d'exotisme, aux fils
embrouillés, il se trouve, çà et là, des nœuds, des lacs
où nous nous reconnaissons, occidentaux si proches, par
le sang, de ces Slaves issus de la même souche, diver-
gents par les hasards des migrations, des siècles et des
mélanges, mais fraternels quand même. Et parfois sous
le cruel déchirement de voiles qu'accomplit le drama-
turge impitoyable, nous découvrons des plaies qui sont
les nôtres, des ulcères dont nous sommes rongés.
Connaître la Femme. Certes, il le faudrait avant
d'accomplir cet acte de mystère et d'abnégation : le
mariage. Certes, on pourrait l'enseigner. Mais, fait
dire, avec une âpre ironie, Tolstoï à son héros farouche,
" elle tenait une place bien moindre dans nos études que
l'emploi de ut dans les phrases conditionnelles ». Et se
ruant sur tout ce qu'a fait la science pour rendre inof-
fensive la fornication, c'est-à-dire, à son sens, la
débauche, il ajoute : « Si on avait porté à la guérison
de la débauche, la millième partie des efîbrts employés
pour guérir les maladies qu'elle donne, elle aussi serait
passée; mais tous ces eflbrts concourent, au contraire.
à l'extension de la débauche en en rendant les consé-
quences inoffensives ". Et Pozdnychew qui parle ainsi,
appelle alors les-médecins : Canailles! Canailles!
Un homme qui. a goûté le plaisir avec plusieurs
femmes n'est plus un être normal, continue ce Russe.
Quand le souvenir de toutes mes mauvaises actions (les
fornications variées) me revient, je frissonne d'épou-
vante... Quand je penseà l'air pur que nous avons, tous,
viveurs de trente ans, la conscience pleine de mille
crimes terribles (les fornications), lorsque nous péné-
trons dans une salle de bal, dans un salon, rasés de
frais, dans la blancheur éclatante de notre linge, en
habit ou en uniforme! Quel idéal de pureté! un vrai
rêve !
Puis, s'attaquant par la femme, au côté fatalement
sensuel des rapports entre les sexes : Les femmes savent
fort bien que l'amour le plus pur, le plus poétique,
comme on dit, ne dépend pas essentiellement des qua-
lités morales, mais de rapprochements physiques, de la
manière de se coiffer, de la couleur ou de la coupe des
costumes. Demandez à une coquette expérimentée si
elle préfère, en présence d'un homme dont elle a entre-
pris la conquête, être convaincue de mensonge, de
cruauté, voire de libertinage, ou bien être présentée à
lui dans une robe de mauvais goût et mal taillée. Toutes
préféreront la première alternative.
Sensualité ! Sensualité des sensualités ! Tout n'est que
sensualité ! Dans les classes jouisseuses au moins. La
nourriture abondante n'est-elle pas un excitant pour les
corps? Les hommes de notre société sont nourris comme
des étalons. L'amour et le mariage proviennent en
grande partie de la nourriture. Cela vous étonne? Il est
bien plus étonnant, s'écrie Pozdnychew, que cette chose
ne soit pas universellement connue. Aussi, quand il voit
pénétrer dans les entours de sa femme, ï Homme, le
séducteur possible, le Troukhatchewsky, personnage
qui pratique la musique, cet art qui n'élève ni n'avilit
l'âme, mais qui l'excite, qui porte à oublier tout, qui
fait croire à ce qu'on ne croit pas, comprendre ce qu'on
ne comprend pas, qui donne un pouvoir qu'on n'a pas,
faisant l'effet du bâillement ou du rire parce qu'elle
transporte qui l'écoute dans l'état d'esprit où se trouvait
celui qui l'a écrite,— quand il le voit arriver, il observe :
qu'il est célibataire, robuste; qu'il brise avec les dents
l'os d'une côtelette, qu'il trempe avidement dans le vin
ses lèvres rouges!. Bien nourri et de bonnes manières,
s'il a un principe c'est évidemment de n'éviter aucune
jouissance! Nous, qui avalons deux livres de viande, du
gibier, toutes sortes de boissons et de mets échauffants.
UART MODERNE
307
où le dépensons-nous? Pareille excitation dévoyée par
les romans, les nouvelles, les vers, la musique, devient
l'amour le plus caractérisé.
Dans cette, situation, la séduction et l'empire de la
femme sont énormes. En vain elles se plaignent de ne
jouir d'aucun droit, d'être des victimes. La sensualité
est justement ce qui fait qu'on soutient ces deux opi-
nions en apparence contradictoires : d'une part, leur
extrême humiliation, de l'autre, leur souverain pouvoir.
C'est comme pour les juifs. Ils se vengent par la puis-
sance de leur argent de l'avilissement dans lequel nous
les tenons. « Vous nous permettez seulement de nous
livrer au commerce. Entendu. Mais par le commerce,
nous deviendrons vos maîtres », disent les juifs. —
« Vous ne voulez voir en nou^ qu'un objet sensuel?
Soit. Par les sens nous nous emparerons de yous »,
disent les femmes. Pour égaliser les chances, elles
tablent sur la sensualité de l'homme, elles s'en rendent
maîtresses absolues par les sens. Et quand elles possè-
dent à fond l'art de séduire, elles abusent et prennent un
empire terrible sur l'humanité. Visitez les grands maga-
sins, dans les villes importantes. Il y a là des millions
entassés, un travail gigantesque, presque incalculable.
Tout le luxe de la vie est pour les femmes, qui le recher-
chent, qui le poussent en avant. Des générations
entières d'ouvriers succombent dans des travaux de
forçats pour des fantaisies de femmes. Et Pozdnychew
ajouté : « J'ai toujours éprouvé un sentiment d'effroi en
voyant ma femme en grande toilette, sous les armes, ou
une fille du peuple ornée du foulard rouge et en jupons
bien empesés, ou une jeune fille du monde en atours de
bal. J'y vois un danger pour les hommes, quelque chose
de contraire à la nature. J'ai envie d'appeler la police ! »
Ainsi va cette bizarre philosophie. D'après elle, le
voyage de noce, la solitude dans laquelle on laisse les
nouveaux mariés, avec la permission des parents, ne
sont qu'une excitation à la débauche. L'amour idéal,
éthéré, en théorie, est en pratique quelque chose de
misérable et de malpropre dont on ne peut parler sans
dégoût et sans honte. Nous sommes bien obligés de le
prendre tel et nous cherchons à nous mettre en tête
que cette horreur est d'une beauté sublime. C'est très
près, on le voit, de cette fameuse définition de l'amour :
Un sentiment ridicule accompagné de gesticulations
malpropres.
Il y a, à certain passage du livre, un interlocuteur qui
objecte : N'admettez-vous pas qu'il est un amour pro-
venant de la conception d'un même idéal, d'un état
d'âme identique? Pozdnychew répond : Je veux bien,
mais alors pourquoi coucher ensemble? Ce n'est pas une
raison de coucher ensemble parce qu'on a un seul et
même idéal. — Mais alors, comment perpétuer le genre
humain ? — Est-il nécessaire de le perpétuer, reprend
Pozdnychew brusquement. — Sans doute, nous n'existe-
rions pas. — Et pourquoi faut-il que nous exis-
tions?
En effet, pourquoi faut-il que nous existions?
Le sculpteur George Minnc n'a pas exposé au Salon. C'est peut-
être un motif pour revenir à ce jeune et profond penseur. On se
souvient de son étrange cl poignante exposition aux XX.
Après une évolution rapide, hantée de la sombre et nerveuse
anxiété de Michel-Ange, et durant laquelle chaque nouvelle œuvre
était un pas de fait vers un art insolite et plus définitif; après une
douloureuse et spasmodique tourmente de formes où les gestes
tordus se nouaient en convulsions qu'on pressentait passagères,
— les êtres de révolte et de passion que nous fit voir, au début,
l'âme toujours angoissée, de cet artiste, soudain comme brisés,
exténués de leurs souffrances séculaires, détendirent leurs mus-
cles dans une fatigue cl un abattement irréparables, laissèrent
retomber, le long de leurs pitoyables corps, — les serrant comme
pour les reposer un peu, — leurs mains et leurs bras amaigris
trop longtemps tendus vers une terre stérile et qui se sont enfin
immobilisés dans le désespoir et le renoncement, dans une néga-
tion absolue de gestes et de volonté, devant l'inutilité de se tordre
et de se défendre con,tre la Douleur.
Enfants dç Caïn; ils ont levé le poing vers Dieu, mais Dieu les
a maudits et maintenant les châtiments de leurs blasphèmes
occultes et héréditaires — comme de sombres maladies de race
— pèsent sur les nuques pliées, sur les dos qui, jadis fiers et
insoumis, se sont voûtés après d'innombrables et durables tor-
tures, damnés, oui! lamentablement damnés de la damnation du
malheur.
Et alors, une commune souffrance, la parité d'un désespoir et
d'une affliction immensément mornes et éternels, ont rapproché
ces êtres, comme on se rapproche dans la douleur; ils se sont
serrés les uns contre les autres en des attitudes similaires et,
pitoyablement, dans des affaissements analogues, ils ont incliné
la tête vers de terrestres et inoubliables souvenirs ou vers l'hébé-
tude d'une désormais fatale et irrémissible prostration.
Parfois de rares et ténébreuses tendresses passent encore dans
leur âme et si la passion les unit alors d'une étreinte, les bras ne
s'enlacent plus mais se cramponnent éperdûment et leur baiser
n'est plus qu'une âpre et longue morsure, le baiser funèbre et
livide qu'on se donne dans le deuil et devant la mort.
Oui, toujours la fatalité et comme la malédiction de fautes
ancestj;ales et impardonnécs pèsent sur ces êtres qui, par leurs
formes trop sommaires mais analomiquement pures, — car la
science de l'artiste est visible, — ne nous paraissent presque
plus humains et le sont pourtant si profondément par l'émotion
qu'ils suggèrent.
De là cette unité et cette intensité de caractère de l'auvre, qui
est grande aussi et complète.
Grande, par son aspect éternel de roc et de pierre à travers
les âges, — et c'est une de ses essentielles beautés que ce rappel
de la sculpture statique et primitive de l'Egypte; — complète,
car son expression matérielle, en ses lignes simples et sa com-
préhension naïve, est la seule correspondant absolument au rêve
de suggestion éclos dans l'imagination de ce sculpteur-poète.
Or, son art csl avant icul un art de suggestion, mais l'impres-
sion qu'il fait naître est surtout générale. Ce n'est pas l'histoire de
tel ou tel spntimenl,ni de tel épisode d'une vie quelconque même,
non, c'est la légende de la douleur û travers les temps, la jdoiî-
Icur de l'homme qui peine et s'est usé dans le travail, qui souffre
et qui désespère devant la mort, la prostration stagnantCN,dc
l'humanilé qui s'est rendue après tant de siècles, qui s'est enfin
courbée et renonce h repousser encore — puisque en vain! —
l'acharnement du malheur sur elle.
C'est là l'infini et l'éternel de la souffrance humaine que
M. George Minne nous a fait entrevoir dans un symbole et fait
sentir tout entiers dans une impression puissante; aussi la foule
doit-elle passer indignée ou moqueuse devant son œuvre, comme
elle se révolte contre tout ce qui ne tombe pas brutalement sous
la réalité de ses sens ou dans l'élroitessc de sa compréhension qui
a peur et rit de l'infini, comme les lâches sidlcnt dans l'ombre
pour se donner du cœur,
Grégoire le Roy.
LE TRIOMPHE DE LA FOLIE
Si cela continue, bientôt nous pourrons nous retirer à la cam-
pagne, après fortune faite. La fortune de nos idées, s'cniend.
-Après dix ans seulement, ce ne sera pas mal. L'Art moderne
achève, en effet, sa dixième année.
Voici que les graines qu'il a semées, ont germé partout cl que
les blés sont mûrs. Ce n'est pas nous, naturellement, qui en
engrangeons la moisson. Il ne manquerait plus que cela. Elle
revient de droit à ceux qui ont attaqué, raillé, vilipendé tout ce
que nous avons osé. Ils vantent, présentement, comme venant
d'eux les principes que nous avons défendus, ils accaparent insen-
siblement les artistes que nous avons prônés. Ils nous rattrapent,
Cl disent que c'est nous qui reculons. Nous avons eu celle rare
chance de n'avoir pas, au cours de ces deux lustres, signalé une
œuvre ou un homme qui depuis n'ait été accepté ou ne soii
en passe de l'être. Et de même est disparue, ou est en tr^ de
disparaître, la gloire fragile de ceux que nous avons refusé d'ad-
mettre.
L'honneur nous en revient-il? non pas. C'est dû à la naturelle
évolution des choses. Tout au plus avons-nous eu le mérite de
voir quelques heures plus tôt. Avoir de bons yeux n'est pas pour
se poser en devin ou en créateur. C'est la conséquence de celte
maxime de critique et de vie : Soyez toujours en avant! comme le
monde marche, ceux qui sont en avant sont aux bonnes places.
Il est vrai qu'un poète a mis en garde les téméraires, tout en
fustigeant les retardataires .
Vieux «oidats do ploml) que nous sommes.
An cordeau nous alignant tous,
Quand des rangs sortent quelques hommes.
Tous nous disons : ce sont des fous!
Mais les téméraires sont incorrigibles. Ils vont toujours. Ce
sont ceux qui crient: Par ici! Et ajirès avoir longtemps laniiponné
devant la brèche qu'ils ont montrée, et parfois faite, toute la
tourbe s'engouffre derrière eux. Ils sont loin, alors, déjà occupés
à une témérité nouvelle. Ce sont des éclaircurs, avec cette carac-
téristique que les gens qu'ils éclairent tirent sur eux.
Nos folies d'il y a cinq ans ont, paraîl-il, assez vieilli, pour
être devenues du bon sens. MM. Bouvard et Pécuchef, passés cri-
tiques en renom, les adoptent. M. Prudhommc les recommande
aux esprits bien pensants. Le célèbre docteur Tribulat Donho-
met se vante d'en avoir été toujoure partisan.
Allons, tant mieux! Etonnons-nous, mais ne nous plaignons
pas de ces conversions réjouissantes. Résignons-nous sahs ron-
chonner à ce sic vos nonvobis. Réjouissons-nous : gaudeamiis!
C'est vraiment miracle : les sourds entendent, les aveugles
voient comme si Goolam-Kader leur avait donné son coup de
pinceau, les culs-de-jaite courent, les boiteux dansent le boslon
en brandissant leurs béquilles. Les comptes-rendus du Salon qui
vient de s'ouvrir attestent ces phénomènes. On croirait que
messieurs les critiques épuisés ont tous pris de l'elixir Godineau.
Pourvu que cela dure. El le monde officiel, lui-même! oui le
monde officiel commence à remuer.
Voici le Roî, d'abord. Il parle h M. Dillens qui le promène
parmi les marbres et les plâires. Et il dit, ou plutôt il proclame,
car tout ce que dit unroieslune proclamation: «Ce Salon de sculp-
ture me fait très bonne impression. Il me semble que les jeunes
statuaires voient plus grand et font un art plus élevé qu'autrefois.
Ils osent plus, et quelquefois cela leur réussit.»
Que le Roi ait trouvé bon ce Salon, c'est dans l'ordre. Un roi
constitutionnel sortirait de son rôle en trouvant mauvaise la sculp-
ture de son pays. Mais qu'il ait ajouté : « J'applaudis aux ten-
dances de la jeune école, » — qu'il se soit surtout douté qu'il y
a une jeune école, voilà ce qui est prodigieusement notable.
On se souvient des coups de trique qui furent souvent distri-
bués ici aux artistes courtisans. Ne voilàl-il pas qu'un journal
nous Ole la trique de la main, en écrivant, comme le premier
rédacteur venu de lArl moderne : « D'une banalité désespérante,
la cohue de l'ouverture du Sa!on, toujours aussi quémandeuse de
préseulations cl de compliments, n'a point changé depuis l'insti-
tution de l'exposition triennale. Jamais assouvie, elle se retrou-
vera évidemment telle quelle en 1893. »
Alignons maintenant une série de sentences, observations,
menus propos, déclarations, recueillis dans le feuilleton majes-
tueux d'un grand journal doctrinaire, qui n'officie qu'en surplis et
avec tout le chapitre. Serait-ce la fin du monde, ... ou de la
grande critique professorale?
« Le temps n'est plus, disons-le à l'hoiineur de la génération
actuelle, où l'on fermait les portes des expositions à des œuvres
qui n'avaient d'autre tort que de n'être pas dans le courant de
certaines idées, de certains procédés, de certains effets... Toutes
les théories, tous les systèmes, toutes les fantaisies picturales,
même celles qui vont jusqu'au paradoxe, sont représentés à
l'exposition de celte année. Tout le monde approuvera cet éclec-
tisme du jury.... »
Vous entendez, n'est-ce pas. Monsieur Tout-le-monde ? donnez-
en avis à vos .amis, voisins et connaissances. La consigne est de
ne plus meugler devant les nouveautés. Ce que cela va vous
changer!
« Il a été longtemps d'usage de déplorer ou du moins de
signaler, dans les comptes-rendus d'expositions, l'absence d'œuvres
représentant ce qu'on appelait la grande peinture. C'est un thème
usé... »
Pauvre grande peinture! Toi aussi! Te voilà traitée dédaigneu-
sement, en vieille garde. Fais tes paquets. Tes adorateurs te
lâchent, les lâches! ^
« Est-il nécessaire de dire que les œuvres d'une qualité supé-
rieure sont rares au Salon de celte année? »
VART MODERNE
309
El nons qui le disions tous les ans, au grand scandale de la
galerie. Ainsi, vraiment, le Salon est raté? I/éial-major le con-
fesse, scrongnieugnieii.
« 11 n'y a plus de sujets imposés comme au temps de la faveur
exclusive des Grecs, des Romains cl de la mythologie, comme à
l'époque plus voisine de nous où florissail le moyen-âge. Chacun
fait ce qui lui plaît et comme il lui plaît... »
Bon ! Voici que l'on daube sur le moycn-ûgc et la mythologie,
maintenant. Mais alors que vont devenir les concours de Roihe?
Est-ce fini aussi, ça? Ce critique est un iconoclaste : il ne laisse
debout aucune des antiques et vénérées idoles.
« L'estime que nous avons pour dos œuvres fortement conçues
et parlant à l'imagination ne nous empêche pas de rendre hom-
mage au mérite que peut avoir une seule figure traitée d'une
manière remarquable... Rien n'empêche >qja'on fasse, si l'on est
capable, iin excellent morceau de peinture sans travailler un
sujet déterminé. >» ^
Plus de sujet, plus d'épisode, plus d'anecdote. L'art pour l'art!
est-ce bien là ce que vous osez énoncer, ô téméraire! C'est la
suppression h bref délai du cours de composition à l'Académie.
Autant la révolution tout de suite ! Il est vrai que le magisler pose
une restriction, fortement lapalissadée, à sa thèse anarchiste : il
n'admet à faire d'excellent morceau que celui qui en est capable!
Vient ensuite la grande question de la lumière et du plein air,'
à laquelle ces polissons de vinglistes voulaient qu'on accordât
quelque importance. On l'accorde : « La peinture traitée large-
ment, dans les meilleures conditions de plein air et de lumière,
suffît à donner la mesure d'un vif instinct de coloriste ». Voilà
une phrase qui nous paraît avoir été empruntée à quelque défen-
seur des luministes. Au fait, on peut se tromper au vestiaire des
phrases comme au vestiaire des chapeaux, et partir avec celle
d'un autre.
« Un large éclectisme règne dans les galeries de l'exposition
où tous les ordres d'idées et tous les systèmes d'exécution se rcn-
conlrcnl et font, en somme, assez bon ménage. »
Ne croirait-on pas entendre un membre de la Ligue libérale se
félicitant de l'unioii, indissoluble, avec l'Association libérale. Il y
a un an cet éclectisme eût été inconvenant, autant que l'arrivée
d'un plat de slocklish ou de moules sur la table de la cour.
Notre critique accentue :
« On aime à voir se maintenir les talents qui font honneur au
pays et doijt la renommée fait partie du patrimoine national ; mais
la satisfaction n'est pas moins grande lorsqu'on assiste à la révé-
lation de talents nouveaux qui donnent des promesses pour
l'avenir. »
A quand l'embrassade générale et publique? Seulement la ques-
tion est de savoir si les jeunes voudront se laisser baiser, sur la
bouche par les vieilles barbes, devenues tout à coup si galantes.
On a beau boire du Brown-Scquard, si cela rend de la vigueur,
cela ne rajeunit pas la cervelle.
ADMIRATEUR JUSQU'A L'IMITATION
L'article de M. Octave Mirboau célébrant dans le Figaro, en
première page, l'an d'angoisse et de caucluMuar de notre compa-
triote Maurice Maeterlinck — article que nous avons signalé,
avec la satisfaction de voir consacrer paf un écrivain de marque
la gloire naissante d'un artisan du verbe .lont nous avons, depuis
longtemps, vanté l'exceptionnel mérite, — a eu une conséquence
inattendue.
Non content d'avoir proclamé l'auteur de la Princesse Mnleiue
et des Aveugles un dramaturge de premier ordre, voici que
M. Mirbeau entre résolument dans le sillage du jeune écrivain et
s'ingénie à s'approprier les tournures de phrase, les dialogues, les
vocables, en un mot, tout le procédé littéraire de M. Maeterlinck.
Les deux dernières nouvelles qu'il a publiées dans l'Echo de Paris
et qu'il dénomme l'une le Pauvre pécheur, l'autre le Poitrinaire,
sont des adaptations, aussi ingénieuses qu'ingénues, des formules
créées par notre compalriotc et dans lesquelles celui-ci a moulé
l'originalité puissante de son esprit. L'imitation est flagrante, et
de telle nature qu'on s'est demandé très sérieusement s'il n'y
avait pas dans les coulisses du journal quelque mystificateur à
froid, capable déjouer à M. Octave Mirbeau le tour de publier,
avec la signature de ce dernier, un démarquage de Maurice Mae-
terlinck, histoire de blaguer un peu l'enthousiasme ardent que le
chroniqueur parisien avait montré pour l'écrivain hier inconnu,
aujourd'hui brusquement célèbre. Aujourd'hui, toute hésitation
est impossible et les sceptiques en sont pour leurs frais de con-
jectures. Le Pauvre pécheur était bel et bien d'Octave Mirbeau ,
et l'emballement continue, puisque voici un Poitrinaire découpé
sur le mémo patron.
Sans doute, l'aventure est fort honorable pour M. Maeterlinck.
M. Mirbeau est un écrivain de grand talent qui, en s'assimilanl
avec autant de soin les procédés de son confrère gantois, affirme,
mieux encore que dans l'article à sensation qu'il lui a consacré,
la supériorité qu'il lui reconnaît. Mais il y a quelque chose de
fâcheux dans la répétition, si fréquente à notre époque, et
dans tous les arts, de ce phénomène d'imitation. A peine un
artiste, écrivain, peintre, musicien i a-t-il découvert une technique
particulière, une formule inédite, une manière spéciale d'exprimer
l'émotion artistique, qu'aussitôt se' lève une légion d'artistes
armés des mêmes armés, agitant les mêmes drapeaux, et convain-
cue que cet équipement les rend exactement pareils au chef qui a
inventé ces armes, arboré le premier cet étendard. Ifs ne savent
donc pas, que chacun s'outille selon son tempérament, selon
■sa force, sclo.n la besogne qu'il se taille, et que la massue d'Her-
cule n'est pas absolument indispensable lorsqu'il s'agit de tuer
une mouche.
Certes, ce n'est pas dans une technique particulière que résida'
l'individualité d'un^rlisle. Mais souvent, la forme se lie si étroi-
tement au fond qu'elle n'en peut guère êlre séparée et qu'en
s'appropriant le procédé, on contrefait nécessairement l'art même
exprimé par ce procédé. Telle nous paraît êlre l'écriture, toute
particulière, puérile parfois en ses répétitions, suggestive toujours
el-d'une extraordinaire hallucination, de Maurice Maeterlinck. Or,
il advient que toute puérilité s'efface, que toute naïveté disparaît
sous le souffle de l'ardente foi artistique qui enflamme le poète.
11 n'en est plus de même pour ses imitateurs. En ceux-ci, la |)réoc-
cupation de se conformer rigoureusement îi une forme déterminée
est trop visible pour échapper à la clairvoyance du lecteur. Le
procédé l'emporle sur la pensée. Et dès lors le sourire naît, des-
tructif de l'impression artistique. N'a-t-ôn pas dit, en d'autres
termes : chez les imitateurs, les défauts du maître s'exagèrent ?
• M. Mirbeau a une personnalité littéraire qui devrait le déter-
miner, plus que personne, h se garder de tomber dans les pièges
que tend l'admiration aux artistes. Au surplus, persistora-t-:l dans
la voie qu'il a prise inopinément? -C'est peu probable.
flîSC u
11 csl possible que quelque Paul Adam flîSc un jour, parlant de
noire compalriolc : « Maeterlinck? Ah! oui, celui qui a imité
Mirbcau ! » Mais de ceci pou nous chaut, et nous nous contente-
rons de sourire. Ce que nous avons eu en vue, en parlant de cet
incident, c'est de mettre en f[arde, une fois de plus, les artistes
qui nous lisent, contre cette désolante manie du pastiche et leur
rappeler que seule l'ouiGiNAUTt' fait l'œuvre d'art.
DUMAS AU PARC
Le Parc a donné sa première, samedi. C'est passable. Pour ne
pas rompre avec les traditions, on est allé chercher dans les
archives de la maison, un vieux Dumas injoué depuis 67. A vrai
•dire, VAmi des femmes effrayait plus sur l'affiche que sur la scène.
Avec leurs vingt-trois ans derrière elles, les théories de l'acadé-
micien moraliste n'ont pas paru trop défraîchies, et c'est plus la
façon de poser les problèmes que les problèmes eux-mêpies qui
a paru d'un aulrc temps.
Une femme, séparée d'un mari qu'elle adore, parce que celui-ci
n'a pas compris les délicatesses de sa pudeur, comme passe-temps
et pour se persuader qu'elle n'aime plus, essayant d'en aimer un
autre qu'elle connaît à peine et qui ne la comprendra jamais, et
de dépit se jetant dans les bras d'un inconnu, trop brave homme,
heureusement, pour abuser de sa situation autrement qu^n fai-
sant fuir le presque amant et en redonnant au mari, ravi, sa
femme qu'il n'avait jamais perdue.
C'est le thème, un peu conventionnel et abstrait, de brillants
développements. Ce n'est pas la vie reportée sur le théâtre,
avec l'acculement de ses situations antinomiques, sa respira-
tion de cœurs qui souffrent et se torturent, ses cris d'âme qui
sont aux personnages de M. Dumas, ce qu'est le babil spontané
des jeunes babys aux jolies poupées qui récitent « papa » et
« maman ». Aussi, nul empoignement, une séduction plutôt, en
écoutant l'intarissable verve de cette pensée unique qui se déve-
loppe alternalivemenl par la voix de cinq ou six personnages.
C'est une abstraite et régulière construction, toute intellectuelle,
qu'on sent avoir été laborieusement édifiée dans le milieu très
calme du cabinet de travail, là où ne bruit plus le tumulte des
passions. Un haut désintéressement de la vie pour la vie, n'aper-
cevant plus des choses — espèce de savant Renanisme — que
leur seule intellectualilé. Ressemblance avec ces joueurs d'échecs
qui préfèrent solutionner seuls d'artificiels problèmes, plutôt que
s'émotionner par les phases vécues d'une vraie partie à deux.
Nous écoulions l'Ami des femmes et nous pensions tantôt à
Ibsen, tantôt à ce que nous avions entendu du Théâtre-Libre.
Ibsen, ses Revenants surtout, qui parviennent, en quelques
scènes, à soulever une légion de problèmes et de sous-problèmes.
Un moraliste, celui-là, trempé par la méditation austère, si
naturelle à ceux du Nord, pour qui l'homme moral grandit
de toute l'absence des grandes villes boulevardières et de leur
raffinisme matériel. Ibsen est supérieur à Dumas. En ceci, d'abord,
qu'il se place au point de vue humain et non au point de vue
étroitement mondain. En cela, ensuite, qu'il met en conflit des
âmes et non des situations. Ainsi est laissé au spectateur lui-
même le soin d'abstraire. Ibsen se contente de lé troubler et
de l'émouvoir en lui montrant des réalités. Car il sait bien que
seules sont profondes et fructifient les idées qui sont basées sur
des sentiments cl qui ont coûté à élre acquises.
Dumas, lui, simplifie le rôle de ses auditeurs. Il ne les émo-
tionnera pas — dans le monde, l'émotion est de mauvais ton —
mais il leur donnera à emporter quelques idées déjà toutes pen-
sées en brillantes formules.
Nous pensions aussi à l'académisme de Dumas et aux efforts
du Modernisme. Plutôt que de condamner absolument l'un au
profit de l'autre, nous essayions une conciliation sur cette idée :
Ceux d'autrefois n'ont vu qu'une classe de la société, qu'une
sorte /l'esprit, les mondains, gens de bon Ion, nobles ou gros
bourgeois, esprit d'honn,:'te médiocrité affichant et pratiquant les
principes de la « conformité au bon sens ». Ceux d'aujourd'hui se
sont aperçus qu'il y avait, en outre, plus bas, un peuple qui peine,
souffre et pense, et plus haut des lettrés cl des esthètes dont la
complexité d'âme et le raftinisme littéraire devaient donner des
solutions nouvelles aux problèmes du bonheur, de la souffrance
et du devoir; mais quels qu'ils soient, toujours intéressants, jeunes
et vieux, quand sincèrement ils étudient une manifestation de
l'homme".
Mémento des Expositions
Bruxelles. — Salon triennal, 15 seplembre-15 novembre.
— Renseignements : Commission directrice de l'Exposition
générale des Beaux- Arts, Bruxelles. {Secrétaire : M. Stiénon).
Dresde. — Exposition du Cercle artistique : aquarelles,
pastels, dessins et eaux-fortes, sous le protectorat du roi de
Saxe. Les invitations et prospectus seront envoyés prochainement.
Milan. — Exposition triennale des Beaux-Arts. — i"-30 juin
1891. — trois prix de 4,000 francs chacun, fondés par le
roi Humbert, décernés à la peinture et à la sculpture. Trois prix de
4,000 francs chacun, fondés par Saverio Fumagalli, décernés à la
sculpture, à la peinture religieuse, historique ou de genre. Un
prix de 4,000 francs, fondé par Antonio Gavazzi, décerné à la pein-
ture historique. Médailles et diplômes. — Les demandes d'admis-
sion devront être adressées au président, M. Emile Visconti-
Venosta, à l'Académie dèis Beaux- Arts de Milan.
Paris. — Quatrième exposition internationale de Blanc" et Noir
(pavillon de la ville de Paris). Dessins au crayon, à la plume, au
lavis, sanguines, fusains, gravures au burin, eaux-fortes, gravures
sur bois, lithographies, etc. — l*' octobre-30 novembre 1890. —
Délai d'envoi : expiré. — Renseignements : M. E. Bernard,
directeur, 71, rue de la Condamine, Paris.
Reims. — Exposition des Amis des Arts. 4 octobre-lt novembre.
Délai d'envoi : expiré. — Renseignements : Secrétaire de la
Société des Amis des Arts, Reims.
RouBAix-TouRCOiNG. — Exposiliou de la Société artistique,
12 octobre-n novembre. Envois avant le 1" octobre. Pour être
admis à exposer, les artistes doivent faire partie de la Société
artistique de Roubaix, moyennant la cotisation annuelle de 10 fr.
Renseignements : M. A. Prouvost-Benat, secrétaire, à Roubaix,
l
:J!L
L'ART MODERNE
311
pETITE CHROJMIQUï:
Nous avions fail erreur en supposant que M"'c Levoz, Tauleur
de hi bibliographie d'Emerson, dont nous avons rendu compte
dans notre numéro du 14 septembre, était aussi l'auteur de l'inlé-
ressanic traduction de Confiance en soi-même, parue dans nos
numéros des 3, 40, 17, 31 août, 7, 14 et 21 septembre. M"»" Levoz
insiste pour que nous le disions et nous le faisons 1res volon-
tiers; au lieu d'une femme spiriluelfc et studieuse, cela en fait
deux.
La réouverture des cours de l'Ecole de musique de Sainl-Josse-
tcn-Noode-Schacrbeek, sous la direction de M. Henry Warnots,
aura lieu le lundi 0 octobre.
Le programme d'enseignement comprend : le solfège élémen-
taire, le solfège approfondi, l'harm'onie, le chant individuel et le
chant d'ensemble. Tous les cours sont gratuits. L'inscription des
élèves aura lieu à partir du 6 octobre prochain, dans les locaux
de l'Ecole, savoir :
Pour les jeunes filles : le jeudi après-midi et le dimanclie
matin, lo2, rue Royale Sainte-Marie, à Schaerbeek ; pour les
jeunes garçons : le lundi, le mercredi et le vendredi, à 6 heures
du soir, 11, rue Traversière, à Saint-Josse-tcn-Noode; pour les
adultes (hommes), le lundi et le jeudi, à 8 heures du soir, 11, rue
Traversière.
Le peintre Albert Do Kcyser est mort à Anvers, à l'ûge de
61 ans. .
On annonce la mort, h Sitlard (Hollande), de M. Charles
Bclljens, le poète bien connu dans le monde de la littérature.
Les planches et les épreuves destinées au concours ouvert
par la Société des Aquafortistes belges pour la publication de
son troisième album annuel devront lui être adressées avant
le 1" décembre prochain. Passé celte date, elles ne pourront
plus être admises pour le concours de cette année. La Société
attire l'attention des intéressés sur le résultat du deuxième exercice
qui a permis de distribuer fr. 45-25 à chacun des auteurs des
planches publiées, outre la distribution diîs primes effcrtes par
M. A. Numans.
En plus du partage dji boni h résulter des cotisations, les
primes suivantes seront affectées au concours pour le troisième
album :
1" Une prime de 350 francs, dont 300 francs par le gouverne-
ment et 50 francs par la Société, pour le dessin d'un diplôme de
membre de la Société des Aquafortistes belges; sur cette somme,
250 francs seront remis à l'auteur du dessin que le jury jugera
digne de la prime; et 100 francs seront affectés à l'exécution en
gravure, par la Société, du dessin primé. Le dessin devra être
exécuté sur papier blanc, de n'importe quelle manière (à part
qu'on devra pouvoir y reproduire le sceau de la Société); ses
dimensions ne pourront excéder 36 centimètres sur 25;
• 2" Deux primes, respectivement de 150 et 125 francs, offertes
par M. Numans, seront décernées aux auteurs des deux meilleures
planches choisies pour l'album ;
3° Une prime de 100 francs, également offerte par M. Numans,
sera, sur l'avis favorable de la majorité des membres du jury,
partagée à litre d'encouragement entre les artistes qui enverront
une ou plusieurs planches au concours, alors même que celles-ci
ne seraient pas choisies pour l'album, mais h condition qu'aucune
de leurs œuvres n'ait été insérée dans le jtremier ou le deuxième
album de la Société.
La statue de Mendelssohn, que vient de terminer lo sculpteur
Werner. Stein et qui est destinée à Leipzig, a élé expédiée U
Brunswick pour être coulée en bronze. Mendelssohn est représenté
enveloppé dans sa houppelande légendaire. La main droite, ([ui
tient un bâton de chef d'orchestre, est appuyée sur un pupitre;
de la gauche, il lient un cahier de musique. La tête, encadrée par
dé légères boucles, est d'une grande noblesse d'expression. La
statue, qui mesure 2"',85, reposera sur un socle de granit de
Suède, orné de différents motifs allégoriques. Sur le devant, une
muse est assise, attentive aux accents de quatre petits génies qui
chantent et jouent à ses pieds. F,e monument aura une hauteur
totale de 7 mètres et sera érigé devant le nouveau Concérl-Haus.
L'inauguration auri lieu le 4 novembre prochain, pour l'anniver-
saire de la mort de Mendelssohn.
C'est le 15 octobre que M. Lamoureux cl son orchestre, au
nombre de 100 exécutants, partironl.de Paris pour la tournée do
concerts qu'ils doivent f;iire en Hollande, en Belgique et dans le
nord de la France. Voici l'itinéraire du voyage : le 16, Rotter-
dam; 17, 18 etlO, Amsterdam; 20 et 21, La Haye; 22, Hanrlem ;
23, Rotterdam; 24, Amsterdam; 25, Anvers; 26, Bruxelles; 27,
Liège; 28, Gand ; 29, Bruxelles; 30, Lille; 31, Roubaix.
Une grave nouvelle donnée par le Guide musical et qui inté-
resse également auteurs, éditeurs, organisateurs de concerts et
directeurs de théâtres :
Il se prépare, en Suisse, une campagne contre le droit d'auteur.
Le comité de la musique municipale de Berne vient de lancer un
appel à toutes les sociétés musicales helvétiques, en vue d'orga-
niser un péiilionnement en masse au Conseil fédéral en faveur de
la dénonciation de la convention littéraire franco-suisse de 1882,
et la conclusion d'une nouvelle convention qui tiendrait compte
plus efficacement dts intérêts et des usages traditionnels des
sociétés 'musicales suisses. Plus de soixante sociétés chorales et
harmonies^oni déjî» adhéré à la pétition.
Emile Zola a donné à M. Derenbourg, directeur des Menus-
Plaisirs, l'autorisation de repi^senter cet hiver, à son théâtre.
Une page d'amour, pièce en cinq actes, tirée de son célèbre
roman, par M. Charles Sanson.
On parle, pour les deux rôles principaux, de M. Pierre Berlon
eUle M"« Barety.
Une page d'amour sera représentée au mois de janvier pro-
chain.
Le Japon artistique. — Sommaire du n" XXVllI : Netsuké et
Okimono (suite et fin), par H. Seymour Trower. — Planches. La
Visite, par Oulamaro. — Six netsuké. — Études de fleurs, par
Hokusaï. — Motifs de décor. — Coupe à fleurs. — Petits
paysages, par Hiroshighé. — Esquisses de Hokusaï. — Narcisse
et Passereau. — Le Sapin Géant. — Motif de décor.
Les Hommes d'aujourd'hui (n° 378) publient la biographie de
M. Hippolyte Buftcnoir par Pierre et Paul.
r
<
PAQUEBOTS-POSTE DE L'ÉTAT-BELGE
LIGNE D'OSTENDEDOUVRES
La plus courte et la moitu coûleuse des voies eUlra-rapides entre le Continent et T Angleterre
Bruxelles à Londres en . .
. . 8 heures.
Vienne à Londres en.
. . 36 heures.
Cologne à Londres en . .
. . 12 V2 -
B&le à Londres en. . . .
. . 20 »
Berlin à Londres en . . .
. . 20
Milan à Londres en . . .
. . 32 -
XROiis (^e:rvice:is i^i%R «four
D'Ostende à 5 h. 15 matin, 11 h. 10 matin et 8 h. 31 soir. — De Douvres à midi 05, 3 h. soir et 10 h. 15 soir.
XR^ VERi^ÉE] Eiv XROii» he:ure:is
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partant journellement d'OSTENDE à 5 h. 15 matin et 11 h. 10 matin; de DOUVRES à midi 05 et 10 h. 15 soir.
Salons luxueux. — Fumoirs. — Ventillation perfectionnée. — Éclairage électrique. — Restaurant.
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liiverpool, Manchester et toutes les grandes villes de la Belgique
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A bord des malles : Princesse Joséphine et Princesse Henriette
Spécial cabine, 28 francs; Cabine de luxe, 75 francs.
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AVIS. — Buffet restaurant à bord. — Soins aux dames par un personnel féminin. — Accostage à quai vis-à vis des stations de chemin de
fer. — Correspondance directe avec les grands express internationaux (voitures directes et -wagons-lits). — Voyages à prix réduits de Sociétés.
— Location de navires spéciaux. — Transport régulier de marchandises, colis postaux,- valeurs, finances, etc. - Assurance.
Pour tous renseignements s'adresser à la Direction de rEsrploitation des Chemins de fer de l'État, à Bruxelles, à l'Agence générale des
Malles-Poste de VÊtat-Belge, Montagne de la Cour, 90*, à Bruxelles ou Gracechurch-Street, n» 53, à Londres, à V Agence de Chemins de fer
de l'État, à Douvres (voir plus haut), et à M. Arthur Vranchen, Domkloster, n« 1, à Cologne.
chez MM. SCIIOTT frères, 82, Montagne de la Cour, Bruxelles.
li'OR DÛ RHIN
DE
RICHARD WAGNER
Version firançalse de Victor V^TILDER
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Paris 1867, 1878* l*' prix. — Sidney, seuls 1" et 2« prix
EXPOSITIOIS AlSTEBDÂl 1883, ARTERS 1885 DIPLOIE D'HOIIEUR.
Breltkopf et Hartel, éditeurs, Leipzig-Bruxelles
TRAITÉ PRATIQUE DE
COMPOSITION MUSICALE
depuis les premiers éléments de l'harmonie jusqu'à
la composition raisonnée du quatuor et des principales
formes de la musique pour piano par J.-C. Lobe.
Traduit de l'allemand (d'après la 5^ édition) par
Gustave Sandre.
VIII et 379 p. gr. in-8". Prix : broché, 10 fr.; relié, 12 fr.
Ce livre, dans lequel l'auteur a cherché à remplacer l'étude pure-
menttbéerique et abstraite de l'hArmonie par des exercices pratiques
de composition libre, fut accueilli, dès son apparition, par une
faveuç^m^quée. La présente traduction mettra le public français à
même"Trapprécier un des ouvrages d'enseignement musical les plus
esti<i^és en Allemagne.
BruxeUes. — Imp. V Monmom, 32, rue de T Industrie.
Dixième année. — N" 39.
Le numéro : 25 centimes.
PiMANCHE 5 Octobue 1890.
L'ART MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE' LA LITTÉRATURE
Comité de rédaction » Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. —ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser toutes les communications à
l'administration géxéiule de. l'Art Moderne, rue de l'Industrie, 26, Bruxelles.
^OMMAIRE
L'kvknemënt Maeterlinck. — Ce que vaiît la littérature.
HELGE Documents à conserver. — La littérature au Palais. —
L'architecture au Salox. — Théâtre des Galeries. Fatinitzà. r—.
Petite chronique. . _
L'EVENEMENT MAETERLINCK
L'événement, et non pas l'incident, entendez-vous.
Malgré les dédains de nos journaux du Bel- Air, mettant
le monocle pour toiser ce poète, prenant son œuvre
d'une main négligée et daignant ne dire à son sujet que
les paroles savamment hypocrites qui permettront
toutes les attitudes ultérieures selon l'occurrence de
l'intérêt, la question Maeterlinck a pris des propor-
tions grandioses. Elle à gagné tout le journalisme
comme une. flambée d'incendie.
Mais il a fallu pour cela que M. Octave Mirbeau frottât
une allumette et mît le feu dans le Figaro. Jusque là,
ceux qui, en Belgique, et depuis longtemps, avaient
signalé l'exceptionnelle valeur de la Princesse Maleine,
avaient prêché pour les sourds. Nos compatriotes ne
lisent pas leurs écrivains et n'écoutent pas leurs criti-
ques, jusqu'au jour où on crie de l'étranger : Eh ! là-bas,
bons Belges, vous savez, il y a chez vous une littéra-
ture, regardez donc, vous marchez dessus ! — Alors, on
se réyeille> on regarde. La plupart disent : Ah! de la
littérature, chez nous, — et ils trépignent dessus un peu
plus fort. Quelques autres pensent : Ma foi, c'est vrai,
c'est de la littérature. — Et, la ramassant, la flairant, ils
la laissent retomber, avec cette réflexion : Ca n'en vaut
pas la peine. — D'autres, enfin, s'emballent parce que
l'étranger admire, s'épanchent en un enthousiasme
aussi délirant que peu durable. Et, finalement, après
son sursaut, cette indécrottable Belgique retombe dans
sa plate indifférence, et l'écrivain reste, comme devant,
le cher et discret admiré de ceux qui le comprirent dès
la première heure.
Nous écrivions, le 17 novembre 1889, à cette même
place, dans un article de fond consacré à la Princesse
Maleine: « Certes, si nous avions un autre public que
celui des désœuvrés et des doctrinaires ; si nous avions
une aîttre critique que celle des reporters et des cama-
rades, une œuvre telle que la Princesse Maleine serait
un événe ment. Impossible de jauger arithmétiquement
de combien elle est au dessus de la Lutte pour la vie
de M Daudet, de Révoltéede M. Lemaitre. Pour ces pla-
titudes où, pour la millième fois, est recuisiné le fade
potage du théâtre bourgeois, le journalisme, le noble
journalisme, a laminé des articles aussi longs que des
queues de comète. Les prairies des gazettes ont blanchi
sous les bandes de cotonnade qïii sont la prose de ces
messieurs. Soyez certains que, de la Princesse MaLeine,
/^
on ne parlera pas, on he parlera guère. Soyez certains
qu'à Gand, Maurice Maeterlinck est tenu pour un luna-
tique, un pauvre lunatique. »
Et dans le fait, on n'en parla pas, on n'en parla guère.
Un journal vient d'écrire : « Comme de juste, l'œuvre
étant d'un jeune auteur, d'un Jeune Belgique surtout,
aucun quotidien ne parla de l'éclosion de ce nouveau
talent ; hormis l'Art moderne et une ou deux autres
publications littéraires, aucune feuille ne s'on occupa ».
Elle dormait dans son sarcophage, la pauvre princesse,
quand Octave Mirbeau a interpellé violemment nos
Belges, critiques, journalistes, gens de la^oule, les trai-
tant d'ignares et d'imbéciles. Alors il en est qui eurent
honte, s'expliquèrent et se mirent à tartiner. L'un
d'eux s'excusa, et entamant un long élbgè dé l'ûeuvre, il ;
y intercala cette phrase : « Je m'étais bien proposé [de
relire la Princesse Maleine et d'analyser les sensations
à tète reposée. En attendant l'image de l'héroïne res-
tait très vivante en moi, bien que je ne connusse d'elle
qu'un détail, c'est qu'elle avait des cils blancs. Elle me
charmait ainsi .. Depuis, elle a fait son chemin. Des
chroniqueurs parisiens l'ont découverte et lui ont voué
des articles enthousiastes. M. Octave Mirbeau, dans le
Figaro , a mis M . Maeterlinck au dessus de Shakespeare .
Elle vient d'être éditée à Bruxelles ; c'est, me semble-
T-IL, LE MOMENT d'y REVENIR !! »
Y revenir, non. Y venir! Cet admirateur n'en avait
rien dit dans ses chroniques périodiques..
Et il y vient, enfin. Non pas pour louer sans réserve ;
ce grand effort, qui n'est qu'une belle unité dans les
efforts de tant d'artistes belges, essayant de donner
une littérature à leur petit pays; non pas pour les
souienir, les encourager, comme M. Octave Mirbeau et
M. Barrés le font dans les articles~que nous publions
plus loin ; ce serait méconnaître la prodigieuse envie,
le fielleux esprit de rivalité de ces. personnages; non,
ils en partent pour éreinter une fois de plus ces vail-
lants, comme ils auraient éreinté la Princesse Maleine
(qu'ils avaient passée sous silence) s'il l'osaient encore
après son foudroyant succès. Le bonhomme ajoute,
en effet : « J'ai soutenu parfois cette idée quç si nous
devions voir surgir une œuvre vraiment neuve et
originale, elle se présenterait sous une forme simple,
naïve, et que tout ce tarabiscotage et toute cette compli-
cation d'expressions, dont nous sommes si épris, était un
signe certain de décrépitude et de décadence. Or, cette
Princesse Maleine, qui nous donne l'impression de
nouveauté littéraire la plus franche que nous ayons
éprouvée depuis longtemps, se distingue précisément
par sa forme véritablement enfantine. J'en prends acte. »
Acte lui est donné de. . . de son incurable malveillance.
Le succès de l'un ne. lui sert qu'à injurier les autres.
«* Bien humblement, a dit V Opinion d'Anvers, pous
devrions rougir, de voir reconnaître par autrui ce dont
nous devrions être si fiers nous-mêines. C'est, hélas!
toujours l'étranger qui sacre les petits Belges; grands
hommes; voyez Camille Lemonnier, Félicien Rops,
Victor Wilder, ppur ne donner qiie ces trois et inou-
bliables exemples. N'est-ce pas outrageant que de voir
ces purs artistes nous abandonner, partir pour Paris où
là gloire les attend, et regarder de loin les pauvres
souff'reteux. d'art que nous sommes et qui doivent
végéter en un pays aussi inhospitalier que brumeux ;...
en Belgique on ne semble concevoir que le pot-au-feu de
la littérature et la réclanae du « Aap-Zeep ! «
En analysant les éléments de l'eflervescence qui
mousse autour de Maurice Maeterlinck, on y découvre
plus de venin que de miel. Il y a, chez un grand nombre,
un bas sentiment de regret à voir monter cette gloire
imprévue. Cette situation a été résumée par Lucien Solvay
àdiù^leSoir, au sujet de Vlndépendancehelge : « Un cer-
tain journal-coterie, pour qui c'est le suprême du genre
de ne trouver vraiment digiie d'hommage ou d'attention
que ce qui rayonne dans son orbite et ce qui vient de
l'étranger ; — petite chapelle, plus petite chapelle que
les petites chapelles qu'elle prétend parfois régenter ; — ■
cercle étroit de quelques personnes du bel air, offrant
^ en famille — le plaisant spectacle de leur provinciale
affectation à être partout, bruyamment, et à donner
partout « le signal des applaudissements »», faisant la
roue, étalant leurs grâces encombrantes, qu'elles se
flattent de faire prendre pour la fleur du bon ton, et
leurs camaraderies protectrices très remuantes avec les
personnalités clinquantes de tous les mondes où l'on
pose, y compris le monde du cabotinage ».
Dans ce même Soir, il a paru un superbe- article
disant à Maeterlinck les paroles essentielles, les paroles
réconfortantes d'un homme à un homme, quoiqu'il soit
signé^'un p^udonyme féminin :
« Encore sous l'impression qu'elles m'ont produite, je
laisse aux experts en littérature le soin de décider quel
rang elles vous assignent, au dessus ou au dessous de
Shakespeare, et je veux d'abord vous remercier pour
l'ivresse délicieuse et les émotions poignantes dont je
vous sui& redevable, comme chacun de ceux qui vous
" , ■ ■. , . -4.-' .■.■'»■> • ■■■ -1—, •• ,-
ont lu. Avec quçUe force vous éveillez en nous la pitié
et la terreur! Quel dramaturge nous a jamais donné des
sensations si intenses et communiqué si vivement le
frisson de l'angoisse universelle devant le mystère de la
vie? Sunt lacrymœ rerum. Qm donc avait ainsi noté
les sanglots des choses et trouvé des mots pour peindre
l'invisible, pour traduire ce que l'âiiie seule entend,
depuis la vague harmonie des étoiles jusqu'aux vibra-
tions plaintives d'esprits errant dans l'éther ? »
Comme il serait curieux de savoir l'impression de tout
pe tumulte sur l'âme du mystérieux Gantois, hôte habi-
tuel du rêve, voyageur coutumier des ténèbres. Il se
tait. A-t-il même entendu? Sait-il ce qui se passe? Va-
r
"3
t-il revenir des polaires régions où il laisse fluer sa
pensée, pour savourer le banal breuvage des louanges,
au fond d'amertume. Reste, reste là-bas, bien loin, bien
seul, cher esprit fraternel. Ni ceux qui te vantent, ni
ceux qui t'insultent ne valent la peine que tu déranges
l'ordre harmonieux de tes rêveries. Où trouver parmi
eux l'admirateur fidèle? On se sert de ton nom, de
ton œuvre, pour meurtrir et blesser. Né crois pas à la
durée de ces rumeurs. Crains de subir le sort commun.
L'engouement pour l'artiste d'exception que tu es se
métamorphose bientôt, chez nous, en indifférence, et plus
tard en haine. Vois l'histoire de notre littérature depuis
vingt ans. Qui a résisté aux rivalités? Ton merveilleux
succès n'est qu'un motif de plus de t'en vouloir. Tu
trouveras un jour parmi tes Nplus cruels ennemis ceux
quil lèvent aujourd'hui ton nom comme un étendard.
Demeure dans ton silence. Regarde de loin et du même
regard toute cette mêlée, et détourne-toi. Si tu vaux, tu
n'auras pas, toi vivant, ta juste place et ta récom-
pense. Tel que tu es, ce tapage fanfarant et sërénadant
autour de ta soUtude te fait peut-être douter de toi-
même.
CE m VAUT LA LITTÉRATURE BELGE
DOCUMENTS A CONSERVER
DÉDIÉ A « l'indépendance BELGE » /
I ■
L'arliclè que j'ai publié, sur M. Maurice Maeterlinck, m'a valu
beaucoup de lettres et aussi beaucoup d'articles dans les petits
journaux et les petites revues. Il y en a eu de tous les genres. La
vérité m'oblige à dire que ma modeste personnalité n'y était pour
rien, que le grand et mystéi-ieux talent de M. Maeterlinck en fai-
sait tous les frais. Je n'aurais pas imaginé,, surtout eu ce temps
^'^-vil^in, où la curiosité publique semble courir vers d'autres émo-
tions, que la littérature passionnât encore autant les esprits. Et
cette surprise de voir tant de gens, si différents]' s'intéresser à un
art si haut et si noble, m'a causé une vive joie. Pourtant, quel-
ques-unes de ces lettres et quelques-uns de ces articles n'ont pas
été sans me troubler profondément. On m'y reproche, avec une
courtoisie amèrc qui ne dissimule pas assez, peuttôl^e, l'impatient
amour de la réclame dont sont atteints la plupart de nos chers
rêveurs et de nos plus admirables résignés, on m"y reproche
d'avoir, pour en faire l'éloge, choisi un poète belge, alors qu*il
existe en France tant de jeunes — et si merveilleux — dont on ne
dit jamais rien.
C'est d'autant plus inconcevable et scandaleux à moi, que
j'aurais dû savoir ce que tout le monde sait, ce qae l'Indépen-
dance belge sait mieux que personne, c'est-à-dire qu'il n'y a pas
dé poêtes'^n" Belgique, qu'il n'y a rien en Belgique, et même que
la Belgique n'existe pas. Il parait que j'ai été dupe de grossiers
mirages géographiques, et j'ai pris des ombres mortes, des appa-
rences évanouies, pour des réalités vivantes. La Belgique ne
trompe plus personne aujourd'hui. La Belgique — cela est prouvé
de toutes les maniérés — n'est qu'une plaisanterie fnventée, un
jour de festin, par M. Camille Lemonnier : une mauvaise plaisan-
terie, comme on voit. Incorrigible et paroxyste gpbcur que je suis,
j'ai donc été, une fois de plus, mystifié, et de la bonne façon.
Voilà un panneau dans lequel ne donneraient pas M. Jules
Lemaltre et M. Bérardi. Oh! comme on a dû se divertir de ma
crédulité! Mon cas est humiliant, je l'avoue, et j'avoue que j'en ai
ressenti un peu dé honte et beaucoup de dépit.
D'autres moins catégoriques et plus judicieux et pareillement
ironiques — et ce sont des jeunes encore : les jeunes sont terri-
bles —r pensent que la Belgique pourrait exister, à la rigueur,
mais qu'elle aurait le plus grand tort de se vanter de sa problé-
matique existence, attendu qu'iln'y a là, vraiment, rien de bien
beau. Au dire de ces derniers qui sont de fort savantes gens, les
Belges, si tant est qu'ils existent, au sens strictement biologique
du mot, ne seraient, à proprement parler, qu'une variété de
singes.
Ce n'est pas ce qu'on appelle une nation, c'est tout au plus une
espèce zoologique, assez curieuse en soi, totalement dépourvue
de conscience et dé~ responsabilité morale, et (louée du dangereux
instinct d^ l'imitation. Les Belges imitent ce que nous autres,
Français, qui avons tout inventé, faisons ou rêvons de faire. Non
seulement ils imitent, mais ils contrefont; non seulement ils con-
trefont, mais ils précontrefont. Ils font, si j'ose m'exprimer ainsi,
de la contrefaçon préventive. C'est par là que ces ^animaux — les
Belges ma pardonnent ce terme scientifique ! — se montrent réels
et redoutables, en tant que singes, et parfaitement irréels et
négligeables en tant qu'hommes. ,
Aussi, à propos de la Princesse Haleine, qu'avais-je
besoin de crier au chef-d'œuvre? Sans doute, la Princesse
Maleine ept un chef-d'œuvre, mais, pourquoi est-elle un chef-
d'œuvre, cette* fâcheuse Princesse Maleine qui semble, au pre-
mier abord, nous arriver de Belgique, de cette Belgique idéale
qui n'existe probablement pas? Parce que cinquante jeunes, cent
jeunes, tous les jeunes ^se disposaient à la concevoir, quand
M. Maurice Maeterlinck eut l'étrange audace de la publier. Avec
ces façons-là, qui sont façons ordinaires, il n'est plus de littéra-
ture possible. Et mieux vaudrait vendre des saumures, surtout si
des écrivains français, impoliliques ou malintentionnés, se mettent
à soutenir cet insoutenable paradoxe qu'il existe sur le globe ter^
restre une Belgique, dans cette Belgique, des Belges, et, parmi
ces Belges, des poètes, et des poètes de talent!... Où donc
avais-je la tête quand me vint cette lubie ?
Donc, je ne demanderais pas mieux que de faire amende hono>-
rable et, pour rentrer en grâce auprès des jeunes de mon pays, je
serais assez aécidé à biffer, publiquement, d'un trait de plume —
qu'est-ce que cela me coûterait? ^ et la Belgique, et les Belges.
La chose est facile. Mais — telle est la tournure inquiète de mon
esprit — j'y ai quelques scrupules.
Au fond du révolté que je suis, il y a un réactionnaire timide
qui sommeille. Je ne puis pas oublier, tout à fait, ce que j'ai
appris autrefois, ce que j'ai vu, ce qui m'a ému, ce qui m'a
charmé. Bruxelles, Anvers, Bruges, Liège, Gand, toutes ces
merveilles où dort tout un passé de gloire, où rayonne encore
l'âme éternelle et protectrice de tant de génies : les Van Eyck,
les Rubens, les Van Dyck, etc., comment admettre que tout
cela n'est qu'un rêve, ou qu'une blague de Camille Lemonnier?
Comment admettre anssi que les Belges, si hospitaliers, si pas-
sionnés d'art, les premiers toujours à bravement accueillir nos
œuvres libres, à les défendre contre les routines de la critique
asservie ou indifférente, les premiers à les arracher de l'ombre où.
r
A
chez nous, loul conspire,- tout s'acharhe à les ensevelir, les prc-
imiers à les acclamer, lu les réaliser, dans leur forme vivante;
comment admellre que ces Belges ne sont que des singes, ou
qu'ils ne sOnl pas?.
Que diraieni M. Léon Cladeî, M. Emile' Bcrgerat, M. Chabrier,
M, Rêver?
Que diraient tous les refusés du lliéâlre, des librairies, des
expositions officielles, tous les pas-de-chance qui ont trouvé là,
pour leurs œuvres méprisées de nous, insultées par nous, un
asile fralp.rnel et sûr?
Que dirait l'ombre de Villiers, ce pauvre et grand VilMers, que
nous avons laissé mourir de faim, et qui put entrevoir, auy der-
nières années de sa vie, en celle vaine Belgique, où l'on entoura
de respect sa douloureuse pauvreté, ce qu'aurait^té la gloire due
h son exceptionnel génie, par nous méconnu ou nié?
Que dirait M. Stéphane Mallarmé qui, hier encore, faisait
entendre son éloquente et si fidèle parole à ces Belges, qui non
■ seulement ne ricanaient pas, mais le comprenaient, ravis de la
noblesse de ce haut et rare et exqqis esprit, tant de fois raillé par
les plaisantins de la chronique, incapables de concevoir qu'il y
ait tant d'an dans un cerveau, tant de simpliciié dans une ûme?
Où donc a-l-on mieux fêlé qu'en Belgique les inimitables œuvres
de ces êtres de luxe'l Huysmans, le fastueux et dégoùlé cher-
cheur des au-delà ; Verlaine, le douloureux vagabond de la pitié
humaine; Laforgue, qui sut faire battre, dans ses phrases, le
songe ailé des âmes invisibles et donner ajux mots ce murmure et
ce frisson des choses que seuls entendent, que seuls sentent les
précoces élus de la mort ?
£l-si la Belgique, au contraire, élait la terre unique où ceux-là
d'entre nous, abreuvés d'amertumes, écœurés d'injustices, lassés
des luttes stériles et sans espoir, ont eu celle joie si délicieuse et
si grave de se savoir enfin compris, de se sentir enfin aimés?
C'est que je me souviens de Villiers, lorsqu'il revint de son
dernier voyage en Belgique. 11 élait tout transfiguré.
Lui, connu chez lui de quelques amis et de quelques artistes
seulement, il 8'éionnail,avec celle outrance naïVe qui le rendait si
touchant, d'avoir rencontré, Ik-bas, tant de gens familiers avec
son œuvre. - —
IP fallait r"entendre raconter les incidents de celle promenade
triomphale,. les honneurs amicaux .qui lui avaient été rendus, les
marques de déférence qui s'atlachaient, partout, à sa pauvre per-
sonne, jusqu'alors si durement sevrée des caresses de la gloire,
(les douceurs mêmes de la louange. Cela lui avait redonné con-
fiance. ,
Il faisait des projets, des projelsqu'il expliquait avec de grands
gestes d'enfant. El ce souvenir, qui fut, dans sa vie toute pleine
de rêves avortés, comme une courte halle de bonheur, l'accom-
pagna jusqu'à la mort.
Ces souvenirs du passé, et ces souvenirs d'hier, me gênent pour
dire tout le mal que pensent de la Belgique et des Belges certains
jeunes, affamés de réclame, et qui s'imaginent qu'on les vole quand
on parle d'autres écrivains qu'eux.
Parler d'un Belge, c'esl-à-dire de quelqu'un qui se sert de la
même langue qu'eux, dont les livres peuvent s'étaler aux mêmes
devantures à côié des leurs, n'est-ce pas une odieuse trahison? ■
Et puis, quand je n'aurais, pour me défendre conire celte tenta-
tion, qui ne me tente pas, d'ailleiirs, que la reconnaissance intel-
lectuelle que je dois à M. Maurice Maeterlinck, cela suffirait à
arrêter ma plume. "- . "'-y
En citant, l'autre jour, quelques extuails admirables des Serres
chaudes ci de \a Princesse Maleine, je n'avais lu les Aveugles,
qui viennent de paraître i"éccmment.
Et ces Aveugles, ces merveilleux Aveuijles, ont encore fortifié
mon enthousiasme .pour ce jeune poète, qui est véritablenfient le
poète de ce temps, qui m'a. révélé le plus de choses de l'ûme, et
en qui s'incarnent, le plus puissamment, le génie de sentir la
douleur hùlnaine, et l'art de. la rendre dans son infini de beauté
triste et de tendre pitié. . -
Et. puis, et puis, il y a autre chose.
Les jeunes— certains jeunes — les jeunes dont je parle, me
font rire ayec les œmq^es qu'ils promettent toujours et qu'ils ne
donnent jamais.
Ils me font rire avec leurXjournaux et leurs revues, leurs mani-
festes et leurs programmes. AMes entendre, ils vont tout révolu-
tionner. Assez de vieux arts morts et de vieilles littératures pour-
ries! Du nouveau! du nouveau! Deiluaccessible, de l'inétraigna-
ble, de l'inexprimé !
Et toute cette belle ardeur, tout ce brùtanl tapage se réduisent
à ceci : appeler « pied plat » M. Edouard Noël, qui leur refuse
des billets de faveur pour l'Opéra-Comique. «N^^us à M. Edouard
Noël! » tel est le cri de guerre. Et ils s'étonneiit que le public
indifférent ne se demande pas : •' \
« Mais qui est donc ce M. Edouard Noël, par qui la Ijtlératurc
est serve, el qui est un si fâcheux empêchement à l'évolution de
l'art nouveau? Et quand donc sera-t-il écrabouiUé définitive-
ment? »
Cjîs jeunes-là me feraient presque aimer les vieux Sarcey.
. Octave MiRBEAU (1).
Paris, 22 septembre 1890.
Monsieur et cher Confrère, (2)
Vous me dites qtie « vous procédez à une consultation des
hommes politiques français, sur ce qu'ils pensant de la situation
politique ei intellectuelle de la Belgique, et des relations de votre
pays avec la France ». Je suis très sensible à l'honneur que vous
me faites de vous préoccuper de mon opinion. .
Permettez-moi, toutefois, de laisser le soin de vous parler politique
à des hommes qui auront plus d'autorité. Si nous parlons de vos
écrivains contemporains, nous tombons en pleine bataille. Vous
avez dix revues uniquement ardentes pour les choses d'art : ÏArt '
Moderne, \z Jeune Belgique, la Wallonie, \à Ple'iade,'\a Revue
belge (nous pourrions continuer encore). On les exalte et on les
dédaigne, du moins il est fort difficile de les ignorer. Nous
sommes tous d'accord que M. Camille Lemonnier a écrit de beaux
livres. Entre divers ouvrages du même écrivain, je préfère sans
comparaison Thérèse Monique que lui-même dédaignerait peut-
être. Ces brusques lournantsdans la carrière d'un même écrivain,
comme l'irascibilité de ces revues de poètes, prouvent une foric
iniensjté de vie intellectuelle. ,
La Société nouvelle et votre monde socialiste ont une attitude
bien particulière. 11 est certain que des penseurs comme M. de
Laveleye ont conquis la haute estinae de toute l'Europe.
Vous avez une merveilleuse vigueur de pensées et une vigueur
toute belge. Comment ne vous aimçrions-nous pas, nous autres
' (i) Extrait du FigffO'o. .
(SfEilrait de fa Nation.
Français, qui retrouvons cliéz vous notre grande culture, avec
des différences d'appropriation aii milieu?
Nous vous aimons surtout quand vous êtes Belges, car nous
n'avons pas cessé de souhaiter une ferle décentralisation de la
pensée française, devenue trop uniquemcni parisienne.
Permettez-moi d'oublier les frontières politiques pour ne voir
que la géographie intellectuelle de l'Europe, et de dire que vous
faites de l'excellente décentralisation Française, De mon point de
vue de Français, j'y vois un honneur pour la France, comme de
votre point de vue belge, vous devez Irouver-là uii témoignage de
l'excellente énergie de la nation et du sol belges. Vous nous faites
voir un aspect particulier de noire pensée, comme le Genevois
Rousseau est indispensable à l'intégralité de la pensée française.
Vos penseurs et écrivains font partie de notre courant intellec-
tuel. Vous profilez de nous, nous profitons de vous : nous
sommes des associés. El il ne peut y avoir entre les deux pays
que des sentiments de haute estime et d'alfection qui unissent des
collaborateurs.
Veuillez agréer, Monsieur êl cher Confrère, l'expression de mes
sentiments très distingués.
Maurice Barrés.
veilles? Autour de lui sorit des livres en désordre, fiévreusement
parcourus; sa télé repose pensive dans sa mîain, la plume &cst
alourdie entre ses doigts, l'inspiration rébelle se rit de ses efforts.
Ames compatissantes, plaignez-le, mais abstenez-vous de le dis-
traire ! C'est un Procureur Général qui prépare son discours de
rentrée. Même au sein, dés vacances, l'éternel souci du devoir à
remplir le poursuit et l'obsède; il l'accompagne dans lés brumes
du cap Nord; il escorte ses pas sous le ciel lumineux de la
Grèce ou de l'Italie! Laissons-le à ce dur souci et revenons aux
autres ».
M. le Procureur général Van Schoor a heureusement rompu
avec l€ préjugé qui voudrait fermer la poriedu Palais à la litté-
rature.
A l'exemple de quelques-uns de ses collègues de France, il a
rappelé ainsi que l'art ne doit jamais être écarté, et venant de
haut le conseil sera, nous l'espérons, conrtpris ei suivi.
LA LITTÉRATURE AU PALAIS
11 s'est passé le 1" octobre, en l'austère demeure de Thémis,
un petit événement dont la littérature a le droit de se réjouir.
Dans la mercuriale qu'il est d'usage de prononcer devant les
chambres de la Cour d'appel solennellement réunies, en présence
d'un auditoire nombreux, M. le Procureur général Van Schoor,
délaissant les arides sujets empruntés à la rigidité du Droit, a
résolument parlé de choses souriantes. Il a audacieusenient, devant
ces magistrats laborieux et graves, fait l'éloge des vacances, et il
a, poussé la témérité jusqu'à employer, dans son discours, une
forme élégante et harmonieuse, des images pittoresques et choi-
sies, en un mot, une langue littéraire.
« Les vacances! Que d'idées souriantes naissent à ce mol. Nos
pères en ont apprécié le mérite et les charmes; nos successeurs,
quand depuis longtemps nous dormirons dans l'oubli, en béniront
encore les effets bienfaisants. Parmi les nombreux sujets de dis-
cours, convenables à la circonstance, qui s'offrent à l'esprit, il en
est de plus doctes et de plus utiles; je n'en connais pas dé plus
agréable. Vous me pardonnerez sans peine de l'avoir choisi pour
en faire le texte de la mercuriale qu'une loi prévoyante vous con-
damne à entendre, afin de vous remettre en mémoire, au début de
chaque année judiciaire, ces deux grandes vertus de votre étal ;
la patience et l'attention; «
Durant une heure et demie, l'orateur a charmé l'auditoire en
évoquant devant lui ces semaines de repos et de rafraîchissement
intellectuel, si salutaires quand elles sont, «une halte sur le
chemin du travail ». 11 Ta fait avec tact, avec mesure, avec
infiniment d'esprit et de délicatesse, semant son étude de cita-
tions littéraires et de souvenirs personnels.
El lui-même s'est joliment présente à l'auditoire en ce croquis :
« Quel est donc, ce touriste, à l'esprit sérieux cl grave, resté seul
dans sa chambre d'hôtel pendant que ses compagnons promènent
au dehors leur insouciance et leur gaieté? A ses yeux se déploient
d'adorables spectacles,yucs montagnes aux cîmes neigeuses, un lac
bleu inondé de lumière. Pourquoi délourne-l-il la vue de ces mer-
LARCHITËGTIJUË AU SALOX
/
Depuis que la Société centrale d'architecture, en organisant ses
expositions spéciales de 1883 et 1886 donl le succès artistique fut
si vif, a prôné l'abstention aux expositions triennales du gouver-
nement, les Salonnels d'archilccture y ont perdu une grande
partie de leur intérêt, en ce sens qu'ils ne nous offrent plus pério-
diquement le résgmé de l'activité artistique des architcclesbelges ;
les aînés, les arrivés et les arrivants réservant leurs œuvres pour
ailleurs, il ne reste plus que les compositions des jeunes concur-
rents pour la fondation Godecharle. Sans insister davantage, l'on
voit. d'ici l'allure académique et écolière qui caractérise le Salon
d'architecture de 1890. Bien des concurrents ont, certes, fait
preuve de talent et laissent percer celte « aptitude spéciale » que
Godecharle a exigée pour l'octroi de ses bourses de voyage;
l'ensemble des projets ne représente néanmoins que l'expî-es-
sion d'efforts juvéniles très honorables, et non la participation
exacte de l'Archilecture à une fêle des Beaux-Arts. Sans vouloir
méconnaître les excellentes raisons qui ont décidé la Société cen-
trale d'architecture à créer des expositions dont la peinture et la
sculpture soient absentes, nous croyons cependant que l'abslen-
lion dos architectes aux Salons triennaux esl rogVcttablo; pcul-
êlre*pourrail-on les y ramener, mais en les engngéiint (afin de ne
pas faire tlouble emploi avec leurs expositions techniques), à
présenter lcur§ envois d'une façon plus mondaine qui puisse arrê-
ter et captiver le public incompétetvt : c'est ainsi qu'au lieu do
plans, de faces géométrales et de Coupes incompréhensibles pour
le vulgaire (et qu'une grosse dame qualifiait, hier, de modélca
•poiir bâtir l)y il serait désirable de grouper des croquis h la plume,
des aquarelles, des perspectives, des détails de mobilier, des
maquettes, et à faire ainsi de ce Saloniict d'archiiecturc quelque
chose de chatoyant, de vibrant, de pittoresque qui parvînt à
amuser ce grand enfant de public, loul en l'iniiiant aux mystères
d'un art formé et hautain. Il y a là le germe d'une idée que no\\<
soumettons, aux rédacteurs de la savante revue d'arcliitt'cturo
r.^mw/fl/ioîJ, leur laissant le soin, en leur experte compétence,
de la faire mûrir et fructifier.
• Passons maintenant, sans plus de préambule, à l'examen rapide
des œuvres exposées, en étudiant d'abord celles qui semblent dcs^-
linécs au concours Godecharle.
L'ordre a|[)habétiquc nous mène, pour commencer, devant le
f
Palais des Arts de M. Lambot, vasle composition, un peu trop
élcnduc peut-être, mais où les salles d'expositions, les halls.de
^-sculplure, les galeries de moulages, etc., sont groupés avec infini-
ment d'habileté et ^e goût. La façade, à part la coupole trop
lourde, a des parties de belle ordonnance, et la coupe présente
une variélé tte -dispositions qui ne détruit pas Thomogénéilé de
l'ensemble. 11 y a bien, de ci de là, des détails parasites et, dans
le plan, une surabondance de motifs qui pousse au papillolage,
mais ce sont là défauts d'exubérance à mettre sur le compte de la
jeunesse et qui passeront vile, ainsi que les ans. En résumé,
science déjà bien marquée et grande habileté de patte avec ten-
dances défînies vers le goûl sûr : une halure d'artiste, enfin.
Envoi archéologique de M. Vaerwyck : una^Eglise romane el une
Eglise du X F/« siècle, celte dernière dépoi^ue d'intérêt el rap-
pelant nos grandes églises veules des Flandres. En revanche,
l'église romane est bien, très-bien : de matériau'x alternés, comme
à Sienne el à. Spire, elle séduit par sa composition générale et
renferme des parties heureusement venues : telles le portail,
le pignon avec rudimentaires et basses tourelles-pinacles et
l'abside du chœur, d'un sentiment plein d'imprévu avec ses arca-
lures se profilant sur un- arrière- fond conique; seule la grande
tour, avec son passage assez naïf du carré à l'ocloggne, laisse à
désirer.
De MM. Vaerwyck cl De Beule, un médiocre Jl/oni/wf 71/ de
S. G. Mgr Lambrechl, évêqtte de Gand ; composition générale
asse^ banale et manque de simplicité dans les détails : trop de
pinacles et de dentelures trilobées.
M. Vander Hacghcn nous remontre son Phare monumental que
laura, en 1888, l'Académie de Belgique; pas plus qu'alors ce
phare, à la ligne manquant de jet, et qu'un coup de poing semble
avoir fait rentrer dans sa double collerette de terrasses balourdes,
n'est parvenu à nous plaire ; il nous souvient que certain autre
phare, classé second, et qui se distinguait par une grande
élégance de formes, fut préféré de beaucoup, par les artistes,
au projet primé. Nous ne trouvons pas non plus trace de goût
dans le, vasle projet de Bourse avec tnbunal de commerce^ que
M. Vander Haeghen joint à son phare : le plan, d'une sécheresse de
lignes extrême, rappelle ceux des grands prix de Rome du premier
empire; quant à la façade, si certaines masses tiennent, en
revanche rorneinenlation et l'élude de divers fragments laisse
beaucoup à désirer à plusieurs points de vue.
M. Van Dicvoet a eu à lutter avec les difficultés du programme
qu^il s'est imposé ci il n'en est pas sorti victorieux : étudier les
dispositions les plus favorables à donner à un Cercle militaire
était, certes, intéressant, mais on doit reconnaître que le parti
adopté par M. Van Dievoei n'a pas des proportions bien harmo-
nieuses : de plus les vestibules sont un peu vastes, l'accès des grands
escaliers dans le soubassement assez étriqué-, enfin la soudure du
grand manège avec le cercle même trop visible. La façade latérale
a des parties assez bien venues, notamment les avant-corps el le
manège logiquement exprimé, mais nous ne pouvons admettre la
façade principale d'une silhouette cubique désagréable et que ne
relève guère une ornementation monotone.
Le Palais des Arts industriels et décoratifs de M. Maurice Van
Ysendyck semble être plutôt une étude d'essai qu'un projet mûri ;
il y a de la naïveié dans l'arrangement des galeries qui contour-
nent le monument principal, et la profusion de colonnes émaillant
le plan est l'indice d'une maladie académique dont l'auteur devra
chercher à se guérir, La façade, bien sage, est conçue suivant les
bons principes de l'école des quatre colonnes et un fronton; au
lieu de cette non-subversivilé, nous eussions préféré quelques gros
défauts avec, dans certains coins, des indices de cette fougue
juvénile, qui permet l'espoir d'un talent futur.
Celle fougue et l'esprit d'invention nous ne les retrouvons pas
davantage dans le Théâtre de M. Veroecken, qui s'est borné à
reproduire, avec tous leurs défauts, les plans de nos théâtres
existants : couloirs allant en se rétrécissant, escaliers circulaires,
locaux de l'administration séparés de ceux de la direction, entrées
spéciales pour les artistes el pour les figurants (!), etc.. Que
diable! les architectes ont fait depuis trente ans des progrès dans
la construction des théâtres, léipoins les opéras de Vienne, de
Hanovre, de Francfort, de Paris, etc., el M. Vereecken, pour
qui l'architecture étrangère semble lettre morte, en est encore à
copier les œuvres constipées de 1830. La mcHleur'e pai'tie de ce
projet réside dans les grands escaliers, trop développés toutefois
aux dépens du foyer passablement étriqué; mais, dans ses grandes
dispositions, le plan manque d'ampleur et de silhduette. La façade
est d'aspect lourd : ce qu'il y a de bon, ce sont les élémenls
empruntés aux rotondes du Vaudeville et de l'Opéra de Paris; le
mauvais, c'est la sculpture bien anversoise mise un peu partout.
En coupe, la salle est absolument nulle, et la banalité n'en est
guère rachetée par une avant-scène sans aucune proportion.
A côté des projets présentés pour le «encours Godecharle vien-
nent se grouper quelques autres œuvres.
M. Jean Baes n'a pas été heureuiren sortant de ses cartons deux
œuvres de jeunesse, un Pont monumental et uneEntrée de tunnel,
et en les présentant peints à l'huile : ses fonds de paysage con-
ventionnels, de tons douçâtres et flous, et les patines données aux
pierres alourdissent ses compositions et en accentuent les défauts.
Que M. Baes revienne vite à ses tvater-colours qu' il tr&ile agréable-
ment; l'expérience qu'il vient de tenter est concluante : l'aquarelle,
avec ses touches légères et sa transparence, peut seule convenir
aux rendus architecturaux.
Nous ne comprenons pas pourquoi M. Buysschaert a envoyé
au Salon son Projet de transformation de la rue de Schaerbeek;
l'idée, excellente en soi, ne relève nullement des Beaux-Arts :'
c'est un pur tràvaH d'édilité. Le plan indiquant clairement la voie
nouvelle à créer, l'auteur a bien inutilement consacré un tenips
infini à une laborieuse vue à vol d'oiseau d'une facture peu
réussie, sans dégradation de plans, et qui eût demandé à être
traitée par un aquarelliste habile. Une erreur de perspective : les
serres du Jardin botanique paraissent être établies sur un plan
incliné parallèle à celui du boulevard. ^-^
M. Hauman avec son Monument aux frères Mascart, et
M. Horta avec son esquisse de façade de Palais des fêtes ne
sortent pas de la banalité.
Deux énormes châssis consacrés par M. Kockerols aux relevés
et à la restauration de l'église Saint-Paul à Anvers sont intéres-
sants à examiner; les dessins à la plume, dénotent à défaut
d'habileté, de la patience el du soin. Ce sont là qualilés appréciées
dans des agences d'architectes, mais elles ne peuvent entrer en
ligne de compte si, comme on nous l'assure, M. Kockerols se met
sur les rangs pour le prix Godecharle : le moindre grain de...
talent ferait bien mieux noire affairé! A en juger d'après la res-
tauration du pignon follement Renaissance inspiré de Sanderus,
ce point est contestable.
Après avoir été présentées au Grand Concours, de Bruxelles et
avoir figuré à l'Exposition universelle de Paris, les habitations
V
^■■"■■^■/"■^; fy.^;v
::v -^'1 ; '■ ■
■:-f. iVi
i!^
^,')^ C^'î''i,r''''"Vr
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archéologiques de M. Paul Sainlenoy nous reviennent maisJàtk
guées et alourdies par le voyage : nous ne retrouvons plus les
lavis, pimpants de fraîcheur, du début, mais les divers élémeiits
mis en œuvre témoignent toujours du culte fervpnt que l'auteur
professe pour les styles du passé. Un gros mauvais point $'
M. Saintenoy pour son Hospice d'Archennes ; compositiojni
banale, rendu lourd et saucé sauf les petits buissons roussie et
verdoyants qui sont bien gentils, eux ! «i
Nous reneonlrons de nouveau M. Van Dievoet avec six petites
façades que nous désirerions voir réduire à deux : la Reiiafs-
saiice italienne paraît être sa noté préférée; qu'il s'y confine cl
n'essaie plus à l'avenir du gothique ou de l'égyptien.
• • • • •• ■ • • • • • • • • • • • * ^*
Cy finist le malQjnconlrcux Salon d'architecture de 1890.
Jhéatre de? -Qalerie?
fatinitza
Les rythmes sautillants de Fntmifza ont, depuis 1876, fait
polker, valser, galopper l'Autriche, l'Allemagne, la Belgique et
quelques nations voisines. Première en date de la série d'œu-
vreites viennoises qui renouvelèrent le répertoire un peu défraîchi
d'Offenbach, le succès qui l'accueillit au Cari Théâtre (le basa rd-
des voyages nous fit assister à la première représentation), fut
énorme. Et durant des mois, le trio, le fameux trio bouffe du
troisième acte, propagé, par les musiques militaires et les orgues
h manivelle, devint une obsession.
On se souvient de l'interprétation entraînante et gaie que donna
de Fatinilza, en 1878, sous la direction Humbert, la troupe de
l'Alcazar, dans laquelle marquaient M"^ Preciozi d'Aulnay,
MM. Mario Widmer, Paul Ginel, Geraizer, Castelain, qui Ht du
rôle de l'eunuque une inimitable création. Reprise en décembre
1883 par M™* Olga Léaut, la partition de M. F. de Su ppé res-
suscita à l'AlcazaV les brillantes soirées d'antan. MM. Mario
Widmer, Geraizer et Castelain étaient rentrés en possession de
leurs rôles respectifs, et M"* Lacourrière avait succédé à Mi'" Pre-
ciozi d'Aulnay dans le personnage du lieutenant Vladimir.
Voici, pour la troisième fois, la toile levée sur le blockhaus des
avant-postes russes, sur le défilé des cadets icherkesses et des
cosaques barbus, sur le harem d'Izzct-Pacha, sur la terrasse du
palais de l'invraisemblable Tchitchatchef. Et cette fois encore, la
foule a paru prendre goût à la fantaisie du livret et aux caprices
du compositeur. Le trio a été bissé, — invariable tradition. Et si
quelques faiblesses des Chœurs et des rôles épisodiques ont jeté
une ombre sur celte soirée d'ouverture, la représentation a néan-
moins marché à la satisfaction de raùdiloire.
MM"»** Morin et Dorange, MM . Larbaudière et Guffroy ont donné
de l'œuvrette une interprétation consciencieuse, qui se perfec-
tionnera encore lorsque ces artistes se « sentiront les coudes ».
Quant h M. Castelain, il a retrouvé son succès d'autrefois, et sa
pantomime, ses grimaces, son grimage extraordinaire ont excité
la plus folle gaieté.
•fETITE GHRO^iqUE
Nous^onsacrons dans notre prochain numéro un article à la
nouvelle troupe du Théâtre de la Monnaie, qu'une absence de
notre critique musical nous a empêchés d'apprécier jusqu'ici,
■ ■ <
La maquette du décor de la iorêl de Siegfried a été, d'il l'Indé-
pendance, transportée au grand atelier de MM. Devis et Lynen,
quai aux Barqu.cs; mi n'a pas encore vu à la Monnaie de décor
aussi touffu et aussi découpé que celui-là. On achève la maquette
du décor du premier acte, la forge de Mime; au troisième acte.
MottI, de
r:,gùrî!i;
dcuxi^felabloâu; nous'reirptjvèVoa§ le qljéc^'' du trois|èmrc.cïe i« "
Valkif rie ^. celui dé la GhéVauehéç àeè Wàîkurfes et du SâmoieÙ
■■dQ''Brtihtihildeii;.i ,U :./■ ,. ^•'•]'^-'. y' '■'' -'-'''i'--' ■■■■' ■■.).'' '■' ' ■ y'
' : Tous «es décops-àerofti terffiinés dans un bçn niois. Qn èôinplë
tptijpurs passèjr^4« 2p îuj ^& novembre'. ] \'y.t V*: : ■"'}'■'■ '
. . ||ojiio|is que M. La|iargèprorr|ei d'être ui\'^lgfried de preyoriier
Qrdr^eét'q^ie 1^ débirt (Je M™* Lànglajis dans le rôle de vRriinirfiilde
sera ,' cfit^n", une TéV.é)jatîon . , M . Fnanz Sef vais, qui fait- répétei*, >;
. . assidun[ienf rQuvragei'lpgjt'âlt particulièrement enchanté de ^ès^ ; ,
.deiix rrrtefptètésJ'^;,.:,;.;-:',^.^:'^:':-''"^^' ^ -■■-■'' -" ( <•>.'"'"
' C'est le 19 jiiillet quVft&niniencera la pnOnchaine sëj-ie des rçpré:^
senlations'dé- Bàyi'euih.On jouera dix iôis Parsifui, çept fois
^ûrWihâHser e\ IrQisfdis :^m/fln et JseuU. Vpiéi les dat^s; dëfi'ni:
tiyementarrêtéespoitpçes représentatipnVexflepiiorita^
Airsî/a/, iWiO, 23^ 26; 2& lufllet i^, 6, ft, 12^16 et'-l&août^
Tm^an fi/ /«««'^^î, lés 2a juillet/ :B^ : !.. •
Taiinhâiisir, Jcs^^S; 27,-30 juillet ; 3,^-10,; 13 èlAS aôiïtr^ :. "
- L'orchestre «era, tomme les années «précédentes, placé soiis.la
- dtreolioiJn de MM. ,Berman.ivLév.i, de Munich, et Félix Mott
Caflsruhe, M. Aiiiôrt Fu'chs, régisseur dé l'Opéra de Sjuniçh,
la direction delà scène. • .. •• • ' -
, Quant à-lfl par^e chojrégrffphiqiiô do Tnhnhau's'èr^' lidîreoi'xon^
ert.sara,-confiée,à M"" Virginie Zucchi, de.Milap:. ; i'- '':
, BT. Jean|ulHeo, rauleur dfi A^fl^^re, que la Iroiipé de M. Antoine'
esivoiïue'reprèsenterau i.héâtrc.du .Pàrc avec un succès retè'niis-.
sani; Siçnt de*terminer unépantotnime en nnixçAC), Itlusiom pér<: {
*dMé!'s,,mûs^iquedcGà$to.nPauIiri.^- ' / ■ . \ ._ ,\
• Celle panicfmirtié^ra prochainement représentée à,Pari5.. ^
Atijourd'hû} .S'ouvréî à Paris, saus la dircdtion .<lc MM.'P; l^brt
et Ly . Germain, lé thé.âtre Mixle,. par .une. matinée "xlonnée-; au •;
iteâtpe Beaumarchais. Voici le programme da çeWe première ;/>
repréSentJ^lioli ';.i:-"'^/-y ■" ■:•.';,■ f ;:■•'' ..-i-i ,. ' ■• ' '"■'■ ■i"C"'?-'V'
Il ipbnférm^ SVP ie ThéAtre ■ h\oderk(i, par M . L. 'Gerniaii^.; ^' -^
\l,.CoAi^jé(^ii^l^\x^M^^^ vers, par M^h. Gi-andmpu^iB^^^^^ . ).
(L'àutéur ihlétprèiëi'^ie rôle de C|iïn). lll.' La p'etit'e ^ête, tèmé-'
die en un acte, én;prdse',.p,îfn M.,P. Vo'tX.lX:, Frai^çoia'Vûlàtn}. '
drcn^é ciijuniai?le,'en vers,- pat^ m; t,. Germain. (L'euieof inter^;,
prètelCa ie rdle de François Villpn). V. Kaliisfo, comédie en urii;* ^
acté,,éjîvçràj par . T.. Gàyda% Une innovation à signaler iilascèncï;
seule sera éclîTirée pendant là représenlatioi^ ^^ ,.
Le ;huméro d'pclobré du, . Jl/aja:îfrtc 0/ ^r/ ^Londres, Cassell
et Ce)v qui clôt Wxin*volo'6ie/<ïe CCI important périodique,^^ est.
pariicUlièremeut intéressanl." A npt^r > une éludé de; M; Geprges .-»■ .
Moore-sUr Pégase alveeirpis illustr^lions reprodiiisanl dès feuvres / '
du maître; iin àriiçle sur Joseph. Iscaëls, .par M. David Croâl
Thomson, illustré de' sept dessins et d'pne.;pholpgravure; une j,,
élude^ dé.M;- Claude Philips sur quelques' sculpiçurs français.
(BJarrias, Daloû, Lanson, T6nx>JSoëI)..' - ■ ; ■
Lxj Mûgnzine of Àri ^xvapnCe la publicalion,.daHs sa proclwinc- .
j^ivraison, d'une gravure' d'âprèa le tableau de Watts : Fo/a Mor- . "
gana.'f ■ . '""■■_ ' ' „ ' ■'[■ '7 ■ '■ ■' .."
M'^^Yan. Zandt est engagée pour faire. une ipunvée '4u ftussïc,
aux appointements de 150,000 francs pour trente' représentations,
"^"e Van Zandt paciirtL à \a fin de décemb'ré. . •: '
Le? $ciiréés Populaires de Verviers viennent d'insthuer un '•
nouveau concpiirs de liltéralure, ouvert' ù lotis les élevés d'une; .
école officielle. LesojeHmpbsé.esl : Le. Professent. Le. conçonrè . . .
scra;clôtur,é;ié if'japverlSâl. ' ' .. ";. ^(;^' •.;.;.
Â^dresser, pour connaître les conditions de ce concours, •»?/
M. Léon Lôbet, il Verviers, président de rôeuvre* . ^ ,-. ',-<
Sommaire de Èà revue blanchei. {séplemhre 1890):'^vBoùr
rOmbi-e, Thadée Nalaûson. — La Ronife, André de Càvors. —
En Italie, Ch. Lecleréq^^f^J^a Pantomime,' Masque;.— Brusselis,
Paul LeclBrCq. ^ La Pfitrie incpnnue, Henry Bérengér. ^ Sur un
tableau, du a Louvre, 'J. Degeraisme. — Etudes descriptives, ,
P.-R^HirSch,r- Les tra(as.de M. Bourgeois, X. r, .
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Traduit de l'allemand (d'après la 5« édition) par
Gustave Sandre.
Vlll et 379 p. gr. in-8». Prix : broché, 10 fr.; relié, 12 fr.
Ce livre, dans lequel l'auteur a cherché à remplacer Tétude pure-
ment théorique et abstraite de l'harmonie par des exercices pratiques
de composition libre, fut accueilli, dès son apparition, par une
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même d'apprécier un des ouvrages d'enseignement miusical Jes plus
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■ ■■'*.' ♦- '
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Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 12 Octobre 1890.
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^, ^I-A Monnaie.-. — ' Deux livres récents. A/tc//t', \>av Henry
:Màubel -^ Mclprkiftic.,^. \>a,r Arnold Gotïin. — L'art en Belgique. —
Critique • LiTTÉiiAiRtj, belgj: — Chronique judiciaire "des arts.
M. Golindd en justice. — Petite chronique.
ÉGRIVAINS ET JOURNALISTES
.*/■
■ * V
■ «On.nous a beaucoup abîmés, nous, les journalistes ;
oïl ttoiis'â reçroclié de ne jamais nous occuper de nos
écrivaias,-^dè lie leur décerner jamais un encouragement
et de^uerl^urs œuvres sous le silence.
.'« II. faudrait que nous fussions aux aguets et que nous
prissions des abdnnements coûteux chez les éditeurs où
ces niessieurs publient leurs œuvres à tirage restreint,
sans daigner, nous en faire tenir un exemplaire. En
France, les >éferjvains se donnent la peine d'envoyer
leur^ livres aux Journaux et l'on se fait un plaisir de
lès lireB.tde les'étudier, de signaler ceux qui le méritent.
Mftis, nos! écrhîtiins affectent de nous dédaigner, sem-
blent iguoi'ér'iiotre existence. Nous avons pourtant
àutï'e chose à faite que dB guetter les livrés qui parais-
sent et au'oniio daigne ni nous envoyer ni nous signaler,
éli ihjîe noûj^'plàît pas de consacrer une rente à l'achat
desèdition^'dç luxe d'œuvres belges. Quand on voudra
bien sê^ souvenir de iious, en d'autres occasions, nous
serons très heureux de nous occuper des littérateurs
belges. Mais, en attendant, onamauvaisegrâceà nous
feire un grief de notre silence. »
Ainsi s'exprime dans la Nation le chroniqueur qui
a pour nom de guerre Gramadoch. Au dessus de cette
signature souvent de bonnes choses, quoique empreintes
presque toujours de la grincherie du journaliste belge
à l'égard de l'écrivain belge.
• Gramadoch reproche donc à nos auteurs de ne pas
envoyer leurs livres aux journaux. Il met cette coutume
sur le compte du dédain. Il se trompe. Les artistes ne
leur adressenlyplus les deux exemplaires qui donnent
droit au compte-rendu, parce que le compte- rendu ne
se faisait pas, ou n'était qu'éreintement ou gouaillerie.
La presse belge a méconnu tous nos écrivains de
valeur. Elle les méconnaît encore. Elle n'a eu pour eux,
ni encouragement, ni justice. Elle est pourrie de cama-
raderie et ne parle que selon ses amitiés ou son intérêt.
C'est pourquoi on lui a donné cette fière leçon de la tenir
pour valeur négligeable en littérature.
Dernièrement, dans VArt moderne du 31 aoilt, nous
avons reproduit le sévère jugement de ProudhOn sur
nos journalistes. Nous avons, nous-mêmes, traité cette
question dans une étude intitulée : Tiraoe a petit
NOMBRE, parue le 21 novembre 1886. Nous avons expli-
qué alors ce qu'était chez nous la critique j(j>urnalis-
tique, nous avons rappelé tout ce qu'on a dit sur ce
y
•,«vv • ■;■
bagne et l'inévitable déchéance que les facultés artis-
tiques y subissent, enlevant à l'esprit ce quil faut pour
savoir juger, soutenir, défendre et exercer la hau^e
mission d'aider au développement de la littérature. On
l'a nommé le trottoir de la littérature, le putanisme de
l'art. On a dit qu'y toucher, c'était plonger dans la fosse
à purin. Avec moins d'âpreté, on a écrit que les repor-
ters étaient des chiflbnniers de lettres, des bonnes atout
faire. Mettant en question jusqu'à leur intégrité, on les
a comparés à des bravi trafiquant de leur plume,
comme autrefois on trafiquait de sa rapière.
Tout cela est empreint d'exagération. Mais ce qui
certes, est exact, c'est qu'on ne peut inàpunément prati-
quer quotidiennement cette fonction littéraire sùT)al-
terne sans y altérer les meilleures qualités. L'obligation
d'écrire à heure fixe, le drainage nécessaire\et constant
des idées et des formules, la facilité avec laquelle on se
laisse aller à défendre moins ce qu'on pense et ce qu'on
aime qiie l'opinion utile à la feuille qu'on sert, amènent
l'épuisement et le dégoût de soi-même. On tourne à la
fonction machinale et écœurante, compliquée de longues
et moroses stations autour des tables de taverne, avec
des dévotions à Sainte- Absinthe. On se convainc que le
style le plus aisé et qui plaît le mieux est le plus banal.
On s'accoutume à ce vice honteux de l'écrivaiif : la
goguenardise à propos de tout. On ne s'interrompt plus
de gouailler. On ne fait plus partie du bataillon sacré
des artistes, mais de la garde civique des écriyailleurs.
On se sent raté, on enrage et on passe son hydrophobie
à mordre les autres. La plume n'a plus ni dignité, ni
autorité et on finit dans le gâtisme des Premiers-
Brjuxelles grotesques, des faits divers nauséabonds, des
feuilletons littéraires fonctionnant à la manivelle.
Le corps vit alors de la plume, certes, mais l'iTltelii-
gence a été tuée par elle.
Ce spectacle est douloureux et pourtant c'est celui
que nous oflf'rent beaucoup d'hommes de talent, jadis,
formant les équipes de dix, de vingt journaux qui n'ont
plus sur notre public la moindre influence politique ou
artistique. Il est vrai que quelques exceptions confir-
ment l'universel amoindrissement. Mais le journalisme
(je risque une comparaison quelque peu ambitieuse) n'en
est pas moins un Maelstrom qui suce, absorbe, résorbe
quiconque s'en approche et ne rend à la surface que
des malheureux brisés, défigurés, émasculés.
Voilà pourquoi la critique littéraire de nos journaux
est nulle. Voilà pourquoi on la dédaigne..,.
Gramadoch proclame qu'il ne demande pas mieux
que de changer. Amen ! Un récent événement inspire
ces bonnes intentions parce qu'il a permis de mesurer
l'abîme de la déchéance. Soit, qu'on essaie. Que les
deux exemplaires fatidiques soient désorniais de nou-
veau envoyés, l'un pour être lu, ra.utre pour être vendu
au bouquiniste. On verra.
Mais après que messieurs les journalistes auront fait
amende honorable, il faudra encore apprivoiser la foule.
Ah ! sji notre public pouvait enfin comprendre que son
devoiiL est d'acheter ces livres qui, en somme, valent
àutanf et mieux que les Ohnet, les Bourget, les Theu-
riet, lei^ Daudet, etqUi attestent un si persistant courage
pour doter d'une littérature la Patrie (grand mot qui
ne commence à paraître bête que lorsque la patrie ne
fait rien pourl^ siens) ! Oh! si sur les six millions de
Belges que nous^sommes, il y en a avait seulement
quatre mille se décidant à payer trois francs les œuvres
de nos compatriotes! Il y aurait moins de journalistes
assurément, mais il y aurait plus d'artistes. Quel âge
dor! \
UNE ŒUVRE DE VANDER STAPPEN
Sur la proposition de M. Ch. Buis, l'édilité braxclloise a com-
mandé au sculpteur Vandcr §tappen un surtout de table pour
l'Hôtel de ville. Dans la désuétude actuelle de l'art décoratif c'est
presque une innovation : elle nous dédommage des vicinales sta-
tuaires au moyen desquelles une immuable routine empécl^it le
chômage des praticiens et imaginait pousser à la religion ^es
belles choses. Elle restaure un art pratiqué par les devanciers au^
même titre et avec les mêmes respects que la grande sculpture,
un art moins orgueilleux mais à coup sûr aussi foncier et que la
bizarre notion que de nos jours on se. fait des conditions dé
l'œuvre d'an, semblait avoir relégué parmi les besognes infé-
rieures. Le stupide mandarinisme qui a fini par attribuera cer-
tains genres une noblesse qu'il refusait à d'autres, est cause- du
malentendu qui obscurcit la perception du vrai sens de l'œuvre
d'art. L'œuvre d'art pourtant seule subsiste : elle persisleà tra-
vers la variabilité des formée, sans subir, du fait de celle-ci, nul
déchet. Quelle que soit la matière utilisée, quels que soient les
dimensions et le revêlement extérieur, elle porte en soi une beauté
mystérieuse que nulle contingence ne peut lui aliéner et qui lui
vient d'elle-jnôme, de ses vertus propres, dé la quantité d'idéal
qu'elle dégage, de son approximation des parfaites splendeurs de
l'idée précipitée, cristallisée, rendue concrète et sensible aux
mains de l'ouvrier.
L'édilité bruxelloise, en se soustrayant aux habituelles canali-
sations de la commande d'art, a témoigné tout, à la fois d'unbon
sens peu commun et d'une pénétration du sens de l'œuvi^é d'art
qui mérite qu'on y insiste.. Dans un pays où la tradition de l'art
ornemental et décoratif devait surtout persuader le retour à une
conception d'art, homogène, réglée par le sentiment de l'unité et
de l'égalité entre toutes les formes de l'art, elle a eu le généreux
esprit de se souvenir des maîtres qui, dans le passé, ne crurent
pas déchoir en utilisant indifféremment le maillet du statuaire cl
le ciselet de l'orfèvre. L'oeuvre de Ch. Vander Slappen attestera
la lucide intelligence de ce conseil de bourgeois supérieurs aux
aristarques professionnels pour avoir fait raison des injustifiables
dédains dont souffrait chez nous une des plus radieuses mani-
fesiations de l'art. i;
Il ^us.a été donné de sm chez l'artiste, dans le studieux ate-
lier de l'Avenue de la Joyouse Entrée, l'ensemble des groupes et
des architectures qui (comme cela se pratiquait autrefois) vont
bientôt enrichir le Trésor de l'Hôtel de ville de Bruxelles. Rien,
disons-le tout de suite, ne peut moins s'apparier aux industrielles
fabrications des arg.entiers et des bronzicrs. Indépendamment du
métal qui lui donnera sa beauté définitive — puisque le sculpteur
a constamment subordonné le détail et les particularités de son
exécution aux spéciales exigences de la patine d'arf^ent qui doit
le revélrr; — le surtbul, tel que nous levlmea à iwters le plâtre,
est une oeuvre d'art au sens absolu; dti mot, et peut-être la plus
cfaarmanle et la mieux ordonnée, en son complexe déroulement,
de toutes celles qui, depuis longtemps, ont été déférées à la fan-
taisie et à l'ingéniosité d\wi vrai artiste. On savait la science très
évidente du statuaire, ses pt'obes pratiques dans le bronze et le
marbre, son art de culture et deSQlide application. Avec un effort
méritoire il a su se garder, parmi leS initiateurs de la période qui
suivit l'art démodé et lumulaire des G^cfs, dos Fraikin et des
Simonis, le rang que lui conquérirent les œuvres de son début.
Son rôle historique dans l'accession^de l'idéal statuaire à de plus
hautes vertus de réalisation ne peut plus être contesté. Cependant
ceux qui connaissaient le mieux les ressources de sQn subtil et
imaginatif talent regrettaient que le hasard l'eût souvent mal
servi en ne lui permettant pas de s'affirmer dans cet art décoratif
vers lequel son esprit le portait et où il eût fait voir une maîtrise
peut-être supérieure. La nouvelle œuVre de Ch. Vander Stappen
ne laisse nul doute à cet égard.
Le surtout de l'Hôtel de ville se compose d'une pièce cenirale
et de deux candélabres, du caprice le plus riche et le plus varié.
11 faut d'abord admirer le concept auquel, rigoureusement, s'est
soumis l'artiste dans son édification.» Ayant à exécuter un travail
en quelque manière civique et qui, à travers l'absolu de l'œuvre
d'art, se particularisât de mémbrations historiques — très loua-
blement et comme le sujet l'y incitait, il a procédé allégorique-
ment et anecdotiquement. Une part de légende avérant de natives
vertus de la race s'y mêle à la glorification des grandes indus-
tries où s'illustra la capitale brabançonne. Dans la pièce centrale,
formant un mojjf d'architecture divisé en deux vasques, et k sa
partie médiane décorée d'un groupe de lions couchés, d'où jaillit
un fût enroulé par la bannière de. la ville et surmonté par le
Saint-Michel, — deux groupes représentant les valets des ser-
ments de Bruxelles^ les Grands et les Petits Arbalétriers, les
Archers, les Arquebusiers et les Escrimeurs arnisseni les bas
côtés de la colonne. Deux autres groupe&^aux extrémités des
vasques, rappelant des légendes où la femme bruxelloise s'héroïsa.
L'une, la Veillée des Z)flme«, est caractérisée par une juteuse
commère ployant sous le chevauchement de l'époux, — un guer-
rier un peu bien net, toutefois, en ce retour de caravanes et
d'aventures et qu'on eût voulu plus suggestif. Un enfançon, parmi
les pas diligents de la femme, porte le carquois, et avec le chat
familial, évoque des idées heureuses, la rentrée dans la paix et
l'amour. L'autre légende, — te Translation des cendres de sainte
Gudule à la Sainte-Chapelle^ se restitue en le groupe naïf d'une
dame bruxelloise à la poursuite de celui des^gens d'Albéric qui
s'est emparé du sacré reliquaire. L'élan des figures est exquis :
cette aïeule des actuelles matrones, pour se lancer avec furie, les
légendaires roseaux de la Senne aux poings, sur le ravisseur,
n'en demeure pas moins attentive à calculer un parfait rythme de
grâce féminine, il làudrait insister aussi sur l'élégance et l'esprit
des figures des serments, la caractérisation des diverses indus-
tries par la silhouette et le geste^ les lianes de motifs où s'cnca-.
drent, ainsi que des tableaux, les scènes représentatives des
métiers, la fine projection du Saint-Michel dardé du fût central,
la décoration fleurie, généreuse, touffue sans, prolixité, des sur-
faces ct'dcs profils. L'artiste, tout en s'abandonnant k son caprice,
évitait le danger qui eût pu résulter de l'encombrement des figures
et des motifs pour la table dont elle est destinée k occuper le
centre. Pratiquement il l'ordonnançait de façon à ce que les
convives pussent se voir et converser par dessus ses déliées archi-
tectures. •
Ce sont encore des allégories que les deux candélabres, mais
des .allégories vivantes, humaines, nullement chimériques. Les
métaux et les tissus forment ici respectivement les thèmes fonda-
mentaux. D'une part, rarmuricr forgeant une lame et à ses côtés
l'apprenti ployant un acier fraîchement trempé ; puis, à un degré
plus élevé, l'orfèvre modelant un plat et près de lui la brunissèuse
finissant un coffret à bijoux. D'autre part la dentellière emmê-
lant ses bobines et une jeune apprentie travaillant au point de
Bruxelles; puis, à un degré plus élevé, le tapissier de haute lice
éployant un tapis, et son élève s'appliquant sur un dessin. Cha-
cun des candélabres élance un fût auquel s'embranchent trois
potences allégorisant le pouvoir communal et fleuronnées d'iris
en volutes, destinés à porter les luminaires. Au sommet, pour
couronnement, le métier primordial : le Fondeur pour les métaux,
la Fileuse pour les tissus. C'est ici, d'ailleurs, comme pour la
pièce centrale, un art d'imagination et de nature.souple, gras,
rythmique, aux harmonies de lignes et de motifs savamment
assortis, aux coupes et aux arêtes concertés pour les brillants et
les matités alternés de métal, — un art qui se délivre des préoc-
cupations d'école et s'abandonne à ses impulsions personnelles, —
un art de style à la fois et de joli caprice où, pour un ensemble
éminemment décoratif, l'orfèvre et le ciseleur semblent venir en
aide au statuaire.*
L'œuvre ne comporte pas moins de vingt-quatre figures.
Elle fait honneur à l'artiste qui l'a conçue et exécutée. Une part
d'éloges aussi revient k l'architecte Horta, l'auteur des sobres et
élégants profils autour desquels le sculpteur a jeté à profusion la
vie de ses groupes et de ses motifs.
> A LA MONNAIE
L'élément « province » qu'on a reproché parfois au théâtre de
la Monnaie, s'il sévit encore, c'est en deçà de la rampe, dans la
salle qu'attristent les vestons et les robes sombres des derniers
excursionnistes en tournée de .capitale au déclin des vacances
scolaires. Sur la scène, — nous en jugeons par une représenta-
tion de Roméo à laquelle nous avons assisté avant-hier, — le
spectacle est vraiment digne de la renommée du théâtre. « Est-il
en Europe, nous demandait, en réendossant son paletot, un
homme très compétent, beaucoup de villes où l'on trouve aclultl-
lement un ensemble aussi satisfaisant ?»
Cet être chimérique, terreur des directeurs en gestation de
troupe, le Ténor, personnage coûteux, encombrant et despote, a
trouvé en M. Lafargc une incarnation inattendue. C'est, chose si
rare qu'elle en paraît invraisemblable, un vrai ténor qui n'est
nullement Le Ténor. Voix supei*be, payant comptant, jeunesse,
expression dramatique, respect de la musique qu'il interprète,
absence de cabotinage, instinct du théâtre, M. Lafarge réunit un
ensemble de qualités qui pourraient bien, d'ici à peu de temps, le
mettre fort au dessus dé Messieurs ses confrères eu ténorismc.
li y a parfois, enirc l'artiste et le spcelalcur, je ne sais quel cou-
ranl magnétique qui s'établit de prime abord et qui décide dé
l'impression. Ce phénomène, nous l'avons constaté en écoulant
M. Lafarge. 11 n'est pas aisé de le définir et de discerner les invi-
sibles liens, les fils lérius et délicats par lesquels l'artiste entre
ainsi en communication directe îPt intime avec l'auditeur. Cola
lient à des causes mystérieuses, qui ne sont ni le timbre excep-
tionnel de sa voix, ni le lajcnl qu'il déploie. Cette sensation, on
la ressent quand se décèle en l'artiste une compréhension spéciale,
quand on devine sous le chanleur, un musicien amoureux de son
art et non de sa personne.
Ce musicien, nous croyons l'avoir découvert en M. Lafarge, et
nous pensons que, rexpcrionce scénique lui venant, il fera un
Siegfried "de premier ordre. De mémo que M. VanDyck, avec qui
il a quelques affinités arlisliqncs, M. Lafarge est admirablement
taillé pour personnifier les héros germains de Richard Wagner,
les Lohengrin et les Tristan < Attendons et espérons.
Juliette, c'est, acluellémctot, M'""'Sybill Sandcrson, que sa créa-
lion A'Esdarmonde à Paris a brusquement fait passer au rang
d'étoile. Jolie femme,- trop jolie même pour justifier le maquillage
abusif dont elle juge à propos de se défigurer, actrice élégante,
douée d'une voix agréable qu'elle manie avec art, M<"= Sandcrson
a été très sympathiqucment accueillie à Bruxelles. El^a daiïs les
traits quelque vague ressouvenir de la Patli, — de la PaïTîjeune,
en ses premières années de triomphe non ternies par l'embon-
point et l'américanisme. Les yeux, les yeux surtout ont une
extrême séduction et suffiraient, n'était le charme de sa voix, à
^fasciner l'auditoire. Pourtant, à parler franchement, le côté super-
ficiel de la jolie femme l'emporte sur le sentiment artistique. On
sentM""^ Sandcrson préoccupée du geste à faire, on la devine sou-
cieuse de la direction que va prendre la traîne de sa robe, on
croit l'entendre causer avec son partenaire dans les moments les .
plus pathétiques, en attendant le moment de répliquer. •
L'Art ! L'An ! L'abnégation de soi-même ! L'absorption de
l'artiste dans le rôle! L'effacement de soi-même! Ce n'est guère
qu'à Bayreuth qu'on trouve des chanteuses capables de com:
prendre' que le plus sûr moyen d'être exaltée, c'est de s'oublier et
de ne songer qu'au triomphe de l'œuvre.
Le talent 1res réel des deux interprètes principaux de Roméo et
Julielle paraK avoir donné le coup de fouet salutaire à 4ous
leurs camarades.
M. Badiali chante d'une voix charmante le rôle de Mercutio.
M""* Archaimbau^j fait un très joli page, élégant d'allures,, agréable
à écouter. Frère Laurent, le père Capulet ont la dignité et l'auto-
rité congrues. Tous y mettent du soin, de l'animation, du zèle.
On ferraille avec entrain, on chante avec goût, et les chœurs ont
de l'ensemble et de la justesse.
. Avec ces élémenls-lh, le théâtre de la Monnaie peut compter
sur une campagne brillante.
Jeux i.ivre? récent?
Miette (chez Savine), par M. Henry Machel. ^ Maxime
(chez Vos,\ par M. Arnold Gokfix.
M. Henry Maiibel vient de faire éditer en une plaquette de bon
cl sobre goût, une nouvelletie d'un charme fin et vif. Le mol joli
pu plutôt joliel serait à dire, ri'élait la défavorable acception que
certains seraient tentés de lui donner. Or, à voir comme M. Henry
Matibel altifç. son style et le soin qu'il prodigue à ne tailler quje
des phrases nettes et |)restes, il ne nous conviendrait pas de dimi-
nuer d'un adjectif le mérite de son livre.
Lé taléhl de M. Henry Maubel est délicat, mince el soiiple. 11
s'attache à meiti-e en relief les menus faits de la vie, les scènes
quotidiennes et vivantes d'une réalité agréable. Il conçoit menu^
ifnais à quoi bon demander à un bibelot de se faire obélisque? \\
faut prendre un auteur. tel qu'il se veut el se désire et se prouve.
La seule chose qu'on puisse exiger c'est le talent. M. Maubel en
donne der, gages, à chaque chapitre.
Pour caracléfiser plus nettement ses. goûts, citons un passage
(page 41) de son livre.
Miette interroge un liebé a frêle avec ses grands yeux soyeux,
trop expressifs el des boucles blondes lui roulant jusqu'au bord
des paupières :
— Veux-tu m'embrasser, lui dit-elle?
L'enfanl qui ne savait pas encore bien comment faire,, avançait
la tête et lui tenait sur la joué ses lèvres enlr'ouvertes.
— Qu'il est petit, qu'il est mignon.
— "Vous aimez donc bien ce qui esl petit? demanda Lucien.
— Oh oui ! C'csrijien plus gentil el puis, comme j'ai de très
petits bras et un très, petit cœur, moi, il n'y a que les petites
choses que je puisse embrasser et aimer tout entières. »
M. Maubel doit penser comme celle qu'il fait parler si genti-
ment.
A travers la notation de rencontres et do promenades le récit
se poursuit n'appuyanl guère, ne se. perdant jamais en détails
inutiles, les choisissant nets et typiques. C'est une histoire toute
simple d'amour : une petite bourgeoise pas banale et un bon mais
intelligent garçon d'amoureux. Le lieu descène? Une ville d'eaux;
Des serrements furtifs de mains, des mots qui font douter, des
demi-aveux, des réticences parfois, deux pas en avant, un en
arrière; el puis le départ sans que.rien de définitif ne soit conclu.
Mais un mariage, esl possible, même probable, l'année suivante.
Cela dépendra des parents, d'un oncle qui mourra, des examens.
h passer, que sais-je !
M. Maubel s'est proposé, croyons-nous, de traiter avec pres-
tesse et esprit la première histoire venue. Où il a prétendu s'indi-
quer artiste, c'est dans les détails. On en rencontre de nombreux
d'une prise sur le vif parfaite. Exemple? Dans la description d'in-
térieur où des femmes travaillent cl causent, il noie :
« Il y eut un silence où l'on entendit les ciseaux de Julielle qui
coupait un brin de laine. »
De telles observations minuscules, mais choisies, abondent.
* *
Le livre de M. Arnold Goffin est aux antipodes du précédent.
Pensée, style, conceplion, tout dilTère.
M. Goffin, au rebours de M. Maubel qui croit au moins encore
en certaines joies, ne fût-ce que celle des yeux, au bord de la
mer, ne fût-ce que celle des paroles vives et spirituelles autour
d'un amour joli de jeune fille, est un broyeur de noir convaincu.
Depuis son pfemier livre, il a tourné au Nord son art, et c'est en
des brumes et en des froids et en des neiges qu'il le mène en
avant. Nous rencontrons en M. , Arnold Goffin un penseur et un
artiste. Tous les problèmes graves de la vie, il les scrute — un
peu trop, croyons-nous, dans les livres — il en nourrit sa
réflexion journalière, ses heures de soir tristes et ses jours de
voyage. Il s'aime ainsi : malade, morne, hostile, et le proclame
l.
toujours en un même Ion mineur. 11 est l'unique personnage de
ses œuvres. André, Dclzire Moris, Maxime sont lui. Au bout de
, ("haque chapitre cl de presque chaque phrase, sa âilhouetlc passe
comme une ombre portée de ligne en ligne.
D'où quelques-uns accusent i\I. Goffm d'élre plus encore que
triste et deuillant : monotone.
Il est néanmoins de la plus stricte équité de constater que si le
fond de ces différentes études repose sur des données pessi-
mistes, toujours les mêmes, l'examen de conscience que dans
chacune d'elles se fait M. Goffîn est, de recueil en recueil, plus
ûpre, plus désolant et plus excessif. Aussi, la manière de pré-
senter le récit, l'analyse. mpme du personnage deviennent elles
plus profondes. Les détails purement ornemenlatifs s'évanouissent
pour ne laisser surgir que des chapitres par masses et par blocs.
Si bien que Maxime apparaît: une consiruclion en moellons gris
que des novembres lourds étoupont de leurs brouillards.
Le personnage, qui s'apparente ^aux plus mornes promeneurs
des régions noires, à ceux qui s'en sont allés àla recherche d'eux-
mêmes au fond du désespoir et n'y ont trouvé que des lambeaux
de leur corp« suicidé et de leur ûme, depuis longtemps, par le
f;iit même de leur curiosité, moi te — fait songer à quelque Ober-
mann plus moderne et plus silencieux. Il fait partie de la grande
famille dont déjà tant de hauts types sont sortis.
L'ART EN BELGIQUE
Nous avons reçu, à l'occasion de notre analyse de ce douloureux
chef-d'œuvre de Tolstoï : la Sonate à Kreutzer, la stupéfiante lettre
que voici, dont nous garantissons l'authenticilé. .Et^l'on s'éionnc
jquc la Belgique ne fasse pas à la litléralure la place qu'elle mérite,
et que l'on discute pour savoir si Maeterlinck est un grand artiste
ou un fou. Vraimeni, nous sommes aux extrémités des terres civi-
lisées ! '
. « Anvers, 1« octobre 1890.
« A l'administration GÉNÉRALE DE r^)7WJ0rfenj^,
Bruxelles.
« J'ai abonné ma fille, M"« ...., artiste peintre, à votre publi-
cation hebdomadaire. Je viens vous prier d'en supprimer l'envoi,
. dès à présent.
n Votre numéro de dimanche dernier, heureusement reçu par
moi en l'absence de ma femme et de ma fille, contient une critique
absolument scandaleuse sur la Sonate à Kreutzer. Ne vous sem-
ble-t-il pas que l'analyse des œuvres d'art pornographiques ne
devrait pas trouver place dans des revues destinées h être lues
par des dames et des jeunes filles?
« Qui pourrait se douter que, sous un titre en apparence aussi
inoffen''if que le vôtre, de pareils articles pussent être publiés!
11 ne faut pas être collet-monté pour s'en étonner !
« Agréez, Messieurs, mes civilités empressées. ».
C'est une série, en six colonnes, de coups traîtreusement por-
tés ; et, sur la plaie, immédiatement, la même main colle un cata-
plasme : Vlan ! — Ploc ! ^— Exemples :
« L'art subtil et net de M. Maurice MaeterlincJi est d'jlvoir prêté
du charme 'Hfdu tragique à des scènes si peu vivantes, à des êtres
si indistincts, à des sentiments si peu profonds. »
« Ce drante embryonnaire, de réalité nulle et d'humanité vide,
arrive au saisissant et au délicieux par sa naïveté savante. »
« C'est saisissant de naïveté, si vous voulez, et d'un pathétique
simple et terrible. Mais si ce n'était pas fait avec conviction, et
avec des intentions profondes, ce pourrait être du sublime bien
aisé, et un moyen bien puéril. »
, M M. Maeterlinck évite tout le poncif des réflexions et dos
discours des gens très affligés. 11 ne risque pas de faire des phrases
déclamatoires, ni dos morceaux fâcheusement ('loqu.ents, puisqu'il
n'en fait pas du tout. »
« C'est un mérite assez glorieux d'avoir animé et rendu origi-
nal, par sa forme rare et ses images neuves, un drame sans huma-
nité, sans passion et sans vie. »
Ne diraii-on pas un vieux Bcllac qui, pour tenter de masquer
sa mauvaise haleine, suce des pastilles parfumées, et à chaque
parole, vous envoie aux narines un mélange d'air gâté et de
patchouli. .
Récemment quelqu'un nous écrivait à propos de Maurice Mae-
terlinck : « Il paraît que V Indépendance veut lui faire amende
honorable. Je soupçonne un repentir spécial et une amônde hono- .
rable dans le genre de celle que fit Judas en jetant les trente
deniers au milieu du Sanhédrin ».
Il y a aussi cette phrase épatante à propos des autres œuvres du
poète gantois : -
« Il parait q'ue M. Maurice Maeterlinck a d'autres drames, les
Aveugles, l'Intruse et de petits poèmes intitulés : Serres
Chaudes ».','/ s
Et des observations désopilantes comme celle-ci :
« Tour exprimer l'horrenr de la guerre, on nous montra;
Maleine et sa nourrice regardant, de la tour oC» elles sont enfer-
mées, tout le pays, et voici ce qu'elles se disent, la nourrice
répétant à son tour les trois phrases de sa maîtresse : « Il n'y a
plus de maisons le long dos routes! — Il n'y a plus de clochers
dans Ma campagne! , — 11 n'y a plus de moulins dans les prai-
ries! » — Ce n'est pas vrai, car il n'y a pas de guerre qui
détruise en quelques jours toutes les maisons, tous les clochers,
tous les moulins /.'.' »
C'est à des critiques de celte valeur que notre littérature natio-
nale est livrée. Oh ! pauvre martyre jetée dans le cirque!
GRITIQIË LITTËRAIRE BEL(
A voir dans l'Indépendance belge de jeudi dernier un feuilleton
sur la Princesse Maleine. Un chefd'œuvre de duplicité /itié-
rairc !
Je suis oiseau, voyez mes ailes !
Je suis soiiris, vivent les rats!
/■■ ■pHRONIQUE -JUDICIAIRE DE^ ^RT?
M. Gounocl en justice.
Un assez curieux procès doit être plaidé ces jours-ci à Paris.
Un imprésario américain avait engagé l'auteur de Faust pour une
tournée aux Etats-Unis aux appointements de un million de
francs, plus les frais de voyage, aller et retour, frais de séjour (t
d'hôtel pour lui, pour une autre personne à désigner et pour un
domestique. M. Gounod s'engageait pour celte somme à diriger,
eomme chef d'orchestre, soixante exécutions de ses œuvre*!. La
tournée devait se faire en quatre mois chi 26 octobre 1890 au
25 février 1891. r- .
326
LART MODERNE
r
Les conditions ainsi arrêtées, M. Gounod envoya un agent en
Amérique, avec une autorisation de traiter en son nom.
L'agent partit dans le courant de mars cl revint à Paris le
{** juin, après avoir préparé la tournée dans les principales villes
de TAmérique du Nord.
Le 2S juin, le contrat était signé; le 9 juillet, l'imprésario
s'emlMrquait pour venii'à Paris déposer, à titre de profvision, une
somme de 500,000 francs chez un banquier désigné par
M. Gounod cl pour lui remettre k lui-même 100,000 francs à titre
d'avance, plus une autre somme de i 00,000 francs pour un
orcheistre à engager.
Le 14 juillet, M. Gounod déclara qu'il se désistait pour motifs
de santé; le 4 août, il y eut sommation d'huissier.
L'imprésario, tenant pour boiv l'engagement du maître, lui en
réclame l'exécution sous peine de dommages-intérêts.
^^^^TITÉ CHROf^iqUE
Un de nos collaborateurs a reçu hier de M. Antoine, directeur
du Théâlrc-Libre, le télégramme suivant : « Ami, vous qui con-
naissez Maeterlinck dont je n'ai pas l'adresse, voulez-vous lui
demander de ma part ses Aveugles pour le Théâtre-Libre. Il peut
être tranquille comme mise en scène, Nous jouerons la pièce cet
hiver au théâtre du Parc après la première de Paris.
« Amitiés à loutile monde. ^ .
« Votre
« Antoine. »
Nous félicitons le directeur du Théâtre-Libre de son intelligente
initiative et nous réjouissons de voir à la scène le superbe drame
de notre ami.
Maurice Maeterlinck, que le reportage assiège danis sa paisible
retraite de Gand, et qui y recevait ces jours-ci deux reporters du
Gaulois^ est parti chercher un abri dans un coin dé l'Angleterre. Il
sait ce que vaut l'engouement de pacotille en lequel la chroni-
quaille nàonnoyc les loui:» d'or d'Octave Mirbeau.
Vendredi dernier, le vingliste Robert Picard, milicien de la
levée de 1890, qui avait reçu lundi ordre de rejoindre son régi-
ment, est parti pour Malines où se trouve le dépôt dés grenadiers.
Après équipement, le jeune peintre, ramené avec ses camarades,
les autres conscrits de cette année,*> Bruxelles, caserne Sainte-
Elisabeth, y cojnmcncera bravement son service personnel de
trente mois. Avis et exemple aux gandins, goAimeux, grelolteux,
cartonneux, pschutteux, beaux fils et autres « jeunes gens d'ave-
nir » qui se font, très lâchement, remplacer.
Le secrétariat de l'Opéra de Paris informe le public qu'il ne
reçoit plus de demandes pour la reprise de Sigurd demain lundi.
On devra s'adresser directement au bureau de location. D'après le
nombre des demandes reçues depuis un mois, on peut affirmer
qu'elle aura tout l'éclat d'une très brillante première. C'est
M"* Bosman et la grande et toujours regrettée Rose Caron qui^\.
tiennent les principaux rôles de femmes.
i.
M. Aodré Messager est venu cette semaine k Bruxelles, pour
prendre, de commun accord avec la direction *du théâtre de la
Monnaie, les derhières dispositions au sujet des représentations
de la Basoche. W*^ Nardi chantera le rôle de Colette^ M. Badiali
celui de Clément Marot, rôles quo les deux artistes ont interprétés
cet été & Aix-les-Bains avec beaucoup de succès. M"' Carrère est
chargée du personnage de lahfieine et M. Chappuis personnifiera
le Duc de Longueville. Nul doute qu'avec cette distribution, com-
posée des meilleurs éléments de la troupe d'opéra-comiquo,
la Basoche reçoive une interprétation de premier ordre.
L'ouvrage, dont les chœurs et la partie symphonique ont un
assez grand développement et qui exige des études nombreuses,
ne passera qu'eh décembre.
Léon Bloy, renvoyé par OU Blas pour propos blasphématoires
contre le gros Sarcey et autres pontifes, vient de publier un nou-
veau livre : Christophe-Colomb devant les taureaux. Il préparc
également Belluaires et Porchers, pour être lancé vers la fin de
Tannée, et Prostituée, pour l'an prochain. Les esthètes attendront
impatiemment ces céuvres de l'homme de génie qui»a inventé
les plus puissantes formules imprécatoires dont ait jamais
été foudroyée rimbécillité humaine.
Camille Lemonnier tr&vailie à un roman qui décrit les stades
de la famille bourgeoise belge conteraporainé, et^ peut-être de
toutes les familles bourgeoises de ce siècle : celui qui la fonde,
sorti de la masse populaire, — celui qui l'enrichit, il moitié pris déjà
dans l'artificiel des habitudes bourgeoises, mais encore assez rus-
tique de corps et d'âme pour résister, — celui qui la ruine, oisif
et prodigue, — celui qui l'achève dans la décadence du luxe» du
vice ou de la maladie : phthisique, alcoolique, épileptique, dia-
bétique gâteux ou fripon. Pareille œuvre, si elle est réussie, sera
superbe et terrifiante. Quel miroir pour cette bourgeoisie qui s'en
va ! A remarquer que ce n'est pas là le phénomène d'hérédité, un
peu usé en littérature, mais un phénomène autrement neuf dans
son observation et significatif : l'inévitable décadence des souches,
même les plus fortes et les plus saines, dans la vie fausse, égoïste
et inique des classes dites dirigeantes parce qu'elles ne dirigent
rien du tout. Cela est propre à notre siècle. Il est curieux que
lorsqu'on observe une de nos familles bourgeoises, on n'en trouve
pour ainsi dire aucune qui remonte à plus de quatre générations.
On l'avait déjà remarqué pour Paris. Et presque toujours celles
qui ert sont à la troisième, donnent les signes indiscutables de
leur anéantissement j)rochain par la mort, la folie, la stérilité, la
maladie ou l'immoralité.
A admirer, dans tous nos journaux, sans exception, les beautés
de la littérature électorale. Ce qu'on y lessive de linge sale, ce
qu'on y charrie de tombereaux de bêtises, ce qu'on y distille d'or-
dures, ce qu'on y brasse de banalités, confond l'imagination. Pré-
sentement, les esprits les plus distingués y ratiocinent en mania-
ques : tel notamment ce brillant, ce profond, ce superbe écrivain
Victor Arnould, qui, après .ses admirables articles sur le Congo,
le Congrès de Liège, le mouvement ouvrier, évacue d'horribles
choses sur les byzantinades de l'Association libérale et de la Ligue.
C'est à en pleurer.
Le numéro de septembre de la Wallonie, cette très intéres-
sante, très vivante et très artistique revue mensuelle de littéra-
ture et d'art, règle en ces termes ce qu'elle nomme itn petit compte
avec la Jeune Belgique •* « Bien que nous l'aimions beaucoup
malgré certaines algarades, nous ne pouvons nous empêcher de
trouver un peu... exagérées ses prétentions de capitan littéraire.
Elle sait aussi bien que nous que jamais nous n'avons toléré sa
férule et que si elle est « à la tête du mouvement d'Art en Bel-
gique », en ce cas nous n'en faisons pas partie. Nous fûmes tou-
7
.,■ /
jours et nous sommes encore, croyons-n'Ous, parfuilement indé-
pendants. Ceci sans la moindre mauvaise humeur, maisrpour
qu'il ne puisse être dit que par notre silence nous admettions
comme vérités des rodomontades un peu surannées ». — Quelle
drôle de chose que cette perpétuelle querelle pour savoir « qui
est à la télé du mouvement d'art en Belgique ». '
Ohé! Rops, Lemonnier, Rodenbach, Wiïder, Stapleaux et
autres ! Encore un exilé volontaire ! On lit dans la Nation ; « On
se rappelle le bruit, du reste flatteur, fait autour de M. Georges
Dwelshauvers, lorsqu'il y a quelque temps il demanda à défendre
^ l'Université libre de Bruxelles une thèse philosophique qui fut
trouvée trop avancée..... Il vient de partir pour Leipzig, où il
pourra continuer ses études et poursuivre ses travaux sans être
en butte aux diificuUés que suscitent ici à tout esprit scientifique
les préjugés sectaires Nous sommes heureux d'apprendre à
nos lecteurs que M. Georges Dwelshauvers sera à Leipzig le cor-
respondant régulier de la Nation. Cet esprit si net, si vif, et
d'une observation si pénétrante, nous donnera la vérité exacte sur
le mouvement social, littéraire, artistique, scientifique allemand
qui a, à Leipzig, son véritable centre ».
A propos d'une demande adressée au ministère par le jury de
l'Exposition, à l'effet d'être autorisé h fermer le Salon pendant
quelques jours, afin d'opérer un remaniement des toiles, un
journal écrit : « 11 est de toute évidence qu'on ne peut, dans un
remaniement, donner de meilleures places à ceux qui en ont de
mauvaises, qu'en donnant de mauvaises places à ceux qui en ont
de bonnes. Nous défions qu'on trouve une autre solution dë^la
question. La place qu'occupe chaque objet admis au Salon et
placé par le jury en fonctiouj avant d'être réglementairement
dissous, constitue un droit acquis, une possession temporaire
dont la clôture du Salon amènera seule le terme. Non seulement
lcs( artistes dépossédés des places occupées par leurs œuvres
feraient entendre de vives réclamations, mais il pourrait bien s'en
trouver qu'un sérieux mécontentement pousserait à intenter une
„ action judiciaire à qui de droit, à la commission directrice ou
même au gouvernement responsable en dernier ressort ».
Allons donc ! Cela n'a aucune importance. Qui s'occupe encore
de ce Salon calafalquaire? On mettrait toutes les toiles le bas en
haut, que personne ne s'en apercevrait. Il n'y va plus un chat.
Toujours la contrefaçon belge. C'est la Jeune Belgique qui la
} dénOniuo : « Une cofticidence curieuse h signaler à M. Paiil Adam.
Dans une chronique de Gïl Blas, intitulée Uji cas de conscience,
M. Oscar Mélénier, un de ceux dont M. Camille, Lemonnier
« mange la brioche », réédite trait pour trait, dans ses détails
, circonstanciels, la petite aventure conjugale que M. Henry Maubei
a mise en scène et publiée sous ce titre : Une mesure pour rien.
Notre ami s'est hâté de faire connaître cette coïncidence avec les
documents à l'appui au chroniqueur intéressé qui jusqu'ici, ne lui
à pas fait parvenir ses remerciemcnis. »
Un premier volume de la deuxième série du « Journal des Con-
court », Mémoires de la Vie littéraire, vient de paraître chez
Charpentier. (Pour la première série, vQir l'Ai't moderne, 1887,
page 361). C'est 1870-'f871, l'année terrible, contée par le
frère survivant, Edmond. La guerre, le siège, la Commune, dans
leurs infiniment petits événements, ceux que perçoit le flâneur
dans 80n horizon restreint. Peu de grandeur, beaucoup de raffi-
nemenis. Et la triste impression des dîners chez Brébant, où l'au-
teur et quelques roués, s'obstinent. Renan en était. ,Un soir les
passants leur crièrent : « A bas le lupanar! Eteignez le gaz!»
El ces gourmets durent l'éteindre. On sait, qu'après la capitula-
tion, ils décernèrent élourdimenl au marchand de fricots qui les
avait traités, une médaille de reconnaissance! Oh! le défaut de
sens et de cœur des grands hommes !
Edmond Déman, l'érudit bibliophile, vient de dresser le cata-
logue de livres rares et curieux de la Bibliothèque Renier Chalon;
2,455 numéros! A côté dés savantes recherches que démontrent
son étude sur les Testaments de Mons et ses Nugœ difficiles,
rappelons à cette occasion ce petit chef-d'œuvre de fantaisie et
d'érudition bibliographiques^ publié pour la première fois en 1840
et resté célèbre dans les annales de la bibliophilie sous ce titre :
Catalogue d'une très riche mais peu nombreuse collection de livres,
provenant dfi la bibliothèque de feu M. le comte J.-N.-A . de
Fortsas, — mystification qui fit accourir en Belgique, h une vente
imaginaire, les savants du monde aryen tout entier. Nous signa-
lons (n«» 778 à 902) les Facéties, et les Ouvrages singuliers et dis-
sertations singulières , plaisantes et enjouées sur différents
si/;e/s (no» 903 à 967). En voici quelques échantillons :
898. Mercier de Compiègne. Eloge du pet. — Eloges du pou,
de la boue et de la paille. — Eloge de quelque chose, suivi de
l'éloge de rien. Paris, an VII, trois ouvrages en un vol. in-16,
frontisp., rél. v., dos orné. Ir. jasp.
902. L'Art DE F... Essai théori-physique et méthodique. En
Wesiphalie, FI. Q.*, 1775, in-8», grav., broché, etc.; ens. 14 vok^
ouvr. scatologiques, inv8° et in-12, rel. et cart.
967. Commode (B""). Manuel consolateuç des cocus. Cornopolis,
imprimerie de l'Encorné, s. d,, in-12, grav. broché. On a joint :
Dissertation surles origines du moi cocu. Blois, 1835., — Le
R. P. Cornutus à tous les cocus. A Cornevillc, 9781. (Ex. sur
papier jaune). — Sermon pour la consolation des cocus. Rouanne,
1833; ens. 4 \o\., in-12, fig., brochés^'
Les vacations se tiendront du 20 au 31 octobre, à 2 1/2 heures,
chez Edmond Deman, 14, rue d'Arenberg, îi Bruxelles.
Par VuRGEY (F.). Le Salon de 4890. Exposition triennale des
Beaux-Arts de Bruxelles. Bruxelles, Istace. Brochure in-8" de
80 pages. Prix : 1 fr. 50.
L'auteur dit : « Si la torche que j'allume â la rechetthe d'un
• chef-d'œuvre dans l'obscurité du Saloin brille d'un faible espoir,
son feu peut être purificateur. C'est sans enthousiasme comme
sans pegrel que j'obéis à la traditionnelle habitude qu'invétcre en
moi, en dépit des productions modernes, la certitude d'une réno-
vation esthétique. Ma confiance entretient ma patience et l'agonie
du Beau m'est garante de sa résurrection... Convaincu de la puis-
sance du Verbe, je pre^fee le tube de l'Idée sur les palettes mortes.
Si ma couleur reste inemployée, au moins permet-elle la classifi-
cation de la horde des peintres par l'élévation des artistes, eu
dehors des pàrquages conventionnels où croupit la critique
d'art. » (!?!), ' . "
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JOURNAL DES TRIBUNAUX
paraissant le jeudi et le dimanche.
Faits et débats judiciaires. — Jurisprudence.
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HUTIKME ANNÉE.
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( étranger, 23 id.
Administration et rédaction : Rue des Minimes, 10, Bruxelles.
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Paris 1867, 1878, 1" prix. -- Sidney, seuls 1" et 2« prix
EZPOSITIOIS ilSTERDil 1883, ilTERS 1885 DIPLOIE O'IOIIEVB.
Breitkopf et Hftrtel, éditeurs, Leipzig-BruzelleNS
TRAITÉ PRATIQUE DE
COMPÛSITiON MUSICALE
depuis les premiers éléments de l'harmonie jusqu'à
la composition raisonnéo du quatuor et des principales
formes de la musique pour piano par J.-G. Lobé.
Traduit de l'allepaand (d'après la 5^ édition) par
Gustave Sandre.
VIII et 379 p. gr. in-S». Prix : broché, 10 fr.; relié, 12 fr.
Ce livras dans lequel l'auteur a cherché à remplacer l'étude pure-
ment théorique et abstraite de l'harmonie par des exercices pratiques
de composition libre, fut accueilli, dès son apparition, par une
faveur marquée. La présente traduction mettra le public français à
même d'apprécier un des ouvrages d'enseignement musical les plus
estimés en Allemagne.
BruxeUes. — ïmp. V Wo.nnoji, 32, rue de llndustiie.
\
Dixième année. — N° -12.
Le numéro : 25 çejstimes.
Dimanche 10 Octobre 1890.
MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DI LA LITTÉRATURE
Comité de rédaction » Octave M^US — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00 ; Union postale, fr. 13.00. — ANNONCES : On tr/ite"à forfait
Adresser toutes les communications à
l'administration générale de; l'Art. Moderne, rue de Plndustrie, 26,. Bruxelles.
^OMMAIRE
MÉTEMPSXCUpSE DE ROMANCIER. Ltt BlèVrC. — Au SaLON DE
Bruxelles. Le coin des négligés. — ■* Musicologie. Parsifal. —
L'orthographie. — Le Claque-Dents,^ par Louise Michel. — La
VENTE Renier ChalonJ -^ Petite chronique.
MÉTEPSÏCHOSE DE ROMANCIER
A propos des Vieux quartiers de Paris. — La Bièvre, jwr
J.-K. HuYSMÀNS, Paris, L. Genonceaux, 1890, petit ia- 4°, 43 p.,
avec 23 dessins et un autographe de l'auteur. , -
J. K. Huysmansf Que de souvenirs littéraires! et,
parmi eux, surgissant en tour aiguë, ARebours! (1).
En rade, A vau-l'eau. En ménage : études tour-
nantes, tranchantes, cruelles, comme des moulins à
rasoirs dans le tube ténébreux des oubliettes, hachant,
€n leur chute, les âmes désillusionnées, et pourtant amè-
rement satisfaites de leur pantelante douleur.
Le voici qui délaisse la forme romancière, et devient
~^escriptif. Les vieux quartiers de Paris! D'abord la
Bièvre, et annoncé : Saint-Séverin. La Bièvre, celle
d'aujourd'hui, écrouée dans les inteisïiinables geôles des
égouts, dans des tunnels, sortant, juste pour respirer,
de terre, au milieu des pâtés de maisons qui l'écrasent ;
(1) Voir rAri moderne 1884, pages 225, 233 et 266.
avec, contre elle, une recrudescencei d'âpreté au gain,
un abus de rage qui opprime l'agonie de ses eaux, la
chassant, la traquant, l'exterminant, épuisant ses der-
nières forces pour l'industrie du cuir tanné, étouffant
ses derniers râles jusqu'à ce que, prise de pitié, la Ville
intervienne et réclame l^ morte, qu'elle ensevelit, sous
le boulevard de l'Hôpital, dans la clandestine basilique
d'un gigantesque collecteur. — —
Quels coups de pinceau descripteurs ! Ainsi parle le
grand Imaginatif artiste qui, même quand il saisit intel-
lectuellement la réalité visible et tangible, en eîcprime
des sucs qui n'en jailliraient pas sous des doigts moins
puissants. Et il achève par cet adorable pastel, matière
de l'autographe de lui qui orne ce livre, d'une petite
écriture droite, active, verraiculaire en ses tortille-
ments, à ratures et reprises rares, courant, courant
telle qu'ui^myriapode, et clôturée par la signature mon-
tante (celle des orgueilleux) par laquelle s'exprime et se
révèle aux attentifs, l'âme compliquée du grand artiste :
« Et pourtant, combien était différente de cette
humble et lamentable esclave^ l'ancienne Bièvre ! Ecclé-
siastique et suzeraine, elle longeait le couvent des Cor-
delières, traversait la grande rue Saint-Marceau, puis
filait à travers prés sous des saules, se brisait soudain,
et devenue parallèle à la Seine, descendait dans l'enclos
de l'abbaye Saint- Victor, lavait les pieds du vieux cloî-
tre, courait au travers de ses vergers et de ses bois, et
se prépipitait dans le fleuve, près de la porte de la Tour-
nelle.
« Liserant les murs et les tours de Paris où elle
n'entrait point, elle jouait, çà et là, sur son parcours,
avec de petits moulins dont elle se plaisait à tourner Içs
roues; puis, elle s'amusait à piquer, la tête en bas, le
clocher de l'abbaye dans l'azur tremblant de ses eaux,
accompagnant de son murmure les oiticesiet les hymnes,
réverbérait les entretiens des moines qui se prome-
naient sur le bord gazonné de ses rives. Tout a disparu
sous la bourrasque des siècles, le couvent des Corde-
lières, l'abbaye de Saint-Victor, les moulins et les
arbres. Là où la vie humaine se recueillait dans la con-
templation et la prière, là où la rivière coulait sous
l'allégresse des aubes et la mélancolie des soirs, des
ouvriers affaitent" des cuirs, dans une ombre sans
heures, et plongent des peaux, les « chipent », comme
ils disent, dans les ciîVes où marinent l'alun et le tan;
là,. encore, dans de noirs soutei*rains ou dans des gorges
resserrées d'usine, l'eau exténuée, putride.
« Symbole de la misérable condition des femmes atti-
rées dans le guet-apens des villes, la Bièvre n'est-elle
pas aussUIemblématique image de ces races abbatiales,
de ces vieilles familles, deçes castes, de dignitaires qui
sont peu à peu tombées et qui ont fini, de. chutes en
chutes, par s'interner dans l'inavouable boue d'un fruc-
tueux commerce? " i
Voici donc J.-K. Huysmans assidu aux œuvres de
description, et s'y appliquant avec amour, prodiguant
l'inépuisable imprévu de ses images. Il n'y a que
quarantê-trdi»^pagesr^squeHerles vingt-trois illustra-
tions mangent une grosse part. Et néanmoins la lecture,
tôt terminée de ce court récit,. laisse le souvenir plein
de scintillements et de prismatiques colodages. Ce n'est
pas le procès-verbal d'une descente dans quelqu'un des
reculés déserts parisiens, exact en sa sécheresse; c'est
un perpétuel tâtage par les mains, dirait-on, par les
yeux tentaculairement projetés, allant toucher, palper,
caresser le dehors et lui communiquant on ne sait quoi
de palpitant, de douloureux, de tendre, de vivant
surtout.
* Le roman, abandonné! Un besoin de faire autre chose,
de se détourner, d'appliquer à. autre chose les merveil-
leux outils artistiques, souples en leurs ressorts et leurs
articulations, si effilés, si prestement pénétrants par
leurs fines pointes vrillées, d'un acier luisant et froid,
tenant du bijou, de l'horloge, de toutes les ingénieuses
et inquiétantes mécaniques modernes, indéfinies en leurs
surprenantes complications, en leur diversité tour-
mentée. C'est qu'en effet, c'est si épuisé, si monotone-
ment fatigué, ce roman dix-neuvième siècle, exténué de
pulluler, troupeau énorme, myriadaire, plus obsédant
que les vermines, qui a proliférié âiî'égal des lapins aux
générations indestructibles qui dévorent les bois et les
champs australiens. Oh! la satiété de qui le lit, la
satiété plus affadissante de qui le fait! Comment s'y"
résigner encore, ayoir le courage de s'asseoir devant
le métier et de lahcer machinalement et interminable- -
ment la navette pour tisser cette toile banale ?
Voici que le tisserand déserte son échoppe et cherche
un autre labeur. Assez d'analysée de nos mœurs con-
temporaines et de nos âmes contemporaines. L'homme
ambiant et ubiquitaire ne tente plus. L'inventaire de
ses passions et de ses aventures est achevé. %i'on en
dresse l'acte de clôture, qu'on le signe et) qu'on le
paraphe.. Cette immense encyclopédie est arrivée à la
dernière lettre. Si l'on s'occupait maintenant des
choses?
Et l'on va aux choses, celles d'autour de soi et celles
du lointain et des voyages. Ce n'est plus le quelconque
écriyeur qui fait cette besogne, c'est l'artiste, et d'admi-
rables œuvres éclosent, rares encore, mais avant-cour-
rières et présageant. Un glissement s'accuse, lentement
une métempsychpse s'accomplit. L'intérêt n'est plus aux
fabulations insipides en lesqiielles s'attardent, tristement
entêtée, la troupe des éreintés qu'un singulier destin aV
estampillés de noms uniformément rimant en et : Ohnet,
Theuriet, Bourget, Daudet. Le mal de mer vous prend
à être tangué et roulé dans . la chaloupe de l'éternel
adultère, ce lien commun inextirpable du roman fran-
çais. On hurle au changement. On l'attend, on .l'espère,
et alors qu'une première colombe de l'arche tournoie au
dessus de nous, (telle cette Bièvre), on soupire : Enfin !
AU SALON DE BRUXELLES
LE COIN DES NÉGLIGÉS
Il nous reste à examiner, au Salon triennal^e coin
des aquarelles, des médailles, des pastels et des gravures
qui semble à plusieurs une ajoute à l'Exposition, une
chose négligeable, une cédille sous une lettre : mais. la
cédille pourtant donne sa valeur phonique au mot.
C'est après tout une bêtise que de donner à la pein-
ture à l'huile une importance plus nette, uniquement
parce'qu'elle est à l'huile. Et que de gens n'ont d'autre
motif de leur préférence vers telle œuvre. J'ai entendu
dire du portrait de M"*^ B., par Renoir. — « Ce serait
si exquis si ce n'était un pastel ». Le triomphant, c'est
que ce n'était pas un pastel, mais simplement unej)ein-
ture à tons mats. Et la bouche à bêtises qijk avait sali
et troublé l'air dé cette phrase, affirmait ainsi une
double erreur.
On s'arrête volontiers, cette année, devant les têtes
déjeunes filles, par M"® Louise Breslau. Une vivacité
intense, une ardeur tendue impriment la vie des yeux sur
tel visage; sur tel autre, c'est la grâce preste et exotique
qui éclate. Les multicolores crayons sont maniés, on
./
f
dirait d'une manière négligée, mais combien artiste,
Les traits serpentent les uns noués aux autres, ou bien
ce sont des hachures ou plutôt des écritures soudaines
et violentes. Quelques lignes comme d'une allumette
contre le papier sablé. Art de très moderne intérêt,
exécution de femme en même teiJips que nerveuse,
triste. '
Tout près, une scène en un jardin, par Larsson. Con-
. trairement à M"* Breslau, quj griff'e et burine, cet
artiste-ci étend ses tons avec le crayoi^ à plat : l'en-
semble, très clair et très chiffonné, fait songer à des
poussières d'ailes de papillon juxtaposées. Léger, aérien,
volatif, toute une série d'adjectifs prestes et minces,
vous viennent aux lèvres pour juger son envoi.
Aussi, un garçonnet de M. Van Camp. Elégant et
d'une juvénilité de belle disthiction, la main caressante
au chien qui l'accompagne et la tête tournée légèrement
et presque sou rieuse. Le pastelliste lui a donné une pose
non prétentieuse, mais une pose" cependant.' Avec son
harmonie de couleurs apaisées, l'œuvre attire ; on lui
rêve déjà.on lui rêve trop, la pièce bien meublée où,
dans quelques semaines, elle — selon l'expression iné-
vitable— «fera bien». -_.
Et voici les envois de M. WoUes tous soignés, étu-
diés, tranquilles. Et les eaux-fortes de M'"® Jules Des-
. trée, caractéristiques et vigoureuses. Et celles de
M. Storm de 's Gravesande, dont l'une, les Lagunes de
Venise Q^i d'impression spécialement choisie. Certes est-
elle de, tous les cuivres mordus d'alcool de M. Storm,
la plus aérienne, la plus vivante d'eau et de lumière,
la plus large et la. plus belle que nous sachions. La
pointe légère et sûre a fait merveille entre les mains
(le cet artiste, très retiré de toute coterie, très appliqué
à son métier, très, parfois, sobrement^ et délicatement
décoratif, bien que la vigueur et la forcelui soient qua-
lités dominantes. ->
Whistler. Des riens ; des pattes d'arai^ées et de
mouches; quelques taches; quelques traits. Les blancs
, et les vides jouent, dans les envois de M. Whistler, un
bien plus grand rôle que les noirs. Ses eaux-fortes sont
des recherches de décoration menue. L'aspect de cer-
taines choses vieilles, de maisons et de rues d'où les
lignes banales sont exclues, le sollicitent. Et, quoique
l'émerveillement devant ces preuves d'art indéniable
soit grand, on aime à se figurer le peintre n'yjtrouver
qu'un amusement de doigts et une joie de regards qui
trouvent, en passant.
Deux dessins, où les apparences du faire de M. Mel-
lory se* rencontrent, signalent le nom de M"'" Baldorf a
~ l'attention visiteuse, et, tenant le milieu de la salle, un
pastel signé Abry.
Enfin, les médailles de M. Chaplain, d'une invention
habile, mais souvent bourgeoise, s'arrondissent dans
leur grand cadre comme de larges *monnaies. Celle
portraiturant M. Meissonier, d'une griff'e si nette, nous
séduit, et aussi les 'quatre têtes d'enfants encerclées
en un même nimbe dé métaL M. Vander Stappen
voisine avec M. Chaplain. Un bas-relief de bronze, dont
le placement, en oblique rompt l'unité, s'impose par
dé patents mérites de goût et d'art.
Nous avons voulu détailler ce salonnet parce qu'il est
de coutume de n'y presque point entrer et de décider
volontiers que tout ce qu'on y expose est déchet du
grand salon. La manie de la pancarte bellement et fas-
tueusement étalée est loin d'être chosfe d'antan. L'aqua-
relle fraîche et min-juscule ne vaudra jamais, iaux yeux
à lunettes des pédagogues de la peinture, un empha-
tique et hôteldevillesqueBrozik.
^U^ICOLOqiE
PARSIF AL de Richard Wagner. Légendr, drame, partition,
par Maurice KuFFERA'rii. — Paris, Fischbacher, 1890; un vol. iii-S"
de 290 pages.
Les vacances, les douces vacances qu'une Mercuriale récente
a solennollemenl exallées, les vacances, saison de voyages et de
rêves, de repos el d'oubli, ont accumulé les livres, les brochures,
les revues, sur le rayon de bibliothèque destiné aux publications
nouvelles. Et tardivement (mais vraiment toute vie n'est elle pas
arrêtée en ces mois d'août et de septembre ?) nous faisons un
choix, parmi les alluvions de l'été, pour recommander les
meilleurs aux liseurs, aux penseurs, aux friands de neuf.
Quelques ouvrages traitant de la musique ou s'y rattachant :
el en première ligne, -dominant les antres par l'intérêt du sujet,
par la grande allure critique du livre, par la conscience des
recherches, par la clarté et l'élégance de l'écriture, le Parsifal
de M. Maurice Kufferaih.
Ce très substantiel volume, qui résume en 300 pages l'art
poétique et musical de Wagner arrivé à son apogée, est fait pour
donner h ceux qui ne connaissent pas le drame admirable du
Maître (mais en est-il, parmi ceux qui nous font l'honneur de
nous lire?) l'impérieux désir de s'en pénétrer. Il est pour lés
autres plein de documents attachants et de révélations.
M. Kutfcrath est allé, dans les brouillards de l'histoire el de
la légende, découvrir les sources auxquelles Wagner a puisé l'idée
première du poème. Est-ce en France, au xii« siècle, comme on
râ prétendu, qu'elle a pris naissance ? Non pas. S'il eslvrai qu'à
ceUe époque elle a revêtu la forrue épique, elle existait anté-
rieurement. On la trouve, vague mais déjà perceptible, dans des
poèmes aniérieurs, el non seulement en France, mais en Alle-
magne, en .Angleterre. Et ces poèmes étaient eux-mêmes des
reflets de poésies plus anciennes, écloses en Orient, en Grèce, en
Italie
Chrétien de Troies, il est vrai, tixa«lc mythe, qu'il emprunta
surtout aux légendes de Bretagne,, et son Perceval, dans sa philo-
sophie naïve, qui était celle de toute la chevalerie de l'époque,
acquit une extraordinaire popularité.
.Mais c'est moins de Cliréticn de Troies, le Français, que de
Wolfram- d'Eschcnbach, le Germain, que s'inspira Wagner. Elle
Parzival du vieux iniivies/'i)ig,er, avec le mysticisme dont il miligea
A-
le caractère clievaleresque ei la louchante simplicité de son liéros,
apparatl bien plus dans le drame du maître que dans les rois du
' Graal imaginés par ses prédécesseurs.
Ce qui caractérise ParsifaI, incarnation dernière et magnifique
de ce personnage qui lient une si grande place dans la poésie,
c'est le sentiment nouveau que lui prôte Wagner, le sentiment
d'universelle pitié et d'humaine clémence, propre à notre époque,
qui transforme le traditionnel un roman de chevalerie et d'amour
en un dt'ame de la plus haute portée morale.
C'est le « doute » qui forme le pivot sur lequel tourné le poème
de Wolfram. « Le doute est proche voisin du cœur, et fait souf-
frir l'âme », dit-ij. Wagner a substitué à ce ressort une conception
infiniment plus haute, el M. Kufferath l'expose nettement :
« Son héros n'est pas un esprit en proie à rincertitude reli-
gieuse, ce n'est pas une sorte de Faust du xiie siècle. ParsifaI ne
connaît aucune espèce de doute; il passe dans le monde, c'estrà-
dire dans le drame, sans aucun souci des croyances; tout, en
revanche, est tourné chez lui vers la vie émotionnelle : c'est une
ûme pure et simple d'enfant qui entre dans l'existence avec la
seule notion de sa jeune force. et la véhémence de ses désirs,
inconsciente d'abord du monde de sentiments qui sommeille en
elle, mais tout disposée, par sa pureté et sa sincérité mêmes, à
répondre plus vile au premier appel de la piiié. Wagner nous
montre cette âme s'éclairant peu à peu, se développant par
l'épreuve des réalités douloureuses, el s'élevant, par la sympa-
thie à toute douleur, jusqu'au sentiment le plus purement humain
que les philosophies et les religions aient proclamé : h Piiié
compatissante.
Telle est l'idée fondamentale. Ce que Wagner emprunte à la
vieille légende se trouve ainsi plus rapproché de nous. Car il est
à remarquer que celte idée de pitié dont le ParsifaI est la plus
haute glorification dans la poésie moderne, traverse toute la litté-
rature de ce siècle, interprétée par les poètes les plus divers dans
le même sens que par Wagner. Tout l'œuvre de Victor Hugo,
pour ne citer que lui, est imprégné de cette idée; et le poète n'a
jamais été plus élevé, plus éloquent, plus persuasif qu'en lançant
l'anathème à la colère et à la haine, en priant pour les humbles,
en évoquant, au milieu des grands faits du passé ou du présent,
la douce image de la Pitié.
Ce n'est pas dans la littérature seulement, mais dans les mœurs,
dans les relations sociales, jusque dans la vie politique qu'un
même et universel mouvement a poussé les esprits pendant toute
la première moitié du siècle vers une sorte d'apaisement général.
Des querelles séculaires de peuples à peuples se sont subitement
éteintes ; les haines de classes ont disparu ; avec un généreux élan,
les plus grands esprits se sont passionnément dépensés à la
récherche d'un adoiicissement aux incompatibilités sociales ; la
guerre même s'est humanisée; c'a été, en un mol, comme un
grand souffle de charité qui a passé sur le vieux monde, el qui,
pour un moment tout au moins, nous a rapprochés toul à coup
de l'idéal du christianisme primitjf proclamant l'égalité des hom-
mes en face du monde païen et instituant la loi de pardon et
d'amour.
ParsifaI n'est autre chose qu'un hymne magnifique à ce haut
sentiment. »
Les chapili*es que consacre l'auteur à la genèse dé l'œuvre, à
son exécution; à l'analyse du poème el de la partition, ne sont pas
moins attachants. Bs témoignent tous, non d'une érudi lion faci-
lement acquise au prix de quelques stations dans les biblio
thèques publiques, mais d'une compréhension supérieure et de
vraies facultés critiques. Le volume de M. Kufferath. est de eeux
qui demeurent, elque le souvenir unit, définitivement, h l'œuvre
d'art qu'ils commentent.
L'ORTHOGRAPHE
Voici comment quelques grands hommes (el quelques grandes
femmes) traitaient Telle matière, instrument de torture de notre
enseignement contemporain, poussée à un tel point de pédan-
tisme qu'on juge de la valeur des gens sur une faute de grammiaire.
Il est juste de dire que sans aller jusqu'à l'ultra fantaisie de
Henri IV et de la duchesse de Longueville, quelques-uns com-
mencent, de noire temps, à peu se soucier s'il faut deux p à
apercevoir el si essentiel s'écrit avec un c ou un /. Un peu de jeu
ci de détente dans les ficelles grammaticales ne fera pas de mal
cl allégera les souffrances scolaires de la prime jeuns^e.
Voici d'abord un échantillon de l'orthographe del^lenri IV.
C'est la Nation qui le reproduit ainsi que les suivants :
« Despuys le partemant de M. le grand constance est arryvé,
don jay receu un extrême eonlantemant, pour avoir ceu bien par-
tyculyèrement par lui de vos nouvelles. Je vous remercye ma
belle mettresse du presanl que vous mavès envoyé. Je le métré
sur mon abyllemenl de teste sy nous venons à un combat, el don-
neré des coups despée pour l'amour de vous. Je croys que vous
mexanteryès bien de vous randre ce lemoygnagc de mon affec-
lyon, mais an ce qui est des actes de soldat je nan demande pas
conseyl aux famés. »
La duchesse de Longueville écrivait en plein xvii* siècle :
« Monsieur feron honorant de tout mon cœur le dessain dcsla-
blir un monastère a paris en Ihonneur du saint sacrement Je me
suis résolue d'en eslre la fondatrice et pour cet affect Je vous prie
poursuivre lafaire en mon nom et den informer monsieur le car-
dinal barbarin et monsieur le cardinal bcntivoglio et monsieur de
betune pour lesquels Je vous envoyé des lesires que vous leurs
présenterez de ma part si vous avez besoin d'une procuration de
moyfaicle sen dresser une minute et Je vous la feray expédier
Icy cependant cesire lestre vous en servira el vous asseurera que
Je vous sauray très bon gre de la peine el du soing que votre
zelle vous faicte apporter en un cy sainct œuvre. «
Voici un morceau de lettre de M"»» de Sévigné :
«^Vous me permeltrés de souhartter la paix... demlcurer
dacort... perle iréparable... je suis reduitle, jay soufert... vous
pourois je... augmanlalion — abcence — indiferenl — jonore —
raport — témperamment — les febles — nous avons comancé —
tranquilité — avanture — contante — macoulumer — je suis sy
plaine de vous — souffrir ^^ suporlable, etc. »
Voici des fragments d'une lettre de M""» de Montcspan :
« Je suis bien fâchée que les soupsons de vostre Altesse
roiale est eu de sy juste fondeman et que vous soiies an nestat
de perdre un homme quy me paresi sy nesaisere au personne
ausquelle il est attaché. Je puis asesl vous dire la part que je
prans à vostre douleur. Toulte selle que vous avest me sont très
sansiblé et selle s'y me parest si resonable que je la sans double-
mant. »
Enfin un fragment d'une lettre de M™" Racine :
« Je vous escry mon chère fils auprès de votre pérc quy le
vouUail faire luy mesme je l'en el empêché ayant un remeide
t
L,
dans le corps et iayanl esté fort fatigué hier de lemetique qu'on
luy fit prendre lequelle a eue tout le suces qu'on en pou voit
espéré. »
LE CLAQUE-DENTS
par Louise Michel, 1
vol. in-l8 de 3i9 pages. — Paris, Dentu,
sans millésime.
Pauvre femme T On la dit folle, à celte heure, emportant son
rôve de charité dans quelque Iristexasile. A Bruxelles, on se sou-
vient d'elle : il y a quelques années, dans cette réunion du Cirque
où bourgeois et peuple durent capitulei; de leur bruyante hostilité,
quand la voix féminine eut fait appel àThospilaliié et à la galan-
terie (!) belges. Nous nous souvenons l'avoir revue depuis à Parip,
dans la salle Gaucher de la Montagne-Saintè-Geneviève, le rendez- ,
vous des « anarchisses.». Celait la même éiideuillée, redisant les
lamentationspopulaires sur le môme ton dolent et monotone.
Etoquenc^e sans grand apprêt, faisant oublier les écarts de pensée
par la montre d'une sincérité extrême et d'un dé;vouement absolu
à la cause des malheureux.
Cette pitié et celte sincérité, jointes à la conception la plus sim-
pliste possible de l'organisme social, c'est tout le Claque-Dénis:
Celui-ci, de forme nulle, d'imagination nulle, de théorie nulle.
Pourtant d'un intérêt suffisant — comme tout ce qui est écrit par
des gens vus à l'œuvre — ne fûl-ce que pour répondre h celle
question : Quelles explications de la sociélé se donne à lui-même
un cerveau de « pétroleuse »?
Un credo politique dans l'enfance ne peut s'harmoniser qu'avec
des idées enfantines. En place du dynamisme social, un petit
joujou de. mécanique, qu'on peut décomposer en aussi peu de
parties qu'une mignonne machipe chauffant à l'esprit de vin.
D'abord, les humains étiquetés dans la classe des bons, les petits,
ou dans celle des mauvais, les grands — à l'inslar du moyen-âge
qui ne distinguait qu'entre anges et démons. Toutes les grandes
forces, aux mains de quelques rouages, opprimant, écrasant,
triiurant les faibles, de gaieté de cœur voulant le mal : la Politique,
un tas de croisc-les-bras; la Finance, une pieuvre qui accumule
sluprèusement en faisant le Vide autour d'elle; la Justice, une
redoutable qui trompe infailliblement les assez bonasses pour
croire à son équité.
Conception enfantine que celle qui ne perçoit pas l'organique
fatalité des grands crimes sociaux : l'inévitable économique des
accaparements, même par les bons; robsltnaiion absolue de ce
qui est et fonctionne immémorialement, contre les réformateurs
de la meilleure foiHù monde; l'invincible de l'erreur chez les
plus justes appelés à formuler des jugements.
Elle redevient plus elle-même, Louise Michel, et vibre son
style d'une vérité plus sentie quand il est parlé de ce sentiment de
terreur quasi mystérieux qu'éprouvent les humbles à toute
approche du monstre social, prêl à faire d'eux de funèbres holo-
caustes. Et l'espèce d'inconscience des sacrifiés par rapport aux
causes de leur e^ftcrmination : Comme si l'homme n'avait pas
assez à lutter avec la Nature, cette mère à rebours, qui le pulvérise
sans qu'il sache pourquoi, ni qu'il puisse délourner par un vou-
loir assez inleiligent, les coups de sa nécessité! Voilà — parachè-
vement — que confinés dans le même territoire, contraints à se
mouvoir au milieu du même réseau entortillé de prescriptions
juridiques, doivent vivre côte à côle des êtres qui obéissciit aux
mobiles les plus différents : les malins et les ignorants, les sim-
ples et les retors. N'esl-cc pas le broyement prévu de tous les
faibles inadaptables à ces rouages créés pour les forls et ceux qui
ont la science nécessaire pour s'en servir.
Mieux que le meilleur outillage de lieux communs révolution-
naires, la mise en œuvre de ce sentiment plaide la cause des
« claque-dents ». Les appels à la « Sociale », les doléances sur
la « Nouvelle », les menaces de la « Grève noire », les gros
mots et l'injure à jet continu, rappellent trop les réunions de la
salle Gaucher et pas assez les virulents pamphlets des Rochefori
et des Bloy. Quand Louise Michel laisse parler son cœur, elle est
plus éloquente, car elle est une sincère. Alors, derrière les mois
et les phrases du livre circule le souffle puissant des grands jours
de la justice populaire. ^
« Ces jours-là, dans une vision terrible, le souvenir des rues
« changées en abattoirs, de la^eine roulant sous le ciel rouge
« deux filets sanglants,. de catacombes où, aux flambeaux, avec
« des chiens, on fit la chasse à l'homme, toutes ces choses dispa-
« rues depuis vingt ans et plus, se dressent vivantes,
« Pourrait-on jamais venger tous les forfaits, et puis, est-ce
« que cela. servirait à quelque chose de détruire les oppresseurs
« au lieu d'ôter l'oppression qui en ferait d'autres?
« La foule, elle, aux heures terribles, ne réfléchit pas, elle
« sent; des millions de bras saisissent n'imporic qui ayant com-
« mis un crime contre elle ; dans des millions de poilrines gronde
« la même haine, les tocsins vibrent d'eux-mêmes cl l'homme est
« lynché avant que ceux qui le font aient eu le temps de penser
« à ce qu'ils font.
« C'est tous et ce n'est personne, c'est la fatalité des repré-
« sailles. ^
« Qu'importe, puisque noire temps maudit va finir avec son
« enchaînement de tortures. Les douleurs qu'on éprouve, n'est-ce
« pas la naissance de l'ère nouvelle où l'homme conscient çl
« libre remplacera le troupeau humain? »
LA VENTE RENIER GHALON
Encore quelques jolis titres de livres de la vente Chalon qui
commence demain chez Edmond Déman, rue d'Arenberg. \op^
notre dernier numéro. Rappelons qu'à côté de ces badinages il y
a du grave et du sévère à foison, et du savant, et de l'artistique.
897. Ragot. Sirop au cul ou l'heureuse délivrance. Tragédie
heroïmerdifique. Au Temple du Goiil. S. .1. n. d., fn-S», rel. v.
— Recueil contenant plusieurs pièces de théâtre assez libres,
quelques-unes avec musique notée.
899. Martinus. Oratio pro crepilu venlris. Cosnwpoli, ex typo-
graphia societaiis Palrum crepitantium, 1768, in-24, rel. v.,
tr. dor.
ÔOO. Swift (D'). Le grand mistére ou l'art de méditer sur la
garde-robe. S. 1. n. d., in-8*, rel. vél. — Curieux cl rare
ouvrage scatologique.
901. Trompette (C»« de la). L'art de peler ou manuel de l'ar-
tilleur sournois. Moncuq, Tournette, s, d., in-8»., grav., broché.
-^^. sur papier de couleur. — On a joint : La France constipée
ou paris foiré, suivi de la chiropédie. Foiropolis, 1861. — Les
Francs-Péteurs. Caen, 1854. — Chicourl (D').- Description de six
espèces dé pets. Trôyes, s. d. — Lubert {W^" de). Histoire
sjcrèle du prince Crocqu'élron et de la princesse Foirelle. Nice,
Gay, i873.i — (iras el maigre ou nouveau merdia-Pissa-Foirillyajà.
Elronopolis, s. d. ; ens. 6 vol., in-d2 cUi-8°i grav., brochés.' .
92S. Clairiau, médecin, Flccherches et considérations médi'
cales sur les vêlements des hommes, particulièrement sur les
culottes. Paris, Aubry, an Xi (1803), in-8», grav., br.
930. L'art de metlre sa cravate, enseigné en l6*leçons. Paris,
1827, in-i2, br., etc.; ens. 7 vol. in-12 et iiL-J", br. et dem.rcl.
--r- Histoire de la cravate et du col. t— L'art de relever sa robe.
— L'art d'élever les lapins, etc.
954. Mercier de Compiègne. Éloge du Sein des femmes.
Paris, Barba, 1803," in-12, cart. — On a joint : Clu D. Discours
sur la nudité des mamelles des femmes par un réyérend . père
capucin. — (Boileau). De l'abus des nudités de gorge. Gand,
181)7-1858, 2 vol. in-S», pap. de lioll., brochés; ens. 3 vol.
962. Brevis instruclio Sponsi et mcthodus béne consummandi
malrimonii. Hœc non sunt scripta pueris sed sponsis et marilis.
Manuscrit in 4», rcl. v. (xviii" s.) — Volume curieux, dont une
partie est en latin, une autre en llamand et une troisième en fran-
çais. — On a joint 11 autres volumes traitant du même sujet.
Il est vraisemblable que le Parquet fera une descente soil pour
saisir..., soit pour acheter. Car s'il y a des magistrats sévères, il
y a aussi des magistrats spirituels.
pETlTE CHROj^IQUE
>: j«
Notre Petite Chronique est ouverte à quiconque désire
communiquer a]a public un fait intéressant l'Art ou les
artistes. . •
Adresser les lettres à la Direction de l'Art Moderne, 32, rue de
V Industrie, Bruxelles.
A la distribuliom des prix qui aura lieu le mois prochain ^u'
Conservatoire, et qui comprendra deux matinées musicales, on
entendra deux œuvres nouvelles, inédites, d'auteurs belges de la
jeune école: une Rhapsodie de M. Paul Gilson, une Sarabnnjle et
Bourrée de M. Léon Soub'ro. Ces deux compositions sont écrites
pour orchestre d'instruments à cordes. Mises en répétition dans
la classe d'ensemble instrumental sous la direction de M. Emile
Agnicz, elles ont", nous dit-on, produit un excellent effet.
L'an dernier ou avait déjà, on s'en souvient, rompu en faveur
de MM. Degreef et Léon Dubois avec la tradition qui exige qu'on
n'interprète au Conservatoire que des œuvres momifiées. A la
bonne heure ! Voilà qui est fait pour donner un peu de courage
aux jeunes. Le Conservatoire n'a pas voulu se laisser distancer
p'.ir les concerts des XX.
Au premier concert de la saison, ;^xé au 21 décembre,
M. Geyacrt fora exécuter la cantate Magnificat de J.-S. Bach,
pour soli, chœurs et orchestre.
M. Henry de Régnfer fait désormais, avec MM. Pierre Olin el
Albert Mockel, partie de la direction de la Wallonie. Cette revue,
qui a inauguré les numéros consacrés tout entiers à un même
écrivain, lui permettant ainsi de produîre des suites de proses et
de vers formant un tout étendu, publiera prochainement des
livraisons dédiéL^s aux tilcnts de MM. Quillard, Grégoire le Roy,
Vielé-Grifïîn, Henry de Régnier.
Ce dernier vient de passer quelque jours en Belgique où la
littérature nouvelle lui a fait fête.
Victor Arnoui.d, est un écrivain, un artiste... et un homme.
Nous lui demandions dimanche dernier pourquoi sa plume, sa
forte plume, souple et effilée, de capitan littéraire, ferraillait dons
la slupide bataille électorale qui ' présentement tapage dans
Bruxelles. — C'est à en pleurer, disions-nous. — Un autre se fût
fâché ct'eût tourné sur nous sa rage, ses estocades et ses taillades.
Lui, galamment et vaillamment, répond dans frt iVfl/ion : ,
« L'Art moderne nous demandait comment nous avions pu
nous occuper pendant une minute de ces luttes sans objet, sans
but et sans issue, où tout doit périr parce que tout est mutilé, et
de ce qu'il appelait ces.querelles byzantines ealrc l'Association,
la Ligue et le Parti ouvrier, où tout allait à vau-l'eau, parce que
ce n'est plus qu'uhe submersion d'un jour au lieu d'un courant
réglé et d'un fleuve ! Querelle byzantine est, en effet, le mot exact. ■
C'est bien Byzance, ce conflit incessant, bruyant, vide, où rien
n'est déterminé, rien compris, voulu, suivi, et où s'usent.sans
profit, sans grandeur et sans gloire, les uns contre les autres, et
seulement pour se diminuer et se réduire, les hommes, les idées,
les tendanceSj dans un frottement perpétuel, acharné et stérile!
Byzance vécut mille ans dans ces querelles ingrates, el, en mille
ans, il n'en sortit ni un Homme, ni une Idée, ni une OEuvre. Rien !
Là' aussr, pendant mille ans, il y eut des politiques qui n'étaient
que des femmes de ménage, arrangeant, combinant, triturant,
cuisinant, fricassani, fricotant, liardant et qui faisaient de i'èm-
pire un immense Pot-Bouille. » -
Ah ! il est peu fait pour les turlupinades, cet artiste qui seul chez
nous, dans le journalisme, et au dessus certes des meil.leursjle
la presse française, sait parler ce langage élevé de l'âme el de
l'afl en traitant de la politique. Qui, chez nous, se doute decçttc
supériorité? Qui pense qu'il y a là un écrivain de tout premier
ordre?
Un correspondant de la Gazette de Liège, relatant une visite
aux châteaux de Bavière, évoque le souvenir du riiystérieux roi ,
Louis : . '
« Aulanl Linderhof déplaît par son opulence criarde, autant
Neuschwanslein force l'admiratiôa par son admirable disposition
et par le goûl qui a présidé à sa décoration. Ici, le caractère si
t^nystérieux, .si étrange et si peu cOnnu de celui qui fut Louis II,
apparaît de façon curieuse, singulièrement saisissante. Esl-cc
bien la conception d'un fou que celte salle du trône où la mosaïque
du sol symbolise la terre, où le Christ préside dans une gloire
d'or, ayant à ses pieds les rois saints, où le trône d'or gardé par
des lions devait se trouver entre le Ciel el la Terre?
Elles sont innombrables les pensées de ce genre qui ont dicté
au roi de Bavière certaines dispositions qui étonnent dans ses
palais. Et à côté de beaucoup de fautes de goûl, à côté de beau-
coup d'erreurs, il y a des idées si grandes, il semble y avoir un si
grand soucL du rôle imposé aux souverains, qu'on se demande
parfois si cet orgueil sans bornes qu'on a souvent reproché à
Louis II était bien personnel ou si ce n'était pas seulement le
principe delà royauté qu'il voulait garder plus grand à un moment
où il le voyait s'affaiblir?
. Certes, les moyens qu'il employait étaient mauvais, el ce n'est
pas en ruinant son peuple qu'un roi devient grand, et là sera
toujours la faute de Louis 11 qui, niàlgré tout, fut, je jiense, moins
un fou qu'un mystique inquiet el un rêveur ins-alisfait. » ^
D'apl'ès une h'g.^nde recueillie dans la province do Séville, dit
l'Eclio de Paris, Don Juan de Marana, le héros du chef-d'œuvre
N
m.
de Mozarl, n'aurait pas été le pécheur. impénilent que nous ont
montré Molière et Da Ponte. Loin de mourir le blaspliôine U la
bouche, il agrait fini, au contraire, dans la peau d'un pliilan-
thropo.
Certain soir, en sortant d'une orgie, — ainsi débute le réeil, —
Don Juan parcourt la ville en quête d'une nouvelle aventure. Vient,
à passer un enterrement. Il arrête le cortège et, railleusemenl.
s'informe du défunt : « Nous enterrons Don Juan de Marana »,
lui fut-il répondu.
. Un peu frappé par cette, réplique,, mais toujours gouailleur,
noire héros se mit à suivre le convoi à travers les ruelles tor-
tueuses. Enfin, on arriva U l'église. Pendant que les chants
funèbres ébranlaient les voûtes, pareils aux voix du jugement
dernier, on plaça la bière devant l'autel^ on enleva le couvercle,
et Don Juan, en se penchant pour regarder, se reconnut lui-
même au fond du. cercueil. Terri(ié, il recule et tombe sans con-
naissance. ■
Le lendemain, lorsqu'il rouvrit les yeux dans l'égliso déserte,
il lui sembla qu'il scveillait dans une vie nouvelle et que c'était
son existence passée qui avait élé enterrée par les esprits. Il
employa toutes ses richesses à l'établissemoni d'un hôpital
chrétien, VHospicio de il Cnridad, et se consacra, pour le reste
de sa vie, au repentir et à la piété.
M. Auguste Dupont, qui n'est pas complètement rétabli de
l'indisposition dont il souffre depuis quelques semaines, a été obligé
de prendre un congé au Conservatoire. A sa demande, M. Gevaort
a chargé M. Camille Gurickx, professeur au Conservatoire de,
3Ions, de faire rintérim du cours de piano (classe des jeunes
filles).
Le choix est excellent. M. Camille Gurickx est, on le sait, l'un
des plus brillants élèves de M. Dupont. Il s'est acquis, tant en
Belgique qu'à l'étranger, et notamment aux Etals-Unis, une répu-
tation de pianiste de sérieuse valeur et de compositeur dc-'méritc.
Ajoutons que les nouvelles que nous venons de recevoir de la
santé de M. Dupont sont des plus rassurantes.
On vient de distribuer le catalogue des collections de feu Léon
Slaes, l'expert jiotable, figure bruxelloise bien connue, d'une
finesse consommée sous son apparence un peu lourde de bour-
geois tranquille. Il y a 12S0 n"" : porcelaines de tous les pays,
faïences de tous les coins, argenteries anciennes (devenues si
rares depuis la formidable extension des imitations par les juifs
d'Allemagne), bijoux, médailles, monnaies, bronzes, cuivres,
meubles, vilraux, verroteries, cristaux, ferronneries, armes,
terres cuites, marbres, bois et ivoires sculptés, étains, grès,
miniatures, étoff'es. Un pelit musée de Cluny, sjns compter les
tableaux, aquarelles, livres, gravures, pour lesquels un catalogue
déposé. Tout cela sera vanné au vent des enchères, en la salle
Saint-Luc à Bruxelles, 10 et 12, rue des Finances, les 11, 12,
13, 14, 17, 18, 19 et 20 novembre, à-l h. 1/2. Il y aura une
exposition particulière le 8 novembre, une exposition publique
le 9, de 10 à 4 heures. C'est M. le notaire Crick qui présidera.
MM. J. et A. Leroy seront experts.
Le baryton Emile Blauwaert vient d'être engagé, pour une tour-
née de concerts, en Allemagne, où il a obtenu déjà précédemment
de grands succès. L'artiste sera accompagné d'une pianiste,
M"" Sanderson, et d'un violoniste, M. Rummel.
On prépare, en outre, à Wiesbaden,à Mannheim et h Dusseldorf,
dos exécutions de la Damnation de Faust de Berlioz, dans les-
quelles M. Blauwaert chaulera le. rôle de Méphislo. On sait que ce.
rôle, qu'il a interprété aux concerts Lamoureu.x et li Bruxelles,
est un des meilleurs de son répertoire.
Plusieurs acquisitions ont été faites à l'exposition des Beaux-
Arts du Cercle artistique de Tournai. On nous signale entré
autres les œuvres suivantes : Une Faneuse, par M. Emile Claus ;
Forge en Ardenne et Porteuse d'eau, par M. André Colliii ; Clair
de lune, par M. Th. Verstraete; un pay.sage de M. Nobillet ; des
toiles de M. Pion, Van Leemputlen, de M""' Konner, etc.
L'exposition obtient un réel succès, et de plus en plus se répand
le goût des arls k Tournai, resté pendant de longues années
réfractaire à toute tentative artistique.
C'est mercredi prochain que s'ouvrira la saison théûlrate du
Théâlre-Libre. On jouera l'Honneur, comédie en 5 actes de
M. Henry Fèvrc. Ce spcclaclo sera donné une deuxième fois le len-
demain pôir la série B des abonnements.
Le dçuxipme spectacle sera donné dans la première quinzaine
de novembre.
On nous prie d'annoncer que les .œuvres acquises, à chacune
de ses expositions, par la Société des Aquarellistes., seront désor-
mais affectées à la tombola spéciale exclusivement réservée aux
membres protecteurs et associés.
Celte mesure entraîne la suppression de la tombola gén(Jrale h
laquelle le public a été admis jusqu'ici à participer.
Élude du Notaire GRICK, rue de la Chapelle, $, à Bruxelles.
M" CRICk procédera aux jours ci-après indiqués, en la Galerie
Saint-Luc, rue des Finances, 10 et 12, à Bruxelles, à la vente publi-
que des •
MAGNIFIQUES COLLECTIONS
délaissées par M. Léon SLAES, expert
A) Antiquités et objets d'art, argenteries, porcelaines, meu-
bles, etc., etc., les 11, 12, 13,, 14, 17, 18, 19 et 20 novembre 1890,
à 1 1/2 heure de relevée. .^
B) Tableaux, aquarelles, livres, gravures, les 26, 27, 28
et 29 novembre 1890, à 1 1/2 heure de relevée.
Ea-perts : MM. J. et A. Le Roy frères, place du Musée, 12, à
Bruxelles, chez qui se distribuent les trois catalogues et les cartes
d'entrée aux expositions particulières.
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*^' . d'une
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Théologie, Philosophie, Philologie, Littérature,
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provenant de feu Mgr VAN WEDDINOEN, . aumônier de la Cour
et de feu M. J. ROUSSEAU, curé-doyen de Spa
qui aura lieu
le MARDI 21 courant et quatre jours suivants
à 2 1/2 heures
au domicile de M. Emile Fonteyn, 16, rue de Namur, à Louvain.
. où se distribue le catalogue.
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DlXIÊMB ANNÉE. — N** 43.
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 26 Octobre 1890.
MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE GRITIQUE DES ARTS ET^EÙ LITTÉRATURE
\ .
Comité de rédaction i Octave MAUS — Epmond PICARD — Émii<b VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. lO.ÔO ; Union postale, fr. 13.00. —ANNONCES : On traite à forfait.
\ Adresser toutes les communications à . '
l'administration générale de TArt Moderne, rue de l'Industrie, 32, Bruxelles. ^
^OMMÂIRE
Le Café-Concert. — L'incendie de la Cathédrale de Sienne.
— Littérature vagabonde. ,Nptes d'un frileux, par Jean Robie.
— Paradoxes d'un bibliophile. — Concert Strakosch a Liéoe. —
Chronique judiciaire des arts. Jeanne de Ginain. — Tableau dé-
truit dçins un incendie; fixation de l'indemnité. — Petite chro-
nique.
LE CAFE-CONCERT
Il y a quelque vingt ans, ce que sifflotait, les mains
dans les poches, la casquette sur l'oreille, le pâle voyou
des rues lépreuses et ce que chantait la petite piqueuse de
bottines dans lés sous-sols ou les greniers des quartiers
commerçants, Grande Duchesse de Gérolstein, Belle
Hélène, Mère Angot, Giroflé-Girofla, c'étaient vos chan-
sons«à vous, celles que vous débitiez par la bouche des
Schneider et des Théo, chaque soir, devant les rampes
des théâtres, où des étages de spectateurs, depuis le par-
terre jusqu'au paradis, toutes mains claquantes, vous
faisaient fête et s'enthousiasmaient de vos audaces de
gestes, de vos sous-entendus de sourires et d'œillades et
de vos costumes de chair et d'or. Vous étiez l'expres-
sion de la réjouissante canaillerie du temps, vous satis-
faisiez autant qu'il l'est possible, en public, la fièvre
d'abraoadabrantisme et d'érotisme des foules, qui ont
leurs vices aus'si exigeants que les individus. Et vous
étiez des « fatalités historiques » . Vous les premières,
vous avez permis à certains messieurs de noble lignée et de
haute situation de rire, franchement, sans se gêner, au
vu et au su de tous, des vieilles choses saintes, mais si
caduques, pour lesquelles leurs pères étaient morts. Le
peuple et la bourgeoisie avaient eu beau temps, aux
jours révolutionnaires, pour se moquer des rois, des
lois, des dieux; Eux, ces aristocrates, n'avaient pu se
soulager encore ; ils restaient raides, dignes, immobiles.
Vous leur avez cinglé les jambes des fouets et de la rage ^
de votre musique et ils ont dansé et sauté et cancané
tout comme les autres.
De plus, vous avez réveillé un genre de gaieté mort
en France depuis deux siècles : le burlesque. Rabelais
s'était dilué en Jean de la Fontaine et Poquelin de
Molière ; mais Cyrano de Bergerac et le vieux Scarron,
le goutteux- de la Maintenon, où donc avaient-ils fait
regermer leur esprit? '
L'opérette n'est pas de marque gauloise; elle vient
des poèmes héroïco-comiques des rimeurs du xvii* siècle
commençant, alors que les influences italiennes passaient
les Alpes. L'opérette est avant tout la parodie. Certes,
une parodie folle, grimaçante, épileptique, jambes en
l'air. Quand le brave et podagre et calaraiteuxet joyeux,
quand même^arron (boum!) fait réciter le benedicite
par Didon (boum!) au moment de se mettre à table avec
"Enée et ses compagnons (boum! boum!.), il instaure le
comique spécial q;ii nous déride ^ entendre Hélène
parler l'argot parisien et Ajax et Achille et Aga-
memnon et tous faire des calembourgs. L'opérette
n'a pas inventé un genre tout battant neuf. Elle est
allée vers ceux d'avant Louis XIV, les amuseurs de ce
temps-là, les gros et ricanants poètes, les cornacs d'un
carnaval à travers l'histoire, les écrivains-boufï'es, aux-
quels le dindonné Boileau avait emprunté son Lutrin.
Nous croyons que cette Xgénéalogie, évidente pour
nous, n'a pas encore été mise\iîettement en lumière.
Mais, aujourd'hui, voici l'opérette morte et la chan-
son de café-concert vivante. Et\ce que siffle, les mains
dans les poches, la casquette sur Koreille, le pâle voyou
des rues lépreuses, et aussi ce que chante la petite
piqueuse de bottines dans les. sous-sols ou les greniers
des quartiers commerçants, et ce qufe des étages —
baignoires, loges, balcons, galeries — ^\le mains cla-
quantes bissent chaque soir en des Alcazàrket des Eldo-
rados empâradisés de dorures et d'arabesquekmahomé-
tanes, c'est la chanson multiforme, éclose dansée Paris
de Montmartre ou du Boulevard, et qui, jupes levées,
déhanche et grand-écarte son quadrille naturaliste^'un
coin du monde... à l'autre. La chanson a succédé à
l'opérette, elle est sa fille, certes, niais combien illégi-
time. L'opérette, avant de la mettre au monde, a couché
avec un clown anglais et s'est désarticulée pour ce. Dieu
sait en quelle voluptueuse posture, — dirait M. Frédé-
rix. Certes, les refrains en relief dans les œuvrettes des
Lecocq et des Hervé, qui se chantent, aujourd'hui
encore, dans certaines Scalas, représentent l'ancienne
chanson, mais ces romances-là ne caractérisent guère.
Elles ne font que signaler telles et telles divettes La
vraiejihanson, c'est celle de Thérésa. Celle aussi des
Judic et des Théo, et sitôt naissent la vulgarité, la sca-
tologie et le reste. Seulement, cela est supérieurement
dit, spirituellement détaillé, avec des gestes de mains et
de doigts amusants, des mouvements de buste et de
croupe vifs et prestes, des regards ahuris, des hésita-
tions naïves, et toute la variété des calembredaines
ou des mots de sapeurs logés en des bouches de pre-
'mière-communiantes. Dès cet instant, comme s'il y
avait entente tacite et universelle, des noms d'auteurs
spéciaux, de musiciens en goguette, et, surtout, un.
sous-ordre de cabots, les chanteurs de café-concert,
émergent du papier pâle des entêtes de romances vers le
rouge sang-de-bœuf et le jaune obscène de l'alhche tape
à l'œil.
La chanson est égrillarde, caricaturale, paysanesque,
militaire. Elle est patriotique aussi, et joyeusement. La
revanche est au bout du refrain, toujours. Elle sonne
et claironne les morts héroïques et familières, en képi et
en pantalon rouge. Elle s'est faite politique, non pas
comme l'ancienne chanson, mais de façon soudaine et
nouvelle, trouvant son coryphée et l'envoyant de ville
en ville faire de là propagande. Elle est essentiellement
vivante et moderne, dans l'air de ce temps et, par con-
séquent, malléable, transformable et camélépnesque.
Echo où se répercute le bruit de la rue, l'événement du
jour, les cris de rut des villes. A ce titre, plus que
n'importe quel livre, puissante. Un jour, le socialisme
's'emparera d'elle, certes.
Tandis qu'en France et en Belgique les théâtres ont
peine à vivre, les eafés-concerts sont bondés. C'est là que
les originalités les plus nombreuses s'affirment. L'un
chanteur à succès remplace l'autre, hâtivement. La
démode y galope. Transformations d'année en année,
genres nouveaux, personnages inédits, attractions vio-
lentes, cayennes de plus en plus rouges : la table où
l'on invite le public est grande et follement servie et,
sitôt le dessert fini, la nappe ôtée, une carteTiouvellff se
tend vers la gourmandise. Il faudrait innover quant à
l'aménagement des salles. Tabagies au début, elles
devraient jamais perdre ce caractère. Puisqu'on y vient,
quelques-uns afin d'y acheter du rire à cent sous,
d'autres s'y reposer des fièvres du chiffre et du chèque,
d'autres en dilettantes, certains en artistes, la plupart
en rabatteurs de petite.s femmes, le cigare et la ciga-
rette, qui nimbent de leur fumée le farniente moderne,
ne devraient jamais s'éteindre à la porte, par ordre.
Dans les salles on servirait bières, limonades, thés, vins
et liqueurs. Et la scène aussi s'originaliserait Les décors
sont ils toujours rnèmes coins de jardin ou salons à
cheminée crasseuse et à panneaux ocres ! — se mue-
raient plus en rapport avec le refrain chanté : places de
ville, rues de faubourgs, boulevards extérieurs, zincs
d'assommoirs, que sais-je! Tout serait à créer ou du
moins à perfectionner.
Depuis 'côs quelques dernières années. . . que d'étoiles
soudaines, apparaissantes, disparaissantes; quelles
chutes et ascensions en ce spécial ciel-de-lit. Quels mou-
vements, de gravitation et de répulsion, et comme tout
se transforme, se fond et se refond d'hiver en hiver, de
saison en saison. La vie afflue — vie de chanteurs,
de chanteuses et de public — donc, le café-concert nous
est nécessaire. C'en est la preuve la plus nette et la plus
victorieuse. On le combattrait au nom de n'importe
quoi, morale ou art, que rien ne serait et ne pourrait
être changé.
Bruxelles — voici déjà de nombreux^i jours —
applaudit les plus récentes chanteuses à succès. Avez-
vous entendu Yvette Gilbert, Diamantine, Pâquerette ?
A songer un iiistant que c'est l'ancestrale Thérésa
qui sert de type classique à la chanteuse, il est difficile
de justifier la filiafion de Diamantine et de Pâquerette.
On ne suit pas les degrés de la descendance par les inter*-
médiçiires : Judic, Théo, May, Duparc, Bonnaire. Pour
Yvette Guilbert la déduction est possible, mais pour
Ts^
\;
• Diamantine et Pâquerette l'intervention^ du clown
anglais s'impose.
Déjà les chanteurs s'étaient décisivement panfichés
d'acrobates. Les entrechats épileptiques, les chahuts
invraisemblables, \e delirium fremens des refrains
sauteurs, furent de plus en plus goûtés. Loin de les
atténuer, on les généralisa, et même on les accentua.
Et le faiseur de cumulets, qui dor| en tout danseur
comique, apparut^ \
Puis s'inaugurèrent le costume spéci^yk le chapeau de
soie havape, les cannes superlicoquentieuses, les habits
bleus à boutons d'or. Le geste des mains et des doigts
longuement gantés, comme les clowns sont longuement
chaussés, instaurèrent une mimique neuve, folle, inouïe,
et l'œil et la bouche et même Voreille, bougeant étran-
gement, donnèrent à la physionomie sa dislocation fau-
nesque. Les expressions les plus\oudaines d'effroi alter-
nèrent avec des rires et des riga\ades de regards, et
le nèz énorme, goulu, les narines ouvertes, huma toute\
la puante et lutirique fornication du visage.
Diamantine et Pâquerette se ' sont androgynées.
Leur jeu, leur mimique, leurs tours de forcelie bras et
de jambes? — d'un homme. Elles exagèrent leur mascu-
linité par des aplatissements de poitrine, des tapes sur
le sein et parfois des arrangements de chevelure. La
voix de celle-là est rogommée : un débardeur. Et fe^me
et homme successivement ou pas du tout ou en même
temps, elle réalise l'insexualité curieuse, l'artificielle
création des blasés et des raffinés, l'attrait des races\
plus cérébrales que sensuelles, toutes caractéristiques
de ce temps-ci.
Les costumes sont spéciaux : pas de corset, pas de
taille. Des bas noirs avec des dessous noirs. Des jupes
étranges, irrévérencieuses, belles.
Son jeu? Invraisemblable. Elle parait la tête inclinée
comme une fleur candide, les mains sur la poitrine
comme une vierge, elle file des sons doux, a l'air de
confier des prières à un ange qui passe pour qu'il l'ap-
porte à Dieu, puis crac! un juron ; une phrase où l'on
surprend le mot « punaise »; un grand et gauche geste
de pied bot tapant le sol, et Igtout se termine par un
grattement d'ongles sous l'aisselle.
Pâquerette — elle conteste à Diamantine l'invention
du genre — Qst moins vulgaire, moins voyoute, moins
sans gêne devant le public. Elle n'ose point autant que
l'autre. Elle est gracile, rieuse, pas mal. Elle innove sur-
tout par l'acrobatie de ses bras, interminables comme
les trompes d'une pieuvre. Elle caricature les Anglaises,
les balleripes d'opéra, que sais-je? Ses entrées seules et
ses sorties l'ir^diquent : fille de clown.
Si Diamantine n'a pas créé le genre,^en tous cas
l'expioite-t-elle mieux que son émule. Chez elle on sur-
-prend cette odeur de bas-fonds parisiens, ces manières
de barrière, cette joie à être canaille et tentante, et
cette ironie cynique et bien portante de jtout envers tout.
Elle n'est guère belle, pas même jolie. Elle est plus que
tout cela, puisqu'aux yeux de plusieurs la joliesse et la
beauté sont répulsives à cause même de l'admiration
générale qu'elles provoquent. La beauté a cours par-
tout comme une livre sterling. On lui fait banalement
fête, les imbéciles autant que les artistes.
Le souvenir nous restera bien plus de Diamantine que
de Pâquerette, bien que les deux noms soient merveil-
leux de pudeur et de fraîcheur, et que leur à rebours
convient si adéquatement aux demoiselles qui les iro-
nisent.
A plus tard un article sur la musique de bastringue.
L'INCENDIE DE LA CATHÉDRALE DE SIENNE
Heureusement le loit seul a brûlé. Le précieux édifice, avec ses
trésors d'art, subsiste. Mais c'a été une alerte chez tous les artistes,
chez tous les intellectuels, quand, avec le laconisme d'un incident
Àégligeabie, les journaux, toujours si misérablement décapités de
lodte préoccupation supérieure, annoncèrent la funeste nouvelle :
dos plombiers imprudents, en réparant la toiture, y avaient mis
le feu. L'incendie, activé par le vent, grandit; on attend des
secours de Florence, disaient les dépêches.
Et tout le jour qui suivit cette lecture, je fus obsédé par le sou-
venir de celte cathédrale magnifique, naguère visitée. Je la voyais
tout, en haut de h petite ville moyenâgeuse flamber, flamber irré-
médiablement dans la nuit. Ce dût être un tragique spectacle,
avec l'angoisse des écroulemenis, des flammes dévoralrices de
chefs-d'œuvre. Un des plus nobles témoignages de l'eiforl de
l'homme vers l'idéal s'anéantissait.
Les dépêches du lendemain étaient plus rassurantes : lé danger
avait disparu; les toitures intérieures avaient résisté et tout se
bornait à des dégâts matériels considérables, mais, en définitive,
réparnbles. J'eus une vériiable joie à apprendre que le péril était
conjuré.
C'est qu'elle est, en véi^té, merveilleuse, et d'une originalité
enchanteresse, cette cathédrale, l'une des plus belles de cette
Italie qui, pour se présenter au jugement des siècles, a su se
parer de tant d'inestimables monuments! A l'endroit le plus élevé
de la cité, le plus près du ciel, drossée, au dessus de la pitto-
resque et fantasque bourgade, dont les rues capricieuses, bordées
de palais massifs comme des forteresses, dégringolent de tous
côlésv elle s'aperçoit de loin dans la campagne, dominant les
tours, les tourelles et les créneaux qui font à Sienne sa caractéris-
tique silhoueile, accidentée, imprévue et charmante.
Lorsqu'on arrive, après avoir grimpé ces rues tortueuses,
devant son triple portail, c'est un éblouissement de marbres mul-
ticolores, noirs, blaiics et roses, scintillant dans le soleil, au
dessus des toits, dans l'azur, et une profusion opulente de fleurs,
de figures sculptées en la pierre fastueuse, des gerbes de fruits et
de feuillages, des animaux étranges, des gargouilles, et des pro-
phètes solennels et des archanges et des mosa'ù^ucs sur fond
d'or, le tout en l'épanouissement prestigieux d'un stvle ogival
particulier, de l'ogival que des analogies de mains jointes prédes-
tinent à la prière, mais spécialisé ici par une expansion triom-
phale, une alléf[ressc d'élre en cet air frissonnant de lumière et
d'en reriiercier le seigneur.
Les cathédrales du Nord semblenl élever ver» Dieu leurs lignes
grises comme un,e supplication désespérée; ici, c'est' un poème
joyeux, une action de grâces, un cî^nlique de louange que l'exu-
bérance de la vie fait jaillir, avec une richesse inouïe, du sol
nataî. A droite, on aperçoit la ruine d'un autre portail, gigan-
tesque vestige d'un projet jadis conçu par la fière bourgeoisie de
cette République vaillante et dont la grandeur étonne : vers la fin
du xni* siècle, au sortir de la nuit du moyen-âge, ainsi que disent
lesesprits éclairés des jours modernes, les Siennois, ayant à peu
près terminé leur église superbe, rêvèrent d'en faire une nouvelle
dont la primitive eût été le transept. Après la terrible peste
de 1348, on abandonna ce projet grandiose : mais quelle idée il
^onnc, non seulement de la ferveur de foi de ce temps, mais de
l'exaltation de sentiment communal, et d44a-^assion d'ornement
et d'art de ces petites villes d'autrefois!
On entre. Après l'éclatant soleil du dehors, l'intérieur apparaît
sombre et sévère, invitant au recueillement et au silence. Un peu
d'encens bleuâtre plane, parfum subtil; un jour pâle, très^oux
glisse à travers les vitraux. Et la somptuosité discrète des marbres
précieux, aux couleurs diverses veloutées par le temps, des vieilles
boiseries noires, des autels en fêle et du pavement unique au
monde, se perçoit par degrés. Les colonnes svelies, groupées en
piliers qui soutiennent la coupole, interrompent la régularité des
nefs, et les grandes ombres qu'elles projettent font des perspec-
tives sans cesse changeantes, déroutant toute idée du plan géné-
ral. On a l'impression d'un monument très vaste, très mystérieux,
avec des issues et des détours complexes, perdus dans l'ombre,
d'un palais souterrain magnifique et pompeux, tout rempli de la
majesté d'un maître qu'on ne verrait, distinctement, nulle part...
Lieu de prière et sanctuaire d'art : l'abondance artistique de
cette prodigieuse Renaissance italienne s'atteste ici par une chaire
de Nicolas et Jean de Pise, qui retrouvèrent la sculpture oubliée,
et par des bronzes et des marbres de délia Quercia, Donatello,
Michel-Ange, par des fresques et des tableaux, entre autres la
vénérable Madone de Duccio portée processionnellement à l'autel
et que lé peintre avait signée de celte jolie inscription d'orgueil
naïf: Mater Sancta Dei, sis caussa Sienis requid,sis Duccio vita,
te quia pinxit ita.
Elle s'atteste encore par des chefs-d'œuvre en ces industries
d'art qu'elle sut porter à une incomparable perfection : ciselures,
joailleries, fers forgés, marqueteries, etc. Mais la plus remar-
quable conséquence du besoin de décor, de cette soif de beauté
qui magnifia cette époque, est certes, le curieux, l'extraordinaire
pavement. Lorsqu'ils eurent orné les murs et les autels, ne sachant
plus où mettre les images dont s'enivraient leurs yeux, les Sien-
nois voulurent les étendre sous leurs pieds. Le pavement devint
un immense tableau de marbre blanc et noir où, pendant près de
trois siècles, Iravaillèrenl tous ceux dont Sienne s'enorgueillissait,
depuis Duccio, l'ancêtre, jusqu'à Beccafumi qui les termina. Singu-
lière manifestation esthétique que ces « graffiti » : lâche où il y
avait œuvre de peintre, de sculpteur, de mosaïste. Beaucoup de
ces nielles colossales, au dessin noble ou délicat, sont admirables
et l'on y peut suivI^Opute riiisloire de l'art siennois.
Car, il y eut à Sienoc/tfu début de la Renaissance, une école de
peinture .qui rivalisa avec celle de Florence. Duccio vaut bien
Cimabué et l'exquis Simone di Martino ou Memmi,quilui succéda,
sut garder un charme original, malgré le rayonnement du génie de
Giolto. Parmi les imitateurs du grand Florentin, se distinguèrent les
frères L6i*énzelti auxquels on s'accorde généralement aujourd'hui
à attribuer la fresque du Campo-Santo de Pise : le Triomphe de
la Mort qui avait suffi à la gloire d'Orcagna. Plus tard, durant
tout lexY* siècle, Sienne demeura fidèle au même idéal, indiffé-
rente aux innovations, aux recherches fiévreuses, et l'exprima
avec éclat par Taddeo di Bartolo dont le Palais Public a gardé
cette miraculeuse Mort de la Vierge, par Matleo di Giovanni,
Sanodi Pietro,et tant d'autres artistes d'âme mystique et rêveuse,
d'un incontestable talent pour lesquels personne encore n'a
songé à réclamer la place qui leur est due.
Les touristes sont gmiflés de dédain pour ces peintres pri-
mitifs aux noms dépourvus de consécrations officielles et les
artistes eux-mêmes ne les connaissent guère. La merveilleuse
bibliothèque attenant à la cathédrale est moins ignorée. C'est là
que resplendissent, en une salle où tout: boiseries, carrelage,
plafond, verrières, litres et missels est harmonisé pour le plaisir
des yeux, les dix grandes fresques du Pinturrichio, l'œuvre prin-
cipale de cet adorable représentant ^e la grâce, de la distinclion,
de l'élégance ombrienne. " . -
Rien qu'à démontrer ainsi brièvement tous ces trésors, on
conçoit quel désastre eût pu devenir cet incendie. Pour tous ceux
qui pensent que lés œuvres d'art sont le meilleur du patrimoine
de l'Humanité et sa plus haute justification d'être, c'est, par toute
la terre, une réelle affliction quand s'efface et disparaît quelqu'une
des traces que l'homme avait voulu marquer pour l'ennoblisse-
ment des cœurs, dans la poussière insiable de sa vie éphémère.
Réjouissons-nous que ce deuil nous ait été épargné !
Jules Destrée.
JaITTÉRATURE VAQABONDE ^
Notes d'un frileux, par Jean Robie. — Bruxelles, imp. Pol-
leuhis, 1890, 1 vol in-4o de 131 pp., orné de 14 photo ty pies de
M. Alexandre, d'après les croquis de l'autèurr
Frileusement, l'auteur s'est dérobé à la bise et au gel. El durant
tout un hiver iLest allé respirer du soleil dans la Haule-Egyple,
qu'il décrit de son bon pinceau de peintre attentif et fidèle. Les
tableaux qu'il en a rapportés, sous forme de chapitres alertes,
sont pittoresques et vivants. Sans prétention, la plume trotte sur
le papier comme l'écrivain sur sa mule, et les grelots sonnent le
long du chemin en signe de joie et de fête.
Quelques pages du récit avaient paru en 1888 (1). Celle fois,
c'est une relation de voyage complète que l'auteur publie, —
qu'il publie à petit nombre, selon sa coutume, pour les siens,
pour ses amis, pour les friands de descriptions artistes.
Un fragment : cette Fantasia Ghébir des aimées de Keneh,
dont la rue du Caire et ses succédanés ne nous donnèrent qu'une
idée fort imparfaite :
« A ce moment, une superbe Nubienne, couleur marron,
forte comme une cavale flamande et souple comme une panthère,
se glisse timidement parmi les chanteuses. Un murmure de satis-
faction circule parmi les âniers à la vue de cette Vénus callipyge
qui, paraît-il, est très renommée, pour la danse du vdhtre.
Quelques rasades de vermouth la mettent au diapason de ses
compagnes, qui vont s'accroupir des deux côtés de la salle, sur
une sorte de banquette en limon séché qui leur sert de divan.
(1) V. VArt moderne, 1888, p. 157.
Rien de plus bizarre que le spectacle de celle Phrynéé noire,
planlée comme une slalue devant un Aréopage d'insulaires fleg-
matiques, tout de blanc habillés. La lueur vacillante des bougies
met des luisants sur le corps bronzé de cette créature étrange et
farouche, arcboutée comme une béte fauve en arrêt. Immobile au
milieu du cercle lumineux, son regard fascinaleur semble cher-
cher une victime parmi les Européens alignés comme des magots
sur les cages à poulets. Lentement ses membres se détendent :
elle secoue sa noire crinière, qui se déroule en torsades crépues ;
son œil sombre s'allanguil; elle a trouvé son idéal. Cet idéal,
c'est M. Murray, le fulgurant Ecossais dont la face apoplectique
couronnée de cheveux rouges éclate en pleine lumière comme un
pompon de grenadier. Le pauvre garçon est tout décontenancé
devant les agaceries félines de sa. noire conquête. Et tandis que
les aimées entonnent un chant d'ivresse allant crescendo, là
Nubienne en extase se cambre et frémit des pieds à la tête avec
des spasmes de poulpe; la poitrine se gonfle, palpite; les mus-
cles de l'abdomen et leurs congénères postérieurs se tortillent en
ondulant comme un paquet d'anguilles.
Terpsichore n'a absolument rien à voir dans ces contorsions et
ces trémousements musculaires ; c'est une démonstration analo-
mique sur le vif.
Le public — je parle des ûniers — au comble du délire, brait:
àldane ! aïdane ! encore ! encore !
11 est vrai que le vermouth et lewisky, en dépit du Coran, sont
pour beaucoup dans cette explosion d'enthousiasme, car nos pro-
visions s'épuisent à vue d'œil. Bientôt la fantasia dégénère en une
bacchanale répugnante, indescriptible; les visages bronzés
s'allument, les Arabes trépignent et bondissent parmi les aimées,
ivres, éohevelécs, se démenant commes des furies dans la pous-
sière nauséabonde qui lourbillonue et vous prend li la gorge.
Et à mesure que l'air vicié s'échauife, la frénésie se commu-
nique de proche en proche ; les innombrables insectes enfermés
dans ce chenil exécutent des charges à fond et se divertissent, à
leur manière, en nous criblant de ventouses : la place n'est
pas tenable. Par neuf voix contre une on décide de lever la
séance »
C'est le troisième ouvrage littéraire de M. Robie. Son Voyage
dansVInde, en deux volumes, parut en 1883 et en 188S (4). Ses
Débuts d'un peintre en 4886 (2). Les Noies d'un frileux ont
même netteté de vision, même bonhomie, même agrément dans
le récit. Ce sont, réunis par un homme de goût et un artiste, des
croquis sincères dessinés d'un crayon souple et léger.
PARADOXES D'UN BIBLIOPHILE
Les livres ne sont pas faits pour être lus.
Celui qui coupe ses livres est capable de dépecer sa femme. '
Il y a des bibliophiles honnêtes, comme il y a des maris heu-
reux, o
L'amitié entre deux bibliophiles n'est jamais qu'une conspira-
tion contre un libraira. -- "
Le bibliophile sera célibataire ou il ne sera pas. r-.
Les hommes ne dilTôrcnl que par la nature de leurs collections.
{l) \o\r l'Art moderne, i883, y). 208.
(2) Voir l'Art moderne, 1887, p. 21. •
Acheter un livre pour sa reliure, c'est épouser une femme pour
sa toilette.
Un bibliothécaire qui aime les livres est un garde-chasse qui
aime le gibier.
Celui qui prête un livre ne mérite pas qu'on le lai rende; celui
qui l'emprunte ne mérite pas qu'on le lui confie.
La conscience humaine est un exemplaire à grandes marges.
On ne ramasse rien sans se baisser. ,
Les enchères sont un feu çù l'on se chauife la tête et oi3 l'on
se brûle les doigts. \
Omar, le destructeur de la bibliothèque d'Alexandie, était un
bibliophile qui spéculait à la hausse.
Selon Pascal, la chasse est supérieure à la poésie ; suivant moi,
le bibliophile est l'égal du chasseur. . "\ •
En fait de livres, la possession ne vaut rien sans le titre.
Beaucoup d'épelés et peu de lus. X
La ponctualité et la ponctuation sont les doux choses "les plus
difficiles de ce monde.
C'est dans l'obscurhé qu'on pêche les perles.
Un érudil sans talent est une bibliothèque sans catalogue.
Donner commission c'est s'exposer à devenir, à la fois, victirtic
et complice d'un abus de confiance.
Mieux vaut avoir du monde à sa vente qu'à son enterrement.
' Charles Du.mercy.
CONCERT STRAKOSCH A LIÈGE
{Correspondance particulière de l'Art moderne)
La série des Concerts d'hiver s'est ouverte mercredi... et de
façon malheureuse. C'était une tournée Strakosch qui faisait les
frais de la soirée, mettant très en vedette lé nom de M™* Emma
Nevada, faisant grand étalage de photographies et de réclames,
faisant grand bruit autour des étoiles italiennes qui seraicni
présentées au public.
On s'éiait méfié; la salle était vide.
Et ,,ceiie fois — par cxtraoYdinaire -^ le public liégeois, ce
désintéressé des questions d'arl, n'a pas ou tort.
Exceptons le signor Rapp, une basse majestueuse, voix pro-
fonde qui ne manque pas de souplesse, un chanteur qui ne
s'abandonne pas au dévergondage d'ornemeniation de l'école
italienne, et disons que tous les autres nous ont fort ennuyé.
C'est le ténor Del Papa, dont la grande voix froide s'assombrît,
puis éclate, se fait mielleuse, puis éclate de nouveau, un sigrior
qui-jpime les effets violents et affectionne, la variété et l'éblouisse-
ment des couleurs,
C'est M"'"-Phœbé Alexandra, une jolie personne dont la voix
fraîche rivalise en mobilité d'expression avec la physionomie.
Passons M. Carbonnetli, un baryton comique, qui rappelle trop
les chanteurs des cafés-concerts, où, du moins, on peut fumer.
Et M"'e Nevada! Que les pauvres, qui, sur la foi des réclames,
sont venus pour entendre une étoile de première grandeur, ont dû
éprouver une cruelle déception !
11 lui reste, à M™* I^evada, une petite voix pure qu'elle manié
très ingénieusement, si ingénieusement que, formant les yeux,
j'imaginais entendre la douce expression d'une savante et der-
nière mécanique d'Edison.
r
DCf^a musique qu'elle chante elle ne laisse rien ; el pourquor,
au. lieu de Verdi, de Dèlibcs, ne pas meltre au programme ; Air
de Violetta, Légenie du Paria de M"" Nevada. Ce serait, peui-
élre, une nouvelle réclame qui séduirait le public. qui n'a pas
craint de faire à M"'« Nevada un relatif succès.
Au milieu de ces étonnantes fantaisies, l'orchostre, mais incoin^
plel, des Nouveaux Concerts, dirigé parJM. Sylvain Dupuis, nous
a donné une satisfaisante exécution de fragments des Maîtres-
Chanteurs ; et l'on croyait rêver en écoutant cette fois de la vraie
musique.
— Chronique judiciaire de? ^rt?
Jeanne de Ginain.
Jeanne de Ginain est un roman que son auteur, M. de Gan-
gler, a vendu à M. Arlhur Meyor pour le publier en feuilleton
dans le Gaulois. •
Le manuscrit reçu, le prix payé, M, Meyer laissa dormir paisi-
blement les feuillets dans un tiroir, lorsqu'un exploit au timbre
officiel de hi République vint inopinément l'inviter à les en retirer.
L'exploit sommait le directeur du Gaulois de remettre sans relard
la copie à ses compositeurs, faute do quoi il serait cqndamné îi
payer à l'auteur 50 francs par jour de relard, et 2,000 francs de
dommages-intérêts. « Mais j'ai payé votre manuscrit. Il est à moi.
J'en fais ce que je veux », riposte M. Meyer. « Vous l'ayez acheté
pour le publier, réplique M. de Gangler, et non pour l'enfouir^
dans un tiroir. Publiez-le, ou payez moi des dommages-inléréts ».
Et le tribunal de commerce de la Seine, saisi de celle question
de droit, a donné r.iison à l'auleur. L'intention des parties con-
tractantes est évidente : c'est bien en vue d'une publication dans fe
Oatilois t\ue Jeanne de Ginain a été cédée, el l'acheteur du
manuscrit n'a rempli qu'une piirlie de ses obligations en acquit-
tant le montant du prix. L'auleur d'une œuvrejilléraire a néces-
sairement le plus grand intérêt, en dehors du prix qu'il reçoit, à
la voir paraître dans un journal répandu.
En réparation du préjudice causé, M. Meyer offrait de restituer
le manuscrit. Cette offre, jointe au prix payé, qui demeure acquis
à M. de Gangler, est jugée salisfaçtoire par le tribunal, qui
ordonne la restitution et déboule l'auteur du surplus de sa
demande.
Tableau détruit dans un incendia . — Fixation de
l'indemnité.
Le tribunal civil de la Seine a fait dernièrement une intéres-
sante application, à propos d'une œuvre d'art, du principe que
l'assurance ne peut jamais être une cause de bénéfice pour
l'assuré el que l'indemnité due par l'assureur ne doit, en aucun
cas, dépasser la valeur réelle qu'avait l'objet au moment de
l'incendie.
Un peinlre russe, M. Zmurko, avait exposé à l'Office des Théâ-
tres du boulevard des Italiens, à Paris, une grande toile rejpré-
sentani la Moi t de Marguerite Gautier (la Dame aux Camélias).
L'œuvre était assurée à la Compagnie la Foncière pour la somme
dé 30,000 francs. Survient un incendie qui détruit le tableau. La
compagnie réclame une expertise; l'expert désigné par une
ordonnance de référé fixe à 2,500 francs seulement la valeur de
la toile. Le peintre protoslc, naturellement, et voici le débat
engagé.
Faut-il, comme le demande la Compagnie, entériner le rapport
de l'expert? Faut-il au contraire admettre, avec l'artiste, que les
œuvres d'art ont une valeur de convention el d'opini'on résuUant
de circonstances diverses, et échappant, dès lors, aux règles
habituelles des expertises en matière d'assurance? Le prix
convenu, constituait-il un forfait accepté par la compagnie, et
ce prix doit-il être maintenu en l'absence de toute fraude?
Le jugement décide que l'estimation dej'experl était réellement
Irop^basse, étant donné que « l'imprésario » du tableau avait dû
verser, pour l 'exposer à Paris, une garantie de 40,000 francs à
l'auteur. M. Zmurko a, d'ailleurs, vendu plusieurs de ses œuvres
neuf à dix mille roubles à des banquiers sémites. Mais il juge
qu'une indemnité de 10,000 francs est suffisante pour dédom-
mager l'artiste, et condamne, en conséquence, la Foncière à lui
payer cette sonime.
Le' fâcheux de l'histoire, c'est qu'une autre compagnie, la
Clémentine, inlervenanl au procès, a pratiqué entre les mains de
la Foncière une saisie-arrêt jusqu'à concurrence de fr. 19,100-25
donl elle est créancière à charge de M. Zmurko. Celui-ci ne lou-
chera donc rien, si la saisie est validée.
Petite CHROf^iquE
Notre Petite Chronique est ouverte & quiconque désire
communiquer au public un fait intéressant l'Art ou les
artistes.
Adresser les lettres à la Direction de l'ArlJloderne, 32, rue de
l'Industrie, Bruxelles.
Stéphane Mallarmé vient de publier en cinquante exemplaires
sa superbe Conférence sur Villiers de l'Isle^-Adam : Six soirées
en Belgique, dont deux à Bruxelles, puis Anvers, Gand, Liège,
Bruges, et une à Paris, devant un auditoire privé, dans le salon
de Madame Eugène Manet, février 1890. — Paris, librairie de
l'Art Indépendant, 1890, 43 pages, gr. in-8». — On se souvient
de celle Conférence fameuse, sujet de si acharnées et si étranges
polémiques, donl nous avons rendu compte dans -nos numéros
des 16 et 23 février et 2 mars 1890. La voici en sa forme défini-
tive, monument ile cet arl incompréhensible pour la plupart, et
qui donne à d'autres de si pénétrantes sensations. Mais elle res-
tera avec son mystère. Elle est tirée à très petit nombre : pour-
"-quoi la livrer aux banales injures de ceux qui n'onl pas la
croyinîe<^nécessaire, et toujours crient : Soyez clair ! Comme si la
\rjie clarté n'était pas celle qui met des lueurs aux plis les plus
profonds dé l'âme el dans ses labyrinthes jusqu'ici imparcourus.
Trèsi curieuse et très artistique plaquette, à tirage unique de
cinquante exemplaires, tous sur Hollande Van Gelder, publiée
chez la V»^ Ferdinand Larcier, 19 pages, in-8° carré, 1890 : Les
Synergues, par un homme de beaucoup d'esprit, d'intelligence,
de haute et. originale pensée, M. Auguste Delbeke, avocat du
Barreau d'Anvers. C'est, sous couleur antique, une ingénieuse
satire d'un usage quelque peu pratiqué par certains de ses con-
frères d'Anvers.
Voici l'entrée en matière, adressée à l'un des nôtres :
« Très cher MaItre^
Les philologues sont dans la joie. On vient de découvrir au
couvent du Mont Athos plusieurs fragments de comédies dues à
la plume de Çinésias, collaborateur d'Aristophane, le célèbre
comique d'Athènes.
■-■■). *
Le texle de celle imporlante Irouvaille arrivera bienlôt au
grand public. Mais, en allendanl, je vous envoie, pour les lec-
teurs du Journal des Tribunaux, la traduction de l'un de ces
fragments, tiré de la vie judiciaire dans la République athé-
nienne.
Nous possédons le titre de la pièce : Les Synergues. Ce mot
qui ne se rencontre nulle part, et^qui signifie littéralement :
« Ceux qui travaillent ensemble », a probablement été forgé par
le poète.
Malheureusement les deux premières scènes manquent. F.e lieu
de l'action n'est donc pas indiqué. Mais le contexte montré assez
qu'elle se passe au Pirée, la ville commerciale et maritime de
l'Attique. '
Cordialement îi vous...
M. Georges Lemmen prépare une étude sur le peintre et dessi-
nateur anglais Walter Crâne.
C'est ce soir, à 8 heures, qu'a lieu, au théâtre de l'Alhambra, le
premier des doux concerts de l'orchestre Lamoureux, qui a reçu
en Hollande un accueil triomphal —
Le programme de cette première séance porte la Symphonie
en vt mineur de Beethoven, la Danse macabre de Sainl-Saëns, le
Camp de Wallenstein de Vincent d'Indy (!'« audition à Bruxelles),
la suite poiir orchestre tirée de V^'^iésienne àe Bizet, l'Espana
de Chabrier, puis une seconde partie exclusivement consacrée à
Wagner : Ouverture de Tannhâuser, prélude de Tristan, li s
Waldweben ûeSiegfried et l'introduction au 3« acte de Lohengrin.
Pour finir, la Marche de Rakocsy orchestrée par Berlioz.
A la seconde séance, fixée à mercredi prochain, à la même
heure, on entendra des œuvres de Schumann, Haendel, Sainl-
Saëns, Bizet, Reyer et R. Wagner.
Les trois concerts classiques annuels de la Maison Schott
auront lieu les 8 et 22 novembre et le 13 décembre.
On y entendra M™»" Teresa Carreno (piano) ; Nora Bergh
(piano); Marcy (chnnt); MM. Jos. Joachim (violon-); Ed. Jacohs.
(violoncelle); L. Diémer (piano); C. Thomson (violon).
Les audilions musicales destinées à faire connaître les œuvres
pour instruments à vent et piano, données par MM. Anlhoni,
Guidé, Poncelel, Merck, Ncumans et De Greef, vont prochai-
nement recommencer.
La première de ces séances est fixée au dimanche 23 novembre.
Elle aura lieu dans la grande salle du Conservatoire. Repétilion
générale la veille, à 3 heures.
S'adresser pour les abonnements chez M. Florent, aile droite
de l'établissement.
Le catalogue des tableaux, aquarelles el dessins de feu
Léon Slaes, dont nous parlions dans notre dernier numéro,
est distribué. Il comprend 449 numéros. Nos lecteurs trou-
veront les détails de la vente dans nos annonces. Beaucoup de
tableaux anciens. Les flamands sont en majorité ;• parmi eux
Pouibus, Quellin, Snayers, Tenicrs le vieux, l'n grand nombre
de ces « Inconnu », parmi lesquels l'amateur à coup d'œil sûr
trouve parfois dos authonliques à bas prix. Dans la liste des
modernes : De Haas, Den Duyts, Mayné, Mollcry, Constantin
Meunier, V;in den Eycken, Van Lcemputlen, Eugène Verbocck-
hoven, Verdyon el Verheydcn. Des aquarelles el dessins de Clays,
Madou, Marcctte.
Place aux jeunes ! Voici que la petite ville de Namur elle-même
s'émancipe. Une revue littéraire mensuelle lui est née ; Namur-
Jeunes, qui arbore comme devise ce révolutionnaire vocable :
Ose! Nos meilleurs souhaits el nos félicitations. Le numéro de
septembre, que nous venons de recevoir (où donc est resté celui
d'octobre?), contient des vers el des proses de MM. Themet,
Nader, Clovis, Mauvère, Saint-Valery, Grébér et Mainat. S'adres-
ser, 23, boulevard d'Heuvy, à Namur.
l
La Cléopatre de Victorien Sardou, n'a guère réussi, paraît-il.
Voici ce qu'en dit Qil Blas : « Dans les six tableaux dont se
compose Cléopatre, je n'ai aperçu, non seulement aucune imce
d'inspiration, mais encore rien qui parût avoir le moindre sens.
Ces six tableaux n'ont ni lien, ni suite, ni clarté et ils donnent la
désespérante impression d'une chose démesurément incohérente
el obscure. On croit assister à un de ces spectacles faits pour los
tout petits enfants et d'où est à dessein banni tout ce qui pourrait
solliciter rintelligonce. Spectacle chargé el touffu avec cela, toiii
plein d'incidents énormes, mais dont la signification reste jus-
qu'au bout impénétrable. Comment l'esprit avisé d'un dramaturge
consommé, le goût d'un poète de tiilent ont-ils pu se Irornpcr à
ce point? » — De son côté, l'Indépendance belge, quelque cou-
tume qu'elle ail de soutenir le suranné sous toutes ses formes-et
les écrivains du Bel-Air, s'exprime ainsi : « Ce n'est qu'un dr.^me
visiblement destiné à l'exportation, conduit et machiné avec une
adresse un peu grosse par un « habile » — non pas au sens di' la
Bruyère, mais au sens le plus pratique du mol — mis b la scène
avec la richesse convenable, la prodigalité strictement indisp-n-
sable; un drame qui, en. effet, n'a rion do Shakespearien, sii.on
les passages transcrits de Shakespeare avec plus de fidélité que
de scrupule »..
On daube aussi plus ou moins Sarah Bernhardt, à propos «le
son sempiternel phrasé chantant qui commence à agacer le
public, elon finit par s'apercevoir qu'tine comédienne qui n'a piis
\c; talent de dissimuler sa personnalité sous celle des héroïtios
qu'elle représente n'a droit qu'au second rang. C'est impaiieniani
de toujours sentir la juive, qu'il s'agisse de Théodora la Byzan-
tine, de Jeanne d'Arc la Française, ou de CléopAtre l'Egyptienne.
Un peu d'illusion s'il vous plaît.
M. Segain, qui a laissé îi Bruxelles le souvenir d'un artiste de
premier ordre (qui ne se souvient de son interprétation magistrale
de Hans Sachs el de Wolan?) vient de débuter à Bordeaux dîins
l'Africaine, avec un très grand succès. « Parmi les nouveaux
venus, dit la France, M. Seguin s'est placé, dès cette représen-
lalion, au premier plan. Il s'est montré artiste de haule valeur cl
de grand style. Le public l'a rappelé deux fois et lui a fait bisser
la ballade. » L'appréciation des journaux esi d'ailleurs unanime.
Le Nouvelliste (ï\l en're autres: « Le nouveau baryton, M. Seguin,
a obtenu un succès qui s'est accentué jusqu'au triomphe.... C'est
un magnifique artiste, plein d'expérience el d'autorité. Chez lui,
pas une distraction, pas une banalité. Il est tout à sori personnage
elen exprime les passions avec une expression superbe, une rare
• variété de nuances. Voilà le véritable chant dramatique, la véri-
table éloquence lyrique ».
Le rôle de Sélika était tenu par une autre connaissance du
public bruxellois, M"'* Monlalba, engagée à Bordeaux en repré-
lentations.
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Dixième année. — N" 44.
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 2 Novembre 1890.
MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCI^lE
REVUE CRITIQUE DBS ARTS E? DE LA LITTÉRATURE
Comité de rédaction » Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. —ANNONCES : Ou traite à .forfait.
Adresser toutes lés communications à
l'administration oénérale de l'Art Moderne, rue de l'Industrie , 32, Bruxelles.
\"
Sommaire
Une profession de foi de Camille Lemonnier. — Les concerts
Lamoureux. — Charles VerLat. — Léon Bloy. Christophe Colomb
devant les taureaux.— M. Verdhurt a Paris.— Petite chronique.
UNE PROFESSION DE FOI
IDE 0-A.I^ir-.LÈ 3L.EM:OIT3SriER
Camille Lemonnier publiera prochainement un volume
de Nouvelles. Il y mettra, comme préface, la très fière
profession de Foi (jue voici. C'est sa réponse aux Paul
Adam et autres qui se sont plaints, on sait en quels
termes d'affamés, de la concurrence littéraire belge.
Elle fixe l'Esthétique de notre glorieux compatriote.
Elle revendique des droits, elle détermine des devoirs,
elle affirme des principes et des volontés. Elle est la
confession d'une âme artiste, forte et sûre d'elle-même,
connaissant ce qu'elle vaut, sachant où elle va. Elle est
révélatrice, comme les profonds, ingénieux et touchants
aveux que nous avons obtenus de ces autres nobles
ouvriers : Emile Verhaeren, Maurice Maeterlinck,
Charles Van Lerberghe (1). Il convient, à tous ces titres,
de l'enregistrer et de la méditer.
(1) Voir lArt moderne des 23 février, 2 et 9 mars 1890.
^- A D'AUCUNS
— ^^ Ah ! je sais, pnme reproche de ne me^fixer en nul
fauteuil, dans nulle académie. Mes confrères mono-
cordes, habiles à agacer du doigt le même air potir un
« mon ami Pierrot » ou « le bon roi Dagobert " t— car
n'est-ce pas d'ailleurs une spécialité honorable? —
dénoncent mon rêve ambitieux de moins restrictives
musiques. Hors le galoubet, en effet, et le mirliton,
pour lesquels je récuse la vocation, j'ai le tort de ne
dédaigner, en vue des polyphonies vers lesquelles tend
mon élan, non plus les hautbois et les flûtes que les
cymbales et les trompettes. Même je professe que le
style aussi est un orchestre où les mots assument une
valeur de timbres et qu'un seul le manie sagacement
qui, pour des suggestions d'idées et de tons, sait en
nuancer, comme des timbres, à travers d'infinies com-
binaisons d'accords — (et je hé suis instrumentiste ni
dentiste) — les vocables.
Le prodige d'un Paganini ou tel autre diligent râcleur
fioriturant sur une unique fibre de chat les voix pro-
fondes d'une symphonie de Beethoven — quand les
hêtres et les chênes d'une forêt, à peine pinces par les
doigts de l'ouragan, s'égaleraient aux douleurs de .cette
autre forêt d^une âme), oui, ce prodige me laisse sans
enthousiasme. Mais en cette ère de virtuoses, ne voit-on
pas exécuter tous les jours, sur un profane instrument,
le Dies irœ et des marches funèbres? Et n'est-ce pas le
temps où un simple joueur de clarinette s'apparie, dans .
la réclame des journaux et pour la joie pâmée des foules,
aux remueurs de foudres et de tonnerres?
Mon cas, d'ailleurs, est grave. Je me refuse à planter
uniquement des choux dans mon jai din ; je n'entends
pas être la vache broutant sa zone d'herbe autour de
son piquet; j'honore, mais sans envier de lui ressembler,
le casseur de pierres voué à l'entretien d'un rayon
départemental. Bref, quand il me serait 'lucratif et com-
mode de me cantonner, à l'exemple d'autrui, dans un
immuable périmètre — (les firmes fructueuses ne sont
qu'à ce prix), — je m'évade, vers de variables latitudes
et rechigne à me laisser cataloguer sous une étiquette.
Rien, cependant, n'aide à l'industrie de l'homme de
lettres comme une rubrique qui l'assimile aux plénipo-
tentiaires du caoutchouc vulcanisé, des prothèses den-
taires et dii clysopompe hygiénique, détenteurs d'un
indubitable brevet. « Monsieur X...,V observateur bien
connu des mœurs de barrières », ou « Monsieur Y...,
le délicat analyste des ménages mal assortis », ou
- Monsieur Z..., le psychologue raffiné à qui Von doit
tant d'études palpitantes sur Vétat dame des mar-
chands de pains d'épicè et de saucissons », sont des
adjuvants sans équivalent pour la propagation du for-
mat Charpentier et stimulent copieusement le gain d'un
honnête trafic, si peu littéraire qu'il soit. Outre que
l'attribution d'un domaine défini, pour tout scribe intel-
ligent, finit par lui raccolerdes catégories intéressées
au monopole qu'il détient, les frictions réitérées avec
lesquelles opère ce système ingénieux de publicité sur-
passent les meilleurs massages pour inculquer aux
crânes les plus obturés les bienfaits de l'article manu-
facturé par l'adroit fabricant. li ne s'agit plus alors,
pour aboutir à un productif sou tirage d'écus et de renom-
mée, que de sécréter avec ponctualité une encre débile,
d'où préalablement tout principe tonique a été éliminé.
Or, j€ décline le parquement en un district limité par
les géomètres de la critique; il ne me plaît pas de me
clôturer dans les circonscriptions d'un cadastre. Je
n'exerce nul mandat de député littéraire, représentatif
des beurres et des fromages d'un arrondissement prévu.
Et mes terres — (car, hélas ! je ne suis pas même le
haut seigneur d'un petit domaine dont l'àfl'ouage et le
cens me nourriraient) — s'étendent à tous lieux où je
chasse, où j'abats mes proies, où le soleil projette mon
ombre devant moi. J'ai chaussé, pour ingresser les
étables et les purots, les lourds sabots terreux du pay-
san. Pour m'ingérer parmi les efl'rois de l'usine, j'ai
endossé le bourgeron suant de l'ouvrier. J'ai, jusqu'où
pouvaient plonger mes mains, fouillé le viscère animal.
Et ses excrétions (ne va-t-on p|is jusqu'à extraire des
potasses de l'égout la margarine qui teurre notre pain ?)
— bravement je les ai mises en tas au pied du mur
social.
Alors, toutefois^ car il faut tout dire, j'échappais
moins à la classification; j'étais, par les entomologues,
épingle dâïis la famille des pétalocères, avec l'aimable
renom d'un bousier paisseur d'excréments. Nous étions
plusieurs d'ailleurs qui, à la queue d'un plus vorace
coléoptère de la même série, assumions le déblayage
des sentines publiques; Mais généralement on convenait
que nous nous gavions des restes de la putride cuisine
dont se regoulait ce puissant scatophage.
Par malheur, je touchai avec des mains blanches à
ce qu'il y a de l'ange encore sous une candeur de petit
enfant. Je visitai, comme on entre en une paix de dor-
toir, de bonnes âmes ignorantes du péché. Je m'oignis
de charité les paumes de peur d'endolorir le mal de cer-
taines plaies du cœur. Après les plantes vénéneuses je
cultivai dans mon jardin, pour les collyres et les dic-
tâmes, les herbes secourables — (une ironie de jeune
cuistre ajouterait : et toutes les herbes de la Saint-
Jean!). Dès lors, il y eut un notoire désappointement.
Je déjouais les atrabilaires pontifes des groupements
congénères ; mon ubiquité décevait l'obtus labeur, des
chimistes pour m'agglutiner en leurs mastics ; la clef
n'était plus sur ma porte ou du moinsj'en avais changé
la serrure.
Il fuit avéré que je mê soustrayais à la cristallisation
et que le macérage dans l'alcool d'un inamovible bocal
— (de plus gros cornichons pourtant s'y confisaient) — -
cadrait mal avec les poussées de mon humeur. Un cen
seur, incrusté en d'austères parti-pris,- parmi les plus
notables, me contamina de l'épithète : caméléon. Un
autre (cette image hippique m'agréa) utilisa la compa-
raison d'un écuyer de cirque chevauchant plusieurs
selles à la fois.
Ah! mes enfants, jusque dans la littérature, la pro-
priété est morcelée. Un Balzac pouvait étendre ses bras
aux quatre horizons et prononcer orgueilleusement :
Tout ça est à moi.' Mais aujourd'hui, même les forts
ne sont plus les colons que d'un bref arpent. Ils défri-
chent juste l'espace compris dans le cercle de leur bêche.
Leur labour n'excède pas un sillon qu'ils versent et
reversent jusqu'à ce que la terre sous le soc s'émiette en
poussière filiforme.
L'Œuvre, au temps des va,stes périples, était un
navire larguant ses voiles à travers les atlantiques,
vers des contrées toujours plus loin et l'espoir des îles
inconquises. Aujourd'hui, c'est un bac de passage et
qui, de l'une rive à l'autre, de l'éditeur au public, fait
la traversée.
Mais prenez-les donc, ces livres à réclames et à
tapages ; prenez-les par quinze et par vingt du même
moulin ; et s'ils sont émulsifs, après là décantation iné-
vitablement vous recueillerez les mênies sédiments, le
même résidu de petite humanité éventée, car la mou-
ture en fut triturée selon d'inexorables et sûres recettes
p
qui, en fin de compte, constituent pour le négociant sa
marque de fabrique et l'achalandent sur le marché.
Il importe, en effet, pour l'écoulement du produit,
que le client soit rassuré quant à l'homogénéité et à la
perdu rabiUté du mode du fabricat. On se fournit chez
un auteur pour s'octroyer, selon une hygiène en rap-
port avec le tempérament, un sédatif ou un cathérétique
déjà expérimentés. Et quel déchet, si«'d'abusifs et aléa-
toires ingrédients risquent d'aliéner la vertu des habi-
tuels dosages!
Eh bien ! c'est contre cette commerciale notion de la
personnalité que je m'insurge ! L'art répugne à raédi-
camenter \es gastralgiques indolents d'après un codex
stimulateur de bonnes digestions et nie toute analogie
avec les débits d'onguents patentés. L'hermétique artiste
toujours, au lieu d'enfourner pour de nouvelles cuissons
ses scories, visera à résigner toute connivence avec
l'antérieur ouvrier qu'il fut, et en décortiquant le vieil
homme — et ses attitudes de pensée — pour d'autres
coiîjectures idéales, à s'ingérer, de peur d'un cas redhi-
bitoire, un variable et volontaire altruisme. Sa person-
nalité itérative et routinière (avec telles modalités de
formes et de fond déjà exploitées), il l'abdiquera pour
se déporter hors de soi dans l'âme et les sens d'un
vierge artiste requis par la divergence d'un labeur.
En chaque œuvre pour lui recommence la genèse,
chaque est l'effort d'un autre homme pour lequel il lui
faut se muer dans un renouveau de personnalité (car il
sait que tout concept est régi par des lois spéciales); et
ces complexes personnalités, modelées sur l'illimité des
choses humaines, finissent par se fusionner dans une
sorte d'impersonnalité grandiose.
Non seulement la substance foncière, mais les
matrices dans lesquelles il la coule ; non seulement la
dense matière intérieure, mais l'enveloppe dont il la
vêt, se modifient selon les rites du thème. Voit-on que
le chêne s'imbrique de la mèmfe écorcé que le platane
ou le peuplier ? Tout terreau ne fermente-t-il pas pour
des arômes et dés floraisons distincts? Le glorieux Eté
n'accorde-t-il pas ses décors pour le triomphe des roses,
et l'aride Hiver ne vide-t-il pas l'espace afin d'y faire
danser jusqu'aux étoiles, sur ses tennis de givre, le vol
des neigeux papillons ?
Ah ! c'est ici que le symphoniste se révèle, ici que,
pour transférer la volupté et l'effi'oi aux âmes, les vio-
lons et les cuivres entrelacent leurs rameaux d'harmo-
nie, ici qu'éclatent et planent les mélopées du chœur,
ici qu'à l'infini, sur le dessin de la trame, selon les
exigences mystérieuses du Drame, vont se nouer et se
combiner les grandes voix de la polyphonie. Car, en
vérité, — (seuls s'y opposent les bonzes^ssifiés derrière
leurs châsses de vénérateurs de leurs propres reliques,
— un rythme essentiel ne régle-t-il pas la variable méca-
niqtie de l'Idée? Telle n'exige-t-elle pas la véhémence
lyrique et les plus magnifiques couleurs? Telle autre le
silence des nuances comme en songe et d'assoupies
musiques pour être entendues des âmes très faibles et
convalescentes?
J'ai fait de mon esprit une maison dont les fenêtres
s'ouvrent sur des couchants de pourpres et de métaux,
dont les fenêtres s'ouvrent aussi sur de mois clairs de
luné. Et dites que je suis un prince sans territoires :
ceux que je convoite se reculent toujours plus loin
devant mes pas. Je suis chez moi partout, où s'éveille
une sensation d'inconnu, partout où me réclame un peu
de mystère. Nulle paternité' ne me parle plus en mes
livres, une fois leur z;one explorée.
Le jour où, résigné à me confiner, maître d'un lopin,
âans mon enclos, je ne regarderai plus Vers l'horizon,
là- bas, qu'on ferme sur moi ma bière : les vers, comme
un fromage, auront mangé ma cervelle. \
Camille Lemonnier.
LES ÔONCERTS LAMOUREUX ■
On nous montra, l'an dernier, des chefs d'orchestre réputés, et
leur virtuosité spéciale passionna l'opinion, au môme titre,
presque, que celle d'un maître du clavier ou de l'archet. Cette
fois, le chef n'est pas seul. Il a amené son orchestre au complet,
imprcsarié comme Coquelin ou Sarah par une des illustrations
du Barnumat.
Vif intérêt de curiosité pour cet orchestre nomade, — cet
orchestre, on le sait, qui est à Paris quelque chose. comme la
Comédie Française de la musique, et qui' ne s'est jamais déplacé.
Vif intérêt, et aussi, empressons-nous de le dire, vif succès.
Ceux-là même qui préfèrent à l'exécution suporlativemoni cor-
recte, sagement pondérée que nous avons applaudie cette semaine,
en deux séances qui demeureront fameuses, une interprétation
plus passionnée, plus chaude et plus vivante, — fût-elle, parfois
moins irréprochable, — ont vanté sans .réserve l'admirable tenue
des musiciens, l'ensemble avec lequel ils aitaquLint, déploient,
arrêtent les vibrations sonores et cette intime et si rare fusion de
tous les instrument» en un tout homogène et parfait qui est une
caresse pour l'oreille. .
« Si on ramassait toutes mes fausses notes, dirait Rubinstein,
on en ferait un concerto! » Pour l'orchestre de M. Lamoureux,
celle façon originale de composer un ouvrage musical est cliimé-
rique^Ji ne fait pas de fausse noie. Rien ne détonne, rien ne
heurte dans celte consciencieuse mise au point des f, des sfz.,
des rinforz., des p, des pp, des dimiii. et dos cresc. indiqués
dans les partitions.
La sonorité est d'une pureté et d'une distinction remarquables.
Les instruments à vent, spécialement, — cuivres et bois, . — ont
une qualité de son superbe. Peut-être celte supériorité est-cIIe en
partie déterminée par l'emploi dos trobones h coulisse, qu'où a eu
le grand tort, en Belgique, d'abandonner.
<■ Il est infiniment agréable de penser que le premier cor ne va
pas lâcher un couac à son entrée, de se sentir rassuré quant aux
canards adventices des clarinettes et aux intempestives gargouil-
lades des bassons, de n'avoir aucune inquiétude sur le taratata
correct de la trompette et de ne pas avoir à redouter la distraclioa
d'un hautbois s'insinuant une mesure trop tôt dans le concert
symplionique.
C'est agréable, certes, et hautement louable. Mais on souhai-
terait voir cette impeccable exécution mise au service d'une inter-
prétation plus mordante, plus animée, plus — tranchons le mot
— émue. On/Voudrait ressentir quelque chose de ce frisson que
l'orchestre des Concerts populaires fit passer dans la salle quand
il fut magistralement conduit par Hans Richlcr. On pardonnerait
quelques défaillances en faveur de ce frisson Ib, qu'on attendait de
l'orchestre Lamoureux et qui n'est pas venu.
Sans nous livrera aucune dissertation sur les différences de races
et de tempérament, disons, et le fait a été remarqué par tous les
auditeurs, que la vraie supériorité de cet excellent orchestre gît
dans l'exécution des œuvres françaises : VEspana de Chabrier,
VArlésienne de Bizet et surtout le Camp de Wallenstein de Vin-
cent d'Indy ont été joués avec une précision rarement atteintes.
Une merveille de couleur, de pittoresque, d'entrain, de mouve-
ment endiablé, ce Camp, l'un des volets du superbe triptyque
consacré par M. d'Indy au Wallenstein de Schiller. Il a été la
joie du concert, dont le programme ne portait, hormis cette œuvre
séductrice, que des ouvrages connus et fréquemment entendus.
El son adaptation au drame est si exacte que l'évocation se fai-
sait, nette, de l'inoubliable tableau que nous offrirent, l'an der-
nier, les artistes de Meiningen^ Les thèmes s'enchevêtrent,
paraissent, disparaissent, ainsi que sur la scène se mêlent, en un
prodigieux kaléidoscope, les uniformes de lansquenets, de reîtres
et de paiidours, càrnavarchûioyant de couleurs vives. On n'ima-
gine pas de description symphonique plus brillante, de récit plus
incisif. Et ce burlesque sermon du Capucin, confié aux bassons,
merveille d'humour et de raillerie!
Jusqu'à la fin, l'œuvre marche au pas de charge, sans un arrêt,
sans une faiblesse, claire et pimpante, instrumentée avec un art
exquis. Et, dessinée sobrement, la silhouette de Wallenstein
surgit, couronnement de l'œuvre, de même que, dans le drame,
pour la première fois, vers les dernières scènes, un soldat pro-
nonce le nom du Chef et en trace brièvement le portrait.
On a regretté que M. Lamoureux eût fait la part si restreinte
aux compositeurs de l'école nouvelle. Ce seul Camp de Wallen-
stein et VEspana, dont résonnent encore les ormes du Waux-
Hall, c'était peu pour les représenter. Le fruit était savoureux,
mais il n'a pas suffi à étancher la soif de neuf qui possède, notre
public. Quelques œuvres de César Franck, de Gabriel Fauré,
d'Emile Chausson, de Camille Benoit, de Pierre de Bréville
n'eussent pas nui à l'intérêt ni au succès des deux concerts, que
les grands noms de Beethoven, de Schumann, de Berlioz, de
Wagner ont, certes, rendu intéressants, mais sans apporter de
sensations nouvelles.
L'esprit d'initiative de M. Lamoureux, si largement ouvert aux
idées neuves (on sait l'admirable persévérance qu'il a mise à
imposer les œuvres de Wagner au public parisien), ne lui souffle-
t-il pas qu'il y a là une mission à remplir,- dont il est mieux que
personne à même de s'acquitter avec éclat?
CHARLES VERLAT
(Correspondance particulière de l'Art moderne).
C'est d'un disparu : Charles Verlal.
Accessible aux flatteries qui le rendaient tendre pour les jeunes,
sA-J^nes, plus qu'aux innovations qu'il prit la peine de railler
souvent; du reste, sur le retour, enlisé dans une reconiraandable
stagnance. .
Et pourtant, c'était un tempérament prédestiné à la révolte; par
quelle veulerie dévoyé, poussé sous l'estampille de l'abattoir aca-
démique? Ses yeux le disaient, ses durs yeux où, sous l'officielle
surface calme de commande, transparaissaient d'anciennes turbu-
lences. Ils affirmaient plus en Verlat qu'une incolore recrue de
dogme! " ,
Et ce déballage, ici, de ses œuvres, à son retour d'Orient, ne
fut-il pas une irrécusable preuve d'insoumission ?
C'est loin, cela, mais je me souviens du désarroi pour nos yeux
pâturant aux tristes lumières des musées ou des collections pri-
vées, et du haro qu'on cria sur le peintre dont on avait aussi sage
ment composé la palette avant son départ que soigneusement
empilé dans sa malle son linge de rechange.
Or, en ses périgrinations, Verlat écrasa des tubes qu'il -avait
emportés en fraude, et la stupéfaction et la colère furent grandes,
quand il eut fixé en des cadres, ces toiles sèches à crever, combi-
nées en ocre et en bleu, sans liaison, et alourdies encore par de
dures ombres noires.
On ne lui pardonna pas facilement ; la foule doléa assez long-
temps et on n'endormit sa mauvaise humeur qu'en lui contant le
réel faste de ce voyage en Palestine. Puis, elle se mit à regretter,
à haute voix, « ses Singes », ces pauvres quincailleries que d'im-
béciles admirateurs ont chargés de l'écrasante mission d'assurer
sa gloire !
Verlat laisse-t-il assez, dans ce cas, de vrais singes, de son
faire, de son nom, des sujets qu'il traita, en ce milieu où i'imila-
tion et la docilité sont une bourbe où lés plus vaillants enfonce-
ront jusqu'aux genoux! -
Mais il se fait que tous ceux qui y barbotlent ont la panse si
démesurément gonflée de vanité et de mépris pour ce qui se fait
ailleurs que jamais ils n'ont pu voir que leurs pieds pataugaient
dans l'ordure.
Verlat canna devant l'opinion publique. Et si pourtant il eût
donné un vigoureux coup d'épaule vers le bût qui semblait
l'avoir séduit un instant, la Lumière, il eût pu, lui, merveilleuse
ment doué, par une œuvre de volonté et de vaillance et fort d'une
position acquise, forcer ce public à avancer d'une semelle au
moins.
Pour ce, portons accusation contre ce mort — comme en toute
occasion nous l'aurions fait de son vivant — d'avoir été l'instru-
ment de recul vers le passé. Et, dès lors, l'enseignant sous cette
fallacieuse rengaine : Ecole flamande, afficha-t-il un dédain d'au-
tant plus féroce qu'il devait être mélangé d'amertume pour toute
tentative d'art libre ne se fournissant pas des formules que, cette
école, paraît-il, monopolise pour la rédemption de la Peinture.
Cette attitude prévalut pour sa nomination au poste de direc-
teur de l'Académie d'Anvers.
A la tête de celte clinique, le peintre Verlal est mort de la mala-
die qu'il y enseignait.
Combien tristement!
La dernière fois qu'il nous mena dans son atelier, ce fut poui^
nous monlrer que ses pieds go7i fiaient!
Et l'impression de celle déchéance d'un homme restera inou-
bliable et poignante! „
Fixer le rôleque ce peintre aura tenu en art, établir impartiale-
ment ses responsabilités nous plaît mieux, îa nous qui avons été
de ses élèves, mais qui jamais ne vécûmes de son talent ni de sa
poche, qu'iin silence ou des rélicences liypocritçs !
D'ailleurs, yena-t-il assez auxquels leurs obligations envers le
mort donnent le droit de venir nous en demander compte. ,
LÉON BLOY
; Christophe Colomb devant les Taureaux.
Unbeau vol. in-18 raisin, \
teinté vergé. — Albert Savine, éditeur, Paris. \
Les curieux de cette génération qui observent le ciel littéraire
y voient paraître et disparaître bien des étoiles filantes.
Tel astre semblait destiné à culminer dans l'empyrée, qui choit
piteusement et dégringole aux ténèbres.
C'est qu'en ces temps cruels, la névrose et la cupidité ont tôt
raison des énergies d'artistes.
L'une détruit chez l'artiste les conditions de la maturité;
J'autre les précipite.
L'une berce dans^ses brasendormeurs le Triomphant d'un jour
et ses philtres rendent inféconde l'inspiration du génie, et
d'ailleurs trop pénible l'enfantement d'une œuvre. L'autre, prosti-
tuant sa victime au Veau d'or, la condamne irrémédiablement à
une production hâtive et inférieure plus stérile que la stérilité du
névrosé.
Certes, Léon Bloy n'est point de ces artistes félons qui faussent
compagnie à leur destin.
Depuis qu'il s'est manifesté dans les Lettres, son génie plane à
la toujours même altitude : au dessuV de la banalité et de la véna-
lité du siècle, au dessus des horizons inférieurs, au dessus des
courants de la popularité qui élèvent, mais ne portent pas; haut,
si haut qu'un naïf expliquait le silence concerté autour du Milles
naire par le mutisme qu'impose impérieusement à l'admiration
humaine toute aperccption du Sublime.
Dans le présent livre, ce génie se révèle sous un aspect généra-
lement insoupçonné. Et pour les nombreux qui connaissent seu-
lement le Léon Bloy de la légende, le démolisseur attitré de
toutes les statues de boue et l'impénitent tortionnaire de tous les
voleurs de renommée, quelque surprise s'imposera sans doute du
spectacle actuel de ce Vociférateur clamant aux quatre vents de
l'Espace la sainteté d'un Héros dont il s'est constitué l'historien,
et dont il a juré, — violent dans ses amours comme dans ses
colères, — d'arracher la canonisation aux potentats de l'Eglise.
D'autres, qui ont pénétré plus avant aux profondeurs de ce
génie d'enthousiasme savent que ses débordements de haine ont
leur source et leur dérivatif dans un immense besoin de Justice.
Ils ne s'étonneront donc pas de voir le Désespéré emboucher
aujourd'hui, en môme temps que le buccin des analhèmes, le
clairon des hosannahs, à là devination d'un excommunié qu'il
faut promouvoir, d'un pauvre qu'il faut exalter.
Le Pauvre, élu cette fois par l'attentif Samaritain n'assume-t-il
y.
pas, d'ailleurs, la grandeur de toute la Pauvreté, et le cas lamen-
table du grand Christophe Colomb, l'Envoyé, de Dieu, souillé
maintenant par les convoitises déshonorantes de la Seci:e et livré
sans merci à la prodiloire imbécillité d'un héritier inutile, misé-
rable éleveur de taureaux pour la populace, surtype des ealami-
têuxrf jetons de la noblesse, ce cas n'ésl-il point tel que toute âme
chrétienne doive s'en émouvoir et appeler de tous ses vœux un
défenseur h la victime? Léon Bloy surgit, manifestement désigné
pour cette lâche et doué d'une merveilleuse conception de l'his-
toire à entreprendre :
M Les plus grands livres écrits par des hommes, dil-il, sont des
livres d'histoire. On les appelle les Saints Livres et ils furent
écrits par des thaumaturges.
A soixante atmosphères au dessous d'eux, les historiens dont
l'inspiration est ou paraît être seulement humaine, doivent, eux
aussi, se manifester comme des thaumaturges en une manière. 11
faut absolument qu'ils ressuscitent les morts et qu'ils les fassent
marcher devant eux et devant nous. Ils doivent rallumer les lam-
pes éteintes dans les catacombes du Passé où ils nous font
descendre.
Pour accomplir un tel prodige, l'intuition de l'esprit n'est pas
assez, il faut surtout l'intuition du cœur.
Il faut aimer ce que l'on raconte et l'aimer éperdûment. Il falil
vibrer et retentir à toutes ces rumeurs lointaines des trépassés.
Il faut les généreuses colères, les compassions déchirantes, les
pluies de larmes, les allégresses et les vociférations de l'amour.
Il faut se coucher comme le Prophète sur l'enfant mort, poi-
trine contre poitrine, bouche contre bouche, et lui insuffler sa
propre vie.
Alors, seulement, j l'érudition corpusculaire adorée" des biblio-
graphes a la permission d'apparaître. Jusque-là, les documents et
les pièces écrites ne sont que les bapdelettes. égyptiennes qui
enfoncent un peu plus les décédés dans la mort.
Si cela est yrai pour de pauvres grands hommes comme César
.. ou Napoléon, par exemple^ que sera-ce pour un saint ! ».
Cette conception de l'histoire avait été appliquée déjà dans le
Révélateur dit globe : leS faits y sont élevés au rôle de symboles,
et leur mt-rveilleux enchaînement, déblayé de toute la poussière
des bibliothèques, apparaît comme le commentaire de la Révéla-
lion.
Celle méthode, développée dans Christophe Colomb devant les
Taureaux, éclaire d'un jour isingulier l'avilissement des races et
la déchéance des individus.
Esl-il besoin de dire, au surplus, que la véhémence de l'invec-
tive ou du panégyrique reste au diapason de l'imagination de
l'écrivain. C'est toujours te slyle en débâcle et innavigable, qui a
l'airUe tomber d'une alpe et qui roule dans sa fureur des impré-
cations, des épiihèles, des sanglots... Mais, le torrent passé,
réapparaît au delà d'un continent de ténèbres, dans une solitude
lumineuse, la douce figure de rAmiral,.du Christophore, dégagée
désormais de l'opaque buée dont on voulait Tensevelir.
En vérité, la Notification préalable aux Spadassins du Silence
l'affirme, et ce livre le prouve surabondamment : Léon Bloy n'est
pas mort comme d'aucuns se hasardaient à l'espérer. Il se porte
à merveille « pour le désagrément de plusieurs ». El la clameur
d'aujourd'hui n'est que le prélude des formidables fanfares que
demain nous réserve. , "
^
M. VERDHURT A PARIS
Le cpurl passage de M. Verdhurl à la direction du (héâirc de
la Monnaie a laissé de vifs souveiiirs à bon nombre de Bruxellois.
Il a inauguré» en effet, l'ère des nouveautés ; il a rompu, le pre-
mier, avec des routines qui semblaient indestructibles. La vie
théâtrale a pris, chez nous, depuis cette époque, une intensité qui
nous mène plus rapidement, à chaque saison, vers l'art neuf si
longtemps dédaigné. Si M. Vcrdhurt a prématurément succombé
sous les hostilités bétes des abonnés et autres crustacés qu'il
dérangeait sur le banc natal, il est parti en emportant beaucoup
de sympathies cl de reconnaissance. A ce litre, il csl intéressant
de connaître ses cfforls et ses travaux, à Paris, où il est quelque
peu I'Antoine de la jeiâie niusjque. Gil Blas et, en général, la
.presse parisienne, s'en occupent avec un grand intérêt.
C'est vendredi que le Théâtre-Lyrique, avec Samson et Dalila,
a donné sa soirée d'inauguration dans la salle transformée de
l'Eden.
Ce n'est point simplement une nouvelle exploitation théâtrale
qui s'ouvre, mais une scène' largement offerte à toutes les tenta-
tives artistiques, à celles principalement de l'école nouvelle,
dont M. Vcrdhurt est un chaud partisan.
Depuis longtemps il rêvait d'en arriver là. Depuis longtemps
aussi, on réclamait, un théâtre lyrique, dirigé par un artiste. Si
bien que M. Verdhurt se trouve avoir, en réalisant son rêve,
réalisé celui d'une foule de gens aimant l'art lyrique et tout dis-
posés à soutenir une semblable tentative. '
Mais quelles peines pour arriver à constituer ce.lhéâtre! On ne
s'imagine pas ce que, depuis trois mois, M. Verdhurt a fait de
pas, de démarches et de courses ! Depuis le matin, dès sept
heures, il a arpenté la capitale, couru les architectes, les proprié-
taires, les artistes, les musiciens, les compositeurs, discutant
affaires, chiffres, plans, musique et grand art, tout à la fois!
On crie généralement : « Il n'y a plus de chanteurs ! » Le direc-
teur du Théâtre-Lyrique en a trouvé. '
Parmi les femmes : Rosine Dloch, Cécile Mézeray, Fursch-
Madier, Monialba, Duval-Erard, Haussmann, Bossy, Boucard.
Parmi les ténors : Engel, Taluzac, Lubert, Imbard de la Tour,
Portejoie, Gogny. Parmi les barytons et les basses : Bouhy, Fré-
déric Boyer, Dufriche, Morlay, Isnardon, Arsandâux, Dimitri.
Bruxelles a entendu plusieurs d'entre eux.
Tandis que M. Verdhurl écoutait d'une oreille ses futurs pen-
sionnaires, de l'autre il devait écouler l'exécution des partitions
qu'on lui présentait.
Samso7i, puis la Jolie fille de Perth, les deux ouvrages d'ouver-
ture. Ensuite viendront : le Rêve, tiré du roman de M. Zola, par
M. Louis Gallel; la rnusique.|t,été écrite par M. Bruneau. La Coupe
et les lèvres de Musset, arrangé par M. d'Hervilly. Compositeur :
M. Canoby. Brocéliande de M. André Alexandre, musique de
M. Lucien Lambert. C7u;£;{do/i7{e de MM. Catulle Mendès et Emma-
nuel Cbabrier. Le Duc de Ferrare de M. Millet, musique de
M. Mariy. Avec cela, deux petits ouvrages en un acte : le Prin-
temps de MM. de Roddaz, Monijoyeuse, et A. Georges, et Chanson
nouvelle de MM. Moreau et Jules Bordier. Enfin, un ballet en un
acte de M. Mendès.
Dans quel ordre seront réglés les spectacles ? Jouera-t-on tous
les jours la même pièce jusqu'à épuisement du succès, ou alter-
nora-t-on, comme à l'Opéra et à l'Opéra-Comique?
« C'est ce dernier mode que je suivrai, a dit M. Verdhurl. Dès
que j'aurai monté une pièce, j'en donnerai la première, sans
attendre qu'un succès soit ou non épuisé. De la sorte, j'arriverais
à jouer un ouvrage deux ou trois fois au plus par semaine; et
ainsi j'aurai toujours de la place pour une œuvre nouvelle. Car
c'est un théâtre de production que je veux faire, et je lâcherai
qu'il produise beaucoup, qu'il révèle des noms nouveaux; qu'il
serve, en un mot, les intérêts de l'art dans la plus large mesure
possible. »
Petite chro^iique
Notre Petite Chronique est ouverte & quiconque désire
communiquer au public un fait intéressant l'Art ou les
artistes.
Adresser les lettres à la Direction de l'Art Moderne, 32, rue de
l'Industrie, Bruxelles.
Nous recevons la lettre suivante
Bruxelles, le 29 octobre 1890.
Monsieur le Directeur,
Un bout de réclamation. Je ne sais si elle sera bien accueillie, mais
je me riêquÈ.^
Les abonnés, les habitués du. théâtre de la Monnaie se plaignent et
non sans raison : le répertoire manque de variété. Voilà bientôt deux
mois que la réouverture a eu lieu et il y a seulement neuf ouvrages
au répertoire, {Les Huguenots ne comptent plus. M™» Dufrane étant
en congé illimité! !!) Les autres années il y en avait bien le double.
Ainsi, du jeudi 16 au dimanche 26 octobre, on a donné cinq fois
Carmen, deux fois Mignon, deux relâches, etc. Cette semaine, reprise
de Salammbô, quatre fois en huit jours, et, dès la deuxième repré-
sentation, demi-salle seulement.
Le grand opéra est impossible : il manque une falcon ; l'opéra-
coraique également : pas de chanteuse légère, car M"« Carrère est
engagée pour le grand-opéra.
Le choix des pièces n'est pas heureux non plus : ce sont tous opéras
qui ont été joués l'an derniei", donc pas d'è travail pour les remettre '
en scène; pas de nouveauté, pas même de reprise nouvelle.
C'est désolant de voir si peu d'énergie de la part d'une Direction
qui promettait beaucoup, mais... quig doivent dire les actionnaires?
Un Abonne.
Le hasard (et nul dési.-) nous ayant ramené dans les galeries
solitaires du Salon triennal {apparent rari nnntes in gurgite vasto),
' nous avons remarqué au dernier rang des sculptures, derrière les
gesticulations des postures gratifiées d'une pl-.ice de faveur, et
presque derrière les arbustes qui furent mis là dans le but (non
atteint) d'égayer ce cimetière, une œuvre vraiment méritoire d'un
jeune, que tant de précautiqns pour la dissimuler avaient réussi
à cacher à noire atleniion, — il est vrai distraite etdécouragée par
la multiplicité des platitudes de cette exposition morose. C'est un
aveugle, tâtonnant dans ses ténèbres, descendant inquiet el pré-
cautionneux, exprimant fortement par tout son être nu^ par sa
physionomie douloureusement hésiianie, par la contraction de
ses pauvres membres tendus à la recherche de l'invisible, la poi-
gnante angoissé du misérable qui, derrière ses yeux révulsés, ne
voit plus rien que l'enchevêtrement de ses craintes et l'incurable
regret de la belle lumière à jamais perdue. Oh! nuit! telle est le
titre emblématique de celte belle œuvre. Elle est de Puilemans,
fils d'une double souche artistique : son père est l'encadreur qui
sait si bien ajuster le cadre au tableau, le fourreau à l'épée; sa
mère est fille de Bonnefoy, qui avait précédé son gendre dans
l'industrie artistique qui, avant eux, se irafuail dans les banalités
de la moulure au mètre.
Maurice Maeterlinck a, décidément, autorisé M. Antoine à jouer
la Princesse Maleine au Théâtre-Libre. L'œuvre sera représentée
prochainement. En annonçant celle nouvelle, l'Echo de Paris
ajoute :
II-
« Nous félicitons grandement M. Antoine de cette détermina-
lion qui nous permellra d'enlehdre prochainement au Théâtre-
Libre une œuvre des plus originales et des plus délicates de ce
temps. »
A ce propos, le directeur du Théâtre-Mixte ayant vivement
insisté auprès de M. Maeterlinck pour qu'il lui donnât l'autorisa-
tion de jouer son drame, des journaux ont annoncé que celle-ci
lui était accordée et 'que l'œuvre de nôtre compatriote serait repré-
sentée, non seulement au Théâlre-Libre, mais, en outre, au
Théâtre-Mixte.
C'est une erreur évidente que dissipe, au surplus, la 'lellre sui-
vante adressée par M. Maeterlinck à M, Antoine :
« Cher Monsieur, \
«• Un mol en hâte pour éviter tout malentendu.
w Je reçois à l'instant une lettre du directeur du Théâtre-Mixte
où celui-ci me remercie de l'aulorisaiion que je lui aurais donnée
jle jouer la Princesse et l'Intruse. Cette manœuvre m'a profon-
dément étonné, et je n'y comprendl^ rien.
« Depuis plus d'une semaine, il me harcelait de lettres et de
télégrammes, et, enfui, dcMo; jours avant votre dépêche, j'avais, le
plus poliment que j'avais pu, d'ailleurs, refusé l'autorisation
demandée.
« Ont-ils mal lu ma lettre? N'oni-ils pas voulu la lireîOu bien,
qu'est-ce !... En tout cas, je serais curieux de voir par quels con-
lournemenls de texte ils pourront extraire une autorisation d'un
refus formel. Il ne faut donc pas vous préoccuper de cela -.la
Princesse vous appartient, et, dans ma pensée, vous a toujours
appartenu. Il ne faut même pas vous croire le moins du monde lié
envers moi. Vous jouerez la Princesse cette année-ci ou dans dix
ans, ou jamais, comme vous voudrez; elle attendra et ne sera
qu'à vous.
« Et quoi que vous en fassiez, je vous remercie du fond du
cœur de vos bonnes intentions. Je me mets tout entier à votre
disposition, si vous avez besoin de moi, et vous prie de me croire
votre bien dévoué.
« Maurice Maeterlinck.
« 25 octobre 1890. »
Le combat sur une voie ferrée, d'après de Neuville, a, notam-
ment, fait sensation. La toile sera levée sur le premier acte du
drame nouveau quand paraîtront ces lignes.
L'Association des XX, qui devient décidément internationale,
vient d'élire comme membres M. Paul Signac, peintre à Paris, et
M. Georges Minne,. sculpteur à Gand. Ces deux artistes ont exposé,
comme invités, au dernier Salon des -XX Désormais, ils pren-
dront part régulièrement aux expositions de ce cercle.
A l'Alcazar se joue la revue la plus distrayante et la moins vul-
gaire qu'il nous ait été donné de voir représentée à Bruxelles.
L'auteur? M. Malperluis. Joyeusement se succèdent les scènes,
légèrement dessinées. , El Paulus, et le Bourgmestre de Bruxelles^
et vin£;t silhouettes connues se profilent, caricaturées avec esprit,
sans méchanceté, dans un cadre élégant et artiste.
Le Molière s'attarde à jouer du Sardou : Nos bons Villageois.
A quand les victorieuses matinées littéraires de jadis??
Sardou sera joué, en outre, et très prochainement, à l'Alhambra.
C'est Patrie ! son grand drame historique, qui servira de pièce
d'ouverture pour la campagne qu'entreprend M ""^ Rose Desnoyer.
On se souvient du succès de l'inteiligenle directrice au Théâtre
Molière, où elle fil, deux ans de suite, une brillante saison d'été.
Elle s'est dit que le meilleur moyen de remplir l'immense salle de
l'Alhambra était de fixer le prix des places à un taux modique :
les fauteuils d'orchestre sont à 3 el à 2 francs, les fauteuils de
parquet à fr. i-50.
Si la troupe qu'elle a réunie est bonne — nous en jugerons
la semaine prochaine — nul doute que la foule reprenne le chemin
un peu délaissé de l'Alhannbra et que les émotions de mélodrame
secouent à nouveau Bruxelles.
En attendant le spectacle d'ouverture, l'Alhambra donne cinq
représentations du drame de M. Paul Charlon, Devant Vennemi,
qui vient d'avoir à l'Ambigu un gros succès. Un décor de Rubé,
Une séance musicale exclusivement composée d'œuvres de
Schumiinn sera donnée lundi prochain, à 8 heures, au Palais de
la Bourse (salle de la Société des Ingénieurs), par M. et M™« Blau-
waeri el M. Lerminiaux, avec le concours dé MM. Godenne et
Lapon. Ony entendra, notamment, le Quatuor pour piano et instru-
ments à cordes, le Trio en fa majeur, la Sonate en la mineur pour
piano et violon, et une série de mélodies ; toutes œuvres
attrayantes, dont le talent bien connu dés exécutants promet une
inlerprétation de choix.
M. Vincent d'Indy vient décomposer la musiqne de scène d'un
drame breton de M. Alexandre, qui sera joué cet hiver au Théâtre
Moderne. La partition, construite sur des thèmes bretons authen-
tiques, est écrite pour petit orchestré. :
On sait que l'auteur de Wnllenstein travaille depuis quelque
temps à un drame lyrique en trois actes dont il écrit le (exto et la
musique. Le livret est entièrement terminé et met en scène, de
façon très dramatique,- la fin de la religion celtique dans les
revenues. Quant à la partition, le plan général seul en c&t défi-
nitivement arrêté.
A propos de M. Paul Adam, dpnt il a été beaucoup question
ces jours-ci, il vient de paraître dans les Entretiens politiques et
littéraires, avec la signature « Un admirateur de la Princesse
Maleine », un nouvel article d'une perfidie qui doit réjouir nos
critiques du Bel-Air. Il accuse tout simplement Maurice Maeter-
linck de plagier Pixérécourt. Mais; la- question d'argent domii^e;
voici une phrase de l'article en question : « Vous voulez que nous
lisions tranquillement, froidement, Sos enthousiasmes, même
sincères, même mérités! pour nos pires ennemis de la maison
(les écrivains belges), pour les auxiliaires domestiques qui inter-
ceptent jusqu'aux moindres bénéfices qui nous pourraient juste-
ment revenir ! » •
L'inauguration du monument de Flairberl, qui devait avoir lieu
dans le courant du mois d'octobre, a. été ajournée, M. Guy de
Maupassant, président du comité, ne devant rentrer du Midi que
le 10 novembre.
Le monument de Flaubert est l'œuvre du sculpteur Chapu.
Le médaillon de l'auteur de Madame Bovary se détache sur Un
rocher en bas-relief, entouré d'une palme de laurier. En dessous
du médaillon, la Vérité, assise sur la margelle d'un puits, un
miroir à ses pieds, tient sur ses genoux un livre ouvert dans
lequel elle semble écrire l'éloge de Flaubert.
Le monument est en marbre blanc. La figure de la Vérité
mesure deux mètres. Le monument est appliqué en bas-relief
contre une fausse porte de la façade du musée de Rouen.
« Des vers! qui est-ce qui n'a pas fait des vers! c'est si peu de
chose, qu'une réputation de poète ne me lente guère; mais celle
à laquelle je tiens infiniment parce que je sais la mériter, c'est
celle d'être un homme d'affaires, et je vous dirai même que les
fonctions auxquelles je serais le plus propre seraient celles de
miriTslre des financés ou de l'intérieur... » Qui a dit cela? un ban-
quier? Non, Lamartine. On trouve cette anecdote parmi celles,
très nombreuses, que les journaux français rapportent à l'occa-
sion des grandes fêtes en l'honneur du « Chantre d'Elvire ».
0 toi qui sais aimer, réponds amant d'Elvire,
Comprends-tu que l'on parte et qu'on se dise adieu !
Comprends-tu que ce mot la main puisse récrire
Et le coeur le signer, et les lèvres le dire !
La seule partition que Beethoven eût jamais gardée vient
d'être vendue en vente publique à Berlin ; c'est celle de sa Grande
fugue, écrite sur quatre-vingts grandes pages. Ce manuscrit a
atteint 1,690 francs.
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Camille de Saint-Saëns, Liszt, Richard Wagner, Rubinstein, Joa-
chim, Wilhelmj, Ed. Grieg, Ole Bull, A. Èsdpo/f, Sofie Meuter,
Désirée Artôt, Pauline Lucca, Pablo de Sarasate, Ferd Hitler, D.
Popper, sir F. Benedict, Leschetitzhy , Napraouik, Joh. Selmer, Joh.
Svendsen, K. Rundnagel, J.-O.-E. Stehle, Ignace Brull, etc., etc.
N. B. On envoie gratuitement les prix-courants et les cJBrti-
flcats à toute personne qui en fera la demande. ^
y
Bruxelles. — Imp. V^Monmom, 32, rue de l'Industrie,
Dixième année. — N** 45.
Le numéro : S5 centimes.
Dimanche 9 Novembre 1890.
MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Comité de rédai^tion t Octave MAUS —.Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. — ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser toutes les communications à ■
l'administration Gi^NÉRALE DE l'Art Modome, rue de Tlndustrie, 32, Bruxelles.
?
OMMAIRE
Le Théâtre vivant. — Le Confortable. — Théatre-Libre.
L'Honneur, par M. Henry Fèvre. — Cueillette de livres. — Le
« Petit Faust » aux Galeries. — Concert Lamoureux a Liboe.
— Petite chronique.
Le Théâtre vivant
C'est le nom que donne à sa spéciale compréhension
dramatique M. Jean Jullien, l'auteur de la Sérénade,
de V Échéance et du Maître, trois œuvres qui ont eu
l'honneur des quolibets et de la blague très spirituelle de
Messieurs les critiques, — et qui s'imposent aux artistes
avec l'autorité des choses originales et fortes. Qui ne se
souvient de l'impression que fit, l'hiver dernier, au
Parc, le Maître, cet épique tableau de la vie des
rustres, où l'on sentait l'émanation même de la terre et
le fond intime du paysan ?
Avec V École des veufs de Georges Ancey, ce fut la
révélation d'un théâtre nouveau^ très différent des essais
de théâtre naturaliste tentés Jusqu'alors, vrai, néan-
moins, dans l'observation amère et l'expression des
caractères, dénué — faut-il le dire? — des banalités
ressassées, en un mot d'un théâtre vivant, attachant et
neuf, que nous saluâmes d'un fraternel et enthousiaste
applaudissement (1).
Qu'est-ce que ce théâtre? En qtioi consiste- t-il? Sur
quels points difffere-t-il du théâtre habituel ? Questions
intéressantes, en ce bouleversement que le Théâtre-
Libre est venu joyeusement apporter parmi les routines
et les plus immuables conventions. M. Jullien y répond,
en une curieuse plaquette qui demeurera comme la
fameuse brochure rouge d'Antoine (2), un document de
la . rénovation de l'art dramatique si glorieusement
entreprise.
On peut, dit-il, partager en trois genres les ouvrages
destinés à la scène :
1° la farce, le vaudeville, qui est la forme la plus
rudimentaire du théâtre, une invention grossière ou
lubrique destinée à provoquer le rire ; 2** la comédie,
le drame, qui constituent le genre sérieux et qui sont
une émanation de la philosophie de la vie, l'étude de
l'être humain dans ses rappbrts avec ses semblables;
3° la tragédie, la féerie, expression la plus haute de
notre art et qui est à la comédie ce que la poésie est à la
prose.
Or, la tragédie n'est plus de mode. M. Jules Verne et
les acrobates se sont emparés de la féerie faite pour les
poètes, le public est las de voir toujours la même comé-
(1) Voir VArt moderne du 30 mars dernier.
(2) Voir VArt moderne des Iw, 8, 15, et 22 juin dernier.
die et le même drame, le même mari trompé, le même
enfant naturel, la lîiême ingénue épousant à la fin
l'amoureux de son cœur, et le même traître ; le vaude-
Tille règne donc sans partage, le vaudeville, genre à la
portée des intelligences les plus médiocres, pièces qui
parlent à la brute et non à l'esprit, qui réjouissent les
intestins en mal de digestion au détriment du cerveau.
Mais que faire pour relever le théâtre sérieux? On a
essayé de créer un théâtre naturaliste, et cette évolu-
tion est logique, puisque la littérature subissait la même
impulsion. Ma^ — et ici M. Jullièn se rencontre abso-
lument avec notre correspondant de Paris, appréciant
ainsi qu'on le verra plus loin la pièce nouvelle de
M. Fèftre, r Honneur, jouée la semaine dernière au
.Théâtre-Libre, — ces essais n'ont obtenu et ne pouvaient
obtenir aucun résultat.. En effet, ce théâtre usait de la
manière, des procédés et des « ficelles » de la conven-
tion, non seulement dans l'agencement scénique et le
dialogue, mais encore dans l'interprétation et la mise en
scène ; c'est comme si nos ingénieurs voulaient se servir
des canalisations du gaz pour conduire l'électricité !
Mettre de la brutalité dans l'action et des gros mots dans
la bouche des personnages, employer des accessoires
nature, ne peut constituer une réforme. Si la pièce jouée
par des acteurs de tradition s'achemine, après une
exposition oiseuse, vers un incident quelconque pour se
terminer par un dénouement heureux ou tragique, en
se servant de tous les trucs, subterfuges, quiproquos et
invraisemblances du vieux théâtre, ce n'est vraiment
pas la peine de changer. A un genre nouveau, il faut
une coupe de pièce nouvelle, une mise en scène nouvelle,
des comédiens nouveaux, et les jugements critiques
doivent être prononcés d'après une optique nouvelle.
La formule de M. JuUien est autre : d'après lui, le
Théâtre doit être une image vivante de la vie, et plus
exactement une Tranche de la vie mise sur la scène
AVEC ART. Le but principal du théâtre est, dit- il, d'inté-
resser le spectateur et surtout de l'émftuvoir : il doit,
pour cette raison, serrer la vie du plus près possible.
Les personnages seront des êtres humains et non des
créatures de fantaisie, .les interprètes de simples bon^- \
hommes, parlant comme ils parlement dans la vie]
réelle, en haussant toutefois un peu le ton ; et non des \
acteurs qui exagèrent dans le grotesque ou l'odieux, des
déclamateurs qui débitent une conférence ou dévelop-
pent une thèse en faisant montre de prétentieuses qua-
lités de diction. Il faut, pour que le théâtre atteigne
son but, que tout ce qui rappelle le métier ou la bouti-
que, tout ce qui pourrait déceler le travail de l'auteur
ou la présence d'un acteur disparaisse, tant pis pour le
style de l'un, et les effets de l'autre, tout doit se fondre
dans le personnage : un comédien peut intéresser, un
homme impressionne. ,
Le théâtre est Vaction ; c'est bien plus ce qu'il voit
que ce qu'il entend qui frappe le spectateur, le dialogue
d'action l'etnpoigne, le récit l'ennuie; et il a raison, lô
récit est fait pour le livre. L'action doit faire vibrer la
pièce du commencement à la fin, elle est comme sa res-
piration, la pulsation de son sang, sa vie. Il n'est pas
nécessaire, bien entendu, d'avoir tout le temps une
action serrée, intense, violente (on n'a pas toujours la
respiration haletante et le pouls ne bat pas toujours
la chargé); qu'il y ait un minimum d'action', si vous
voulez, mais qu'il y en ait à chaque réplique , et que
d'acte en acte elle croisse en intensité. Quant à mettre
d'avance le public dans la confidence, jamais ; le public
demandée être surpris, car la vie n'est que surprise;
ne déjoue-t-elle pas, comme à plaisir, nos prévisions?
Je crois que l'iatérêt d'une pièce résidera surtout dans
cette inconnne : si le spectateur dès votre premier acte
prévoit ce qui va se passer aux suivants, comment diable
voulez-voiis retenir son attention ? Il attendra le dénoue-
ment comme on attend la rirpe fatale dans les vers de
M. Coppée. Je dis même que, sans amener les scènes à
brûle-pourpoint et à contre-sens, il faut préparer le
moins possible à la succession des scènes et à la progres-
sion de l'inti-igue.
Que deviennent alors l'exposition et le dénouement ?
-^ Deux inutilités. — On ne s'intéresse pas aux gens
qu'on ne connaît pas? c'est l'action seule qui doit vous
intéresser et non les individus en eux-mêmes par ce
qu'ils ont fait avant ou feront après. Est-ce que Shake-
speare,.qui connaissait son théâtre, perdait son temps
en expositions et préparations? Est-ce Othello etHamlet
qui nous émeuvent, personnellement, ou la jalousie de
l'un et la philosophie de l'autre, incarnées dans des
êtres humains? Et malgré les présentations intermina-
bles de ses personnages^ M. Dumas fils afrive-t-il à nous
donner de ses héros une impression autre que c^Ue de
mannequins déclamatoires? Du moment qu'un person-
nage est vrai, il n'a pas besoin d'être présenté.
D'un autre côté, convenez que le dénouement, tel que
l'exigent les critiques et les directeurs, est une absur-
dité ; un incident de l'existence se termine-t- il fatale-
ment par le mariage pu la mort ? La vie n'est pas aussi
simple. Ce n'est donc qu'une trancKê de là vie que nous
pouvons mettre à la scène, l'exposition en sera faite par
l'action même et le dénouement ne sera qu'un arrêt
facultatif de l'action, qui laissera par delà la pièce, le
champ libre aux réflexions du spectateur, car le but
n'est pas de prêter A rire, mais surtout de donner à
penser. '
Ici se place l'élément qui distingue spécialement le
théâtre dont M. JuUien expose la théorie, — et qu'il a
mis en pratique avec infiniment de talent — du théâtre
naturaliste : la synthèse de vie qui doit ressortir de la
pièce. Une pièce, selon l'auteur du Maître, c'est la
synthèse de la vie par l'art, en opposition avec le livre.
qui n'en est que l'analyse. Les conseils qu'il donne à ce
sujet, trop longs pour les répéter ici, sont précis et logi-
ques. . ,
Et ces jolis coups de patte aux comédiens :
L'acteur fait profession de comique, d'amoureux,
de financier, il a son type imprimé dans le cerveau, il
n'en démord pas. C'est ce type qui juge le rôle et veut
bien, s'il lui convient, l'interpréter selon son habitude;
et si, par malheur, dans votre pièce le personnage
comique dans une scène, devient tragique dans une
autre, pour finir en père noble ou en amoureux (ce qui
est rhumaine vérité), tant pis pour vous, il faudra opter
pour l'un ou l'autre, parce que sans cela il déclarera
que : « votre bonhomme ne 4ient pas debout! » du
moment qu'il n'est plus conventionnel : « iPèst inad-
missible, ce n'est plus du théâtre! » — " Ehifin, Mon-
sieur, s'écriait en me menaçant, une comédienne de la
carrière qui répétait la Sérénade, suis-je une Marie
Laurent ou une Desclauzas, oui ou non? — Vous êtes
Mme Cottin, » lui répondis-je; elle n'a jamais compris.
Dame, que voulez-vous, voilà de pauvres diables qui se
sont appliqués toute leur vie à se déformer dans uiî sens,
ils ne peuvent plus revenir au naturel, et le pourraient-
ils qu'ils ne le voudraient pas; depuis dix, quinze, vingt
ans on leur a appris à dire faux, à faire des gestes ridir
cules, à jouer en charge, par quels moyens persuaderez*
vous à ces braves gens qu'ils ont tort et que ce qu'ils
composent est d'un art grossier et puéril, indigne de
l'artiste que doit êti-e le comédien?
M. Jullien, on le voit, sait très exactement ce qu'il
veut, et il va résolument, dans ses œuvres, au but qu'Use
propose. Son Bssai sur le Théâtre vivant, on en jugera
par la rapide analyse que nous en donnons, est plus qu'une
suite d'observations individuelles. C'est presque un
manifeste. Ce que l'auteur déclare, un groupe d'artistes
qui écrivent pour le théâtre le pensent. Et rien n'est
plus intéressant que ces efforts, concentrés actuellement
sur la scène artistique du Théâtre-Libre, pour sortir de
l'ornière le char embourbé de Thespis, ainsi qu'on disait
pompeusement jadis, et faire passer sur la scène glacée
par les baroques imaginations des Sardou, des Augier,
des Dumas, le frisson de vie qui seul donne l'émotion
artistique.
LE €0]\FORTABLE
Les gens bien, donl la seule préoccupation csl d'élrc bien, plus
pour autrui que pour eux-mêmes, le digne monsieur, la respec-
table dame, aussi le bourgeois éclairé, encore mieux le bourgeois
enrichi et sa moitié, el surtout mademoiselle sa fille, pronon-
cent : « keunf'rlèble ». D'autres commencent à dire : « con-
fourtt...able ». , ;
CeUe simple variante sert à classer des gens.
Gomme tous les mots prétentieux et exotiques,' celui-ci est
devenu crispant au bout de quelques années.
Il est venu d'Angleterre, où l'on qualifie de confortable jusqu'à
la canule d'une poire à lavements. Les Anglais, qui n'ont pas le
sens du ridicule, imposent la bélise grave. Ils sont pédants de
conduite: Leur respectabilité si lapidée, par, à chaque instant, des
éclats de procès, reste debout néanmoins sur leur hypocrisie de
granit. La vie de famille ^ à les croire — n'existe que chez eux,
et quant au mot « moral », seule une bouche anglaise a le droit
de le prononcer, La bouche gnglaise, ce tabernacle — goddam!
Le mot confortable, on veut l'appliquer à l'art. Dans un home
bien tenu, quelques toiles pendues au mur, où les joies petites de
la vie se trouvent peintes, font ce home confortable. Un père qui
fait sauter des enfants sur ses genoux, une vieille à lunettes qui
joue avec son chat,, un maître d'école qui récompense sa mar-
maille studieuse, un chien qui sauve un gosse tombé à l'eau, un
oncle qui distribue à ses neveux et nièces des trompettes en fer
blanc, sont plus que dés sujets de genre; ce sont des sujets de
réjouissance et des causes de bien-être. Ils fpnt songer à des
choses douces, amusantes, gimples et propres, -^r car la peinture
est lisse et correcte — on les regarde volontiers, on les montre
aux babys, o^ les leur fera copier plus tard. Il est également
confortable de voir la Rule Brilannia victorieuse sur les champs
de bataille et les mers. Cela flatte le chauvinisme. Les Anglais
vivent encore de et sur Waterloo. De Wellington ils ont fait une
baudruche énorme. Ils ne soupçonnent pas combien cet honnête
capitaine est diminué par le seul fait d'avoir été l'accident de la
chute napoléonienne. Mais leur ridicule, ils le coulent en bronze;
ils en font de gigantesques dessus de pendule en face de Hyde-
Park et de Mansion-House, el puis, ils rêvent à leur gloire, con-
fortablement: Si cette façon de comprendre la peinture et la
sculpture triomphait décisivement, on arriverait vite à un mouve-
ment d'art dont des Webster, des Collins el des Frilh seraient les
Watts, les Burn-Jones et les Madox-Brown.
L'art n'a rien de confortable. Il est fnconforlable de faire de
l'art puisque c'est un tourment et une inquiétude et il est honteux
de faire de l'art pour le confort des autres, puisqu'un tel art est
nécessairement uo commerce. Que l'art provoque renlhoùsiasme
ou l'exaltation, c'est son rôle, mais qu'il fasse en sorte que grâce
à lui un bourgeois se sente mieux chez soi, plus doucement calé
dans SCS fauteuils, plus tendre d'esprit el de pensée, non. Le
bonheur qui se chauffe les pieds au coin du feu est un bonheur
qui donne la goutte; il -peut être très confortable, mais il est
aussi très ramollissant.
Il y a tendance chez certains artistes d'aujourd'hui à se vouloir
une existence qui, àous prétexte de se passer dans un milieu
choisi, aboutit k se couler une vie commode et trop molle el trop
voisine de l'existence bourgeoise. L'âpreté au travail, le sans cesse
embaUemeni vers l'œuvre, on les mitigé pnr des préoccupations
d'aise et de satisfaction. On s'entoure de choses faciles, agréables,
superflues, Labohême, certes, est-elle démodée et mauvaise! FiCS
dettes, certes, vous pincent- elles de leurs tenailles et vous cmpé-
chenl-elles de travailler à pleine ardeur ! Mais — s'il faut choisir
— parbleu ! qu'on préfère la gêne et la dette el l'imprévu à l'exis-
tence symétrique, trop faite à souhait pour le plaisir des yeux cl
de l'estomac. On ne fait pas de l'art aux truffes.
Le confort n'est guère digne d'être le désir d'un homme, vail-
lant de pensée el vivant de son cerveau. Celui-là, au contraire,
rêve d'une sorte d'ascétisme, où tout ce qu'il se refuserait volon-
tairement de joie vulgaire, lui serait compté pendant les heures
de travail. Il en est qui se condamnent non seulement à la gêné.
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mais qui" vont au delà. J'en sais d'héroïques, qui méditent le mol
de Vallès : « Voulez-vous faire un beau livre — vivez chaste ».
Et puis pas n'est besoin de se^iaftl raisonner pour prendre en
grippe toute la queiconquerie du luxe et du bien-élre. Ne fîi-clle
point de mal au cerveau, encore serait-elle haïssable parce qu'elle
est le fait des parvenus et de leurs dames et de leur famille et de
tous. Les goûts moyens de ceux-ci, leur ambition moyenne, leur
bonheur moyen ont besoin de se sentir au chaud en des maisons
et des chambres banalement bien. Le confortable leur fait avoir
bonne opinion d'eux-mêmes, lis se sentent supérieurs quand ils
se singent mutuellement. L'appartement qu'on sait, avec ses
chaises commodes, ses tableaux payés iO, 000 francs, cloués aux
murs, sa lampe à grand abat-jour sur un piédouche, son étagère,
pleine de vieilles porcelaines et d'argenteries, dans un coin, ses
lourds tapis d'Orient, devant la cheminée, ses paravents japonais,
aux fenêtres. Dieu ! quel pillage de communards sauveui-s le bou-
leversera de fond en comble?
Oh ! ces logis modernes et confortables, que Ton brosse et que
l'on range, que l'on égaie et que l'on chauffe par des cheminées
de marbre et dont le chef-d'œuvre est le water-closet ! Ces logis
uniformes avec leur suite de salons cossus et leur vestibule blanc
et la serre dans le fond, on a beau y entasser des velours, des
reps et des soies, ils restent froids. Ils n'ont rien de ce familier,
rien de cet intime, rien de ce doucement attrayant, qu'avaient,
elles, les vieilles chambres meublées un peu au hasard, dont les
tapis n'étaient pas immaculés, dont les chaises portaient des
traces d'usure, mais où, du moins, on sentait la vie de chaque
jour, le coudoiement, l'encombrement même. Les enfants ne
devaient pas y marcher comme sur des œufs et l'on né les fessait
pas s'ils renversaient leur pot à enluminer des images sur la sacro-
sainte carpette.
Et piiis ces élres qiii habitent de tels hôtels! Us sont corrects
toujours, propres, brossés, gantés ; ils font la journalière prome-
nade hygiénique, la mère en manteau de fourrure flanquée de ses
deux jeunes filles comme une sainte entre deux chandeliers. On
les voit avenue Louise, rue de la Montagne de la Cour, rue de la
Madeleine, descendre vers les deux heures et remonter à l'heure
du gaz flambant. Le jeune homme? il sort, son chien tenu en
laisse; il a^es mains patte de canard, un paletot de palefrenier
chic, il fume la grosse cigarette et disserte avec un ami, habillé
d'un costume semblable, sur les pouliches et les jockeys célèbres.
Ils professent ne point aimer le luxe, mais le confort. Cela
sufiSl.
Aussi, par haine d'eux et de leurs n boites » toutes les mêmes, la
rusticité lentement s'introduit-elle dans les mœurs. On commence
h réaliser des ameublements agrestes, simples, naïfs même. Et
symboles, les fleurs paysannes tentent plus que les fleurs à la
mode et on les aime tranquilles, dans un vrai pot de grès, avec
leurs fraîches couleurs éclatantes. Un retour se fait vers la primi-
livilé de l'existence^ vers un labeur ardent que le confortable ne
resserre pas entre les bras coussinés de ces fauteuils et même
l'âpreté vis-à-vis de soi pourrait devenir la joie, une joie à rebours,
des hommes de demain.
r
PREMIÈRE REPRÉSENTATION
L'Honneur, par M. Henry Fèvre. ■
{Correspondance particulière dé l'Art moderne). ^
Certes, M. Antoine aura beaucoup fait pouf le théâtre natùra-
If^tc. Il l'a presque inventé et lui a donné lieu par l'aide de son
parfait talent.
Avant que cet habile et unique comédien lui eût trouvé Une rai"
son d'être, le théâtre naturaliste n'existait qu'à l'èlat latent,
comme une sorte de menacé suspendue sur le front des détrac-
teurs de sa possibilité.
Il a fallu, du reste, assez peu de temps pour s'apercevoir qu'il
n'était, après tout (comme les vaudevilles auxquels il succède, et
avec des moyens un peu autres et en remplaçant la bonhomie
hilare par l'ironie sarcastique), qu'un procédé de photographie
' scénique destiné à divertir les bourgeois par des simulacres d'euxr
mêmes, moyennant quoi le théâtre naturaliste se croit crtiel et '.
véridique. Être cruel est surtout sa principale prétention.
Aujourd'hui, il forme déjà un répertoire, et si, comme la tra-
gédie, il a de vagues Corneille, on y voit ailssi desCocardeau.., et
des Saurin.
Il est un répertoire, au sens que les ouvrages qui le composent
forment déjà un corps de doctrine, qu'il s'y est créée une sorte
de tradition, et que des poncifs commencent à s'en dégager métho-
diquement.
Ainsi, par exemple, le poncif de la Bonne s'agrège peu à peu,
et le temps est proche où le type complété sera intercalé en bloc
et indéfiniment dans toutes les pièces, jusqu'au jour où triom-
phera sur la scène quelque renouveau simple, pâle, général, de
tragédie moderne ou la féerie.
Ce retour à la convention est d'ailleurs la seule issue du théâtre
naturaliste qui pêche. par un particularisme extrême, et le jour. où
il arrivera à des généralités typéfiées, il aura grandi de toute la
distance qui sépare un Pophilat d'un Bonhomet.
» •
Quand le rideau du Théâtre-Libre se lève sur une pièce, fût-elle
de M. Fèvre, .on se demande toujours un peu si ellç n'est pas de
M. Descaves ou de M. Alexis, et celte indéniable identité de ion
fait naître le désir de voir un jour s'établir une sorte de collabora-
tion universelle de tous les médanistes et anti-médanistes pour la
confection d'une œuvre collective qui serait, au théâtre, une
manière, enfin, de Rougon-Macquart.
La pièce de M. Henry Fèvre, qur a prouvé déjà, et ailleurs, des
qualités de logique el de sarcasme, n'est point dénuée d'intérêt,
selon un point de vue d'art anecdotique, el elle met en relief
quelques particularités de l'âme bourgeoise et une certaine repré-
sentation méticuleuse d'actes de vie. Le sujet est d'une simplicité
quotidienne.
C'est le viol, sans précaution, d'une fillette par un ami de la
maison, vieux et marié, et, à travers qu^ques perlurbations
qu'apporte, en un milieu honnête, à de vieux parents sages, ce
fait insolite et qui nécessite de leur prudence un prompt mariage,
avec un cousin, de leur fille, l'heureuse célébration de celte fruc-
tueuse union.
L'honneur est donc sauf étant : ce que les autres disent de
nous.
M«B
Cet événement de famille, par sa transe inévitable, met enjeu
divers sentiments et ces attitude^ :
Chez la fille : un dégoût mêlé du regret d'une bévue, avec une
peur enfantine des gronderies et des bousculades qui lui sem^
blènt, au fond, dépasser bien peu, peut-être, la faute, et un sen-
tiraient très net, qu'il faut sortir de la, et une facilité bien fémi-
nine déjà à s'accommoder des moyens, même peu loyaux
d'arranger les choses. En somme, un mélange de fillette légère,
de femme retorse et un joli fond de: courtisane que dénote l'idée
vague mais sincère que le fait de l'amour n'est en lui-même que
peu et ne doit s'apprécier que selon la conséquence, répréhen-
sible, au cas où il apporte une menacer et admissible en la
mesure de son utilité...
Chez la mère : une colère violente et tatillonne, des instincts de
bourelle et une sorte d'héroïsme aveugle et bas qui éclate par une
volonté de rétablir la décence de la situation par le mariage pré-
servateur ou de simples pratiques aborlives.
Chez le père : une indignation honnêteet primesautière, puis,
devant la souffrance de sa fille, un pardon explicite qui s'oppose
à la sévériié peu scrupuleuse de la mère, puis une lâcheté d'homme
faible qui permet les trafics nécessaires à une solution matrimo-
niale qu'il réprouve et qu'un dernier sursaut de sa conscience
veut empêcher, tentative incomprise même de l'intéressé, et
qui finit en une sorte d'ébahissement stupéfait devant la force des
choses.
Autour de ce trio fondamental évoluent les comparses de l'ac-
tion que renforcent, soit par leur ignominie, leur bêtise ou leur
bon sens ancillaire, l'impression qu'on a d'un fait humain, selon
des circonstances particulières, qui s'est passé, en quelque lieu
très précis, entre des gens qui ont continué à vivre autre part
que sur la scène où ils ont eu leur heure.
Le dialogue est bien un exemple de la convention naturaliste,
qui consiste à faire exprimer à chaque personnage, avec tout le
naturel possible, sa façon de voir et de laisser tirer de propos, en
apparence i}anals, par le public, une signification tout autre et
perceptible pour lui seul. Si ce procédé était soutenu, il pourrait
être intéressant et manié par un homme supérieur, aboutirait en
somme à du Maeterlinck, mais il est là démenti^^tôut coup, par
le fait que les personnages trouvent à chaque instant le moyen
d'exprimer, par des raccourcis tout littéraires, la définition de
leur égoïsme, par exemple, ou donnent en peu de mots la foi*,
mule de leur propre ignominie.
Il est indiscutable que la pièce de M. Fèvre est imprégnée
d'une sorte do gaieté morose, mais le souvenir n'en survit guère
à l'audition et la toile chue sur l'événement, en reste-t-il une autre
impression que celle d'une anecdote bourgeoise et salée ?
Le seul résultat est de prouver que M. Antoine est bon comé-
dien et qu'il faut écrire en vers. R.
fuEItJ-ETTE DE LIVRE?
Un mort d'hier : Max "Waller, notes littéraires, par Firhin
Van drn Bosch, in-8» de 16 p. — Oand, A. Siffer, 1890. — BCax
TVaUer, par Henry Maubel, in-8o de 16 p. — Bruxelles,
ye Monnom, 1890.
Deux intéressantes éludes consacrées h la carrière littéraire, si
prématurément inlerroinpue et cependant si remplie, de ce jeune
qui apporta dans la lutte littéraire une si belle cr&nerie et mil une
verve endiablée à pourfendre les vieux poncifs. Toujours prêt à
aller, de l'avant avec une vivacité de décision et une confiance
juvéniles qui ne furent pas sans courage, s'il se trompa quelque-
fois, il porta aussi bien des coups droits aux solennelles préten-
tions des académiques personnages qui nous avaient fait la litté-
rature officielle que l'on sait, et sa fantaisie comique fut pour la
rénovation des lettres une arme puissante. Il y eut, du reste, sous
cette raillerie sans pitié, une sensibilité raffinée qui se fait jour
surtout dans ses dernières œuvres cl les marque comme d'un
mélancolique pressentiment de cette mort hâtive qui rend son
souvenir si touchant. « 11 apparaît, dit excellemment M. Yan'den
Bosch, comme un joli page, ironique et sentimental, en toque de
velours, mantelet de satin el bas de soie, qui s'en va au son
capricieux el mobile de ft flûte, risquer, sous les balcons de
l'amour et devant les tréteaux de la vie, toutes ses fantaisistes
ariettes, tour à tour moqueuses et attendrissantes, émues et spiri-
tuelles, mais toujours supérieurement originales, où les pétille-
ments sonores du rire s'entrecroisent ^i naturellement à l'âpre
angoisse des larmes ».
Au bord de la route, par Emile Verhaeren, petit in-8° de 34 p.,
édité par Vaillant-Garraanne, à Liège.
C'est un tiré à part du numéro de la Wallonie de mai 1890,
entièrement consacré à notre collaborateur, selon une heureuse
innovation de celle artistique revue qui permet ainsi à ses lec-
teurs d'apprécier, dans ses diverses manifestations, le -talent de
ses écrivains aimés.
Dans la petite bibliothèque littéraire de A. LeiHaire : Urbains et
ruraux, par Léon Cladel. — 1 vol. de xx-318 p., 1890.
Cette nouvelle édition de la seconde série des Va-nu-pieds,
parue chez Ollendorf, en 1884, el plusieurs fois réimprimée
depuis lors, est consacrée par l'auteur, en ces termes, au Cente-
naire que Paris fêla si brillamment l'an passé :
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« Il m'agrée, on ne peut plus, que celte date flamboie en tête
des pages ci-contre el qui n'existeraient pas si, fils d'émancipés
de l'autre siècle, je n'avais point appris d'eux, mes modèles, dont
le souvenir me les inspira, l'histoire de leur révolte el de leur
délivrance. Elle n'est pas encore achevée, aucun ne sait où, quand,
ni comment elle le sera, la glorieuse tâche qu'ils entreprirent avec
une inlrépidilé sans:.égale, el c'est à leurs enfants qu'il incombe
d'y mettre la main illico, car le « char du progrès » est enrayé
parles jésuites bleus, blancs, rouges ou tricolores, qui pullulent
en notre pays, où jadis s'épanouirent el fleurissenl encore aujour-
d'hui les gris et les noirs, ceux du candide Ignace de Loyola,
canonisé par le suave Grégoire XV... Ils ne failliront pointa leur
devoir, les héritiers des croquants qui prirent la Bastille et chas-
sèrent des Tuileries le roi très chrétien et les nobles, au seul béné-
fice de la bourgeoisie, qui depuis lors gouverne, elle aussi, per
fas et nefas; el tel est notre ferme espoir que, si longtemps dif-
féré, l'affranchissement intégral du peuple suivra de fort près le
centenaire de la Révolution.
« 24 février 1889. L. Cl. »
Le « Petit Faust » aux 6-aleries
Joué déjà, l'hiver de la guerre, à Bruxelles. Alors, grand succès,
caria parodie des opéras n'avait pas encore pris l'abusif déve-
loppement de nos jours. Aujourd'hui, c'est un peu l'impression
^mi
mmm
des reprises d'Offenbach : la musique fait toujours plaisir, les
trouvailles de situation font encore rire, mais le dialogue, hélas !
et les calembours, trois fois hélas !
Pauvre Gœthe ! que voilà œuvrissimette son œuvre et comme
dans ses déformations successives se montrent bien les divers
points de vue d'envisager les mêmes choses, tous vrais après tout.
Œuvre puissante, composite comme un poème épique dont les
personnages seraient des idées, esquisse de profonds symboles, à
la (oiiMMMissaute de clarté comme le scintil des étoiles et mys-
^^érieusement obscure comme les trous noirs du ciel. Hais le
Faus^ allemand n^Obtint jamais hospitalité sur la scène française.
Peu d'esprits latins l'ont compris. Le seul côté sentimental et
frais de l'ouvrage put entrer dans la composition du Faust de
Gounod. On dépeça le corps du géant, après l'avoir étendu sur le
lit de Procuste des trois unités : tout devint simple, limpide, se
réduisit au développement joliet d'une passion ordinaire, précédé
d'un renouvelé des contes de fée : la transformation diabolique du
vieux docteur en un jeune premier. Et jolietle aussi, mais que
cela, s'y adapta la musique simpliste et douce de Gounod.
En vraie parodie, le Petit Faust se rit, lui, à l'orchestre, du
Faust français et, à la scène, du Faust allemand : dans les deux
partitions, identiques emboîtements d'airs se parachevant en
ritournelles burlesques, succession ininterrompue de motifs à la
fois sérieux et bouffons; bref, tout le truquage des charges alors
en pleine ébauche, aujourd'hui réduit en formules utilisables et
malheureusement très utilisées. La donnée, elle, est peut-être
plus philosophique que dans maint librctto d'opérette. Ce n'est
pas qu'on y badine plus agréablement de choses très sérieuses,
qu'on y mette plus de modernisme dans la façon de comprendre
l'amour facile, égoïste, aurophile, mais on saisit plus aisément
les différences énormes entre ces deux points de vue contradic-
toires d'envisager les choses en général, le côté sérieux oxigobeur,
cl le côté je m'en fichiste ou gouailleur, quand c'est à propos des
mômes situations, s'enchatnant à peu près de la même manière,
qu'on les met en opposition.
CONCERT LAMOURBUX A LIÈGE
M. Lamoureux adonné à Liège un concert dont le programme
était identique à celui de la première des deux séances musicales
de l'Alhambra. L'impression produite parait avoir été la même
qu'à Bruxelles.
Voici ce que nous écrit notre correspondant spécial : .
M. Lamoureux et son orchestre, que le peu d'empressement
ot l'apathie du public liégeois n'ont heureusement pas arrêté, ont
été l'objet d'ovations bruyantes et répétées. Mais aussi quelle par-
faite exécution ils nous ont donnée ! C'est prodigieux de finesse,
de coloris, d'élégance, de nuances infinies, de délicatesse d'obser-
vation. Tous les instruments donnent également bien, avec la
même pureté de son, avec la même grâce et la même volonté.
Le fondu de l'harmonie, la scrupuleuse rectitude des rythmes
surprennent et enchantent. El l'on est souriant et ravi d'entendre
d'aussi délicieuses choses!
Cependant on reste étonné de n'être point troublé. L'esprit et
le cœur sont paresses, mais pas remués. L'émotion, la grande
émotion d'art ne vous poigne pas. C'est que, si parfait, cet
orchestre manque d'ampleur et que l'on ne sent pas « d'emballe-
ment » en lui.
Celle admirable observation des nuj^nces nuit à l'intensité de
l'impression. • . '
f^Ous n'aimons pas entendre ainsi jouer du Beethoven ; c'est
l'élévation, la profondeur de sa pensée qui nous troublent. C'est
la vie, la nervosité, la puissance, l'irrésistible passion de Wagner
qui nous émeuvent. Et c'est tout cela que nous n'avons pas
senti dans l'interprétation que nous a donnée M. Lamoureux
de la symphonie en ut de Beethoven, de l'ouverture de Tann-
hauser, des H^urniures de la forêt, du prélude de Tristan et
Jseult el de l'introduction du troisième acte de Lohengrin.
Les qualités de perfection el de coloris de l'orchestre l'ont, au
contraire, merveilleusement servi dans l'exécution de V Arté-
sienne, de la Danse macabre el d'Espana.
Disons encore la vive impression que nous a produit la réaudir
lion du Camp de Wallenstein de Vincent d'Indy, exécuté l'hiver
dernier sous la direction de l'auteur, ^ïar l'orchestre de M. Syl-
vain Dupuis, et le grand désir que cela nous a donné de réen-
tendre l'œuvre majgislrale en son entier.
Petite CHROj^iquE
jtrr-
Nos compatriotes vont se faire, décidément, à l'étranger, une
réputation de chefs d'orchestre de premier ordre. On sait le suc-
cès qu'obtient depuis deux ans M. Jehin à Monaco. M. Léon
Dubois a été 1res apprécié à Nantes. M. Philippe Flon a con-
quis à Rouen toutes les sympathies. Voici que M. Jules Lecocq,
qui est depuis sept ans à la tête des concerts symphoniques de
Spa, vieût d'être appelé à diriger les concerts classiques de Mar-
seille. Son début a été excellent, el le nouveau chef d'orchestre a,
nous écrit-on, produit la meilleure impression sur les habitués de
ces auditions de bonne et sérieuse musique. M. Ch.-Ed. Michel,
l'un des principaux critiques marseillais, dit de lui : « M. Lecocq
s'est, dans l'interprétalion de la symphonie enjit mineur de Beet-
hoven, montré poète el musicien. Il a obtenu chez ses musiciens
l'exécution fondue, déUcate, expressive, juste, dans les deux sens
du mot, des instruments à cordes, l'observation, spirituelle du
texte, dans les sons, la mesure, les mouvements, ainsi que la
mise en valeur exacte de toutes les parties intermédiaires; tout
cela sans tomber dans le précieux et le papillotant, mais au con-
traire, en maintenant toujours l'unité musicale et le sens poétique
de chaque morceau. Tout en recherchant surtout la force el
l'ampleur du son, le nouveau chef est arrivé, par l'habile jeU des
contrastes, à des effets d'une variété el d'une puissance extraor-
dinaires, telle la transition fameuse dn scherzo b» finale de la
syinj)honie.
La même maîtrise d'inspiration et tfe rendu s'est fait voir
dans rouverturc d'Obéron ainsi que dans la pittoresque Suite de
Grieg.
Excellent musicien, esprit compréhensif el délicat, M. Lecocq
paraît digne des hautes fonctions de directeur el d'inspirateur
artistique qui l'attendent chez nous ».
Au théâtre Molière, M™* Weber-Second est venue avec une
troupe médiocre jouer le drame de Henri de Bornier : la Fille de
Roland. L'actrice elle-même et tous ses partenaires ont voulu pro-
duire sur le public une impression, croyons-nous, brutale et
facile. Rarement on a plus crié et gesticulé à faux sur une scène
bruxelloise. Surtout M. Second. Son jeu, il ressemblait à celui d'un
\ *
\^-
lénor médiocre. Les strophes sur les épées, assez fièrement écrites,
ont été, par lui, plutôt guéulées que déclamées. Le moins mau-
vais des acteurs ? celui qui remplissait le rôle de Ganelou.
Les Plaideurs de Racine, d'un archaïsme charmant, ont seuls
légitimé la présence d'un public nombreux au Molière.
Au Cirque Piège, le forain de la gare du Midi. Tranchant sur
la rassasiée exhibition de voltiges, haute école^ danse de corde
photographiqucment mêmes, la misé en spectacle avec tentative
pour la rendre gaie, de deux infirmes, Ils ont l'un et l'autre. été
amputés de la jambe droite. Ils entrent béquillards dans l'arène
et accrobatiquent avec grand succès de sympathie. Ils font tout
le bruyant de l'orchestre, tout le clownesque 'enfarinement des
têtes pour se croire ailleurs que dans un hôpital quelque jour de
délire. Difficulté surtout de se convaincre qu'il s'agit là d'autre
chose que d'une imitation, que ces gymnasiarques unijambistes
sont de vrais malheureux et qu'ils n'insultont pas aux estropiés
en les singeant. '
Une des rarissimes rencontres d'émotion dans un cirque.
Une revue d'art illustrée vient de se fonder à Bruxelles sous le
titre : Les Salons. Elle publiera chaque semaine quatre planches
phototypiques, réalisant, k un très bas prix, le désir si souvent
exprimé par les artistes et les dilettanli d'avoir enfin un périodique
digne de l'Art national. La première livraison des Salons est con-
sacrée aux œuvres exposées au Salon triennal de Bruxelles, de
MM. Juliaan Dillens, Georges Hitchcock, Nicolas Vanden Eéden
et L.-J. Anlhonissen.
Un groupe de musiciens des orchestres de Bruxelles et de la
province, vient de créer une Association de secours mutuels.
M. L. Randaxhe, au nom du comité provisoire, fait appel, par
circulaire, à tous ses confrères, et espère réunir en quelques
années des fonds suffisants pour améliorer le sort des artistes
musiciens, constituer une caisse de pension, fonder un journal
destiné à défendre les intérêts de l'Association, former des
orchestres d'été dans les villes importantes, etc. La cotisation des
membres est d'un franc par mois. S'adresser, pour renseigne-
ments, à M. Randaxhe, rue Verboeckhaven, 423, Bruxelles.
La Wallonie consacre son dernier numéro à M. Pierre Quil-
lard. Des vers — certains — très nettement d'un artiste.
La Gironde publie un fort élogieux article ^ur la représen-
tation des Huguenots, au grand théâtre de Bordeaux, dans
laquelle M. Cossira de l'Opéra de Paris, autrefois lénor au théâtre
de la Monnaie, à Bruxelles, a chanté le rôle de Raoul de Nangis.
En voici des extraits, signature Paul Lavigne :
« Le nom de M. Cossira, placé en vedette sur l'affiche, avait
iattiré hier soir une chambrée absolument exceptionnelle : la loca-
tion était formidable ; tous les strapontins avaient été envahis,
les moindres places à tous les étages avaient été prises d'assaut.
La recette a été exceptionnelle (près de 4,300 fr.) et on a dû
refuser beaucoup de monde. On juge par là si la curiosité était
grande, si l'attente était fébrile. Disons de suite que l'événement
a complètement répondu à un si exceptionnel empressement.
M. Cossira est bien le lénor rêvé, le rara avis, le chanteur que
l'on ne trouve plus !»
Et plus loin : « J'ai cherché à être exact jusqu'au scrupule dans
mon appréciation détaillée, et l'on m'excusera, je l'espère, d'être
si long. C'est chose d'une telle importance qu'un bon ténor
sérieux qui nous arrive, et qui oblige pour ainsi dire une salle
houleuse à l'acclamer et à le fêter, que je n'ai pas cru devoir
résumer mes impressions seulement en une dizaine de lignes.
Il était bon, il était utile aussi de faire ressortir certaines imper-
fections. Personne n'est parfait ici-bas; l'idéal n'est nulle part sur
notre planète; et un ténor, quel qu'il soit, se troure toujours
plus ou moins dans le cas de la plus belle fille du monde.
« La venue de M. Cossira a été un véritable événement artistique
pour nôtre cité. A la bonne heure!... Une représentation qui fait
salle comble et dont tout le monde sort satisfait, voilà qui n'a-pas
lieu tous les jours, voilà qui n'est pas banal, même à la Monnaie,
même à l'Opéra. Nos félicitations à l'administration du Grand-
théâtre de nous avoir fait entendre un ténor de cette valeur. »
L'un des jeunes artistes espagnols qui firent, il y a quelques
années, leurs éludes au Conservatoire de Brux-elles et la joie des
maisons aniie&où carillonnait leur turbulente gaieté, M. Eusebio
Daniel, est devenu, nous disent les journaux d'Espagne, un pia-
niste distingué et un professeur sérieux. Dans un concert donné
à Barcelone par Sarasate, il s'est fait entendre à côté de cet
éblouissant virtuose, et a réussi, malgré ce voisinage dangereux,
à se faire remarquer et applaudir. .
Le premier concert du Conservatoire de Liège aura lieu le
samedi 15 novembre. Lesâolistés seront Joachim et M. De Grccf.
L'orchestre exécutera la septième symphonie de Beethoven,
La livraison de novembre du Magazine of Art instaure un
papier nouveau, satiné et souple, spécialement fabriqué pour
obtenir de parfaites reproductions. Elle contient, entre autres, une
planche gravée, tirée en bistre, d'après la Fata Morgana de
G.-F. Watts, une étude de M. Claude Phillips sur les « grands
prix » obtenus par l'Ecole belge de peinture et de sculpture à
l'Exposition universelle de Paris : MM. Emile Wauters, Alfred
Stevens, Franz Courlens, Paul de Vigne, Charles Van der Stappen,
Julien Dillens, Constantin Meunier, avec illustrations ; une étude,
illustrée de nombreuses gravures, sur M™« Henriette Ronner par
M- H. Spielmann ; un article sur l'importante collection céra-
mique de M. George Salting, avec de nombreuses reprodùc-
lion$,^c. _
Le Comité pour l'érection d'une statue à Georges Bizel s'est
réuni, sous la présidence d'honneur de M. Ambroise Thomas.
11 a été décidé que le monument consisterait en un socle élevé,
surmonté d'un busie et entouré de figures allégoriques. L'exécu-
lion en est, dès maintenant, confiée à MM. Paul Dubois el Charles
Garnier, qui ont immédiatement accepté.
Deux commissions ont été nommées à l'unanimité : l'une pour
s'occuper de l'exécution de la statue et des démarches à faire
auprès de la Ville de Paris cl de l'administration des Beaux-Arts:
l'avlre pour organiser une représentation solennelle au bénéfice
de l'œuvre.
La commission de la statué comprend : MM. Amb. Thomas,
Ch. Gounod, Ernest Reyer, C. Bellaigue, J. Claretie, Paul Chou-
dens, Alphonse Daudet, Léon de Fourcaud, Ph. Gille, E. Gui-
raud, L. flalévy, V. Joncières, A. Jullien, J. Massenet, Albéric
Magnard, Victor Wilder.
La commission théâtrale se compose de : MM. Aderer, Emile
Blavet, Henry Bauër, L. Bessorï, T. Bourgeat, Edouard Colonne,
Ch. Lamoureux, Rîtt, Gailhard, Paravey, Porel, Verdhurt, Garcin,
Danbé, Victor Roger, Stoullig, Ed. Noël el Lionel Meyer, secré-
laire du comité.
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Dixième année. — N" 46.
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 16 Novembre 1890.
... L. i ■
MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
é
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Comité de rédaction » Octave MAUS — eVmond PICARD ^ Emile VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postal«, fr.\ 13.00. — ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser toutes les communications à
l'administration générale de l'Art Moderne, rue de Plndustrle, 32, Bruxelles.
?
OMMAIRE
ÉvOLUflON ADAPTATRICE. — CÉSAR FrANCK. — LeS CÎONCERTS
POPULAIRES. — Cueillette de livres. — Au Conservatoire. —
Concert Joachim. — » Monsieur Betsy » au Parc. — Au Théâtre
Molière. — La « Princesse Maleinb ». au Théatre-Libre. —
Mémento des expositions. — Petite chronique.
ÉVOLUTION ADAPTATRICE
0 misère des compliqués et vertigineux jours où nous
vivons! Sans repos! La hâte toujours accrochée à nos
flancs, enfonçant ses dents, enfonçant ses griffes et nous
forçant aux galopades effrénées. Plus jamais, jamais le
loisir paisible de commencer et de terminer. Un ina-
chevé perpétuel, tout. finissant dans la fièvre et l'a peu
près. Un incessant enchevêtrement de ce qu'on fait et de
ce qu'on va faire. Tout moment de la vie transformé
en un carrefour où aboutissent, s'entassent et se bous-
culent mille soucis, mille devoirs. L'âme sans cesse
haletante. Les confusions, la précipitation d'un départ,
quand on arrive tardivement à la gare, dans l'encombre-
ment des colis, de la foule, que la machine, prête à
démarrer, souffle et ronfle, que les formalités s'accu-
mulent et que le coeur bat la crainte de manquer le
train. L'impression quotidienne ^ue la journée est trop
courte, qu'il faut empiler sur le lendemain un arriéré,
qu'uBô^ liquidation nette des heures courantes est
impossible, et que, pareils aux gens qui se sauvent d'un
incendie ou d'un écroulement, il faut abandonner
derrière soi des choses qui seront à jamais perdues. Le
travail, le repos, le plaisir, agités sans répit, toujours
trop courts, toujours trop étroits pour contenir ce qu'il
y faudrait mettre de soins méthodiques, de calme
absolu, d'insouciance gaie et pacifiante. Des nuits dans
lesquelles on se jette comme sur le lit de camp d'un
bivouac de guerre. Des journées qu'on commence avec
la tristesse et les pensées moroses du vagabond qui se
sent chassé, et enfile la grande route d'un pas hâtif et
fatigué. Le besoin de s'arrêter pour souffler, reprendre
haleine, calmer les palpitations ; et la nécessité de repar-
tir, en courant, avant que, dans les artères, les vagues
sagguines soient retombées. La course du cheval de
cirque dans la ronde arène, enlevé, excité par les enve^^
loppants coups de lanière de la chambrière claquante,
des tours après des tours, frénétiquement et sans voir
la fin. -
0 misère des compliqués et vertigineux jours où nous
vivons ! Causée par cette civilisation ensorcelée qui va,
qui va se ramifiant à l'infini, poussant ses ramifications
prodigieusement proliférantes, faisant sortir de toute
avancée une avancée nouvelle, s'agitant dans un
grouillis, un fourmillement de découverte^, d'inven-
tions, de pensées, de systèmes, de transformations,
formidable! Eâervescence infernale, bouillonnement
volcanique, marée sans reflux, toujours montante,
gagnante, inondan^te, qui s'insinue, s'infiltre, sature ici,
rlà, ailleurs, pai'tout, submerge, secoue, ballote de récif
sur récif.
Et le labeur intellectuel, incessamment plus intense,
rongeant et exténuant la corporelle enveloppe, épuisant
les muscles, surexcitant les nerfs, détraquant l'estomac,
fatiguant les yeux, ces pauvres yeux de modernes, hyp-
notisés dans les lectures, les écritures interminables,
sur des textes mauvais, à la clarté aveuglante des gaz.
Le surmenage ! L'exercice physique salutaire diminué,
diminué toujours comme la peau de chagrin du fantas-
tique conteur. Les champs entrevus en de courtes, très
courtes promenades, au hasard des rares congés, par
des promeneurs vite éreintés tant ils sont déshabitués
de la marche, cette souveraiùe médecine de l'âme et
du corps. Là vie dans Jes villes, sous la clocnfe à plon-
geur des fumées, des émanations suspendues en dôme
permanent au dessus d'elles. Et le malaise somn^ent
de cette existence anti-rationnelle, anti-hygiénique,
anti-physique, anti-tout! Le malaise marasmeux, la
triste conscience de n'être jamais complètement soi-
même, de subir, en sa vaillance, une dépression
incurable, de ne ressentir jamais qu'amoindrie cette
allégresse du travail, enivrante comme le soleil, inspi-
ratrice des nobles choses, chaude et entraînante
boisson psychique qui héroïse et cordialise.
Va-t-elle continuer ainsi, cette humanité que nous
sommes, l'humanité aryenne, vouée à l'inquiétude, au
cuisant besoin de s'agiter toujours? Souff'rira-t-elle
indéfiniment de cette inéquation dans sa destinée cher-
cheuse? Souffrira-t-elle indéfiniment de sa fièvre à se
tourmenter par l'esprit, de son inaptitude au tranquille,
à la contemplation, par laquelle l'âme devient pla-
nante, vaguement bercée, telle qu'une nue à peine bou-
geante, dans l'atmosphère des rêves où l'on ne pense à"
rien qu'à se sentir suspendu immobile, à égale distance
de toutes les forces attractives, au point mort où l'action
disparaît, équilibrée en plein centre des tourbillons?
Non! Il faut un changement. Qui voudrait, sinon^
continuer le supplice de vivre ? Notre génération est en
train de passer dans un des défilés mimtants qui sépa-
rent les paliers de l'histoire. Il nous a fallu quitter la
région tranquille où, après la tragique étape que fit
notre race au commencement du siècle, elle eut passa-
gèrement l'illusion que pour longtemps elle allait jouir
du bien-être de l'immutabilité. Oh! les heureux jours
durant lesquels on put croire que tout était fixé et qu'on
allait jouir de l'inefiable sérénité des choses définitive-
ment acquises. Mais ce ne fut qu'une vacance. Il fallut
repartir, alors qu'à peine blanchissait l'aube, et nous
voici de nouveau courant, nous éreintant dans une
ascension vers un autre inconnu, y employant nos
forces a,nciennes, rien que nos forces anciennes .mal
adaptées à ces efforts.
Il faut un changement! Va! tu peux y compter,
pauvre être humain tourmenté, sinon pour toi, au
moins pour ceux qui sortii-ont de toi. Des générations
se préparent, aussi différentes de toi que l'avenir l'est du
passé. Tu as encore, dans tes fibres, les habitudes
ancestrales qui rendent nécessaires à ta santé la vie en
plein air et l'exercice physique. Tu geins de leur priva-
tion : 1 immobilité corporelle te déprime, le séjour dans
l'enfermé des chambres, dansl'étuve des salles publique^
t'indisposent Rassure-toi. A force d'y être, tu prépares
inconsciemment en tes moelles, des semences dont naî-
tront des êtres qui s'y trouveront à l'aise et pour qui,
peut-être, les champs seront aussi délétères que le sont
aujourd'hui pour nous les villes. Une force progressive
irrésistible, modelant mystérieusement la matière dont
nous sommes pétris, l'adapte à ce qu'il nous faut et la
met en équation avec le milieu où le hasard nous a laissés
tomber. Les poissons qui nagent dans les eaux noires
des lacs de cavernes n'ont pas d'yeux. Voués que nous
sommes à des travaux psychiques de plus en plus
intenses, pourquoi nos corps ne se réduiraient-ils pas
insensiblement dans leurs proportions et dans leurs
besoins? ïl sé-prépare une espèce d'hommes, les vr^^is
INTELLECTUELS, pour qui l'enveloppe matérielle ne sera
plus qu'un accessoire, tout juste ce qu'il faudra pour
servir de support à l'âme, et dans un lointain, très loin-
tain avenir, il ne subsistera peut-être que l'âme avec
on ne sait quel filamenteux pédoncule, la rattachant à
la terre, pareille à une fleur splendide balancée sur une
tige grêle, orchidée étonnante se nourrissant deâ impal-
pables nutritions q^i flottent dans l'atmosphère. Ils sont
peut-être déjà comme cela dans Mars et dans Jupiter.
Tout concourt à rendre de plus en plus inutile ce luxe
lourd de muscles et d'os, héritage d'une ascendance
animale, que nous traînons avec nous, sac d'ordures
soumis à toutes les ignominie^ de l'ingestion et de la
déjection. Même dans cette brutale fonction de la guerre
n'en est-on pas à dire que le meilleur soldat c'est le plus
petit : il offre moins de surface aux projectiles, il charge
moins son cheval, il allège les ravitaillements parce
qu'il mange moins. On n'en veut plus du pesant cuiras-
sier d'antan. Quel indice! Et ce mysticisme qui s'accuse
notamment dans le ténébreux sentimentalisme de la
Sonate à Kreutzer de Tolstoï, ce dégoût des amours
charnelles qui va grandissant, n'en est-il pas un autre?
Approchons-nous du millénaire annoncé par Lacordaire :
Un temps viendra où il n'y aura plus que raff"ection des
âmes!
Evolution ! Adaptagbn ! Infatigable travail pour
mettra en accord nos moyens et notre rôle. Une étude
constante, instinctive de ce qu'il faut modifier en nous,
r
et la conspiration de toutes nos activités pour nous dis-
cipliner aux circonstances. Considérez encore cette uni-
verselle tendance à faire vite, à s'en remettre à l'inspi-
ration du moment, à sacrifier les minuties, à marcher
droit au but en quelques enjambées. Comparez cet esprit
d'à propos auquel de plus en plus on se confie, cette
tendance) à l'improvisation des paroles et des actes,
comparez-le aux lentes méditations d'autrefois, aux"
longues tergiversations, au soin des détails, aux raison-
nements méticuleux, aux temporisations. Une nouvelle
dynamique intellectuelle s'instaure. Là aussi on va en
train express et les vieilles diligences apparaissent
grotesques. L'empire est désormais aux prompts. On n'a
plus le temps, on n'a plus le temps ! Certes, cela produit
encore le superficiel, l'insolidité du fait-viteT^ais^tten-
dez : bientôt yous les verrez pulluler, les forts esprits à
décision nette, vigoureuse, immédiate, pénétrant du
premier coup de sonde, jugeant du premier coup d'œil,
frappant en plein but du premier coup de javelot.
Et qu'importeront alors à ces hommes nouveaux
nos ennuis d'aujourd'hui, nos soucis inséparables des
périodes évolutives et fœtales. Ils seront libérés, eux,
de nos épuisements nerveux et de nos gastrites chro-
niques. Ce qui nous rend la santé, les rendra malades.
Ils ne seront bien portants que dans l'atmosphère séda-
tive des grandes cités. Leur matérialité réduite prendra
le grand air dans les salles de spectacle où nous attra-
pons la migraine, la campagne les indisposera, la
gymnastique sera un périlleux excès. Il y aura encore
quelques spécimens à forte membrure, éprouvant le
besoin de boire et de manger copieusement, de se livrer
aux sports divers et de s'adonner aux copulations pro-
longées. Ce seront des ataviques. Et les professeurs les
exhiberont, dans leurs cours, comme on montre présen-
tement les descendants, parmi nous, des troglodytes
préhistoriques, à fortes mâchoires et à ventre proémi-
nent. Peut-être les appellera-t-on Gorilles!
CÉSAR FRANCK
César Franck est énorl, — le maître autour duquel s'étaient
groupés, respectueusement, les Jeune-France de la musique :
Vincent d'Indy, Gabriel Fauré, Emile Chausson, Camille Benoît,
Henri Duparc, Pierre de Bréville, Charles Bordes, qui lui doivent
tous quelque chose de leur gloire naissante. Les journaux ont
daigné lui consacrer quelques lignes. Lui, si oublié de son
vivant, le voici, durant quelques jours, cité avec un semblant
d'éloge, entre le dernier duel et les faits divers. Mais déjà il
dispài'att dans le kaléidoscope des préoccupations banales.
Un jour viendra où le génie de César Franck sera célébré
comme il convient, où l'on comprendra, enfin, qu'il a été l'initia-
teur d'une école, le créateur d'un cycle de chefs-d'œuvre, le mu-
sicien le plus parfait de son temps, et que sa place, dans l'histoire
de l'Art, est à côté des plus grands.
On lui élèvera alors des statues, on jouera commémorativément
ses œuvres, en tapant sur ceux de son éqoque qui ne l'ont pas
compris. .
Ce qui n'empêchera pas le public d'alors de laisser dédaigneu-
sement en quelque coin l'un ou l'autre artiste à l'âme fière, '
dédaigiieux des coiirtisanerres et des succès, qui, à l'exemple de
Franck, mourra dénué d'honneurs, pleuré de rares amis, comme
^rbey, comme Villiers de l'isle Adam, comme tous ceux qui se
sont élevés trop haut pour être suivis par les foules. .
Ces morts là sont les plus belles. Nous, saluons respectueuse-
ment celle de César Franck, et nous regrettons l'abolition de c
inspirations pures qui ont doté l'art des Huit Béatitudes, de
Rédemption, de Ruth et Booz, de la Symphonie, de Psyché, des
Éolides, du Chasseur maudit, du Quintette, de la Sonate pour
piano et violon, du Prélude, choral et fugue, du Quatuor à cordes.
L'œuvre de Franck suflfil à illustrer une époque. El quand Gou-
nod, et Massenel, et Reyer, et Saint- Saëns seront depuis long-
temps remisés dans les cartons, les partitions de Franck apparaî-
tront, radieuses de jeunesse, avec leur fraîcheur et leur merveil-
leuse distinction. '
Peut-être se trouvera-t-il même quelque directeur disposé à
monter Hulda, son drame lyrique, qu'on refusa brutalement de
représenter jusqu'ici.
Peut-être aussi les sacro-saints pontifes du Conservatoire ver-
, ront-ils en Franck, désormais hors d'état de leur nuire (il n'y
pensait guère, le modeste et bienveillant artiste!) autre chose
qu'un professeur d'orgue, et (l'épithète est authentique) qu'un...
Prussien, parce qu'il était hé à^-Liége !
Pleurons César Franck coftime on pleure les héros morts, avec
la douleur de la s'éparalion et l'orgueil des exploits accomplis.
LES CONCERTS POPULAIRES
L'existence des Concerts populairesest,ae nouveau, remise en
question. Tous les ans, la menace de leur mor^ surgit, burlesque
et sotte. Il est temps que cela finisse, et que, pour la dignité de
l'art, on arrête enfin des mesures définitives qui sauvegardent la
meilleure, — la presque unique institution musicale de Bruxelles.
Il y a vingt-cinq ans que les Concerts populaires onKélé fon-
dés. Ils ont été toujours, non une entreprise destinée à ehrichir
qui que ce soit, mais un moyen de propagande artistique, soutenu
par le dévouement désintéressé d'artistes et d'amateurs.
Adolphe Samuel, puis Henri Vieuxtemps, puis Joseph Dupont les
ont dirigés dans l'exclusive préoccupation de faire connaître à nos
concitoyens les œuvres symphoniques nouvelles. Ils ont été nos
initiateurs à la musique de Wagner, de Beriioz, de Schumann, de
Brahms. Ils ont eu, à Bruxelles, sur notre génération, une
influence énorme. Et que ceux que fait plus particulièrement
vibrer la note patriotique aillent demander à Vandcn Eeden, à
EÎnile Mathieu, à Peler Benoit, à Gustave Huberti, à Erasme
Raway, à Edgar Tinel, à tous nos auteurs nationaux, quels ser-
vices les Concerts populaires leur ont rendus.
Une association artistique qui a, durant un quart de siècle,
lutté pour l'art, qui a affirmé son désintéressement en exécu-
tant des œuvres avec chœurs et solistes dont les frais devaient
nécessairement dépasser les recettes, mais qu'il importait d'inter-
préter pour achever l'éducation du public, a droit au respect,
aux encouragements, à une protection efficace.
J
Or, voici comment on récompense IMniliative et le dévouement
de ceux qui consacrent à l'instilutibn des Concerts Populaires
leur temps et leurs «oins. L'an dernier, la Ville supprima bruta-
lement le léger subside qu'elle allouait ^ sur le budget des beaux-
arts, à la société. Celte année, elle lui relire la disposition du
théâtre de la Monnaie. 11 ne lui reste plus qu'à demander la tête
du directeur des concerts.
La raison? MM. Stoumon et Calabrési auraient, parait-il, écrit
au collège échevinal que si on continuait à prêter le théâtre à la
Société des Concerts populaires, ils renonceraient au renouvel-
lement de leur privilège.
Ah ça, en quelles régions sauvages vivons-nous? C'est donc
pour une mesquine et basse querelle dans laquelle l'Art n'a rien
à voir, qu'on va sacrifier ce qui, depuis vingi-cinq ans, a été le
~pain intellectuel et le vin réconfortant d'une partie notable de la
population? C'est pour des motifs de rancune personnelle qu'on
va priver tout un orchestre, composé d'une ceniaine de musi-
ciens, du minime. bénéfice que lui procurait l'exploitation des
Concerts? Et surtout : l'inlérêl de l'Art, défendu avec tant de
dignité par la direction des Concerts populaires, doit-il souifrir
de ces misères?
Supprimer les Concerts populaires — et c'est les supprimer
^ue de vouloir les obliger à grever leur budget d'une location
coûteuse, alors que dans l'état actuel des choses, les receiles
balancent à peine les dépenses, — serait scandaleux.
Il nous paraît invraisemblable que les directeurs de la Monnaie
aient fait à la légère une démarche qui leur enlèvera les sympa-
thies de tous ceux qui, à Bruxelles, aimen( la musique et en ont
le respect. Il est plus improbable encore qu'un collège échevinal
se laisse intimider par des ultimatums de ce genre. Mais si la chose
est vraie, il faut que l'Art passe avant toutes discussions indi-
viduelles. Céder devant la menace des directeurs serait, de la
part du collège, une lâcheté. Qu'on remplace les directeurs, s'ils
s'en vofal, mais qu'on maintienne les Concerts. Ou, si l'on per-
siste; qu'on vole un subside pèrmellânt aux Concerts de prendre
en location une autre salle, bien qu'aucune d'elles ne vaille celle
de la Monnaie, Depuis les changements qui y ont été eflfectués,
la salle de l'Alhambra, qui ne conlient qu'un petit nombre de
loges et peut être excellente pour l'exploitation d'un théâtre
populaire, est, en effet, pour desConcerts, beaucoup moins
favorable que le théâtre de la Monnaie.
fuEILLETTE DE LIVRE?
Albert, par Louis D.omor. Un vol. in- 16 de 222 p. avec un portrait
de l'auteur, tiré à 500 exemplaires numérotés, et édité sous le
patronage de la revue la Plume, Paris, 1890.
M. Louis Dumur est un jeune qui se veut faire une place dans
là littérature et dont les premières œuvres méritent attention.
Il débuta, il y a un an à peine, par un petit recueil de poésies
intitulé la Neva, édité à Saint-Pétersbourg, et, pour sortir
immédiatement des sentiers battus, il imagina de rythmer ses
poèmes d'après les lois de l'accent tonique, nous>«ifrant ainsi, à
scander comme des vers latins, des Heptapodes ïambiques, des
Tripodes anapesliques, des Anapesto-ïambiques et toutes; les
combinaisons du genre. Cela ne manquait pas de certaine allure,
mais ce diable d'accent tonique ressortait difficilement dans une
langue accoutumée aux seules cadences des. sons et pour laquelle
les intonations chantantes furent jusqu'ici comme une barbarie
provinciale.
C'était, néanmoins, œuvre de poète, par la recherche des
images et l'arrangement, souvent heureux, des mots pittoresques
et sonores.
Mais voici que dans un nouveau livre, en prOse cette fois,
M, Dumur nous dit ce qu'il pense des poètes : « Aujourd'hui, les
simples seuls croient encore à_Dieu, aux allumettes et aux poètes.
Tout autre s'est enfin rendu compte du vide immense qui doit
gonfler une âme pour qu'elle en vienne à faire des yers. Tant
qu'une flamme jaillit en elle, nourrie par quelque brindille restée
pure, son énergie s'attache à la matière, la vivifie et la fait servir
aux usages. Le laboureur labourera, le cuisinier cuisinera, le sou-
teneur soutiendra. Mais de la minute fatale ou l'avachissement
rongeur aura éteint les sources du désir, le vers naîtra sur la
pourriture, engendré par la honte de n'élre rien et par un dernier
besoin de poser devant l'humanité. Le poète est vil par essence,
par nature, par définition. Il ne peut ni cultiver le sol, ni
augmenter la prospérité publique, ni contribuer au bien, ni
museler le mal, ni procréer des enfants à la patrie; il s'affale
dans le plus inutile des métiers, affiche son intime vie comme une
grosse femme, trafique de ce que les hommes ont la pudeur de
dérober à tous les regards; il ne connaît que lui, ne voit que lui,
ne veut que lui; son orgueil surpasise encore son insuffisance, et
il n'est pas loin de se croire le premier des mortels, pour
employer les heures du jour à l'arrangement méthodique et
puéril des mots qui ne servent à rien et n'ont d'autre avantage
que' de présenter le même son. C'est un dégoûté tombé dans
l'enfance; un innocent et un gâteux. La virilité lui fait défaut:
impuissant, il n'a pas même le courage de se taire ; il pousse de
vagues plaintes, qui seraient pitoyables si lé ridicule ne les ren-
dait grotesques ».
Et, passant en -revue les principales cogitations de l'esprit : la
philosophie, l'art, la science, l'amour, l'auteur en montre succes-
sivement l'inanité en un récit, volontairement vide de toute action,
où chaque chapitre n'apparaît que comme l'efTondement d'un
nouvel effort pour échappera l'incurable banalité de la vie et qui
se dénoue par un suicide sans passion, comme sans empresse-
ment ni tristesse, entrevu uniq^ement comme moyen de produire
« un changement dans la 'monotonie immense du toujours la
môme chojse ».
Le sujet n'est pas neuf dans notre littérature tourmentée. Sans
parler de bien d'autres, Leconle de l'Isle l'a plus d'une fois for-
mulé en d'impassibles poèmes et, plus récemment J.-K. Huysmans
l'a comme symbolisé dans ces livres étranges : A vau l'eau. En
ménage, A Rebours, qui semblaient avoir atteint les plus
extrêmes limites de cette région du dédain universel.
M. Dumur a, essayé de les surpasser. Sans oser dire qu'il y ail
réussi, nous devons reconnaître qu'il a su admirablement se
dégagor des formules et son chapitre sur l'amour où sont analysées
parallèlement la réalité de l'opération physique et la vanité de
l'impression psychique, fait, autant que \e Discours sur la méthode,
table rase des idées reçues pour instituer la philosophie nouvelle.
Mais, par certaines recherches bizarres du style, par des allitéra-
tions souvent employées sans qu'elles semblent concourir à
l'effet voulu, surtout par des expressions gouailleuses, comme ces
allumettes placées entre Dieu et les poêles dans le passage que
nous avons cité, on est comme averti que l'on se trouve plutôt
devant un développement littéraire que devant la peinture réelle
d'un élal d'âiïie, et, pour inléressanl qu'il soit, ce pessimisme
oulrancier ne pénètre pas bien profondément.
Aussi accepte-t-tin sans surprise la nouvelle que M. Dumur
prépare un nouveau livre de poésies : Lassitudes.
Le roman de rbomme jaune. — Moeurs chinoises, par le géné-
ral TcHENQ-Ki-ToNO. — Paris, Gharpentien, 1 vol. de 314 p., 1891.
Ce roman n'est peul-étr^\pas plus mauvais ni plus ennuyeux
^e beaucoup d'autres, mais c*èst une véritable décepiiou, comme
quâqd on arrive dans une ville trèsi<^ntaine et que l'on s'aperçoit
que totUv est à peu près comme chez^spi. Un monsieur très peu
intéressant (imaginez un jeune fonclionnaîj'e doctrinaire), fiancé h
une jeune fille qu'il aime et qui s'est livrée,^ se laisse bêtement
marier à une autre par la volonté de sa mère ; puis, il ne sait
plus que faire. La jeune fille m<ïurt de cet abandbih et il en
devient fou. Voilà toute Kaclion. Ily a bien çà et là oe^agues
paysages chinois et des détails de mœurs qui seraient curieux,
s'ils n'apparaissaient comme de§ hors-d'oeuvre dans le réfei
d'événements qui pourraient se plaèer n'importe où.
Et cependant, quels^olis récits poui'rait nous faire ce général
chinois s'il ne se préoccupait autant de les nieitre à la portée des
Français.
Tieille, très vieille histoire, par H. Carton de Wiabt. ~ Bro-
chure in-8<* de 30 p., typographie de A. Siffer, Oand, 1890,
Comme quoi « l'amour peut être un puissant auxiliaire du
Bien, et inspirer l'accomplissement du devoir... à condition
toutefois qu'il soit bien dirigé — sans quoi, il empêche de l'ac-
complir».
On voit que la thèse n'est pas trop audacieuse. Elle est juvé-
nîlement mise en action par l'histoire d'un bon jeune homme,
voué à la prêtrise, que la vue d'une noble demoiselle, immédia-
tement aimée, fait hésiter un instant dans saTOcatjon, mais qui
s'y reporte ensuite avec d'autant plus de ferveur « que Dieu l'a
éprouvé et qu'il a été touché de l'aile de la passion ». Devenu
évéque, il retrouve, dans ses vieux jours, la noble dame « veuve
après vingt ans d'un mariage très heureux », et ces respectables
vieillards s'émeuvent à l'évocation de leurs jeunes souvenirs.
La scène se passe dans un vieil hôtel aristocratique et dans un
château de haut style décrits avec un soin littéraire très attentif.
Les Fraises, saynète en prose, par Ernest Bosiers, brochure
in-12 de 18 pàg. avec couverture illustrée. — ^^ Achevé d'imprimer
le 15 août 1890, par J.-E. Buschmann, à Anvers,
Une jeune femme demande une robe à son mari et finit par
l'obtenir après une belle défense.
L'attaque manque de siinplicité : a Je me suis consacrée tout
entière à ton amour comme une vestale à l'entretien du feu sacré,
et les frivolités mondaines ne me touchent pas. Mais encore,
faut-il, tu en conviendras, mon Seigneur et Maître, que je sois
vêtue pour accomplir cette oeuvre sainte, et je ne le suis pas. » Il
est possible que ces mièvreries réussissent près d'un mari ; mais
près du public! M. Bosiers avait montré plus de naturel dans sa
première œuvre : la Vieille Fille, dont nous avons rendu compte
antérieurement.
Au Conservatoire.
Le Conservatoire, sous prétexte de distribulfon des prix aux
lauréats, a refait, ou à peu près, le programme d'un petit concert
donnéquelques jours ayant au Musée du Nord. «^
Phrases sucrées débitées par M"« Parys avec une agaçante affé-
terie, Noces de Jeannette vaguenrient vocal isécs'^ par M"« Roe-
landts, Habaiiera de Sarasate mollemeni jouée par M"* Von
Stosch, en un mouvement ralenti qui lui ôlait tout caractère, solo-
de harpe, tout cela était d'intérêt nul et d'exécution médiocre.
Les morceaux d'ensemble : un Ave Maria de Reinecke, chœur
à trois voix de femmes, dirigé par M. Soubre, le Chœur des Ber-
gères de Rosemonie de Schubert, dirigé par M. Warnols, et sur-
tout la Rapsodie pour orchestre d'instruments à cordes, de
M. Paul Giison, dirigé par M. Agniez, ont produit meilleur eifet.
11. y a dans l'œuvre nouvelle du jeune maître d'intéressantes
harmonies et une inspiration soutenue. Le thème original du
début est développé avec art, en un tissu chatoyant et chaud.
A' rejouer, la Rapsodie, devant un public composé d'autres per-
sonnes que les papas et les mamans d'élèves sages.
La distribution des prix et la présentation des lauréats conti-
nuera aujourd'hui, à deux heures.
"ï
ONCERT
JOACH
IM
Joachim a inauguré, samedi, la série de concerts de musique
de chambre que donne tous les ans la- maison Schoit. Et l'on ne
pouvait mieux opvrir la saison musicale qu'en la plaçant sous le
patronage de l'impeccable virtuose, du quartettiste de premier
ordre.
La sonate en ré mineur de Brahms, la dernière du maître,
jouée pour la première fois à Bruxelles, la Fantaisie de Schu-
mann, — tant applaudie qu^'elle a valu au public la bonne fortune
d'entendre un Aria de Bach ajouté au programme, — enfin le
quintette en ut de Beethoven, ont été tour à tour pour Joachim
l'occasion d'un succès triomphal. On connaît l'art profond, le sen-
timent pénétrant et intense de l'artiste, sa scrupuleuse interpré-
tation, la simplicité de son jeu, qui triomphe avec la plus grande
aisance des difficultés les plus ardues. Ces qualités ont été, une
fois de plus, mises en relief en cette mémorable séance, qui lais-
sera un vif souvenir à tous ceux qui y ont assisté.
Quelques-uns de nos artistes belges ont — et ce n'était pas
facile — intéressé et charmé le public, malgré le redoutable voi-
sinage du colosse. En première ligne, M"« Nora Bergb, qui a joué
a^ec^ùne rare conscience et une grande sûreté de mécanisme la
partie de piano de la sonate, de la fantaisie et du quintette. Puis
MM. Colyns,- Agniez, Ed. Jacobs, qui ont apporté au concert
l'appoint de leur talent de bon aloi.
« Monsieur ^tsy >», au Parc.
Monsieur Betsy? Le ménage à trois, réglé, sagement ordonné,
débarrassé du souci des surprises désagréables : commissaire de
police et son brutal : « Ouvrez, au nom de la loi ! » d'où pour-
suites correctionnelles, procès en divorce, etc.
Un gentil adultère admis, consacré, implanté en permanence
dans une vie « confortable » et douce.
V
Madame csl une grande éciiyère du cirque, 1res dldgante, 1res
admirée, très experle en affaires.
Monsieur esl un ancien garçon de café très bon enfant, très
complaisant, au fond, très sensible.
Si sensible que quand Gilbert Laroque, le" boursier viveur
associé au ménage, meurt, d'ailleurs ruiné, le bon Francis uq
peut plus supporter la vie, tente de s'empoisonner, tandis que
Madame choisit sans hésiter un nouvel associé.
Monsieur Betsy n'est qu'un rajeunissement du vieux vaude-
ville, écrit de verve, en nouvelle d'abord, puis en forme de pièce,
par deux écrivains da talent, MM. Oscar Méténier et Paul Alexis,
fournisseurs ordinaires ef extraordinaires du Théâtre-Libre, un
vaudeville un peu bien long (quatre actes!) pour exposer une
situation répugnante qui est le seul ressort de la pièce.
Tant d'insistance sur la qualité spéciale du mari finit par
lasser, malgré le comique des épisodes introduits dans l'action,
malgré le plaisant des silhoueitcs qui défilent sur la scène.
Inutile d'ajouter que Monsieur Belsy n'a pas d'affmités avec
les drames intenses que nous donna, l'an dernier, M. Antoine :
l Ecole des Veufs, le Maître. Il- n'en reste que le souvenir, vile
évaporé, d'une drôlerie scabreuse, spirituelle et , lestement mise
en scène.
Et le souvenir, aussi, de l'acteur Dupuis, toujours le même,
mais toujours amusant.
Au Théâtre Molière .
La Dame aux Camélias, la meilleure, après le Demi-Monde,
des pièces de Dumas fils. Nous en aimons le deuxième acte
presque en entier. Le quatrième — celui de la soirée où Armand,
poussé à bout, crispé, hors de lui, voulant un esclandre comme
dérivatif à sa fièvre, commet la lâcheté d'insulter Marguerite
Gautier en face de tous, — est un acte de vraie et large force
dramatique.
Ce qui entache la Dame aux Camélias, c'est qu'on s'aperçoit
qu'elle est un roman coupé en cinq morceaux — qu'au théâtre on
appelle actes — et que ces cinq morceaux, mis ensemble, ne
forment pas un tout. Ensuite, c'est la déplorable manie de
l'auteur à homélier dès qu'il en a l'occasion. Que de dissertations
par Marguerite sur le genre de femmes auquel elle appartient, et
quelle boîte à musique morale que ce correct et froid et déclama-
toire père Duval !
La pièce est très convenablement interprétée. M™* Sarah Ram-
bert incarne une Marguerite bonne fille, très honnête, trop hon-
nête. M. Munie récite et gesticule à faux, excepté au quatrième
acte. Le débutant, M. Dutertre, a été déplorable. Les autres per-
sonnages caricaturaux s'acquittent de leur charge — convena-
blement. .,
LA PRINCESSE MiLEINE AU THÉATRE-LIBRE
M. Antoine va jouer la Princesse Maleine de Maurice Maeter-
linck. D'intéressants renseignements sont donnés à ce sujet par
Georges Rodenbach, dans sa chronique parisienne du Journal de
Bruxelles. Il raconte son interview avec Antoine :
« Dès le début, lui a dit celui-ci, cette œuvre m'avait tenté, mais
je n'osais l'entreprendre avec mes moyens assez resteinlsi.. Pour
donner une idée du talent de l'auteur, je m'étais décidé à jouer
les Aveugles, qui ne comporlent qu'un tableau, un décor. Mais,
comme aucun autre théâtre ne songeait à retenir la Princesse
Maleine, coitime un mouvement se créait autour de moi. :
M. Mirbeau, , M. Baiiér, M. Catulle Mendès, emballés pour
l'œuvre, je me suis décidé à donner la Princesse. Ce sera pour
la nrji-janvier; j'attends en déccnibre M. Maurice Maeterlinck
pour causer avec lui de la. mise en scène. Je compte siniplifler
les choses ; impos.sible de songer à faire brosser des décors pour
les vingt ou trente scènes du drame. Je vais rechercher comment
on jouait les pièces de Shakespeare. L'article que vient de donner
au Figaro Théodor de Wyzewa (4), sur la façon dont on inter-
prète Shakespeare à Berlin et en Allemagne est une indication
précieuse; l'idée de la double scène est à méditer.
L'exécution aussi, je la rêve sobre, atténuée, comme en rêve,
avec des gestes vagues, et une lumière artificielle (que nous obte-
nons à volonlé, grâce â rélectriçiié), une façon de clair de lune
où palpitera ce drame en songe. Pour les costumes, des formes
imprécises et flottantes, comme des tuniques à laMemling ; du
primitif et du flamand.' » ' •
C'est très artiste, pas banal, et révèle chez M. Antoine, un sens
subtil et profondément compréhensif de cet art de rêve qui a
remplacé le naturalisme où il débuta et où il s'altarde. Sans beau-
coup de préférence peut-être, car, après avoir exposé combien la
mise en scène de la Princesse Maleine l'inléressail et le passion-
nait, il a conclu en disant qu'il aimait autant cet art-là que tout
autre, mais qu'il jouait ce qu'on lui apportait, et que la plupart
des écrivains de théâtre s'en tenaient maintenant à la modernité
des études de mœurs et aux enquêtes sur la vie.
Et les acteurs ?
« Voici, continua M. Antoine : je jouerai le vieux roi ; Maleine
sera joué par M"« Meuris, une de vos compatriotes qui a appar-
tenu au Conservatoire de Bruxelles, puis au théâtre du Parc. Je
la vois très bien dans ce rôle^là, dont elle a la silhouette, l'allure
t
gothique, la forme grêle et quasi-incorporelle. Je m'attends à une
création de sa part. Les autres rôles seront tenus par des débu- .
tants : j'en ai d'intelligents, de doués. La reine Anne, ce sera
peut-être Mi'* Defresne.
Quant au résultat, j£ ne sais vraiment rien présager. Si nous
arrivons sans encombre jusqu'au quatrième acte, ce sera un très
grand succès avec les tableaux finals de l'assassinat de Maleine
et de la démence du roi. En tout cas, j'irai le jouer à Bruxelles,
vers la mi-février, en même lempsque Madame Lupar, que j'aurai
donné ici quelques jours auparavant, trois actes tirés par Camille
Lemonnier de son roman du même nom, .ou plutôt, trois tableaux,
rapides et courts : pour seuls personnages M. Lupar, M">« Lupar
et leur bonne, dans le même décor; la maison conjugale. C'est
M"« Defresne et moi qui tiendrons les deux rôles. »
Mémento des fîxpositions
Glasgow. — Trentième Exposition de l'Institut des Beaux-Arts.
— 4.5 décembre-15 mars. — Gratuité de transport pour les
artistes invités. Délai d'envoi : expiré. — Renseignements:
Robert Walker, secrétaire.
Milan. — Exposition triennale des Beaux-Arts. — l«'-30 juin
1891. — Trois prix de 4,000 francs chacun, fondés par le
roi Humbert, décernés à la peinture et à la sculpture. Trois prix de
4,000 francs chacun, fondés par Saverio Fumagalli, décernés à la
sculpture, à la peinture religieuse, historique ou de genre. Un
(1) Nous le reproduirons dans notre prochain numéro.
prix de 4,000 francs, fondé par Antonio Gavazzi, décerné ^h pein-
ture historique. Médailles et dipl6:mes. — Les demandes d'admis-
sion devront être adressées au président, M. Emile Viscojiti-
Venosta, à l'Académie des Beaux- Arts de Milan.
Pau. — Vingt-sepiième Exposition de la Société des Amis des
Arts. — 45 janvier-15 mars. ^- Deux œuvres ïpar exposant. — ^
Gratuité de transport pour les artistes invités. — Délai d'envoi :
Notices, 8 décembre. OEuvrès : 20 décenrtbrb. — Renseignc-
metils : G. Tardieu 3 secrétaire général. ;
Petite chroj^ique
Parlant d'Eugène Delacroix, dont le monument vient d'élre
inauguré à Pari?, Octave Mirbcau dit dans l'Echo de Paris :
« Les imprcssionnisles ont raison de le revendiquer comme un
ancéire. C'est Delacroix qui, le premier, dans ce siècle, eut la
préoccupation du iJcin air, et le gentiment des contours noyés,
des déformations dans la lumière, de la vie magique 'des reflets,
du rôle souverain de l'atmosphère, à qui un œil de peintre aigu
et sensible doit tout subordonner, pour enlrevoir, dans sa vérité
réelle et dans sa poésie infinie, le rêve de la vie. Delacroix com-
prit aussi la nécessité de la séparation des couleurs; peul-ôtre
n'eut-il ni le temps, ni le pouvoir de fixer par une loi, aiiijourd'hui
définie, cette technique, mais il en eut l'instinctif pressenifiment.
"Certes,- à noire époque* les recherches dans ce sens ont été pous-
sées plus loin; chez Delacroix elles ne se trouvent qu'à l'étal
d'indication. Mais sans lui peut-ôlre n'aurions-noùs pas M. Claude
Monel et M. Camille Pissarro. Un grand artiste n'est pas une géné-
ration spontanée. II est le résumé et le metteur en œuvre de tous
les acquêts du passé, de toutes les découvertes, de toutes les
luttes, de toutes les idées antérieures à lui, à cet art^ui nous
charme, qui nous émeut, qui nous éblouit dans les toiles des
Claude Âlonet et des Camille Pissarro, on peut en sentir le balbu-
tiement dans l'œuvre de Delacroix. »
Une intéressante et vive polémique s'engage sur le point de
savoir si Maurice Maeterlinck a raison de laisser jouer la Prin-
cesse Maleineei les Aveugles, ce que plusieurs contestent. Atten-
dons. En art, tout est imprévu, mystère, démenti, fantaisie, tant
dans le caractère des hommes, que dans leur vie, dans leurs
œuvres, dans leurs succès, dans leurs revers. La Nation écrit :
« M. Maeterlinck avait, au début, publié les Aveugles hors
commerce; il vient d'en donner une nouvelle édition, abordable,
cette fois, chez l'éditeur Lacomblez. Aujourd'hui, il fait jouer sa
pièce en môme temps que la Princesse Maleine. Il y a un an,
1( s amis de M. Maeterlinck nous disaient, avec dédtifn, qu'il ne
voulait pas présenter ses oeuvres au public, qu'il en faisait faire
des tirages restreints pour les initiés seulement. Maintenant, il
tient non seulement à se faire lire mais même à se faire jouer ».
Il faut quoiqu'on en ail, revenir à M. Gustave Frédérix. Il s'im-
pose. Voici par quel emberlificotage de siyle il décrit Tète de
Linotte au théâtre du Parc :
« Cela fait encore une assez savoureuse mixture, et le fiévreux
comique de la pièce ne s'est pas trop détendu par l'usage. Le
deuxième acte, avec son escalier qu'on monte et qu'on descend,
^ar des effrois si bien accumulés, est d'un bon rire convulsif. Car
il est convulsif, par toutes ces secousses précipitées de l'action,
et il est bon, par la 'facilité et le naturel de ces erreurs de per-
sonnes et de ces enchevêtrements de faits^ Et les jolis mots, abon-
damment piqués dans le dialogue, relèvent très agréablement ces
quiproquos agités. » Et plus loin : « La verve de M. Munie est plus
de procédé et d'expérience de métier que de sincérité de jeu. Et
son exécution est souvent plus tumultueuse que naturelle. » (!!!)
On nous annonce la formation d'un nouveau cercle de pein-
tres, dont l'organisation serait calquée sur celle des XX. Le nou-
veau groupe comprend, entre autres, dit^on, MM. C. Meunier,
Marcotte, Stacqucl, Baertsoen. Il y aura des expositions annuelles.
des invitations aux étrangers, etc. A la bonne heufe! On sent, plus
que jamais, l'inutilité des Salons ofliciels et le système des expo-
sitions restreintes et « fermées » apparaît comme le meilleur à
adopter. Souhaitons que l'exemple des XX soit suivi le plus pos-
sible et qu'il nous débarrasse définitivement des ennuyeuses
expositions telles que celle qui s'est fermée hier — le saviez-vous?
— dans l'indifférence générale.
Le programme du concert du Cercle artistique, qui aura lieu
ce soir, porte : la Grande sonate op. 96 de Beetlroveo, pour vio-
lon et piano, par MM. Joachim et De Grecf; le Concerto de Bach
pour deux violons, par MM. Joaehim et Colyns ; la Romance pour
violon de Max Bruch; quatre danses hongroises de Brahms, par
MM. Joachim et De Greef, etc.
On nous adresse la communication ci-après :
Paragraphes cueillis dans la liste des droits d'entrée imposés par
le bill Mac-Kinley aux Etats-Unis :
1° Peintures à l'huile, aquarelles, sculptures (staluary) non
mentionnées ailleurs, l.H p. c.
Le droit d'entrée sur les objets d'art était jusqu'à ce jour de
30 p. c. Les artistes américains se sont coalisés pour demander
l'abolition compiJte dé droits d'entrée sur les œuvres d'art. En
vain. On les protège malgré eux. ^
En même temps, on maintient le droit de 2S p. c. sur les^cou-
leurs importées. ^
2o Sur les livres, pamphlets, gravures, photographies, dessins,
cartes, fusains et tout imprimé non mentionné ailleurs, 2o p. c.
Vt)ici le correctif (?) qu'y apporte la F'ree list:^ Peuvent entrer
librement : les livres, cartes, imprimés lithographiques, d'im-
portation spéciale et ne comprenant que deux exemplaires par
envoi, adressés de bonne foi(!) à une société reconnue ou établie
pour des fins d'éducation, de philosophie, de littérature ou de reli-
gion, d'encouragement aux beaux-arts, ou adressés à une univer-
sité, académie, collège ou séminaire des Etats-Unis, soit pour ces
établissements, soit pour leurs professeurs. Ces choses sont sujettes
aux règles que prescrira le secrétaire du Trésor ».
Entrent librement aussi : les livres et brochures publiés depuis
vingt ans, et ceux qui sont imprimés en toute autre langue que
l'anglais. .
Les musiques sont comprises dans la dénominaiion de livres et
brochures, donc, 25 p. e. de droit. Elles n'entrent librement que
si l'on peut prouver qu'elles -sont /«5 instruments professionnels
du destinataire.
Particularité amusante : les instruments de musique Mcjz/iélait'nt
imposés. Les vieux entraient librement. Vous voyez d'ici un Stra-
divarius entrant modestement et payant le pont comme « les juifs
et les chiens » au moyen-âge, , et un insolent petit violon rouge,
criard, mauvais et neuf, payant bien cher et recevant tous les hon-
neurs rendus à celui qui débourse un gros droil^e passage !
, I. WiLL.
M"* Lœwensohn, qui avait débuté aux concerts des XX où elle
chanta, d'uîhe voix charmante, il y a deux ans, le solo du chœur
de Vincent d'Indy : Sur la Mer, ci\. entrée à l'Opéra de Paris sous
le nom de M"* Loveniz. Tous les journaux cbnstatent le succès
qu'elle a remporté la semaine dernière dans le rôle de la Reine de
Navaire des Huguenots. ^^
Une édition nouvelle des Chants de Maldoror paraîtra le
20 courant, chez l'éditeur L. Genonceaux, à Paris.
L'ouvrage, tiré à 150 exemplaires sur papier du Marais, et
10 sur Japon, contiendra un frontispice de José Roy, un auto-
graphe fac-similé de l'auteur et une notice de l'éditeur.
M. Aurélien Scholl a lu aux artistes du Théâtre-Libre sa comé-
die l'Amant de sa Femme, qui est entrée immédiatement en répé-
titions et passera dans le prochain spectacle de M. Antoine.
La pièce a été distribuée à M"*» Régine Martial et Sylviac, et à
MM. Antoine et Renard.
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Bruxelles. — Imp. V* Monmom, 32, rue d« l'Industrie.
Dixième année. — N° 47.
Le numéro : 2^ centimes.
Dimanche 23 Novembre 1890:-
MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
• Comité de rédaction i Octave MAUS -^ Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. — ANNONCBS : On traite à forfait.
Adresser toutes les communications a
l'administration générale de TArt Moderne, rue de rindustrie, 32, Bruxelles.
?
OMMAIRE
Le Salon défunt. — « Patrie » au Théâtre de l'Alhambra.
— Les funérailles de César Franck. — Acquisitions au Salon
DE peinture. — Pantomime au théâtre Molière. — Au Conser-
vatoire. — Premier concert du Conservatoire de Liège. — A
Anvers. Le théâtre néerlandais. — Petite chronique.
LE SALON DEFUNT
La statistique condamne à mort le Salon officiel des
Beaux-Arts. Les chiffres l'exécutent, — sans phrases.
Vainement a-t-on essayé d'en reculer la date, dans
l'espoir que les visiteurs seraient plus nombreux. Les
affiches de Bruxelles-Attractions ont, sans succès,
cligné de l'œil aux passants dans les carrefours. Le
public est lassé, définitivement lassé de ces encom-
brantes et prétentieuses exhibitions, qui n'ont jamais
servi qu'à étouffer le développement des tempéraments
originaux. Il le prouve en s'en désintéressant de plus
en plus. Il a l'air de crier : Assez ! assez ! comme au
théâtre, quand la pièce embête. Les journaux eux-
mêmes, après avoir^ .au début du Salon, remonté,
comme à l'ordinaire, la mécanique aux comptes-rendus,
se sont vite aperçus que leurs chansons n'étaient plus
écoutées. Il y a eu un moment de désarroi. Bientôt
tout 1« monde s'est tu. Et voici que, rexpositit)n finie,
partent encore, comme des fusées qui ont raté, de ci, de
là, deé articles, tardifs, avec l'air d'implorer la piti^.
Les chiffres? Veut-on les chiffres? Ils sont cruels.
Nous mettons en regard ceux des trois derniers Salons :
1884, 1887, 1890. Voyez la dégringolade : '
Le Salon de 1884 réalisa des recettes de fr. 38,504-10.
En 1887, on tombe à fr. 28,839-10. Près de dix mïllb
FRANCS DE moins!
En 1890, nouvelle chute. Le résultat officiel est de
fr. 22,755-20, soit plus de six mille francs de moins
qu'en 1887, seize mille francs de moins qu'en 1884 î
Attendra-ton, pour supprimer cette foire aux huiles
démodée, qu'on ne fasse plus de recettes du tout?
Un détail caractéristique : en 1884, on vendit 176
cartes permanentes à 10 francs. En 1887, ce chiffre
tomba à 87. En 1890, on ne parvint à en placer que 62.
M^me diminution dans la vente des catalogues :
7425 en 1884, 5061 en 1887, 4762 en 1890.
Le tableau comparatif des trois Salons estjîurieuxet
instructif:'
Salon de 1884 Salon de 1887 Salon de 1890
. 24,297 20,019 14,929
. 18,628 9,505 7,959
. 11,800 0,671 8,457
Entrées à 1 franc.
Id. à 50 cent.
Id. à 10 cent.
Total des visiteurs .
Cartes permanentes.
Catalogues français .
Id. flamands
54,731 36,195 31,345
176
7,225
200
87
4,963
98
62
4,613
149
L'écart entre le nombre des visiteurs dû Salon de
1884 et le chiffre des entrées en 1800 est donc de
23,386, soit près de 50 p. c. !
Si la progression continue, dans six ans il n'y aura
plus personne.
Et qu'on veuille bien remarquer, comme nous le rap-
pelions plus haut, qu'on a choisi cette année une
époque plus favorable, qu'on a multiplié lés réclames,
qu'on s'est adressé, pour corser l'intérât, à Dieu et à
Diable.
Or, Bruxelles compte 550,000 . habitants, et en sep-
tembre il y a une moyenne de 1,000 étrangers par jour
dans la capitale. ^
Qu'après cela on vienne soutenir que le Salon inté-
resse encore, qu'il doit être maintenu, soutenu, encou-
ragé, protégé, louange, et subsidié!
Est-ce parce que le Salon de cette année était beau-
coup plus mauvais que les précédents ? Il n'était pas pire.
Il était même. Ce qui a changé, ce n'est pas l'art qu'on
pratique en vue de ces Grands Magasins de peinture et
de sculpture, c'est l'œil du public, qui commence à voir
clair. Il distingue les artistes des fabricants d'articles
pour expositions, et s'il ne les comprend pas tous, du
moins il cherche à les pénétrer.
L'imagerie multicolore qu'on append du haut en bas
des murs, le déballage de pains de sucre tailles en
bustes, en figures, en groupes, que récèle une salle
humide et triste n'exercent plus sur lui qu'une invin-
cible répulsion. Seules l'attirent les expositions res-
treintes, bien présentées, offrant un choix d'œuvres
rares, de tendances neuves. Ces expositions-là, quoi
qu'on fasse, quelle que soit l'hostilité de certains dont
elles sont honorées, triomphent toujours. Depuis long-
temps, elles ont pris la place des Salons officiels dans les
préoccupations des artistes. Elles commencent, même
au point de vue pécuniaire, à en balancer l'importance.
Prenons pour exemple l'iSxposition des XX, dont
nous publions tous les ans la recette. Pour une période
d'wn mois, celle-ci est actuellement, en moyenne, de
cinq mille francs. Le Salon officiel est resté ouyeri deux
mois, et n'a encaissé que vingt-deux mille sept cents
francs, somme dans laquelle la vente du catalogue entre
seule pour deux mille trois cents quatre-vingt-un francs.
Ce Salon, dont les frais sont énormes, qui réunit douze
cents tableaux et sculptures, ne réalise donc, pour une
période de temps égale, qiie le double des recettes d'une
exposition restreinte comme celle des XX, qui com-
prend en tout une centaine d'œuvres tout au plus,
répartie entre trente ou quarante exposants.
N'est-ce pas significatif?
Particularité à noter : on a vendu au dernier Salon
des XX CENT cartes permanentes à 10 francs. Au Salon
officiel, on n'a réussi à en placer, en deux mois, que
SOIXANTE-DEUX au même prix. Il est vrai que les XX
offrent à leurs abonnés une intéressante série de con-
certs et de conférences. Mais le Saloji officiel né pour-
rait-il suivre cet exemple?
Pour compléter cette statistique, nous publions plus
loin, jour par jour, le tableau général des recettes du
Salon des Beaux- Arts de 1890. Nous avons donné, de
même, celui de 1887 (1). Une conclusion? A quoi bon?
Elle s'impose.
PATRIE au Théâtre de l'Alhambra
Une image pour grandes personnes, n'est-ce pas là ce qu'est
tout bon mélodrame naïf, tel qu'on le jouait jadis au théâtre du
boulevard du Crime. Barbe-Bleue, VOgrè et Poucet, ne revivent-
ils point en ces histoires coupées en tableaux^t en actes, où Caïn
tue Abel au premier acte, mais où, toujours; vers la fin Abel finit
par écraser Caïn.
Le mélodrame, à condition qu'il soit foncièrement simple et
qu'il n'ait aucuns prétention à la tragédie ni à la comédie hautes,
attire surtout en ces temps d'habileté sournoise, faite d'impuis-
sance ou de légèreté et si morne après tout, si irrémédiablement
lassante et morne!
Le mélodrame? est presque toujours l'expression de l'instinct :
passions rouges, violences crues, châtiments immédiats et justes,
vengeances légitimes, traîtrises monstrueuses — et toujours un
gros et vulgaire besoin de justice satisfiiit vers la fin de la pièce.
Barbe-Dlcué, qu'il soit le diable pendant quatre actes, qu'importe,
si au cinquième les frères sauveurs arrivent ! M. de PeyroUes et
tous et d'autres, qu'ils martyrisent et torturent et mentent et
fassent dii mal, qu'importe, puisqu'on est sûr du vaillant et
irréprochable Lagardère.
Oh ! ce bon et chaleureux public des mélodrames, est-il assez
violemment balloté de transes et de joies à chaque coup de théâ-
tre? Prend-il fait et cause dans la lutte, approuve-t-il, s'enco-
lère-l-il, croit-il que « c'est arrivé » ! Dans le midi — on le
rappelait récemment — un acteur chargé du rôle de traître n'ose
rentrer chez lui irflmédiatemeut, le rideau tombé. Il attend que
les foules soient parties : on l'écharperait dans la rue. Nous avons
entendu jadis, au théâtre des Nouveautés, le public, à une repré-
sentation du Bossu cxxQT bis au moment ou le bon Monsieur de
Peyrolles était jeté en Seine. Et il fallut que ce bon Monsieur de
Peyrolles revînt, quoique noyé, et se laissât reprécipiter au delà
du parapet. Une autre fois, un chevalier « loyal comme son épée »
cherchant parmi \ii}e forêt le manant coupable et meurtrier, qui
s'était caché derrière un arbre de la deuxième coulisse, quelqu'un
au paradis se leva et cria à l'acteur la cachette du traître. La
situation devenait grave, puisque, de par son rôle, il était défendu
au chevalier « loyal comme son épée. » de découvrir celui qu'il
cherchait. De tels exemples fourmillent dans l'histoire du mélo-
drame.
Nous aimons le mélodrame pour sa rudimentalre signification,
pour sa force tout d'une pièce, — nous l'aimons aussi parce qu'il
permet de juger de la conscience de la foule. Celle-ci est d'une
honnêteté modèle. Elle est l'expression de la somme d'idées héré-
ditaires transmises par des générations et des générations mys-
tiqueset chrétiennes à ce peuple d'aujourd'hui, qui, certes, n'a que
(1) Voir VAt^t iiwdeme, 1887, p. 364.
peu d'intelligence de ce qu'il doit faire ou ne pas faire individuel-
lement, mais qui n'hésite jamais quand il est la masse, c'ésl-à-dire
quand il se donne en spectacle à lui-même. Alors toutes les vieilles
idées de bien et de mal — le bien et le mal courants — s'impo^
sent. Elles passionnent et exaltent, tous ces visages hostiles ou
sympathiques qu'on voit penchés sur les rebords des loges et des
galeries, et l'on croirait à un hypnotisme général. Il n'y a pas
place pour la plus légère subtilité, pour le moindre rien de raison-
nement, pour le plus minime brin de distinguo — le public'
approuve ou condamne en bloc, applaudit Ou siffle d'ensemble.
De situations compliquées, il n'en veut pas : il faut qu'on soit ou
bon ou mauvais des pieds à la tête, du bout des doigts jusqu'aux
racines des cheveux.
Tous les mélodramaturges ont, du reste, compris cette évi-
dence. Les meilleurs d'entre eux ont agi par larges oppositions,
par coups nets et clairs, par blanif sur noir ou noir sur blanc.
Chaque criminel doit avoir un innocent pour vis-à-vis; chaque
monstre un ange. Et alors tout marche h merveille. 11 importe peu
par quelles, impossibilités de situation on arrive au dénouement.
Le point seul, c'est d'y arriver droit, malgré les rocs d'obstacles
entassés dans chaque acte. Il faut jouer franc et vaillant jeuj ne
pas lésiner sur les moyei\s, ne pas s'attarder k trop expliquer un
caractère. Les caractères que le public ne saisit pas de suite et
comme d'instinct sont des caractères à réserver pour le drame et
la comédie. Fualdès, le Courrier de Lyon, le Bossu, les Mous-
quetaires sont des pièces bâties à chaux et à sable, comme des
murailles, il les faut telles.
El voilà pourquoi Patrie, qui ne s'élève pas jusqu'au drame ni
jusqu'à la comédie, est une pièce bâtarde, équivoque. Il y a là
des soucis de couleur locale, des préoccupations d'exactitude —
inutiles. Les caractères ne sont pas assez entiers. Celui du duc
d'Albc est diminué par l'amour que ce père ressent pour sa fille.
Dolorès n'est pas assez cynique, ni Van dcr Noot assez franche-
ment ou amant ou soldat.
Une chose était curieuse à constater : le degré de patriotisme du
public bruxellois. Il y a des tirades contre l'Espagnequi n'ont guère
porté; ces événements du xvi« siècle sont bien lointains et le
peuple connaît peu son histoire. Seules, celles où l'on faisait
retentir le : «Je suis Flamand et je ne commettrai jamais cette
lâcheté », ont été célébrées à mains battantes. Dans nos pro-
vinces, les temps de domination française ont remplacé ceux de fa
tyrannie de Philippe.
Rendons justice à la direction de l'Alhambra, qui a' pris grand
soin à mettre en scène, de façon irréprochable et pittoresque, ie
drame de M. Sardou.
Les rôles sont tenus aussi bien qu'on le peut désirer, vu là
troupe.
LES FUNERAILLES DE CESAR FRANCK
On a vivement commenté, à Paris, l'attitude du directeur du
Conservatoire, qui n'a pas jugé à propos d'assister aux funérailles
de César Franck, ni même de s'y faire représenter par le moindre
vice-sous-aspirant-sccrélaire surnuméraire.
César Franck faisait au Conservatoire l'honneur d'élre profes-
seur de la classe d'orgue. Il était même le doyen des professeurs.
Or, tandis que les convenances élémentaires commandaient à
M. Ambroise Thomas de prononcer, au nom du corps' pro-
fessoral, les paroles d'adieu sur la tombe de l'artiste, les disciples
du Maître^ stupéfaits, n'ont vu prendre place dans le eonvoi
funèbre, ni le directeur du Conservatoire, ni aucun professeur,
pas même un huissier de salle!
Prié d'assister aux obsèques et de tenir un des cordons du
poêle, M. Thomas avait fait répondre qu'il était indisposé et qu'on
s'adressât au Secrétaire. Celui-ci prétexta un examen de piano et
s'abstint.-
Et c'est Emmanuel Cliabrier, seul, au nom des élèves de
Franck, qui, au cimetière, a rendu hommage, avec la dignité et
l'émotion qui convenaient, à la mé.nnoire du mort.
Il est bon qu'on sache ces choses, et qu'on s'en souvienne.
Elles édifient sur le caractère dé certaines genjs. Elles montrent
l'infranchissable abîme qui existera toujours entre les artistes et
ceux qui en usurpent le litre.
Au surplus (quelle logique dans les événements!), les funérailles
de César Franck ont été en harmonie-parfaité-avec sa vie : tou-
chantes, inlimes, dénuées de tout faste, de toute banalité, de tout
caractère officiel. N'étaient-ellcs pas plus belles, ainsi, et plus
grandes, que si la lourde éloquence d'un M. Larroumet fût venue
les voiler d'une harangue? ^_
César Franck, mort pauvre, comnie il a vécu toute sa vie, a
été inhumé dans la fosse commune, au cimetière de Montrouge.
Cela fait pleurer et cela exalte à la fois. Quel exemple que cette
existence de labeur, toute consacrée à l'art, sans une compromis-
sioii, sans une transaction avec la mode ou le mauvais goût.
Quelle grandeur dans celle mort qui couronne la carrière d'un
artiste vraiment libre, dédaigneux des honneurs et de la fortune,
qui-a vécu dans le rêve dé son art, heureux des seules jouissances
qu'il lui donnait, et qui s'en est allétranquillement avec les pauvres,
confondu dans là foule des misérables, sans nulle société de gym-
nastique ni de tir, pleuré par un groupe de jeunes hommes qui
s'aimaient en lui, regretté par quelques autres, ignoré de la plu-
part.
L'es réflexions que font naîlre, sur l'au-delà d'une telle vie, ces
simples faits !
Voici, enfin, là liste — est-elle complète? — des compositions
du maître :
Trois trios pour piano, violon et violoncelle, dédiés au roi
J^éopold 1", composés vers l'année 4846.
Quatrième trio pour piano, violon et violoncelle, dédié à
Liszt, composé également vers i846-i47.
RuTH, égloguc biblique pour orchestre, chœurs et. soli
(de 1852-55).
Messe pour soli, chœur, orgue el orchestre (vers 1860).
Six pièces pour grand orgue (vers 4865).
Paris, chant patriotique, composé pendant le siège (1870).
flËDEMPTiON, oratorio en deux parties, soli, chœur et orcheslre
(1872).
Les Béatitudes, oratorio en huit parties, soli, chœur el orchestre
(de 1872 h 1875)..
Les Eolides, poème symphonique (vers 1876).
. Tro/s pièces pour grand orgue (1877).
Le Chasseur maudit, poème symphonique (vers 1877).
Quintette pour piano, deux violons, allô el violoncelle, com-
posé en 1878.
Rébecca, oratorio, soli, chœur et orchestre (vers 1879). •
Variations symphoniqucs pour piano et orchestre (vers 1879).
HuLDA, opéra en quatre actes (de 1878 à 1882) (inédit).
Prélude, choral et fugue pour piano (vers 4883).
Sonate pour piano el violon, dédiée à E. Ysaye (vers 1884).
Prélude, aria et piale poarp'i&no (iSè^).
Psyché, poème mythologique, pour chœur el orchestré, dédié
à Vincent d'Indy, composé en 1887.
fi'y/np/jonic «ir^ pour orchestre (1887-88).
Chœurs po\ir voix de femmes (1888) : La Vierge à la crèche.
— Aux petits enfants. — La Chanson du vannier. — Soleil. —
Les dansis dé Lormont.
Quatuor en ré maj. pour deux violons, alto el violoncelle
(1889).
Trois grands chorals liour or^ae {\S%).
Gisèle, opéra inachevé.
Diverses mélodies, œuvres de jp,unesse.
Pièces de musique religieuse.
Recueil de 100 préludes pour harmonium (1890).
Acquisitions au Salon de Peinture ,.
Le Gouvernement, — les feuilles l'annoncent, .— va choisir
parmi les Irop nombreuses toiles qui ornèrent le récent Salon
celles dignes de figurer dans nos Musées.
Nous en lisons la liste :
Le Ruisseau de Frédéric; la Récolte derBetteraves deCLAUs;
Sur la Tamise de Baertsoen; VEpée ûq M"« Meunier. Et aussi
une sculptyre./c (rrawd /oî«' de RpMBAUx.
Parmi ces choses, le choix du Ruisseau nous paraît le seul
justifiable, non pas que nous professons pour l'œuvré une admi-
ralion absolue, n>ais elle est au moins d'un chercheur, d'un
artiste consciencieux et probe. En somme M. Frédéric aurait pu
s'en tenir au succès de ses Marchands de Craie el répéter tous
les ans ce tableau célèbre. Il a préféré, quitte à faire moins
bien parfois, se renouveler constamment, et il s'applique, depuis
tantôt dix ans, à son volontaire labeur, sans importuner les
huissiers des ministères et sans faire au public, — qui s'inquiète
peu de lui, du reste, — les moindres mamours. Que M. Frédéric
soit représenté au Musée de Bruxelles, point trop riche en chefs-
d'œuvre, ce n'est que tardivement justice, el à défaut de ce désolé
triptyque des Marchands de Craie, que nous eussions aimé y voir,
à défaut des Boëchelles, du Blé, du Lin, ou de toute autre de
SCS grandes compositions, cette œuvre d'un artiste, le Ruisseau,
nous détournera au moins des plus vomitifs Evarisles Carpenliers
accrochés-là. —
Que dire des autres?
La Récolte des betteraves de M. Claus est ce qu'on appelle,
croyons-nous, « un grand effort », mais nous pensons qu'un
châssis de soixante-dix centimètres eût été un format plus apte au
maçonnage de celte scène soi-disant réaliste. Quant à la Tamise
de M. Baertsoen, nous n'userons d'aucun détour pour la déclarer
horrible, — tout à la fois commune el lourde. Mais M. Baertson
est trop jeune pour qu'il nous semble permis, dès à présent, de
nier l'arlislé qui est peut-être en lui.
El c'est ce qu'ils ont trouvé de mieux, les infirmiers de l'Art,
comme si, malgré la sordide pauvreté de ces vingt corridors où
pendaient des loques peintes dans des moulures dorées, trois ou
quatre toiles, au moins, ne s'imposaient pas par des qualités uni-
quement artistiques !
N'y avait-il pas la Fuite en Egypte d'EucÈNE Smits, avec sa
tremblante lumière de crépuscule el cette sensation de choses qui
doucement s'éteignent, avec son merveilleux décor loialain, calme
el lassé, où,- lassés aussi, vont le couple el l'Enfant?
N'y avait-il pas le Christ montré au peuple de Henry Degroux,
celle furieuse el barbare enluminure, non exempte de défauts, ah!
certes, niais des défauts qui méritent des éloges, plutôt, mais
oulrancière, mais fière, mais de ï'arl, enfin?
El si l'on voulait bien ne pas tenir compte de la nationalité des
artistes, mais de la valeur des œuvres, n'y avail-il pas aussi, parmi
les pastels, des effigies toutes gracieuses et mélancoliques de
M"« Breslau; parmi les huiles, de stupéfiantes improvisations de
Whistler?.... *
Mais s'occuper de telles questions n'est-ce pas perdre bien inu-
tilement temps el paroles, puisque toute la vigilance de l'admi-
nistration des Beaux-Arts n'a pu encore doter notre Musée moderne
ni d'un Rops, ni d'un Mellery, hauts et notables, cependant, enlrc
les peintres belges.
PANTOMIME AU THEATRE MOLIERE
Ça se nomme l'Enfant prodigue. Un enfani prodigue auss
banalement bourgeois moderne qu'on le peut rêver. Il vole son
père dans une commode! Il entretient une blanchisseuse! Il triche
au jeu
Le premier acte est gentil. Le deuxième est slupide. Le troi-
sième, nous l'avons brûlé : c'est peut-ôlre le meilleur! on a de
ces chances.
Ce n'est pas cette affaire-là qui ressuscitera la pantomime,
dans l'appréciation dès arlistes du moins. Les clichés paniomi-
inesques d'il y a cinquante ans : les visages enfarinés, les gu e
nilles du Pierrot classique, des gestes qui ressemblent aux effigies
des vieux sous : Je faimel les deux mains sur le cœur. Je veux
de Vargent! le pouce el l'index de la main droite comptant dan&
la main gauche. Sauvons-nous! les deux bras tendus vers la
porte. Mangez, buvez! les doigts s'agitanl vers la bouche, le
coude levé au dessus de la tête renversée. Qu'il fait chaud! on
s'évente. Qu'il fait froid! on frissonne.
De ci, de là, une jolie scène, vive, remuante, espiègle. La
mime principale, peu importe son nom (ah ! qu'on me laisse! tran-
quille avec les noms de tous ces cabotins gloutons de notoriété
gazetière !) très souple el mutine. Son entourage, quelconque. De
la musique aussi : un grand diable de monsieur noir de poils, se
dressant au dessus des banquettes, et gesticulant avec excès pour
diriger des flons-flons très maigriots el flûtants, que M. Gevaerl
applaudit ostensiblement de sa loge pour faire souvenir apparem-
ment qu'il dédaigne la musique de Wagner el ne l'admet à ses
concerts qu'en eritrebûi liant la porte.
0 les Ma.rlinetti ! ces grands artistes qui, jadis, devant des demi
salles, jouaient en chef-d'œuvre : Robert Macaire !
Celte fois la salle était comble. L'éternelle floppée de mondains
plus ou moins authentiques et de journalistes qui, depuis vingt
cinq ans se transporte en Fanfaro-belge partout où la dirige le
reportage anticipalif. Un mélancolique sinistre disait dans le cou-
loir de l'étroit théâtre Molière, encombré à n'y plus savoir remuer
les coudes : « Quel coup de filet poiir la Mort si le feu prenait, un
tel soir, ici ! Quelle asphyxie d'illustres médiocrilés !»
Cette phalange a applaudi et bissé, suivant son ordinaire, aussi
fort ce qui ne valait rien que ce qui méritait les suffrages, l&
deuxième acte juste autant que le premier. Il y a une scène, où
l'Enfant prodigue (pas assez pour que les veaux s'enfuient à son
approche : au contraire, il les attire), attrape une mouche : le
monsieur de la musique a fait là dessus de l'harmonie imilative,
bourdonnante. Ce qu'on a crié : bravo! Très applaudie aussi une
scène où l'Enfant fait le jockey, galopant.
En somme, une pièce suivant son titre : prodigue d'enfantil-
lages. Allez-y voir! Les Parisiens y onL*6lé trois cents fois, et
vous savez, les Parisiens : nos maîtres ! .,
Au Conservatoire.
Deux éléments d'intérêt, dimanche, dans le monotone défilé des
élèves remontés par leur profésseur^n vue du concert : une très
jolie et très fine composition symphonique de M. Léon Soubre,
Sarabande et Bourrée, d'un ton archaïque i*élcvé par des harmo-
nies savoureuses. Distinguée, bien écrite, l'œuvre nouvelle de
M. Soubre a produit une excellente impression.
Puis, l'apparition de M. Birmasz^ élève de M. Ysaye, qui,
presque ipu pied levé, a remplacé son camarade Hill, indisposé
au cours des répétitions, et a joué avec une crânerie, une sûreté,
une aisance tout à fait remarquables, le Concerto de Saint-Saëns,
magistralement dirigé par son'^maître. Le jeune violoniste promet
beaucoup. Au rebours des autres" lauréats entendus, c'est une
nature d'artiste. .
On avait confié l'exécution de la première symphonie de
Beethoven à la classe d'enscmbl'e instrumental qui, sous la direc-
tion de M. Colyns, s'est acquittée mollement de sa tâche.
Ainsi se trouve réduite à huit la série des symphonies que
M. Gevaert se propose de faire exécuter cet hiver, Les symphonies
seront réparties en cinq concerts dans l'ordre suivant :
1" concert. — Symphonies n»" II et III.
2<= id. Id. nos IV et V. 1-^
3" id. Id. ri»'' VI et Vil.
¥ id, — Symphonie n" VIll et Egmont.
5" id. Id,- no IX (avec chœurs).
Le premier concert est fixé au 21 décembre.
Premier Concert du Conservatoire de Liège.
{Correspondance particulière de l'Art moderne).
Le concours de Joachim devait assurer le succès du concert de
samedi. On ne discute plus le virtuose, on ne discute plus l'ar-
tiste ; il s'impose par sa science parfaite et plus encore par l'élé-
vation de son talent.
Il a joué de grande manière un concerto de Viotti. Il nous y a
donné — avec la haute simplicité qui est une de ses grandes qua-
lités — la preuve de sa prodigieuse virtuosité. Quelle sûreté
d'attaque, quelle pureté de sop, et comme, sous son archet, la
phrase se développe grandement.
Dans l'interprétation de la Sonate à Kreutzer, c'est l'austérité,
l'ampleur de son talent, la profonde connaissance de l'œuvre qui
frappent. L'intensité du sentiment, exprimé sans emphase, vous
poigne. Jamais l'interprète ne se rappelle à vous. C'est Beethoven
qu'on entend, c'est Beethoven que l'on écoute.
M. De Greef accompagnait Joachim dans la sonate. Certes ce
n'était plus là haute compréhension de Joacliim, mais c'était sin-
cère, correct et scrupuleux.
Nous avons pu nWèux juger du talent de M. De Greef dans le
concerto de Grieg; il n'avait plus à ses côtés un aussi redoutable
partenaire. Nous nous plaindrions de la fréquence de ce morceau
-*— qui perd quelque peu à être souvent entendu — au programme
des concerts, n'était l'intérêt des différentes interprétations.
L'an dernier M""® Thérésa Careno — très admirée, des audi-
teurs, trop, selon nous — l'exécutait avec un éclatant brio. Elle
y mettait force nuances, vives couleurs et grande fébrilité. Très'
sobre, au contraire, M. De Greef le joue d'un sentiment contenu,
intime. Pas d'éclat, plus de teintes violentes, mais une poésie
vague, morne, paisible, plus pénétrante.
Nous préférons de beaucoup cette interprétation qui nou^ paraît
en complète harmonie avec l'œuvre, marquée du caractère sep-
tentrional, inspirée des paysages du Nord.
M. De Greef, très applaudi, a remporté un succès_^ieux,
La symphonie en la mineur de Beethoven, une des œuvres les
plus puissantes du maître, est d'une exécution difficile. L'inter-
prétation, que nous ena donnée l'orchestre, dirigé par M, Radoux,
n'était pas homogène. ,
Faible, relâché en certaines parties, l'orchestre a, par contre,
bien interprété Vallegretto. En général, il manque de "cohésion et
de précision ; les mouvements ne sont pas assez nettement obser-
vés, le dessin reste indécis, la pensée ne se dégage pas avec la
clarté désirable. Les violons manquent pariiculièrcmenl d'en-
semble et de régularité.
Mais ne nous plaignons U-op, et louons M. Radoux de la com-
position de son programme — un peu long, — de ses efforts et
de son travail. .
A côté de l'œuvre magistrale de Beethoven, il nous a fait
entendre l'ouverture de Faust de Wagner, que nous demandons
à réenlendre, et \c .Chasseur Maudit de César Franck.
Le Chasseur Maudit était le dernier morceau du programme,
et c'esi regrettable. On était trop faiigué pour jouir complètement
'de l'audition de celle savante et puissante musique. Nous ne pou-
vons que dire la profonde impression que nous a produite le poème
symphonique et prier encore M. Radoux de le reprepdre à un pro-
chain concert. Il est heureux que l'on se décide enfin à faire
connaître à Liège la musique de César Franck. Mais fallait-il
attendre pour cela qu'il fût mon!
Le Thé&tre néerlandais.
Le Théâtre néerlandais d'Anvers donne le « drame lyrique »
pour ceux qui. sont las de la roue des œuvres congrues et ordi-
naires qu'on sert, depuis quand ! au Théâtre royal.
Et il se trouve qu'ils sont nombreux.
Ceux qui président aux destinées de ces peu coulumicres soi-
rées se rendront compte — et les recettes ne sont pas preuves
sentimentales, — que le public est mûr, ici, pour entendre de la
bonne musique, et ne l'est même que pour cela!
Le fait est qu'on a subi le prestige du titre : Drame lyrique !
Le mot rayonne-l-il assez de l'éclat de, tant de chefs-d'œuyre et
combien nous apporte-t-il de promesses.
Qu'on sache que tous ceux qui applaudissent aujourd'hui
c
tendent surtout à la réussite d'une entreprise qui comblerait leurs
plus chères espérances. Enfin, sortirait-on de l'ornière?
Qu'uùe interminable suite de tombereaux verse ailleurs un
infini nombre de notes dans le puits n'est pas un malheur, puis-
que le trou se comble au point que nous voilà désembourbés.
Verrons-nous réellement, et ce à Anvers, réussir un Ihéûlre qui
se respecterait au point de ne jouer que des œuvres se réclamant
de l'Art ? celles que nous avons entendues : Charlotte Corday de
Peler Benoit, qui ouvrit le feu avec un succès d'enthousiasme,
Stella de Waelput, Preciosa de Weber — dont l'exécution est
vraiment remarquable — et celles qu'on annonce : Egmont el
Maufred? , ' ;■ ■
^ pETITE CHROjsriQUE
Quelle sera la date du premier jour du siècle prochain? On vous
aura posd celte devinette. C'est le l»' janvier de l'an 1900,
répond-on d'ordinaire. Eh bien, non, c'est le 1er janvier de l'an
4904. Pour faire dix-neuf siècles il faut dix-neuf cents ans com-
plets. Or, les dix-neuf cents ans complels ne seront achevés que
le 34 décembre 4900;
Nous rappelons celte arithmétique parce qu'une erreur ana-
logue est commise par ia Jeu7ie Belgique, qui annonce le Dixième
anniversaire de sa fondation, èi commence un article enlhousiaste
sur ce sujet par ces mois : La Jeune Belgique va bientôt accomplir
sa jiixième année. Or, dans la computation des anniversaires de
naissance, le jour de la naissance né compté pas : il ne saurait
fitre l'anniversaire de lui-même ; on commence par le premier de
l'année suivante. C'est donc du neuvième anniversaire el de l'ac-
complissement de la neuvième année qu'il s^agit.
Celle computation inexacte a, sans doute, été cause de celle
autre erreur dans l'article en question : « Depuis noire début,
noire groupe s'est renforcé de nouvelles recrues... l'Art
moderne, » etc. La vérité est que VArt moderne existait avant la
Jeune Belgique. C'est comme si on mettait la locomotive derrière
le teuder.
Le directeur actuel de la Jeune Belgique, M. Valère Gille, qui
l'a si résolument dirigée, depuis quelque temps, vers les nouvelles
formes poétiques et l'a fait participer à la véritable avancée litié-
rairc, n'éiait pas aux débuis de celte intéressante revue, et on
s'explique, dès lors, le malentendu. Si nos souvenirs ne nous
trompent, la Jeune Belgique n'a même neuf ans qu'en soudant
sa durée à celle de la Jeune Revue qui l'a précédée.
Courte ou longue, âgée ou non de neuf' ans, elle n'en a
pas moins été vaillante combaltanle, et c'est assez. Celle petite
manie de priorité, qu'elle partage avec V Indépendance, toujours
première! même quand il s'agit de dire une béiisc, ne diminue
pas ses mérites., ^ ^__^
L'Associalion des professeurs d'inslrumcnls à vent donne
aujourd'hui, au Conservatoire, son premier concert, avec le
concours de M"" Elly Warnols, qui inlerprélcra des chansons du
XVII® siècle el les Variations de Rode.
Trois œuvres importantes figurent au programme : la Sérénade
de Richard Strauss (4'« exécution), le Sextuor de Ludwjg Tliuille
el rO/W/o de Th. Gouvy.
M. Antoine viendra, avec la troupe du Théâtre-Libre, donner
vers la fin de janvier, une série de roprésentalions au Théâtre du
Parc.
Le programme de cette campagne comprendra : les Revenants '
dihsen, la Pêche de Henri Céard, T-ffonnewr de Henri Fèvre,
Myrane d'Emile Bergerat, la Tante Léontine, VAmant de «a*
femme d'Aurélien Scholl, Esther ^mnd^j^CHennique el la Pm-
cws« ili?fl/ewie de Maurice Maeterlinck.
M. Julien Scrmet a lu au Théâtre-Libre, un acte intitulé : la
Belle opération. Cette pièce sera jouée dans le spectacle pro-
chain.
M"e Dyna Beumér a bouleversé Marseille, Iroun de l'air! Le
quatrième concert classique, donné sous la direction de notre
compatriote M. Jules Lecocq, a été pour la cantatrice un succès
si triomphal qu'elle a été aussitôt réengagée pour le cinquième
concert. « Le talent de la virtuose défie toute comparaison ; depuis
la Palti nous n'avons plus entendu une vocalisation aussi aisée,
aussi souple et d'un tel fini ^ip dit le Petit Provençal. Et
M. L. Gozlan ajoute, dans le Soleil du Midi : « M»* Dyna Beumer
n'aurait pas de rivale au théâtre en tant que chanteuse légère.
Jamais, on peut le dire, ca«lalrice aussi accomplie ne fut enten-
due dans nos concerts classiques et le succès a dépassé toute
atlenle. La remarquable artiste est douée d'une merveilleuse orga-
nisation, vocale. Les plus grandes difficultés sont un jeu pour
elle : gammes, trilles, arpèges, intervalles franchis avec la plus
grande sûreté, tout, enfin, est à la disposition de M"* Beumer ».
L'une des œuvres interprétées par notre compatriote était la
valse que lui a dédiée M. Joseph Mertens.
Chez Durand-Ruel, se clôture aujourd'hui une exposition au
profit de la American Charitable Association.
Parmi les tableaux anciens, un beau portrait de femme de
Frans Hais, deux Van Goyen, un Jan Steen, un Teniers.
Parmi les modernes, cinq Corot (trois paysages, deux figures);
l'Homme à la Houe, les Dénicheurs, la Pileuse de Millet ; des
Vues de Londres de Camille Pissarro ; un Champ de courses de
Edgar Degas. ' .
A la vitrine :
Une jeune fille à la gorge nue, avec, sur ses genoux un chat,
est endormie en un fauteuil : Renoir. \jnc Mademoiselle Samary,
du même. '
Des Monticelli traduits en lithographie, par Lauzet, des eaux-
fortes de Mary Cassait, des Sisley et des récents Claude Monet :
paysages au soleil, matinâ argentés.
La Société des Artistes indépendants vient de procéder au
renouvellement de son comité. C'est M. Vallon qui a été nommé
président. La Société organisera, dans une salle spéciale du pro-
chain Salon, l'exposiiion des œuvres de ceux de ses membres qui
sont morts dans l'année : MM. Vincent Van Gogh et Dubois-Pillet,
M"»® Salles- Wagner. ,
Pour rendre un hommage iout particulier à la mémoire de
M. Dubois-Pillet, qui a tant contribué à la fondalion elau succès
de la Société, l'assemblée décide que sou nom figurera à l'avenir
à la première page du catalogue.
Le peintre Arlz, qui prit part à plusieurs Salons de Be'giquo,
vient de mourir à La Haye, âgé de 52 ans. Artz était un élève de
Joseph Israëls. Il habita Paris de 4866 à 4874 et prit une grande
part à l'organisation de l'Exposition de 4^889 où il fui élu prési-
dent de la section néerlandaise des Beaux-Arts et vice-président du
jury général.
4
:-.»
i:art moderne
375
EXPOSITION GENERALE DES BEAUX-ARTS
État de la recette générale au 16 novembre 1890, date de la clôture.
JOURS.
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— 16
Mardi. .• .
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654
194
6
20
654
—
97 00
3 00
774 00
— 17
Mercredi . .
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526
—
68
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10
526
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—
34 00
6 50
576 50
— . 18
Jeudi . . .
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583
30
30
583
—
—
15 00
628 00
— : 19
Vendredi . .
. 2
494
— '
144
2
20
494
—
—
72 00
1 00
587 00
- -— 20
Samedi . .
. 407
, —
120
2
—
407
—
60 00
1 00
468 00
-— 21
Dimancbe.
. 1
1,037
-
—
272.
8
10
1,037
—
—
136 00
4 00
1,187 00
— 22
Lundi. . .
. 1
474
.^
—
150
2
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474
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75 00
1 00
560 00
— 23
Mardi. . ..
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3
—
427
—
—
45 50
1 50
474 00
— 24
Mercredi . .
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519
—
153
5
10
519
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—
76 50
2 50
608 00
— 25
Jeudi . . .
492
—
117
1
—
492
—
—
58 50
0 50
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Vendredi. .
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343
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—
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53 00
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399 00
— 27
Samedi . .
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—
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1 00
331 00
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Dimanche .
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—
-^
95 00
2 00
1,024 00
— 29
Lundi. . .
^ 391
.._
— .
103
1
—
391
—
■ —
51 50
0 50
443 00
30
Mardi. . .
373
—
100
2
—
373
— ■
—
50 00
1 00
424 00
Octobre l*'
Mercredi . .
369
._
—
92
2
—
369
—
—
46 00
1 00
416 00
-^ 2
Jeudi . . .
484
....
—
98
, 2
— ,„
484
—
—
49 00
1 00
534 00
— 3
Vendredi. .
311
— -
78
—
311
—
—
39 00
—
3.50 00
— 4
Samedi . .
,^_
223
—
50
2
—
223;
—
—
25 00
1 00
249 00
- 5
Dimanche.
:
1,059
1,007
198
8
■ —
—
529 50
100 70
99 00
4 00
733 20
— C
Lundi. . y.
! 1
280
—
—
80
— -
10
280
—
—
40 00
— '
330 00
— 7
Mardi. . .
314
—
68
2
—^
314
—
—
34 00
1 00
349 00
— 8
Mercredi. .
329
—
76
—
—
329
—
■ ■ —
38-00
—
367 00
— 9
Jeudi . . .
_^
545
—
110
'
. —
—
272 50
—
55 00
' ~~"
327 50
— 10
Vendredi. -.
«.^
235
—
40
2
— ■
235
—
—
20 00
1 00
2.56 00
— 11
Samedi . .
;
217
_
—
36
2
—
217
—
—
18 00
1 00
236 bo
— 12
Dimanche.
. ,.
643
1,450
176
6
—
— .
321 50
145 00
88 00
3 00
557 50
— 13
Lundi. . .
,
234
—
—
38
2
—
234
— ■
—
19 00
1 00
2.54 00
— 14
Mardis . .
259
—
. —
68
2
. —
259
__
^ —
34-00
1 00
294 00
— 15
Mercredi . .
243
—
46
—
—
243
—
—
23 00
—
266 00
16
Jeudi . . .
„
356
■ —
54
—
—
_
, 178 00
—
27 00
—
205 00
— 17
Vendredi. .
163
—
—
26
—
—
163
—
—
13 00
—
176 00
18
Samedi . .
___
128
■ —
20
—
—
128
—
—
10 00
—
138 00 ■
— 19
Dimanche.
.
1,143
1,046
156
3
^—
—
571 50
104 60
78 00
1 50
755 60
— 20
Lundi. .
_
198
-—
—
38
—
~ •
198
. —
—
19 JOO
—
21 1 00
— 21
Mardi. . .
172
—
40
—
—
172
—
—
20 00
—
192 00
— 22
Mercredi. .
196
—
37
3
• —
190
—
—
18 50
1 50
216 00
— 23
Jeudi . .
,.
385
—
52
- _
—
—
192 50
—
26 00
—
218 50
— 24
Vendredi. .
_~
112
—
10
— -
—
112
('
■ —
8 00
—
120 00
— • 25
Samedi .
109
—
16
—,
—
109
— )■'
—
8 00
—
117 00
— 26
DimR,nche
893
1,305
139.
5
—
—
446 50
130 50
69 50
2 50
649. 00
— 27
Lundi.
107
__
—
16
— '
107
■^—
—
.8 00
—
115 00
— 28
Mardi. .
«_
131
—
21
1
—
131
—
— ■
10 50
0 50
142 00
— 29
Mercredi .
118
■ —
26
—
118
—
13 00
—
131 00
— 30
Jeudi .
_
210
— -
21
1
—
105 00
—
10 50
0 50
116 00
— 31
Vendredi .
79
^-
11
1
—
79
—
—
5 50
0 50
85 00
Novembre l*'
Samedi .
__,
567
_
1,70|
72
—
567
—
—
36 00
—
003 00
— 2
Dimanche
617
101
1
—
—
308 50
170 30
50 50
0 50
529 80
— 3
Lundi
* 140
^_
—
22
—^
. 140
— "
—
11 00
—
151 00
— 4
Mardi. .
80
—
13
1
—
80
—
—
6 .50
0 50
87 00
— 5
Mercredi .
105
—
24
—
105.
^-
—
12 00
—
117 00
— ' 6
Jeudi .
1
301
—
28
—
, —
_
150 50
—
14 00
—
164 50
— 7
Vendredi.
^^
87
^_
—
16
—
87
—
—
8 00
—
95 00
— 8
Samedi .
^^
. ^ -<7
—
18
—
—
77
— ■ "
—
9 00
—
86 OO-
— 9
Dimanche
»
829
1,510
94
—
—
—
414 50
151 50
47 00
—
612 50
10
Lundi.
167
—
27
1
—
167
■ — :
—
13 50
0 50
181 00
- " A V
11
Mardi.
^p
149
—
27
1
• —
149
—
—
13 50
0 50
163 00
12
Mercredi .
_^^
175
—
26
—
—
175
—
—
13 00
—
188 00
-^ 13
Jeudi . .
■
550
^^
40
3
—
•IÔ4
275 00
— ■
20 00
1 50
296 50
— 14
Vendredi .
204
20
;■
—
■ —
10 00
—
214 00
— 15
Samedi
^ 240
^_
29
1
:
240
—
— '
14 50
0 50
255 00
— 16
Dimanche
ibre. 62
428
436
27
1
—
^-^
214 00
43 60
13 50
0 50
271 60
Total général au 16 noveir
14,929
7,959
8,457
4,613
149
620
14,929
3,979 50
845 70
2.306 !)D
74 50
22,755 20 ,
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Dixième ANNÉE. — N** 48.
Le numéro : 25 CENTIMES.
PiMANCHB 30 Novembre 1890.
L'ART
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DEOÉTS ET DE LA LITTERATURE
Comité de rédaction t Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, ,un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00 — ANNONCES : Ou traite à jWiiit.
, Adresser toutes les communications à _
l'administration générale de l'Art Moderne, rue de l'Industrie, 32, Bruxelles.
30MMAIRE
Jules Laforgue. Les derniers vers, — John Lewis Brown. — La
question de3 concerts populaires. ^ evolution adaptatrice.
Exposition Van der Hix.ht au " Cercle ». — Etat-civil de la
« Jeune Belgique ». — Notes de Musique. — Chronique judiciaire
DES Arts. Les œm-res da César Franck. — Mémento des Exposi-
tions. — Petite chhoniqtie.
Les derniers vers
édités par E. Dujardin et F. Fénéon. — Paris, 1890.
Le présent volume résume Laforgue. Sa lecture
achevée, on connaît, autant qu'il est possible de le con-
naître, un poète plus ondoyant et divers, certes, que ce
sempiternel féminin dont depuis des siècles on rabâche
l'ondoyance et la diversité en des lieuv communs de
livres et de drames.
Et, tout d'abord, que les éditeurs soient remerciés,
moins pour le soin matériel que pour l'intellectuel
qu'ils ont mis à résumer en ce livre, non pas seul le
résultat du travail de Laforgue, mais ce travail lui-
même. On reconnaît la main méticuleuse et précise de
M. Fénéon en ce scrupuleux hommage admiratif et fra-
ternel.
L'illusion de.sentir l'écrivain lutter avec l'expression,
avec les mots, avec les rythmes impropres, avec tous les
obstacles barrant la trouvaille, qui ne l'éprouve au long
de ces pages? Et les variantes et les éliminations et les
ajoutes successives et tout l'essai ! avant la fixité du texte
suprême. Adjectifs mis â différentes places, verbes
synonymes se mangeant l'un l'autre, mots en trop
biffés, mots en retrait mis en avant, idées retournées
sur le gril, comparaisons tout â coup éclatantes et
tirées de la brume, épithètes à miroir qui jettent leur
éclat bien au loin sur les murs. Tout le laboratoire
montré soit aux curieux, soit aux artistes, et par cela
même cher à ceux que hantent les formes amples du
vers" moderne, qui ne sont plus gaines ' à bandelettes
classiques, mais draperies et robes serrant à volonté
ou laissant libres la marche et l'attitude de ri4,ée. Rare-
ment -^ nous oserions dire jamais — les changements
que baforgue fait subir, importants, à ses vers, les dété-
riorent. Ils sortent plus purs et plus nets de l'élabora-
tion. Des exemples?
Pour arriver à : »
Une bouche qui rit en campanule
on passe par :
1. Une bouche qui rit et capitule ;
2. La bouche qui s'avance et capitule ; *
3. La bouche offerte eu fraîche campanule; ■
4. Une bouche en déclose campanule ;
5. Une bouche en prenez ma campanule;
6. Une bouche en baisez ma campanule ;
, 7. Une bouche déclose en campanule.
Puis tout à coup un revenez-y à la première version
combinée avec la partie comparative de la dernière ; et
le vers est. '
Encore?
Pour aboutir à
0 chairs de sœur, ciboires de bonheur
l'écrivain côtoie :
c^
1. 0 chères chairs ciboires de bonheur;
2. 0 chers corps purs...
3. 0 tristes corps...
Le livre est fourmillant ainsi de trouvailles après
recherches multiples et tâtonnantes.
Le vers de Laforgiie n'est donc pas allant et venant,
primesautier et jaillissant sans repentirs; s'il est im-
provisé et libre, c'est en un tout autre sens.
Rimbaud, le premier, et après lui les autres, chacun
suivant son penchant, ont démoli le vers tel qu'on le
concevait, voici vingt ans. Certes, les semences révolu-
tionnaires avaient été jetées dans le champ par Hugo
et même par André Chénier. L'enjambement — ce rien
du tout — cassait, décisivement, les lois classiques.
Chaque fois qu'on l'employait les invariables points
d'orgue de la rime étaient, par le fait même du rejet
du sens complet au vers suivant, destitués de leur pré-
dominante sonorité. Suivirent le déplacement de l'hémis-
tiche, la coupure inédite de la double césure, l'emploi
des mots monumentaux prenant à eux seuls la moitié
de la ligne, les rimes entrecroisées ou souvent féminines
ou masculines tout au long d'une pièce entière. Si bien
que grâce à ces évolutions-, si l'édifice de la prosodie
tenait encore debout, du moins les colonnes, toutes les
colonnes, en vacillaient.
Les modernes se sont attaqués aux assises mènae, à
la rime et à la métrique. Cela n'a l'air de rien ; c'est
énorme. Au fur et à mesure que les romantiques et les
parnassiens transformaient le corps du vers, lui chan-
geaient, pour ainsi dire, la position des bras afin qu'il
fît" d'autres gestes, soit plus audacieux ^ soit plus extra-
vagants — exemples : Banville et Bergerat — ils lui
fortifièrent les anpuis, ils lui chaussèrent solidement les
pieds et tel, se campa-t-il debout sur ses deux rimes
jumelles, souple, certes, et délié comme un athlète,
et inrenversable comme lui. La rime riche fut le
brodequin d'or de cet Hercule chez Hugo, de ce clown
chez Banville.
Le malheur de tous ces changements, c'est qu'ils
furent illogiques et qu'ils s'arrêtèrent à mi-chemin. Ou
bien faut-il adopter le vers classique franchement, tota-
lement, avec son hémistiche au milieu, ses douze syl-
labes fixes, sa mélopée monotone et majestueuse, ou
bien faut-il aller droit au rythme et le prendre comme
moule unique de l'idée lyrique.
> Les romantiques et les parnassiens sentaient si bien
que leur vers était équivoque et discorçlant d'avec ce
qui flottait.de poésie dans l'air, que leurs interprètes — -
sans peut-être se rendre compte de ce qu'ils avouaient
ainsi — déclamaient leurs tirades, uniquement préoc-
cupés de faire sentir le vers le moins possible. Ils réali-
saient un acrobatisme curieux de la voix, filant avec
une vélocité d'express, escamotant les rimes, bafouil-
lant presque ou tout à coup s'arrètant sur un vocable à
l'hémistiche, y appuyant longtemps el donnant l'illusion
que la phrase finissait à mi-chemin. Cela seul, mieux
que n'importe quel aveu indiquait l'en-retard de la
versification romantique et parnassienne.
La rime fut donc détruite comme tout le reste, la
révolution se fit totale et l'idée prit la place qui lui est
due en poésie. Elle se présente chez tout vrai poète, pri-
mordialement, avec son l'ythme et sa couleur. C'est ce
rythme et cette couleur originelle, l'un s'exprimantdans
la coupure et la structure de la phrase, l'autre dans le
son et la juxtaposition des vocables^ qu'il faut écrire.
Les batteurs de sons pleins dans les casseroles de la
rime riche n'écoutaient qu'un beau bruit et le notaient
dans sa futilité et son agrément. Certes, n'est-il point
sensuellement déplaisant d'écouter ces cliquetis, et
même est-ce une préoccupation artiste d'assembler de
belles syllabes, comme un joaillier assemble des pierres
rares qui s'harmonient, — mais la poésie? c'est tout
autre chose. Quand on lit dans Banville :
Dans tout ce que l'Afrique a d'air
Piloii veut prendre Abd-El-Kader.
On a beau se dire qu'on déchiff're une ode funambu-
lesque, on ne se persuade pas que dans une ode non
funambulesque le même Banville ne commettrait les
mêmes extravagances au nom de la même rime riche.
Laforgue est, de tous les poètes modernes, celui dont
le rythme lyrique, substitué à la prosodie dogmatique
et ault canons de l'alexandrin, s'étale le plus spontané-
ment et le plus savamment à la fois en des chefs-
d'œuvre.
Et de grâce, qu'on ne confonde pas le rythme avec
l'harmonie imitative. C'est une vieille rengaine. Le
rythme enveloppe l'ensemble, et chaque partie d'un
livre ou d'un fragment de livre, d'une pièce ou d'un
fragment de pièce, il exprime la marche et l'attitude de
l'idée; il est, par conséquent, tout autre chose qu'une
répétition facile de sons. Certes, les sons donnent-ils la
couleur à l'idée, mais pas petitement et enfantinement
comme un ta-ra-ta-ta ou un zim boum! Les syllabes
ont une signification ou plutôt une concordance spiri-
tuelle que seuls les poètes sentent et que parfois ils par-
viennent à faire sentir à d'autres. La manière de sentir
et de fair« sentir diffère de poète à poète.
La pièce la plus explicite de rythme dans le présent
volume de Laforgue est : V Hiver qui vient.
L'ennui décourageant, les bras retombants d'ennui
\
sur de l'ennui, dites, s'expriment-ils adéquatement en
ces vers?
Oh! tombée de la pluie, oh! tombée de la nuit.
Oh! le vent!
La Toussaint, la N^ël et la Nouvelle- Année.
Oh! dans les bruines toutes mes cheminées! •
D'usines
Et la grosse et redondante importance de gloire du
soleil?
Soleils plénipotentiaires des travaux en blonds Pactoles
Des spectacles agricoles.
Jlt l'abandon irrémédiable et sinistre ?
Et il gît là, comme une glande arrachée à un cou,
Et il frissonne, sans personne. '' . * .
Et la longueur, la toute longueur déserte et nue de la
route nioderne? ^
La rouille ronge en leurs spleens kilométriques,
Les âls télégraphiques des grand'routes où nul ne passe.
Et le départ sonnant mélancolique d'une saison vers
l'hiver stérile et tombal?
Les cors, les tors, les cors — mélancoliques!.... \. ^
Mélancoliques!....
Ces exemples suifiseijt. Tant par le choix des mots,
par la coupe de la phrase, par la tour à tour sonorité
profonde, multiple, lourde ou plane des vocables que par
leur fuite ou leur insistance ils sont probantes, super-
bement. La pièce entière est d'une puissance et d'une
unité irréprochables. Le ton général d'une tristesse
étendue infiniment vers des loins de pluie et de vent
morne. Il s'anime ou se refroidit suivant qu'il souligne
tel objet éclatant ou- funèbre, tel sentiment doux pu
morose. Des vers de l'ancienne forme, il n'y en a plus,
ni de strophes. Mais les phrases sont devenues njélo-
dieuses, ductiles, sonores, elles ont pris au verslson
esprit et son âme, à la strophe sa -vie de partie aans
l'ensemble, pour en faire une totalité neuve.
Je ne sais si ces explications, toutes sommaires, feront
saisir combien en Laforgue on rencontre de dons
natifs, fonciers, nets et personnels. Les choses d'art
sont tellement subtiles que les artistes seuls les sai-
sissent. Il faut déjà les comprendre soi-même pour pou-
voir en saisir l'explication. Rien ne se raisonne moins
et rien n*e;st plus aisé à être mal aperçu. Leâ non-
artistes interprètent mal, toujours ; c'est à quoi on les
reconnaît. Puis, il y a les gens qui font profession
d'esprit; ceux-ci, auxquels on reconnaît de la finesse,
sont le plus souvent en poésie de très grossiers mon-
stres aveugles. Ils ne sont au fait de rien et blaguent
tout.
Daiis un article prochain nous examinerons la manière
de sentir et d'exprimer laforgienne.
John-Lewis Brown.
Un peinlre d'un réel laleni, peu apprécié de ses contemporains
(faul-il s'en éionner?), John-Lewis Brown, vient de mourir k
Paris, Il s'était consacré, presque exclusivement, à la peinture
sporlivé : chasses à courre, cavaliers, courses de chevaux, can-
lors malinaux dans les allées du Bois, trotinements sous les
ombrages de RoUen-Row. C'est, avec Degas, l'artiste qui comprit
le mieux le cheval, qu'il étudia en sportsman accompli et en
peinlre.
Moins heureux qu'Alfred de Dreux, et certes parce qu'il fut
infiniment plus artiste que lui, il n'arriva pas à réaliser le rêve
qu'il semblait caresser : devenir le peintre du high-life, voir ses
tableautins installés, aux bonnes places, dans les salons aristo-
cratiques, être le poète des élégances hippiques. •
Ce qui effaroucha le public spécial auquel il s'adressa, ce fut la
nuance d'impressionnisme dont il teinta son art, influenc^ par lia
théorie du plein air triomphalement instaurée par Manet. On ne
lui pardonna point tels reflets de ciel bleu sur des luisants de
croupe, telle réaction de feuillée verie sur un poitrail alezan, sur
l'écarlate immaculé d'un hunting-drcss.. El tandis que les artistes
se réjouissaient de sa fière évolution, il était dédaigné d« ceux qui
avaient applaudi aux toiles bitumeuses et sèches qu'il peignit, à
. ses débuts, dans la manière de Meissonier : le Comte de Saxe,
Un épisode de la guerre de Cent ans, etc.
John-Lewis Brown meurt à 61 ans. Il était Anglais d'origine.
Français de naissance. Un portrait fort intéressant de Boldini,
exposé au Champ-de-Mars en li889, le représente, en pied, sor-
tant de chez lui, avec sa femme et sa fdie, l'air joyeux, rieur, sa
grande barbe de patriarche en coup de vent.
Une attaque de paralysie survint, qui l'emporta.
Il laisse dans l'histoire de l'art le souvenir, sinon d'un grand
peintre, du moins d'un sincère et d'un convaincu dont la personha-
lilé .marque suffisamment l'œuvre pour que celle-ci demeure
debout dans le désarroi des banalités ambiantes.
La question des Concerts populaires
Le Collège échevinal ayant officiellement refusé à la Société
des Concerts populaires la disposition de la salle de la Monnaie
pour les motifs que nous avons exposés précédemment (1), la
Société en appelle de cette décision au Conseil communal, et, dans
une IcUre qui lui sera communiquée à la prochaine séance,
défend avec beaucoup de dignité les droits acquis par une insti-
tution ai'listiquc qui a vingt-cinq ans de date et qui a rendu à
l'Art des services que nul ne peut contester.
Nous souhaitons vivement que les membres du Conseil, mieux
avisés que le Collège, comprennent le tort que causerait à notre
capitale la disparition des Concerts populaires. Nous avons dit,
— et toute la presse avec nous, — tout ce qu'il y avait à dire à
ce sujet. L'cmotioii causée par la décision inattendue du Collège
est loin d'être calmée, et partout s'affirme avec énergie le désir
de la voir rapporter.
D'autre part, M. Joseph Dupont a spontanément écrit à la Ville
que si sa direction était un obstacle au maintien des Concerts (et
vraiment, on ne découvre dans toute cette affaire qu'une fort
' . .'" ■
(4) Voir l'Art moderne du 16 novembre.)
mesquine rivalité personnelle) il déposerait sOn bâton de chef
d'orchestre pour sauver Tinslitution.
De leur côté, les compositeurs belges, reconnaissants des ser-
vices que leur ont rendus les Concerts, se sont réunis cette
semaine, sur l'initiative de M. Emile Maihicu, et protestent à leur
tour contre la mesure prise par le Collège. MM. Vanden Eeden,
Huberti, Tinel, Raway, sont au nombre des protestataires.
Des bruits étranges circulent. On assure qne l'ultimatum des
directeurs de la Monnaie cache le projet de créer, au Théâtre, des
concerts nouveaux et que c'est en vue dfe ces concerts qu'on s'efforce
de tuer les Concerts populaires pour reprendre leur clientèle.
Il nous semble que Bruxelles, avec sa population de 550,000
habitants, compte un nombre suffisant d'amateurs de musique
pour alimenter deux institutions artistiques, étant donné surtout
que les concerts de la Monnaie, pour lesquels on utiliserait natu-
. rellemenl le personnel de la troupe et des chœurs, auraient un
•caractère particulier, très différent des concerts symphoniques de
M. Dupont.
• Nous avons dit pourquoi le Théâtre de l'Alhambra convenait
moins bien aux Concerts populaires que le Théâtre de la Monnaie.
Mais il est une autre salle, fort bien située, et qui réunit toutes
les conditions désirables : c'est celle du Conservatoire. Pourquoi-
M. Gevaert ne la meltrait-il pas à la disposition de la Société? Ce
serait faire preuve d'initiative artistique et de bonne confraternité.
On a remarqué qu'en toute occasion il autorise, en cette salle
liabituéci à la musique des morts, l'exéculiOn d'oeuvres des auteurs
vivants. Aux distributions de prix, aux auditions d'élèves, aux '
séances organisées par les "pi'ofcsseurs d'instruments à vent, la
musique moderne se mêle aux œuvres les plus solennellement
classiques, — comme l'Amour profane à l'Amour sacré. Agrandir
le cadre deccs auditions, en confier l'organisation à la Société
des Concerts populaires — qui- a fait ses preuves, — nié serait-ce
pas assurer au Conservatoire les sympathies de tous et mériter
dignement de l'Art?
C'est ce que M. Radoux a fait à Liège, avec beaucoup d'ama-
bilité, en faveur des Nouveaux concerls de M. Sylvain Dupuis.
ÉVOLUTION ADAPTATRICE
Certains articles ont la propriété d'exciter singulièrement les
admirations, les critiques, les réflexions et de mettre les lecteurs
en effervescence. Telle celte étude de notre avant-dernier numéro
intitulée : Evolution adaptatrice. Les communications pleuvent
alors, toutes très bien venues car elles attestent la communion
dés sentiments et la réciproque confiance dans les recherches
pour l'art et la curiosité. En vcici une, doublement intéressante,
parce qu'elle est originale et qu'elle est féminine :
« Je pense, je pense et je vois de moins en moins clair. Pourquoi
celte misère des compliqués et vertigineux jours où nous vivons?
Pourquoi compliqués? Nous n'avons donc pas soif d'unité, de
simplicité, de quelque chose de grand et de fort qui nous absorbe
tout oniicrs et nous pacifie? Et nous n'avons pas en nous la force
de secouer cette diversité, ce multiple éparpillement de nous-
méme que nous apporte notre situation dans le « défilé montant»,
et obscur? Oh! oui obscur! et que Maeterlinck est bien venu à
son heure, peignant la lourde terreur d'êtres qui s'agitent sans
savoir où ils vont, éires sans foi, sans lumière, sans amour!
« Je ne vous crois pas quand vous dressez cette funèbre plai-
santerie à fond sérieux, des pédoncules filamenteux (merci !). Elle
peint bien la. tendance de nos esprits, pourtant ! Mais nous laisser
rions les choses, les choses inertes, la matière amoncelée, alam-
biquée, réagir sur nous, et continuera détruire le corps? Diriez-
vôus facilement où l'âme commence et où le corps finit. Les vrais
INTELLECTUELS?.. Nou n'est-co pas? C'est naïf de ma part de partir
en guerre contre ces. filamenteux-là. J'ai tant k dire que ça
m'étouffe. \ *
« Nous sommes dans l'obscurité parce que notre généralisation,
notre unité, notre religion, s'est trouvée trop petite pour conte-
nir la brassée de faits nouveaux apportés par les siècles ; et en
attendant une synthèse qui les renferme tous, — encore du provi-
soire sans doute, — nous sommes dans le passage pénible,
tumultueux de l'attente. Voilà ce qui fait le compliqué de notre
vie. On a soif, soif à mourir « d'exprimer l'être humain en sa
totalité », de se donner corps et âme à ime seule chose. On est
tellement ballotté que parmi ceux qui sentent et qui pensent,
beaucoup, de guerre lasse, se rejetienl dans les vieilles religions
pour trouver cette unité qui leur manque ailleurs, — niant
l'aube d'aujourd'hui, parce qu'elle n'a pas l'éclat du jour d'hier.
« Et les femmes, les malheureuses femmes qui n'ont qu'une
grandeur, elles, celle de pouvoir se donner tout, entières, —
elles sont rapetissées, diminuées, si bien que vous ne les recon-
naissez plus, et que vous niez qu'elles aient une âme; — une
âme c'est l'unité dont on vit. Elles n'ont plus Dieu, et pour le
moment, elles n'ont presque plus l'Homme, qui s'ôle lui-même
l'auréole chimérique que lui tissaient nos imaginations. Nous admi-
rions saforce, c'était encore une petite lumière, et, l'esprit som-
meillant d'ailleurs, nous nous contentions de diviniser ces affirma-
teurs, ces confiants, ces lutteurs riant des obstacles. El voilà que,
dans l'obscurité, ces lutteurs perdent courage, audace et se met-
tent à avoir pcwr comme nous.
« Allons, prenez votre forte massue et fendez les ténèbres avec
votre volonté. Dites-nous q^ue l'unité est-là» de l'autre côté, que
vous la découvrirez. El pour commencer n'essayez pas de la nier
en divisant l'âme et le corps comme le moyen-âge. Il y a si long-
temps qu'on les oppose l'un à l'autre, qu'ils ont bien mérité un
repos, une fusion, une réunion. A bas Tolstoï, qui me paraît la
dernière négation du monde aveugle, derrière la porte du jour,
qui va s'ouvrir !
« La religion, la morale de l'avenir ne sera pas une religion ni
une morale de l'âme seule, elle absorbera l'homme corps et âme.
Ces pauvres sens! en a-t-on médit! qu'est-ce qu'ils faisaient de
mal pourtant? Rien, sinon de n'être pas un avec l'âme, et l'âme
faisait l'aristocrate et ne les voulait pas entendre, et iio se ven-
geaient en se gobergeant tout seuls.
« Quand verrons-nous celte vérité si claire que nous ne sommes
qu'j/n, que nos sens et notre âme n'ont qu'une seule tendance, la
même?
« Sur ce sujet, on se perdrait comme en pleine mer.
« Non, Vempire ne sera pas aux prompts, il sera aux simples,
à ceux qui auront pratiqué la « purgaiion des superfluilés », la
concentration de tout leur être, qui fait la force.
« Ceci c'est la conclusion féminine. J'aimerais mieux être une
vieille guenon (souhait réalisé, du reste) et passer ma vie à
écraser tendrement là vermine de mes petits gorilles, à leur
donner toute ma force, toutes «mes malices^ tout ce que j'ai, me
dépensant corps et âme pour ces chers et affreux petits singes,
que d'être un de ces vrais intellectuels qui doivent mourir
■■■M
L'ART MODERNE
381
anémiques, forcémenl, faute d'avoir trouvé une} unité qui les
nourrisse, une unités une simplicité, une li(;ne qui les rende
libres, et les délivre de celte maudite complexité, débauche
inutile du cerveau, de tout i'élre.
« Je me ronge de colère de ne pouvoir pas m'exprimer. Mais
c'est le rôle des hommes de « comprendre ». Nous n'avons que
des sensations vagues. Débrouillez-les, car elles sont en général
vraies.
, « Un Tpédonc^le auquel il riûmanqueqiCune certaine
ténuité pour êtreélamenteux. »
Exposition Van der Hecht au\Gerclo ».
Que dire de l'Exposition au Cercle artistique\es toiles de
M. Van der Hecht? ^ \
Voilà, certes, du labeur, un travail considérable, des\loiles et
des toiles. Mais laquelle, dites, n'a pas été vue? laquelle h'a pas
son duplicata chez tant d'autres peintres également laborieux et
habiles et quelconques ?
On connaît ces paysages, leur touche, leur facture, leur cou-^
leur. Ils ne diffèrent guère. Seules, les mises en pages de M. Van
der flechtont quelque personnalité. El nous sommes heureux de
pouvoir signaler ce point, surtout en sa grande toile : V Arc-en-
ciel. Tandis que nombreux sont ceux qui recherchent à fixer le
milieu de hletle comme le centre d'un soi-disant inlérôl ou que
d'aulres'^veulenl réaliser de pittoresques dispositions, celui-ci
s'installe plus simplement devant la nature, n'a guère crainte
de rayer ses œuvres de rangées d'arbres allant à droite, à gauche,
et de groupes disséminés au hasard. Il évite ainsi la monotonie,
la recette et la convention, et ses œuvres avec leurs apparences
de négligence, forment néanmoins en ensemble.
Mais, hélas, ces tons sales, terreux, sans vraie lumière et archi-
vus?
ETAT-CIVIL DE « LA JEUNE BELGIQUE »
Bruxelles, ce 26 novembre 1890.
Messieurs les Directeurs de VA rt moderne,'
i ...
Après avoir résolu, dans votre dernier numéro, une délicate
opération d'arithmétique sur le commencement du prochain
siècle, vous en faites une fâcheuse application à la Jeune Belgique.
Vous voulez à tout prix rajeunir notre revue. La tenlalive est,
certes, louable, mais dans l'ôccurence nous fûmes assez perplexe
en voulant découvrir les raisons qui vous firent rectifier notre
état-civil. L'hypothèse de l'éternel besoin de vérité qui fait
dénoncer l'erreur en toute chose est acceptable; et, de fait, notre
prétendue crreuFtlèvàit d'aliTant plus facilement vous sauter aux
yeux que, dans une récente circulaire, envoyée avec discernement
à vos abonnés, vous parliez de dix ans pour VArt moderne qui
vit le jour l'année de l'apparition de notre nouveau titre : la Jeune
Belgique; vous pouviez donc facilement juger par analogie. Car
notre revue ne s'est pisTfoujours appelée la Jeune' Belgique et
comme VElan littéraire qui changea son titre pour celui de
Wallonie, la Jeune Revue changea le sien potir celui de Jeune
Belgique.
Quelques dates maintenant, si vous le voulez bien : la Jeune
Revue ïati fondée en décembre 1880 et pendant sa campagne
littéraire elle vit naître l'Art moderne et eut l'occasion de lui
faire ses- souhaits de bienvenue dans son numéro de mars 1881.
Quelques mois après avait lieu la transformation de la Jeune
Revue et dans cette circonstance voici ce qu'il fut écrit en téie du
fascicule de décembre 1881 : k
« La rédaction de la Jeune Revue emporte ses lares et émigré.
Elle abandonne son titre. Désormais nous nous intitulons : Lk
Jeune Belgique. »
Conclusion : Jeune Belgique et Jeune Revue ne font qu'un;
date de fondation, décembre 1880. En comptant bien les années,
on a comme total dix ans révolus.
Excusez cette lettre, déjà trop longue, pour une pareille
chicane, mais nous sommes bien forcés, sans vouloir toutefois
réclamer l'épithète de « locomotive » d'avouer notre ûge véri-
table devant votre conseil de revision. '
De tout ceci, nous ne retiendrons que la phrase que vous écri-
viez en terminant : « Courte ou longue, âgée ou non de neuf ans,
la Jeune Belgique n'en a pas moins été vaillante combattante, et
c'est assez».
Nous luttons souvent tous deux, pour la même cause; nos mêmes
adversaires auraient trop beau jeu si nous divisions nos propres
forces. Il y a encore de la besogne à faire, de la bonne besogne
pour fonder, en Belgique, un centre vraiment artistique et, si
nous, convions tous les artistes à un grand banquet pour fêter
notre dixième anniversaire, c'est avec l'espoir que cette fête leur
donnera n^n nouveau courage et de nouveaux enthousiasmes.
J'espère de votre loyauté, l'insertion de cette lettre dans votre
prochain numéro et vous prie d'agréer mes salutations confrater-
nelles.
\ Valère GILLE,
.\ H'irecleur de la Jeiine Belgique.
Nous insérons avec plaisir cette lettre aimable. Dès que
l'âge des ascendants s'ajoute à celui des descendants (le mort
saisit le vif), ou, plus exactement dès qu'il faut compter aux
Revues non seulement les mois de nourrice, mais aussi la vie intra-
utérine, nous nous avouons convaincus. Et ce d'autant plus volon-
tiers que, dans ce système de computalion césarienne, nous
aurions, à notre tour, le droit d'ajouter à nos ans ceux de
l'Artiste qui nous apporta ses lares, qu'il tenait de l'Art
univet'sel, qui les tenait d'un autre, qui les tenait d'un auirc,
et ainsi de suite jusqu'à cette Liberté, insolemment novatrice qui
fut fondée le 12 mars 1865 et batailla si bien liiiérairement contre
les Géronle du temps. Oh ! les généalogies ! Nous n'avions été
préoccupés que de cette phrase :^ « l'Art moderne, U7}e de 7ios
recrues » !!! C'était curieusement hardi. L'Art moderne, s'il eut
des ancêtres (on est, dit Bridoison, toujours fils de quelqu'un) a
toujours eu sa vie propre et ne fut recruté par quiconque.
Seulement, il faudra que la Jeune Belgique change la tomaison
de ses coUectipns dont le 1*' volume est 1881-1882 et non
1880-1881.
Sur ce nous souhaitons grand succès au banquet des Jeunes,
qui valent mieux que nous, déjà par cette seule raison et ce
seul. devoir qu'ils viennent après nous. -
J^OTE? DE iJVluglQUE
Le Cercle d'escrime offrira ce soir à ses membres un concert
instrumental et vocal. Au programme figurent des œuvres de
Messager, Massenel, Hillemacher, Marty, P. Le Borne, Ph. Flon,
M. Lefèvre, etc. On sait que les soirées du Cercle, dues à Tintelli-
genle initiative de son président, M. Albert FierlantSi sont toujours
très intéressantes et très suivies.
*
Signalons, pour mémoire, — un empêchement nous ayant pri-
vés du plaisir d'y assister, -^ la deuxième séance classique de la
Maison Schotl à la Grande Harmonie. M™» Teresa Carreno y a
remporté un sérieux succès de pianiste en interprétant avec beau-
coup de goût VApassionnata de Béeilioven et diverses composi-
tions de Schubert de Chopin et de Liszt. .
mme Marcy s'est fait également applaudir en chantant d'une
jolie voix un air de Hsendel, \z Sérénade inutile de Brahms, une
mélodie de Boris Schccl et deux compositions nouvelles d'auteurs
belges : Dis-moi, d'Emile Agnicz, et Le temps des roses, de
Philippe Flon.
Ces deux œuvreltes., dont la première comprend deux mélodies
(l'une, Berceuse, fut chantée, ce printemps, avec accompagnement
d'orchestre, au concert du Club symphonique), viennent d'ôlre
publiées par la Maison Schott et seront vraisemblablement, cet
hiver, sur tous les programmes de séances musicales intimes.
Le troisième et dernier concert aura lieu le samedi 18 décetnbre
avec le concours de MM. Diémer, Thomson et E. Jacobs. -
* *
La première séance de musique de chambre pour instruments
\\ vent cl piano organisée par les professeurs du Conservatoire, a
été également trèsbri liante. Les excellents inlerprèles ont donné
une nouvelle audition du Sextuor de Thuille(1)et de l'Ottettode
Gouvy, entendus tous deux précédemment. Une pri?mière exécu-
tion : âSer^Mflde pour deux flûtes, deux hautbois, deux clari-
nettes, quatre cors, deux bassons et contre-basson, — tout un
petit orchestre d'instruments à vent, — de Richard Strauss, l'un
(les plus remarquables compositeurs delà Jeu ne- Allemagne.
M'"> Elly Warnots, chargée des intermède?, s'est acquittée avec
succès de sa tâche en interprétant de très jolies vieilles chansons
et les trop souvent entendues Variations de Rode.
* *
Le premier des Nouveaux concerts, fondés depuis deux ans, à
Liège, par MM. Sylvain Dupuis et Vandenschilde, aura lieu
aujourd'hui, dimanche.
Il sera, en partie, consacré aux œuvres de César Franck, On y
entendra sa Symphonie, un Hymne pour voix d'hommes et orchestre
et le thœur des Chameliers de Rébecca. Les chœurs seront chantés
par la Légia. Le soliste, .M. Cari Hiilir, jouera le Concerto pour
\iolon et orchestre d'Edouard Lassen.
^HRONiqUE JUDICIAIRE DE? J\rT^
Les œuvres de César Franck.
Au lendemain de la mort de César Franck, M. Verdhurt, direc-
teur du ThéâtrcrLyrique, annonça une audition des œuvres du
Maître. Le concert devait avoir lieu hier, samedi; la répétition
générale la veille.
On devait entendre les Variations symphoniques pour piano et
orchestre, exécutées pyr M. Diemer, le Chasseur maudit, des
fragments de Rulli et Réilemplion, dont te rôle principal devait
être chanté par M™* Fursch-Madier.
(1) Voir V Art Moderne du 18 mai 1890.
M""» V« César Franck estima que cette exécution était beaucoup
trop précipitée et que, loin d'être favorable à la mémoire de
l'artiste, elle ne pourrait que donner de ses œuvres une idée
incomplète. Elle s'opposa donc formellement, par voie de référé,
à toute exécution.
M. le président a rendu l'ordonnance suivante :
« Nous, président, etc.. .
» Attendu que les demandeurs sont la veuve et les fils de
César Franck, récemment décédé;
« Qu'aux termes des lois qui régissent la propriété artistique
ils ont seuls, en ladite qualité, le droit d'autoriser la représenta*
tion des œuvres du défunt. |
« Que la répétition générale et le festival annoncés par Ver-
dhurt, comme directeur du Théûire Lyrique, pour ce soir et
demain soir,v'doivent comprendre l'audition de, plusieurs œuvres
de César Franck ;
« Que les demandeurs déclarent qu'aucune autorisation n'a été
donnée à ce sujet ni par leur auteur avant sa mort, ni par aucun
d'eux depuis celte mort;
« Que Verdhurt, assigné régulièrement pour l'audience d'hier,
n'a point comparu, malgré la remise à aujourd'hui, prononcée
pour faciliter la production de ses moyens de défense;
— « Qu'il n'apparaît donc point qu'il ait aucun droit qui puis^se^
contredire celui que les demandeurs licnncni de la loi;
« Que ce droit les autorise à interdire toute représentation fuite
sans leur consentement ;
« Que provision est due à leur litre;
« Qu'i] y a urgence ; \;
« Par ces motifs,
« Autorise les demandeurs à s'opposer à l'exécution annoncée
pour ce soir et pour demain sur le Théâtre-Lyrique d'une œuvre
musicale quelconque de César Franck ; et ce, au besoin avec l'as-
sistance du commissaire de police. »
Mémento des Expositions
Glasgow. — Trentième Exposition de l'Institut des Beaux-Artà
— 1.^ décembre-! 5 -mars. — Gratuité de transport pour les
artistes invités. Délai d'envoi : expiré; — Renseignements :
Robert Walker, secrétaire.
Milan. — Exposition triennale des Beaux-Arts. — l^'-SO juin
1891. -^ Trois prix de 4,000 francs chacun, fondés par le
roi Humberl, décernés à laipeinture et à la sculpture. Trois prix de
4,000 francs chacun, fondés par SaverioFumagalli, décernés à la
sculpture, à la peinture religieuse, historique ou de genre. Un
prix de4,000 francs, fondé par Antonio Gavazzi, décerné à la pein-
ture historique. Médailles ei diplômes. — Les demandes d'admis-
sion devront être adressées au président, M. Emile Visconli-
Venosta, à l'Académie des Beaux- Arts de Milan.
Paris. — Union artistique des dessinateurs. Première exposi-
tion de modèles et croquis artistiques. 1-1^ décembre, galerie
Vivienne, IS. Imagéi-ie pour chromolithographier enluminure,
décoration, pofiraii, modèle^ pour l'eji^eignemenl, illustration de
volumes, gravures de modes, illustration pour musique, modèles
pour bijouteries, fantaisies, etc. Délai d'envoi : 5 décembre.
Renseignements : M. Bruyas, galerie Vivienne, 32, Paris.
Pau. — Vingt-septième Exposition de la Société des Amis des
Arts. — 15janvier-i5 mars. — Deux œuvres par exposant. —
Gratuité de transport pour les artistes invités. — Délai d'envoi :
Notices, 8 décembre. OEuvres : 20 décembre. — Renseigne-
ments : G. Tardieu, secrétaire général.
Petite chronique
Nous avons reçu, la semaine dernière, les premières livraisons
de Irois revues fratchemenl écloses. El l'on dii que l'ârl est dans
le marasme! L'une de ces revues est publiée à Leyde (Pays-Bas),
Elle est inlilalée : Kunstkroniek, lectutir voor de huiskâmer.
Elle paraît tous les mois en fascicules in-folio ornés de photo-
gravures et de gravures sur bois. Des primes compliquées sont
réparties entre les abonnés par un tirage au sort ; service à thé,
piano, couverts en argent.., %
Une autre nous vient de Paris. C'est une publication hebdo-
madaire du format de VArt moderne et que ses parrains,
MM. Camille de Roddazel Yveling Rambaud, ont baptisée VArt
dans les Deux-Mondes. Le journal s'occupera des maître
anciens et des maîtres modernes, du bibelot, des expositions, des
collections, eic. La. première livraison contient un joli dessin de
Miss Cassatt et un croquis de J.-L. Brown par Marcelin Desboutin.
Le prix d'abonnement est de 20 francs pour Paris, de 24 francs
pour les autres pays.
Enfin, on nous adresse la Critique encyclopédique interna-
tionale, mouvement bibliographique universel, que publie tous les
mois un comité anonyme dont le rédacteur en chef sigoe :
L'Ombre d'Aristarque. Cela fait frémir. Il ne s'agit, au demeurant,
que d'un bulletin renseignant l'apparition de tous les livres...
qui seront envoyés à la rédaction, rue de Trêves, 38, h Bruxelles.
Flaubert et le noble journalisme! paroles d'Edmond de
Concourt : « Sait-on à l'heure présente que, do son vivant, la cri-
tique mettait une certaine résistance à lui accorder môme du
talent. Quedis-je, résistance? Celte vie, remplie de chefs-d'œuvre,
lui mérita quoi ? la négation, l'insulte, le crucifiement moral. Ah!
il y aurait un beau livre vengeur à faire de toutes les erreurs elles
injustices de la critique, depuis Balzac jusqu'à Flaubert. Je me
rappelle un article d'un journaliste politique affirmant que la prose
de Flaubert déshonorait le règne de Napoléon III, et je me rap-
pelle encore un article d'un journal littéraire où on lui reprochait
un style épileptique ».
Eh bien, c'est odieux, mais ça continue. Après Flaubert un
autre, et encore un autre, et encore un autre, in sœcula sœculo-
rum. Le journalisme n'est-il pas chargé de donner aux ânes leur
demi-botte de foin et leur picotin de fèves? r
M™» Jndic donnera aujourd'hui, pour ses adieux, tieux repré-
sentations à l'AIhambra, l'une, en matinée, à une heure et demie,
l'autre à huit heures du soir. Le premier spectacle se composera de
la Corde sensible (L. Thibousl^el Clairville), Joséphine (A. Millaud
et Varney), les Charbonniers (Ph.. Cille et Coste) et d'un inter-
mède. Le soir. M"™* Judic jouera Lili (A. Hennequin et A. Millaud).
L'AIhambra annonce pour jeudi la première représentation de
le Petit Jacques, drame en neuf tableaux, par W. Busnach,
d'après le roman de J. Claretie.
Le Magazine o{ Art consacre, en sa livraison de décembre, un
article de fond à M. Fernand Khnopff. L'étude est de M. Shaw-
Sparrow. Elle est illustrée d'un portrait de rarlisle et de sept
reproductions de. ses œuvres : Mémories, Portrait de Mademoi-
selle M. K., un Ange, Mon coeur pleure d'autrefois (frontispice
par Grégoire Le Roy), exposés au Salon des XX l'an dernier, la
Tfintation de Saint-Antoine,^ Etude pour « Mémories », Elude
pour « Une Sphinge ». .
Cette livraison contient, en outre, la suite de l'étude de
M. Claude Philipps sur les grands prix de l'Exposition de 1889
(Pays-Bas, Allemagne et Scandinavie), avec des reproductions
d'œuvres d'Edelfelt, Kroyer, Sinding; un article de M. Tristram
Ellis sur les murs de Constantinople, etc.
L'Ecole de m.usiqùe de Louvain exécutera le dimanche 21 dé-
cembre, sous la direction de M. Emile Mathieu, la Damnation dé
Faust de Berlioz. M. Blauwaert est engagé pour le rôle de Mé-
phisto, qui est un de ses meilleurs.
Les directeurs de l'Opéra de Paris ont eu une entrevue avec
M. Gevaert, au sujet des représentations de Fidélio qu'ils
projettent. L'ouvrage sera jouée en janvier dans la même forme
qu'il fut donné à Bruxelles.
En voici la distribution :
Léonore . . .'—^ . M"'«« Rose Curon.
Marceline Lowents (Loewensohn).
Florestan
Pizarre.
Rocco .
Jaquino
MM. Duc.
Bérârdi.
Piançon.
Affre.
Emile Bergerat rappelle dans OU Blas que des exotiques,
avides de la gloire par ricochet, passèrent jadis traité avec un
journal pour être nommés parmi les assistants de tous les dîners
de Victor Hugo ! Et que des Américaines venaient prier le grand
poêle de les aider à penpIeri'Amérique de jeunes êtres lyriques,
idylliques et dithyrambiques. Si jamais preuves de célébrité
furent données à un poète, ce sont cell;s-là. El combien agréa-
bles! "
Pour paraître fin décembre prochain chez Aug. Bénard, impri-
meur-éditeur à Liège : Henri Vieuxtemps, sa vie, ses œuvres, par
Jean-Théodore Radoux, dirocleitr du Conservatoire royal de
musique, h Liège. — Un volume illustré diî nombreuses repro-
ductions en photogravure des portraits du maître depuis ses pre-
miers débuis jusqu'à sa.mort* ainsi que do plusieurs autographes.
Les souscripteurs recevront l'ouvrage au prix de 2 francs.
Le prix de vente après la souscription sera de fr. 2-SO.
Le Japon Artistique, dans sa livraison de novembre, publie
Un Drame japonais de M. A.Lequeux, que son long séjour au
Japon a mis fort au courant des mœurs du pays.
Parmi les^planches hors texte, le Repos dans la Rizière, le
Rêve du Chat, où l'animal endormi se rappelle une .«sombre
histoire de poisson volé et de coups de bâton, un masque dont
l'antiquité remonte à plus de mille ans, une siatuette en poterie
de l'anachorète Dharma, sujet célèbre de cent légendes, etc., etc.
A propos delà pantomime, cegrand art qui se réveille et dont nous
nous sommes parfois occupés(voir l'A rt moderne Ap.?,^1 juin 4886
2 el7 octobre 1889; voir aussi notre dernier n»), un souvenir
du grand Deburau, par Paul Arène; il jouait la Pantomime de
l'Avocat : « Je le vois encore à la barre, je le vois au cours d'un
plaidoyer véhément et silencieux, jouer de la manche, pétrir sa
loque, faire exprimer à cette toque, tantôt tragiquement enfoncée
sur les yeux, laniôl audacieusement ri>jelée en arrière, tantôt
campéejur le côié avec un air de goguénaP^ise et de triomphe,
tantôt brandie à bout de bras et menaçant le jury comme un chi-
mérique oiseau noir, toutes les nuances de la passion humaine.
Je le vois encore, d'un geste exagérément passionné renverser
l'écriloire sur ses dossiers, ramasser ainsi que font les écoliers,
d'un coup de langue rapide l'encre répandue, puis de blanc qu'il
était, devenu nègre, plaider quand même, plaider toujours ».
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Dixième année. — N** 49.-
Le NUMÉRO : 25 CENTIMES.
Dimanche 7 Décembre 1890.
L'ART MODERHE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTERATURE
Comité de rédaction i Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00'; Union postale,, fr. 13.00. —ANNONCES : On traite à forfait.
Adi'esser toutes les communications à
l'administration GÉNÉRALE DE TApt Modemo, puo do l'IndustHe , 32, Bruxelles.
^M M AIRE
La Sensation artistique. — Théâtre du parc. La Vie à deux,
par MM. Bocage et De Courcy. — Théatre-Libre. Deuxième soirée.
— Documents a conserver. La mise en scène $ous Shakespeare. —
Cueillette de livres. — La musique a Anvers. — Petite
chronique.
■ LA SENSATION ARTISTIQUE
Ces jours récents, après des eflbrts d'artiste, en des
conférences, efforts pour sortir d'autres artistes de l'ou-
bli en lequel tant d'imbécile indifférence, d'ignorance
indurée les délaisse chez nous, écoutant les propos sor-
tant de la cervelle de ceux qui avaient écouté, répercus-
sion immédiate, en son de paroles, des paroles qui avaient
martelé leurs oreilles, un étonnement me prit de l'inef-
ficacité, sur la plupart, de ces œuvres d'équité, de curio-
sitéjde bon conseil par lesquelles on tente de retirer ses
frères des marecages où les maintient l'inepte direction
littéraire du quotidien journalisme. Pourtant un évi-
dent bon vouloir s'oflrant au bon conseil, un entrevu de
la bêtise lamentablement vide et de l'uniforme pauvreté
du feuilleton-critique, une conscience grandissante du
guenilleux de ces sempiternelles dissertations sur la
pièce ou le roman du jour, écrites d'une plume qui par-
lerait en cul-de-poule si elle était une bouche, évacuant
ses filandres sous les préoccupations déprimantes d'un
compagnonnage de couloirs, de salons, de tavernes ou
de bureaux de rédaction.
Eh ! quoi, de belles choses lues, tirées de l'armoire
close d'un livre édité à petit nombre, montrées pieuse-
ment, comme des joyaux précieux, des costumes rares,
des argenteries superbes. Les regards des auditeurs
fixés sur ces merveilles, regards sortant en bienveil-
lant cortège d'yeux agrandis par l'imprévu. Une
sympathie fluant et s'épandant d'un cœur tendu vers
d'autres cœurs qui désirent croire, et pour cela veulent
comprendre, malgré l'enlisement des préjugés qu'ils
sentent tout à coup croulants, de la vieille crasse d'édu-
cation bougonnement bête dont ils discernent enfin la
saleté. Néanmoins, à l'heure où, l'expérience finie, on
va les uns aux autres pour se dire, se confier les sensa-
tions, les compter, dresser le tableau de cette chasse
faite ensemble aux halliers, aux guérets de l'art,... rien!
rien (sauf de la part de quelques-uns, combien fraternels
et séducteurs), rien que les banalités cueillies « à fleur
de l'inécios »?, et cette réflexion, a i^a^^è morose : Ils
n'ont pas compris!
, , Oh ! la difficulté de sentir artistiquement ! Oh ! l'uni-
versel réfractalrè des foules à cette émotion spéciale,
divinement savoureuse et douce de l'art, cet archet, siir
une corde spéciale de l'âipe, qui manque à tant d'âmes,
luths dépareillés !
Entendre, qu'est-ce ? Le fonctionnement d'un sens,
l'ouïe. Une perception, mais si peu, si peu en sa maté-
rialité mécanique, en comparaison de cette autre, subsé-
quente, plus profonde, au plus profond de nous, dans
les fibres ultimes, dans les fibres souterraines centrales :
LA SENSATION ARTISTIQUE. Entendre! et voir, et goûter,
et odorer, et toucher, cette quintuple vie vers le dehors,
cette tentaculaire expansion vers le dehors, tâtonnant,
caressant, jouant un compliqué côlin-maillard pour
deviner, approximativement toujours, et mal si souvent,
l'ambiance de ténèbres en laquelle nous flottons. Les
cinq sens, que c'est peu, que c'est peu pour qui la vie
émotive est la vraie vie qui fait vivre ! Ce sont là des
facultés d'inventaire, emmagasinant les^otions, formant
la collection des idées, faisant le trousseau du cerveau,
l'équipant pour la journalière besogne. Mais sous, et
au delà de cette accumulation mobilière, derrière ces
premiers appartements, ces antichambres, plus loin,
plus haut peut-être, cette loge (par quels circuits, quels
corridors, quels escaliers descendants et montants) où,
quand l'idée arrive, mystérieusement transportée, et
qu'elle touche au clavier qui est là, résonne cet inef-
fable : LA SENSATION ARTISTIQUE.
Là, il y a autre chose que ces matérialités baroques :
une oreille, un riez, un œil, une langue, une peau.
Quoi? qtiel organe? de quel tissu, de quelle forme,
qu'on limiterait par quel dessin, qu'on montrerait par
quelles couleurs? Je l'ignore. Mais à l'effet, je le sens.
Il est ! Il est parce qu'il produit un ébranlement qui va
se répercutant partout dans le corps, battant au cœur,
éclairant au cerveau, faisant vibrer les nerfs, ébranlant
les muscles, infusant, diffusant partout une jouissance.
Oh! que c'est difficile à exprimer!
Une jouissance, oui, psychique et sensuelle. Différente
de toute autre. Analogue pourtant à cette autre, idéale
et brutale, que donne l'amour en ses fins dernières.
Analogue, seulement, à cette autre, citée ici par le
besoin de trouver quelque image rendant distincte
cette nébulosité du phénomène artistique en sa sensa-
tion, si réelle en son effet, presque insaisissable en sa
description, que comprendront tout de suite (ah ! quels
souvenirs !) ceux qui l'ont éprouvée, qui restera téné-
breuse pour qui n'en a jamais été secoué. Que sait
l'impubère de la jouissance erotique? Qu'en sait l'eu-
nuque?
Combien, en cela, sont eunuques. Ils verront, ils
entendront l'œuvré d'art, poésie, peinture, musique. Ils
en comprendront les mots, les couleurs, les sons. Ils
seront là en curieux, en amateurs, d'un goût très sûr,
parfois, pour dire si vraiment c'est beau; d'une compé-
tence infinie, d'une érudition despotique. Et peut-être
que, malgré ces aptitudes, ils resteront inaptes à la
SENSATION ARTISTIQUE. Lcur situa^m)/ sera celle du
curieux, de l'expert, du juge disert et froid, expliquant
tout, ne sentant pas. Les effluves de l'œuvre vue,
entendue, les envelopperont à la surface, leur colleront
à la peau, lés enroberont. Mais ce ne sera qu'une juxta-
position et non une pénétration. L'intime et profond
mélange ne se produira point. Pas d'entrée délicieu-
sement sournoise par tous les pores, pas de circulation
serpentine et capillaire glissant dans la ténuité des
veinules, de toute part, comme un glissementd'aiguilles,
en myriades, aboutissant à cette cible unique : le sens
ARTISTIQUE, cymbalo frémissant, résonnant, s'exaltant
sous leurs milliers de pointes.
Pour subir cette émotion divine, point n'est besoin
d'érudition, ni de compétence, point n'est besoin d'être
expert. Ah! comme l'expert, quand il fonctionne, met-
tant en mouvement le ronron de ses phrases et les
rouages de sa technique, apparaît piteux et malheureux
au bienheureux qui vibre encore de la sensation
ARTISTIQUE, mollissaut sous le spasme en son plein, ou
brisé (avec quelle douceur!) sous le spasme à peine
assoupi. C*est de ces impressions surhumaines que vient
à quelques-uns cette fureur pour l'art, germaine de la
fureur amoureuse. Regardez-les, écoutez-les dans leurs
émotions et leurs transports, ce sont des amants d'une
divinité invisible; ils ont le trouble, l'enthousiasme,
l'aveuglement, l'exaltation de ceux qui aiment. 11^ sont
tels, parce qu'ils ont éprouvé, pa,rce qu'ils ont l'aptitude
à éprouver, quand ils rencontrent l'art, n'importe où,
le frisson divin. Ils perçoivent ce qui reste impercep-
tible pour d'autres. Ils ont un sens de plus.
Et l'idée ou la fantaisie, leur vient parfois de décrire,
de raconter ces sensations. L'idée leur vient, en appor-
tant devant des foules les œuvres qui l^s ont fait jouir,
d'essayer si ces foulés, ou quelques uintés de ces foules,
ne tomberont pas, séduites, s 'abandonnant, dans ces
mêmes jouissances ; Ils parlent, et peu à peu, en eux
renaît la même émotion. Ils parlent, et suivent anxieu-
sement sur l'auditoire la manifestation du phénomène.
Ah ! c'est vite fait quand il y a là des êtres qui ont
l'organe voulu. Mais s'il n'y a que des castrats, des
amateurs d'anecdotes, des feuilletonistes rabâcheurs,
des poupées du bel air, des bourgeois digérateurs, des
compères Je-veux- me -distraire, pareille entreprise
n'aboutit qu'à un immense malentendu; l'émotionné
parle à des inémotionnables, et il enrage de voir qu'il
n'a qu'amusé, et que parmi les compliments dont on le
fleurit, il n'est pas une de ces grandes et chaudes
fleurs dont le parfum murmure : J'ai été ému comme
vous.
Artistes, pour qui j'essaie d'exprimer un des inexpri-
mables de notre ténébreuse nature, vous m'aurez com-
pris. Vous m'aurez compris, ai?tistes, qui produisez les
œuvres capables d'agir sur le sens artistique, comme la
^
lumière sur les yeux, les parfums sur les narines, les
sons, ces couleurs qui font du bruit, sur les oreilles.
Vous aussi, artistes, qui ne produisez rien, mais qui
avez le don de tout sentir, esthètes. Vos deux groupes,
forment le^ deux sexes de cette humanité spéciale, qui
a un sens dfe plus ; vous en êtes, leis uns, l'activité, les
autres, la passivité. Vous vous complétez. Vous êtes
faits les uns pour les autres. C'est entre vous qu'il faut
vous aimer. Chaque fois que vous tenterez de vous
mettre en union avec le vulgaire, craignez, craignez
que l'accouplement soitKridicule et stérile. Et soyez cer-
tains qu'il y aura là quelque pédant imbécile ou quelque
gouailleur,, zwanzeur ou goguenardeur, pour confondre
sa radicale impuissance à comprendre avec votre pré-
tendue incapacité, sa misère à lui avec celle qu'il vous
prête, le grotesque polichinelle.
THÉÂTRE DU PARC
La Vie à, deux, comédie nouvelle en 3 actes, par. MM. Bocage
et De Gourcy,
Commencée en manière de vaudeville, la pièce finit en mari-
vaudage, après quelques tentatives louables de se hausser au rang
d'une comédie de mœurs. L'impression d'ensemble? Celle d'unie
œuvre un peu longuette, semée de mots spirituels mal pousus,
invraisemblable, certes, et paradoxale, un tantinet péroreuse,
traversée de scènes plaisantes laborieusement amenées. Au d^ffleu-
rant : les vieux clichés, le moule traditionnel, les auteurs parlant
el prêchant par la bouche de leurs personnages, quelque chose
de très superficiel et de très faux, écrit pour la distraction d'un
instant et donl le résidu, après analyse critique, se compose de
quelques mots amusants.
Exemples : Labronchère, qui a reçu une maîtresse gifle de sa
femme, lui dit : « Tu as été un peu vive... Mais tu me le par-
donnes?»
Félicien, le valet de chambre : « Plus on fréquente les.maîtres,
plus on est fier d'être domestique ».
Tcssonnier, un type d'égoïste jouisseur, est complimenté par
son gendre sur sa bonne santé : « En vérité, vous nous enter-
rerez tous ». El lui de répondre : « Vous dites cela pour mé faire
plaisir! »
Du même : « M. de la Pa\isse, Monsieur?, c'était un homme
d'expérience! »
Une dame : « Vous êtes Parisienne? D'où? »
Et ainsi de suite.
Le thème qui sert de canevas à ces légères broderies est le sui-
vant : M. et M"** Labronchère, en se mariant, ont rêvé chacun une
existence tout autre que celle qui leur est dévolue. Le mari espé-
rait le repos, le foyer, le bien-être, les petits tête-à-tête avec sa
femme. Elle? Les bals, les réceptions, les five o' clock, les mardis
de la Comédie, lés samedis de l'Opéra, « à perpétuité le mouve-
ment perpétuel perpétuellement le même » comnie disent les
auteurs.
De là, incompatibilité d'humeur, n'excluant nullement la ten-
dresse la plus vive. Et c'est même celte affection mutuelle qui
suggère aux époux l'idée de divorcer, — et à MM. Bocage et
De Courcy la donnée de leur pièce : Madame s'efforce de trouver,
pour faire le bonheur de son cher pelil mari, une petite compagne
dans ses goûts, qu'il épousera après la séparation définitive.
Défilé de femmes bizarres, et dégringolade de la comédie de
mœurs dans les farces du Palais-Royal. Il y a, notamment, une
Espagnole volcanique que trois maris successifs n'ont pu éteindre,
une Russe plus que blette, etc., etc. Des minois jeunes, agréables,
il ne peut êlre question, car la jalousie de M™* Labronchère se
réveille soudain et les écarte péremptoirement. De son côté,
M. Labronchère, en apprenant le nom de son successeur pré-
somptif, a un accès de fureur. D'où : les époux s'aperçoivent
qu'ils s'adorent, qu'ils ne peuvent pas se passer l'un de l'autre,
el toul finit par une réconciliation, flanquée de deux unions
parallèlement amenées par les scènes accessoires.
Au baisser du rideau : trois couples heureux, et un beau-père °
qui a le veuvage gai.
C'est à Mlle Besnier qu'on a confié le rôle principal de la Vie
à deux, joué h rOdéonparM"«Réjane. L'intelligente artiste s'est
acquittée de sa tâche avec beaucoup de goût, et a trouvé dans
telles scènes un accent personnel. M. Munie, qui lui sert de par-
tenaire, manque essentiellement de distinction. Il met du moins
dans la pièce, de l'enlrain, de la bonne volontë et de la gaieté.
■ ■ . i ..
Deuxième soirée.
{Correspondance particulière de l'Art moderne)
Monsieur Bute, 3 act^s par M. Biollay. — L'Amant de sa
Femme, par M. Scholl. — La Belle Opération, i act« par
M. Sermet. .
Le cas de Monsieur Bute pourrait peul-êlre', à un spectateur
ingénieux, suggérer celte constataiion discutable et en somme-un
peu décourageante : 11 n'y a des criminels — le crime n'étant à
travers des circonstances qui le favorisent ou l'imposent, que
l'expression visible et le prolongement en la vie d'un instinct
mentalement préexistant dans le passé de l'être qui le commet —
il n'y a des criminels que parce que tous ceux qui portent en eux
le tacite ferment du crime ne peuvent point être Bourreau, c'est-
à-dire que tout homme né avec une prédisposition à l'homicide
ne peut pas donner à cet instinct un exutoire légitime et légal
que la société confisque à son profil el donl elle ne concède la
faveur qu'à un petit nombre de privilégiés.
Dans la pièce de M. Biollay, Monsieur Fraulin,^ exécuteur ima-
ginaire des hautes œuvres, nous apparaît comme un homme tran-
quille, une sgrle de fonctionnaire intermittent, un peujmorose,
qui raisonne son art tout en ayant conscience du préjugé qui
l'environne. Il le considère un peu comme un sacerdoce — et en
cela il est peut-être hypocrite envers lui-même, car il appert de
réticents aveux qu'il confie à un reporter qui l'interviewe, qu'il y
prend un certain plaisir amer et comme répondant à deâ affinités
natales, plaisir mélangé de doutes sur la validité de sa^ mission
— et le regarde comme un métier difficile et méritDire, exigeant
une aptitude qu'il se reconnaît et unejexpérience dont il est fier
et qui le rassure contre certaines ajfaques dirigées contre lui par
suite de l'inévitable concurrence(^t auxquelles il est en butte,
comme toul personnage officiel ; aussi est-ce un coup cruel
quand une lettre lui apporte la nouvelle de sa révocation.
Au deuxième acte, M. Fraulin, sous le non) de Bute, a transporté
vers Saint-Mandé ses « pénates », car il en a qui se composent
d'une gracieuse fille, d'une servante dévouée et d'un mobilier
bourgeois où le piano sonne sous de calmes gravures et parmi de
larges fauteuils. •
Mais le bonhomme est triste et malade, en proie à la nostalgie
de son ancien privilège et abattu par la violence dont se confirme
une habitude brusquement contrecarrée, en proie aii désir de
revoir une exécution. Un collègue amical lui promet de raVerlir,
mai^ l'avertissement arrive un soir que, malade à la suite de
troubles nerveux, suspecté de démence par le médecin, il est
gardé à vue par la vieille bonne. Quant, il la croit endormie, il se
lève et s'habille, mais, voyant la porte fermée sur son désir de
maniaque, rué par l'instinct mystérieux qui avait fait son destin
et qui reparaît, il tue sa gardienne., mettant à profit, pour son
compte, l'innéilé constitutionnelle qu'un sage régime d'occasions
à l'exercer légalement n'atténue plus.
L'intérêt que prend le spectateur à la reconstitution exacte et
scrupuleuse comme celle-ci d'une psychologie exceptionnelle, est
de sorte assez simple. Il se rattaché à la curiosité qu'on a de la vie^
privée des êtres inabordables et que la majesté Ou la singularité
d'une fonction nousempêche d'imaginer en leur quotidien.
Ne serait-on point ravi d'apprendre que M. Got est jardinier.
N'aimons-nous pas à pénétrer par l'anecdote dans les particularités
de la vie d'un Hugo et à visiter les petits appartements de Ver-
sailles pour y ressaisir quelques traits de la réelle vie des grands
ou touchants fantômes évanouis ?
La pièce est en somme assez intéressante, mais il y manque ces
lueurs ironiques dont quelque génial Villiers aurait su illuminer
ces ténèbres d'âme et ces contradictions et que ne remplacent que
mal et imparfaitement quelques mots, çà et là, qui portent par
allusioq au delà du moment du drame et éveillent quelque écho
en l'indéchiffrable dé l'être en jeu.
La pièce de ftl. SchoU est d'une si douce incohérence qu'elle
désarme toute mauvaise humeur et amuse un instant, d'indécences
assez gaies. ' ' "
C'est un simple dialogue ou des gens Se répartissent un certain
nombre de bons mots qu'a mis à leur disposition l'auteur.
Ce n'est pas qu'en ce genre on ne puisse faire de délicats débats
d'esprit où la langue française fournirait ses éléments d'éiincelle-
ments, ses brisures, son froufrou léger et que M. Antoine excelle-
rait à mettre en valeur de sa voix brève, qui passe, insiste.
Quant à la Belle Opération, j'ai cru pouvoir me dispenser d'y
assister, me croyant autorisé à n'y voir que le développement
logique et final de l'histoire de M. Bute, où l'opérateur serait lui-
même opéré. R.
DOCUMENTS A CONSERVER
LA MISE EN SCÈNE SOUS SHAKESPEARE
Toutes les pièces de Shakespeare sont injouables dans les con-
ditions présentes des théâtres parisiens!
Injouables davantage encore que la Princesse Maleine, qui
pourtant va donner du fil à retordre à M. Antoine: je ne vois
guère, par exemple, réalisant sur la scène du Théâtre-Libre le
passage important du drame de M. Maeterlinck où des cul-de-
jatte épouvantés marchent sur leurs mains en criant : « Il n'y a
rien! Il n'y a rien !»
Mais c'est bien pis avec Shakespeare. Couper quelques-uns des
tableaux de Ses pièces ou en réunir plusieurs en un seul, c'est
défigurer complètement le caractère de son œuvre. Shakespeare,
n'a d'originalité que par cette course incessante, heurtée, fantas^
que, de petits dialogues saisis au passage. Si l'on s'en tient aux
péripéties saillantes de ses drames, ce sont d'autres drames que
l'on fait : les tirades les plus passionnées et les cris les plus tra-
giques n'ont plus absolument la portée qu'il leur avait donnée.
Encore le plus sage dans ce cas est-il de procéder hardiment,
comme, faisait Ducis, et de nous offrir, au lieu du drame anglais,
une tragédie ou un mélodrame français : car du moment que ce
n'est pas Shakespeare qu'on nous fait voir, à quoi bon effriter
l'intrigue et nous énerver par de nombreux changements de dé-
cors? Reste à donner des pièces anglaises telles qu'elles sont,
avec leurs petites scènes se succédant toutes les dix minutes. Or,
c'est cela même qui est impossible chez nous : songez seulement
à l'argent qu'il y faudrait dépenser !
Au temps de Shakespeare, la chose allait de soi. 11 y avait alors
à Londres deux sortes de théâtres : les théâtres publics, où les
spectateur? étaient à découvert, et les théâtres fermés, où l'on
était à l'abri. Mais dans les uns, comme dans les autres, tout
l'appareil scénique consistait en des tréteaux que l'auditoire entou-
rait de trois côtés, tandis que le quatrième aboutissait à une por-
tière, unique voie d'entrée et de sortie des personnages. De décors
il n'était point question ; les acteurs avertissaient le public du lieu
où ils étaient supposés se trouver. « Nous transportons mainte-
nant rrotre scène à Southampton », dit le chœur dans la pièce
de Henri V.
Quelques années plus tard Shakespeare put faire jouer ses piè-
ces sur un théâtre déjà très perfectionné. Dans ce fameux théâtre
du .Globe, construit en 1596, il y ^vait deux scènes séparées par
un rideau, l'une, plus grande, en avant de l'autre. Les conversa-
tions, confidences, monologues, etc., se jouaient sur la scène
antérieure, sans décor, le rideau baissé; lorsque devait venir un
épisode d'action, le rideau s'écartait et l'on apercevait la scène du
fond, avec parfois une toile peinte figurant l'endroit. Un balcon
situé au dessus permettait les escalades, sauts par dessus les murs,
rendez-vous à la fenêtre, etc. Mais, en somme, le public conti-
nuait à se figurer les décors, au lieu d'exiger qu'on les lui fît voir,
et ainsi Shakespeare pouvait multiplier les changements de scène
sans crainte d'appauvrir la caisse du théâtre. Aujourd'hui le public
et M. Sarcey lui-même se fâcheraient si l'on abusait de leur ima-
gination jusqu'à leur offrir pour tout décor un programme imprimé
ou un avertissemciit du régisseur. Et voilà comment les drames
de Shakespeare sont devenus injouables chez nous.
• ■-*
Chez nous et dans tous les autres pays, excepté dans la patrie
du poète : c'est naïufellement l'Allemagne que je veux dire. L'An-
gleterre a pris Hsendel aux Allemands, mais ceux-ci se sont rat-
trapés en s'appropriant Shakespeare. On joue bien Macbeth et
Othello dans les théâtres de Londres : on les y joue à peu près
comme les pantomimes de Noël, avec des coupures pratiquées au
hasard, un grand déploiement de mise en scène et l'exhibition
d'acteurs favoris. L'autre jour encore les deux grands premiers
rôles shakespeariens de Londres n'ont-ils pas soulevé l'enthou-
siasme de la salle en lançant un bonnet et une fiole sur le nez
d'un critique influent, au lieu de faire tranquillement les morts
d&as h scène da tombe^iU de Roméo et Juliette!
En Allemagne, au contraire, Shakespeare est l'auteur national
•î^as^
par excellence. Je pourrais ciier comme argument le nombre infini
d'ouvrages allemands qui lui sont consacrés : mais on sait qu'il
n'y a pas un sujet auquel n'ait été consacré un nombre infini
d'ouvrages allemands. Vous pouvez lire toute une bibliothèque
sur la seule question de savoir* si le roi-Marke était jeune ou vieux
lorsque Wagner l'a fait traiter par sa femme et son neveu de la
façon qu'on connaît.
Mais il n'en est pas moins certain que Shakespeare est autre-
ment aimç en Allemagne que Gœthe ou Schiller. C'est lui qui,
pour toute âme allemande, représente l'idéal de l'homme de génie.
C'est lui que lisent et apprennent par cœur les jeunes filles senti-
mentales ; j'en ai vu qui avaient dans leur chambre un grand buste
de Shakespeare entre un petit Schiller et un petit Mozart. Sur dix
théâtres de drame qu'il y a à Berlin, il arrive souvent que huit
jouent le même soir des pièces de Shakespeare, et quelles pièces!
Les tragédies historiques sur les rois d'Angleterre, les comédies,
les féeries les plusextravagantes.
Il était donc naturel que l'Allemagne se décidât la première à
ressusciter le vrai Shakespeare. M. Porel, qui aime les voyages,
et qui, plus consciencieux que Shakespeare, est allé à Venise
pour préparer Shylock, devrait bien aller à Munich avant de mon-
ter le prochain drame shakespearien qu'il nous tient en réserve.
Sur la scène de l'Opéra de Munich, il verrait jouer les pièces de
Shakespeare exactement telles qu'elles sont écrites, sans la moindre
«oupure ni réunion de deux tableaux en un seul.
Voici, en quelques mots, l'historique de cette innovation. En
1887 un des critiques les plus lettrés et les plus sagacesde l'Alle-
magne, M. Rodolphe Gênée, fit paraître, dans un journal de
Munich, deux articles où il se plaignait du développement non
pas exagéré, mais inintelligent qu'on avait donné aux décors dans
les théâtres modernes. 11 réclamait une organisation de la mise
en scène^mieux appropriée au suj.et, faisait l'historique du théâtre
depuis lé moyen-âge, insistant sur les avantages de la double scène
du théâtre du Globe, et citait enfin un projet de l'architecte ber-
linois Schinkel, projet destiné à rendre possible la représentation
complète des drames de Shakespeare. Ces deux articles émurent
l'intendant des théâtres royaux de Munich, M. de Perfall, qui mit
résolument à l'étude le projet de Schinkel.
Le !*"■ juin 1889 l'Opéra de Munich donna la première repré-
sentation du Roi Lear sur ce qu'on appelait la nouvelle scène.
La méfiance d'abord, puis la surprise, enfin l'enthousiasme furent,
comme tous les sentiments en Allemagne, unanimes. On accourut
départent : le théâtre de drame royal de Berlin suivit l'exemple
de l'Opéra de Munich, et il n'est pas une grande ville eu il ne soit
pas question aujourd'hui d'imposer l'heureuse invention.
Cette invention n'est en somme que le retour à la double scène
de Shakespeare. 11 y a à Munich deux scènes, l'une en avant, la
scène ordinaire du théâtre, large de treize mètres et demi;
l'autre, derrière, large seulement de huit mètres et haut de
six mètres. La scène antérieure est séparée de l'autre par un
rideau : lorsque ce rideau est fermé, elle a l'aspect d'une grande
salle toute de couleurs sombres et d'allures sévères. C'est là que
se jouent tous ces courts tableaux qui doivent se passer dans des
salles inâétérminéeâ, tableaux qui tantôt préparent, tantôt entre-
coupent, pour les rendre plus saisissants, les tableaux d'action
dramatique. Ces tableaux sitôt finis, le rideau s'ouvre.
La scène antérieure, maintenant, n'est plus que le premier plan
de la scène du fond : celle-ci apparaît toute claire et brillante,
avec un décor peint que l'effet perspectif du rétrécissement de la
scène met en pleine valeur. Lorsque le lieu de l'action change,
ou bien on baisse le rideau, et le tableau suivant se joue sur la
scène antérieure, ou bien on éteint les deux lampes électriques qui
éclairent la scène du fond. Les décors sont tous peints sur un.
rouleau, comme,- à Bayreuth les fameux décors de la Marche au
Graal ; l'insiant d'après on rallume- les lampes, et un nouveau
décor apparaît. •
Telle est, en résumé, la nouvelle scène de Munich. On voit
qu'elle exige peu de frais et peu de travail. Deux heures suffisent
pour monter et démonter l'appareil complet. Mais ce que je ne
saurais trop affirmer, c'est la supériorité énorme de cette scène
simplifiée sur nos mises en scène les plus somptueuses au point
de vue de l'illusion dramatique. Est-ce l'effet de la perspective,
ou de la petitesse du cadre, ou de ce changement incessant qui
empêche de réfléchir? Toujours est-il que le trône du roi Lear,
les murs crénelés du palais de Goneril, les côtes de Douvres sous
la tempête apparaissent aux spectateurs avec une réalité poignante
et irrésistible.
J'ajouterai que la beauté et le charme des yeux y. trouvent leur
compte. Réduit à un petit espace, le décorateur est plus libre de
mesurer, de varier ses efi"ets : chacun des tableaux de la pièce est
pour ainsi dire une véritable peinture de genre, où il lui est pos-
sible de combiner la pose des personnages avec les nuances des
costumes et les tonalités du décor. Aux décors des trois pièces
que j'ai pu voir ainsi jouées, /g Roi Lear, Henri V et Goelzde
Berlichingen, il manquait seulement un peu de bon goût pour
être des choses très belles.
Après cela, j'ai bien peur que cette impression ne soit celle d'un
profond agacement et d'un terrible ennui. Car la nouvelle scène
de Munich est curieuse el jolie, mais là même il faut être Alle-
mand pour avoir le courage d'entendre telles qu'elles sont les
pièces de Shakespeare. Tronquées ou arrangées, ces pièces per-
dent leur sens; jouées sous leur vraie forme, elles sont insuppor-
tables. Je ne sais rien de plus vexant que ces dialogues arrêtés,
puis repris, ces intrigues se croisant, ces monologues 6ù l'on
entend répéter une heure durant la même plainte ou la même
imprécation.
Shakespeare était un homnr.e de génie, mais ses pièces ont été
écrites pour être jouées sur des tréteaux et pour amuser un public
sanguin et ignorant de grossiers badauds anglais : à cela les plus
beaux raisonnements ne pourront rien faire. Nous ne sommes
plus les destinataires de ces prodigieux ouvrages.
Téodor DE Wyzewa.
fîUEaX-PTTE DE LIVRE?
Poèmes flamands et poésies diverses, par Franz Foulon. —
Un vol. in-12-de 114 p., Gand, Ad. Hoste, 1890.
Il y a^dans ces poésies, principalement dans les Poèmes fla-
mands, une très louable tendance à chercher l'inspiration dans
les choses mêmes du pays, dans les mœurs et les paysages fami-
liers, dans les aspects variés de cette terre flamande, dont les
lointains horizons, ourlés de leur dentelle vaporeuse d'arbres et
de clochers, ont tant de charmes pour qui sait les regarder avec
un œil d'artiste. '^ . ■' ^
Cette intime communication du poète avec la nature el les
objets connus dès l'enfance l'a bien servi et a mis, dans quelques-
unes .de ses pièces, une saveur de terroir qui leur prête l'attrait.
toujours soOvcrain, des impressions personnelles réveillées dans
le souvenir. Lç Cordier, les Dentellières, les Géants, Bannières
sont de petits tableaux bien flamands, et la Vieille ville, en dépit
de quelques imperfections faciles à corriger, apporte î« la pensée
toute la mélancolie des grandeurs perdues :
Assise trist«ment au bord du morne fleuve
A ses pieds déplié comme urr coin de linceul, '''
Pleurant un grand passé qui l'emplissait d'orgueil,
La ville d'autrefois meurt solitaire et veuve.
En vain, elle a voulu, comme sa sœur plus neuve.
Aux siècles qui venaient rouvrir un large accueil ;
Elle s'est résignée et rentre dans son deuil.
Trop faible désormais et lâche sous l'épreuve.
Elle a vu ses enfants la quitter tour à tour;
Elle n'a plus de foi, plus d'espoir, plus d^amour...
Ses toits se sont voûtés sous un ennui Sans cause.
La cloche de ses tours pleure son lent trépas
Et son beffroi s'étire, anxieux et morose,
Vers des cieux incléments qu'il ne reconnaît pas.
,.(?)
Escales et abordagfes, poésies par le docteur Emile Valbntin.
— Uii joli petit volume in-24 de 122 p. numérotées. Namur, Jacques
Godeime, 1890.
Le père du docteur Valentin fut officier de marine avant d'ôtré
syndic des huissiers de l'arrondissement de Namur. Le livre lui
est dédié :
D'expéditions périlleuses
Sorti sain et sauf. Dieu merci.
Tu fis des escales joyeuses,
Parfois de bien tristes aussi.
C'est, du reste, le seul aspect marin du recueil. Les abordages
sont purement terrestres :
A un directeur de pensionnat. r
Ernest, ta modestie exquise
T'g fait écrire une bêtise.
Tu pouvais en meilleur français,
Pour l'honneur de « ton » athénée.
Clamer bien plus haut les succès
De « tes » élèves cette année!...
Et le port est en paradis ;
Oh ! ne prions plus pour son àme.
Mais bien plutôt demandons-lui . _
"^ D'intercéder pour nous, Madame :
Elle nous protège aujourd'hui I
Et puisque vous fûtes si bpnne
Pour elle en ce triste montent,
Au port suprême, Dieu vous donne
D'aborder aussi doucement ! ,
Ainsi soit-il!
LA MUSIQUE A ANVERS
Concerts populaires
{Correspondance particulière de l'Art moderne).
Après le Théâtre-Lyrique, la création de. Concerts populaires.
C'est à croire que nôïis vivons ailleurs !
Additionnez aux concerts existants : Concerts du Conservatoire,
de la Société des Artistes musiciens, de la Vieille Société de
musique, de la Société de symphonie, les Concerts de l'Har-
monie et ceux organisés par le Cercle artistique, cela fera au
total, si nous ajoutons les diverses soirées de musique de chambre,
de la musique tous leë soirs.
Maintenant défalquons les Concerts de l'Harmonie et du Cercle
arlistique dont il n'y a rien à dire, si ce n'est qu'ils sont la joie
des familles. Au moins, on y poiine librement sans s'exposer aux
récriminations d'auditeurs. Tout le monde y est de bon ton. •
En pluç, les autres sociétés nous dispensent trop souvent d'as-
sister à leurs concerts exclusivement consacrés à des gloires
locales. ou à des jŒ^Vres archi-connues.
D'où, la joie que nous ne cachons pas depuis la création du
Théâtre-Lyrique el des Concerts populaires. '
Avec cel appoint inespéré, la vie musicale de cet hiver ne peut
manquer d'être exceptionnellement attractive et intense.
Nous sommes particulièrement attirés vers ces Concerts popu-
laires et, si tout le monde fait son devoir, ils n'auront pas grand
mal à se préparer une brillante existence. L'orchestre met un réel
enthousiasme à aider l'initiative de son directeur, M. Arthur Wil-
ford. El lui, de son côté, nous semble animé d'un beau zèle et
conscient de sa responsabilité.
Aux deux premiers programmes, on pataugeait un peu. Peiit-
élre influences à se ménager, critiques locaux à bien disposer ?
En somme, programme envahi plutôt que choisi. Au troisième, il
y a eu revanche et toute dignité : la Symphonie en sol de Haydn,
la si caractéristique Sérénade pour instruments à cordes de Beet-
hoven, du Gluck comme principaux numéros!
Nous mettons toute notre confiance en la pensée qui guidera la
composition des prochains concerts.
L'exemple n'est pas loin d'une pensée de distinction et d'Art
pur qui y présiderait.
Il faut, pour que ces Concerts populaire^ aient leur raison
d'être, qu'ils se vouent à ceux qui sont des inconnus, ici, quoique
acclamés et classés ailleurs ; aux Jeunes, aux novateurs surtout !
Il faut qu'à côté des suprêmes œuvres classiques, les modernes
trouvent belle place. Il faut surtout aller droit aux types, aux
générateurs des nouvelles écoles musicales.
Faudra-t-il passer par toute la suite des sous- Wagner avant de
voir Wagner lui-même au programme? El de quelle complaisante
musiquette arrosera-t-on notre impatience avant de nous faire
entendre cette troublante musique russe el Scandinave? Celle si
vaillante et si vitale Jeune École française dont : les Vincent
d'Indy, les Fauré, les Chabrier et les autres que les .STAT ont révé-
lés en Belgique, devra-t-£lle faire le pied de grue devant tous les
Masscnet et tous les Godard de France et de Navarre ?
Avant tous noms étrangers que je cite, qu'on prenne des nôtres,
je veux bien. Peut-il y avoir moment plus opportun pour faire con-
naître, à Anvers, un certain César Franck ; après, pourrait-on
appeler l'aitenlion du public sur l'existence, parmi nous, de Franz
Servais.
11 est dévolu à M. Wilford cle faire une belle œuvre, et mieux
vaudrait la voir échouer, après l'avoir glorieusement tentée, que
de la voir aboutir et perdurer, comme tout ce qui nous entoure,
médiocrement.
f ETITE CHROJVIIQUE
Le Théâtre de la Monnaie a donné jeudi la prcniière nouveauté
de la saison. Et elle a été bien inspirée en montant la Basoche
d'André Messager, dont nous avons dit le retentissant et légitime
succès à Paris (1). L'ouvrage a beaucoup plu par la gaieté du
livret et le vif attrait de la musique, — qui est d'un compositeur
maître de son art. Nous reviendrons dimanche prochain sur celte
{i) Yoiv FArt moder}îe dvL 22 juia dernier.
inl<^ressan(e représcnlaiion, dont rinterprétalion el la mise en
scène n'ont rien laissé à désirer.
Les répétitions de Siegfried font espérer, à ce qu'on nous
affirme, une très bonne interprétation, spécialement en ce qui
concerne les deux personnages principaux, Siegfried (M. Lafarge)
el Brunhilde (Mi^^Langlois). Tous les rôles sont sus et on a com-
mencé à les répéleKsur la scène. QuanXà l'orchesire, M. Franz
Servais a termine les r^étilions partielles au quatuor el de l'har-
monie et va entreprendreJes éludes d'ensemoi^. On compte être
entièrement prêt pour la firKdu mois.
Voici la distribution complète de l'ouvrage. Ellè\n'a, croyons-
nous, pas encore été publiée :
Siegfried .... . . \ . . MM. Lafar^ç^.
Wolan . . . . T . . \. . ^ Bouvet. \
Mime . .... . . . \ . Isouard. \
Alberich . . . . . . . \ . Badiali.
Fafner . . .\ Challet.
Brunhilde • • _ M"»" Langlois. \
Erda. < . • . . ... • . Morelli.
L'oiseau de la forêt . . . . . Carrère.
M'"^ Cosima Wagner a promis d'assister h l'une des premières
représentations. >
Le succès de noire compatriote Ernest Van Oyck dans Manon,
à Vienne, a élé, nous écrit-on, triomphal. L'artiste abordait pour
la première fois un rôle avec dialogues : il s'est moniré aussi bon
comédien que chanteur excellent.
Aux revues nouvelles que nous avons annoncées dans noire
dernier numéro, s'ajoute : La Revue Belge illustrée (mensuelle)
d'art, de lUtératurc, de musique, publiée sous la direction de
M. A. de Nocée. La première livraison contient un dessin de
M. de Rassenfosse, des illuslrations de M. Berchmans, pour une
nouvelle de M. Melmaur, des croquis d'Am. Lynen, pour un conte
dé M. Gheldre, une vignette de M. Binjé sur des vers de
M. Giraud, el, en supplément, un article sur le Salon, une chro-
nique littéraire, etc. Bureaux : rue Siévin, 93. Abonnement :
Safranes par série de dix numéros.
Lé conseil communal, réformant la décision du collège, a
accordé aux Concerts populaires la disposition du théâtre de la
Monnaie. Voici donc l'inslilulion sauvée. AU ivell that ends well.
Les membres du collège se sont d'ailleurs, sans peine, ralliés
à leurs collègues du Conseil. Jl y a parmi eux des hommes qui
ont toujours défendu les Concerts et que seule la crainte de voir
la Monnaie privée brusquement, au milieu de la saison, de sa
direction, avait contraints de voter comme on sait. Et parmi eux,
précisément, M. André, échevin des Beaux-Arts, qu'on a injuste-
ment transformé dans cette àff'aire en Croquemilaine décidé à
détruire l'œuvre artistique de Joseph Dupont.
En attendant les grandes auditions symphoniques du Conserva-
toire et des Concerts populaires, les séances intimes de musique
de chambre battent leur plein. Chaque jopr fleurit d'une affiche
nouvelle les vitrines des marchands de musique. "
Demain soir, première séance organisée au Palais de la Bourse
par la nouvelle Société de musique de chambre avec le concours
de M"" Julia Milcamps. Au programme : un quatuor à cordes de
Mendeissohn, le quintette de Schumann, la sonate pour piano et
.violoncelle de Grieg, etc. Interprètes : M"»* Lefebvre-Moriamé,
MM. Laoureux, Coëlho, Hans et Sansoni.
jeudi, à la Grande-Harmonie, soirée musicale el littéraire
organisée par M. Maurice Chômé, chargé de cours au Conserva-
toire.
Samedi, à la Grande-Harmonie également, troisième et der- ,
nière séance classique avec le concours de MM. Diémer, Thomson
et.Ë, Jacobs.
Mercredi 17 courant, concert donné dans la Salle Marugg par
M"* M. BouRÉ, cantatrice, avec le concours de MM. SmEesters,
Vandenheuvel, Van Isterdael, etc.
Exposition AU « Cerclé artistique», -v M. Coenraets — non.
J'ignore si l'on a déjà, dans l'Art moderne^ parlé de ce peintre
nominalement, mais "que de. fois on a cité dè\ses tableaux signés
par Pierre et Paul et tous si lamentablement les mêmes.
M. Van Overbeke. Certes, sur un échelon supérieur à celui où
perche M. Coenraets. Mais que dire ? Tout cela c'est de l'art de
Messieurs X frères et C'®.
M. Hagemans a serré ses aquarelles en des cadres de chêne el
leur a donné un faux air de tableaux. Le diable c'est que ces
carrés dé papier paraissent, grûce à ce délimilage trop fort et
lourd, incontestablement creux el vides.
Les aquarelles de M. Hagemans, trop sommaires et trop habi-
les, séduisent néanmoins. On sent une main exercée, quelqu'un
qui' sait choisir dextrement un sujet lui convenant, un artiste d'en-
semble pour lequel le détail, la minutie et la grâce bibeloitière
ne sont guère de valeur en cet art un peu joujou de l'aquarelle.
A Anvers. — Àprè^ une conféreiice donnée au Cercle artisti-
que, M. Victor Wouters, président, a réuni chez lui des amis
choisis et des dileltantes el des peintres et des hommes de lettres.
Réunion nombreuse à laquelle la maîtresse de la maison,
j|me Woulers, a fait charmant et gracieux accueil.
On a enlfendu un phénomène, la petite Paiirparé, étonner le
piano lui-même sur lequel elle jouait, tant étaient agiles et sûrs
ses petits doigts tricotant des noies. Celte fillette extraordinaire,
tôle assez grosse, bras charnus, corps de foraine, tignasse fruste,
avait l'âge qu'on voulait. L'air d'une grande personne diminuée
jusqu'à la taille d'un enfant. C'était un gosse de trente ans.
M"* Soutens-Flament, qu'on applaudissait aux XX, jadis, a
chanté d'une voix nette, pleine et parfaite, quelques mélodies.
M. Blockx l'accompagnait.
Et Milenka s'est mis tout à coup à entrechoquer ses sabots, fai-
sant regretter que l'on n'entendît pas un vieil air de carillon, bien
flamand, lui répondre, au loin, dans la nuit.
IPaul GinistY, très attentif critique de Gil-Blas, écrit : « J'avais
oïlvert, un peu au hasard, un petit livre, intitulé -.Des couples l
signé d'un nom qui m'était inconnu : celui de M. Maurice Leblanc.
J'ai pris plaisir à le lire. Je ne prétends pas « découvrir » un
humoriste, mai^s je constate une verve assez curieuse, une moque-
rie h froid arrivant à des effets de comique particulier, une viva-
cité'qui est caractéristique chez ce nouveau venu. Il y a là quel-
ques très plaisantes histoires. C'est, par exemple, celle d'un
petit bourgeois provincial qui a été oulrageusement trompé par
sa femme. Sa mésaventure a fait grand bruit et lui a valu une
sorte de célébrité. Peu à peu, on oublie la cause de cette célé-
brité, qui lui demeure; on nese souvient plus que c'est le ridi-
cule qui a vulgarisé son nom, et il se transforme tout doucement
en grand homme local ; il peut aspirer aux honneurs municipaux,
il arrondit ses afiaircs ; il est écouté, consulté, respecté, envié.
Sa fortune est faite... C'est aussi l'histoire d'un veuf qui, avec
attendrissement, élève la fille de sa maîtresse, pour que celte
gamine soit, quand le moment sera venu, la « petite amie » de
son fils, à lui. De celte façon, ce sera très touchant, on restera
« en famille »... On dirait des scénarios de pièces pour le Théâlrc-
Libre. » i
n
PAQUEBOTS-POSTE DE L'ÉTAT-BELGE
LIGNE D'OSTENDEDOUVRES
La plus courte et la moins coûteuse des voies extra-rapides entre le Continent et T Angleterre
Bruxelles à Londres en .
Golog^ne à Londres. en .
Berlin à Londres en .
8 heures.
12 V2 "
20
Vienne à Londres en.
Bftle à Londres en.
Milan à Londres en
36 heures.
20 n ^
32 -
XROIIS ISE]RVICE:i^ I^ilLR «POUR
D'Ostende à 5 h. 15 matin, IM. 10 matin et 8 h. 31 soir. — De Douvres à midi 05, 3 h. soir et 10 h. 15 soir.
xr/%ve:]^i^ée] erv XROiis HEURES
PAR IeS NOUVEAUX ET SPLENDIDES PAQUEBOTS
Princesse Joséphine, Princesse Henriette, Prince Albert, La Flandre et Ville de Douvres
partant jourjjipllement d'OSTENPE à Si h. 15 matiA et 11 h. 10 matin; de DOUVRES à niidi 05 et 10 h. 15 soir.
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Pour tous renseignements s'adresser à la Direction de l'Eorploitation des Chemins de fer de l'État, à Bruxelles, à l'Agence générale des
Malles-Poste de V Etat-Belge, Montagne de la Cour, 90^, à Bruxelles ou Gracechurch-Street, tfi 53, à Londres, à V Agence de Chemin* de fer
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-v*- "»
y
Dixième année. — N* 50.
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 14 Décembre 1890.
MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
— — ^ . ■ }■
Comité de rédaction » Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 1Q.00 ; Union postale, fr. 13.00 —ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser toutes les communications à - —
l'administration GÉNÉRALE DE l'Art Modome, ruo de l'Industrie, 32, Bruxelles.
Sommaire
. I .
Lbs marbres du Parthénon. — La Basoche. — Salon des Aqua-
rellistes. — La mise en scène sous Shakespeare. — Nouveaux
Concerts a Liéok — LiTTiiRATURE réclame. — Chronique judi-
aAiRE DES Arts. Madame Bovary. Un mari dans les coulisses.
— Mémento des Expositions. — Petite chronique.
LES MARBRES DU PARTHÉNON
On publie qu'un comité s'est formé, à Londres, dans
le but net de créer une agitation pour faire rendre par
l'Angleterre à la Grèce les marbres du Parthénon.
Que cela soit, nous ne lë"^ souhaiterons jamais avec
assez de violence. L'idée en est haute au point qu'on a
peine à y croire. Ce peuple de marchands et d'accapa-
reurs ne serait donc pas \e\ que les idées toutes faites
l'ont défini. Il serait grand jusqu'à reconnaître ses
torts et restituer ses vols qu'on ne lui redemande même
pas. Dans ce Londres, que parmi nous tant d'artistes
admirent jusqu'à lui demander la maison spirituelle oiï
ils conçoivent et réalisent leur art, il se rencontrerait
des gens et des esthètes assez purs pour écraser le bour-
geois intérêt national sous un rêve de soudaine justice
magnifique? Un progrès décisif dans la conscience
publique, certes. Et pour celui qui l'examine sous tel
angle, ce fait est de ceux qui marquent un temps.
On sait, qu'en ce siècle commençant, lord Elgin (1),
profitant de son crédit là-bas ot usant d'habileté et de
ruse, embarqua, un beau matin, les blocs de génie où
Phidias avait taillé son immortalité humaine. Il les
dirigea vers le Nord. Le droit du plus fort les main-
tient à Londres. Les protestations passèrent comme des
vols de mouche. 'On les dissipa avec quelques gestes au
bout desquels un poing était tendu.
Au British Muséum, ces débris furent alignés sur
des socles de bois, en une salle morne. Actuellement,
on les a piédestalés de granit. L'effet est quelconque.
Taillés pour être vus à quinze mètres de haut, on les
présente à niveau d'épaule, et les copistes, avec leur
crayon, viennent mesurer les orteils de Demeter et de
Coré. La beauté de ces groupes est tuée net. Le rêve qui
habitait leurs plis de robe en fut. chassé par la brutalité
même de la montre. Ce sont choses hors de leur milieu,
hors de leur cadre. Là-bas, sous leur ciel, elles étaient
grandies et comme apothéosées et même elles semblaient
plus belles encore parce que ruines; ici, elles ne sont
qu%àves sous un hangar.
(1) Chateaubriand écrit au cours de son voyage en lonie : « Un
moderne vient d'achever par amour des arts, la destruction que les
Vénitiens avaient commencée Lord Elgin a perdu le mérite de ses
louables entreprises (il a étudié la Grèce et fait beaucoup de fouilles)
en ravageant le Parthénon. Il a voulu faire enlever les bas-reliefs de la
frise; cour y parvenir, dés ouvriers turcs ont d'abord brisé l'àroLi-
trave, jeté bas les chapiteaux et rompu la corniche ».
wr
Dernièrement, au Musée des échanges, la surprise,
nous est tombée dans les yeux de voir la restitution du
fronton athénien tout à coup surgir. On a reconstruit
ce couronnement de portique tel qu'il est là-bas, en
Grèce, et les moulages des statues ont pris place à leur
place. L'effet est énorme. Le grand hall où sont repré-
sentés Verrochio, Michel-Ange, Kraft, Goujon, où
s'épanouissent des chefs-d'œuvre indous, romains et
gothiques ne semble glorifier qu'un homme : Phidias.
Son fragment de temple domine et écrase tout de sa
beauté. Le reste n'est qu'accessoires et revêt je ne sais
quel caractère de fantaisie et de bibeloterie. Il faut se
reprendre à cette admiration trop haute pour regarder
lartombe desMédicis et les bas-reliefs de Nuremberg. Il
semble que l'art.pour s'en venir chez les modernes soit
descendu d'un Thabor, -
Ceux que le voyage a menés vers Athènes et sur ce
sommet d'acropôJe dévasté par les Turcs et les Véni-
tiens en ont rapporté, un éblouissement qui leur sera
soleil, leur vie durant. Ces ruines de Propylées, ce
temple de la Victoire, cet Erecthéon et, surtout, ce Par-
thénon cassé, fendu, troué, mais debout comme une
idée qui ne peut pas mourir, font seuls comprendre la
suprématie de l'art grec. Il est une loi de régression
constatée en science qui affirmé :\certaines adaptations
et certains progrès ne peuvent se manifester qu'en un
concours de circonstances favorables à telle heure.
L'heure passée, ce développement ne peut se reproduire
semblable, même si les mêmes besoins d'adaptation se
nécessitaient. Il se réalisei'a autrement peut-être, mais
jamais similaire. : -^^ :^ ^ — :_- l
Il semble que cette loi s'avère en art, également. Au
v« siècle avant le Christ, il s'est trouvé en un pays
choisi, sous un climat glorieux, en des paysages de
montagnes où l'homme se lève proportionnel au milieu,
des artistes qui ont compris toutes ces concordances.
L'art y a réalisé un progrès que plus jamais il ne réali-
sera peut-être, et dussent les mêmes circonstances se
présenter, qu'il ne réalisera, certes, jamais telles. Donc,
l'art grec reste unique. On ne doit plus et ne peut plus
le recommencer. Objet d'admiration totale, il serait
'illogique qu'il devînt objet d'imitation oU' qu'il servît de
modèle. Tel est-il et tel s'affirme-t-il grand plus pure-
ment, parce que pratiquement inutile, si pas nuisible.
Mais, précisément à cause de sa signification faut-il,
pour le juger, son ciel et son site. Il est che^- lui à
Athènes, il est en exil ^'importe où ailleurs. Il y a
sacrilège et profanation dès qu'on arrache une pierre
d'un monument, fût-ce pour ]a monter en or. Certes, les
musées conservent, bien qu'en des villes où, à certaines
époques, lep communes sont souhaitables, on s'inter-
roge sur leur sécurité. Toujours, pourtant, par le fait
même d'enfermer les chefs-d'œuvre en des armoires ou
en des salles, on les déshonore. Qu'ils restent sur place.
Là, du moins, si la mort vient, ils mourront de le.ur
mort à eux.
Consolant est-il, au point qu'une certaine fierté en
rejaillit sur tout homme qui pense, de voir en cette fin
de siècle une nation ou du nioins quelques citoyens de
cette nation comprendre ce respect qu'on doit aux choses
d'art. L'Anglais, si en tout à coup d'ombre et de lumière,
si en-noir et clair comme une eau-forte de Rembrandt
ou ^n dessin de Redon^ s'impose le plus surprenant
des peuples. Les contrastes se heurtent chez lui en de
telles cassures de haute intelligence et de bas égoïsme
qu'il en est tragique, normalement. On l'aime et on le
hait en même temps. Mais il passionne quiconque et
toujours à travers sa toute crasse de lucre et son
fumier d'hypocrisie, des fleurs poussent belles et naïves
comme s'il sentait se lever en lui, lui, si vieux, une
magnifique âme d'enfant.
LA BASOCHE.
En nionlanl la Basoche, les direcleurs de la Monnaie reclou-
laieni, dit-on, « l'opposiiion des wagnéristes ». \
Crainte frivole, inquiétude folle,
ainsi qu'on chante dans les Noces de Figaro. Ce sont, pré-
cisémenl, ces farouches wagnéristes qui ont fait à l'œuvre nou-
velle d'André Messager l'accueil le plus sympathique. Et s'il est
quelques opposants (oh! fort peu, d'ailleurs!) ce sont les sempi-
ternels grincheux qui croient nécessaire de ronchonner chaque
fois qu'on leur sert, au lieu du filet Gbdard traditionnel, quelque
relevé assaisoniré de façon nt)uvelle, dont s'accommode mal leur
estomac débile.
N'augurez pas de là que la Basoche recèle une révolution
esthétique ou que, nouvelle Muette, elle incite à l'émeute. Non!
11 s'agit d'un retojjr au type le plus pur du vieil opéra-comique
français, au patron classique des œuvrettes dont le librettiste
fournit an compositeur une vingtaine de prétextes à airs, k duos,
à trios, à chœurs, à chansons à boire, à préludes et à interludes,
voire à quelques pas dansés. Et c'est tout.
Mais ce vieux moule, André Messager l'a singulièrement
rafraîchi par l'écriture pimpante de sa partition, par son inspira-
tion aisée, par le soin particulier avec lequel il a fouillé, buriné,
ciselé l'instrumentation.
C'est, pour une oreille d'artiste, un^musement de toute
la soirée que cet orchestre spirituel, ironique parfois, distingué
toujours, soulignant les quiproquos, les situations comiques,
l'imbroglio de l'intrigue. Et fréquemment la muse de M, Messager
s'attendrit, et voici qu'en de très jolies inspirations d'un tour
archaïque Clément Marot chante des vers charmants, accueillis
par toutes mains baUanles. ' ^
L'impression que fil sur nous /a Basoche à Paris (1) n'a point
faibli à Bruxelles. C'a été, en cette « première » mémorable, la
seule de la saison, une vraie joie, un régal aimable, une -saveur
d'art frais traversant inopinément les sauces rances et les miro-
tons aigres qui composent l'ordinaire de la maison.
(1) Voir VArt moderne du 22 juin dernier.
Il y eut quelque effroi. Celle Basoche aux allures de bonne fille,
enjouée el lesle, scandalisa quelque peu les carialides de l'abon-
nemént, — vieux messieurs à l'air grave, ou jeunes messieurs à
l'air 1res vieux. S'imaginaient-ils que Messager eûl déchaîné l'or-
cheslre de Bayreulli pour accompagner des cortèges d'éludiants
cl de folles chansons? Croyaienl-ils sérieusement (loul est pos-
sible) que la Basoche fût une divinité Scandinave, sorte de Wal-
kyiie francisée, qu'on dût nous montrer dans des nuages de
vapeur, avec récitatifs austères, prélude mystique et chœurs
religieux ?
Le mot de la soiréç^élé dit à la sortie : « C'est trop amusant,
cela ne plaira pas ! » El de fait, quand il s'agit de décider les
gens à s'amuser, c'est, chez nous, la besogne la plus laborieuse
qui soil.
Les musiciens, toutefois, l'ont emporté sur les messieurs graves
cl sur les jeunes petits messieurs très vieux. Et on leur a tant dit
que la Basoche était une œuvretie charmante, qu'ils ont fini par
en convenir. Actuellement, on accumule les représentations. Si
on pouvait en donner deux par jour, une l'après-midi et une .
autre le soir, on ne manquerait pas de le faire. Et le caissier ne
s'en plaindrait pas.
Quant à ceux qui, avec des mines dégoûtées, insinuent que
« notre première scène lyrique » ne devrait pas accueillir des
oeuvres aussi légères, renvoyons-les, sans phrases, au Chien du
Jardinier, au Maçon, à le Bouffe et le Tailleur.
L'interprétation? Bonne dans l'ensemble^ M"« Nardi, la plus
délurée et la plus artiste de la troupe, donne une physionomie
drôlichonne au rôle de Colette, joué -à Paris avec quelque senti-
inentalité par M"® Molé-Truflfier. Jolie voix, gestes espiègles,
beaucoup d'entrain et de gaieté. C'est elle qui mène la pièce, qui
reposait à Paris sur M™« Landouzy. Ici, la reine, c'est M"«Carrère,.
une reine distinguée, de prestance élégante, dont malheureuse-
ment la voix n'a pas toujours autant de justesse que sa personne
a de charme. M. Badiali est un Clément Marot bien en voix et bel
acteur, sympathique, séduisant, incarnant à merveille son person-
nage et balançant à cet égard la création qu'en fit M. Soulacroix.
Mais ce pauvre duc de Longueville, échu en partage à M. Chap-
puis, a éprouvé un cruel revers. Il est très aniusant, M. Chappuis,
il est drôlement grimé, il fait des gestes plaisants et (ies mines
parfaitement comiques. Mais il n'a plus de voix, plus de voix du
tout. De telle sorte que tout ce que chantait à Paris M. Fugère,
de sa, voix tonitruante, disparait à Bruxelles et s'absorbe dans les
grimaces du titulaire. Nous aimerions bien d'entendre ce que
M. Messager a écrit pour le vieux duc. Ne pourrait-on charger
quelque chanteur de nous faire cette révélation? M. Isnardon,
par exemple, n'a-t-il pas quelques loisirs depuis la fermeture du
Théâtre-Lyrique? 7'
Quant aux chœurs, à l'orchestre, tout a marché très convena-
blement, et nous supposons que M. Messager n'aura eu qu'à se
louer de l'interprélatton.
SALON DES AQUARELLISTES
Ce pelitévénement artistico-mondain annuel : l'ouverture du Salon
des Aquarellistes, s'est passé, cette fois, sans bruit. La Coiir, empê-
chée par un anniversaire funèbre, s'est fait excuser, et la Ville est
restée les pieds sur l'âtre. Aussi, pourquoi ces changements de
saison?C'étail joli, jadis, l'ouverture du Salon aux Pâques fleu-
ries, avec le sourire du soleil d'avril sur les toilettes déjà claires.
Le froid, le gel, les fourrures, les manchons, les paletots, les
ganis de laine jurent abominablement avec les frôles et légers el
blancs whalmans teintés de couleurs tendres.
Car c'est vers les nuances délicates que vont, de plus en plus,
les aquarellistes, à la suite des Stacquct, des Uyltersehaut, des
Binjé, qui étalent sur de souples surfaces des tons d'éventail et
d'écran. C'est une imagerie que celte exposition, une jolie ima-
gerie radieuse de colorations gaies, mais dans laquelle on
cherche vainementl'œuvre d'art, l'œuvre qui donne la sensation
artistique dont récemment encore nous parlions, et sans laquelle
il n'est point d'Art.
Oui, à la veille des éirennes, le salon des Aquarellistes apparaît
un peu comme le dépôt de tous les Figaros illustrés, de tous les
Chrislmas numbers, de tous les Paris-Noël et autres albums en
couleurs.
De ci, de là, une note émue : tel Clair de lune de Binjé, bai-
gnant de clartés bleuâtres des futaies reflétées dans le miroir d'un
lac, tel Pêcheur de Meunier, debout, en manière de s^inl Georges,
à la proue de sa barque rentrant au chenal, voiles\ déployées.
Mais l'œuvre? l'œuvre? la composition longuement méditée, con-
çue avec amour, jaillie en traits définitifs, jalonnant la route de
l'Art d'un point de repère immuable? —
Nous espérions la trouver en Mellery. Mais le catalogue^ seul
annonce sa présence, et les murs du Salon l'attendent vainement,
de même qu'ils attendent Fernand Khnopff.
Il faut se raballre sur les jolies imageries, et caresser de l'œi^
au passage, quelques intérieurs, agréablement colorés (nous
allions écrire coloriés), de Taelemans, de petites scènes militaires
d'Abry et d'Hubert, d'humoristiques mais un peu lourds Coins
d'atelier des frères Oyens, deux Vues dif. Palais de Justice
par Jean Bacs, dans lesquelles la précision du tire-ligne de l'ar-
chitecte s'unit à la liberté du pinceau de l'aquarelliste, deux
petites études d'Eugène Smils, un lot considérable de paysages
signés Den Duyts et Hagemans. Reste la série des sous-Staquet-
Binjé-Uytterschaul, déjà nommés : les Hermanus, les Thémon, les
Tilz, les Seghers, qui marchent avec une ponctualité désespérante
dans les traces' de leurs aînéis.
Tout cela est peint avec facilité; c'est plein de ficelles et de
trucs, c'est ingénieux, habile, même parfois amusant à regarder.
Mais ce qu'il en reste dans la mémoire?....
El dehors, aux vitrines où le gaz s'allume, aux montres des
Dielrich, des Kiessling, des Rozez, l'exposition continue, épar-
pillée en Christmas-Numhers, en Figaros illustres, en Paris-
Noël, dans la débandade des livres d'étrennes en maroquin rouge,
montrant-des luisants de tranche dorée....
LA MISE EN SCENE SOUS SHAKESPEARE
L'article de M. de Wyzewa que nous avons publié dans notre
dernier, numéro nous a valu plusieurs communications intéres-
santes. Voici, notamment, une lettre qui combat quelques-unes
des appréciations .dé M. de Wyzewa. Bien qu'elle n'ait pas été
destinée à la publicité, nous croyons qu'elle est de nature à inté-
resser vivement nos lecteurs. La question dont elle s'occupe est
importante ; elle mérite à tous égards d'être discutée.
MOM CHER M...,
Vous reproduisez un article de M. de Wyzewa, intéressant,
certes, à bien des points de vu<% mais là, vrai, j*en suis révolté
et encore révolté. M. de Wyzewa ne se croit pas « destinataire de
l'art de Shakespeare », vt je n'en doute pas un instant. Mais cet
axiome suffii-il à prouver tant et tant d'idées qui abasourdissent
une naïve dévotion?
Le théâtre de Shakespeare n'est pas à mes yeux le théâtre
idéal, mais je l'admire avec ferveur, et, comme les fervents sont
les pciits-fîls de Don Quichotte, il me pla|t assez de venir discuter
ici. C'est que, voilà! je fus aussi, moi, en ce brave Munich des
Munichois, et j'y vis du Shakespeare, ou du moins ce qui restait
de Shakespeare après le massacre. J'en vis aussi à Dresde et,
franchement, la comparaison est désastreuse pour Munich. Je
vous le dis bien vite : à Dresde on fait des coupures exaspé-
rantes, mais comme on en fait partout (exemple : la scène des
Nornes dans Gùtterdammerimg !). On s'y attend un peu et l'on a
. maudit longtemps d'avance les cis^eaux oificiels. Au moins la mise
en scène esï-elle remarquable, l'illusion quasi parfaite, les acteurs
souvent excellents. La scène du Conseil dans 0//tc//o, par exem-
ple, est d'une merveilleuse grandeur, et puis, enfin, en général,
ils ont le souci de h\ plastique et du geste choisi selon le décor,
ces Saxons amputeurs !
Tandis qu'à Munich!... Ces bonnes gens sont adorables, tant il
y a de bonhomie dans leur bêtise. Les portes de ville peintes à
fresque, la grosse Bavaria, les palais romains et les trois ordres
architecioniques de la Grèce, tout cela est merveilleux parce
qu'on est dans le pays delà Hofbràuhaus-i que les Munichois ont
l'air de grands écoliers en vacances, et qu'ils vous laissent en paix
cultiver votre belle âme en vous appelant Herr Professer. Mais
■ quand ils se mêlent d'art plastique! Et c'est bien ici d'art plas-
tique qu'il s'agit. Oui, ils s'en vont à dada sur une idée (ah!
nada, nadada !) comme un bébé sur une canne, et alors ils sont
terribles, car un Munichois qui a l'idée n'est plus un Munichois.
Ils ont donc voulu inventer un nouveau Shakespeare, avec de
beaux habits tout neufs, et ont réalisé une scène dans la scène,
une sorte de grand morceau de carton percé d'un grand trou avec
draperie; et d'autres trous, pareillement drapés, à gauche, à droite,
au dessus, partout où l'on a pu. Devant cela règne la vraie scène,
et la plus grande trouvaille, c'est que, entre la scène et le mor-
ceau de carton, il y a un escalier. Là dedans sedénriènent les per-
sonnages. On soulève la draperie du fond, un bout de toile
peinte apparaît, tandis que le grand carton et les divers petils
troirs restent immuables. Quand la scène change, on change la
petite toile, et tout est dit.
Maintenant., imaginez-vous, par exemple, la scène de la lande
dans King L^-ar (car j'ai vu précisément ce Roi Lear dont M. de
Wyzewa admire tant l'ordonnance). Le roi paraît à l'orée du grand
trou, dont le cadre le serre de trop près et lue toute ligne; puis,
il y' a un personnage sur l'escalier, qui parle du vent et de la
tempête ; et le roi descend aussi l'escalier, grelottant sous la
bourrasque, dit-il, tandis qu'en somme il est entouré par le con-
fortable mur de carton et les non moins confortables draperies
qui bouchent les trous. L'escalier et les draperies, dans celte
lande solitaire, sont du plus merveilleux elîel, vous le devinez, et
la scène, ainsi conçue, est saisissante....,
il est aussi très instructif, disons hygiénique, de voir ces mal-
heureux perdus en pleine campagne soulever la draperie d'un des
petits trous du grand carton, pour fuir encore dans la nuit et le
vent,, etc., etc., etc.
Quant à la scène finale, c'est plus salutaire encore. Il y a, oui,
une assez belle lente, décorée de motifs imprévus. Le grand trou
a l'air bon enfant et les draperies aussi sont bonnes filles ; alors
éclatent des accords d'une harmonie toute moderne, cependant
qu'apparaît la princesse, reine de France, escortée de drapeaux
tricùlpres. Or, \inse\x\ roi de France, que je sache, adopta les
trois couleurs, et il en appert que Cordélia avait épousé Louis*
Philippe (qui, du reste, fit tant pour magnifier la majesté royale!).
Le grand carton reste impassible,-— il en a vu bien d'autres, —
mais moi pas, et je n'ai pas trouvé cela « d'une réalité poignante
et irrésistible », comme l'insinue M. de Wyzewa qui fait semblant
de ne pas rire.
Non, vraiment, autant la mise en scène est surprenante pour
les œuvres de Wagner, à Munich, autant elle est ratée, ratée,
ratée, pour ce qui concerne Shakespeare. Le raisonnement ne
devrait-il pas montrer, d'ailleurs, l'inanité d'innovations comme
celle-là? Oui, Shakespeare la conçut, et joua des pièces dans ce
cadre qui était un progrès... Mais dans quel sens, ce progrès?
Evidemment dans le sens du décor plus adéquat à l'action, d'un
certain réalisme ■ — vous entendez bien ce mot, — • d'un pas en
avant vers l'illusion scénique; et, s'il voulut un décor, même
fragmentairemenl, plus parallèle à ses actes, il est logique de
conclure qu'il eût préféré la mise en scène complète de Dresde,
par exemple. Les spectateurs, habitués à l'absence du décor, -
trouvaient en l'inxlicaiion partielle de celui-ci un, plus précis res-
sort de rêve, voilà ! Mais s'ils avaient connu nos théâtres mo-
dernes, ils n'eussent jamais redemandé le grand carton, malgré
ses Irons et ses draperies, et malgré son adorable escalier.
Si l'on voulait restituer aux pièces de Shakespeare leur cadre
archaïque, il fallait y aller plus rondement, supprimer toute toile
et laisser les spectateurs construire Chacun en soi-même le ducal
palais ou la forteresse de toutes pierres en lesquels devait se mou-
voir l'action. Ici, le peu de décor indiqué empêche d'en créer
idéalement un autre; c'est un empêcheur de rêver en rond, rien
de plus.
Voilà, m^on cher M..., tout ce que j'avais à vous dire. Peut-
être Irouverez-vous en ce.s lignes télégraphiques, mais longues!
quelque document à rencontre de ceux que vous avez conservés
jusqu'ici; mais, bien entendu, ceci n'est pas une lettre à insérer,
la forme en fait foi, et n'allez plus me faire de vilains tours! (1)
Bien amicalement à vous.
Nouveaux Concerts à Liège.
{Correspondance particulière de l'Art moderne).
Avec une ardeur certes méritoire, MM. Sylvain Dupuis et Van-
denschilde luttent contre la presque unanime indifférence des
Liégeois en matière d'Urt. Qu'importent les soins apportés dans la
composition des programmes et dans l'exécution, qu'importe la
présence d'un virtuose de talent, encore inconnu chez nous; le
public liégeois dort de son léthargique sommeil !
pimanclic encore, c'est devant un groupe trop restreint d'audi-
teurs que l'orchestre, dirigé par M. Sylvain Dupuis, a exécuté la
symphonie en l'é de César Franck. Déjà, en son numéro du 5 mai
1889, l'Art moderne a analysé cette'grande œuvre, exécutée pour
la première fois à Paris le 28 avril de la même année.
Faut-il en rappeler le haut caractère? Poignante par l'âpreté et
(1) Pardon, cher ami, votre lettre est très instructive, et c'est à
nos lecteurs que nous jouerions un tour en ne la publiant pas.
la complexité des scnliments, inspirée des aspirations les plus
hautes, elle plane, sans jamais descendre, dans les régions les(
plus élevées de l'art. Rien en surface, une musique toute en pro-
fondeur, grande d'austérité, et, nécessairement, à beaucoup inac-
cessible.
L'orchestre avait été bien travaillé par M. Dupuis. Il a exécuté
la symphonie avec beaucoup d'ensemble, de nuances et de clarté.
L'interprétation du Lento nous a particulièrement frappé.
L'orchestre s'est d'ailleurs distingué, cette fois. 11 a joué de
maîtresse façon l'Introduction du troisième acte de Lohengrin.
Dans VHymne, d'une grande envergure, dédiée à Sylvairi Dupnis
par César Franck, il a parfaitement soutenu sa partie à côté des
chœurs de la Lëgià.
Les mêmes chœurs ont chanté avep une impeccable mais un
peu froitie correction le chœur des Chameliers de Rébecca [César
Franck), d'un pittoresque saisissant.
Le virtuose, un Tchèque, M. Cari Halir, a joué le Concerto pour
violon d'Edouard Lassen, qui, après la symphonie de Franck, a
iparu de mince valeur.
M. Halir a de la vigueur, beaucoup d'habileté, une vibrante
animation. Par l'ampleur et la pureté du son il rappelle son
maître, Joachim. Mais il n'a de lui ni l'imposante sévérité, ni la
pénétration. C'est par la chaleur, par l'exubérance de vie qu'il
brille surtout ; aussi a-t-il plu davantage dans son interprétation
d'une rapsodie de Liszt et d'une danse de Brahms.
IITTÉRATURE RÉCLAME
DrumonI, dans sa Dernière bataille ou sa France Juive,
raconte que les Rothschild ont un budget de la presse (trois mil-
lions, si nous nous en souvenons) qui sert à leurs réclames finan-
cières et à leiffs réclames mondaines, à exalter tantôt la charité
de celle des baronnes qui s'adonne aux hôpitaux, tantôt le talent
de celle qui s'adonne aux aquarelles, à parler des hautes qualités
des hommes de leur. tribu, et de la suprême beauté de leurs
femmes. Sur le vaste clavier du journalisme, dans le monde entier,
retentissent ainsi de temps en temps des nirs, mis en train par
ces prodigieux virtuoses.
D'autres y vont par simple amour du reportage. Voici un
curieux exemple de l'art littéraire s'ingéniant à l'exaltation du
cabolino-sémilismc. Vertu el finance, Providence et coffre-fort,
brillants de l'esprit et brillants des joailliers, course de chevaux el
course de la vie, — un méli-mélo kaléidoscopique invraisemblable
C'est extrait de l'Indépendance belge ;
« On peut compter Shakespeare parmi les morts de la semaine
à côté de lady Haonah Rcsoborry, enlevée par la fièvre typhoïde
à l'amour de son mari et de ses quatre enfants, et h l'idolâtrie
des pauvres, el inhumée loin de son, magnifique domaine de
Mentmore qu'elle-même avait meublé de bibelots tels que les
tapisseries du cardinal Mazarin et la cheminée de la maison de
Rubens. Fille unique du baron Nalhaniel Meycr de Rothschild,
elle était la quatrième ou la cinquième des femmes de cette
grande maison qui eussent épousé des chrétiens, chose assez
gênante pour les antisémites et' leur théorie de la non assimilation
des juifs. Elle meurt en pleine jeunesse el en pleine beauté,
avant que ne soit éteint, -dans les souvenirs du high life, le sou-
venir de son brillant mariage avec le jeune et populaire lord
Rosebcrry, mariage dont aucune « saison de Londres » n'a vu le
u-
pendant depuis 1878. La voilà enveloppée d'un linceul, quand
on n'a pas encore cessé de parler du voile de dix-huit mille francs
qu'elle portait le jour de ses. noces, et des cinquante millions
qu'elle apportait en dot à son mari. Et elle mérite bien les regrets
qui la suivirent. Car, chose rare, chez celle femme opulente, le'*
cœur était d'or aussi ; elle était la Providence des pauvres, mais
une Providence particulière souvent tout à fait anonyme. Comme
maftresse de maison, elle poussait la gr&ce hospitalière jusqu'à
contenir les brillants de son esprit, pour laisser se faire valoir,
tout à leur aise, ses invitées el invités, de même qu'elle n'humi-
liait jamais autrui par l'étalage des brillants de ses oreilles, de
son cou ou de ses poignets. Ardemment intéressée à la fortune
|)Olitique de son mari, elle ne sut jannais se résoudre, comme lady
Randolph Churchill el d'autres grandes dames du monde britan-
nique, à se transformer en orateur de meeting ou en agent élec-
toral, pour faire avancer les intérêts de l'époux. C'était la vraie
grande dame, de charme simple, au pur et discret rayonnement,
d'un type qui se perd par l'invasion de l'américanisme, et les
multiples alliances de la haute aristocratie décavée de l'Angle-
terre avec les filles des richissimes fabricants de saucisses de
Chicago. Son père, qui possédait une grande écurie de courses,
avait donné son nom d'Hannah à une de ses juments qui gagna
les Oaks en 4871. Un-prince" du Sang télégraphia au baron
de Rothschild, le priant de féliciter sa fille. Elle eut de l'ennui
el du chagrin de voir son nom mis en évidence sur le turf. Et
c'est à cause de cette réserve, de celte horreur du tapage que,
mariée, et la plus riche des quinze ou vingt femmes qui font les
honneurs des grands salons anglais, elle est arrivée bonne pre-
mière dans l'estime 'des gens, cotée plus haut que quiconque
dans la course de la vie. » --'''.
Après ce chef-d'œuvre, nous ne dirons pas : tirons l'échelle !
car il s'agit d'une échelle de Jacob, tellement haute qu'elle semble
imbougeable el monte à des régions si proches des grands cieux
où trône la Flagornerie, que des derniers échelons « on entend
péter les anges », selon un vieux dicton flamand.
pHRONiqUE JUDICIAIRE DEg ^RT3
Madame Bovary.
M. Commanville s'est, on le sait, au nom des héritiers de Flau-
bert, opposé à ce qu'on jouûi au théâtre la pièce tirée par
M. Taylor de Madame Bovary.
11 fut question de représenter cette pièce au Théâtre-Indépen-
dant dont le caractère semi-privé, à l'instar du Théâtre-Libre, fit
croire à Kauteur qu'il était, là du moins, à l'abri de toute interdic-
tion.
Tel n'a pas été l'avis du tribunal civil de la Seine, qui, le
4 juin dernier, décida que \\. Taylor n'avait pas plus le droit de se
passer d'autorisation au Théâtre-Indépendant que partout ailleurs,
et la Cour vient de confirmer celle décision, par arrêt rendu le
4 novembre.
« Attendu, disait entre autres le jugement, que, sans doute,
un écrivain peut, dans l'intimité, donner communication d'un
travail quelconque à sa famille et à ses amis; qu'une semblable
communication ne touche à aucun intérêt étranger el est protégée
d'ailleurs par l'inviolabilité du domicile; mais qu'il en est autre-
ment quand la production d'une œuvre littéraire se fait dans une
assemblée où l'on appelle des étrangers, des personnes qui ne se
connaissent pas, des représenlants de la presse, en un mol, lors-
qu'il s'agit non plus d'une distraction domestique, mais d'une véri-
table épreuve en partie publique à laquelle une œuvre littéraire
est soumise, qu'à ce moment tous les droits de propriété qui
sont attachés à l'œuvre ainsi produite peuvent se faire valoir;
«Attendu que le Théâtre-Indépendant a ses abonnés; que la
presse est convoquée aux représentations; qu'un certain public y
est admis; qu'il s'agit dès lors de représentations publiques aux-
quelles les auteurs ou coauteurs des pièces jouées peuvent s'op-
poser : que la défense faite par Commanvillii est donc légitime. »
Un mari dans les coulisses.
Le mari d'une actrice a-t-il lo droit de pénétrer, contré- la
volonté du directeur, dans les coulisses du théâtre et dans là loge
de sa femme?
La question a été posée devant le juge des référés par M. de
Ladrière, mari de M"* Verheyden, première chanteuse légère au
Grand-Théâlre di; Lyon, autrefois aliaohée au théâtre de la Mon-
naie.
M« Chapuis, avoué du mari, a simplement fait valoir la cou-
tume.
M« Pondeveaux, avoué du directeur, a soutenu l'incompéience
du juge dos référés, en faisant observer qu'aux termes de son
eng,ngemont, approuvé par son mari, M"« Verheyden s'était
engagée îi respecter toutes les clauses du cahier des charges
imposé par la ville et, par suite, celle relative à la police générale
du théâtre, qui interdit l'accès de la scène à toute personne étran-
gère.
M. Longchamp, président du tribunal, a renvoyé sa décision.
Mémento des Expositions
Glasgow. — Trentième Exposition de l'Institut des Beaux-Arts.
— - 1.^ décémbre-dS mars. — Gratuité de transport pour les
artistes invités. Délai d'envoi : expiré. — Renseignements:
Hoheri Walker, secrétaire.
Milan. — Exposition triennale des Beaux-Arts: — l^f-SO juin
1891. — Trois prix de 4,000 francs chacun, fondés par le
roi Humberl, décernés à la peinture et à la sculpture. Trois prix de
4,000 francs chacun, fondés par Saverio Fumagalli, décernés à la
sculpture, à la peinture religieuse, historique ou de genre. Un
prix de 4,000 francs, fondé par Antonio Gavazzi, décerné à la pein-
turé,historique. Médailles et diplômes. — Les demandes d'admis-
sion devront être adressées au président, M. Emile Visconti-
Venosta, à l'Académie des Beaux- A ris de Âfila7i.^
Pau. — Vingt-septième Exposition de la Société des Amis des
Arts. — 15 janvier-15 mars. — Deux œuvres par exposant. —
Gratuité de transport pour les artistes invités. — Délai d'envoi :
20 décembre. — Renseignements : G. Tardieu] secrétaire
général.
pETITE CHROJ^iqUE
La direction de la Monnaie a engagé, pour quelques représen-
tations, M"« Richard, qui débutera demain dans la Favorite. Il
s'agit d'apprécier si la cantatrice, qui depuis cinq ans s'est tenue ^
l'écart du théâtre, produira l'impression qu'on espère. On prépa-
terait alors, expressément pour elle, une reprise d'Aîda.
Don Juan suivra. Il est question aussi d'une reprise de Lohen-
grin, réclamée avec insistance. M™» deNuovina serait chargée du
rôle d'Eisa, et M. Lafarge ferait un superbe Lohengrin. La façon
9
dont il a chanté les Adieux au Cygne, au concert des- Artistes
musiciens, donne toute sécurité au sujot de son interprétatino
du héros.
Quant à , Siegfried, on a fixé provisoirement la date du
27 décembre pour la première représentation.
Terminons par une grosse indiscrétion : M. Jean de Reszké
viendra, à la fin de la saison, donner quelques représèptations.
La chose est décidée, mais, chut ! c'est encore un secret.
Le Petit Jacques, après avoir, jadis, mis en émoi les mouchoirs
ixellois, révolutionne les bas quartiers de Bruxelles. Et c'est, à
l'Alhambra, chaque soir, une obstinée recherche du véritable
assissin, à travers les péripéties judiciaires les plus compliquées,
Faut-il ajouter qu'on découvre l'auteur dus crime au moment
précis où la victime (volontaire, c'est la note nouvelle), d'une
erreur judiciaire monte à l'échafaud, — à temps (merci mon
Diou!) pour suspendre l'exécution et sauver l'innocence. Dans
le Petit Jacques, l'assassin, c'est le juge d'instruction. Où allons-
nous! où allons-nous! si la magistrature elle-même n'est plus à
l'abri des soupçons
UEnfant prodigue a installé pour quelques jours ses lares au
théâtre des Galeries. Poussora-t-il la sincérité de son rôle jusqu'à
rentrer, repentant et contrit, au théâtre Molière qui a abrité sa
jeunesse?
Il interrompt les représenlalions de la Grande-Duchesse, doni
la reprise a été brillante. Sur les affiches du théâtre Molière,
lOgre allonge des majuscules énormes, d'une suggestion pleine
.d'effroi. Et le cirque Wulff ratisse impitoyablement les recettes du
théâtre du Parc, subitement descendues, en compagnie de la Vie
à deux, dans les régions basses dont M. Jourdan seul connaît les
mystères glacés. Le député Leveau, présenté hier au public, les
fera-t-il remonter?
Maurice Maeterlinck vient de terminer un nouveau drame, les
Sept Princesses, qui promet d'égaler, sinon de dépasser, en
intensité et en charme poétique la Princesse Maleine et les
Aveugles. 11 y fait application d'une théorie particulière sur l,a
mise en scène, la plantation du décor, l'éclairage, etc. Et l'élé-
ment plastique joue dans son œuvre, plus encore que dans les
précédentes, un rôle capital. -
La «pousse des feuilles» continue. Deux revues nouvelles nous
sont nées, l'une à Paris, l'autre à Bruxelles. La .première prend
pour titre : La vie franco-russe. Elle paraît tous les jeudis, en
livraisons de seize pages. On y trouve des articles et des repro-
ductions de Paul Adam, Jules Bernard, Paul Verlaine, Léon
Cladel, Tolstoï, M™» Pachkof, etc., et des dessins signés Willette,
Forain, Meurein, HioUe. Il y a du bon et du médiocre, du mau-
vais et du pire. Deux livraisons ont paru. Attendons, et espérons.
Les bureaux? Rue Gréiry, 3, Paris.
La seconde n'a d'autre prétention que d'être une gazette de
théâtre et de sport. Elle arbore sur une manchette copieusement
illustrée de chevaux de courses, de vélocipèdes, de danseuses, de
figures symboliques, ces mots -.La Coulisse théâtrale et sportive.
En sous-titre : Moniteur des attractions sportives et mondaines de
la capitale et des villes d'eauxJ)elges et étrangères. Son domicile :
rue Saint-Lazare, 3, à Bruxelles.
L'Association des professeurs d'instruments à vent donne
aujourd'hui, à 2 heures, sa deuxième séance musicale. Au pro-
gramme : Sérénade pour flûtej violon et allô. Trio pour deux
hautbois et cor anglais, Qiiintelte en, mi b pour piano et instru-
ments à vent, — le tout de Beethoven. M"»» Cornélis-Servais
interprétera diverses compositions de Mozart, Schubert et Brahms.
M™* Moriamë-Lcfebvre s'est, au premier concert^e^ 4a -S'od^/^
de musique de chambre, affirmée pianiste de bonne école, respec-
tueuse des auteurs qu'elle interprète. On a applaudi son jeu ner-
veux, l'expression vraie dont elle l'aninoe. Un quatuor d'instru-
mentistes, MM. Laoureux, Coëlho, Hans et Sansoni, l'a médiocre-
ment secondée. L'ensemble, et même la justesse, ont laissé à
désirer. M"« Milcamps, assez mal disposée, n'a guère produit
d'impression. En résumé, la séance est demeurée dans les tons
gris, indécis, et fait souhaiter mieux.
La dislribution des prix aux élèves de l'Ecole de musique de
Sainl-Josse-len-Nôode-Schacrbeek aura lieu le samedi 27 décembre
courant, à, T 1/2 heures du soir, dans la salle du théâtre Lyrique,
place du Marché, à Schaerbeek.
Cette cérémonie sera suivie d'un grand concert vocal exécuté
par 400 élèves des cours supérieurs, sous la direction de
M. Henry VVarnols, directeur de l'Ecole.
Le programme comprendra des airs et des duos exécutés par
les principaux lauréats des classes de chant individuel, YHymne
à l'Être suprême de Gosscc et la Cantate your la fête de la
Réformation de i. -S. ^ach.
I ■
La Jeune Belgique vient de lancer ses bulletins de souscrip-
tion pour le banquet qu'elle organise à l'occasion du dixième
anniversaire de sa fondation. La fête est fixée au 15 janvier. Le
prix est de cinq francs (vins non compris). Adresser les souscrip-
tions à M. Valère Gille, directeur de la Jeune Belgique, 55, bou-
levard d'Anderlcchi, Bruxelles.
Il est question, paraît-il, d'élever, au centre de la Forêt de
Saint-Germain, une vaste salle toute charpentée de fer et qui
pourra contenir trente mille personnes.
On y représenterait, chaque après-midi, le mystère de la Pas-
sion, et un service spécial de voilures serait organisé, à cet effet,
pour relier Paris et Saint-Germain.
M; Massenet a épartché son cœur dans celui de Champal, et de
ses confidences il résulte que « Werther n'est pas un ouvrage
confectionné en vue de produire un nombre déterminé d'effets
amenés par les procédés ordinaires, mais une œuvre de prédilcc- '
tion où l'auteur s'est exhalé en inspirations intimes dans laquelle,
vibrant à l'unisson avec ses héros, il se donne corps et âme, sub-
jugué par la despotique et fatale passion exprimée par Goethe dans
son poème impérissable. »
Et si vous en doutez (non! on n'invente pas ces choses-là!),
lisez la Réforme du 10 décembre.
Et le bon Champal ajoute :
« Conçoit-on avec quelle émotion Masseuet attend le verdict du
public? Il n'y a en effet rien dans ce drame empoignant qui puisse
distraire les spectateurs, s'ils résistaient à la suggestion passion-
nelle vers laquelle tout converge dans cet ouvrage unique. Un
immense chagrin envahirait le cœur de l'artiste si ces appels
demeuraient sans écho, si son exaltation ne rencontrait qu'indif-
férence. Toiisceux qui ont entendu des fragments de cette œuvre
émue ont déclaré que M. Massenet avait atteint le but, et malgré
cela l'auteur de « Werther » se prend à douter, tant son ouvrage
présente d'aspects nouveaux ».
Bon Champal! Bon Monsieur Massenet! Bon Werther!
Spectateurs, mes frères, n'attristez pas, de grâce, l'auteur de.
choses qu'il juge lui-même belles et si passionnées, *
M"'" Krauss a pleuré en chantant Marie- Madeleirie. C'est
M. Massenet- lui-même qui l'a raconté à Champal. El « une autre
artiste lyrique » a sangloté en chzui&ni Werther. C'est également
lui qui le lui a révélé. Nous n'allons pas, n'est-ce pas, nous mon-
trer moins sensibles que ces belles dames? Pleurons, mes frères,
mais n'attristons pas ce bon M. Massenet.
Place, aux vivants ! A'propos de la staluomanie qui devient vrai-
ment redoutable, M. Edmond Deschaumes pousse, dans VEcho de'
Paris, ce cri d'alarme : .
« J'admets de grand cœur les statues et ne suis pas iconoclaste.
On laisse crever de faim, sur ce noir pavé de Paris, assez de poètes
et de musiciens pour que l'on peuple les ciirrefours de bons-
hommes de marbre ou de bronze qui, dans les plis de leur redin-
gote, tiennent du moins le pain de quatre livres que nos Mécènes
réservent aux statuaires vivant de peu.
Oui, je pense que nos aînés, nos maîtres, ceux qui sont en posi-
tion de nous préparer l'avenir, se cantonnent trop étroitement
dans leur temps, dans les souvenirs du pttssë, et ne se soucient
point asse? de ce que la jeune pensée fait étlore ou germer de
semences nouvelles. El je me demande alors comment on dépense
tant d'activité, de zèle, de tendresse, pour des morts indifférents
à nos erreurs et à nos faiblesses, tandis que l'on témoigne à peine
la politesse d'un intérêt très rogue pour les tentatives, les efforts,
les idées de tant de jeunes hommes qui cheminent avec une per-
sévérante ardeur le long des rudes "sentiers de l'art.
Ces tapages. posthumes sont aussi honorables que stériles,
et, si nous n'y prenons garde, les morls étoufferont les vivants. »
On va mettre à l'étude à l'Opéra de Leipzig toute une série
d'œuvres disparues du répertoire depuis longtemps : lé Hans
Sachs de Lôrtzing (1840), la Chasse d'Adam Hiller (1795), la
Sérva padrona de Pergolèse et l'Etoile du Nord de Meyerbeer.
Le nopibre des tableaux de Rembrandt restés dans sa patrie
diminue rapidement, dit le Journal des artistes. Il n'en existe
plus que vingl-et-un en Néerlande, dont treize appartiennent â
des musées et huit h des particuliers. Pendant les six dernières
années, cinq œuvres de Rembrandt ont été vendues à l'étranger et
trois ont été rachetées par des Hollandais.
La Société nouvelle. — Sommaire du numéro LXXI :
Le Journal des Goncouri, Albert Giraud. — Le nocturne de
Malbertus. (Conte de Noë^l), Ë. Demoldcr. — L'armée du salu'.
Un dimanche, Emile Verhaeren. — L'origine de l'humanité sur
un monde (Suite), A. Depolter. — Consolatrix. (Nouvelle),
Hubert Krains. — Le Félibrige, sa perlée et son avenir, L. Van
Keymeulen. — L'évolution des doctrines politiques, G. De Greef,
Chronique d'Allemagne, Georges Mesnil. — Chronique mensuelle,
Francis Nautet. — Chronique littéraire: Christophe Colomb devant
les taureaux, Hubert Krains; A l'Aventure, E. Demolder. —
Bulletin du mouvement social, F. Brouez. -— ,Le mois. — Livres
et revues.
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Dixième année. — N* 51.
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 21 Décembre 1890.
L'ART MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTERATURE
Comité de rédaction : Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
ABONNEMSl^TS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. — ANNONOBS : On traite à forfait.
" ' ■ ■ m .!■ .. » -■ !■ I I ' I - — ■. p^^^^■■ ■ I .,. Il m^t^^^— Il ■- ^^^^— ^É«^
), Adresser toutes les communications à
l'administration générale de TArt Moderne, rue de Plndustrie, 32, Bruxelles.
Sommaire
Eloquence nouveau siècle. — Mort de M. Auguste Dupont. —
Exposition Wyts M an: — Les livres d'étrenn'ès. Bibliothèque
Hetzel. — A propos de l'aquarelle. — Petite chronique.
ELOQUENCE NOUVEAU SIECLE
Je hais cette formulej qu'on attache, sacramentelle-
meht, machinalement, à tant et tant de choses, cette
mauvaise formule : Fin de siècle. Je la hais, non qu'elle
ne soit pittoresque, mais pour son méchant vouloir,
pour son intention d'injure et de rabaissement, pour
son abandon découragé et son cynique aveu d'impuis-'
sance et de dégénérescence grandissantes à mesure que
se parfait le nombre enfantin du centenaire. ^
Et j'allais, nonobstant, l'employer moi-même. Mais
avec un sens bien différent de ce sens de lâcheté, de
désertion consentie, de déchéance morale trop évidente
pour qu'on tente de la nier. Fin de siècle, pour qui
démêle les ténèbres de l'avenir approchant, signifie
moins la chute des formes usées dans leur accomplisse-
ment, que la sanction des formes rajeunies qui vont
fleurir ces ruines. C'est le soleil levant du neuf, l'aurore,
— et non le soleil couchant du vieux, et son navré crépus-
cule. La mort de mille misères, et l'éclosion de dix mille
espérances. La marée descendante des pourritures,
suivie d'un reflux amenant sur les rivages de nos âmes
des flots purs, balayant le passé d'un grand nettoyage.
Fin de siècle! Disons plutôt Nouveau siècle.
Qu'ils prennent l'étiquette Fin de siècle pour leurs
décrépitudes, leurs abaissements, leursderniers hoquets,
ceux qui s'en vont, vieux soldes qu'on liquide à vil prix
dans des boutiques qui ne vont plus. Les jeunes géné-
rations en veulent un autre pour leurs aspirations et
leurs prochains triomphes. Fin de siècle leur carnaval
d'épuisés et d'éclopés. Nouveau siècle la jeune armée
qui se lève dans toutes les régions de l'art.
Eloquence nouveau siècle, c'est l'Eloquence qui déjà
verdoie, vivante, sur les rameaux morts de ce qui fut
longtemps-.J'éloquence, l'éloquence d'antan, surannée,
désormais, et surtout désormais impuissante. Car,
parmi les étranges et infiniment multiples transforma-
tions en lesquelles se fondent tous les décors de la civi-
lisation aryenne présente, qu'est-ce qui se transforme
plus étrangement que notre pensée humaine, que notre
cervelle humaine et sa production de sentiments et
d'idées? Tout y craque, tout y casse, et du fumant rema-
niement des débris sort un agencement, sur nouveaux
frais, prodigieux en ses impréviis et ses détails. Un
pullulement! Un fourmillementi
Et alors, pour satisfaire à l'incompressible besoin de
dire au dehors les merveilles et' les mystères de ce pul-
lulant phénomène, l'irritante conscience de l'insufli-
sance des formes jusqu'ici usitées pour parler et pour
, écrire, c'est-à-dire pour se soulager de son âme. Tous
les mots, ces vêtements psychiques, trop longs, trop
courts, trop étroits, trop largies. Des costumes démodés !
Friperies, guenilles. Plus rien à la mesure! Plus rien
qui aille ! L'exaspération de ne rien trouver, en ce
vieux vestiaire, qui soit l'habillement revêtant, juste,
moulant, en ses replis, en ses formes, l'idée qu'on fait
sortir des coulisses du Moi et qu'on pousse en scène.
On s'est mis à travailler la langue, à mettre en pièces
et ses règles et ses lois, à en faire sauter les sceaux, à
bouleverser ses antiques ordonnances. Ses symétriques
arrangements à la Lenôtre, ont^té déplantés, arrachés,
ses parterres piétines. Et voici que dans l'écriture et
dans la parole, hardiment, témérairement, follement
parfois, de nouveaux tracés sont risqués, et un jardi-
nage, d'aspect bizarre encore, mais combien vivant et
jeune, s'instaure.
Elle s'impose et se familiarise, par la vertu d'un opi-
niâtre peu à peu, cette Prose néologisante, non seule-
ment dans les mots, s'agglutinant à l'instar des alchi-
mies de langues voisines, sous l'action ingénieuse de la
fantaisie et de l'à-propos, mais dans les phrases aussi,
«'assouplissant en dislocations, s'élargissant en gestes
que réprimait la convenante méthode des enseignements
classiques. Elle s'impose et se familiarise cette; Poésie
qui, fatiguée du code prosodique et versificatoire, basée
sur la rime, la césure, l'alignement en strophes manœu-
vrant avec la régularité d'efléctifs et de mouvements des
compagnies et des régiments, court aventureusement à
là recherche du rythme, de l'harmonie des sons avec
l'idée,' et ne connaît qu'une loi : la mise, en équation
musicale de l'image prisonnière dans l'âme avec le
verbe qui la lâche sonore au dehors" eii bel oiseau
chantant.
De même elle s'impose et se famiUarise, cette Elo-
quence, qui a en horreur la rhétorique de l'Ecole et tra-
vaille âprement à moderniser le plus difficile et le plus
merveilleux des phénomènes artistiques : le rendu
instantané des générations psychiques par la parole, en
équation nécessaire aussi (sinon, quelle misère d'infério-
rité!) entre ce qu'on doit dire, ce qu'on veut dire,
et ce qu'on dit. ,
La Rhétorique de l'Ecole ! Bonne jadis, en ses primi-
tives formules, mais valant juste autant, désormais, que
les armements militaires 'd'il y a vingt lustres. Oh! le
perruquéral aspebt qu'elle a donnant ses leçons d'Athé-
née ou de Conservatoire ! Et quand se déroule un de ces
discours qu'elle soutient de ses béquilles, quel ennui ou
quelle caricature ! Cela sonne la fêlure, cela nasille, —
cela ment surtout, oui, cela ment ! •
Cela ment ! car ce n'est plus eh accord avec la vie ger-
mante ; c'est œuvre de vieillard. Un accouplement mon-
strueux entre la sénilité et la jeunesse, un effort d'épuisé
'?
pour couvrir et féconder une nubilité pleine de sève. La
décadence embrassant l'adolescence. Fin de Siècle acco-
lant Nouveau Siècle. A bas I
Tout est à refaire dans l'art de parler, et se refait. A
bas la grandilocité ! Nos âmes ne sont plusgrandiloques.
Elles ne se contentent plus des pomposités d'autrefois
qui suffisaient à rendre les quelques idées simples qui
étaient alors leur unique mobilier. Nous les sentons
toutes chargées, encomblrées d'idées, effrayamment
multiples, comme notre vie moderne, comme notre
civilisation aryenne moderne, se dédoublant à l'infini,
se fendant et se refendant en deux, en quatre, en huit
par une inarrêtable progression géométrique, pauvres
et admirables êtres que nous sommes inlassablement
progressifs et indéfiniment éducables.
Qui parle, qui ose parler (oh ! le difficile et merveil-
leux phénomène artistique!) doit rendre tout cela,
faire couler en paroles ce bouillonnement qui chauffe
en lui, exprimer en ses phrases, qu'on veut de' plus en
plus brèves, promptes, concentrées, ces multiples fac-
teurs qui se forment en cristaux autour de chacune de
ses pensées, dont lui voit, en son for, les facettes, avec
ce tourment et cet effroi : comment, là tout de suite, et
sans rien omettre, projeter ces scintillements à Texte- .
rieur, en darder le faisceau sur ces cerveaux qui
m'écoutent, en foule, là dans cet auditoire qui fixe sur
moi ses regards, trompes tendues pour sucer la moelle
de mes pensées ! Là tout de suite ! tout de suite ! et sans
rien omettre. Sans rien omettre, car, semblables à moi,
ils veulent aussi qu'on les nourrisse à la moderne, en
éloquence nouveau siècle, chargée en sa brièveté
obligée, de toutes ces substances dont des myriades de
découvertes,^ des myriades de notions versées en pluie
incessante sur les esprits par un universel enseignement,
ont fait un besoin pour les foules.
Elle s'en tire l'Eloquence nouveau siècle. Elle n'aca-
démise plus : elle cause,— se laissant aller aux féconda-
tions du hasard oratoire, ce hasard qui entre en fonc-
tionnement, admirable appareil d'horlogerie cervicale,
dès que l'orateur, le vrai, maître d'un sujet, se lève pour
le traduire par la parole. Elle cause. Un peu plus hautr
certes, un peu plus gestueuse, allumant une flamme
plus chaude; mais de la causerie pourtant, si causer
c'est suivre en ses méandres une travailleuse pensée qui
va, vient, s'éloigne, revient, repart encore, butine,
s'élève, gire, toujours naturelle, souple en ses mouve-
ments, libre en ses oscillations, attrapant au vol les
images, happant l'esprit qui lui passe à portée et le
rejetant aux auditeurs. Et surtout sans préparation
antérieure de la forme, essentielle condition de la sim-
plicité, dé l'accent, du charme et delà mise en com-
inunion de qui parle et de qui écoute.
Oh l le piteux des débitants de mots préparés ! Oh !
l'ennuiversel des liseurs de discours, des anecdotiers
déballant conférencieusement les bibelots dont ils ont
été se pourvoir dans les magasins du Louvre du bel-
èsprit! N'en faut plus! n'en faut plus! Parlez-nous,
monsieur, votre naturel langage. Et si votre naturel
langage est banal, taisez-vous, et laissez-nous tran-
quilles, monsieur l'amateur, qui vous avisez de jouer de
ce difficile violon : l'Eloquence.
En Belgique, on se doute très peu de cette évolution.
On se croit tenu de n'admirer orateur que les Prud-
homme qui entonnent encore le grand discours à la
Royer-Collard, muni d'exorde et de péroraison, et utili-
sant les accessoires académiques. On trouve agréable
« l'orateur causeur », mais on n'y voit pas un orateur,
un artiste. C'est simplement un monsieur qui cause
bien. Et plus il apparaît naturel, moins on lui reconnaît
d'art.
C'est que nous sommes pourris de professoralité et
que nous en sommes encore à penser que l'Art est une
chose qu'on enseigne et qui se conserve, qui est obliga-
toirement pompeuse et faiseuse d'embarras. De'malheu-
reux pédants, toujours en arrière parce qu'ils se bornent
à recueillir ce qui s'est fait, sans se douter que ce qui
s'est fait est par cela même fini et doit être abandonné,
courent derrière les montures sur lesquelles galopent
les artistes originaux, les seuls artistes, et ramassent
les crottins que laisse derrière elle cette fougueuse cava-
lerie, toujours en charge et hennissante.. Ils offrent ces
crottins à leurs élèves et décernent des prix à ceux
qui les gobent le mieux. C'est très fin de siècle ça.
Mais s'ils apprenaient à ces douloureux élèves à monter
. à cheval à leur tour, et à galoper le grand galop de
' l'Originalité à leur manière, ce serait très nouveau
siècle, très,. très, très nouveau siècle.
MORT DE M. AUGUSTE DUPOMT
C'est avec infiniment de regret que la famille musicale a appris
ja mort de M. Auguste Dupont, qui jouissait, comme compositeur
et comme professeur, d'une haute estime et dont l'urbanité, la
bienveillance et l'esprit étaient appréciés de tous.
Professeur de la classe de piano au Conservatoire de Bruxelles
depuis 4852, il forma de nombreux élèves parmi lesquels, notam-
ment, M. Camille Gurickx qu'il désigna pour le remplacer provi-
soirenaent, au cours de sa dernière maladie; M"* Moriamé-
Lcfebvre; M'J,«» Gemma, Hélène Schmidt, Ullmann, Hoffmann, etc.
Auguste Dupont avait la passion du professorat. Ses élèves, il
les aimait, il les défendait comme s'ils eussent été ses enfant».
Combien de fois, lors des concours, l'avons-nous vu inquiet,
agité, nerveux à l'excès, plus impressionné, souvent, que le jeune
concurrent. lui-même.
Celle extrême sensibilité Tavait obligé, en ces dernières années,
k renoncer à ses succès de virtuose, que plusieurs années de
tournées artistiques à l'étranger avaient consacrés.
Dupont meurt dans sa soixante-quatrième année, après une
existence toute consacrée à l'art et emplie d'une somriie de tra-
vail énorme.
Malgré le labeur du professorat, il fut un compositeur fécond.
Il laisse un grand nombre d'œuyrcs pour piano, de chœurs, de
mélodies, de concertos pour piano et orchestre, de morceaux
symphoniques, parmi lesquels la Marche nuptiale qu'il écrivit
pour le mariage de sa fille et qui fut'exécuiée l'été dernier au
Conservatoire. On se souvient des Rondes ardennaises po^ur piano
à quatre mains, qui furent jouées à l'un des derniers concerts
desZZ. '
C'est lui aussi qui s'attela avec persévérance à ce gros travail
de revision, de doigté, de correclion, qu'entreprit la maison
Breitkopf et qui, sous le nom d'Ecole classique du piano, embrasse
toute "la littérature musicale du ptario enseignée au Conservatoire.
Nous présentons à sa famille, et particulièrement à M. Joseph -
Dupont, l'excellent directeu^r des~Concerts populaires, nos plus
sympathiques compliments de condoléances.
Les funérailles ont été célébrées, hier, en présence d'une assis-
tance nombreuse. Le corps professoral et la commission adminis-
trative du Conservatoire, une foule d'amis, parmi lesquels la plu-
part des compositeurs et des musiciens en vue, se pressaient
dans l'église Saini-Bonifaçe, où avait lieu le service funèbre.
A l'Offertoire, MM. Colyns et E. Jacobs ont exécuté, le premier,
un Nocturne, le second, la Chanson déjeune fille, transcrite pour
violoncelle, du compositeur défunt.
Au moment de la levée du corps, M. Gevaert, directeur du
Conservatoire, et M. Camille Gurickx, au nom des élèves d'Auguste
Dupont, ont prononcé les paroles d'adieu. Voici ces deux dis-
cours, dits avec une émotion réelle qui a vivement impressionné
l'auditoire. •
'.^ Discours prononcé par M. GE\AEKT.
Devant cet appareil funèbre, au milieu d'une assistance qui par
son aitendrissemenf participe au deuil d'une famille qui nous est
chère à tous, je ne puis songer tout d'abord à la perte sensible
— peut-être irréparable — que le Conservatoire royal de
Bruxelles vient de faire dans la personne du doyen de son corps
professoral. ■ .
Un sentiment irrésistible me porte avant tout ît déposer sur
ce cercueil un hommage de sincère et profonde affection pour
celui qui fut non seulement l'un de mes plus précieux collabora-
teurs, mais encore l'un de mes amis les plus chers et les plus
fidèles.
Ayant été longtemps le ténupin de sa vie, le confident de sa pen-
sée et de ses sentiments, je n'éprouve aucune crainte, aucune
hésitation à soulever les voiles qui couvrent la dépouille mortelle
d'Auguste- Dupont. Car dans cette carrière si noblement remplie
il n'y eut jamais de défaillance morale ; dans cette âme généreuse
il ne pouvait y avoir place pour une idée étroite ou mesquine.
Chez Dupont l'homme ne démentait pas l'artiste, le caractère
était à la hauteur du talent. 11 apportait dans les relations de la
vie une droiture à toute épreuve.
Je ne puis m'étendre longuement aujourd'hui sur ses mérites
de compositeur. Ses œuvres symphoniques, ses concertos de
piano, son quatuor pour instruments û cordes et mainte autre
page sortie de sa plume témoignent de ses facultés dans le
domaine de la création musicale et occupent une pMte brillante
parmi les productions contemporaines. Son Poème d'amour et
son Roman en dix pages sont entre les mains de tout le monde.
Jusque dans SCS pièces les moins étendues se trahit un goût déli-
cat ei raffiné, l'aspiration d'une âme d'artiste assoiffée de perfec-
tion, d'idéalité.
La valeur artistique, d'Auguste Dupont était, d'ailleurs, univer-
sellement appréciée dans tout notre pays.
L'Académie royale de Belgique l'avait nommé membre corres-
pondant, il y a deux ans, et, naguère, la section musicale de la
classe des BedUX-Aris l'avait désigné, à l'unanimité, pour devenir
membre titulaire au commencement de l'année prochaine. Hélas !
il né devait pas voir liiire ce jour, où il était appelé à recevoir
celte consécration, on quelque sorte nationale, de sa haute situa-
tion artistique.
Ce que Dupont fut pour !o Conservatoire, comment il accomplit
la tûche à laquelle il avait voué son existence entière, toutes ses
facultés, il m'appartient, plus qu'à personne, de le proclamer en
ce jour de deuil et de regrets.
Jusqu'à son dernier soupir, Dupont se préoccupait du Conser-
vatoire, de SCS élèves, de sa classe. Couché sur son lit de douleur,
entoure d'une femme dévouée jusqu'à l'héroïsme, de tendres
enfants, d'un frère qui était pour lui comme un fils aîné, il repor-
tait sans cesse sa pensée vers cette grande famille d'adoption
ddnt les triomphes l'enivraient* de joie et d'orgueil. Dans ces
courts moments de légitime satisfaction, il oublait que les succès
de ses élèves n'étaient obtenus qu'au prix d'une déperdition pro-
gressive de ses propres forces. Comme il le répétait souvent, sa
lameXusait le fourreau, et la fin de chaque année scolaire, après
la/besc)gne épuisante des concours, il s'affaissait, il sentait le
/esoin de revoir ses chères Ardennes, de retremper ses forces
dans l'air vivifiant du pays natal. Il revenait parmi nous rétabli,
en apparence, et se remettait à la tâche avec; une nouvelle sève,
une nouvelle' vigueur. . -,
Les derniers \:onCours du Conservatoire l'avaient fatigué outre
mesuru. Il avait voulu y faire entendre et diriger lui-môme l'une
de ses œuvres de prédilection : une page de circonstance une
Marche nuptiale, inspirée et dictée par son cœur de père en un
jour.de bonheur familial. '
Dans l'état de faiblesse où il se trouvait déjà, cet effort suffit
pour l'exténuer. Mais il avait six semaines de vacances pour se
reposer, et il partait joyeux en emportant l'espoir de reprendre
bientôt ses occupations ei ses travaux. .
Hélas! le repos qui l'attendait celle fois-ci devait être éternel.
Après quatre mois de souffrances stoïquement supportées est
venu ce soulagement qui annonce les approches de l'instant
suprême.
Noire ami s'est éteint sans agonie. Il s'est endormi calme et
paisible, comme le travailleur à la fin de sa journée, avec la cer-
titude de ne laisser après lui, au cœur de ses amis, de ses dis-
ciples, de ses confrères, de tous ceux qui l'ont connu et approché,
que des souvenirs affectueux et sympathiques, des regrets una-
nimes et durables.
Discours prononcé par M. Camille GLRICKX au nom des
élèves du Conservatoire de Bruxelles.
Maître!
. Au nom de vos élèves d'aujourd'hui et au nom de ceux d'autre-
fois, je viens vous saluer et vous dire : Adieu! ■
Nous saluons en vous le Maître qui nous a donné toute sa vie
sans considérer ce que coûtait ce noble dévouement que vous ne
pouviez contenir.
Nous saluons en vous celui qui a'giiidé notre esprit, élevé notre
âme vers cet Art immortel qui embrasait votre être et dont le feu
divin vous a consumé.
L'Ecole que vous avez fondée dans votre pays, vous l'avez fon-
dée aussi dans le cœur de vos disciples.
Ceux qui ont eu le bonheur de recueillir vos préceptes sentent
bien toui ce qu'ils vous doivent : votre enseignement était celui
d'un missionnaire inspiré. Vous nous avez légué l'amour du tra-
vail, la conscience dans l'élude, le respect de la pensée créatrice;
votre parole expressive et ardente nous a pénélrës d'admiration
pour les œuvres géniales. Us savent, vos élèves, et d'aucuns ne
l'oublieront point, ils savent Jque vous leur avez donné la vie
artistique.
La mort peut vous emporter de ce mon^e, mais elle ne vous ^
enlèvera jamais de noire souvenir'; et dans nos cœurs qui vous
aiment, vous restez vivant, car bien que je ne voie plus vos yeux
me regarder, bien que voire voix ne puisse plus me répondre, en
moi-même je vous vois et vous entends encore.
Ad jeu. Maître aimé! Soyez là où sont les Méritants, là où sont
les Maîtres glorieux! \ .
EXPOSITION WYTSMAN
M. eH^I""* Wytsman reçoivent. Et vraiment on est tout étonné
de n'entendre chez eux que très peu de banalités et très peu de
lieux conrununs. H est vrai qu'ils ne racontent rien et qu'ils ne
parlent. Ils se contentent de montrer ce qu'ils ont vu durant la
saison dernière, installés en leur maison de Jcnneval, quand
chaque matin, chaque midi et chaque coucher de soleil les invi-
tait à la vision artiste. "
Ce sont plutôt les tableaux de M. et M'"^ Wytsman qui
reçoivent.
A comparer ces œuvres aux précédentes, signées des mérties
noms, on trouve banal d'affirmer qu'elles témoignent d'un pro-
grès, tellement celui-ci est évident. Il nous semble que M.Rodolphe
Wytsman était ce quelqu'un d'enlizé en ces vallées de pâte que
depuis les trois siècles de peinture flamande et autre, toutes hs
raclures de palettes noires ont dû faire «là-bas en un pays ima-
ginaire, au loin. Imaginez un instant ce pays. Au bord d'un
grand fleuve d'huile, qui en découle comme une rivière réelle
prend sa source dans les monts, des tumuli nombreux et scoriaques
s'élagent, s'étagent. Sur chaque tumulus, se trouve inscrit le nom
de l'école qui l'a produit. Voici le tumulus Otto Vénius; le
tumulus Rubens; le tumulus de Crayer, etc.. jusqu'au tumulus
Dubois et Boulenger. M. Wytsman, avec tant d'autres peintres,
séjournait en ces parages, jadis. Aujourd'hui, il en sort.
Certes, ne nous entre-t-il point dans l'esprit de prétendre mau-
vaise toute l'ancienne peinture. Elle est, au contraire, peuplée de
chefs-d'œuvre. Et qu'importe comment et d'après quelle interpré-
tation un chef-d'œuvre surgit ?
Mais puisque telle a été l'évolution des formes d'art, qu'en
peinture, où les questions de couleur sont inhérentes à l'idée
qu'on se fait d'un tableau, la poussée en avant a été depuis la
Renaissance jusqu'aujourd'hui vers ,1a lumière, nous condamnons
ceux qui s'attardent en un métier suranné — mais nous né fai-
sons que condamuer le métier. Aujourd'hui encore il est possible
de faire des chefs;d'œuvre qui n'ont rien d'impressionniste.
M. Wytsman a compris cette évolution et s'est mis en son cou-
r
rani. Lenlcmenl, presqu'à lâlons cl se défianl de toute audace
vraie et belle, il a modifié sa manière de peindre. Il a aussi modifié
sa facture devoniie vibratile. Le soleil et les ombres avec les valeurs
qu'ils donnent aux tons locaux des objets ont séduit ses yeux; il
s'est mis à voir plus attentivement. La couleur pour la couleur et
la belle pûtc,, tout l'ancien bagage il l'a jeté par dessus bord. Tant
mieux!
El voici sa Mare qui s'affirme, immatérielle. Les arbres ne sont
plus des objets sans relations avec ce qui les enveloppe et les
entoure. Ils vivent dans l'atmosphère. On sent qu'à des heures dif-
férentes de jour ils perdront l'aspect momentané qu'ils revêtent
sur sa toile. De même le fond du paysage, emmailloté de vapeurs,
se lèvera net et clair; les herbes de l'avanl-plan se déhumidifie-
ront elles aussi et la gloire des tons vifs sortira de celte éi^auche
de clarté. ^\ ^
La Mare est, à notre sensVJa loileJâjiUiSi-significalive de la
présente exposition. " \
M*"* Wytsman dédie son pinceau à la beauté des fleurs, à leur
fragilité ct.à leur charme. Mais les flcui-s ne seront guère con-
tentes à se sentir parfois traitées avec lourdeur et vulgarirë^Nous
disons : parfois, car tel coin de floraison agfe^le nous requiert
avec insistance. ^x^
fiO local où ce salonnet s'est ouvert mérite que cettèvéxhibition
de toiles ne soit pas l'unique qui s'y fasse.
LES LIVRES D'ETRENNES
_^ Bibliothèque Hetzel.
Il y a donc encore une enfance, il y a donc encore des enfants,
puisqu'il y a des livres d'étrennes, des livres couleur des petites
âmes de l'enfance, avec des étés de fleurs et de feuillages aux
reliures, avec des ors et des tons de frambroises et d'abricots mûrs
aux jardins des reliures. Oui, après tant de nous balayés avec
les neiges des vieux Noëls, après des empires et des races et des
pans entiers de siècles en allés au tourbillon des choses mortes,
subsiste toujours, comme aux ans de la bonne enfance que nous
fûmes, cette chose charmante et frêle, ce déjeuner de soleil de la
candeur des ûmes enfantiles, — le livre d'étrennes ! Comme
quand nous étions petits, comme à l'âge de B-A BA épclé au doigt
sur les bestiaires où Hyène figurait à la lettre H et Zèbre à la
lettre Z, il y a toujours de bons papas d'auteurs, de bons grand'-
papas d'éditeurs — (qui ne s'est pas certifié les Helzel père et fils
avec des barbes de père Chrislmas, vieux et chenus comme les
Himalayas?) — il y a toujours des plumes et des crayons griffant
et barbouillant du papier pour l'amusement des soirs de famille,
sous la lampe qui met des fils d'or dans les boucles blondes ou
brunes.
Et voilà que, désabusés souvent nous-mêmes des vertus du
livre, nous sentons, à chaque floraison des livres b images,
reverdir, dans la joie des petites mains à feuilleter les tranches
vermeilles et les vélins de satin, le matin de nos fraîches sensa-
tions et les printemps où comme eux nous étions les enfants de la
famille. Toute fin d'an, avec ces grappes de jolis contes aux
treilles du libraire, nous rajeunit de la part d'humanité que le
vieil homme et nous traîne après soi, car n'était-ce pas l'âge des
premiers éveils du rêve et n'avons-nous pas tous gardé, dans un
coin du tiroir à secrets des souvenirs, la mémoire d'un livre
comme ceux-là et qui nous ouvrit les seuils enchantés. de la
fiction? C'est pourquoi même un grave journal d'esthètes ne croit
pas déroger en cueillant dans la gerbée et mettant à part quelques
épis dédiés au pain des petits.
Au pays des merveilles, aux Florides de la fantaisie, le
patriarche des conteurs, le torrentiel et bon Jules Verne nous
mène par de toujours nouveaux sentiers. AÎk! ni ballons, ni tor-
pilleurs, cette fois, mais, la maison roulante ou saltimbanque, la
maringote à vau les routes cl la vie, la Belle roulotte de maître
César Cascabel. Des traversées fabuleuses, d'horriliques aventures,
le recommencement. Les travaux d'Hercule d'un herchie de foire
h qui pousserait J'essor d'un Colomb, et qui, par Ick régions
polaires, à travers des péripéties inouies, cherche et trouve le
passage d'Amérique en Europe, ce conquistador de la balle,
révélé aux hordes sauvages tel qu'un Dieu on maillot. Toutes les
herbes de la Saint-Jean de l'imagination la plus fahtasquo,
l'extraordinaire cuisinier les a mises bouillir dans le chaudron
de son histoire et qui est vraiment le chaudron magique, un chau-
dron qu'il remue avec des mains et une baguette de sorcier.
Rioux s'est chargé de mimer en gestes dessinés, en vives et touf-
fues arabesques à la pointe du crayon, les fastes du héros et son
cycle prodigieux.
Verne et sa fortune, depuis vingt ans qu'il assume .la vogue,
ont fait école. C'est un peu de son billon qui s'émietle dans les
Jeunes aventuriers de la Floride de M. J. Bru net et le Secret du
mage de }\. André Laurie, deu« récits d'aventures et -tjé grosses
émotions, deux épopées de fantoches où se lève le soleil des pays
inconnus, où ressuscitent des humanités disparues et qui ouvrent
ne porte sur le mystère de la terre, la meilleure, celle du songe
et oe la conjecture. Avec Bennell et Meyer pour collaborateurs,
vous Vovez quel'fouHlis de croquades, et les .amusantes images,
et le dénié d'ombres chinoises aux verres de la lanterne, — ces
verres de toutes les couleurs et combinés pour faire jouer le
prisme dans des esprits d'enfanis.
Le Petit Gosse de M. Busnach, oui, de l'ogre Busnach lui-même
(mais revenu à de si honnêtes sentiments)! nous confère une auiro
note, moralisante el tempérée, de la famille des Petit Chose et
des Petit Jack. On y rit, on y pleure, c'est encore du tliéâire,
mais à travers une optique plus rose, devant une rampe de quin-
quels d'illusion, avec des personnages qui seraient des marion-
nettes, si on n'entendait derrière le petit tic-tac du cœur. El le
Petit Gosse de M. Busnach en a si bien que l'Académie française,
qui couronne toujours les bons cœurs el les bons auteurs,
n'a pu faire autrement que de couronner le bon livre.
Du théâtre? En voici avec ses tranches d'actes et de scènes dans
ce Théâtre à la maison et en pension de M""* Vadier, — un
théâtre de vacances et de galas avec une leçon à chaque dénoue-
ment et4a voix du régisseur avertissant si c'est bien ou mal, —
un théâtre dont Geff'rOy a dessiné les costumes, les décors el l'af-
fiche comme pour un vrai théâtre où joueraient de vrais acteurs.
Et ce n'est ni l'histoire sacrée ni l'histoire profane qui règne sur
ce théâtre-là, comme au temps où nous jouions les grands pfêires
et les rois aux fêtes du collège, mais des histoires de la vie de
l'enfance où ce sont bien des petites filles et des petits garçons
qui tiennent les rôles, — des histoires comme en content M. Ler-
mont dans son Histoire des deux Bébés Ketty et Bo, le vieux bon
maître Stahl dans ses Contes de la Tante Judith et Th. Bentzon
dans sa Yette.,
El voici, pour finir, le livre qu'un spirituel académicien dédi-
cace à une imaginaire élève, à celle qui donne son nom au volume
l-v
et qu'il appelle Une élève de seize ans. Je ne sais pas si, pour
jouer les petites pièces de M"'" Vadier, il sera nt^cossaire de lire
avant tout M. Logouv»?; mais certainement, après l'avoir lu, on»
comprendra mieux Racine, Molière et môme Shakespeare. Car ce
livre, écrit pour les jeunes filles de seize ans, ce livre de haute
éducation et de grandes lettres qui est à la fois un livre d'art et
d'humanité, semble surtout écrit pour des intelligences déjà
mûres. « J'ai supposé, dit M. Legouvé, une jeune fille de seize à
dix-sept ans qui vient d'achever ses cours, et à côté d'elle un
vieillard, son grand'père, lui donnant quelques leçons propres à
éveiller en elle deux qualités dont on ne s'occupe pas assez dans
l'enseignement, r/mAgiMn/ion et la Réflexion personnelle ». Or,
il est permis de supposer que le grand'père lui-môme n'est pas
^ans apprendre quelque chose dans ce livre fait pour être lu par
des jrunes filles. Rien ne sent moins le pédagogue que celte
aimable cl ingénieuse initiation sur un ton enjoué de causerie fai-
sinl revivre les grandes figures des âges de la littérature et où
c'^tcommc un ambassadeur des rois de l'Esprit qui, avec sa clef
d'or, vous ouvrirait les portés des palais et par les escaliers vous
guiderait jifeqii'à la majesté des Trônes.
Le nom de l'édrLmir de (ous ces beaux livres n'a pas encore été
dit. Mais à la nuanceHes contes, à la variété si spéciale de la col-
lection, à la gradation deVlé^iures qui va des petits ôges de l'en-
f.nce jusqu'à l'adolescerice, n'â-l-on pas compris qu'il s'agissait
de celle grande firme des « Helz^ », créateurs et continuateurs
des Riblioihèques de la Jeunesse.
A PROPOS DE L'AQUARÊÈLE
(correspondance) \^
Je m'attendais à voir mes confrères en aquarelle protester
contre votre accusation d' « art un peu joujou ». — Us dorment,
probablement, et ne protestent pas, même en action, puisqu'ils
deviennent si « jolis » ; on le dit, je ne l'ai pas vu.
En cette occurrence, voudriez-vous bien m'expliquer — impri-
mément, pour le bénéfice de tous — à quelle place de l'art vous
asseyez l'aquarelle?
Moi, je l'aurais crue un art moderne, « vingiiste » par excel-
lence. Je ne l'entends pas faite de trùcs et de ficelles : — une
iolie petite maison avec un joli petit reflet dans une eau coulée
d'ut) seul coup de pinceau adroit, — mais bien comme un
instrument docile et rapide pour rendre une forte et courte,
impression, une fusion de couleurs : — Joie de mettre dans le
ciel tout le rouge qu'on y voit, puis de lui restituer instantané-
ment son reste de reflet bleu, — jaiine, — en laissant au grain
du papier le soin de faire vibrer ces trois choses, les laissant cha-
cune entières, l'une dans l'autre; — joie de s'en donner du
rouge, du bleu, du jaune absolus, éclatants, jamais trop forts,
comme on les voit; et de les faire devenir des tons vivants, doux,
remuants, qui peignent l'air et non la chose; — *oie de l'audace
permise à l'ébauche! Et la transparence de toutes ces teintes,
de cet arbre sous la verdure duquel vous sentez l'ombre rouge!
El le charme quand, une fois sur cent, on a rendu l'eflFet d'un
quart d'heure de soleil! Et la possibilité de faire dire, à l'heure
même où on la sent, — sans y revenir, — à un horizon, à un ciel,
l'impression d'ombre ou de lumière qu'on a en soi et dont on voit
le pasvsager reflet !
On s'en va de côtés tous différents quand On est bien ou mal
disposé. On attend son heure, comme le chasseur, puis, quand
elle est là, on la « tire », comme disent nos paysans.
J'ai beau faire, je n'arMve pas à voir deux jours de suite la
môme chose à la môme place. Quelques grands ont cette puis-
sante faculté de concentrer une impression au fond dç leur cer--
veau et de la rendre dans toute sa vivacité, — fût-ce longtemps
après. •
Mais moi et d'autres qui ne l'avons pas, cette faculté, il nous
arrive, si nous nous attardons à un paysage, de peindre ce que
nous avons vu — pas ce que nous avons senti. C'est l'arbre, la
route, ce n'est pas l'heure, m l'air, ni la manière dont nous avons
été frappés. Tout cela est rendu dans le faire. Ah! si on pouvait
point^iller à la minute! Mais l'aquarelle est un pointillé instantané.
Essayez un peu du vermillon dans le ciel ou dans l'eau — ou c'est
égal où — pour voir le joli petit grain qui percera à travers
tout!
Et vive l'aquarelle pour les gens qui n'ont pas une forte tôle à
leur disposition, qui ne savent pas abstraire, quinlessencier leur
sentiment, puis, le redélayer laborieusement! Savez-vous que
c'est atrocement pénible, pour les gens ordinaires, ce scalpel-là ?
On s'en aperçoit au manque de simplicité, d'unité d'impression
de tant de tableaux à l'huile.
Et puis, l'aquarelle est bien plus l'idée, le sentiment d'une
chose, que la chose elle-même, — rendue plus exactement par
« l'huile ». Etait-ce une aquarelle, cette tôte de supplicié, par
Henri Régnault, — tête qu'on n'oublie plus, — mais qui n'a dans
voire souvenir ni dessin, ni couleur, — à part la mémoire de ces
taches bleues, rouges, vertes qui la rendaient si vibrante? — Ça
n'avait rien de joujou ! — Et la bonne, la charmante Vente de
bois en hiver de Mauve? Est-ce que l'huile aurait rendu ça, cet air,
«e froid — enlevé, simple, croquant comme une jeune pomme,
de « faire », de naïf?
Je vous en prie, si l'aquarelle s'affadit et condescend à devenir
un ornement « agréable », expliquez ce qu'elle est, ce qu'elle
peut être.
Expliquez, expliquez, expliquez!
M. M.
P. S. Etait-ce bien une tête de supplicié? Il y a si longtemps
que je ne me souviens plus que de l'impression de ce « faille »
sauvage. Ah! quel bon morceau cru ! Oubliées, toutes les choses
cuites qui étaient à côté, c'est égal à quelle sauce !
RÉPONSE
Explications au prochain numéro. Ce serait Irop long pour
aujourd'hui. Notre correspondant (ou notre <:orrespondante?) ne
nous paraît pas avoir très exactement compris l'article que nous
avons publié. Mais la question est intéressante. Elle mérite dis-
cussion.
«Petite CHROf^iquE
C'est aujourd'hui, à deux heures, qu'aura lieu le premier con-
cert du Conservatoire, consacré, comme nous l'avons annoncé,
aux symphonies n»* Il et III dé Beethoven. M. Gevaert a corsé le
programme_ 4^n intermède vocal : M. Giesscn, chanteur de la
chapelle grand-ducale de Weimar, interprétera quelques lieder,
accompagnés au piano par M. Edouard Lassen.
Le Conservatoire de musique de Mons donnera aujourd'hui, à
l'occasion de la distribution des prix, une matinée musicale sous
i: ART MODERNE
407
la dircclion de M. Jean Vandcn Ecdcn. Le programme porte la
Fête Bohême de Massencl, la Triumph-Mnrsch de Vanden
Ecden, des fragments du cçnccrto de flûie et du concerto de cor
de Mozart et un air de la Juive A'ilaléwy. Les solistes sont trois
prix d'excellence du Conservatoire de Mons : MM. A. Dessart,
E. Dequcsne et V. Gigounon.
Au troisième concert classicpic de la maison Scliott, on a
applajidi le très pur violon de CéSar Thomson, dont la sonorité
s'est liarmonieusement unie aux claifcs^ et brillantes interpréta-
tions de Louis Diômer, \
Le. jeu essentiellement correct de ce pianiste de bonne et
sérieuse école, vraiment respectueux de son art et compréliensif,
a produit une grande impression.
F^e violoncelle connu et toujours apprécié
Jacobs con^plélait d'heiireusc façon ce rc
Et voici cloSc la série de ces artistiques s^
chambre, dont leXouvenir restera viVacc
M. Edouard
io. \
musiquede
A noter aussi, pouKmémoire, une bonne séance de musique
de chambre donnée dimanche au Couservatoire par V Association
des professeurs d'i7}strumenis^ vent. L'exécution des œuvres de
Recthoven qui composaient exclusivement le programme instru-
mental a été excellent. Et la voixN^ympathique de M""* Cornélis-
Servais a rempli agréablement les inlfermèdes.
Le dernier numéro de la Wallonie où se^nconlrent les noms-
de Mallarmé, Sluar Merill, Vieillé-Griflin, de Régnier, Swinburne,
Retté, Delaroche et Moekel s'atteste : excellent. »!■ le numéro de
décerhbre continue la série des livraisons choisies auxquelles In
Wallo7iie nous a habitué, l'année 4890 se clora pour cfette revue
de manière à satisfaire les plus récalcitrants. La table des ma^^ièrer
sera manifique.
D'un autre côté, nous avons déjà constaté combien la directioî^
de M. Valère Gille a relevé la Jeune Belgique. Elle aussi, s'affirme :
vivante.
11 est désormais démontré qu'en Belgique des revues, presque
toutes entières consacrée^ à l'art, peuvent non seulement exister,
mais se développer d'une vie abondante et claire.
Le théâtre des Galeries a fait une bonne reprise de la Grande
Duchesse de Gérolstein, cette très spirituelle et amusante parodie,
qui vous reporte aux temps abolis de l'Empire, à Hortense
Schneider, à l'Exposition de 4867, à tout le clinquant de jadis.
El déjà se hausse, par un phénomène singulier, cette opérette aux
proportions d'une flagellante satire.
Elle a, certes, son rang dans l'histoire musicale contemporaine
et en marque, par la verve endiablée de ses rythmes et sa bonne
humeur, une phase originale, dont la bouffonnerie n'a guère
vieilli.
M™» Morin est une Grande-Duchesse avenante, élégante, qui
porte allègrement le poids de la partition.
Le président du comité vient de répondre par une lettre adres-
sée aux journaux locaux qu'en prenant la décision critiquée la,
commission avait voulu éviter l'invasion des amateurs et des
médiocrités, fléau habituel des expositions. Elle a invité soixante
artistes belges et vingt artistes étrangers, ce qui écarte péremp-
toirement le -reproche de partialité, et compte exposer les œuvres
de chaque artiste par panneaux séparés.
Tout cela est parfait. Mais la lettre ajoute que « si le nouveau
genre d'exposition réussit à Bruges, on finira peut-être par l'in-
venter \)i Anvers, Bruxelles ou Gand ». On paraît ignorera Bruges
que ce « nouveau genre d'exposition « existe à Bruxelles depuis
huit ans, et qu'il a même fait parler quelque peu de lui !
Samedi prochain, l'OdeMi donnera un spectacle des plus inlé-
r^îssants : M. Porel fera jouer une adaptation A'Alcesle d'Euri-
pide, par M. Alfred Gassier, avec les chœurs et la musique d'or-
chestre de Gluck exéculée^'par l'orchestre de M. Lamoureux.
C'est M""* Segond'Wefcé'r, applaudie récemment au théâtre
N^Ioliôrc, qui est chargée du rôle d'Alcesle. Les rôles d'hommes
seront interprétés par MM. Marquct, Lambert, Maury, etc.
Une polémique assez vive s'est engagée dans les Flandres au
sujet d'une Exposition des Beaux-Arts organisée à Bruges par un
comité présidé par M. Claeys, avocat en celte ville. Le comité
ayant décidé que les artistes invités participeraient seuls au
Salon, il y eut, de la part de certains artistes, des résistances et
des réclamations. On prétendit que le comité voulait favoriser
les artistes français au détrimenl des Belges.
A M'ié M. P. — Jamais, dans VArt moderne, nous rie parlons
de nous, charmante correspondante. C'est ailleurs qu'on a celte
mauvaise habitude. Comment insérer voire très intéressante lettre
où l'un de nos collaborateurs est constamment mis en scène? 1!
faudrait répondre et alors ce serait cette chose horrible : une
polémique. Faut-il vous renvoyer le manuscrit? Mais où alors?
Votre signature est-elle vraie ou est-ce un nom d'emprunt ?
Depuis que César Franck est mort,' on daigne enfin lui recon-
naître du génie. M. Arthur Coquard, dans une brochure distri-
buée au dernier concert Colonne, dit de ses œuvres :
« De cet ensemble imposant il convient maintenant de dégager
le caractère essentiel, l'individualité., Certes, la grandeur et li
force éclatent à chaque page des Béatitudes. Où trouver, d'âutro
part, plus d'ampleur dans le développement musical, plus d'au-
dacë^heureuse dans les combinaisons, que dans le Quintette ei
le Quatuor à cordes, plus de poésie et de tendresse que dans
Psyché, plus de grâce mystique que n'en c\\\^\é'îiédemptioi\?
Toutes ces qualités, dont le maître a fait prouve à un éminont
degré, ne sont pourtant pas ce qui constitue la marque essentielle
et spéciale de son génie. Si chacune d'elles a eu son heure d'épa-
nouissement, suivant les nécessités de l'œuvre, il en est une autre
qui se retrouve partout, dans les pages ies plus simples aussi bien
que dans les compositions les plus vastes, dans les oratorios
comme jans les drames lyriques ou les œuvres symphoniques,
toujours abondante, naturelle et spontanée : c'est l'originalité har-
monique. Contester le don mélodique à un pareil maître serait
folie et nous ne nous arrêterons pas à prouver que son œuvre
abonde en beaux chants; mais il est hors.de doute que César
Franck a manié le contre-point comme personne, qu'il a jeté dans
le monde musical une incroyable quantité d'harmonies nouvelles,
se présentant sous les formes les/j^us imprévues ei consiiiuani
un riche trésor, où puisera l'avenir pendant de longues années.
César Franck est un penseur. Sa place, dans l'histoire de la
musique, est h côté de Bach. »
Le dernier numéro paru des Hommes d'aujourd'hui publie un
portrait et une biographie d'ttenry Céard, l'auteur des Résignés
et de /rt P<'c/i^, joués au Théâtre-Libre.
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V
y. m
1 '■■^ï
Dixième ann^e. — N"* 52.
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 28 Décembre 1890.
L'ART MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Comité de rédaction i Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. -^ ANNONCES ; On traite à forfait.
— — Adresser toutes les communications à -7- — - . —
l'administration générale de TArt Moderne, rue de rindustrië, 32, Bruxelles.
?'
lOMMAIRE
Référendum artistique. — Yeux clos. — Une allocution de
M. Gevaert. — Tours et tourelles historiques de la Belgique.
— Livres d etrennes. Publications Hachette. — Petite chronique.
— Table des matières.
REFERENDUM ARTISTIQUE
Le Salon des Aquarellistes, actuellement ouvert au
Musée, ramène l'attention sur ce procédé spécial d'ex-
pression artistique : l'aquarelle.
Dans le compte-rendu que nous avons publié (1) nous
avons constaté, — en même temps que l'habileté indé-
niable des exposants et leur talent à croquer, du bout
du pinceau, un site, une figure, un intérieur coquet, —
certain glissement vers l'imagerie, vers un art tout en
surface et en décor, agréable à l'œil, certes, mais exclu-
sif de la pensée. L'œuvre? L'œuvre ? réclamions-nous
avec insistance, ennuyé de n'avoir guère rencontré, en
ces deux cents cadres, que joliesse, improvisation, cro-
quis rapides notés au cours d'un voyage, — au résumé,
la causerie brillante, à bâtons rompus, d'hommes
d'esprit bavardant sur toutes choses, et non l'élo-
quence incisive d'un orateur qui fait réfléchir, qui
émeut, qui emporte l'âme vers les hautes sphères.
(i) Voirnolre numéro du 14 décembre.
En ce renouveau d'art, qui s'affirme si glorieuse-
ment à notre époque^ l'aquarelle n'a-t-elle pas un rôle à
jouer? N'est-elle pas, au même titre que la peinture à
l'huile, que la sculpture, apte à exprimer profondément
les sensations neuves que provoquent en nous quelques
artistes de la génération nouvelle ? La technique dont
usent les aquarellistes ne permet-elle que les approxima-
tions d'un art superficiel ? Ce serait assigner à l'aqua-
relle un rang subalterne, créer une distinction en con-
tradiction avec ce principe, plus que jamais affirmé :
l'art n'est soumis à aucun procédé ; il s'exprime libre-
ment et n'admet ni lisières, ni formules.
Il y a là une question sérieuse à élucider. Elle est
digne de préoccuper ceux que passionne l'étude des évo-
lutions artistiques et qui voient dans l'art autre chose
qu'une, distraction passagère et un amusement des
yeux.
Il est bon que les artistes y réfléchissent. Aussi avons-
nous jugé utile de leur demander à eux-mêmes leur
avis, usant du moyen d'enquête à la mode : le Référen-
dum.
Choisissant une dizaine d'aquarellistes les plus en vue
parmi les exposants et les invités du Salon actuel, nous
leur avons écrit en ces termes :
Une discussion artistique que j'ai- eue, ces jours-ci, avec des
amis, au sujet de raquarellè, itie donne l'idée de demander à
quelques-uns des maîtres du genre leur avis.
1
^
410
LART MODERNE
Quel est le caractère essentiel de l'aquarelle? Doit-elle néces-
sairement être spontanée, primesautière? Ou peut-on, au con-
traire, la traiter avec la lenteur, le soin, la perfection d'une pein-
ture à l'huile? N'est-elle qu'un- moyen d'exprimer rapidement et
sommairement un cfFet ? Ou peut-elle réaliser aussi complètement
que les autres procédés l'impression artistique, acquérir le
« di5fiuitif » de l'œuvre d'art? La technique elle-même de l'aqua-
relle n'est-elle pas exclusive de certaines impressions, notamment
delà lumière intense? Faut-il, en conséquence, classer l'aqua-
relle, dans la hiérarchie des arts, à un degré inférieur, ou a-t-elle
la môme valeur artistique que les tableaux?
Voici les réponses que nous avons reçues. Elles sont
• d'autant plus intéressantes qu'elles marquent très exac-
. tement, ainsi qu'on le verra, la personnalité de chacun
de nos correspondants. .Et à ce propos, qu'il nous soit
permis de les remercier d'avoir bien voulu se prêter ,^
avec tant de bonne grâce et d'esprit, à notre intei-roga-
toire.
CONSTANTIN MEUNIER.
Cher ami.
Définir l'aquarelle? C'est pas si facile, à moins d'avoir beau-
coup d'esprit et une plume à son crayon. Pour toi cependant je
vais essayer: — —
11 y a l'artiste, d'abord. A celui-là, n'importe son o\x{\\:éhauchoir,
brosse, crayon, il en sortira une œuvre d'art. Que lui importe?
Mais à côté il y a l'aquarelliste, c'est-à-dire celui qui est avant
tout aquarelliste, et les qualités qui lui sont nécessaires sont
l'esprit, l'esprit dans la touche, l'enlevé dans l'exécution, l'a peu
près des choses, l'art de dire des riens, mais spiriluelleinent. C'est
encore de l'art, cela, cat il n'est pas donné à tout le monde
à'^^'o\v de V esprit. En un mot, l'aquarelle est un art charmant,
mais fragile comme la matière ou les matières employées dans ce
genre. ,
Je crois avoir tout dit,' cher ami, très mal, mais pourquoi aussi
demander de la prose à un peintre ?
Je te serre la main très cordialement.
Meunier.
FRANZ BINJÉ;
Mon cher Maus,
Je vais tûcher de répondre, point par point, à ton petit
. référendum.
A mon avis, le caractère essentiel de l'aquarelle est de ne res-
sembler à aucun autre genre de peinture : il faut qu'elle soit
franchement la taché, la goutte d'eau colorée ; c'est dire que je la
veux primesautière, spontanée; seulement, entendons-nous sur
le sens de ces mots : je n'entends pas pai- là l'aquarelle «au petit
bonheur », la tache plus ou moins harmonieuse. Je veux l'aqua-
relle réfléchie, construite d'avance dans le cerveau, en tant que
grandes lignes, que sentiment, que symphonie, qu'impression
- d'ensemble, en un mot. '
C'est dire qu'on peut la traiter — alors — avec la lenteur, le
soin et la perfection d'une peinture à l'huile, mais en ne la
poussant pas adssi loin, comme on dit en argot d'atelier.
On peut — on doit même — lui garder, jusqu'à un certain
point, le caractère d'un croquis, mais ce caractère doit être voulu ;
c'est ce qui la différencie du croquis véritable.
Pour parler d'expérience personnelle, mes aquarelles que l'on
trouvait les plus réussies ont été généralement celles qui avaient
l'air d'être venues d'un coup, comme au hasard de la coulée;
pourtant elles avaient presque toujours été d'une gestation beau-
coup plus laborieuse que les autres. L'aquarelle idéale est pour
moi celle qui, malgré le travail du cerveau, de l'œil et de la main,
donne l'impression d'une chose ve7iue sans peine, d'une improvi-
sation heureuse. Elle doit exprimer sommairement, mais nette-
ment, un effet; elle peut, en s'en tenant à cette concision, réaliser
aussi complètement que les autres procédés l'impression artis-
tique, acquérir le « définitif », comme tu dis. Définitif relatif,
bien entendu, et approprié au genre; il ne faut pas demander au
Whatman plus qu'il ne peut donner. La question de format y
est d'ailleurs pour quelque chose. El l'aquarelle est essentielle-
ment un art de portefeuille. 11 y a actuellement une tendance chez
aucuns à en exagérer les dimensions; c'est un tort, à mon avis.
Les grands formats demandent une intensité de ton que l'aquarelle
ne peut donner sans lourdeur ; ils obligent aussi à détailler beau-
coup plus, chose absolument contraire au procédé de la tache
coulée, et ct)nduisent — si l'on finit beaucoup, à l'image coloriée
— si l'on ne finit pas, ati décor. (Je sais bien que tu me citeras
des noms de peintres dont, autant que tor, j'aime les œuvres.
Mellery, diras-tu, ses œuvres ne sont certes pas sommaires? Non,
sans doute, mais ce sont des dessins, d'admirables dessins
jeiM/^5j_etnjon des aquarelles. Mellery n^'a jamais fajt^d'aquarelles,
et l'ami Khnopfï n'en fera jamais non plus — malgré ses bonnes
intentions!)
La technique de l'aquarelle n'est pas exclusive de certaines
impressions, notamment de la lumière intense, pas plus, d'ailleurs,
que ne le sont le fusain et l'eau-forle. Aucun procédé d'art ne
donne la lumière absolue, pas même celui des divisionnistes
du ton, qui en approchent un peu plus que les mélangistes, mais
combien loin encore ! et au détriment de la facture, ce charme si
personnel de l'œuvre d'art! (Pauvre moi!... Gare la férule !)
L'art ne donne qu'une lumière relative, un à peu près, un arti-
fice... Cette sensation de lumière résulte non pas du ton en lui-
môme, mais des relations justes et du clair-obscur bien compris.
L'aquarelle expririie ces choses aussi bien que n'importe quel
procédé de peinture et peut donc arriver à donner une impression
relative de lumière, comme le donne, d'ailleurs, le simple papier
griffé de noir... par un artiste. Un tableau deMonet est, au point
de vue absolu, plus éclatant, plus clair, qu'une eau-forte, ce qui
n'empêche qu'au point de vue de la sensation artistique telle
eau-forie de Rembrandt, par exemple, dégagera une bien plus
vive impression de lumière. C'est donc chose relative que l'im-
pression de lumière, et, pour un œil d'artiste, l'aquarelle la donne
aussi bien que n'importe quel procédé : simple question de trans-
position, comme e'n musique. Les tons de l'aquarelle, pris isolé^
mentrrsontTHoins éclatants, moins lumineux si l'on veut, que les
tons de la peinture à l'huile, mais, si les rapports sont justes, la
sensation artistique qu'ils produisent est la même : c'est la même
harmonie, dans un timbre différent. La guimbarde ne doit pas
lutter avec le violoncelle, voilà tout !
A mon avis, l'aquarelle a la môme valeur artistique que le
tableau; il y a de bonnes et de rhauvaises aquarelles (le motifl
ah, l'horreur !) comme il y a de bons et de mauvais tableaux.
Le tout est de faire œuvre d'artiste; le style, le caractère,
l'émotion, la pensée, le rêve produisent ce rayonnement indéfi-
nissable, cette communication électrique qui, à travers l'œuvre,
va de l'artiste qui crée à l'esthète qui regarde. Le procédé ne fait
I IMI
UART MODERNE
411
rien à l'affaire, el l'aquarelle est aussi bon conducteur Aq ce cou-
ranl que n'importe quel genre de peinture.
Voilà, mon cher Maus, l'avis bien sincère d'un artiste qui s'est
jusqu'à présent plus occupé de faire des aquarelles que d'en
analyser le pourquoi et le comment. ^ .
Bien à toi. -
. Fr. Binjé.
FERNAND KHNOPFF.
MON CHER AMI,
Être classé maître du genre, sans avoir jamais exposé d'aqua-
relle et après en avoir à peu près terminé deux, me semble trop
flaljteur pour ne pas répondre à ton quegtionnaire,
'(« Words, wonds », disait Hamlet, et un autre, plus d'aujour-
d'hui, précisait : « Se taire, se taire et agir en conséquence ».)
Cela posé : toutes ces « considérations » ne peuvèntr aboutir
qu'au plus étroit maniérisme. — ' "
Le procédé est peu ; l'impression est tout.
Le plus récemment, sous l'influence japonaise trop rapide et
superficielle, « on a trouvé » que l'aquarelle devait être « spon-
tanée el primesautière »; ce que défendirent avec acharnement,
d'abord les artistes de nature spontanée et primesautière ; ensuite,
avec plus d'acharnement encore, ceux à qui des études primesau-
tières ne permettaient que le spontané?
C'était à prévoir.
— Mais, ^^vail-on pas aussi trouvé déjà que le pastel ne conve-
nait qu'à des fadeurs « genre xviii® siècle », l'eau-forte à des grif-
fonnages et la lithographie à des « entête de factures »?
On (le même, toujours) a pu voir depuis, dans ces trois genres,
des œuvres remarquables, quoique absolument indépendantes de
ces « traditions ».
El, pour terminer : Gustave Moi-eau n'a-t-il pas exécuté des
aquarelles aussi « définitives » que ses plus belles toiles?
An revoir. _ :
FeRNAND KHNOPfF,
des XX.
HENRI STACQUET
Mon cher Maus,
Je préférerais blaguer que d'écrire; cela me va mieux.
Je blague beaucoup el j'écris peu.
El puis, les contradictions amènent les idées. On dit vile et
mieux. Même une bêlise.
Souviens-toi de nos bonnes causeries à l'entresol de la « Chry-
salide». Il y a beau temps décela.
Enfin, puisque lu me le demandes, voici ce que j'aurais pu
dire, si j'avais été de votre discussion artistique.
Le caractère essentiel de l'aquarelle, c'est sa personnalité. Elle
doit être le portrait vivant du peintre. Rappelle-loi nos amis
Boulcnger, Huberti, Heurteloup. Vois, aujourd'hui, Mellery, Smils,
Meunier, De Vriendt, Uytterschaul, Den Duyls, Oyens, ne sont-ils
pas là tout entiers bien plus que dans leur peinture à l'huile ?
L'aquarelle est primesautière et, par ce mot, je ne veux pas dire
qjii'elle doive être faite vivement, avec habileté ou en quelques
louches. J'entends que son premier jet doit être spontané, forte-
ment senti cl hardiment lancé sur le papier.
Plus que tout autre procédé, elle a besoin de la nature, du
modèle. Il lui faut, avant loul, l'émotion vivement ressentie. —
le premier coup de pinceau étant le meilleur.
Avec de la gaieté, de la joie ou de la tristesse au cœur, il faut
que l'artiste traduise en quelques touches ce qu'il ressent.
Après cela, qu'il approfondisse son œuvre en la travaillant
avec lenteur ou qu'il la laisse à l'état d'ébauche, suivant l'impres-
sion ressentie; qu'elle soit légère et limpide ou loiirde el opaqu'e,
elle restera primesautière par le sentiment.
Et toujours, il faut qu'elle soit, émue, aussi bien devant une
plage ensoleillée que devant une tragique descente de mineurs.
Elle peut donc être lavée comme certaines aquarelles de
Jaquemart, ou bien traitée avec la perfection d'une peinture à
l'huile, comme celle de Degroux ou de Rops, laissant cela à
l'impression du moment el au tempérament de l'artiste, ne
demandant surtout pas à celui-ci de faire comme celui-là.
Tu me demandes si la technique n'est pas exclusive de cer-
taines impressions, notamment de la lumîère intense.
Non, certainement non. Si pour arriver à l'intensité de la
lumière, il n'y avait que la solution cherchée encore par quel-
ques-uns de nos courageux artistes, je dirais : oui, le système des
juxtapositions étant d'une application impossible à raquarellc.
Mais il y a pour celle-ci ce que Manet avait si bien pour la pein-
ture à l'huile : la simplicité des tons, sans mélange fatiguant sur
la palette, et leur application d'une louche franche et vibrante sur
le papier. '
Où l'aquarelle reste dans une condition d'infériorité incontes-
table, c'est devant ce qui s'appelle le beau morceau de peinture :
un rocher de Courbet, par exemple. Elle est également impuis-
sante devant la reproduction du portrait humain, celui-ci exigeant
le modelé des lumières et des ombres, la fraîcheur des chairs en
celte belle pâle vibrante el sonore des Velasquez, des Van Dyck.
Je me résume eçi disant que pour toute œuvre d'impression vive
el de grande émotion devant la chose vue #u sentie, l'aquarelle
est l'égale de ses sœurs el ne peut être classée à un degré infé-
rieur.
Elle peut « réalispr, aussi c(împlèlement que Irs antres pro-
cédés, l'impfession artistique, le définitif de l'œuvre d'art ».
La question que lu soulèves est bien inléressanle.
Il y aurait encore beaucoup à dire, mais pour cela, je voudrais
te voir attablé, avec nous, chez Deknoop, à Saint-Job, après une
bonne omelette. Nous causerions de cela, el de bien d'autres
choses encore, el en chœur lu dirais avec nous que
La peinture à l'huile.
C'est pas difficile :
Mais c'est pas si beau
<5ue la peinture à l'eau. y
• Sur ce, bien à toi el de loul cœur
Ton vieux
H. Stacquet.
MAURICE HAGEMANS.
Mon CHER AMI,
Vous voulez bien me demander mon opinion sur le caractère
que « doit » présenter l'aquarelle.
Mon avis est qu'il convient de laisser à l'artiste la plus grande
latitude sur le choix des moyens à employer pour arriver à pro-
duire une œuvre « d'artiste ». Que m'importe la « cuisine » du
métier, si le résultat obtenu me séduit et m'émeut?
Les pimpantes et papillotantes machi nettes des Italiens nous
horripilent, en dépit ou plutôt à cause de leur habilelé simiesque.
C'est ce qu'un Vinglisle de nos amis appelait spirituellement : la
patrouille turque de l'Art.
w
Certes, plus gauches, plus irlpolées, plus faliguéçs, les aqua-
relles des maîtres hollandais, tels que Maris, Mauve, Isracls, etc.,
nous empoignent 61 nous charment délicieusement.
Conclusion : nriieux v,aul fatiguer son papier que son public.
A vous bien cordialement.
M. Hagemans.
Nous continuerons dans un prochain numéro la
publication de ces documents de haut intérêt, et nous
conclurons.
YEUX CLOS
Vous vous souvenez, Esthètes, d'un tableau [d'OoiLON Redon,
•le mystérieux qui taniôt descend dans les ténèbres des noirs,
tantôt monte et flotte dans l'atmosphère des clairs, — un tableau
à l'exposition des XX : une très douce tête de femme, pen-
chante, au visage calme comme la mort, mais, néanmoins, avec
iiri appui des paupières rabattues sur les yeux invisibles, un ser-
rement des lèvres, imperceptible presque, qui décelaient la vie
sommeillante, ou plutôt absorbée dans le rêve; les cheveux'cou-
lant lentement des deux côtés d'un front pur, ainsi que des filets
d'eau parfumée ; une épaule, nue, formant socle, peu définie, se
perdant derrière la clôture du cadr^; les oreilles indistincties,
mais devinées charmantes par l'harmonie nécessaire avec les des-
sins cl les nuanceb visibles, ions délicats dans leur exquise
ténuité, leur exquise opalité. .
Voici celle œuvre, aimée pieusement, image de sainte, image
de vierge, image de Féminité, la voici en lithographie, avec cette
désignation : Yeux clos. En cinquante exemplaires, pour vous.
Esthètes, pour vous seuls. Et Je très doux paysage rêveur de cette
image de femme apparaît plus doux encore, vivginalemeht
tendre, et si bien réalisateur de l'idéal que nous, les hommes
"Chercheurs d^ivresse~scntiTneTitalti:Brroqjours induits en inauva
placements des forces brûlantes de notre cœur, nous faisons sur-
gir des enchantements du sexe. Que cache, sous ses yeux clos,
cette tête penchante, que clot-elIe sous ces yeux clos, sous ces
lèvres closes où il semble qu'on distingue vaguement l'empreinte
d'un scel? Et qu'interrogent ces fines narines|baillant vibratilement
un frémissement léger comme les souffles de brisé qui se glissent
sournoisement par les joints des fenêtres, les soirs d'avril, quand
on regarde, sans regarder, l'universelle germination du printemps
dans la forêt autour de la maison des champs?
Art qui fait penser! Art qui fait rêver! Art qui mixture la réa-
lité et la mysticité, tantôt dans les ténèbres, tantôt dans l'atmo-
sphère des clairs, mon âme te bénit de lui apporter ce lot de sen-
sations ! Et toi artiste, elle le reçoit comme un ami et comme un
bienfaiteur, ô chasseur du morose, ô messager d'idéal, ô pêcheur
miraculeux aux filets pleins de poissons radieux, péchés dans les
eaux et dans les ciels où lu lances l'épervier par de grands gestes
musicaux de roïfgicien.
■ UNE ALLOCUTION DE M. GEVABRT '
L'éminent Directeur du Conservatoire de Bruxelles a, pour
l'auditoire de ses concerts, une sympathie qui n'a rien de pas-
sionné. On le voil à la façon froidement impertinente dont il
attend, avant chaque morceau, que les caillettes mondaines
fassent silence, aflpi méprisant dédain avec lequel, chaque morceau
achevé, il descend de son estrade de chef, au milieu des' bravos '
qu'il affecte de ne pas entendre.
Vraiment il a, en ces circonstances, très grand air.
Parfois il prend la parole, et alors c'est, sur le trouçeau, un
cinglant coup de lanière. Tel ce qu'il a fait, dimanche dernier, au
moment de donner le grand vol à ce chef-d'œuvre, encore pri-
sonnier dans l'ûrchestrei la Symphonie héroïque :
« J'aii quèque chose à dire au public : Que ceux ou -celles qui
n'ont pas trois quarts d'heure à accorder à la Symphonie héroïque
de Beethoven, s'en aillent tout de suite. En sortant, suivant leur
mauvaise habitude, vers la fin de l'exécution, ils gênent leurs
voisins qui veulent se recueillir dans l'audition d'un admirable
drame, dont toutes les parties se lient intimement, ils troublent
mes musiciens, et me mettent en colère par cette profanation.
Donc, qu'ils s'en aillent tout de suite !»
Une petite partie de la salle a bruyamment crié bravo ! bravo !
La méchante humeur du surplus était visible. Ce surplus venait
de se laisser jauger en applaudissant à plein tapage, dix fois plus
que la deuxième symphonie du pauvre Beethoven par laquelle le
concert avait débuté, un sentimental troubadour allemand qui
avait roucoulé, pas mal mais combien de la gorge ! quelques
mélodies. M. Gevaert avait écouté ce brouhaha de claquements et
de rappel du haut de sa barbe blanche de grand faune, énigma-
tique et railleur. C'est immédiatement après que, pensant sans
doule à ces femmes qui mettent deux heures à s'habiller et qui
marchandent trois quarts d'heure à Beethoven, il a, de sa voix
calme el-de sa dent dure, lâché son : Que ceux qui n'ont pas le
temps, f.... le camp, et tout de suite, n.... d.... D.... !
Fétis, dans son Dictionnaire des musiciens, raconte que, dans
une occasion analogue, le grand ancêtre Beethoven avait dit (en
pleine cour/ où l'on causait) : Je ne conlinùe pas à jouer pour de
pareils cochons !
-bien, il y a -quand-même-unc-grue-q^ui 8'(^t vailiammenl —
levée et a ostensiblement décampé avant la fin !
TOURS ET TOURELLES HISTORIQUES DE LA BELGIQUE
D'après les aquarelles de M. Jean Baes, architecte, sous-directeur de
l'Ecole des Arts décoratifs. — Un album de cinquante planches en
couleurs, in-folio, en un cartonnage artistique illustré. — Publié
par M. E. Lyoïï-Claesen, éditeur à Bruxelles. — Dès presses de
M. Goossens, imprimeur.
Nous avons, à son apparition, salué joyeusement cette jolie
série d'aquarelles dans lesquelles M. Jean Baes, l'habile architecte,
réunissait un choix des tours et des tourelles caractéristiques
dont le Moyen -âge a fleuri notre pays. « C'est, disions-nous, d'une
variété ravissante. Prises tantôt de haut, tantôt de bas, tantôt à
hauteur, avec une adresse de perspective étonnante, ces tours et
tourelles sont du coloris le plus juste, le plus harmonieux et le
plus- flatteur, d'une dextérité merveilleuse. C'est une série de
bijoux. Bruges, Malines, Gand, Anvers et même Dieghem nous
montrent le pittoresque de leurs clochers et de leurs clochetons.
La vue d'Anvers prise du haut dé la flèche de la cathédrale est
particulièrement séduisante avec sa prairie de toits bleus et
rouges, pâles et lointains : on dirait des papillons posés sur un
champ de trèfles (1) ».
(1) L'Art Moderne, 18R2, p. 147.
Ces lours, ces tourelles, ces clochetons^ ces campaniles, ces
bc'frois, gloire de l'architecture de notre patrie, dans lesquels
la fantaisie et le caprice se sont donné libre carrière, un éditeur
d'initiative, M. Lypn-Claesen, connu pour la lïiagnificenoe de ses
publications d'architecture, a eu l'excellente idée de les repro-
duire et d'en composer un album de luxe, tiré en couleurs. Ce
qui est merveilleux, c'est que ces reproductions imitent, à s'y
méprendre, les originaux : les nuances Ips plus délicates, les lavis
les plus fluides et jusqu'au grain du papier sont rendus avec une
perfection qui n'a, croyoris-nous, jamais été atteinte en Belgique
jusqu'ici. L'ouvrage ne laisse pas place à la plus légère critique.
C'est le coloris même, dans tout son éclat, des aquarelles de
M. Baes, ce sont les coups de pinceaux de l'artiste, les ductiles
applications de la « goutte colorée », exprimant avec bonheur une
saillie, un détail d'architecture, une silhouette, un ornement.
A tous ceux qui prétendent qu'il faut recourir à l'étranger pour
obtenir de parfaites reproductions des oeuvres d'art, l'ouvrage
répond victorieusement. Et c'est un triomphe pour la librairie
nationale en môme temps que pour l'artiste qui a conçu l'idée
originale^ de réunir toutes ces cages où chantent les carillons...
Publications Hachette.
Des publications d'étrennes de la maison Hachette, il faut mettre
à part, cette année, la nouvelle édition de l'Enfer et l'édition
diminuiive de Mireille. L'une et l'autre, en leurs formats réduits,
gardent la beauté de leurs aînées^ puisque, le luxe des premiers
tirages en moins, elles leur restent pareilles par les dessins et le
décor extérieur.
Cet Enfer du Dante, traduit par Fiorentino, et qu'on a fini par
appeler VEnfer de Doré, pour les transcriptions touffues où il en
restitua les visions, a vraiment été, — pour l'extraordinaire artiste
que Doré fut souvent à travers l'inégaliié de ses improvisations,
— une source de tragiques et hautes inspirations. En commentant
ces textes farouches, on peut dire qu'il s'est retrouvé dans l'élé-
ment intellectuel qui correspondait le mieux à ce goût du surna-
turel et à ce sens de l'effroi à propos desquels il a été écrit qu'il
était lui-même un artiste dantesque.
Son romantisme turbulent et fiévreux déborda par delà les
formes classiques du poème souverain dont peut-être il n'assuma
pas les grands rythmes, mais qu'H s'assimila en ses épouvantes
et ses désolations. Toutes les matérielles terreurs du cycle infernal,
les aspects de cataclysmes figés des ténébreux pays où passent
Dante et son guide, l'horreur pétrée des chaos en suspens sur
l'éternité de la damnation, il les restitua, certes, de toute la force
d'un esprit hanté par les spectres et les gouffres.
C'est que, à travers ces grappes humaines et ces figurations de
contrées funèbres, la graphique tourmentée où il excellait pouvait
se donner carrière, il ne sortait pas des modes plastiques qui per-
mettent d'en incorporer le sensible et le tangible. Son merveilleux
talent toutefois devait échouer à exprima ce qui n'était expri-
mable que pour un artiste plus parfaitement intellectuel, le ma-
gnétisme de l'eff'roi circulant parpnii toute l'œuvre, les suprêmes
dérélictions des âmes abandonnées à leur destinée, le mystère
sacré et les significations occultes de ce livre religieux, de celte
bible des vengeances divines. Des surhumaines fatalités qui y
planent,, il fit une sujte de cauchemars monstrueux où, bien plu-
tôt que les Anges d'exterminations et les Esprits des ténèbres, on
s'attendrait à voir surgir des Sanhédrins de sorcières.
Et pourtant, telles qu'elles sont, les soixante-seize-planches de
son Enfer suffisent à l'associer pour une part à la gloire du Poète.
Ce qu'on relient surtout.de ces étonnantes gloses, c'est la colère
et l'implaçabilité des paysages, le cosmos bouleversé et rigide
dont les formes s,emblent revêtir des humanités captives, les ver-
tèbres et les os de la Terre devenue le simulacre d'un énorme
cadavre sur des croix.
Doré, à travers l'obscurcissement livide des crépuscules, à tra-
vers la réverbération des soufres et des poix en feu, a rendu
perceptible le sens du vertige. Une hallucination d'abîmes sans
bords, parmi l'illimité des espaces, se dégage vraiment, terrifiante
de quelques-unes principalement de ces évocations affolantes.
« L'artiste, a dit Th. Gautier, a inventé^ le climat de l'enfer». Et
c'est pourquoi les pages dont nous parlons demeureront comme
la caractéristique de celte imagination torrentielle, de cette
faculté inventive qui tenait du phénomène et faisait tourbillonner
dans son pléthorique cerveau un vortex de formes et de gestes.
Le fantastique, — ce surnaturel inférieur, — semble avoir été
le vrai coup d'archet qui faisait vibrer ce cerveau à lui seul touffu
et pathétique comme tout un orchestre. La caricature, dans ses
licences épiques, tenant elle-même du fantastique, il y apporta la
vivacité, la spontanéité, la verve frénétique et imprévue qu'il con-
servait dans ses compositions plus graves. L'Histoire du Capi-
taine Castagneite qu'il illustra pour Quatrelles et qui sera l'un
des succès de la librairie Hachette, rappelle par sa drôlerie éiiormc
et son comique pincé-sans-rire les plus bouffonnes croquades des
contes de Balzac.
De la nouvelle édition*de Mireille il n'y a plus rien à dire qui
n'ait été dit ici lors de l'édition première. En réduisant le prix du
volume, les éditeurs ont eu le souci de garder à ce poème de
nature et d'amour, à celte fleur de la littérature villageoise au
sujet de laquelle Lamartine écrivait qu'un « grand poète épique
était né, un vrai poète homérique, un poète né, comme les hom^
mes dé Deucalion, d'un caillou de la Crau », les prestiges exté-
rieurs et le luxe typographique de la publication antérieure. Il n'y
a, pour les eaux-fortes et les dessins, que la différence de l'ori-
ginal à la reproduction par le procédé. Mais le procédé de M. Lu-
mière est lui-même si parfait qu'on a l'illusion du mordant et du
velouté des tirages sur cuivre et que la transcription de M. Eug.
Burnand, avec son charme de paysages et de figuVes, apparaît
intégrale, sans qu'on ait à déplorer la moindre altération. Ce
sera, pour les artistes, une révélation que cette réapparition des
plus fugitifs effets et jusque des nuances de l'œuvre originale,
grâce â ce mode si immédiatement adéquat et qui conserve toute
la fralcheuri&t la virginité de l'impression après la morsure.
Petite chroj^ique
Très belle ouverlurej de concerts au Conservatoire, dimanche
dernier. L'orchestre, admirablement stylé, a montré, dans la
Symphonie hér&ique surtout, une compréhension supérieure.
C'était tout autre chose qu'une exécution exacte et méthodique.
On sentait, dans ce groupé de musiciens de talent et de cœur, une
fusion; un ensemble, un enthousiasme rarement égalés.
En manière d'intermède, un chanteur allemand, M. Glessen,
a interprété d'une voix gutturale, s'enQanten manière d'accordéon.
\/-
mi :*: '
414
L'ART MODERNE
■ort?
\
mais avec une parfaite diolion et une expression juste, un cycle
(le licder tic Bcctiioven, accompagnés par M. Edouard Lassen, et
entre autres i'-<4(ic/rtïde bien connue.
Pour finir, le petit discours traditionnel de M. Gcvaert au
public dont nous parlons ci-dessusi '
M"" Richard, vers qui.s'étaient tendues les impatiences à débuté
cette semaine dans la Favorite.
La majestueuse Eléonore a fait bonne impression, malgré le
développement inusité de sa personne. Belle voix dans le registre
grave, organe malheureusement atteint, dans les notes hautes,
par le ravage des années. Gestes convenus d'opéra, toute la
mimime traditionnelle des mains sur le cœur et des yeux au ciel.
11 est vrai que pour celte chose invraisemblable qu'on nomme
la Favorite l
M. Charles Tardieu a fait au Cercle artistique, samedi dernier,
' une intéressante causerie sur Siegfried. Il en a exposé le poème,
lardant son analyse' de souvenirs personnels et d'aperçus origi-
naux. Le portrait de Louis Brassin, promoteur du mouvement
wagnéricn k Bruxelles, a été l'un des morceaux littéraires les plus
goûtés de celte conférence, dont le succès a été de bon aloi.
Un joiirnsd pontifard, l' Indépendance belge {for.everl) vient de
publier ceci :
« En 1849, l'Académie de médecine de Paris, réunie en concile
solennel, fulminait contre l'hypnotisme qu'elle déclarait une
simple parade de charlatanisme, indigne de figurer, même nomi-
nalement, au rôle des sciences dûment reconnues comme telles.
— En 1890, M. Brouardcl, le doyen de celle même Académie,
discute, en pleine cour d'assises, les mystérieuses manifestations
de la force psychique inconnue dans son essence, mais puis-
sante, mais indiscutable.
« L'antiihèçe est piquante. C'est un peu le cas de la microbio-
logie actuelle. Le père Raspail prétendait que toutes les maladies
provenaient de corpuscules infiniment petits qui se glissent, pour
l'infecter, dans l'organisme. Et chacun de railler le père Raspail.
Les corpuscules d'antan sont revenus sous le nom de microbes,
admis par tous les savants, étudiés, traqués, catalogués dans tous
les laboratoires.
« Et voilà comment l'hérésie du jour est l'évangile du lende-
main. »
C'est bien, ça, braxe Pontifex maxinuislUaiis dans l'Art, c'est la
même chose. Et pourquoi alors tombez-vous, avec la régularité d'un
mouton battant des pilotis, sur les tentatives de l'Art neuf? C'est
aussi bête ça, et aussi imprévoyant que les gaffes imperturbable-
ment répétées des Académies. Si vous faisiez inoculer un peu de.
lymphe Brown-Scquard à vos radotagcis, vous guéririez peut-être
de ce macrobisme et de ce microbisme, digne vieillard.
Toujours la « pousse des feuilles ». Voici deux revues fraîche-
ment écloses, l'une en Belgique, l'autre en Italie. Les titres? De
PIANOS
BRUXELLES
rue ThérésiennOi 6
GUNTHER
VENTE
ÉCHANGE
LOCATION
Paris 4867, 1878, !«' prix. — Sidney, seuls !•' et 2« prix
EIPOSITlOMs'llSTEROil 1883, ANTERS 1885 DIPLOME D'HOIIEDl.
l'une : la Mosaïque, hebdomadaire, paraissant le jeudi, rue des
Tr'ois-Têlçs, 12\ à Bruxelles. Oa y parle de tout,. d'économie
domestique, d'hygiène, d'inventions, de sport, de cuisine, d'art
et même dé bottes. Le journal ne manquera, certes, ni de variété
ni d'intérêt. .
De l'autre : Cronaca d'arte, paraissant tous les dirflanches sous
la direction de M. Valcarenghi, Via Guasialla, 9, à Milan. La revue
se présente en huit pages de grand format et déploie, en ligne de
bataille, toute une armée de collaborateurs : écrivains, peintres et
musiciens.
Nous souhaitons aux- deux nouveau-nés une existence semée
de roses.
Le baryton Henri Heuschling donnera le 14 janvier, à 8 1/2 h.,
son Chant récitai annuel dans la salle de la Grande-Harmonie. Il
interprétera le Poème d'amour, écni par le regretté Auguste
Dupont sur un poème de Lucien Solvay, des mélodies de César
Cui, les Heures de Tristesse du comte de Kervéguen et un cycle
de mélodies de Brahms. On sait que les auditions de M. Heusch-
ling sont toujours très intéi'essantes et très suivies.
Le dernier numéro (novembre) de la Société nouvelle, sous la
direction de MM, F. Brouez et A. James, nos compatriotes, est
d'une saveur exceptionnelle.
Nous en avons publié le sommaire dans notre numéro du
14 décembre.
Nous pouvons dire en toute sincérité que rarement nous avons
trouvé, réuni en un seul fascicule de Revue, autant de choses
excellentes. Pour ne rien dire d'Emile Verhaeren, un des nôtres,
nous signalons notamment les trois articles d'Albert Giraud,
d'Eugène Demolder, de Hubert Krains.
Vraiment, si cet ensemble était publié en France, il ferait sen-
sation! Toutes les espérances se réalisent. La Belgique a, désor-
mais, son bataillon d'écrivains accomplis.
Est-ce que notre presse daignera s'apercevoir que ce nuniéro de
la Société nouvelle commande une mention spéciale et enthou-
siaste?
La cérémonie dg la distribution des prix aux élèves du Conser-
vatoire de musique de Mons a eu lieu dimanche^ au théâtre.
Celte remise de récompenses a été précédée du concert habituel
donné par les élèves du Conservatoire. L'orchestre a eu les hon-
neurs de la séance en interprétant admirablement h Fête Bohême
de Massenet, une page d'une originalité ravissante, et Triumph-
J[/ar£c/t, une composition du plus haut mérite de AI. Jean Vanden
Eeden, le savant directeur du Conservatoire. Il règne dans cette
œuvre du maître l'inspiration élevée qui se remarque dans toutes
ses différentes conceptions. Le motif est noble, grandiose et conçu
dans un style d'une ampleur magistrale.
Ces deux exécutions ont soulevé les bravos les plus mérités.
{Journal de Mons.)
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4 JANVIER: 1891
Onzième année
NUMERO UN
M aïs de cr[ttin&4 riYant-Garle
'i ■ . ■ •' ■ ' . ' ' ' ' I •
Un très petit gitmpe d'écrivains fonda, il ta dix ans,
cB]mTta\T Art moderne, et, pendant dix ans, l'ali-
menta. Une œuvre de CBm<)U£ pare. Et cette critique,
tnajoarsA l'avant-oaedk. ^
Hardiesse dans la résolution, opinifttreté dans Tioé'
cation, étranges môme pour ceux qui, la plupart,
n'étaient de profession ni joomalistes, ni artistas. Mah
ce besoin les poussait, — emmi la {riatitude earaaradan^
de la crique journalistique d'alors, emmi la stagna-
tion, cbes nous, de l'art d'alors et l'hostilité contre
toute témérité dans le dire et dans le fifure, — ce besoin
les poussait de crier aux armes! cratre la lAcbeté
routinière, et d'acoontumer le publie à supporter l'Ori-
ginalité.
Depuis, ils- ne se sont pas intensompas de signaler
et de ddfwdte les AppoRnHTRS db Nbof, très attentifs
aux taUeanx décriés, très respectueux pour les pièces
sifflâes, très assidus aux livres coaupés. Bt par un
beurenx aort, réeapUndant leun ji^iflÉàents «t passant
exiftmen de conscience, voici qu'ils proclament (dites que
l'orgueil rugit en leurs, discours) qu'à de très rares
exceptions près ce qti'ils ont applaudi, hommes ou
CBuvres, a triomphé ob marche au triomphe.
Non pas grâce à eux. Ils ne tiennent pas le talis-
man qui donne la victoire. L'art évolue <ie lui-môme
comme toutes les grandes forces naturelles. Il ne
dépend ni des professeurs, ni des critiques. Il est fatal.
Leur seul mérite a été de voir plus tôt et mieux.
S'ils le rappellent ce n'est point pour en tirer gloire.
Ils sont de ces espritis cuirassés qu'on a habitués au
dàiigrament. Hais par espoir qu'il y a en cette réussite
de tant de prétendues témérités, une leçon nouvelle
pour la conversion des timorés et des zwaazeurs.
Au moment où s'achève cette première période, ils
ne veuloat décorer le succès de leurs efforts qu'en
attachant à l'Art moderne la symbolique estampe que
les lecteurs fidèles, ces amis psychiques, ces" persévé-
rants Esthètes, voient à la manchette du numéro d'an-
jounfhui, en blason : Une figure rustique, nue,
cheveux au tent pousstmt darrache-pied le soc
dune chtffrm dans un s<d chardonneux, pendant
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que le soleil se lève, et que derrière elle, déjà, monte
une moisson.
C'est l'image de cette critique d'Avant-Garde dont
quelques rapides études, ci-après, écrites en mémorial
par ceux qui furent, comme moi, à la peine et à l'hon-
neur dans ce Journal, résument le décennal labeur, le
décennal labour.
- Pour VArt moderne »,
Camille Lemonnieb.
L'ÉVOLUTION DE LA LANGUE
En ces dernières années, une des plu» curieuses transforma-
tions, ùvec un effel immédial sur l'art (et des résistances de
désespérés), a été celle de la Langue, de celle langue française,
l'un des plus parfait dialecte dans l'admirable famille dei langues
diaprant et fleorissanl l'Europe de leurs variétés superbes.
Cette langue française avait été décrétée immobile. Le catalo-
gue des mots, qu'on lui avait attribués en définitif majorât, était
dressé nt varietur. Le Dictionnaire de l'Académie en était l'acte
authentique. Le néologisme était tenu pour incongruité, incon-
gruité choquante. El non seulement les mots étaient entérinés,
mais les phrases en leur consiruclion : des règlements en avaient
arrêté l'alignement, les saillies, les hauteurs, les profondeurs,
les matériaux, les couleurs. Tout y avait un air municipal d'ordre
cl de régularité. Les grammairiens y avaient pourvu- C'était
rectiligoe, hygiénique, !i angles droits partout, comme dans les
villes américaines.
Cette belle ordonnance, ne donnant la clarté qu'au prix de la
monotonie et de l'ennui, datait de ce que les roqucntins litté-
raires avaient nommé le grand tiède: Enfin Malherbe vint! Oui.
il vint, ce dresseur de procès-verbaux, pour mettre en contraven-
tion la débordante fantaisie de Rabelais et de ses continuateurs.
Sons prétexte de bon goùl, il y eut un impitoyable triage, une
Saint-Barthélémy de vocables. On jeta hors de la banne les fruits
prélendûmeot médiocres, et on prétendit n'y laisser que les
pèches il trente sous. La langue fut clichéc, une fois pour toutes.
Une fois pour toutes! A jamais! Du moins l'cspérait-on. Et
durant des ans et des ans la cohorte des pédants moula la° garde
autour du jardin réservé. Chaque fois qu'un libre esprit -refusait
de se contenter des denrées limitées qu'on y avait emmagasinées
ctqu'on offrait aux consommateurs, il était flétri, par messieurs
les professeurs et messieurs les académiciens marchands de
diphtongues. Les jeunes gens, disciplinairement émasculés dans
les grandes eunuqueries officielles, étaient élevés dans celte doc-
trine que l'incorrection du parler se mesurait & la nouveauté
qu'on y introduisait.
Alors que les autres langues sœurs de l'Europe conservaient,
les sauvages! l'aptitude à faire des mots neufs ou ii rajeunir des
mois vieux, laissant k tout esprit celte noble et pittoresque liberté
de mettre en harmonie la pensée et le son, de modeler sans trêve
le langage sur l'incessammcnt variable idée, par des agglutina-
lions de racines et de sons, par des flexions constantes assouplis-
sant et le verbe et la phrase, le français était arrêté net sons la
pression des freins leiieologiqvM. La vi^gMoilhuto da lanjgafe
était frappé d'immobililé. On e«l dit «m immeiM etlnlaaUiié«
gelée, nidiisant, glaçant loua les brin d'iwrbee, lonias letflenn»
toute la végéUliOD.
Par milliers les pédagogues admlraieoi.
Mais voiel que l'iine n'avait pas été gelée avec le reste. Elle
vivait loiqoors elle, d'une vie moderne de plus en plos intense,
nraltipliam ses sensations sous l'aelion da prodigieox dévéloppe>
ment contemporain des nations aryennes, et elle eherebait des
formes, des mots pour dire tout ce nouveau, qui la gonflait k la
faire erever.
Car (récemment nous le disions), parmi les étranges cl infini-
ment multiples transformations en lesquelles se fondent ions les
décors de notre eivilisation, qu'est-ce qui se transforme plus"
étrangement que notre pensée humaine, qm notre ecrvelle
humaine et sa production de sentiroenttetd.'iddsst-Tot y craque,
tout y casse, et du fumant remaniement it» déttris sort un agen-
cement, sur nouveaux frais, prodigieux in «ep imprévus et ses
détails. Un pullulement! Un fourmillement!
Et alors, pour satisfaire ft l'incompressible besoin de dire an
dehors les merveilles ci les mystères de ce pnllolanl phénomène,
les écrivains se cabrèrent i Tirritaote conscience de l'insoffisanee
des formes réglemenlaires do parler et d'écrire. Ils avaient besoin
de se soulager de leur ftme. Tons les mou, ces vétemeais psychi-
ques, trop longs, trop courts, trop étroits, trop lurgcs. Des cos-
tumes démodés! Friperies, guenilles. Plus rien b la mesure!
L'exaspération de ne rien trouver, en ce vieux vestiairo, qui fut
l'habillement revêtant juste, moulant en ses replis, en ses formes,
ridée qu'on fuit sortir des coulisses du Moi et qu'on pousse en
scène.
Alors, et c'est un des phénomènes artistiques les plus étonnants
de la récente époque, on s'eat mis h travailler la langue, k melire
en pièces et ses règles et ses lois, b en faire sauter les sceaux, ii
bouleverser ses antiques ordonnanees. Ses symétriques arrange-
ments il la LenAire ont été déplantés, arrachés, ses parterres
piétines. Et voici que dans l'écriture, hardiment, témérairement,
follement parfois, de nouveaux tracés furent risqués, et un jardi-
nage, d'aspect bizarre encore, mais combien vivant et jeune,
s'instaura. Ce qui n'avait été qu'une langue k cAté, un argot, une
langue verte, la coulisse du langage, devint tont k coup l'enri-
chissement de la langue, et sa vraie force en nne admirable réno-
vation.
Elle s'impose et se familiarise, par la verin d'un opiniâtre peu
k peu, celte Prose néologiasnle, innovant non seufemeM daris les
mois qui désormais s'agglutinent k l'instar des alebimies de lan-
gues européennes voisines, sous l'action ingénieuse de la fantaisie
et de l'k-propos, mais dans les phrases aussi, s'assonpiissant en
dislocations, en flexions, s'élargissani en gestes que réprimait la
convenante méthode des enseignements classiques. Elle simpose
et se familiarise cette Poésie qiii, fatiguée du code prosodique et
versificaioire, basée sur la rime, la césure, l'alignement en stro-
phes manœuvrant avec la régubriié de marehe et de mouvements
des régiments, court afentorcusement k la recherche du rythme,
de l'harmonie des sons avec l'idée, et ne connaît qu'une loi : la
mise en équation musicale de l'image prisonnière dans l'Ame avec
le verbe qui la l&che sonore au dehors en bel oiseau chantant.
Elle s'impose et se fomiliarise, cette éloquence, qui a cii horreur
la rhétorique de J'Bcole et travaille ftprement k moderniser le pins
difficile et le pins merveilleux des phénomènes artistiques : le
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readn ioslinlanë det (tënëraliont psychiques par la parole, en
équation néeMsaire auui (sinon, quelle misère d'infériorilé I)
entre ee qu'on doit dire, ce qu'on veut dire, et ce qu'on dit.
La Rhétorique de l'Ecole I Bonne jadis, en ses primitives fo^
mules, mais valant juste autant, désormais, que les armemenls
militaires dll y a vingt lustres. Oh I le pemiquéral aspect qu'elle
adonnant ses leçons d'Athénée ou de Conservatoire! El quand
se déroule un do ces discours qu'elle soutient de ses béquilles,
quel ennui ob quelle caricature I Cela sonne la flélurc, cela
nuille, — cela ment surtout, oui, cela mont !
Cela ment I car ee n'est plus en accord avec la vie germante;
p'est œuvre de vieillard. Un aeconplentcot monslrucui; entre la
sénilité et la jeunease, un eilbrt d'épuisé pour couvrir et féconder
une nubililé pleine de sève. La décadence embrassant l'adoles-
cntee^Pin de siècle aeeetoM;Non?9l|u, siècle. A b^sl
Ainsi ne«s nous eyprintjQna èe» jpnrs derniers. Tout, en vérité,
est ii refaire dans l'art dO' parler». et se refait. Des mots soot tirés
des exils ob les maintenaient depuis des siècles, les janissaires
institués au temps où : Enfin Malherbe vinl. D'autres sont créés
de toutes pièces, oh! si doux, si expressifs, si heureusement com-
posés : endeuUUr, envdouUr, etuourdhur D'autres plus
rares, sont le produit d'ingénieuses coniraclions : ennuivertel,
pour universel ennui, violupif, pour volupté conquise par violence,
nMalcoolùme , pour la mélancolie spicenétique du buveur
d'alcool
Evolution irrésistible et magique. Combien étrange et Inquié-
tante i ses débuts. Nons nous souvenons de nos hésitations et de
nos scrupules. Nais comme bientôt la fécondité et l'éclat du phé-
nomène nous frappèrent. El comme depuis, ici, ailleurs, partout
où battent de vrais cœurs d'écrivains, cette rénovation fait for-
lune. Elle est peut-être, de tout ce qui se passe dans le royaume
artistique, l'événement le plus imposant, le plus curieux, le plus
salutaire et c'est, k ce titre que nous le signalons lout d'abord en
ce rapide résumé de nos dix années de Critique.
Eugène Robert.
LA. I>BI]SrTXJREl
Il y a dix ans! En celte Belgique? Quoi pour la Peinture?
Une mer -mono, Avec, au, niOiiiillage. dç vieux navires et de
vieilles barques. Ao mouillage, oui, en pontons, désemparés la
plupart, verdissanl dans les eaux marécageuses. Là dessus, Wa
dedans d'anciens équipages, des capitaines parlant d'anciens
voyages à des mousses, à dos novices ii qui ils expliquaient les
navigations. d'autrefois, heureux quand ceux-ci, démarrant l'une
de ces antiques carènes, parlaient fjirc un tour dans les parages
volsinst fastidieux d'avoir été tant parcourus. Un universel demi-
sommeil, une lassitude d'épnisement, et un épuisement de tant de
recommencement de choses maniaqucrocnl identiques. De temps
à autre, sur les quais de ce port endormi, quelque rumeur : une
cérémonie avançant en un Immémorial cortège ; l'appel nominal
de quelques mousses ou novices qui, plus assidûment que leurs
compagnons de stagnatiod, avaient imité les gestes, les cris, les
discours, ou obéi aux chevrotants commandements des
patriarches ; el ii ces pitoyables imitateurs des mourants et des
morts, un déeemement de palmea et un dérisoire triomphe.
Dans la foule, apeclatrice, un ennui grandissant, un biillement
universel, un dégoût montant pour cet engonrdissement éveillant
l'idée d'une forêt d'arbrea desséchés pourissant avec d'inuiilea
gesticulations de branches dégarnies, siir des couches de feuilles
mortes.
■H y a dix ans, en cette Belgique, pour la Peinture, voilà !
Nais là bas, dans les campagnes circumvoisines, au delà de
cette cité sénile, dans la liberté, loin des académies, loin de la
gérontocratie, loin des concours, loin des Salons, une germination.
Oh ! très lente, presque imperceptible, s'annonçant pourtant, car
déjà dea négations, des moqueries, des Insultes, des fureurs, agi-
taient l'officielle multitude qui avait décrété que l'art ne bougerait
plus et qui avait codimomilié les règles du Beau.
La phalange réaliste qui, par haine des imitations de l'Ecole,
ne voulait plus imiter que la Nature, achevait son cycle. C'est
elle qui, léméramèrement avait commencé la périlleuse révolte,
cernée, en ses labeurs, par llnnombrablc et ruante et bralllanie
cavalerie des ânes. Que de coups de pied aux lions ! Toutefois, si
elle avait trouvé ailleurs son modèle, dans la réalité, elle n'avait
pas su se dégager des surannés procédés picturaux, et ses œuvres
étaient attristées par le noir, ou gris, ou sombre coloris d'autre-
fois. Et, d'autre part, en s'asservissanl étroitement à l'Imitation
de la réalité extérieure et tangible, clic avait banni de l'œuvre
toute idéalité.
Une partie de la besogne était faite, mais la partie lourde, le
premier débarras. La terre n'avait subi qu'un primitif et grossier
jardinage; la culture délicate et finie, nécessaire pour transformer
le sol en brillant et charmant parterre, manquait.
C'est alors (en quels temps encore pou lointains I) qu'on vil
arriver, on ne sait de quel pays d'enchantement et de révcs, les
OUVRIERS DE LA LimifeRE ET DE l'Idéalité. Eux-mémes ne savaient
dire leur origine el s'élonnaicnl d'être sans antécédents cl sans
outils, proclamant pourtant avec une ingénue et opiniâtre témé-
rité, qu'ils vcnaicnl pour mettre dans la peinture l'Idéalité et la
Lumière. La nature esl claire, disaicnl-ils, par son atmosphère
transparente el vibrante, et vos tableaux sonl noirs el sans air.
Notre âme achève toujours la nature en rêve, ajoutaient-ils, el
dans VOS tableaux il n'y a plus rien que la dure et insensible ma-
térialité. Nous sommes envoyés pour un nouvel évangile.
El Ils se mircnl à l'ouvrage, ces ingénus, ces Inconnus, au
milieu des huées el des rires, des outrages et des colères. Très
impassibles, très froidcmciil, très héroïquement impassibles,
semblant ne pas eotentire les vibrations sauterellizantes de la
zwanzc zwanzanle. Des êtres bizarres!
Faire la lumière! Oh! le difiicuilucux problème. Comment?
Commenlt Et sans traditions. El sans leçons. El sans outils. Sans
autres outils que les outils connus. Ces mêmes pinceaux de tou-
jours, ces mêmes couleurs, dont les efforts de milliers de doigts
de peintre n'avaient tiré que ces noir?, et ces gris, et ces bitumes :
toujours le sombre, le fumeux, le bitumineux, le triste.
Ils ont cherché. Ils cherchent encore. Des théories surgirent,
analysant chimiquement le mélange des tons sur la paiclle, ana-
lysant physiquement les effets oculaires de la juxtaposition des
tons sur la toile. Il y eut des tentatives variées, singulières, dé-
roulant le spectateur, le plaçant devant" des énigmes, rendant les
uns l)éanls, les autres furieux. Le varioleux pointillage, l'inlran-
slgeanl prlsmaliquc coloriage en couleurs primitives pures. On
leur a donnée Ils se sont donnés des noms néologiques rimant en
isie, avee frénésie. Pois jaillirent d'aotrrs prorédét, et d'aaim
cncorp, 0(1 le publie béiemenl gonaillrnr ne voyait qaerérrangeté,
sans s'apercevoir qoe m exccniriqnrs parvenaient de |^ en
plus il transposer dans leurs œuvres cette rD>-anle Inmiôre que la
nature semblait vouloir garder ponr elle seule, la méchante avare,
cette fuyante lumière aérienne avec ses miracles de légèreté M de
joie, d'alléfircsse pour les yeux, d'exquises sensations pour l'ime.
Nous sommes en pleindanseelévoluantphénoanène. Résoin?
Oh ! non, certes. Mais approchant de la solution qvi mettra en
hamiODieux accord le procédé, trop visible encore, avec le but.
Quelle sottise et quel aveuglement de ne s'arrêter, devant ces
vaillants essais, qu'aiix maladresses des premiers coups de sonde,
des premiers tâtonnements du eolin-maillard palpant rioeonno
nvant de le reconnaître et de le nommer enfin en arrachant le
bandeau ! Imbéciles, il faudrait encourager, appiaodir. Et vou^
êtes Ib, sous la direction d'un journalisme niais, k crier ii la
chienlit. Vous vous préparez et combien d'humiliantes palino-
dies ! On vous l'a crié ici depgis longtemps, depuis longtemps.
D'autres, parmi ces calmes et entêtés révolutionnaires (et les
mieux doués), poursuivent en même temps dans la peinture. In
réalisation de cet autre phénomène, interne celui-ci, mais si réel-
lement réel en notre Ame : le prolongement des réalités par le
rêve. Nous ne voyons rien tel que c'est. Il faut un étrange effort
d'abstraction, et jamais réussi, pour dépouiller les choses de ce
qu'y ajoute notre incompressible imagination. En ces jours pré-
sents surtout, où l'humanité aryenne semble ne plus vouloir pen-
ser qu'en images, ajoutant à toute réalité un dédoublement com-
paratif et mystique, une flouante auréole de mystère.
Cette inclination de nos cerveaux, séduisante et expressive fai-
blcssi\ les artistes nouveaux veulent y faire droit : l'art, disent-ils,
doit l'exprimer, puisqu'elle est en nous et nous charme. L'art qui
la néglige est un art mutilé. La nature existe ponr nous non pas
telle qu'elle est, mais telle qu'elle nous apparaît, telle que nous
la sentons, que nous l'habillons de dos fantaisies, cruelles ou
douces, fantastiques surtout. Le peintre doit le dire par son pin-
ceau. Il doit, diins les Ames moins actives que la sienne, moins
fécondes, susciter par la dextérité de ses rêves, d'autres rêves.
Son rôle est de mettre en cServcscence, au plus profond des
autres, l'organe où s'épanouil, en sa divine jouissance, u sen-
sation ARTISTIQUE. Il nc saurjit le faire pleinement s'il se borne à
la morne et sèche réalité. " %
Ainsi parlent, prêchent, expliquent ces nouveaux. C'est eux qui
pnliquenl l'art qui fait rêver.
En notre cheminement hebdomadaire, nous avons suivi en
pèlerins ces apétres. Nous avons crié i nos lecteurs, ces passants :
Regardez; écoutez. Assurément, ceux qui ont pris la peine de
regarder et d'écouler ont, dès maintenant, cette double joie :
Ressentir des jouissances artistiques jusqu'alors inconnues, avoir
été des premiers convertis ii une foi qui bientAt sera celle de tous :
Ensemble ils sont allés vers la ville des cygnes,
Parmi des oiseaux fiera qui les reconnaitroot.
Edmond Picard,
LA POÉSIE
AvMi loal, qu'il nom soil penai» tfe rapf^tier WKra
hommage k Hugo, la Mnaioe de n mêH. Cal bomngt, mu
l'aTOo* rendu au pett4 que ee génie diwialt m ii^ tféUbéoie.
Hug» déborde ai wméuscmenl sur letwalree poêla de soa le«|N
qu'il est plus que quelqu'on; il eel lew. Se «ielnM* lotsAw
d'arbre éaerme w eontoarne en nmnai et nmillee MMwr de la
futaie entiètv,
El même, k le eomprenifav mifu, tfptnUAlt en violMee, |4m
large emsore : il «( la feree qui s'ignore, celle immeued'i» é!4-
ment. Sa poésie se reewie, k wrtoin Made de ma dfobitien, «a ua
lointain tel qu'elle devient lie TenI, Toragc, la fondre, l'air, 1j
soleil eux-mêmes. Plu n'aii-f Ile ono bouche qui parie, «aia le
chéae de Dodone ou le eoloase de Heawon. Ccriaiw Ilf rea : U$
Quatre tmu ds FEsprù, rangent Hag» parmi l« eoàstellatiens
avee lesquelles il s'entretient d'égal k égal :
Je vis AlddNirltaB dana les ci«B, je lai dia
Ou bien encore l'identifiant k la matière :
Je suis lait d'ombra et dé marbre.
Comme les pieds noirs de l'arbre
Je m'enfonce dans la nuit.
Alors, durant des vers it des vert, l'im^ssioa s'accroît d'en-
tendre les ténèbres vivre, l'inconnu toadameatal revêtir nne
signification précise et, tant ae fait oublier le quelqu'uii qui écrit
avee plume et encre, que le livre lui-même — ee livre qoe l'aa
tient en main et dont on dêebilre les caractères — devrait éise
la pierre légendaire où se fixent les biéreglyphca dea mimclcs et
des prodiges.
Hugo mort, il a paru que la poésie fût morte. Les parnassiens
purs — tels que Leeonte de Lisie on José de Hérédia — restaient
dominateurs. Mais leur an n'avait en lui assez de sève pour renou-
veler les flore».
A c6ié d'eux, quelqu'un — jusqu'alors presque inernnn —
Stéphane Mallarmé, régenta l'alientioD. Et Verlaine, son contraire,
surprit par tç» formes nouvelles, par ses chansons complexes et
simples et sa musique. Us furent presque wuilAt lea vrais direc-
teurs de la conscience esthétique.
L'Art moderne s'est oeenpé dn premier plu leagaement que
do second. Noas avons eonslsté l'apport de neol de cea deux
grands poètes; nens attardant k trier lenrt oewme dtoaaaates
d'imprévu et peut-être déconcertantes, k prime atipeet..
On se souvient du brait que fit : <« PUn «kâtié.
La pièce avec ses raccourcis eontraeléa vielemmeni, avee ses
images multipliées aux miroirs d'nu suite de lallea polygonales,
avec sa signification toujoun au deik de sa littéraliié, tronbla sour
dain. Occasion k lettres nombreuses, k demandes d'explieatioa, k-
surprise profonde. Certes, bien avant ee numéro du 80 ortobre 1887
le nom de Mallarmé ~avait-il sonné aux oreilla des lertcnn.
Qu'importe, il apparut inédit. Il devint dès cet ioatant synonyme
de nouveauté.
Et c'était bien Ik ce que cet uuiqm et divin poète appoitaii.
Les pàmaniens s'étaienl attachés k faire définitif. Levn vera
travaillés avec opiuiktrelé se proclamaient : parfaits — grtee k
leur attention donnée k la rime et k la gacrie anx ebeviiles. Us
■q^-^rv f^T^.^ ;^»'-'''
'<pi I'.
i/U«r MODERNE
flrenl lurtoul de la bexogne prosodique. Ce même houcï de
perfeetion séduit l'auteur du Pttre ehâtii. Mais au delà de la
perfeclioD de forme, il poursuit la perfeclion de l'idée.
Seules, certaines idées le requièrent. L'anecdote il n'en veut
pas. Son art, qui vise l'essence en tout et ne considère le fait
qu'en tant qu'illusion, découvre au fond des choses une significa-
tion spirituelle, qu'il déflnil en poèmes. 11 les veut exprimer
impeccablement. Chaque mot laisse transparattre et s'c^tale comme
une vitré h travers laquelle on voit les idées se mouvoir et s'as-
seoir en maîtresses dans la maison. Pourquoi ne dirail-on pas
qu'un sonnet de Mallarmé est un palais tout en verrières glo-
rieuses qui reçoivent leur lumière non du dehors, mais du dedans?
Art de symbole, certes, et art de synthèse. Et déduisons de U
qu'une telle conception de la poésie entraîne nécessairement une
modidcation dans l'expression poétique, deux qui donnent la
vision directe des choses maiériellcs — tels de Hcredia, Leconte
de Lisie, Coppée, Sul|y Prudhomme — choisiront \ei mois les
plus descriptifs. Celui qui peint l'idée, c'esl-à-dire ce qui ne se
voit pas, élira le terme le plut évocatif. Tel Mallarmé. El celle
évocation se fera subtilement, grâce ii des juxl.'iposiiions de cer-
tains vocables, grice à des sensations de mots choisis, grAceit la
sorcellerie des images, grdce à des fulgurances de vers. Qu'on
lise, avec celle préconceptinn, le Cygne, le Sonnet à Wagner,
le Dm du poème.
Le PUre châlit élail quasi inédit quand l'An moderne le
publia. Lors du passage de M. Mallarmé à Bruxelles nous eûmes
la curiosité de l'inlerroger Sur le commentaire que nous en avions
fait. Le poète trouva celui-ci exact, sauf une réflexion sur une
incidente.
Mallarmé en plusieurs de nos articles occupe le rang des poètes
souverains. Nous avons imprimé : « Hugo, Poë, Baudelaire, Mal-
larmé » rangeant par celte nomenclature, ce dernier et glorieux
venu, au rang de ses vrais pairs. S'il nous est permis d'insister sur
ce point nous constaterons, qu'au moment où cette justice lui
étajt rendue, les discussions les plus vives s'entremêlaient sur la
question de savoir s'il fallait voir autre chose qu'un fumiste dans
cet écrivain très pur. Dites, qui donc, aujourd'hui, si pas un imbé-
cile, oserait soutenir que nous avions tort? Mallarmé et Verlaine
sont le pont il double rampe, qui conduit de la poésie parnas-
sienne à celle) de cette heure. Au moins sont-ils la transition
admise, car il serait injuste d'oublier Corbière et Rimbaud, plus
nettement révolutionnaires et certes aussi grands. Ceux-ci sont
Içs «acnfiés fatals, ceux que le public ignorera toujours, mais
que, précisément a cause de cela, les artistes, je ne dis pas admi-
reront, mais aimeront par dessus tous. Rimbaud serait à Verlaine,
ce que Monticelli est à Diaz.
C'est-en Corbière qu'il faut chercher les origines de Laforgue.
De celui-ci, CArt moderne a publié une centaine de lettres iné-
dites, très explicites sur sa manière de travailler, sur le fond de
ses pensées d'où naîtront les vers de l'Hiver qui vient, dés
Dimanche* et des Fleure de bonne volonté. Aussi deux poésies,
vierges, jusqu'alors, de toute typographie.
Laforgue, certes, d'entre les poètes admis, est celui qui sonne
dans ses pages le plus récent réveillon littéraire. Oh ! ses adorables
Moralités légendaire», prose égaie à toute poésie. Allant au delà
de Verlaine et de Mallarmé, il a inauguré le vers rythmique, dégagé
de prosodie, individuel, libre, jeune d'une jeunesse insatiable.
Mallarmé, d'une personnalité formelle assurément superbes e,
raccroche pourtant aux rimes riches et n'outrage aucune règle tra-
ditionnelle foncière. Ses sonnets sont réguliers dans le sens large
du mot.
Laforgue fait sauter tout justaucorps et déchire les robes empri-
sonnantes.
Et sa pensée plus vaguante au large-aller des musiques infini-
ment complexes des formes, s'exprime : unissant les contraires,
appuyant sur les consonnances significatives, assoupli et ondoyant
comme une fumée ou comme un nuage. Ce que Laforgue met en
une mémç pièce, aucun poêle prédécesseur ne l'y saurait inclure,
sans casser l'unité de ion du poème. Les setquipedalia verba s'y
cognent aux monosyllabes fluets et tout à coup svcltes comme
des i; l'abracadabrance y détonne à côté de certains alexan-
drins graves comme des papes liarés; les plus exressives au-
daces, bride abattue, y prennent le mors aux dents sans se casser
les reins aux barrières fixes des césures el des rimes. Surtout dans
le dernier volume récemment paru.
C'est lui surtout, le si personnel poète de l'Hiver qui vient,
qui peul s'approprier ce précepte de Verlaine :
Que ton Ters soit la bonne aventure.
Sans rien qui pèse ni qui pose,
Laforgue, tout autant que Mallarmé, fut contesté et nié. Nous
avons reçu des désabonnemenis à cause de la publication de ses
lettres. On ne comprenait point qu'un journal d'art, auquel on
accordait quelque sérieux, s'amusât à distraire ses lecteurs par
« ces phrases de collégien » envoyées d'Allemagne à des gens non
célèbres.
Et pourtant, c'est en publiant et en défendant de tels écrits que
nous avons cru affirmer celle phrase qu'il y a dix ans nous impri-
mions en programme :
« C'est à la toute puissante expansion de l'art que nous vou-
lons aider dans la mesure de nos forces. Nous ne prétendons pas
le diriger, mais nous y soumettre, le suivre, le faire connaître
dans chacune de ses manifestations el dans son besoin perpétuel
de création et de renouvellement. »
Ce nous était d'autani pins aisé el encourageant, que chez nous,
en Belgique, el pas des belges, sur ce sol d'orties officielles el
de chardons académiques, celte créai ion et ce renouvellement
jaillissaient en tout à coup de fleurs larges qui se tournent vers
le solefil.
Depuis les Rimes de Joie de Théodore Hannon jusqu'aux
Serres chaudes de Maeterlinck, nous avons indiqué les routes
parcourues et les hauteurs atteintes. Les noms de nos artistes :
Gilkin, Giraud, Rodenbach, Severin, Grégoire le Roy, nous les
avons mis en tête de nos études et de nos notes sur leurs œuvres.
Notre poésie date d'eux. Si l'on songe à ce qu'était l'art belge
avant leur venue, ne faut-il point conclure que jamais peut-être,
en aucun pays, n'a été fait si vite, nn tel défrichement si super-
bement suivi de récoite. La plupart de nos poètes sont d'origi-
nalité nette. Quelques-uns ne doivent rien aux Français, si ce
n'est la langue.
D'autres ont réagi contre celle veulerie de l'esprit public, qui
confondait un journaliste avec un écrivain. Plus scrupuleux de la
tradition fixée par les maîtres, ils se sont sacrifiés à acclimater
le goftt et le style parmi nous. La langue artiste, ils l'ont intro-
duite en Brabant. Avant, on ne la connaissait qu'à Paris.
En sa variété grande, le mouvement s'affirme donc non plus
seulement en espoir. Si les poètes cités plus haut ont étiqueté à
■f; . •: f-
i7.';i<^.S:-:s?:^'i
leur chiffre des volumes, combien d'aulres ont semé de poésies
éparses les Revues — elles aussi venues comme des prinlemps
soudains — Georges KhnoplF, Valère Gille, Fontainas, Moekel,
Charles van Lerberghe.
En ces lulles de dix contre mille, notre orgueil s'est affirmé i
défendre les audacieux, et parmi les audacieux les téméraires.
Tempérament peut-être, mais surtout conviction. La hâte des
ariicles cursifs ne nous à guère induit à prdner l'art trop com-
modément assis, trop bien calé dans un fauteuil dogmatique —
cet art fût-il tout de perfection et d'impeccabilité. Le r^gne des
poètes parfaits qui donc y croit absolument. A peiiie sont-ils
morts, que les tares apparaissent dads leur œuvre. Gautier, qui
donc le confesserait encore avec la pieuse humilité de Baudelaire
en sa dédicace des Fleuri du Mal. El Baudelaire lui-même,
malgré tous les soins apportés aux poèmes, demeure-t-il indemne
El Mallarmé, dont nous constations tantôt la miraculeuse pureté
artistique, dites, comme déjà les regardeurs â la loupe lui chi-
canent certains vers, picotés de négligences. H nous semble que
la poésie de demain sera plus de prime jet et de piaffante allure.
Di! plus en plus, elle vêtira l'idée de sa forme rudimcntaire,
celle qui ne s'apprend dans aucun livre, dans aucune prosodie,
colle qui ne se proclame point parfaite dès qu'elle observe toutes
Ips règles, celle qui naît avec elle, immédiate, dans chaque cer-
veau. Et si le mol perfection survit, on l'appliquera i la transcrip-
tion adéquate de celte venue initiale et toute vive de rythmes et
de couleurs, tout à coup.
Peu importe la direction que la poésie prenne : nous en célé-
brerons le fatal et triomphal changement, toujours. Le moulin,
qai se repose sur sa butte, le suir, écoute le vent de l'aurore
prochaine.
Emile Verhasrbn.
LA MUSIQUE
Un phare inopinément surgi en cette petite ville de Aavière
éclaira tout à coup l'art lyrique, en ce temps-là, il y a dix ans, il
y a une éternité. El voici que les coins sombres apparurent,
jadis inaperçus, les coins sombres dont les ombres avaient dissiy
mule jusque-là la misère. Clairement on découvrit le dénuement ae
l'instrumentation en usage, la pauvreté d'inspiration, la banalité,
la trivialité, le défaut de concordance entre la musique et le
poème, tout le détraquement de l'opéra, parti de Gluck, tombé à
Mpyerbeer.
Une révolution bouleversa le théâtre. An lieu de faire de la
musique le but à atteindre, l'exclusive visée de l'oeuvre lyrique,
on la transforma en moyen d'expression, on l'assouplit ft la pen-
s(e, et docilement, désormais, en cavale domptée, elle porte le
drame. Qui se permettrait aujourd'hui d'aligner, comme jadis,
les kyrielles de mélodies, les duos, les trios, et les chœurs, et les
strcttes, et les caderices? El qui oserait les applaudir? A peine,
(aitachemcnl aux traditions? souvenirs de naguère?) aceorde-t-on
quelque attention aux machines autrefois étiquetées chefs-
d'œuvre, en attendant qu'elles soient ensevelies dans l'oubli
définitif.
Les partitions nouvelles, on les veut dans la forme du drame,
non de l'opéra. On let exige poljrptaonlqaM, Tiranlet, iPkbeMMWl
orchestrées, on souhaite que la musiqae et TMlioa loieiil «i Arei*
temeni unies, si complètement fonduee rume dam l'autre qu'elle*
ne puissent être détachée*.
Les adversair^Ies plus résolus de la rtfaovaiioa lyrique ■•
sont ralliés aux théories nouvellea. En ces deux lustres, eombicn
do résistances vainoacs, quel eonslant progrès, amensM leolc-
ment le triomphe !
En deux lustres, — certes. Déjh tout cela parait prodigieus«v
menl reculé. Nais qu'on se souvienne : on était, en 1880, en
pleine bagarre. Celait avant Pajrtîfal. Quatre ann^ venaient de
passer sur les Nibelungm, quatre années durant lesquellek s'ein--
gngea la bataille. Les concerts symphoniquies enlamirent les hos-
tilités. Il y eut des mahifestatiooS tumultueuses, — et quelles
colères dans les journaux t
Puis, plus récemment, le drame lyrique prit possession de la
scène. Aujourd'hui, il a délogé l'opéra. Songez aux œnrres ré-
cemment produites en France, en Belgique, en Allemagnié, rap-
pelez-vous ce qu'écrivaient les compositeurs dé jàdjs, et comparez.
Souvenez-vous aussi des sifflets d'un Daniel Roeh, si lolDlainii,
déjà, et si rapprochés de nous!
Sur le terrain purement musical, la transformation est la même.
Dans le somptueux manteau dont Wagner enveloppa ses inspira-
tions, les symphonisles se taillèrent des vêtements k leur mesure.
Et de toutes parts, au Nord, au Midi, la musique onvre ses kiles,
s'élève, débarrassée des règles strictes qui l'emprisoonaieni,
échappée au servage des canons, des lois immuables, des formes
traditionnelles, des professeurs d'harmonie. Comme la poési4',
comme la peinture, comme l'éloquence, comme la langue, elle
s'affranchit et devient l'expression spontanée, merveilleusement
subtile, de la conception artistique, la réalisation perceptible dti
rêve, — toutes barrières abolies entre l'esprit créateur et l'œuvre
créée.
Ce qui pénètre dans la musique, c'est la psychologie raffinée de
notre &me multiple. C'est la complexité des sentitnents qui se
heurtent en nous, en leur infinie variété, avec leurs nuances déli-
cates. L'affinement est extraordinaire. Je n'en citerai pour exem-
ples que l'école russe et la très vivante école firao^aise actuelle.
Dans l'une et dans l'autre les influences locales, les atavismes, 1rs
[uestions de races exercent leur empire. Mais nu élément deménre
pi«dominani : la liberté de l'écriture, qui permet au compositeur
de livrer, sans en rien retenir, et de noter en traits vibrants, ses
plus secrètes émotions.
Les musiciens ont aetnellemeni b leur disposition i^ne langue
d'une extrême souplesse, ilébarrassée de l'inflexibilité des pério-
des, de la stricte ordonnance du discours. Les locutions aga-
çantes en sont sévèrement bannies. Qu'on écrive sons forme de
symphonie, de quatuor k coides, de trio, de pièce concertante on
de monodie, on pcul'ioul dire, sans être astreint k enfermer son
inspiration dans un cadre imposé. Les classifiraiioDs ont disparu.
Seule demeure l'idée de I'cedvu d'akt : faire passer dsns TAme
de l'auditoire le frisson qui a secoué l'artiste, et pour arriver k ce
résultat, qu'importe le procédé? Et de plus en plus l'émsacipation
se complète. Il reste, il est vrai, k réaliser des progrès impor-
tants, spécialement su point de vue des rythmes, dont Is trans-
formation doit sttivre la révolôîîon accomplie dans le domaine de
l'harmonie.
C'est k suivre, avee quelle attention! avee qudie Joiel ces
transformstions, que, depuis dix ans, nous non sommes sempu-
l *' T w 4**' "* ' I"
'M
laweMM ■lUd^. Nm» trom sigMlé k enx qol odi Mm tmIo
■•■•lii«lMMMiéé«nm«»p«rlMqiKllealar«volotim mnirate
•'CM aceonpiie. Nom les avant MfeodiMi contre ^ia}Miea atia*
qwa, «ow avMw conhaMa eallet aar leaqitellea s'ëgaraM la favrar
dea CMrica. àftm naua ami les iiMiéU de l'Artr Noat obods le
erairo. Bt^ daH eelle peoaée réeenfonante, ooiu pouraahrrom
•TM frrmeW la caaBpagM eatrepriae.
OcTAVB Maub.
LA SCULPTURE
Noa 9M leale aMre enlM aitlstique, u ScuLmu était i«ni-
latriee.
IffliMriee de rMrtlqoe, maiadroiia, fiiiaant eetieceatonioD hor-
rible d'naayer de répéter on art mort depuis denx mille ans,
etpamioB de notre race alors qne Ytmè de eelle-ei, proche de an
origines, n'avait pts encore soM la défomation des inélanget avec
les races inférieures qu'elle rencontra dans ses séculaires migra-
tioRS vert foceident. Efforts touchants, poortant, car c'était un
itMOnacient bommsKe k la belle pureté primitive, un regret obscur
de l'svoir perdoe, nn désir irréalisable de la reconquérir, ineii-
nsiions incompressibles, — qui sont aussi la seule raisonnable
eipKeaiion de la peraistanee fétieheuse des études grecques et
latines. Une race aime d'insiinet son passé, et cherche ii y revenir,
qtfand ce passé, Mieux qoe le présent, exprime sa grandeur et ses
plus nobios aplitudet, déprimées et amoindries au coure des
tieews*
Imitation de la Renaisatnce ensuite, par des formes mieux en
arcord avec la fantaiaie qui désormsis habite nos Ames, plus pitto-
rttqnet, suivant un mol essenlieilement moderne et qui n'est
érios si tard que pour exprimer un état intellectuel réoent.
Inconnu alora que planait la sérénité grecque. Parallèlement k la
Féric grecque, nous eûmes donc la série italienne, — loin de notre
vie d'aujourd'hui, l'une comme l'autre.
Tout sculpteur avait l'obsession de souvenirs classiques. Pas
d'antre alignent dans son éducation. Ici encore le rôle des acadé-
mies fut lamentable. Et l'est toojoura. Dans le choix du snjet,
dans la eoofeçtion du noreeou, dans la ligne, dans l'allure, inévi-
lablement des réminfseencea.
Parfois aussi, pour satisfaire à des commandes officielles, une
treisiènN; imitation, celle du Gothique.
Ah I ce qu'il y a d'œnvrcs baroques et misérables sorties de
fcile triste maison établie en triangle et, avec l'enseigM : An
pastiche gréco-ilalien-golhieo, au centre de la Scnlptore et la
«ommandanl.
Il y a peu d'années (ah! la place est vraiment petite pour tout
direl) qoelqnea aeulpteun, b l'instar des peintres, se mirent k
régarder la féalilé et ii la modeler. Ils firent les êtres de leir
temps, quel scandale I L'onvrier et ses souiTrauces eut ses inter-
prètes dans la atatuaire. Noa passions contemporaines y or.t
trouvé lenn aymbolisations poignantes et rêveuses. Notre inii-
midité remaanle et Ironblée a'épanehe Ik, comme dan* les
ubieaux, les livres, les ven, la musique. Une décoration surgit
ansti en rapport avee nos moeora, nos idées, nos lendanœs t i for-
tement de noire temps. <
Nous avons enta une sculpture du jour.
On n'artil jaunis va «al Ignoble, fut d'abord le cri. Ridicule.
httrle4-on encore. El d'antres i^ontent : Ce n'est pas difficile. —
En eliet, c'est moins difficile que Fimpossible, et Hmpostifole
e'ett de Mre beaii en imitant.
Mais h Iranvaille est d'une portée immense. La nouvelle
école s'est fiiit admettre, malgré les dédains des officiels dont la
gloire aopMstiqnée va ixminuenio, diminuendo, iiminuendo, au
cri : A bit Ira paatiebeure! En vain les coteries mondaines, dont
la fréquentation phrtt k leur amour du lintioe, leur font des succès
de Faney^ir. 1^ déhisaement les gagne de son ombre et de son
gel. La vie va où est la vie. La vie a horreur de raccouplement
avee la mort.
EuMom) Picard.
Le Théâtre
Le théftire est la vie; quand la vie change, le théâtre change.
Chaque époque n'est nulle psrt caractérisée aussi sincèrement et
aussi intégralement que dans son théâtre ; toutes ont le besoin
intense du dédoublement de leur vie ; il ne leur suffit pas d'éire,
il leur faut ae eonnatire, et elles ne te connaissent entièrement
que lorsque, sur des tréteaux, sur une scène matérielle qui les
domine, elles se revoient en figuration dans le«ir complexité,
dans leur action, dans leurs mœurs, dans leure réveob Toute civi-
lisaiion, aussiiét qu'elle prend conscience d'elle-même et lors-
qu'elle creit avoir quelque chose de nouveau k faire ou k dire,
s'objective et veut avoir son ihéStre où elle se donne la représen-
tation publique de sa propre vie ; et telles sont les formes de sa
sa vie, telles tont les formes de son théâtre, qui est religieux,
symbolique, intime, analytique, suivant que la vie collective revèl
elle-même l'une ou l'autre de ces formes principales, et au môme
degré. Car le théâtre est le premier et le plus complet reflet
direct de la vie collective. C'rsl lii que la collectivité sociale,
c'est-à-dire tout le monde, la foule se retrouve et se rccon-
nati, et une foule ne peut s'intéresser qu'à elle-même, ne voit rien
an deik d'elle-même; pour que son théâtre lui parle et qu'elle le
comprenne tout k bit, il faut que ce soit elle-même qui s'y parle,
slnterroge et se réponde, ei,^n figuration, puisse s'y aimer cl se
haTr au poinl qu'elle s'identifie avec son propre dédoublement
acémqtie.
Le poème, le livre,' le tableau, toute œuvre conçue par la pen-
sée individuelle pour être repensée et comprise par l'individu,
pcnvenl devancer leur époque ou y échapper, rester pour des
temps l'iniliaiion secrète et le culte intime d'une élite; le
théâtre est de son temps, et entièrement de son temps ou il n'est
pas; il n'est pas l'oeuvre de quelqu'un seulement: il est l'œuvre
de la foule qui prend conscience d'elle-même dans l'œuvre d'un
des siens. Elle a ceci de commun avec la religion qu'elle doit
donner k la foale la compréhension d'elle-même, et la frapper
jnaqa'an plus profond par l'instantanéité foudroyiuie d'une rcvi!-
lation, devant laquelle, quelles que soient se.-i tcrreure troublantes
on ses impitoyables et lancinantes clartés, le doute lui-même soit
impossible.
j indique cela rapidement pour rechercher la loi que nois
"S
L'ART MODBRNB
. pourrions appliquer à noire théâtre moderne, cl le plus récenl, pour
le pénétrer cl le comprendre : car les lois d'après lesquelles pro-
cède l'humanilé sont parloul el dans tous les lemps identiques
dans les grande^ el les peliles choses, de même que les lois
physiques qui président à la rotation des astres agissent, les
mêmes cl non autres dans la chute d'un grain de sable. Et
quand on parle d'un art et d'un art universel comme le tbéAtre,
pour en avoir la notion exacte, même pour des prodoelions pas-
sagères comme celles du jour, il faut avoir le courage de ne
reporter résolument d'abord à la notion générale que ce que cet
art peu) être par lui-même, de ce qu'il peut et doit donner, et de
ce qu'on peut en atiendre.
Et si la clef que je donne ki comme celle de l'arl théiiral est
la bonne,<b'il faut qu'elle nous serve à pénétrer partout où l'art
lliéftlral existe ou est en formation, mais nous saurons aussi sur
quelles portes il sera inutile de l'essayer parce qu'elles ne
s'ouvriront pas.
Cette équation directe entre les formes de l'an scènique el celles
de la vie collective d'une époque ou d'un peuple, se marque
avec précision dans le théâtre embryonnaire des demi-civili-
sations : Chine, Japon, Inde. Elle devint l'évidence même dans
le ihéâlrc antique — le ihéâire grec — où la première civi-
lisation tout à fait humaine, cl si complètement humaine mais
nationale, se caractérise si intégralement dans ce grand et unique
théâtre, resté le plus haut de tous, cl construit tout entier avec les
légendes nationales, les traditions héroïques, toute l'existence
privée, et jusqu'avec les mœurs politiques immédiates, jetées
toutes fumantes sur In scène dans leur violente partialité el leurs
passions d'un jour, et qui sont le suprême de l'art théâtral,
parce que c'était au suprême degré le peuple d'Athènes en
représentation vivante devant le peuple d'Athènes, présent cl
jugeant.
nome, la réaliste, qui n'eut jamais d'autre pensée ou d'autre
préoccupation vraie que celle de son droit, de sa domination cl
de sa force, n'eut jamais aussi pour Ihéiires que ses tribunaux, son
forum el son cirque, où tout était réel jusque dans la figuration
mémo, et où les gladiateurs moura'ienl dans leurs combats scéni-
ques aussi réellement qu'en pleine guerre vraie. El lorsqu'un
monde nouveau se fui réfugié dans un rêve extra-terrestre, jus-
qu'à la fia du moyen-Âge ces longues époques mystiques ne con-
' nurcni plus pour tout art théâtral et représentation figurative que
la Messe, qui était le symbolisme scènique, dans le merveilleux
décor des calliédraies, du drame mystique el divin où l'âme naïve
de tant de peuples se rcirouvait tout entière dans la seule action
qu'elle crut vraie d'une vérité éternelle, et qui lui donnait la
représcnlaiion visible de son seul sentiment dominant, la foi.
Mais aussitôt que le mysticisme lui-même s'humanise, le mystère
naît, et déjà l'iiummc veut su reconnaître dans le drame de son
IJieu.
Passons. Ce n'est pas un exposé rétrospectif que je veux faire,
c'est une vérité, une lumière que nous cherchons et qui doit se
retrouver la même, et dans les temps les plus dissemblables, pour
être la bonne. Il n'y a pas à insister pour qu'on la retrouve dans
tout ce qui suit : l'Europe à peine assise et réglée par la monar-
chie, la société monarchique soriant de la société féodale, el en
même temps ces fulgurations non dépassées jusqu'ici dans leur
puissance, et d'où surgissent la scène de Shakespeare encore
féodale, la scène de Calderon et de Lopez de Vega encore féodale
mais presque monarchique, cl la scène française classique, entière-
ment monarchique enfln, où la France udilaiif el dlsoipliiide
de Louis XIV se donne eu speoMcle h clle-méiw dans tons Im
genres calqué* sur un même patron.
Le diz-huiliinie sidcle n'est que la décomposition de la raonar»
ehie classique, comme son ihétire n'est que la décomposition du
tbéftire classique, et il n'y a de formca nouvelles «QlhéMre, avec
Glaek el Beaumarchais, qne lorsqu'il y a une société aouvclle,
mais qui ne dure pas et est engloutie dans l'ablmo révolution-
naire. Et après vingt ans de révolntions et de guerres, notre siècle
surgit avec la bourgeoisie victorieuse, une classe nouvelle, une
société nouvelle.
El quel alors sera le IhéflireT El Ui nous allons voir si nous nous
trompions, et s'il sera en équation avec la société apparente el
superficiellement visible, ou, d'après des lois plus profoi/des, avec
la collectivité réelle', inlimltei^vniie.
C'est la bourgeoisie qui a pris possession du siècle, el son
théâtre scra-t-il bourgeois dans le sens étroit et déplaisant
de l'épicier eu redingote fuit pour une vie végétative et liardeose
d'arrière-boutiqne? Non! ce théâtre sera héroïque, k grandes
clameurs, â romantisme passionné, et avec les costumes ft ample
envergure moyeo-fkge, propres aux larges; scènes vibrantes el ii
l'emphase des sentiments soufflant en tempête.
Parée qw ces boturgeois en cbapeaux-buse et redingoies pas-
sées sont encoce au fond ceux de 93 et d'Austerlitz, qui se paient
à eux-mêmes, sans liarder dn tout et san» en avoir besoin, deux
révolutions, celles de 1830 et de 1848 et que ce sont ces âmes ^
bourgeoises elles-mêmes qui eontinarni à souffler en lempéle et
ne se retrouvent que dads Rug-Bbu ou Anlonjf. — A moins que .
ces bourgeois ne se moquent d'eux-mêmes dans leiirs vaudevillet.
Hais signe caractéristique, le genre, proprement bourgeois, la
comédie, est absente de toute la période bourgeoise, qui n'est pas
bourgeoise, et qui n'est que le lendemain de la plus formidable
tragédie des temps modernes : aussi le romantisme, malgré ses
moyens terribles, n'est pas tragique : il est le lendemain d'une
tragédie.
C'est l'empiraqui, en inaugurant la démocratie, coupa court
au romantisme, mais comme sa démocratie était fausse cl factice,
il fit un théâtre factice et faux, avec Dumas fils, Augicr, Sardou,
des vrais bourgeois ceux-lii, roublards, Iraqueurs, hommes il
systèmes cl à ficelles, donnant le faux semblant d'une époque
qui ne se connaissait pas elle-même cl se délectait ii ce théâtre
vide parce que elle-même était vide ; un peu ferme seulement par
la basse raison pratique, maintenant solidifiée ci résistant au
flot de décomposition césariste. El c'est 1i celle raison pratique,
seule en travers du flot comme une arèie, que répond le théâtre
de l'empire, ce squelette d'un art.
Le grand art théâtral n'allaii reparaître que là où surgissait un
pjuplo nouveau avec des volontés, des idées el des rêves; et l'em-
pire français n'était pas en -ore tombé que la nouvelle Allemagne
se trouvait, cl rajeunie dans le théâtre de Wagner, qui retrem-
pait l'âme allemande â ses propres sources légendaires el lui don-
nait â elle-même sa complète révélation, avant même qne par les
armes elle se fut reconquise el constituée. El depuis Esebyle et
Sophocle, ou depuis la symbolique religieuse de la Messe au
moyen- fige, il n'y a pas d'exemple pareil de tout nn peuple, s'objec-
tivant lui-même dans sou théâtre et foisani de son art scènique la
religion même de son Moi. Prenve évidente qne notre humanité
est toujours identique â elle-même et que les plus profondes
racines mystiques d'une race peuvent, en plein modernisme, faire
.-\«.". ■^'
remonter les lèves aneieDiies pour l'épanouifsemeDt de« floraisons
les plus récentes. C'est Wagner qui a ramené l'Allemagne ii ses
sources et lai a refait une Ame, et c'est dans, son Ihëftire que
l'Allemagne a repris conscience d'elle-même et s'est reconnue. Le
resta n'a été que de* l'ezécuiion matérielle, mais l'idéal était
retrouvé. C'est peut-être la plus hante équation historique entre
la conscience d'un people et son art scéniqne.
Maintenant cette époque elle-même est passée, et le cycle
héroïque de l'Allemagne ilnoderne parait clos, comme est fermé lu
cycle héroïque du peuple français, qui s'étaient tous les deux
répereutés (tans une forme d'art romantique, mais avec celte diffé-
rence que le romantisme français venait au lendemain de la tra-
gédie déjk accomplie, et Wagner il la veille de l'épopée b accom-
plir. Aussi Wagner s'est identifié avec les faits qu'il a aidé I
évoquer, et il vivra tant que l'c^yro demande vivra elle-méfne,
mais il y snffit, et nulle forme nouvelle de J'art théâtral, ou seule-
ment différente, n'est apparue après hii. L'Allemagne se recueille
et se répète : depuis vingt ans pas même un souffle n'a troublé
l'hymne qu'elle se chante ii elle-même.
Pourquoi au contraire aujourd'hui en France, non pas on
souffle, mais une multitude de souffles nouveaux, venant de
partout, se levant de tous les coins de l'horizOD, et sans se ras-
sembler en une seule dominante qui ferait faire le reste, s'épar-
pillent en une foule d'œuvres d'un caractère commun, mais
rapides, apparaissant et disparaissant, toujours renouvelées,
comme les petits flots sans nombre d'une mer houleuse, sans
grandes lignes, sans puissance supérieure, mais montrant la vie
mouvante, par vingt faces à peine indiquées, et comme les gout-
telettes luminenses d'une vague transparente qui se briserait?
Pourquoi dans l'art théâtral du jour,cette agitation, ce remuement
incessant, ces brasqueries, ces crudités, ce scepticisme, cet esprit
qui louche h tout, qui secoue tout, qui bouleverse tout, indiffé-
rent aux suites, étranger aux règles, jaillissant par dessus les
conventions, et submergeant tontes les. barrières connues?
Pourquoi cette absence de dircciion, celte liberté sans bornes,
se jouant de tout et joyeuse de se jouer et de briser? Pourquoi en
France ce flottement, celte inconsistance, cet art à facctiesr miroi-
tant et brillant par des milliers de fçux divergents, lorsque l'art
alleraand n'est plus qu'une immense masse homogène où tout
coucourl : une unité formidable mais immobile! Pourquoi? Mais
parce qu'en France depuis vingt ans, depuis dix ans surtoni, la
vie a changé, et qu'il y a une France nouvelle, une immense démo-
cratie libre, agitée, traversée de courants sans nombre et qui péné-
trant irrésisliblcmcnl en tous sen« ont transformé de fond en
comble la yie française. Et quand la vie change, le théâtre ;
change. Quel sera son caractère? Cbcrrhez-lc dans la vie. C'est
l'atmosphère elle-même où nous plongeons et respirons qui s'est ,
transformée, elle a modifié nos organes, nous voyons avec d'au-
tres yeux, nous pensons, nous agissons auircmcnl, et comme
nous voulons nous voir tels que nous sommes, nous avons le
théâtre qui nous vaut, qui est nous.
Notre existence est plus complexe : entre les peuples les haines
sont tombées, un mélange de toutes les races s'opère, avec une
déperdition de forces qui nous été nos opiniâtretés, et un frotte-
ment universel qui. nous lisse nos angles. Dans ce milieu plus
instable naissent sans cesse des rapports inattendus, curieux,
multiples, qui font à la vie un intérêt de tous les instants, mais
où l'on n'a plus le temps de s'attacher à rien qu'aux sensations
immédiates, aux idées qui brillent et qui passent, aux jouissances
rapides mais intenses, parce qu'elles naissent d'un concoure infini
de causes toujoura en activité et toujours renaissantes auxquelles
tous demandent le maximum d'effet qu'elles donneront dans le
moinsrde lampe. Et comme la France est aujourd'hui le centre
de cet immense tourbillon de vie, c'est elle qui offre k l'univers
son théâtre, et qui nous y montre cette vie, défaite dans tous ses
replis, fouillée sans ménagement, avec la soif seulement de con-
naître, et sans souci des dessous, des vices, des crimes, des igno-
minies, comme si ce n'était pas nous et que celle vie ne fut pas
la nôtre.
Et, en eflét, ce n'est plus la nôtre, elle est mêlée maiotcnani i
tant d'autres, confondue dans un tel océan, qu'on peut tout nous
montrer et que c'est comme si cela ne nous appartenait plus. Et,
cependant, cela .nous appartient, et nons y appartenons : ces
fibres saignantes qui tretnenl, sur lesquelles on marche et qu'on
foule en pleine scène, indifférent et cruel, ce sont les nôtres, et
si le théâtre nous donne le mépris de nous-mêmes, c'est que nous
le voulons ainsi, et que, sans doute, nous nous méprisons.
Car, le théâtre, c'est le dédoublement voulu de notre vie réelle;
nons avons ii nous y aimer ou à nous y hair nous-mêmes ; mais
nous aimons encore mieux nous y haïr, que de ne pas nous y
voir.
El puis nous savons bien qu'il y a dans tout cela beaucoup
de boue qui remonte, parce que la secousse a été trop violente
et que les eaux ont été trop brusquement remuées. Car également
en ce théâtre nouveau quels Irésora d'observation réelle, d'esprit
juste, d'art supérieur et merveilleux, quelle liberté de pensée et
d'allure qu'aucun temps n'a connusi large, quels coups d'aile vere
de plus grands h<>rizons, quels TCssorts de la vie, et les plus
secrets, découverts, et quelle lumière partout! et la lumière
purifie comme le feu ! Y a-t-il moins de vertu, je l'ignore, mais
certes il y a moins d'hypocrisie, plus de franchise et de droiture
et si nous sommes plus francs, ne sommes nous pas meil-
leure? La sincérité n'est-elle pas la première des vertus. El
le théâtre devient sincère, c'est donc nous qui valons mieux.
Il ne veut plus que la vue directe de la vie, telle qu'elle est, sans
voiles et sans réticences, et quand il la montre, nous osons la
regarder, nous la voulons ainsi, c'est donc qu'avant tout nous
entendons nous connaître, et non plus seulement dans les convcn-
, lions, dans les préjugés, dans les illusions, dans l'orgueil de nos
classes, de nos races, mais en pleine vérité et dans un art qui,
sll devient vrai comme la science, ne peut être que pur comme
elle.
Voilà où nous marchons et vers quoi le branle est donné,
depuis les dernières années surtout, avec une amplitude qui
s'élargissant de proche en proche, après avoir recueilli tous les
phénomènes passagère et mouvants de la vie moderne, finira par
atteindre ses lois elles-mêmes et ses puissantes causes détermi-
nantes. Car notre vie moderne, de plus en plus universelle, a
cependant des lois dominantes qui la font mouvoir et la règlent,
et ven lesquelles l'art s'élèvera, embrassant des phénomènes de
plus en plus généraux, n finissant par prendre re caractère
vraiment universel, çt profondément, intégralement humain que
la Grèce avait presque connu et que nous réaliserons, car,
puisque l'art c'est la vie, et que la vie s'élargit et s'élève, l'art sera
porté aussi haut qu'elle pourra monter elle-même.
Et cette vie universelle elle n'aura pas un centre, elle rn aura
vingt égaux en puissance.
Ce n'est pas un foyer seulement, ce sont des foy.'re sans
■ ■■-^:.-"--'%:?.i:i,;j ,, ..
iifiiiiiïiiiriÉiiiiiriiïifr^iiiîilii.
10
L'ART MODERNE
r- i.'d
nombre qui seront allumëg. L'art universel n'aura pas une aenle
forme, il aura des formes multiples, toutes concordantes, mais
qui refléteront chacune les grandes faces diverses de la vie uni-
verselle. Aussi qu'on voie seulement en ces dernières années :
que de feux nouveaux. AJors que l'art allemand repose après un
si gigantesque effort, cl que la France se réveille par mille
scurces vives et jaillissantes qui se préparent le lit d'un fleuve,
là- bas celle immense Russie dresse avec ToIsloT, à grands entas-
sements de madriers, une scène nouvelle, /llominée de clartés
semblés et farouches comme sa vie; la Norwège, avec Ibsen,
découvre les neiges de son sein et des sourires d'une douceur
inconnue ; et josqol DObw vieilli Pludre qo! dwrab^ M»
théAira, qui se cherche rlle-intow, jinqa'en dee profoadèiirÉ el
dei myMèrei où nul peut-être n'était dcaeemiv mM ÎMe. Et
sur cet Art qui aura Uni d'sppliii, todt égrierteat piMigllM-ra
des milieux «i divers, il ne se répandra qu'ont wale «t'atique
lumière, Mlle de la vérilé, de la Térilé infrenglMtet MiWMirt
but qu'elle même. Et il n'aura d'autre principe qii»eel«i t/t II
vérité dans la vie, et de la vie dans la vérilé.
V. ÂBNOUtD.
••'-* '■!ffii:'^*Mê^WJt:i':Çii}ik^
Nous renvoyons à la semaine prochaine nos articles d'actualité, toikipté-
rendus, petite chronique, etc., spécialement notre REFElRENDUlI SUR
L'AQUARELLE
irvrunwuriMg^iiii/ia»
iLl»i.|fMiiiwi»ii
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OmdMi AMOÉi. — )N* t.
ta MiMÉBo : 86 mnooÊ.
PnUHcu II JAinrnk 1891.
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PARAISSANT LB DIMANCHE
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REVUE GRirra DES ARTS ET DE U LITTÉRmRE
, Ckymtté do rédaettdll • Octàyn MAUS — Enuon picard — Èmili verhaeren
ABOmmOUTTS i BelgicpM, un an, fr.' 10.00; Union pottale. &. 13.00 — AmTOMCSS i On traita i forfldi.
' Adresser toute* le* communioaHon* d -
L'ADioNiBrRATioN oÉNtaALB DB TArt 110(161^6, TUB de |I*Iiula8trle, 32, Braxellea.
Sommaire
RmRmvo»' Aarianovi. — La Boaftm BocRoioiB, TroUUme
tpeetaelt d» la mtUon 1890-91. PoWi. — Th^atus. lia Coiainf;
MUt Heljfett. — Cobuhmndamgb. A propo* de la tymphonie d»
L. Kefer. — Musiqoi. — Psirra cbkomiqob.
REFERENDUM ARTISTIQUE
(1)
On se «ooTient du questionnaire que nous avons
adreaoé à qaelqiMMinB dès maltree de l'aquarelle en
Bel^qne. Noos lenr demandions conuno»! Us aniùa-
geûent l'aqtiarelle, quel était, d'après eax^ son carac-
tère essentiel. Doft-elle être spontanée et primiesautière ?
Exige-telle an contraire un long et patient labeur ?
lj!st-:0lle apte à exprimer tonte sensation artistique?
Peut-elle être assimilée à cet égard à la peinture à
l'huile? etc. Cinq lettres en réponse ont paru dans notre
avant-dernier numéro, affirmant la diversité d'appré-
ciation qui partage les artistes. Voici, pour clore la
discussion, quatre lettres nouvelles, écrites, comme les
premières, par des peintres sincères, pleins de talent,
qui tous ont bit leurs preuves. On verra qu'ils ne sçnt
pas mieux d'aooord que les précédents. Ce qui n'empéohe
(1) Suite tt fm. Voir notra aoniAro dn 88 tUcaÉabia derniar.
qu'il 7 ait dans chacune de ces réponses des choses
excellentes, vraiment intéressantes et bien dites.
M. Uytterschaut, l'habile aquarelliste» expose avec
neUeté toute la théorie des peintres & l'eau. C'est pres-
que un cours :
VICTOR UYTTERSCHAUT
Mon chbr Màus,
Je «uit très heureux de pouvoir répondre à la lettre amicale
dans laquelle la me fais part d'uoe diseuasioa ariislique que tu
as eue au sujet de te peinture à Veau. La question me paraît fort
iDtA«asaate.
Oa a toujours en de la peine k se oettre dtseïord au sujet de
VaquareUe, de la gouache et des antros variétés de peituure à
feau. ,
A mon avis, on serait bien près de s'entendre si l'on commen-
çait par bien déterminer le point de vue auquel on se place.
I. S'agii-il de traiter la question au pomt 4e vue purement
artiuiquel Dans oe cas, faites de l'aquarelie pure, de la gouache,
de la sépia, du dessin fe la plume ou aa crayon rehaussé d'an
lavis coloré ou neutre ; servez-vous d'un pinceau, d'une brosse,
d'une éponge, d'un balai, oa d'un couteau; ajoutez du pastel,
appliquez de la gomme, en un oboI choisissez' n'importe quel pro-
cédé : si l'effist artistique est atteint, je ne vous en demanderai pas
davantage. Peu importe avec quoi on (ait, il faut voir comment on
fait. Le procédé ne compte pas. L'œuvre est dans la léteet dans le
cœurdel'srtisle.etnendansles lobes de couleur. Un bout de cro-
quis d'un grand artiste d'autrefois, crayonné avec <lu cbarboa,,
.."■ripfim':
12
L'ART MODERNE
de la brique pilée ou louie autre matière aussi peu noble, est
souvent du grand art.
Les eaux-forles de Rembrandt peuvent être mises à côté de sa
Ronde de Nuit (quelques-unes d'entre elles sont mêmes supé-
rieures). On retrouve Rembrandt et la conception philosophique
qu'il avait de la vie dans celles de ses œuvres sans.couleuis qui
n'ont que quelques centimètres carrés, et si même ces œuvres
étaient tout ce qui reste de lui, il n'en serait pas moins compté
comme un artiste incomparable. — Revenons à notre sujet.
II. Si on me demande quel est le meilleur procédé de pein-
ture à l'eau, celui qui constitue l'essence de l'aquarelle, qui lui
permet de réaliser le mieux le but qu'elle se propose, de réunir
au plus haut degré les qualités qui la caractérisent, je n'hésiterai
pas à dire que la vraie, la seule aquarelle est la goutte d'eau
colorée appliquée au pinceau, avec blancs réservés, i l'exclusion
des rehauts à ta gouache, à la plume ou au crajon, des grattages,
ponçages, repentirs et autres tripotages.
La gouache a tous les désavantages de la peinture à l'huile sans
en avoir les qualités. Elle n'est qu'un genre inférieur, bâtard et
sans originalité bien marquée. Elle peut être utilisée pour les
panneaux décoratifs. Un grand artiste peut lui communiquer une
grande valeur artistique, due plutôt à son talent qu'aux ressources
spéciales du genre.
Il en est tout autrement de l'ogt/orWte proprement dite. Celle-ci
est, par essence, une peinture toute de spontanéité, de verve,
d'entrain et de premier jet. Elle permet la fixation rapide des
impressions fugitives et passagères que les autres procédés pictu-
raux n'ont pas le temps de noter au passage. Bien comprise, elle
procède par instantanéité. Qu'elle vise le côté profond des choses
ou leur charme superficiel, presque toujours elle synthétise et
résume par l'emploi des moyens les plus simples.
J'ai l'idée qu'une école de vrais aquarellistes, ennemis de toute
concession, pourrait arriver à une exécution merveilleuse, à un
art tout à fait supérieur, d'une pureté et d'une adresse incompa-
rables, exprimant en un tour de main des idées et des sensations
profondes d'une science toute spéciale.
C'est là l'idéal de l'aquarelle. Aucun genre n'est plus di/ficite,
car il faut que la louche soit d'emblée juste et vraie, qu'elle
exprime ce qu'elle doit dire par elle-même et par ses harmonies
avec ses voisines, et avec l'ensemble. Elle ne souffre ni hésita-
tion, ni incertitude, mais, en revanche, elle possède la vie, la
lumière et l'éclat qui manquent il l'œuvre reprise et retouchée.
// n'y a pas d'art inférieur. Pourquoi l'aquarelle, par exemple,
serait-elle mise att second rang? Qu'est-ce que le procédé a à voir
dans les manifestations de l'àme? Que l'aquarelle soit, en somme,
le résultat d'une impression passagère ou le résultat d'une étude
approfondie, pourvu qu'elle atteigne le but, qui est I'ëmotion.
Quant à savoir si l'aquarelle comporte, aussi bien que l'huile,
la lenteur dans l'exécution. 11 me semble que si elle ne le com-
portait pas, ce serait plutôt à son avantage. L'art est d'autant plus
grand qu'il tire plus de choses de moyens simples et sommaires.
Si elle convient aux effets de grande lumière? Evidemment oui,
j uisque ces effets sont obtenus par des rapports d'intensité entre
les tons et les valeurs, et que la couleur !i l'huile, comme la cou-
leur à l'eau, n'émet pas de lumière, mais ne fait que réfléchir
celle du soleil.
La peinture à l'huile n'a pas toutes les ressources de la pein-
ture à l'eau. Certes, l'huile peut revendiquerla force, la solidité
du ton, mais elle ne peut pas lutter avec l'eau, pour rendre la
lumière, la limpidité et ce je ne sait quoi quv tient de l'imprévu
et du rêve.
Devant un paysage qui éveillera en nous une imprejnion piWti-
que, l'idée ne nous viendra pas de casser notre bouteille' k eau,
mais bien au contraire nous enaierons de trouver en elle et dans
un bloc de Whalman de quoi rendre cette impression tout aussi
complètement qu'avec d'autres ingrédients.
Pour ne pas parler des Belges, il est évident pour tout artiste
qu'un Mauve, qu'un Maris sont des œuvres de premier ordre,
surtout à l'aquarelle. Cela prouve surabondamment que le
procédé n'a par lui-même aucune valeur intrinsèque et que c'est
le besoin de la rime qui a amené un farceur d'alcliér k formuler
le quatrain qui flnit par
C'est beaucoup plus beau que la peinture â l'ean.
. Au revoir, mon cher Mau8,.et vive l'aquarelle I , .^ ...
Tout k toi,
Victor UYTrgnscHAUT.
p. S. — Vois les fresques de Michel-Ange, de Raphaël ei
de tant d'autres. Ne sont-elles pas de grandes aquarellesT Leur
exécution se rapporte plus k l'aquarelle qu'k la peinture k l'huile.
Les miniatures du Moyen-Age, ne sont-elles pas aussi des
aquarelles? Et nous vient-il jamais k l'idée de les considérer
comme le résultat d'un art inférieurf
Un spécialiste, M. Léon Âbry, dont les • militaires »
sont très appréciés, qu'ils soient croqués à l'eau ou
étudiés à l'huile, nous écrit :
LÉON ABRY.
Mon cher Mads,
Je n'ai pu vous répondre plus tôt, toutes mes soirées étaient
prises. C'est le soir, les pieds ^ur les chenets, qu'il fait bon con-
verser avec un ami. C'est le soir aussi que j'aime k correspondre
avec ceux qui sont loin de moi.
Vous me faites vraiment « bien de l'honneur » en m'intervie-
want k propos de l'aquarelle. Si je mouille parfois le Whatman, je
le fais sans prétentions; aussi je vous donne mon opinion pour
ce qu'elle vaut.
'Laissez-moi vous dire d'abord que généralement, k mon avis,
le public donne une importance trop grande au procédé.
Qu'importe quant k la valeur de l'œuvre, le mode d'expres-
sion? Telle eau-forte de Rembrandt ne vaut-elle pas cent fois maint
tableau ? Tout dépend donc de l'intensité de la sensation d'art
rendue par l'exécutant.
J'ai vu tel dessin de Constantin Meunier, telle enluminure de
Mellery qui pour moi éiaieni des chefs-d'œuvre, et si ma fortune
m'avait permis de les acquérir, je n'aurais nullement pensé k mar-
chander sous prétexte que ce n'était pas « une peinture k l'huile ».
Je dirai plus : c'est précisément ce qui me rappelle le procédé
qui me semble rendre la peinture horripilante. Je voudrais le
tableau surtout sans la sensation gluante, poisseuse de l'huile,
cette sensation qui précisément enlève k l'œil toute illusion. Et
certes, k ce point de vue, je trouve l'aquarelle infiniment supé-
rieure : devant elle j'ai mieux la sensation de l'effet, de l'air, de
la lumière ; devant le tableau je vois la toile recouverte d'une
matière plus ou moins habilement triturée, mais qui ne peut que
difficilement, par sa matérialité même, me donner l'illusion de la
nature.
Pourquoi, jusqu'ici, nos amis des XX — ces hardis cavaliers
''^^'>-
-^■'■
■"^WW^^- *
d'exploration — ne lentenl-ils pat l'aquarelle par les procédés
nouveaux? Il n'y a peut-être pas un moyen d'exécution plus ratio-
nel pour rendra la vibration de la lumière par la décomposition
du ton. J'ai essayé, mais je ne puis m'aslreindre b exécuter avec
le calme, la méticnlosilé que comporte le procédé. — D'autres,
eerles, pourraient réaieir.
Je ne vous parle pas des différents modes d'exécution de l'aqua-
relle ; gouache (Meunier), aquarelle pure (Uytierscbaut, Slaequei,
Binjé), aquaralle gouacbée (Hagemans), pour citer de» exemples
caraetéristiqaes. Question de tempérament, pas autre «hose, —
de même que le choix du sile, le sujet, la mise en page, etc., dans
lesquels il n'appartient à personne d'intervenir. A quoi bon légi-
férer en matière; d'art : trop de classifications déjà, trop de lois
— et trop peu de personnalités.
A bientôt, j'espère, cher ami, nous en reparlerons alors — et
plus longuement.
. Voira dérooé,
L. Abry.
Lettre pleine de bonhomie et de cordialité d'
EUGÈNE SMITS.
Mon chbk Maus,
J'alirais dû répondre immédiatement à votre aimable lettre.
Plus je tarde, plus j'ai de peine i écrire ; celle fois, j'ai pensé
qu'en réfléchissant, j'arriverais ii dégager le dogme; je ne'suis
pas plus avancé qu'a la première minute.
Moi, j'aime mieux les aquarelles enlevées; quand je vois une
aquarelle très faite, je me demande pourquoi on n'a pas pris une
toile ou un panneau, plus solides que le papier et supportant plus
facilement un long travail, mais j'admets qu'on ail un autre goût
et qu'on aime les lavis très soignés, pourvu qu'ils soient bons.
Je crois que beaucoup d'aquarelles très faites ne sont ainsi que
parce qu'elles n'étaient pas bien arrivées au début, mais il ne faut
pas soulever le voile de la vie privée ; il y en a certainement
d'autres qui ont été voulues dès la première idée.
Vive la diversité des goûts. Le monde n'est pas bien amusant,
mais si tous les gens avaient la même figure et les mêmes jdées,
il n'y aurait pas moyen d'y tenir.
Je vous ai dit que je préférais les aquarelles enlevées. Je vais
vous faire un àOlra aveu, plus dangereux : je n'aime, dans les'siè-
des passés, que l'art antique, celui de la Renaissance et leurs
dérivés, surtout en tant que peinture ; j'admire souvent les tableaux
gothiques, mais je ne les aime pas ; àans l^es plus beaux il me
semble sentir l'ojipressiOn et la barbarie du temps, mais je suis
content que d'autres les aiment, les soignent et qu'on ne les brûle
pas comnie je ne'sais qui voulait brûler tous les' Rabens. -
Mon cher ami, je dois m'arrêter, je sens que je m'emballe et le
vieux cheval finirait par vouloir franchir trop d'obstacles pour ses
forces.
Voire dévoué.
Eue. Smits.
Enfin, pour finir, la réponse de Xavier Mellery, véri-
table profession de foi, digne du grand artiste qai a
signé les Heures et la Trinité.
XAVIER MELLERY.
Mon cbek Mads,
J'ai été très indisposé : une bronchite aiguë accompagnée de
l'influenza ; je suis convalescent et je vais essayer de répondre il
ta lettre. Je t'exprimerai mes pensées un peu comme elles me
viendront à l'esprit.
La condition essentielle de n'importe quel procédé est de
faire œuvre d'an. Il y a différents degrés d'expression dans l'art :
10 simple contour, la simple tache de couleur peuvent être déjà
des choses complètes, mais l'échelle de l'art va jusqu'au ciel et
chaque échelORvetts mène un peu plus haut dans l'esprit de l'art,
il nous rapproche de plus en plus du suprême idéal. On peut
monter très haut : plus on est haut, plus on trouve des beautés.
Poussé par elles, on veut arriver & cette incandescente lumière, i
ce (U^nitif qu'on n'atteint, hélas! jamais ; puis on tombe, comme
Prométhée voulant dérober les feux du ciel. Qu'importe la chute!
11 est de la dignité de l'artiste de tenter cette ascension, on se
relève plus fort et le chemin qu'on aura parcouru restera glo-
rieux, car les efforts qu'on aura faits pour y arriver seront d'in-
déniables œuvres d'art et les jouissances artistiques qu'on y aura
trouvé cachées seront incomparablement supérieures et plus glo-
rieuses que tous les honneurs et les distinctions qu'a inventés la
société.
Cette figure pourrait s'appliquer a tous les arts et résumer leur
mission.
L'aquarelle claire, délicatement lavée, aux tons fins et délicats,
est un art que doivent rêver la jeune flile et l'amateur qui ne con-
sacrent & l'art qu'une mince part de leur existence. La muse de l'an
ne sait pas s'y plaire ni s'y tenir, son cadre est trop étroit pour
cette robuste fille du ciel, elle aime à s'exprimer avec force et
puissance et, plus elle devient éloquente, plus son œuvre devient
lumineuse; c'est là la vraie lumière, la lumière de l'art.
Peu importe le procédé, la technique, comment c'est fait et ce
que c'est; Vœuvre supérieure parle avant qu'on se soit demandé
si c'est de l'aquarelle, de la détrempe, de la peinture à l'huile, etc.
C'est ainsi que l'aquarelle peut quelquefois être supérieure à la
peinture à thuile et réciproquement.
Aujourd'hui, il y a trop de peinturlureurs, c'est l'académie qui
les fait et les expositions qui les entretiennent, ils out fini leurs
études quand celles de l'artiste commencent. Un jour viendra où
l'on supprimera les expositions et les académies; alors, il n'y aura
plus que l'artiste qui naîtra, et de sa propre sève alimentera l'art;
l'art alors vivra de sa vraie vie,. celle qui naît des individus créés
à cet effet et non comme aujourd'hui, de cet art faux, créé et
inventé dans les académies et les expositions.
Les expositions, c'est faux, archifanx. Je dirai même que le
tableau n'existe pas ou n'existera plus, il a épuisé son pro-
gramme; le tableau, c'est l'image; le bourgeois en choisit une ti
son choix pour couvrir un mur quelconque de son salon. C'est
un meuble, œuvre sans destination et sans but, faite au diapason
faux des expositions : donc œuvre déjà altérée.
Il y a deux grandes expressions dans l'art : 1° l'art décoratif,
qui a une destination immuable ; 2° l'œuvre d'art, qui n'a pas de
destination.
La première, par son éloquence décorative, par sa pensée, son
homogénéité, son harmonie avec l'architecture, renferme toute
l'échelle de l'art.
La seconde, par sa profondeur d'expression, transporte celui
qui sait la voir dans les régions les plus élevées de l'art.
Voilà, mon cher Maus, quelques pensées, de celles avec les-
quelles je veux vivre et mourir. Ainsi soit-il !
J'aimerais les revoir, les retravailler, afin de les rendre plus
.:;*. ■-^'.tfcvf' ^. V--' ■■,v>v , ■■;■,■■' -.'/f
14
L'ART htODBRNB
l.
Précises et plus claires, mais j'espère que ion amilië sera indul-
genle et que tu pourras y trouver les réponses aux questions que
tu m'as adressées.
Sur cela, je (e serre la main de bonne amilië.
A toi,
X. NCLLERT.
La conclusion? Faut-il conclure? Les observations
contenues dans les neuf lettres que nous avons publiées
sont aussi explicites que possible. Elles démontrent,
par leur divergence même, que l'aquarelle, comme
toute autre manifestation artistique, échappe aux
règles, aux canons, aux lisières et aux férules.
Les Académies ont inventé la classification des
expressions artistiques. Les artistes s'en sont moqués.
De nos jours plus que jamais l'interpénétration se fait.
Le procédé est accessoire. L'impression seule domine.
Qu'importe qu'on peigne à l'eau, à, l'huile, au blanc
d'œuf, à la cire, à la gouache? Le seul but à atteindre
est d'émouvoir. Tel artiste y parvient par de fluides
lavis. Tel autre ^ recours aux rehauts, aux pongages,
aux grattages, aux hachures de pastels ou de contés.
Tel, au pointillage de tons divisés. Bien malheureux
ceux qui se croient obligés, au lieu de se laisser aller à
la sensation artistique, de prendre une loupe et de
ratiociner : « Impossible d'admirer cette aquarelle. Elle
est gouachée ! » ou encore : « Fâcheux que la toile de
cet excellent artiste ressemble à une aquarelle ! »
Des pions condamnent les glaces pour les peintures à
l'huile, parce que cela les iàit ressembler à des pein-
tures à l'eau (!) D'autres affectent du dédain pour les
pastels parce qu'ils sont moins •' solides » que les toiles
peintes. Il en est qui regrettent que Walter Crâne et
Randolphe Caldecott aient prodigué le meilleur de
leur art dans des - livres d'images pour les enfants ».
Et ainsi de suite, toute la kyrielle des ftneries que se
transmettent, de Bouvard à Pécuchet, les générations
de Bonhomet.
Voyons plus haut. Quand le soleil se lève, ne nous
demandons pas en quelles soupentes il se glisse, ni à
travers quelles vitres il projette ses rayons.
LA BOHÊME BOURGEOISE
par Ch.-M. Flor O'Squab». — Un vol. m-12 de 374 pp.
Paris, L. Oenonceaur, 1890.
« Il ne pouvait songer sans un sonrire d'enfant désabusé
aux légendes établies de longue date autour de la Bohême artiste,
et qui lui semblaient aujourd'hui inexplicables. Une évolution
naturelle, sans secousse, élevait les artistes au rang qu'ils méri-
taient d'occuper. C'était à eux, maintenant, qu'allait la considéra-
tion des foules, les honneurs et la fortune, comme aux plus
dignes. Peut-être, en réalité, possédaient-ils mieux que naguère
le sentiment de leur rôle et de leur mission. Il y paraissait. Le
certain, c'est qu'ils dépouillaient le côté rapin, les allures débrail-
lées, le penohani ans vastes mysliflonions qai mleot doué i» la
défiance aox hommes sërieai. Et les hommes sérieui s'obtndoo-
naient k leur tour, deveDaient les vnis bohéflMS, gtektieal !«•
heures les plus aérieuses de l'Ag^mAr en rtfer^sUoM misénblM
désolées par leur native pauvreté d'imagiutioa. Un eooraal Mal
précipitait la vieille bourgeoisie k des desordres ob tes fortanea
leniemenl amassées sombraient, où l'effiort de plusieurs géndra-
lions avortait, ridicule, perdu, dans des satistMlioas basses,
demandées k toûies les sensualités. Et tandis que ae saicidaU la
classe moyenne, d'autres hommes, sortis d'ellc-roéme, puisaient
dans l'art une noblesse inédite, fondaient une aristocratie. Fils do
bourgeois, épris — par quel roiracleT — d'un par idéal, ils for-
maient un groupe déjk nombreux et distinct, prépondérant bien-
tôt. On eût dit qu'ils eonaervaienl de leur origine la aenlimentdaa
sévères ordonnances de la v'ie régulière, le soin da paraître, le
goût du correct, de la simplicité et de la décence. Anean n'eAl
été lenié de ressusciter les traditions d'anlan, — vaillante» sana
doute, empreintes d'un mépris hautain du banal et du eonvrao,
— mais qui s'exprimaient forcément, pour être saisies du vulgaire
auquel elles s'adressaient, par des enfantillages dans le costume et
dans les altitudes.
« Loin, très loin le temps des poètes noctambules et pochards,
contempteurs de leur époque et organisateurs des forces légen-
daires, le temps des peintres chevelus et hirsutes en pantalona k
la hussarde et en bérets écarlaies ; bien loin ces soirées mémo-
rables où des gilets de pourpre exaspéraient le parterre de la
Comédie-Française, et où les rapins affectaient de ne boire leur
piquette ordinaire que dans des crânes d'académiciens classiques.
Aujourd'hui ils marchaient habillés comme tout le monde, ne se
distinguant que par leur talent et leur caractère.
« La bacchanale des dirigeants s'étonrdissail en une rondo de
folie, avec des transports et des foreurs. Des signes précurseurs
d'un écroulement final se dessinaient nombrfux, topiques édi-
fiants, sur ce déco);^e fêtes. C'était, parmi les austères dîiier, des
catastrophes répétées : des financiers véreux en police correc-
tionnelle, des banquiers au bagne, des notaires en fuite, des
magistrats surpris en flagrants délits honteux, des prêtres indi-
gnes, des officiers trafiquant de leur graine d'épinards et de leur
croix d'ftonneur avec des marchandes k la toilette ou d'anciennes
mondaines tombées au proxénétisme, des fils de famille inculpés
de faux et traînant sur les bancs de la Cour d'assises un séculaire
héritage de probité, des députés pris la main dans le tac et
chassés do leur pays par le dégotit public, des fonctionntires pré-
varicateurs, des gens dé police associés k des grecs ou spéculant
sur les prostituées
« Au dessus d'eux, comme sur un sommet accoutumé, les
artistes travaillaient, paisibles, confiants, désintéressés, k l'abri
du déluge prévu dont le torrent balaierait ces pourritures et
rajeunirait l'humanité. Us verraient cela de très haut. Ils assiste-
raient k la grande débâcle, défendus contre la contagion par la
pureté du ciel qui baignerait leurs fronts, sans cesse. El c'était de
très haut déjk qu'ils considéraient cette foule condamnée, grouil-
lante à leurs pieds et vers laquelle, des couches inférieures de la
populace, montait une armée orga||isée pour des lendemains
farouches. »
Cette page remarquable résume la nouvelle œuvre de M. Flor
O'Squarr. C'est l'opposition entre la sérénité de l'art, se suffisant
k lai-même et étant son propre but, auquel la considération et la
SiiS-
fortaM ddiTCnl venir oomme «nrerpH, et la démoralisation boor-
geoise, ae vantranl dans les plaiaira aensaela et eherebani dans des
apdmIalioBa éhonlëea le moyen de satisfaire k celle pasaion de
joaiasanee. I-ea deux ordrea d'idées sont développés, areé une
grande abondanre de détails, avee le relief de tableaux de mœors
caraetérisliqaes entremêlés d'aperçua intéressants liabilemenl
mêlés au récit. Gomme transition naturelle et constante entre ces
mondes opposés, apparaît l'amour d'un pur artiste pour la
femme d'an de ces braaseurs d'aflbires véreuses. L'anleur n'a pas
ménagé lea eontraalet entre lea époux de ce ménage de boiir-
geoiaie. Aalani le mari sis montre dépourvu de sens moral, facile
t tous, épanoui dans ses désordres et comme inionscient, autant
la femme, d'une aensibilité raffinée, cache héroïquement les tris-
teaaas de l'kbandon, ac eonfibant dana an isolement invraiaem-
blable, sans antre préoeenpalion que de conserver intacte l'hon-
nételé du foyer domestique afin que, dans les joura de malheur,
il puisse être encore un refuge pour cet homme qui la délaisse et
qui la ruine.
Cependant, l'amour reapeelueux qui s'offre à elTe envahit peu
k peu le vide de son existence. Par des ménagements infinis, avec
une patience qu'aucun délai ne décourage, l'artiste qui s'est épris
d'elle conquiert sa confiance; il ramène un peu de Joie dans cette
ftme désolée et par la délicatesse et la constance de ses soins, il
lui fait si bien entrevoir une perspective de bonheur que, surprise
par un bmaque retour de son mari, qui avait fui h Bruxelles avec
une mattrease devant des poursuites imminentes et que l'épuise-
ment de toutes ressources ramène auprès d'elle, elle ne peut se
faire b l'idée d'écbangerpar la cruelle vie d'autrefois, la vie douce
k laquelle aon ami l'avait habituée et elle court ae livrer k lui,
froidement et sana passion, pour venir rapporter k l'époux indigne
l'annonce de ce définitif reniement et consommer ainsi leur sépa-
ration.
Elle le croyait, do moins, et aon amant pouvait le croire avec
elle; mais, dans l'esprit de cette femme sincère, la gène d'une
situation équivoque, la honte de l'adultère, mettent obstacle k
l'amour voulu par son cœur. Malgré la posseasion journalière,
l'amant s'aperçoit bienlét qu'il o^ d'elle que le corps; il lui faut
recommencer son lent travail de persuasion, d'habileté et de
patience pour l'avoir tout entière; et, lorequ'enfin il a senti se.
fondre les dernières résistances en un élan de passion; lorsque,
par un nouveau travail pénélopien, il est parvenu même k asso-
cier la femme aimée aux enthousiasmes de sa production litté-
raire, no» quant an aens des mots, auquel les femmes semblent
réfractaires, mais qntinl à leur sonorité et k leur harmonie, il
suffit d'un suprême scandale de l'époux, poursuivi k raison de
nouveaux tripotages financière, pour que sa femme aille le
rejoindre k la sortie do tribunal,, afin de retrouver auprès de lui
l'apparence décente et l'étiquette de convenance nécesaaires k sa
tranquillité.
■oyennant ce souverain préservatif qui reconstitue sa dignité k
ses propres yeux et aux yeux du monde, elle conserve, désormais
sans remords, les délices de son amour extra-conjugal, car « sans
doute, le secret du bonheur pour tous était dans une immense
tolérance jamais lassée, jamais découragée, s'étendant au pardon
des fantes les plus hostiles, des compromis les plus douteux ».
Le livre se ferme sur l'acceptation par les deux amants de cette
« douceur endormeuse d'un amour discret, d'un amour raison-
naUe, banal, médiocre, bourgeois, pas fier, hypocrite et plate-
ment sentimental ».
Peut-être n*étail-il pas besoin, pour ce dénouement, de mettre
en action des personnages d'une sensibilité exquise et d'une
délicatesse d'exception et de leur faire traverser les épreuves que
l'on a vues; et si l'auteur a voulu démontrer que les esprits les
plus raffinés n'échappent pas k la banalité universelle, il est dou-
teux qu'il y ait réussi en mpntrant comme un replâtrage difficile
ce qui se constitue si naturellement d'emblée, sans heurt et sans
secousse. Quoi qu'il en soit, cette étude d'un artiste consciencieux
présente un véritable] intérêt, et se lit sans fatigue, ce qui n'est
pas un mince éloge pour une œuvre aussi compacte, parce temps
où les courts loisirs ont mis en honneur les contes abrégés et les
rapides nouvelles.
Troisième spectaole de la saison 1890-91, Paria.
{Correspondance particulière de l'Art hoderne.)
Conte de NoBl, mystère moderne en deux tableaux en prose,
par M. Auguste Linerl. — A minuit, tandis que les cloches et les
chants évoquent la naissance de Jésus, choyée par Marie, réchauffée
par les bétes, encensée par les mages, prédite par les pro-
phètes, — Rosa, mariée depuis quatre mois k un rude paysan
qui ne la sait pas enceinte, son de sa cabane, se comprime le
ventre, geint, accouche, s'affaisse. Passe la mère Raminoi : com-
patissante, elle fait manger aux cochons l'enfant. Le paysan s'est
réveillé. De vagues explications des deux femmes le rassérènent.
Pour réconforter Rosa, il va chercher sur le poêle on peu de vin
pas tout k fait froid, entend les porcs grogner, et demande si l'on
n'a. pas oublié de leur donner k manger. Des plaintes, d'intermi-
nables gais carillons, des chœurs de noêls, la continue tombée
de la neige, des limousines, des ulsters, des capuchons dispa-
raissant vers l'église : moyens d'expression dont s'est servi
M. Linerl pour remplacer bien des paroles dans en « mystère
moderne » exécuté parmi -le décor et avec l'excellente naïveté
de votre Massacre des Innocents de Breughel le Drôle.
La Fille Elisa, pièce en trois actes, en prose. — Difficulté de
ces sortes d'adaptations : la pièce se projetant sur la toile de fond
qu'est le roman original, ses lacunes ne sont pas perceptibles k
l'auteur qui, derrière elles, voit non un espace neutre, mais les
colorations du roman. Qu'on suppose aboli le roman de M. de
Goncouri, et les motifs de l'assassinai du soldat Tanchon par
Elisa ne sembleront peut-être pas suffisamment explicites (acte I).
Par leur sobriété, leur énergie, la forte émotion qui les pénètre,
les scènes de la maison centrale (acte III) sont la partie essentielle
de l'œuvre de M. Ajalberl. Quant à l'acte II, il est empli par la
plaidoirie du défenseur d'Elisa. 11 faut admettre que cet acte,
restitution d'une séance de cour d'assises, n'est pas seulement un
tableau vivant et un trompe-l'œil. En faisant spéculer l'avocat sur
l'enfance de sa cliente et sur la condition des prostituées, nulle-
ment sur les causes profondes du crime d'Elisa, M. Ajalbert act^
voulu marquer l'impossibilité de pénétrer le pourquoi d'un acte,
signifier l'impudence et l'inanité de tout essai de justice. Cette
faculté de sympathie, celte compréhension attentive des tristesses
d'ftmes iréles, que témoignèrent les romans le P'tit, En Ahock
et le poème Si;R les tali;s, rendaient M. Ajalbert apte autant que
pereonne k mettre k la scène ce roman de pitié. Les mêmes
œuvres le montraient amusé des tropes populaires et des locutions
professionnelles, et habile à les immobiliser dans une phrase.
Aussi la conversation de Gobe-la-Lune cl de Maric-Coup-dc-Sabre,
au premier acte, au deuxième, les dialogues des avocats, au
troisième, les sinistres et bouffons bavardages de la mère d'Ellsa
sont-ils un amusant enguirlandagc aux situations. La gesticulation
de -M"» Gahricllc Flcury est d'une drôlerie pétulante, et le jeu de
M"' Nau, à figurer Elisa, est juste et pathétique. F.
trois actes de vaudeville ne (rainent pas, ce qui iMtralt exiraor*
dinaire quand on réOéchil k la ténuité de i'inirigue.
Et autour de M''* Nesville, la troupe des Galeries, augmenlé»
de quelques bonnes recrues : M"* Fossootbroni, M. Hérault, etc.,
forme un ensemble homogène très satisfaisant.
THÉÂTRES
Ma Cousine. — Miss Helyett.
Deux spcclaclcs se pariagcnl en ce moment Bruxelles : au
Parc, Ma Cousine, un Meilhac de date récenle ; aux Galeries,
Misi Helyett, la dernière fantaisie de Maxime Boucheron,
rythmée de quelques couplets par M. Audran « l'heureux auteur »
de vous savez quoi !
L'un et l'autre vivent surtout du talent, de la grâce et de la
bonne humeur de leur principale interprèle : M"* Berlhe Cemy
dans Ma Cousine, M"' Juliette Nesville dans Miss Helyett.
Celle cousine? C'est Riquctic, comédienne bonne fille, si bonne
fille qu'elle consent très voloniiers à jouer dans la vie réelle un
bout de rôle destiné !i arrêter rcmballcmenl du baron d'Arney la
Hultc pour M""» Champcourlicr. Le procédé est fort simple :
Riqueiie csl exquise, elle s'offre malicieusement, elle sert de
paratonnerre, déiourne l'amour du baron, le confisque, et puis
s'en va en riant à ses affaires. Tout cela pour faire plaisir à celte
aimable Clotildc, la baronne, fort désolée de l'abandon de son
mari que Riquelle lui restitue après l'avoir 1res adroitement
enlevé Si sa maîtresse.
Le tout dans un décor essentiellement moderne, mondain,
frivole, éloffé de gens de Cercle, de comédiens de paravent, de
femmes Fancy-fairantes, — le milieu parisien que M. Meilhac
excelle à dessiner d'un crayon léger, à animer d'un gazouillis
spirituel et gai.
11 y a même un peu plus que de l'observation. Une raillerie fine
s'insinue dans les croquis présentés au public par M. Meilhac, qui
1res doucement blague la futilité des gens dits du monde et donne
à l'actrice, au rebours de conventions hypocrites, le rôle de la
femme honnête qui dénoue les situations scabreuses.
M"« Cemy est parfaite dans le personnage de Biquette, qu'elle
joue avec discrétion, avec esprit, avec goût. Elle a d'emblée
conquis toutes les sympathies.
Le succès de M''« Nesville dans Miss Helyett n'est pas moindre.
11 s'agit, en cette folle histoire, d'une austère et pudibonde Amé-
ricaine, fille d'un pasteur, qui, en se laissant choir dans les
montagnes, a laissé voir... ce que vous devinez, et ce durant un
laps de temps assez long, liélas! pour qu'un peintre indiscret ait
pu prendre un croquis de.. . l'objet. Miss Helyett veut une répara-
tion. Et celle-ci s'impose : le mariage. Mais l'artiste a dîsparu.
Il faut le retrouver. La pièce se passe en perquisitions invraisem-
blables dans les Casinos. Les fiancés abondent, car Miss Helyett
est charmante. Comment reconnaître le véritable, celui qui a vu...
ce que les autres n'ont pas vu ? On devine les incidents extraor-
dinaires auxquels cette donnée de haute fantaisie donne lieu. Le
hasard (et le besoin de clore le troisième acte) amène providen-
tiellement aux pieds de la jolie Américaine un album révélateur
— celui d'un jeune français que Miss Helyett adore. ..
Grâce à l'originalité, à l'excentricité sobre de M"» Nesville, ces
J30RRE3PONDANCE
A proj><MS de la aympkoiile de Zi. Kefer.
Exécution à Verviert. -
Vous voudriez quelques mots sur la symphonie de L. KeferT
Je me demande si je puis en parler, je ne puis vous don||^r
qu'un« impression : cela me dépasse, comme toutes les œuvres
d'art fortes, vraies et profondes. C'est au dessus du cercle de
choses que je force mon cerveaii k broyer poar en extraire l'es-
sence sous forme de résumé.
Je ne vous dirai pas si j'admire, ni comment ; je ne peux pas
le dire non plus quand je suis devant un Rembrandt; j'éearqDille
mes yeux, je jouis, je deviens très bétc ; il se passe k mon inia
une foule de choses dans ma léte, il se passe dans mon être d«s
choses qui me font bien voir que je ne suis pas le maître chez
moi.
Je pourrais vous dire que la symphonie de L. Kefer est pui»-
santé, qu'une seule idée la traverse, qu'elle est moderne, person-
nelle. /^
Nais elle est plus que cela.
A cette époque où la personnalité dans l'art se prêche h peu
près de la même façon que la « spécialité » dans le commerce, il
est bon de crier aux honnêtes moutons qui s'ingénient uniformé-
ment à se singulariser :
— « Que faites- vous de l'impersonnel, de l'élément étemel,
humain? »
Ils croient l'interpréter quand ils ont revêtu quelque immense
chose, banalement comprise, de leur petite couleur.
On se cherche dans leurs œuvres, on les y retrouve, eux, tou-
jours eux.
El alors quel repos, quel bienfait, quel bienheureux ahurisse-
ment de notre faculté de jouir, quand une vraie œuvre nous est
donnée, qu'on sent être sortie de l'instinct profond, impersonnel
d'un être semblable k vous, une œuvre qui ne vous fait pas penser
il son auteur, qui vous fait penser k vous même, vous emporte au
loin, et vous fait croire un instant h votre propre grandeur.
Voilà l'œuvre de Kefer.
C'est ainsi qu'elle a été comprise par la majorité du public ; —
quand je dis comprise, je lui fais trop d'honneur au public — il
ne comprend jamais ces choses Ik. Parfois il les sent, c'est ce qui
est arrivé hier; — k part naturellement pour une minime frac-
tion de gens qui ont acheté de la distinction k un maître de danse
et qui ne sont pas capables de rien sentir; ceux Ik se sont mis k
« analyser ». Trois jeunes perruches derrière moi, a analysaient »
du bout de leurs jolies langues, tout le long de la symphonie.
Elles approuvaient même je crois I « Jolie phrase, ça ressemble
k c'est laid ces dissonnances. »
Faudra-t-il qu'il vienne une révolution pour réveiller ces
hommes et ces femmes qu'une absorbante étude de singeries
mondaines empêche d'être atteints par tous les grands courants
humains T
''STÏ''"' .'■ ■ ' '■.•'Sïï' ■-•■'.-
i;art moderne
17
Ceci soit dit pour me veager des pemiehei, que j'élèverai k la
qualité de grues si on veut ; le public a M chaud et enthousiaste.
I, WaL.
MUSIQUE
Un nonveaa aolfèce
M. Jean Van den Eeden, directeur du Conservatoire de Mons,
vient de publier un solfège de perfectionnement qui constitue un
nouble progrès sur les solfèges antérieurs (i). Il a principale-
ment pour bal d'enseigner anx élèves les déplacements réels que
font subir aux sons les changements de clefs, en même temps
qu'il familiarise les apprentis musiciens avec rutafede toutes les
clefs et qu'il les accoutume à la transposition. "^
11. Van den Eeden prend pour, base de sa théorie la clef de «o^
la mieux connue et la plus usitée. Il y rapporte la notation des
six autres clefs, et montre dans un tableau synoptique leur dia-
pason véritable. En se gravant le tableau dans la mémoire, les
chanteurs se rendront aisément compte du degré exact auquel
correspond' toute notation musicale, quelle que soit la clef placée
i l'armure.
On comprend l'utilité de pareilles' études pour la lecture ii vue
des anciennes partitions, de la musique d'église, etc., dans
lesquelles les clefs aujourd'hui tombées en désuétude étaient fré-
quemment employées.
Les exemples cités par M. Vanden Eeden sont judicieusement
choisis et présentent un ensemble artistique qu'on n'est guère
accoutumé i trouver dans les ouvrages théoriques de ce genre.
On serait tenté de solfier par pur agrément les quarantes leçons
mélodiques et rythmiques qui composent le recueil tant elles
présentent de variété et d'attrait.
Onunnudre mnalcale on théorie complète des principes
de musique, par demandes et réponses, avec tableaux intuitifs,
par Jvuxs Viknne, professeur au Conservatoire de Bruxelles. —
Bruxelles. Propriété de l'auteur.
Une lettre par laquelle M. Gevaert félicite l'auteur de la clarté
de son exposé et lui annonce que l'ouvrage est adopté officielle-
ment par l'enseignement du Conservatoire, sert de préface.
Ainsi se trouve consacrée la valeur de celle nouvelle Gram-
maire, appelée il rendre de réels services. H. Vienne a résumé
avec beaucoup de précision les principes de la musique, et, en
soixante-quinze pages, passe en revue toute la théorie qu'il
importe aux musiciens de connaître.
Petite chroj^ique
Les XX ouvriront dans les premiers jours de février, au Musée
moderne, leur VllI* Salon annuel.
Voici la liste des artistes invités à y prendre part :
MM. Eugène Smits et Charles Van der Slappen (Belgique),
Maurits Bauer et Floris Verster (Pays-Bas), Waller Crâne et
P. Wilson Sieer (Angleterre), Charles Angrand, Jean Baffîer,
Jules Chéret, Filliger, Paul Gauguin, Armand Gulliaumin, Camille
Pissarro, Georges Seurat, A. Sisley (France), Cari Larsson (Suède).
L'Exposition sera complétée par- un choix d'œuvres (peintures
(1) Bruxelles, Katto, éditeur.
et dessins à la plume) de feu Vincent Van Gogli, l'artiste si per-
sonnel enlevé h l'art l'été dernier.
On cite, dès ii présent, comme devant exciter particulièrement
l'intérêt, le Chahut de Georges Seûrat, dans lequel l'artiste
applique une nouvelle théorie sur l'harmonie des lignes; les bas-
reliefs et les vases en poterie émaillée de Paul Gauguin; le surtout
de table en argent exécuté pour la Ville de Bruxelles par Charles
Van der Stappen ; les illustrations en coij^leurs de Walter
fîrane, etc.
Des conférences et des concerts initieront le public à révolution
des Lettres et de la Musique.
C'est jeudi prochain que la Jeune Belgique célèbre, par un
banquet, la dixième année de sa fondation. La cérémonie
s'annonce comme devant être fort brillante. Des hommes de
toutes les générations artistiques ont tenu à donner 6 l'afl jeune,
b l'art régénérateur, un témoignage de sympathie. C'est un signe
des temps nouveaux que cet enthousiasme pour la rénovation
littéraire à laquelle ce groupe de vaillants a apporté sa pierre.
Le premier Concert populaire aura lieu dimanche prochain,
i 1 1/3 h., au théâtre de la Monnaie, sous la direction de
H. Joseph Dupont. Celui-ci abandonnera la direction de la pre-
mière partie du concert à M. Adolphe Samuel, fondateur des
Coucerls populaires, qui dirigera sa symphonie n° 6, exécutée
récemment avec succès ii Cologne.
Les Concerts populaires célébreront ainsi leur 2S' anniversaire.
Voici le programme complet de celte intéressante audition :
1. Symphonie en ré mineur (rfi%). Ad. Samuel;
2. Ouverture à'Eléonore, L. von Beethoven;
3. Fragments de la Damnation de Faust (chœurs et orchestre),
H. Berlioz;
4. 5« concerto pour violon et orchestre, H. Vieuxiemps, joué
par m; Eugène Ysaye;
5. Fragments du Crépuscule des dieux, R. Wagner;
6. Introduction du 3« acte des Maîtres-Chanteurs, défilé des
corporations, choral et final (chœurs el orchestre), R. Wagner.
Après le concert, un banquet jubilaire réunira les composi-
teurs, les administrateurs, les amis, etc.
On peut souscrire chez MM. Scholt frères à raison de 5 francs
par couvert (vin non compris).
Nous publierons la semaine prochaine une appréciaiion des
œuvres de Xavier Mellery exposée au Salon des Aquarellistes. Le
défaut d'espace nous oblige a en ajourner l'inserlion.
A V. P. — C'est au tome 1, p. 308, col- 1, de sa Biographie
universelle des musiciens (2"« édition, Paris, Firmin Didol), que
F.-J. Fétis raconte l'anecdote relativi; à Beethoven à laquelle
nous faisions allusion dans notre article intitulé : Une allocution
DE M. Gevaert {An moderne, 1890, p. 412). Voici le lexie :
« Dans une soirée musicale, chez le comte de Brown, où se trou-
vait réunie l'élite de la haute société viennoise, Beethoven devait
jouer une nouvelle composition à quatre mains avec son élève
Ries. Ils avaient di'jii commencé l'exécution de ce morceau,
lorsque le jeune comte de P...., placé à l'entrée du salon,
troubla le silence en parlant à une dame. Après quelques efforts
inutiles du maître delà maison pour faire cesser cette conversation,
Beethoven, arrêtant les mains de Ries sur le clavier, se leva
brusquement, et dit assez haut pour être entendu de tout le
monde : « Je ne jouerai pas devant de semblables pourceaux
(FOr solche Schweine spiel ich nicht). »
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L'ART MODBRNB s'est acqnis par l'aato:^>«t l'ind6p«Ddaiie« de M vfVA^w, ^^''^^^^'j^^
informations et les soins donnés à sa rédaiotion «OA^aioe prépondérante. Aucune fflanubstation a* lArf M
lui est étrangère : il s'occupe de litt«r«tlire, de poUltare, de SOalptarer^ de grftylUrttt de OMimiM»
d'arohiteoture, etc. Consacré principalement au monvement artistique belge, Il renseigne Béannoil^a,. Mt
lecteurs sur tous les événements artistique* de Tétranger qn'U importe de oonnaitre.
Chaque numéro de L'ART MODERNE s'ouvre par une étude approfondie sur une queavlon artittiqM
ou littéraire dont l'événement de la semaine fournit l'aotuallté. Les «opotUiotu, les Umret nowswuce, IM
premières représentations d'ceuTres dramatiques on musicales, les conférencet littéraires, les concerts, lei
ventes dobjets d'art, font tous les dimanches l'objet de chroniques détaillées.
L'ART MODERNE relate aussi la législation et la jurisprudence artistiques. Il rend compte des
procès les plus intéressants concernant les Arts, plaides devant les tribunaux belges et JtejfMjgwrr Les
artistes trouvent toutes les semaines dans son Mémento la nomenclature complète ae8^|iÉMralOIUi «t
concours auxquels ils peuvent prendre part, en Belgique et à l'éteuiger. Il est envoyé I^IWllltoUieilt à
l'essai pendant un mois à toute personne qui en fait la demande. 9K «
L'ART MODERNE forme chaque année un beau et fort^mnme d'environ 480 pagM. «▼«« iM»
des midSâ. aoonstitue vm^J^f^te de l'Art lé 'db<>»tti(>ari« iHcÉra OWJgJbET »<^ JM» W^S
FACILE A CONSULTER.
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Faits et déb»ta Jadldairea. — Jurli^muleBoe.
— Blbliocraphle. - tiésUlaUcn. ~ Notariat.
HUTIJOII AMNél.
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bien stylisée, «■( Muw ooMSfMfSf pour la beasM et les fapUtis
sublimëa du son.
Lamaiioap<waèd«d««ewtilleirts«omllMtsde UM.BItttrTiM,
Camille de Saint4laen$, Utmt, BMutri Wagmér, AaiMMitl, Joa-
chim. WUkelny: Ed. Orieg, Oie BuU. A. Èutpof, SofU MetOer,
JJétirie Artôl, Pauline Luoca, PaNo deSarasate, tierd. BÙIer.D.
Popper, *ir F. Benedid, LeeekettUkn, JftpratmlÂ^Joh. Mniar, JM.
Svendeen, JC. Rundhagel, J.-O.-E. miMe, Ifnaeê 9iittf *tB„ ete.
N. B. On enroie gratuitement )•• prlT onnrailÉ''Sl las tWStt-
flcats à tout* personne qui «n Iwa là demand*.
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SCHAVYE, Relieur
46, ma du Mord, BniTSll—
RELIURES ORDINAIRES ET RELIURES DE LUXE
Spécialité d'trmoiries iMlgtt M ttraogiNB
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UruieUe*. — Imp. V Moimoii, », m* d* rindostil*.
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OMatMi AMMta. -T- N* 3.
Le numého : S6 csntimbs.
DiuANCHK 18 Janvier 1891.
-éif^:
MODERNE
PARAISSANT LB DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LÀ LTFTÉRÂTDRE
Comité de rédaction t Ootatb MAUS — Edmond PICARD — Ëuilb YERHAEREN
▲BOmnBMXNTS t B«l«:ique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. — ANNONCXS : On traite i forfait.
Adresser toute* les communications d
L'ADHoasTRÂTioN oÉNÉRALR DE TArt Modome, me de l'Industrie, 32, Bruxelles.
Sommaire
SnonuD). — Peinas in ysks et km pro8b. — Un Artiste. —
Au CU.DOASI, par Engène de Oroote. — Les Trotins de Berlioz. —
La Sodirri des AQUAroRTUTEt. — CRmco-iniNDiciTâ. — TaiATREs.
X« Régiment. — Meuento des EzposmoNS. — Petite cbroniqoe.
SIEGFRIED
Siegfried, tnenr de vMmirw, Siegfried, symbole de
jouneese, de Tïguear, d'ingénuité charmante et de bra-
Toore, est apparu sur la acène de la Monnaie, devant ce
même pubUc à qui, il y a peu d'années, le seul nom de
Wagner fusait &ire la grimace.
Et Siegfried a vaincu les hostilités comme il dompte
les 0018 etônlbate les dragons. Il a été acclamé par un
anditmre que cet absolu chef-d'œuvre a secoué jusque
dans les moelles (ô les sifSets imbéciles qui tentèrent
jadis de ternir l'apothéose de l'art triomphant !)
Malgré la médiocrité de l'interprétation (soyons sin-
côree), malgré la puérilité de certaines parties de la mise
en scène, malgré les accrocs saugrenus survenus au
cours de la première représentation, le succès a été écra<
sant, onanime, décisif. Ne retenons de ce nouvel esf ai
d'il||poiÙ8ation du drame lyrique sur nos scènes d'opéra
que cette impression, et bornons-nous à cette constata-
tion. La jouissance était si vive, de voir le Sieg/ried de
nos primes enthousiasmes, notre Siejj^ried, quitter la
nébuleuse Germanie pour marcher S la conquête du
pays latin et y pénétrer en vainqueur. Tout a cédé, en
cette soirée de fête, à la joie de la victoire remportée.
Trop allemand, le sujet? Trop longue, la partition?
Dénuée de mouvement scénique, et partant d'intérêt,
l'action ? Que sont devenus tous ces griefs, gravement
formulés par les péroreurs en chambre qui élèvent
patiemment des châteaux de cartes d'arguments infail-
libles sur lesquels souffle en riant l'artiste de génie. ■
A mesure que se déroule devant nos yeux éblouis
l'épopée wagnérienne, les brouillards se dispersent, se
déchirent par lambeaux, percés par d'étincelants
rayons. Bt toutes les objections que l'ignorance et le
parti-pris avaient amassées s'écroulent.
Il n'est pas, on l'a dit, une théorie qui n'ait été
démentie par un chef-d'œuvre. A coups de chefs-
d'œuvre, Wagner a démoli l'extravagant édifice de cri-
tiques élevé par les poncifs de la routine. Jusqu'à cet
extraordinaire reproche de « système >, dont ces jours-ci
encore il fut question, et auquel, dans un superbe
article, le seul qui tranche sur la banalité des
compte rendus de la presse quotidienne, M. Victor
Arnould a si justement répondu :
« Un homme de génie comme Wagner n'a pas de
j5'' vf -■«•• J^mK~i>T' '
20
L'ART MODERNE
système; le jour où il en construirait un, et y adapte-
rait une œuvre d'art, il serait mort pour l'art, les sour-
ces jaillissantes de la vie se tariraient. Le génie suit, en
vertu de ses propres lois, son évolution mentale, aussi
logique et fatale que le développement et la croissance
/d'un germe et l'épanouissement d'une plante. Il n'y a
qu'une pensée chez Wagner, l'assimilation à sa propre
âme de l'âme collective germanique tout entière, en
recourant à tous les moyens de l'art pour en rendre
l'expression extérieure la plus puissante, vraie, inten-
sive, totale qu'il pourra, tout ne devant concourir qu'à
l'expression de la pensée génératrice. Et c'est pour cela
que les moyens changent avec la nature même et le
caractère de l'objet à rendre, à reproduire et à ranimer
par l'inspiration et le souffle, jusqu'à la vraie vie nou-
velle et désormais immortelle, la haute vie de l'Art. »
Le « système » de Wagner? Qu'on nous le montre,
de grâce, dans Siegfried comparé avec les Maîtres
ChanteurSi ou avec Tristan, ou avec Parsifal.
A moins d'admettre qu'il ait changé de - système » dans
chacune de ses prodigieuses créations. Mais alors, que
signifierait le terme ?
Siegfried, panneau central du vaste tryptique des Ni-
belungen, appartient à l'art qui peut être compris de
tous et doit émouvoir, non telle catégorie de personnes,
non les citoyens de telle nation, mais l'humanité. C'est
même, de tous les drames du maître, le moins exclusi-
vement germanique. Il n'a d'allemand que le décor,
l'appropriation que Wagner a faite des ressorts drama-
tiques des antiques tragédies au cycle d'aventures
mythologico-patriotiques qui constituent la tétralogie.
Il puise la vie et l'intérêt dans les sentiments profonds
et simples qui sont de toutes les époques et de tous les
pays. Il les développe avec une extraordinaire noblesse,
et la naïveté même des moyens d'expression : les bêtes
qui parlent, les dieux qui présagent les événements, les
mystérieuses vertus du casque qui rend invisible, de
l'épée invincible, de l'anneau, symbole de toute-puis-
sance et de mort, toute cette féerie ingénue et char-
mante lui donne une saveur rare de drame populaire,
jailli d'un ensemble de traditions et de légendes fleu-
ries.
On voudrait voir l'œuvre représentée en plein air, en
quelque vaste cirque, avec un horizon de montagnes et
de forêts pour toile de fond. Les moyens de réaliser les
effets scéniques voulus par Wagner paraissent si insuf-
fisants! C'est, constamment, un étranglement, une com-
pression. Le drame fait craquer le décor enfantin dans
lequel il est enfermé. On le sent gigantesque, impé-
tueux ; et son essort se heurte à des cartonnages gros-
siers, à des toiles barbouillées. A Bayreuth même, mal-
gré la supériorité de la mise en scène, il nous souvient
de tels détails qui, en 1876, choquèrent et attristèrent
les plus fervents.
Et cette indécision de l'orchestre, et ces fâcheries
de chanteurs inexpérimentés (exceptons îâ. La&rge,
qui a vraiment donné une belle allure et un caractère
épique au héros), et tout ce cahin-caha d'une exécation
qui décèle des interprètes écrasés par une tache au des-
sus de leurs forces, quel ennui, quel continuel énerve-
ment. La voix harmonieuse de M*"* Langlois ne justifie
pas le choix, pour un rôle tel que celui de Brunnhilde,
d'une jeune femme sortie fraîchement du Conservatoire
et qui a tout à apprendre.
Malgré tout cela, l'effet a été produit, irrésistible-
ment. Et nons-mème, nous avons retrouvé quelques-
unes des troublantes impressions de jadis.
Raisonner l'émotiou ressentie ? A quoi bon ?
Pourquoi ces inspirations tantôt ingénues, tantôt pas-
sionnées, cbulées en lave brûlante et en ruisseaux de
flammes (oh ! ce quatrièûie tableau, la scène d'amour la
plus ardente qui soit!) nous prennent-elles, invincible-
ment, et nous étreignent-elles avec une irrésistible
violence, si ce n'est parce que nous y trouvons le reflet
de nos propres sensations, la mise à nu de notre cœur
et de notre cerveau ?
La triomphante, la bouillonnante jeunesse de Sieg-
fried aux prises avec les cauteleux desseins de Mime,
l'astuce et la perfidie déjoués, au deuxième acte, par
l'expérience naissante du héros, sa bravoure incon-
sciente, puis, au troisième acte, l'amour enseignant
tout à coup la crainte à l'adolescent, et rendant timide
le guerrier qui vient de traverser les flammes, quel
poème d'humanité, concis, séduisant, que la dernière
partie de l'œuvre, cette prodigieuse GôUerddmmerung ,
couronnera en l'élargissant aux proportions épiques. Et
déjà, au troisième acte, le dramo de Siegfried se
hausse au niveau des grandes tragédies, vogue à
pleines voiles vers la haute mer où la Oôtterdàmme-
rung va le maintenir, insubmersible.
Ainsi va croissant, d'acte en acte, presque de scène
en scène, l'intérêt decette merveilleuse conception,auquel
se soude étroitement la symphonie la plus raffinée, la plus
fouillée, la plus parfaite qui se puisse concevoir. Mieux
encore que dans la Walkûre, la partition est tissée
d'un unique, continu et prodigieux travail qui ne laisse
ni un trou, ni une hésitation. Elle a le caractère défi-
nitif de l'œuvre d'art absolue, immuable, appelée à
rayonner parmi les purs chefs-d'œuvre, à éclairer le
siècle, à élever et à réconforter les âmes.
POÈMES EN VERS ET EN PROSE
L'Appel des Voix, parCsiLEus SLum, Bruxellgi. P. Lacomblei.
L'Ame des choses par Hector Chaînât*, Paris, Vanier.
Du premier :
Certes, tels vers de ce livre ont élé cueillis au jardin de lys de
,K(iJ;T'>yivx^fi'-^?'^^^ ■
VART MODERNE
21
M. Severin. D'anlrei font songer k des poètes moindres. L'appel
^0« voix Ml souvent l'écho des voix. Qu'importe !
Malgré ces tares d'imitation, voici qu'un poète s'affirme ému de
son réye et qu'il se chante doucemeni, en des vers flottants
comme des écharpes de brouillards blancs, l'automne, au matin
des beaux jours de soleil.
I/M fleurs ont dit des mots pour endormir leurs yeux
Et candide jardin aux ombres repliées
Les vierges ont vécu les légendes du Livre
Et la paix descendit parmi leurs longs cheveux"
On dirait sur Ijgs flots des torches et des flammes
Ces cilatioos, n'est-ce pas, qu'elles prouvent le poète indénia-
blement. A parcourir ce volumiculet op retrouve constamment,
une telle impression de douceur blanche et, parfois, une telle
pureté de charme et de lenteur qu'on se rappelle telles poésies,
signées jadis, par quelqu'un qui depuis semble se taire : Georges
Khnopff. M. Mockel a qualifié ce dernier poète : angélique.
Jamais plus exact adjectif ne marqua un jugement sur un artiste.
M. Sluyts est de la même famille d'esprits. Il est rêveur, can-
didement. La vision qu'il a des choses n'est jamais directe;
toujours, elle apparaît voilée par le songe et souvent même par la
musique de son vers lent. 11 se promène ailleurs que dans la vie
réelle, là-bas, parmi des fleurs, en des parcs de châteaux. Les
cygnes sur des lacs — ceux des fées et des héros — lui parlent.
Il conçoit l'existence d'après leur neigeux voyage à travers les
étangs bleus. Et son livre est comme un recueil de souvenirs
rassemblés en son pays chimérique dont la brutalité du vrai jour
fait paraître la couverture, banalement jaune.
Citons pour terminer ceci. La pièce s'intitule : Le Poêle.
Je porte le blanc l;s et j'ignore les crimes
Comme cestloux oiseaux qui volent vers les cimes
J'ai des pensers muets que je n'ai que pour moi.
Même â ces doux oiseaux, ils donneraient l'ef&oi.
Et pour les aimer mieux ces pensers de silence
Je m'évertue à les gwder dans l'ignoratice
Des femmes que j'attends, des yeux ç[ue j'aimerai.
Et pour les assouplir aux mots que je dirai,
Aux mots qui sortiront de moi comme des réres.
J'ai mis un crêpe noir i leur clarté de glaives.
Je suis celui qui prit des mains l'àme des cygnes
Errante sur les lacs au sein des voix insignes,
Et pour que le regret ne vienne parmi nous
Laisses vos manteaux blancs autour de vos genoux.
Ces yen sont indiscntablemenl d'une belle grftce vierge et pro-
fonde. On songe à telles oeuvres préraphaélites à'.lire le dernier
trait.
* «
Du second : Ce sont des manières de poèmes en prose, avec
tous, une idée triste entre leurs lignes, au fond d'eux. C'est cetie
idée qui nous frappe surtout. Très souvent, elle est inattendue et
juste. L'auteur s'est fait de la vie, une conscience bien ii lui et
l'exprime en des scènes et des poèmes, paraboles plus que
symboles.
Son titre avertit, du reste, que ce n'est guère que le dessous
des choses qui lui importent. C'est l'âme du monde moral et ma-
tériel qu'il célébrera au long de son livre. Ce que l'on voit, ce
que l'on touche et ce que l'on entend â quoi bon si par l'esprit on
n'y peut découvrir une réalité supérieure aux sens. Les événe-
ments ne sont que des apparences, la vision directe n'est que le
fait du premier chien qui passe. L'artiste ne voit pas, s'il ne voit
que par les yeux. >>
Le poète dont M. Hector Chainaye se rapproche : c'est Heine.
Lui aussi, le si personnel voyant d'invisible, s'est plu â mettre
toute son âme en des récits et des légendes inventés. La mer du
Nord, Alla Troll, tous les petits lieders de \' Intermezzo s'appro-
fondissent dès qu'on en découvre le seqs vrai. Parmi les poèmes
remarqués surtout dans le nouveau livre de M. Hector Chainaye :
La vie elle rive, la Lune assattine, le Sombre compagnon.
Nous citons les Amit. La personnalité de cette pièce, s'affirme
nette :
Perdu dans la nuit, un voyageur frappe à la porte d'une chau-
mière.
« Ouvrez, » dit-il, « je grelotte, de la fumée s'élève du toit ;
ouvrez que je me réchauffe au foyer. »
Une voix lui répond : « Malheureux, continue ta route, dans ma
chaumière il fait plus froid qu'au dehors. Tu ne peux voir de
fumée, mon foyer est sans feu. »
El le mendiant : a Ouvrez, dans l'atroce obscurité des mons-
tres me poursuivent,quien veulent à ma vie. Ils vont m'atteindre.
Mon cerveau divague d'effroi. De la lumière glisse sous votre
porte : ouvrez, que mes yeux se reposent de leurs troublantes
visions il la lueur calme de la lampe ».
« Visionnaire, ma chaumière n'est pas éclairée. C'est ton ima-
gination affolée qui allume une raie de lumière sous la porte,
comme elle crée des chimères dans le ciel vide ».
« Sans âme! vous me laisserez donc tuer! Les monstres
approchent à travers le vent ! Cependant votre voix me dit que
vous, êtes charitable. Ouvrez, je n'ai plus d'espoir qu'en vous, mon
frère ! »
« Pauvre perdu, est-il bien vrai que tu voies de la fumée
s'échapper du toit, et de la lumière filtrer sous la porte ? Regarde
encore, ne le trompes-tu pas? »
a Je vous le jure, j'ai bien vu. »
« Puisqu'il en est ainsi, pardonne-moi, mon frère. J'ignorais
jouir de ce bien-être. Entre et partageons. »
Hais il n'y avait ni feu, ni lumière.
« Tu m'as trompé, dit aussitôt le voyageur. Ton foyer est aussi
froid que le seuil du mauvais riche, et je me crois aveugle tant il
fait noir. »
L'autre lui répondit alors : « Pourquoi es-tu venu frappera
ma porte, pourquoi m'as-tu parlé de feu et de lumière, pourquoi
m'y as-tu fait croire T Avant ton arrivée, je ne connaissais que le
froid et la nuit. Maintenant, je désire plus que toi le feu et la
lumière. Tu m'as rendu malheureux. »
El â bout de reproches, ils se turent, ayant plus peur de leur
voix amère, que du froid, et de l'ombre, et de la tristesse du ciel.
Paraphons ces hâtifs comptes-rendus par un sounet, tiré de
« Les Psyckoses a de M. Arsène Rcynaud : Lamenlo.
Résonne dans la Nuit, ô la voix qui sanglotte.
Que tout cœur a compris à travers l'ombre lourde : —
Pour l'hArmoDie en fleur, l'àme n'est jamais sourde,
S'ouvrant sous le baiser de la note qui flotte.
Puis, va le crescendo s'éteignant : la pédale
Apaise lentement le son, que subtilise
Dans l'air épais du soir, le tympan qu'utilise
Celui qui veut savoir, — et sortir du dédale.
'! >,,
^MiMiMâi
22
Zi'AiîT' MODERNE
Viens, dan» les noirs caveaux, peuplant les cimetièrea;
Les cadavrei debout, relevés dans leura biftres
R^ardent dans la Nuit voleter les phalènes : —
Leurs dents vont se heurtant dans le vent ^ui s'apaiM,
Uélant leur harmonie aux souffles des haleines, —
Et tout un lamento hurle au Père-Lachaise t
UN ARTISTE
H. Xavier Hellery me parait la seule excuse aux expotilions
récentes de la Société royale des Aquarellistes.
Un temps fui, très lointain, où M. Alma-Tadema y envoyait des
œuvres bizarres, égyptiennes par le sujet, et devant lesquelles les
plus érudils professeurs de nos écoles de peinture pouvaient
prendre de gratuites leçons d'archéologie. Maints colorieurs anglais
y eurent également des échantillons de sites d'Ecosse, lacs et
montagnes. Mais les hauts prix auxquels ces artistes cotaient leurs
marchandises n'étant pas — comme le déclare aussi M. Whistler
— « pour le continent », leurs travaux n'arrivèrent plus jusqu'à
nous. La société récèle encore des membres fort notables-tels
MM. Herkomer, Israëls, Legros, Mathieu Maris, Menzel, mais qui,
malheureusement, n'exposent jamais. L'intérêt de ces Salons serait
donc devenu nul, infailliblement, sans l'appoint qu'y apportait,
depuis tantôt dix ans, M. Mellery.
Depuis dix ans, en effet, c'était chaque année quelque chef-
d'œuvre qu'il nous montrait : des souvenirs de l'ile de Marken, que
l'artiste semble particulièrement chérir, la Ronde d'enfants, le
Départ pour le temple, — merveille que M. Georges Eekhoud a
le bonheur de posséder, — la Saine famille, décoratif symbole
de la Famille. Puis, une série de sujets belges : U Tisserand, le
Rempailleur de chaises, le Pèlerinage de Notre-Dame de Hal, le
Potier, la Sainte-Barbe, VEstaminet flamand, qui font de M. Mel-
lery le biographe des ruraux et des humbles, l'historien des petites
industries et des mœurs de notre pays.
Et, dans toutes ces œuvres, il apportait les mêmes admirables
vertus flamandes que possédait Leys : une robustesse calme
l'amour des couleurs riches et sombres et cette saine vision à
quoi, malgré leurs efforts à s'en départir, on reconnaît encore les
artistes flamands. Il y apportait, dis-je, la sincérité du vieux Leys,
et un style admirable sans les mascarades dont le maître anver-
sois crut devoir vêtir toutes ses conceptions.
Puis, à la suite de je ne sais quelle fallacîeBMiwommande offi-
cielle, tôt retirée, l'art de M. Mellery se tourn^pcrs le décor. El
ce fui l'occasion d'œuvres nouvelles, montrant, comme on dit, le
lalent du peintre sous un jour nouveau.
Aujourd'hui, trois composition» encore s'adjoignent it son
œuvre allégorique el décoratif : la Renaissance Flamande —
le Temps et les Heures — la Force, la Justice, la Vérité— série
complétée par la Muse de l'Artiste et de l'A rtisan, exposée chez
ces mêmes spécialistes de l'aquarelle en 1889-90.
Sur les fonds d'or des primitifs, des silhouettes de très noble
dessin. Mais cette figure de l'Art, je la trouve compromise, mal-
gré sa très profonde expression, par des duretés de ferronneries,
— fréquentes chez Mellery, — là où l'or du fond commandait
presque toute suppression de déUils et de plis. Le Temps et les
Heures, en revanche, est entièrement à admirer. Le» Heures for-
ment autour du Temps, qui étend sur elles ses ailes d'ombre, une
ronde, el c'est une splendeur, ces robe» rouges, — des rouges
étouffés, variant du brique au lic-de-vin, — où se meuvent les
solides charnures de femmei de Fltodre. Le dernier deeelii
contient un nu féminin ëmerreillani, miis le jeane bomme, povr
représenter la Force, ne nëcessiliil pai l'adyonelion fc Mi pieds
d'un inutile attribut, tel que cette défroque de lion dont, Urop
sonveoi, on affubla Hercule. Il ne'perali pai, ifailleara, dn lbi|
de M. Mellery de transformer en lymbolet (qui n'ont qm fiiire
d'allribulst), les vieillet allégoriet, — témoin encore la lau du
Temps et la poignée de fruits et la palette de l'Art.
Mais ces projets, maintenant iontilea, démontrent, en dépit de
leurs légère» tares, raplitude de M. Mellery, — ponr peu qu'on
lui abandonne le choix dm sujets, — I d'excellents traTan do
décoration, et l'on songera peut-être, quand il sera trop lard.
qu'on eût pu Yutiliser b quelque besogne officielle et qu'U n'edl
pas sali on miir, au moins, en y mettant de la couleur.
Sans doute, M. Mellery n'aura pas pliu de chance que M. En-
gène Smits, son itné, — et, «ommm M, oéeonan, — un peintre
épris de Venise, qui souvent manifesta en de vastes toiles d'iden-
tiques aspirations, — et le prouveraient les Saiwtu, ainsi qn'ane
certaine Roma que le gracieux Souverain de nos colonies liant
enfermée — pourquoi donc faire T — en son triste palais.
Renonçons donc k l'espoir de voir octroyée de nos jours, pour
le libre épanouissement de son talent, quelque bâtisse é un artisie
véritable, ainsi qu'il advint k Henri Leys k Anvers, k Hadox-
Brown k Manchester, 6 Chavannes en France, —et pour leur
gloire!
GEoacEs L>naun.
-A.XJ a-A.XJOAJ3B
par Eooiifi db Okootb
Un vol. petit in-8<> carr^ de xxv-184 pp. avais croquis originaux par
D. de Haene. Bruxelles, Société Mlg« d« librairie, 1S91.
De même qu'il avait parcouru llslande avec son smi Daniel de
Haene (1), Eugène de Groote a visité cette année le Caucase, el il
nous dit ses impressions, non pas en foisenr d'itinéraires traînant
le lecteur ii sa suite d'étape en étape, sans loi faire grAce d'un
relais, mais en artiste amoureux de la ligne et de la couleur, choi-
sissant le détail piltoresqae et négligeant tout le reste, de sorte
que le récit de son voyage apparaît comme une série de tableaux
qui concentrent l'attention sur les points les plus intéressants de
cette admirable région, el qne tes croquis de son eompsgnon de
route contribuent ii rendre plu» sensibles ii l'esprit.
Du reste, les deux voyageurs n'ont pas traversé ce pays comme
de simples touristes, s'arrêtent- «salement aux beaolte de In
nature; ils ont voulu pénétrer plus avant dans ses mœurs el son
histoire, dans l'étude de ses races diverses dont la confusion
déconcerte celui qui y aborde pour la première fois et présente
même, pour les ethnographes de profession, plus d'nn problème
encore irrésolu. S'éeartant des chemins de fer et des routes, ils
ont chassé avec des cosaques dsns les forêts du Kouban ; ils ont
reçu dans un aoul circassien, l'hospitalité quasi-féodale d'an chef
dé tribu, consacrant, comme un seigneur du moyen-fige, k ses
chevaux et à ses armes, le temps que lui laissent les horomages
de ses vassaux ; ils ont pénétré dans les masures sordides des
Ossètes, ces peuplades presque barbares des défilés du Dsrial, qui
cependant revendiquent, comme une tradition nationale, la légende
aryenne de Promélbée. Et, k la vérité, quel lien du monde poor-
(1) Voir rArt Moderne 1889, p. 75.
;?î'îs1^î??l^î!w^§l?^ '' ■ ';■ ■ ■'»:;;■■■;'.;■*'''■,?■■ >. 1
h
L'ART MODERNE
23
rail mieux MÎrir de théftlre au drame du vieil Eschyle : « Nous
voici rar les demiert confina de ta terre, daoa le pays du Scythe,
au fond d'un (|iaerl ioaeccaaible. Valcain, c'est ii toi mainlenant
d'exécuter lea ordres que t'a donnés ton père. Au sommet des
rochers qui pendent sur le précipice, lu vas enchaloer le criminel
que voill dans les nœuds d'un indestructible airain... »
Les. gorges sombres du Darial semblent avoir conservé l'em-
preinte de l'immortel supplice, et tes rockers, sur lesquels n'ap-
paraît aucune trace de végétation, et que des richesses minérales
inexplorées colorent des teintes les plus variées, ont des tacher
d'un rouge sombre qui sont comme le sang des tiiaas vaincus.
- Loin de la roule militaire qui aujourd'hui traverse ce défilé
épique, dans une des hautes vallées de ces monlagnes, existe la
peuplade des Kalaouris, portant encore le bouclier rond et les
armes du moyen-âge et, sur la poitrine, la croix des anciens
' pr«nx, ai bien qu'on les a crus descendants des croisés. On com-
prend quelle attraction de tels hommes devaient exercer sur des
amants du pittoresque. Ils elirent la plus grande peine à les
déconvrir, car, réduit i sept mille personnes et vivant misérable-
merit dans une contrée reculée, pauvre et froide, ce peuple
étrange est inconnu de la plupart de ceux qui ne sont pas ses
voisins les plus proches. Nos voyageurs finirent cependant par
arriver dans son canton et ils y demeurèrent quelques jourii pen-
dant lesquels ils forent surtout préoccupés de cacher leur mon-
naie et de veiller alternativement sur leurs bagages, tant leur
paraissait auspecle l'avidité de ces derniers représentants des
conquérants de Jérusalem.
Le livre se termine par une très intéressante description d'Eri-
wan, sise k pen de distance du mont Ararat, extrême confin des
possessions msses vers la Perse. Le fanatisme des musulmans
cbiiks y a conservé tout son empire. M. de Groote nous fait une
peinture animée des cérémonies barbares qu'il lui fut donné d'y
voir en commémoration de la mort des fils d'Ali et que couronne
la procession des balafrés, pendant laquelle les péniienis se
battent le front et le erflne do tranchant de leur cimeterre, jusque
complet épuisement : « Les tabliers sont couverts de sang jus-
qu'aux pieds, du ssng vermeil et chaud encore; les figures cou-
vertes de sanie séchée et durcie, avec les lignes plus vives des
blessures fraîches, ne laissent plus voir que les yeux étincelants
et aauvages au milieu de ce masque rouge ; les crânes sont cou-
verts de caillots sous le brûlant soleil. Les voix se font plus effa-
cées, les cimeterres sont courbés vers la terre en Un geste de
lassitude et les balafrés s'accoudent pour se 'soutenir mutuelle-
ment ». .
LES TROTENS de Berlioz
A CARLSRUHE
Le petit théâtre de Carismhe, dont le jeune chef d'orchestre
wagnérien Félix Hottl est l'âme, après avoir monté avec un très
grand succès là Owendoline d'Emmanuel Chabrier, vient de
représenter le* Troyent de Berliox. L'œuvre a produit une pro-
fonde impression. Voici ce qu'en dit M. Maurice Kufferath, qui,
avec quelques amateurs bruxellois, a assisté 6 lajpremière repré-
sentation :
« La Prite de Troie a été une révélation absolument inatten-
due. Celte partition n'avait jamais été donnée et l'on ne peut
songer, sans tristesse, k la plainte lamentable que Berlioz exhalait
â la fin de sa vie :
« Ha noMe Cassandre, mon héroïque vierge, il faut donc me
résigner, je ne t'entendrai jamais! »
Rons venons de l'entendre et plus amère nous paraît la desti-
née qui voulut qu'il ne se trouvât pas, du vivant de Berlioz, un
directeur asses éclairé pour deviner ce chef-d'œuvre où s'unis-
sent véritablement le charme virgilien et la puissance dramatique
de Shakespeare. L'ensemble offre une série de tableaux d'une
vérité d'accent, d'une pnrelé de lignes, d'une grandeur tragique
vraiment incomparables. Les vaincs exhortations de la prophé-
lesse Cassandre cherchant k arracher le peuple d'Illion â son
affdement et son fiancé Corèbe au son funeste qui l'aiiend ; les
grâces rendues aux dieux pour les remercier de la victoire rem-
portée sur les Crées par le conragd et le sacrifice d'Hector ; la
silencieuse lamentation d'Andromaque ; le désespoir de Cassandre
en entendant le chant de triomphe des Troyens, lorsque le cheval
de bois entre par la brèche ouverte dans les murs de la ville ; |es
lamentaiions enfin des femmes troyennci groupées dans le
temple autour de l'autel de Cybile, tandis que la ville prise est
livrée au massacre et â l'incendie, tout crli est d'une beauté sou-
veraine. Je ne sache pas beaucoup d'œuvres susceptibles de pro-
duire une impression scénique plus forte, plus profonde, plus
déchirante.
Les Troyens à Carthage laissent une impression moins com-
plète, moins une. Il y a de nombreux disparates, et une part trop
grande faite à la traditionnelle architecture de l'opéra. Le spec-
tacle envahit le drame et gauchement traverse çà et h le drame
passionnel. Hais tout ce qui n'est pas hors d'œuvre, tu^t ce qui
touche directement aux amours de Didon et d'Enéc est absolu-
ment pareil aux beautés de la Prise de Troie .- les premières con-
fidences dé Didon & sa sœur Anna; son tourment amoureux
pendant le récit d'Ënée, l'explosion de sa passion pendant celle
nuit étoilée et sereine qui enveloppe de ses clartés lunaires les
aveux des deux amants, les imprécations de Didon redemandant
k la mer, au ciel, aux étoiles, le héros ingrat qui la fuit, sa mort
enfin au milieu des lamentations de ses sujets atterrés. Tout le
troisième acte, qui n'est qu'une seule et même scène d'amour, se
développant peu k peu, grandissant et s'acceniuant k mesure
jusqu'à l'explosion de la passion U plus i:iiense, est un absol u
chef-d'œuvre où il n'y a pas un gests, pas une parole, pas une
note â retrancher ni â ajouter. Il laisse l'impression de la bcauié
parfaite et cet acte, convenablement rendu, avec les raffinemenis
de mise en scène, les délicatesses d'exécution vocale et orchestrale
qu'tto grand théâtre peut lui donner, suOSraii seul pour assurer à
l'ouvrage un long et fructueux succès. »
U SOCIÉTÉ DES AQUAFORTISTES
La Société des Aquafortistes belges vient de distribuer le rap-
port de sa commission adminisiralive pour l'exercice 1889-90.
Ce rapport constate la siiuation prospère de la Société, qui,
fondée il y a deux ansâ peine, compte déji vingt-trois membres
effectifs et einquanie et un membres honoraires. Les coiisations
et la vente de l'album annuel de la Société, joints au subside du
gouvernement et aux primes offertes parceloi-ci et par un membre
d^ la Société, donnent un excédent de recettes de fr. 1,018-21 sur
les dépenses. Cette somme sera en partie pariagée, conformément
aux staluts, entre les auteura des planches publiées.
Dans un appendice, la commission examine les causes de la
1
24
L'ART MODERNE
décadence de l'arl de la gravure en Belgique. Elle propote plu-
sieurs remèdes pour le sauver, et préconise, notamment, la crét-
tion, à l'Académie des Beaux-Arts de Bruxelles, d'un atelier
d'imprimerie en taille douce, organisé de façon à pouvoir lutter
avantageusement contre ceux de Paris et de Londres. Elle vou-
drait voir, comme au temps des Plantin et des Morelus, l'impri-
meur devenir l'aide intelligent du graveur et grouper autour de
lui des artistes, des amateurs, des protecteurs éclairés.
L'Etat devrait, en outre, mettre au concours des motifs de
gravure peu dispendieux mais suffisamment rémunérateurs pour
les artistes. D'après le rapport, le procédé de gravure à adopter
pour ces concours devrait être l'eau-forte.
La Société demande, enfin, que le gouvernement cherche k
divulguer et à perpétuer par la gravure les œuvres des Maîtres et
qu'il annexe au cabinet des estampes du Musée une salle réservée
exclusivement à la gravure belge.
Ces desiderata, aisés ^ remplir, nous paraissent, en effet, devoir
produire d'beureux résultats. Nous avons dit déji, en ce qui
concerne le quatrième point, combien notre Musée est pauvre en
gravures nationales. C'est ainsi que Félicien Rops n'y était repré-
senté jusqu'ici que par deux lithographies. L'Etat a fait l'aequisi-
lion, croyons-jious, de quelques planches il la vente François
Olin. Nais en raison de l'œuvre énorme de l'artiste, l'une des plus
hautes illustrations de notre pays, ce' lot chétif n'est-il pas
dérisoire?
CRITICO-HENDICITÉ
Nous certifions l'authenticité de l'impudente lettre ci-après,
adressée par un soi-disant critique d'art ^ plusieurs artistes de nos
amis :
Monsieur,
Vous avez pu remarquer la large place, que le journal a
accordée, en ces derniers temps, aux rubriques artistiques et par-
ticulièrement à SCS comptes-rendus de Salons, tant de la province
que de la capitale. En tout dernier lieu même, j'ai eu l'honneur
et l'avantage, de rencontrer au Salon de Bruxelles, plusieurs de
vos productions.
Un numéro jusiificalif, que j'ai eu l'honneur de vous faire
adresser, vous a permis de voir en quels termes élogieux et par-
faitement mérités d'ailleurs, il est fait mention de votre exposi-
tion.
Je me permets donc, à titre absolument personnel, de me
recommander à votre bienveillance, dans le cas où vous voudriez
me faire parvenir, l'une ou l'autre de vos productions.
Les colonnes de l'organe auquel j'ai l'honneur de^jtllaborer,
vous sont toujours ouvertes. Ce qui plus est : dans le cas où vous
voudriez reconnaître le petit service rendu, je me met» i. votre
entière disposition, pour vous faire une u visite d'atelier » dont
ensuite compte-rendu.
Prière, dans ce cas, de m'indiquer jour et heure auxquels vous
pourriez me recevoir.
Dans l'attente de pouvoir vous être plu utile, je vous prie
d'ugréer, Monsieur, l'assurance de tonte aa eoMMftatioo.
Le critt^Hé imrt dm
P. S. — Prière de faire l'envoi, au non ftrsMnel de ,
aux bureaux du journal.
Le Réstmaat.
Ce sont certes, les mêmes idées, les mémei trucs et ficelles
que celles du vieux mélodrame : un fils qui ne sait quelle est sa
mère, une mère qui ne sait où ni qui est son enfant; une petite
sœur de lait, un fourbe, un porteur de faux nom, etc. A la fin
tout se dévoile, tout s'arrange — et le public souvent a eu la joie
de deviner, dès le 4'>* tableau, comment le dénouement se fei^
au S"".
Nous nous sommes déjà souvent déclarés très friands de
mélodrame, qui nous est une sorte d'imagerie populaire déroulée
au théâtre.
Dans la présente pièce, l'ancien mélo a fait non pas peau
neuve mais habit neuf. U s'est rajeuni. Ce ne sont plus des
mousquetaires, des chevaliers, des breiteurs, des genlilhommes
qui sauvent l'enfant, ce sont des.militaires bel et bien de notre
temps, des officiers à moustache cirée et k gants blancs. C'est eux
qui font le boniment nécessaire pour l'honneur et la France.
Ce qui a intéressé surtout ce sont certains Ubieaux, celui par
exemple de la Chambrée. C'est un hors d'oeuvre, mais cela est
vivant, réel, croyons-nous, et lestement et habilement jou4 Mr
des acteurs fort convenables.
Au reste, tous les râles sont tenus sans qu'aucun interprftia ne
fasse tache.
Mémento des Expositions
Barcelone. — Exposition annuelle. — S9 mars-31 mai. —
Envoi 96 février-7 mars. Notices: 26 février. — Renseignements :
Secrétariat de la Committiott organisatrice, PaUtit des Btaux-
Arts, Pasea Ftijadas, Barcelone.
Bordeaux. — XXXIX* Exposition de la Société des Amis des
Aru. — i mars 1891. Envois : 1-10 février. Dépdt k Paris : 10-
30 janvier, chez M. Toussaint, rue du Dragon, 18. Gratuité de
transport pour les artistes^invités. -— Renseignements : Secréta-
riat de la Société, GaUrù^de la Terrasse du Jardin public, Bor-
deaux.
Bruxelles. — VIII» Exposition annuelle des XX (limitée aux
membres et à leurs invités). — Février. — Délai d'envoi : notices,
80 janvier. Œuvres : 30 janvier.— Dépét b Paris chez M. E. Petit,
rue Lamartine, 6.
Berlin. — 50-» anniversaire de la Société des Artistes. —
Exposition internationale. — 15 mai. — Renseiinemenu :
Af. Anton von Wemer, directeur de V Académie royale des
Beaux-Arts, Zimmerstrasse, 93, Berlin.
Milan. — Exposition triennale des Beanx-Arts. — l«»-30 juin
1891. — Trois prix de 4,000 francs chacun, fondés par le
roi Humbert, décernés à la peinture et k la sculpture. Trois prix de
4.000 francs chacun, fondés par Saverio Pumagalli, décernés il la
sculpture, à la peinture religieuse, historique ou de genre. Un
prix de 4,000 francs, fondé par Antonio Gavarzi, décerné k la pein-
ture historique. Médailles et diplômes.— Les demande* d'admis-
sion devront être adressées an président, M. EmiU Vistonti-
Venosta, à (Académie des Beaux- A rU de Milan.
Moscou. — Exposition française. — l" mai-odobrc. (Réservée
aux artistes invités). Dépôt avant le 15 février chez H. André rue
Chaptal, 58, Paris.
i:art moderne
Pau. — Vingl-sepliëme Exposition de la Société des Amit des
Arit. — 18 janvier-lS mars. — Deux œuvres par exposant. —
Gratuité de transport pour les artistes invités. — Délai d'envoi
expiré. — Renseignements : G. Tardieu, tecrétain général.
Paris. — Exposition des Artistes indépendants (Pavillon de la
Ville de Paris). — 10 Mars. Dépôt : 10 mars.
Id. Union des femmes peintres et sculpteurs. — 31 février-
14 mars. — Droit d'exposition : 8 francs par œuvre exposée
(maximum à payer : 30 francs). Dépôt : 6-9 février. — Rensei-
gnemenla : M'^ Bertaux, présidente, 147, avenue de ViUiers,
Paru, et M. Olivier Merson, 117, boulevard Si-Michel.
•pETlTE CHR0f41QUE
indépendamment des artistes invités, dont nous avons publié
la liste, on cite comme devant prendre part au prochain Salon
des XX : M"* A. Bocb, MM. J. Ensor, W.-A. Finch, F. Khnopff,
G. Lemmen, W. Sehiobach, P. Signac, J. Toorop, Tb. Van Rys-
selberghe, G.-S. Van Strydonck, G. Vogels, peintres ; G. Charlier,
P. Dubois, G. Minne et A. Rodin, sculpteurs.
Une affiche artistique, dessinée par M. F. Khnopff, annoncera
prochainement l'ouverture du Salon.
Le Banquet de « la Jeune Belgique ». — La Jeune Belgique a
célébré jeudi son anniversaire de manière chaleureuse et vail-
lante. Aucune parole dissonante n'a été dite. Les anciennes
haines contre la littérature caduque et palmée ontr élé réaffirmées
et l'on a prouvé qu'on était aussi vivant et aussi animé qu'il y a
dix ans. Tout ceci est d'excellent augure : il serait injuste de ne
pas applaudir à mains franches ii cet appel d'entente et d'union
de tous les artistes vers un même but de travail et de progrès
esthétiques.
Nous le faisons sans hésitation et en toute joie et confiance.
Ce sont MM. Valdre Gille, Haubel et Giraud qui ont pris la
parole. La Jeune Belgique, publiera, espérons-nous, prochaine-
ment leurs discours.
La Société iardiéoUgie de Bruxelles a tenu, dimanche, son
assemblée générale annuelle.
Un très nombreux pnblic assistait à cette séance. M. Buis,
bourgmestre, vice-président d'honneur de la société, a fait une
causerie sur Dioclea et Solona, les cités qui ont vu, la première,
naître en l'an 345 et, la seconde, mourir en 313, l'empereur
Dioctétien.
L'orateur a fait connaître ^ ses auditeurs ces pittoresques loca-
lités du Monténégro et de la Dalmalie, rappelant ce qu'il impor-
tait de savoirsur l'histoire de l'empereur, tout en donnant maints
détails érudits sur le forum de Dioclea, la ville de Saloaa ei,
surtout, sur le palais de Spalatro et son temple de Bacchus où,
croit-on, fut enterré Dioclélien.
Après diverses communications d'ordre administratif faites par
MM. de Raadt, Plisnier et de Proft, l'assemblée a renouvelé en
partie son bureau.
M. le comte Goblet 'd'Alviella a été nommé président en rem-
placement de M. le comte Fr. vâii der Straeten-Ponthoz, prési-
dent sortant non rééligible; MM. Destrée, conseiller; Paul Sain-
lenoy, secrétaire général ; Th. de Raadt, secrétaire ; De Schryver,
conservateur des collections, et Plisnier, trésorier, ont élé renom-
més dans leurs fonctions.
A la distribution des prix aux élèves de l'Académie de peinture
cl de musique de Namur, qui a eu lieu dans les derniers jours de
décembre, M. l'échevin Lemaltre, faisant fonctions de bourgmestre,
a signalé en très bons termes le renouveau artistique qui anime
la petite ville wallonne et la situation prospère de l'Académie.
La Société de musique de Mens, récemment fondée par
H. Camille Gurickx, a offert il ses membres honoraires une soirée
musicale dont les journaux locaux font un vif éloge.
Quatre chorals anciens, harmonisés par M. Gevacrt, dont deux
Noéls belges du temps d'Albert et d'Isabelle, oui été particulière-
ment goûtés.
Les fragments de Céphale et Procris, chœurs pour voix de
femmes, de Grélry, ont été très bien chantés. Deux autres chœurs
de Rameau et de Schubert ont également été bien interprétés.
Après avoir exécuté Les reflets d'Orient, de Schumann,
M"* L. Luyckx et M. C. Gurickx joué les Ronde* ardennaises,
pour piano ît quatre mains, de M. Auguste Dupont, que la mort
vient d'enlever.
La Société de musique de Tournai donnera le 35 janvier pro-
chain son concert annuel.
Au programme : Rédemption Ae Gounod. M. Ileuschling chan-
tera le rôle de Jésus qu'il a clianlé il y a sept ans à Bruxelles,
M. Fontaine chantera le rôle du réciianl-bassc, H. Mossoux, celui
du récitant-ténor, M"« Rachcl Fourcz chantera celui de la Vierge.
L'orchestre sera composé de cinquante premiers prix du Conser-
vatoire de Bruxelles et des meilleurs artistes et amateurs tournai-
siens.
Le jury institué pour la collation des bourses attribuées par
l'arrêté royal du 31 mars 1877 aux élèves des classes de chant
des Conservatoires de Bruxelles cl de Liège, vient de dérerncr une
bourse de 1,200 francs à M. Adolphe Coryn de Liège, et quatre
bourses de 600 francs à M"" Cécile Thévenct, Odile Hendrickx,
Malhilde Van Hemel et Louise Van llove.
Il y avait trente-sept concurrents.
Conversation de vestiaire entre abonnés du ihcâiro de la Mon-
naie, il la sortie de Siegfried ; Premier AB0N^É. Comment
trouves-iu ? — Deuxième abonné. Pas mal. Mais trop de rémi-
niscences de la Valkyrie. {Textuel).
U'" Eraestine Van Hasscit vient de publier sous le titre Une
gerbe ihittoires un joli recueil de contes pour les enfants qui lui
a valu la palme d'argent au concours organisé par l'Académie
Mont-Réal à Toulouse, — lequel concours avait réuni 162 concur-
rents.
' Vient de paraître chez Th. Lombacrts, éditeur, ii Bruxelles :
Siegfried, de Richard Wagner, étude esthétique et musicale, par
Ernest Closson, in-13 de 108 pages environ. Prix : 1 fr. 50.
Le* Salons (revue illustrée des musées et des expositions,
paraissant le l*' et le 15 de chaque mois, en livraisons doubles
de huit pages) donnent, dans leur dernier numéro, la reproduc-
tion des œuvres de MM. Putlemans, Courlens, Van Engclen,
Vanaise, Frédéric, Binjé. Cette revue artistique a déjà reproduit
dans ses livraisons précédentes des œuvres signées Antoine Van
Pyck, Fantin-Latour, Lambeaux, Dillens, Baertsoen, Charlier,
Hitchcock, Richir, de Jongh, Duyck, Henkes, etc.
I 15314
MVOtSiïY OF fimm lisrar^
ONZIÈME ANNÉE
■#-
L'ART MODERNB s'est acquis par l'antorité et rind^ndanee de sa eritiqne, p*r U rariMA de Ma
informations et les soins donn^ & sa rédaction une place prépondérante. Aaeiine manÏTestatioB d* l'Art ne
lui est étrangère : il g'ocenpe de littérature, de peinture, de acolptitre, de gravure, de nmidqiM,
d'arollitecteire, etc. Consacré principalement aa raooTement artistique belge, il renseigne a^anmoÎDS lea
lecteurs sur tOUS les événements artistiques de Tétranger qa'il importe de connaître.
Chaque nuoiéro de L'ART MODERNE s'onvre par une étode approfondie snr nne qnesiion artistîqae
011 littéraire dont l'événement de la semaine foamit l'aotoalité. Les expositions, les livres nomeauœ, las
premières représentation» d'oenrres dramatiques on mosicales, les conférence* littéraires, les concerts, le*
ventes dobjett dart, font tons les dimanches l'objet de chroniques détaillées.
L'ART MODERNE relate aussi la législation et la jnrispradence artistiques. Il rend compte des
procès les plas intéressants concernant les Arts, plaides devant les tribanaax belges et étrangers. Les
artistes trouvent tontes les semaines dans son Mémento la Domenclatare complète des exposittons et
concours auxquels ils peavent prendre part, en Belgique et à l'étranger. Il est enToyé gratultwnent à
l'essai pendant un mois à tonte personne qui en Atit la demande.
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Administration et rédaction : Rue de$ Ulnimei, 10, Bruxelles.
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— CoNSBBTATonm DB LiioB. — La vie musicalb a Anvbks. —
CHKONiQOt jODicixtRB DBS ARTS. Partition* manuêcrite» — PrriTE
CBRONIQOB.
Jules Laforgue
0)
IjMi derniers vars
Ëdit^ par E. DtUAROiif et P. P^hAon. — Paris, 1890.
Il y a, dans les œavres de Jules Laforgue, certaines
pièces explicites qui le définissent à travers les mille
réticences qu'en Parisien spirituel et sceptique il s'est
cru obligé d'émettre. Malgré « son air mortellement
moqueur », on le découvre naïf, sensible comme un
enfant doux, primitif et.simple, bon supérieurement et
clair. L'esprit et la blague ne sont chez lui que mas-
ques. Il a la pudeur de ce qu'il a de noble et de croyant
en lui. Il se vèt de parade. Il n'ose s'exprimer pur et
franc. Le milieu où il vit et qui l'observe est trop rail-
leur pour ne lui rire au nez, s'il s'oubliait à avouer qu'il
incline encore et malgré tout vers la bonté native, vers
(1) Voir VArt moderne 1890, tt» 48.
la limpidité d'âme, vers les choses protondes et con-
fiantes.
Ses années d'Allemagne lui ont donné la conscience
de l'inanité et de l'étude universels. Là-bas, il s'était
plongé et replongé en des bains de spéculation transcen-
dante ; il avait avalé toute la brume des Hegel et des
Fichte ; il avait cru renaître à la certitude, dès le seuil
de leurs livres. La philosophie de l'Inconscient l'avait à
son tour requis. Il se découvrit toute une âme
presqu'allemande : profonde, studieuse, flottante vers
les hautes questions de la vie. Sensible aussi, mais
timidement, avec des peurs d'être dupe. Resté en
France, certes n'aurait-il, ne fût-ce que par manque de
contraste, étudié et analysé ainsi « sa belle âme ».
Pourtant, le doute subsista. Peut-être ne vit-il que de
l'ingéniosité grave dans ces villes de systèmes, bâties
par des génies, afin qu'ils s'y puissent promener avec
leur orgueil d'êtres supérieurs. Tout système métaphy-
sique ne satisfait vraiment que son inventeur, parce
qu'il s'y trouve des monuments téméraires que le plus
soumis des disciples changera ou abattra, sitôt qu'il
sera majeur. Quand un homme, ne fût-ce qu'un instant,
s'est persuadé qu'il rouvrait au monde le paradis de la
certitude, une telle gloire du soi-même doit instanta-
nément lui naître qu'il se croit Messie. Ce qui se lève à
ses côtés : observation des faits donnant tort à ses
théories, critiques déracinant les prémices mêmes de
ses raisonnements, il ne les voit qu'à peine ou les croit
annihilées par les plus trébuchantes réfutations. Sa phi-
losophie, c'est son monde, arec des lois à lui, des vérités
à lui, des rêves à lui. Le reste, — c'est-à-dire toute la
réalité — qu'est-ce, sinon l'illusion dans laquelle tâton-
nent des m^pes.
Laforgue sortit de ces examens, désemparé. On lui
découvre, dès cet instant, le vrai désespoir. Mais au
lieu de l'exprimer par des cris rauques et crus, qui sont
uniment des cris, qui n'épil(^ent pas, qui ne sont que
profonds de toute la douleur humaine, il emmaillotte
d'ironie son désenchantement. Tout le sérieux philoso-
phique est accroché comme un paillasse au bout d'un
clou et le poète irrévérencieusement, presque comme
un enfant gamin, tire la corde et fait gigoter à gauche,
à droite, en l'air, en bas, les bras de bois de l'Absolu et
les jambes en carton de l'Inconscient.
Au fond et malgré tout rire et sarcasme, la souf-
france saigne donc à vif dans son coeur. Il est le
vaguant de sa fantaisie douloureuse, il s'y plaît quel-
quefois et peut être, comme à tant d'autres, ses heures
d'art lui ont-elles semblé être les seules donneuses
d'oubli. Comment ne pas essayer : se distraire à la verve
même avec laquelle on dit sa peine. Et dans l'entrain de
la cérébrale jouissance trouver assez d'élan pour sauter
hors de sa misère. On croirait à entendre telles com-
plaintes ou telles Utanies à Notre-Dame la Lune, que
le voilà sauvé le si pitoyable Hamlet-Laforgue des
Moralités légendaires, le si pauvre malade d'infini, le
si lassé des choses et des êtres? Les bonnes résolutions
abondent ; à chaque ligne on rencontre le >^ je veux •>
hardi et rédempteur. Il parle même - de se la couler
douce • . Mais sa joie se bat trop obstinément les flancs,
elle n'est guère de la vraie joie authentique et franche.
Le coup de reins cassés est proche. Le voici :
Je suis si eiUonè d'art
Ife répéter, quel nul de t«te ! . . .
La détresse de ce cri est superbe. Le premier d'entre
nous Laforgue l'a poussé avec autant de profondeur et
de sincérité. C'est l'about de presque toute l'espérance
hautaine et qui tient droit la tête. Après, quoi donc
reste-t-U ?
Chose étrange, ce qui chez d'autres est le premier
désenchantement, le premier mensonge démasqué, la
première maison de bonheur jetée bas, devient chez lui
le quand même espoir. Ce qui reste debout sur ses
ruines de confiance, comme confiance dernière, c'est la
femme.
Oh qu'une, d'elle-même, un beau soir, sût venir
No voyant plus que boire à mes lèvres on mourir '.
Seulement, est-elle venue ?
En son œuvre dernière, c'est l'appel vers elle qu'il
exprime. De vrai, Notre-Dame la Lune n'est souvent que
son désir objectivé jusqnes dans les cieux où plane cette
• Dame très lasse de nos terrasses • où flotte « cet
édredon du grand pardon • oti chasse Qstte •> Diane à
la chlamyde très dorique • od rendit ce • blanc médail-
lon des Endymions • où se darde cette • Jettatnn des
baccarats, etc...
Puis dans les Moralités légendaire», tontes les inno-
cemment et inconsciemment coupables : Elza, Salomé,
Ruth, Andromède. Toutes petites, tontes faibles et gra-
ciles de corps, pas méchantes et qui pourtant font tant
de mal.
L'une d'elles, la Kate de la première moralité édn-
quée à nouveau, sortie de son milieu cabotin, régénérée
— car il y avait de l'étofiis — était peut-être celle qui
serait venue • ne voyant que boire à mes lèvres ou
mourir », mais cette fois ce fat Hamlet qni fit la bète.
U est une pièce, dans les Derniers vers, très expli-
cite quant à ce sentiment féminin qui Uvait pris racine
dans r&me de Laforgue et qni poussait ses branches et
son tronc à travers et par dessus les autres végétations
du souci et de l'inquiétude humains. La commenter
serait peut-être expliquer Laforgue tout entier. Il y
apparaît malgré son • air superbement moqueur et sa
raillerie ».
Ainsi elle viendrait ivadée, demi-morte
Se rouler sur le paillasson que j'ai mis, i cet eflet, devant ma porte,
malgré ses dégoûts et ses assez de • la femme à piano •
de son • corps bijou >, de son • cœur à ténor •, de ses
> incurables organes «, malgré cette pauvre manie
•> de fiùre les fous dans des histoires fraternelles »,
malgré tout enfin — le corps a mal à sa belle Ame, et
c'est dans la femme — le pauvre — qu'il oserait^ encore
placer sa confiance.
Et l'hymne commence; l'étemel chant que tant de
poètes dupes ont fiiit entendre, que les plus lucides et
les plus désabusés d'entre eux entonnent quand même,
désespérément, presque, dirait-on, par pur esprit de
tentation vers le hastird, toujours.
Oh ! baptême de ma raison d'itre !
Faire aaitre bu - Je t'aime » ^
El qnll vienne à travers les hommes et les dieux
Sous ma fenêtre
Baissant les yeux ..
Qu'il vienne comme i l'aimant la foudre
Et dans mon ciel d'orage qni craque et qui s'ouvre
Et alors les averses lustrales jusqu'au matin
Le grand glapissement des averses toute la nuit. — Enfin I
Ainsi elle viendrait à itoi avec des jeux abaolament fous
Et me suivrait avec ses yeux-là, partout, partoat.
Difiérence entre Laforgue et les autres amants-poètes
de la femme, 4f est qu'il écrit Moi avec une majoscole et
que les autres mettent le moi, tout simple, aux pieds
mêmes de l'attendue.
Encore que les antres rêvent souvent amour décla-
matoire et quasi romantique tandis que le sien est tout
L'ART MODERNE
29
d'anfiuice et de sincérité et porte un paroissien sons le
bras. La venue « à traTers les hommes et les Dienx -, se
(xmfiaase:
Qm je ta diw Mulement que depuis des nuits je pleure
Et que mes taeit'M ont bien peur que je n'en meure.
Je pleoie dans les coins, je n'ai plus goût â rieu
Oh, j'ai tant pleorA dimandie en mon paroissien !
Cette jeane fille était peut-être pour Laforgue un
simple mojoi de se prouver bon et doux, peut-être aussi
aurait-Il voulu dépenser en elle la somme d'amour qà'il
portait en lui et que d'autres sont plus disposés à donner
k l'humfuuté entière. -...^"^^ .
En tout cas, la psychologie du poète nous parait une
si l'on affirme qu'il s'est cherché soi-même toute aia vie
d'abord à travers les philosophies et les hommes et les
Dieux, ensuite à travers l'art et que, lassé, il a cru
s'entrevoir dans l'âme miroirante d'ane vierge, tout
simplement.
OONOERTS FOFXJ3L.AJrEÎES
Coiiceit JnWlalre
Les Concerts populaires ont fé(é dimanche dernier leur jnbilé
de viogt-cinq ans. On peut affirmer que tout ce que Bruxelles
compte d'anistei et d'amateurs de musique a manifesté la vive
sympathie qui s'attache k ceUe excellente entreprise. La salle
était absolument comble et les deux chefs d'orchestre, Adolphe
Samuel, le fondateur des Concerts populaires, et Joseph Dupont,
qui les a si brillamment maintenus an rang qu'ils ont atteint, ont
été l'objet d'oTations enthousiastes et d'applaodissemenis una-
nimes. Les palmes, les couronnes, les gerbes de fleurs et jusqu'à
une plaie de bonqnels partie des rangs des choristes ont donné
à la petite fête la note « jubilaire ».
Un des héros manquait k la cérémonie : Henry Vieuxiemps,
qui dirigea les Concerts en {87S-73. H. Dupont avait eu la pieuse
pensée de lui donner une place au programme, et H. Eugène
Tsaye a bit revivre par son prestigieux talent le fondateur de
l'École belge du violon. Il a joné en aitisie accompli, pénétré de
la mission qui lui incombait, le coaeerto dans lequel Vieuztemps
a introduit, — en hommage k cet autre Liégeois, Grétry, — b
mélodie populaire de LuciU.
Par un miracle d'art, H. Ysaye arrive k taire oublier la virtuo-
sité extraordinaire qu'il déploie, k tenir les auditeurs suspendus
k son archet, ii leur communiquer les impressions troublantes
dont il est pénétré lui-mémé. Oh! l'admirable violon! Quelle puis-
sance évocalrice et quelle autorité! M. Ysaye, au concert de
dimanche, a grandi encore dans l'estime de ses plus fervents
admirateurs.
La partie symphonique se composait de la sixième symphonie
d'Adolphe Samuel, qui fut exécutée avec succès, l'an dernier, aux
concerts da Gnrzeaich et de fragments de Beriioz et de Wagner.
La symphonie de H. Samuel est habilement et savamment
constraite. Telles parties, le début de Vandanie, par exemple,
et celui du presto, décèlent une organisation mtuicale des plus
remarquables. On est surpris de voir le compositeur rompre aussi
ouvertement avec les traditions et se lancer hardiment k la décou-
verte des harmonies neuves, des formules nouvelles de l'instru-
mentation. C'est un rajeunissement qui séduit. Le choix des
thèmes caractéristiques pourrait être plus heureux. Ils n'ont pas,
par eux-mêmes, l'originalité qu'on souhaiterait. En revanche, les
développements sont ingénieux «t intéressanU. C'est, au résumé,
une œuvre de labeur consciencieux qui révèle un artiste maître
de sa plume, iécond et expérimenté.
Les choeurs, formés par H. I.éon Soubre, qui succède il H. Flou
aux Concerts populaires, ont donné une très jolie couleur aux
deux extraits de la Damnation de Faust et au « Défilé des
métiers » des MaUret-Chanteurt. Quant il l'orcheslre, magistra-
lement conduit par V. Dupont, il a supérieurement interprété
le « Voyage au Rhin » de la GotUrdOmmerung (arrangement
d'Hdmperdinck) et la « Marche funèbre de Siegfried ».
Un banquet réunissait, le soir, les musiciens ei les amis de la
maison, et a brillamment clos celte journée de fête.
A signaler l'intéressant relevé fait par M. Léon d'Aoust, admi-
nistrateur des Concerts popubires, de toutes les œuvres exécutées
depuis la fondation. Mieux que tout article dithyrambique, cette
longue énumération, qui embrasse des compositions de toutes
les écoles et de tous les pays, montre à quel point les concerts
populaires ont contribué k b vulgarisation de la littérature musi-
cale et il l'éducation du public.
^jueillette de livre?
Insurgée, par IfAiocnurs Van oc Wolb. — Un vol. de 320 p.
Paris, Bibliothèque Charpentier, 1891.
L'insurgée de Hn* Van de Wiele est une belle jeune fille, indé-
finiment riche, qui, élevée librement, s'ennuie et ne sait que faire
de son temps aussi longtemps qu'elle n'a pas aimé ; mais qui,
dès qu'elle a rencontré le jeune homme de ses rêves, devient la
plus douce et la plus soumise des fiancées. C'est tout le livre
jusqu'aux trente dernières pages; mais, pour justifier le titre
farouche, cela ne pouvait se terminer ainsi, et voici que s'accu-
mulent les événements mélodramatiques : escapade de la jeune
fille chez un vieil ami d'enbnce, journaliste de mœurs d'ailleurs
assez suspectes, auquel elle porte trente mille francs, pris an
coffire-fort paternel, pour lui permettre de payer une dette de
jeu et rarracher au suicide; -r- elle ne le rencontre pas et après
l'avoir longuement attendu dans son taudis enfumé, elle y bisse
l'argent et rentre chez elle; — arrivée du journaliste qui rapporte
la somme dont il ne veut pas; sans y prendre garde, la jeune fille
le reçoit, k demi-nue, dans l'obscurité de la chambre où elle allait
se mettre an lit ; — entrée intempestive du fiancé auquel cela
dépbit et qui exprime un doute injurieux ; — insurrection de la
fiancée qui, pour se venger du soupçon, affirme la réalité de
l'outrage et « essayant de se rappeler les horreurs qu'elle avait lues
autrefois dans les romans, ... confesse des actes affreux, très haut
et avec une précision tellement diabolique que le jeune homme
s'enfuit; — suicide du journaliste; — déchéance définitive de li
jeune fille, restée vierge, dans la rapacité héréditaire, son père
étant on banquier juif.
Evidemment, cela manque de proportion. Mais dans l'cnsemblo
mal agencé, Mu« Van de Wiele a su placer bien de jolis détails.
De sa plume délicate et fidèle aux choses de l'art, elle a tracé d<-
charmants tableaux d'intérieur pour lesquels on ne sera pas sur-
^s (fe tut Iroater plus «t'aptàtwd» que p««r riidiniiaa 4k
lttbiitttl«s ({^raitl^«s iH bambœkevscs qv'cile a prM^es k ^ael-
cttw»-aDS de ses personos^; etie neos a «fit ie IXMhewr des
jeunes époux aupr^ iltt berceau Ai pre«»ier n* ; h» arisloe»»li-
ctues mélancoties des races déchues ; les reSneiBeBls des iRts
mondaines dans lesquelles b fortune ta^paisabte de son hMtm,
lui a permis de semer les pierreries et les bijoex, les riebmétofcs,
les bibelots pn^eievx iule» avec un soin eomptuisant, et eUe a
rehaussai l'inlér^ de son livre par d«s descriptions de lieux Stati-
Mers : de la place du fi.'iit-$abtoB asunêe per une ovation popu-
laire !l Desoer, le dépulé Ëimeux de Textrânte gaoche ; de tel site
de l'Ardeane, qui doono i son Kvre le ehaniio drune eseursiott
dans des recoins aimés de nature. feuWtre ■"• Van de Wiele
aurail-elle pu tirer meilleur parti encore de eet élèoaeal si
atlnivant pour le Icctour bel^ si eite s'était Ktmst* k gM)«s de
foalaisie dans te détail. Lorsqu'en nous décrivant les bonfs de
rOuribe aux environs de ^rbov, tSe sjoul» : « Il ; a «(uelques
ruines célèbres dans l'environ ; la Tour du Diabie sur le terrkoîre
dt! Barvaux et l'abbavc de Laroche, qui remonte aux pceniers
temps du christianisme », elle ne peut évidemment inva({«er le
privilège de la ticiioo. Or, tout te monde sait,, dans te pays, «pie
la Tour du Diable est une busse ruine, toute moderne, «(ai n'a
guère l'imporiance que d'un pavillon de jardin et que, quant an
chQleau de Laroche qui peut dater du xf siècle, il fut lai dcmenre
de comtes féodaux et uon point d'abbés.
rhrtnttftntftiMe. troisième éditioa corrigée «t coDsidarablenunt
augmenta, pur À. Stap. — t vol. ia-12° de 380 pp. , Bnuallas,
P. Weisseabruch, éditeur, fôOt.
On sait combien, depuis quelque temps, la science allemande
a scruté les livres saints et comme elle les a soumis aox règles
d'investigation de la critique modpme. Ccst principalement pour
nous faire connaître les résultais tes plus remorquabies de ces
recherches que 1,. Stap, il non» le dit dans sa prë&ce,. a écrit son
livre; mais il a dû puiser H tant de sources que le choix dés ali-
ments est lui-même un travail de critique et que les raisonne-
ments qu'y a mêlés l'auteur donnent i son œuvre un caracién;
suffii^ammeut personnel. Les études qu'il nous présente sont lioin
d'embrasser tout le sujet, mais elles font bien saisir les prorédés
et,. S cet égard, elles ne peuvent manqner dlîntéresser ceux
mêmes qui sont le moins initiés, ftous sommes de ceux-û, et, en
suivant dans ses développements l'exposé de l'antagonisme pro-
foud qui dés le début a divisé Pierre,, l'apdire de la sinraneision,.
et Paul, l'apâtre du prépnoe, it nou« semblait^ dievant oetta- his-
toire vieille bicntdt de deux mille ancêtre comme ces Athéniens,
dont les actes des apOlnts nous fbnt on si joli tableau :
u II y eut quelques philosophes épicuriens et stoïciens qni
conférèrent avec lui ; et les uns disaient : ({u'estMte qne leut
dire co discoureur ? et les autres ; n semble qu'il prêche de nou-
veaux dieux...
u Enfin, ils le prirent et le menèrent il l'aréopage, en lui
disant : Pourrions-nous savoir do vous quelle est cette nouveDe
doctrine que vous publiez?
u Car vous nous dites de certaines choses, dont nous n'avons
point encore entendu parler. Jk)us voudrions donc bien savm'rco
que c'est.
« Or, tous les .Uhéniens, et les étrangers qui demeonaient à
.Xihènes, ne passaient tout leur temps qu'à direct & entendre
quelque chose de' nouveau... »
CéiaieM In cMbèm frivs.
Ib «Matcal éamt allcMhoMM niât hnl d na
tiiihn : m ScisMars Aihéains. il ne nnUe qp"*
tkœcs vtMsMn rriîgifw jaaqa'k Tacts, car, wpaà npHi tm
passait ks stabMs de vm «fini, jlù Imnd nèa^ a aaici ar
I««(im) il est écfk : *■ dim ÛMwraM... »
lai» hwwjmTb fUnBHtpnfcr de h i<miuli»« dwnort^
tes eas s'ca i^wiatan H ta wMio dirrn : « Roa* vwn calea-
«iroas aBe aaire fetasor ce pumt ».
sanals aHItiadi et aeas aotcasaa pMnfr, a«tc m fif iMMI,
bes déconerteskisKinqaes qallt «al n Un.
■aïs vaia qae, p«ar t«nteiHr ranthenicâlé de Téam^ de
sain Jeo». îk ^[aiucal le letnia nGde de rhitfeim cl, laat
hérissés de lafftfue, 8s aom dinal qae; dns icBe <
détetniaie, £b aaraien fail lafwmn fie le Ckrin et «
ci a ana^aé «n la» de vaipôe ke« ans. Cela, ce a'ot fin
notre aUre. Nées BBienri leelds de faner le Snc cl «fe
dire canne les Atkéaieas : m Kees vaas «ncadcaae aec
autre fois wr ce peiat ». Car ^'festce foe la CeffM|ae et le kaa
sens penveet bie» avoir de i aman a avec ers ■aiilif » H ae
voilSht-tl pos de beaax argiincals \ epyaecr i aa Kne dan le
grand caeactécc est préeiaénen fa/Stmar, oas janan affacicr
ni prewes ai raîsaas k Fifçm de ce «pt'il «El. La scieace ae |en
que s'égarer ee ce deoaàw fui a'est pas le ùim H t
aypfitfiioas tonte Bobie iateififRaee k la t
duit dans les Gttfe» les nouées km
noos lit cmsàtécaoB caaaan vaiae cl infaiBaaÉe lan^a'cile
essaie de b discater ca cfla arfnc.
LeSvtese icnaiae-iaraa canna ctafia» sarbi
chrétienaer c'esa-Wi» sar hs kaankiiaMes naaiiRs daat aa a
essayé de 4Mair b aaaareda Ckeist jiis(|B*aii coaciile de Sicir.
Flos tedamîs s'amadeat pas de a
l'aaalN^ de cette q^icsliin dofnnciqa». Si nntf 9mt 1
devant l^fdBfBge, les AAArienSy m
n'cus^t pas oifnie prtnnis de irai
,. pn JciuB BauB» — Vb «et. de flCffi. heâ,.
bliottkiqjae gouttmponia» de A. Ijautat^ lISMi.
Sons ce tdlre,. ■. Ailes Beaaril a rénmi ane sMedlr peCte litiis
d'un Stella rapiile tt ineittif qaiv Ai ddaS baml «astennt
observe,, dégagent tés ironies de reailManue et ceasolUiMl oae
lecture tris affluante. Ilikr aTCat paa^ de nalr^ aaaa «■■i|pM
ment,, car, counne celle (fi» fecqnes Vbfttaas. b piHlnàpiia fit»
rmfimeniaire de Poit-de^aeoU»,. F)» d» Mins die ce petik Ibre,.
eonlfaie' eu bien pris au sceptieism* éltfgaai: qui eatv on b sailv Ae
fbnit de tauls ngesse.
baaaa flBaa» monolonn al pitees è dieev par Pîum
— 7UH|iietteiiL-tSaa 3tt pp. BnimilHh.Lasomiiia>,.MiinB.iaaiL.
Quatre monologues i Siuuiiig^ EtOmanaqiu,^
20» €'on/lA(n». .. Ils urat ponrj^ranes Sites et nne piSeektfirer £^tt
BaptÉint^ celle-ci ponrenibi&
De l'esprit, éyidamment,. nndsde tssprife dr momtogme. Vous
entendez celh (ffasi' :
JW sois» pacsitMl,. romnonqpa...
Qui s'ta snait jamais donté?;..
SBbu c/tÊit aflbanx, jv (fim. pnocjoa... t
ffîtntt' u Qst uufl ànooacnb»
ii^Wr^r^^'^'P^f'f^-t ''
VABT MODERNE
31
r M. J. Immmàt. CraHA.*— BnRHDM,
rM»|ae ce lilre «odoic, le poète ae M
ijer n lyre. Ses vers <mI les qealilA et les «Wteis 4e b
: il rMHcM pin de KMÎMeM f«e Art et 4'origiMKK.
HMK laiteile, VM ■ofMdesse icwbc, mus Facwl
y nil csctte snMl. Re cWfcbeSv imm ces cvwieBs
MK ekaalsMe. ■! scieace de vcnifcaiim, ai letfcenfce de
; riea M'y iiaKt FcArt m métÊt rHadc. Ce a'est ^'me
Me— ■^■edesKUi.fwiifytlIt teswflsdîrtiif luet
flinwifciit dlBrtiKt les c— palriele» de Faiew
lever ta ynlwe smb kvs dsv^is^
rotftiqw a tflé étté par ■. t9t^
lies corvette ntf|pflee.
Qnri^aes (xpoMÎM». «{«i a^ritest Mfie chose fse le siltsee,
se ssM ««fartes voiri d^ ^selfices jours.
tkdUofd leFsanMKirfr, «Ades jnuws (eb que eSbovl et Laer-
■aas éfriBcol des ^apofbses acues. Le EsteM de rua, love efe
cetorirte ^adeaMe ■ooiire: IMK édarants sar des 6rsas ardenrs),
de raalre, dessiaatcar. anôréscrs ks esfresBO» d'art Msf, attt^
ctart raUcMiaa 91 ce CcRle, le pto îetme cm date et (foi (HMrrtit
Us* w paa s^MtMder daas les oiésKS eftenww (foe V m tuor »,
Bes ânricds^sartovt de Siak6aerts^ one eeSe, iliKX «yovt», nons
fait mapr aosi oKÏIfcnees «sff» de ce paatre.
.n. na^pfet et Le Hafetir rsçotyeiu lie pabfic as ■ Cercle
aetîsiîfiie » et ebacfeni leurs tobteanx de le cRstraire. Queiipie»
taivât icnb y rtossiamriif. S, nOippet est on iiapnmncenr
ahonAni. Cecps de krasse donm» il [» diaftie, pAte cra;fen!ie
niEfnt, socpoMe «k ua» violents, et rwhprcfte (f air aa pioiOt
de cfart^. Hais fK (fit hH» blbues et rtiirs ne (fit pas arfceasatt-
l'cusent bonire.
■. Le Wafear est iw fris, sa terne. Ses Marina manquent de
carsKtare*
Telfe Mlle moripe nœ efiservariim siiirèr»r oae sfoetriié (Tart
({01 pfiiOi. L'icBsemBle est monochrame. On ré^e dies mers ftuiei-
■Asy d ragnoesy et éianbates (ie sofeil, et sa&rées (Ce piaii>,
fws par OB Cfanir SasKt, Ci dis» rFgrecs misseiir.
Qoafflt & ■.■ontalJi cpn^I&'-kaftren dies salles (fe IaTra>'tieniu8 tn-
giiieSyCnmiiist b emanté (fesposer (fes ou» eolossam, nous en\-
pamKçat la dhnensiaadTaaeaiMffe raltirs surtout. Ptior meitre
ses f/ixaa aox prises, it lai a lUIu (fgiMane. mètres sur dix. 5ouft
a'f Tajans nen ^ redire, Bnan; ({us K. ■oniaU, tout en déployant,
lonlt tVSntt (fe mmelUr n'isst point parvena !it soulever, i la
Aameur cbi grandi art, la profonde significaUon die son sujet :
Vnmqmunu loeial.
OHISERYATÛIRE 1% LIÈGE
{jCarrmjimfukmeB parUaatiirB de l'Aki aDDUin)
K soncert dé (fistribution de pris, oH sur un
ï iBëdHaeiKs s^esi d«>taché lé jrane nient de
IM» 1010011,. une pianiHB cpii a de la virtuosité, de la (sorrection
et da km, k Caoïti laieiie low • demé one iaUnmame asdi-
liOB dool ndde bit boawar » ■. Radovi.
L'iadMoa de dioRmehe dcrawr était ewî^remeiM eeasoer^ !t
Cter rrMck. On mws a bit e*(eadre,dai» Tordre chronolofNiae
de coMpOfiiNMi, dlmportantes parties de reeovre da maître : le
lri$ tuft atff. wrintmr de 1SW, U» EMU$, poème sjorptu)-
■ifKde iVn, wm Pieu hén»qat pMr erfae (11178), la Somite
ftmrwithm et fUmo (1M5>.
Da Irîo de IM», oè appanûsent ea ferme les baaies <|vaKté4
de Céwr Franck, — b pweté, b sévérité de ta fonwe, b solidité
de b pcosée, — il la somte de IMS, d'oite iaspirMioa m poi«'
soole et si ceatCBoe, Svm MigtéiM d'avare si inupeseeie qa'eile
Crappe de re^eet »àmirMi1 etxn-ti même (|ai se b «mprenaest
qa^ denn, b nnrche prsfressne se manfoe sans conteste; elle
' oa ffMM maffre.
le lri0, M. Arkeffe, a« piaM, bitfiie t'*tiet»tiot» par son
jea brapst. Il éeraœ por sa vigaear te fi^ «pnef^ne peu rrem-
bbot et le sea sa pea rinwde de M. Rodolphe Rassert, qui tient
b partie de vtolM. Cetie €»éewiitm soit i feewre et il la mise en
bnnêre ds laieat letoauu des deux professeurs.
Asee efané mais sons poisumee, WM, bayzmfis et lasSart
Joneal b soaate.
La ebsse d'orehesfre, rfirijfée pw M. Sylvain Bwpois, etécote
osée soia la Eâtkki, me des phn hr^ea pa^ »ymplu)ni<|oes de
fraork. On aoraif ecpertobnt sonteaicé entendre joa«r ee poème
symphmiifae par on orekestre phi» eon^et et composé d'xrtisies
ptas areompfi».
Trois élève» ckanient tris correctement des Jraymems de RitA
H Bmh. Le slyie si simple de cette éjrlngne MMir^w», sa forme
arckabpe' ea si porfute harmonie avec le sujet, Fémofion si
naïve et si louchante i\n\ dooeemeat s'en dt^ga^^c rrripressionneni
dâicieiisemear. Remonfué IP" fiabiTelle Lejenne, très en progrè.s,
(foi, (finie beRe voix, a (îkanté Fair de Rnih.
Lu Viergt k I« Criehe ei la Dmsa ie Lormont, deux eboeure
pour voix de femmes, charment par tes mêmes qualités de fraî-
cheur et de poretc!. De te Vwrge à Ut CrèeKe s'élève une douce
impression ek repof>, évoeatriee die la calme Vierjip berçant le doux
enfont lésns. Bes Dim^na de Lormont s'élève une larjfc impres-
sion de vie et Ap. jeunesse ailée.
Cemqni Ignoraient l'ienvrede César Franck ont pu se former
■ne icMe exacte, bien ({u'insuAsanie encore, de la variété, de
Tésetiim et die D» piriKwaee du talent du maftre de la jeune école
française.
Bfsons le bien hani, si le publie liéfeois a (^elquc eonnais-
saoee die la musique moderne, c'est grâce a«x efforts sérieux ex.
pefsistanis de H. Rodoux fi de ■. Dopiiis depuis (^nelques
amifes, ^ la Intte vaillant quiiis ont soutenue, chacun de son
eiUé, sans un instant de d^biHance.
LA m mSESMI i IMMS
(Ctrrapondancs pariiciiUért de l'Art xodbrne.)
La vie mnsicale s'épanouit largement, cet hiver! n a fùllii pour
cria la grève que décida, rhiver dernier, l'ancien orehnstre du
'Fbéitnw Royal) et «{Mi, erëant des loisirs sobiti», menaçant quel-
foes-un» des mnsiiiiens dans leur existence même, le» poussa —
ces mrihenrvnx eséentome que la lutte pour la vie avait tenus
32
L'ART MODERNE
peodanl de si longues annt'ej dans celle géhenne qu'est un
ihéâlre — à demander les ressources qui leur faisaient si inopi-
nément défaut à l'Art vrai. Ils consliluërent, en sociéié, nos
« Concerts populaires » cl noire n Théâtre lyrique ». Le Théâtre
lyrique appareille silrement vers la réussite et le doit un peu au
puissant appui moral de Peter Benoit. J'eusse dû vous avertir des
représentations A'Egmont el y reviendrai si — comme il con-
vieni — les musiciens se décident !i ramener b l'affiche cet
ouvrage, qu'ils se doivent à eux-mêmes de ne pas laisser tomber
si facilement après deux essais malheureux. Il ne faut pas que
n'importe qui puis.se croire — et surtout à ses débuts — que le
Théâtre lyrique échouera chaque fois que surgira 2i l'aflSche
quelque nom glorieux !
Après Egmonl vint Parisina, un drame pour monter lequel
M. Frans Citions n'eût pas b attendre la création du Théâtre
lyrique. C'est que le public flamand est cxiraordinairement friand
des pièces de .M. Gitteos. Aussi celui-ci, ne se fait-il pas tirer
l'oreille. Ses œuvres se suivent et se ressemblent toutes par le
succès qu'elles rcmporlenl. Parisina, qui ne vous est pas
inconnue, me semble charpentée à souhait pour le musicien.
.M. Edward Keurvds, le 1res dévoué chef d'orchestre du Théâtre
lyrique, u adapté au drame pour une unité parfaite une très
colorée argumentation musicale.
In 1res suggestif» Proloog, le Liefdtdroom » — le « Kinder-
koor M — dont l'cxéculion me paraît un peu mince — les deux
puissants et profonds « KarakUrbeelden » avèrent un réel musi-
cien. Un nom, en somme, que j'ai satisfaction à vous transmettre.
Puisse-t-il ne pas être étouffé ici, en province ; l'odieuse province
qui stérilise tout.
Struensée est à l'affiche cl le Petr Oynl de Grieg est officiel-
lement promis.
— Fortunes diverses. Les « Concerts populaires », malgré tous
rflbrts, ont plus de mal à se caler. Cela est dC surtout Si la défec-
luosiié des salles dont ils se voient forcés d'émigrer aussitAl. Le
public se fait tirer l'oreille un peu pour ces diverses pérégrina-
iions vers les différents locaux de la ville.
Il faut que les n Populaires » songent à se loger définitivement.
Toute hésitation peul comprometlne cette instilution qui nous
lient tant à cœur !
Je retrouve celle même hésitation dans la composition des pro-
grammes. (In bal un pou tous les fourrés, désordonnémenl. Et des
fourrés où l'oduralion musicale du public n'a aucun intérêt 1
l'Ire iniroduit : les Folville, les Bordier, les Lapon.
A noter, i l'avant-demier concert, la Symphonie PatloraU
Iles délicatement cl opiniâtrement travaillée. A un concert pré-
cédent, une légende : Zorahaijdé de Johann Swedsen et des
déclamalions, derrière lesquelles M. A. Wilford a levé de naïfs el
requérants décors musicaux.
— Ailleurs, c'est la dernière oeuvre de Jan Blockx, si pâlotte
qu'elle doil êlrc morte à l'heure qu'il est.
Ça s'inliiule : le Génie tatélaire d Anvers .'.'.'
5!ÎHR0N1QUE JUDICIAIRE DEp yVRTg
PartiUoiia maaiuerites.
Nous avons vu un jour, el même réceramenl, â Bruxelles, chei
uu éditeur de musique connu, un avis imprimé, signé do nom
d'un éditeur français, par lequel le public était prévenu que des
poursuites en contrefaçon seraient ciereéea contre tout organisa-
teur de concerts, chef de chœurs, directeur de Ihéilre ou aulre
personne qui se servirait, pour ses exécutions musicales, de copies
manuscrilet exécuiées d'après une partition de l'éditeur en ques-
tion.
L'un des derniers numéros de la OauUe des Tribunaux nous
apporte l'écho d'un procès où celle question de droit, atsex
curieuse el d'un intérêt pratique inconleslable, a été tranchée
contre l'éditeur.
Le tribunal civil de Nonipcllier a, le i6 mai dernier, décidé
qu'une ville, un directeur de théâtre ou généralement toute per-
sonne qui a acheté chez un éditeur, propriétaire d'une œuvre
musicale, un exemplaire d'une partition en vue de la faire jouer
et représenter, peut en faire des copie* manuscrites pour ses
besoins personnels ou ceux de son exploitation sans commettre
le délit de contrefaçon.
Spécialement la ville, qui justifie avoir acheté du cessionnaire
de l'aulcur d'une partition des exemplaires on des parties d'or-
chestre, a le droit de demander la nullité et la main-levée de la
saisie pratiquée sur les copies manuscrites qu'elle a fait faire
pour les renfermer dans ses collections.
En conséquence, le tribunal a ordonné la main-levée immédiate
de la saisie qui avait été faite, â la requête de la maison Ricordi
de Milan sur vingt-quatre parlilions manuscrites du Trouvère et
sur quatre partitions, également manuscrites, du Ballo in Mas-
ckera, dont la municipalité de la ville faisait usage pour l'exploi-
tation du théâtre, le tout avec condamnation d'insérer le juge-
ment dans cinq journaux de Paris on des départements, au choix
de la ville de Montpellier et aux frais des défendeurs.
Ce jugement est en conlradiclion avec un jugement du tribunal
de Reims. (Voir notre numéro du 30 juillet.)
Noos pensons qu'en Belgique la question est résolue par l'art.
1" et par l'art. 49 de la loi du 26 mars 1886 sor le droit d'auteur,
ainsi conçus :
« Art. i". — L'auteur d'une leuvre littéraire ou artistique a
seul le droit de la reproduire ou d'en autoriser la reproduction,
de quelque manière et sous quelque forme que ce soit.
« Akt. 19. — La cession d'un objet d'art n'entraîne pas cession
du droit de reproduction au profit de l'acquéreur ».
La copie, même manuscrite, d'une partition conslilne évidem-
ment la reproduction. En achetant un exemplaire d'une partition,
l'acquéreur, sauf convention contraire, n'acquiert pas le droit de
reproduire celte partition el de s'en servir pour des exécutions
pnbliquet. Ce serait frustrer l'éditeur el l'auteur d'un bénéfice
légitime.
Petite CHROfiiquE
Six matinées seront données par les XX au cours de leur
prochain Salon : quatre conférences (deux littéraires, deux artis-
tiques) et deux conceris.
M. Gustave Kahn traitera do Vers libre, M. Gsoaccs Lecomtb
des Néo-Jmpreuionnistet, M. HENâi Van db Velde parlera du
PaytuH en peinture, M. Edxond Picako de C Émancipation de*
Lettre*.
Les concerts seront consacrés l'un â Césak Fkahck, l'aolrc â la
jeune école de musique française : VmcEirr dIrbt, Gabikl
Fadeé, Pierre oE'BaÉvatE, Cawllb BekoIt, Ernest Cbaos-
soN, eic.
.;Msj^- ■»■-.:•
'•.«fi.
L'ART MODERNE
33
■■4
On y cnlendra notamment le quatuor ii cordes (inédit) du César
Franck, et le quatnOr i cordei (inédit) de Vincent d'indy, tous
dcuK en première andilion, interprétés par MM. Eugène Yaaye,
Criekboom, Van Bout et J. Jacob.
Les chœurs seront dirigés par H. Vincent d'indy.
Des cartes personnelles d'abonnement b 18 francs, donnant
droit d'entrée permanente b l'Exposition dès le jour de l'ouver-
ture, réservée aux artistes, sont mises it la disposition du public.
S'adresser au Secrétariat des XX, rue du Berger, 17, k Bruxelles.
M. Emile Sigogne a ouvert samedi dernier un cours de littéra-
ture contemporaine, qui sera continué régulièrement tous les
samedis h 3 heures, jusqu'au U mars, Salle Veydt, rue Veydt.
M. Sigogne traitera spécialement cette année de TolstoI, Dos-
TOlEVSKT, AlPHOHSB DlUDBT, JULBS et EDMOND DE GoNCODRT.
Le prix d'admission est de iO francs pour les dix séances, de
3 francs pour chaque conférence.
Le dessinateur Charles Keene est mort ii Londres le 4 janvier
b l'âge de soixante-huit ans.
Placé, au sortir de l'école, dans les bureaux de son père, avoué
k Furnivarinn, il ne tarda pas à abandonner la pratique des lois
pour entrer au service d'éditeurs qui l'utilisèrent h illustrer une
édition de v Robinson Crusoe ». Puis Vlllustraltd Lotidon Newi
et Once a Week publièrent ses dessins. En 18S0, le Punch se
l'attacha définitivement et une sélection des innombrables croquis
de mœurs qu'il y fil paraître forma un volume sous ce titre a Our
People M (1881).
Mais les dessins originaux de Keene, on en put voir une admi-
rable série dans la section anglaise de l'Exposition universelle de
1889 b Paris, et Gustave Kaho, dans ses très remarquables chro-
niques d'art de la Vogue (tome IV, n° 3), en parla comme il con-
vient, les comparant aux Degas, aux Camille Pissarro.
La Vie moderne de Charpentier publia en 1879, daus son qua-
torzième numéro, cinq croquis du maître anglais.
Le n* du Punch du IS août 1890 contenait, sous ce titre :
« Arry on the Boulevards », le dernier dessin de l'artiste.
La Hommes d'aujourd^hui (Vanier, éd.) publient dans leur
dernier numéro le portrait du dessinateur Louis Legrand, avec
une lettre de Félicien Rops.
Vient de paraître chez Th. Lombaerts, éditeur, tt Bruxelles,
7, rue Montagne-des-Aveugles, et en vente chez les principaux
libraires et marchands de musique, Siegfried de Richard Wagner,
étude esthétique et musicale par Ernest Closson. In-12 de
108 pages environ. Prix : fr. 1-50.
Paraissant au moment des représentations de Siegfried au
théâtre de la Monnaie, cette étude est d'actualité.
Quoique s'adressant au public en général, elle se recommande
surtout à ceux qui, voulant. apprécier dans toute sa beauté l'œuvre
de Wagner, désirent l'approfondir entièrement, sans se livrer,
cependant, b un travail préparatoire assez compliqué et, à coup
sûr, fort long.
Dans une première partie; l'auteur s'est appliqué b faire res-
sortir les beautés esthétiques de l'œuvre, le développement des
caractères et des situations, etc.
La seconde partie, plus étendue, renfermant un grand nombre
de- citalioti* musicale», — thèmes conducteurs et autres figures,
— constitue une étude détaillée et systématique de la partition.
considérée séparément et dans ses rapports avec les autres parties
de la tétralogie.
L'auteur n^nt efforcé, par des annotations, dus remarques
diverses, des parallèles avec d'autres œuvres du maître, de
rendre cette seconde partie aussi intéressante qu'il est possible,
l'énumération succincte des thèmes conducteurs et de leurs déve-
loppements étant forcément assez aride.
On a tort de ne pas lire, dans les journaux spéciaux, les comptes-
rendus d'expositions, ces comptes-rendus où chaque exposant
reçoit sa dragée, — d crainte du désabonnement! Chaque fois que
nous en parcourons un, nous y trouvons des merveilles de stylo,
b recommander b./ir(«< Critique, qui le; collectionne. En veut-on
quelques échantillons, découpés au hasard :
« Un bon portrait de M. R..., mais dont le costume noir sur
noir est bien ingrat comme valeur de ton pour éclairer les étoffes ;
c'est ce qui arrive au Portrait de M"' J. H., qui est assise; ii
certaine distance elle parait être debout. (???)
« C'est une peinture b l'huile sous verre qui fîgur le
pastel. (?)
u Laissons forcément les verres aux pastels, aux aquarelles,
aux Anglais; nos peintures b l'huile ne craignent pas les
mouches. (!)
a Ces deux œuvres, vues au Salon de la Société des
artistes français aux Champs-Elysées, y ont acquis leur valeur
artistique.
« M. V... expose Le Rive, jeune fille dormant, très étudiée
et fort bien peinte; un effet de lumière savant vient caresser le
sujet. {Petit polisson !)
« Ouel-aptns {chouanerie), de M. S..., est un intéressant petit
tableau bien peint, représentant une scène où deux hussards
vont se trouver pris par des chouans cachés dans une cave.
La Messe, de M. P..., est une excellente toile, d'une touclie
supérieure (I).
« Placé très haut Un castel à Talence, de M. P..., un parc
fut paratl immense. . .
« Deux œuvres, dont la manière rappelle celle des pointillistes
de l'exposition des artistes indépendants : Mélancolie et Etude,
de M. M.... Il est supposable (sic) que ce n'est pas pour des
œuvres semblables que M. M... s'est vu attribuer la médaille d'or
en 1889... »
M. Sulzberger lui-même est dépassé.
Le numéro de janvier du Magazine of A rt contient une étude
ur J. RusKiR, par H. Spielmann, avec sept portraits du célèbre
critique, dont l'un, servant de frontispice U la livraison, par sir
E. MiLUtis. A noter aussi un intéressant article de M. Harry
Fdrniss sur l'illustration, avec huit croquis de l'auteur; une élude
sur l'aquarelliste Alfred IIunt, par M. Wedmore.
Ta Mercure de France, très vivante et très intéressante revue
parisienne, publie, dans sa livraison de janvier, des fragments
inédits de \'Eve Future.
L'Excursion commence la série de ses voyages de la saison
d'hiver en annonçant les prochains départs pour l'Italie, la Tuni-
sie et l'Algérie. Elle publie en même temps le programme d'un
magnifique voyage aux Bords du Nil, pour le 18 janvier, et d'une
excursion en Palestine pour le 8 février.
Ces programmes seront envoyés gratuitement aux personnes
qui en feront la demande b M. Ch. Parmentier, directeur de
l'Excursion, i09, boulevard Anspach, b Bruxelles.
^%-f'-r:-fr,:fg:iÇ^^rjiç;^:j.,
ONZIÈME ANNÉE
L'ART MODERNE s'est acquis par l'autorité et l'indépendance de sa critique, par la variété de se»
informations et les soins donnés à sa rédaction une place prépondérante. Aucune manifestation de lArt ne
lui est étrangère : il s'occupe de littérature, de peinture, de soulpture, de gravure, de musique,
d'architecture, etc. Consacré principalement au mouvement artistique belge, il renseigne néanmoins ses
lecteurs sur tous les événements artistiques de l'étranger qu'il importe de connaître.
Chaque numéro de Ii'ART MODERNE s'ouvre par une étude approfondie sur une question artistique
ou littéraire dont l'événement de la semaine fournit l'aotuallté. Les expositions, \ea livret nouveatuxi, les
premières représentations d'oeuvres dramatiques ou musicales, les conférences littéraires, les concerts, les
ventes dobjets cTart, font tous les dimanches l'objet de chroniques détailUtos.
L'ART MODERNE relate aussi la législation et la jurisprudence artistiques. Il rend compte des
procès les plus Intéressants concernant les Arts, plaides devant les tribunaux belges et étrangers. Les
artistes trouvent toutes les semaines dans son Mémento la nomenclature complète des ttCpOSitlOIlS et
concours auxquels ils peuvent prendre part, en Belgique et à l'étranger. Il est envoyé gra^Uitemeilt à
l'essai pendant un mois à toute personne qui en fait la demande.
L'ART MODERNE forme chaque année un beau et fort volume d'environ 450 V*Ç^t *'«« tàblt
des matières. 11 constitue pour l'histoire de l'Art le document LE PLUS COMPLET 'et le fetaaiH IX PMW
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Faits et débats Judiciairea. — Jurisprudence.
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Le numéro : 86 oentiues.
Dimanche l" Février 1891.
L'ART MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DBS ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Comité de rédaction • Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
ABONIÏEMBNTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. — ANNONCKS : On traite â forfait.
Adresser toute» les communications d
l'administration générale de TArt Moderne, me de l'Industrie, 32, Bruxelles.
^OMMAIRE
Ahtan, Boulanoir, Dubois. — Lb prix des œuvre» d'aet. —
ViNTB R. Chalon. — Vente Cbahpfleuhy. — Cueillette de
LIVRES. — L'AnOELUS. — LeS GRANDS CONCERTS. — BlBLIOORAFBIÏ
MUSICALE — Mémento des expositions. — Petite chronique. *
ARTAN, BOULENGER, DUBOIS
On a renda à ces trois grands artistes le mauvais ser-
vice de grouper, en une exposition destinée à les glori-
fier, tontes les toiles qu'une cueillette foite an hasard a
pu rassembler. Il a suffi qu'elles fussent d'eux, peu
importe la qualité, pour qu'on les accrochât aux pan-
neaux. L'ensemble est malheureux. Les œuvres sans
signification abondent. Le public est décontenancé. Sauf
pour ceux qui connaissent ces rares esprits par leurs
productions de choix, Dubois, Boulenger, Artan sorti-
ront amoindris de cette entreprise étourdie.
Il est vraiment périlleux de se mêler de pareilles
choses, quand on n'a ni le temps, ni la prudence, ni
l'application nécessaires. Cette exposition a littérale-
ment été •> b&clée ". En un tour de main elle fut déci-
dée, organisée, réalisée. Une vraie réquisition. Un appel
à quiconque tl^ii un Boulenger, un Artan, un Dubois.
Puis, on a ofeu^rt les portes, et le tout est entré pêle-
mêle. Une fois le déballage en place, les metteurs en
scène, le poing sur la hanche, ont crié : Regardez-moi
ça!
Un tact extrême eût dû présider au triage. Les trois
très chers et très regrettés maîtres, Artan et Dubois
surtout, ont été de ceux que la noire et cruelle misère
a tenus enchaînés avec opiniâtreté dans le bagne des
plus basses nécessités. A peine eurent-ils quelques jours
heureux où ils ont été libres de réaliser leur âme. Ce
n'est que par éclaircies que leur art est apparu. Ils
furent de persistants malades du besoin, des graba-
taires qui ne purent qu'à de longs intervalles se lever
et marcher. Dans le quotidien de leur triste existence,
ils peignirent pour vivre, pour avoir le morceau de
pain et durent alors descendre à la fabrication de
machines commerciales, évacuées avec dégoût, répé-
titions fangeuses, monotonement fangeuses. Les œuvres
où s'exprima l'intimité profonde et grandiose de leur
maîtrise ne se vendaient pas. Ils se les permettaient
comme un luxe lorsqu'ils avaient acheté un temps de
liberté par le placement des platitude» qui plaisaient
aux imbéciles.
Il n'était pas nécessaire de faire remonter à la lumière
ces rognures, conspuées par eux-mêmes, que l'oubli avait
coulées à fond. Une grande sévérité était de mise. Il ne
s'agissait pas de rassembler en bloc des toiles, mais de
n'admettre que celles que ces grands morts eussen t recon •
nues. Il fallait expulser toutes les bâtardes, attendre
que les belles, les fortes, les typiques fussent tçutes
venues, et seulement alors ouvrir à deux battants,
ouvrir le temple où vraiment ils fussent apparus en
demi-dieux.
C'étaient de très hauts esprits. Ceux qui, comme nous,
vécurentaveceux l'intimité artistique en peuvent témoi-
gner. Il furent, non seulement d'habiles peintres, mais
d'originaux penseurs. Et surtout des novateurs. Ils en
avaient la belle témérité et le dédain. Louis Dubois,
plus peut-être que les deux autres, brutal en sa force
physique et morale qui, d'abord, lui donna une si
robuste confiance, mais dont il vit, farouche et mélan-,
colique, l'inutilité et l'anéantissement sous l'effort des
préjugés et des hostilités qui pourchassent quiconque
devance son temps et malmène son milieu. Il vécut dans
un monde où ses larges poumons respiraient avec peine,
il mourut d'anémie sociale, bêtement vaincu, ce lion,
et devenu timide, marquant parfois l'épouvante que lui
causait l'insaisissable malveillance du climat intellec-
tuel où le hasard l'avait lâché.
Artan était un félin moins héroïque, à souplesse de
léopard, en cage lui aussi comme un animal de ména-
gerie. Sombre et déçu dans le profond de son âme, mais
affectant pour le dehors un dilettantisme aimable et spi-
rituel. Il n'avait rien de la colère bourrue de l'autre, de
ses formidables coups de boutoir, de ses cyniques et
impériaux quolibets. Il faisait patte de velours à la
bourgeoisie ambiante, mais avec quel eff"ort pour retenir
ses griffes ! D'une politique mondaine insuflSsante toute-
fois. Les instincts bohèmes l'emportaient. Les instincts
bohèmes : c'est-à-dire cette indépendance incompres-
sible et fière qui ferait les artistes si grands dans un
milieu mieux approprié, mais qui, sous la pression de
nos mœurs et de nos préjugés, n'aboutit qu'aux stériles
folies du détraquage.
Boulenger, enfin, fils d'ouvrier, longtemps élimé par
les privations, rangé, lui, dans ses habitudes, d'origine
plus rustique et par cela même mieux ordonné, grim-
pant branche par branche jusqu'à atteindre la tranquil*
lité d'un mariage avec l'aisance, et, alors, presque tout
de suite, retombant de la cime et se cassant les reins
dans la mort.
Aucun d'eux n'eut jamais ni le bien-être, ni la paix.
Mais ils comptent dans l'évolution de la peinture
nationale, et quelques-unes de leurs œuvres sont des
chefs-d'œuvre sans lesquels la chaîne de l'histoire de
notre art serait rompue.
Très visiblement leur rôle s'accuse. Ils ont chez nous
l'importance qu'eurent, en France, Courbet, Rousseau,
Daubigny. Loin de nous la pensée qu'ils auraient été des
imitateurs de ces maîtres. Ils furent originaux incontes-
tablement. Mais eux aussi furent des libérateurs. Ils
rompirent avec la scolastique artistique et la con-
spuèrent. En grande partie la haine dont on les pour^
suivit vint de leur constant mépris pour l'enseigaeinent
et les traditions académiques. Ds accoatnmèrent les
peintres et le public à l'indépendance dans rœnyre et
dans le jugement. Ils préparèrent ainsi les voies dafis
lesquelles marche maintenant l'art neuf en ses multiples
témérités.
C'est cet apostolat émancipatenr que l'exposition eût
dû manifester. Mais la vue a été trop courte et l'effet
est raté. On eût dû n'y voir que les tableaux qui appa-
rurent jadis comme des manifestes, comme des clameurs
de liberté, comme de violentes bonsculades des routines
en honneur. Il eût été possible aux survivants de ces
époques qui s'eS'acent, de raconter, à propos de chacun
d'eux, les luttes, les résistances et les triomphes lente-
ment acquis. Mais au lieu de ces grandes batailles pour
la gloire et l'honneur, on nous montre surtout les cha-
pardages des bivouacs pour conquérir la mangeaille du
soir après l'étape. Ces chefs, si héroïques aux heures des
combats, font l'effet d'assez pauvres diables, et le vul-
gaire se demande si vraiment ils n'étaient pas plus que
cela.
Tant pis ! tant pis ! Que le sort nous garde des mala-
droits amis.
LE PRIX DES OEUVRES D'ART
Une des premières statues de Michel-Ange fut payée douze
ducals. Afin de retirer une meilleure rémunération de son talent,
il exécuta un Ciipidon endormi qu'il enterra. On le découvrit par
hasard — vous pensez si le hasard avait été guidé par lui. On
s'cxiasia sur la beauté de l'œuvre, et l'on compta 200 dacals k
l'auteur de la découverte.
Le Dominiquin ne reçut que 450 francs pour son Saint-Gérôme ;
on payait le double, quelque temps plus tard, la copie do chef-
d'œuvre par un élève. Le Poussin, dont le buste décore l'entrée
de l'Ecole des Beaux-Arts, au début de sa vie, vendait des toiles
8 francs. Il s'était associé à nn jeune rapin, plus connn que lui
des marchands, qui lirait trois fois plus d'argent des copies qu'il
faisait de ses originaux.
Les contemporains sont souvent injastes et ce peut être par
ignorance. Louis XIV croyait royalement payer l'Anaromide de
Puget avec 45,000 livres. En marbre et Iransporu, l'artiste
avait déboursé davantage. Les Nocet de Cana, qui sont au
Louvre, à l'origine ont été payées 400 francs. Le Saint-OérOme
du Corrège, auquel il travailla six mois, lui fut payé 550 francs.
La Nuit 480 francs. En dix ans ce pauvre grand peintre gagna
9,864 francs. L'avenue de Villiers n'exerçait pas encore sur les
artistes sa coûteuse fascination.
La régente des Pays-Bas, Marie d'Autriche, se croyait très
généreuse en payant les portraits qu'elle faisait faire de sa sédui-
sante personne S8 ou 30 livres la pièce, au peintre Bernard
d'Orley; c'est aujourd'hui le prix d'une Photographie chez un
photographe à la mode. Aussi les artistes n'étaienl-ils pas irè«
exigeants. Jacopo da Pontormo ayant fait le portrait du duc de
Médicis, celui-ci lui demanda ce qu'il désirait pour sa récom
'^WWmw^^ê^^-^^
penu. Ponlormo réclama l'argent nécessaire pour dégager son
JBintean qu'il avait laissé en naniissement chez un préteur sur
m».
Savez-vous ce que l'on gagnait â peindre pour les moines?
Uim cette vieille chronique : Un certain homme nommé Fillio,
initruit dans l'art de peindre, vint au chapitre de Saini-Aubin
devant Giraud, abbé et tout le conseil, et là fit la convention
puivante : il peindra tout leur monaslère et ce qu'ils lui ordonne-
ront, fera les fenêtres de verre et deviendra homme libre. Et
l'abbé et les moines lui donnent en iief un arpent de vignes ei
une maison h la condition qu'il les ail pour sa vie et qu'à sa mon
elle fasse retour an ceuveni, à moins qu'il n'ait un fils qui sache
l'air de son père et reste au service de Saint-Aubin. »
Mais si néanmoins vous pensiez que c'est d'aujourd'hui que
l'on couvre d'or les artistes, vous vous tromperiez. Les Cnidiens
sollicités de donner une Vénus de Praxitèle contre le rembonrsc-
ment de leur dette nationale, préférèrent, garder la Vénus et leurs
dettes. S'il se trouvait un amateur qui à ce prix-là voulut acquitter
notre grand-livre pour la Vénus de Miio, imiterions-nous les
Cnidiens T
On a souvent calculé ft combien le centimètre revenait une
toile 4e Meissonnier; ce fut ii la mesure de surface que l'on paya
le tableau d'Appclles représentant Alexandre le Grand qui était
placé dans le temple d'EphèM. Sens en déterminer le prix on le
couvrit de pièces d'or. En ce tèmpi-lb, il était bon de faire grand.
La mode avait changé lorsque GéricauU peignit le fameux Nau-
frage de la Médute, b présent au Louvre. Si vaste, il n'en trouve
que 600 fr.; on eut consenti ii le payer 30,000 fr., mais à la
condition qu'il le coupftt en quatre. Cette mutilation l'efiraya. Il
préféra le montrer en Angleterre comme curiosité : il récolla par
ce moyen une somme assez rondelette.
Parmi les œuvres antiques payées par les coulemporains
presque aussi magnifiquement que V Angélus, il y a le Diodimène
de Polytecte vendu 540,000 francs, pour employer notre expres-
sion monétaire; un Ajax que Jules César acheta 330,000 francs,
une slaïuelle d'Apollon qui coûta 639,000 livres. Quant ii vouloir
payer Zeuxis c'était inutjje : il prétendait qu'on ne paierait jamais
assez ses tableaux et il préférait les offrir pour rien. Rubens avail
des prétentions aussi vaniteuses mais plus pratiques. Il demande
1,600 florins de son Attomption de la Vierge, sous le prétexte
qu'il avait consacré 16 journées à cette besogne et qu'il ne pour-
rait gagner moins de 100 florins par jour. En réalité, les prix ne
sont qu'affaire de vogue et de convention.
Deux tableaux de Claude Lorrain, vendus par l'artiste
4S,000 francs, ce qui est déjii joli, sont revendus plus tard
250,000... Pour le Serment de* Horace, David a reçu 6,000 fr.,
et la Fâche de Rubens, qui appartint à l'impératrice Joséphine,
a été payée 800,000 francs. (L'Eclnir.)
VENTE R. CHALON
Quelques adjudications relatives à la vente Renier'Cbalon ter-
minée il y a peu de temps sous la direction de l'expert Deman,
i Bruxelles. (Voir les renseignements que nous avons donnés dans
nos n« des 12 et 19 octobre 1890, pp. 327 et 333.)
N° 13. PiauUier tur vélin du xni* siècle. 145 francs.
N" 18. Heure* à l'utage de Toul (Paris, Simon Voslre, 1502),
ex. sur vélin. 410 francs.
N° 69. Le* ttatut* ou contlituliont de* pauvre* Sœurs du
Béguinage de Mont, ms. original sur vélin. 190 francs,
N** 79 il 83. Divera opuscules de Guy de Brès à des prix
variant de 70 & 180 francs.
N* 359. Pompa introilui Ferdinandi Auttriaci (1642), in-
fol. mar. anc. ttvec dent. 180 francs.
N« 467. Le Perche du Coudrav. L'exercice de* arme* (1750).
48 francs.
N" 549. Le Pandore de Janus Olivier (1342). 1 10 francs.
N« 657. Barbazan. Le* Fabliaux. 4 vol. in-S", gr. pap. vélin.
100 francs.
N» 570. Le Mirouer de* Pécheur*, s. d. (1495). 190 francs.
N» 591. Le* œuvre* de Jean Loys Douysien (1612). 80 francs.
N° 633. Le* Fleur* du mal, par Baudelaire, édil. orig.
42 francs.
N» 726. Debureau. Histoire du Théâtre à 4 sous. Paris (1832),
in-8*, cart. non rog., édit. originale, tirée à 28 exemplaires.
105 francs.
No 733. Molière de Bret (1773). 6 vol. in-8«, v. 100 francs.
N» 771. Lancelot du Lac (1494). 95 francs. (Ex. incomplet).
N«781. Le Romande la Cour de Bruxelles (1628), in-8»,
rel. V. 70 francs.
N0 787. Fénélon. Les aventures de TélémaqueUTil), 2 vol.
en rel. de Cape. 105 francs.
N" 964. Les observation* diverses sur la stérilité, accouche-
ment* et maladie* de* femme*, par Louyse Boursier. Paris,
s. d. (1652), in 120, v. 90 francs.
N» 1031. Deux exempt, des Monuments anciens du comte de
Saint-Genois, respectivement 200 et 250 francs.
VENTE CHAMPFLEURT
La célèbre lithographie de Daumicr : Enfoncé Lafayelte!
épreuve sur chine, est montée jusqu'il 102 fr. Les prix alleinls
par les lithographies, dessins et eaux-fortes '{ul composaient ces
premiers vacations, ont été très élevés. Même prix pour le Ventre
législatif, « aspect des bancs ministériels de la Chambre impros-
tiiuée de 1834. » Les Massacres de la rue 7'ransnonain (15 avril
1>(34), épreuve à toute marge : 90 fr.
Les lithographies d'Eugène Delacroix ont eu ensuite les hon-
neurs de la séance.
.Un premier étal sur chine, tiré à 5 ou 6 exemplaires, du
Cheval sauvage terrassé par un tigre a été payé 840 fr.
Macbeth consultant les sorcières, premier étal avec les salis-
sures sur les quatre côté», épreuve fort belle -. 367 francs.
Le Faust, que Gœihe trouvait si bien interprété qu'il disait que
Delacroix avait surpassé son Idée, un In-folio paru en 1828, avec
17 dessins exécutés sur pierre, a été payé 245 francs.
Front de bœu] et le Juif, une lithographie avec des croquis de
femmes nues sur les marges, premier étal sur chine, a valu
170 francs.
Et ainsi de suite, de 50 à 250 francs pour le Tigre couché, la
Fuite du Contrebandier, le Lion debout, le Christ au roseau, les
seize lithographies de Hamlet, la Sœur de Duguesclin, le Mes-
sage, le portrait du baron Switer, et bien d'autres encore, car le
catalogue contenait une centaine de numéros au chapitre d'Eugène
Delacroix.
Quand les amateurs recherchaient toutes cc! pièces, il y a
Tii^ IBS. M ks paj^ûMU ide S k 10 Cnae^, oo cmît qu'Us èiakat
fecs.
La sdoMiAe tmoimm ■'^ pts ébè ■Mtùs aaMée.
Les encbènH «ut oMMMnoi pv les «m-fortes àm (nmvr
AlfiiMiue L<sir«s, tnès Rcbachics sutJMit «a Aagtutfw. Cm
Affidbe 'im T%élit!r* Ât PuSidàmiSit mut Titâena ùiét su dbimt,
a valhii se toitcs: ta Pêdktà U (néfe, 53 fnacs; b ytiil dm
Fjigiàitmi, J4 feuKS ; k Otaïf At Veut, 4$ fir.
Paimià ll«s llàiiM^apy>es <fEd«Dainl Sutel, diioas : k Pebtki-
wSIt-, ea oei&lnir, lùra^ k SO eieaipllaiivs veadin TA Cnacs ; r£W-
Uamamui Jitm hii&m, es omilHiir, Iràs raie, 3M fraacs. L'^aftcbe
du lime «te CStHBfdkuiinr sur les duis, 1 12 fraKS. Ces émx iesr-
nàènes pitoes ikdi été »4à'i%'^«s penr le oiMipte «Tna des frands
ceilDiMtHiiaMirs Ae Kew-Teitt-
A «dter «novne, dans T'demv fMaars luMNâer, les càaqpuAc
T^TDftaes Aes GrisetJUs, avec pliisîears dMiUes montrât. \es. dîf-
fifineoMs otAoratàjois emplovëes par k onêaleiir «Sa riipe iaiiWMtel
^ itistfài tviMi&nmit, ISO inaes.
La séné âes x^nciUies rMBautàqaes lâcaii aunuMA lynorqoJile
M «an^iraiiajil ciofiiaiuiie ]i soixaue fàèoK de Câestîai XasOeail ;
«Ik» CM é^ fool éisf <ii]!)ée&.
Cueillette de livre?
lues ^ÇBln fhflCK. par X.. Rmra;»»» Lit*»» Pass^ £iknâni >ib
TAirt Inâ^euâut; BroEiililes, LuamiiMw., tSM, â&-&, l^fgi. —
F^ùa ^ t linaïc
H . Laz8i« «D vsoa «m usuvaàs lôcbes de ta Peêàe. X son am,
& rbâoâore de fiairvilike, FnB(<Ms Ctfi^^ Jkjnund Silwstine ei
CflUiSe Bonâès " mû. «cmqsàs, Tesâme puU&quie, c''esi ^jatediMBD
S'-ei!XTt:p?éaeiuaiàmitia»étTiiwtj^étitfet&er>. CeUtelOBe,
•i'tgsvèi X . L8z8i<is » çuaiiw iaoes pràncàptis «il oaaaimitàfiiR.
La {ipeiiiière — ratmonr de la fiarwiËe dts cteses saon6», 1» jtàt
■vesmtsàf & vm htStmer le Sasut «S te ttsan — a ■Btjpôié les Oitt
■fimaniiiuiBiiguBf àe fiam-iike, La seomide — ie tetÊmataO^saut, eeat-
i^&m ii tnatsfamuuàaB msàat àe cramas samànmits — t^frniHi
dans If (âisittre des Mmmàiee. La imàsMaDe iaoe «si iTafoiiini
jiOBrTardart, lie filaisn- de raïgoca <a 'de «cueli^if ne ; c'est ta
inoe jWBUfniw.vt^ cMsre au àtet Cnefâmiis a .fse Sjhtescre lonnraiiiie
de rose^ La q murième {koe «st « le désir des senstoàms dbar-
a>elie&, la 7«cbOTcbe dc£ «qiovoçiies CKoiuaâiiiis, ta flaiiitetùe de
rerctùsme Itoem n; eile s'^incame dans it Boae penwrae de CaBKQe
Sendès.. Agoduns uneirâD^pDèmefMe: ta laàDe«vneKa
irw de la foule lomopc qnioim^ne la déçusse do troBU
jiBT Ctwn.T» Iteimn. — Cx vol. xn-ff j^ému
Ces jméBiiis^ £%iic forme safeanwmwB nntiteniie 'çmnqw
dqniis lonffteiiçis df^pBsaéc, sjttisbiut f«qinii mus ne le tputi-
litenii fiBS. Lmr de^is csi xrigi }n«6m jinw lioaer ji&Kie aux
an doft du rf^i*, « si ranttiiir * so irofiiir i/Tmeen wws «nidoiirs
le tidillflBii de la jinissBiioe «i des Minnmeitts des déqiis <dns leor
éusmidne dnal'aé :: leatatàons de iTetçirii. neduasmis de ta dbair^ 'm
jtfidt dire qtTi] m^ i^on «ifCinté sa ranjle ^JuiuiuiariBe po^ie qnà,
dt^is le Promâiliée auiigor., a ait se diiriiider antrar 'de oe
fiiùfli Is A^irwioiis <st les litB^bèmes de inbimiBoilié. Le iivrte
.(gigiamU cmninc Tiiun!i<t' ffoL hanoBU: hanaof^ '^egmil aus fOia
gne £'nniipinBiimi ïirroiitm'c, gni, i «m iiwnw, «"isi vrarM^ éimi
par ce i|ieclacle «les êucs ahanat tbs des
ittsuMTÏs et par ks rtnliais HomIs de cette
I6e,el qnaM le dire ca très boH tenae»,
qa'oB ae TnvA fait araat lai.
03 tcBbtMB étaMlle.
Sns lot, pcat-Mra 4|a'«adanû
Nota aMian iMt frïi diBi
Bati'onat ■■ itmaam laiini !
Dcoatlnal
ppfcaili
T«n le gmad cari m Ml* i
FHntd—ataMilîlw.
Son uaMi ■'^■■wt >■■■( rh^
UntRATTIE KânOiNALE
«•UlHa.
par IL rUM Sn.T. Bauix.
Cncaaaefiqiièsj
4BBm«de«
tawirtafflk, fcàeatijffte et de baa altai, ae|
namqioe fmipne de fjoitàsire. Os mâcîB de
pas b fttaflBnaae sawur AeaenairdM&CieaifiBBl
poMaaci |a<faùei éa fiive, a
ÙBOmt, les pagMBade M. Mwiini at fcàea iiifiûi^fci
d^aOfaac « de eanobic, aaicea dlfûdehar
aiVat pas aa ivpe de laoe. ils a>i|iiiiifaa p«
awm^pae de ta W;iflliiiiie : «e sau ds pajisaBE de pantauL
maasi, si ta «radenr IncaAe «''«n pas asset iisoense pno'
«stts-WR de r«nm« : Jteurx indlana», aa penpnit dqjk
ITnaeiir, k an •ie^ vemar^aMt, ds iqiaiSà>éi 'foi fut
nr de tm : T^Annraimm vatat, T^muàma liiaijin, h
in^ffimvine de TACflliiA, nnaMoe <t ta femoti da a^fte.
«ftticmaK dBU « uuafiijiii le
laOïtnbsraoG de .^M)iw Buâet, d^ne s
stntraiA J^mw^deda-Aafaqne, « pajsan, iqali,
firaUiè, saraiSe MB O; cmpaaita »hk le sta^w : « dta'^
iiia 7 « di bèitns CamiSiim..
.k«
Os
jmaiilfifir le
!\èp^^
L'ART MODERNE
30
ML tUntM-ÂMOÊXOL. —
te ippdie Apw * /tes dei beiecau «è jifii. k k Roei.
t émm éuril ayoïé n aUt en iàèka. M. KQe-émtan
tkeci BanwÊmt àtiiwtlimi, c— e — le» MMMeéf»-
BBB i|i^an baccmreiii|Bum,
il a iMihfnhé cfln 06 ces
!Cli|ù. dès lewtjt»-
L les iréMn iclifina. MlMiaeat ea AUoMfar,
I nwce d dav MS rraràees. n EmI ■ilifirTiit fhiMo-
I el k dsBripliM de ces ceraei d'art doal pteMan sm des
ideacaiplarectdecisdare, coaMe numort les pho-
I qu Olasiicat romage.
Tabib. — BmalVs,
i»8>- Pin : fr. T-50.
tAmftkut peadani la Iraicnée.d trois jours francs après ton
OMe «être, Iworteda pria da Bai, wlinsirlowt tel
de Mm : SB phikMophie, aaa hidoire. aa ■éihod«dofie «ses
ippfii MiiMi k riadMthe. Les aalens «■! dé|doyé les q«ntfs
fs'cnfeait k coHpkiitf da sqet.
L'oanafe ae divise ca irais parties. Daas k ptcaniK, eoa»-
aiéekrcslkéiiqae,lesatfeanespaseaiuiales les ibêories depuis
I jaiqalk ans joars. |k dévdoppeat eanile les piiacipes mt
\ 3s ^^ippaieal, d<lenaiaeai k aatwe, navartaace, k
I de Fart, el fc rtte capital de k acieaee daas son ftopès.
Ikask^aiièMe partie, iktaairhirtariipie de reaarîgaetat des
arts pkaliqaes, éladieal les difcnes aiAkodes qai se aoai BDcté-
déesk travosleslfesctlespeaples, el sifalfai les riftwes >
léaliser. Doas k uiâiiit partie, ik rt»mmni k silaaiioa
aetaeUedes arts, les caaaes de lear déeadeace. el précaaiMat,
eafia, poar relever leor aÎTeaa, une série de ■esares pfatiqaes,
qa'ik(
II.ate.,parL-K.—
— ea praae — es^ dit k
>da JwUaaKbelCO. n
! ks TCrtas Cl les bicafaitt de Léopold U.
s d'etprasioas bikiiqaes. travail de poticM
: les poèoMS ca eeataas de Vir|>te.
inalik de dire qae k SDireflkaee k plas adive s'a cessé de
léfocr aoloar da colb MNilcaaDl k loite de Hïllel k boni de k
Omteopte.
L'AmgtImi était eafaïaé daas trois caisMS. La première, eal-
fcnlitfe ea salia eeiîse, a acrri k aoa inasport entre les devx
AaérîqBes; k secoade ca lAfe, les joinlnres ca élaat soifscase-
neol soodées alla d*ériler l'air; k Iroisièaie Aaii ea bois bordée
de fer. Preaqae na eereacïl.
Le bMid eoUs a été pkeé, peadaal k iravcnée, dans le nsie
coftc-fort de fa Oatagme, k cAlé des bijou cl des nleors con-
fiés par les paasagen.
VAmaieKK Art AêuâÊlitm a'a jamais ea rien % pojcr aa fisc
iiaériftia poar FAm^éms, et ce grtee k on eofienx stnla(ènie.
Les labicaax importés aax Etats-Oms pasMat ea toute francfaise
poam qalk n'y sqonracat pas plus de six mois. La société s'est
sertie de cet artide de M, et toot k son profit, ca expédiant
Mapebtf aa Canada poar ane quimaine de joars. après quoi il
est reftna k Heit-Tork. Cétait one aoarefle iaqtortaiion et, de k
sorte, k toite de HiDet béoéfidait d^in antre dâai de six mois de
séjour.
Et ainsi, jasqn^ ce qo'îl Iti Mm deraier loja^. cette foê
pour reieair ea Fnaee.
L'Aafdms, expédié da lârre dans sa triple boite, est arrrré
bier k Paris, ebei U. Drexd. banquiers, oà S. Gornier en a pris
fimison aa non de 1. Cbancbard; fl a rerais, en écbange, b
somme coaieaae : 750,000 francs... et 10 centimes pour \e
tiadac de quittance.
L' AJTGhTIT .XJS
Le Mmdttmr in Arlt donne les curieux
que
On sait qae ■. dancbard a racheté k r^liNTican An Atto-
tmlim k cfléfare toife de Hillei. tAnfOms.
r'Iwfrfsr est icatré en France, aa Hirre, depuis samedi der-
nier, k bord defa OaKSfac, venant de Rew-Torfc: mais rsarre
de MiOelnrest arrivée qslnerk Paris.
■. Bohenaon. viceiiréâdent de Mmerûxa Art A$»oemtin,
a arrompoiné k préciease toile. H. leari Goraier. mandat lire
de a. Onndnrd. qni a néfocié te rachat de rAm^tbu, tl Hon-
laignae. ragent de k Sociélé américabie k Paris, s'êiaient rendas
3m Une.
L'Amteriim» Eifras, Société new-fortaise, mit répondu de
US filâRDS GOiCfitTS
Ccst on répi rare qu'on nouveau morceau sjrmphoniqnc Ae
M. Vincent dlm!;. Le jeune artiste ne predifoc point ses aenrirs.
D prend k temps de les méditer el k loisir de les écrire.
Cdai doal H. Lamooreux nous a donné k priumr, est pxijt^
mcatexquis.
Pour eeite composiiion, qui est en quelque sorte le peiMkat df
sou aimable poème sfmpbonqoc intitnIéâiBnpe/kirrv,!. dlodr
s'est kissé guider par k texte d'une bolkde de Louis Hiknd.
a Ak léledcsesgaeirietscbenocbaientlaraid, kbérosplesii
de kiiumc ib aBaient, k k luenr de k bne, k travers b SorH
suavane en ciaaiaai mmm caam de guene.
■ Qui frémit M gnetle dans les bnimons! Qui descend de«
ci sort de récome du torrent ? Qui murmure si hamto-
H doune ces doux baisers* Qui tient ces caraliers u
t? — Cest k troupe légère des EltK :
— Les guerriers sont pmtis, partis
pour k pays des Fées.
■ Lui seni est demenré, Haiald. le héros plan de briToore : iii
s'en n k k keur de k lune k travers b forêt saunge.
. An pied du rot^er coak une source limpide, k peine iarald
a-t4 bu de ses eaux encbantées, qu'un sommeil étmge s'empainr
de tout sou éI^^ il s'endort sur le rocber noir.
■ Assb sur cette même pierre, fl don depuis bien des i>«cl«s.
cl, k k lueur de k faine, réumeOe ronde des Elfes tonroe lenie-
de lui, Barald. l'antique béros. -
Antmitque k musiqiie le peut par enc-méme. orile de %. dlod;
40
LART MODERNE
traduit clairement les épisodes simples mais caraclérisliques de
la ballade allemande.
C'est plaisir d'enlendre chevaucher dans l'orchestre le» bons
guerriers de la suite de Harald et d'écouler leurs rudes propos de
guerre. Et comme on se sent subitement enveloppé par l'atmo-
sphère du monde fantastique, lorsque les notes ailées delà harpe,
s'envolant sur la fanfare voilée du cor et la mélodie grave de la
flùie, annonce l'approche des Elfes.
Le public de H. Lamoureux, souvent assez froid pour les'nou-
veautés, a chaleureusement acclamé l'œuvre nouvelle. Il a fait
acte de justice, car M. d'indy, malgré sa jeunesse, est un maître
dont l'école française peut être fière, et sa légende-symphonie est
une composition délicieuse.
Est-il besoin d'ajouter que M. Lamoureux l'a mise en lumière
avec cette parfaite intelligence de l'ensemble et ce souci particu-
lier des détails, qui lui sont familiers ?
Tout ce concert, du reste, — l'un des plus beaux de la saison,
— n'a été qu'une longue ovation pour l'éminenl chef d'orchestre.
On a particulièrement applaudi la marche héroïquement sublime
du Crépuscule des Dieux, la Dame macabre, un petit chef-d'œuvre
de M. Saint-Saëns, la pompeuse introduction du troisième
acte de Lohengrin et l'étourdissante Espana de Chabrier qui ter-
minait la séance par un coup d'éclat.
Victor Wilder (OU Blat).
plBLIOQRAPHIE MUSICALE
On se souvient du succès qu'obtinrent, aux concerts des XX,
l'an dernier, les Tableaux de voyage pour piano, de Vincent
d'indy, joués par leur auteur. L'œuvre entier, qui forme treize
pièces, vient de paraître dans la Bibliothèque Leduc en un recueil
coquet. C'est, en treize petits tableaux d'une couleur exquise, le
récii d'un pèlerinage aux montagnes du Tyrol accompli par le
compositeur. En marche. Lac vert. Départ matinal. Rive, domi-
nent les autres morceaux par leur intensité et la personnalité nette
qu'ils avèrent. Mais tous décèlent la fine nature musicale et le
sens du pittoresque qui caractérisent l'auteur de Wallenstein.
Mémento des Elxpositions
Barcelone. — Exposition annuelle. — 29 ;mars-31 mai.
Envoi ?6 février-7 mars. Notices: 26 février. — Renseignements :
Secrétai-iat de la Commission organisatrice. Palais des Beaux-
A ris, Pasea Fujadas, Barcelone.
Bordeaux. — XXXIX» Exposition de la Société des Amis des
Aru. — 2 mars 189{. Envois : 1-10 février. Députa Paris:
10-20 janvier, chez M, Toussaint, rue du Dragon, 15. Gratuité de
transport pour les artistes invités. — Renseignements : Secréta-
riat de la Société, Galerie de la Terrasse du Jardin public, Bor-
deaux.
Bruxelles. — VII1« Exposition annuelle des XX (limitée aux
membres et à leurs invités). — 8 Février-S mars. — Délai d'envoi :
expiré. Renseignements : M. Octave Maus, Secrétaire des XX, rue
du Berger, 27, Bruxelles.
Berlin. — 50"' anniversaire de la Société des Artistes. —
Exposition internationale. — 15 mai. — Renseignements :
M. Anton von Werner, directeur de l' Académie [royale des
Beaux- Arts, Zimmerslrasse, 92, Berlin.
Lyon. — Quatrième exposiiion annuelle de la Société lyon-
naise des Beaux- Arts. — Ouverture : S7 février. Renseigne-
ments : Secrétariat général, rue de l'Hôpital, 6, Lyon.
Milan. — Exposition iriennale des Beaux-Arli. — {"-SO juin.
— Trois prix de <i,000 francs chacuq, Amdés par le roi
Humbert, décernés ë la peinture cl k la sculpture. Trois prii de
4,000 francs chacun, fondés par Saveriofumagaili, décernés k la
sculpture, h la peinture religieuse, historique ou de genre. Un
prix de4,000 francs, foudé par Antonio Gayazai, décerné fc la pein-
ture historique. Médailles et diplômes. — Les demandes d'admis-
sion devront être adressées au président, if. Emile Visconti-
Venosta, à l'Académie des Beaux-A rU de Milau.
Moscou. — Exposition française. — 4" mai-octobre. (Réservée
aux artistes invités). Dépdt avant le 15 février chet M. André, rpe
Chaptal, 38, Paris.
Pau. — Vingt-septième Exposition de la Société des Ami* des
Arts. — 15 janvier-45 mars. — Deux œuvres par exposant. —
Gratuité de transport pour les artistes invités. — Délai d'envoi
expiré. — Renseignements : O. Tardieu, secrétaire général.
Paris. — Exposition des Artistes indépendants (Pavillon de la
Ville de Paris). — Ouverture 20 Mars. Dépôt : 6, 7 et 8 mars. —
Renseignements : M. Serendat de Bebini, trésorier, rue du
Rocher 56, Part*.
Id. Union des femmes peintres et sculpteurs. — 31 février-
14 mars. — Droit d'exposition : 5 firancs par œuvre exposée
(maximum i payer : 20 francs). Dépôt : 6-9 février. — Rensei-
gnements : Af" Berlaux, présidente, 147, avenue de ViUiers,
Paris, et M. Olivier Merson, Ml, boulevard St-Mithel.
Petite CHROfiiquE
C'est samedi prochain, 7 février, à i heures, qu'aura lieu au
Musée de peinture, place du Miisée, l'ouverture du Salon des X7.
Comme les années précédentes, cette cérémonie est exclusive-
ment réservée aux artistes personnellement invités et aux por-
teurs de cartes permanentes.
A partir du lendemain, dimanche, le Salon sera ouvert tous les
jours au public de 10 à 5 heures. *
Le Jeune Barreau organise une Exposition originale qui, certes,
n'a jamais été tentée jusqu'ici, il a réuni dans la salle du Conseil
de l'Ordre et dans le cabinet du Bfttonnier quantité de portraits
d'avocats, de médailles, de diplômes sur parchemin ornés de
vastes cachets de cire rouge, de livres rares sur la Profession ou
concernant les retentissantes affaires criminelles, de caricatures,
de croquis, d'illustrations, de bibelots curieux. Nombre d'objets
d'art se rapportant au Barreau donnent à l'ensemble un caractère
de véritable exposition artistique. On y rencontre notamment des
œuvres de Xavier Mellery, Charles Vandcr Stappen, Femand
Khnopff, Odilon Redon, Félicien Rops, Madou, Bourottc, etc. Il y
a même un Brcughel, un très intéressant tableau représentant un
cabinet d'avocat encombré de clients munis « d'épices ». L'une des
pièces capitales : Le OuiUoliné de Géricault.
Telles séries de croquis humoristiques dus !i un avocat, il un
magistrat, voire à quelque très haut personnage, démontrent
qu'on peut, tout en étant le vir dicendi peritus, manier agréable-
Inenl le crayon.
L'Exposition, ingénieusement baptisée : le Souvenir profes-
sionnel, s'ouvrira le samedi 14 février, à onze heures du matin.
w%t''x^'if^W-!''. .: '
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.■. 'C;i":i'i^/»?-^y^f: 'F-
^«tsj
i:art moderne
41
L'ouverture sera exclusivement réservée aux invités, avocats et
magistruti. A partir du lendemain, il sera loisible aux membres
du Barreau et de la Magialrature d'y amener d'autres personnes.
Les commissaires de la Conférence 4u Jeune Barreau recevront, à
tour de râle, les visiteurs et leur feront les honneurs de l'Exposi-
tion.
N. Charles Vander Stappen expose dans son atelier 16, Avenue
de la Joyeuse Entrée (rond point de la rue de la Loi), du dimanche
1" février au jeudi 5 février inclus, le surtout de table qu'il a
exéculé pour la ville de Bruxelles et qui figurera ensuite au
Salon des XX. (Voir le compte rendu de celte œuvre admirable
'dans CArl Moderne Au 13 octobre 1890).
MM. Léon Berbo et Emile Claus, invitent le public à visiter
l'exposition de leurs œuvres, ouverte au Cercle Artistique et
Littéraire (Waax-Hall du Parc), du mardi 37 janvier au jeudi
7 février inclus, de dix heures du matin à cinq heures du soir.
Ainsi s'affirme de plus en plus l'elcellente habitude des exposi-
tions particulières, tenant constamment l'attention artistique en
haleine, et se substituant à l'annuel et stérile ennui des grands
Salons de peinture.
Nous avons reçu l'invitation suivante :
A une fête amicale, présidée par Stéphane Mallarmé,' à l'occa-
sion du Pèlerin pattionni de Jean Moréas, — vous prient de vou-
loir bien prendre part :
Maurice Barrés,
Hkmri de Régnier.
Le dtner aura lieu le 3 février, k 7 heures du soir, à l'Hétel
des Sociétés Savantes, 28, rue Serpente.
Très amusant ce croquis de OU Bios sur les femmes musico-
lilrcs :
Au Cirque des Champs-Elysées, chez le métronomique Lamoii-
reux : hystérie, mode et haute finance, il y a de tout ; ce chef
d'orchestre traite ses auditrices conpme Cbarcot traite ses
malades. El le coup d'archet impératif qu'il assène sur son
pupitre, quand une d'elles bouge, ressemble, ou plutôt voudrait
ressembler au coup de gong avec lequel le professeur de la
Salpétrière immobilise ses hystériques. Je dois loi avouer que
ça ne produit' pas le même effet. N'est pas imposant qui veut.
Mais une fois que l'office commence, c'est-à-dire une fois que la
musique de Wagner se fait entendre (chez Lamourenx, elles
n'écoutent pas autre chose; Beethoven n'est que supporté et
Berlioz est méprisé) ; c'est alors qu'il Ui^)M regarder.
Quelques-unes comprennent et sont sur le point de défaillir, la
grande névrose les empoigne : elles lèvent les yeux au ciel, elles
chiffonnent leur manchon, elles s'éventent avec rage, elles se
remuent d'une façon inquiétante, la musique soulève leurs poi-
trines (surtout quand elles sont bien faites) et, depuis deux ou
trois minutes, Lamoureux a laissé retomber son archet qu'elles
sont encore perdues dans le bleu. Celles-là comprennent Wagner,
elles sont rares. Mais les autres, celles qui ne comprennent pas,
c'est dans ce moment-là qu'il faut les voir. Pendant les cinq pre-
mières minutes, ça va encore, elles se disent : « Nous sommes
, "vennespour cela, il faut faire semblant decomprendre». Mais on se
lasse vite dé^faire semblant, même quand on est femme. El alors
ce sont des coups de lorgnette aux amies, des épluchages de toi-
lettes, des inspections de chapeaux, des bâillements, des détentes
de physionomies qui montrent tout l'incommensurable snobisme
dont est capable une femme de la finance israôlite qui veut faire
croire qu'elle a du goût. Il y en a une chez laquelle on fait de la
musique, qui passe tous les préludes de Tritlan à compter les
boucles de la harpiste à tête singulière qui fait la joie des gens
qui aimenl les eaux-fortes de Rops. Et voilà la façon dont ces
femmes, les plus musiciennes de Paris, celles qui aiment un
musicien b la mode, écoulent la musique ; qu'on juge du reste.
M. Paul de Witi, directeur du Journal de facture inttrumentaU
de Leipzig, vient de céder au Musée royal de Berlin une impor-
tante collection d'anciens instruments de musique parmi lesquels
se trouve le propre clavecin de Bach. Cette précieuse relique avait
été vendue par le fils du grand Bach, Friedemann, dans un
moment de gêne, au comte de Voss, puis devint la propriété du
directeur de musique Rust, à Dessau. C'est le descendant de ce
dernier, le professeur-docteur W. Rust, qui a cédé à M. de Witt,
le elavieembalo de Bach, sous la condition expresse que cet
instrument ne serait jamais revendu qu'au gouvernement prus-
sien ; ce qui, on le voit, a eu lieu effeciivement. Une première
collection d'instruments anciens appartenant à M. de Witt avait
déjà été acquise par le gouvernement, il y a quelques années à
peine.
M. Frédéric Kastner, le petit-fils du membre de l'Institut, vient
de remettre à M. Weclterlin la partition autographe de Roméo et
Juliette de Berlioz pour l'offrir à la bibliothèque du Conservatoire
de musique.
Voici ce que Berlioz a écrit sur la première page de sa parti-
tion :
Roméo et Juliette, symphonie dramatique avec chœurs, solos
de chant et prologue en récitatif choral, dédiée à Nicolo Paganini
et composée d'après la tragédie de Shakespeare, par Berlioz,
paroles de M. Emile Deschamps. Partition aulographe offerte à
mon excellent ami Georges Kastner.
Vous me pardonnerez, mon cher Kasincr, de vous donner un
manuscrit pareil; ce sont ses campagnes d'Allemagne et de Russie
qui l'ont ainsi couvert de blessures. 11 est comme « ces drapeaux
« qui reviennent des guerres, plus beaux — dit Hugo — quand
« ils sont déchirés».
H. Berlioz.
Paris, 17 septembre 1856.
Cette symphonie, commencée le 24 janvier 1835, a été termi-
née le 8 septembre de la même année, el exécutée pour la pre-
mière fois au Conservatoire, sous la direction de l'auteur, le
54 novembre suivant.
De grands concours littéraires et artistiques sont ouverts en
Ardèche, du l" janvier au 30 juin 1891 :
f^OGRAMME : 1. Poésie. Sujet libre (maximum 100 vers). —
11. Prose. Sujcl libre (maximum 1.^0 lignes). — - 111. Pédagogie.
Sujet libre (maximum 200 lignes). — IV. Dessin. Sujet libre.
Bien que les sujets soient libres, le Comité verra avec salisfac-
tino les concourants s'occuper surtout de questions intéressant la
ville d'Annonay et le département de l'Ardèche, et réservera des
récompenses spéciales à celle sorte d'ouvrages.
Les pièces envoyées devront être inédites et n'avoir été présen-
tées à aucun concours.
Les manuscrits devron{ être adressés franco de port, en double
exemplaire, écrits dun seul côté, sur papier cloche 20 x 30.
Ils ne seront pas signés, mais porteront une devise reproduite sur
un billet cacheté contenant le nom el l'adresse de l'auteur :
Ptétieet Prose : à M. Henri Bomel, à Annonay. — Pédagogie
et Deesin : à M. Alfred Peysson, à Annonay.
Les récompenses, consistant en médailles d'or, de vermeil,
d'argenl et de bronze, espèces, objets d'art, volumes, diplô-
mes, etc., seront distribuées en séance solennelle à Annonay,
pendant le second semestre de l'année.
ONZIÈME ANNÉE
L'ART MODERNE s'est acquis par Tantorité et rindipendanee de sa eritiqae, par la variété de «M
informations et les soins donnés h sa rédaction une place prépondérante. Aneane manifeirtation o^lAjrt ne
loi est étrangère : il s'occnpe de littèratore, de peinture, de acalptare, de gravure, dejoraalqae,
d'arctaiteoture, etc. Consacré principalement au monvement artistique belge, il i * — ~—- .
lecteurs snr toos les drénements artistiques de Tétranger qa'U importe de
il renaeigiie néanniMn» sea
eonnaitre.
Chaque numéro de Li'ART MODERNE s'ouTre par une étude approfondie sur une question artiatiqae
ou littéraire dont l'événement de la semaine fournit l'actuaUtâ. Les ejcpositions. \w livres nouveaux, laa
premières représentations d'œnvres dramatiques ou musicales, les conférences littéraires, les concerts, les
ventes dobjets cTart, font tons les dimanches l'objet de chroniques détaillées.
L'ART MODERNE relate aussi la législation et la jarispmdence artistiques. Il rend compte des
procès les plus intéressants concernant les Arts, plaides devant les tribanaax belges et étrangers. Les
artistes trouvent tontes les semaines dans son Mémento la nomenclature complète des «xpOrolOBIt^ et
concours auxquels ils peuvent prendre part, en Belgique et à l'étranger. D est envoyé graiultAUUlkt à
l'essai pendant un mois à toute personne qui en fait la demande.
L'ART MODERNE forme chaque année an beau et fiai volume d'environ 460 pages, avec table
des mafitoS. 11 constitue pour l'histoire de l'Art le document LE PLUS COMPUA' et te feetiMnaT "— "^
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DUfAHCHI 8 F^VKIBR 1891.
L'ART MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
RIVOI ORITIQDB DBS ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Ck>mité de rédaction t Octatb MAUS — Ej>itoin> PICARD — Ëmilb YERHAEREN
ABOraXHSHTS : Belgique, no «n, fr. 10.00; Union portais, fr. 13.00. — AmiOHCXS : On tnite i forfait.
Adreuer toutes les communication* à
L'AOMBnsTBATioN otiTÉRALB DB VAit Modemo, TU.B Ab lludiutrie, 32, Bruxelles.
Sommaire
OMBLJVMmm Acz XX. AOnanM et dettins. — La Pakabols dis
MAUTiUS aatODU. — Lb WAaNteiaia hoks d'Alldcaonb, par
Edmond Erenepoel. — Pabaooxi d'dv bibuophilb. — Mbhbuto
DBS szp«atnom. — Pbhtb camoinQOB.
Oberlànder aux XX
ALBUMS ]BT DESSINS
Parmi toat l'art germanique actod on chercherait
Taincfmant igore plus cnriMpr^'Oberlânder, le cari-
caturiste de Munich, le Danmier, aussi le Cham des
Allemands. Moins notoire pour la critique française que
Menzd ou Uhde (de par des circonstances purement
adventices, telles que les expositions de Menzel à Paris
et les envois annuels de Uhde an Salon de Paris), il est
pour certains, plus intimement connu, grâce au feuille-
tage de ses albums, par la rencontre de dessins ou his-
toires sans texte, éparpillés au cours des Fliegende
Blàtter, son joomai ordinaire. Il apparaît un rare et
personnel caricaturiste, très affranchi d'influences,
cnrieax par la diversité de ses gammes, et de sujets et
de rœdn.
Feuilletons ses albums ; je vais tenter d'en expliquer
l'intérêt et la vanété.
Dans cette double planche, le Conseiller de com-
merce, le premier dessin vous montre le conseiller
pourvu de tous les attributs de la gravité : une longue
barbe, soigneusement peignée, abonde jusqu'à ses
épaules; le col et les hauts<['épaule de son pardessus
suivent la même ligne ample, comme coupée en respec-
tabilité; le front est calme, les yeux promettent les meil-
leurs et les plus honnêtes conseils ; le personnage est con-
seiller de commerce, cette situation honorifique n'étant
traduite par aucun uniforme ou antre signe extérieur,
le consoler s'est donc iiaboré une allure de douce et
copieuse gravité, propre à faire dire à tons : « Quel est
08 monsieur si éminemment distingué, ce n'est pas un
militaire, ni un fonctionnaire ; c'est un riche savant ou
un prud'homme éminent.
 la seconde planche, un incident a modifié le con-
seiller, un signe apparent de sa valeur morale lui a été
conféré; c'est une croix, de celles qui se portent en cra-
vate. La longue barbe est tombée, il n'en reste qu'un
encadrement majestueux à cette croix ; la tète inclinée
philosophiquement, s'est relevée pour montrer tonte la
croix, le paletot à ample collet n'est plus qu'un habit
plus ouvert pour le triomphe de la décoration sur le
plastron de la chemise. L'air doux de l'excellent prud'-
homme s'est modifié en l'air hautain d'un homme qai
sait sa valeur, valeur consacrée par un témoignage de
satisfaction du souverain. Il ne s'agit plus de faire com-
44
^,.
UART MODERfiE
3re s& Talemr royale, mais de rduiosser par un air
arautagienï la oonsécrati'Oin qui Ilnapose à Taidiniratioo.
E i»e s'agit pins Ae se &Jre <ileTiD«r oomme un Téœérable
et "QB sag*, mais de se déjDoialrer on bomnie inTesti,
eDoore jeuDe, <rn»e arislocraJlâe et de la ooofiasoe des
potiToirs jrablies.
Antre gamioe : Un Napoléoo'doot le dessinaiteur m
Tonlu traduire à sa mani'îTie le birillamt et tranâtoire
passage. NapcOwn regarde couler le fleore ; i distanoe,
d-e Dcimbreux maréclmTix (les siens, les célèbres' sont
penchés sur le parapet et regardent oooler le fleore.
A une denxitaie planche Xapol^n disparaît dans le
lointain, Kii-ri de ses maréchaux en file et Tlsar ooule
tonjonrs ; et de ses dessins un rapprochement n'émane-
t-il pas avec le Napoléon de Tolstoï, n'en sort-il pas la
prenre d'nne nette et suggestive conception de Napoléon
dans le oerveau d'Oberlander ?
Ailleurs, dans ses albums : voyez, m»« Dimanche à
la hrasuerif. Accrochées à de lourds chevanx, les bras
chargés de brocs, de grosses serrantes à travers une
foule trépignante, galopent, portant partent la bonne
nouvelle de la bière du dimanche ; c'est la fête presque
mythologique; peut-être dans ce jardin d'été, en un
ooin, qnelqne fsnfare joue-t-elle la célèbre Chevanchée
des Waikyries, a.u scmî de laquelle elles chevauchent,
ces WaJkvries d'nn dimanche de l'actuelle G^manie.
Sur les plaisirs de brasserie de ses contemporains,
Ol»erliinder ne tarit pas, il les réunit autour d'une table,
un jour de mauvaise bi^e, tons navrés et ternes et
plongés dans le sil«>oe, celui qui a l'aspect d'un prital-
docent, et celui qui sanble un soudard, et la &ce
placide du comm^-çant, et celui qui p^-sonnifie l'Alle-
mand bonasse, et celui qui p^sonnifie l'All^nand
chauvin et grincheux. Les mêmes faces anssi sont
altérées de tristesse, un jour de mauvais cigares. A la
brasserie, il emmène des femmes pâles, maigres, seni-
blant s'amincir en leur attente contre le mur, tandis
que l'Ailemand à tête de bouledogue boit d'un air auto-
ritaire, et la gouaille en tyranneau ; dans la brasserie,
il empile des compagnies de musiciens pourvus des plus
redoutables cuivres et groupant en on peitit espace, sons
des voûtes basses, les plus redoutables détonations delà
musique. B la peuple de classiques &roes au tavemier,
remplit de chiens tumultueux et voleurs, ressemblant
aux tvpes populaires qu'il y présente. Parfois, une note de
pitié réservée à des paysans humbles. Note rare, car le
caricaturiste, par tempérament probablem^it, et aussi
professionnellement, est plus caustique qu'ému. Une
femme se présente à une caisse, et timidement essaye de
déranger l'employé. - Monsieur le teneur de hvres...
Monsieur le teneur de livres «, et l'employé debout,
furieux, la foudroie d'un de ces titres allemands longin-
quipèdes : « Je suis le Royal -Bavarois pensionné Spécial
tenenr-de-livres-de-la-caisse-d epaipie, prei^z-en note » .
Pour oneiuis, je crois anique dans aoaœaTie, Oberiinder
anpkMe on des vieux procédés de la earicatore alle-
mande, et de la boache de l'emplojé (brienx, les note
de la lég«ide symbolisés, s'éparpUleot oomme en jets de
pierres que oeTokan jette sor la malhenreiifle atterrée,
et mcHralement et graphiquement; ces procédés un peu
grossiers, Oberlaoder les emploie peu. D est le rénora-
tenr en Allemagne de la caricatoro. jusqu'à lui misjra-
Uement représentée dans le KladeradaUch de Bolin.
Les influences de Daumier, des dessins de Vinri appa-
raissent en lui assez sensibles, mais nullement celles de
ses prédécesseurs allemands réduits à inscrire on bout
de légende dans une sorte de ballon oblong issant de la
bouche d'un mannequin, et portant en eanettres typo-
graphiques à la Cois tout le sel et du texte et du dessin.
Ces types populaires, Oberlânder les fmnuPne an
théitre. On siffle, on tempête, le coin dessiné est une
galerie supérieure d'oA les assistants lerés, maudissants,
houleux, tumultueux, lançait vers une scène invisible
tous les projectiles à leur dispositim ; on aperçrât un
parterre semblablement animé et seul un homme
d'allures simples, pleure et joint les mains en remer-
ciant Dieu de ne l'avoir pas créé poète. Il les conduit au
café-concert, et tons se terrent sous les banqu^tes, se
refoulent sur les issues pour échapper aux éclats
qu'irradie d'un bloc de piore, un sculpteur chai^ d'en
ènAa une Oie en cinq minutes devuit Fassistanoe; il
les emiHle dans des wagons de quatrième classe, les
j^te dans des £aroes d'étalants, les £ût duper par les
mardiands, et explique mille de leurs petites misères on
ridicules. Cest un humUe encore ce maître d'école
lunette, droit sur sa petite chaise au bout d'une table
ot des colosses éL des en&nts de colosses se prédiùtent
sur le plat, pour tons se munir, ei lui mesurer jdas
étroite, la pitance qui constitue scn salaire. Les loque-
teux, il les évoque plaisantins ; ce personnage déguenillé
dira " on peut me refuser biai des qualités, mats non
celle d'être on contemporain >. Cn vagabond cnôlli an
débarqué, invite l'ag^it de police à lui montrer en pas-
sant, vers le dépôt, quelques curiosités de cette ville
nouvelle pour lui. Un ivrogne rentre une nuit dlnver,
laissant sur la n^ge des murs des empreintes de mains
fantastiques; autour d'un ivrogne acic»té contre un
piédestal de statue, tonte une ville danse une danse de
Saint-Gui, les réverbèt%s sont des ai^es obtus. Les
lumières diaprent tout le dessin d'ardentes diagonales,
la statae de bronze se penche sur lui oomme on oiseau
de nuit fantastique, un tremUement de terre semble
discorder les maisons, éi les rails d'un tramway s'obli-
t^-ent en une infinité de lignes serpentines ; seul un
ag«it de police (le châtiment) reste ferme dans cet appa-
rent cataclysme.
En dehors de ses types poi»ilaires, peu de femmes
apparaissent. Queues dessins nous montrent l'esthète
^f-
LART MODERNE
45
allemande an pea parente des esthètes anglaises de Da
Maurier. Elle travaille en robe à traîne, dans un cabinet
à la gothique, ou bien elle marche par des sites isolés, pro-
tégée d'une ombrelle et d'un immense chapeau Louis XIII
à vaste plume, mince comme aiguille, amincie par sa
longue robe, les yeux an ciel, sans voir à ses pieds, une
spasmodique grenouille qui l'admire, la main sur le
cœur.
Dans ses romans de chevalerie, od les chevaux sont
à roulettes, les chevaliers en bois, ce sont d'indiffé-
rentes et automatiques poupées. Dans un de ces roman-
ceros, pourtant, la femme, vêtue à la moderne, s'élance
de la grotte ob le dragon la tenait prisonnière, et le
chevalier vainqueur du dragon (aux formes accusées de
caméléon, le lézard inofiensif), le chevalier fuit devant
son triomphe et le gage de son triomphe, et les chevaux,
qui ne s'étaient que cabrés à la vue de ce Fafiier non-
veau, brisent leur licol et s'enfuient à la vue de cette
spéciale Bmnehilde.
Oberlânder nous £ait assister aussi à de brèves cri-
tiques d'art. Un énorme architecte gothique, droit,
taillé en tour d'égUse, le front peigné en ogive, raide et
majestueux comme la Renaissance gothique, laisse s'in-
cliner ses yeux, ou plutôt ses Incames, sur un archi-
tecte style Renaissance, petit, et contournent autour
d'eux, des modèles d'architectures de toutes les tailles :
édifices complets, mais seulement à leur état de ma-
quettes inoccupées ; palais, cathédrales et hôtels-de- ville
peuplent le décor où les architectes n'apparaissent que
comme une maquette décorative de plus. Encore : Her-
cule, élève de Linus, impatienté par l'étude du piano,
brise l'instrument sur la tête de son maître. — Un célè-
bre violoniste, chassé par la haine de ses concitadins,
emmène son élève dans tme large prairie, et c'est loin
des hommes et des habitations, seulement, que le maître
peut sans danger communiquer à son. élève les secrets
de son art. Us sont seuls avec leur pupitre sous le vaste
ciel et dans l'étendue plane.
Une sorte de Salon comique nous montre la Mort
s'élancant d'un broc de bière pour embrasser un paysan
(un sec Réthel), des vierges néo-grecques (Aima Ta-
dema) s'effilent en fuseaux et mAts de cocagne; un
vieilUrd est indiqué d'un seul trait, rien qu'une ligne ;
pas de fond au tableau, pas d'accessoires, de composi-
tions, c'est plus que grêle et plus que pâle, c'est une
opinion sur les préraphaélites allemands. Dans un salon
Louis XIII des étoffes se complimentent et se serrent,
non la maifl, mais les gants -, on devine nettement à ces
doigts floches, à l'absence de toute tête, qu'il n'y a là
que manteaux, chapeaux, collerettes et mobilier (ce qui
manque aux préraphaélites allemands], et nul corps ni
armature physique, ce qui arrive à maints spécialistes
de la peintore anecdotique du costume parisien et
vieonois. Voulez-vous une opinion sur Gustave Doré ?
Devant une ville pour ainsi dire serrée à l'étau en
murailles rectangulaires, en dômes d'étroits pains de
sucre, minarets en ligne de pèche, deux ombres, deux
dos d'ombres conversent, maigres à l'extrême, longs à
l'infini, surmontés de hauts plumeaux. Voulez-vous
une opinion sur la peinture actuelle? elle n'est pas
franchement assumée, elle est prêtée seulement aux
sauvages d'un Tombouctou spécial de création Ober-
landerienne? Un arrivage de toiles est mis en vente
dans une sorte de guignol, le commissionnaire européen
finit de débiter les dernières pièces de sa caravane, et
déjà tous les indigènes, séduits apparemment par la
splendeur des cadres, se sont passés au col un tableau ;
est-ce un jugement? est-ce l'annonce d'un débouché
découvert au trop plein de la production artistique
européenne? Nulle l^ende ne nous fixe sur ce point.
Ce Tombouctou ou Timbektou n'est pas un lieu bien
défini. C'est une ville od le dessinateur a pu exercer ses
belles facultés d'animalier, car il est un animalier de
premier ordre, bizarre et inédit au possible, un anima-
lier comique tout neuf, et aussi à ce Timbektou, il a
trouvé des confirmations de ses idées sur la politique
coloniale et les beautés de la civilisation, car un carica-
turiste doit avoir des opinions; c'est donc un lieu dit,
une ville reculée de l'Afrique équatoriale, de l'Afrique
explorée par les chercheurs d'ivoire, les instaurateurs
de provinces politiques et les voyageurs du commerce
exotique.
Mais en sa qualité de curieux dessinateur, et d'ani-
malier, Oberlânder, délaissant les conquérants, s'ap-
plique uniquement à traduire les scènes populaires de
ce pays trois fois favorisé par la présence des grands
fauves, des nègres et des colonisateurs. Voici l'octroi :
un cavalier acquitte à un fonctionnaire coiffé du casque
à pointe, les droits d'entrée de ses girafes. Attendent :
une maraîchère tirant à la laisse deux grands serpents,
d'antres marchands amènent lions et tigres, et sur la
route lointaine, se profile la lente arrivée de girafes de
trait et de monte qu'on mène vendre. Au marché : voici
les mêmes produits; attachés à des cordes, lions, tigres,
hippopotames, éléphants, attendent l'acquéreur. Toute
cette agglomération est surveillée par un policeman,
nu, sauf le casque à pointe, monté à autruche. Après
le marché c'est le repos au café ; à l'ombre des palmiers,
les noirs, marchands et amateurs, absorbent des bois-
sons fraîches, tandis que les fauves familiers les atten-
dent grignotant des os, et que des étudiants noirs, coif-
fés de petites casquettes plates universitaires d'Alle-
magne promènent, en guise de dogues d'Ulm, de beaux
lionceaux. Mais à en croire de plus récents dessins, dans
un autre coin de l'Afrique, une race dominatrice délé-
phants croîtrait et régnerait, car un employé (noir euro-
péanisé) attend respectueusement qu'après connaissance
prise de ses papiers et sauf-conduits, les éléphants le
mmm
46
L'ART MODBRNB
laissent passer. Rs sont là assis, calmes fonctionnaires,
un rayon d'humanité sur leur crâne et vidant des pots
de bière à l'instar de la race colonisatrice, des mêmes
pots qu'on voit aux brasseries d'Allemagne; chez eux
ils se livrent à différents plaisirs, et si nous en croyons
des dessins, favorisent la bicyclette, car deux d'entre
eux, joyeux, joviaux, légers, dévalent sur ce véhicule,
marquant, par la rapidité de leur course, des humains
non encore initiés aux roues automotrices. Il y a loin
de ces libres éléphants aux premiers animaux d'Ober-
lànder, à l'éléphant attristé des palais d'Orient, con-
sumé de mélancolie, vainement diagnostiqué par force
médecins à turbans, à qui, pour le distraire, dans un
éclair de compréhension du mal, un médecin fait confier
une plume pour écrire à la bien-aimée ; loin du lion
triste, mélancolique, jaloux et capitan, de la Suite dite :
. la fiancée des lions •, pauvre lion, qui s'anémie
d'amour et meurt d'un tragique coup de feu, aux rhi-
nocéros émus vers les éléphantes qui saillent de toute
part dans les premiers albums. Oberlànder vent nous
représenter les grands animaux dans leur patrie natale,
dans la vie que leur constituent les nouvelles circon-
stances politiques sous lesquelles ils vivent pacifiés, ou
contre lesquelles ils se débattent.
Les chiens ont belle place dans les albums; ils y sont
traités d'une façon spéciale, pris, le plus souvent, dans
leurs ressemblances physiques avec l'homme. Ce n'est
pas théorie nouvelle d'avoir prétendu que l'ensemble de
certaines figures humaines se trouve grossièrement
reproduit dans certaines allures ou têtes d'animaux.
Le dessinateur allemand a surtout reproduit ces res-
semblances avec des chiens ; en forçant un peu la note,
il arrive à des identités, soit que sur une banquette il
vous montre le maître et le chien, l'aspect rogne et
raviné, soit qu'il fasse pousser ensemble de petits enfants
et des caniches, qui, rapidement, aux repas, en leurs
jeux, en leur nudité, en leur semi-habillement, finissent
par paraître étendus à côté l'un de l'autre, deux indis-
cernables menechmes.
Cette œuvre & l'apparence tumultueuse, d'une énorme
diversité, trouve son unité dans l'unique procédé de
travail du maître, le dessin à la plume, aussi dans une
sorte de similarité des intentions. La caricature d'Ober-
lànder n'est ni grondeuse, ni satirique ; elle est surtout
bouffonne et joviale, sans amertume. Il est aussi Alle-
mand, très Allemand, dans un bon sens ; à voir ses
nombreux et fantasques animaux, l'absence de son
œuvre de tout hippogriffe ou disproportionnalité gros-
sière et le bon calr-e de son rire, on pense à certaines
parts de l'âme de Hei ci Heine, du Heine d'Atta-Troll.
Ses éléphants mélancoliques sont parents un peu de
l'ours célèbre; certes, il n'a jamais évoqué lâchasse
enchantée, ni quoi que ce soit de poésie profonde et
triste; mais je ne veux nullement l'établir en une filia-
tion intellectuelle venant de Heine, mais BmlenMmt
préciser qu'un coin de gaieté leur est comman,ooin bien
allemand mais chez de rares Allemands, coin de gaieté
différent de l'ordinaire grossièreté forcenae on de
gaietés philosophiques hautement alambiqaées. Ils sont
des rares d'Outre-Rhin possédant un \aa de plaisanterie
simple et communicatif à des étrangers. Ce qu'il fitnt
répéter c'est qn'Oberlander ne procède pas d'Allemands
antérieurs à lui, très peu des Français, même de Daa-
mier, non plus, sauf en quelques dispositions typogra-
phiques, des Anglais. Or, n'être précédé dans son pays,
et ne ressembler à aucun des glorieux étrangers,
n'est-ce pas exactement ce que l'on appelle l'origidalité?
Gustave Kahn.
La Parabole des ManTais Semeurs
Décidément, il n'y a plas moyen de s'amuser. L'austérité de
nos mœurs est devenue telle qoe c'est & peine si l'indignation
publique a le temps de respirer.
On n'était pas débarrassé de M"* Bompart et de son Monsieur
que, déji, l'aimable Fouroux et ses aventares amoureuses pas-
sionnaient le monde.
D'un bout de la France k i'anb«, on a jugé et eontrejogé ce maire
folâtre bqui notre galanterie proverbiale ne pardonne pas d'avoir
lâché sa maîtresse.
Aujourd'hui même que le verdict est rendu, cela continue et
les cafés retentiront sans doute, quelque temps encore des mugis-
sements décisoires de notre vertu.
Tout à l'heure, k cdié de moi, j'entendais vociférer un gros
homme que les débordements de H. Fouroux ne devaient certes
pas révolter beaucoup, et qui, néanmoins, demandait sa tête avec
des clameurs sauvages, en dénonçant à tous les souffles des cieux
l'iniquité scandaleuse de sa trop bénigne condamnation.
Pourquoi iaut-il que d'aussi généreux élans soient inexpli-
cables ï El comment n'a-t-on pas encore signalé l'universelle ano-
malie d'an biftme aussi déchatnéT
Car, enfin, la situation relativement intéreasanie de H» de
Jonqnière et le municipal goujatisme du Fouroux ne panisseni
pas suffisants pour fomenter une preille effierveaoeDce.
Ce n'est pas sans une hienr de bon seM qov iTflAiNe tféfeo-
seur de ce dernier personnage a fait remarquer l'absordilé de
mêler des questions de dignité d'homme il des questions de cri-
mioalité. « Crachez-lui au visage, s'est-il écrié, mais ne le con-
damnez pas ! »
La vindicte bourgeoise exigeait^^ an contraire, qu'on le con-
damnât et le galant maire n'aurait pas sauvé sa tête si la procé-
dure criminelle avait pu être remplacée par un plébiscite...
Remarquer, s'il vous platt, que le fond même de la cause,
l'avortemenl, l'infanticide, est complètement négligé. On s'en sou-
vient tout au plus et si la chose est rappelée, c'est uniquement
pour qu'il soit bien entendu qu'on a suivi toute l'afftire josqn'ea
ses détails les plus futiles, comme il convient \ d'équitables et
discernants justiciers.
On s'attendrit le plus facilement du monde sur la pauvre femme
que personne n'accuse d'avoir été une affreuse mère, et Fopinion
'■*'''7i::^'W^7^W
L'ART MODERNE
47
ne vilipende que le seul tmant dont les procédés fiingeai décon-
lidèrenl la chevalerie tradilionnellede nos rufBans.
n serait oiseux et probablement excessif de refaire, en «'accom-
pagnant de lamentations bibliques, le méritoire plaidoyer de
M* Hasson. Le ci-devant édile de Toulon, d'ailleurs, ne m'en-
flamme pas. Mais il me semble que le râle de bouc-émissaire pour
les surabondantes iniquités du bourgeois moderne est une puni-
tion bien insolitemènt décernée b un bambocheur très rudimen-
taire, en somme, qui a eu la maladresse de se laisser prendre.
Un centenaire pratique des hommes n'est pas nécessaire pour
savoir que le zéro qui a nom Fouroux marque rigoureusement
réliâge de la moralité contemporaine. Sans irembler ponr l'avenir
de Mb Ame, le premier pdieria venu peut affirmer, avec une éner-
gie de tous les diables, que les neuf dixièmes, au moins, de nos
citoyens altiers sont exactement au niveau d'âme de ce réprouvé.
' On ne remarque pas, en effet, que l'adultère soit un événement
des plus rares, et on ne remarque pas davantage que la fureur
des époux déçus produise des conflagrations homériques. On
s'accommode même très bien parfois des chasses-croisés de la
fantaisie. Quant aux conséquences physiologiques et sociales qui
peuvent résulter de ce rigodon général, les enfants eux-mêmes
n'ignorent plus les prophylactiques expédients préconisés pour
s'en garantir.
Qoand les plus suaves précautions ne suffisent pas, il reste tou-
jours, après tout, le médicament suprême, judicieusement admi-
nistré par d'ambidextres sages-femmes ou des Esculapes subtils
qui n'iront jamais au bagne.
Les pénitentiaires sont colonisés surtout par des poètes et des
maladroit*. Si la croftte bonrgeoise était soulevée, on aurait peut-
être enfin Vatâace de ce paradoxe et l'on se dirait, en jetant
autour de soi de paniques, de longs regards, que personne n'est
k sa vraie place et que tous les morls ne sont pas dans les cime-
Cela devrait crever les yeux, pourtant, cette indifférence
extraordinaire « erga corpus delicti », dans une cause criminelle
anssi passionnante. On devrait au moins demander^ice que cela
signifie.
Car, il n'y a pas ii dire, le coupable a été condamné par^I'opi-
nion, et.les juges même, non pas comme instigateur ou complice
d'un infanticide, mais comme noujat, simplement, comme amant
félon et discourtois, péché d'omission dont nul texte pénal ne
s'était encore avisé. La chose est si certaine que tout l'effort des
contradictoires plaidoiries a été poussé de ce cOté-i!).
Et le plus drOle, c'est qu'il est tout ^ fait inutile de présumer
en cette affaire, l'influence des femmes qu'on pourrait soupçonner
d'avoir senlimentalement égaré la justice. La turbulente sensibi-
lité des hommes a très amplement suffi, et l'inquiétude inavouée
de ce sexe fort doit tont de même donner à penser.
n est certain que le procès Fouroux a remué des vases pro-
fondes qni risquaient d'altérer l'azur d'une multitude prodigieuse
d'hypocrisies inconscientes. Soudainement on s'est senti très
canaille, très malpropre, très infanticide'.....
Les joueurs de maniUe les plus idiots, les plus encloués, ont
obscurément compris que le maire de Toulon les représentait aux
assises comme en un miroir concave, et l'épouvante les a rendus
implacables.
C'est pour cette raison sans doute que, d'un tacite et universel
accord, on a écarté le point essentiel dont l'indiscrète analyse
aurait pu désengourdir d'anciens crotales, ou de vieux vampires
dans des CBurs absous par l'impunité.
Les manoeuvres abortives sont implicitement ou explicitement
assimilées partout à l'infanticide et punies comme telles par les
lois écrites. L'émasculanle psychologie dont on nous déprave n'a
que faire ici. Soyez chastes ou soyez pères. C'est l'absolu de la
justice. Il n'y a pas d'autre issue que le crime et la redoutable
question est précisément de savoir bù la transgression commence
et où elle finit.
L'Eglise Romaine qui a recueilli le miel de toutes les sagesses
est, il cet égard, tout !t fait, inexpugnable dans sa ruche d'or. La
« coulpe », il ses infaillibles Yeux, commence et finit juste au
même instant que l'intentionnelle pensée du crime, car le Fait
brutal, dont le gros esprit des juges terrestres est forcé de se
contenter, n'est jamais pour Elle que rexiéricurc péripétie du
drame invisible.
Il est vrai que cette Raison surnaturelle qui dompta les peuples
est, aujourd'hui, passablement inécoulée, mais elle a laissé, fort
heureusement, de tels préjugés que le plus béittre mécréant est
forcé de se promulguer lui-même libre penseur pour ne pas
gémir trop amèrement sur sa propre canaillerie.
On fait ce qu'on peut, hélas! mais la vérité persiste, rédivive
comme un palimpseste dans le souterrain des cœurs, et cette
force cachée suscite parfois des champignous vénéneux qu'on est
convenu d'appeler remords, dont les délices même du^ billard
sont empoisonnées.
Je concède cependant assez volontiers qu'il peut se trouver
encore quelques bourgeois très âgés qui n'ont pas chez eux de
cadavres et dont les armoires ne recèlent point de bocaux sus-
pects. Hais si la Grand'Hère Eglise dont le seul nom les affole ne
s'est pas trompée et s'il y a vraiment autre chose que l'épisodique
gesticulation du péché pour sabouler la conscience, — on est
bien forcé de se demander, certains jours, quelle différence,
quelle disparate essentielle, quels abîmes de démarcation peuvent
exister entre les pratiques d'avortement que d'infamantes péna-
lités ont prévues et la plus ordinaire de ces conjugales superche-
ries que les Théologiens ont cataloguées froidement sous la rubri-
que des Prévarications homicides ?
L'honnSie langue française ne permet pas d'aller plus avant
dans un sujet aussi délicat. J'ignore même si j'ai pu dire quelque
chose. Mais, assurément, j'ai voulu dénoncer la présence d'un
peu de mystère sous le bavardage imbécile de ces derniers jours.
Mystère, il est vrai, de lâcheté sociale, d'hypocrisie collective
et d'ignominie profonde ! N'est-ce rien, toutefois, de surprendre
et de retenir un instant la preuve de l'assiduité d'un Dieu de jus-
tice résidant quand même au plus bas des gouffres humains qui
l'ont expulsé et récupérant, — par l'effroi de ses interrogations
silencieuses, — l'aveu tel quel du pressentiment des cieux?
LÉON Bloy.
r^
LE WAGNERISME HORS D'ALLEMAGNE
par M. Edmond Evenepoel.
Paris, Bruxelles cl Leipzig, 1891 ; un vol. in-8» de 300 p. (fr. Z-bO).
« Persuadé que rien ne saurait filre indifférenl de ce qui louche
aux grandes personnalités de l'art en général et de la musique en
particulier, l'auteur a tenu à rassembler, pendant qu'il en est
temps encore, des souvenirs et des témoignages écrits rappelant
les circonstances dans lesquelles les œuvres de Wagner furent
accueillies dans son pays. Il a pensé qu'un travail de ce genre
devait se présenter le plus possible sous une forme documentaire,
cl c'est à condenser, dans un élroit espace, un ensemble considé-
rable de matériaux qu'il s'est appliqué dans la mesure de ses
forces. Puisse la ISclie qu'il s'est imposée être de quelque utilité
à ceux que tenterait plus tard l'idée d'écrire une histoire complète
du Wagnérisme ».
En ces termes modestes, l'auteur du Wagnéristne hors d'Alle-
magne, noire érudit confrère M. Edmond Evenepoel, expose
l'objet de son étude. La lecture de quelques chapitres décèle tout
a'uirc chose qu'une compilation de documents. Avec beaucoup de
goût et de méthode, choisissant judicieusement les citations àe
manière b mettre en relief le fait important, M. Evenepoel fait le
récit des luttes que soutinrent, au début, quelques êtres témé-
raires, taxes de folie furieuse, pour implanter l'art neuf dans un
milieu réfractaire à toute innovation. Dans le champ de sa lan-
terne magique défilent les personnages qui ont joué un rôle dans
la campagne, les généraux, les soldats, et aussi les mameluks sur
lesquels on tapait ferme (ô les joyeuses bagarres ! et l'on se pren-
drait à regretter la victoire trop tôt conquise, si d'autres bouscu-
lades ne sollicitaient).
L nombre de pièces colligées, étiquetées, classées, mises en
vedeii ' ' u reléguées aux arrière-plans, suivant leur importance,
est prodig.ux. C'est un jeu de patience minutieusement assemblé
et auquel il ne manque, semblc-l-il, pas un fifrelin.
Certes, le sujet était passionnant pour un homme qui a pris
part à la bataille et qui, le soir venu, aime à en remémorer les
épisodes. Mais il fallait beaucoup de sagacité, d'habileté et d'art
pour arriver à le rendre attrayant même pour ceux qui n'ont pas
été mêlés aux événements relatés. El c'est ce que M. Evenepoel a
réussi à réaliser.
PARADOXES D'DN BIBLIOPHILE '"
Deux bibliophiles ne peuvent se regarder sans lire.
En fait de lecture, il n'y a d'amusante que celle des catalogues^
Le wnheur réside dans les choses introuvables.
Il n'y a pas de grand écrivain pour un correcteur.
La politique consiste à vendre des prospectus.
La poussière est la bave du temps.
Il y a quelque chose de plus beau que d'ôlre le premier, c'est
d'être le seul.
(1) V. l'Art moderne, 26 octobre 1890.
La fidélité est un sentiment lire & un seul exemplaire.
La jalousie est un amour dépareillé.
Il y a de bons classements, mais il n'y en a point de délicieux.
Les bibliophiles connaissent l'histoire comme les chiffonniers
connaissent la géographie.
Tout goût est la moitié d'une passion ; toute passion est la
moitié d'un vice.
Quand la collection est complète, il ne reste plus qu'à mourir.
La barbarie n'est pas autre chose que l'absence d'archives.
Toute religion repose sur un livre.
Une collection est un hochet, quand elle n'est pas un trophée.
Le paradis terrestre était une bibliothèque sans bibliothécaire.
Le mariage est un ouvrage en deux tomes reliés en un
volume.
Chari.es Dumerct.
Mémento des Eixpositloiis
Barcelone. — Exposition annuelle. — 39 mar8-31 mai. —
Envoi 26 février-7 mars. Notices: 26 février. — Renseignements :
Secrétariat de la Commission organisatrice. Palais de* Beaux-
Arts, Pasea Fujadas, Barcelone.
Bordeaux. — XXXIX< Exposition de la Société des Amis des
Aru. — 2 mars 1891. Envois : 1-10 février. Dépôt à Paris :
10-20 janvier, chez M. Toussaint, rue du Dragon, IS. Gratuité de
transport pour les artistes invités. — Reoseignemenls : Secréta-
riat de la Société, Galerie de la Terraite du Jardin public, Bor-
deaux.
Berlin. — 50™' anniversaire de la Société des Artistes. '—
Exposition internationale. — 15 mai. — Renseignements :
M. Anton von Wemer, directeur de l' Académie royale det
Beaux-Arts, Zimmerslrasse, 92, Berlin.
Lyon. — Quatrième Exposition annuelle de la Société lyon-
naise des Beaux- Arts. — Ouverture : 27 février. Renseigne-
ments : Secrétariat général, rue de l'Hôpital, 6, Lyon.
Milan. — Exposition triennale des Beaux-Arts. — l"-30 juin.
— Trois prix ;de 4,000 francs chacun, fondés par le. roi
Humberl, décernés à la, peinture et à la sculpture. Trois prix de
4,000 francs chacun, fondés par Saverio Fumagalli, décernés 11 la
«culpiure, à la peinture religieuse, historique ou de gen^e. Un
prix de 4,000 francs, fondé par Antonio Gavazzi,décçn>âia paia-
ture historique. Médailles et diplômes. — Les demandes d'admis-
sion devront être adressées au président, M. Emile Visconti-
Venosta, à l'Académie de* Beaux- Arts de Milan.
Moscou. — Exposition française. — 1" mai-oclobre. (Réservée
aux artistes invités). Dépôt avant le 15 février chez M. André, rue
Chaptal, 28, Paris.
Paris. — Exposition des Artistes indépendants (Pavillon de la
Ville de Paris). — Ouverture 20 Mars. Dépôt : 6, 7 et 8 mars. —
Renseignements : M. Serendat de Beltini, trésorier, rue du
Rocher, 56, Pari*.
Id. Union des femmes peintres et sculpteurs. — 21 février-
14 mars. — Droit d'exposition : 5 francs par œuvre exposée
(maximum ii payer : 20 francs). Dépôt : 6-9 février. — Rensei-
gnements : M"" Bertaux, présidenU, 147, avenue de VUiier*,
Pari*, et At. Olivier Merson, 117, boulevard St-Michel.
;■?<•" ;,^-i"KiY ,'■;>.'
?^.
VART MODERNE
49
Petite cHROfjiQUE
La première matinée organisée par les XX dans les locaux de
leur exposition est fixée ii Jeudi prochain, 43 courant, à 1 heures
précises.
M. Gustave Kahn, l'auteur des Palait nomade», fera une confé-
rence rar U Veri libre.
Sauf modification imprévue, des conférences auront lieu tous
les jeudis, pendant toute la durée du Salon. Les concerts sont
fixés aux mardis 17 et S4 février. II est question d'un troisième
concert qui aurait lieu le 3 mars.
Le prix d'entrée aux matinées des XX est de i francs.
Un nouveau cercle de peintres, les XIII, vient de se consti-
tuer h Anvers, à l'instar des XX. Une première exposition s'ou-
vrira, vers le 20 février, dans les locaux de l'ancien Musée de pein-
ture.
Les fondateurs sont MH. Emile Claus, Ed. De Jans, H. De
Smeih, Edg. Farazyn, Frans Hens, Romain Looymans, H. Luyien,
Charles Hertens, Léo Van Aken, Louis Van Engeicn, Piet Verhaert
et Théodore Verstraete.
Des invitations viennent d'être adressées ii quelques artistes
bruxellois.
La mort frappe durement le monde des artistes. La semaine
passée, elle a enlevé H. Emile Blauwaert, l'excellent baryton et
le charmant homme que tous appréciaient. H. Blauwaert, jadis
second violon au théâtre flamand, avait acquis comme chanteur
une grande renommée. Les œuvres de Peter Benoit, et spéciale-
ment le rdie du « Spotgeesl », la Damnation de Faust de Ber-
lioz, les drames de Wagner, trouvèrent en lui un interprète de
premier ordre.
On se souvient des succès qui l'accueillirent à Paris, où il
chanta pendant toute une année aux Concerts Lamourcux, et à
Bayreuth, où il reprit avec une grande aulorilé le rôle de Gurne-
manz dans Partifal. Bien qu'il n'eût jamais abordé la scène, il
joua et mima son personnage avec tant de dignité et de noblesse
qu'il fut classé du coup parmi les meilleurs artistes lyriques. C'est
lui qui devait créer le rôle du landgrave de Tannhduser, qu'on
jouera à Bayreuth cette année.
H. Blauwaert est mort en pleine maturité de vie et de talent.
On sait que les représentations du théâtre wagnérien de Bay-
reuth cotnprennent cette année les trois ouvrages suivants : Par-
siftti, Trittan $l Y$euU et TannMluter. Voici comment sont
fixées iés dates des représentations de ces trois ouvrages : Par-
lifal, les 19, 23, 26 et 29 juillet, 2, 6, 9, 12, 16 et 19 août ;
Tritlan et Yieult, le 20 juillet, les 5 et 18 août; Tannhàuser,
les 22, 27 et 30 juillet, 3, 10, 13 et 18 août. On voit donc que le
total des représentations est de 20, dont 10 pour Parsifal, 7 pour
TannhOuter, et 3 seulement pour Tristan et Yseult.
A propos de Meissonier, qui vient de mourir, cette jolie cita-
tion de Théophile Gautier :
« Chose rare, le talent de Meissonier a eu, tout au début, son
chez lui, sa maison hollandaise, b&tie à la fin du xvii* siècle, au
toit en escalier, aux petites fenêtres maillées de plomb, aux boi-
series de vieux chêne, au lustre de cuivre, aux tapisseries pas-
sées de couleur, aux faïences bleues et blanches, aux meubles à
pieds tournés, calme asile où la lumière discrète descend dans le
silence et où ne voltige jamais un atome de poussière. C'est là
qu'habitait sa peinture avant que sa personne y vint loger aussi ;
car l'artiste, dans sa délicieuse retraite de Poissy, qu'il peut
signer comme une de ses (oiles, a réalisé plusieurs de ses tableaux
avec colle volonté, ce fini et celle perfection apportés par lui ^
toutes choses. Il y a des chambres qu'il faudrait encadrer; elles
valent presque les peintures de maître, dont elles sont les copies ».
Dans une de ses dernières séances, le comilé de peinture de la
Société des Artistes français, présidé par M. Léon Bonnat, a
décidé que le nombre des tableaux admis au Salon, celle année,
serait de 1,800 au lieu de 2,S00, et le nombre des dessins de 400
au lieu de 800.
Il faut avoir visité les monuments de la Haule-Égypte pour
croire aux prodigieuses déprédations commises par les touristes
anglais dont les noms pullulent sur toutes les pierres en évidence,
et qui, pour les mieux placer, vont jusqu'il détacher h l'aide de
ciseaux les cartouches si merveilleusement laillés dans le granit
dont sont formées les colonnades. On croirait se Irouvcr là-bas
en une terre conquise d'où des envahisseurs barbares veulent
effacer jusqu'aux dernières traces des générations qui l'ont habi-
tée.
C'est mieux encore du peuple anglais que de nous-mêmes que
le marquis de Beaufort eût pu dire : On dirait qu'il prévoit sa
déchéance prochaine; car, chose élonnante, tandis qu'en Angle-
terre de grands seigneurs dépensent un revenu considérable pour
préserver les ruines qui se trouvent sur leurs domaines, les habi-
tants de ce pays, dès qu'ils sont à l'étranger, se hâtent de renver-
ser tout ce qui tombe sous leurs mains.
Mariette raconte quelque part, et cela remonte loin déjà, qu'à
chacun de ses voyages dans la Haute-Égypie, il retrouvait plus
profondément gravé sur le môme bloc de marbre, le nom d'un
voyageur d'oulre-Manche, qu'il ne manquait d'ailleurs jamais
d'effacer; la lutle dura ainsi pendant plusieurs années au boni
desquelles, peut-être par crainte de détérioration plus accentuée,
l'égyplologue se lassa.
Un fanatique vient de détruire à Omaha, dans l'état de
Nébraska, un tableau de Bougucreau, le Retour du Printemps,
qui avait figuré au Salon de 1875, et qui avait été pavé
90,000 francs.
Le commis aux écritures d'une maison d'ameublement de cette
ville, Carri Judson Washington, brisa une chaise sur le tableau du
maître avant qu'on ait pu s'opposer à cet acte de sauvagerie. Celte
toile représentait une femme nue, grandeur naturelle, avec plu-
sieurs amours voltigeant autour d'elle.
Washington, pour expliquer son méfait, a dit qu'il avait vu
plusieurs jeunes femmes regarder le tableau, etiju'alors l'idée lui
était venue d'agir comme le Christ l'eût fait certainement, s'il
était descendu sur la terre.
George Sand n'était point tendre pour la critique. Jugez-en
par ce passage d'une lettre qu'on vient de vendre au cours d'une
vente d'autographes.
« Prenez garde, avant de ramasser un gant quelconque de bien
savoir si c'est un gant. C'est peut-être un chiffon, l'ombre d'un
chiffon, comme tout ce qui sort du feuilleton critique, à quelques
exceptions près. La critique, en somme, n'exisle pas. 11 y a quel-
ques critiques qui ont beaucoup de talent, mais une école de cri-
tique, il ivy en a plus. Us ne s'enlendent sur le pour el le contre
d'aucune chose. Us vont sabrant ou édifiant au hasard, ils vont
comme va le monde. Avant de les provoquer, forcez-les de bien
s'expliquer. Je crois que vous les embarrasserez beaucoup. Je
vois chez eux beaucoup d'esprit, de savoir, d'habileté. Us sont
ingénieux, ils ont du style, mais de tout cela il ne sort pas l'ombre
d'un enseignement. Rien ne se tient dans leur dire, et ce n'est pas
trop leur foute. Rien ne se tient plus dans l'humanité ».
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1
ONZIÈME ANNÉE
L'ART MODERNE s'est acquis pv l'aatorité et l'indépendance de sa critiqne, par la variét dé tes
informations et les soins donnés à sa rédaction une place prépondérante. Aucune manifestation de l'Ait ne
lui est étrangère : il s'occupe de littérature, de peintpre, de soulptore, de gravure, de musique,
d'architecture, etc. Ck)nsacré principalement au mouyement artistique belge, il renseigne néanmoins aea
lecteurs sur tous les événements artistiques de l^étranger qu'il importe de connaître.
Chaque numéro de L'ART MODERNE s'ouvre par une étude approfondie sur une question artiftlqne
ou littéraire dont l'événement de la semaine fournit l'aotuallté. Les expotitiotu, les Iwre* nouvgtttm^ us
premières représentations d'œuvres dramatiques ou musicales, les conférences littéraires, les coneeriUk^ las
fentes d'objets dort, font tous les dimanches l'objet de chroniques détaillées. '"
L'ART MODERNE relate aussi la législation et la jurisprudence artistiques. II rend eompte des
procès les plus Intéressants concernant les Arts, plaides devant les tribananx belges et étrangars. Les
artistes trouvent toutes les semaines dans son Mémento la nomenclature complète des expOWltlOM et
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Faits et débats jndlcUlres. — JniiqniidaBce.
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Revue memuelle de litUrature et d'art
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PARAISSANT LE DIMANCHE
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Adreuer toutes le* communications d
L'ADiaMomuTioif atKÉBjAJs DE VArt Moderne, me de l^Indostrle, 32, Bruxelles.
?
OMMAIRE
Le Vbs Libbx. Conférence de il. Kahn aux XX. -^ Doco-
HKrra A ooHSBRVn. Le Canuxval dun ci-decant. A propot du
Salon dm XX. — EooiNB Smrs aoz XX. — Ls P*lk>di pas-
siomA, par Jean Moréas. — Sbookii ooncotT du Consebvatooie db
LiioB. — P«iiiB caaoHiQUB.
Le Vers Libre
Ck>nftrenoe de M. Gustave Kahn aux XX
MbBDAMES. Mb88IEU«8,
Je vais vous parler (fidées vieilles comme le monde,
immuables comme lai, mais qui, chaque fois qu'elles se
présentent aoos des aspects un peu nouveaux, ont le pri-
vilëj^ de provoquer un perpétuellement semblable éton-
nement.
Je vous parlerai du poème libre et de son moyen, le
vers libre, et nulle place ne me parait meilleure que
cette Bxpontion des XX ott se réunissent et se synthé-
tisent IfeB efforts des jeunes artistes tant Belges que
Français pour le plus grand bien de la liberté de l'art.
Reniarqaez-voas dans notre Uttérature cette sépara-
tion bien tranchée des poètes et des prosateurs. Des esprits
de hante valeur, des créateurs de prose originale se
refusent à écrire en vers, ne se découvrent pas le don
du poème; parmi ces réti& à la métrique vous rencon-
trerez des ChAteanbriand, des Flaubert, plus récem-
ment des Villiers de l'Isle-Adam ; à quelle cause pouvez-
vez-vous attribuer que ce soient spécialement des trou-
veursde coupes lyriques, d'épithètes à profonde couleur,
des inventeurs de paraboles précises , figurables en
quelques grands traits poétiques qui se refusent à Ten-
cbantement du mètre, tandis que de nombreux médio-
cres exclusivement sont versificateurs. Pensez aussi au
mépris que certains cerveaux spéciaux organisés ou
philosophes et amateurs d'art comme Taine, ont res-
senti pour la métrique du vers qu'ils ont qualifié irré-
vérencieusement d'ébénisterie poétique. Réfléchissez
que Baudelaire, le plus accompli versificateur que l'on
eût vu jusqu'à son apparition, a ressenti ie besoin
d'écrire acôté de ses Fleurs du >7iat,xin livre de poèmes
an prose; ne dit-il pas : • Quel est celui de nous qui n'a
pas, dans ses jours d'ambition, rêvé le miracle d'une
prose poétique musicale sans rythme et sans rime assez
souple et assez heurtée pour s'adapter aux mouvements
lyriques de l'âme, aux ondulations de la rêverie, aux
soubresauts de la conscience ».
Si le vers classique ou romantique, que nous appelle-
rons, pour nous y reconnaître; l'alexandrin, avait suffi
à Baudelaire pour exprimer l'ensemble complexe de ses
sensations poétiques, eût-il cherché à se créer une
forme, malgré tout le génie de l'auteur, destinée à
demeurer bâtarde ; mais au temps de Baudelaire la ten-
tative du vers libre eût été jugée folle, et de même que
M. de Banville a hautement regretté que V. Hugo n'ait
pas proclamé l'émancipation complète du vers, se sou-
mettant néanmoins, lui, Banville, aux dernières pres-
criptions draconiennes de l'ancienne prosodie, aussi,
Baudelaire s'est arrêté devant l'émancipation du vers.
^^'■S'%W'f^
— Qu'est-ce qu'un vers? C'est un arrêt simultané de
la pensée et de la forme de la pensée. — Qu'est-ce
qu'une strophe? C'est le développement par une phrase
en vers d'un point complet de l'idée. — Qu'est-ce qu'un
poème? C'est la mise en opposition par ses facettes pris-
matiques qui sont les strophes de l'idée tout entière
qu'on a voulu évoquer.
Un livre de vers, c'est-à-dire le poème le plus long et
le plus complet qu'on puisse se figurer, doit donc pré-
senter un tout homogène éclairant de toutes ses facettes
de strophes, un courant de sensations poétiques conçu
dans une unité.
Je m'explique : Un livre de vers qui n'est pas conçu
comme je l'indique, ce sont ces nombreux albums
publiés sans raison apparente où des madrigaux et des
nocturnes alternent avec des fantaisies mythologiques
et des épltres. Un poème qui est conçu autrement que
je l'indique, ce soni les longs poèmes en récit, mise en
scène dun fait historique, coupée d'apostrophes et
d'appréciations critiques, coulées dans le moule uni-
forme de l'alexandrin en tirade, et revêtant de la même
robe grise des sentiments d'ordres absolument diffé-
rents; des strophes d'ancien système sont celles qui
voisinent pêle-mêle, toutes de quatre vers, ou toutes de
six vers, ou toutes de huit vers, pour traduire indiffé-
remment toutes les idées qui circulent dans le poème.
'Des vers d'ancienne formule, ce sont ces lignes de prose
régulièrement comptées, et qui ne sont vers que par le
crédit qu'on accorde à leur sonorité finale, de reparaître
à une ligne ou, au maximum, à deux lignes plus loin.
Le vers libre doit exister en lui-même, sa preuve d'exis-
tence est l'allitération de ses syllabes intérieures et le
rappel de ses syllabes en assonances daas les vers sui-
vants : Le groupement complet de ces allitérations et
assonances forme la strophe ; les différents vers de la
strophe doivent être apparentés par ces syllabes et
assonances. Les strophes se commandent l'une l'autre
et s'influencent; on ne peut les faire semblables de
rythmes et de coupes que lorsqu'elles figurent une
pnase semblable de l'idée ; lorsqu'elles représentent une
phase diflérente, elles doivent être construites différem-
ment d'après leur réalité intérieure; quand elles repré-
sentent un contraste à l'idée exprimée par la strophe
précédente, la strophe doit être bâtie aves des rythmes
et des assonances contraires ou contrariées. La ques-
tion de la' césure n'existe pas ; il peut y avoir césure
après chaque pied du vers ; la question de la césure n'a
d'ailleurs jamais sérieusement existé. La question de
rimes n'existe pas, puisque, au lien de terminer deux
lignes par des sonorités semblables, vous apparentez
toutes les syllabes et créez ainsi forcément une grande
quantité de rimes à l'intérieur de la strophe.
La théorie sans exemple est sèche et risque d'être peu
comprise^ Vous me permettrez de lire un poème dont
les vers se démontrent par leurs allitérations. (Lecture
de vers).
Les musiciens connaissent au moins deux variétés de
bonne musique; ils admirent les grandes œuvres archi-
tecturées des Beethoven, des Berlioz, des Wagner, des
César Franck, ils aiment les fragments des maîtres
savants, soit quatuors, soit mélodies, mais aussi ils
écoutent avec joie les chansons populaires, et telle
musique spéciale comme les csardas des Tziganes.
Le poème a besoin d'une égale distribution dans les
goûts de ses lecteurs ; et les poètes du poème libre deman-
deront à ce qu'il leur soit permis deux sortes d'œuvres,
les premières : chansons ae guitaristes nomades, épopée
brisée en mille flexions, en mille chansons; que si
le poète part le long des routes en soleil, il chante
l'alhire de sa marche, de ses rencontres, du paysage
qui le charme un instant; que ses chansons brèyes
accrochent en des rythmes instantanés et aventoreux
toutes les mobiles pensées, toutes les diverses Incar-
nations de nature qui saillent de son âme encore
jeune, encore dépourvue d'esprit critique et d'élec-
tion, qu'il réveille en chemin l'écho des chants popu-
laires, qu'il guitarise ses sérénades, qu'il gnitanse
avec ses nerfs, sa passion et ses philosopbies préma-
turées ; il importe peu que l'instrument sonne trop fort,
qu'il sonne sans mesure, qu'il disproportionne ses dou-
leurs ou ses joies, rien n'importe si le jeune chanteur a
la voix franche et assurée. Si le jeune poète es sûr
devant lui, môme de la vérité passionnelle de sa poésie,
son seul devoir est de donner à ses balbutiements da soi
la forme la plus nette et la plus personnelle. Il n'im-
porte aucunement que son éclat de voix revête des
allures entièrement différentes de la tradition: plus
ses arpèges seront siennes et inentendnei, plus y aura
raison pour lui et pour les autres ; tout rythme auda-
cieux et fittinc a chance de vivre et ce i>oème doit se
rythmer sur la première impulsion poétique de l'idée
dans la cervelle de son créateur et non s'élaborer d'après
de vieilles et surannées métriques.
Les plus rancis des fauteurs d'alexandrins sont les
premiers en tant que dilettantes à chérir les chan-
sons envolées des lèvres à» peuple, ce qui veut
dire de l'âme de vieux anonymes, ils sont folluoristes,
c'est-à-dire que devant toute chanson naïve et spontanée
comme des conservateurs de Musées, ils s'inclinttit et
cataloguent : maître inconnu. Faut-il vous rappeler
pour Tes Allemands, le cor merveilleux de l'entant?
vous savez, certes, les trésors que Gérard de Nerval a
exhumés des chants populaires d'Ile de France, et ce
qu'à sa suite de simples érudits ont déterré dans les
complaintes de vieille France. C'est la sincérité, l'émo-
tion pure et la plastique, apparente en quelques traits
principaux de ces chansons que le poète doit trouver
pour ses rythmes de jeunesse; alors il sera comme les
trouveurs de ces vieilles mélodies et danses d'auteurs
inconnus, il sera le Trouvère, le Trouvère des chassons
de son cœur, par conséquent de tous les cœurs ayant le
sens lyrique. Dans l'infinité de rythmes qui se presseront
en sa cervelle, il pourrit choisir ceux qui, ploa tard
mieux connus et plus étudiés, serviront a sas oBavres
de maturité; ce sont ses œuvres premières que je com-
parais aux rapsodies des Tziganes, ce sont les secondes
que je comparerai aux œuvres architecturées des musi-
ciens.
Les combinaisons du vers libre sont infinies ; il y a
autant de rythmes que de nombres premiers, autant de
combinaisons de rythmes que de combinaisons de nom-
bres premiers. Ceci peut s'affirmer théoriquement et, à
l'heure qu'il est, heure de début où rien ou presque
rien n'est fait, tous les rythmes doivent être tentés.
L'expérience saura nous avertir que certains rythioes,
théoriquement possibles, ne nous donneraient pas la
valeur d'essence ou de sonorité demandée. Mais encore,
pour écouter l'expérience, faut-il produire et publier
tout rythme. L'hérédité littéraire nous a légué quelques
'*;'^âp;|!f'fss''^s%\v'
L'ART MODERNE
53
cas élémentaires de strophes, quelques autres cas ont
été i^oatés; le patrimoine du jeune poète se composera
donc de l'ancien vers monotone et ses diverses applica-
tions et de quelques nouvelles combinaisons de strophes,
aussi de nombre de vers de treize, quatorze, quinze
et seize pieds.
Il faudra, pour des poèmes qui ne seraient plus un
chant personnel mais une incantation hors de l'âme,
que tout sentiment fût revêtu de sa strophe nécessaire,
que tout acteur de ce drame chanté parl&t sa voix, que
tous ces chanteurs du drame soient particuliers dans
leurs sonorités, et que leur personnage décrit, on ne les
(misse concevoir autres que le poêle les montre; c'est
à l'amlution du poème libre et la tâche & remplir.
Ob M troofveraient If^^.wijets de poèmes? Pour la
première période de Fartiste, nous l'avons dit, dans sa
séntttioii personnelle, ce qu'un ancien eût appelé ses
élégies et ses odes ; après, dans l'infinité partielle du
monde, une minute de vi^-contient les siècles, et si les
conteinporains, occupé»; ne peinent guère qu'à quel-
ques nunistres eflîquelques faire historiques, pour le
poète la vie commence aux mythes indous, aux bibles
juives, à tontes les légendes dey toutes les races. S'il se
Dornait à prendre une légende et la traduire telle quelle,
il ne ferait qu'une besogne d'écrivain naturaliste ; s'il se
bornait & la passementer d'ornements et d'intermèdes, il
ne serait qu'un décorateur ; il doit se servir des légen-
des en les renouvelant entièrement et les refondant à
son usage pour parler plus amplement sa voix moderne.
Tout ce que ne peut dire un humain en habit noir, il
peut le transférer dans la légende (sans en abuser) et.ce
serait l'explication du goût qu'ont les jeunes écrivains
pour des anciens dont 1 effort est, à tout prendre, moins
considérable que celui d'un Balzac ou d'un Dickens;
c'est qu'avec eux on arrive à l'air respirable d'où l'on ne
voit plus la vie contemporaine et qu'avec eux on tente
de sépanonir plus ou moins vainement vers le pur
lyrisme.
Je pui» dès à présent vous indiquer une esthétique
du poème différente de celle employée généralement,
qui consiste en un récit plus ou moins orné ; j'ai tenté,
ni'inspirant des beautés de l'arabesque, de traduire
l'idée conformément à mon système, nun pas en la
racontant et la déduisant à la suite, mais en en tradui-
sant, à part, comme indépendantes, toutes les facettes
ou tous les moments de la sensation. Au lieu d'indiquer
narrativement qu'un personnage ressent certaines émo-
tions, je traduis cette émotion en une pièce indépen-
dante. C'est le groupement et la suite de ces pièces qui
§ résente l'idée, la première pièce donnant le point de
épart, la dernière le point d'arrivée, et les pièces inté-
rieures la suite des idées par laquelle est passé mon
personnage désigné ou anonyme. La numérotation
des pièces indique l'ordre logique , ce qui permet de
faire résonner dans le même poème une grande partie
des gammes du vers ; dans un poème : la Nuit sur la
lande, dont ce court exposé m'interdit la lecture totale,
j'ai tenté de donner toute la succession des rythmes
d'une idée, j'en choisirai deux fragments l'un contenant
le plus large rythme libre du poème, l'autre le plus
serré; le premier fragment est libre, parce qu'il repré-
sente la voix seule du personnage du poème; le deuxième
est un rythme précis parce qu'il représente comme une
voix étrangère, comme une chanson entendue par le
personnage. — Voici ces deux fragments :
Ces deux pièces, opposées l'une à l'autre, pourront
vous démontrer la variété de moyens dont dispose le
vers libre, car outre les ressources nouvelles de l'inven-
tion de nouvelles strophes, il peut appeler à lui les
ressources des anciens rythmes, et certainement le
poète peut avoir besoin d'écrire de petites pièces dans
le style ancien, ou bien faire contraste à des strophes
basées sur des imparités par des pièces binaires, c'est-
à-dire à coupes égales comme les anciens poèmes; il
peut aussi, en contraste aux strophes allitérées et
assonancées, se servir de toutes les ressources de
l'ancienne rime pour indiquer et traduire, par exemple,
une sensation du passé. Le vers libre doit être complè-
tement libre, aucune ressource des métriques anté-
rieures ne doit lui être défendue — c'est là son progrès,
<Jar possédant un plus vaste clavier, il évoquera les
ressources de l'ancienne métrique, non plus comme un
inéluctable Noël et Chapsal, il ne les vêtira plus comme
un uniforme, mais s'en servira comme d'un appoint à
ses connaissances poétiques personnelles.
C'est une vérité d'ordre primaire que les habitudes
d'écrire influent sur les habitudes de penser, c'est ce
que l'on veut dire lorsqu'on parle en gros des influences
réflexes de la forme et du fond. La poésie est dans son
essence, le développement complet par un artiste du
type de beauté qu'il perçoit.
Pétrarque, saisi par un type de beauté obsédant, évo-
quera Laure de Nove dans des alternances de sonnets
et de canzone, Pétrarque agit ainsi de par son temps et
les ressources de sa langue. Gœthe, d'autre temps, aura
besoin des deux Faust parce que, étant d'une époque
critique et non plus simplement poétique, il doit, pour
être Dien compris, expliquer en même temps que son
idéal de beauté universelle, les différentes phases de sa
conception et presque les anecdotes de sa route vers le
type de pure oeauté. Nerval spécifiera son idéal par
trois œuvres simplement juxtaposées : Aurélia, Sylvie
et ses merveilleux sonnets, trop peu nombreux, car
certes Nerval est un exemple des plus frappants d'un
pur poète, rejeté dans la prose par les petites incommo-
dités et les petits ridicules du mètre classique. Henri
Heine n'a pu développer cet idéal de beauté qu'en en
donnant immédiatement la contre-partie, procédé qui
Tîonsiste à montrer le rêve au lecteur et en augmenter
la puissance par l'immédiate présence de la réalité.
J'ai choisi ces quatre noms pour vous montrer com-
bien devient plus difficile à chaque génération la réali-
sation de ce rêve nécessaire à tout poète : la traduction
de tout son idéal de beauté. Pétrarque n'a à s'occuper
que de lui-même et de sa chanson. Gœthe doit s'expli-
quer lui-même; Nerval croit devoir chercher chez
d'autres races, d'autres climats, et vers l'ensemble de
tous les mysticismes, cette preuve que son idéal de
beauté est légitime. Heine a cru devoir mettre en glose
à ses chants, à côté de légendes, l'histoire, même anec-
dotique, de sou temps. Kn face de quel accroissement
de besogne se trouve encore le poète moderne? C'est
pour cela, à cadSe des difficultés même de la tâche,
Su'un poète du vers libre doit demander au lecteur,
'abord, de ne pas considérer ses ouvrages comme for-
tuits, et d'admettre que tout rythme nouveau, en dehors
de sa valeur poétique, sert à épargner une longue
digression sur l'état psychique de l'auteur, et qu'il faut
tenir compte de ce rythme comme du reflet voulu de
son intonation et de sa voix personnelle.
■l'^l^iii^^^r^'^i^
-{t: if^'j^'s
y'«f?»*a
54
L'ART MODERNE
Ces tendances, dans leur généralité, ont été défendues
en Belgique par fArt moderne, la Jeune B^gique et
la Wallonie. Je les ai expliquées moi-même dans la
Revue indépendante et voici un fragment qui posait
nettement une autre partie de la question. Pourquoi
l'on fait du poème et tel qu'à présent.
Dans des époques très encombrées d'affaires et d'ef-
forts dépensés pour le simple droit de vivre, il existe
toujours nombre de mystiques épris d'art, d'autant plus
mystiques que leur époque est plus positive. Les
hommes maîtres du courant d'affaires traitent les poètes
de névrosés et déclarent qu'une époque signalée par de
telles productions n'est pas normale.
Or, ce malheureux temps est bien loin d'être nor-
mal ; et, si l'on admet que c'est une des gloires du
moyen-àge.que dans cette période de force et de guerre,
il ait existé de purs mystiques affolés d'amour de Dieu
et d'espoir en Dieu, pourquoi ne point vouloir qu'en
notre période d'aflaires, strictement d'affidres, il soit
des poètes se confinant dans l'intellect pur et disant
pour eux, pour les initiés existants, pour les initiés à
venir, la chanson de leurs sensations, sans s'occuper
des exigences populaires, sans travestir le schéma de
leur pensée sous la forme de conversation qu'utilisent
les poètes et les romanciers classés ; et si parfois le but
peut-être est dépassé, si le livre ou le poème ne contien-
nent pas toute la sérénité qui parent l'œuvre d'un clas-
sique, peut-être cela vient-il de ceci que :
Si l'on développe une idée, en voulant enfermer dans
sa traduction ses origines et son mouvement et l'accent
personnel d'émotion qu'elle eut en émergeant de votre
inconscience, on est exposé à faire un peu embrouillé
en croyant Caire complet ;
Que si l'on se borne à donner de cette idée la grosse
carrure, presque le fait matériel dont elle est la repré-
sentation, on a bien des chances de la traduire sans
nouveauté; car, toutes choses ont bien près de six mille
ans ; elles ont peut-être davantage.
Le premier jour où un pâtre arya modula une ono-
matopée admirative ou joyeuse ou éclata en sanglots,
le poème était fondé, et le poème ne servit depuis qu'à
développer le cri de joie et le cri de douleur de l'huma-
nité. Or, les sérénités pures se traduisirent habituelle-
ment par les architectures théoriques des Moïse, des
Pythagore. des Platon, etc., les besoins de certitude
par les Euciide, les Galilée, etc., tonte l'expérience,
toute la science des formes tangibles s'analysa. Le
poème fut sans cesse ou l'évocation de la légende (la
concrétion des aspirations d'une race) ou son cri
d'amour joyeux ou triste. Ajoutez à cela qu'alternative-
ment ce poème fût en son écriture abstrait et quasi
blanc, soit que le mysticisme humain fût, dans le plus
large sens du mot, religieux (charité, solidarité, pas-
sion), soit qu'il fût idolâtre icoloré, paien. réaliste); au
second cas la recherche d'une forme fluide, libre, musi-
cale et vraie, car en l'essence même de la poésie elle
s'adresse à l'oreille tout en cherchant à fixer des atti-
tudes; au premier cas, souvent rocailleuse et dure un
peu, préoccupée de figer de simples et élémentaires
polychromies. Mab ces deux formes d'art qui parfois en
des époques troubles peuvent être maniées par le même
poète, sont surtout et avant tout diflérentes et de la
forme expérimentale de la science courante, et de
l'allure explicative de la littérature courante. En
somme, la marque de cette poésie serait d'être pure-
ment intuitive et personnelle, en opposition aux formes
traditionnelles, qui sont simples car déjà toas, claires
parce qu'explicatives. Or, le lyrisme est excloaiTe-
ment d allure intuitive et personnelle, et la poéne va
dans ce sens depuis cinquante ans (Hugo, Gantier,
Nerval, Baudelaire, Heine), et rien d'étonnant à ce
qu'un nouveau pas en avant &s8e paraître le poète
comme chantant pour lai-méme, tandis qu'il ne fiut au
fond que sjllabiser son moi d'une fiM^on asses profonde
pour que ce moi devienne un soi, c'est-à-dire l'Ame de
tous ; et si tons ne s'y reconnaissent pas tout de suite,
c'est peut-être que les formes sensationn^es percaes
par le poète ne se sont pas encore produites ai eux,
que peut-être il follait que le poète les pei^fit le premier
pour qu'une génération nouvelle inconsciemment s'en
imprégnlt et finit par s'y reomnaltr». En fiu», la litté-
rature tradititumelle continue son train-train, die conces-
sions en concessions, et détient Intelligence pcqmlaire,
ravie d'entrer sans efforts dans des aravres d'apparence
renouvelée.
Faut-il ajouter qu'en un art serré, une technique
bien comprise du vers, il but éviter tonte explicatim,
tonte parenthèse inutile, et que peut-être ces néces-
sités imposent au lecteur de se placer d'abord, par une
première lecture, en l'état d'esprit du poète, et de ne
comprendre complètement qu'à une seconde lecture. -
Le
poèi
emporte cl
écouter battre une
sincérité absolue
^'a pas comme ample ambition le
dit; à côté de l'orarre que !'<»
qu'on lit près de son feu, pour y
, il en est une autre de moins «te
de plus d'apparat, l'œuvre de
théâtre : le drame. D est &cile à penser que des artistes
assez soucieux du rythme personnel de chaque sensation
pour fondre des strophes nouvelles, pour les diverses
inflexions de voix qui vous arrivent comme une voix
blanche à travers les pages d'un livre, il est certain que ces
artistes n'admettraient pas oue des personnages vivants,
éclatant en pleine scène, dialoguent monotonement leurs
accents et leur choc de passion . Si sur un point quelconque
de l'art le vers alexandrin pur a été condamné c'est au
théâtre; l'ennui de la tragédie classique avait suscité
les romantiques qui s'aperçurent très bien que le déCaut
des bonnes oeuvres de cet art était la poinpeose mono-
tonie — je n'en reprocherai pas plus a M. Leconte de
l'Isle. Les romantiques cherchèrent un remède ; comme
ils étaient, surtout ceux qui purent conquérir le théâtre,
desesprits d'une médiocre qualité inventÏTe, ils tnaseti-
virent tel quel le système poétique du gtoie le plus
méconnu par les classiques. Nous eûmes alors l'inter-
calation obligée des parties comiques dans le drame, tra-
dition qui dure encore au mélodrame ; car il ne bnt pas
voir dans le théâtre romantique que le Roi s'canuse ou
Ruy-Blas entachés des mêmes débuts que le mmu
fretin des pièces environnantes, mais couvertes delà
gloire d'un grand nom. — Dans ce théâtre emprunté
aux habitudes shakespeariennes, les romantiques em-
ployèrent strictement le même vers que les clûsiques.
La différence fut uniquemoit dans quelques entrées de
clovm et une prodigieuse variété de costumes et d'éti-
quettes. — Le même drame se passa sous toutes les
latitudes et sous tous les climats.
L'erreur des romantiques sur ce point, comme en
beaucoup de points, à propos du vers, était de tenter
d'innover par la langue, et non par le rythme — quand
;-. B ;'^':'-'^/Jï.»^ ?
loar bible progrès de langne fiit absorbé par l'nsage,
lear rythme monotone n'avait plus aocane valeur de
nonveanté. Cest l'ennui nouTeau engendré par cette
nouvelle monotonie qui précipita le public vers les
fitoheux Poosard et les désastreux Sardou, c'est par
cette m<Miotonie que le drame en vers est écarté des
scènes, an plus grand profit des éditeurs de pièces
naturalistes, pièces coupées par des manœuvres, pure
spéculation qui n'a rien à voir avec l'Art.
C'est aux artistes du vers libre qu'écherra la t&che de
réveiller le drame, de le ramener en scène avec des
personnages existant non seulement en leur rAle arbi-
traire de néros, mais existant linguistiqnement, poéti-
quanent par l'accord de leurs voix et de leurs gestes et
pouvant chanter leur douleur ou joie en strophes
exactement déterminées pour le sentiment qui les
emplira — ils s'incarneront comme en couplets aussi
vivaoeset tenaces àUi mémoire que les héros des grands
drames lyriques.
A première vue, tout poème est libre, car personne
n'est forcé d'écrire des vers, aucune loi d'Etat n'a pro-
mulgué de canon poétique; pour tout poète, la pièce de
vers est un pur acte de désintéressement, toujours elle
évoque une idée de liberté d'art, opposée à l'idée de
commande d'art, abstraction &dte des cantates, des
poèmes patriotiques, des livrets d'opéras et des gazettes
rimées, œuvres absolument de commande, et souvent
de commande efiisctive.
A deuxième vue, cette illusion disparaît. Leurs
Majestés les habitudes se trouvent avoir décrété ce
canon poétique qui, s'il n'est dans la loi, passe dans les
mœurs des lecteurs de vers. Un rythme est décrété,
rythme renouvelé tous les vingt ans par des novateurs
plus ou moins hardis, mais demeurant décrété tous les
vingt ans avec quelques modifications de plus. Ces
modifications ont-eUessufS aux novateurs? jamais. Mais
ils s'endorment sur des premières victoires qui amènent
un compromis, et vingt ans plus tard de plus modernes
novateurs viennent réclamer une place plus libre pour
une métrique plus élargie.
GUSTAVX Kahn.
Se
JOCUMENTp A CONgERVER
Le Carnaval d'un ci-devant
A PROPOS DL SALON DES XX.
La coulnme est, en cet Art moderne, déjii décennal en ses
luîtes pour l'art neuf, l'art jeune, l'an libre, l'art qui marque
rioépuisable transition, l'inépuisable évolution, d'enregistrer,
d'afficher au pilori les insanités des malbeureux à qui le destin
inflige la mauvaise chance d'attaquer et de vilipender, bêtement,
ce qui, dans un prochain avenir, doit apparaître la vérité et
devenir la gloire.
Combien de fois d^i fut ici icniée l'épreuve, et combien de
fois réussie.
Non pas qu'il importe d'humilier ces pauvres et de les ramener
un jour, piteux et lamentables, devant la foule impitoyable en ses
lardib sarcasmes, à la puanteur de leur vomissement. Mais l'anec-
dote est éducatrice et corrige quelques imbéciles de la manie de
dénigrer ce qu'ils sont inaptes à comprendre. Elle extirpe aussi
da public la niaise confiance eu ces vaticinaieurs de contrebande.
U est Inutile résultat.
A propos du mouvement qui va gagnant, gagnant, irrésistible,
dans tous les arts, du dédain des vieilles formules, à la recherche
du rajeunissement, mouvement dont les XX sont l'allègre expres-
sion chex nous, ils sont encore quelques-uns, de plus en plus
isolés, qui crachent de la bave et pètent du feu. Moins convain-
cus, qu'on ne pense, vis-^vis de leur conscience, mais pris de la
rage d'avoir mal compris ^ l'aube, et d'avoir proféré les paroles
bruyantes et les jugements solennels qu'on ne peut rétracter sans
honte.
Ceox-lï s'obstinent, avec l'opiniitre brutalité de la sottise an
front de taureau. Rancuniers aussi, au souvenir des mépris, tan-
tôt silencieux, tantôt vocifératoires, qui les plombèrent lors de
premiers décris. Rancuniers, oui, ceux surtout ii'^ui pourrait leurs
aller cette phrase cautérisante : Ils halstent de toute la haine du
renégat pour la foi qu'il a trahie.
Voici une de ces éjacnlations d'une âme incurablement endo-
lorie. Elle est d'Achille Chainaye, dit Champal, ci-devant ving-
tisle, qui, allant vers l'art, a fourché vers le reportage. Que Dieu
ait en paix son Sme et sa plume. Théodore Hannon, à qui
J.-K. Huijsmans a récemment arraché les épaulettcs qu'il lui avait
données dans A Rebours, et Max Sultberger, qui n'eut jamais
d'épaulettes, complètent avec lui l'orchestre ambulant qui chari-
varise, sans que nul leur jette encore un son, dans 1rs cours, ^
propos des XX.
« Le vingtisme marque le pas ; il n'y a aucune amélioration, ni
aggravation, dans son état. Les pustules dont l'envahissement
avait jeté un si vif émoi chex tous ceux qui s'intéressent i la
marche de cette affection semblent devoir A jamais défigurer cet
intéressant malade. Le « pointillisme » que les Vingtisles se sont
inoculé en famille s'est incrusté en eux avec la tenaillante opiniâ-
treté de la lèpre. Mais cette maladie qu'ils ont contractée dans
leur enihousiaste aberration revêt à présent un caracière chro-
nique. •
o Comme tous les malades qui lanpissenl, les Vinglistrs voni
perdre une i une les sympathies qu'ils avaient retenues jusqu'ici
à leur chevet. Que voulez-vous? on aime les solutions fou-
droyantes. On avait rêvé quelque agonie effroyable, coupée d'hal-
lucinations, et l'on a.«siste i la lente liquéfaction des ferments qui
promettaient une si jolie éruption : le public est volé.
« Si c'était pour finir ainsi, il fallait se soigner chez soi, entre
quatre murs, dans la pénombre d'une alcôve et ne pas avoir l'ou-
trecuidance de convier i ces choses-là cent mille personnes.
a La foule est exigeante ; elle n'aura certes pas la charité de
suivre le vingtisme dans les dortoirs de l'hospice, où il ira finale-
ment cuver sa lymphe. Les manifestations du ramollissement
sénile manquent "généralement d'impré>-u. Fallait-il se faire ino-
culer pour cela !
« Cette année, comme dans les exhibitions précédentes, ce
sont les invités qui i^ussissent à capter la plus grande somme
d'intérêt 11 convient de placer en première ligne Seorat, un des
maîtres fous qui ont le plus influencé la tendance viogtisie.
« Le Chakul, mieux encore que la Grande Jatu, d'hilarante
mémoire, vous donnera une idée exacte du degré d'aberration que
l'on peut atteindre dans la pratique de cette doctrine abracada-
brante qui consiste à nier tout ce qui existe et à créer une formule
nouvelle quand même. Seurat, ce pontife de la peinture aux pains
à cacheter, ce recommenceur marqué du sceau du génie, dessine
et barbouille avec la plus suprême ignorance des correctionnaircs
de Vilvorde.
« Il y a, là-bas, à la prison militaire, des fresques exécutées
dans un sentiment aussi vingtiste que celui du Chahut. Combien
Seurat ne jalouserait-il pas ces pauvres diables qui peignent sans
se faire violence d'aussi absolues atrocités? Ceux-là au moins sont
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■■f^»-&;*W^
^Wiy-
de vrais primitifs. Exempts de tout remords, une brosse de badi-
geonncur au poing, ce n'est pas le souvenir de quoi que ce soit
qui pourrait contrecarrer leur vocation. Ces Seurat avant la lettre
ont orné (!) d'allégories, dessinées et peintes comme les person-
nages du Chahut, toute une série de salles — les Loges de Vil-
vorde, quoi !
« Les impressionnistes du cercle des XX, qui doivent blimer
c'nergiquement les sculpteurs Dubois et Cliarlier d'avoir résisté à
rcnlralnemenl ambiant, persévérant dans la voie de l'art en dépit
des mauvais exemples dont ils sont entourés, ont convié à leur
saturnaic poinlillisle un sabotier digne d'eux : M. Gauguin. Ce far-
ceur — je ne puis m'imaginer qu'il se prenne au sérieux —
sculpte à grands coups de gouche des bas-reliefs en bois poly-
chromies qui rappellent, hormis les sujets, bien entendu, les
vieilles enseignes flamandes. M. Gauguin, qui en remontrerait au
staluairc (!) Minne, a entrepris de sculpter à la Seurat des scènes
érotico-énigmaiiqucs H Ces bas-reliefs : Sm/e» amoureutet, vaut
serez heureuses, clSoyet mysUrieuses, dépassent loules les limites
de l'inscnséisme.
« Je vous recommande ces nudilés-b. Jamais les cannibales
n'ont sculpté d'êtres aussi répulsifs. Aussi ces oulrages plastiques
amcutcnt-ils litléralement les visiteurs, à la grande satisfaction
des Vingtisles, dont toute la doctrine consiste à froisser le senti-
ment public, i faire la nique à ce que tout le monde admire.
« C'est une manie. Ils rééditent, sans s'en apercevoir, les gami-
neries des rapins d'antan, traitant également de bourgeois, de phi-
listins, etc., les personnes de bon sens qu'ils ne parviennent pas
à embobiner. »
Et voilà ! Acte t'en est donné, mon bonhomme. Ton fusain est
fixé. Tu es mesuré, examiné, jaugé, et tu as ta fiche, comme
dans les casiers anthropométriques de la Sûreté. Il n'y a plus
moyen de t'en dédire. Quand, tôt ou tard, un historien fera le
récit des vicissitudes de l'Art neuf, on citera ton susdit morceau,
comme un homme de talent l'a fait récemment pour les hyper-
crétins qui ont traité la musique wagnériennc, il y a vingt ans,
absolument comme tu traites, ô triste sire, la peinture de Seurat.
Eugène Smits aux XX
A un grand ariisic, à une très noble âme, silencieuse et fière, à
un homme qui, ayant vécu et vivant encore le passé, aime les
jeunes, les novateurs, et le prouve par une virile camaraderie
d'an, voulant vivre leurs travaux et leurs périls, nous rendons
d'un cœur reconnaissant et affectionné ce public hommage de
reproduire les lignes suivantes légitimement écrites en son hon-
neur par Emile Vcrhaeren dans la Nation ;
u Nous aimons k insister sur l'exposition de M. Smits. En ses
différentes lêies de femme, on sent une manière bien k lui d'en-
tendre là grâce vive et riche. On a dit si souvent qu'il rappelle les
Vénitiens, que la phrase est devenue cliché. Or un cliché est bien
près d'être un mensonge. Ni Veronèse, ni Titien ne nous hantent,
à voir sa présente série d'envois. Surtout ne songeons-nous à eux'
devant \'Èté.
« Ces tons apaisés, ces couleurs voilées et délicates, ces sour-
dines aux sonorités de la palette, ne sont-ils point contraires ii
toute la bruyante fanfare des verts, des roses et des bleus
italiens? L'harmonie de celle allégorie fine et grise plutôt qu'écla-
tante, elle est spéciale au peintre, elle le date de son époque,
elle atténue fort cette parenté directe qu'on veut établir entre lui
cl les peintres du passé. Au reste, une visite à son atelier suffit
pour se persuader que, s'il est comme eux décoratif, ses arrange-
ments et sa présentation des sujets lui sont propres. Il est plus
simple, plus sobre, moins pompeux et aussi moins fastueusement
joyeux. Ses idées, personnifiées en des compositions multiples,
sont plutôt d'un mélancolique et d'un rêveur; nullement d'uti
peintre d'action.
« L'Hsiinilation de M- Smilt avec le* Vénitient de la Renaii-
aaooe, n'est donc pas ausfl exacte qu'on a'enléte h le croire ».
Kuiitoe Soiita a exposa huit ceurrea aux XX, savoir :
VM : Bleuets et CoquclieoU. — Le Bracelet. - Portnila. —
T«ia d'4tude. — Portrait, — Bal masqué. — Clair de lane. —
Tôle d'ëinde.
LE PELERIN PASSIONNÉ
par Jban MoaAu Paria, Vani«r.
Oh ! certes, voici un livre de niM— el qu'il soil écrit par un
Grec, n'importe — un livre biea |da* lalin el français que grec.
Il est un peu do la Rome d'Auf usle, noios 4e la Gr^ d'Anacréon,
assurément de la Protopce défi P<>'i(M| du Paris de Villon et du
Vendômois de Âoiawd. 11 e«i liuai oe la Lulèce d'aajourd'hui,
car sinon, serait-il? Tottte une préhee noos explique plus les
intentions que les réaliialionii d'art de H. Jean Moréaa. Nous la
délestons, comme tout* prédee. On bien le livre eat assex explicite
el alors elle est inutile — ou bien le publie ne comprend pas —
et alors naît la jouisaanee de l'erreur et de la bétiae d'autrui
laquelle peu à peu, si le livre vaut, m détraira elle-même et sera
cause que le public se remettra k lire d'avUtnl plus attentivement,
qu'il aura — comme toujours ->- hlte de se prouver frivole.
H. Moréas se définit, nous scmb)e-t-iU quand, par le titre
même : Parodie, de sa pièce, il semble proleiier. Ceîle pièce, la
voici : -
Ha, que l'on lève incontiiMOl |m caduoé**
Sur mon cœur. Et c'est uses de cm |iimili«rs
Crève-cœur; et je m'en val| mettre An eoUien
Et des rubans aux bonc* qui hantent m« pensées.
Et c'est assez, 6 mon comir, d* cm travarséûi
Risibles. Et soyons le* dévots cavaUèrs ''
Et soyons le palais aux joranx eaesUer*
SoyoDs les danses qui veoleiit être dansées.
Soyons les caraliers cruels. Soyons encor
La farce espaernole i les daguea, les dentelles,
La duègne, le tuteur «t |e eorrégidor.
Et don Oarcie et leur* canlils* mutuelle*
— Puis, viens, et que nous chantions, sur la harpe d'or
L'azur et la candeur et le* amours Adèle*.
Etre tout cela : le vrai désir du seigneur don Moréas, capitaine
en liltérature moderne, qui songe k faire les vers comme jadis on
songeait à donner de beaux coups d'épée, élégants el fiers. Abl
certes, de lignée vaillante. La poésie? le seul exploit, dont il
convient de s illustrer à cette heure.
Calme et la tète haute, U marche par Us ville*
Traînant à ses talons des amantes servila*
Dont l'tme s'est blessée i son regard flsuri
Seulement si Parodie exprime un désir, il »'ei| fiiiil que la vie
soit aussi pavoisée « A'm^j^SâOtên'^Mt^tainM chagrins
naissent. Un autre se lamenterait obMinémenf el se conrberaii
en saule pleureur sur la page blanche. M. Moréas très de aa race,
très peu rêveur, répond :
Les feuilles pourront tomber
La rivière pourra geler :
Je veux rire, je veux rire I
La danse pourra cesser
Le violon pourra casser :
Je veux rire, je veux rire I
Et en ceci n'est-il pas le fils de ce latin Horace el de ce fran
çaia Ronsard dont la devise était le « quand même » ou le « Carpe
diem ». Allure courageuse de bon soldat, dont l'infortune n'en-
Iralne pas l'eapoir, dont le cœur est allègre même quand il fau-
drait pleurer el dont la moustache se retrousse au nex de la vie.
Peut-être snfiil-il de définir M. Moréas : un jeune capitaine
calant du xvi* siècle, pour donner la clef de ses Ihèmes et de sa
forme poétique. Ces rythmes, ces chants, ces aUégoriet pastorales,
ces bocages, d'autres qui senuient fier el gai comme lui, les
'>■ ?^- ™'^'vv"'
'^g'f'ii^P^^'^:w%?isi^^
*f'^;'
.,.,, . ■(", , -'«^.^ ; „,;.■.■.■ ■..^,,, •■-:- -"(«^ ^»» _ lu
//Aiîr MODERNE
57
avaient leelléi k leur chiffre. Tela qu'ils leur convenaient, il le les
on également adjustfa, mais non sans les modifier et les perfec-
tiODoer, ear le tenrice que H. Moréas rend h la langue, rien qu'en
reHOlMsiiant des mois et des tournures aboltei, certes, ne sera vain.
Avec Banville, il est celui que les modes en déeours ont le plus tenté.
Seulement, quelle antre raison d'être ont ebcz lui, ces formes et
comme ailes a'affirment plus que simple fantaisie. Chez loi, il y a
pënélratioD. Et de même que bravoure, audace, gentilhommerie,
vie large et amour avaient pour les contemporains de Ronsard la
sicnification même de la vie, ainsi pour ce Grec encore héroïque
k U manière de ses immédiats ancêtres, l'existence que les petsi-
raistea ont noircie de malédictions, garde une belle couleur rouge
de jeunesse et de soleil. M. Horéas, en un certain sens, est un
anachronisme. 11 date d'ayant notre temps par l'illusion qu'il se
fait et le rêve qu'il se construit, aux heures propices. Mais il est
bien d'aujourd'hui si l'on étudie en lui le raffiné du mot chanteur,
du rythme restauré et savant, des chansons fantaisistes et prestes
et jolies. H en est d'exquises en ce volume; il en est aussi de
tragiques. Voici :
ÉPITRE
Kt Totr* cbavelure comme des grappei d'ombre
Et ses bandelettes i vos tempes
Et la kabbale de vos yeux latents
Madelin* aux serpenta, Madeline.
Ifadeline, Madeline,
Pourquoi tos livres i mon cou, ah ! pourquoi
Vos livres entre les coups de hache du Roi !
Madeline, et les eordaoss et les flûtes
Les flûtes, les pas d'amour, les flûtes, vous les voulûtes.
Helas, Madeline, la (ète, Madeline
Ne berce pins les flots au bord de l'Ile
Et mes bouffions ne crirent plua des cerceaux
Au bord de l'Ile, pauvres bottÉbns,
Pauvres bouffons, que couronna la sauge I
Et mes litiires s'efleuillent aux omiires, toutes mes litières,
à grands pans
De nonchaloir, Madeline oux serpents.
Nous trouvons cette pièce une œuvre parfaite. Rythmes, mots
consonnants ; marche k allure tombante ou mieux pendante de
certains vers; raccourcis, qui ajoutent k la soudaineté d'un drame
rappelé par « Ah ! pourquoi vos lèvres entre les coups de hache
du roi » et puis la strophe se féminisant en douceurs si volup-
tueusement de fête, avec par dessus l'ensemble cette figure de
Madeline aux serpents, qui domine et la joie et le tragique et le
regret et les fastes, réalisent, par une évocation savante, toute
une cour de prince lointain et légendaire dont la vie était d'amour
et d'épée.
Pour clore, souhaitons que le vœu du poète un jour se réalise:
Car par des rythmes que je sais
Sur de nouvelles fleurs, les abeilles de Orèce
Butineront le miel français.
SECOND OOKGERT DU CONSERVATOIRE DE LIÉOE
I
Au programme figuraient des Fragments de Parsifal : le Pré-
lude, l'Enchantement du Vendredi-Saint, le Final du premier
acte.
Interprétation suiTisante, bien qu'on ait constaté parfois le même
défaut de clarté et la même absence de « fondu » que précé-
demment.
Faisons une exception pour le Prélude qui a été bien joué. Les
chœurs de femmes manquent d'ensemble ; les « Voix d'adoles-
cents » obt dédaigné la mesure et le rythme.
Mais combien sublime cette musique et comme elle impose le
recueillement ! L'Ame, enveloppée par celle inspiration divine,
monte vers les plus hautes sphères intellectuelles. Il se fait en
nous un grand apaisement ; et nous absorbent un désir de Bien,
une hypnotisante contemplation du Deau. Le très haut sentiment
religieux, qui s'élève de ces accords célestes, permanc en nous,
doux et solennel, longtemps encore après que l'orchestre s'est lu.
Certes ce n'était pas le pauvre concerto en mi bAnol de Liszt
qui, malgré la superbe technique et le considérable poignet de
M"* Sophie Menler, pourrait nous réveiller de cette bienfaisante
rêverie.
M*^ Sophie Menler a fait applaudir la yiriuose parfaite, mémo
prodigieuse, dans des piécettes de Liszt et une valse de Sapellni-
Nous n'avons entendu que la virtuose; son énergique exécution
du Roi des Aulnei de Schubert, ne nous a rien appris de l'ar-
tiste ; pas un instant l'impression de terreur de l'œuvre ne nous
a pris.
La «• Symphoniette en la mineur » de Rimsky-Korsakow, est
une œuvre sans originalité, sans puissance descriptive et sans
idée ; je lui cherche en vain quelque mérite.
La Marche de Rakoczy terminait le concert. L'orchestre du
Conservatoire continue k la jouer très bien.
Petite CHROf<iquE
Le premier concert des Jïjf est fixé k mardi prochain, 17 cou-
rant, k 9 heures. U sera donné par le Quatuor Ysaye (MM. Eugène
Ysaye, Crickboom, Van Hout et J. Jacob) et par les dames de la
section chorale des XX sous la direction de M. Vincent d'indy.
M. Paul Braud, pianiste, prêtera son concours k cette attrayante
séance musicale, exclusivement consacrée aux œuvres de César
Franck, dans laquelle on entendra notamment, en première audi-
tion, le Quatuor pour instruments A cordes, la dernière œuvre
du Maître, encore inédite.
Le prix d'entrée reste fixé k î francs.
Jeudi prochain, 19 courant, k la même heure, H. Henry Van de
Velde fera une conférence sur le Paysan en peinture.
L'Art libre ouvre, du 1" février au 15 avril un concours inter-
national de musique, de littérature et de peinture, qui aura pour
jurés : MM. Ch. Gounod, Sully-Prudhommc, H. Meilhac, E. Cha-
brier, V. d'indy, B. Godard, "V. Joncières, J. Masscncl, E. Pes-
sard, Laurent de Rilléi E. d'ingrande, Scllenick,J. Aicard, A. Dor-
chain, J. Richepin, A. Silvesire, P. Bourgct, A. Delpit, Porel,
L, Besson, F. Sarcey, A. Soubies, E. Blum, Grenet-Dancouri,
L. Hennique, Valabrègue, J. Breton, Bouguereau, Carrière, E. Dé-
taille, Henner, A. Maignan, Tallcgrain, etc., etc., etc.
Toutes les œuvres, k quelque genre qu'elles appartiennent,
seront classées et mises k la disposition des auteurs après le juge-
ment.
Aucun sujet n'est imposé.
S'adresser, pour renseignements, k M. André Malnoue, 12, nie
de rOdéon, Paris.
La deuxième séance de la Société de Musique de chambre de
Bruxelles, aura lieu mardi prochain, k 8 1/2 heures du soir, dans
la salle des ingénieurs du Palais de la Bourse. Indépendamment
de M"" Lefebvre-Moriamé et du quatuor Laoureux, on y entendr.i
M"" De Cerf, une élève de Dyna Beumer.
Le programme porte des œuvres de Beetlioven, Schubert, Saint-
Saëns, Hassenel, etc. Prix d'entrée : 3 francs.
Mardi prochain, k 7 heures du soir, k Tournai (Salle des Con-
certs), un grand concert sera donné par ['Association artistique et
philanthropique de celle ville, sous la direction de M. Maurice
Leenders, directeur de l'Académie de musique, avec le concourj
de M>" Cuvelier, cantatrice, premier prix avec grande distinction
du Conservatoire royal de Bruxelles, de M"" Keyser, harpiste, lau-
réate du même Conservatoire, de M. Lilien, violoniste, premier
prix avec distinction du Conservatoire royal de Liège et du
M. Triaille, professeur de piano k Bruxelles.
Prix du cachet : fr. 2-SO pris k l'avance. Carte prise au
bureau : 9 francs.
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ONZIÈME ANNÉE
L'ART MODElâfE s'est acquis par l'autorité et l'indépendance de sa critique, par la variété de aea
informations et les soins donnés à sa rédaction nne place prépondérante. Ancnne manifestatioD d« l'AH ne
lui est étrangère : il s'occupe de Uttératurô, de peinture, de Boulptnre, de gravore, de mnakpiA,
d'architecture, etc. Gmsacré principalement au monvement artistique belge, il rensMgne néanmoÏB» ses
lecteurs sur toas les 6T6neinents artistlqnes de rétranger qu'il importe de connaître.
Chaque numéro de Lt'ART MODBRNE s'ouvre par. une étude approfondie sur nne question artistique
ou littéraire dont l'événement de la semaine fournit l'aotualité. Les exporitùms, les livra nouveaua, les
premières représentations d'œuvres dramatiques ou musicales, les conférences littéraires, les concert*, les
reittfs dobfets ctart, font tous les dimanches l'objet de chroniques détaillées.
L'ART MODERNE relate aussi la législation et la jurisprudence artistiques. Il rend compte de*
procès les plus intéressants concernant les Arts, plaides devant les tribunaux belges et étrangers. Les
artistes trouvent toutes les semaines dans son Mémento la nomenclature complète des eoCDOSlttonS et
concours auxquels ils peuvent prendre part, en Belgique et à l'étranger. Il est envojé gnullitSIIIADt à
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Administration et rédaction : Rue de* Mùàmea, 10, "■ •—•'}-n
LA ^\^A.LLOISriE
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L'ÀnasarRÀTioK o*ii*raijb db TArt ModeriM, rae d« l*I]idastrto, 8S, Bruxelles.
Sommaire
L> Don s'BifrAKCs, par Femead Sererin. — Du patsah ■:<
rmanVÊm. — TbAo Hamuon. — Doeoitsan a oomaaTsa. Lattm
et dumft mr tmtaàr. — CoaaBT Cémk Fbamok aox XZ. —
NoiTTUaz GONCBan a LiAob. — Can Daraica. — Pcnn chko-
mooB.
LE DON ITENFMCE
par PiMAiiB Smomt. — Bnudles, P. Lacombla, 1891, pet. iiv4*
oairé.9C i^, tinge i patH BoaUm : 390 ex. N.
Dans le groape, nombreox et efferTescent, des poète^
belges de ce temps, nnl n'égale Fernand Severin pour
l'élégance, et la doacenr, et le charme délicat. Le Don
denfatfùe YMiuOff irrénatiblement en sa jovénilité
p^-eaqne l%minine.
^^Do* étenfanot! titre mjstérieax et qrmbolique lais-
sant Togaer an l'atprit l'iocertitiide. C'est eriai da livre,
mais «Mai d'ane des trente joailleries de l'écrin. Et en
ceUe-ci <« tronve oe Ters ravissant et révélateur :
Mon âme est une enfant et ne tait qae sonrire.
L'œuviv joarque, en effet, par de multiples détails à
subtiles nnm.rM>m )g^ Qoarte et divine période de l'adoles-
ceooa. liais, jâ. d'one Adoleacenco androgyoe d'éirfiébe
et de ?ie^, mUaat les ataviqoes et si lointains souve-
nirs de l'antiquité (preoqoe aux compliquées sensations
psychiques contemporaines, en un revival étrange et
séduisant qui avait déjà eu une expression, moins raffi-
née, toutefois, dans André Chénier. Notre descendance
de cette belle population hellène dont le sang, dispersé
par les migrations historiques, coale encore en nos
veines alourdi par tant de mélanges, s'affirme ainsi
périodiquement, et, animant un cœur de poète, y fait
édore les fleurs embaumées des paysages attiques.
Peut-être ce rattachement est-il plus exact et plus
subtil que celui à Racine, venu k la pensée de plus d'un,
i l'aspect de quelques beaux vers harmonieux en leur
caresse sonore.
Femand Severin joue de la lyre. Et cette vieille
image reprend ici une fraîcheur de nouveauté et de
vérité singulière. C'est bàen la vibration lente et molle-
ment pénétrante de l'instrument des bardes achaiens
tissant la soie de leur poésie sous un ciel toujours pur,
chantant l'homme et la nature :
A peine réveillé de mes songes d'hiver,
0! plaine, j'ai foulé les premières rosées;
J'y promène ce front, clair des baisers de l'air
C'est de la musique, cela, murmurée, délicieuse, avec
des parfums de rose. Une demi-souriante mélancolie
s'y mêle, rêveuse, d'une Ame ne sachant pas encore,
ingénue, mais où commence la fermentation passion-
nelle, virginale, confondant l'espérance avec le regret.
60
L'ART MODERNE
attristée par ce qu'elle quitte, alors qu'elle pressent
sealement les afflictions de ce qui va venir
Loin d'un exil sans fin, et fait de tant de nuits!
Que la ville est donc loin de mes yeux éblouis!
Que n'est elle plus vaine et plus lointaijic encore !
Jeunesse, printemps de la vie, printemps, jeunesse de
l'année ! Jeunesse, printemps, adolescence, amour ! Et
l'amour prend sa place dans le Don d Enfance, presque
toute la place, comme il est naturel et juste, l'amour de
l'éphèbe pour la viei^e, avec la touchante amplitude de
SOS tendresses et de ses tristesses, se perdant à l'infini
dans des brumes de joies et de douleurs imprécises,
Tolattlisées, pénétrées do prisme descoolenrs déteintes :
on pense à des verts p&les, à des lilas presque imper-
ceptibles, à des dorures argentées, à des satins d'orchi-
dées :
Fleur dos flours à venir, qui parfume d'avance
Le mystique jardin où tu l'i^veilleras.
Lai$$e-nous, en passant, un peu de ton enfance...
Est-il séducteur et beau ce troisième vers ? Qui jamais
susurra plus cartesseusemeut, d'un souffle timide et
tiétle. à l'oreille d'une jeune fille les premiers bégaie-
meius d'un coeur surpris qui se livre :
Nul ne \Tous aiua vue, ô vierye, en vos pensées ;
Nul n'aura déponilié de son divin seerrt
Le b!en voile do fl-.'urs et d'asirw qui vous vOl.
Et voici qu'il a touché sa main et qu'il l'attire vers
la solitude des champs où toute voix s'adoucit dans
l'immensité sereine de l'atmosphère :
IV<<*ndi>ns vprs les bois : c'est l'Eden qui s'éveille.
lis sont beaux jusqu'aux pleurs ces jardins inconnus?...
Vkns, partout égarés « partout bien-venus !
Si lu foules dos fleurs trop pleines de r«sée,
les biiserj. tout i l"h.^rv, essuieront les pieds nus.
Puis se njdressant, sentant ressurgir son âme, quit-
tant ridvUe pour le rAthme héiviïque, la flûte pour le
cL^ron. d'une voix non plus murmurante mais sonore,
il dit tout À coup à la bien-aimée. grandie en taille
d'amazone ou do Mndkvxie :
El nous irotts: aussi vers la vîUe des cy^roes
Parmi des orseanx flers qui vous rv«oiinaim>nl.
Et sur cette scène d'amour et de gloire, nimbée de la
poudre d'or flottante qui fait cortège à la jetmesse et à
K-» beauté
In nu^kff. i> a>iicliiant. par\é de lous les feux
Pwrtif vfTS Irt fyifls s->n knt toI s>liUirf .
Cest vraiment beau, et adorable! Ajoutoos-v cette
nx^te du lendemain, cette iK»te d'exaltation assoupie,
avec l'arnère^vàt amer de l'affaissemiait, en ce ton
mineur qui finit toutes les chansons de la vie :
Je vt>«s eifetîlierai. r«$ies «l<s nasters. awvrys :
V«s Wmts »in» suNiVfat b'ooI paiV de ses lèvws,
Feniand Severin. on vient de le voir, chante sur les
rythmes classiques, et se soumet, sans penser plus loin,
à la métrique de la prosodie scolaire. Rime, césure,
coupe et répétition de coupe dans les strophes, et tout
le reste.
Cela sied à son Don d Enfance qui eût perdu,
semble-t-il, à laisser voir une préoccnpation de forme
nouvelle, contradictoire en sa recherche, avec l'ingé-
nuité de son œuvre admirable. Elle plaît mieux ainsi,
dansant gracieusement les danses versifiées connues,
aux gestes alternés.
Nous nous inquiétons pourtant de savoir si cette
Ame délicate n'est point hantée de l'évolution poétique
qui se fait invinciblement et qui semble mieux &ite
que les anciens lythmes pour s'adapter à ses souples
sensations et les rendre. Jean Moréas, dans la préface
dti Pèlerin passionné, qualifiait cette langue et cette
prosodie nouvelles, en les rapprochant de l'époque de
Ronsard, avec laqaelles, en vérité, elles ont une parenté
qui s'explique quand on se souvient qu'il s'agit de
reprendre la tradition au moment ob Malherbe, si
malencontreusement, la mutila et l'arrêta : • Pour qui
- sait, dans notre littérature médiévale un riche héri-
• tage se recèle. Ce sont les grftces et mignardises de
- cet âge verdissant, lesquelles rehaussées de la vigueur
• syntaxique du xn* siècle, nous constitueront, — par
• l'ordre et la liaison inéluctable des choses. — ime
• langue digne de vêtir les plus nobles chimte«s de la
« prisée créatrice •.
La Critique explique et ne conseille pas. Celle des
imbédies seule se &it pédagogue. L'artiste sait, on
plutôt sent, mieux que po'smine oft et conunoit il faut
qu'il aille. Quand on est doué aussi prédensement que
l'est Femand Severin, on n'a pas besoin de guide. On
chante sa chanson oonune elle vioit, et c'est la meil-
l«ire. Mais il est permis, à titre de simple causerie, et
mû par la curiosité et la sympathie, d'attir»* l'attention
d'un tel poète sur le phénomène qui transforme la
po^que.
Mais an &it, étourdis que nous sommes, il y pense
apparemment depuis longtemps.
DU PAYSAN EN PEINTURE
De la très bdle conféroice faite par M. Henry Van de
Ydde au Salon des XX, jaidi dernier, noos extraytms
le passage suivant, par lequel raataor a clos son Mode :
L'atmtioa «les Esthètes se fatifuaii M Toa poavaii craîre l'évo-
lution, pas mal acôdcalée, dose.
Le Pajsaa vrai n'élail pas wé powttal. Oa a p« le croiic ■■
ÎHtaal, q«aad au rèvàl des primes bearerîcs, el du loaf étal de
itvc «|w les saivit, s'éiinil le Paysaa de Millet, se itadHt, ea ■■
aeeoalwwat sïfialîtumet ùaplifiéet iaco— a. k des mvau
qae penMae ae SMpfoaaùt et qa*i lepider de plas piès oa
reeoonut eue les soins qu'il faut i la terre pour qu'elle produite !
Pais, k la longue, on remarqua l'emphase de ce Paysan ; on
senila la ■ensalion qu'il produit, d'un être qui se sent regardé
toujours et se tient en conséquence et il s'insinua en nous que la
vérité qu'il apportait pourrait bien être une vérité il la façon de
celles qu'on produit au théâtre : grossie, eiagérée !
Il s'établit que les créatures de Millet s'entachaient d'indéniable
ihéilralilé!
Restait donc k rapprocher le Paysan de nous-mêmes, i le sortir
de l'atmosphère bclice de tréteau où l'exagération de son geste,
l'effet grossi de sa déclamation plastique l'eussentjusé plus que
la glèbe elle-même.
Lors, Camille Pissarro Talla quérir aux hautes fresques où son
emphase, procédait,' comme les lignes de son vêtement de la spé-
ciale optique requise et le scrutant de plus près, il lui découvrit
une architecture plus vraie.
Ses terriens ont quitté l'imposante stature de^béros admise, et
donnant i penser que la suprême beauté des formes dans les-
quelles s'étaient incarnés leurs ancêtres pourrait bien n'être
qu'un mensonge, on, tous comptes faits, qu'une exception; ils se
satisfont de formes neuves, plus noueuses, plus complexes,
plus torturées, plus en rapport avec les maigres pitances fari-
neuses dont ils se noorrissent.
Ils affectionnent des attitudes plus simples, plus serviles, plus
en dehors, s'imprégnant, pour la première fois, d'une atmosphère
véritable, ayant 9i souflnr de ses inclémences comme de ses trop
cuisantes caresses. ^
« — Octobre gerce, par cette gelée blanche, les chairs des
fillettes qui gardent les vaches en les prairies d'Erigny, et les
femmes qui font la CueiUetU de* pomme* gaulent et suent au
vrai soleil. »
Celte fois, le Paysan évolue en l'humilité vraie de son travail,
évolue en l'intimité d'un décor moins épisodique, moins décoratif,
vrai et si puissamment évoqué qall étreint farouchement l'Etre
qui se meut en loi, le régentant inflexiblement, de tout le poids
des correspondances qui se sont établies entre eux, créant un
Pajrsan, enfin, selon lui-même !
Car ils ont émigré les contrées nues, d'où le génie d'un créa-
teur les avait fait surgir et peinent, aujourd'hui, les lourds
palands, snr une terre moins dramatique, i laquelle ils sont liés
plos étroitement !
ils y ont abouti instinctivement après avoir essayé néanmoins
de s'établir un pen partout ailleurs !
Cnfin, ils ont découvert les glèbes où la primitivité de leurs
labeurs, la naïveté de décors s'harmoniseraient, et patiemment,
simplement, ramenant le travail de la terre au rang de l'occupa-
tion hnmble qu'elle est et non d'une besogne d'épopée, ce qu'on
voulut bire croire — s'achament-ils snr elle, armés de leurs
sempoiinels instruments aratoires primitifs et cruels, comme
ils le sont eux-mêmes!
Camille Pissarro, le père Pissarro comme disent dévotieusement
ceux qui l'ont admiré et aimé bien avant que son nom ne rayonnât
de la sereiiu câébriié dont il rayonne injoardlini avant qu'il ne
lût pirvesu jnsqn'k nous et, je ne crois pas. Mesdames, Messieurs,
que la plus indurée mauvaise foi conteste ce mérite, au moins
aux XX, d'avoir révélé en Belgique C. Pissarro, Claude Monet,
Wbistler, Ra&èlli, Seorat et d'autres.
Qu'on sache que le nom de celui qui hier encore était un
Inconnu, est celui d'un vieux patriarche blanchi, dont la vie fut
doublement Spre, ravagée par l'Art et par la lutte pour la vie. Je
dis cela pourceux qui pourraient confondre celui que nous vénérons
comme un Maître, en le dédain qu'ils affectent si ostensiblement
pour « notre gaminerie ». La conversion de C. Pissarro à la récente
formule — la division du ton, dont l'inégalable beauté s'aflSrme
si définitivement dans l'œuvre rustique du Maître — prêterait à
l'équivoque.
Coloeidence étrange : ce n'est qu'au moment où la formule
nouvelle lui met en main des moyens nouveaux, que le Maître
songe il nous révéler le type qu'il aura créé.
El c'est prophétie facile d'affirmer que cette formule de demain
s'appliquera d'une manière plus adéquate encore k b msticiié
qui s'annonce !
Car un décor nouveau se lève, qui conduira fatalement, aux
inconscientes et constantes transformatioas ; l'introduction de la
police d'assurance aura plus efficacement sapé le décor agreste
d'avant, que nos plus fulgurantes théories, nos pitu rageuses
levées de boucliers en ce qu'il avait d'odieux : le Pittoresque !
Elle aura instauré, ^ la campagne, la modernité en un tour de
main. Le tour de main du rustaud qui lait allègrement et sans
scrupule flamber sa bicoque pour s'en voir élever une de meilleur
aspect.
Et allez y voir aux villages que vous aurez connus les plus
reculés, les plus inaccessibles, ceux qui se blotissent derrière
l'épaisse et noire légion des sapins qui sont comme des soldats
alignés ; les noirs soldats qu'une évidente hostilité contre ceux
qui tenteraient d'approcher, a postés des deux cdtés du cbemio.
C'est aujourd'hui la correcte chaussée blanche qui librement y
mène, filant droit. Tout le long des tertres de terreau s'espacent
pour des arbres moins âpres et moins hostiles.
La modernité s'acheminera par là débarquée des chemins de fer
vicinaux: assez près du bourg le plus éloigné pour qu'Eue puisse
sans trop de fatigue faire la roule à pied.
C'est le seul retard qn'Elle subira dans sa marche. A moins qu'LlIe
ne s'arrêtât mi-chemin, il la tradiliounelle auberge de mi-chemin,
qui n'est plus la puissante ferme d'avant, eiploilaal les terres
autour d'elle, trop éloignées de l'on ou de l'autre village, où tout
passant s'arrêtait, faisait souffler les chevaux qui stoppaient sous
les grands tilleuls ombreux.
La reconnallrei-vous en la puérile maison neuve de malme-
nant, gaie et rose, avant-diseuse de ce que sera le village rénové
delâ-bas!
La modernité y sied, alignant correclemeot les in'Iisciplir.é' s
maisonnettes de jadis. Elle lésa fait impitoyablement rentrer d:as
les rangs cl elles qui étaient si curieusement et si diverscmrnl
peinturlurées, sont roses aujourd'hui, toutes neuves et roses!
Au milieu d'elles, se dresse l'école pompeuse, ridiculement
pompeuse, autant que la maraude paysandaille qu'elle aura
dégrossie. Limbécile mangeuse de légendes et de crédulité, et i
laquelle une vanité de parvenue fiit prendre des airs de cathé-
drale; se grossissant an point d'en suer rouge, le sang des rira-
licés de campagne; crevant â se gonfler ainsi pour supplante.' sa
rivale puissante l'Eglise, qu'elle n'a poussé qu'à des transforma-
tions, jnsques ici. Est-ce assez oublié, le primitif enclos has,
délabré et moussu qui enclavait l'Eglise, limitant le cimetière?
L'enclos rampait tout autour comme un sombre ver, plos
grand que les autres, et les dimanches après-midi de catéchisme,
la marmaille bruyante, en beaux habits, cbevancbait cetie dégoû-
tanie et symbolique monstruosité.
Est-ce ooblié ?
Aujourd'hui, c'est la grille, la même partoal, derrière laquelle
l'Eglise neuve doit s'élre si immedérémenl nourrie pour être
devenue ce qu'elle est, de petite et touchante église qu'elle était
avant, que c'est à croire qu'elle dévore tous les morts qu'on lui
confie I
Et au delà de la grand'place, tout le long des chemins de terre
se sont assises les fermes neuves, elles garent soigneusement les
belles briques roses et précieuses sons leur haut capuchon de
chaume taillé ; à toutes ouvertures, correctement rectangulaires,
clôtures et volets identiques.
Voilt, par la plus stricte simplification de lignes, la Ferme
devenue la conception la plus exquise d'une exquise naTveté
d'enfant !
Les pittoresques masures sont bien mortes, les pittoresques
masures de chaume et de plâtras. Faute de soins, elles disparat-
Ironl, celles dont on ne s'est p*s débarrassé violemment encore,
comme on fait des parents, des vieux, qu'on a répugnance k
nourrir plus longtemps, puisqu'ils sont devenus inutiles I
Modernité a tout rasé !
Les folles chevelures de chaume de jadis sont les belles tuiles
de sang d'aujourd'hui, elles recuisent au soleil leur belle couleur
rouge qui éclate et qui crie si fort qu'elle peut crier, tenaillée par
son complément le vert, le vert qui exulte, qui l'attendait moro-
sément depuis toujours comme une fiancée promise.
Et si ce n'est pas le décor de la rusticité d'aujourd'hui, mettons
celle de demain et n'en parlons plus. Demain, qui s'évertuera de
créera cdié de l'émouvante synthèse tragique, une synthèse nou-
velle et intime?
Demain, qui sera i ceux-lb qui, libérés de tout vasselage, iront
résolument i la vérité, qui n'est que la découverte de leur propre
âme, en somme, qui se dérobe et meurt sous la vénéneuse florai-
son des imitations stérilisantes, des théories desséchantes et des
aspirations vaniteuses.
C'est la glèbe qui va les tenir courbés pour un impitoyable
émondage, c'est notreime d'hier, d'avant-hier, qu'il faut retrouver,
notre impolluée àme d'enfant. Et jamais ne faudra-l-il être las.
Ayez pitié, vous autres, de ceux qui se voueront i cette œuvre
cl dont l'ardeur ne peut éire réconfortée que par des admirations
préalablement scrutées et par un enthousiasme, quTi l'exemple
de nos amours nous aurons édifié du plus pur de nous-mêmes !
THÉO HANNON (')
Bruxelles, 18 février 1891.
Cher Maître,
Votre amour-propre de reporter consciencieux a cru devoir
informer vos lecteurs de dimanche dernier que J.-K. Huijsmans
m'avait récemment arraché les épaulettes qu'il m'avait données
dans A Rebourt.
C'est un fait-divers intéressant, d'autant plus intéressant que
vous m'aviez naguère déclaré : Feu Hannon ! Cela prouve en pas-
sant que
(1) Sapristi, il n'est pas content, mais pas content du tout, Théo
Hannoii. On peut même dire que, à l'instar du père Duchêne, « il est
bougrement 2 en colère. Outre l'aigre écriture qu'on va lire, il a évacué
hier dans la Chronique, où il opère sous la défroque de Mecœnas, uo
furibond article : il y crache du soufre et pète du feu. Crapaud d'enfer!
crapaud d'enfer! Les barbes de notre plume en sont hérissées.
Sapristi, comme ça chaufle quand un mort sort de 8oît«ayêephage.
L«s morte qva tMM tiiH aa portant aÉMi M(R.
Pernietiei-moi de eoraer on brio votre trop maignletie infor-
mation; il ne faut paa que tos XX abennés ignorant les phaaei
de ma prétendue dégradation.
Montrons d'abord l'auteur A' A Réboun couunl Ici épautettn :
« Ce faiaandage dont il était gourmand et que lui prétenlail ce
poète (Tristan Corbière) aux épithètea crispéea, aux beantéi qui
demeuraient toujours k l'état un peu suspect, des Esaeinles le
retrouvait encore dans un autre poète, Théodore Hannon, un
élève de Baudelaire et de Gtnlier, mû par un sens ti^ spécial
des élégances recherchées et des joies fsetices.
« A l'encontre de Verialoe, qui dérivait, sans croisement, de
Baudelaire, surtout par le c4té psychologique, par la nuance cap-
tieuse de la penaée, par la docte quintessence du sontîmeiii,
Théodore Hannon descendait du maître, surtout par le èÀlé plaV
tique^ par la vision extérieure des êtres et des choses.
« Sa corruption charmante correspondait finalement aux pen-
chants do des Esseintcs qui, par les jours de brume, par les jours
de pluie, s'enfermait dans le retrait imaginé par ce poète et se
grisait les yeux avec le chatoiement de ses étoffes, avec les incan-
descences de ses pierres, avec ses somptuosités, exclusiTemenI
matérielles, qui concouraient aux incitations cérébrales et mon-
taient comme une poudre de cantbaride dans un nuage de tiède
encens vers une idole bruxelloise, au visage fardé, au ventre tanné
par des parfums. »
Montrons maintenant le même auteur arrachant les susdites :
« Théodore Hannon, un poète de talent, sombré, sans excuse
a de misère, k Bnixelles, dans le cloaque des remes de fin
« d'année et les nauséeuses ratatouilles de la basse presse ! 1 1 »
Revues de fin d'année... pourquoi pas? Le tout est de s'y dis-
tinguer : BruxelUt-A Uraciiotu a été jouée durant cent vingt-cinq
soirées consécutives...
Nauséeuses ratatouilles de la basse presse... décadente péri-
phrase pour exprimer ceci : s'occuper de la critique d'art k h
Chronique.
Si c'est de la sorte que J.-K. repige les insignes qu'il lui platt
accorder, volontiers je m'écrierai :
— Huijsmans me les a donnés, Huijsmans me les a repris, que
son saint nom soit béni t
Et puis, est-ce bien sérieux cet octroi, suivi du reirait, des
franges d'orT Cela louche k l'opérette et rappelle la grande-
duchesse de Gérolstein coiffant, puis décoiffant, du panache, son
cher fusilier Fritz...
Au surplus, avec ou sans ces agréments — qui peuvent s'en
aller rejoindre certains éperons d'amiral, — mes épaules n'en sont
pas moins fières et n'en peuvent que plus allègrement se hausser
aux carnavalesques manifestations d'art en l'honneur desquelles
vous prétendez me voir me découvrir avec humilité.
Soit, je veux bien le faire — mais comme on se découvre
devant un mort qui passe.
Ajoutez, je vous prie, celle-ci k vos « Documents k conserver »,
c'est le seul coin de votre journal où se trouvent les gens qui,
chez vous, peuvent m'intéresscr.
Et croyez, cher Maître, quoique vous en écriviez, k ma com-
plète absence de rancune !
TBiODORB HAimoi«.
Il doit y avoir, apparemment, beaucoup d'esprit dans celle
épttre. Mais pour le comprendre il faut être initié.
'Kïï'W-i-'-'':!^-^.^
L'ART MODERNE
63
NamniMi lÏHipiMMDl dit, «a «m phraie irta eourie ^ eh»-
cun lelon ion mérite), qu'un fort grand artiste J.-K. HaijaMnna
était d'avis qw TbéO^ Kimmb baisnit. Noa leelawrtuwiit main-
leMit en qairis toeabtes, fort dora, c'a été dit. Nous n'avions pa*
soatwair q«e ce ftt ai enei et ai aépriaant.
urmunt dk chanos sur l'avsnir
Extrait de la Fédération «rtUHftu
Les poiotilleurs viagli•t«^ as inlnasl k la renorque de la
science,. v6nt cberclier le mot d'ordre dans les laboraioires. Des
chimistes souvent, des fumistes parfois, des artiaiea jamais.
Avidea de eonquérir la peraonnaliié, les radicaus l'aehèteBt an
prix das plus grands efforta, eacaladaot les sommets en faisant
saifoer lears membres arrachée par les aspérités du chemin, et
rénssissast k éue eux-mêmes, après des années de lattes cruelles,
ssM trêve ni una repoa.
Les poiotilleurs se ressemblent tous, cadres k part, les uns se
coolenlantde les eabiber dans une blancheur virginale, les auires
de leur appliquer une varicelle fin de siècle de l'effiM le plus pil-
loresqne.
Non, les vingtisles ne sont pss les radicaux de l'art 1 Le simple
examen de leur exposition démontre au contraire qu'ils en sont
les viepx conaervaleors, les réactionnaires moyen-kgeux, les aca-
démieieas outrés, les bourgeois enfoncés dans la rude sottise
d'une éducation artistique de quatre siècles en arrière.
Radicaux 1 Allons donc. . .
Ils le sont, oui, comme ceux qui k la veille d'un grand mouve-
ment d'opinion publique en faveur du saffrage universel, deman-
deraient que le cens fût porté k sent cinquante francs II! Us le
sont eomoM ceux, qui, au nom de la liberté de la presse, réda-
meruen^ la suppression des Journaux. Sans doute il leur plait
d'en montrer le masque, mais ce masque ne tient pas, il glisse
constamment, et sous le carton montre la physionomie vraie, le
visage qui ne ment pas.
Veuilles les paaser en revue, ces faux radicaux, et vous ne tar-
derez pas k svoir l'assurance pleine et entière qu'ils forment nne
sorte, d'académie oà le travail est réparti comme dans les géoles,
chaque académicien fabriquant son petit tableau comme un
prisonnier confectionne symétriquement quelque objet en osier
sous l'œil des gardiens.
Les gardiens ce sont ici les hommes dont le scepticisme s'est
plu k (aire triompher une formule d'srt comme dans un plaidoyer
au moyen d'argumeata brillants, colorés, on défend une cause k
laquelle on s'altsebe d'autant plus qu'on la sait iosontenable.
MM. Charles Angrand, Willy Finch. Georges Lemmen, Camille
Pissarro, Georgea Seurat, Paul Sigoac, Van Rysselbergbe et
W*' Anna Boeh, pointillent d'aprèa la même convention et s'ils
diffèrent c'est plutôt par le sujet que par l'exécution.
Extrait de F Union libiraU de Verriers.
Aux Verviétoia qui, se rendant k Bruxelles, iraient visiter
l'Expoaition des XX et s'amuser de leurs incohérences artistiques,
un bon conseil. A eété de cette exhibition carnavalesque, au som-
met de l'escslier de marbre du Muaée moderne, ils trouveront un
salon de proportiona modestes ouvert k quelques œuvres remar-
quables de Boulanger, Arlan et Doboia. La vue de ces tableaux les
repesers des imanités voisines et leur pronvera qne l'Art Belge,
quand il est basé sur la nature, donne des conceptions, rivalisant
avee les toiles les plus cabres de Pécole françsiae du milieu de
ce sièele. Ils sertiront de cette exposition particulièrement entbou-
siaamés de Bovlcnger, le paysagiste qui s le mieux interprété les
beautés du sol Brabançon et le mieux traduit le charme et la
magie de la nature. R.
Extrait de Ut Flandre libérale.
Hier s'est ouverte l'exposition des XX qui est burlesque
comme d'habitude. Le pnblic bruxellois ne va du reste visiter ce
salon des Funsmbuies qne pour se gausser de la bande qui l'or-
ganiset et celle-ci, n'étant pas indifférente k la recette, a lonjours
grand soin d'eipoeer en bonne place quelques tableaux ineonve-
nanla ou des statuettes qui frisent la pornographie. Cela se répète
soua le manteau dans le monde bien pensant, et la foule éléganic
d'aeeonrir. Les joyeux fumistes qui ont monté la machine
mangent ensuite la cagnotte dans des repas pantagruéliques.
On a bien ri la veille de l'ouverture des XX en lisant dans le
Soir un article en deux parties ; la première célèbre le génie de
nilnstre Trompenenboseh qui, par le rythme des lignes et la
cadence des tons, obtient des vibrations spasmodiques dont les
piano et les forte atteignent au pizxieato rutilant, — les eritiqurs
qui admirent les JOT écrivent comme ceux-ci peignent; l'article
chantait sur la mode épique la gloire de l'auteur de l'IU de la
Ortmd» Jatte, l'immortel Balnehard! Et puis la seconde partie
était eoosarrée k Meissonier. Quant k cehii-ei, ce n'était qu'un
vnlgsiie barbooilienr, un imagier qui aurait dû être enterré à
Spinal, un animal aaas talent et sans kme! Regardez-y de près,
la même «fialadie est partout. Qu'esl-ee en somme que ces peintres
et ees critiques, ce sont les radicaux de l'art, et c'est au nom du
progrès qu'ils arborent l'étendard de Charenton !
Concert César Franck aux XX
Le quatuor en ri et le quintette en fa mineur, les deux plus
grandes œuvres de musique de chambre écrites par le Maître —
des chœurs pour voix de femmes, productions plus légères et
toutes gracieuses, — enfin un fragment de Psyché, sa dernière
oeuvre iaslnimeotale, tel a été keprôgra^mme du Concert de mardi,
programme donnant ainxi une notiou aussi complète que pos-tible
de l'art de César Franck.
Cbea les hommes de génie, dont le caractère particulier,
inconscient chez eux, est de voir toujours plus loin, les dernières
œuvres sont toujours et incontestablement les plus belles, chez
les artistes d'un certain talent, qui ne perçoivent pas le but
humainement éducatif de l'art, les œuvres de la troisième période,
n'étant plus animées du souffle généreux de la jeunesse, restent
de stériles efforts sans résultat, souvent un vulgaire bàion posé
en travers des rails et brisé par le train artistique sans que trace
en reste jamais. De là, d'un côté, des Françoise de Rimini et
autres Tribut de Zamera, de l'autre, des IX' symphonie et des
Parsifai.
C'est k celte dernière catégorie qu'appartient le quatuor en ré.
Quoi de plus grandement conçu comme plan et de plus mer-
veilleusement clair comme ordonnance que ce premier mouve-
6(
L'ART MODERNE
iiieni, ndinirable portique l'ornid de trois piliers égaux, trois cxpo-
siiioiis lontcs liannoiiicusi'mont disposées pour encadrer le ihème
piiiicipul; puis lo scheiii), jeu épique, Vandaule où les amalcurs
(li> la phrase chiTchont vainement... elle y est cependant la large
l'Itnise, et noble et intense, mais trop noble et Irop intense pour
Kurs ostnits vulgaires et bornés. Enfin le final, combal acharné
eiUre ces deux esprits anlilliéliques qui éternellement régueronl
;iu eu'iir de l'Iioninie.
Qui n'a point entendu celle œuvre, exécutée par le quatuor
Vsaye, ne la eonuaîlque mal. Il y a chez Eugène Ysaye, une notion
(le l'iiH lit-Ui ai'lislisque qui produit le bizarre etîet de faire oublier
limuiense talent du virtuose pour ne voir que l'absorption de
l'exécutiint en l'a'uvre, sorte de Nirvana musical : point de
leclierehe d'eli'el au délrimenl des autres parties comme il arrive
i;op souvent aux premiers violons, voire les plus renommés, mais
seulenieul et toujours une idée poétique dominant toute l'inler-
pivl;Uiou et donnant le sens philosophique, qui existe au fond
(le toute œuvre fortement pensée. Ses partenaires, Crickboom,
Van Hout et J, Jacob, stylés et instruits par lui dans ce système
crin'.erprétation intuitive, forment avec lui un ensemble vraiment
merveilleux jusqu'à préseul iuenteudu autre part. Un détail qui
|iaraîir.i puéril à quelques-uns, mais sera apprécié par tous ceux
qui se sont occu}>és de musique de chambre, ce quatuor joue
juste...
Le quintette en fn nuit., déjà entendu aux XX, a été exécuté,
;ivec une verve superbe, par le quatuor Ysayc cl M. Paul Braud,
pianiste parisien au jeu vigoureux et intelligent. Le final a été
iiotainuienl enlevé avec une étonnante virtuosité. M. Braud était
aussi parmi les disciples du Maître et donna même l'an dernier, à
l'aris, un Y-oncerl entièrement consacré à César Franck, ce qui lui
JUui amèrement reproché par les eunuques de la critique pari-
sienne. .\ller jouer du Franck quand on peut servir au public de
Chopinesques et Lisztiennes élueubralions, toujours les mêmes,
quel cnme!
La transcription pour deux pianos du morceau symphonique
ivoquunl les poétiques amours d'Eros et Psyché est fort bien
écrite et d'un joli effet. Il a été magistralement exécuté par
l'auteur et par M. Vincent d'indy.
Comme intermèdes entre ces œuvres de large envergure, le
programine portail quatre chœurs pour voix de femmes, réccm-
iient écrits par César Franck, el qui décèlent, i côté du penseur
ei du philosophe, le mélodiste délicat, l'n seul de ces chœurs
avait été entendu à Bruxelles : lii Vierge à la crèche, chanté il y
a trois ans aux concerts des .Y.Y. Les trois autres : Us Dtmsef de
Lcrmonl, la Chanson du l'an7iier, Si'leil, qui appartiennent il
Li même série, ont même grice, même charme, même raffinement
d harmonie.
La section chorale des A'A', faisait, sous la direction de
M. Vincent d'indy, ses débuts dans l'interprétation de ces chœurs :
une vingtaine de voix fraîches, bien disciplinées, chantant irré-
iirochablement juste et avec senliment. Le succès a été aussi vif
p 'ur les exéculanti's que pour les a-uvres. '
NOUVEAUX CONCEKTS A LIEGE
L'orchestre que dirige M. Dupuis, a fait d'incontestables pro-
grès, qui se manifestent davantage à chaque concert. Il observe
p'us scrupuleusement les mouvements, se plie avec plus d'aisance
au rythme, se monlro soucieux des nuances el marche avec
ensemble.
Dimanche dernier il a joué avec la vivacité, l'emportement juvé-
nile qu'elle comporte la Symphonie n* S de Beethoven, toute
souriante de jeunesse. De Sadko, tableau symphonique de Rimsky-
Korsakow, très vivant, d'une orchestration curieuse, avec
d'étranges et violents effets de sonorité, il nous a donné une
e.x!écution énergique et colorée. Il a revêtu cette jolie ouverture
de Gweiidoline de tout son charme d'animation, d'ardente cou-
leur et d'élégance.
M. Sylvain Dupuis, qui décidément comprend bien sa mission,
a voulu nous faire pénétrer le génie de Brahms, trop peu connu
chez nous. Et pour réussir dans cette initiation, il a très heureu-
semeni choisi le concerto en ti bémol, cl le pianiste Eufjène
d'Albert.
L'œuvre et le soliste s'imposaient.
C'est réellement une grande œuvre que ce concerto, d'une
inspiration élevée el d'une belle orchestration. [I empoigne par
la profondeur du sentiment, par l'intensité et la complexité toute
moderne de la pensée. Quelle puissance et que de passion dans
les deux Allegro! Quelle haute, quelle tendre poésie dans i'An-
daiite et que de grâce touchante dans l'Alleçrelto ! El tout cela
est d'un beau style, d'une savante écriture, dédaigneuse des for-
mules ordinaires.
M. d'Albert, en grand artiste qu'il est, s'est laissé absorber par
l'œuvre, ne sortant pas de son rôle d'interprète, jouant avec l'or-
chestre, mais avec quelle maîtrise! Il nous a, par son jeu précis,
sobre, par son interprélaiion respectueuse et puissante, par sa
haute compréhension de l'œuvre, initiés au génie de Brahms. Je
ne crois pas que l'on puisse faire mieux.
M. d'Albert a subi l'entralnemenl des chaudes acclamations qui
l'ont ovationné. Et en artiste épris de son art, qui ne marchande
pas son talent, après avoir joué d'admirable manière nn Nocturne
de Chopin et une Valse caprice de Strauss-Tansig, cédant aux
applaudissements pressants, il a exécuté successivement un
AndanteAc Schubert, une BarcaroUe de Rubinstein el une Fan-
taisie de Lisil,
Ce qui distingue N. d'Albert, c'est la pénétration de l'œuvre.
Faut-il dire qu"^ c6té de cette maîtresse qualité, son jea est
impeccable, tantôt moelleux, tantAt puissant; faut-il dire encore
qu'il est un remarquable virtuose, il l'a certes prouvé et particn-
lièroment dans la Valse caprice el dans la Fantaisie espagnoie.
CHEZ DIETRICH
Se promener vers cinq heures Montagne de la Cour, ce n'est
ordinairement pour d'autre but que lai*gner les plus jolies femmes
de Bruxelles. MN. Dietrich et €•• ont détourné k leur profit l'aiten-
tion, transformant, par l'exhibition de choses d'art, l'aspect sou-
vent morose de leur étalage : et ce sont des photographies admi-
r.ibles d'après Bume-Jones, des albums et des livres illustrés de
Crâne.
The n'herl of Fortune, Tk* Golden Stnrs, Merlin and
Viviane, splendides platiaotypies d'un format inusité. Puis,
l'histoire d'OrpA^«r, en de multiples panneautins, peinte pour la
décoration d'un piano, la série de Persée, celle de Pygmalion,
cent autres reproductions exécutées par la maison Hoiyer de Lon-
dres. Mais le dessin si expressif de trois télés de femmes mus
;<^-!.^iJ;'-'
i:art moderne
65
parat( résumer l'art de raffinemeat k l'extrême d'Edward Buroe-
Jonei et le type féminin qu'il créa.
Pour Danle-Gabriel Rossclli, chei nous moins populaire el moins
connu (1), Rota TripUx, Dante'* Dream, — et dans une nou-
velle édition des poème* de Cbristina G. Rouetti (Hacmillan, 90),
trois dessina, — sont d'un haut intérêt, mais insuflisanis i eu
donner une bien complète idée.
Les albums de Walter Crâne sont connus tous et popnlaircs,
mais voici les Houuhold Storiet de Grimm (Maemilian, 82) qui
offrent les meilleurs exemples d'illustrations de Crâne dans la
manière de Durer, et les interprétations de ces conies : The
SUeping Beauty, Rapunzel, The Oolden Bird, The Six Swaiu,
Snow-WhiU sont i ce point de vue de véritables petits chefs-
d'œuvre, images bien supérieures à colles des Folk and Fairy
Taie* de Mrs. Borton-Harrison (Ward and Downey, 85). Un
album par contre tout charmant est le Book of Wedding Bay*
(Longmans, Green and l>, 89), un calendrier, orné k chaque
page d'encadrements allégoriques de saisons et de mois, et par
des fleurs, des jeux d'amours, mille détails, varié et amusant de
New Year i Christmas. The Fini of May, a Fairy Ma*que
(Henry Sotheran, 81), c'est cinquante-deux pages grand format
d'illustrations patientes et minutieuses, un peu sages, pour
cette féerie du même Walter Crâne dédiée à Charles Darwin.
MM. Dielrieh en détiennent un des maintenant rares trois cents
exemplaires signés par l'auteur.
Petite chroj^ique
Le second concert des XX est fixé !) mardi prochain, 34 cou-
rant, k 3 heures.
On y entendra, pour la première fois, le quatuor à corde* que
vient de terminer Vincent d'Indy et qui aura pour interprètes
MM. Eugène Ysaye, Crickboom, Van Bout et J. Jacob.
Les chœurs, dirigés par Vincent d'Indv, exécuteront Sainle-
Rote de Lima de P. de Bréville (solo" : Mi'« F. Gillieaux),
VEpilkalame de Beiioit, le Ruit*eau de Fauré.
Des œuvres de Dnparc, Bordes, Chabrier et la Tempête de
Chausson compléteront cet intéressant programme, presque
entièrement nouveau pour Bruxelles, et qui réunit les noms des
principaux compositeurs de la Jeune-France musicale.
Le prix d'entrée reste fixé it 2 francs.
Le deuxième concert populaire lura lieu dimanche K" mars, à
1 1/2 heure précise, avec le concours de H. J.-J. Paderewski.
Le programme est composé de : 1* Hu*it*ka, ouverture dra-
matique (1** exécution), Anton Dvorak. — 3* Concerto pour
piano et orchestre {la mineur), exécuté par l'auteur {{" exécution),
J.-J. Paderewski. — 3° Concerto pour piano avec accompagne-
ment d'orchestre, exécuté par H. J.-J. Paderewski, Rob. Schu-
mann. — 4» Sérénade pour instruments i cordes (op. 22), Anton
Dvorak. — S° Morceaux pour piano seul, exécutés par M. J-.J. Pa-
derewski, Fr. Chopin. — 6» Lu*t*piel- Ouverture, composée
pour l'opéra-comiqne Prodana nevetta (y* exécution), Friedrich
Smetana.
La répétition générale aura lieu samedi 38 février, à 2 4/2 heures
précises, dans la salle de la Grande-Harmonie.
Bruxelles aura la première de Madame Lupar, la pièce en
trois actes de Camille Lemonnier, tirée de son roman. Antoine (et
son Théâtre- Libre) arrivera vers le 37 de ce mois. H donnera
d'abord la Fille Eli*a. Puis ce sera le tour de Lemonnier, avec
Antoine dans M. Lupar et M"* Defresne dans sa précieuse con-
joinle. On s'attend h un succès violent. La pièce a trois actes,
(1) Voir VA^-t moderne, 1887, no 39.
d'une durée de 20 minutes à peu près chacun, du iliéàiro bref,
tout en mots, sans phrases.
Au retour à Paris, la troupe y jouera la même pièce. Anloinc
l'eût donnée d'abord !i son théâtre, mais tout un mois qu'il vient
d'employer (avec un réel succès de public et de recette) b la
Porte Saint-Martin lui a fait négliger les œuvres acceptées.
La Nation, dans un article très élogieux consacré au premier
concert des XX, adresse un mol aimable à la section chorale
féminine qui faisait ses débuts i ce concert. La Nation attribue
la formation de ce choral ii un refus de M. Gevaeri d'autoriser
les élèves du Conservatoire à prêter leur concours h des concerts
de ce genre. C'est une erreur. M. Gevaert s'est loujours prêi6
avec beaucoup de bonne grâce â faciliter leur lâche aux orj;anisa-
leurs des matinées vinglisles et ne leur a jamais refusé le con-
cours de ses élèves.
Les JTJT ayant actuellement une organisation musicale com-
plète, distincte de la peinture, ils ont tenu â avoir un chœurà eux.
Et ils ont trouvé des collaboratrices aimables et dévouées, jeunes
filles et jeunes femmes, qui ont consciencieusement travaillé
toutes les semaines, sous la direction de H. Soubre, profetseur au
CoMervatoire, et dont le début a été très apprécié.
Le pianiste J. Paderewski, de passage à Bruxelles, donnera le
4 mars prochain, dans la salle de la Grande-Harmonie, à 8 heures
du soir, un récital de piano (œuvres classiques et modernes).
Le prix des places pour cette séance est fixé à 7 francs aux
places numérotées, et 3 francs aux places non numérotées (gale-
ries).
On peut s'inscrire, dès maintenant, chez MM. Schoit frères,
82, Montagne de la Cour.
Notre compatriote M'" Marcy, qui fut pendant un an pension-
naire du théâtre de la Monnaie, et qui laissa à Bruxelles de bons
souvenirs bien qu'elle eût eu rarement l'occasion de se faire
valoir, est actuellement engagée à Marseille où ses débuts ont été
des plus heureux.
a La débuUnle, dit le Petit Marseillais, a su conquérir rapi-
dement son public. Douée d'un physique fort agréable, M"« Marcy
a traduit avec un rare bonheur le charme troublant que dégage la
héroïne shakespearienne. La voix de celle artiste est d'un timbre
admirable ; elle s'élève sans effort el conserve dans le registre aigu
une merveilleuse pureté. M"" Marcy a été très applaudie, notam-
ment, â la scène mystique de l'union, el rappelée à la fin do
chaque acte.
« On doit d'ores et déjà considérer les prochaines épreuves de
la brillante artiste comme de simples formalités. »
Et le Petit Provençal :
« Après la soirée d'hier, il est légitimement permis d'écrire que
voici enfin une vraie chanteuse légère que les ressources de sa
voix indiquent nettement apte â se produire, avec égal succès,
dans le grand opéra et dans les ouvrages de caractère ou de genre
tempéré.
a M"' Marcy, belle et avenante de sa personne, est, en cffei, dolée
d'une voix fraîche et juste, pure et étendue dont le timbre, fort
agréable, revêt par instants un certain éclat. Sa vocalisation h.-ir-
die et brillante s'est nettement affirmée avec la valse du premier
acte, en dépit d'une émotion bien naturelle.
a Le duo du balcon el les au très scènes principales de l'opéra ont
pleinement confirmé la bonne impression produite par la débu-
tante dés son entrée en scène. C'est là, bien évidemment, une
chanteuse de goût et d'expression, possédant, en outre, de l'âme
et de l'élan, ainsi qu'on a pu s'en convaincre au troisième acte et
à la grande scène finale. M"' Marcy est donc une acquisition dont
il faut se féliciter ; elle peut, en tonte liberté d'esprit, aborder ses
deux autres épreuves qui ne seront que pure formalité. Ce pre-
mier succès a, du reslCi été sanctionné par plusieurs rappels. »
Toute la presse est sur ce ton.
l':'^-ç-S^'P'f^^ '^fSW^^'^.ifr v-y
ONZIÈME ANNÉE
L'ART MODERNB s'est acquis p»r l'autorité et l'indépendance de sa critique, mt I» T«ri*t* de aea
informations et les soins donnés & sa rédaction une place prépondérante. Aucube nùDUestàtlon de lArt ne
lui est étrangère : il s'occupe de littérature, de peinture, de soulpture, de grftTore, de Bnudqae,
d'architecture, etc. Consacré principalement au ^ouTertent artistique belge, il renseigne BMBmeli» Ma
lecteurs sur tous les événements artistiques de l'étranger qu'il importe de eonimitre.
Chaque numéro de L'ART MODERNE s'ouvre par une étude approfondie sur une qaesiîon «rtlatiqae
ou littéraire dont l'événement de la semaine fournit l'aotuallté. Les exposition», les Kvra notioeauu, U»
premières reprétentcUions d'œuvre» dramatiques ou musioales, les otmfUreneu littéraire», les comœrU, les
vente* dobjelt if art, font tons les dimanches l'oiyet de chroniques détaillées.
L'ART MODERNB relate itusai la législation et la jurisprodenoe artistiqaM. Il rend eompte M»
procès les plus intéressants concernant les Arts, plaides devant les tribananx belges et étcnnosn. I«e
artistes trouvent toutes les semaines dans son Mémento la nomeodatare complète des eiK|>oalii|W et
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ONEdDa AMifti. — N* 9.
Lb MUMÉao : 96 cimtdibs.
DmAMCHB l" Mars 1891.
L'ART MODERNE
PARAISSANT LB DIMANCHE
REVUE ORITIQUE DES ARTS ET DE U UnÉRÂTURE
Comité de rédaction i Octavb IfAUS — Edmond PICARD — Èmili VERHAEREN
: Belgique, on an, tr. 10.00 ; Union poattle, fr. 13.00. — ANHONGXS : On traite 1 forfait.
Adresser toutes les communications d
L'ADimnBTKATioM oÉNÉHALB DB l'Art Modome, me de rindostrie, 32, Bruxelles.
^OMMAIRE
Walteb Ckame. — La Flûte a Siebel, par Max Waller. —
DEUxitm OOHCEBT DBS XX. — Raoe chakneixe, par J.-F. Elalander.
— A PROPOS d'ukb cxnfpteBNCE BT d'un abticlb. — Coup de pied a
Waoheb. — BBaNAaoïN de Saint-Pierhe vrai. — Hemento des
ExposmoNS. — Petite chromioue.
Walter Crâne
(PREMIER article)
Un nom universellement connu, célèbre ; une réputa-
tion due surtout, sur le continent, à des illustrations de
livres et aux nombreux albums d'images destinés aux
enfants — que la maison Routledge édita, — et vulga-
risés bientôt en Allemagne et en France. Et l'on se figu-
rerait volontiers Walter Crâne, pareillement à Calde-
cott ou Kate Greenaway, un dessinateur habile, enlu-
mineur de contes, aux ordres de quelque libraire, pour
la joie des petits.
La situation qu'occupe en son pays M. Walter Crâne
est autre et son nom, dans le • monde des arts > , est
aussi significatif que ceux de Watts, Millais, Leigbton,
Bum&Jones ou Whistler. Par la diversité de son talent,
par des aptitudes très spéciales , très développées, au
décor et à l'ornementation, par son imagination mer-
veilleuse et la toute noblesse de ses aspirations artis-
tiques, le nom de M. Walter Crâne est notoire entre tous
dans l'art anglais contemporain.
Pour les lecteurs curieux de biographies, il convien-
drait de mentionner que Walter Crâne naquit à Liver-
pool le 15 août 1845, d'un père, peintre lui-même,
Thomas Crâne, miniaturiste distingué. Ce fut dès un
âge très tendre — M. F. -G. Stephens nous l'apprend, —
en 1857, à une exposition de la Royal Academy, une
admiration déjà pour l'œuvre de Millais : Sirisumbras
Crossing Ihe Ford , qui suscitait encore parmi les visi-
teurs l'indignation, l'ahurissement ou les rires, des col-
loques passionnés aussi, renouvelés de la première
manifestation préraphaélite de 1849.
Elève de l'Académie, le jeune Crâne, égalant en pré-
cocité, après Sir Thomas Lawrence, Sir John-Everett
Millais lui-même, y obtenait, tout enfant, une distinc-
tion ; et après un stage de trois années dans l'atelier de
W.-J. Linton , le graveur célèbre d'innombrables bois
dans les jouraaux illustrés. Graphie oiiLondon News,
il exposait à son tour, à cette même Académie royale,
en 1862, à peine âgé de seize ans.
A fréquenter l'académie privée de M. Heatberley,
Newman Street, deux années se passaient encore, et dès
1865 paraissaient les premiers livres d'images, les pic-
turebooks pour les enfants.
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Pour quelle inconcevable raison l'Académie refusa^
t-elle par la suite les envois' du jeune peintre ? En 1872
seulement, une aquarelle titrée At Itome : A Portrait
s'accrocha aux murs hostiles pour la seconde et der-
nière fois. Entretemps, cependant, la Dudley Gallery
hébergeait maintes de ses œuvres, peintures à l'huile,
aquarelles ou dessins ; mais c'est la Grosvenor Gallery
surtout, depuis 1877, qui exposa les plus importants
ouvrages peints de Walter Crâne, Venus Renascens,
the Fate of Persephone, the Sirens, the Laidley
Worm ofSpindleton Heugh,Europa, Diana and the
Shepherd, the Btndge of Life, Pandora, Freedom,
the Chariots of the Hours, les unes inspirées de
raythologies ou de légendes, les autres aux tendances
humanitaires et philosophiques, toutes décoratives.
Sur le continent, on vit aux Expositions universelles
de Paris Venus Renascens en 1878, la Belle Dame
sans Merci en 1889; et à cette exposition des XX de
1891, deux water-colours : Flora et Pegasus, et un
choix des plus beaux albums de Walter Crâne.
Le nom de M. Walter Crâne est encore évocateur de
mille travaux divers dans le domaine de l'Art étendu
aux industries les plus variées : la typographie, la
peinture des vitraux, les cuirs repoussés, — dont on
lui doit la rénovation, — les illustrations de livres, les
papiers peints, la broderie, la tapisserie, etc. Voilà
donc un véritable ouvrier de l'Art, apportant dans tout
ce qui est de son métier, dans le décor, une variété et
une profusion magnifiques.
Et de même que les peintres orfèvres et graveurs
italiens et allemands du xx" et du xvi* siècle, il est
admirable en toutes ces manifestations d'art, met-
tant une même supériorité à traduire quelque
légende, à graver un bois, à dessiner un motif de tapis-
serie, un ornement typographique, — à transformer
enfin le plus heureusement passible pour l'agrément de
l'œil, par la couleur, l'arabesque ou le trait, une surface
donnée. Pour témoigner de ces aptitudes, il suffirait de
citer la décoration du Hall Arabe de sir F. Leighton, à
Kensington; une tapisserie exécutée par W. Morris
d'après la Goose Girl ; la Peacock Frieze, transformée
en papier de tenture par MM. Jeffrey et C"; et, à la
récente exhibition (1890) de la Arts and Crafls Society
dont il est président, outre de nombreuses compositions
décoratives, des panneaux repoussés dits en gcsso, des
broderies en soie exécutées par M™" Crâne.
Walter Crâne est donc surtout un décorateur, un
artiste préoccupé uniquement de formes, d'arabesques,
de lignes, — dont il étudie, en des articles accompagnés
de diagrammes démonstratifs, la valeur expressive.
A ses qualités essentiellement nationales, natives,
aux influences préraphaélites, à des souvenirs de gra-
veurs allemands et de première renaissance italienne,
les influences combinées de l'art grec et de l'art japonais
s'ajoutèrent, déterminant une des plas incontestables
personnalités artistiques contemporaines.
C'est dans son oeavre populaire, iÈa& ses albpms
en&ntins que nous trouverons l'essence de «on multiple
talent.
Ces albums — contes de fées, histoires merveillenèes,
alphabets ou chansons, — datent des débuts de Crâne et
se perpétuent jusqu'encore aujourd'hui. Les premiers
sont des scènes réalistes, d'un dessin un peu dur, point
supérieures à d'excellentes illustrations de journaux. Ils
séduisirent cependant M. J.-K. Hu^smans, qui y trou-
vait un apaisement à sa fringale de modernité.
Tout au plus signalerons-nous dans cette série la
superbe allure de vaisseaux prenant le large (thetoad-
ling Fi'og), l'animation d'une estacade par un temps
pluvieux et gris et une amusante scène de pantomime
(Grammar in Rhyme). Puis la forme se précise, les
contours se gravent, chaque image se compose comme
un tableau ; et ce sont ces feuillets de la vie de Londres :
« Maids arecourting •>, « Maidsin theKitchen » (One,
two, Buckle my shoe), et surtout dans Annie and
Jack in London, les ours du Zoological Garden, les
péripéties du patinage, le comique pincé de clowns.
Puis des scènes de pure fantaisie, d'humour, se mêlent
à la réalité stricte : un équipage de souris monte le
Fairy Ship, travaille au déchai^ment et aux manœu-
vres, agiles matelots qu'un important canard com-
mande :
The Captain was a Duck
"With a jacket on his back.
Walter Crâne, d'ailleurs, excelle à représenter des
animaux en lieu et place d'humanité; il est un peu le
La Fontaine des bêtes qu'il dessine. D'autres livres nous
offrent des ébats de gorets, d'ours, de chiens, un loup
rusé, - altéré de sang », dans Little Red-Riding Hood,
le chat botté du Marquis of Carabas, le magnifique
sanglier seigneurial enfin de BeaiUy and the Beast.
Comme le dit M. Huijsmans, « ce qui est inestimable
dans ces planches, c'est la mise dans l'air de ces person-
nages, le spirituel de ces figures, l'expert de ces regards,
la réalité de ces postures ; il y a là une senteur inconnue
en France-, cela exhale un goût franc de terroir et laisse
bien loin des lourdes et insipides plaisanteries de Grand-
ville, ce Paul de Kock du dessin, ce grossier traducteur
des attitudes et des passions humaines sous des habil-
lements et des mufles de bêtes! »
Mais à mesure que se perfectionne la composition
jusqu'à produire de parfaites œuvres d'art, les couleurs
s'agencent en contrastes féroces, en splendeurs acides et
éclatantes. Des noirs intenses exaspèrent des chromes,
les verts et les bleus sont aux prises, excités aux cla-
meurs des vermillons, — féroces polychromies d'une
saveur britannique si spéciale en cet album de scènes
familiales et intimes, My Mother, un chef-d'œuvre, où
cette admirable planche : une plage, — voiles, mouettes,
— et un jeune homme soutient l'aïeule infirme et
courbée, tandis qu'éclate au loin la joie de jeux d'en-
fants.
Geokoes Lbhhbn.
LA FLUTE A SIEBEL
par Max Waixol, petit in-8> carré de 85 p. — Bruxelles,
Lacomblb, 1891.
Ses amis avaient souscrit pour lui dresser un monu-
ment funèbre. L'autorité qui police dans les cimetière
n'a pas voulu. Alors ils ont employé l'argent à éditer là
Flûte à Siebel.
C'est bien, c'est conforme, et le mort doit être content.
Son fantôme aura, à cette occasion, joué un air dans
le -pays des ombres, plus sarcastique, plus mélanco-
lique que ses airs de vivant. Il fut accoutumé par le
sort à ces malechances et goguenardait ses ennuis en
les Autant.
Pas seulement de la goguenardise pourtant. Cela
pénétrait plus loin que l'épiderme, car c'était plus aigu
que le rire. Ses airs légers, ses vers légers étaient
armés de l'aiguillon, et l'aiguillon avait été trempé dans
les larmes. Ils étaient amers, ses airs, ses vers. Et à^
les relire, à les refredonner à la suite, les vingt-sept
qu'ils sont dans ce cahier funéraire, on est très pris de
tristesse.
C'est si dans la fuite, déjà, les jours où l'imberbe
Waller gnitarisait ainsi, gentil, et souple, et fort, sans
penser au coup d'arbalète, venu du mystère, qui devait
le frapper et le renverser en pleines guitares, chantant,
pleurant, menant la bande des Jeune-Belgique, sérieux,
joyeux, rêveur, penseur, trouvère, compère, musicien,
arlequin, ayant la batte, ayant le fleuret, ayant la
plume, ayant la cravache, brave et bravache, insolite
et insolent, amical, inimical, inimitable.
Dans le souvenir il s'incarne : une aquarelle d'ado-
lescent clair et fler, le panache au feutre, un mousque-
taire de lettres, enfant de troupe dans les mousque-
taires, très vaillant et en tête, autant la marche en
avant, crâne.
Ces Airs de flûte sont sa pensée même en son plus
usuel décours, la langue maternelle de son cœur origi-
nellement meurtri, saturé de triste, de triste accompli,
ou de triste, de triste à venir. C'était des airs rieurs,
sautillant les notes pizzicatantes, avec des accompagne-
ments mnrmuratifs de sanglots, très bas, très bas, une
sorte de discret appel de la mort prochaine, soufflant
le froid funèbre :
Les vagues vont, les vagues vagues
Comme un rite d'eau sanglotant,
Kt oe n'est que de l'eau pourtant
Et j'écoute vaguer les vagues.
Il y a de l'amour, natiirellement, dans ces vingt-sept
romances, dans chacune des vingt-sept presque, de
l'amour qu'on devine très eorrosif, quoiqu'il le boive
d'un trait; de l'absinthe pure qui a dû le mordre aux
entrailles. Il en défile, défile, défile des amoureuses sur
les rythmes du joueur de fifre, dans le quinconce de
ses strophes, farandolant, les mains aux mains, en
longue série serpentante, lui en tête, comme tout à
l'heure, Autant la marche, crâne, langoureux aussi,
vainqueur, moqueur, mais avec, au coin de la bouche,
le pli d'une angoisse.
Mon cœur est comme un Orand- Hôtel
Où descendent les bien-aimées.
Et sur leurs valises fermées
Volent des Amours de pastel.
Je les reçois sans leur rien dire.
Pose leurs malles doucement.
Puis elles suivent mon aimant.
Mon aimant aimant : le sourire I
C'est fait de rien, de presque rien, ces fleurs artifi-
cielles, gracieuses, coquettement arrangées, d'un tour
de doigt gamin, alerte, très sûr, comme une actrice
pomponne, attife, chifibnne, poudrederise son visage
et sa coifl'ure. Tout va au juste endroit et prend la spi-
rituelle allure, d'instinct, sans savoir, avec des moues
et de jolies façons de singe et de chatte :
Lorsque dans le doux soleil clair
Où la rosée en perles pleure,
J'ai vu la chère, tout à l'heure,
Elle prenait un air en l'air.
Railleuse gaieté « de croque-mort qui s'enterre soi-
même ». Tous ses coups de rire finissent en un gémisse-
ment. C'est lui qui écrivit la Vie bêle! Comme il en a
filé, de la mélancolie, le frêle tisserand, le pauvre page,
Chérubin-Siebel :
Si le soleil n'était pas là,
Lui qui contre tous nos pleurs lutte.
Je me tuerais, tra la la la!
En sanglotant lin air de flûte !
Deuxième concert des « XX »
C'était, celle fois, une vraie exposition musicale que ce
deuxième concert des XX: dix compositeurs défilaat sur l'eslrade,
tous en bonne lumière, bien présentés au public, et attestant la
vie et la colésion d'un groupe de musiciens qui a décidément
pris la tête du mouvcmcol artistique contemporain.
Ces dix compositeurs : Vincent d'Indy, Gabriel Fauré, Ernest
Chausson, Pierre de Brévillc, Henri Duparc, Emmanuel Chabrier,
Julien Tiersot, Charles Bordes, Camille Benoit, Paul Vidal, unis
par un même souci de la forme, de l'écriture raffinée, par l'hor-
reur du déjà dit et de la banalité, mais très divers de tempéra-
ment, de tendances, d'inspiration, de conception musicale.
An premier rang, plaçons Vincent d'Indy, dont WallensUin,
la Symphonie pour orchestre et piano, le Quatuor et le Trio,
et tout récemment la Forêt enchantée, ont définitivement con-
sacré la renommée. Avec un bagage comme celui-là, on peut-être
rassuré sur l'avenir. Le lot de M. dindy, dans le concert de
\
70
L'ART MODERNE
mardi, consistait en un Quatuor pour instrument* à eordet,
encore inédit, joué pour la première foi», et joué, — faut-il le
dire T — avec une rare perfection par MM. Ysaye, Crickboom, Van
Bout et Jacob.
Dans celle œuvre, Vincent d'Indy s'élève encore plus haut que
dans ses compositions précédentes. L'inspiration est soutenue par
un travail harmonique admirable et se développe, sans faiblesse,
durant les quatre parties, avec une verve, une abondance, une
richesse d'idées vraiment extraordinaires.
Le coloris de V Introduction est superbe, et dès les premières
notes on se sent pris par l'émotion que provoquent seules les
œuvres puissantes et grandes. Les deux parties qui suivent, un
mouvement lent et une sorte de thème populaire suivi d'un
Scherzo dont le motif est pris au thème de Vandnnle précédent,
ont produit le plus grand effet sur l'auditoire. Elles sont, l'une et
l'autre, d'un sentiment pénétrant.
Le final forme un contraste voulu avec les deux parties précé-
dentes. Après les flots de poésie, après les flottantes rêveries, la
rusticité, le retour aux joies champêtres. Il est merveilleusement
travaillé et conduit avec une logique, une sûreté de main, une
science polyphonique remarquables.
Le quatuor a d'ailleurs, d'un bout à l'autre, l'unité qu'on ne
rencontre que dans les œuvres conçues entièrement d'avance et
écrites d'un jet, ce qui n'est pas fréquent pour des compositions
de cette importance.
A part le poème symphonique Lénore de Henri Duparc et les
Valses romantiques de Chabrier, joués à deux pianos par
MM. Vincent d'Indy et Octave Maus, le reste du programme était
principalemcni vocal. Il comprenait le joli chœur de Fauré le
Ruisseau, déjà entendu aux XX, il y a trois ans, et quatre
chœurs chantés pour la première fois à Bruxelles : l' Epithalame
(à 3 voix) extrait des Noces corinthiennes de Camille Benoit,
Sainte Rose de Lima de P. de Bréville, Au Soleil de mai de
J. Tiersot.ct le chœur des Anges de la Nativité, le très joli poème
musical écrit par Paul Vidal sur des paroles de Maurice Bouchor
pour le Théâtre des Marionnettes.
L'nc mention spéciale doit être faite à Sainte Rose de Lima,
l'œuvre la plus importante de ces quatre chœurs, et aussi la plus
rafilnée et la plus ciselée.
Puis encore : une exquise mélodie de Bordes sur des vers de
Verlaine, ironiquement accompagnée par le motif de la gigue
écossaise. Dansons la gigue! est un bijou musical qui gagnerait
îi être exécuté par l'orchestre.
La Tempête de Chausson, écrite pour chant et pour on petit
orchestre composé d'un violon, d'un alto, d'un violoncelle, d'une
flùle, d'une harpe, d'une célesta et d'un gong, a remporté, après
le quatuor de d'Indy, les honneurs de la séance. C'est si fin, si
aérien, si vaporeux, si argentin, que le public a été tout le temps
sous le charme et qu'on cv'it volontiers redemandé les quatre ou
cinq morceaux dont se compose celte partition, si le concert n'eût
été déjà assez long.
Il nous reste à dire que les interprètes ont rivalisé de talent et
de goût. Nous avons dit que le qualuor Ysaye avait donné à l'œuvre
de Vincent d'Indy une inlerprélation parfaite.
L'exécution de la Tempête, qui avait pouf exécutants, outre
les interprèles cités, MH" Gillieaux et R. H,, MM. Anthoni et
Meerloo, n'a pas été inférieure. Le rôle important donné à la flûte
et à la harpe, a mis en relief le remarquable talent de solistes des
deux professeurs.
Quant à V^ Gillieaux, elle a chanté d'une voix toupie, tim.
brée, homogène et fort agréable h écouter, les nombreux loli dont
était parsemi le concert, ce qui ne l'a paa empêchée de faire
vaillamment sa partie dans les chœurs, avec aniant de modestie
que de bonne grâce.
Et comme au concert précédent, les dames choristes, stylées
par M. Léon Soubre et dirigées par H. Viocenl d'Indy, ont chanté
avec précision et avec justesse. ^
RAGE CHARNELLE
Roman naturaliste par J.-F. Elslandir. — Un vol. in-12 de
409 pages. Bruxelles, ches Henry Kistemaeekers, 1890.
Dans une clairière de la forêt qui couvre aux alentours les monts
et les vallées jusqu'aux confins des plus lointains horisons, au bord
d'une mare d'eau stagnante, une tour féodale, ravagée par le
temps, élève au dessus des frondaisons les restes de ses créneaux
noirs. Li, réunis par les hasards du vagabondage et de la misère,
vivent, dans un farouche isolement, le Marou, une sorte d'homme
fauve, étranger à toute civilisation, en qui les vivifiantes énergies
de cet océan de sève ont surexcité les appétits sensuels, et Made-
leine, une enfant sauvage, abandonnée en cette inquiétante coha-
bitation par sa mère, morte sous les baisers de ce gueux puissant,
dont la force l'avait séduite.
A mesure que la jeune fille naît ii la puberté et que se dévelop-
pent les courbes de son corps de vierge, la passion s'allume dans
le sang de l'homme et une ipre lutte commence entre ses désirs
de plus en plus impérieux et les répulsions invincibles de celle
que terrorise son amour de brute. D'abord contenu par les mépris
de cette femme dont la seule présence met des tremblements dans
sa chair et domine sa volonté, il cherche des diversions aux plus
prochains villages, se précipitant, comme une béte de proie, sur
les premières femelles entrevues; mais, partout repoussé, il
re :ent il son obsédante pensée et demande il l'ivresse le courage
de violenter l'obstination des refus, de sorte qu'il ne reste & la
jeune fille d'autre salut que la fuite. Après une lutte terrible d'où
l'agresseur sort vaincu, les nerfs pantelants et le crlne brisé, elle
quitte cette retraite devenue pour elle inhabitable; elle aban-
donne sa vie libre des bois et va enfouir ses terreurs dans le ser-
vage d'une ferme éloignée.
Cependant, le Narou renaît peu à peu il la vie ; du cauchemar
de son ivresse et de ses blessures, la passion inassouvie se réveille
avec le souvenir. Balafré et sordide, objet de mépris et d'effroi, il
vague dans le pays, repris tout entier par sa convoitise, et lorsque
enfin il a retrouvé sa victime, il se tapit au bord du chemin où
elle doit passer et l'assaille avec tant de foreur qu'il lui arrache
la vie en même temps que la satisfaction de sa rage.
Ce n'est \i que le prélude : voici seulement que le drame com-
mence. Maître, enfin, de ce corps si ardemment souhaité, il l'em-
porte au travers de la forêt complice qui arrache les lambeaux de
vêtements et fait transparaître les nudités; et la morte s'empare
de lui, irrésistiblement l'attire, embrase son sang et s'impose i
ses volontés. Aussi tremblant devant elle qu'il fut devant la vivante,
il la désire et la redoute ; il s'approche et se retire ; il reprend son
fardeau dont les chairs molles viennent se coller à sa peau brû-
lante et l'abandonne de nouveau ; de station en station, il arrive
ainsi à son repaire où l'effroyable lutte continue jusqu'il ce que
L'ART MODERNE
71
l'homme anéanti expire en polluant le cadavre déjà envahi par la
pourriture.
Certei, il (allait un vigoureux tempérament d'artiste pour entre-
prendre de cette suppliciante possession un récit prolongé l'espace
de plus de cent trente pages, dont chacune devait ajouter une
teinte plus sombre au ton de bitume de la page précédente, et si
l'auteur n'a pas toujours atteint cette gradation dans l'horreur,
que l'horreur même du point de départ rendait presque irréali-
sable, du moins a-t-il su maintenir l'impression haletante au ira-
vers d'une abondance de détails qui révèlent une imagination bril-
lante.
Dira-t-on que l'observation fait défaut et que cette (aniaisie
macabre ne peut mériter le titre de roman naturaliste inscrit sur
la couverture T On pourrait répondre que, pour être hors de la
nature, le sujet ne serait pas hors de la littérature ; mais il ceux
que n'attirent pas les apocalypses et qui penseni, avec nous, que
ia véritable émotion a sa source dans les entrailles de l'humanité,
nous nous bornerons à soumettre le fait divers suivant, reproduit
récemment par tous les journaux :
« On vient de découvrir à l'hOpital de La Rochelle une série
d'actes criminels presqu'incroyables. Un nommé Félix Lucazeau,
était employé à l'hOpital en qualité de cocher du corbillard qui
portait les morts au cimetière. L'écurie où il a ses chevaux était
voisine de l'amphithéâtre où sont déposés les cadavres avant
d'être mis en bière. Lucazeau avait volé ou avait Tait faire une
clef qui lui permettait de s'introduire, la nuit, dans cet amphi-
théâtre, et là, il souillait les cadavres de femmes. Cet horrible
manège durait sans doute depuis longtemps; mais ce n'est que
ces jours derniers que l'aspect de certains cadavres attira l'allen-
tion des sœurs, etc.. »
En leur style banal de reportage, ces quelques lignes ne con-
tiennent-elles pas en germe tous les développements épiques que
M. Elslander a donnés il son sujet, avec même un degré de plus
dans l'horrible, puisqu'il s'agirait ici d'une sorte d'habitude froi-
dement pratiquée, tandis que par le jeu d'une passion frénétique,
mais très humaine, M. Elslander a, en quelque sorte, magnifié
son héros, si bien qu'en le suivant dans le douloureux calvaire
de sa rage charnelle, on se sent pris de pitié et que l'on doit
reconnaître que celle œuvre brutale est, après tout, une œuvre
de sentiment.
C'est aussi une œuvre d'artiste, une des plus curieuses parues
en ces temps derniers et féconde en réelles beautés de style.
A PROPOS D'UNE CONFÉRENCE ET D'UN ARTICLE
Nous lisons :
« M. Albert Giraud a donné samedi, au Cercle artistique, une
conférence sur Max Waller. Le sujet était extrêmement mince,
car le fondateur de la Jeune Belgique est malheureusement mort
avant d'avoir pu écrire une page quelconque, ayant de vrais et
personnels mérites. M. Giraud a cité quelques gamineries assez
amusantes, qui ont figuré dans les Echos cl nouvelles îi la main
de la Jeune Belgique. Mais ces boutades ou imperlinences
samillanlçs d'étudiant ne suffisent pas k constituer des titres d'écri-
vain. El quant aux petites pièces du recueil de vers, la Flâle à
Siebfl, lues par M. Giraud, leur maniérisme est bien grêle, et leur
sensibilité moqueuse d'un bienchélifel monotone procédé.
« Aussi nous-a-t-on dit que l'œuvre principale et glorieuse de
Max 'Waller était d'avoir fondé et fait vivre la Jeune Belgique. Si
ce gentil garçon, qui avait de la grâce et quelque esprit, n'a pas
été écrivain, il aura été, du moins, un faiseur d'écrivains. Soyons-
lui reconnaissants d'avoir donné occasion à quelques jeunes
artistes, soucieux de slyle et ambitieux de renommée, d'avoir fait
connaître leurs noms, leur prose et leurs vers très raffinés.
« M. Giraud a eu le tort de reprendre, dans son ingénieuse con-
férence, un développement que nous avions eu déjà, avec plus
de vigueur, dans une autre conférence sur des poètes d'exception.
C'est un petit morceau de raillerie amère, sur les criliqrcs
indifférents aux livres belges, à moins qu'un article du Figaro
ne les ait signalés. M. Edmond Picard avait fait, avec assez
d'énergie et de pittoresque, ce développement déjà trop connu,
pour que M. Giraud ne le reprit pas, d'un ton plus plaintif. »
(Test dans V Indépendance Belge que nous découpons ces
lignes. Puisque nous avons les ciseaux en main, nous ne résis-
tons pas à la tentation d'en diriger les pointes — un instant
encore — vers la baudruche littéraire de M. Frédérix, le signa-
taire de 'cet extrait. Nous n'en voulons guère à Frédérix, mais
violemment à l'idée qu'il représente. Chez nous celte idée porte
son nom ; en France elle s'appelle Sarcey.
Aussi longtemps qu'à l'endroit d'un poète belge, d'un écrivain
belge, d'un jeune homme hardi et vaillant de plume — quels
qu'aient été ses torts dans la vie — on imprimera de telles
phrases injustes, mesquines, des conférences comme celles de
M. Giraud seront opportunes. Et l'on aura beau jeter les confé-
renciers à la tête l'un de l'autre, essayer de diminuer l'un par
l'autre, user de la facile lactique qui consiste à toujours rabaisser
ce qui se fait aujourd'hui par ce qui s'est fait, ne fut-ce que deux
mois avant, on ne prouvera qu'une chose: c'est que sur le clou
qu'on enfonce dans le ventre de suffisance de certaine critique,
il reste encore quelques coups de marteaux à donner.
Les proses de M. Frédérix sont de quelqu'un qui croit que le
jugement esiliêiique consiste à réussir des mois aigres, à tourner
une banale ironie comme on tourne des toupies, à parader dans
un feuilleton au lieu de dire simplement son avis, b, non pas
expliquer un auteur, mais lui donner des chiquenaudes sur les
doigts — et qui se croil un grand monsieur, parce que jadis, au
temps de l'oncle Bcuve — son oncle ou plutôt son père — de
tels procédés avaient cours. Or, tout cela est très vieillol et a
toujours été très prétentieux.
Les articles de M. Frédérix fonl songer à ces petits rectangles
de verre qu'on rencontre sur la table des pensions bourgeoises. Du
mensuel poivre évaporé et du sel que tous les couteaux pollués
des habitués salissent quotidiennement, s'y arrondissent en deux
pelils godets. Quand M. Frédérix fail un article, il prend deux ou
trois pincées de ce sel, qu'il croit allique, cl deux ou trois pincées
de ce poivre, qu'il croil piquant. Alors il en saupoudre sa
côtelette de veau, et la sert dans son journal. Ceux — les
lecteurs de V Indépendance — qui la mangent depuis vingt ans
car c'est toujours la même côleletlc — ne savent pas môme
qu'il exisle de la littérature vive cl saine, de la belle litté-
rature rouge et jeune; ils continuent à user leurs pauvres dénis
sur les Feuillet, les Normand, les Dreyfus, les Pailleron, que sais-je?
Tout ce qu'il y a de viril, de profond, de neuf, d'au delà du joli
et du soi-disant bon goût bourgeois, échappe à la sagacité et à
l'intelligence de M. Frédérix. Il fail des parloltes autour des pièces
que Sarcey déclare être du théâtre; il n'a pas inventé « la scène
à faire » mais il a souvent réussi « la gaffe à commettre ». Il
72
L'ART MODERNE
vient en relard toujours quand il s'agit de se prononcer sur un
mouvement d'an naissant, ou sur un livre fier, ou sur une nou-
veauté artiste. Où d'autres cherchent l'émotion, lui, il court apfès
de mesquins mots d'esprit. Et quand il a commis sa gaffe, c'est-
à-dire quand il s'est prouvé hostile aux œuvres vierges de tout
commentaire journalistique parisien, il la veut atténuer en criant
aux autres qu'ils se targuent il tort d'ôlre clairvoyants, qu'ils fout
étalage d'un mérite illusoire et, qu'après tout, il est aussi favorable
qu'eux aux manifestations nouvelles et aux idées rénovatrices.
Cela fuit peine.
Car, somme toute, M. Frédérix n'est pas un hargneux ni un
méchani, ce n'est pas un pilre ni un vil. M. Frédérix n'a qu'un
défaut, c'est de se survivre. 11 devrait se taire cl écouler. Oui,
tout simplement écouler. A son âge, quand le cerveau, nous ne
dirons pas se racornit, mais, en tout cas, arrête son développe-
ment, il devient inapte à saisir la progressive évolution des choses
et des éires. Tout ce qui est autre que ce qu'il a pensé apparaît
parle fait : mauvais.
11 a pour exemple son confrère M. Fétis qui dans son compte-
rendu des A'.Y se contente de voir et de supprimer son jugement,
dès qu'il ne comprend pas. M. Frédérix devrait faire comme lui.
A moins que, mieux inspiré, il ne se rende compte qu'il sied à
quelqu'un,' ayant derrière lui un long passé de critique, de saluer
génércu-emenl et tout en s'effaçant, ceux de son pays, dont
l'ardeur lillérairc csl belle et dont la volonté, du reste, sera
indubitablement victorieuse.
Celle ardeur, celle confiance et cette volonté, M. Giraud les a
affirmées biiutemcnt en une causerie nette, enthousiasle et artiste.
peintres apporteurs de neuf el nous cilioni l'exemple de Wagner,
également nié jadis, aujourd'hui irlomphanl. Mais la graine,
la mauvaise graisse pousse eocore, comme on le voit, en orties
' et en ronces, aulour du monument de Wigner.
5I0UP DE PIED A -V/aPNER
Le Monde crphéonique, important journal d'art musical pari-
sien, imprime :
« Qu'est-ce que Lohcngriii, sinon un ramassis de tous les
styles, une macédoine, en un mot! Vous y trouvez (les plus con-
vaincus (l'entre vous le reconnaissent) du Weber, du Meycrbcer,
voire même ))arfois du Rossini I el c'est juslement ce qui explique
le succès de cotte pnrliiion composite où le public, sur un livret
enfantin qui fait sourire, retrouve quand même, avec un certain
plaisir, plusieurs opéras en un seul!
« Vous ferez viiloir, avec quelque apparence de raison, la puis-
sante oreliestration du maître allemand. Comme roi de l'orchestre
nous avons, en Frame, lierlioz, et cela nous suffit. Personne
n'ipnore, d'ailleurs, que tous les procédés d'orcliestration du
maiire français ont é:é servilement copiés par l'auteur de Par-
sifal, el quand nous avons en France l'original d'un tableau, point
n'est besoin d'en aller chercher un grossier pastiche de l'autre
côté du Illiin ! »
Oh ! la crasse de ramollissement collée à chacune de ces lignes!
Non, jamais on est au bo jI i: la bèlisc humaine. El pour l'ins-
tant la France, grâce à son chauvinisme déroulédien, à son hos-
tilité d'idées qui s'attaque à tout ce qui lui vient du dehors, se
prodigue en jugements mesquins el faux. Puisqu'elle est la sou-
veraine en art, pourquoi ne se point montrer haute et bienveil-
lante comme vient de le f.iirc à son égard l'Allemagne, la souve-
raine on armes el en batailles!
Les rancunes qui suinlcnt de ces lignes nullement orphéoni-
qucs el cette toujours manie d'écraser un génie qu'on nie sous un
autre qu'on a nié jadis, sont une des formes les plus usées et les
plus plates que les poussifs d'admiration ont inventées !
Nous parlions dernièrement de la bêtise ameutée autour des
BERNARDIN DB SilMT-PISRRS VRAI
Les sentimentales lithographies d'anlan font apercevoir
Bernardin de Saint-Pierre devant une chaumière, les yenx au eiel,
tandis que son chien lève sur lui un regard attendri et qu'une
négresse le contemple avec ravissement...
Dans un travail véritablement très piquant, dit Paul Ginisty de
OU Bios, madame Arvède Barine s'est plu ii ressusciter le vrai
Bernardin de Saint-Pierre, non plus le Bernardin douceâtre, mais
l'homme inquiet, hanté de chimérique, aventureux, amer, quel-
que peu tyrannique, qu'il fut, en fait, longtemps dévové. courant
le monde k la recherche d'une répui^ique idéale, 06 il pût applir
quer ses théories singulières sur le bonheur du genre humain,
irrité, cependant, contre tout le monde, défiant, tout près de la
folie, pendant une période de son existence.
Après le succès de Paul et Virginie, même, qui flatte délicieu-
sement sa vanité, il reste misanthrope et quémandeur k la fois.
I>e pli csl pris. L'histoire de son mariage est la plus singulière qui
soit. Encore qu'il eût cloquante-cinq ans, il avait inspiré k made-
moiselle Didoi une passion profonde. Bernardin de Saint-Pierre
consentait bien i épouser cette jeune fille qui rêvait de partager
sa gloire; mais il entendait que le mariage ne fût pas rendu
public, cl il ne permettait pas d'habiter toujours le toit coqjugal
dans l'été d'Essonnes, où il spécifiait, posant ses conditions,
qu'une maison devait être construite. Autre désir : il fallait que
les repas fussent préparés par sa femme elle-même. Enfin, il
réglait pour elle le temps, heure par heure, sans qui! dût lui être
permis de s'écarter de ce programme, qui est un chef-d'œuvre
d'égolsme ingénu.
Ces conditions, qui allaient faire de mademoiselle Didot la pre-
mière servante du grand homme, elle les accepta i peu près
toutes, réduite, elle qui avait été si fière d'unir sa destinée i celle
du poétique écrivain, au rôle de ménagère. La seconde femme de
Bernardin de Saint-Pierre, moins dodle, le mena autrement!
A l'Institut, il était redouté pour son caractère toi^Jours irri-
table et pour son entêtement ; et lui, il se croyait persécuté par
ses collègues. Les séances où il parlait étaient les plus orageuses
du monde. C'était un intraitable batailleur... Hais rien u'v fera :
dans l'imagination de la foule, il restera toujours un bonbomme
débonnaire et larmoyant, incarnant toutes les humaines vertus.
On ne démord pas aisément d'un type tout tracé. Au reste, qu'im-
porte ce qu'il fût? Il a laissé de quoi le défendre devant la posté-
rité. Mais n'est-il pas curieux de constater que la plupart des opi-
nions reçues sur les personnalités illustres du passé sont précisé-
ment, presque loigours, le contraire de la vérité?
Mémento des Ebcposltions
Barcelone. — Exposition annuelle. — 29 mars-3{ mai. —
Envoi 96 février-7 mars. — Renseignements : Secritariat de la
Commiition orgaimahice. Palais du Beaux- A rtt, Patea Fuja-
dot, Barcelone.
Bordeaux. — XXXIX* Exposition de la Société des Ami* det
ArU. — i mars 1891. Délais expirés. Reoseigncmeots : Secréta-
riat de la Société, Oalerie de la Terraste du Jardin public, Bor-
deaux.
Berlin. — SO"* anniversaire de la Société des Artistes. —
Exposition interoationale. — 15 mai. — Renseignements :
M. Anton von Wemer, directeur de l'Académie royale des
Beaux-Arts, Zimmerslrasse, 93, Berlin.
Id. — Exposition internationale des beaux-arts k l'occa-
sion du cinquantième anniversaire de la Société des Artistes.
./T Z^i'^yi^\Y'W^lS^^'^^W^-^^
i**'W
VART MODERNE
73
4*' mai-IS septembre. Délai d'envoi : 44 mare-40 avril. Reniei-
gnementi : À. von Werner, prétident du Comité.
Sefclion spéciale : ouvrages illustrés (gravure, eau-forle, lilho-
§raphle,"e(e.). Dépôt avant le 4*' avril chez MM. DUlrick,
Hylimtagne de la Cour, Bruxelles (rep. pour la Belgique et la
Rollandé).
Liekt. ■<— Ooalrième Exposition annuelle de la Soeiélé lyon-
tittisê iti Btaux-Art*. — Ouverture : S7 février. Renseigne-
ments : Secrétariat général, rue de V Hôpital, 6, Lyon.
Milan. -^ Exposition triennale des Beaux-Arts. — 4"-30 juin.
— Trois prix de 4,000 francs chacun, fondés par le roi
Humberl, décernés ii la peinture et k la sculpture. Trois prix de
4,00é francs chacun, fondés par Savcrio Pumagalli, décernés ii la
sculpture, i la peinture religieuse, historique ou de genre. Un
prix de 4,000 francs, fondé par Antonio GavazzI, décerné à la pein-
ture historique. Médailles et diplômes. — l.,es demandes d'admis-
sion devront être adressées au président, M. Emile Vitconli-
Venqita, à F Académie de* Beaux- Art* de Milan.
Moscou. — Exposition française. — 4" mai-octobre. (Réservée
aux artistes invités). Délais expirés.
Paris. — Exposition des Artistes indépendants (Pavillon de la
Ville de Paris). — Ouverture 30 Mars. Dépôt : 6, 7 et 8 mars. —
Renseignements : M. Serendat de Beltini, tréiorier, rue du
Roiàer, 56, Parie.
1d. Union des femmes peintres et sculpteurs. — 34 février-
44 mars. — Droit d'exposition : S francs par œuvre exposée
(maximum ii payer : 90 francs). Renseignements : M'" Bertaux,
préiidente, 441, avenue de ViUiert, Parie, et M. Olivier Merton,
447, boulevard St-Michel.
Id. Société nationale des Beaux-Arts (Exposition de 4894).
— 45 mai-40 juillet, au Palais des Beaux-Ans (Champ-de-
Mars). — Délais d'envoi : Peinture, gravure, du l" au 5 avril ;
sculpture, du 4S au 30 avril. Les œuvres non admises par le Jury
d'examen pourront être retirées : les tableaux et gravures, du
30 au 3S avril ; les sculptures, du 35 avril au 4*' mai.
lo. — Salon annuel (Champs-Elysées) 4" mai -30 juin.
Délais d'envoi : peinture, 44-30 mars; dessin, aquarelles, pas-
tels, etc. 44-46 mars; sculpture, gravure en médailles, gravure
sur pierre fine, etc., 34 mars-8 avril.
Petite chro^^ique
Le grand succès obtenu par les deux concerts des XI a décidé
les organisateurs à en donner un troisième, consacré exclusive-
ment i la musique russe. Cette séance exceptionnelle, dans
laquelle le qnatnor Ysaye interprétera le Quatuor n' 3 de Tschal-
kowsky et le Quatuor n» 2 de Borodine, aura lieu mardi pro-
chain, d 3 heures. Un intermède vocal complétera cet intéressant
programme. ..,
Jeudi prochain, 8 mars, M. Edmond Picard fera aux XX, une
conférence sur Jules Laforgue et la femme.
La clôture de l'exposition est irrévocablement fixée au dimanche
8 mars.
Voici le tableau des recettes pendant la première quinzaine du
Salon des XX.
Entrées à 80 centimes . . fr. 4,483.50
— à 9 francs ...» 330.00
Caries permanentes . . . » ' 4,960.00
Total. . . fr. 3,073.50
cette année-ci que la Société
devra
Ce n'est pas encore
entamer sa réserve. ^
On nous écrivait dernièrement pournous prierd'obtenir des A^X
que leurs concerts aient lieu le soir, ou le dimanche après-midi,
afin de permettre aux personnes occupées d'y assister. Nous
retrouvons le même désir exprimé dans F Impartial bruxellois.
qui consacre h l'exposition musicale des XX un article des plus
aimables.
Le ehansement demandé est impossible. 11 est interditd'éclairer
lef salles au Musée, ce qui écarte l'idée des concerts du soir. El
quant aux dimanches après-midi, ils sont tous pris par les
eonceriB du Conservatoire et par les Concerts populaires.
On nous prie d'annoncer le concert qui sera donné sous le
patronage de Son Excellence le minisire d'Angleterre et lady
Vivitn a la Grande Harmonie, le mercredi 44 mars 4894, à
8 4/3 heures du soir, au bénéfice du British tnstilute, avec le
concours de Miss SibyirSanderson.du théSlre royal de la Monnaie,
M''* Aimée De Cerf, cantatrice, M. Lerminiaux, violoniste, M. Péjé
Slorck, pianiste, M. Liégeois, violoncelliste etM'>' Parys.
W Roger-Miclos, la célèbre pianiste dont on sait la grande
réputation à Paris, se fera entendre prochainement à Bruxelles où
elle est encore inconnue.
Elle Jouera au concert que le Cercle des A ris et de la Presse
donnera, le 5 mars, à la Grande-Harmonie, et dont le programme
sera consacré, en partie, il l'audition d'œuvres vocales et instru-
mentales de notre compatriote Fernand Le Borne. Cela promet une
soirée intéressante.
M. Ed. Jacobs, noire éminenl violoncelliste, a bien voulu pro-
mettre également son concours ainsi que plusieurs artistes du
chant.
M. A. Pit vient de publier le Catalogue descriptif des eaux-
fortes de Philippe Zilcken, dont on a vu quelques œuvres au
Salon des XX. Ce catalogue, très coquet et rédigé avec grand
soin, mentionne deux cent et une pièces différentes, d'une variété
extraordinaire. 11 y a des paysages, des portrait?, des études de
figures, des croquis de fleurs, des reproductions de tableaux, des
fantaisies, etc. On est surpris de voir un œuvre aussi considé-
rable accompli par un artiste qui est encore classé parmi les
jeunes. '
La Société philanthropique des A r listes-musiciens, qui vient
de se constituer à Tournai sous la direction de M. Lcenders,
l'excellent directeur de l'Académie de musique de celle ville, a
donné la semaine dernière son premier concert, et le succès a éié
considérable. L'orchestre, conduit par M. Leenders, a joué
l'ouverture de Fidelio cl la Kermesse de Blockx, extraite de
Milenka. On a applaudi M»« Cuvelicr, M"" Kayser, M. Lilien, un
jeune violoniste dont les journaux locaux font un sérieux éloge.
Bref, la soirée a éié allrayanic et variée cl l'ail bien augurer des
séances à venir de la nouvelle association.
De X... est un anliwagnénsle enragé. Membre influenl du cercle
de M..., il combat, par tous les moyens dont il dispose, les par-
tisans du maître allemand et cherche à les ramener dans la bonne
voie. C'est ainsi qu'il donne, deux ou trois fois par semaine, des
soirées, k l'issue desquelles un orchestre, qu'il dirige en per-
sonne, joue exclusivement ses maîtres fa\oris. Savez-vous de
quel nom ironique les facétieux détracteurs de ce pauvre deX...
désignent ces inoffensives réunions consacrées à l'arl cher à
Gounodî de « traiicmenl des maladies wagnériennes ».
Nous recevons les premières livraisons d'une revue nouvelle»
rédigée avec soin et qui paraît devoir ^Ire fort iniércssanle : La
Nuova filosofia, riviita internazionale di scienze, lelteratura e
polilica, sous la direction du docieilr Andréa Torre. (Naples,
via Lungo Avvocaia, 66).
La N uova ftiosofia paraît tous les mois en livraisons de 32 pages.
Prix d'abonnennent : 10 francs par an (6 fr. pour l'Ilalie).
Signalons aussi, parmi les publications nouvelles, la France
moderne, excellente revue de littérature el d'art, qui entame sa
deuxième année d'existence.
La France moderne parait tous les quinze jours, en grand for-
mal, sur papier leinié. Elle publie des ariicles de critique litté-
raire el artistique, des poésies, des nouvelles, des bibliogra-
phies, etc., etc.
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ONZIEME ANNÉE
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informations et les soins donnés à sa rédaction une place prépondérante. Aucune manifestation de l'Art ne
lui est étrangère : il s'occupe de littérature, de peinture, de Boulpture, de gravure, de miutlqae,
d'arcllltectui%, etc. Consacré principalement au mouvement artistique belge, il rensfligne néanaioiiM tea
lecteurs sur tous les événements artistiques de l'étranger qu'il importe de connaître.
Chaque numéro do L'ART MODERNE s'ouvre par une étude approfondie sur une queiiion artistiqne
ou littéraire dont l'événement de la semaine fournit l'a^tuallté. Les expositions, les livres nouveauœ, M
premières représentations d'oeuvres dramatiques ou musicales, les conférences littéraires, les concerts, les
ventes dobjels cTart, font tous les dimanches l'objet de chroniques détaillées.
LART MODKHNB relate aussi la législation et la jurisprudence artistiques. Il rend compte des
procès les plus intéressants concernant les Arts, plaides devant les tribunaux belges et étrangers. Les
artistes trouvent toutes les semaines dans son Mémento la nomenclature complote des ezpMitiOIUI et
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le Mtre-libre i Bruxelles
L'aniTée annuelle d'Antoine et de son Théâtre-Libre
produit à BruMllie ane animation analogue à l'ouver-
ture du Salon des XX. On vit plus, inteHectuellement.
Une efienrescence monte, de discussions querelleuses,
urie option comme si l'on faisait an personnel du
mouvement artistique des injections sous-entanées
d'une Ijmphe ayant pour propriété d'exacerber dans
l'organisme les points sensibles oti s'aocumnle le viras
des désaceords. On peut mieux diagnostiquer alors les
malenteiMlnB gnérissables et les inimitiés artistiques
inonraUei. La flérre chauffe, les pouls battent plus
aocéléremment, les pommettes sMiguinolent, les
haleines de'viMinent br&lantes, et l'observateur, le cri-
tiqne, le médecin des esprits et des doctrines peut mieux
jauger la maladie et prescrire les calmants, composer
les remèdes, appliquer les cautères.
Ceet pour cette salutaire agitation que nous aimons
surtout le Théâtre-Libre. Pour l'évolution plus rapide
de l'Art, elle est inappréciable. L'Art a toujours fait de
grandes enjambées aux époques de combat, effets ou
causes, soit que la lutte fût amenée par la poussée
secrète de l'évolution artistique, soit qu'elle fût le résul-
tat de cette poussée se faisant insensiblement jour. Car
il est, certes, difficultueux de savoir si nos efforts
humains, nos gesticulations, nos clameurs sont les actes
volontaires d'êtres libres acharnés à une tâche de pro-
grès qui, sans eux, serait délaissée, ou si nous ne sommes
que d'inconscients pantins obéissant aux ficelles que
d'invisibles fatalités tirent, cachées an fond du mystère.
En soi, le répertoire actuel du Théâtre-Libre n'est
guère révolutionnant, artistiquement parlant. D'abord,
on s'est accoutumé aux hardiesses de la tentative
d'Antoine, dont l'aspect, aux débats, était si rébarbatif
et inquiétant. Il est parvenu, en notre bruxelloise pro-
vince, plus vite, plus aisément et plus généralement
peut-être qu'à Paris, à apprivoiser les mufles grognon-
nants qui, accroupis en vieux chiens pelés dans leurs
niches, aboyeat furieusement à tout nouveau-venu qui
pénètre dans la cour de leurs vieilles bordes. Il est
curieux, et incontestable, que notre petite Belgique est
présentement travaillée par un delirium artisticum
plus intense que n'importe quelle autre nation de race
européenne, et vraiment, il y a lieu d'en ressentir une
grande joie. C'est un cratère en pleine activité : les jets
76
L'ART MODERNE
de feu, de pierres, de lave, de cendres jaillissent sans
interruption, aux acclamations des uns, aux malédic-
tions des antres. Depuis quelques années, le volcan ne
s'endort pas. On s'est fait à son tapage et à ses dangers,
et quand un coup plus fort que les autres retentit,
quand un bolide plus gros et plus fulgurant monte en
fusée, si on regarde mieux on ne s'épouvante guère.
Antoine est donc fort chez lui chez nous. Il a une
clientèle assurée, groupe mi-barbons, mi-nouvelles
couches. Et ce n'est pas le moins curieux de ces repré-
sentations, que de voir dans la salle le mélange des
vieille-garde et des jeune-garde , toujours prêtes à
hostiliser, dans une confusion où la sympathie pour
l'œuvre d'Antoine, sinon pour toutes les œuvres qu'il
fait jouer, finit par avoir le dessus. Même les roquen-
tins de la critique lui savent gré d'émoustiller leur fri-
gidité sénile et de les décrasser passagèrement de leurs
banalités quinquagénaires. Son entreprise leur apparaît
en belle fille délurée, gaillarde et forte en gueule,
telle que les vieux aiment à la voir se démener. C'est
de la santé, de la vie, du mouvement, un peu poivré
de polissonnerie, certes; mais où ne polissonne-t-on pas
en ces temps débridés, ouvertement ou mentalement ?
Des six pièces jouées pour nous à ce jour, et en
attendant ce qu'on espère être le plat rare : les Reve-
nants d'Ibsen, fixés à lundi, — la Fille Elisa, découpée
dans le roman d'Edmond de Concourt, par Ajalbert
(un confrère, Messieurs les Avocats de la Revue Omnia
Fraternè), apparaît surtout comme morceau d'art.
Trois actes, plutôt trois tableaux, esquisses courtes, de
tons violents à la Van Gogh (vous l'avez vu aux
XX?), émanant chacun une impression brutale, saisis-
sante. L'indication d'une esthétique théâtrale spéciale,
sans précédent, croyons-nous, et pour cela très notable:
pas de fil conducteur d'intrigue passant dans le corps
de la pièce, tel qu'une moelle épinière sur laquelle
s'insèrent les nerfs et leur réseau. Plutôt trois verres
de lanterne magique, poussés successivement devant le
foyeréclairant, et retirés aprèsqu'on a bien vu leuragran.
dissement rouge, bleu, vert, noir, jaune, sur l'écran.
L'impression psychique est très forte, souvent très
émotionnante. Pareil genre est à travailler, à creuser.
Il illustre par de vigoureuses images le livre dont les
épisodes sont extraits. Ce sont des projections,
suggestifs et instantanés commentaires. Peut-être est-ce
à généraliser pour la communication au. public des
théâtres, foule à organes compréhensifs particuliers,
des belles œuvres littéraires. Certes le roman de Con-
court en a obtenu une popularité et une clarté nouvelles.
Répétons-le, l'image nous plaît : Illustration du
Livre par le Théâtre.
Rien à admirer de l'Amant de sa femme. Quelle pon-
civesaynette à la sauce Alexandre Dumas fils! Est-ce que
vraiment ce boyard de l'esprit, ce grand de l'esprit, qui
a nom Aurélien Scholl, n'a pas plus d'esprit qnecaf Mais
il y en a autant et plus quotidiennement dans les Non-
velles-à-la-main des journaux ! Quel fastidieux jeu de
raquette, où chaque personnage ne dit un mot que pour
donner occasion de renvoyer celui qui va suivre ! Ah !
c'est désormais bien calembredainisant, ces mots de fac-
ture : ils remplacent les couplets de facture. Vraiment,
pour un apporteur de comestibles neufs, Antoine a mis
là dans sa pacotille une bien vieille volaille.
Quant à la Tante Léontine, à la Meule, à ï Honneur,
ce n'est pas du nouveau non plus comme procédés :
l'antique charpente dramatique est là dedans, tout
entière; le costumageseul est différent. Mais ily a cette
originalité de mettre. sur la scène, impitoyablQi;n«nt, les
terribles satires contre la purulence bourgeoise que
Zola a synthétisées dans Pot-Bouille On pourrait réu-
nir en trilogie ces trois pièces cruelles, massacrantes,
avec, pour titre, les mots qui closent le fameux roman :
Tous, Cochon et C* ! C'est effrayant de déshabillage et
de fessage des hideux personnages, auxquels aboutissent
de plus en plus, et malgré tout, les existences avides et
besoigneusea des classes dirigeantes. Quand on assiste à
la représentation d'œuvres pareilles, affreusement
cyniques et par cela redoutables, devant une salle où
• LE tout-Bruxelles des premières -, an moins les
mâles (car ils se donnent hypocritement le linge, quel-
ques-uns, de laisser chez eux leurs douces compagnes), on
ressent cet embarras qui vous prend quand on est témoin ,
malgré soi, d'une scène ignoble et qu'au lieu de crier au
scandale! on fait semblant de ne pas voir, prenant pour
soi le devoir de pudeur auquel forfait le prochain. Une
nuée d'anecdotes vous reviennent sur ce monde, évo-
quées par les analogies qui travaillent sur les planches.
Là est la force et la portée de ce théâtre, dont chaque
pièce est un pilori en plusieurs actes , rappelant les
grandes exécutions, par fournées, de la Terreur. Les
actes et les personnages déhient, et le bourreau, ses
fers chauffant, marque à l'épaule, marque deux heures
durant, infatigable, les hommes, les femmes, les vieux,
les jeunes. C'est le spectacle de foire : A la Chaudière !
agrandi aux proportions du vrai théâtre, et, après
chaque scène, dans le for intérieur, on crie en écho : A
la Chaudière !"■'
C'est bizarre et effrayant, cette universalité d'action
de toutes les forces artistiques, politiques, scientifiques,
vers ce but unique : la déconsidération de la bour-
geoisie. Le caractère social de cet universel phénomène
déconcerte et épouvante. Ainsi donc l'art lui-même, ce
désintéressé (du moins on le croyait) des crises
humaines, s'en mêle, se doutant à peine de ce qu'il fait.
Ah I vraiment, il faut que les temps soient proches
pour qu'on assiste à de tels prodiges, et ceux que les
événements menacent feront bien de penser à leurs dis-
positions dernières.
■^'^W^W^^?^^'^''^^^^ '
L'ART MODERNE
n
LES FASTES
pur Stcakt Mwiij,. — <3im Vaniar, Parii.
M. Stuirt Merrill poblie'bn volume prenant place en ce cycle
dijk vaile de poèmes récenU ob le rêve que l'on a de soi-mâme
et de la vie se personnifie soit eu un pèlerin, soit en un chevalier,
soit en un prince, soit en un roi, k travers une série de décors
pour déployer en pensées et en actions ce que Laforgue, appe-
lait « sa belle Ame ».
Cette litiéralure, qui s'adapte au songe de quelques poètes de
cette heure, a eu pour suscilateur principal : Wagner. C'est lui, le
premier depuis longtemps, qui soit retourné aux mythes, aux
légendes et aux épopées pour y enclore l'art actuel et lui donner
son caractère symbolique. Ce mot symbolique, on l'emploie il tort
et k travers. Par quelques-uns il est simplentenl un qualifleatif
émis, faute d'autre, afin de séparer le mouvement présent du
mouvement parnassien. La plupart des désignations d'école n'ont,
de reste, été en littérature qu'un ensemble de syllabes, qui vou-
laient dire : « Nous ne sommes pas ceux d'il y a dix ans ».
M. Stuarl Merrill dans U* FtuUt s'affirme donc ainsi que
MM. Kahn, de Régnier, Moréas, Griffin, d'autres encore, comme
un poète, lequel pour se dire et synthétiser et proclamer ses
conceptions de vie, a recours aux types depuis longtemps con-
sacrés par les fables et les épopées. Ces personnages, auxquels
il donne son vouloir et son cerveau, sont communs k toutes les
littératures; ils sont entrés dans l'imagination populaire; ils ont
une haute impersonnalité; ils appartiennnent k la collectivité et
il suffit que quelqu'un s'empare de leur signification d'être et leur
donne son geste et sa voix pour que cette voix retentisse plus
Mn et que ce geste devienne plus solennel. Et leur lointain et leur
vague et leur éternité rehaussent les poèmes qui les nomment.
Outre, qu'autour d'eux surgissent aussitôt et le manoir et l'ile et
les jardins et la magicienne, qui est la reine et l'amante et la
femme — et toute la mort.
Et c'est d'abord dans le poème de M. Stuart Merrill la Tyrses,
une suite de pièces, qui, nombreuses, supposent un décor de
grand parc avec un château xviii* siècle dans le fond. Toute une
évocation se fait de musiques douces et futiles, mais tristes quand
même — et le bouffon meurt :
Sa marotte, lancée en l'air tintinnabule
Des ronds dans l'eau parmi la fuite des poissons
Le spasme, une bulle aux lèvre* du funambule...
et les chambres d'amour se confessent par le silence interprété
de leurs meubles et de leurs étoffes :
Sur les divans fanés en leurs riants ramages
Des coiissins semblent lourds de l'oubli des absents
Seul, un éventail chu de doigta jadis lassant*
PrésaseJe retour inespéré...
Et la baiser de ceux (nie la Vie ensorcelé
Dans la chambre où, le soir, s'aimèrent tant de morts
et la fête traîne l'écho des barcarolles et les balcons se fleurissent
de lumières tandis que le silence s'avance en de beaux vers, dites,
combien labialement doux :
Pois lent comme un remords, oh, ai lent, le silence
Sur l'eau lasse ou l'éploreot les lilas
Et l'indolent élan vers les bleus au delà
Des souvenirs mi-morta de somnolence.
Et la philosophie de cette première partie du livre, ne
s'affirme-t-elle pas ici ?
Vaine, oh vaine t est la vie, et la mort est plus vaine
Donc ce ne sera plus que paroles en l'air
HH tout la doux regret des spasmes de la chair.
Ceci, toutefois, n'est que préludes, car Ut Fatlet de M. Merrill
ont la signification étendue que nous avons dite plus haut et qui
se développe dans une deuxième partie du livre pour se compléter
en une troisième.
Dès le seuil des Spectre* on écoute :
Laisse-la l'aime femme et les doux mots d'amour. . .
Casque et cuirasse- toi, sans rêve de retour...
Baisse la croix symbole des tourmenta
Et marche droit vers les déserts et les savanes
Où se révèle au tas épars des ossementa
La route, vers l'Espoir, des vieilles caravanes.
Donc voici le parc et les jardins et le palais et les danses et les
soirs illuminés de la fêle myriadalre quittés — et l'action vers
la gloire saisit le glaive. Mais que sitôt les voici qui se troublent
les yeux du chevalier. La « Doulce de jadis » le hante et c'est en
des Iles d'or oti des flûtes de bergers sifflaient, qu'il échoue avec
de telles paroles :
Je suis venu mourir las des mauvais combats.
Au leurre de vos voix lointaines, A sirènes.
Car je me sens l'élu des pâles souveraines
Du sort; à vous mon corps qui n'a pu vous surseoir,
Mais mon Ame, mon àme à la Reine des Reines.
D'où défaite en même temps que salut, car au soir de la mort,
quand le héros entra dans l'orbe du soleil :
Seul, son glaive flambait sur l'argent de la plage
Afin qu'un futur Preux, surgissant du millier,
L'empoignât quelque soir pour en sacrer son âge.
Et dès ce moment, durant la suite de celte deuxième partie se
lèvent des décors tout i coup en cuirasses et des vols de chevau-
chées et des tintamarres de chocs et de bataille avec appels de,
cor, lii-bas, en les clairières des forêts légendaires. Pendant ces
temps de vaillance guerrière et de vie :
Accoudée au rebord d'or de la balustrade
La Reine, ayant les yeux las de la mascarade
Saccage de ses doigts ensanglantés de bagues
Sur les eaux de cuivre aux rutilantes vagues.
Des rhododendrons roux, des lilas et des roses
Qui vogueront, au loin de ces jardins moroses
Vers le Prince parti pour d'âpres épopées
Dont l'Etendard, parmi la pompe des épées
Ondule en plis d'azur pur de toute macule
Contre l'or et le sang d'un dernier crépuscule.
Et quand le prince sera mort, elle reprendra, certes :
Chantant, le cours de ses pas vagues
Vers les lointains que teinte un crépuscule épars.
Jusqu'au moment où elle aussi subira, dans son essence d'être
la toujours fatalement hostile, les débâcles et à leur suite la soli-
tude s'élendant sur elle et son palais, tandis que
Et sur les mers, les mers de lune, une galère
Funéraire a passé, portant un pavois d'or
Où désespérément un roi crépusculaire
Etend, sans voix, ses bras d'un geste de colère
Vers le Palais désert qui s'illumine d'or.
La troisième partie, les Torches, vu la fin de la deuxième, se
devine. C'est en des pays livides, chevelus de cités rouges en
flammes et épouvantés par des sortilèges et des prodiges où se
dressent des beffrois où les soirs s'érigent en catafalques que la
fin du poème s'ensevelit.
La Reine?
%^vW^^iTr':
78
UART MODERNE
Un page au bleu camail de ta voix «Maolte
Chante k l'àme dea morte dea balladaa d'amant*
Sur le seuil de basalte et d'or du mauaol^a.
Et c'est partout, par la contre inconsolé.
Des glas en les beffrois dont les sonneurs démenti
Pleurent, aurore et soir, leur maîtresse en allie.
Le roiî
Roux -bataille en la rouge inAl^-
Il ne descendra plus, prosternant ses tourments
Sur le seuil de basalte et d'or d'un mausolée
Pleurer, aurore et soir, sa maîtresse en allAa.
La conclusion s'affirme en une pièce superbe titrée : Idole .-
Roide en la chape d'or qui lui moule le torse,
L'Idole dont les doigts coruscants de rubis
S'incrustent sur le sceptre et le globe de force
TrAne en les bleus halos de tonnerres subits
Sur sa rouge toison s'étage la tiare,
Elnlre ses seins fulgure un stigmate d'enfer.
Et sous ses pieds, tandis que sonne la cithare.
Saigne un cœur transperce de sept glaives de fer.
Aucun amour n'émeut la somnolente Idole.
Elle siège en la pose étemelle des dieux
Et dur, son regard fuit la multitude folle
Dont l'unique aësir est de plaire A ses yeux.
Dr blancs adolescents, aux tintements des harpes.
Luttent sur des pavois que des barbares noirs
Exhaussent de leurs bras entortillés d'écharpes
Vers les dômes de nacre où défaillent les soirs.
Dressant sous les flambeaux d'argent leurs faces glabres.
Les bouffons roux, avec des frissons de satin.
Font tournoyer en l'air des boules et des sabres
Que des singes gemmés guettent d'un oeil mutin.
Et les Poètes fous sont debout dans leur gloire
Parmi les étendards d'amarante et les ors,
Clanunt haut les refrains d'une ode de rictoire
Qui bat les infinis d'un tourbillon d'essors.
Voici le rapide profil du livre de M. Sluarl Merrill fixé un peu
hitirement, mais sans loulefois une multiple loaange aolour.
J^OTE? DE J^USIQUE
Premier concert du Conservatoire de Oand
En une salle étroite et basse, indigne des concerts d'art pur
auxquels on l'a destinée, — en celle salle blanchie i la chaui,
peuplée de chaises de paille, appelant les tréteaux d'gne guin-
guette et les guirlandes de sapin piquées de fleurs artificielles (il
est lemps, vraiment, qu'on dote le Conservatoire de Gand d'un
local convenable !), M. Adolphe Samuel a donné, la semaine der-
nière, son premier concert.
Exécution précise, colorée, pittoresque par un orchestre jenne
qui a du brio, de l'enthousiasme, du son, qnalités rares i réunir
et que malheureusement se hâlenl d'abolir les chefs d'orchestre
soucieux de la minutie verboerkhovienne. M. Samuel, qui reste
étonnamment jeune et rert, loin d'éteindre ces ardeurs, les excite
et arrive, malgré le nombre restreint de son personnel (huit pre-
miers violons, quatre violoncelles, et ainsi de suite) i un résullai
remarquable. Son orchestre a déployé, d'on bout k l'autre du
concert une verve élonnanie. Son inierpréiation de la Symphonie
en ut de Beethoven a été colorée et brillante, et n'étaient quel-
ques imperfections des instruments k veni, digne d'un orcbeslre
de premier ordre.
M. Samuel a fait entendre un fptMolaiM dénué dinléi^ com-
posé par M. Heckera, un Gantois mort tout jeune, et la Klokke
Roeland de Jan Blockx, œuTre déeoivUve, d'une belle enverguiT,
un peu monotone touiefoit en u eonUuolK de eonleora triolenies.
La troisième partie éuil r«ierr4e h la trilogia de WêOmuUin,
la merreilletue illustration de Vincent d'Indy ponr la (ragédie de
Schiller.
Nous avons parlé trop souvent de cette avperbe composition
symphonique pour que nous syons fc y rerenir. BomoosHious k
constater que sous Is direction de son anteur, qui a conduit l'or-
chestre avec une autorité rare, l'œuvre a remporté le soeeès <fen-
thousiasme qui l'a secueilli k Paris, où elle est an répertoire des
Concerts Lamoureui.
On l'a exécutée avec non moins de succès k Liège l'an dernier.
Faudra-t-il attendre que tontes les villes l'aient enlendo pour
qu'on se décide k la tiire connaître k Bruxelles, qui se pique d'être
« en avanee » dans le mouvement musical T
Denzléne ooBOort popaUtlro.
Concert Paderewski, presque exclusivement eonueré au remar-
quable virtuose qui nous s tant cliarméa, il y a trois ans, et dont
nous avons applaudi dimanche, avec non moins de plaisir, l'im-
peccable mécanisme et l'interprétation pleine de goftt et de
poésie.
Un concerto ponr piano avec accompagnement d'orchestre k
révélé, k c6té de Paderewski pianiste, un I^derewski compositeur
très personnel, maître de son métier, et ayant la modestie de ne
pas donner au piano le rOle prépondérant. L'orchestre est Imié
avec beaucoup de soin et de talent, et l'on dirait, par momeniî,
qu'il s'agit d'une symphonie, tant raecompagnemeni préaente
diotérét dans les développements.
Une erreur, pent-étre, est d'avoir joné sneeessivement deu|
concertos, celui de Schnmann et celui de Pade^wski, écrits toiu
deux dans la même tonalité et présentant certaines analogies de
facture. Quant aux petits morceaux, attendna par l'impatience du
public, nn Nocturne de Chopin, la Cmufonetta de Liszt, et une
danse hongroise de Brahms, « dérangée » pour piano k deux
mains, ils étaient d'un intérêt diacnlable.
H. Dupont a Ciit entendre trois compositions pour orchestre :
nue ouverture dramatique, HutUekm, intéreasante de rythmes et
de timbres, composée par Dvorak; une LusUpid-Ouverùire,
assez amusante, de Smctana, et la filandreuse et interminabl
Sérénade pour instruments k cordes de Dvorak, déjh nommé.
Hais tout ça, c'était visiblement nn simple eneadreraent pour
Paderevrski.
▲oac.ZZ (iroisitaM «0M«t).
Eugène Ysaye et son admirable quatuor ont bit entendre au
Salon des XX, vendredi dernier, deux œuvres importantes de la
jeune école russe : le troisième quatuor de Tsehalkowsky, le
deuxième quatuor de Borodiae, tous deux exécutés k Bnuelles
pour la première fois.
L'on et l'antre ont remporté nn très vif succès et l'on a rappelé
jusque trois fois les interprèles après l'exécution de telle partie,
VAndanle funèbre, par exemple, du premier, le Nottumo do
second.
Cet Andattfe, c'est tooie une seène de dmelière, d'an carac-
tère poignant, d'une émotion pénétrante. On oitend les psal-
modies dea prêtres, le choc des peUetéea de lenre retombant sur
la bière, ei le premier violon, en ces scènes Ingnbns, dit l'espoir
y
L'ART MODERNE
79
d'an au delk, exhale dea chants suavea et donx. Dire avec quel
merveilleux sentiaMnt artiatiqoe Eugène Yufe a exprimé ces
aspirations t.. .
Le quatuor de Borodine, de moindre intenaité, est une œuvre
charmante de forme et de couleur.
Ble a une nnit4 remarquable et des séductions d'écriture qui
l'ont fait préférer, par certaines personnes, au quatuor plus
sérère, pins grand et plus dramatique de TschaTkowsky.
Dans l'une et loutre de ces compositions, les quarlellistes ont
été hors pair. Dans le Nocturne de Borodine, la parole est tiu
Tioloneelle et an premier violon, qui, sous l'archet de
MM. i. Jacob et E. Ysaye, ont dialogué avec un art exquis.
Un intermède complétait cet attrayant programme. Un jeune
pianiste, M. P. Litta, a exécuté avec talent une BarcarolU de
Tschalkovr^y et une Mazurka de Sicherbatcheff. El M^^ Fran-
cine Gillieaux a dit, d'nne voix charmante, avec beaucoup d'art
et de goût, troia méledie*, dont l'une, la lUldilatUm du labou-
rmr, de Kopylow, a la saveur étrange des chants populaires de la
Peiite^uasie. Des deux autres, la Chanson du Berger LeU, de
Rimsky-Korsakoff, et Pourquoi f de Tscbaikowsky, la première,
d'un monvement rapide, faisait contraate avec la sentiroenulilé
de l'autre, écrite dans le style Schumannien et moins personnelle
d'accent que les précédentes.
Voici close la aérie de ces matinées inilialrices d'art neuf, et
qui complètent ai heureusement, par un parallélisme constant,
l'exposé de l'évolution des arts plastiques.
Salon des XTTT
(Correspondanu particuUire de l'Art hodbrnb)
On connaît les « communiqués » qui ont fait taratala pour
annoncer an monde entier la création du Cercle des XIll. Je ne
crois pas pourtant que le commis qui a embouché le clairon se
soit fait entendre bien loin. La sonnerie ne pouvait pas porter.
Cellea-lk seules s'entendent qui éclatent nettement cinglantes
comme des coups de fonet et qui proclament un avis précis.
On intime au publie l'ordre de suivre t
Et si le but est nettement indiqué — marche en avant — on
détachera facilement de la cohue la banda fougueuse des entbou-
siaatea qui ne réaialent jamaia k un appel pour la victoire —
quelque difficile k remporter, an reate, qu'elle paraisse.
Les XIJI n'ont pas tenté cet appel ; ils se sont adressés k la
partie venle qui régulièrement fait escorte aux personnaliiés
mal délies, visite leurs expositions, « inspections d'armes »
qu'elles sont («nges, désormais, de représenter tous les ans,
soigneoaement mêmes, fourbies et entretenues I
Le poupon grandira malingrement : néanmoins durera. La
bonne Fée du Juate Milieu veillera sur cette mince personne labo-
rieoseroent échafandéa de membres dissemblables, se vantant
eux-mêmes — et de quel droitT — d'être « Ind^puidants » !
— Qn'on permette k un membre de i'Art indépendant un
rappel k la pudear. L'Art iHDtnNDAirr est nêtrel Et oiseuse et
superflue la loochante pensée qui est venue aux XllI — dont le
ralliement semble ne s'être opéré que pour chanter une annuelle
et anniversaire Hease des Morts en l'honneur de notre Cercle
qu'ils s'imaginaient défunt.
11 cal juste que noua abatliona les pattes qui tenteraient de lever
pour le faire flotter aur leur groupement insolite, sur leurs com-
promiaaiona : le drapeau que noua avons été les premiers k
déployer — avec quelque audace, s'en sonvient-on ?
Pour édiflealion : I'Art InnriHHDAHT revit. Il n'aura fallu pour
réveiller l'Endormie que l'opiniâireté d'un, qui n'aura pat connu
la peur.
Et nal ne contestera le droit k ceux qui auront veillé sur Elle
pendant son sommeil de lui révéler le nom de ceux qui L'auront
trahie — et de a'en aouvenir.
L'organisation des XIII est calquée sur celle des XX .- tirage
an aort dea placée ; groupement des œuvres, exception faite pour
cellea des invités, traitées sans égard, accrochées sans respect.
Tout le long des murs — singeant la délicate tenture des XX
de ce 9i — une inimaginable draperie noire ! C'est à croire que,
dans l'ordre d'idées indiqué ci-haut, on se soit adressé k un
entrepreneur de pompes funèbres pour la décoration des salles.
On aurait économiaé les traditionnelles larmes d'argent, escomp-
tant celles que quelques toiles lamentables ne manqueraient pas
de faire verser.
Car l'enaemble est affligeant au delk de l'expression, de sénilité
précoce, de flagornerie outrée.
Le très beau dessin de Feroand Khnopff : du Silence, se proclame
hautement victorieux; une des deux toiles de Is. Neycrs, les
BaleUert, les toiles de Heymans, annihilées par l'invraisemblable
tenture et celles très évoluantes vers un idéal d'art neuf d'Emile
Clans attirent néanmoins quelque considération à ce Salon.
Quatrième spectacle de la saison 1890-91.
{Correspondance particulière de l'Art moderne.)
La Meule, par Georges Lecomte. — Le programme du
Théktre-Libre rougeoyait, ce mois ci, d'une sanguine allégorique
du peintre Maximilien Luce où une indifférente femme en un
costume académique et populaire tourne la vis d'un pressoir
dont elle rabat la pierre sur un écrasement d'hommes pris sous
le poids du redoutable engin. A l'horizon apparaît une ville
d'ombre et de fumée, aiguë de campaniles et de cheminées,
moderne !
Ce préambule annonçait qu'on allait se trouver en présence de
quelque cas théâtral de torture par la vie. L'auteur de la pièce,
M. Georges Lecomte, est très noblement préoccupé de l'évidence
des misères sociales et a le sentiment très vif des tnorlelles ei
injustes duretés du son envers ceux qu'il moleste.
Son toast au banquet symboliste où il but au milieu de l'oubli
général « k ceux qui travaillent et ne mangent pas » prévenait.
Un peu, comme toujours trop an Théâtre-Libre, nous sommes
en présence d'un fait particulier sur qui, connu par mille analyses
de gazettes, on peut raisonner ainsi : Il est évident que M. Rons-
selot, magistrat destitué et réduit k plaider k quelque Barreau de
petite ville, élreint par les difficultés d'une vie parcimonieuse,
mari malheureux et débonnaire, forcé k donner k sa fille pour
mari l'amant de sa femme, est en butte k une persévérante male-
chance qui, non seulement s'est acharnée contre des conditions
d'existence pratique mais a, de plus, et par surcroît attenté à
des sentiments d'un honnête homme, en a eu raison peu k peu et
J
jusqu'il ne lui pas Uisser cette sorte d'iotégrilé bauUioe qui serait
la gloire du pauvre, celle de s'être préservé, en dehors des tra-
verses, une espèce de dignité supérieure, un refuge d'honneur
oirnlal. Non ! Au contact de la vie le pauvre homme s'est émielté
complètement, gardant i peine une dernière révolte, humiliée !
M"* Rousseloi, elle, si elle a connu les affres du ménage étroit
a, au moins, profité des quelques avantages que procure le Bova-
risme et lorsque les extrémités l'ont mise en conflit avec ses
senlimenls, elle n'a point eu trop k souffrir en les trouvant, par
une dégradation préalable, prêts k tous les compromis néces-
saires.
Ce pelit goût de proxénétisme qui se développe chez la femme
vieillissante, lui a aidé à accepter sans trop d'ambages — juste
assez pour s'en faire valoir — le marché marital auquel elle a
acquiescé. El puis n'est-elle pas soutenue par celle idée, au moins
tacite chez les femmes que l'usage et le trafic de leur corps est
au moins autant une ressource qu'un plaisir et qu'il le faut
employer au besoin. Ne faut-il point il lout prix, du reste, vivre
bien, tenir son rang, ne se point déclasser plut6t que de suivre
d'intimes gottts de conscience?
Sa fille, qui tient du père une certaine délicatesse, n'eût pas
librement api ainsi, mais celte sorte de boutique qui est en elle la
pousse à une certaine abnégation à la Bienfilitre. N'y a-t-il pas,
là aussi, quelque chose de sa nature de femme — héritage
maternel — qui mclangebson ingénuité gentille, bonneet un peu
légère, un fond de courtisanerie occulte que l'occasion favorise et
qui le fait acquiescer i lout un peu, par incompétence i peser la
juste valeur des fails et aussi à cause des menus avantages de la
négociation autant qu'à cause du solide profit que toulc la famille
y trouve.
La pièce tendrait peut-être i prouver qu'en de telles occur-
rences, il n'y a de vraiment malheureux que l'homme; que les
femmes ont une facilité d'acceptation des fails, un instinct bas
de conservation et d'utilité qui leur rendent aisés les compromis,
pourvu qu'ils satisfassent certains gouls de vanité et de bien-être.
Elle prouve aussi que la détresse est redoutable par clle-nnême
d'abord, et aussi, parce qu'elle influe sur les senlimenls, les
modifie, les dénature, qu'elle crée des sophistiques mentales
subtiles il lout justifier, ou qu'elle anéantit simplement par sa
seule force d'oppression les plus irréductibles principes.
»
* *
La pièce de M. Lecomte n'est point sans portée. Elle est à
double fond, d'allures sèches et claires, grimée de rapides nar-
quoiseries, avivée d'un cynisme net el dur, écrite avec de la
suite el de l'ordre.
La jeune fille y est un personnage excellent et très nuancé,
M. Rousselol est un très bon Antoine.
Aussi l'amant, le mari, un M. de SlellanviUe qui rentre un peu
dans les conditions d'un Forain égrillard et musqué, et un type de
jeune homme qui pratique le didactisme sarcastique de la clair-
voyance actuelle !
La pièce csl bien jouée sinon par M"» Régine Martial qui
rendit, il y a quelques mois, gaie à jamais, une crébillonnerie de
Scholl où elle représentait une « marquise », par un a Ah ben
alors », dont sont restés hilares les quelques clubinen abonnés
de M. Antoine.
R.
DIAFOIRUS & G^
Dédié à plusùuri d« mu eonUmponmu
Vous vous souveoex, n'est-ce pat, . de la Mène du Mëlêd*
Imaginaire, en laquelle M. Diafoims père explique les mérilet de
son Gis Diafoirus jeune. Cela commence ainsi : ■ Messieart ce
n'est pas parce que je suis son père... >
Jules Lemaitre écrivait k ce sujet, récemment, dans le JounuU
de* Débat*, ce qui suit, k ntéditer vraiment par les innombrables
Diafoirus qui infestent le publie et la presse, hostiles k qui-
conque tente autre chose que l'ordinaire diète d'hôpital k laquelle
on voudrait nous soumettre dans l'art :
« Des siècles et des siècles de routine, de doctrine formelle et
vide, de tyrannie et de sonmission inletleeluelle, de suffisance
imperturbable et de docilité inepte, d'entêtement orgueilleux ».
féroce dans le faux, de profonde inintelligence des choses, con,
sacrée et précieusement transmise en immuables formules : bre^
toute l'énorme sottise humaine semblait chanter on hymme
triomphal dans ce magoiGque couplet où l'étemel Pédant se
peint lui-même en louant l'étemel Discipline. « ... Il n'a jamais
eu l'imagination bien vive, ni ce feu d'esprit qu'on remarque dans
quelques-uns ; mais c'est par Ik que fai toujours bien auguré de
sa judiciaire... Il est ferme dans la dispute, fort comme un Turc
sur ses principes, ne démord jamais d* «m opinion... Hais sur
toute chose ce qui me platt en lui, et en quoi il suit monexemple,
c'est qu'il s'attache aveuglément aux opinions de nos anciens, et
que jamais il n'a voulu comprendre ni écouler les raisons et les
expériences des prétendues découvertes de notre siècle touchant
la circulation du sang et autres expériences de même farine. »
« Cette page (relisez-la tout entière, je vous prie) est assurément
due de celles qui donnent la plus haute idéédel'esprit de Molière.
La portée de cette page nous paraît presque effrayante. On craint,
en y songeant, que le monde ne soit principalement conduit,
depuis qu'il est monde, par Diafoirus père et fils. Ce jeune idiot
qui est devenu si fort et qui a appris tant de choses sans rien
comprendre, n'est-ce pas voua el n'est-ce pas moi? Ne sommes-
nous pas tous, par quelque point, des Thomas Diafoirus? Notre
éducation n'a-l-elle point été aussi tonte formelle, et n'est-ce pas
de mots que nous vivons? Qui sait si, parmi les opinions par nous
reçues et dont nous nous croyons les plus assurés, il n'y a pas
des inepties pitoyables? Ne sommes-nous pas, sans nous en
douter, d'une timidité ridicule devant le vrai? Le malheur, c'est
que nous ne pouvons même pas démêler k quel point et sur quoi
doos sommes victimes on dupes de llubitBde et de la traditien.
Il est bien probable pourtant que nous nous mouvons au milieu
d'absurdités qui nous échappent, — moeurs, coutumes, lois,
institutions, théories scientifiques. Oh I n'être point Thomas : on,
si voulex, être Thomas comme Didyme (l'apdlre), afin de se l'être
point comme Diafoirus! Comment faire? Dire que des choses
dont l'idée seule nous effare, — ou que nous concevons même
pas, — paraîtront peut-être naturelles et nécessaires dans
quelques siècles ! Comment arriver k un état d'esprit td que, si
nous revenions an monde dans mille ans (je suppose que le pro-
grès se sera fait lentement en dépil du diafoirisme), nous n'en
soyons pas trop étonnés et ne jugions point que nou sommes de
tristes nigauds?... »
'V'*^
L'ART MODERNE
81
Petite chronique
Pour rappel, la elAlore du Salon des XX aura lien aujourd'hui
dimanche k 5 bcnret.
Nous eoniinueroDS dimanche prochain l'élude de M. Georges
Lemmea sor Waltir Ckahb.
Le violoneellisle Jules De Swert vient de mourir k Gand. C'était
une personnalité artistique notable. Comme virtuose, il était
connu de toutes les salles de concert de l'Earope. Comme compo-
silear, il laisse quelques œuvres de bonne tacture, et notamment
un grand opéra, la AUrigtoit, joué avec succès en Allemagne
(l'étemel « Nnl n'est prophète »).
Il professait an Conservatoire de Gand, où il laisse d'univer-
nda regrets.
L'ouverture de l'exposition annuelle de VEttor, est fixée k
samedi prochain, k 3 heures.
Le Ihéktre des Galeries annonce pour mardi prochain la pre-
mière représentation du Voyage de SuxeUe, opérette k spectacle.
Au Pare, M. Antoine et la troupe du Théitre-Libre donnera
lundi, mardi et mercredi trois représentations des Revenantt
d'Ibsen.
Jeudi, dernière représentation, pour les adieux du Théâtre-
Libre. Le spectacle qui n'est pas encore définitivement arrêté, se
composera soit de Tout pour l'Honneur, d'Benry Céard, soit de
la Mort du duc iEnçfùen.
Tante Léontine accompagnera probablement l'une de ces deux
pièces sor l'affiche.
Aux représentations du Théâtre-Libre succéderont des repré-
sentations de M. Dupuis, des Variétés. Il jouera notamment
Monsieur Betty. Il est a;ussi question d'une reprise de Ma Cou-
sine avec H"* Réjane dans le rôle de Riquette.
H"* Tbérésa fait en ce moment les beaux soirs de l'Alcaur.
Un peintre de mérite, peu connu ou méconnu de ses contem-
porains, John Barthold Joogkindt, vient de mourir k la Cdte
Saint-André (Isère), dans le village illustré par Berlioz.
Jongfciodl, vieux et fort délaissé, s'était fixé depuis quelques
années en Dauphiné où il termina une existence de travail et de
luttes. Voici les détails navnnu que révèle sur l'artiste un
joamal français : ^
Jongkindt était né en 1819, k Lairop,près de Rotterdam; il fut
élève de Schelfhout, puis d'Eugène Isabejr.
Jongkindt eut des débuts fort difficiles : refusé aux derniers
Salons, où il avait voulu exposer, il lutta désespérément contre
les infortuçies qui le frappèrent k cette époque, et, découragé, il
fut sur le point de mourir de £iim.
Une vente organisée k son profit par les artistes français le
tira de la misère.
En 1883, le 13 avril, une centaine de tableaux de Jongkindt
forent vendus k l'hôtel Drouoi et quelques-uns d'entre eux mon-
tèrent k 9 et même k 10,000 francs.
Mais il était trop tard pour que le malheureux artiste en pro-
fitât. Misé par la sonllrance, il ne produisit pins de ces œuvres
maîtresses qui passeront k la postérité telles que La roule de
Saint-Cinr prit Honfleur, Vue de F Escaut à Anvers, Vue de
l'égliu Saint-Médard à Paris et tant d'autres qui le placent k
cAlé des Corot et des Millet.
A la veille de partir pour Tahiti, M. Paul Gauguin a eu Tidée,
afin de réunir quelques fonds, de faire vendre, k l'hôtel Drouoi,
aux enchères publiques, une trentaine de ses toiles.
L'idée était téméraire, certes, car l'art de Gauguin n'est pas
encore (Dieu soit loué !) adopté, admis, classé, tarifé par la presse
bourgeoisonne. Et pourtant, chose curieuse, on a vu les enchères
monter k des hauteura relativement élevées. La Vision après le
Sermon, cet extraordinaire et suggestif tableau, aperçu aux XX
en 1889, qui montrait, parmi des femmes bretonnes, le combat de
Jacob et de l'ange, a été adjugé 900 francs. Allées et venues
(Martinique) a été vendu 505 francs; la Belle Angile, 450 francs.
Le prix des autres toiles a été, en moyenne, de 300 k 350 francs,
et le loul de la vente a atteint 9.615 francs.
Les Jeunes, revue artistique et littéraire, deuxième année, tous
les mois. Un an : 5 francs ; un numéro : 50 centimes.
Après maint combat, après les luttes et les défaillances de la
première année, — ou plutôt du premier semestre, — les Jeunes
commencent vaillammant leur deuxième volume, maintenant leur
devise : Ose! et ne changent rien k leur programme : l'Art indi-
vidualiste, indépendant des formules et des coteries, l'An franc et
libre que nulle protection ne saura assujettir ni étouffer. Les
Jeunes veulent susciter dans la province un mouvement artis-
tique auquel elle a, jusqu'à présent, semblé passablement rétive.
Et c'est k coups de trique qu'ils materont les indolents et les
cuistres de l'opposition. Les pretnien efforts ont été couronnés
de succès : courage! La cause k défendre est belle, et par ce seul
moyen : l'intransigeance, on peut la faire triompher.
Les Jeunes remercient tous ceux qui se sont intéressés k eux,
qui ont trouvé que l'idée méritait, soit d'être soutenue, soit d'être
attaquée, et qui, dans tous les cas, ont rendu hommage k sa vita-
lité. Ils remercient les artistes qui leur promettent leur collabora-
tion : MM. Albert Arnay, Aug. Biernaux, Jean Chalou, Louis
Delatlre, Jean Uelville, Jacques Dwelshauvers, Georges Eekhoud,
Georges Garnir, Iwan Gilkin, Albert GIraud, José Beunebicq,
Henri Kistemaeckers, Paul Lacomblez, Grégoire Le Roy, Léon
Paschal, Fernand Roussel, Fernand Severin, Charles Sluyts,
James Vandrunen, Emile Verhaercn, Aug. VIerset, etc.
Les Jeunes adressent un pressant appel k tous ceux que l'art ne
laisse pas indifférents. En s'aboonant, ils aideront, dans une cer-
taine mesure, k étriller les gâteux, et Uieu sait s'ils abondent en
ce siècle corrompu par le gâtisme et l'esprit conformiste !
A la suite d'une réunion tenue chez M. Guérard, une Société de
peintres-graveurs français vient d'être fondée. Les statuts, discu-
tés et adoptés, ont été signés par les fondateurs :
MM. Félix Bracquemond, président; Henri Guérard, vice-pré-
sident; Adolphe Albert, secrétaire; Albert Besnard, Emile Boilvin,
Félix Buhot, Eugène Carrière. Jules Cbéret, Marceliio Desboutin,
Henri Fanlin-Latour, Norbert Gopneuite, (Jeorges Jeannioi, Guston
Tonche, Anguste Lepère, Louis Morin, Paul Renouard, Tbéo-
dule Ribot, Henri Rivière, Auguste Rodin, Henri Somin, Victor
Vignon.
La première exposition de la Société aura lien le 1" avril.
■■'^ ^1?, i^
■*■**■
ONZIÈME ANNÉE
L'ART MODERNE s'est acquis par l'autorité et l'indépendance de sa critique, par la variété de ses
informations et les soins donnés à sa rédaction une place prépondérante. Aucune manifestation de TArt ne
lui est étrangère : il s'occupe de littérature, de peliU»ire, de soulpture, de gravure, de muslquo,
d'architecture, etc. Consacré principalement an mouvoitient artistique belge, 11 renseigne néanmoins sas
lecteurs sur tous les événements artistiques de l'étranger qu'il importe de connaître.
Chaque numéro de Li'ART MODERNE s'ouvre par une étude approfondie sur une qnesiion artist^Qe
ou littéraire dont l'événement de la semaine fournit l'actualité. Les exposition», les livre» nouvemut), les
premières représentations d'œuvros dramatiques ou musicales, les conférences littéraire», les concert», les
ventes d'objets cTart, font tous les dimanches l'objet de chroniques détaillées.
L'ART MODERNE relate aussi la législation et la jurisprudence artistiques. Il rend compte des
procès les plus intéressants concernant les Arts, plaides devant les tribunaux belges et étrangers. Les
artistes trouvent toutes les semaines dans son Mémento la nomenclature complète des expoWEiOIUI et
concours auxquels ils peuvent prendre part, en Belgique et & l'étranger. Il est envoyé graCUltemeilt à
l'essai pendant un mois à toute personne qui en fait la demande.
L'ART MODERNE forme chaque année un beau et fort volume d'entiroD 450 pages, avec tabie
matières. Il cMfltitUe>onr l'MstaH^ de l'Art le doitMent LE PLUS COMPîXt tU'Utmmm I)A -ebUSi.
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L'ART MODERNE
PARAISSANT LB DIMANCHE
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Comité de rédaction t Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
▲BOmrXlCBNTS : Belgique, un an, fr. 10.00 ; Union postale, fr. 13.00. — ANNONCKS : On traite à forfait.
Adretser toutes le» communication» à
l'administration générale de l'Art Moderne, me de l'Industrie, 32, Bruxelles.
Sommaire
Waltol Ckane (Second article). — Lbs REVïNAMrs d'Ibsen. —
Lhs Oiuains F^tes, par Albert Oiraud. — Don Juam. — Nouveaux
CONORTS LuiOCOIg. — PCTITB CHHOMIQOK.
Walter Crâne
(Second article) (1)
La traduction de Perrault et des contes de fées, c'est
d'autres écrins de plus rares joyaux : Blue-Beard,
extraordinaire, est, en sus d'une impression merveil-
leuse, d'une mise en scène opulente et théâtrale comme
en déploient les Meininger. A genoux, cheveux épars,
robe bleue aux plis métalliques épars sur le parquet de
funèbre ébène, l'épouse trop curieuse implore son sei-
gneur cruel, vêtu des pieds au col tout de rouge, très
François I"; ou bien sœur Anne, telle une petite Eva
des Mattres-Chanteurs, en p&les robes, tresses au dos,
surmonte, héraldique, d'une tour, un surprenant
paysage sillonné de routes, semé de bois, d'arbres en
fleurs, et le sol^ <• qui poudroie •, aveuglant, emplit le
ciel. C'est inimitable, unique, d'une beauté absolue.
Jack and thê Beaii-Sialh, c'est, après le drame, la
(1) Voir FArt mod*m» du l*t mars dernier.
féerie, le plant de haricots grimpant aux cieux, des
pays de rêve, des colonnades en des sites désolés, des
couchants d'or, des lueurs pâles de lune pour le rapt de
la harpe enchantée. C'est encore les décors grecs de la
Belle au Bois dormant, l'évocation de moyen-âîge et
de légende dans Valentine and Orson, les gentillesses
du Petit Chaperon rouge, Cinderella, tout décoratif
et pimpant.
Par l'abolition surtout du texte qui se mêlait aux
images, les illustrations des grands albums à un shilling
forment de véritables tableaux, et de grand effet en leurs
étroites dimensions. Tels, dans Yellow Dwarf: La
reine et le nain en ce peu sûr paysage au couchant, où,
passé une eau, des fauves rugissent-, le char emporté
dans l'air par des cygnes et l'incomparable élégance, en
son péplum d'émeraude, de la Fée du désert. Dans
Frog Prince, le repas royal partagé par la grenouille
pour le plus grand dégoût des convives, à l'esclaffement
d'un nègre enturbanné, d'un valet dont le rire se dissi-
mule de la main, d'un grotesque sommelier à trogne
rouge ; le geste grave et sermonnant du doigt du roi est
imité par la serre d'un faucon tout encapuchonné sur son
perchoir. Architectures, accessoires, costumes, le goût de
Crâne pour le somptueux y éclate en toutes splendeurs.
La table est couverte de fruits, de cristaux et de buires;
des porcelaines fleuries sont alignées sur un bahut; le
roi est drapé d'hermine et le manteau vert d'un puis-
84
L'ART MODERNE
sant et haut dignitaire est brodé de sacs d'écus. Dans
la Biche au Bois, la planche représentant, dans une
forêt sombre, le seigneur poursuivant la biche, semble
une tapisserie dessinée par Burgmair. Dans la Belle et
la Bête, derrière un somptueux parc de roses, apparaît
un château, et le monstre, sanglé en son habit rouge,
surgit pour l'effroi du voyageur cueilleur de roses ; plus
admirable, le salon empire, ors et lumières, café servi,
long canapé où conversent la Belle et la Bête, et ces
ors, ces rouges, ces roses, ce fauve d'une peau, la note
bleu-paon du tapis les fait chanter. Goody Two Shoes,
malgré des réminiscences de Lejs, est un chef-d'œuvre
aussi. Des types adorables d'enfants sérieux, et ces
paysages comme mouillés, semés de cottages de Nurem-
berg, touffus d'arbres puissants et lourds, sont exquis et
des plus beaux que créa Crâne. Des plants de lis s'éri-
gent, des oies et des porcs déambulent, une jeune fille
s'entoure d'animaux familiers tandis qu'un roquet jappe
aux mollets d'un ridicule et long jocrisse accoutré de
jaune. L'histoire à'Aladdin c'est dans une Chine bien
fantaisiste, mais Princess Belle-Etoile renferme quel-
ques images qui sont parmi les plus prodigieuses inven-
tions de Crâne, telle celle-ci : Le prince-chéri guidé par
la Colombe (Siegfried et l'oiseau?) vers l'antre du dragon
tricéphale ; le ciel orangé saigne au bas de roches à pic,
l'acier de l'armure se bleuté et luit en éclairs, et le
monstre se mirant dans le bouclier vers lui tendu hurle
d'effroi à sa propre image....
A parcourir la série de ces albums extraordinaires,
l'impression me revient de la section anglaise à Anvers,
en 1885, et au Champ de Mars, à Paris en 1889, et du
charme bizarre, austère un peu et rêveur, éprouvé
devant les Watts, devant King Kophetua, devant les
Moore, devant les plus désastreux Millais, devant même
certains Leighton. Et comme les pages de Crâne simu-
lent des tableaux à l'huile, de même les peintures
anglaises avoisinent la chromolithographie, et ce sont
les mêmes exaspérées et torturantes harmonies, les
mêmes atroces et séduisantes couleurs, comme issues
de la rage de vivre dans la brume.
L'artiste ici est arrivé an sommet, il est maître dans
son art. Ses plus fortes œuvres, les plus nourries et les
plus affirmatives, sont ces derniers albums que nous
avons parcourus. Virtuose des couleurs et des lignes,
les œuvres qui suivront seront plus élaborées, moins
éclatantes et moins riches, malgré des inventions, des
raffinements nouveaux et cette caractéristique et prodi-
gieuse, spirituelle et toujours nouvelle imagination dans
la figuration et les sujets.
Il est cependant bien requérant en sa sobriété mono-
chrome et seulement linéaire ce volumineux album
intitulé Mrs. Mundi at Home (Marcus Ward, 1Ô76),
plein d'allusions politiques, d'actualités, de souvenirs
du second empire, — allusions maintenant trop loin-
taines, oubliées ou obscures. C'est, conviées à une fête
que donne la Terre, les Eléments, les Astres, les Sai-
sons, les Nations, — et s'essore ici tonte l'ingéniosité
allégorique spéciale à l'artiste, si bien qu'en ces vingt-
quatre grandes planches, on pourrait choisir six pro-
jets au moins de fresques, et ce sçrait charmant comme
Botticelli et d'une grâce légère, telle aux peintures de
Pompeï.
Vingt-quatre chevaux, les Heures, traînent sur la
voie carrossable de l'Ëcliptique le mail-coach du puis-
sant lord Soleil, plein de morgue et d'orgueil, monocle
à l'œil, moustache fièfe, et les guides en main de ce peu
habituel ttœnty-four in fuxnd. Les claquements d'un
fouet ondulent capricieusement dans l'air et c'est le
premier invité au • Terrestrial Bail >.
Puis vient la Lune, d'un si mol abandon en son lan-
dau, qui est un croissant : des chauves-souris, c'est
l'attelage, deux hiboux, les cochers. Et la composition
s'entoure d'une bordure où, dans les circuits d'une
courbe, jouent des croissants de lune.
La Reine de l'Air, sur ses divans de flottants nuages,
avec autour d'elle Sirocco et Simoun, nègre et arabe à
fastueuse barbe, qui l'éventent; des zéphyrs volètent, et,
parmi eux Ëole, par la malice de l'auteur sous les traits
de John Ruskin. soutenant du battement de ses ailes
Fors Clavigera J
Ces détails d'humour, habituels à Crâne et constants
tout au long de son œuvre, ne portent en rien, comme
on pourrait croire, atteinte à une belle dignité déco-
rative, d'une invention je dirais unique et surprenante.
Le Soleil offre la main au Printemps, féminine figure
toute délicieuse et ingénue, et, • with an old fitshioned
measure •, ils ouvrent le bal, des nues imitant au ciel
leurs gestes surannés.
Virtuoses à un clavecin, robes l^res, bras nus, corps
souples devinés, Terpsichore et Poljmnie, échevelées un
peu, accompagnent. Auteur élégant, le Zéphyr langou-
reux sur la volute d'une vague.
Celle-ci, d'une indicible élégance : jeunes femmes
enlacées dans la danse aux guirlandes qu'elles tressent
de fleurs et de fruits, le Printemps. l'Été, TAutomne
sont tour à tour compagnes du Soleil. Et gestes, torsions
de hanches, plis de robes mêmes, pieds des danseuses
cambrés et sur les pointes, — merveilles de dessin
précis.
Uranie, • pour le cas où on lui demanderait de chan-
ter •>, emmène avec elle quelques poètes : et c'est Ten-
nyson, - Poet Lauréate », estampillé d'un V R et d'une
lyre, c'est William Morris et son Paradis perdu, c'est
Rossetti, dissimulé k demi par on masque, c'est Charles
Algemon Swinbume enfln, sa tragédie de Bothwellsooa
l^bras.
Puis viennent les contrées et les Etats : L'Amérique
imite les modes de l'Europe. L'Australie, c'est on for
VART MODERNE
85
bébé anglais sur les bras de sa bonne, un kanguroo. La
France, importunée par on papillon-Chambord et une
guApe-Napoléon, réfrène les ardeurs d'un lion qui sem-
ble belliqueux : Gambetta, coiffé du bonnet phrygien.
L'Allemagne est une puissante dame gonflée d'impor-
tance et qui tient sur la main un petit Bismarck arro-
gant. La Russie aux doux yeux, en patins et fourrures,
porte un ■ Guide to India >■; elle est suivie du Dane-
mark, nn pauvre lévrier couronné, plein d'appréhen-
sion, tremblant au souvenir de raclées, l'oreille basse
et la queue entre les jambes. L'Espagne, enfin, est en
proie à la guerre civile, la Liberté glt prisonnière à ses
pieds, tandis qu'Âlphonsistes et Carlistes, deux vau-
tours, se disputent la victime.
Les dessins de Pan-Pipes (Routledge, 1884) auxaspects
fanés de tapisseries, si en accord cependant avec l'ar-
chaïsme desmusiques qu'ils ornent, produisent un peu,
après les violentes images des contes de fées, l'effet de
Van Orley à côté de Van Eyck. Mais il y a dans l'illus-
tration de ces romances àéntimentales : <• Early one
Moming «>, • the Three Ravens », « How should, yoar
tme Love know », un grand charme mélancolique,
une douceur toute féminine.
Voici, dans le genre humoristique encore, où l'esprit
de l'artiste se montre si naturel, trois albums publiés
chez Marcus Ward : Slate and Pencil (1885), Little
Queen Anne (1886), Pothooks and Persévérance
(1886), mettant en scène des enfants initiés par d'amu-
santes fantaisies, — clowns, pantomimes, sauvages cas-
qués de chiffres, — aux difficultés de l'alphabet et de
la numération. L'exécution est libérée de détails et,
moins précise, plus preste et plus légère, a des allures
d'aquarelle. Le peintre s'y montre encore différent en
deux planches singulières, où apparaissent une sorcière
de Fuseli et des souvenirs du bizarre William Blake.
La série éditée chez Routledge à peu près à la même
époque est plus précieuse. Ce sont dans Baby's Opéra
et Bal»/' s Bouquet y des chansons encadrées de dessins,
où certaines planches sont absolument captivantes :
• The Old Man in Leather », « the North Wind and
the Robin -, the Mulberry Bush », « I saw three
Ships », « Good Kind Arthur », the Lady who loved a
Swine », vignettes comparables aux plus belles.
Dans les Fables d Esope (1887), c'est toute une spiri-
tuelle zoologie, — et j'ai dit la supériorité de Crâne à
'essiner les animaux, — mêlée aux calligraphies et aux
broderies décoratives du texte. Ces décors marron,
jaune et blanc, rappellent cependant d'anciennes pote-
ries grecques, ces grues qui s'envolent sur fond rouge,
appartiennent à maints japonais, — et si la polychrome
figuration de « the Ass in the Lion's Skin » et le
camaïeu bleu de « the Fox and the Mask » semblent de
Tadema, si le paysage de " the Blind Doe » est un
Puvis anglaisé, — il faut admirer sans réserves la beauté
et l'eurythmie des lignes dans ces planches : « Hercules
and the Waggoner ». . the Bundie of Sticks », « the
Farmers's Treasure -, en leur volontaire style grec.
Mais ce qui est remarquable, c'est la manière dont
ces jolis livres sont présentés , leur séduisant aspect
d'objets précieux, leurs reliures glacées et ornées à
l'imitation des céramiques, leurs dos de toile indigo,
vert-de-gris, tète-morte on caca-d'oie. Ainsi la couver-
ture de Baby's Oton Msop figure un portique grec où
un enfant sollicite d'entrer ; deux grues (crâne) symbo-
lisent l'auteur et pour Esope une chouette volète effarée
Mais où Crâne est lui tout entier, c'est en ces deux spi-
rituelles pages qui servent d'introduction et de préface :
l'une : un mur, où rampe l'arabesque d'une vigne, s'ouvre
en baie sur un atelier d'imprimeur et on lit au fronton
qu'apportent deux colombes : E (mund) E (vans) Engra-
ver and Printer. Les ouvriers, simulés par de sérieux
hiboux, sont au travail, l'un encre au tampon, un autre
est à la presse, un troisième enfin, graveur, s'applique,
loupe dans l'œil, penché à son ouvrage. Une grande fil-
lette portant un marmot les regarde, tandis qu'une
autre, trop petite, se hausse en vain pour les voir. Le
second dessin : une grue mécanique, simulant un
absurde et véritable oiseau, dépose dans un bateau en
papier où un enfant les reçoit, des ballots de livres ; une
plume d'oie dans un encrier, c'est toute la voilure, et un
curieux petit hibou à lunettes est perché à la proue.
Dans son plus récent album en couleurs, enfin, Flora' s
Feast (Cassell and C°, 1889), Walter Crâne met tout
son inventifgénie à semer, déplus en plus doux etlégers,
les gracieux motifs, et ce sont, dames et seigneurs aux
florales vêtures, le cortège des fleurs du Printemps à
l'Hiver.
Je laisse volontairement de côté les livres, contes ou
poésies, illustrés par Walter Crâne ; ils sont nombreux,
des plus curieux et solliciteraient, à dire vrai, une étude
spéciale, de même que le talent de poète de Crâne,
auquel on doit : Thefirst o/'A/ay (Sotheran and C, 1881),
Echoes of Hellas (1888), et The Sirens Three (Mac-
millan, 1885), — ce dernier livre, un long poème, consi-
déré par l'auteur lui-même, au point de vue de l'illustra-
tion, comme son plus important ouvrage.
Nous avons donc, en feuilletant ces seuls albums, —
véritable encyclopédie comme l'œuvre du bon Hoksaï, —
suivi depuis ses débuts, toutesmanifestations du talent de
Crâne. Nous l'avons vu, dessinateur encore inexpert et
naïf, — peintre enluminant pour les enfants de véri-
tables et puissants tableaux, — décorateur toujours
perfectionnant un art comme d'impr»yisation, plus
léger, plus subtil, plein de délicatesses et d'esprit.
Nous l'avons vu également se préoccuper d'art appli-
qué à l'industrie, et si l'Angleterre est actuellement le
seul pays où l'on puisse trouver un objet moderne possé-
dant un cachet d'art, je ne crois pas m'aventurer en
86
VART MODERNE
affirmant que c'est grâce aux constants efforts vers le
beau d'artistes vulgarisateurs comme Walter Crâne,
William Morris, plus récemment Selwyn Image et
d'autres, qu'il nous est donné d'admirer ces tentures,
ces papiers de Jeffrey, ces meubles de Maple, ces
faïences et ces étoffes de Liberty.
A rencontre d'artistes purement de tempérament ou
d'instinct, comme Caldecott ou Keene, on peut donc
discerner en Walter Crâne un artiste raffiné, apte
mieux qu'aucun à sentir le beau. Mais cet artiste est sur-
tout un arrangeur, un adaptateur d'arts anciens ou
différents à des besoins modernes d'ornementation ; son
art, c'est presque du dillettantisme — dillettantisme con-
firmant en somme le grand décorateur qu'il est.
Georoes Lemhen.
« Les Revenants » d'Ibsen
Voici que, pour le» Revenant» d'Ibsen, il y a unanimité
d'admiration dans notre public et dans notre presse.
Pour une fois! Enfin I ce n'est pas malheureux. Et encore
aurait-il fallu voir l'air ahuri de plasieura. Et surtout, à
la dernière représentation, la bouche bée des retarda-
taires, venus là sur la foi des journaux, et s'interrogeant
dans le caveau de leur conscience artistique, perdus dans
des ténèbres.
C'est à Antoine que nous devons cette aubaine de bizarre
dans Veffrayant, ainsi que l'écrivait Edmond Picard
quand, en l'une des préfaces de son /ur^, il essayait de
définir le Fantastique réel. A Antoine, ou plutôt k
l'évolution théâtrale dont il fut le protagoniste, dont il
reste le champion. Car sans lui, vraiment qui eût jamais
pensé à produire sur nos scènes, infectés de parisianisme,
ce norwégien norwégianisant, s'imaginant, le fou. qu'il
peut se passer des choses intéressantes dans des âmes hu-
maines végétant an fond des Qords, par des jours de pluies
sans fin filtrant plutôt qu'elles ne tombent à travers des
brumes incurables que le soleil visite avec des airs de
descendre ses rayons les plus pâles an fond des préaux
d'une prison? Et qu'on peut intéresser des spectateurs
effondrés dans leur fauteuil d'orchestre, sans amener â la
rampe, en bonne lumière, quelques comédiennes préten-
tieuses de la Comédie-Française ou de ses succursales,
exhibant des toilettes maniérées, confectionnées tout exprès
pour la circonstance, avec une préoccupation de réclame
pour qui les porte et pour qui les a faites : pièce en cinq
actes et en cinq corsages, côté des grandes coquettes ; pièec
en cinq actes et en cinq pantalons, côté des jeunes
premiers.
Qu'on l'avoue donc, un théâtre libre a du bon, comme
tout art libre, hardi, oseur, alors même que parfois il ose-
rait sinon trop, au moins à côté. Quelle salutaire hygiène
que d'être mis, à certains jonn, par quelque tAméndre,
hors des gonds de ses habitudes, et de eraquer aux join-
tures sous l'effort d'un imprévu et brutal massage I On se
sent alors une souplesse d'esprit et de lensations dont on
se pouvait croire à jamais mutilé, etlajoaissance vient de
ce retour de jeunesse ou de cette pénétration dans l'in-
connu. Béni soit l'art neuf I
Ce n'est pas que cette fois le spectacle soit de ceux qui
caressent. Oh I la rudeBecousieetrangoisseaseim^^saion.
II est sombre ce Norwégien, avec les revenants, et il inté-
resse en suscitant, en cohorte fantomatique, les inquié-
tudes. A l'exemple des grands et moroses tragiques grecs,
il tisse ses personnages en spectrales silhouettes sur le ca-
nevas de la Fatalité. Par delà deux mille ans en arriére on
songe au touchant et efflrayant(Edipe,etrétonnemantvous
saisit de penser que c'est dans une maison Scandinave,
une quelconque maison, la maison d'un feu chambellan
mal défini, que se passent, entre bourgeois, des événe-
ments obscurs, en lesquels circulent les mêmes impi-
toyables forces du Destin, causant, à qui, muet, les
regarde agir, les mêmes terreurs et les mêmes tristesses
résignées qu'il y a deux miUe ans!
Car ils ont cette portée les Revenants dibsen, à l'insu
peut-être de celui qui, parmi d'antres œuvres dramatiques
ne dépassant gnères l'ordinaire niveau, a produit, par un
étrange hasard, ce morceau de choix. Poignant est le tra-
vail psychologique du spectateur qui, sans préalable lec-
ture, assiste au déroulement de ces trois actes, le rideau se
levant sur un décor de salon qui n'annonce rien, que les
quotidiennes banalités de l'existence. A peine en lointain
avertissement d'un bizarre, pointant à l'horiaon, cette indi-
cation : Qu'il pleut I qu'il pleut sans fin, depuis des jours,
toujours, une pluie qui filtre plutôt qu'elle ne tombe,
embrumant la lumière, mouillant les vêtements de qui-
conque arrive du dehors. Qu'il pleut } Pourquoi cette pluie
tombale toujours, depuis des jours ? Que nous veut-il avec
cette pluie opiniâtre et victimairé, à laquelle on pense,
malgré soi, nuage de tristesse et d'ennui; plus que de
l'ennui bientôt, un effroi qui lentement monte dan* l'âme
tandis que lentement elle tombe, et qu'on l'entend, oui
qu'on l'entend sans l'entendre, invisible et pourtant per-
ceptible accompagnement du drame durant ces trois actes,
et même pendant les entr'actes, vous poursuivant de sa
faible rumeur, obsédante, tourmentante, maléficante.
Et c'est là dedans, avec ça autour, tout autour, que
surgissent les personnages, un à un, chacun avec son
bizarre, son spécial bizarre, car les Revenants de cette
œuvre discrètement, mais monstrueusement baroque ne
sont pas seulement ceux qui, introduits sournoisement
dans Oswald et Régine, ces possédés, oes inconscients
démoniaques, agitant leurs gestes et leurs paroles et leurs
pensées, regardant par les trous de lenrs yeux, levant et
abaissant leurs bras, faisant grimacer leur visage. Ils
sont tons des revenants dans cette pièce macabre, plus
".■y^ip^.'iTi, .'■jîf^'^r
UART MODERNE
87
toni ceux qui flottent et voltigent antonr d'enx, dans l'air
et les ténèbres, ombres multipliées, population de ce pays
polaire et dmetièrenx.
Tous revenants : la môre, le flls, le prêtre, la serrante,
le menuisier, le , le , le ; n'importe qui vien-
drait s'^ijonter à ceux qae le dramaturge a mis en jeu, que
c'en serait un, qu'il faudrait qne c'en fut un. Tons reve-
nants sous une forme unique, bouleversante dans son
unité : la Folie. La folie, parce qu'ils sont faits tous de
choses à jamais accomplies, depuis des ans et des ans,
desséchées par le passé et dans le passé, mais revivant,
repoussant malingres et épuisées, par le maladif phéno-
mène héréditaire mettant le virus des morts dans des
vivants nuisibles, et les tourmentant de cette dartre, de
ce poison trop pauvre pour les grandir à l'héroïsme, assez
malfidsant pour briser chez eux l'équilibre.
Et dans l'âme des spectateurs le détraquage de tous ces
détraqués détraque aussi quelque chose, injectant une
amertnme et retenant quand même, comme si la peau était
prise par an fll de métal crochu qui blesse et qu'on sent
aigu, et qui n'est presque rien, mais qui cruellement dé-
chirerait si l'on tirait dessus pour se détacher et se libérer.
Oh I quel désordre en ces êtres, quelle désarticulation de
tonte l'horloge psychique, quel galop des aiguilles sur le
cadran, quels toumements des rouages lâchés en une
anarchie qui, après des bruits, des cris stridents,
des grinçures, des déroulements précipités, s'arrêtera
tout i, coup dans la nette immobilité des choses cassées.
Folle, cette mère, dans la rageuse et sceptique colère de
ses souvenirs d'épouse bafouée, de chrétienne ayant inuti-
lement sacrifié sa vie à des devoirs qui désormais lui sem-
blent une duperie. Fou, ce prêtre prêchant sans cesse,
solennel et convaincu, résolvant tout, imperturbablement,
par l'abnégation et la résignation et le rêve. Fou, ce
menuisier avide, hypocrite, incendiaire, ramenant tout à
cette autre idée fixe, une idée fixe de menuisier, gigan-
tesque d'ineptie : avoir un cabaret! et, avec une ténacité
et nne stupidité de sauvage, prêt à toutes les fourberies, à
tous les crimes pour l'accomplir. Folle, cette servante, à
cervelle d'outarde, poussant ses désirs et ses fantaisies sur
les trente-deux points de la rose des vents.
Et fou surtout, fou de dominante folie, ce jeune homme,
concentrant en lui plusieurs folies comme une cible,
comme un cautère piqué par les mouches qui viennent
et qui partent. Fou de folie tellement dominante qu'il
semble que les interprètes d'Antoine lui-même ont cru que
c'était le seul de la pièce, de telle sorte qne les quatre
antres, en leurs quatre coins avec ce point central, ont
joué sans faire jaillir la déraison de leur personnage, et que
dès lors l'œuvre n'a pas sorti complètement son efiiet de
terreur et d'angoisse. Oh I le terrible jeune homme, fan-
tastique dés l'abord, quant il sort de la coulisse, annoncé
par quelques énigmatiqnes paroles, la pipe à la bouche,
et & cause de cette pipe, et de la façon dont il la tient
aux dents, et du pli que cela lui fait à la bouche, ressem-
blant à l'improviste à son terrible père, à son père infâme,
pourquoi? pour aucune raison humaine, pour aucune
raison de justice surtout, uniquement parce qu'il est son
fils, de par la matérialité stnpide et ignoble de la copu-
lation, et qu'alors, et pour cela seul, il faut, il faut,
quoi qu'on en ait, qu'il ait en lui son père, avec une partie
de ses vices et de ses horreurs et des ses germes de dégé-
nérescence.
Le drame, c'est l'épanouissement complet de ce fou en
chef au milieu des quatre autres fous en sous-ordre. Tous
quatre sont les officiants ténébreux et affreux de cette
cérémonie barbare, lui passant les encensoires de cette
messe noire, faisant les répons, aidant à cette liturgie,
achevant avec lui le sacrifice qui finit par sa chute lourde
dans l'anéantissement cérébral.
Horrible et belle et empoignante, cette neuvre soulève
en nos âmes habituées à un plus calme dramatique, des
fièvres comme celles qui vous prennent à la lecture de la
prodigieuse Chute de la maison Usher, d'Edgard Poe.
C'est attirant comme le gouffre. Cela a les séductions
infernales de l'inhumain et du surhumain. Mais cela a le
don suprême : c'est grandiose et émouvant !
LES DEniTIÈrtES FÊTES
par Albert Oihaud. — Bruxelles, Lacomblez.
Son rêve de luxe, d'héroïsme, de vice, de cruauté, M. Gjraud
le prolonge en son livre nouveau, dont l'unité se ramasse sous ce
titre : les Dernières Files.
Miroirs éblouissant* de ces fêtes étranges
Où le sang répandu se tnéle aux vins cruels
Qui gardez dans vos eaux le sourire des anges
Vaincus par la beauté des démons : sensuels
Chasseurs velus d'or noir et de flammes arides
Nuit et jour à l'affût dans les halliers païens,
Qui sur le doux gibier des prunelles candides
Déchaînez vos mauvais regards comme des chiens.
Du luxe aveuglant de vos plaisirs royaux
Il restera ces vers
Les décors de faste et d'éclat rouge sont tantôt des jardins, tan-
tôt des palais fa escaliers, tantôt des horizons de pourpre ^de
sang, tantôt quelqu'église dont les verrières de bijoux myriadaircs
brûlent le silence de leur magique splendeur. L'impression de
richesse élégante, d'orpeil de fer, d'argent et de métal, de somp-
tuosité drapée, de magnificence orfévrée et ruisselante est provo-
quée presque dans chaque poème avec un incessant renouvelle-
ment d'images et de termes artistes. Le talent du poète triomphe
en celte abondance de détails choisis, de qualificatifs rares, de
versicolores et miroitants aperçus.
Le» personnages qui expriment ses tourments de cerveau, qui
lui donnent leur chair pour y incarner ses songes et ses regrets,
sont soit des rois, des reines, des évéqnes, des duchesses, des
fols
Projets de mon cerveau lassé,
Désirs aux bottes de sept lieues,
Caprices d'un soleil glacé,
Tulipes noires, roses bleues,
Ainsi vous naissez...
88
L'ART MODERNE
Dans ce b«au jardin de mensonges,
Enfants de mes fiers appétits...
En ses précédents volumes, décors et personnages de
M. Giraud éiaienl plus uniformément liéroïques et hauis en
vigueur et en force ; aujourd'hui, ils sont devenus plus délicats,
plus raffinés, plus compliqués, les sentimenis à exlériorer en une
forme liliéraire étant plus subtils, plus arabesques el plus
noueusemeni complexes. Le relire « avec ses mains en songe
sur l'épée » n'esl plus au premier plan du livre.
En opposition, ou plulôl en résultante de ses désirs « hors du
siècle », hors des temps actuels, vers des lointains des races,
de ses élans vers les âges de passions spécialement perverses el
aristocratiques, voici qu'à ce poète, il lui aussi, il sourd un désir
d'enfance, un amour de la souffrance et comme une folie de mar-
lyr résigné :
Je fus longtemps, je suis encore cet enfant
Sans autre bouclier que sa fragile enfance.
Qui toujours plus enfant à peine se défend
De vous rendre en amour le poids de votre offense.
El plus loin :
Je suis un espalier pour la soif et la faim
Des chercheurs de souffance et mes blessures fraîches,
Mangez-les, buvez-les, car je comprends enfin
L'ivresse des martyrs amoureux de leurs flèches.
Les Dernières Fêles vont de l'un à l'autre de ces deux
extrêmes, qui toujours, ou presque toujours, en les cœurs de
cette heure-ci, se touchent. Peui-étre même que les appels vers
les perversités, vers les cruautés, vers les fastes el les luxes tra-
giques, vers les déployemenis de bijoux hosiiles et de lances san-
glantes, ne sont que feintes et masques, mis au devant d'une pro-
fonde el élémentaire bonlé.
La rage de ne pouvoir êire son cœur ne rejeile-i-elle pas vers
des excès de volonté maligne el de cruelle évocation, el cela seul
ne suffit-il à expliquer la culture inlelleciuelle des perversités
contenues dans la plupart des livres d'aujourd'hui, tout connine
la peur d'être circonvenu dicte les vers explicites de Menact :
Je suis déshabillé de l'orgueil, frêle et nu
Je regarde le ciel & travers mes maux calmes
Que joint l'étrange espoir d'un bonheur ingénu
Dans un gouffre d'azur où se baisent des palmes.
Mais prenez garde, vous, ma gloire et mon souci.
Prenez garde, vous tous qui m'avez adouci
Jusqu'à cette douceur et cette peur de vivre.
De voir se révolter ce cœur qui vous enivre.
Et la haine jaillir, comme un glaive irrité
t D'un fourreau de candeur, de joie et de bonté.
A commenler celte pièce il nous serait facile, croyonvnous, de
loucher le fond même du poète, et combien d'autres sont en ce
même état d'esprit el de vouloir hérissés el de rêves, qui se drev
sent comme des vengeances. El l'on se complaît il se songer hors
des jours que l'on vil, autre que l'on esl, el autre qu'en l'intime
de soi on voudrait être. Ce qui nous requiert le plus en ce livre
des Dernières Files, ce sont peut-être les deux ou trois poèmes
qui ne semblent point faire partie de sa moelle : l'Horloge, el
surtout Avertissemenl, que nous citons pour clore :
J'ai rencontré mon ftme au détour du chemin
Lente et grave, au milieu de très blanches ténèbres,
Sous un manteau de lune ocellé d'yeux funèbres.
Et la fleur de ma mort fleurissait dans sa main.
Ombre plus pâle encor d'une ombre pâle, un grêle
Et beau lévrier blanc la suivait doucement,
La suivait pas à pas, d'un étrange aboiement
Dont la plainte expirait dans le silence frêle.
J'ai marché vers mon àme : elle a lev4 les yeux.
Elle a levé ven mol ses yeux mystérieux.
M'a regardé longtemps, mais uns me reconnaître;
Puis ramenant son voile, aux plis chastes et froids,
Elle a fait, dans le vide, avant de disparaître.
D'un long geste endormi, le signe de la Croix.
Certes, est-elle, celle pièce, la plus pénéiraote, la plus vague-
ment el la plus immaiériellemeni impressionnante du recueil
entier. Elle marche au delà du décor, au delà de tout prestige de
mot ou de rime, elle a la vie profonde. Elle est d'un art autre. Si
elle éblouit moins elle attire plus.
Les Dernière* Fêles sont typographiquement parfaites.
DON JUAN
Pour ceux de notre génération, Don Juan évoque le souvenir
de Faure, grand seigneur, alerte diseur, el si beau baryton ! Les
vieux abonnés citent Tamburini, Rubini. Et l'on rappelle les
débuts de la Palli. (El palala, dirait Laforgue.)
Ce qu'on a remué de cendres. Samedi ! C'était à qui plongerait
le plus profondément dans le passé pour en exhumer des sou-
venirs, des anecdotes. On s'est mis d'accord, ainsi qu'à chaque
reprise de « l'immortel chef d'œavre », pour bêcher fortement
Castll-Blaze, dont les récitatifs alourdissent la partition. Il serait
peut-être intéressant, en présence de l'unanimilé des critiques,
de monter quelque jour Don Juan tel qu'il fut écrit, de le débar-
rasser de la façade Jésuite appliquée sur sa pimpante archi-
leclure.
Celte restitution aurait un tout autre attrait que la mise en
scène de l'œuvre b&larde qu'on nous sert actuellement, mi-opéra,
mi-opéra comique, tirée à hue el à dia, sans silhouette précise.
Oh ! les arrangeurs d'œuvres d'art, les retoucheurs de tableaux,
les tourneurs de bras pour Vénus de Milo !
La direction de la Monnaie a soigné celle reprise. Il faut lui
savoir gré de ses efforts. Pourtant, on souhailrait mieux encore.
Malgré toute sa bonne volonté, H°>* de Nuovina ne sera jamais
une Zerline. Pourquoi confier à Esclarmonde ce râle de demi
caractère, tout espièglerie, gaminerie, diable-au-corpsT M°>* Du-
frane exigère les intentions, les nuances des compositeurs (au
pluriel, hélas !) Sa voix, on en connaît l'ampleur. Hais quel
énervement produit par celte constante emphase I M'>* Carrère,
merveilleusement habillée d'une robe à ramage d'une parbite
correction, a joliment chanté el joué personnage de Dona EWire,
la femme délaissé. C'est à elle que nous décernerions la pomme,
s'il s'agissait de quelque mont Ida.
Les hommes: M. Bouvet, un Don Juan un peu lourd, gestes
convenus, mimique d'opéra, tous les clichés. La voix est bonne,
mais comment dire? pftleuse. Elle ne pénétre pas. Dans Lepo-
rello, M. Seintein a mis beaucoup d'intentions comiques, souvent
réalisées. C'est peut-être lui qui donne à son râle le caractère le
plus conforme à l'œuvre.
L'orchestre est correct, sans plus. On écoute avec intérêt, sans
émotion.
NOUVEAUX CONCERTS LIÉGEOIS
(Correspondance particulière de l'Art modehnk.)
M. Sylvain Dupuis a clôturé de très digne manière la série de
ses concerts.
>
L'ART MODERNE
89
Il faut appuyer encore sur les étonnants progrès réalisés par
son orchestre cet biver. La volonté du chef a vaincu toutes les
résistances. Sa réelle valeur, son haut goût d'artiste ont eu raison
des mauvais vouloirs.
Et c'est aujourd'hui des exécutions correctes toujours, ^ admi-
rer souvent, que nous donne M. Dupuis.
Nous avons eu d'excellentes interprétations de la symphonie
de Berlioz Harold en Italie, dans laquelle M. Van Hout a tenu
avec beaucoup de talent l'imporianie partie d'alto ; de l'ouver-
ture de Léonore de Beethoven ; du prélude du deuxième acte de
(?u;«ndoh'n«,d'une si jolie écriture; delà marchede Tannhafiter.
L'ouverture de Léonore, la troisième écrite par le maître, a été
jouée avec une tenue et une vigueur qui ont fait apparaître la
grande œuvre dans sa toute puissance. L'entrée des violons dans
le final a été exécutée avec une rare perfection.
Nous avons beaucoup remarqué l'interprétation de la marche
de Thinhaûter. M. Dupuis. ne s'est pas borné à donnera
l'oeuvre celte allure militaire et uniformément guerrière à
laquelle nous sommes trop habitués. 11 a nuancé, H. Dupuis,
et pénétrant plus avant dans l'œuvre, il a très finement distingué
entre la première et la deuxième partie, donnant à la première
partie son caractère d'élégance et de pompe qui marque si bien
l'apparition des hauts seigneurs allemands, pour ne prendre
qu'ensuite l'allure martiale.
N. Ch. Gregorowistsch, un violoniste d'un brillant avenir, a
joué d'un son très pur et avec une belle simplicité le concerto
de Moszkowski.
La seconde partie de son programme se composait d'une série
dc^orSéaux qui n'avaient d'intérêt que par la remarquable
technique que le virtuose avait l'occasion de déployer.
Petite CHROf<iquE
Voici les recettes du Salon des XX. Nous avons dit déjà qu'il
serait intéressant de publier régulièrement le résultat financier
de toutes les expositions qui se succèdent au Musée. On verrait
ainsi auxquelles vont spécialement les préférences du public.
Cartes permanentes . . . . fr. 1,260 »
Entrées à 8 francs 786 »
» à 50 centimes .... i,265 »
Vente des catalogues .... 519 »
Total.
fr. 4,830
M. le major Paul Combaz fera & la Société cC Archéologie, le
lundi 16 mars 1891, i 8 1/2 heures du soir, dans les locaux du
la Société belge des Ingénieurs et Industriels, au Palais de la
Bourse, une conférence sur L'enceinte de Bruxelles bâtie au
XVI*««Ârf«.
Le Schiller- Verein donnera le 21 mars, au bénéfice des pau-
vres qu'il secourt, une représentation de Don Juan à la Mon-
naie. S'adresser pour les conditions it MM. Schotl frères.
La vente des objets d'art japonais de la collection Philippe
Burty aura lieu à Paris, dans les galeries de Durand-Ruel, du 23
au 29 mars. On sait que Philippe Burty, décédé l'été dernier,
avait réuni une collection d'objets d'art japonais qui était célèbre
dans le monde entier. Burty était un japonisant de la première
heure.
Nous venons de recevoir le catalogue de luxe de celte vente,
dressé par H. S. Bing, le directeur du Japon Artistique.
M. S. Bing est tin des pfus compétents en art japonais, et le cata-
logue qu'il a rédigé, complété parla photographie des signatures
d'artistes japonais, forme un gros volume illustré des dessins
mêmes de Philippe Burty, qui avait copié avec une inlerpré
talion très originale une grande partie des objets de sa collec-
tion.
Il p:iralt que quelques artistes anglais, insurgés du pinceiiu ou
de I» pointe, se préparent à former une Société des Vingt, à
l'image de la ndtre, ei doni la présidence sérail décernée 'a
WHI8TL8R.
La présidence de 1. Mac Neill Whisller, un artiste qui, pour
avoir été taxé d'excentricité, n'en esi pas moins un peintre et
même un grand peintre, permet d'espérer que les Vingt anglais
exposeront de la peinture.
Ce n'est pas le premier emprunt que nous font nos amis
d'Angleterre. On n'aura pas oublié la « Zwanze exposition »
d'il y a trois ans eut, peu de temps après, sou pendant à Londres,
sous forme d'une exposiiion caricaturale des œuvres de la Royal
Academy, due à la verve satirique de M. Harry Furniss, un des
plus brillants et amusants collaborateurs du Punch.
Mais il y a une différence : c'est que les Zwanzeurs anglais se
sont moqués de l'art vieilli, de l'art académique, de l'art des
reeommenceurs, pasticheurs et répétiteurs de l'art éteint, de l'art
d'une autre époque, beau en soi, pour cette époque, mais odieux
quand il est piteusement repris par de stériles imitateurs, — tandis
que chez nous ce dont on se moque, inutilement du reste, c'est
de l'art neuf, évolutif, allant en avant, osant, de l'art bouscula-
leur des podagres et des impuissants.
On a vendu ii l'hôtel Drouot la galerie de tableaux de feu
M. Ch. Noèl, banquier, dont la maison est en liquidation.
Celte remarquable collection comprenait 69 numéros :
49 tableaux, 20 dessins et aquarelles.
L'œuvre capitale, un Rousseau (la Mare, vue prise à Fontaine-
bleau), a éié adjugée 82,100 francs; un Corot {l'Etang de Ville-
iAvray), 39,900; le Christ sur la Croix de Delacroix, 18,250;
une délicieuse marine de Constable, 15,600; Ui Magdeleine de
Henner, 16,500 ; deux marines et la Procession d'Isabey, 12,600,
6,500 et 5,500; deux Couture, 6,000 et 4,400; deux Diaz, la
Forêt de Fontainebleau et Nymphe et Amour, 13,200 et 11,000 ;
la Rivière de Dupré, 13,600; la Forêt de Troyon, 11,200; Sous
boisAa même, 4,000; le Bosphore de Zicm, 15,600.
Le seul tableau ancien de la collection, une nature morte de
Fyt, a atteint 7,100.
Enfin, quatre aquarelles de Barye : un Lion, un Tigre, un
Tigre découvrant un serpent et les Eléphants, ont trouvé acqué-
reurs i 4,500, 4,800, 6,100 et 6,100, soit 21,500 pour les
quatre.
La vente a produit au total la somme de 334,335 francs.
La conservation des monuments en Belgique, par Paul
Saintcnoy, architecte. Extrait des Annales de la Société
d'Archéologie de Bruxelles, t. IV. 1890. (Bruxelles, Alf. Vro-
mant, 1890, in-8, pp. 15). — Dans ce sommaire rapport, pré-
senté à l'assemblée générale de la Société d'Archéologie de
Bruxelles, l'auteur s'élève avec raison contre le vandalisme des-
tructeur ou restaurateur de nos vieux monuments. Il signale l'im-
puissance de notre législation à les protéger efficacement et
préconise la loi française du 30 mars 1887, dont il y aurait liou
d'adopter les dispositions essentielles : Pour les monuments
tombés dans le domaine privé, s'il y a bon vouloir de la part du
propriétaire, l'Etat intervient par voie de subsides et, en échange,
surveille la restauration. Quand il y a mauvais vouloir de la part
du propriétaire, lorsque celui-ci refuse les subsides, fait des
changements ou s'apprête à démolir l'édifice, l'Etal esl armé par
la loi et il peut poursuivre l'expropriation pour cause d'utilité
publique, parles voies judiciaires.
M. Gustave Hôllander, directeur des Concerts populaires de
Cologne, se propose défaire entendre la trilogie de XVallenstein
de Vincent d'Indy à un de ses prochains concerts.
]!^^}v!fr\:-''-'.
ONZIÈME ANNÉE
L'ART MODERNE s'est acquis par l'autorité et l'indépendance de sa critique, par la variété de sob
informations et les soins donnés à sa rédaction une place prépondérante. Aucune manifestation de l'Art ne
lui est étrangère : il s'occupe de littérature, de peinture, de soulpture, de gravure, de musique,
d'architecture, etc. Consacré principalement au mouvement artistique belge, il renseigne néanmoins ses
lecteurs sur tous les événements artistiques de l'étranger qu'il importe de connaître.
Chaque numéro de Li'ART MODERNE s'ouvre par une étude approfondie sur une question artistique
ou littéraire dont l'événement de la semaine fournit l'aotualité. Les expositions, les livres nouveattœ, les
premières représentations d'oeuvres dramatiques ou musicales, les conférences littéraires, les concerts, les
ventes d'objets cTart, font tous les dimanches l'objet de chroniques détaillées.
L'ART MODERNE relate aussi la législation et la jurisprudence artistiques. Il rend compte des
procès les plus intéressants concernant les Arts, plaides devant les tribnnaax belges et étrangers. Les
artistes trouvent toutes les semaines dans son Mémento la nomenclatare complète des axpOSittOIlS et
concours auxquels ils peuvent prendre part, en Belgique et à l'étranger. Il est envojé gracuitement à
l'essai pendant un mois à toute personne qui en fait la demande.
L'ART MODERNE forme chaque année un beau et fort volume d'environ 450 pages, avec talitle
des matières. Il constitue pour l'histoire de l'Art le document LE PMJS GOMi^BT et le r««0*il liS PLl^S
FACILE A CONSULTER.
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rue de l'Industrie, 32, au prix de 30 fi*ancs chacun.
TABLEAUX ANCIENS ET MODERNES
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TERBURG — VAN BAELEN — VAN BEER8 — VANDER POEL
VINCK WAUVERMANS, ETC., ETC.
La vente publique aura lieu le Mardi 17 Mar» 1891, à 2 haares,
.sous la direction et au domicile de A. BLUFF, directeur de ventes
de livres et d'objets d'art, 10, rue du Oentilhomme, 10 (prt» du Treu-
renberg), à Bruxelles.
EXPOSITION PUBLIQUE
Le Lundi 16 Ifara 1801 de 10 à 4 heures.
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CamilU de Saint-Saint. Litst, Bichard Wagner, Bubimtein, Joa-
chim, Wilhelmj, Ed. Oritg, Ole Bull, A. Euipoff, Sofie îievUr,
DUirte Artùl, Pauline Lucca, PaMo de Saratate. Ferd. Hiller, D.
Popper, tir F.Benedict, LetehetiUhy, Ntgtraouik, Joh. Selmer^ Joh.
Seendten, K. Rundnagel, J.-G.-E. Stehle, Ignace BrUll, etc., etc.
N. B. On envoie i^tuitemeat les prlxHwnnuits et les càrti-
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en un fascicule de 32 pages au moins. Il formera tous le» ans un fort
volume in-8», pour lequel il sera tiré une couverture spéciale, un
titre, une table des matières et une table alphabétique par noms d'au-
teurs.
Abonnemb.its : France, 5 francs par an.
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DiHANOHB 22 Mars 1891.
lar
L'ART MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
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CkmUté de rédaction i Ootavk maus — Eomond picard — Émilk verhaeren
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L'ADMDnBTRATioif oÉN&RALB DB TAiTt Modemo, Fue do l'Iiidiistrie, 32, Bruxelles.
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Lit FutiLLd* M Uhtxma, par Oeorgea B«klu>ud, — Paul
OADOom. — AnT Nn» partout. — Ommia FM«nu«*t — Moaico-
Loan. — Pasasous d'un anLiomu. — A Amtbm. — Bibuo-
OKAPHU MUItCALB. — PbTITI CH^OMIQUI.
LES FUSILLÉS DE MALINES
par QaoKoa Eskiodd. — Un toI. in-18° de Z16 p. Bruxellaa,
Paal Laeombles, 1801.
Quelques pages d*tine sommaire chrontqae, nn froid
procès-Terbal da 2 brumaire an YII, portant arrêt de
mort contre quarante et un paysans flamands dont les
noms et Tes lieux d'origine, mutilés à la firançaise, sont
à peine reconnaissables, voilà sur quels documents
efiàcés M. Georges Ëekboud a reconstitué, en amant de
la. nature flamande et en poète énui, le récit d'un
épisode de la guerre dce paysans en 1708 :
•• A la diSkreoee des classiques victimes du duc
d' Alite, ces Ta-Do-j^eds marchéreat à Ut mort, sans
naidier à la poetirité.
« Ifot, q«i efaéri» et rénère la méoioir» de cas
patriotes impothiqaes, f essayai de fixer leurs traits et
«ïe reproditire leur rôle en ces pages votives.
- A cette fin, je ne recourus point à des incantations
redoutables. Aux cœurs aimants, l'intensité de la ten-
dresse suffit pour conjurer les élus. Non, j'ai simplement
entrepris le pèlerinage aux campagnes qu'ils hantèrent.
Li, m'étant imprégné de leur atmosphère natale et de
l'immuable mélancolie de leurs garigues ; convaincu de
l'atavisme des terriens autant que de la perpétuité du
terroir, j'ai retrouvé la chair de leur chair et le sang
de leur sang î
» Que de fois, en cette arrière-saison, aux lueurs
d'un couchant qui transforme en rubis les améthystes
des bruyères, à cette heure humide et crépusculaire, où
les voix des angélus prennent de rauques intonations de
tocsin, ai-je pressenti rapproche d'une occulte présence,
exaspérant encore l'éloquence farouche et la poésie
troublante de ce pays suggestif entre tous!
• Dédaigneuses du ciel même, les âmes nostalgiques
revenaient à leur patrie terrestre et chez un plastique
moissonneur, chez un braconnier qui me dévisageait au
passage et me saluait d'un pathétique bonsoir, je
retrouvais la voix passionnée, les yeux héroïques, les
lèvres frémissantes, l'allure intrépide, rincamation
complète des fusillés du 23 octobre 1798. »
Ainsi, dans le spectacle de cette nature • d'une
dnrabie intransigeance ». dans Tétude de ses habitants,
troif primitivement simples pour n'être pas semblables à
ce qulb furent autrefois, M. Eekhoud a évoqué, en des
92
L'ART MODERNE
pages pleines d'ardentes sympathies pour ses héros, le
souvenir d'une heure de patriotique illusion. .
Au son des cloches, réveillées dans tous les clochers
après un long silence, la Campine se soulève contre la
domination étrangère. Ses vieux prêtres, perdus dans
l'exil, reparaissent, rapportant, avec le Dieu comme eux
proscrit, les plus chers souvenirs et le peuple se presse
autour d'eux; il se rue aux sacrements; puis, sans
autre préoccupation que celle de la patrie et de la reli-
gion retrouvées, chacun arme lourdement son bras de
tout fer qui peut meurtrir. Après une sorte de veillée
d'amour où le chantre àes Kermesses fait peut-être trop
oublier le glorificateur des obscurs dévouements,
l'armée des faulx, des fourches et des contres de charrue
se précipite vers Malines pour en chasser l'envahisseur.
L'imprévu du mouvement semble d'abord en favoriser
la sublime imprévoyance. Malines est ouvert et sa petite
garniKon française est occupée à réprimer vers Anvers
quelque autre trouble populaire. Aussi, les paysans,
après un instant d'hésitation né de l'étonnement même
de leurs succès, pénètrent dans la ville et bientôt ils ont
envahi la mairie, et livréaufeu les registres de l'état civil
dont le régime nouveau a fait des livres de conscription;
ils ont ouvert les portes de la prison ; ils se sont emparés
du peu d'argent qui se trouvait dans la caisse publique
et maintenant, comme il convient à des vainqueurs, ils
se répandent dans les cabarets pour jouir de leur
triompheet réparer leurs forces.
Cependant, la roue de la fortune continue à tourner.
Les bourgeois de Malines, trop prudents pour se com-
promettre en pareils échauflourées, en sont restés les
spectateurs au moins indifférents et l'auteur nous montre
les sentiments d'épiciers que leur inspire le spectacle de
cette folie d'indépendance, ceen quoi un critique attitré,
avec la hauteur de conception et la finesse littéraire
qui le distinguent, a vu un crime de lèse-civilisation :
Comment! oser en français, et en un français très recher-
ché, décrire l'influence française et les bourgeois des
villes en qui s'incarne toute sagesse! avoir l'outrecui-
dance de mettre la rustique abnégation en opposition
avec la circonspection citadine! C'est vraiment le fait
d'un écrivain bien anguleux! Aussi faut- il voir quelle
douche d'éloges alambiqués il lui déverse (feuilleton de
V Indépendance belge du 23 février 1891); mais pas-
sons.
Par les portes non gardées, les Français prévenus
rentrent dans la ville; ils ferment toutes les issues et
leur troupe disciplinée a bientôt brisé les dernières résis-
tances de cette poignée de héros malhabiles. Ceux qui
ne sont pas égorgés dans les rues, sont entassés dans la
prison, et dès le lendemain, selon les procédés expédi-
tifs des commissions militaires, ils sont condamnés à
être passés par les armes. Un monceau de cadavres
troués par les balles est bientôt tout ce qu'il reste
d'eux, mais sur leur tombe, pendant plus d'un siècle
ignorée, voici qu'un écrivain patriote vient jeter les
fleurs du souvenir. Il a fait ainsi à la fois œuvre de
belle littérature et de sentiment.
PAUL GAUGUIN
J apprends que M. Paul Gauguin va partir pour Tahiti. Son
intention est de vivre lii, plusieurs années, seul, d'y construire
sa huile, d'y reiravaillcrii neafk des choses qui le hantent. Le
cas d'un homme fuyant la civilisation, recherchant volontairement
l'oubli et le silence, pour mieux se sentir, pour mieux écouter
les voix inlérieures qui s'étouffent an bmil de nos passions et de
nos disputes, m'a paru curieux et touchant. Paul Gaugnin est un
altiste très exceptionnel, iras troublant, qui ne se manifeste guère
au public et que, par conséqueni, le publie connaît peu. Je m'é-
tais bien des fois promis de parler de lui. Hélas! je ne sais pour-
quoi, il me semble que l'on n'a plus le temps de rien. Et puis,
j'ai peut-être reculé devant la difficulté d'une telle tflche et la
crainte de mal parler d'un homme pour qui je professe une haute
et tout !i fait paniculière estime. Fixer en notes brèves et rapides
la signification de l'art si compliqué et si primitif, si clair et si
obscur, si barbare et si raffiné de Gauguin, n'est-ce point chose
irréalisable, je veux dire au dessus de mes forces? Pour faire
comprendre un tel homme et une telle œuvre, il faudrait des dé-
veloppements que m'interdit la parcimonieuse exigence d'une
chronique. Cependant, je crois qu'en indiquant, tout d'abord, les
attaches intelleciuclles de Gauguin, et en résumant, par quelques
traits caractéristiques, sa vie étrange et tourmentée, l'oeuvre s'é-
claire, elle-même, d'une vive lumière.
Paul Gauguin est né de paren's, sinon très riches, du moins qui
connurent l'aisance et la douceur de vivre. Son père collaborait
au National d'Armand Marrast, avec Thiers et DegOHve-Denunc-
ques. Il mourut en mer, en 1853, au cours d'un voyage au Pérou,
qui fut, je crois bien, un exil. Il a laissé le souvenir d'une fime
forte cl d'une intelligence haute. Sa mère, née au Pérou, était
la fille do Flora Tristan, de celte belle, ardente, énergique Flora
Tristan, auteur de beaucoup de livres de socialisme et d'art, et
qui prit une part si active dans le mouvement des phalanstériens.
Je sais d'elle un livre : Promenade* dan* Londre*, où se trouvent
d'admirables, de généreux élans de pitié. Paul Gauguin eut
donc, dès le berceau, l'exemple de ces deux forces morales où se
forment et se trempent les esprits supérieurs : la latte^el le rêve.
Très douce et choyée fut son enfance'. lÉlle se dSvelo^pa, "^eu-
reuse, dans cette atmosphère familiale, tout imprégnée encore de
l'influence spirituelle de l'homme extraordinaire qui fut certaine-
ment le plus grand de ce siècle, du seul en qui, depuis Jésus,
s'es't véritablement incarné le sens du divin : de Fourier.
A l'igc de seize ans, il s'engage comme matelot, pour cesser
des études qui coûtaient trop k sa mère ; car la fortune avait
disparu, avec le père mort. Il voyage. Il traverse des mers incon-
nues, va sous des soleils nouvcànx, entrevoit des races primitives
et de prodigieuses flores. Et il ne pense pas. Il ne pense k rien
— du moins, il le croit — il ne pense k rien qu'k son dur métier,
auquel il consacre toute son activité de jeune homme bien portant
et fortement musclé. Pourtant, dans le silence des nuits de
quart, inconsciemment, il prend le goût dn rêve et de l'infini ; et,
quelquefois, aux heures de repos, il dessine, mais sans but aueun
/,\
"■^^■7*^^
WMTT.'Ç^J'î'r-?' ^i:
L'ART MODERNE
03
et comme pour «tuer le temps». Sensations courtes, d'ailleurs,
et qui n'ont que de faibles répercussions dans son être cérébral ;
brèves échappées sur les lumineux, sur les mystérieux horizons
du monde intérieur, tout de suite refermés. Il n'a point encore
reçu le grand choc; il n'a point encore senti naître la passion dn
l'art qui va s'emparer de lui et l'éireindrc, tout entier, âme et chair,
jusque la souffrance, jusqu'il la torture. Il n'a point conscience
des impressions énormes, puissantes, variées, qui, par un phé-
nomène de perception insensible et latente, entrent, s'accumulent,
pénètrent, b son insu, dans son cerveau, si profondément que,
plus tard, rentré dans la vie normale, lui viendra l'obsesseuse
nostalgie de ces soleils, de ces races, de ces flores et de net
Océan Pacifique où il s'étonnera de retrouver comme le berceau
de sa race, à lui, et qui semble l'avoir bercé dans les autrefois,
de chansons maternelles déjii entendues. «^
Le voilà revenu k Paris, son temps de survice fini. Il a des
charges: il faut qu'il vive et fasse vivre les siens. Gauguin entre
dans les affaires. Pour l'observateur superficiel, ce ne sera pas
une des moindres bizarreries de cette existence imprévue, que le
passage !i la Bourse, de ce suprême artiste, comme teneur de
carnet, chez nn coulissier. Loin d'étouffer en lui le rêve qui com-
mence, la Bourse le développe, lui donne une forme et une direc-
tion. C'est que, chez les natures hautaines, et pour qui sait la
regarder, la Bourse est puissamment évocatrice de mystère hu-
main. Un grand et tragique symbole glt en elle. Au dessus de
cette mêlée furieuse, de ce fracas de passions hurlantes, de ces
gestes tordus, de ces eSiarantes ombres, on dirait que plane et
survit l'effi-oi d'un culte maudit. Je ne serais pas étonné que Gau-
guin, par un naturel constraste, par un esprit de révolte néces-
saire, ait gagné là le douloureux amour de Jésus, amour qui, plus
tard, lui inspirera ses plus belles conce|iiions.
En attendant, se lève en lui un être nouveau. La révélation en
est presque soudaine. Toutes les circonstances de sa naissance, de
se^ voyages, de ses souvenirs, de sa vie actuelle, amalgamées et
fondues l'une dans l'autre, déterminent une explosion de ses fa-
cultés artistes, d'autant plus forte qu'elle a été plus retardée et
lente i se produire. La passion l'envahit, s'accroît, le dévore.
Tout le temps que lui laissent libre ses travaux professionnels, il
l'emploie à peindre. 11 peint avec rage. L'art devient sa préoccu-
pation unique. 11 s'attarde au Louvre, consulte les maîtres contem-
porains. Son instinct le mène aux artistes métaphysiques, aux
grands dompteurs de la ligne, aux grands synihétistes do la
forme. Il se passionne pour Puvis de Chavannes, Degax, Nanet,
Monet, Césanne, les Japonais, connus k cMte époque de quelques
privilégiés seulement. Chose curieuse et qui s'explique par un
emballement de jeunesse et, mieux, par l'inexpérience d'un mé-
tier qui le rend malhabile k l'expression rêvée, en dépit de ses
admirations intellectuelles, de ses prédilections esthétiques, ses
premiers essais sont naturalistes. H s'efforce de s'affranchir de
cette tare, car il sent vivement que le naturalisme est la suppres-
sion de l'art, comme il est la négation de la poésie, que la source
de toute émotion, de toute beauté, de toute vie, n'est pas k la
surface des êtres et des choses, et qu'elle réside dans les profon-
deurs où n'atteint plus le crochet des nocturnes chiffonniers.
Mais comment faire? Comment se recueillir? Il est, k chaque
minute, arrêté dans ses élans. La Bourse est Ik qui le rJcIame.
On ne peut suivre, en même temps, un rêve et le cours de la
rente, s'émerveiller k d'idéales visions, pour retomber, aussitôt,
de toute Ja hauteur d'un ciel, dans l'enfer des liquidations de
quinzaine et des reports. Gauguin n'hésite plus. Il abandonne la
Bourse, qui lui faisait facile la vie matérielle, et il se consacre,
tout entier, k la peinture, malgré la menace des lendemains
pénibles et les incertitudes probables des lendemains. Années de
luttes sans merci, d'efforts terribles, dedésespérances et d'ivresses,
tour k tour. De cette période difficile, où l'artiste se cherche, date
une série de paysages qui furent expos(?s, je crois, rue Laffiite,
chez les Impressionnistes. Déjà s'nffirmc, malgré des réminiscences
inévitables, un talent de peintre supérieur, talent vigoureux,
volontaire, presque farouche, cl charmant avec cela, et sensilif,
parce qu'il est très compréhensif de lalumièrecldc l'idéal qu'elle
donne aux objets. Déjk ses toiles, trop pleines de détails encore,
montrent, dans leur ordonnance, un goûi décoratif tout parti-
culier, goût que Gauguin a, depuis, poussé jusqu'à la perfection,
dans ses tableaux récents, ses poteries d'un style si étrange, et
ses bois sculptés, d'un art si frissonnant.
En di^pit de son apparente robustesse morale, Gauguin est une
nature inquiète, tourmentée d'infini. Jamais satisfait de ce qu'il a
réalisé, il va, cherchant toujours, un au delà. Il sent qu'il n'a
pas donné de lui tout ce qu'il en peut donner. Des choses con-
fuses s'agitent en son Ame; des aspirations vagues et puissantes
tendent son esprit vers des voies plus abstraites, des formes
d'expressions plus hermétiques. Et sa pensée se reporte aux pays
de lumière et de mystère, qu'il a jadis traversés. Il lui semble
qu'il y a Ik, endormis, inviolés, des éléments d'art nouveau, et
conformes à son rêve. Puis c'est la solitude, dont il a tant
besoin; c'est la paix, et c'est le silence, où il s'écoulera mieux, où
il se sentira vivre davantage. Il part pour la Martinique. Il y
reste deux ans, ramené par la maladie; une fièvre jaune dont il
a failli mourir, et dont il est des mois cl des mois k guérir.
Nais il a rapporté une suite d'éblouissantes et sévères toiles, où il
a conquis, enfin, toute sa personnalité, et qui marquent un pro-
grès énorme, un acheminement rapide vers l'an espéré. Les
formes ne s'y montrent plus seulement dans leur extérieure appa-
rence ; elles révèlent l'état d'esprit de celui qui les a comprises et
exprimées ainsi. Il y a, dans ces sous-bois, aux végélalions, aux
flores monstrueuses, aux formidables coulées de soleil, un
mystère presque religieux, une abondance sacrée d'Eden. Elle
dessin s'est assoupli, amplifié : il ne dii plus que les choses essen-
tielles, la pensée. Le rêve le conduit, dans la majesté des
contours, k la synthèse spirituelle, k l'expression éloquente et
profonde. Désormais, Gauguin est maître de lui. Sa main est
devenue l'esclave, l'inslrumenl docile et fidèle de son cerveau. Il
,va pouvoir réaliser l'œuvre tant cherchée.
Œuvre étrangement cérébrale, passionnante, inégale encore,
mais jusque dans ses inégalités poignante et superbe. OEuvre
douloureuse car, pour la comprendre, pour en ressentir le choc,
il faut avoir soi-fnême connu la douleur, — et l'ironie de la
douleur, qui est le seuil du mystère. Parfois, elle s'élève jusqu'à
la hauteur d'un mystique acte de foi ; parfois elle s'effare et gri-
mace dans les ténèbres du douie. El, toujours, émane d'elle
l'amer et violent arôme des poisons de la chair. Il y a dans celte
œuvre un mélange inquiétant et savoureux de splendeur barbare,
de liturgie catholique, de rêverie hindoue, d'imagerie goihique,
de symbolisme obscur et subtil ; il y a des réalités âpres el des
vols éperdus de poésie par où Gauguin crée un art absolument
personnel, et tout nouveau; an de peintre el de poêle, d'apôtre
el de démon, et qui angoisse.
Dans la campagne toule jaune, d'un jaune agonisant, en haut
"T«",-"''i
94
UART ÂIODSRNF
dn coteau breton qu'vne fin d'automne tristement jaunit, rn plein
ciel, un catnire s'éière, un eilTaire de boi» mal équarri, pourri,
disjoint, qui éieod dans l'air ses bras gauchis. Le Christ, telle
une divinité papoue, $o(nm»irenient laillë dans un tronc d'arbre,
par un artiste local, le Christ pileux et barbare, est (teinlDrlnré
de jaune. Au pii-d du calvaire, des paysannes se souta|;cno:iillées.
Indiâërenles, le corps aftiissé pesatnmi'nt snr la terre, elles sont
venues là parce que c'est la coutume de venir là, nn jnnr d«
Pardon. Muis leurs yeux et leurs lèvres sont vides de prières.
Elles n'ont pas une pens^, pas un regard pour l'image de Celui
qui mouml de les aimer, béji, enjambant des bairs, et luvanl
sons les pommiers rouges, d'autres paysannes se hâtent vers leur
baoge, heureuses d'avoir fini leurs dévotions. Et la mélancolie
de ce Cbrisl de bois est io'Jicible. Sa léle a d'affreuses tristesses ;
sa chair maigre a romme des regreis de la torture ancienne, et il
semble se dire, en voyant 1 ses pieds celte bumanilé m'tsëntbie et
qui ne eumpreod pas : h El pourianr, si mon martyre avait été
inniile? «
Telle est l'œuvre qui commence la série des toiles symboliques
de Gauguin. Je ne puis malheureuse nenl pas m'élendre davan-
tage sur cet art qui me plairait tant k étudier dans ses dtfférvn'es
expressions : la sculpture, la céramique, la peinture. Hais j'es-
père que celle brève description suffira i révéler l'éuu d'esprit
si spécial de cet ani^te. anx banes visées, aux nobles vouloirs.
Il semble que Gau{;uin, par\enu i celte baolear de pensée, k
cette largeur de style, dorail acquérir une sérénité, une tranquil-
liié d'esprit, du repos. JIjis non. Le rêve n" se repose jamais
dans cet ardent cerveau ; il grandit et s'rxalle !t mesure qu'il se
formule davantage. El voilà que la nostalgie lui revient de ces
pays où s'égren<>renl ses premiers songes. Il voudrait revivre,
solitaire, quelques aonoes, parmi les choses qu'il a laissées]; de
lui, là bas. Ici, peu de tortures lui furent épargnées; et
les grands chagrins l'ont accable. Il a pcr un ami tendrement
aimé, lendrement admiré, ce pauvre Vitcenl Van Gogii, un des
plus magniSques tempéraments de peintre, ooe des plus belles
Ames d'artiste en qui se confia notre espoir. Et puij b vie a des
exigences implacables. Le même besoin de silence, de recueille-
ment, de soliiude absolue, qui l'avait poassékia Martinique, le
pousse, celle fois, plus loin encore, à Tahiti, oùlaoalore s'adapre
raieitx à son rêve, où d espère que l'Océan Pacifique anra pour
lui des caresses plus tendres, nn vieil et sAr amour d'ancélre
retrouvé.
Où qu'il aille, Paul Gauguin peut être a-snré que notre piéié
l'accompagnera ,
Ocnn WiBBKàii.
ART KEOF PASTOCT
l>es ViDglisles à Bruxelles, des Vingiistes à Londres, des Ting-
tistes à Paris '.
Ces derniers sont dits lss l;iDÉPE:i»AaTS.
Et partout, sauf chez nous quelques indécrotiables de la critique,
on les appuie nettement, on les observe sériessement.
A CEaor même, la peinture nouvelle est entrée; voir b pré-
sente exposition. Dans peu de temps elle ruminera sans dooM.
Toici comment Gil Blm parle dis novaleBrs parisiens :
« Il n'est plus temps de rire des > Indépendants», car plasienrs
de ces audacieux chercheurs ont fjii des Irouvaifles fart intéres-
santt*. Il T a CKore, um donte. plu «Tbm loMMtve feDe
parmi les envoii exposés depais hier an PaTÎIIoa 4e b VHIe 4e
Paris. Il jr a surtoot beaoeosp de loHcs Mëdiocm. MA si Fm
prend b peine de s'orieoicr na pe«, on n'e« piM eaitoranépotir
découvrir nne trentaine d'oNTres d*nie orifindiU t^Mnale.
n t«t piw d'à Saloa an lainda
Dont OB b'cb pounit dit* aatmt!
« Des jennes, des iacoanos s'eoiparent de b dasbe cl roos
arréirni an passsfe, l'on par b Tialenc«>, raaiiw par b SHanié de
son hannome. Cclat-ci est ccpa|[aol, criai-ft est bdfe, qaeiqac»-
•ns SMtt français, tous « indépeadiaiSB.
« Je ne Bommefai personne, mais j'engage très UscaMBl ks
amateurs d'art k «isiier l'Expositioa des artistes iadfpeadaatt. H
y a queiqne chose i farder de tant d'rffsrta, et, k c6lé de* felifs
déguisao* mal l'iaipnissaBee de cettÙB*, il ; a b da <wis irftals
i eacoorai^.
« Je ne puis quitter cette Cxposilioa sans a-carder aa soawnir
éaia i mon regretté confrère Kroeat Ittachedé ^ai araii, Taa des
premiers, fièrement et viclorienseoienl rombatio poor J'iadépen-
daocc de l'art. ■
OMNIA FRATERNÈ!
La Conférence dn Jeone Barrean de Rrmelles avait arganisé,
le mois dernier, k Toccasion do cinquantième annivenaire de sa
fondation, une représeaiation dranaliqae fort inléreanBie, aae
Revoe des événements dn Pabis agrémeMée de nombreu» coa-
plets visant les personnalités les pins connues dn tonan. Ce
« léli-mélo jadieiaire », représenté par les anienrt eaa aiÉaKS an
Théâtre Commonal, devant na aadMoire atiitltawat baité an
monde jodiciaire, eni on succès prodigie«x.
On fat Duanime k loner b bonne hnoienr et Fesprit qae répan-
dirent sor cène ceorre basochienae les jeanct avnrais qai en
eurent Tidée. Très bien mise en scène, acctmpagnée par va
orchestre composé en majeure partie d'avocats, qni joaa avec
l'assurance et Tensembie d'an orebestre agnenri, b pièce alb anx
nues.
Et noiex ce détail original : remploi de timbalier était Irna par
Vincent dtndy, arrivé loal exprès de Paris.
Un concert précéda b représéniaiioB. — an coKcrt dnat bs
membres de la Cooi^rence da Jeane fearreaa firent laas ks frais.
Cétaii-nt, ces avocats-musiciens : MX» L. Tonnelier, Octne
■ans. A. Abraasart, 1. Iiriiiliini. \ fbjii^r Tjitiimiai.
I. De Le Coart, E. SéaaI. E. Tia TTa«t iTTi jaÉbiflwl. t de
Laaisbeere, R. Tanib'ier, R. Gill'iean, L.Oawera,brcf an «itbe»-
tre complet, anqnel ■!. Tan der Boesen et Debanoy psWinnt
amicalement b concours de lenr> an-bel.
l'n intermède confié k b jolie voix de ■■*> Frtaciae CSTieaax
compléta le programme, qui portait :
1. Dama kenarvisa fBrahms); 1. SgmpkQmit pmtr mrdmtft
et fiam (Ttneent dUMhr); 3. a. Jt tmmm (Cri(|^ n. SUiladt
ehamf/trt (Brahms), c Oà wamI-iU ti ri» * (Twrsoi); à. Skffrwé-
Jifll (Wagner).
Samedi dernier, ■ k b demande générab » ane srcoade n-pré-
seniatioa de la Revue, a été doonée devant an Mdiioin «.nmposé
en grande partie de mtmhtes des rorpe jadiciaites. ùm ftUiL,
tooiefois, montré moins strict sur les entrées qui b pumièie
reprvsenral'iou.
V
L'ART MODERNE
95
Voici, k tlire de enriosité et de looTCDir, la rpprodnction du
programoie de cette soirée :
•MMUMatanMM
aCOKVE RKPRÉSniTATION DB
OMNIA FRATERNÈI
MMi-n^ jwlieiaira «■ «a acte «t den tdtenx
fléoUi d an pnilofM «t d%iii%MiT«Hiira,
U hmt eonpoM par dat membraa de U CoalMiea dn Jeane Bairean
at joaé par laa aaMon.
u;;; 52^ ï^ ***»«" ; : jm-o-s.v*»8t«tim,.^
lf*<*Cko«b<t«ka.Miidiàalàpolaiiaiaa > ^g^ . ^mn
M'Hinaora . IfM- P. Nihautb.
:lf*adMaMd O SawmpsLB.
LaPnMdaat Ocr^Ts IUds.
Il . da TnuiAe-lfontane H. Dumoiit.
M. tOnula. de Bm-SiDauBeU ... Ck. Maoï^aa.
M* lUIlet, atafiaire Max. Halut.
II. ravoni Coloa O. Cclo*.
uiSteTpaiai.: ; ; : . { pb— «.-c.
L'Boiaaiar H. Qonsm.
Le Prince Malin En. Rotsb.
If. Vaa Ujrlafcot >
M* LaflBonnier j
M* Tb<odor [ H. Castoh db Wulst.
1I*J0M0II 1
Le priTena E. Sraran*.
M.beCocfc M. DaCocK.
L.A. FE2^2sd:E
SaynMe par ORENET-DANCOURT
U^naan MM» H. Qonan.
Docomel H. Domott.
Cke/i ivrdutire : MM— Octats Maub et O. SnTOUiAKa.
Bffiuew : M. Oaoaoas Picasd.
Soufflmr : M. O.-S. Vak Stbtdohck.
Dèi boit heures la salle éiail comble. Le concert qui avait pré-
cédé la représcBlation du 14 février avait été remplacé par on
lever de rideau, la Femme, conférence diie par deux oraleurs,
dans laquelle nos confrères Hcnnano Ihimont et Henri Quersin
ont rivalisé de verve et de talent.
On a applaudi ensuite l'AvaiU-dire, de ■* Henri Carton de
Wian, pois. M* Octave Mans avant repris possession de son pupi-
ire de chef d'orchestre, les trois coups frappés, la spiriloelle
oavennre de ■* Léon De Lantabeere a soulevé de telles tempêtes
de bravos qu'il a ialln la bisser.
Oo ■ redemandé 1rs couplets de ■■ Culus, si joliment chantés
par M* Mai Ballet. On a bissé la chanson de l'Ombre de M* Le
Jeune, dite avee on réel lalenl par ■■" Van Sirjdonrk, parfuiie
dans son double rôle. Des bouquets, des corbeilles de fleurs ont
été oiens ani deux aimables interpréiei de Plear.de-Lio ei de
Cbonberska, ■■• Van Sirydoock et M* A. rnien. Cette dernière
a, presque au pied levé, remplacé ■"■ Van Damme, et s'est fort
bien acquittée de sa tAcbe.
Enire les deux Ubleaax, ■. le Ministre de la hniiee, qui
assisuit avee ■-• Le Jeu«e k la leprésenialion, est allé snr la
scène complimeater les inlerprêleii et leur VHnoigner tout le plai-
sir que lui avaient eaosé les deux auditions successives de la
Revne.
Quelques surprisies : des scènes complémentaires, des roopleis
inédiu, parlant i flmprovisie et venant frapper en pleine poi-
triae des confirères négligés Jusqu'ici et déconcertés par ces atta-
ques inatleodues. Faot-il qouter que rien de tout cela n'était
méchant et que les confrères visés ont été les premiers k rire des
phisanleries qu'on leur a décochées. Les seuls qui ont éprouvé
quelque mauvaise humeur sont ceux dont on n'a rien dit.
La représentation s'est terminée i minuit par on rappel gé-
néral. Et longtemps durera le souvenir de ces deux soirées
extraordinaires, qui ont affirmé la vitalité, Pesprit d'initiative, la
persévérance et la bonne confraternilé du Barrran de Bruxelles.
MUSICOLOGIE
la» TMAtr* d« Richard Wagaer, é» Twanhaflaer & Par
•ifiUi essais de critii^ae littéraire, esthétique et musicale. —
Slecfried, par Maance Kullératli. — Bruxelles, Schott friree.
Avec la conscience artistique, la minuiiense exactitude qu'il mil
k analyser le poème et la partition de Partifal (I), M. Maurice
Knfferath étudie Siegfried et noircit ses marges de commentaires
ingénieux, de remarques originales, de rapprocbemeuis inat-
tendus.
C'est de très bonne et très haute critique, qui pénètre dans le
détail, décrit tout le mécanisme de l'œuvre, sans perdre un instant
de vue le plan d'ensemble suivant lequel elle a été réalisée.
H. Kufferath montre bien l'esprit de généralisation que décèlent
toutes les œuvres de Wagner, le caractère universel de leurs
mythes, l'humanité qu'elles embrassent. Ses Etsais de critique ont
une toute autre envolée que les nombreuses éludes des commen-
tateurs allemands, et notamment celles de H. Haas de Wolzogen,
vraies leçons d'analomie sur chefs d'cenvres disséqués. Il rattache
les épisodes mis en. scène par Wagner aux légendes de tous les
pays, montre leur affinité. N'a-I il pas découvert que le bon Dou-
don de Mons est très proche parent du dragon Fafncr, et que son
terrible adversaire, Gilles de Chin, l'homme il la longue lance que
l'on fête chaque année et que nous avons aperçu au cortège des
Géants, n'est qu'un avatar de Siegfried ?
Le chapitre consacré i Fafoer est d'ailleurs tout entier des plus
intéressants. C'est une monographie complète du monstre, dans
laquelle défilent les grosses bétes légendaires les plus connues des
deux hémisphères.
« An fond, dit entre autres M. Kufferath, la question dn dragon
touche il on problème d'esthétique sur lequel on a beaucoup dis-
puté sans jamais le résoudre définitivement : celui de l'emploi du
merveilleux dans la Poésie. Dans ce débat, il y a ceci de particu-
lier qu'invariablement les poètes, et les plus grands, ont été avec
le sentiment populaire pour l'emploi illimité du sumalurrl ; et
qu'invariablement aussi les adversaires du merveilleux se sont
r«cmlés parmi les esprits cultivés formant ce qu'on appelle la
classe des « lettrés » et qui s'attribuent si volontiers le rOle de
« législateurs du Parnasse ». Depuis le poêle de Rnmayana jus-
qu'au poète de V Anneau du Nibelung, en passant par Homère,
Eschyle, Dante, l'Ariosie, Calderou, Shakespeare, Cœthe, je n'en
vois pas un seul, parmi les Puissances supérieures de la Poésie,
qni n'ait fait usage largement et constamment du merveill'ox. Je
ne parle pas des féeries de la Henriade. Ce sont des invenlioiis
factices d'un art poétique en pleine décadence et qoi ne peovent
apporter au Ircteur qu'on insurmonlable ennui. Il s'agit du mer-
(1) Voit r Art
dn 19 octobre 1990.
06
L'ART MODERNE
veillenx sarhumain, du merveilleax de l'ordre divin, de celui qui
symbolise des lois étemelles ou l'aclion mystérieuse des forces de
la nature. Ce merveillcux-là est profondéaient poétique, il est sai-
sissant; et il est légitime dans l'art, il y est nécessaire, parce
qu'il est un moyen puissant de donner une forme concrète et un
relief incomparable à des synthèses d'idées ou de faits. Ce mer-
reilleux n'est jamais une fiction arbitraire; il esl, au contraire,
vrai et de la réalité la plus frappante, parce qu'il est la réalité
morale planant au dessus de l'autre cl la dominant.
« Dans l'œuvre qui nous occupe, qui ne voit que le monstre
tant décrié par quelques-uns était un élément indispensable de la
donnée poétique portée à la scène, et que Wagner n'aurait pas
pu le supprimer sans mentir à la légende, c'est-ii-dire à l'histoire
qui est plus que de l'histoire, à l'histoire synthétisée et devenue
symbole?
a Siegfried est inséparable du dragon, comme il esl inséparable
de Brunnhilde sommeillant dans le cercle de feu. S'il ne traver-
sait pas le feu, s'il ne tuait pas le dragon, il ne serait pas Sieg-
fried. Wagner a obéi Ici à la même nécessité poétique qui poussa
Shakespeare à nous montrer, dans Macbeth, Hécate et les trois
sœurs du Destin, dans Hamlet le spectre du vieux roi; Gœihe, ii
faire parler et a{;ir devant nous Héphistophélès ; Tirso de Noiina
et après lui Molière et Mozari, à mettre en mouvement la statue
du Commandeur; Eschyle, à laisser les Furies sortir du Tartare
et remplir le théilre de leurs stridentes clameurs.
« La légende lui offrait, dans le combat de Siegfried et du
dragon, un symbole plein de caractère et d'une netteté d'expres-
sion admirable; c'était son devoir de le conserver, et la faute de
goût, le vrai manque de lad eût été de ne pas le reproduire. »
Une analyse détaillée du texte complète l'étude historique et
esthétique de Siegfried. Et le tableau des thèmes musicaux de la
partition clôt celte attrayante étude.
Paradoxes d'un bibliophile
(I)
En Belgique, pour qu'un livre se vende, il faut qu'il soit pieux
ou obscène.
Pour un livre comme pour une femme, être poursuivi est quel-
quefois ennuyeux, mais toujours flatteur.
Les bibliophiles sont les enfants terribles de l'érudition.
Il n'y a d'impardonnables que les fautes d'orthographe et
d'irréparables que les fautes d'impression.
La liberté de la presse esl une hérésie bibliographique qui est
devenue un dogme politique.
Le bibliothécaire a, pour le lecteur, un cœur de belle-mère.
Vouloir détruire un ouvrage en en brûlant des exemplaires,
c'est vouloir ruiner une banque en en brûlant des billets.
Les jeunes bibliothèques sont exclusives.
On appelle événements les vétilles dont il reste des docu-
ments.
Dans la typographie, comme dans la vie, ce qui coûte le plus,
c'est la correction.
Bibliophile et bibliomane sont synonymes.
Charles Duhekcy.
(1) V. \'Art moderne, 26 octobre 1890 et8 fëviier 1891.
A ANVERS
(Correspondance partieuliire de l'Ait MOMKim)
IjM cinq damier* .Conoerta poitalalrM.
C'est le fait du collectionneur qui n'a pas commencé d'hier de
négliger les sensations peu rares. Le plus vulgaire timbre et.
d'usage journalier, le billon le moins précieux ne te ramassent
plus i un certain moment. Pourtant peovent-ils faire la joie d'au-
tres, moins bien fournis; et pour réussir par trouTer place dans la
collection que nous nous rassemblons, n'en faut-il inférer loMU
absence de mérite — ni de notre part : inattenlion dédaigneuse.
Voici cueillis les numéros dignes en ces cinq dei^nier* concerts :
au dixième, la Sixiime Symphenie{paiiûrale) de Beethoven, éera-
sanie, triomphale; tous autre* nuiaéros du pro(ramme ibreémeot
pénombres, inutiles! An onzième, la tumnltoease ouverture dra-
matique Husiuka d'Anton Dvorak, od de rares sonnanees de
fougue guerrière et des rSles se tissent sur le thème : un choral
guerrier hussite de Bohême. Puis, l'exquise mélodie de Ole Bull :
Sâtergenlent Sondàg, confiée par Johan Svendsen an quatuor des
cordes. C'est d'une évocation imprévue et berceuse et fugace ; des
violes glosant du Verlaine,
Notons l'impatience, à ce même concert, vers la Cinquième
Symphonie de Beethoven (Fatum), qui a prodoit la sensation
qu'elle devait produire, d'indicible et impérieuse angoisse. Com-
mandée par les fatidiques battements de l'AUegro (qui se tra-
duisent : So pocht dat Schiksal an die Pforfe) elle a obsédé tout
le long de VAndante, de i' Allegro jusqu'au triomphal Final de
délivrance.
Et voici que se révèle au quatorzième concert, un jeune. Gcrril
Wagner — de quel effrayant poids son nom I — négligeant les
incessantes recherches de pittoresque, l'ampleur décorative de la
phrase, l'habituelle et requise vigueur de coloration, qui eonsli-
Inent la valeur et la réelle originalité de cette école de musique
flamande, et dont Gerril Wagner se réclame. Scrupuleusement
commente-t-il la partie psychique de ce départ d'Eslher vers Assoé-
rus — une fin d'acte d'un opéra biblique — et curieusement,
car c'est, par instants, d'un rare mariage d'instruments, une suite
d'intfntions qui ont paru — l'exécution s'en ressentait ! — décon-
certantes i cet orchestre, encore peu familiarisé k semblable vou-
loir! Un jugement plus définitif serait prématuré. Faudrait — ce
que nous espérons bien — une exécution plus complète et plus
soignée des œuvres du jeune auteur.
PlBLlOQRAPHIE MUSICALE
On se souvient des jolies mélodies populaires chantées, voici
trois ans, aux concerts des XX par M"* Brohez et les chœurs du
Conservatoire : En passant par la Lorraine et le Mois de Mai.
Ces mélodies, recueillies et harmonisées par Julien Tiersot,
faisaient partie d'un recueil contenant dix chansons des provinces
françaises publiées par l'éditeur Heugel.
L'auteur vient d'ajouter i son œuvre une seconde partie, dans
laquelle il a réuni dix autres mélodies, parmi lesquelles, au pre-
mier rang, la tragique Mort du roi Renaud et la célèbre chanson
du Joli tambour venant de la guerre.
Ce second cahier décèle, comme le premier, le soaci de faire
: :î:3vT--TSF;^r ■^^^"
L'ART MODERNE
97
oeuvre d'artiMe en respectant Krupuleusemeni le texte musical,
CD s'approcbant le plus possible, quant !i la version poétique, des
formes originales, ep composant des accompagnements ayant le
siyle et le caractère voulus.
Ce second recueil ne peut manquer d'avoir le succès très vif
qui a accueilli le premier.
» •
M. Jean Van den Eeden, directeur du Conservatoire de Mons,
vient de faire paralire chez Kaito un choeur poar voix d'hommes
(a huit parties), sans accompagnemeni, la Mouton, bien écrit
pour les voix et propre ii élre chanté comme morceau de concours
par les sociétés chorales. L'œuvre, composée, croyons-nous, il y
a un certain nombre d'années, a été entièrement refaite par
l'auteur.
Petite CHROj^iquE
L'Etsor a ouvert samedi son exposition annuelle. Nous en par-
lerons dans notre prochain numéro.
Le Cercle de* Artt et delà Presse donnera le U courant, dans
la salle de la Grande Harmonie, un concert consacré a l'exécution
d'oeuvres belges. C'est le Club symphonique, dirigé par M. Emile
Agnirz, qui interprétera quelques pages récentes de nos jeunes
compositeurs.
Voici qucl« seront les principaux élémenl.s du programme :
Prélude symphonique de Soubrc; Humoresqiie de De Greef;
Chanson i boire, fragment de l'opéra la Revanche de Sganarelle,
de Léon Dubois; Mélodie de Gilson; Suite dans le style ancien
\iDdam"t Impromptu et Romance pour violon d'Emile Agniez,
exécutés par une violoniste russe. M"' de Falslaff; Msntiet m
Ottvotle pour quatuor, de Samuel; Danses écossaises, de Gilson;
Quatuor pour voix de femmes, avec accompagnement d'orchestre,
de Xavier Cariiez ; Trio de la Revanche de Sgnunretle, de Léon
Dubois.
M"' Jeanne Dousle de Fortis, pianiste, prêtera son concours à
cette audition.
On nous prie d'annoncer le concert qui sera donné à la Grande
Harmonie, le mercredi 15 avril, il 8 1/2 heures du soir, par
M"" Julia Milcamps, cantatrice, et M. Ch. Danlée, baryton, avec
le concours de M"" Lcfebvre-Moriamé, pianiste ; M"' Jeanne
Pisart, harpiste; M. Garnier, professeur de déclamation, H. Laou-
reux, 1" violon au Théâtre royal de la Monnaie; H. Sansoni,
j violoncelliste au Théâtre royal de la Monnaie; M. V. Massage,
' piuniste-accompngnalcifr.
Changement d'affiche il l'Alhambra : au Fils de Porlhos succède
la Bouquetière des Innocents, grand drame historique en S actes
(9 tableaux) par Anicet Bourgeois et Ferdinand Dugué.
Au théâtre de la Monnaie, jeudi, samedi et dimanche (en
matinée) auront lieu les représentations annuelles de la Comédie-
Française. Voici la composition des spectacles : Jeudi, le Barbier
de Séville et Us Petits oiseaux. Samedi, le Malade imaginaire et
Margot. Dimanche, le Testament de César Oirodot.
M. Dupuis fait en ce moment la joie des habitués du Parc. Les
rcpréscniations de M. Betsy cl de Décoré sont très suivies et très
animées.
L'excellent <!omique, fort bien seconde par M"» Roybet et par
M. Huguenet, a remporté dans ces deux pièces un vif succès.
Au Théâtre Molière, bande blanche sur affiche jaune, ce qui
signifie : la mère y peut conduire sa fille (les abonnés disent : sa
demoiselle). Au doux gâtisme de M"' Putiphar, aux piments de
la CasseroUe succède VHôtel Godelot, trois actes de Crisafulli (les
gens bien informés disent : cl de Sardou), fort bien joués par
MM. Munie, Charvcl, Keppeus, M"** Bourgeois et Juliani, etc.
Un acte en vers de M. Kistemacckers, Pierrot amoureux, sert
de lever de rideau i VHôtel Oodelot.
L'Opinion félicite l'administration communale anversoise
d'avoir mis les salles de l'Ancien-Musée â la disposition des
cercles de peintres qui veulent y organiser des expositions.
« A Anvers comme k Bruxelles, dit ce journal, la lutte s'engagera
au grand profit du public et de l'art.
Ce fait, extrait de lu dernière correspondance anversoise de
l'Art moderne, l'annonce : VArt indépendant — en faveurduquel
nous avons, dans ces colonnes mêmes, élevé la voix quand une
imprévoyante décision lui refusa l'usage des salles de la rue do
Vénus, qu'il sollicitait, et qui, frappé â mort par celte décision
fut obligé de se dissoudre, — VArt indépendant s'est reconsti-
tué avec d'autres éléments, semb!c-t-il, plus re^solumenl con-
vaincus d'art nouveau.
Le fait est instructif: à la première possibilité entrevue de
recréer ses Salons annuels, ce Cercle, dont la première exposition
n'est pas oubliée, se réveille; d'autres so créeront, et la vie artis-
tique, qui menaçait de s'éteindre et de se cantonner dans un seul
cercle, ne peut manquer de prendre un essor nouveau par cette
mesure simple en soi et de toute justice — la libre disposition
d'un local. »
Étude du notaire Van Halteren, à Bruxelles, rue du Parchemia, 9
Ledit notaire Van Haltkrkn veudra. sous la direction de
MM Leroy, eiperts, le Jeudi 2 avril 1891 et Joars suivants,
à 1 heure, en la salle Sainte-Oudule. rae du Gentilhomme, 9,
à Bruxelles
XJITE BELLE
COLLECTION D'OBJETS D'ART
Armes anciennes.
Porcelaines et Faïences anciennes, Bronzes, Tableaux,
Médailles, Gravures et Meubles anciens.
Exposition : particulière mardi 31 mars, publique l" avril 1891,
de 10 à 4 heures.
I Elide de 1° Vill! BEVER8, m\ùn, me de la Loi, 9, i Braielh.
VEIVXE PUBL.IQUE:
31 3^A.ieS ET l»"- A-VRIL
Collection de feu M. le comte de Cornelisscn
TABLEAUX ANCIENS
Œuvres remarquables de :
ASSEI.YN. — BERCHEM. CUYP. — ANTOINE VAN DYCK.
VANDER HEI.ST. HUCHTENBURGH.
VAN HUTSUM. — DU JARDIN. — DE KBYSER. WILLBM UIERIS.
RUBEN8. DANIEL SEQHERS.
WILLEM VANDE VELDE. WOrVERMAN. WYNANTS, ETC.
Cette venta aura lieu à Bruxelles, Oalerie Saint-Luc, 10, rue des
Finances, par ministère de M« Van Beverk, notaire. — MM. Victor
Le Roy et Jules De Brauwere, experts.
Exposition : S9 et SO mars, de H à S heures.
•g'fîjR?
ONZIÈME ANNÉE J
L'ART MODERNE! s'eai acqnis par l'autorité et l'indépMHfance de sa eritlqa«, par la TariéiÀ 4e M"
informations et les soins donnés à sa rédaction une place prépondérante. Auenne nanifastation da l'Art ne
lui est étrangère : il s'occupe de littérature, de peinture, de soulpture, de gravui>e« de DIDUItlque,
d'arcbltecture, etc. Consacré principalement an mouvement artistique belge, il renseigne néanipoins ses
lecteurs sur tous le» événements artistiques de l'étranger qu'il inmorte de connaître.
Chaque numéro de li'ART MODERNB s'onvre par une étude approrondie sur une question artistique
ou littéraire dont l'événement do la semaine fournit l'aotuallté. Les exposition», les livre» nouveatcœ, les
premières représentations d'oeuvres dramatiques ou musicales, les conférence» littéraire», les concert», les
ventes d'objets cTart, font tous les dimanches l'objet de chroniques détaillées.
L'ART MODERNE relate aussi la législation et la jurisprudence artistiques. Il itqid compte des
procès les plus Intéressants concernant les Arts, plaides devant les tribunaux belges et étrangers. Les
artistes trouvent toutes les semaines dans son Memento la nomenclature complète des (BXPOSltlOIUI ot
concours auxquels ils peuvent prendre part, en Belgique et à l'étranger. II est envoyé gratuitement à
l'essai pendant un mois à toute personne qui en fait la demande'.
L'ART MODBIiNE forme chaque année un beau et fort volamè'' d'eaviroa 450 pag«s, avec table
des matières. II constitue pour l'histoire de l'Art le document LE PLUS COM^BT^Wl* fwmtiMiB'HMfeS
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difltosotca grandeanifdli!^KgQM;;nbQllNi1ffl||iMP'*^ ■ ' '
La maison possède dss c«rtiflatti esoclknts de MM- M^r Tinel,
Camille dé Saint-Soens, lÀtMt, nUhari Wagnofr ttubhuttln, Joa-
ehim, WiiMn^, Md. Oritg, OU SuU, A. asUpof, Sif M-iHnr.
Disirie AHtt, Pauline Lueea, J'ablo deSarasaU, Ferd. aller, D.
Popper, sir F. Benedict, Leseh^t^À^ NapnumUl, Joh. Selmer, Joh .
Soendsen, K. Rundnagel, J.-O.-B.iSuUe, Ignace BrOU, «te., etc.
N. B. On envoie gratoiteiaeat !«• prlx-oonnats et les oertl-
llcats à toute personna qui «n fera la demanda.
J. SCHAVYE, Relieur
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BraxeUas. — Imp. T« MomOM, 91, rae (te rinduatM*.
3nzi*hk amnéb. — N» 13.
Le numéro : 26 centimbs.
Dimanche 29 Mars 1891.
L'ART MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Comité de rédaction i Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, un «o. fr. 10.00; Union postale, te. 13.00 — ANNONCES : On traite i forfait.
Adresser toutes le» communications à
l'administration générale de TArt Moderne, rue de Tlndustrle, 32, Bruxelles.
^OMMAIRE
Le Salon de l'Essob. — Théodore de Banville. — Au Club
SYHPHONIQUB. — DOCUMENTS A CONSERVEE. L'ARCHITECTURE AU
CONCOURS OODBCHARLE. — MeMENTO DES EXPOSITIONS. PETITE
CHRONIOUI.
Le Salon de l'Essor
...Car il ne faut jamais désespérer!
Voici que la gangrène gagne ce salon de l'Essor que
l'on proclamait la citadelle anti-vingtistô. Les pointil-
leurs y pointent. Le pointillisme n'est pas, il est vrai,
le symbole exclusif de l'art neuf. Il n'est qu'une de ses
manifestations, on, si vous voulez, une de ses fantaisies,
une de ses tentatives ingénieuses pour se dépêtrer des
vieux uniformes. Mais l'imbécillité des critiques encroû-
tés en a fait le plus criard cri de guerre des novateurs,
la plus scandaleuse clameur des émeutiera de la pein-
ture. Jamais, à les en croire, la partie saine de notre
monde artistique ne se serait avilie en cette monstrueuse
pratique. Et un des meilleurs appartements de cette
partie saine est occupé, on le sait, par la famille esso-
rienne. Or, voici cette famille modèle dont les vertus
délectaient les doctrinaires de l'art, atteinte de la
variole, malgré les vaccinations et les revaccinations
des docteurs ès-académicisme. Ce n'est pas, il est vrai,
la belle variole qu'on attrape à fréquenter Seurat. C'est
une mauvaise petite variole de quatre sous maladroite
et naïve, une variole à être jetée à la porte des XX.
Mais ce n'en est pas moins l'odieuse maladie, tolérée
maintenant, proh Pudor! parmi les braves gens de
l'Essor, et qui va les gagner tous si l'on n'y prend
garde. On se demande vraiment ce qui a pu se passer
pour qu'une pareille faiblesse se manifeste. Qu'est-ce
que cela veut dire? Et que va penser le jeune Anspach
qui suppliait le gouvernement de refuser tout local aux
partisans de la peinture « en pains à cacheter » ?
Cela veut dire que, quoiqu'on fasse, l'évolution artis-
tique va, incompressible. En vain des Étoile, des Chro-
nique (ces organes de l'opinion!) ricanent zwanzent,
grincent, hurlent, fulminent. Pendant que ces voci-
fératrices croient disperser le progrès par devant,
voici qu'il leur monte aux hanches par derrière.
Comme dans l'armée du Tsar, il y a des conspirateurs
jusques dans la garde, et ces malheureux « organes de
l'opinion » finiront par se convertir à leur tour. Pour
des entités qui chantent la palinodie à bouche que
veux-tu, ce ne fut jamais un tour difficile. Nous pressen-
tons le jour où ces messieurs proclameront qu'ils ont
toujours été partisans de la peinture nouvelle et qu'on
les calomnie en leur mettant sous le nez les belles pages
de leur présente prose que nous collectionnons pieuse-
ment dans nos " Documents à conserver «.
-■-fc.
i&&
L'ART MODBRNE
Ca lui domaifr nn petit xsréamaâpi:, ces laodeslcs tcn-
taiîrTe», aa Salbn. (ie r.&«Hr. Il acâbte qnH J pas» ui
fWK d'air firata. Ilb avaient si pcar de» covrant» «Taïr et
des riuaoïe». Yâvi» aarez, le» plitkinqocs. il Ëwt des pré-
eastiii!»». Ooi se pnwiâi» li dedans moînei mlooDteBt,
Buoina BUDroae. Une tendanice'i ta fratemiitéTOVS prend.
Odi se <§t : qui; sait ^.. car il ne làintjaiiiak désespérer!
Et ce n'est pa» le sevi b(» signe. A côté des Eauoriens
q.m 9 a-vioenit (^œe rrainucnt le rievi j^en ne rêvant guère
la liiKL^re et L'atraespèièTe et qœ les nuBOoeiises pein-
tnrea à Ea smie soat Trainuent bien Httgnbves quand oa a
dama la mémoire Eea Jo jevae» et seTem«s dartés des XX,
Toki cetEX qui EàdSneiiit le brmtal r^aHiame et, svmutt à la
qoene vmé aatre piualange de réftymiatenri. donnent en
plein etan» Fart de pensée, dans FAkt ÉrocAixtra • ott
se CèTe on besoin d'an deîik, de lointaine» et mjstiqoes
idées, é'Tocatrices de rèTes, protoiigeant la réalité^ aox
fermes contoor», ta prolongeant en de Taporenaes chi-
nières, raaréotant, finnaat aatoar d'elles, an dessus
d'elles, en nn encena de pensées -.
Ha sont nomfaretti. ceox-Ià, peot-ètre parce qoellm-
bécilejcurnalianie s'est moins démené, a mioina gesticulé,
clcwné et p<^taradé contre cette Ekcette de FaniTers^le
transformation, la discernant moins, allant de préfé-
rence, avec ses gros jenx, bovins, inaptes à Toir les
nuances, ani tentatives pins TiaiWes des codeurs. lîs
étaient plas libres en cela, les Elsaorieos, moins craintiCi de
subir les Titopérationa de Messieurs de la Presse. Anssi
ce qa'ïls s'en donnent '. II y a, largement pendus anx
mnrs, des symbolisations effrénées, ©ni, mes enfants, dn
Symbolisme ruisselant, de ce symbotisme qui, s'il était
reçu aux XY, aoalèrerait dans les entrecoloonements
des gazettes, des tempêtes de cris, de sifflements et de
mgiasementâ conune si tontes les giroaettes roaillées
d'une ville moyen-âge grinçaient à l'unissoD par une
nuit d'ouragan. Or, ces mêmes gazettes sont déjà en
train de dilner \f.j, flots huileux de Féloge à propos de
ces bizarreries. Its sont d'une ai sublime impart iaEité et
d'un si assuré jagenient, toas ces gaillards!
Au gui i'an neuf d':nc. A droite, à gauche, conver-
sion! Et partout, er avant noarcbe! Même ceux qoi
exnltï^ent à marquer le pas dans les Tîeflln booes. Tant
mieux! tant mieux ! An gui l'an neuf! Ça va bien, ga va
bien, le char se désembourbe, l'attelage tire i Ums coups
de collier. Toute la cr'icuîade va rester seule avec son
polémiculage Oh ! la î (.mne force! Ces Essoriens ne vont
pins donner le plaisant spectacle d'Essoriass qui ne
prennent pas l'essor. Voici qu'ils ouvrent les ailes,
• qnlls comptent leurs écus <•, comme disent les enfonts,
des hannetons qui préparent leurs éiytres. On peut
espérer que les Essoriens vont avoir un essor ! Hxuine-
ton, vote, vote, voleC Ça se foit. même avec un fil à la
patte
Ah ! ils peuvent compter que ce jonr-Ià nous leur
I bdk et jo|«MB raMd». Mû
ïb aaront Barré kon
CluuBpnl, q[M fiscw-tB?
PliBTre
ce f»t/tt > » ■iwi
MM- MM fmm de ce Mai ca ses Oéa
loaie » fl^oire «'est màm ea fcn aderalMa
4e la law. L'a-i-fl mmtȔ Faie, JMae,
téra»|ae rt iMions liiiili. IDDe In vcm
raMm M Bâifiui
b
lioa BMrake. Ce
farte et ■aîqve MMe «le lîMhair, mimmé mamÊtu for FcnvalCe et
b grâce de b sjibbe swvMiect fa iiiwiadiina ftmiàmtéeia
. n a ftapfé k pre-
iiiiiiliiliii|iiii, y»
et rîckcBaa Hnire
de faCr*cc;«i*r.
iemin rilr, le cîd U(«, les barien roacst fa ville d'ilhiacs,
Amtophane, kûs aom, ■ait soitiMl, le Avia Wamtre. U Ta
ûaée k b mamin aatî>|ar, cbir de se sealjr Aom far die— et
UMl Ma art s'est ÉUaraiaé de b fanMche laear de ms jcn. Le
Boi a Uwte » Mqod ■■Met avait doaaé aae ligaiicilioa Bip»-
qo», a pm soos ses diigis de scaiplear et de peiatre mmt allare
quH de vîcïfe vailbwr, h bica <|a'aa Eea de mmf/u i Fiaifi-
ratcice raaaaiîqae, oa smoftait & Maae. Oa a dit de laaville qa'il
est le denôcr ni«aalMiae; oa poonaii soalcair aa toattjîie i|a"il
est le prcoiicraiéa-cbsNqne.
Apris aa soir de violeat et Kaitctaji roaaalifMe oè le diaae
rcsu il pcada otMiaémcitf, avec k bossa QaaaÔBOdo, aax doches
■octaraes de ^oire^Dane. il a apporté b fraickear. Il a aoalrt
ce cltanae des Bears. b darté des rotdcs, b spleadeo- des décisn
bborbcs, b rooear da aaiia, • b ^oire da barier s. 0 porltit
Irioaiplialenieai de ces uiates vieilles rhdtes — et qai a'cM dit b
l'eaieadrr, qn'oo en pariait poar b pwMièfe fois? laaville atait
ce don — et ceci le rapproche des plus fraads — de dire des
mois qpi seabbi«ai iaoab. Certes, avaieatib liainé paitoat,
en tes (ivm des qBai» et daas les rooaas des pietles. Pea
imponaic. Ils apparajsaainii daas ses livres, doaés dTaae vie
aeof e, msDrjps k aae laauére incoaaae, dardés ea ane virgioité
éL-btante. La rose! en a-t-il fait aae persoaae aarorale et soo-
daine!
Sa niéiriqDe était spéciale. Avec^Caaticr et Baadelaire il rvlte
les Pamassieas aox roaaaaiiqMS. Son Pciii trmté et lùtêrmtmn
frmufmu, reueifoe sor ses prédilectioas fonaisies. Sabraat b
réfolariié des alexandrins, faisant sortir des rangs b eésafc
pour qae le vers maaseavrSi pias a l'aise, '*-t~**^ eoai«c pitot
aa po<aK b scale riae, qa'd vtMbit fiiftaii et Milliardaire,
nimiii iiial de viea» Modes débissées: U hmlhé» et le tàmmi r»yd.
imposant anlant de chaînes qu'il n'en levait, fnrieoz coaire lonie
licence — Mais aimant l'art k travers toat soa cencaa et loot
son ecear — id s'affiraie-t-Q.
Ses poésies sont moins connues que sa prose. Ccst eOes poor^
lani qui illumineront son nom a travers les temps. Descendu
vers le journalisme liiiéraire, il |rfacardait ses articles daat« GU
Star jadis, atûgunThui daas fEdtf 4e Paris d la Lamlertm. D ;
a tourné b ntcule de b copie, «viroa dix ai». D'oft soat ikfs :
ses Ctmlts pour fenuma, ses CmIci féerifu*, tes Cbate laar-
9tcit, etc. Auparavant il avait paMié ses Omlm pmn- Us Pmri-
siennes.
Ses œovTCsde prose les plus rares se litreat : les Atliml—f <».
". -"ff ".XÎSS-r'V •*".K5
L'ART MODERNE
101
le* Otmém paruùiu, la Mtr et Nice. Cellc*<i sont recbcnliées
{ par laa bibûophika.
Ce qui diatiafoe tooa ce* eonlea, c'est, oalre mat bolaisie
paToisée d'esprit eieellent. no indénonuble optiaiisme. Ses
héros al ses bérolM* il les crée les um beani et les autres
lominemea de aon rére de philosophe hearenx de TiTre, franc de
IraTcraes elde nébacolies, radieux d'écrire eneore k aoo Ige des
phrases belles, imoiortellenieal.
Certes, la répétitioD des toojoDrs mêmes aperçus, le dévoile-
ment des tovjoars indcntiqnes iemmei déeisci, la mise en
chapitres dlBwiablea perfections de coodniie ei de pensfe ont
pu laaaer le lecteur. Lni Banville, semble toiqoiir* écrire son
premier conte. Il se sent an serriee d'nn idéal fut de pensée
antique en an cerrean moderne; Il rappelle Athènes quand il
prie de Paris, l'afora qnand jl die le boalerard et tour i tour
Eseh^, Sophode, Homère qnand il aoage k Hngo.
Banville poète a déteint sor Banville prosalenr ; sa prose,
presque autant que ses vers, est lyrique. Baudelaire voyait dans
ce lyrisme l'essence même dn talent de son ami. Celait ce
mol qu'il rencontrait le plus souvent et le pins henrensement au
long des Ode», des ExUù, des SlaiaetUtt, dis Cmriatida.
Rons voudrions préciser ici la qualité de ce lyrisme. A nos
yeux, ce n'est pas le désordre — le beau désordre — dont parie
Boilcau ; ce n'est pas l'emportement en coup de vent, ni les illu-
minées paroles d'une Pyihie on d'un prophète. Le lyrisme de Ban
Tille est clair, foit de pensée pure et de soleO. Il ne court point k
pas précipités dans le cortège des alexandrins qui défilent, ni k
grands gestes fous et comme déracinés, non ; il se contente d'écla-
ter d'une eonlenr |dns royale, d'une lumière plus vive, il est bit
de mois plus hauts et plus fiers, il s'érige en prosopopée lente-
ment et souverainement pure, il est plutôt statique que volant k
travers le livre. C'est Ik sortool ce qui le dislingue de celui de
Musset — son prédécesseur et son eonlraire — et le rapproche
du lyrisme grave et sculpté des Parnassiens.
Il aime la grande phrase lonf(ue et déroulée k travers une
dizaine de vers, avec des pointe d'arrêt aux enjambements et des
tnioes dlncidenles. Sa pièce sur le DtnU — elle se rencontre
dans les ExiU* — est spéciale et confirme, parmi cent antres, ce
dire.
D'autres fois, c'est la strophe régulière maintenue dans toute
la rigueur de son sens complet, vers par vers — exemples nom-
breux dans Tkid»m\» — qui endot son ébn lyrique.
Musset — disait-on — se sentait citoyen de l'Aitiqne; combien
plus véridiquement Banville aurait pu se prodamer tel. Il était
l'esprit et b clarté mêmes. Que l'on ne s'attarde pas pour le juger
i ses rimes calemboorisantes, ni k ses triolets dont certains vers
tournaient k la sde. Le vrai esprit de Théodore de Banville, il est
dans ses famenses lettresk Pierrot, toutes blasonnéesde chimères
fotles et de haut boa sens exquis. Au reste, ce type de Pierrot, l'a-
i-il aimé, Fa-tnl babillé, l'a-t-0 transformé ! Si bien que, pour cer-
tains, c'est Banville lai-même en serre-tête et Uoose blanche.
Depuis Walteau, Pierrot est devenu un personnage non plus de la
Comédie Italienne, mais de la Française. Aucun personnage de rêve
n'a subi autant d'avatars en ce siècle. Lm peintres, les mimes, les
poètes, les cknraa se sont emparés de lui, chacun lui bisant faire
une grimaee et un geste, jusque leur jour, inédit. Pour Banville,
Pierrot est avant tout le chimérique, qui regarde pbs obstiné-
ment Fombre que b proie, — bien qu'il se proclame goinfre,
videur de boutcilIeB et partisan des rcKis et des volailles — car
l'ombre est belle, attrayante, immaléridle et lyrique, et tout
compte fait, k part quelques inévibbles déboires, die vaut certes
b proie. Et b condusion se recueille en ces vers pas tant para-
doxalnx sur b pauvreté de Rothschild :
Tandis que poor chanter le* Chlori* je choisis
lia cithare on mon fifre.
Loi, Rothadiild, la forfat dn travail, priré de tout lazns.
Il met chilire sur chiffre.
Il ùiX le compte, A ciel ! de ses deux milliard*,
* Otte iomme eo démence.
Et, ai le malheureux s'est trompé de deux liards.
Il iaat qnll iceommeoce.
O Monadel! landia que bravant l'adieroa
Ches BignoD, ta t'empiflres.
Le caissier de Rothschild dit : Monsiear le baron.
Il tant Cûrs des chilfres.
O qne Rothschild est panvre f 11 n'a pas m Lagn^.
Il n'a jamais de joie.
Le riche est le poMe appelé Olatignj,
Le riche, c'est Monjoie
Ces vers des NomelUs Odes FunambuUtquet expriment des
sentiments de Banville, mais on les croirait entendre sortir de la
bouche de Pierrot.
Si l'espace ne nous faisait défaut, nous aimerions k toucher
encore aiu Trente-six BaUaiUs,iax Princesses et surtout k celte
tant bdie Floriu, une des plus inconlesublement charmantes
pièces dn thékire de ce siècle. Et combien peu U connaissent,
même de titre !
Il nous eût été aussi d'intérêt d'approfondir fa prosodie banvil-
lienne et de signaler ses facooes et ses erreurs. Mais k la mort
d'nn tel poète, fa discussion n'est pas d'heure ni de saison.
On ne loi a point fait d'assez belles fooérailles, parce qu'on
est dans une période de réaction contre son art. Mais il est déjk
an deik des querelles, grand.
^U 5jLUB gYMPHONlQUE
Le Oab stpnphonique, qui avait fait, il y a tout juste un an, sa
joyeose entrée dans fa vie publique, a donné mardi dernier son
deuxième concert annuel. Sous fa ferme et intelligente direction
de sou fondateur, M. Emile Agniez, l'orebesL-e s'est assoupli; il a
gagité en sonorité, en précision. L'exécution des oeuvres inscrites
an programme — toutes oenvres nouvelles de compositeurs
bdges — a été des plus satisfaisantes, et le succès considérable.
Céuit, l'an dernier, nn orchestre d'instmmenls k cordes.
M. Agniez y a ajouté celle fois rharmonie, confiée aux élèves de
la classe d'ensemble instrumental dn Conservatoire. El de ce
groupe d'amateurs et d'artiste» il a formé nn petit orchestre
complet, déjk agnerri. On a successivement appfaudi une Suite
(Uns U styU ancien de M. Van Dam, dont fa Bourrée surtout est
intéressante de forme M de facture; un Prélude sfmphonique,
bien écrit, par M. Léon Soobre; une Gavotte et Musette ei nn
Menuet pour archets, de M. Edouard Samuel ; une Bumoresque
de M. Arthur De Greef, l'oeuvre fa plus Importante et fa plus
intéressante du programme ; une Dante écossaise de M. Paul
Gilson, œuvre colorée et brilfaote, exécutée dernièrement, par un
orchestre d'amateurs, k fa fête du Jeune Barreau entre les deux
tableaux de fa revne Onmia fruiemi !
M. Léon Dubois était représenté par deux fragments de son
opéra-eomique la hetmnehe de Sganarelle .- un trio chamé par
M*~ Bnol et Gorlé et par M. Rosseels,et une Chanson à boire dite
]02
L'ART MODERNE
par ce dernier. Il y a dans ces deux morceaux beaucoup d'enlrain
el de galle. L'accompagnemenl symphonique révèle un musicien
qui a « de la palte », bien que la forme manque pcut-éire un peu
d'originalité. L'aulcur n'écrirait plus aujourd'hui telles cadences
tombées dans le domaine public.
Les Sirènes, quatuor pour voix de femmes, par M. X. Cariicr
(aux deux cantatrices citées se sont jointes M"" Van Langendonck
et Henderickx) rappelle le trio des Filles du Rhin, sans que le
pastiche soit flagrant. L'œuvre est distinguée et gracieuse.
M"' Jeanne Douslc, la mignonne pianiste devenue actuellement
une artisie de sérieuse valeur et M"' de Wagstaffe, violoniste,
ont complété ce programme par l'exécution de quelques soli. A
citer : la Romance el V Impromptu pour violon avec accompagne-
ment d'orchestre de M. Emile Agniez, que l'on a féié, et fort
justement, à la fois comme compositeur et comme chef d'or-
chestre.
POCUMENT? A CONSERVER
A propos des XX
Nous devons à l'obligeance de \' Argus de la Presse (qui « lit,
découpe», etc.), la communication des comptes-rendus du Salon
des XX publiés par les journaux. La lecture en est vraiment
distrayante. La récolte des gaffes est abondante celte année, et les
vergers journalistiques ont bien donné en sottises, âneries,
méprises, erreurs el autres menus fruits.
Quelques citations, cueillies au hasard des basses branches :
M. Suizbcrger voit du « pointillé » partout. Il écrit : « Les
pointillcurs belges, les Van Rysselberghe, les Van Sirydonck, les
Finch, les Georges Lemmcu, les Jan Toorop el les Ensor font
l'impossible pour faire prelve de la même fidélité au parti-
pris ».
(Van Sirydonck? Toorop? Ensor? pointillcurs??? Voyons! El
vos lorgnettes, M. Sulzberger?)
A propos du peintre anglais P. Wilson Steer : « Aux amateurs
de talouage pictural, il présente surtout des paysages d'une par-
faite orthodoxie en fait de pointillage » (Encore???)
Un lapin à qui comprendra ce que veut dire ceci :
«... Signoriria Sozo in Dresdina est un Degas coloré. »
Dans les Nouvelles du Jour, un M. De Vigne aligne ces phrases :
« M. Eugène Smiis conserve sa couleur rosée, de caractère
antique (?), peu naturelle mais jolie, où il y a du modelé : toute-
fois te relief fait défaut à la poitrine chez la femme du grand
tableau. »
« A première vue cela paraît tenir de la fantaisie, mais il y a
trop de qualités pour ne pas mieux classer M. Toorop ».
« M. Fernand Khnopff déploie un superbe talent de dessina-
teur ; sa pcinlure est fine, d'une pureté exirême, mais c'est
mort : on dirait de ces vieilles peintures découvertes dans des
MAUSOLÉES (sic). »
« Van Sirydonck, couleur bizarre, comprend aussi le relief el
même l'expression : le Déjeuner. »
« M. Charles Angrand est aussi un propre » (?)
« M. James Ensor expose une série de pointillés ou de
petites lignes puis quelques placages {sic), puis une marine d'un
talent considérable et dont la rue fait réfléchir ITayani pas
de MICROSCOPE, nous avons peu eiaminé le POiirnuJ fbt , de loin,
ne fait aucun effet el, de prit, ne tigni/ie rien. »
« Nous n'avons pu débrouiller les peintures de M. Cari Larsson,
mal exposées d'abord, (?) el confutet entuile. » (t)
« D'entre les élrangelés de M"* Anna Boch et de M. Vincent
Van Cock (sic) nous tirons (?)(/< la première un paysage qut offre
de l'étendue (à gauche avec arbres) et du teamd, une femme
coiffée d'un chapeau de paille. »
« MM. Ch. Filliger et Maurits Bauer sont malades dd poin-
tillé. » (!!!)
• •
De Champal, le pullulant et ubiquiiaire interviewer, adonné
depuis quelque temps au plus extraordinaire charabia :
« On avait rêvé quelque agonie effroyable, coupée d^hallucina-
lions, et l'on assiste ii la lente liquéfaction des ferments qui pro-
mettaient une si jolie éruption (sic).
« .... Fernand Khnopff, un vinglisle incorruptible, qui pour-
suit sa trajectoire sans s'inquiéter de la nécropole au deetut de
laquelle il plane radieusement.
« .... Gauguin, l'imagier pornographe dont la sublime igno-
rance n'a jamais été dépassée par les sculpteurs de la-Forél-Noire.
« Seurat, ce poolife de la peinture aux pains il cacheter, ce
recommenceur marqué du sceau du génie (T), dessine et barbouille
avec la plus suprême ignorance des correclionnaire* de Vil-
vorde »
M. Gustave Lagye, dans l'Eventail :
« Pissarro corse en vain de crudités malpropret son procédé
déplaisant.
« Finch se rabat sur le carrelage oulrancier et reste sur
le carreau (?) ». (Charmant, ce calembour céramique.)
«
Ces observations du Journal des Artistes :
« OU est-il le temps où l'Exposition des .X.Y soulevait dans
tous le pays une guerre de presse d'une vivacité et d'une vio-
lence rappelant l'époque des classiques et des romantiques?
Aujourd'hui le calme s'est fait; on va voir encore, mais on ne
discute plus. Les Vingt restent seuls à se proclamer les seuls, les
vrais artistes, etc.
u Anna Boch fait du pointillisme, mais a trop d'esprit et trop
de talent pour ne pas en rire elle-même. Aussi les résultats obte-
nus doivent-ils avoir coûté cher à son cœur d'artiste. (?)
u Les invités, Pissarro, Seurat, dont le Chahut, souvenir de
Grille-d'Egout, vaut la Grande Jatte, feu Vincent 'Van Cogli, qui
de loin doit bien rire s'il voit tous les badauds s'interroger devant
ses toiles ébouriffantes, Sisley, Larsson, tout cela c'est de la haute
farce et de la plaisanterie qui ne prennent plus.
« Gauguin, qui a inventé le gauguinisme, affirme avec une
incontesiable autorité, tout ce que l'on peut inventer de plus bête-
ment insuffisant pour épater un public assez idiot ponr s'y laisser
prendre. »
On se demande comment la critique d'art peut tomber aux mains
d'un pareil crétin.
*
* ♦
Il y a, dans la Revue belge (signature : Edgar Baes), un joli
assortimenl de phrases. Quelques échantillons :
« C'est le lempérament érotico-macabre du polisson de génie.
L'ART MODERNE
103
(il s'agit de Gauguin), du dilellante d'infamie dont le vice etl la
hantiae, la sculpture déformée du Faune sadique aux baisers
lippus et immondes, b la langue fourchue promenée avec sen-
tualisme sur une barbe imprégnée de bavel »
Le Chahut de Seurat : u Celte œuvre n'est qu'un spasme fré-
nétique du gnome haletant et de la goule en rut ! Hymne suprême
de la chair palpilanto, mais flalulenle et persillée comme le
mucus de l'escargot dégorgé, ses danseuses ont la couleur
teigneuse et morte du panaris. Savoureuses, malgré (oui, car j'en
halète, et plus d'un, je le jure, en lire la langue et lord ses bras
inassouvis, hypnotisé par les transports hectiques d'une mon-
strueuse et dégradante impudicilé! »
Sur Angrand : « Son embryologie requiert le dorlotement des
ondes plus que lumineuses, et il en résulte une impression étrange,
opiacée, qui ramène aux théories particulières de la sélection.
Que le tourbillon de l'organisme mi-cellulaire de ses modèles
soit la résultante de monères, ou de la transformation provoquée
par l'action réciproque de l'hérédité et de l'adaptation, nous
découvrons en leur auteur, comme en Odilon Redon, une concep-
tion mécaniste et moniste, qui est une preuve surabondante de
la vérité du transformisme. »
ceci sous toutes réiervefi, que la femme d'un bourgmestre de pro-
vince, qui avait commis l'Imprudence de visiter le Salon des XX
dans une situation Intéressante, a mis au monde un enfant
tatoué. »
»
• *
Pas mal non plus, la Chronique, qui s'est distinguée dans cette
campagne :
Une traie trootaille. — Le correspondant bruxellois de la
Flandre liMrnle a fait une découverte qui marquera dans notre
siècle ; k propos de l'exposition des XX, il s'écrie :
a Qu'est-ceen somme que ces peintres et ces criliques(ceux-ci
portant ceux-là aux nues)? Ce sont les radicaux de l'art, et c'est
au nom du progrès qu'ils arborent l'étendard de Chareolon. »
De sorte que l'auteur de la sauterie où l'on voit d'horribles
guenons lever le pied plus haut que la tête est un radical comme
M. Janson ou n'importe lequel de ses lieutenants. Demander le
snfirage universel ou peindre une croate prétentieuse, c'est la
même folie.
Quand on veut trop prouver...
On pardonnera au correspondant de la Flandre pour son mol
de la fin.
tt Etendard de Charenton » est une vraie trouvaille.
Celle exposition des XX a, fait dire que le gouvernement avait
ion d'aider ces iwanzsurs à montrer leurs produits au public,
u Ils ont fait leurs preuves, disait-on; une pareille plaisanterie
ne peut continuer avec l'appui de l'Etal. »
La réflexion est sensée; mais que l'Etat se garde bien de refuser
les salles du Musée i l'art envariolé des XX II lui en cuirait !
El ceci, extrait de la Gazelle de Schaerbeek :
DERNiftRES NOUVELLES. — D'après le bulletin de la Bourse de
Bruxelles, une hausse très forte s'est opérée sur les prix des pains
A cacheter.
Il paraîtrait que l'ouverture du Salon (?) des XX n'y est pas
étrangère.
La note la plus gaie est donnée par le Clair de lune :
« La ville vient de faire fermer le Salon des XX. Trois visi-
teurs ont succombé à la suite {tic) de la petite vérole, contractée
devant un tableau aux pockets; d'autres sont malades. Une jeune
demoiselle du meilleur monde esl devenue folle. Enfin on assure.
L'ARCHITBCTURB AU CONCOURS GODBCHARLB
C'en est fait, le jugement esl rendu et c'est précisément In
solution la plus improbable qui a élé arrêtée par le jury composé
de MM. Acker, Beyaert et Van Assche : la bourse de la fondation
Godecharle a élé attribuée, mais par deux voix contre une, à
M. Kockerols, auteur du projet de restauration de l'église Saint-
Paul à Anvers, tandis que le Palais des Arts de M. Lambol s'est
vu classer second à l'unanimité.
Ces décisions ont soulevé des clameurs bien naturelles dans le
monde des architectes, et nous nous en réjouissons d'autant plus
qu'elles sont la confirmation des appréciations, de raisonnante
analyse, que nous avons fait valoir dans notre élude sur \' Archi-
tecture au Salon (n» 39, 5 octobre 1890); nous y disions notam-
ment que, dans la restauration de l'église Saint-Paul, l'élément
composition était nul et qu'à défaut d'habileté nous n'y voyions
que de la patience et du soin, qualités appréciées dans des
agences d'archilccles mais qui constituent des facteurs négligea-
bles dilns une épreuve où le talent cl les aptitudes spéciales, révé-
lant un artiste, doivent surtout être considérées. Ces conditions,
nous les trouvions rigoureusement remplies par le Palais des
Arts de M. E. Lamboi, vaste composition dénotant une science
entendue des effets, une grande habileté de patte et de tendance
vers un goût très sCtr, et nous n'hésitions pas à lui attribuer la
première place, certains que les remarquables et vibrantes
facultés d'artiste que nous y découvrions s'épanouiraicni par
d'intelligentes études faites à l'étranger. Mais nos critiques
désintéressées, pas plus que \cvoxpopvli des archiiectes, n'ont eu
raison de l'éiroitesse de vue do certains membres du jury, et,
malgré des protestations fort sensées, le jugement, si discuté, a
été approuvé parle ministre : nous le regrettons hautemcnl, tant
pour nos idées de modernité dans l'art qui onl échoué, mais com-
bien grandies en cette exclusion voulue, que pour l'avenir de la
fondation Godecharle.
El à ce propos qu'il nous soil octroyé la licence de consigner
ici une juste remarque, qui a sauté aux yeux de tous. Aux concours
de Rome de 1887 et 1890, la victoire fut remportée par deux
Brugeois, MM. De Wuif et Verelle, élèves de l'Académie de Bru-
xelles tandis que les architectes anversois n'arrivaient qu'en
seconde ligne; or, ce sont précisément ces artistes, class('s
seconds, qui ont, par deux fois, remporté la palme au concours
Godecharle, de sorte que celui-ci semble être considéré comme
un baume à appliquer sur les blessures d'amour-propre des
enfants de la soi-disante métropole des arts, une sorte d'instilu-
lion pour les invalides du travail anversois! Mais nous plai-
santons alors qu'amères sont les réflexions, qui assaillent lis
jeunes lutteurs merveilleusement préparés pour le triomphe, et
que des considérations obtuses et d'insaisissables mauvais sens
écartent, abattent, tuenl
Méditons ces faits, relevons les courages, et reprenons la luile
i la première et prochaine occasion.
104
LART MODERNE
Voici une curieuse gravur.; de primiiir allemand, donnant pour
la première fois une figuralion imprimée du démon.
Elk' a rapport au livre : De laniis et phitonicis mulieribus. Ce
livre figure au cala'ogu; Deman, du présent mois de mars.
©clanife'ctpbito
mctemohectbud
x.eiir(Miia vii|?oIda) vdfpqccn
Mémento des Expositions
Barcelone. — Exposition annuelle. — 29 mar8-31 mai. —
Délai d'envoi expiré. — Renseignements : Secrétariat de la
Commission organUatiice, Palais des Beaux- Arts, Patea Ruja-
dns, Barcelone.
Berlin. — Exposition inlernalionale des beaux-arts & l'occa-
sion du cinquantième anniversaire de la Société des Artistes
1" mai-lS septembre. Délai d'envoi : U mars-lO avril. Rensei-
gnements -.A. von Werner, président in Comité, directeur de
l'Académie royale des Beaux- Arts, Zimmerslrasse, 9^, Berlin
Section spéciale : ouvrages illuslrâ» (gravure, eau-forle, litho-
graphie, etc.). Dépôt avant le 1« avril chez MM. Dietrieh,
8S, Montagne de la Cour, BruxelU* (r«p. pour la Belgique et la
Hollande).
BnuuLLES. — Exposition du Cercle arlUlique. — 18 avril-
18 mai. Délai d'envoi : i^-S avril.
Milan. — Exposition triennale des Beaux-Arts. — 4*'-30 juin.
— Trois prix de 4,000 francs chacun, fondés par le roi
Humbert, décernés h la peinture et d la sculpture. Trois prix de
4,000 francs chacun, fondés par Saverio Fumagalli, décernés k la
sculpture, i la peinture religieuse, historique ou de genre. Un
prix de4,000 francs, fondé par Antonio Gavazzi, décerné ft la pein-
ture historique. Médailles et diplômes. — Les demandes d'admis-
sion devront être adressées au président, M. Emile Vitconti-
Venosta, à l'Académie de* Beaux- A rit de Milan.
Moscou. — Exposition française. — i" mai-octobre. (Réservée
aux artistes invités). Délais expirés.
Nantes. — 4 avril-4 mai. (Réservée aux artistes' personnelle-
ment invités). Délai d'envoi expiré : Renseignements : M. Flor-
voy, secrétaire général de la Société de* ami* de* Art*, Oalerie
Préaubert, rue Lekain, 12, Nante*.
Paris. — Salon annuel (Champs-Elysées) 1" mai-30 juin.
Délais d'envoi : peinture, 14-20 mars; dessin, aquarelles, pas-
tels, etc. 14-16 mars; sculpture, gravure en médailles, gravure
sur pierre fine, etc., 31 mars-8 avril.
Id. Société nationale des Beaux-Arts. — IS mai-10 juillet,
au Palais des Beaux-Arts (Cliamp-de-Mars). — Délais d'envoi :
Peinture, gravure, du I" au S avril ; sculpture, du 15 au 90 avril.
Les œuvres non admises par le Jury d'examen pourront être
retirées : les tableaux et gravures, du 20 au 25 avril ; les sculp-
tures, du 25 avril au 1*' mai.
Rotterdam. — Exposition triennale, 17 mai-S8 juin. Délai
d'envoi : 25 avril-2 mai. Renseignements : M. Henirik Veder,
secrétaire, Académie de* Beaux-Arts, Coolvett, Rotterdam.
Strasbourg.— 10 mai-10 juin. Transport gratuit pour les artistes
invités. Délai d'envoi : 30 avril. Les colis doivent être adressés
i M. Siromcyer-Laulh, en douane à Strasbourg. Renseignements:
M. Seyboth, conservateur de la Société da Amis de* arts. Bou-
levard de Saverne 32, Stra*bourg.
Nîmes. — 1" mai-1" juin. Transport gratuit pour les artistes
invités. Délais d'envoi : notices, 1" avril; œuvres, 15 avril.
Renseignements : M. le président de la Société de* A mi* de* arts.
Avignon. — 9 mai-O juin. (Réservée aux artistes français). —
Délai d'envoi : 15-20 avril. Transport gratuit pour les artistes
invités. Renseignements : M. Bourges, secrétaire.
Petite CHROf^iquE
M. Frédéric Régamey se spécialise : peintre d'escrimeurs. Il
croque d'un crayon souple toutes les notabilités de la lame. 11
noie avec justesse les attitudes d'adversaires aux prises. Deux
panneaux du Cercle artistique sont tapissés de ses œuvres, et c'est
un défilé amusant, varié, attrayant, que celui de tous ces hommes
d'épée, en tenue de salle, parmi lesquels un grand nombre de
personnalités connues. Le Cercle d'eecrime de Bruxelles, la salle
Rouleau dePari8,le Cercled'eicrimed'An\en,\a salle Merckx, four-
nissent un contingent important de portraits, dans lesquels s'unit
à la ressemblance l'exactitude technique du costume et des acces-
soires. Une grande aquarelle surtout requiert : l'artiste y a
groupé la plupart des membres du Cercle d^eecrimede Bruxelles,
tous ressemblants et habilement dessinés.
Aulje spécialiste, H. Hubert Bellis : huîtres, crevettes, moules,
citrons, avec quelques excursions vers les chrysanthèmes, les
pivoines, les corbeilles de fraises. M. Bellis s'est fait, dans ce
f^ W^W "^-
^
.#«■
VART MODERNE
105
genre spécial, la répu^lion qu'ont ti Paris le» Bergerel, lea Emile
Rousaeau, lea Claude, Ira Zacharian.
Quelquea paysagea lourds et ternes de M. Françoia com-
plètent le brelan d'exposants présentement en possession des
locaux du Cercle.
En la salle Clarembaux, M. Théodore Versiraete aligne une
trentaine de toilea, impressions sincères d'une dme réceptive,
ouverte b la mélancolie des bruyères campinoises, i la poésie des
crépaaculea tombant sur les hameaux, aux tristesses des landes
enlinceullées de neige.
Les cloches de i'Angelui tintent vaguemment dans la plupart
des oeuvres exposées. Il y a vingt ans, M. Verstraete eût éié
proclamé maître. Aujourd'hui l'art cingle vers d'autres horizons,
et les musiques assourdies du peintre anversois font l'effet d'un
lointain écho. Mais sa conscience artis^^iic sollicite. Toutes ses
oeuvres décèlent le souci d'être vrai, et m)tme un louable effuri
vers la lumière apparaît. Au bord ie l'étang, Mes VoUins,
Zetlani marquent un incontestable progrès, un besoin de rajeu-
nissement et de renouveau.
Wagner, Mozarl, Weberl ces (rois noms sonnent si agréable-
ment aux oreilles qu'on voudrait n'avoir que des éloges à adresser
aux directeurs qui les inscrivent sur leurs affiches. La reprise
d'Obéron n'a malheureusement pas été aussi heureuse qu'on eût
pu le souhaiter. Si l'interprétation a été bonne en ce qui concerne
le trio de chanteuses : M"*' de Nuovina, Nardi et Archaimbaud,
elle a été médiocre du cèté masculin. M. Dupeyron n'a certes pas
le sens de l'œuvre vaporeuse et poétique qu'il était chargé d'inter-
préter. Il chante en ténor d'opéra, il joue en acteur de provinco.
M. Badiali lui-même, d'ordinaire parfait, a été insuffisant, et les
choeurs ont failli tout compromettre. Un malencontreux ballet,
dansé sur ï'Inxdtation à la Valse, intercalé au dernier acie,
achève de dénaturer le caractère de la partition.
Hais on a chaleureusement applaudi, et avec raison, l'air
chanté par M™ de Nuovina, la Barcarolle dite par M"« Nardi, et
dite avec infiniment de charme et de talent.
Aujourd'hui, dimanche, à une heure, au théâtre royal de la
Nondaie, représentation donnée par les artistes de la Comédir-
Fjançaise : l'Avare, le Testament de César Oirodot et intermède
La Bouquetière des Innocents, drame Si grand spectacle, sera
repris aujourd'hui i l'Albambra avec une interprétation de pre-
mier ordre. M. Eugène Gamier jouera Jacques Bonhomme, per-
sonnage qn'il a interprété à Paris, il y a dix-huit ans b côté d&
Marie Laurent ; M. Jules Mary reprendra le rèle de Vitry ; M. Ver-
mandele, professeur au Conservatoire royal de Bruxelles, jouera
Concint'; le rôle d'Henriot sera tenu par M. Maurice Chômé, du
Gymnase.
A l'occasion des jours de Piques, il y aura, dimanche et lundi,
à i 1/3 heure précise, deux matinées, indépendamment des
représentations du soir.
Le second concert de V Association des Artistes-Musiciens aura
lieu samedi prochain, 4 avril, b 8 heures du soir, au théâtre dé la
Monnaie, avec le concours de M"** De Nuovina et de M. Joachim.
Au programme figure notamment le Concerto pour violon et la
Romance en fa de Beethoven, l'air A'Obéron, la Marche royale de
P. Lebome, etc
Le 7 avril, one représentation extraordinaire du Barbier de
Séville.sen donnée au ihéûtre de la Monnaie, au prodt de l'Œuvre
de la Presse, par M"" Landouzy, MM. Soulacroix, Fugère, Renaud
et Dclaquerrière.
Du 18 avril au IS mai, auront lieu, au Théilre Communal, des
représentations données par le tragédien Erneslo Rossi et sa
troupe.
La tournée de concerts que comptait faire, en Belgique et en
Hollande, M. Lamoureux, n'aura pas lieu.
L'Almanach que publient annuellement les étudiants de l'Uni-
versité de Gand, vient de paraître, en un gros volume de
300 pages, tiré à 750 exemplaires dont 30 sur Hollande. C'est la
septième année que parait cette publication, qui atteste la vitalité,
l'esprit d'initiative et les goûts littéraires de la jeunesse ganloisi-.
Comme dans les volumes précédents, l'Almanach renferme une
importante partie littéraire : une vingtaine de morceaux, prose et
vers, parmi lesquels des Notes d'art de Camille Lemonnier,
Pentalogie décadente d'Edmond Picard , Revanche de George
ùSiTtiir, Heures de flânerie d'Hubert Krains, etc., etc. La Poésie,
de Jean Delville, sert de frontispice à la partie littéraire, qu'il-
lustrent un grand nombre de croquis et dessins par A. Hein!<,
H. Leroy, etc. Les portraits des professeurs Nicolas Dumoulin ei
Théodore Versiraelen et une lettre de M. Jules Simon com-
plètent le volume, l'un des plus intéressants et des plus complets
qu'aient publiés la Société générale des Etudiants.
Étude du notaire Van Halteren, à Bruxelles, rue du Parchemin, 9
Ledit notaire Van Halterkn vendra, sous la direction de
MM. Leroy, experts, le Jeudi 2 avril 1891 et Jours suivants,
ai heure, en la salle Sainte-Oudule, rue du Gentilliomme, 9,
à. Bruxelles.
XJ3SrE BELLE
COLLECTION D'OBJETS D'ART
Armes anciennes.
Porcelaines et Faïences anciennes, Bronzes. Tableaux,
Médailles, Gravures et Meubles anciens.
Exposition : particulière mardi 3t mars, publique 1" avril tS'.M,
de 10 à 4 heures.
■VENTE FXJBLIQXJB
DE
deux remarquables collections de
TABLEAUX MODERNES
LES LUNDI 6 ET MARDI 7 AVRIL 1891,
a 2 heures précises de l'après-midi, en la
G^IlILiERIE: du COIVGItÉS
6, me du Congrès, k Bruxellea.
L'authenticité des oeuvres mises en vente est garantie. Parmi
celles-ci se trouvent : 15 A. Stevens, 9 J. Slevens, 5 Gourtcns,
3 Agneessens, 3 H. de Braekeleer, 3 Madou, des Artan, Bouvin, J.
Breton, Boulenger, Bouvier, Daubigny, De Groux, de Knyff, Diaz,
Dubois, Fourmois, Dallait, Géricault, Hermans, Heymang, Jacque,
B.-C. Koekkoek, Leioir, Leys, Lies, Meunier, Musin, D. Oyena.
Robbe, Ph. et Th. Rousseau, Roybet, Smits, Stobbaerls, Van Bcers,
Van Mark, Eug. Verboeckhoven, Verstraete, Alf. Verwée, Vollon,
Wauters, Willems, Ziem, etc., etc.
Pour le catalogue, s'adresser Galerie du Congrès, où aura lieu,,
avant la vente, l'exposition particulière, le samedi 4 avril,
de 10 à 6 heures, et l'exposition publique, le dimanche
6 avril, de 10 à 6 heures.
J
ONZIÈME ANNÉE
L'ART MODERNE s'est acquis par l'autorité et l'indépendance de sa critique, par la variété de ses
informations et les soins donnés à sa rédaction une place prépondérante. Aucune rqanifestation de l'Art ne
lui est étrangère : il s'occupe de littérature, do peinture, de soulpture, de gravure, de musique,
d'architecture, etc. Consacré principalement au mouvement artistique belge, il renseigne néanmoins ses
lecteurs sur tous les événements artistiques de l'étranger qu'il importe de connaître.
Chaque numéro do L'ART MODERNE s'ouvre par une étude approfondie sur une question artistique
ou littéraire dont l'événement de la semaine fournit l'actualité. Les expositions, \ea livres nouveaux, les
l^remiêres représentations d'oeuvres dramatiques ou musicales, les conférences littéraires, les concerts, les
ventes dobjets d'art, font tous les dimanches l'objet de chroniques détaillées.
L'ART MODERNE relate aussi la législation et la jurisprudence artistiques. Il rend compte des
procès les plus intéressants concernant les Arts; plaides devant les tribunaux belges et étrangers. Les
artistes trouvent toutes les semaines dans son Mémento la nomenclature complète des expOSltlons et
concours auxquels ils peuvent prendre part, en Belgique et à l'étranger. 11 est envoyé gratuitement à
l'essai pendant un mois à toute personne qui en fait la demande.
L'ART MODERNE forme chaque année un beau et fort volume d'envirott^lSO pifig?», ayeçtablo
des matières. Il constitue pour l'histoire de l'Art le document LE PLUS COMPLET et le recaeiï LÉJ PLUS
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1>1{1X D'ABONNEMENT
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Quelques exemplaires des dix premières années sont en vente aux bureaux de L'ART MODERNE,
rue de l'Industrie, 32, au prix de 30 &*anCS chacun.
POUR PARAITRE TRES-PROCHAINEN.i.., T .
Piiblications de la Conférence du Jevne Barreau
de Bruxelles.
LIVRE D'OR
IN MEMORIAM
Un volume de luie tiré sur papier teint* de cuve spéciale, format
in-4 ', destiné à perpétuer le souvenir des Fêtes Jubilaires de la Con-
férence (14 février 1891), et contenant notamment, outre le récit de la
journée anniversaire, le fac-siniile d'autographes inédits et spéciaux
de quelques-uns des Maîtres du Barreau.
PRIX DE SOUSCRIPTION : 5 FRANCS
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Méliniélo judiciaire eu un acte et deux tableaux, composé et
représenté à Bruxelles, au Théâtre-Communal, les 14 février et
14 mars 1S91 par des membres de la Conférence du Jeune Barreau.
Cette Revue, illustrée d'un frontispice de M. Théo Van Ryssel-
HEROHE, formera uji élégant volume imprimé, sur beau papier,
format in-8". — Prix de souscription : fr. .3-50.
Pour leur conserver, en même temjjs que leur valeur de souvenir,
leur mérite bibliophilique, l'une el l'autre de ces publications ne
seront tirées qu'au ehilfre strictement limité des souscripteurs et ne
seront pas réimprimées.
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rence du Jeune Barreau, rue du Berger, 27, Bruxelles.
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DiMANCHK 5 Avril 1891.
L'ART MODERNE
PARAISSANT LB DIMANCHE
REVUE ORITIQDB DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Comité de rédaction i Octavb MAUS — Edmond picard — Éuilb VERHAEREN
ABONimÇBNTS : Belgique, un an. fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. — ANMONCKS : On traite à forfait.
Adresser toutes les communications d
l'administration oénéralb de TArt Moderne, me de l'Industrie, 32, Bruxelles.
^OMMAIRE
SiURÀT. — Le Bahbare, par Auguste Jenart. — Fbuhes et Pay-
sages, par Jean Ajalbert. — Le Salon des Indépendants. — L'Hôtel
COMMUNAL DE Saint-Jossk. — THÉÂTRES Le Voyage de Sutette. La
Bouguetiire des Innocent!. — Petite chronique.
SEURAT
La mort, déjà cruelle aux lettres et aux arts, quand
elle frappe un artiste comblé d'oeuvres et d'années, la
mort est plus ftcre encore, plus abasourdissante quand
elle choisit un homme encore jeune, un trentenaire,
apôtre d'une vérité nouvelle, dont il n'a pu encore
qu'ériger les axiomes et promulguer les premières
applications.
Senr^t meurt à trente et un ans.
Physiquement, il était grand et proportionné. Sauf
quelque boursouflure des narines, grâce à la barbe
abondante et noire et aux cheveux hauts, drus et un
peu boudés, la face semblait d'un de ces mitres assyriens
des bas-reliefis. L'œil très grand, extraordinairement
calme aux moments vagues de la vie, quand il regar-
dait ou peignait, se rétrécissait, ne laissant voir que le
point lumineux de la prunelle sous des cils clignants.
Un profil exact mais très mal tiré le représente au che-
valet (dans les Hommes d'aujourd'hui}, sous la signa-
ture de Maximilien Luce.
Sous un aspect un peu froid, dans une tenue toujours
très régulière de bleus très foncés ou de noirs, un aspect
symétrique et correct qui l'avait fait surnommer par
Degas, en un moment d'humour, « le notaire •>, il tenait
en lui un caractère empreint de bonté et d'enthousiasme.
Silencieux dans les groupes un peu nombreux, entre
peu et amia plus éprouvés il parlait fort de son art en
tant que visées, en tant que volitions techniques. L'émo-
tion qui le pénétrait alors se notifiait par de légères
rougeurs aux maxillaires ; il parlait alors très littérai-
rement et d'haleine, cherchant à comparer les progrès
de son art avec ceux des arts sonores, très préoccupé de
trouver une unité dans le fond de ses efforts et ceux des
poètes ou musiciens.
La biographie de Geoi^s Seurat est plane et dépour-
vue de faits pittoresques. Il entra, jeune encore, à l'Ecole
des beaux-arts, dans l'atelier Lehmann. Il y séjourna
quatre années ; il en gardait comme souvenir, accroché
à un mur, une académie (étude peinte d'homme nu) et
un paysage non encore affranchi. Assez découragé de
ses essais picturaux, car n'ayant pas encore trouvé sa
voie, mais suffisamment doué pour s'apercevoir que le
maniement des mélanges conventionnels n'était pas son
fait, il se réfugia dans le pur dessin. Quelques ans il ne
fit guère que du blanc et noir; il amassait ainsi une
forte collection de notes ; de plus, il trouvait le procédé
qu'il devait plus tard appliquer à la peinture, il le décou-
vrait, au moins embryonnairement.
Sa recherche consistait à mettre rigoureusement en
valeurs les dégradés d'ombre, les oppositions de blanc
et de noir, de travailler le dessin comme un tableau
aux couleurs restreintes. Au lieu de cerner son person-
nage par des traits, et de présenter ainsi une certaine
quantité de vide, comme enclose de fil de fer, il procé-
dait par masses noires et blanches, obtenant ainsi sur
le papier un vigoureux modelé. Quatre cartons, croyons-
nous, sont remplis de ces œuvres d'essai ; ce sont des
personnages de son premier grand tableau : la Bai-
gnade, les personnages pris, repris, diversement mode-
lés, jusqu'à ce qu'il ait obtenu une ligne simple et abon-
dante, et flexueuse, qui pour lui entraînait tout
l'intérêt du dessin ; ce sont des ombres passant, noc-
turnes, sur des vitres éclairées, de curieux masques
choisis pour l'intensité et la simplicité de leur expres-
sion.
Puis nous rencontrons, première grande toile peinte,
la Baignade, qui marque le passage de Seurat dans
la technique impressionniste, et qui, en ce genre, est
son unique tentative importante. En 1886, il exposait
des oeuvres absolument nouvelles, et, de concert avec
Camille Pissarro, Paul Signac, etc., il fondait le néo-
impressionnisme, école fondée sur une technique nou-
velle dont il était l'instaurateur.
Je ne veux pas, ici, refaire la théorie du néo-impres-
sionnisme de 1886, la théorie de l'école que la vulgaire
critique a étiquetée pointilliste. Le lecteur la trouvera
remarquablement précisée dans le travail de Félix
Fenéon : les Impressionnistes en 1886. Ce qu'on en
peut dire ici pour caractériser cette époque du peintre
et de sa pensée, c'est que cette technique lui avait été
indiquée par deux sources, la lecture des livres de Che-
vreulet de Rood, etaussila connaissance d'un pressenti-
ment de cette technique par des peintres anciens; il
citait Delacroix en ses fresques de Saint-Sulpice, et décla-
rait avoir trouvé des divisions du ton chez le Véronèse
et chez Murillo.
De plus, il avait été vivement séduit par la pre-
mière technique de Renoir, et aussi par celle de Camille
Pissarro; ces deux peintres, en eff'et, tentant d'obtenir
un modelé sur la toile par des entrecroisements de
petites lignes colorées; la question, très importante
pour Seurat, du cadre du tableau, était résolue par le
cadre blanc; le cadre blanc était pour la toile comme un
isolateur; le cadre doré ordinaire était rejeté comme
assombrissant ; le cadre blanc représentait dans la tech-
nique ce mouvement simple des peintres coloristes, qui
pour juger mieux d'une couleur ou d'un ton, abaissent
un instant les yeuX sur un blanc neutre, comme celui
d'une feuille de papier ou d'un journal.
Sa trouvaille avait été de scruter ses principes
divers, et s'en construire une rigoureuse et neuve esthé-
tique.
Le succès d'artistes des néo-impressionnistes à cette
année fut très vif, si vif auprès de leurs confrères de
lettres, qu'ils furent jalousés, et que des inimitiés écla-
tèrent entre eux et les membres des anciens groupements
impressionnistes.
Seurat, à ce moment, n'était pas encore complète-
ment satisfait. Il vivait en un atelier sis au sixième
d'une maison du boulevard piichy; une petite pièce
cénobitiqne contenait un lit étroit et bas, en face d'an-
ciennes toiles retournées, la Baignade et des Marines.
Dans l'atelier aux murs blancs s'appendaient ses souve-
nirs d'école des Beaux-Arts, un petit tableau de Guil-
laumin, un Constantin Guys, des Forain, toiles et
dessins devenus habituels et pour lui des colorations
connues et fondues dans son mur, un divan rouge, peu
de chaises, une petite table où voisinaient des revues
amies, des livres de jeunes écrivains, des pinceaux et
des couleurs et le cornet de tabac. Contre un panneau,
le couvrant tout entier, la Grande Jatte, qu'il réétu-
diait avec une inquiétude toujours renouvelée, lui cher-
chant tous les menus défauts, cherchant à satisfaire
toujours sa conscience. f
Dans ce petit atelier étroit, incommode, froid en hiver
et torride en été, Seurat demeurait quotidiennetnent
devant sa toile, des trois mois ; il en sortait maigri pour
aller se reposer à peindre des marines et revenait avec
six toiles diverses de motifs et de volitions.
L'inquiétude de Seurat était causée par les réflexions
suivantes : « si scientifiquement avec l'expérience de
l'art j'ai pu trouver la loi des couleurs picturales, ne
puis-je découvrir un système également logique, scien-
tifique et pictural qui me permet de faire concorder les
lignes du tableau vers l'harmonie comme j'y puis faire
concorder les couleurs ? »
Le rêve de Seurat était de découvrir cela logique-
ment ; car s'il croyait que l'esthétique scientifique ne
peut entièrement s'imposer à un peintre, parce qu'il y a
des questions intimes d'art et même de technique d'art
que seul le peintre peut évoquer et résoudre, il éprou-
vait l'absolu besoin de fonder ses théories sur des vérités
scientifiques. Son esprit n'était pas absolument celui
du peintre né, du peintre à la manière de Corot,
heureux de poser de jolis tons sur une toile ; il avait
une cervelle mathématique et philosophique, très propre
à concevoir l'art sous une autre forme que la peinture ;
je m'expliquerai plus clairement en disant, que si cer-
tains peintres et même bons peintres, donnent l'impres-
sion qu'ils ne pouvaient être autre chose que peintre,
Seurat était de ceux qui donnent l'impression, que c'est.
en somme, und aptitude plus développée qui les a con-
duit à se consacrer aux arts plastiques, d'autres cycles
de l'intelligence humain^ étant résorbés dans leurs
facultés .
Ce fut à ce moment d'«nquète qu'il connut les travaux
précis de Charles Henry sur l'esthétique scientifique,
et notamment le Cercle chromatique, avec sa préface
dépassant de beaucoup la seule question de la couleur,
pour approfondir les pBénomënes de la ligne ; ceci donnait
à Seurat la base seulement, la base exacte et démontrée
dont il avait besoin, et lui permettait d'arriver à sa der-
nière synthèse apparente depuis ses marines du Crotoy,
et affirmée par 8«b toiles le Chahut et le Cirque.
Cette dernière évolution fut précisée en une biogra-
phie par M. Joies Christophe, et certainement cette
exposition de principes fut approuvée par le peintre-,
nous la reproduisons sans rien changer à sa netteté et
à sa clarté.
• L'Art c'est l'harmonie, l'Harmonie c'est l'analogie
des Contraires, l'analogie des Semblables — de ton, de
teinte, de ligne; le ton, c'est-à-dire le clair et le sombre;
la teinte, c'est-à-dire le rouge et sa complémentaire le
vert, l'orange et sa complémentaire le bleu, le jaune et
sa complémentaire le violet ; la ligne, c'est-à-dire les
directions sur l'Horizontale. Ces diverses harmonies
sont combinées en calmes, gaies et tristes : la gaieté de
ton, c'est la dominante lumineuse ; de teinte, la domi-
nante chaude ; de ligne, les lignes montantes (au dessus
de l'horizontale); le calme de ton, c'est l'égalité du
sombre et du clair, du chaud et du froid pour la teinte,
et l'Horizontale pour la ligne. — Le triste de ton, c'est
la dominante sombre; de teinte, la dominante froide, et
de ligne, les directions abaissées. — Maintenant le
moyen d'expression de cette technique, c'est le mélange
optique des tons, des teintes et de leur réaction (ombres),
suivant des lois très fixes, et le cadre n'est plus comme
au commencement, blanc simplement, mais opposé aux
tons, teintes et lignes du motif. >
Ajoutons qu'en causant, Seurat me définissait la pein-
ture ; " L'art de creuser une surface ».
Ses dilections pour les œuvres d'art antérieures
allaient aux hiératiques, tels que les Egyptiens et les
primitifs II était particulièrement séduit par des œuvres
plus flexibles, telles les frises grecques et les œuvres de
Phidias; son choix parmi les maîtres romantiques et
paysagistes était large, mais, sauf pour Delacroix, sans
passion.
De l'Impressionnisme ancien, il énonçait volontiers
que ses trois coryphées importants par l'œuvre et la
direction imposée aux peintres avoisinants étaient
Degas, Renoir et Pissarro.
Comme presque tous les impressionnistes, il avait de
la gratitude envers le mouvement naturaliste; et quoi
de plus simple? car en cette préoccupation du Paris
moderne et de la rue moderne, dans l'évocation du décor
contemporain, les écrivains se sont ralliés aux peintres,
au moins dans leurs principes.
Il déclarait ne pouvoir peindre que ce qu'il voyait;
les fresques de peinture idéologique lui paraissaient
manquer des qualités essentielles de luminosité; il ne
jugeait pas, d'ailleurs, qu'une peinture, pour être intel-
lectuelle, dut signifier une allégorie ou une scène plus
ou moins dramatique ; le rêve était pour lui dans la
toile et évoqué de la toile, l'idéalisation du modèle ou
du motif.
C'est pourquoi, dans son idéal d'harmonie, disposant
autour de ses personnages des accessoires à eux rela-
tifs, il pensait leur donner une valeur par la direction
de leurs lignes et la franchise de leur couleur. Et,
certes, les modestes accessoires qui entourent ses
Poseuses, corps de femmes transfigurés par la lumière et
l'élégance de la ligne, ne sont-ils pas, par leurs qualités
essentiellement picturales, aussi beaux et décoratifs
qu'un fond de décor de fresque féerique? et si l'on veut
bien regarder le Chahut, le voir, non comme tableau
peint, mais comme schéma d'idées, on y lirait ceci :
Des danseuses en un rythme principal, mobile tout à
la fois par la direction du mouvement, et figé parce qu'il
est le mouvement principal, le leit-motiv de la seule
action qui nous intéresse en ses danseuses, leur danse ;
la tête de la danseuse, d'une admirable beauté, par le
contraste du sourire otticiel, quasi sacerdotal, et de la
finesse fatiguée des traits tous menus, fins et empreints
de désir, synthétise que cette beauté n'a de signification
complète que dans cet acte principal de cette cervelle
féminine, danser ainsi ; cet acte devient, pour la dan-
seuse, grave, parce qu'habituel. Le danseur est laid, typi-
que, il est le grossissement banal de la physionomie fémi-
nine placée à côté de lui ; l'éclair souriant de la figure
féminine lui fait défaut, car il n'exerce pas là une des
aptitudes particulières de son sexe; il fait sim-
plement un ignoble métier; les pans de son habit sont
tortillés comme une queue de diable dans un tableau de
vieux visionnaire; le chef d'orchestre, directeur de
hasard de la solennité, a des ressemblances proches
avec le danseur, tous deux sont du même acabit, et sont
là par métier, et, synthèse du public, voyez cet admi-
mirable groin de spectateur, archétype de noceur gras,
placé tout près et au dessous de la danseuse, jouissant
canaillement du moment de plaisir préparé pour lui,
sans autre pensée qu'un rire et un désir balourd ; si vous
cherchez à tout prix un symbole, vous le trouverez
encore dans l'opposition de la beauté de la danseuse,
luxe de féerie modeste, et la laideur de l'admirateur;
aussi vous en trouverez un dans le faire hiératique de
cette toile et son sujet, une contemporaine ignominie.
:^rm7*w^sr?FW.':
110
L'ART MODERNE
Cette façon vraiment picturale et artiste de chercher
le symbole (sans se soucier du mot) dans l'interprétation
d'un sujet, et non dans le sujet, était, à son avis, la plus
vraiment suggestive, et il n'est pas seul de cette opi-
nion.
Cette démonstration du sujet, telle elle existe pour le
Chahut, telle on la peut trouver en d'autres toiles, par-
ticulièrement en cette Parade, son premiereflet de nuit
dans les villes, si volontairement blafarde et triste.
Mais c'est inutile ; j'ai voulu simplement montrer que
chez Seurat, la valeur cérébrale, la valeur de penseur,
équivalait à celle de tout autre, uniquement préoccupé
de peinture idéologique.
Les regrets envers sa mort n'en peuvent être que
plus vifs pour ceux qui, le connaissant bien, savent ce
qu'enferme maintenant et détruit le rigide cercueil.
Gustave Kahn.
LE BARBARE
par Auguste Jenart. — Bruxelles, Paul Lacomblez, 1891,
in- 18 de 137 pages.
Que surgisse, en des Icmps de routine et de faire uniforme,
quelque audacieux briseur de barrières et voilà qu'aussitôt vingt
émancipés pour un se jettent à sa poursuite impétueusement
ivres de la liberté conquise. De cette sorte qu'à la joie de s'ôlre
désemprisonné lui-même des anciennes formules, l'initiateur des
voies nouvelles peut ajouier celle d'en avoir fait évader d'autres.
Maeterlinck, il y a nn an, appelait pour la première fois à
l'expression littéraire tout un coin inexploré de psychologie.
Aug. Jenart, un dernier venu dans leslettres, publie cette semaine
le Barbare qui témoigne que son auteur esi visiblennent au
courant des ressources nouvelles offertes à l'art.
Les créateurs d'un genre doivent êlre trop talentueux pour ne
pas être rares. Mais encore ceux-ci, fussent-ils génies, ne pour-
raient épuiser tous les partis à tirer de la nouvelle création. On
peut avoir un très bon système et l'appliquer mal; on peut aussi
se trouver à la têle de nombreuses idées sans savoir créer soi-
même le moule propre à les recevoir. Donc, qu'importe que le
genre ne soit pas neuf pourvu que l'espèce apparaisse franche-
ment originale.
Il en est assez bien ainsi du Barbare. Plus encore que chez
l'auteur de la Princesse Maleine, l'indifférence est absolue quant
à la détermination du milieu et des personnages. Cela se passe où
vous voulez, quand vous le voulez et avec les individus que vous
voulez. Même cela se passe-t-il quelque part? Probablement dans
des cerveaux, à des heures vouées à la songerie de ce qui pour-
rait êlre plutôt que de ce qui est. Il y a encore quelques portants
d'idées, soutenant le décor du rêve, mais si peu apparents que le
tout a une allure aérienne.
Est-ce un drame, un récit dialogué, ou la simple narration
d'une pensée multiple et contradictoire qui s'incarne tour à tour
dans plusieurs individualités? Peut-être, car point dans le livre
de division en actes et scènes, point de description.
Il ne s'y trouve que des êtres dans certaines relations, les uns
vis-à-vis des autres : la salle, les choses, l'abbé, Rynel, Siria, la
bise, l'éclair. Un vrai pananHiropiime, on tout de ehoao sentantes
et influençantes. La chambre, les meubles, le vent, l'arrivée et le
dépari d'un personnage, tout cela est représentatif de certains
modes de la vie et parle son langage, muet sans doute, mais tour
à tour précis et vague comme si les choses et les aciea murmu-
raient leur être et leur faire avec de vraies lèvres.
Le Barbare, c'est Rynel ; Rynel qui bénit le Seigneur d'avoir
mis des portes d'or au palais de son rêve, Rynel impassible, qui
continue à chanter son rêve, tandis que la mort, l'incendie,
l'émeute tourmentent le dehors.
Aux reproches de l'éducateur :
L'abbé. — Ah I songe à ce que le diront les cendres glorieuses
que tu renies.
Rynel. — Les morts. Us sont couchés très longs dans leurs
remords.
L'abbA. — Dans le remords de l'avoir engendré, eux, les fon-
dateurs de la Patrie, les restaurateurs de la gloire et de la foi.
Rynel. — Ils luttaient contre les hommes, je lutte contre des
revenants; ils s'instauraient dans la vie, je m'instaure dans le rêve.
Ils ont escaladé les cimes, reste le ciel. Oh I il faut de la neige à
mes pas.
L'abbé. — Tu tiens d'eux toute aristocratie : leur refuseras-tu
l'hommage de cette investiture sacrée ?
Rynel. — Ils ont mis leur lignée sous le joug d'anciens vou-
loirs : esclave, je me révolte contre eux et contre moi.
L'abbé. — Héros ^e sacrilège ! Chevalier de ténèbres! Barbare !
Rtnel. — Oui : Barbare! le m'ot sonne : Barbare.
Un Echo. — bar... bare
Les revenants! Loisible d'en parler maintenant qu'est apparue
une nouvelle ère de mysticisme. On traduit Ruysbroeck et Novalis.
On relit l'imitation et Ut Extaset de Saintt-Tkérètt ne sont pas
faites pour effrayer. Drôle tout cela. Il faut croire que les grandes
civilisations ont cela de commun avec les barbaries qu'elles ne
permettent pas de médiocrité dans l'action. Ceux trop faibles pour
endurer le labeur social n'ont à choisir qu'entre la mort ou l'abné-
gation, la complète abnégation du vouloir ponr ne plus que
spéculer ou contempler. Jadis, la foi poussait au mysticisme.
Aujourd'hui, l'horreur de l'action est le sentiment profond de son
inanité.
On fuit le réel, on dépositive son intelligence, on la transpose
dans des milieux anormaux et plus ultra-suggestifs, là où les
heures rôdent, nocturnes et silencieuses, ouvrant les secrètes
issues des esprits aux visiteurs des ténèbres. On est plus disposé
alors à s'élancer vers l'au delà, et « à comprendre toute l'abomi-
nation du vocable « hommes » : pins de Science, plus d'Amour,
plus de Pitié. Dans « les vastiludes recueillies » de la pensée, le
Rêve donne essor « à ces créatures suaves qui trônent sur les
heures et les mondes parmi les Hosannahs des Temps et des
Immensités ». Et le « sens divin des choses, le sens épouvantable
des choses » est mieux compris.
Mais alors aussi, aristocrates de l'intellect, Rynel présents et à
venir, gare à la haine vous vouée par la foule incomprenaote,
gure, « voleurs du pain des pauvres, assassins des enfants du
pauvre, marchands des filles du pauvre ! » La foule abat ce qui la
dépasse.
p^ym?*»: ■•^'■^'
L'ART MODERNE
111
PTlM'MnS ET F-A.YS-A.OES
par Jkan Ajàlboit.
Un Tol. iMa d« 234 pngw. — Paris, TreMe at Stock, 1891.
En ce volume, M. Jean Ajalbert a réuni des poésie» dont la
plupart avaient paru dans la Revue indépendante ou en volumes
séparés. Poésies d'allure lihre, aux vers bons enfanis, piquant au
passage le détail réaliste ou caractéristiquemenl banal, mais dont
le ton gouailleur s'afOne, à tout momenl, en une pointe de senti-
ment qui perce, comme malgré elle, l'ironie de la description.
C'est ce qoi donne b ces petits poèmes, d'une obserralion très
curiense, une saveur particulière.
Après l'aUemanee de l'embêtement d'attendre et du vide de
n'attendre plus, quelle lointaine évocation appellent ces amours
A fleur de peau qui finissent on ne sait comment :
Et du temps, du temps a passé,
St toute cette histoire,
Ce n'est plus i la mémoire
Sous le brouillard du passé,...
Qu'un pAle souvenir effacé...
La temps ! le temps a passé...
Et, dans cet autre poème. Sur le* lalui, quelle tristesse péné-
trante s'enroule autour de la ballade des amours qui ne savent pas
finir:
Chère âme, laissons au vent qui l'emporte
Se disperser notre vieille amour morte
plutôt que de TÏvre de souvenir
Dans l'acbamament de vilaine sorte
, Des amours qai ne savent pas finir.
Dans Payeages de femmes, orné en l'édition primitive, cbei
Vanier, d'un si amusant dessin de Raffaélli, et dans Sur le vif,
l'intérêt n'est pas concentré en un sujet unique, mais se partage
sur une série de petits tableaux très finis, où l'émotion se retrouve
aussi sans cesse sous le bariolage, parfois très intense, des
couleurs, et où éclate cette qualité première de toute poésie : la
personnelle vision.
Ouvrages reçus dont il sera rendu compte prochainement : La
Création du Diable, par Raymond Nyst (Bruxelles, H. Kistemaec-
kers). — Le* Cahier* S André Walter, œuvre posthume
(anonyme) (Paris, Perrin et C"). — La Migration des symboles,
par le comte Goblet d'Alviella (Paris, E. Leroux). — Idées d'un
bourgeois sur l'architecture, par Edmond Catiier (Bruxelles,
J. Lebègue et C*). — François Rasquinet, par M. Beaupain
(Verviers, Nautet-Hans). — Au coûtent, ^m inn Chalon (Verviers,
Ch. Rensonnet). — Légendes brutelUnses, par Victor Devogel
(Bruxelles, J. Lebègue et C). — Lt Vierge, par Alfred Val-
lette. — La Sanglante ironie, par Rachilde, préface de Camille
Lemonnier (Paris, L. Genonceaux). — Presque, par François
Poictevin (Paris, A. Lemerre). — Le Caire, par Emile Minnaert
(Bruxelles, Weissenbruch). — Xaviire, par Ferdinand Fabre
(Paris, Cherpcntier). — Quelques réflexions sur fart décoratif et
ion mode d'e7iseignement, par Armand Fumière (Bruxelles,
E. Guyot), etc.
Le Salon des Indépendants.
Dans la Nation, Emile Verhaeren passe en revue les œuvres
exposées au Salon des Indépendants (5' salle), qui vient de s'ou-
vrir k Paris :
Les artistes belges exposant à Paris sont : MN. Théo van Rys-
selberghe; Finch, Lemmen et M"* Bocb. Des trois derniers, les
oeuvres émigrées aux Indépendants ont été examinées quand elle»
s'étalaient aux XX. Le premier seul envoie une œuvre inédite : le
Portrait de M^ S... Cesl, à l'harmonium, une jeune fille en
une attitude attentive de repos. Les oranges et les violets domi-
nent en cet envoi ; les oranges avec leurs ombres portées bleues
et les violets aux reflets verd&tres au long des cassures de la robe.
L'œuvre est simple, sans arrangement trop vif. Des lignes descen-
dantes et courbes d'étoffes et de rideaux d'une part ; des lignes
roides et horizontales de meuble d'autre pan. Il en résulte une
impression de silence et presque de gravité. Ci et \i, quelque
dureté et froideur.
De M. Signac, seul le Portrait nous est inconnu. Le titre :
Sur l'émail d'un fond rythmique de mesures et d'angles, de tons
et de teintes, le portrait de M. Félix Fenéon en 1890, prouve
les tendances et les précisions de cet art. Le porlraiclnré roidit
sur un fond versicolore de segments, illustrés d'étoiles, de
disques, de croissants et d'arabesques, son yankeeisme, mais la
fleur qu'il tient dans la main et qu'il offre à quelque femme ima-
ginaire, indique en le contrariant ses qualités de grSce et de poli-
tesse souriante. Ce portrait froid et sec ne nous séduit guère
autant que les paysages du même peintre.
Le Cirque de M. Seurat, quoique inachevé, croyons-nous, sou-
ligne i nouveau et de manière plus heureuse que le Chahut, les
idées d'art de cet artiste. Une vive allure d'entrain el de fête, que
tintamarrerait un orchestre, se dégage de ce nouvel essai. Tous les
mérites fonciers du cerveau volontaire et convaincu qu'est M. Seu-
rat, s'y laissent surprendre. L'aspect blanc et vide et cru de l'arène
et des banquettes, la lumière froide, l'élégance envolée des
écuyères, la diablotine agilité des clowns sveltes sont synlhéti-
quemenl exprimés.
M. Luce, moins technicien et théoricien que M. Seurat, est
d'une sincérité aussi marquante que lui. Cet indépendant voit
volontiers violet et bleu ; il aime les heures du soir cl d'ombre,
les temps nuageux el gris. 11 rend la réalité de ses modèles avec
scrupule et sans jamais se préoccuper ni d'effet ni de mise en
scène. Nous connaissons de lui des crépuscules parisiens 1res
indisculablement vrais et bien vus.
Un nouvel adepte de la peinture poinlillisle est M. Denis. Mais
son travail se complique de préoccupations soit mystiques, soii
occultistes. C'est lui qui imagine un décor pour : « Or, il y a de
bien beaux contes dans les livres des Mages, dans les mélan-
coliques livres des Mages, qui sont reliés en fer. » C'est lui
aussi qui a , pour le superbe livre Sagesse , de Verlaine,
réalisé une suite de dessins naïfs, humbles, pénétrants et doux.
Son envoi titré : Mystère catholique, est certes d'une émoiion
communiquée, profonde.
En la même salle, en opposition presque avec les peintres
pointillistes, qui se renforcent de MM. Henry Cros, Charles
Angrand, Henri Cuvillier, se rangent les artistes désignés : diii-
sonnistes.
Et c'est d'abord M. Anquetin, divers et déroutant. Seulement,
voici un paysage d'une féerie exquise et un Turse de jeune fille
dont la chair, à peine nubile, est d'une délicatesse toute de fraî-
cheur et de blancheur. Rarement il nous a été donné de voir le
nu traité aussi immatériellement et aussi chastement, et néanmoins,
la tête de cette enfant est négative de toute virginité à sauvegar-
der. Lèvres éclatantes et vicieuses, regards aigus. L'ensemble
112
L'ART MODERNE
s'enlève sur un fond de fleurs et de feuilles denlelées et de pétales
en forme de griffe et de rinceaux minces.
C'est au peuple des filles et des gens de barrière que H. de
Toulouse-Lautrec voue son observation et son élude de peintre
ironique de caractérisle. Forain cl Raffaélli l'ont précédé en celte
voie. 11 les continue, mais ne les démarque point. Personnelles,
sa vision et ses lignes et ses couleurs. Harmonies de roses el de
rouges, tracés vermiculaires !i tons lie-de-vin, enchevêtrements de
courbes serpentines, son faire se distingue d'entre tous.
A noter : Nuditéi de M. Roy; les primitives enluminures de
M. Bernard; les colorations curieuses et intenses de H. Bonnard;
les imitations de Gauguin par M. Willumsen, un artiste danois.
El deux morts : de M. Dubois-Pillel, le président des Indéptn-
danls, cinquante-quatre numéros, presque une exposition com-
plète ; de M. Van Gogh, les dernières peintures.
Le pfemier n'a certes eu le temps de développer le talent de
teinle triste et calme qu'il portait en lui ; quant au second, par
son indéniable intensité de vision, par sa brutalité emballée, par
sa force et sa violence de coloriste soudain et audacieux, peut-
être restera t-il comme affirmalcur d'un art franc, puissant et naïf.
Sorti, ainsi que Gauguin el Bernard, des rudes impression-
nistes Cézanne et Guillaumin, il a exagéré leur vision fruste et
saine. Il a sa facture personnelle, son harmonie crue et grosse à
lui, son rêve spécial. Certes eût-il compté peut-être parmi les
maîtres, si la mort ne l'avait cassé si jeune, en plein travail.
Au résumé, ce qui reste dans le souvenir, après une visite
prolongée au Sabn indépendant, c'est, parmi les nouveaux-venus
el les chercheurs d'inédil, une multiple curiosité vers des champs
d'art fori différents. 11 n'y a plus d'école, à peine y a-t-il des
groupes, qui se fractionnent constamment. Toutes ces tendances
me font songer à de mouvants et kaléïdoscopiques dessins géo-
métriques, qui se contrarient à tel instant, s'unissent â tel autre,
renlrcnt tiintôt les uns dans les autres, pour se séparer et se fuir
peu après, mais tournenl tous néanmoins dans un même cercle,
celui de l'arl neuf.
E.MILE VeRHAEREN.
L'Hôtel communal de Saint-Josse
S'il est un moyen de provoquer l'éclosion de monuments
d'allure modernisante, au lieu des sempiternels décalques de nos
officiels poncifards, c'est assurément celui auquel va avoir recours
l'Adminislralion communale de Saint-Josse-ten-Noode : en déci-
dant de mettre au concours public les plans de son Hôtel com-
munal, elle entre en plein dans le sens des idées modernes; aussi
son appel à l'art jeune, à l'art neuf a-t-il droit à nos sincères félici-
tations, et la signifiance du résultai final ne fait, pour nous,
aucun doute.
El quel plus séduisant programme peut-on souhaiter! S'éri-
geanl au milieu du verdoyant square de l'Observatoire, le nouvel
Hôtel communal fera silhouetter son beffroi au haut de la colline,
el ce sera joie grande, pour les promeneurs, d'avoir l'œil amusé
par quelque morceau de pimpante architecture au lieu du bloc
qui borne actuellement la vue.
Les conditions de la lutte qui se prépare donneront, dit-on
satisfaction à tous les architectes : deux primes de 1,000 francs
et de SCO francs seront attribuées aux projets les plus méritants
le jury comprendra des délégués des concurrenU, les plans seront
exposés publiquement, etc.... bref toutes choses de légitime
revendication que la SocUU centrale iardiitecture a facilement
fait admettre ii Saiat-Josse et qu'elle n'a pu obtenir, en de récentes
épreuves, de la ville de Bruxelles, se heurunt lit k d'irraiionnants
refus de haute incompétence.
Nous reparlerons de ce concours, b tous les points de vue inté-
ressant.
Jhéatre
Xj» Voyage de Siuwtto
La diva Suzette poursuit aux Galeries son voyage triomphal,
rythmé par les sémillants refrains de Léon Vasseur. Ce nouveau
« Tour du Monde » a une fortune prodigieuse. Ou joue tous les
soirs devant une salie bondée depuis le parterre jusqu'au paradis,
attentive aux épisodes de la folle équipée, réjouie des cortège,
cavalcade, divertissement, ballet, pantomime qui font de l'opé-
rette de MM. Duru et Chivoi une féerie ii spectacle.
Le Voyage de Suzette est monté avec beaucoup de goût et joué
avec talent par une troupe dans laquelle figurent des artistes de
valeur : H"' Clara Lardinois, MM. Hinart, Guffroy, Larbaudiëre,
Caslelain, etc. qui tous ont fait. leurs preuves. M"* Lardigafy
détaille joliment les couplets dont est émaillée la partition ji^if^
apparition en costume de clown noir, à l'acte du ciroML 4^
sensation. M. Larbaudière chante d'une voix charmaq||f m fftie
d'André. M. Minart, a, dans celui de Pinsonnet, un coiQMpi^^ bon
aloi. Quant au cortège final, dans lequel figurent des j(Mk4'^ ^^^
vaux, un zèbre, un éléphant, un dromadaire, un laip. |Mte une
ménagerie, empruntée, dit le programme, au Jai^ t|0lQgique
de Hambourg, il émerveille les petits et amuse fetfnpd* fnfants.
On se demande avec effroi jusqu'à quelle 4*19 tpefl4f ^ ''^'^
H. Durieux va tenir ouvert son théâtre.
La Bouquetière dtt lB|iooanta
Le drame, le gros drame populaire exerce toujours sur la foule
une irrésistible attraction. Et c'était, en ces jours Je fêtes pas-
cales, le dimanche, le lundi, une vraie cohue qui s'était ruée au
spectacle que donnait l'AIhambra : la Bouquetière det Innocents,
grand drame historique en cinq actes el neuf tableaux, par
Anicel Bourgeois el Ferdinand Diigué.
M"* Rose Uesnoyers avait fort intelligemment mis en scène
celle pièce à spectacle, qui fil jadis pleurer le tout Ixelles des
premières en son théâtre favori. El l'interprétation était des plus
honorables. La directrice incarnait avec autorité le double rôle de
Margot et de la Maréchale. M. Garnier éiail excellent dans celui de
Jacques Bonhomme. M. Mary remplissait, ii la satisfaction géné-
rale, le personnage sympathique de Vitry, H. Chômé avait fait
une bonne rentrée dans le rôle d'Hcnriot, et H""^ Genot avait
créé un charmant Louis XIII.
Malgré ces éléments de succès, malgré l'illusion de recettes
énormes, l'AIhambra a dû, à l'éloonement de tous, fermer brus-
quement ses portes jeudi. Les frais étaient, paraît-il, si grands
que l'on jouait tous les soirs à perle.
Les amateurs de mélo en seroni, désormais, pour faire l'ascen-
sion de la Montagne de la Cour et aller se délecter aux émotions
de la Belle Oabrielle, installée chez M. Alhaiza pour de longs
soirs.
■:W
"ff:
L'ART MODERNE
113
Petite CHROf<iquE
Le (roisièine concert populaire est fixé au 19 avril. 11 sera con-
sacré tout entier ti la jeune école de musique française, dont les XX
ont fait connaître les principales œuvres pour musique de cham-
bre, et dont on entendra, cette fois, quelques compositions sym-
phooiques choisies parmi les plus intéressantes.
Au premier rang, la superbe trilogie de Walleiulein, par Vin-
cent d'Indy. La première partie, le Camp de Wallemtein, a été
exécutée au commencement de l'hiver par l'orchestre Lamoureux
avec le plus vif succès.
Les deux autres, A£ax et Thécla et la Mort de Wallemtein
n'ont jamais été jouées à Bruxelles, du moins il l'orchestre : on a
entendu, l'an passé, une réduction pour piano à quatre mains de
la troisième partie ii l'un des concerts des XX.
M. Joseph Dupont nous fera entendre, en outre, pour la pre-
mière fois, un fort joli poème symphonique, Viviane, par
Ernest Chausson. Puis l'ouverture de Fietque, par Edouard Lalo,
et la Rhapsodie cambodgienne de M. Bourgauli-Ducoudray.
Tel est, du moins, le programme provisoirement arrêté. Il est
possible qu'il subisse des modifications.
On nous assure, mais nous n'accueillons cette nouvelle que sous
réserve, que M. Léon Jehin est nommé chef d'orchestre à l'Opéra
de Paris.
L'Association symphonique de Tournai, fondée et dirigée par
M. Maurice Leenders, s'est fait entendre à Lille, où elle a exécuté
les ouvertures de Don Juan et de Fidelio et accompagné deux
concertos. Le succès de nos compatriotes a été très vif. Toute la
presse locale le constate.
De son côté, la jeune Société de musique de Mons, créée
par M. Camille Gurickx, a donné dernièrement une audition
remarquable. Au programme figuraient les deux premiers actes
d! Orphée (solistes : M"" Houzeau et M»» Ribeaucouri), deux
chœurs et un air du Messie (soliste : M. Van Esseo), l'air de Judas
Macchabée (M"* Houzeau), un air de Freischiitz (M. Preumont),
et les Danses norwégiennes de Grieg (M™" Franeau et Demerbe).
Exécution très soignée, révélant ce que peut faire d'un groupe
d'amateurs un musicien persévérant et convaincu.
L'Essor : litre d'un nouveau journal hebdomadaire paraissant
à Spa, organe du Cercle artistique et littéraire de cette ville.
Abonnements: Un an, 7 francs; six mois, 4 francs. Bureaux :
rue du Waux-Hall, 36, Spa.
Croirait-on que la Belgique a publié cinq mille périodiques
jusqu'à ce jour? Actuellement la statistique indique huit cents
journaux et trois cents revues, annales, bulletins, en cours de
publication, ce qui donne, selon le calcul d'usage, la proportion
d'un périodique par six mille habitants.
La Société des peintres-graveurs de Hollande a ouvert, à partir
du 4" avril, une Exposition î» New-York, dans le galeries de
MN. F. Keppel et C.
Sont représentés : M. Philippe Zilcken, M'" B. Van Houten,
Ml». W. de Zwart, Jan Vette, Maurils Bauer, de Le Haye; J. Van
Looij et i. Ed. Karsen, d'Amsterdam; Floris Verslcr, de Leyde;
A.-L. Kosler, de Harlem ; M'" Eiha Fies, d'Utrechl.
C'est à Berlin qu'aura lieu, cette année, le congrès annuel de
l'Association littéraire et artistique internationale. La séance
d'inauguration est fixée au samedi 13 septembre, en même temps
que l'ouverture de la session annuelle de l'assemblée des écrivains
allemands.
Voici les questions inscrites au programme :
1. — Assimilation de la traduction i la contrefaçon.
2. — Essai de législation en matière de Contrat d'édition.
3. — De l'uniformité du délai de protection de la propriété
littéraire dans tous les pays signataires de la Convention de Berne.
4. — Etude de la loi nouvelle sur le Copyright en Amérique.
5. — Etude du projet anglais de la loi sur le Copyright.
6. — De l'état de la propriété littéraire dans les divers pays,
notamment dans ceux qui n'ont pas adhéré à la Convention de
Berne. De la nécessité du maintien des Conventions existantes.
7. — De la propriété des œuvres musicales et de la suppres-
sion des mentions de réserve.
8. — De la reproduction des œuvres musicales par instruments
mécaniques.
9. — Du droit de reproduction en matière artistique.
10. — De la prochaine réunion d'une Conférence diplomatique
à Paris pour la revision de la Convention de Berne.
11. — De la propriété artistique en matière de photographie.
Le Comité invite les membres de l'Association à étudier ce pro-
gramme et à lui faire parvenir les observations qui leur paraîtront
nécessaires.
M. Camille Saint-Saëns est actuellement au Caire, où il compte
séjourner tout le mois d'avril. L'auteur d'Ascanio se porte à mer-
veille et occupe ses loisirs à écrire des œuvres littéraires. Quant
à la musique, il n'en fait point du tout.
Saint-Saëns vient d'adresser à son ami Louis Gallet une
pochade en un acte, en vers, qu'il destine au Théâtre-Libre.
Pour paraître fin de mars 1891 à la Librairie de l'Art, 29, cité
d'Antin, Paris : Rabelais, ses voyages en Italie, son exil à Metz,
par Arthur Heulhard. Ouvrage orné d'un portrait à l'eau-forte de
Rabelais gravé par Giroux, de deux restitutions en couleurs de
l'abbaye de Thélème.par M. Léon Dupray, de neuf planches hors
texte et d'environ soixante quinze gravures, portraits, vues de
villes, autographes et fac-similés d'après les éditions originales.
Un magnifique volume in-8'> soleil d'environ 400 pages, sur
beau papier. Prix : broché, 40 francs; reliure d'amateur, demi-
chagrin, télé dorée, 50 francs. Édition sur Hollande (70 exem-
plaires numérotés à la presse), prix : 80 francs; édition sur Jjpon
(S5 exemplaires numérotés à la presse), ISO francs; édition sur
vélin (5 exemplaires numérotés à la presse), 200 francs.
Les éditions sur Hollande et sur Japon renferment deux étals
de l'ean-forte (portrait de Rabelais), un étal sur Hollande avec
la lettre et un étal sur Japon avant la lettre. L'édition sur vélin
renferme trois étais : un état sur Hollande avec la lettre, un état
sur Japon avant la lettre et un état sur parchemin avant la lellre.
Un détail inconnu sur une œuvre d'art :
Quand le célèbre tableau de Millet l'Homme à la houe fut
envoyé à l'exposition des œuvres du maître, organisée en 1887
au quai Malaquais, un accident fâcheux eut lieu. Pendant l'opé-
ration du rangement des tableaux, la toile fut crevée de part en
part. L'accident fut réparé en toute hâte et, le tableau rentoilé, la
déchirure restaurée, il n'y parut plus rien.
Le Japon Artistique, dans sa 34» livraison, reproduit de
curieux portraits d'hommes en bois sculpté du grand animalier
japonais Sosen, un daim d'une vérité admirable, d'intéressants
« croquis rapides » et des scènes de la vie familière au Japon.
Le texte est consacré à une étude des arts industriels au Japon
par M. A. L. Liberty.
M
PAQUEBOTS-POSTE DE L'ÉTAT-BELGE
LIGNE D'OSTENDE-DOUVRES
La plût couru et la moitu eoûteute du voiet exlra-rapidet mire le CoNTiHsnT et {'Anolitiui
Bruxelles à Londres en . . .
Cologne à Londres en
-^Berlin à Londres en .
8
13
22
heures.
Vienne à Londres en 36 heures.
B&le à Londres en 20 «
Milan à Londres en 32
Francfort s/m à Londres en . . . 18 heures.
XROis se:rvice:is i^awi jour
D'Ostende à 5 h. 15 maUn, 11 h. 10 matin et 8 h. 20 soir. — De Douvres à midi 05, 7 h. 30 ioir et 10 h. 16 «oir.
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Pour tous renseignements s'adresser à la Direction de l'Exploitation des Chemins de fer de l'État, Îl Bruxblles; à l'Agence géniraU des
Malles-Postes de l'Êtat-Belge, Montagne de la Cour, 90*, à Bruiulles ou Qracechurcb-Street, n» 53, i Londbhi; i l'Agence des Ckemini de
fer de l'État Beige, à Douvres (voir plus haut); à M. Arthur Vrancken, DomUoster. n» 1, à Coloonb; à M. Siepennann, 67, Unter den
I.inden, i Berlin ; i if. Remmelmann, 15, OuioUett strasse, à Francfort a/m ; à M. Schenker, Schottenring, 3, à Vienne ; à 3/"« Schroekl,
9. Kolowratring, à Vienne; à M. Rudolf iieyer, à Carlsbad; i M. Schenker, Hôtel OberpoUinger, à Munich; à M. Detollenaere, 12,
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*
OnZIÈHB AMMtB. — N" 15.
Le numéro : 86 centimbs.
Dimanche 12 Avril 1891.
L'ART MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVDB ORraQDB DBS ARTS ET DE U LITTÉRATIIRB
Comité de rôdaotlOIl i Octavb MAUS — Edmond PICARD — Émilk VERHAEREN
ABOmrmairrS : B«lgique, nn an, fr. 10.00 j Union po»tale, fr. 13.00 — ANNOITCSB : On traite à forfait.
Adresser toutes les communication» d
l'administration générale de l'Art Moderne, rue de l'Industrie, 32, Bruxelles.
Sommaire
La Musiqub bn Bbi^iooe. — Lb TniATaE intbllbctubl. — A
PROPOS DB LA VBMTB ClaBBMBAUX. — ApPEL AUX AKCHITECTES. —
CinoLLBTTB DB LXVRBS. La Sanglante ironie, par Rachilde. Pretque,
par Francis Poictevin. — Conservatoire de LiioE. Troitiéme.
concert. — Pbtttb cbkoniqub.
U MUSIQUE EN BELGIQUE
De plus en plus, grâce à de persévérants efforts,
s'affine l'intelligence musicale de nos compatriotes. La
compréhension s'élargit, l'instruction se répand, et l'on
peut affirmer que de tous les arts la musique est le plus
exactement jugé en Belgique. Elle est <> mise au point >,
sons son jour le plus favorable, par des hommes de
sérieux mérite, qui en sont Ips enthousiastes propaga-
teurs : Oevaert et Dupont à Bruxelles, Samuel à Oand,
Radoux et Dupuis à Liège, Benoit et Blo<;kx à Anvers,
Kefer à Verriers, Van den Eeden et Gurickx à Mons,
Leenders à Tournai, etc , et dans chacune de ces villes
grandit chaque année son influence. Le goût s'épure.
Et tandis q.u'ea province les vitrines des libraires sont
encore encombréee de Montépin et de Georges Ohnet,
bouchant les issues de la littérature, que les expositions
de Beaux-Arts s'ouvrent aux seuls Herbo (nom géné-
rique par lequel une musicienne de nos amies désigne
tout ce qui n'est pas de la peinture), les programmes de
concerts sont soigneusement nettoyés des Burgmiiller et
des Luigi Borghèse d'an tan. On fait de la musique. Et
dans les centres les plus éloignés Beethoven, Wagner,
Schumann, Brahms sont des hôtes familiers, choyés et
fêtés.
Beethoven ! Il s'est passé à Bruxelles un phénomène
qu'il importe de signaler particulièrement. Déjà, dans
un article très remarqué, Victor Amould a haute-
ment loué le directeur du Conservatoire d'avoir fait
entendre, en une série imposante de concerts, l'Œuvre
symphonique entier du maître.
- Il fallait, dit-il, une compréhension de Beethoven
à la fois totale et spéciale, comme celle de M. Gevaert,
pour oser entreprendre cette besogne d'entasser les
unes sur les autres les neuf symphonies, sans crainte de
s'y trouver écrasé lui-même, et avec la certitude que
même un public ordinaire en comprendrait et en démê-
lerait les horizons successifs et toujours agrandis jus-
qu'à ce faite où il parviendrait, reposé et joyeux. Car
o'est le propre des grandes œuvres d'art que les com-
prendre, au lieu de fatiguer, repose. Le génie n'est pas
un monde hors de nous, où nous ne pénétrons qu'en
nous arrachant de nous-mêmes. Il n'est que notre pro-
pre humanité agrandie, plus féconde et plus large, et
à mesure que nous parvenons à le comprendre, nous
nous retrouvons nons-mèines en lui, mais prenant de
nous une conscience plus profonde et plus radieuse, et
par conséquent apaisés. Et de personne cela n'est plus
vrai que de Beethoven, qui est l'huinanité seule, et rien
que l'humanité élevée au-dessus d'elle-même, mais tou-
jours Adèle à elle-même dans la sincérité absolue de ses
passions, de ses douleurs, de ses rêves et de ses espé-
rances. Mais aussi l'homme complet, et se laissant aller,
dans sa liberté souveraine, à tous les mouvements spon-
tanés de la nature et de l'esprit.
C'est cette toute puissante liberté de Beethoven qui
ne subit la contrainte d'aucune idée préconçue, d'aucun
dogme et d'aucune influence étrangère, à laquelle il
doit d'être grand dans des champs si divers. Toujours
grand, parce qu'il est toujours égal à lui-même, et si
prodigieusement divers, parce qu'il se jette librement
dans tous les domaines, s'y mouvant dans la plénitude
de sa force.
Mai» il n'était possible au public, aux profanes
comme nous, de comprendre cette gigantesque diversité
dans une égalité de puissance, que s'il nous était donné
d'entendre la suite entière des symphonies, à de courts
intervalles l'une de l'autre, et avec l'impression anté-
rieure, encore vivante et fraîche, quand la nouvelle
arriverait. •
Pareille entreprise n'eût guère été possible il y a
quelques années, quand il fallait, pour attirer et retenir
le public, entremêler de banalités au goût du jour une
suite d'œuvres sérieuses, comme on promet à un enfant
une praline pour le décider à absorber sa cuillerée de
potion.
Le succès qui a accueilli la tentative vraiment artis-
tique de M. Gevaert, marque une étape dans l'éducation
du public en même temps qu'elle atteste l'excellence de
l'orchestre du Conservatoire, vraiment admirable dans
l'interprétation de ces gigantesques pages, et la haute
compétence de son chef.
Le souci de « faire grand » se décèle de plus en plus
chez ce dernier. Cette lettre adressée par lui au direc-
teur de la Nation le démontre :
Bruxelles, le 27 mars 1891.
Monsieur,
" C'est une grande jouissance pour un artiste d'être compris par
des personnes qu'il tient eu haute estime; aussi tous suis-je tris recon-
naissant de ce que tous avei écrit sur le cycle beethovenien au Conser-
vatoire.
• L'idée que vous me suggérez au sujet de Oluck répond à un de
mes projets les plus chers. Mais la réalisation en est presque impos-
sible. Pour trouver un orchestre de premier ordre, et toujours à ma
disposition, je n'ai pas à sortir de mon établissement. Mais comment
me procurer pour tout un hivei' quatre chanteurs di primo cartello
(un soprano dramatique, un ténor aigu, un baryton et une basse chan-
tante)!
• Les chanteurs capables d'interpréter Oluck sont tous au théitre,
et mtme en écrémant toutes les seines de France et de Belgique, on
ne réunirait pas facilement le petit quatuor susdit.
- N'importe. J'espirt bian troarw k joint » d* ea* jo«n.
. VauUla croira, Uoamur, i aM ■wHwiMli d* gntitadt et de
baole eonaidératiOD.
• F.-A. Omwâ^n ».
Quelle jonissance serait pour nous l'exécntion complète
du cycle de Olnck : Orphée, Armide, Akette, les denx
Iphigénie! Avec quelle joie noos «ppIandirÙMis i cette
artistique initiative! Comme ie dit M. Anioald, qu'on
ne craigne pas d'avoir la foi dn grand «rt. Cette foi-là
ne trompe jamais.
Tandis que M. Oevaert fait revivre les che&4'œavre
dn passé, Joseph Dupont ouvre tontes grandes les portes
de ses concerts aux compositeurs de l'école nouvelle.
Les Russes, les Allemands, les Scandinaves, les
Tchèques sont, gr&ce à lui, presque populaires à
Bruxelles. Et voici qu'il fait une large place & la Jeune
France musicale.
Vincent d'Indy, Gabriel Fanré, Ernest Chausson,
Pierre de Bréville, Camille Benoit, Charles Bordes,
Henri Duparc, toute la brillante, studieuse, intelligente
phalange de musiciens formés à l'école dn père Franck
est connue du j)ublic de délicats qui fréquentent les
auditions vingtistes, otl le violon d'Ysaye et la foi artis-
tique de quelques musiciens et d'un groupe de chan-
teuses ont été d'incomparables véhicules de la pensée
musicale. Ils font cette fois leur entrée officielle dans
la vie publique. Seuls, Saugefleurie et la Fantaisie
pour hautbois avaient jusqu'ici décelé le merveilleux
musicien qu'il y a dans l'auteur de la Cloche et de Wal-
lenstein. L'exécution de cette dernière œuvre et de la
Viviane d'Ernest Chausson au Concert populaire de
dimanche prochain consacrera définitivement la renom-
mée de Vincent d'Indy parmi nous en même temps
qu'elle révélera comme symphoniste de hante valeur le
compositeur de la Tempête, si justement applaudi en
février en ce foyer d'art et d'enthousiasme, les XX,
dont forcément le nom revient sons la plume à propos
de toute manifestation d'art neuf.
Aimanté au contact de ces œuvres fraîches, dépouil-
lées de toute tare, pimpantes de jeunesse et de vie
intense, le public iréclamera bientôt la série complète
des compositions jaillies de cette source nouvelle. Et
nous nous réjouirons d'une étape franchie, les désirs et
les espoirs tendus vers de plus lointains horizons.
Car toiyours l'art marche, marche, et chaque con-
quête qu'il fait n'est qu'un point de départ pour une
expédition nouvelle.
LE THEATRE INTELLECTUEL
L'entreprise va être lancée ti Paria; du moins on en parie et
déjà le nom seul de théâtre înlellectuel fait fortune. II résume
des aspirations vagues il y a encore quelques années, aujour-
d'hui précisées. Nous n'avons plus de préjugés sur les formes
6f!^P'T' s
de l'art : qu'elles nous inléresicnt el nous fassonl untir vive-
ment, nous ne demandons pas plus. Si bien que nous nous
portoni avec ardeur vers tout ce qui peut paraître un coin encore
inciploré. Le IhéAire, — définition classique, — nous avait
toujours été présenté comme le miroir de la vie sociale : tout un
temps s'a^lant sur dos Iréieaux aux applaudissements de ses
contemporains. Par déduction de cette définition, le théâtre ne
pouvait s'adresser qu'à la foule, redire les grandes moyennes do
la vie, faire de la morale « censitaire el bourgeoise, éloquer des
lieux communs plus ou moins relapés. »
Hais ëmetiro des idées, spéculer, méditer, ponctuer de la psy-
chologie suprasensible, ce n'était pas matière ihéAtrale, cela.
Sans doute, au sens strict de lanldl, qui empêche pourtant
d'utiliser à d'autres fins ces remarquables moyens d'expression
artistique : la voix humaine, l'attitude, le geste, l'expression, le
costume, le décor? Alors, parce qu'il ne platt à quelques-uns
que de. faire de la liltéi^ture d'exception, ils devront se borner
au « ttaéfttre dans un fauteuil »? Non. Inlrinsè(|uement, rien ne
peut s'opposer b l'emploi de ces moyens par les intellectuels. Et
déjh ceux d'entre eux qui ne se sont pas cantonnés dans le
roman ou le volume de vers ont dissipé les derniers doutes. Ils
ont écrit heureusement, il reste ï les jouer audacieusement.
Le Théâtre-Libre, daniioa ensemble, a élé surtout, jusqu'ici, le
théâtre naturaliste, suivant à plus de vingt ans de distance le roman
du même genre. Mais à mesure que les transformations se suc-
cèdent, elles précipitent leur cours, puisque di'jà, simultanément
au mouvement d'art très réel qui entraîne le livre vers la pensée
de plus en pins pure, on constate un courant du théitre dans le
même sens.
La voix de l'homme, l'expression de figure de Ihomme,
quelles grandes sources d'intérêt ! Il'a suffi de l'une pour fonder
la Pantomime et la restaurer .'i nouveau tout dernièrement. Quant
i l'autre, .la vuix de l'homme, on est resté étonné des résultats
qu'elle n obtenus il y a quelque deux ans, quand de jeunes
poètes s'uvisèreni, au Ibéâire de la rue Vivicnue, de faire monter
pour marionctics ce qui ne l'aurait pu être pour des acteurs
vivants, la Tempête de Shakespeare, par exemple ; cachés der-
rière la toile des décors, ils redisaient, aussi nombreux et variés
que les personnages de cire qui gesticulaient devant le publie,
les paroles mises dans la bouche de chacun d'eux par l'auteur.
C'était du théâtre intellectuel cela, car la Tempête, avec son
milieu de fantaisie, ses êtres symboliques comme Prospcro, Ariel
et Caliban, n'est en somme qu'une longue exposition d'idées
concrétisées dans des personnages.
Les saperbes Dialogua de Platon, les imagine-t-on offerts en
régal spirituel par quelques acteurs intelligents, ajoutant le
charme de la voix el la vie du geste à la grandeur des idées du
poêle philosophe?
Parcourant toute la littéralure, on ferait ample moisson de
litres qui trouveraient toute indiquée leur place sur le programme
d'un théâtre intellectuel. Dans l'aulrefois comme l'aujourd'hui, il
n'a jamais manqué d'hommes pour réfléchir et trouver que la
seule Idée valait la peine qu'on s'en occupit. Ce furent, ce sont
encore, les plus loin des matérielles occupations de tous les jours,
les plus loin des impressions purement sensibles. Ils goûtent les
pensées pour elles-mêmes et pour la joie d'esprit que peut donner
leurs combinaisons. La mission de ces hommes est de nous
enrichir de concepts el de points de vue nouveaux. C'est bien. Ils
onl droii an Théâtre intellectuel.
A PROPOS DB LA VENTE CLAREMBAUX
Nous insistons sur la vente de tableaux tenue lundi et mardi
derniers, rue du Congrès, sous la direction de M. Clarembaux.
Depuis un temps long, pareilles enchères n'j(vaient élé mises.
Quand un tableau belge atteignait en vente publique 2,000 ou
3,0Q0 francs, on applaudissail dans la salle. Lundi et mardi der-
niers, les applaudissements ne se sont levés qu'à des prix de 6,000,
8,000, 40,000. Les collectionneurs bruxellois — presque tous —
étaient présents, les uns par curiosité, les autres pour soulenir
tel numéro au catalogue de leur peintre favori, el ne permettre
point qu'on adjugeât la toile en dessous d'une nette valeur; les
autres encore pour compléter d'acquisitions nouvelles leurs gale-
ries ou les renouveler. Car une galerie doit se... tenir au courant,
tout comme une bibliothèque. Par ceseul moyen là, elle se main-
tient en vie ; sinon, qu'est-ce? — une belle chose déjà morle.
Nous connaissons de braves amateurs dont le goùl s'est moisi,
après une première affirmation d'art. Leur collection, quand elle
s'ouvrit, était accueillante d'œuvres jeunes, et même ce fui par
ces seules œuvres qu'elle prit place dans l'attention des critiques.
Malheureusement, les tableaux hypnotisent. Nos braves amateurs,
toujours en arrêt devant les mêmes toiles el toujours débiteurs du
même petit verre de commentaires et d'éloges servi à chaque visi-
teur, onl fini par ne plus voir auKlelà de leur cymaise, j'allais dire
comploir. Rien n'existe si ce n'est leur peinirc, — chacun en a
un ou deux qu'il adope, — rien ne vaut si pas telle peinture
ayant tulles qualités ou souvent tels défauts. Les uns ne jurent que
par les peintres flamands, — et toutes les écoles au fond dérivent,
d'après eux, des flamands, — les antres ne tablent que sur les
romantiques et les réalistes français. Quelques-uns vont jusqu'aux
impressionnistes, Monct compris. Je n'en connais qu'un seul qui
ail un Seurat.Tous, les uns des autres disent pisque pendre. Tous
croionl avoir le plus beau tableau de chaque peintre doni ils oui
inscrit le nom à leur catalogue. Peu d'entre eux se prouvent
artistes ou esthètes; ils guignent la bonne affaire, le gain pro-
bable au bout de quelques années. Depuis qu'Arthur Slevens n'est
plus, ils commencent à oublier ce qu'il convient de dire soit d'un
Millet, soit d'un Daubipny, soil d'un Mcissonnier. J'en sais aussi
qui ont un peintre — le leur — comme répétiteur d'esthétique.
On esl tout étonné, quand on converse avec ce dernier, d'avoir
entendu déjà, dans la bouche d'un monsieur, ses appréciations et
ses enihousiasmes. Jusqu'à ce jour, le peintre ainsi dédoublé ne
s'est point fait payer ses leçons. Bien à tort, car orner l'esprit de
quelqu'un esl plus précieux qu'orner ses salons,
Nous reviendrons un jour sur la physiologie de l'amaieur.Pour
l'inslanl, il s'agit de la vente signalée au début de ces paragraphes.
On y a vu des œuvres belges atteindre de beaux prix. Les Sle-
vens surtout — el celui des deux dont le talent est le plus
inconlestable, nous voulons dire : Joseph — a spécialement
élé favorisé. Tandis que la Causerie d'Alfred, certes une toile
importante et hors rang, n'atteignait que le 8,000 francs, une
simple esquisse de Joseph, le Maréchal ferrant, s'esl vendue au
delà de 2,000 francs. Lesjnoindres tableautins de l'animalier onl
été disputés avec ténacité. On payait 500, 600 et même 800 francs
de petites scènes admirablement peintes mais dont la dimension
ne semblait devoir solliciter beaucoup.
Trois Henri de Braekeleer affirmaient ce peintre merveilleux,
ce vrai maître silencieusement mort dans son coin de province.
' iiH' *«»?^r^;'.?"- ■■■ ■
MM <!• *• M: »oil AtttHté \» y«im et: toiltr nn teal rtrtrién sa
yt/mfp^. «ie «m eenwàl Tmdtf qmt U» Coibit et ks rcrbt...
F»fiw» M» Ire»» MM<i««n»« an caulutfDe. (« BUeMt nooi «q»*-
r»î«»l *»nfmt, pur knr imMiié éebt. L«* «utmtBsM, m«* aroM
Mrffi* qo* e'éwrt frt** i la looebe neme, i b bctore Tibratife
/|i»* e* Ut^^D H\iy*sin *» TiOMiM, uw». O pemlre unique aw«
(éoi tmtMi UmttMf^M » fnetiomtt tes Maf* àt hrotie et à •«
f»*i»l n^Mkr — v«i («ridnie <te Mirtltmite — detaol k u» por.
Hiwiear» f»>w il »««« » *«iS domi* (fadmiref «ue Modaine ioi»-
valMM iolrofimu: y» U malire « «« damier» effort* d'art. Qoand
00 rjtftîiyitf, U* BihthU i la fUeMU du pomma de Urre, on
Jo|«; <lo liwi mai* iri'/mpbaat ehemio parcoarn. Au poinl de Toe
d« iKwl m^i*r, le ((rf>j[r*« fM A'a». érideote neite, landii qoe
l'ooe peiolnre «a uynre en Iam aereax de paleue, l'aaire eit
^ifsinU!, «laire, ehanlaote — elle tîI.
Un« mafniriqae et lar^e e*qaÛM< de DaobiKDjr impocait ce
(Mnatr«r ; également une aquarelle lonte ra baot Mjrle de Rouacean.
«finalement encore ooe académie létère, mai* magistrale de Céri-
r.»ult.
l'n 1/7* (\>rirm\hf. manière, la romantique; •ollieilait ver» un
latan/ ftihni/;^ en de* livre*, awti* dan* on liaot faaieail, éclairé,
limii^rf; (fn plein viugf, i la Rembrandt, et peint arec la pre*ies«e
et IVipril (le eertainn httiey. Il a été adjugé, modiqnemenl, i
fiW) franc».
Par contre un Ziern — crème et fanfrelache» mêlée» — a (ail
»aui<; mouton 8u.dc»»u» de S,W)0, 6,000, 7,000, 8,000, 9,000 fr.
pour ne «'arrêter que devant 10,0(>0 franc». Il a été acquis i
0,W)0 franm. f>rle» ce peintre a rapporté jadi» de Hollande des
loilf!» Ir^n article*, mai» toute» »es études de Venise ont été
trcmpiie», dirait-on, dan» ce» pati»*cric» en plein vent, remplies
de Klace ^ la vanille, de Rucrpries à deux sou», d'orgeats et de
»irop« en petit» serre».
Un François Bonvin ordinaire et un Roybet idem n'ont pas-
«ionni'i que les Nc»»icur» qui, en peinture, paient la »ignature
plu» voloniicr» que l'œuvre.
MM. Wauter» et Courlen», les deux médaillé», ont débité leurs
feuille» de laurier. Un Jo»eph Hcymans, quoique de moyenne
dimension, a atteint k bon droit 1,800 francs.
Voilb — sauf oubli» — le» principales sommes d'argent dont
on H couvert ï juste ou i injuste titre tels carrés de toile i la
vente Clarembaux. Le» mu«éc», croyons-nous, n'ont rien acquis.
Nous »(.'rion« licureux de nous tromper, car rien n'e»l plus Irigte
que de voir i de telle» vente» l'Ëtat représenté par un personnage
toujoum ccrte» correct et grave — mais muet.
l'our finir, la liste des encbère* :
Ai.KKïD Stïveks ; La Femme à In Colombe, 10,000 fr. —
La Cauierie, 4,R00 fr. — L'Inde à Paris, 4,000 fr. — Soleil
couchant, l.nSO fr. — Mélancolie, 1,500 fr. — Esquisse pour le
Panorama du Siècle, 1,200 fr. — Au H dure, 900 fr. La
Femme à la Hoie, 728 fr. — Tite déjeune fille, 62S fr. Tite
(U jeune fiUe (pastel), 400 fr, — Fleurs, 400 fr. — Le Malade,
378 fr, — Préi du JJAvre, 328 fr, — Vue de Lac, 300 fr.
JOHKPII Stkvins ; La vieille lice, 4,800 fr. — Chex le Maré-
chal, 2,380 fr. — L'Ane du Saltimbanque, 1,900 fr. — Une
épisode du Marché aux chiens, 1,200 fr, — Une Correction,
080 fr, — Le Deuil du Savoyard, 480 fr, — Elude, .300 fr.
ZfKM : Marine, 9,800 fr.
Madou : La Fêle au château, 6,800 fr, — L'Echoppe d'un
y«i/(«quiirL'llc), 600 fr, — Que deviendra-t-il? (aquarelle) 828 fr.
Comna : Mr. «.«M Cr. — JU Pratric. 4,«M fr.
sie w€su, 9.3M fr. — Fw dic BiUnàt. l.Mtfr. -
f,n«fr.
WAmu : FristétSssfma Vmm égr Omtiimqim
ifprML m iMée de ■rôdlei. tuwmlr tmàfkt pw Fa
S,MO fr. — UmeOummtkétmwttftm ifi, 8M fr.
DuManr : P^Mf*. 5.4M fr. — Vméilm Têêùm, «.360 b
OuMiMt Jacqsi : Mcmimu t'ttrmamml, 4,1M fr.
AoBiMDn : Dem* imfÊMU, «.900 fr. — L« rnsèn, 1,300 fr
— Lit JeUmr de fierrtt, 4M fr.
Bonn : Qmenti* Dwrwari, «,900 fr.
L. DcMMS : Nêtmre morte, 3,500 fr. — Le Meisu frit de
Dorirtekl, 950 fr.
Ta. RoomAC : L'Eunf (aqnrdle), «,300 fr.
Vai Hau : Oûen ée ierfir, «,«00fr-
MucAOLT : Homme nm, «,100 fr.
Cl. Hnuuiu : Là Femme am miroir, «,100 fr.
F. Wnxna : Lss FrileMU, 3.000 fr. — L* Bomqatt, 1,300 fr
Duz : Le Baiur. 1,900 fr. — Flemr», 650 fr.
Hinuss : Une More en CamftHe, 1,800 fr.
Valu)!! : Intérieur daUlier, 1,650 fr. — PqfMfc, 535 fr.
A. VnwAs : Dons Im prairie, 1,300 fr. — Um Ane, 650 fr.
Pb. Rodmkad : Un Coin de basse-tour, 1,350 fr.
D. Otbhs : L'HabUué, 1,300 fr.
H. Di bBAUiLiu : Bibdou. 1,150 fr. — Lo BéeoUe du
pommes de terre, 1,050 fr. — Intérieur d'égliu, 800 fr.
Botnr» : Les Forgerons, 1,150 fr.
E. Sum : La Siesu, 1,100 fr.
E. Vehoeckboteii : Intérieur de bergerie, 1,000 fr.
J. Stobbaebts : LEiable, 1,000 fr.
RoBBE : Vaches au pâturage, 1,000 fr.
J. Breton : L'Enfant de chœur, 900 fr.
Leloib : Les Amateurs (aquarelle), 850 fr. — Dans U Cime-
liire (aquarelle), 800 fr.
KoEKEOEK : Paysage, 830 fr.
C. Mednieb : Le Forgeron, 650 fr.
Lets : Le Cabinet Sun Savant, 650 fr.
De Kntff : Paysage, 600 fr.
NusiN : Manne, 500 fr.
Appel aux architectes.
En une courte mais substantielle plaquette rétumant ses éludes
et ses travaux depuis vingt ans, la Société centrale iarthiteeture
de Belgique fait valoir les avantages d'an de ses nouveitu rouages
adminislralifr, le Comité de défeiue juridique, asioré dès mainte-
nant de la collaboration de membres éminents du Barreau, et
dont la création répond i une absolue nécessité corporative.
Pour nous qui, depuis longtemps, avons pu constater la vail-
lance de ce groupe de talents jeunes et vibrants, afsoiffés d'an
nouveau, qui nous rappelons ses intéressantes expositions et le
voyons chaque jour lutter contre le mauvais vouloir des admi-
nistrations pour faire admettre le principe si juste et si fécond
en heureux résultats des concours publies, ce nous serait une
vive satisfaction de voir de nombreux architectes grossir les rangs
des membres de la Société centrale d'architecture et augmenter
encore la part d'autorité et d'influence que celle-ci s'est justement
et patiemment acquise.
,."?^-7'';s!W5f^-^.nî-^JJ'ii'»-
Ce qui démontre bien le oaractère élevé des éludes auxquelles
elle se livre, ce sont les délails même de son orgsuiiation inté-
rieure; tenus au courant, par soixante-dix publications pério-
diques, de loni ce qu'érigent et pensent leurs confrères de l'ancien
et du DOttTeau monde, les membres, répartis en sections d'art,
d'archéologie, de construction, de jurisprudence, dissertent des
hautes questions professionnelles et se livrent k d'incessants
échanges d'idées avec les sections ramifiées en province et b
l'étranger : de Ui sélection de documents et d'arguments d'où sor-
tira, chrysalide actuelle, l'art rationnel du xx* siècle.
Cette initiative, cette propagande d'encouragement mérité, ont
droit ft un complet succès.
j3uEILLETTE DE LIVRE?
La Banglante ironie, par IUchlob, pr«fac« de Camilui
LmoNNiBB. Un roi. in-16 de 298 p. — Paris, Lion Oenonceaux,
1891.
C'est une curieuse physionomie littéraire que celle de Rachilde,
homme ou femme, femme paraît-il, mais ayant, k coup sûr, des
aspirations très masculines. Son premier livre. Monsieur Vénus,
avait précisément pour sujet une femme prétendant agir en
Jiomme jusque dans les opérations toutes spéciales pouf lesquelles
ce rôle loi convient le moins. Aussi, en dépit de qualités fort
originales, l'œuvre nous avait déplu et nous avions rangé
Rachilde dans la catégorie des auteurs agaçants que nous
avions renoncé k lire. Mais voici que, par l'attirance d'une
préface de notre ami Lemonnier, nous avons été amené à
tenter de nouveau l'expérience et à mesure que se déroulaient
les pages dn roman, les préventions trop vile accueillies ^e
dissipaient et nous étions captivé par cette lecture attachante.
Certes, cOmme dans l'œuvre première, on y retrouve le piment
d'un étrange amour dans la passion de cette jeune femme u morte
de la pointe des seins i la pointe des pieds » et dont les lèvres
n'en sont que plus avides de baisers, pour ce jeune homme héri-
dilairement névrosé, tout meurtri des ironies de l'existence; mais
que chaque personnage y reste bien dans son râle et que les
héroïnes du récit sont adorablement féminines, depuis celle dont
le sexe éteint n'empêche pas la cérébrale floraison des plus capi-
teux désirs, jusqu'à cette Grangille, au sexe triomphant, dont les
poings sentent l'oignon et qui, si logiquement, cherche sa voie
dans les bras d'un épicier au moment où, par une dernière
ironie, son amant, épris d'idéalité, la tue par exaspération de
toutes les banalités qu'elle magnifie. Les hommes aussi ont des
caractères bien marqués et l'officier gentilhomme accolé ti sa
cuisinière, le jeune paysan fanfaron, le professeur défroqué,
cherchant i user dans les plus rudes travaux des champs sa
préoccupation de la femme, le millionnaire jouisseur, le médecin
de campagne, positif et égoïste, forment avec la nature doulou-
reusement raffinée du personnage principal autant d'oppositions
violentes dont chacune contribue i justifier le titre du livre. — El
le paysage aussi ajoute ses contrastes à ceux des sentiments :
après les prés en fleur et les collines du Périgord où coule, au
pied d'un talus de chemin de fer, le ruisseau dans lequel Gran-
gille est si vexée d'être surprise lavant ses linges saignants,
l'horizon est tout li coup rétréci au mur lépreux d'une cour de
Paris symbolisant les misères de la grande ville dans les variations
de ses moisissures. Le tout est d'une observation très précise.
jd'une analyse évoeative qui ne recule pas devant les obscurs
problèmes psychologiques. Nous en recommandons la lecture
sans oublier celle de la préface de Lemonnier où l'on retrouvera
l'abondance d'images et la richesse de style auxquelles il nous a
habitués.
Presque, par Framois Poictivin. Un vol. iu-lS de 221 pages.
— Parti, Alphonse Lemerre, 1891.
Les titres de précédents ouvrages de M . Poictevi n étaient Songes,
Paysages ei nouveaux songes, Derniers songes. Il eût pu nommer
celui-ci Nouveaux derniers songes. Ce sont, en effet, des impres-
sions, déterminées il peine, ayant encore l'immalérialilé du rêve,
Presque. Dans les églises, dans les musées, k la morgue, sur tes
grèves, dans les églises surtout, l'artiste promène son besoin de
sensations raffinées et lorsque l'inspiration lui esi venue apportée
par un état du ciel, par un pli de robe, par un geste de prêtre,
par l'attitude d'un saint dans un tableau, par la solitude ou le
silence, il la fixe en termes recherchés, tout remplis d'au-delà,
en une prose dont, l'auteur nous l'apprend, Edmond de Concourt
a dit qu'elle avait « des victoires sur l'invisible ». Dans l'impuis-
sance d'analyser, citons, au hasard, impuissants aussi à choisir,
une de ces mystiques visions. C'est à Menton, en janvier :
« La grandeur délicieuse de certaines nuits de lune est d'intro-
duire l'homme quelques heures dans le ciel — fragile patrie
d'azur qu'habitent, que veillent de mulliplement tremblantes
lampes et qu'ici-là par instants on aperçoit mystérieusement tres-
saillir. Cependant les lunaires nuits de préférence me reviennent
du Nord, zéphyrines et lactées. El, ce matin, l'horreur rouge du
ciel sur la mer m'a rappelé les sacrifices sanglants des Phéniciens
au faux dieu. De l'autre côté, au dessus des montagnes violet-
pourpre, la lune perdait dans le bleu pile sa fondante blancheur
de glace...
a Ce soir, dans la sombreur grandiose du ciel bleu, une étoile
un peu au dessus de la somnolente mer s'ablmail en sa scintilla-
lion élincelante, cœur de Saphir à la cruciale bordure diaman-
line. Dans l'eau baignait une émanation de l'éioile, colonne.ficti-
vement isolée, ombre luisante. Et des souffles inlerrompireni,
effacèrent k peine le rêve se pulvérisant encore de l'incerlaine-
ment frissonnante mer ».
^ONgERVATOIRE DE JilÉQE
Troisième concert.
(Correspondance particulière de l'Art mooerne.)
Au dernier concert annuel du Conservatoire, M. Radoux a repris
Roméo et Juliette de Berlioz, que déjà il avait exécuté avec succès
en 1882. Le succès s'est accentué. En ces dernières années, le
public des concerts liégeois a fait quelque progrès; on l'a tant
travaillé qu'il écoule maintenant, sans ennui et sans trop
d'impatience, de la musique de Berlioz trois heures durant.
Roméo et Juliette n'offre pas cependant au public la disiraclion
des solistes, ni l'illusion du théâtre, comme le fait la Damnation
de Faust. Pas de trio, pas de duo dans Rotnéo et Juliette, une
part relativement petite laissée aux voix, et l'orchestre dominant,
avec de ci de là des longueurs et des choses jolies, mais bien
inutiles à l'œuvre. Ainsi, le tcherto, si délicat d'expression ei de
capricieuse légèreté, est une fantaisie aimable dont la suppres-
W^W^W?mW^-
«MH ^tmmltnii ii fimitwMié 4e ir<cw«rc, Aias) ttÊean le faoA,
«fil*» pir»4«fHrme tMlyi'l«t^, «Tivauf tuifmtniie ktaicar 3) etttaim
ewilrrviw, est l<Mf «iémieMwNnmi, ^mpÊti %mf Tmiâaemt da fi«ii«e
ffMfMwr ifiï'aqMKMitait ie pvtyHofiMr, Dm» le pmolofve \e tdker-
zetl« ymêf viM< de iéum, irè» featÎMCM etaMé f»r u éièfe da
(««««Tv^f'Atire, M. ]f»réeM, punit, lie» qtte tri» ffneiem, \ wt
ifi^tlher e» rien îitAtriAaefMm.
Il nemUe qae tetVtryi, itmithé pat tiU», ne *e Mil «Muebé qo'i
re)(r«t de» eenteepiiot» Mteeesfive» qu'éroqnaiii «n *oa imt pa*-
«iiMiné» te b«»a dnme de %h»keiifie»n. Il en résalle qoe TiMpi-
fa4io« «9t |i>Im eAttteime, pliM fénéreuMe qoe dao» b DamnmlUm
âe F(uul, qn'il ]r » prtos de (fnofae, fulo» d'ébo ; ries peat-élre
n'^teH'U (faiM AtNw^ </ JuUeite « llnroeatioa i b aalure « et b
« f/mne % TaMme * «Je te Damnation, mai* en reraaebe l'œoTre
enlîérc «emble empKMtte p»r on «oaSe plu* grand.
1^ ieeooàe psntie, vite sa poiManie ofcbestruion dans
laqoelle *e mile Si la ebaneor de la «te la mélaacoliqnc rCrcrie de
Rom^, ehuntée en one pbraae, ploMeiirs fois répétée, pat les
Tioloos, — la « teène d'amoor », no pea longue mais éfoeairiee
pwrianf, — la qBairi*ine panie, pour laquelle il faal faire abstrae-
lion de, la nnu: laissée par Berlira dans la grande partition, — toot
rM» »f>nl de 1res belles pages musicales.
« U con»oi (uai:iire de Juliette », arec la marche lente qui se
rl^^veloppe ^ i'r>rchesire et la plainiire lamentation qoé les voix
psalmodient »or une seule noie produit une impression de deuil
lugubre, saisixsante.
iJans le final, l'air du Wrc Laurence, la première phrase sur-
U>ut, et le serment de réconcilialion sont du plus grand lyrisme,
l/'orcheslre a donné unecxéculion satisfaisante, bien qu'un peu
in*igalc, de liom^o et Juliette. Les cor» d le» violoncelles n'éuient
pas brillants. Mais on sentait que N Radoux, épris de l'œuvre,
l'avait étudiée, fouillée, et !i rie certains moments quelque chose de
sa conviction passait dans l'orchcslre. Le» chœurs ont bien
marché, M. iaeques Bouhy clianiait le frère Laurence avec une
grande rorrecton de diction ei de scnliment, mais d'une voix
insuffisante dans les notes basses.
La première partie du programme éuii réservée il M"* de Saint-
Moulin et il M. Bouhy. Remercions N. Radoux de n'avoir pas pro-
duit celle fois d'habile» chanteur», mais de nous avoir fait
entendre de la grande musique. En effet, c'est bien moins M"* de
Saint-Moulin et M. Bouhy que Vu air de Rinaldo » de Hacndel et
le « Héciiaiif et l'air d'Agamemnon » dans )phigénie en Aulide
de Oluck que nous avons enlendus. Admirable, sublime musique,
de quelle grandeur et de quelle simplicité ! Et plu» encore l'o air
de Rinaldo n.
La voix de M"« de Saint-Moulin a perdu, mais la chanteuse con-
serve du goût et de la conviction. Quant à M. Bouhy, il a chanté
l'air d'Agamemnon de sa voix chaude, avec une ampleur et une
simplicité lout i fait remarquables.
Petite CHROf^ique
("est samedi prochain que commenceront, au Théâtre Com-
munal (rue de I.acken), le» représentations du grand tragédien
Rotii. Los spectacle» seront : Othello et le Roi Lear (Shakes-
peare), Kenn (A, Dumai), LouU XI (C. de la Vigne), Richelieu
(Bulwer), La mort d'/van le Terrible (ToistoT).
m lUMnieia 1
rjoam : 1. Wmmum, irfltpe (Api«* >* ptme
Sdûatt\.TmimH1mig.Çtnminaéa6mtom^
plèlei •mcBea). L Utamtp i* Wilmliii; B-Unn TUda
(Lca Ktniammi;m. La aort «le WaBcHim.
DmabB rasns : I. latradacim de > Fiript », tfWiwanl
Lalo. (Première oéceiioa k BrueOcs) ; 1. Fhmm, potee ^n-
pboaiqae posr orcfaeaire, «TEraeat Oammam. Çhtmâin eiéen-
lioa); 3. ftSmàe da 9* acte de GmemioUm*, de E. Ckafaricr ;
4. Sêficiû QumMfiemme, de Bowgaidt-IleeOMlny. {Prtmùète
nteuioa) ; ^ . ImnMlwiMMs-Léfewie ; A. FMe ; 5. OatertHc ■ Le
Canmal Boaaie », d'Hector Beriioc
La répéliijoa générale aura lien samedi,» 9 t[l beorcs précises,
dans la salle de la Crande-Hannoaie.
Le manqne d'espace nous eap«ehe d'a;:coider an eonpie-iendo
do denxièoie cooeert des Artiste* nuukieiu le déreioppeineni
qoe nous aurions roaln loi donner. Bornoos-nons k eonsiater le
très grand soeeès remporté par M. Joaehim dans le Cmtcerto, la
romance en (a de Beethoven et one fogne de Bach pour violon
solo, et par M— de Kuovina dans l'air d'Oi^wi et dans V Amour
de Mgrio de M. Le Borne.
Ce dernier a fait entendre une suite d'orchestre qui marque un
progrès sérieux sur les œuvres précédentes du jenne composi-
teur. La bclore se précise et la personnalité s'accuse.
Le Club tymphonique, fondé et dirigé par M. Emile Agniw,
vient d'offrir la présidence d'honneur de son association k M. Vic-
tor Boch, dont la haute honorabilité et les goûts artistiques sont
appréciés de tous.
Des adhésions nouvelles assurent l'avenir du jenne cercle, qui
a récemment, en un concert fort intéressant, affirmera vitalité.
MU' Linda Diaz donnera les 13, 18 et 40 avril, i» i/i heures
du soir, trois grands concerts au Palais de la Bourse (salle des
Ingénieurs). MM. Arehaimbatid, Francis Rodriguez, Sansoni et
Van Gael lui prêteront leur concours. Les programmes, très
variés, portent des œuvres classiques et modernes. Beethoven,
Schubert, Moiart, Mendeissohn y coudoient Chopin, Rubinstein,
Grieg, et, nécessairement, les compositeurs ilalicns : Rossini,
Donizetli, Verdi, Fosli, Ardili, etc. L'Espagne est représentée par
MM. Nonasterio, Sarasrte et Fraocës Rodriguea; la France, par
MM. Delibe», Widor et Archaimbaud.
W Dyna Beumer donnera également un concert le 23 avril, à
8 1/9 heures, a la Grande-Harmonie.
Dyna Beumer aura pour partenaires M-« Lcfebvre-Moriamé,
MM. Heuschling, Moussoux, Sansoni et Massage.
M. Félix Cogen, à l'instar de M. Blanc-Garin, expose en son
atelier les travaux de ses élèves, et il convie le public i venir les
voir. De celte visite naît celte constalation : N. Cogen a des élèves
appliquées, studieuses, dont quelques-unes paraissent avoir des
aptitudes pour l'art auquel elles se consacrent. On remarque les
pcinlures de M"« A. de Haulleville, les dessins de M"" Brassine,
S. et E. Huberii, Sacqueleu, etc. L'enseignement est donné
simultanément d'après le plaire, d'après le modèle vivant,
el la peinture d'accessoires marche de pair avec les études de
figure cl de paysage.
^iy.:'
L'ART MODERNE
121
La distribuiion des pris aux lauréats des concours de l'Ecole
de musique de Verviers aura lieu jeudi prochain, k 7 h. 1/1 du
soir. A cette occasion M. Louis Kefer, directeur de lÉcole, pré-
pare an concert dont le programme décèle, une fois de plus,
l'esprit d'initiative et de progrès artistique qui anime cet excellent
mucisien. M. Kefer fera exécuter le premier acte, en etitier, de
Lohengrin (solistes : M"** Lamboray et Delsante, MM. Smeeslers,
Bouxman, Duyzings et Juky).
La seconde partie du concert est consacrée ii l'audition des
lauréats qui se feront entendre dans dÏTerses compositions de
Haendel, Schubert, Max Brucb, Saint-Saëns, Grieg et Sarasale.
Pour finir, la « Marche des Fiançailles » de Lohengrin.
Un programme explicatif, avec exposé des thèmes, sera distribué
aux auditeurs, selon l'cxcclleote coutame introduite & Verviers
par M. Kefer.
H y a en ce moment, tant en Belgique qu'en France, une
floraison littéraire étonnante. Chaque semaine amène l'éclosion
de quelque revue nouvelle, presqu'invariablement vouée à la
difiusion des idées jeunes, et le nombre de volumes qui tombent
en avalanches dans nos bureaux ne se compte plus.
Citons, pour compléter la liste des revues récentes : A u Coin
du feu, journal mensuel, publié i Verviers en fascicules de huit
pages in-folio, avec supplément. Rédacteur en chef : A. Deiry.
Bureaux : rue Neuve, 2!5, Verviers. Abonnement : fr. i-50.
(Etranger : i francs.) Devise : Pelil poisson deviendra grand.
Les Essais publiés par le Cercle littéraire français, paraissant
tous les mois k Gand en livraisons in-4" de 16 pages, coquetle-
mcni imprimées par M.L.de Busscher. Le numéro d'avril conlient
entre autres \' Escarpolette de A. Westermans, la suite de VIdylle
muge de Louis Véhenne, Pour un baiser de Carlos du Fay, le
Hnmard de V. Lézar, elc Bureaux : rue de Flandre, 71, Gand.
Prix de l'abonnement : 4 francs par an.
L'Ermitage, excellenle revue mensuelle dans laquelle parais-
sent, depuis quelques mois, des éludes critiques sérieuses et
fortes, des vers, des nouvelles, une bibliographie, etc., etc. A
Paris, rue Gay-Lussac, 5. Directeur : Henri Mazel. Abonnement :
12 francs par an. (Etranger, 13 francs.)
L'Avenir dramatique, revue du théâtre et de la musique dirigée
par Henri Malin, qui publie toutes les semaines d'intéressants
ariicles signés Henri Fèvre, Léo Trézenik, Willy, Ch. Moreau-
Yauihier, Fabre des Essarta, Henri Germain, etc.
Voici une nouvelle qui intéressera singulièrement ceux qui ont
connu à Bruxelles, lors de la dernière direction Dupont et Lapis-
sida, l'aimable compagne du ténor Cossira, qui alors ne songeait
pas à la carrière théâtrale, quoique plus d'un ami lui eût conseillé
d'y songer, frappé de ses aptitudes vocales et plastiques pour la
carrière dramatique. Ce sont des extraits de VEcho de Paris, du
Temps, du XIX' SiicU.
« Télégramme de notre correspondant de Nice :
« Beaucoup de monde, hier soir, pour le début de M"* Cossira
dans la Favorite. La débutante a obtenu un immense succès. La
voix est claire, sonore, étendue, noies graves et médium admira-
bles ; les duos des deuxième et quatrième actes ont été bissés, et
la gracieuse débutante a reçu plusieurs superbes corbeilles de
neurs. » (Echo de Paris du 31 mars 1891.)
« On nous écrit de Nice :
« Belle représeniaiion de la Favorite au Grand- Théâtre.
Auprès d'excellenU artistes tels que Cossira et Manoury débutait
M*** Emma Cossira. Elle a chanté avec grand succès le rôle de
Léonor : sa voix de conirallo, au timbre caressant et doux, a toute
l'ampleur désirable et elle possède même dans le registre aigu des
noies d'une agréable sonorité. Ajoutons que l'aspect sympathique
de l'artiste, sa méthode et son jeu contribuent encore it l'impres-
sion d'ensemble. Le duo du deuxième acte, chanté par Manoury
(le roi) et M"** Cossira, et le duo du dernier acte, chanté par
M. et M"* Cossira, ont été très vivement applaudis et redemandés
par le public. » (Le Tetnps, 1" avril 1891.)
« M"" Emma Cossira, femme du ténor qui a eu de beaux succès
ii l'Opéra, vient de faire, au Grand-Théâtre de Nice, un très bril-
lant début dans la Favorite.
C'était la première fois que M"" Cossira chantait en France :
elle avait d'ailleurs abordé la scène, il y a quelques mois seule-
ment, en Amérique, où elle se fit chaleureusement applaudir dans
A'Ida.
La nouvelle cantatrice a pleinement réussi, l'autre soir, dans le
réle de Léonor. Elle possède une voix de contralto d'une ampleur
et d'un timbre mervcileux, dont elle se sert avec infiniment de
goût. On l'a applaudie, bissée cl couverte de fleurs. La place de
M™* Cossira est dès maintenant marquée sur un de nos grands
théâtres de musique. » (Le XIX' Siècle, 2 avril 1891.)
Nous avons annoncé déjà que les représentations au théâtre de
Bayreuth auront lieu, cette année, du 19 juillet au 19 aoiM.
Parsifal sera joué dix fois ; les 19, 23, 26, 29 juilicl. 2, «, 9,
13, 16 et 19 août.
Tannhâuser, sept fois : les 22, 27, 30 juillet, et 3, 10, 13 et
18 août.
Tristan et Iseult, trois fois : les 20 juillet, S et IS aoOi.
L'orchestre sera dirigé par MM. Lévi et Moitl, el les chœurs par
M. J. Kniese.
Voici les noms des artistes qui chanteront les principaux rôlos
de ces trois ouvrages :
Parsifal. — Parsifal, MM. Van Dyck el Gruning; Gurnemanz,
MM. Grcng et Wiegand ; Amfortas, MM. Reichmann et Scheide-
manlel; Klingsor, MM. Fuchs cl Plank; Kundry, M""' Meilhac,
Malien et Materna.
Tristan et Iseult. — Tristan, M. Alvary; Marke, M. Wiegand ;
Kurvenal. M. Plank; Iseult, M"" Sucher ; Brangœne, U"" Siau-
digl.
Tannhâuser. — Le landgrave, M. Doring ; Tannhâuser,
MM. Alvary et Van Dyck; Wolfram, MM. Reicimiann cl Sclieide-
mantel; Wallher, M. GrUning; Biierolf, M. Lipc; Henri, M. Zel-
1er; Reinmar, M. Schlosser; Vénus, M""" Mcilhac el Su«her;
Hirte, M"" de Ahna et Herzog.
Le rôle d'Elisabeth n'est pas encore distribué.
Le Comité belge de l'Association wagnérienne universelle fait
appel à l'esprit de propagande de ses adhérents. Bien que le
nombre de ses membres se soit accru au cours de l'année der-
nière il importe d'augmenter encore, par des inscriptions nou-
velles, les ressources de l'Association. On espère arriver à réunir
les fonds nécessaires pour monter à nouveau en 1892, l' Anneau
du Nibelung. Rappelons que la coiisation annuelle n'est que de
8 francs. S'adresser au Secrétariat, rue Joseph II, 39, Bruxelles.
ONZIÈME ANNÉE
L'ART MODERNE s'est acquis par l'autorité et l'indépendance de sa critique, par la variété de ses
informations et les soins donnés à sa rédaction une place prépondérante. Aucune manifestation de l'Art ne
lui est étrangère : il s'occupe de littérature, de peinture, de soulpture, de gravure, çle ihusique,
d'architecture, etc. Consacré principalement au mouvement artistique belge, il renseigne néanmoins ses
lecteurs sur tous les événements artistiques de l'étranger qu'il importe de connaître.
Chaque numéro de L'ART MODERNE s'ouvre par une étude approfondie sur une question artistique
ou littéraire dont l'événement do la semaine fournit l'aotualité. Les expositions, les livres nouveaux, les
premières représentations d'œuvros dramatiques ou musicales, les conférences littéraires, les concerts, les
ventes dobjets d'art, font tous les dimanches l'objet de chroniques détaillées.
L'ART MODERNE relate aussi la législation et la jurisprudence artistiques. Il rend compte des
procès les plus intéressants concernant les Arts, plaides devant les tribanaux belges et étrangers. Les
artistes trouvent toutes les semaines dans son Mémento la nomenclature complote des expositions et
concours auxquels ils peuvent prendre part, en Belgique et à l'étranger. Il est envoyé gratuitemont à
l'essai pendant un mois à toute personne qui en fait la demande.
L'ART MODERNE forme chaque année un beau et fort volume (TéirvirOn -IBO '{Mlle», Arec table
des matières. Il constitue pour l'histoire de l'Art le document LE PLUS COMPLET et le recueil LE PLUS
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Un volume de luxe tiré sur papier teinté de cuve spéciale, format
in-4°, destiné A perpétuer le souvenir des Fêtes Jubilaires de la Con-
férence (14 février 1891), et contenant notamment, outre le récit de la
journée anniversaire, le fac-gimile d'autographes inéditi et spéciaux
de quelques-uns des Maîtres du Barreau.
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Méli-mélo judiciaire en un acte et deux tableaux, composé et
représenté à Bruxelles, au Théâtre-Communal, les 14 février et
14 mars 1891 par des membres de la Conférence du Jeune Barreau.
Cette Revue, illustrée d'un frontispice de M. Th*o Van Ryssbl,
BBRoaK, formera un élégant volume imprimé, sur beau papier-
format ïn-fio, — Prix de souacription : fr. 3-50.
Pour leur conserver, en même temps que leur valeur de souvenir,
leur mérite l^ibliopbilique, l'une el Vautre de ces publications ne
seront tirée» qu'au chiffre strictement limité des souscriptenrs et ne
seront pas réimprimées.
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Onzièmb anmér. — N» 16.
Lb NTmâRo : 26 gentimbs.
Dimanche ly Avril 1891.
L'ART MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
RBVDE ORIÏÏQUB DES ARTS ET DE LA UTTÉRATDRB
Comité de rédaction • Octavb MAUS — Edmond PICARD — Émilb VERHAEREN
ABOmtBMXNTB i Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. - ANNONCES : On traite i forfait.
Adresser toutes les communications à
l'administration générale de l'Art Moderne, me de l^ndostrle, 32, Bruxelles.
Sommaire
L'A«o»NT. — Les tkaités de commebcb. — Xavikre, par Ferdi-
nand Pabre. — Monticklli. — Lk concours du mat électriqui. —
Tr4at*b dO Parc. Madame Montgodin. — A Vbrvibrs. — Aux XX.
— Documents a cONsmvm. — Pirrre chronique.
L'ARGENT
J'avais achevé le gros volume, un de plus de cette
série dont périodiquement, annuellement, comme la
mise bas des éléphants ou la ponte des condors, Zola
laisse tomber le fœtus géant ou l'œuf monolithe. Je
portais le souci de l'œuvre : si lourde, si dédaipeuse
d'art, monstrueuse dans ses proportions ; ne sachant
que dire : car, pour l'artiste, au sens habituel du juge-
ment, ob trouver le raffinement, l'harmonieuse élégance,
l'ingéniosité, l'attouchement caressant ou poignant, la
séduction surtout par la beauté ou la terreur ou le
mystère.
Rien que le gigantesque, le puissant, le grandiose
dans l'abondance; le monotone gigantesque, de volume
en volume, dans cet interminahle conte, toujours
impatiemment attendu par la foule, avidement lu
par la foule, et laissant des impressions ineffaçables
de bataille et de tumulte : Histoire psychologique
et sociale dune Famille sous le second Empire.
Chaque année un coup, un seul coup, de cette déme-
surée pièce d'artillerie, lançant au loin, avec le calme
du formidable, un projectile énorme. Et l'artilleur se
remettant, tout de suite, sans même regarder les
ravages de l'obus, à recharger sa pièce, correct,
mathématique, en bon, vigoureux et discipliné soldat.
Je portais le souci de l'œuvre ! Que dire qui n'eût pas
déjà été dit, ici, sur cet athlétique destructeur de l'ordre
bourgeois, sur l'impassible assommeur de la classe qui,
prenant sa fin pour la fin du monde et sans voir ce qui
germe autour d'elle, fourmillant, et va l'étouff'er, a
nommé Fin de Siècle notre temps de renouveau et
d'espérance? Zola! le socialiste par excellence, battant
les remparts de l'ordre social actuel avec la régularité
du bélier et de la catapulte , faisant brèche dans les
murs et dans les tours. Force et symbole se croyant
écrivain. En réalité, prophète et fléau de Dieu. Moderne
Ëzéchiel et moderne Attila. Tamerlan en redingote,
commandant à la multitude des idées qui ravagent et
massacrent, comme l'autre à ses hordes de Tartares.
Avec cette stature il apparaît. L'appeler écrivain,
artiste, est un tel rapetissement du colosse, que c'en est
risible. Il échappe à la littérature. La littérature s'en
aperçoit et commence envers lui le dédain des gens
chics pour les robustes prolétaires qui vont à leur
matérielle et salutaire besogne avec la ponctualité et
l'allégresse des forts et des sains. C'est un continua-
teur étrange de Proudhon, cet autre fracasseur d'ini-
quités sociales. C'est Jacques Bonhomme, l'incarnation
médiévale du peuple, criant justice, ressuscité en une
forme contemporaine, plus destructive, invincible. C'est
Adamastor, géant des tempêtes, criant à la bourgeoisie
jouisseuse et pourrie sa destruction prochaine en un
terrifiant naufrage. C'est un impérial pamphlétaire. Ce
n'est guère un artiste. Ce n'est un écrivain que parce
qu'il écrit.
Ainsi je portais le lourd souci de l'œuvre! Souci
d'homme, jugement d'homme. Et j'hésitais à dire,
inquiet de dire mal, trop, ou trop peu de ce girand,
tranquille, inépuisable faucheur, redescendu pour la
vingtième fois, avec sa faulx, sur le champ immense de
nos sociétés, et abattant flegmatiquement le mauvais
grain, à larges coups rythmiques qui épouvantent.
Voici que de là-bas, de son coin de province, Elle
m'écrivit. Curieuse âme de femme s'appliquant au
même problème et donnant son sexe au même sujet.
Elle m'écrivit ceci :
Je ne sais pourquoi, plus que tous ses livres, cet
Argent m'a mis une lourde griserie au cerveau, une de
ces impressions de fatalité qu'on a quand on sort d'un
hospice de fous. Le terrible homme!
C'est si réel, si effroyablement vrai, ces gens qui agis-
sent malgré eux, et c'est si faux pourtant! Tous, du
plus petit au plus grand, sont comme l'Andreïde de
« l'Eve future » : une force les pousse et ils vont. Leur
compagnie vous trouble comme celle des fous. Il doit
lui-même être un des fous éternels, un de ces enfants
que la mystérieuse nature fait, toute seule, quelquefois,
pour leur donner un peu de la concentration de sa vie
à elle.
La moyenne des hommes n'est pas sensible à ces
grandes forces instinctives, brutales, passionnées, qui
forcent le génie à créer, le vagabond à piller et à tuer.
L'homme d'un seul instinct fortement dominant ! quelle
chose rare et de fabrication combien difficile et compli-
quée! Celui-là n'est pas libre. L'homme ordinaire hérite
de tant de choses, ses entraînements sont si multiples,
partant si neutralisés, qu'il a le temps et le pouvoir de
raisonner, de balancer son petit intérêt, sa petite reli-
gion, ses petites amours. Il choisit, celui-là. Ce n'est pas
ça qui le fait grand. Au contraire. Etre grand, en bien
ou en mal, c'est obéir à de puissants instincts, obéir
avec la tête et le cœur et tout l'être.
Que celui qui ne se sent poussé par aucun instinct
dominant se réjouisse; il pourra être, en fait d'honnête
homme, ce qu'il voudra. Mais en fait de grand homme,
il ne sera jamais rien, pas même grand voleur.
Dans Zola, tout le monde est un Rougon-Macquart,
prédestiné à une seule fin — aveuglément — comme si
tout le monde était sous l'empire d'une seule influence.
Cette " joie de vivre » de Madame Caroline, ca ne vous
monte-t-il pas à la tête? C'est tellement inconscient, chez
cette femme très consciente cependant, que ça touche,
comme une religieuse fatalité. Eprouvée comme elle
l'éprouve, sans l'avoir jamais passée au creuset de sa
pensée, on dirait une illumination de lagràcequi réjouis-
sait les saints ; on y sent le même mystère et la même
douceur.
Zola devrait écrire l'histoire des grands hommes.
Personne mieux que lui, en ce siècle, ne comprend l'im-
périeuse croissance du génie.
En entendant César Franck par exemple, je retrouve
ce fond instinctif, involontaire. Ce simple n*a pas
voulu ses œuvres ; le meilleur de ce qu'elles contien-
nent a passé à travers lui, venant d'ailleurs, d'en haut,
d'en bas, de la Nature, traversant l'atmosphère triste
de l'époque. Cela se comprend clairement quand on
entend après lui un de ses disciples, héritier de sa
science, de ses - idées -. Esprit élevé, sincère, tempé-
rament riche, passionné, l'élève a tout, mais il n'est pas
cet habitant de la « région des égaux - qu'est son maître.
Zola comprendrait Wagner, Napoléon, Jésus, Sha-
kespeare et devrait les décrire, puisqu'on dit le Roman
usé, — il ne comprendra et ne peindra jamais la moyenne
d'Humanité.
LES TRAITÉS DE COMMERCE
Qu'oni-ils de commun avec l'art el FArt moderne? Passez
cela, nous dira-l-on, k Vlndiulrie moderne.
Voici. A la question de la dénonciation et du renouvellement du
traité de commerce avec la France, on a mêlé, en Belgique, comme
élément de discussion el arme de combat, la dénonciation de la
Convention littéraire qui lie les deuxpays. Dans une lettre récente
adressée il la Réforme, M. Louis Strauss, entre autres, un des
leaders de ce débat, disail : « Nous pourrions répondre k la
guerre par la guerre, en changeant notre loi de \ 886 sur la pro-
priété littéraire et obliger dans l'avenir les auteurs français à
faire imprimer leurs ouvrages en Belgique, pour maintenir leurs
droits chez nous. »
La Réforme, il est vrai, faisait observer : « que la question des
représailles par piraterie littéraire n'offre pas d'intérêt pratique
el doit rester une menace platonique ï brandir le cas échéant
devant les yeux des protectionnistes français. »
Hais tout cela est entré dans le monde littéraire parisien et
boulevardier et y a été apprécié avec les déformations habi-
tuelles el inévitables. Une sourde opposition y gronde contre
notre art belge, actuellement d'un si unanime et si brillant essor,
et ce nouvel aliment active le feu. On avait déjk vu, à l'époqae
où Octave Mirbeau fit une si belle entrée k Maurice Maeterlinck,
des protestations contre l'appui et les louanges données aux
littérateurs belges. M. Paul Adam fut un des protagonistes de ces
résistances : voir l'Art moderne de 4890, p. 274, et il faut
reconnaître, avec regret, que le mouvement qu'il a commencé
s'accélère. Un ami, très répandu là bas dans le monde artistique,
■:OT^^|Ê^»^»P^PJ?M!?JiK.-u-,v ,<■ ,^
L'ART MODERNE
125
altirail ces jours derniers très siacèremeol noire allention sur ce
revirement. Il nous disail : u Les ariistes et les écrivains belges
doivent s'attendre k peu de bienveillance durant les temps pro-
chains. On leur cherchera noise, on leur chicanera tout. Ce sera
comme çb pour les Livres, ce sera comme çà au Salon, pour nos
peintres et nos sculpteurs. Le chauvinisme aura sa revanche,
doublée des préoccupations de la coneurrence. »
Il est bon d'être averti. Déjk dans le dernier numéro de la
Revue indépendante (très bien fait, très avancé; il s'y trouve
notamment un articleTeituarquabie de Vittorio Piea sur U* Moder-
nes Byzantin* : Stéphane Mallakmë), nous lisons ces deux notes
sommaires et dédai|;oeuses (p. 400) :
« La Flûte à Siebel, par Max Waller. Lacombiez, éditeur. —
Ces vers posthumes ne méritent pas de survivre i leur auteur.
Il eût été sage de leur laisser dormir le bon sommeil de l'oubli.
« 2^ Don d^enfànce, par Fernand Severin. Lacombiez, éditeur.
— Des vers de grftce et de tendresse, un naturalisme frêle et dé-
licat, une mélancolie an peu affectée et très douce, très naïve, de
très simples choses dites en un style mi-flou, mi-nerveux. Çà cl
\ii quelques efforts vers la couleur, la sonorité, le vocable rare, la
syntaxe complexe. Mais au fond el par dessus tout ce primitif
épris de nuances et de mièvrerie semble habiter ce livre qui,
s'il donne peu, promet beaucoup. »
Vraiment, c'est beaucoup de parti pris, spécialement i l'égard
de l'œuvre absolument remarquable de Fernand Severin.
Attendons l'orage. On est désormais très solide en Belgi-
que. La ruche artistique y bourdonne avec une ardeur incom-
parable. Nous croyons que présentement aucun pays au monde
ne donne un exemple de pareille activité. H y a des dissidents,
celtes, qui tirent en arrière, mais ils ne comptent plus guères.
Ils parlent sans être écoulés dans le désert de leurs feuille-
tons et de leurs chroniques. Partout les jeunes marchent en avant,
la bouche pleine de chants d'espérance et de victoire et le public
devient attentif et sympathique à ces multiples tentatives de se
débarrasser des mainteneurs, c'est-à-dire de ceux qui rêvent un
art classique immuable dans un pays (le pays où l'on s'ennuie)
transformé en Académie.
Si les encouragements et les applaudissements qui depuis
quelques années nous venaient de France, et qui certes nous
étaient précieux, nous manquaient, nous saurions persister
quand même; notre situation ne serait, en effet, poini pire alors
qu'à l'époque peu lointaine où l'on n'avait pour le Belge que
sarcasme et banales plaisanteries. Ne nous sommes nous point
tiré* d'afiaire malgré ces misères? Nous saurions aujourd'hui le
faire mieiix encore, car nous somRtes devenus quelque chose. Puis
notre originalité y gagnerait sans doute et ceci n'est pas peu de
chose.
Donc au petit bonheur. Et dans tous les cas, qu'elle nous soit
favorable ou malveillante, juste ou inique. Honneur à la France
des arts : Salve Oallia, mater et regina!
XAVIËRE
par FiRDiNAND Fabre. — Un vol. de 308 p. — Bibliothèque
Charpentier, 189i.
On sait que M. Ferdinand Fabre s'est constitué le romancier des
moeurs ecclésiastiques, et qu'il l'a fait avec une impartialité et
une compétence auxquelles la critique s'est plu depuis long-
temps à rendre hommage. En 1886, M. Jules Lemallre écrivait :
« M. Ferdinand Fabre est un peintre incomparable des prêtres cl
des paysans; s'il tente d'autres peintures, s'il aborde Paris
(comme dans certaines pages du Marquit dePierrerue), il y paraît
gauche el emprunté. C'est qu'il a eu deux nourrices : la montagne
et l'Église. Il est lui-même un montagnard poète qui a failli être
prêtre. Je soupçonne que c'est, au fond, l'amoureux de la nature
qui a détourné le lévite; que c'est Cybèle qui l'a enlevé à Dieu.
Sans doute, il était trop ivre de la beauté do la terre pour devenir
le ministre d'une religion qui sépare si absolument Dieu du monde
visible. La nature est une grande hérésiaque : elle nie l'indignité
de la matière. L'œuvre de M. Ferdinand Fabre n'en reste pas
moins « une », car il n'a dit que les sentiments les plus simples
— ou les plus sérieux; il n'a peint que les âmes qui suivent le
mieux la nature, ou celles qui s'élèvent le plus au dessus. Il a
peu connu les autres, et la vie moderne passerait presque tout
entière entre ses pastorales el ses drames cléricaux (1). »
C'est tout à la fois une peinture ecclésiastique, une pastorale el
un drame que le livre nouveau de M. Ferdinand Fabre. Dans
un paysage virgilien, au bord des sources, sous les arbres sécu-
laires des châtaigneraies d'une vallée reculée des Cévcnnes se
meuvent ses personnages, très simplement bons ou mauvais,
comme dans les pastorales antiques : la petite Xavière Ouradou
el son Landry s'aiment de tout leur cœur, el, sans penser à mal,
s'embrassent dans les coins, pendant que Benoîte Ouradou, la
mère, et Anastasc Landrinier, père de Landry, qui s'aiment moins
naïvement, complotent de fjire disparaître la douce Xavière pour
jouir de son héritage ; et le noir dessein s'accomplit, oh ! très
simplement aussi : à la tombée de la nuit la jeune fille est
envoyée sur un grand arbre pour recueillir les cliiiaignes demeu-
rées après la récolte, el quand elle s'est avancée sur une branche
flexible, Aoastase Landrinier en tire l'extrémité vers le bas et
l'eafant fait une chute, dont elle meurt. Tout cela, pour être l^ien
champêtre, n'est guère compliqué, mais aussi ce n'est que le cadre
épisodique destiné à mettre en relief le caractère du vénérable
abbé Fuleran, curé de la paroisse. En réalité c'est de lui qu'il
s'agit; comme en une miniature de la Légende dorée, son évan-
gélique figure, si bienveillante et si austère, apparaît entourée de
l'auréole des saints et éclaire tout le tableau. Il est de la famille
de l'abbé Courbezon, de l'abbé Céleslin et autres créations de
M. Fabre qui a su montrer en eux tant d'humilité et de candeur
jointes au sentiment le plus élevé des responsabilités et des
devoirs de leur mission sacrée. Comme eux, l'abbé Fuleran est
étranger aux intérêts pratiques de l'existence et sa pensée plane
sans cesse tu dessus de la terre dans la divine contemplation. Si
sa ménagère Prudence ne veillait avec une parcimonie jalouse à
son avoir, il se dépouillerait de tout dans sa ferveur de charité el,
en dépit de Prudence, qui l'ignore, il a contracté à Lyon, pour
l'ornementation de son église, une dette qu'il ne sait comment
payer, mais il compte sur la Providence, et même il songe à faire
faire encore une statue du petit Jésus pour la placer, comme signe
de revendication, sur une fontaine dont un archéologue a eu
l'impiété de traduire par Fontaine de Jupiter riDscription
presque effacée fons. j. qui signifie évidemment Fontaine de
Jétus. Ainsi sa tendresse de cœur pour la nature ne se sépare pas
de ses élévations religieuses. Il est tout attristé que, bien qu'il ait
invoqué de toute son âme saint François d'Assise pour obtenir de
(1) JuLBS Lemaitre. Les Contemporains, deuxième série, p. 329.
J26
L'ART MODERNE
lui ressembler, les oiseaux ne le connaiscent pas. Et quelle page
charmanie que celle où il s'humilie parce que, pour féliciler
dignement un de ses condisciples promu k l'épiscopal, il a voulu,
à l'exemple de Jean-Jacques Rousseau, demander l'inspiralion au
grand air el composer sa lellre à la vue des champs! Il revient
avec deux feuillels sur l'un desquels se trouve écrit seulement :
a Mon cher ami », el sur l'autre « Monseigneur », el il reconnaît
que Dieu a frappé son esprit d'impuissance, parce qu'il a essayé
d'imiter la recette d'un impie. Mais ce prôlre doux, hésitant,
timide, devient un justicier lorsque les intérêts de la morale sont
en cause el il revendique sa souveraineté sur les Ames avec des
paroles d'apôtre.
MONTIGELIil
Paul Arênc, dans une de ses dernières chroniques du OU BUu,
esquisse la silhouette de Monticelli, le mystérieux peintre marseil-
lais dont les XX montrèrent quelques loiles, voici trois ans :
Le moyen de se taire et de ne pas dire l'élonnemenl oii ivous
plongent certains caprices de la fée Peinture quand on voit
comme je l'ai vu, à la vente Burty, se vendre près de dix mille
francs un tableau dont, l'été dernier, vous auriez eu pour cent
francs le pareil sur la Canebière!
Pauvre Monlicelli! Rirait-il assez dans sa barbe blanche en
apprenant que Paris couvre d'or ses toiles, naguère seulement
connues de quelques initiés, chefs-d'œuvre éblouissants el indécis,
moins exécutés que rêvés el sujçgeslifs comme une musique.
Burty qui, malgré ses airs de doux bonze el son petit ventre
bedonnant, fut toujours homme d'audace et d'avant-garde (n'est-ce
pas lui avec Concourt qui nous découvrit le Japon?), me mon-
trait un jour, à son premier du boulevard Clichy, des bijoux cise-
lés, des bronzes et des laques, les caressant, les retournant, les
mettant en belle lumière et jouissant à la fois, amanl raffiné, par
le loucher et le regard.
Puis les précieux bibelots remis sous clef derrière le cristal
épais des vitrines, nous passâmes à de plus sérieuses merveilles.
C'était l'album du voyage de Delacroix au Maroc : croquis pris
en selle, en bateau, où se sent la trépidation du roulis el de la
marche ; hiéroglyphiques notations indiquant le ton des plans et
des lointains, l'état de l'atmosphère, la forme étrange d'un nuage.
C'étaient encore des faïences, des terres cuites, des peintures, une
entre autres glorieusement encadrée el que, tout de suite, je
reconnus.
Burty l'entourait de mystère :
— C'est de Monlicelli, me dit-il, un peintre bizarre, inconnu,
mort depuis longtemps, dont les productions deviennent inlrou-
vables.
Et bravement, sur la foi de je ne sais quels renseignements, il
m'esquissait, à propos de Monlicelli, la plus fabuleuse des bio-
graphies.
Je le laissais aller, mais quand il eut fini, prenant la parole à
mon tour :
— Excellent Monticelli ! dire qu'il y a huit jours, je mangeais
avec lui des oursins à Marseille.
— Avec lui? Il est donc vivant?
— Tout ce qu'il y a de plus vivant ; demandez plutôt à Ziem,
qui l'estime fort et m'a fait faire sa connaissance.
Burty, quelle que fût sa douceur d'âme, me parut d'abord
fiché de savoir que Monticelli l'obaUntil k viTre ; pooriant son
accès de mauvaise bumeor se dissipa assez vile, et curieux, il
m'interrogea.
Je dus lui décrire Monticelli, ses lonf[s cheveux, son feutre i
grands bords, son existence d'artiste solilaiiv el fier, «niquemenl
amoureux du grand air, dea vives couleurs et de la lumière.
Je lui racontai qu'il gagnait son pain quotidien en brossant de
petits tableaux aussitôt vendus, ô pas cher! dix francs, quinze
francs, dans les cafés ou dans la rue, au premier ami rencontri ;
et comme quoi sa principale clientèle étaient les pécheurs du quar-
tier Saint-Jean, qui avec un vague et toucbanl inatincl d'art, sans
avoir besoin de comprendre le sujet, un peu aussi par sympathie
pour ce brave artiste « peuple » comme eux, aiment suspendre
aux murs sombres de leur logis, entre une rame et nne parangre,
ces petits carrés éblouissants dont l'harmonieux éelal leur rap-
pelle les grandes clartés du large, les pourpres du ciel au cou-
chant, les phosphorescences de la mer.
Monlicelli mourut, puis Burty partit i son tour.
Mais quoique Monticelli soit mort, de braves graa, sans doute
pour faire plaisir aux pécheurs, n'en continuent pas moins i
fabriquer des Monlicelli. Les Monticelli, vrais ou faux, abondent
i Marseille ; et, me disait hier le poète Auguste llarin, on pour-
rait en charger un bateau comme on fait des cailloux coloriés que
la mer roule el polit sur la plage de Bonneveine.
Le ctncours du mât électrifue
En vérité la ville de Bruxelles semble avoir juré de discréditer
l'institution des concours publics et de décourager ceux qui y
prennent part. Les conditions du concours du mtt électrique de
la Grand'place avaient déjk provoqué de vives réclamations parmi
les artistes, et voici que les décisions que vient de prendre la sec-
tion des Beaux-Arts montrent chez celle-ci une désinvolture peu
compatible avec la mission dont elle est chargée.
Un jury, régulièrement constitué el composé de MM. De Groote
et Vinçolte, sculpteurs, Beyacrt et Jamaer, architectes, el Wybauw,
ingénieur-électricien, avait examiné les treize maquettes envoyées
el, après mOre délibération, avait, à runanimiu, désigné pour
être exécuté le projet portant pour devise Prato, pais classé
second un autre projet; il ne reslail plus il la section des Beaux-
Arts qu'à ratifier ce jugement, lorsque l'on apprit avec stupéfac-
tion qu'elle avait annulé le concours, prétextant qu'aucun projet
ne remplissait les conditions voulues. Singulière situation pour ce
jury, de haute compétence en matière d'an, et qui voit ses déci-
sions cassées par un groupe de conseillera communaux dont l'édu-
cation artistique peut certes être mise en dodte; si la section
était décidée ii émettre un vote si tranchant, quel besoin avait-elle
de convoquer lin jury spécial? Elle a évidemment outrepassé son
droit qui, strictemenl entendu, devait se borner ii entériner le
jugement, sauf à décider la non exécution du projet classé
premier.
La conséquence de tout ceci, c'est que des suppositions bizarres
prennent corps, que les artistes découragés lâchent de mettre en
lumière les dessous de cette atbire et qu'ils en sont k se deman-
der s'il n'existe pas quelque part un projet de mftt qui a les sym-
pathies de l'Administration ; mais, alors, pourquoi avoir fait ce
concours?...
Quoi qu'il en soit, il est inadmissible que le vole bizarre de la
R'WïÎhSP^ :'^, ~ '■* i?lr'"3£*S!8'iW7^^*' '^^^^^^ Pi
•■ iif!fm f-'Ti, -Vi^-f ',: '
L'ART MODERNE
127
loclion pilve 1m inteun dei deux meilleuri projeu deiprimude
t,000 frann et de ftOO francs que lejar;, par son choix, leur
aUribue; c'eal, du reate, une maigre compeusalioa des fraia
éaormes qu'a enlratnés l'exëcalion de* maqueues; il serait juste
de ta leur aecorder.
Eo raiaon des décisions coniradictoirea du jor; et de la seciion,
une exposition des projets s'impose ; les artistes et le public pour-
ront ainsi apprécier de quel cété se trouve la vérité, et nous
comptons bien que le Collège ne leur refusera pas cette satis-
faction.
MAPAMB MOMTOODm
Madame Montgodin n'est pas pins du théâtre que U Foyanede
SuxitU. Des trucs si usés, i^ plaisanteries ai entendues, dans'le
fond sinon dsns la forme même, une telle insanité finale de toute
idée, de toute impreuion, que l'on sort du Psrc en se deman-
dant : ■ En définitive qo'ai-je entendu ? Psr quoi me suis-je laissé
rendre attentif pendant trois heures? »
Une représentation ne peut avoir de succès que si elle répond b
l'une de ces quatre conditions : être bien jouée, être amusante,
avoir une portée intellectuelle ou morale, ou représenter un spec-
tacle neuf. La pièce de Blum et Toché n'entre dans aucune de ces
catégories. C'est on méchant vaudeville dont on rirait au théâtre
du Passage, mais qui crispe, entendu dans la salle du Parc, notre
plus grande scène après la Monnaie, celle qui doit être notre
petite Comédie-Française.
On comprend qne le directeur se soit laissé mal conseiller. Il a
vu jouer Madame Montgodin 6 Paris par des artistes de premier
ordre. Il a faussement attribué an librette ce qui ne revenait qu'aux
acteurs. Blum et Toché écrivent pour des comiques qu'ils con-
naissent, dont le jeii et la mimique sont toujours présents à leur
esprit et donne une haute intensité de drélerie aux phrases très
quelconques par lesquelles ils indiquent la charpente de leurs
pièces. Aussi quand d'autres interprètes s'attaquent & un même
morceau plusieurs fois bissé ailleurs, ils produisent un peu le même
effet que des paroles d'opéra entendues sans la musique.
Le genre d'esprit de Madame Montgodin est assez spécial, bien
que parcimonieusement distribué dans la pièce. Il s'adresse bien
k ces mêmes spectateurs qui, le lendemain, applaudiront au
cirque les facéties d'un clown. En pareil cas, les Allemands feraient
franchement de la bouffonnerie. Labiche, sous son gros sel,
cacherait de la vie réelle et de la morale bien penaée ; Dumas
élèverait le sujet & la hauteur d'un brillant paradoxe. Les fournis-
seurs habituels du Palais-Royal manient la plaisanterie du scep-
tique, blasé de l'esprit, qui se veut supérieur aux gobeurs des
choses intellectuelles, et pour cela se rejette sur des banalités
insignifiantes, qu'il fait souvent admettre i cause de prétendues
arrière-pensées tout i fait absentes. Cette plaisanterie dédai-
gneuse et vide fait penser it ces fils de famille qui abandonnent
l'idée et l'art pour le sport, l'exercice des muscles, la meilleure
lame. C'est du développement physique, mais c'est tout. Il existe
an rire de celte même espèce, et on le retrouve nn peu trop dans
Madame Montgodin.
^ Yet^VlERg
{Corretpondance particulière de l'Art moderne.)
La ville de Verviers a fondé, en 1873, une École de musique
dont elle a confié la direction à M. Louib Kefer. La population
de cette institution est actuellement de 708 élèves : c'est 1^ un
résultat d(^ ii l'impulsion essentiellement artistique donnée par le
directeur & l'établissement, qui commence à fournir de premiers
sujets presque tous les orchestres des grandes villes.
Jeudi dernier une grande solennité musicale avait été organisée
k l'occasion de la distribution des prix.
Au programme, le 4" acte de Lohengrin tout entier, interprété
par une masse chorale et instrumentale d'environ 200 exécuiaols.
Les solistes étaient M"** Lamboray et DelSaute, MM. Duyzings,
Bussy, Bouxman et Sme<>siers. On a beaucoup admiré l'excel-
lente méthode, le style élfvé et la voix si pure de ce dernier.
M*'* Lamboray et M. Bouxman ont aussi droit à tous nos éloges.
Mais ce que le public a le plus goûté et le plus applaudi, c'est
l'ensemble, la cohésion, la perfection de l'exécution ; elle a dissipé
bien des préventions contre Wagner et pour ceux qui ne le
connaissaient pas encore, elle a été une vraie révélation. Les
chœurs et l'orchestre, entraînés par la magistrale direction de
Kefer, qui a surveillé avec un soin extrême les éludes préparatoires
en prenant soin d'initier son personnel au caraclère de l'œuvre
i la poétique wagnérienne, ont été réellement merveilleux. —
Lohengrin a donc conquis chez nous droit de cité : félicitons en
chaleureusement l'éminenl maestro dont toute la vie s'inspire
de la continuelle recherche des manifestations les plus éclatantes
de l'art pur.
Le concerto de violon de Max Bruch (N. Angenot), un air du
Messie de Ilaendel (M. Bouxman), le concerto pour piano de
Sainl-Saéns, (M. Sauvage), des Lieder de Grieg et de Schubert,
(Ml'* Lamboray), un duo de violon de Sarasate (MM. Angenot et
Deru), figuraient à la seconde partie de ce concert qui a été ter-
miné par la spicndide « Marche des Fiançailles » de Lohengrin.
*
♦ »
Deux cercles de musique de chambre existent en noire ville :
l'un, dirigé par M. Kefer, directeur de l'école de musique, l'autre,
par M. Massau, professeur de violoncelle i la même école.
Tous deux ont donné d'intéressantes séances qui commencent
i être suivies assidûment par l'élite de la population.
Récemment, H. Kefer a organisé une réunion dont le programme
portait notamment le trio pour piano (H. Duyzings), violon-
celle (M. Massau) et clarinette (M. Haseneier) de Vincent d'Indy,
la sonate de César Franck pour violon (H. L. Kefer) cl piano
(M. Duyzings), enfin le quintette en si bémol de Mendelssohn
(M. Kefer, Angenot, Vousken, Lelolte et Massau), le tout entre-
mêlé de romances de M. Duyzings et de l'air de la Somnambule
que M"* AiméeDecerf a détaillé avec infiniment de charme et d'une
très jolie voix.
Ce programme est d'ordre quelque peu composite, nous ne
nous le dissimulons pas : il pourra faire frémir les purs..., nova-
teurs ou réactionnaires. Ne le discutons pas à ce point de vue et
constatons, en nous en félicitant, l'immense succès qu'ont obtenu,
la profonde impression qu'ont produite les œuvres de Vincent
d'Indy et de César Franck, toutes deux a leur première exécution
il Verviers.
Le DivertUiemenl, le Chanl éUgiaqut du Trio, de soufiBe si
puissanl, de si haut vol — le RecUativo Fanltuia si poétique,
V Allegretto poco mosso si brillant et si nettement original de la
Sonate — ont été Interprétés dans des conditions de style, de goût,
de perfection qui ont mis en pleine lumière les beautés si neuves
de ces pages spleodides.
Aux XX
Voici la liste des acquisitions faites au Salon des XX, avant
et pendant l'exposition :
Waltcr Crâne Pegatus.
Paul Dubois Deux bronzes.
Id. Bas-relief.
Id. Le Petit Alfred.
Id. Esquisse.
James Ensor Intérieur.
Id. Fleur$ et Fruits.
Id. Squelettes.
Id. Triomphe romain.
Paul Gauguin Trois vases.
Fernand Khnopff. . . . Portrait d'enfant.
Id. Etude de femme.
Georges I.emmen . Deux études pour C/Ky«/^rt«Krio«r<;«mi.
Georges Minne .... Un dessin.
Camille Pissarro .... Pont en construction à Chelsea.
Georges Seurat .... Chahut.
Id. Un Soir (chenal de Gravelines).
Id. Deux marines.
Paul Signac Hcrblay (Seine et Oise).
Id. Saini-Cast (Côtes du Nord).
Id. Herblay (Seine et Oise).
Eugène Smits . ... Le Bracelet.
Id. Bnl masqué.
P. Wilson Sleer . ... The Sprigged Frock.
Id. The Tidal Pool.
Id. Jonquil.
'd. The Rampant of Montreuil.
Ch. Van der Stappen . . Surtout de table exécuté pour la
Ville de Bruxelles.
Id. M"" A. D.
Id. Arthur Stevens.
Vincent Van Gogh . . . Le Semeur.
Id- Verger d'oliviers {Aessm).
Id. Marine (dessin).
Théo Van Rysselberghe. . Portrait.
Id. La Vallée de la Sambre.
Id. Au Cirque.
G. -S. Van Strydonck . . Trois portraits d'enfants.
Id. Portrait.
?^
JOCUMENTg A CONSERVER
>' Liea Revenants ■> d'Ibsen à Londres (1).
Dédié aux Diafoirus belges.
Révolte à Londres contre les Revenants. Ibsen y a mis en
scène « un pasteur », un de ces vénérables et lartuféens pasteurs
qui composent le pudibond mais prolifère clergé anglican.
Indeirœ!
Comme échantillon, cet extrait du Daily Telegraph :
« C'est une histoire misérable et lamentable, chacun en con-
(1) Voir compte rendu dans l'Art moderne du 8 juin 1890; voir
aussi notre n» H de 1891.
viendra. Un homme de génie en eût fait une tragédie. Un égoïste
maladroit en a fait simplement une comédie déplorable. Un seul
personnage nous intéresse: celui deN"* Alving, parce qu'elle est
humaine, ne passe pas tout son temps k se lamenter sur elle-
même et souflre quelquefois en silence et avec dignité. Tous les
autres sont ignobles. Ibsen a fait \it un simple essai sur l'atavisme,
les maladies contagieuses et l'inceste, un essai tout en longueur
— mais une pièce?... Un essai, rien qu'un essai, et un essai
profondément ennuyeux encore. Tout le monde prêche lit-dedans,
tout le monde réitère ses vues avec une obstination et une mo-
notonie désespérantes.
« D'aucuns vous diront qu'Ibseo sf rattache aux nobles poètes
grecs, chantres des fatalités tragiques qui pèsent sur la race
humaine. Les pièces d'Ibsen, la Revenants en tète, sont
grecques, comme un las d'ordures ramassées k Delphes, ou
comme un asile d'aliénés établi à Nilylène.
« Dans le monde lugubre et malodorant d'Ibsen, tous les reve-
nants sont des malfaiteurs et des pleurnichards. S'il aime ii nous
montrer ses personnages florissant au soleil de l'estime et de la
faveur publiques, c'est uniquement pour répandre autour d'eux
des ténèbres d'ignominie et d'byprocrisie, et pour nous faire
croire que les gens les plus considérés sont encore les plus
infimes. Des cinq personnages des Revenants, un seul n'est
qu'aux troisquarts odieux; les quatreautres lesontcomplètemenl ;
le fils Alving, Régine, le pasteur Mandera, le père Engstrand,
autant de brutes par le cynisme, le mensonge ou l'indécence. Et
ce serait la vie, cela, ou de la philosophie, cela? Cette ordure
crapuleuse, celte charogne littéraire. Il parait que pour qu'une
pièce soit vraiment réaliste, il faut qu'elle nous oblige k nous
boucher le nez!... Alors, tant pis, le réalisme ne passera jamais
chez nous ».
Petite chro;<ique
C'est aujourd'hui, k une heure et demie, qu'aura lieu, au
Théâtre de la Monnaie, l'iotéressaot concert consacré par
M. Dupont à la Jeune Ecole française. Rappelons qu'on y entendra,
pour la première fois, Ja trilogie de Wallenstein de Vincent
d'Indy, Viviane de Chausson et la Rltapiodie Cambodgienne de
Bourgault-Ducoudray.
L'entr'acte de Owendoline, l'ouverture de Fiesque et le
Carnaval romain complètent ce magnifique programme.
L'ouverture de l'Exposition du Cercle artistique, qui devait
avoir lieu hier, a été remise i demain, lundi, k 2 henrea.
C'est demain également que VUnion des Arts décoratif ouvrira,
dans les salles du Musée, sa troisième exposition annuelle.
Le Cercle Als ik Kan ouvrira aujourd'hui k Anvers (Salle
Verlat) sa 2*« Exposition dé Beaux-Arts. L'exposition sera
ouverte jusqu'au 26 courant, de 10 à S heures.
Encouragés par le succès obtenu lors de la première Exposition
locale, divers artistes et amateurs d'art de Schaerbeek se sont
groupés k l'effet d'organiser une deuxième exposition, purement
artistique cette fois. Les adhésions reçues assurent, dès mainte-
nant, une manifestation artistique de réel intérêt.
Cette exposition, organisée k Schaerbeek dans la galerie de
l'hôtel situé rue Royale n» 283, s'ouvrira le 2 mai prochain.
La réceplion des œuvres se fera du 30 au 23 couranl inclus, de
8 heures du malio i S heures de relevée.
S'adresser au Secrétaire : H. M. Jacquin, 41, rue de l'Est, i
Schaerbeek.
Le nouveau directeur du Casino de Blankenberghe, H. Paul
Boulvin, a des projets artistiques intéressants. Il commencera sa
campagne musicale par un festival exclusivement consacré h Vin-
cent d'Indy. On y exécutera, sous la direction dé l'auteur, la trilo-
gie de Wallenttein, la Symphonie pour ochutre et piauo sur un
chant montagnard fronçait, la Fortt enchantée et la Suite en ri.
Ce festival est fixé au 3 août.
L'orchestre, composé en grande partie des musiciens du
ihéttrede la Monnaie, et fort' bieu conduit par M, Goettink, est
apte k jouer les oeuvres les plus difficiles de la littérature musicale
moderne.
H. P. Delaage organise pour le 30 avril, k l'Ëcole des BeauK-
Arts, une exposition générale de la lithographie depuis ses com-
mencements jusqu'k nos jours. Dans le Comité administratif figu-
rent MM. Jules Simon, président d'honneur, Jean Gigoux et
Français, présidents, Béraldi père et fils, Bracquemond, Bonnal,
Beurdeley, Hcnner, Fantin-Latour, etc. S'adresser pour tous
renseignements k M. Pierre Delaage, 33, avenue des Champs-
Elysées, k Paris.
Le prochain spectacle du Théâtre-Libre (37 et 28 avril) sera
consacré au Canard lauvage d'Henrik Ibsen, traduit du norwé-
gien par MM. A. Ephralm et Th. Lindenlaub. Les principaux
rôles seront créés par MM. Antoine, Grand, Arquillière, Pons-
Arles, Laudner, M"" France, Meuris, etc.
Le 9 mai, H. Antoine jouera Nell-Horn, pièce en quatre actes
tirée par M. J.-H. Rosny de son roman ponant le même titre, et
Leurs Fille*, deux actes de M. Pierre Wolff.
C'est M"* Nau, tant applaudie k Bruxelles dans la Fille Elisa,
qui créera le rôle de Nell-Horn.
M** Hellman, une artiste-amateur de grand talent, organise
tous les ans, chez elle, des représentations wagnériennes qui sont
l'événementdu Paris musical. Cette année encore, les ISet 14 mai,
M"* Hellman fera jouer, avec décors et costumes, les i'» et
S*" actes entiers de la Walkyrie, sous la direction de M. Vincent
d'Indy.
Les répétitions sont conduites activement et font espérer une
interprétation de choix.
H. W. Mesdag, le mariniste bien connu, sait être aussi grand
seigneur que grand peintre. Dernièrement, il réunissait l'élite de
La Haye k une fête orientale éminemment artistique où l'histoire
d'Aladin ou la lampe merveilleuse était représentée en une suite
de tableaux vivants, s'animant parfois en pantomime, tandis que
le conte, très délicatement arrangé, était dit par l'écrivain artiste
F. van Eeden. Tout l'arrangement, la mise en scène, l'ensemble
admirable éuient dus aux peintres Bauer et van Jer Maarel qui
avaient su faire de cette soirée un rare régal d'art.
Lire dans U Mercure de France (livraison de mars) un très
intéressant article signé G.-Alberl Aurier, sur Paul Gauguin, le
suggestif artiste qui souleva, au dernier Salon des XX, les cla-
meurs qu'on sait.
Le 33 mars, un grand dîner a été donné au café Voltaire en
l'honneur de l'arliite, sous la présidence de Stéphane Mallarmé.
Parmi les convives : Eugène Carrière, Odilon Redon, Charles
Morice, Jean Dolent, Jean Moréas, Roger-Marx, Alfred Vallette,
Rachilde, Trachsel, Albert Aurier, Paul Serusier, Ary Renan,
Dauphin Meunier, Adolphe Rctié, Julien Lccicrc, Félicien Champ-
saur, Edouard Dubus, etc. etc. — 40 convives.
C'était un dîner d'adieu : Paul Gauguin est parti quelques jours
après pour Tahiti.
A la vente des livres provenant de la collection Ph. Burty,
les Châtiments et NapoÛon U Pttit, exemplaires de l'édition
originale sur papier de Chine, ont été vendus l'un 340 francs,
l'autre 300 francs. Sur le plat de la reliure en maroquin vert de
chacun de ces volumes se trouvait incrustée une grande abeille
brodée d'or. Burty avait décousu ces abeilles du trône même de
Napoléon III aux Tuileries, dans les premiers jours de septembre
1870. Les dessins de Victor Hugo ont atteint des prix assez
élevés. Un petit dessin. Vieux pont du Rhin à Rastadt, avec une
grande signature dans un filet de dentelles, a été adjugé k
305 francs; — Tour en ruines, 290 francs; — Souvenir d'une
vieille maison de bois, dessin k la plume et au lavis, 300 francs;
Beffroi à DomfronI, aujourd'hui démoli, qui a sonné la Saint-
Barthélémy, 390 francs ; — Rue des Ddmes à Oenive, dessin k
l'encre et au lavis rehaussé en couleur, 399 francs ; — Ruines
d'un vieux château fort, 40S francs ; — Château en ruines battu
par la tempête, deum pour les Sonnets et Eaux- fortes, 410 francs.
On annonce la vente k New- York de la nombreuse collection
des tableaux du peintre russe Verestchagin, exposée depuis deux
ans déjk k grands renforts de réclame dans les principales villes
des États-Unis, par les soins de ï American Association. Elle
aura lieu immédiatement après la vente Brayton Ivcs. Le peintre
lui-même se rend en Amérique pour présider k l'exposition qui
aura lieu avant la vente, et, pour donner plus d'importance k ce
voyage, il fait annoncer que le docteur Charcot a beaucoup hésité
avant de lui donner l'autorisation de partir. On n'a aucune idée
en Europe des annonces insensées, des éloges outrecuidants et
du charlatanisme effronté avec lequel toutes les toiles de ce
peintre, plus que médiocre, ont été promenées de ville en ville
et présentées comme des chefs-d'œuvre. D'abord, l'illustre artiste
ne voulait les vendre k aucun prix et consentait seulement k les
montrer; on les avait entrée» in-bond, de façon k ne pas payer
les droits; puis le succès de ces merveilles était tel que V Ame-
rican Association ne pouvant les garder in-bond plus de six mois,
se décidait k payer les droits, pour permettre aux villes qui
n'avaient pas eu l'honneur de les posséder, l'avantage de pouvoir
les admirer k leur tour, mais elles n'étaient toujours pas k
vendre. Enfin, le masque tombe, et voilk la collection qui va
passer aux enchères. Les amateurs sérieux ne donneront pas un
dollar, mais combien de naïfs se laisseront prendre. (L'Art dans
les Deux Mondes : 21 mars 1891).
Soixante-sept tableaux ou pastels de William M. Chase, exposés
dans les galeries de la cinquième Avenue, k New-York, ont été
vendus en vente publique le 6 mars. Ce sont des œuvres fort
remarquables, et, bien que plusieurs d'entre elles soient plutôt
des études que des tableaux, elles présentent un grand intérêt et
dénotent un œil d'artiste très fin et très délicat. La vente a pro-
duit seulement 37,725 francs, résultat qui prouve une fois de
plus combien sont peu appréciés, autant en Amérique qu'ailleura,
les vrais artistes.
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Pari» 1867, i«W, i-jfm. — iiOaeij, senU 1" et t* ffix
nMarew ignuai ii». nwui» itt> iftwirn rtiMÉn.
POUR PARAITRE lA i" MAI
Ches M. Deuan, libraire-éditeur, rue d'Aienhsrg, Bruxellea
L'ŒUVRE LlTHOaRAg^IQUE
odilon" r^don
CATALOOUE DESCRIPTIF
PA»
Jules OKSTRte.
Un volume pe\it in-quarto de grand hize, imprimé, par la maison
MoNNOM, sur papW de Hollande Van Qelder, i soixante-qsinae exem-
plaires numérotés, ontéa d'os inmtiqttoe à raaa-forta, gravé par
M*** Jules Oestres d'aprka une sculpture gothi^ (^lia« 8aint-Na-
laire, i Carcasaànne). — En souscription, pnx : 10 firancs. Kke la
mise en vente le-^riz sera porté i 12 irancs.
Les vingt-cinf premier* ezemplairea contiendront une seconde
eau-forle de ii^ Jules Destrée, d'après une sculptun gothique (Cathé-
drale, i Reims). — En souscription prix : 20 firanâ.
Bruxelles. — lap. V* lioimoif, 3Z, rue de rSMostri*.
■«•■^■.Ifysî
;.■. jr-;,ï;ji'«^
OvaÈtiB AstdM. — N*> 17.
Lk NUMtoO : Sfi OBNTIMES.
DiMANCHB 26 Avril 1801.
MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
RBVDB ORITIQDE DBS ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Comité de rédaction • Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
ABOHNSMENTS : Belgique, un «n, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00 — ANNONCKS : On traite i forfait.
Adresser toutes les communicatioru à
l'administration oAnébalb de l'Art Moderne, me de l'Industrie, 32, Bruxelles.
^OMMAIRE
Eaittnv Rosu. — La cx>u.acTioN BuissBasT. — Thoisimi concert
popolàiu. — Exposition du Cercle artistique. — Antonia de
M. Bmuaro Dujardin. — Expositions a Paris. — Petite chronique.
Ernesto ROSSI
Sar les couvertures de telles traductions de pièces
vendues au Théâtre communal, on peut lire la liste des
tragédies, drames et comédies jouées par Rossi. Cette
liste forme son répertoire ; les noms les plus divers s'y
rencontrent : Shakespeare, Scribe, Galderon, Sue,
Comaille, Dumas. A songer combien Hossi se multiplie
en personnages leur donnant la vie, non pas la sienne
mais la leur, on parvient à se &ire l'idée gigantesque
de cet homme. Par son jeu, par ses gestes et sa voix, il
est on ressnioitear de mondes tout comme un Balzac
ou un ShaJ^espeare en sont les créateurs. Il est les
siècles. Tonte l'histoire, il la sort des livres, il l'anime,
il la fond, et ce miracle s'impose de voir un contem-
porain d'une pensée immémoriale se donner à la foule,
chaque soir, pendant quelques heures d'inappréciable
évocation.
Nous l'aTons vu quand il vivait Othello, Louis XI,
Kean, Richelieu, Lear, Ivan-le-Terrible. Il nous venait
du fond des passés noirs, comme un portrait animé
soudain. Il avait chaque fois non seulement un autre
visage — ce qui pourrait au besoin n'être l'œuvre que
de son perruquier — mais d'autres jambes, d'autres
mains, d'autres allures, une autre voix, un autre &ge.
Dans Kean où il paraissait le plus semblable au specta-
teur assis, numéro en habit noir, aux fauteuils d'or-
chestre, il était, certes, parfait. Pourtant nous le
préférions quand il s'appelait Othello et Louis XI. Plus
il s'incarne en les loins de la légende et des annales,
plus il vit, vraiment.
Rossi devrait s'appeler le temps et ce serait la seule
façon de détruire l'illusion qu'on se fait de lui, quand
on le salue, quand on l'applaudit, quand on le photogra-
phie et quand on griffe là bas, en Italie, une feuille
d'état-civil, des lettres de son nom et de sa naissance.
Ce privilège merveilleux de l'acteur qu'il ne faut pas
assimiler à celui du virtuose, lui assigne dans l'art une
place presque surnaturelle. L'acteur de génie se meut
dans son rôve, il suscite, il illumine, il fait sortir des
poussières entassées et souvent du néant lui-même toute
une civilisation et toute une réalité d'art. On a déploré
que mort, il ne laissât qu'un fantôme après lui. C'est
une erreur, souvent. Certes il ne consigne rien de précis,
ni son geste, ni ses jeux de doigts, ni sa voix, ni son regard,
ni l'allure de sa marche, mais il laisse le vague et le
souvenir. Et ceci vaut tout livre et toute parole. Sa
place abandonnée, le vide, le trou béant, là, dans l'admi-
132
L'ART MODERNE
ration du public, sa légende va les remplir, les poètes
apothéoseront celle-ci, les dramaturges l'installeront
sur la scène, la tradition, par cela seule qu'elle est faite
pour se métamorphoser d'après les temps, la rajeunira
en la reculant aux plus indécis lointains. Et dût ne
rester debout que son nom seul, encore acquerrait-il
une signification solennelle mêlée à toute une littérature
et dût-il ne subsister rien, alors aurait "lieu cette vraie
grandeur, — négation de l'égoïsme — qui soulève l'eflTort
humain d'autant plus haut qu'il est désintéressé, glo-
rificateur unique de l'idée et qu'il se perd après sa
disparition, dans sa source elle-même, c'est-à-dire dans
sa pureté première.
Rossi — avant lui ce fut Kean, Talma, Frédéric
Lemaltre — compte parmi les génies de la scène les
plus définitifs, si bien que c'est ce que les anciens auraient
appelé une faveur divine : l'entendre!
Définir son sortilège, arrêter par des mots les com-
mentset lespourquois susciteurs d'émotion, est d'autant
moins aisé qu'il varie ses moyens de pièce à pièce, et
que ni sa plastique ni son cri sont pendant deux soirs
les mêmes. On dit fort peu en affirmant qu'à rebours de
toute convention, il compose son rôle, attendu qu'il est
mille conventions au théâtre et qu'il suffit d'en giffler
quelques-unes pour que cette phrase puisse s'imprimer.
Prouver que son jeu est peu personnel dans le sens
étroit du mot, nous paraît déjà plus exact, mais il faut
avoir soin de colorer ce qualificatif « personnel - d'une
signification qu'il prend, par exemple, lorsqu'on juge
Coquelin : un artiste doué de ce diminutif. Rossi tout
au contraire n'exprime ni la colère, ni la jalousie, ni la
tendresse, ni le désespoir, ni la fureur, ni la haine de
Rossi, mais bien ces diverses passions en leur force
générale et leur acuité commune. Si bien qu'elles font
écho dans le cœur de tous. Mais à cela ne se borne
son art. Jouant tel héros d'un passé historique ou litté-
raire, il modifie les pa.ssions du cœur suivant le temps
et de plus, suivant le rêve — cette fois-ci, personnel —
qu'il se fait de ses personnages.
Telle a-t-il proféré la jalousie d'Othello, la douleur de
Lear, la cruauté de Louis XL C'étaient d'abord la jalou-
sie, la douleur, la cruauté de tous, mais telles pourtant
qu'il fallait être roi ou prince pour les éprouver aussi
explicites et surtout roi ou prince de tel autrefois et de
telles circonstances d'existence.
Et ces deux caractères : d'un côté la généralité, de
l'autre la spécialité sont — notons-le — communes à
toute large œuvre esthétique et même, à toute puis-
sante œuvre humaine accomplie par quelqu'un de grand.
Il y en a pour la foule et pour les choisis, toujours. En
littérature, depuis Homère jusque Hugo, cette loi se
vérifie, en musique, depuis Bach jusque Wagner, en
peinture, depuis les primitifs jusque Delacroix.
Qu'il se trouve en présence d'un très grand et très
complet acteur de génie — certes le pins grand parmi
les vivants — le public ne semble guère le sentir, lors-
que, banalement empressé, il marque d'applaudisse-
ments, au milieu d'un acte, soit une tirade, soit une
attitude. Souvent une scène entière en est fendue et
même avons-nous vu, par ces maladroits témoignages
d'enthousiasmes, le geste de Rossi, maintenu en l'air,
retomber à faux dans une réplique. II fikudrait qu'on
défendit toute marque d'assentiment ou de dénégation
avant la fin des actes. On y réussit à Bayreuth ; pour-
quoi ne point essayer chez nous î
Des rôles, jouésjusqu'à ce jour, cesontceux d'Othello,
Louis XI et Lear, qui le plus grandiosement ont été
déployés. Surtout Lear. Celui-ci, un des plus extrêmes
de passion qu'on puisse instaurer sur des planches a
été compris à miracle, principalement en sa partie sau-
vage et désordonnée. Le roi fou, le populaire roi-fou des
chroniques et des légendes, l'acteur l'a rendu marchant
et gémissant à travers le prototype shakespearien si
merveilleusement que c'était à la fois au troisième et sur-
tout au commencement du quatrième acte, tout roi fou ;
et dans les autres un tel : celui, le père trahi, puni par
ses filles aînées, qu'il aima au détriment de l'autre, la
cadette, Cordelia, en violation de cette loi quasi-natu-
relle, ordonnant, au contraire, plus d'amour pour les
faibles et dernières venues. Et ce point, si évidemment
clair dans Shakespeare et affirmé par l'extrême dou-
ceur du rôle de Cordelia, ne noiis parait point avoir été
suffisamment noté par les commentateurs et essayistes.
Certes, Lear est puni à cause de son imprudence et de
sa sénilité et vanité inclinées aux flatteries et aux pro-
testations grandiloquentes, mais aussi, mais surtout
pour la transgression de cette loi paternelle, si intime
au cœur, si profonde : le dorlottement des petits, des
plus petits et des plus doux.
Toute la détresse du roi, sa raison déchirée comme ses
vêtements, ses paroles tordues en folie comme sa barbe
et ses cheveux au vent, ses fuites devant l'orage sonnant
après lui la ruine et l'écroulement de sa royauté, ses
cris, ses hallucinations, sa couronne de paille, son
sceptre grotesque et surtout la lande ou il erre dans le
vide comme aux extrémités de la terre, expriment —
un plus significatif décor est-il possible? — toute une
âme à bout de tout. Et Rossi, alors que par cette gran-
deur même des alentoui-s, par cette éloqnoice allégori-
que de costumes et d'accessoires tels autres seraient
écrasés, ne s'impose que mieux : le dominateur par la
voix, le geste et le regard de ce drame énorme battant
sa tète.
Et ce qu'il est — c'est-à-dire parfait — dans Lear, il
l'est également en ses autres créations dramatiques,
mais après l'avoir vu, jeudi soir, on a comme l'impres-
sion que, volontairement, il se diminue en jouant d'autres
rôles.
^z-
L'ART MODERNE
133
LA GOLIEGTION BUISSERET
Voilk que -va l'éparpiller encore, au vent dea enchères, une
dea plua belles colleclions de noire pays, et qu'un nombre assez
conakiérable de tfëa beaux tableaux des écoles flamandes ei
hollandaises va quitter la Belgique. Il s'agit du cabinet de feu
M. le vicomte de Buisseret, un collectionneur de haut goût, dont
les toiles seront vendues ^ la galerie Saint-Luc, les 29 et 30 avril
prochains, et exposées les deux jours précédents.
Une telle vente est un événement. Il est infiniment rare de ren-
contrer réunis un aussi grand nombre d'œuvres d'une telle
valeur. Les principaux maKres hollandais sont représentés ei
l'exposition sera, par la qualité des toiles, un véritable musée,
ouvert seulement deux jours.
n y a Ih une grosse centaine de tableaux, tous d'une pureté
merreillegse et d'un choix distingué. La qualité en est souvent
bon ligne et on y trouve, parfoi», l'œuvre capitale d'un petit
maître. C'est ainsi que le Paysage italien d'Adam Pynacker est la
toile la plus belle de cet artiste souvent froid et d'un jaune glacé
qui déplait, notamment dans la Chasse au daim du Musée de
Bruxelles. Les Musées de Hollande, eux-mêmes, ne possèdent cer-^
tainement pas d'exemplaire aussi chaud et parfait du talent de ce
maître très rare. Voici encore nn excellent Qaspard Netscher,
dont les accessoires sont quasi traités it la Terburg, des Asselyn
superbes, des Bega, un beau Brekelenkamp et tant d'autres...
Mais il nous faut réserver notre étude it quelques joyaux qui font
la gloire de la galerie.
Un minutieux Teniera : Intérieur. Une cuisine aux magols ner-
veusement dessinés et d'un beau style — le slyle superbe des
magols, disait un jour J.-K. Huijsmans.
L'intérieur d'une tonalité brune est réveillée par une toque d'un
rouge vif accrochée, au milieu, au dossier d'une chaise. Toute
une partie du tableau est abandonnée k une nature morte : chau-
drons, pommes riantes, bécassines, cruches, fioles d'un faire
large et en même temps d'un fini consciencieux, qui sont bien la
caracléristique des belles toiles de Teniers.
A cdlé de ce tableau coquet, délicat, voici un Philippe Wou-
wcrmans des plus puissants, haut en couleur : Scène d^hiver.
Quel pittoresque fastueux, ramassé en un carré de toile, d'une
maîtresse façon ! C'est de la richesse encadrée et le coloris est
d'un faste tout royal. Une scène, près des murs d'une ville, avec
des patineurs, des traîneaux, des moulins, des marmots, des che-
vaux, une tenle, sous un ciel d'hiver largement développé. Nais
les marmots rutilent, les chevaux sont velus d'opulence, et dans
le sentiment d'intimité qui chante en cette toile, sous l'animation
de la. foule, on dirait que la neige elle-même se beurre d'or.
La teinte d'Albert Cuyp, ce maître tant vanté par Fromeniio,
est plus sombre, ici, avec des verts sourds de berges hollan-
daises ; les gris ne tintent pas et ne coquetlent pas ainsi que
chez Teniers; mais la couleur n'en est pas moins profonde,
d'une large résonnance et d'une hautaine saveur. Elle est plus
grave, sans perdre de brillant. Le Prince d'Orange au siège de
Breda a d'ailleurs toujours été considéré comme un des beaux
Cuyp. Voyez ce ciel d'opale, conlrasianl avec le clair obscur du
camp aux bannières flottanles, et, i l'avant plan, la crftne figure
du prince. Personne comme Cuyp n'a, en une toile de chevalet,
planté avec autant de verve sur un cheval un gentilhomme botté,
éperonné, la plume au vent. Celui-ci ne ferait certes pas mau-
vaise figure dans la cavalcade de ceux du Louvre, de la Haye et
d'Amsterdam, effigies par le même pinceau.
Un autre peintre exalté par Fromentin, c'est Jakob Ruysdael.
Il en trace, dans les Maîtres d^autrefois, une mélancolique phy-
sionomie. C'est, sans doute, le plus pénétrant des paysagistes
anciens. Beaucoup de ceux-ci s'arrêtent à la couleur, au décor,
au pittoresque. Lui, prophétisant déjà la pensée moderne, va à
l'âme du pays et gratte l'écorce de la couleur. Dans chacune de
ses toiles, il découvre comme un cœur : est-ce un rayon de soleil
tombant sur une plaine ou une colinne (ainsi qu'en mainte vue
de Haarlem), un reflet de soir sur une muraille songeuse (comme
au Moulin, d'Amsterdam)? Ici, dans ce sauvage Torrent, c'est,
entre les deux barraques jaunes, sur un monticule, dans une
plaine qu'on sent immense et qui suggère des infinis de bruyères
et de sablonnées, ce petit moulin blanc seul éclairé, étrangement
pâle, qui incite au rêve et indique le coeur poétique du tableau.
La Cascade, si elle n'est pas aussi pensive, a des qualités de
robustesse et d'Spre vigueur. Ruysdael s'est fait le peintre des
écumes tourbillonnant autour des gros rochers, le long de
lisières aux arbres altiers. Cette fois, il ajoute un fond très doux
de crépuscule descendant sur des collines bleutées, au loin.
La Vue prise en Norwige d'Everdingen s'accuse de la même
école. Même sang, même force, robuste, placide. Everdingen,
par certaines toiles, comme celle-ci, se révèle de grande race.
Et nous songions, devant cette Vue prise en Norwige, à tout ce
que Courbet a dérobé aux anciens peintres.
Un autre paysagiste : Van der Necr. Quel Hiver léger, d'une
vive et gaie animation, avec son piaicato, sur la glace, de
tachettes rouges, jaupes, vertes! Comme ce ciel moutonné a éié
bien vu! Et, avec l'avant plan de ces brunes maisons, de ces
meules, de ces moulins, aux ragoûtantes couleurs comme saurées,
quel vibrant fond, i l'atmosphère aiguë et profonde, où les
petites cahutes et les arbres lointains sont jetés avec un charme
et une sûreté exquises!
A côté des paysagistes, leurs frères : les animaliers. Nombreux,
ici : Berchem, Van de Velde, Dujardin, Saflleven, Soolmaker,
Fyt, Sloop, certains Lingelbach, Pierre Wauwerman, elc.
Un des plus arrêtants : le site champêtre avec animaux d'Adrien
Van de Velde. Ce Van de Velde est un des plus riches peinires de
la pléiade qui constella de ses toiles la terre hollandaise. C'est un
des plus savoureux coloristeset ce tableau est une de ses meilleures
productions. Dire, sur ce fond chantant de bosquet et de crépus-
cule, la gloire d'or et de lumière de celle vache blanche et
brune, superbe comme un soleil ! Elle gorge l'œil d'une fêle de
couleur, avec des splendeurs magiques qui rappelleraient celles
des cuirs de Cordoue. C'est un des plus somptueux tableaux de la
collection.
Karl du Jardin est bien représenté' aussi : Le Berger et son
troupeau est une œuvre de marque. Le dessin m'en paraît aussi
précis, aussi profond et savant que celui de tel Potier. Le gamin
au bord de la mare, la vache debout, l'Ane surtout sont d'une
facture merveilleuse et finie. C'est délicat, charmant, et la colline,
les ruines italiennes, le paysage fuyant font au groupe du troupeau
un décor ravissant.
Nicolas Berchem a, lui, deux toiles maîtresses : Le pansage
du gué et le Retour à la ferme. On sait sa manière et Berchem
est 'certes un des hollandais les plus connus et les plus goûtds.
Sa pile est fine, douce, caressante, et sa poésie, toute conven-
tionnelle, avec ses gués de pastorale, possède une mélancolie
„■'«',■ -'^"v.'.ÇT.^i,:
134
L'ART MODERNE
de jolieMe, pareille ii an son de grelol, penda ao eol d'one
géniMe, par un soir de beao crépoKole. Je me l'imagine comme
le peintre dc« vieux «alons de Néerlande, ai ariatocratiqnes et d'un
goûi donl le* gens aciuels n'onl même plus le relent. Ce peintre
italianùanl, i l'cxéculion brillante, jooit d'ailleur», de sa vie,
d'une grande ri^putalion, et la peinture en parait toute heureuse.
Le Fjrl, la Chaîne au Héron, eut un auperbe et grand tableau
décoralir, de hr'lle allure, tout jappant de chiens aux gueules
rougf» se précipitant vers un héron colériqtie et acculé parmi
rfiffarftmcnl d'une bande de canards.
Avant de parler de» peintres de genre, 'n'omettons pas ce vrai
joyau : Vue (Tune pince publique, de iean Van der Heyden et
Adrien Van de Vcide. Ceci est prejqu'une miniature, mais d'une
exquisilé cxiraordiniiire. Quelle finesse! C'est peint, dirait-on, avec
des flis de soie, tant il y a de préciosité dans la touche. Un coin
de place hollandaise : une chapelle blanche, un couvent i la
muraille d'un ton sonnant de cuir ronge qui jette une grande
ombre au pavé, le mur en briques d'un jardin, de» arbres, et là
dedans des mendiants, des moines, des seigneurs se rendant sans
doiit<; il vêpres, car l'horloge solaire de la chapelle marque cinq
heures. Peiil tableau suggestif! Je l'ai contemplé longuement et
me Tigurais vriir un après-midi du vieux jadis hollandais, des
persontiîige» (l'ijnian, toute une vie passée comme ressuscitée au
fond (l'iinn limpide pierre précieuse.
Parmi les peintres de genre, voici d'abord un Intérieur de
Itrauwer : dans un cabaret, un jeune villageois en pantalon jaune
et veslon rose, assis sur un banc, une cruche 6 ses pied», une
chope !i la main ; 6 le régal de couleur, que la mine égrillarde du
gîiilliird vient (leiirir d'une fleur épanouie d'ivresse et de chanson,
h bnurlio ouverte, les cheveux sur le front! L'œil du bonhomme
est une merveille, on y sent loiile la snoûlerie montant au cerveau,
(|ui s'iiliéiil lenlemenl.
La Tabagie de Van Osladc est aussi de qualité supérieure.
Toujours duns ce clair obscur qu'une partie de l'école hollandaise
dnii il llenibrnndt cl qu'elle sait réveiller. Dieu sait par quel feu
(l'arlirice tiré ti travers les caves d'or de sa peinture I Les magots
dOslade ne »onl pas aussi fringants que ceux de Tenicrs, mais je
les aime mieux pnurlanl, enr ils sont d'une vie plus profonde.
Ici, voyez le paliiuil en veston marron, apportant tl son rustique
cnnipugnon qui allume sa pipe ^ un réchaud, un pot de bière.
On se cent snus le chaume épais et chaud, et l'intimité de ces
riiHlres reçoit par la magie du pinceau et par le laiii du geste un
carnclire mille fois plus gnind et plus saisissant que celui de la
plus nnblo vierge d'un Ilouguereau.
Voici miiinlciiant un Joyeux buveur signé Franlï Hais. Bel
exemplniro de la peinture généreuse, facile, primcsautière du
maître dn llanrlem. C'est gras, luisant de santé et de belle
humeur, et l'iiilarn compagnon, i> la face allumée, au poil fruste.
In cruche au pouce, est étonnant de vie dans son cadre.
Nous arrivons I) un tableau très curieux : Portrait de l'artiste
tt de sa famille, par Karl De Moor. De Moor est un porlraitisie
donl les œuvres nn sont pas communes. La Hollande môme en est
pwuvro et en Helgi(iuc il n'y a guère, je pense, que le ponrail de
femme de lu giilirio d'Arenbcrg. Do Moor a été l'élève de Miéris
ol (lo .Sclialken oi il participe, d'ailleurs, ti la belle école de Rcm-
liranill. Ce liiblenifri est une merveille. Les personnages sont
d'une vie et d'une idée intenses, et le décor et la couleur chaude
et opulente font rlianler, autour du mallrc en robe de chambre
rliamarrér, assis au milieu de sa famille dans un fauteuil en chêne,
loole DM imimiié eoMoe dlntérieiir d'artbia. L'felai cbaniD et
pensif des Ti«fn, ie (este de BMio dn aMilK, d'^M allwe toute
rembrancsqoe, le fond briHant ci la bdan nperbe font de ce
tableau on des bijoax de la riebe collection, ^onlcx-y llniMl do
SDJet : nn royal moreean de mnide.
Finissons par nn Jan Steen : Là Malade. Aprts Rerabrandi,
Steen est le génie de la Hollande. Il est toot d'abord pemlre mer-
veillenx. H fera, sons son archet de coloriste, vibter la eonleor
aussi bien que Terbnrg ou Pieler de Hoof . Mais, en outre, quel
bon philosophe c'est et quel conteur ! La Nëerlande, panvre en lit-
térateurs et en poètes trouve, pour ainsi dire, tonte sa lillëraiure
et sa poésie dans les Rembrandt et les Steen. Si Rembrandt est
énorme, comme Shakespeare ou Wagner, Steen est nne sorte de
Smolett on de Fieldtng pictural. Il a de la^ bonhomie, de la
malice, de l'esprit, de la satire et une extraordinaire pénétration
du visage humain. Sa verre est colossale.' Il serait cnrieux de le
comparer it cet Anglais : William Hoprtb. Car ce sont deux
natures très semblables et c'est leur caractère national qui les dif-
férencie. Steen, Hollandais, a la pâte plus fine, le dessin plus
souple et sait flatter l'œil. La peintore d'-llogarth a le geste raide
et la couleur sèche et criarde, il cOlé de celle de l'artiste de Leyde.
flogarth moralise, prêche : on le sent sévère, dogmatique, et il
blâme les gens qui se saoAlenl et aiment les filles. Steen en rit,
et il peint, sans souci de morale, par besoin de conter et de
peindre. Il n'est pas moralisateur, il est mille fois plus artiste.
Nais ce qui rapproche ces deux hommes, c'est qu'ils sont, au
fond, tous deux aigus et anecdotiqoes « peintres de mœurs »,
qu'ils sont tous deux d'un réalisme qu'Ilogarth, en vrai Anglais,
a poussé parfois jusqu'à la brutalité. El ce qui montre leur grande
valeur, c'est qu'en les étudiant ii fond, on trouve, complet, chez
eux, l'esprit de leurs races respectives, bien caractérisées, el en
même temps les analogies nécessaires existant entre leurs deux
pays. Mais revenons à notre tableau. Une de ces grandes jeunes
filles malades, un tantinet malades, une sœur de celles de La Haye
el du Musée Van der Hoop, est couchée sur un lit de repos. Le
médecin malicieux si souvent consulté dans les tableaux de Steen
préside ti une opération qu'une femme agenouillée va accomplir,
une seringue en main. Derrière le groupe se trouvent une vieille
et une servante riant à un garçonnet qui entr'ouvre la porte. Le
corps de la jeune fille, dans sa jupe d'un jaune exquis, est modelé
d'une façon maîtresse, el rien n'est spirituel comme l'expression
rougissante et effarée de son visage, tandis que l'opératrice tient
l'inslrumeni avec le geste d'une avec qui la pudeur a depuis long-
temps divorcé. Une muraille gaufrée d'une sorte de Cordoue, des
édrcdons moelleux, un Smyrnc traité avec opulence, complètent
ce magistral tableau.
Eooftm DmoLon.
Troisième concert populaire.
M. Dupont a résolument inscrit au programme de son troisième
concert quelques œuvres symphoniques de la jeune école fran-
çaise , la plus vivante , la plus laborieuse , la plus vraiment
artiste, avec l'école russe, qui soit. El il faut lui savoir gré de
cette nouvelle initiative, qui complète la vulgarisation, accomplie
par les XJ(^, de la musique de chambre et des compoisilions
vocales de cette même école.
Ëcolc doit s'entendre ici, cela va de soi, d'un groupe uni par
des affinités de sympathie, el non d'one réunion de disciples
'-■. ' '■;
L'ART MODERNE
135
vjmX même esthétique, procédant 6 l'aide de règles déterminées,
voués k des préceptes inéluctables.
Et même, h y regarder de près, il est aisé de se convaincre
que le programme de dimanche était disparate. Seuls, Vincent
dlndy, Ernest Chausson et Emmanuel Chabrier sont Jeunes-
France. MM. Laio et Bourgault-Ducoudray pataugent dans les
terres battues, y restent pris par les pieds, malgré leur effréné et
d'ailleurs très louable désir de s'en dégager.
L'ouverture de Fietque, du premier, n'est qu'une médiocre gri-
saille, coupée de quelques tons violents, cinabres et vermillons
éci^sés parmi les cendres et les ocres, sans lien harmonique
entre eux.
La Rhapiodie cambodgienne du second semble être la cantate
d'ouverture de l'Esplanade des Invalides en 1889. Œuvre plus
bruyante que brillante, exlraordinairement boursoufllée et
d'ailleurs absolument vide. C'est l'exaspération du folklore,
l'ethnologie quand même et malgré tout, alors queie sujet ne s'y
prête guère. Que la composition soit habilement écrite, pleine
d'effets d'orchestre et bourrée de timbres bizarres, nous n'y con-
tredisons pas. Mais il quoi bon tout cela, si elle ne touche pas?
Le public a très nettement établi cette distinction en acclamant
Joseph Dupont après l'exécution de Walletutein, en demeurant
parfaitement froid après celle de la Rhapsodie. Cette trilogie de
Wallentleitt, qui eût dû clore le concert et non l'ouvrir, est
apparue rayonnante de jeunesse et de force. On a dit avec raison
que c'est la composition la plus parfaite qu'ait produite l'école
moderne. Elévation des pensées, distinction du style, intensité
du sentiment, tout concourt II classer ces trois grandes pages
symphoniques parmi les plus belles de la littérature musicale.
La moriieWallenilein, surtout, atteint les plus hauts Sommets
lyriques. L'exécution colorée, presque passionnée, qu'en a donné
l'orchestre de Dupont a mis en pleine lumière les beautés de cette
admirable composition. Souhaitons que l'an prochain amène
l'exécution du Poime de la Cloche, qui fera connaître sous un
aspect nouveau l'auteur de WalUnitein.
Le poème symphonique d'Ernest Chausson, Viviane, décrit
d'une façon pittoresque et charmante les mystères de la forêt de
Brocéliande ; il peint les enlacements de Viviane et de Merlin,
brusquement interrompus par l'intrusion des envoyés du roi, le
départ de Merlin, le désespoir de Viviane.
C'est, brossé par une main experte ii manier l'orchestre et k en
tirer de jolies sonorités, un décor de féerie d'une poésie raffinéi!
dans lequel se meuvent silhouettés, en quelques traits sûrs, les
deux héros. Le cadre est, restreint, mais le tableau entrevu
demeure gravé dans la mémoire.
L'enir'acte de Owendoline, cette œuvre charmante qui devrait
figurer au répertoire de la Monnaie, complétait ce programme
panaché, attrayant et très applaudi.
EXPOSITION DU CERCLE ARTISTIQUE
Le temps n'est plus des gais carillons sonnés k toute volée par la
petite chapelle du Parc, ralliant les fidèles de l'art jeune. C'est le
bourdon du poncif et du vieux jeu qui, lourdement, tinte dans la
solitude de l'enclos délaissé.
L'essor des artistes s'est porté ailleurs. Ne restent au Cercle que
les très anciens habitués, vissés k la cimaise et k leur queue de
billard, et aussi le groupe redoutable des amateurs et celui des
« jeunes filles qui font de la peinture (c'est une si jolie
distractioni) ».
On n'y croit plus, aux salonneli du Cercle. Les quelques peintres
de talent qui, par hasard, lui sont constants, ne lui accordent
guère qu'un morceau secondaire, une « réjouissance », réservant
les bonnes pièces soit pour les salon» plus en vogue, soit pour
leurs expositions particulières, très en faveur, et, paralt-il, infini-
ment plus « profitables ».
La conséquence : une galerie de choses quelconques, sans
saveur d'art, qu'on parcourt avec indifférence, saluant, ci et Ik,
un nom connu; un chapelet, vile égrené, de toiles et de bustes
dont les pater sont figurés par quelques grosses composilions qui
retiennent un moment de plus, sans exciter d'impression plus
vive.
Parmi ces dernières, une grande toile de M. Hennebicq, desti-
née k décorer l'hôlel de ville de Louvain : Pierre Coutherel
déchirant devant le peuple insurgé les privilèges des patriciens
(1360) et un groupe en plâtre de M. De Rudder : L'abondance.
Les paysages pleuvent, signés Binjé, Baron (uue toile ancienne
de celui-ci, exécutée en Campinc, sollicite), Ermel, Coosemans,
Wytsman, Van der Hecht, Courtens, Kflhstohs, Hagemans,
Rosseels, Hamesse, Gilsoul, Franck, Den Duyis, François,
Gislain, Van Overbcke, — à Thuile; Siacquct, Uytterschaul,
Cassiers, Baes, — k l'eau.
Le plus intéressant, le seul qui relienne : Un coin de bois soli-
taire, par A.-J. Heymans, une lumineuse échapp(?e 4e vue sur
la Campine anversoise, profonde, radieuse, évoquant avec force
l'intensité d'un coin de nature agreste.
Celte œuvre constitue incontestablemeni, — avec les deux sug-
gestives composilions de Fernand Khnopff : Du Silence, superbe
dessin au pasiel, et Qui me délivrera? d'après un poème de
Christine-Gabriel Rossetli, — l'atlraclion ariisiique du Salon.
Signalons aussi, dans le iriagc k faire, la jolie Sphinge en mar-
bre de Van der Stappcn, l'une des plus heureuses inspirations de
l'artiste; VOphélie de Ter Linden; un pasiel d'Eugène Smits; une
Marée haute, excellemment gravde par Siorm de Gravesande ; les
petites scènes d'intérieur, toujours amufantos et spirituelles, des
frères Oyens; une Cni/Mne d'Emile Claus, Icnlaiivc sérieuse d'affi-
liation aux milices artistiques nouvelles; les Tirailleurs d'Abry ;
le portrait en marbre de Charlicr.
Quant k la Pensée qui s'éveille deM. Léon Frédéric, c'est, iraiié
en des jus de groseilles, des lies de vin, des pressures de pru-
nes, la même figure rustique qu'il nous sort d'habitude, chiclic-
ment peinte, encadrée, cette fois, d'un herbier multicolore dans
lequel luisent des papillons et des coléoptères variés.
de M. Edouard Dujardln, au Thé&tre d'application.
{Correspondance pariiculiire de /'Art moderne.)
L'/4n/<wiodeM. Dujardin, qui fut rcprésenléc lundi au Théâtre
d'application, est une excellente introduction k l'audition d'un
répertoire symboliste, qui compte maintenant VAmant de
M. Vielé-Griffin, les drames de M. Maflirlinck, les mystères de
M. Pierre Guillard et Hérold, et qui s'augmentera, car un théâtre
nouveau doit corrcspondsc k l'élat des esprits d'aujourd'hui, qui
ne veulent pas s'intéresser, aux basses fictions naturalistes.
Il est très bon que le premier contact, un peu long, avec un
r<*';,«'--.;,.'",Y-:i5»"^
136
UART MODERNE
public qui représentait, en réduction, assez bien une assemblée
de première, ait eu lieu au moyen de celte pièce, qui est à la foi»
très fondamentale quant au sujet, cl très simple dans la façon
dont il est illustré d'apparences et d'images.
L'amant et l'amAnto se rencontrent quelque soir, el ce sont :
les fatigues el les roules oubliées, el la longue attente el la longue
recherche, el les vieillards qui gourmandent les amours impru-
dentes, el Paris qui passe souriant el déjh lenlaleur...
Derrière le bonheur présent el l'ivresse, c'est comme l'ombre
d'un passé intérieur qui se lève, el dans l'Amant el dans l'Amanle
c'est le souvenir de falaliiés secrètes sues autrefois : c'est le rire
mauvais el comme involontaire de la Femme à la douleur qu'elle
a causée; c'est en l'homme la conscience d'un destin de larmes
el d'épines;* derrière l'Amante c'est Kundry, derrière l'Amant, le
Christ... Paris repasse el le mortel destin a lieu...
Puis c'est l'Amant mourant et le reproche de sa souffrance, et
le désespoir de la Femme, qu'à son lour il méconnall.
La pièce a commenté le célèbre vers de Wagner : « Je le vis el
je ris... »
Le thème est développé avec un très large mouvement lyrique
où se mêlent des chœurs d'hommes el de femmes, qui symbo-
lisent des altitudes de vie el qui prononcent l'usuelle sagesse, les
conseils des vieux, le babil des vierges.
L'œuvre, en somme, a du tragique, de la grâce el parfois une
corlaine verve comique.
Le vers est basé sur une alternance de rythmes très libres,
ramenant en rime le retour variable d'un son unique.
La strophe ainsi conçue va jusqu'à ce que l'agrément de celle
sonorité soit épuisé, ce qui permet sa répétition un nombre de
fois déterminé par le goût seul.
Cette métrique a l'avantage d'une apparence de simplicité avec,
aux endroits de grâce, un air de vieille chanson, de ritournelle,
el aux instants de force une sorte d'insistance.
Le décor est simplifié à un paysage. Le costume esl contempo-
rain, pour montrer qu'il est indifférent. L'accessoire est réduit à
l'indispensable.
La pièce a été excellemment jouée par M"» Mellol, svelle en
une blanche robe, sous de très nobles attitudes de charme el de
passion el une entente parfaite de la diction du vers, et d'une
manière à la fois tragique el délicieuse.
Les chœurs ont conversé d'un Ion très juste.
L'auteur a pris soin d'indiquer lui-même au public le rôle de
l'Amant. Il l'a fait d'une façon un peu anguleuse, à la Seural, en
auteur cl non en acteur, ainsi que le signifiait le papier roulé d'un
manuscrit qu'il tenait à la main, à son entrée en scène, pour
indiquer qu'il ne jouait pas, mais lisait bien plutôt dans sa
mémoire.
■J^XPOglTlON? A pARip
PASTELLISTES FRANÇAIS, PEINTRES - GRAVEURS
Camille Pissarro, Mary Caasatt
{Correspondance particulière de l'Art moderne)
Les admirations de l'élégant public qui foule les lapis de
M. Georges Petit sont pour MM. Duez, Gervex, Doucel, Lhermiite,
Nozal, Béraud, el ces artistes, n'ayant aucun talent, ont droit à
ces admirations. Si les œuvres de M"' Marie Cazin ont quelque
charme de francbiso, celles de M. BilloUe, par iMin elairt de lune,
une certaine mélancolie, ne suffiraient pas k justifier, en d'aussi
somptueuses salles, l'actuelle eibibiiion dea spécialistea du pastel.
Heureusement M. Forain est Ik el M. Chéret.
Quand M. Forain exécute une tête de femme, dame on modèle
ou quelque portrait, il n'est pas de pire Forain, mais si dans
l'habituel décor où il précise ses scènes de mœurs, il meut,
— marionnettes d'un guignol railleur, — ses personnages lypés
(soil une fille, un garçon de café, une danseuse el sa mère, un
banquier véreux et juif, ou un abonné de l'opéra) il est dès lors
supérieur et inimitable.
H. Chéret semble tourmenté du désir de faire autre chose que
des affiches. H. Chéret croirail-il être inférieur k lui-même dans
les cbromos qu'il prodigue aux murs de Paris 1 Ses grandes
fantaisies au pastel éblouissent par une virtuosité déconcertanl-,
par le choix gracieux de couleurs vives et comme fondantes, par
lajoie de Polichinelles etd'Arlequios, de Colombines el de Pierrots.
liais ce charme vile aboutit k l'indifférence, car il ces œuvres
manque le caractère définitif et spécial des affiches de M. Chéret,—
et elles ne sont en somme que des projets'd'affiches, où manque
le nécessaire et amusant adjuvant des caractères typographiques.
Quant k M. Jacques E. Blanche, il met une activité obstinée à
peindre d'innombrables portraits.
Aux peintres-graveurs, il y a de Forain les dessins originaux
du Courrier françait, avec de cinglantes légendes que doivent lui
envier les habituels fournisseurs de M. Antoine, les délicieux
jeunes gens qui mettent en pièces des nouvelles naturalistes.
H. Redon dessine et lithographie; il peint également, moyen
d'expression dont le besoin chez cet artiste ne se faisait pas impé-
rieusement sentir. M. Redon possède, comme lithographe, d'ad-
mirables qualités de technicien, il esl un admirable coloriste en
blanc et noir; et k ceux qui, d'après les horreurs de cauchemar
qu'il aime nous montrer, contestent sa science de dessinateur, il
offre cette admirable planche : Yeux clos.
Quoique supérieurs à ceux de Raffaèlli, les dessins de H. Re-
nouard ne suscitent point l'enthousiasme, non plus que les études
de M. Besnard, toujours instable et caméléon, non plus que les
croquis de M. Rodin, tumultueux, vagues et insignilianls. M. Henri
Rivière est fou de japonisme au point de nous faire prendre pour
de mauvais Hiroshighé ses paysages parisiens.
Enfin, parmi les gros négociants de la pointe et du burin, le
président Bracquemond met en montre des dessins et uncuivre dont
l'absolue nullité afflige, le photographe Des boulin quelques échan-
tillons d'instantanés, la firme Guérard un choix varié des pro-
duits de son usine. La sincère et calme simplicité des marines à
l'cau-forte de M. Slorro van 's Gravesande repose de toutes ces
jongleries.
M. Camille Pissarro, M"* Cassait exposent également chez
Durand-Ruel, en deux petits salons voisins, où l'on pénètre au
sortir du cirque des graveurs.
Par douze eaux-fortes (paysannes, marchés, paysages), deux
gouache» (un chef-d'œuvre, ce Marché dam la Orande-Rue à
Oiiort), cinq dessin» rehaussés, trois pastels, M. Pissarro
témoigne d'un talent sans défaillances et de l'ingénu et aventu-
reux artiste qu'il esl, el en cinq éventails gracieux et de site»
champêtre», des fraîcheurs matinales d'été, des couchants ou des
neiges s'épandenl.
M»* Ca»»ait »'inquiète peu, en ses huiles et ses pastels, de pein-
ture claire ou éclatante : elle est surtout dessinateur, et c'est de
'■/>
kv'f^'y f'*--'''-
L'ART MODERNE
137
celte unique élève de Degas, ft «on tour un maître, des variationa
sur ce thème : une mère et son enfant. Nais en sus du merveilleux
style de ces probes œuvres, allant jusqu'à évoquer le souvenir du
Ghirlandajo, c'est l'exquise grâce imprévue de gestes enfantins
que seule une Ame féminine pouvait ainsi subtilement observer et
traduire.
En huit planches gravées (pointe sèche et aquatinte) !!!'■• Cassait
innove. Scènes intimes et mondaines, ces gravures i l'instar dis
planches du Japon, sont imprimées en couleurs. Si la première,
ce Bain d'enfant, est, pour l'étude du procéd'é, une voulue traduc-
tion européenne d'Ouiamaro (et l'artiste l'intitule : Etsai d'imita-
tion de lettampe japonaite), la Lettre, la Jeune femme enayant
une robe font prévoir des œuvres d'une nouveauté d'art char-
mante et parfaitement personnelles. G. l.
f>ETITE CHROJ^IQUE
La troisième séance de musique classique pour instruments k
vent et piano, donnée par MM. Anthoni, Guidé, Poncelei, Merck,
Neumans et De Greef, aura lieu aujourd'hui dimanche, à deux
heures, dans la grande salle du Conser\'aloire, avec le concours
de MM. Danlée, basse chantante, Ed. Jacobs, professeur de
violoncelle et Gurickx, planiste.
Comme œuvres principales, on y entendra le trio pour piano,
clarinelie et violoncelle, ainsi qu'un octuor de Bocihovcn, l'air
d'Iphigéfiieen Aulide de Gluck et des mélodies de Schubert.
Une représentation extraordinaire sera donnée demain, lundi,
au théâtre Molière, au bénéfice de M. Alhaiza. M"* Dyna Beumer
se fera entendre dans un eutr'acte des Faux bonthommes de
Théodore Barrière.
Dernier amour flamboie sur les affiches du Parc, à moins que
ce soit Dette de Haine ou quelque aulre Maître de Forge».
M. Candeilh ne paraît pas compter beaucoup sur celte pièce. Il
annonce pour vendredi prochain les Joies de la paternité, 3 acies
d'Alexandre Bisson. ,
On nous prie d'annoncer le concert qui sera donné i la Grande-
Harmonie le mardi 28 avril 1891. il 8 1/2 heures du soir, par
M. Henri Merck, violonccllisle, M"« Carloita Welli, canlairice,
M'" Louisa Merck, pianiste, M. Rossecis, baryton et M. Franz
Godebski, violoniste.
Erneslo Rossi donne & l'Alhambra une nouvelle série de repré-
lations. Le premier speetacl'!, fixé a mardi, sera Othello.
Demain, lundi, le Roi Lear, au Théâ're communal.
L'Avenir dramatique organise au Théâire- Moderne des repré-
senialions dont la première aura lieu incessamment.
Au programme de ce spectacle d'ouverture : Un Af/Ue de
Camille Lemonnier, et le Djighit, pièce en 4 tableaux, par
M™ TolaDorian.
Nouveau deuil dans la famille arlislique. Le sculpteur Chapu
vient de mourir k Paris, dans la force de l'âge.
Chapu (Henri-Michcl-Anloine) éiail né au Mée (Seine-et-Marne)
le 29 septembre 1833. Élève de Pradier, de Durct et de Léon
Cognict, il remporta le grand prix de sculpture en 1885, avec
CUobis et Biton, et, en 1863, il d(^biiiail au Salon, avec son
élégante statue de Mercure inventatit U caducée, qui figure
aujourd'hui au Musée du Luxembourg et qui a éié popularisée par
les reproductions de toute sorte.
Depuis, nous retrouvons le jeune maître aux diffi'rcnts Snlons
avec un buste de M. Léon Donnai, le Génie de l'Immortalité,
desthié au monument de Jean Raynaud ; le Semeur, statue plaire;
la Mort de la Nymphe Clytie^ la Sécurité, sialuc en pierre
destinée ii la décoration de la préfcciure de police; le Monument
à la Mémoire de Berryer, pour le Palais de Justice; le Monu-
ment à la Mémoire de Schneider; Jeune Garçon, statue, marbre;
Plulon et Proserpine, deux figures destinées aux parc de Chan-
tilly ; la Statue ae la Duchesse i Orléans; le Tombeau de Mgr
Dupanloupt Jeanne d'Arc, etc.
Au dernier Salon encore, Chapu exposait une Danseuse et le
Monument de Gustave Flaubert.
L'une de ses œuvres les plus appréciées est le monument élevé
â l'école des Beaux-Arts â la mémoire d'Henri Regnault.
Un joli Irait de filial souvenir ù son lieu de naissance : Chapu
envoyait régulièrement au Mée la maquette'ou un plâtre de cha-
cune de ses œuvres. L'école communale de cette ville possède
actuellement un véritable petit musée qui perpétuera la mémoire
de l'artiste.
Une représentation symbolique d'œuvres inédites sera donnée,
le 27 mai, à Paris, au Vaudeville, par le Théâtre d'Arl, au bénéfice
du poète Paul Verlaine et du peintre Paul Gauguin.
Le programme de cette intéressante matinée comprendra :
1° Les Uns et les Autres, un acte en vers de Paul Verlaine
(partie musicale de M. Pierre Quittard). — 2° Le Corbeau, poème
d'Edgar Poe (traduction de M. Stéphane Mallarmé). — 3° L'In-
truse, un acte ei prose de M. Maurice Maeterlinck. — 4' Chéru-
bin, trois actes en prose de M. Charles Norice (partie musicale de
M. Pierre (}uittard). — 5° Le Soleil de minuit, un acte en vers de
M. Catulle Mendès. — 6» Un Poème dialogué de M. Théodore de
Banville.
Ces œuvres sont diies Ou jouées par :
MM. Paul Mounet, Dchelly, de la Comédie-Française ; Calmeltes,
Krauss, Cabel, Mondos, Prad, de l'Odéon; Tarride, des Nou-
veautés; Félix, Jacques Fenoux, Paul Frank, Prémilleux, Henry
Huot. etc., du Théâtre d'Arl;
M""* Moreno, de la Comédie-Française; Marly, de i'Odéon;
Lucy Gérard, du Gymnase; Camée, Suzanne Gay, Lemorié, etc.,
du théStre d'Art.
L'Echo de Paris a ouvert une souscription pour cette représen-
tation. Les places du roz-de-cliaussée et du premier étage sont â
20 francs, celles du deuxième étage h 15 francs, celles du troi-
sième étage â 10 francs, celles du quatrième étage â 5 francs. On
est prié d'adresser les demandes de places, accompagnées d'un
mandat postal, â l'Eclu) de Paris, 16, rue du Croissant, au nom
de M. Paul Fort, directeur du Théâtre d'Art. Les billets numé-
rotés seront envoyés par retour du courrier aux souscripteurs.
Une « Exposition internationale de publicité» aura lieu h Paris
du 17 mai au 15 septembre, au Palais des Beaux-Arts du Champ-
de-Mars. Les journaux, revues, albums, imprimés, affiches, pros-
pectus, etc., de toutes les nations seront réunis et mis à la dispo-
sition du public. Les journaux et revues non illustrés seront
placés, sous garde, le long des murs des salons. Les journaux
illustrés seront placés, sous garde, sur des pupitres. Des circu-
laires viennent d'être lancées, en vue de cette exhibition d'un nou-
veau genre, â tous les périodiques du monde. L'idée est originale
et mérite de réussir.
La ville de Glafcow s'est rendue acquéreur, pour le Musée dé
cette ville, du portrait de Carlyle par James Mc.-NeiU Whistler.
Le dernier numéro des Hommes d'aujourd'hui (édiiion Vanier)
donne un bon portrait de Paul Cézanne, le peintre impression-
niste qui exposa l'an dernier aux XX. Dessin de Camille Pissarro,
texte d'Emile Bernard.
Nouvelles wagnériennes du Guide musical :
Les théâtres danois étaient restés jusqu'ici assez réfractaires â
Wagner. Mais la glace parait maintenant rompue. La Walkyrie,
jouée pour la première fois â l'Opéra de Copenhague le mois der-
nier, a obtenu un énorme succès. Le roi, la reine et les princes
royaux assistaient il la rcpréseniaiion et ont donné, â plusieurs
reprises, le signal des applaudissements.
L'Opéra allemand de New-York vient de prendre congé du
public en jouant une dernière fois Tristan et Yseull. Les inter-
prètes, M"" Mielke-Yseult et M. Gudehus-Tristan, ont été rappelés
un nombre incalculable de fois. M. SeidI, qui conduisait l'or-
chestre, a été l'objet d'ovalions chaleureuses.
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et Maurice Maeterlinck, le trio des écrivains belges
dont les noms sont familiers aux Parisiens. Le surplus
de notre brillante phalange de poètes et de prosateurs
est ignoré, sauf fugitive apparition de leurs noms et de
leurs oeuvres en quelque brief compte-rendu des revues
à petit tirage. Les écrivains et les critiques français nous
aiment peu, soit vague souvenir de notre passé de con-
trefaçon littéraire, soit instinctif esprit de concurrence
a nous voir employer le même idiome, ou répulsion à
avouer que parfois nous ne nous en tirons pas mal.
N'empêche que nous allons bon train et que, dans l'évo-
lution de là littérature, de la poésie et de la langue,
notre contribution est devenue considérable.
Si Camille Lemonnier, Georges Rodenbach et Mau-
rice Maeterlinck sont connus chez nos voisins du Sud,
ce n'est pas qu'ils y soient universellement admirés.
Eux aussi subissent la sourde malveillance. Emile
Bergerat vantait dernièrement dans le Gil Bios le
Règne du Silence. Mais Catulle Mendès.déposant dans
la curieuse et mouvementée Enquête sur F Evolution
littéraire que poursuit obstinément M. Jules Huret
dans l'Echo de Paris, constatait en ces termes l'oppo-
sition : « Je ne vedx pas oublier non plus Rodenbach,
un poète envers qui on est injuste; il est peut-être un
peu juste milieu, mais il s'est dégagé des imitations et
de l'influence de Coppée, il devient plus personnel,
et il y a de bien jolies choses dans Du silence - . — Et
Paul Margneritte, de son côté, lui aussi témoin dans ce
Référendum, parlant des jeunes réformateurs : t Leur
mépris pour leurs aînés et leurs camarades est chose
qui me passe. Il existe pourtant, en dehors d'eux,
de grand poètes, comme Maurice Bouchor. Haraucourt
et Rodenbach ne sont-ils rien, non plus? »
Georges Rodenbach a quitté la Belgique, définitive-
ment semble-t-il, autant qu'on peut croire être décollé
de sa patrie, et nourrit l'espoir de symboliser là-bas
la poésie belge, en une forte expression, comme Tour-
guenief y symbolisait jadis la prose russe. Au point de
vue de la notoriété, il a réussi, mais comme synthèse
du mouvement qui nous tourmente et nous pousse, nous
anssi, en dehors des formes anciennes, c'est différent.
Il reste, en effet, obstinément soumis à la discipline
Tersificatoire qu'on peut appeler officielle. Il ne fait
guère de concessions aux idées étranges, encore con-
fuses, mais qu'on sent fécondes, des jeunes écoles dont
rien ne peut comprimer l'expansion, ni l'hostilité des
pontifes, ni les sarcasmes. Il pense apparemment là-
dessus comme a pensé l'illustre Leçon te de Lisle dans
son témoignage à l'Enquête de M. Jules Huret,
étonnante et lamentable déclation sénile qui le classe
irrémissiblement parmi les incurables. Grand poète,
certes, mais pitoyable juge de l'évolution artistique.
Georges Rodenbach a, pour l'alexandrin, la foi de
Catulle Mendès, confessée à M. Jules Huret (c^r à odni-
ci vont depuis bientôt deux mois toutes les confessions
des pécheurs de la plume) : > Mon vieil mmi Anatole
France, qui ne se trompe que quand il veut, a fait un
calembour^quand il a paru croire que l'alexandrin avarié
d'Age poétique en &ge poétique, et que les libertés prises
par les symbolistes dérivaient directement des vieilles
libertés auparavant conquises! Il sait bien, au con-
traire, que l'alexandrin n'a jamais varié depuis qu'il
existe! Qu'il a toujours eu douze pieds et une césure;
que les pires audaces d'Hugo sont dans Boileau ! et qu'il
est impossible de trouver dans les modernes une liberté
poétique dont on ne puisse découvrir l'équivalent chez
les classiques! Seulement, ah! seulement! attendez! Ce
qui était autrefois l'exception est devenu par la suite
plus commun ; de même qu'il y a à présent trois mille
cocus dans une ville qui n'en contenait autrefois qu'un !
Oui, oui, Anatole France a confondu la guerre civile
avec la guerre extérieure ! Il y a en des discussions intes-
tines, mais pas de conquêtes de l'étranger; l'alexandrin
s'est modifié de mille façons, on peut encore le transfor-
mer peut-être de mille autres manières, je l'accorde, ^-
mais c'est là son admirable gloire, — depuis la chanson
de geste où il est apparu pour la première fois, à tra-
vers Ronsard et Malherbe il est resté et restera cette
chose merveilleuse que les plus grands artistes ont fait
servir à tant de magnifiques chefe-d'oeuvre : i'alexaù-
drin français! Et quand, à travers tant de crises, tant
de transformations, tant de révolutions, le vers n'a pas
changé, quand tant d'esprits insurgés, tant de tempéra-
ments brouillons et tant de purs génies nous l'ont trans-
mis, finalement intact, après l'avoir ajusté à des lyres
si diverses, c'est qu'en effet, il doit avoir en lui antre
chose qu'une harmonie de hasard, c'est qu'il est, dans
son essence, étemel, croyez-moi. •
Le Règne du Silence alexandrinise presque tout le
temps, fort correctement certes, mais avec monotonie.
• Juste milieu •. comme l'a dit Catulle Mendès; pmt-
ètre par excessive préoccupation du calme, du repos qui
slurmonient au siloice, ou plutôt à la vue tranquille
et sentimentale des choses, aux pensées muettes qu'dles
font passer dans l'eaprit, pareilles à des noes lentes
défilant dans l'atmosphère. La vie de» Chambres, — Le
Coeur de l'Eau, — Paysages de Ville, — Cloches du
Dimanche, — Au Fil de l'Ame, — Du Siloftoe, — série
très suggestive de titres sédoisants, s'acherant et se
résumant dans cet admirable épilogue :
C'est raotomne, U phiie «t U mort d* l'Miatol
La mort de la jeuoesM et dn muI noble afiort
Anqael nous songeroD* i l'heare de la mort :
L'effort de se sorriTre en IXEuTre terminée.
Mais c'est la On de cet espoir, du grand espoir.
Et c'est la Hn d'an rére aussi vain gne (es antres :
ht nom du dieu s'eflace aux lèrrcs des ap6tras
Et le plus Tigilanl trahit arant le soir.
Onirisndes de la (loirs, ahl vaines, to^joars vaines !
Mais c'est triits pourtant qusnd on avait rA**
De ne pas trop pirir et d'ttre un peu ssuvé
Et de laisser de soi dans les bsrqnes humaines.
Las 1 le rose de moi je le sens déflenrir.
Je le sens qui se laue et je sentf qu'on le caeilla t
Mon sang ne coule pas; on dirait qu'il s'eftoilie...
Et puisque la nuit vient, — j'ai aommeil de monrirt
Le corps du Poème, dont l'unité est très marquée, est
terne de teinte. Il est vrai qu'un poète coloriste aurait
le droit de dire : le silence est gris. Mais c'est le poète
instrumentiste qui trouverait surtout à critiquer l'œu-
vre, et c'est ici qu'apparaît la faute que commet Geoi^es
Rodenbach en se désintéressant des efforts, encore
tâtonnants, de tant de jeunes, pour rendre à la langue
firancaise l'harmonie des lettres, des sons, des phrases,
qu'elle a perdue depuis Malherbe pour ne rechercher
que la clarté et la correction officidle. Une étude atten-
tive des procédés de Jules Laforgue, qui, en quelques-
unes de ses pièces dernières, VHiver qui vient au-
dessus de toute autre, a ^ prodigieusement réussi la
mise en musique des vers, lui serait très salutaire, et
en accord, pensons-nous, avec sa nature foncière, car
il a souvent réussi, plus souvent jadis qu'en son dernier
livre, les vers harmonieux.
Ouvrez au hasard le Règne du Silence et vous serez
frappé du disparate edtre les idées élégantes et leur
forme' verbale difficultueuse et heurtée. Je tombe sur la
page 107 ; il s'agit d'une ville morte à «^nn^T :
Et c'est pour Hn ainsi que Vvtm et Paatre ast digne
De la toute-présence en elle d'un doux cygne.
Le cjrgne d'an beau rêve acquis à ce «it««»f»
Qui s'effanmcherail d'un peu de violenoe
Et qui n'arriTe U flotter oomme une palme
Qu'à cause do repos, 1 cause du grand calme.
Qj^ne bUnc dont la qaeue ouTerte se déploie,
— BaitpK de clair de lune et gondole de aoie —
Cjgoe blanc, argeotant l'ennui des momes Tillss,
Qui hérisse parfois dans las canauT tranquilles
Son candide duvet tout impressioansble ;
Puis, quand tombe le soir, cazfui comme les voiles,
— Dédaignant le vojage et la mer navigable —
Sommeille, Taile dooe, en couvant dea itoilee!
Dans l'art l'obstination est périlleose. On ne re&it
pas, il «si vrai, sa nature. Mais, dans l'espèce, il s'agit
plutôt de ne pas la comprimer, de la coltiv»^ an con-
traire, en son normal épanooissonent. On met, otftas.
'^'^^i^f^^^i^!^^^^m^ww^-
son orgueil à ne rien concéder & des nouveaux-venus,
on s'entête dans ce qu'on a cru les vraies doctrines.
C'est une flUshense faiblesse. On aime aussi à rester en
accord avec les cénacles qu'on fréquente. Mais à ne pas
vouloir suivre l'évolution, on s'isole, chaque jour vous
laisse un peu plus en arrière. On ne sert guère l'art
en se confinant dans celles de ses formes qui ont fait
leur temps. Mieux vaut t&tonner, ou si l'on veut patau-
ger à la recherche du neuf que de recommencer inuti-
lement ce que les prédécesseurs ont épuisé. Le devoir
est, de notre temps, aux tentatives, même aux tenta-
tives folles : parmi toutes ces audaces, il en est qui
seront la vérité, et ce n'est point parce que notre infir-
mité ne les peut immédiatement démêler et signaler que
nous devons noua abstenir, ou, qui pire est, dédaigner
ou railler ces œuvres, — à la mode du vieux Leconte
de Lisle, qui s'est laissé aller à dire :
« Ils ont cherché'la nouveauté dans la désarticulation
de la langue, publiant que nous avions déjà le Vola-
puck, avec lequel le leur faisait double emploi. Ils
n'ont rien inventé, d'ailleurs, ils n'ont fait qu'étendre à
beaucoup de phrases le procédé de M. Jourdain : Belle
Marquise, vos beaux yeux me font mourir d'amour.
D'amour, belle marquise... etc. Ils chavirent la langue
de fond en comble, sans rime ni raison, et ils prétendent
que c'est évocatoire! Eh bien! ca n'évoque chez moi que
le désir de m'en aller ! . . . •
Invalide, va !
NOTULES DE VOYAGE. — BERLL^
I.e Théâtre.
L«3 mœurs de ihéâire sont bien curieuses ï observer. Elles en
disent long sar le peuple, sa manière de penser el de s'amuser.
Nulle pari le théitre n'est aussi moral qu'en Allemagne. Il est
vrai que l'Allemand protestant se fait de la morale une notion
moins -étriquée que beaucoup de catholiques romains. Sauf au
Retidenx Théâtre, les jeunes filles sont conduites indistinclemeni
!i tous les spectacles. Le Re*idenz ne donne que des pièces fran-
çaises traduites, du Dumas, du Blom et Tocbé, du Sardou, etc.
En une autre langue que le français, ces pièces sont inaudilibles.
Dans leur «ipression première, tous les passages raides sont
voilés, l'allusion y règne avec le sous-entendu; mais sur ce point
les 80,000 mots allemands ne parviennent pas à lutter avec les
27,000 mots français. On se figure tout le scabreux du Parfum,
de Marquise on de Ma Coutine détonnant en expressions crues
el en phrases directes.
L'opérette esl très en vogue i Berlin. C'est le genre viennois
qui Oeurit : an libreilo chanté sur une vingtaine de valses entraî-
nantes snfiit pour faire une pièce de trois actes. Le comique en
est parfois très intensif, un comique qui dérive de la bouffon-
nerie, suscitant un large el franc éclal de rire, rien du sourire
que provoque une fine gauloiserie : un grand amour de la pan-
tomime et de la bonne farce des clowns au théâtre.
L'Opéra est un temple et l'audition de Wagner égale celle d'un
service divin. Le* plus petits détails de la pièce sont connus
d'avance et attendus par des connaisseurs, peut-être un peu trop
entboasiasies quand il s'agit de leur dieu. Jamais un applaudisse-
ment pendant l'acte, jamais de ces saints grotesques et désilla-
sionnanls d'nne diva qu'on a acclamée. On esl là pour l'œuvre plus
que pour ses interprètes. Les bravos ne font fureur qu'à la chute
du rideau. Et alors encore, l^tail qui a son importance, la toile
ne se relève pas sur le décor -. elle se fend en deux endroits et se
retire pour livrer passage aux artisles. En ce moment seulement,
quand ils sont bien abstraits de l'œuvre et de son milieu, les per-
sonnages de tantôt redeviennent de simples mortels, qu'on félicile
et couvre de couronnes. C'est plus rationnel et d'une excellente
sauvegarde pour les impressions que la pièce veut produire.
L'attention des spectateurs est remarquable. Une bonne moitié
de la salle suit les paroles sur un livret. Elle sait que Wagner
paraît surtout long quand la musique cesse d'être l'imerprétation
d'une idée^
Hais qu'arrive l'entr'acte, el les idéalistes de tantfit redevien-
dront de bons gros joyeux buveurs de bière. La salle se vide dans
le foyer el celui-ci se transforme en un copieax buffet, où le sau-
cisson, le caviar et autres « Delicatessen und Galantcrien » sont
livrés à un pillage en règle. C'est que le spectacle commence à
sept heures, que l'on n'a pas encore soupe (le souper n'a lieu
qu'après le Ihéftlre) et que sérieuse attention réclame non moins
sérieuse réfection.
Notons en passant combien est grande l'aptitude naturelle de
l'Allemand à comprendre le maître de Bayreuth. Ceux qui ont dit
que Wagner n'était parfaitement entendu qu'à l'étranger se sont
bornés à une obseryation bien superficielle. On trouve peut-être
chez nous plus de conviction raisonnée, on juge mieux théori-
quement le système. Hais, sent-on aussi universellement l'œuvre
que là-bas, où le merveilleux, loin de répugner aux imaginations,
ne leur est au contraire qu'un moyen d'exprimer des idées très
réelles.
Détail administratif : il y a deux théâtres royaux à Berlin :
VOpernhau$ cl le Sckautpielhaut, Opéra el Comédie. Un inten-
dant les exploite pour le roi, de telle sorte que celui-ci n'ialer-
vienl pas au moyen de subsides, mais fait toutes les différences,
c'est-à-dire de 800,000 fr. à un million par an.
Lies Mnaées.
En vérité cette nation est grande, parce que les progrès de la
pensée ont à ses yeux une importance égale à ceux de l'ordre
politique et économique.
L'Allemagne a créé des légions de savants incomparables; elle a
loujours-isoutenu les artistes, bien qu'avec plus ou moins de
succès. Elle porte un culte enthousiaste à ses grands écrivains.
Aussi elle fait une large pari à Y Idéal, qu'elle comprend peut-être
à sa manière, mais qui n'est certes pas absent de ses préoccu-
pations.
Depuis vingt ans on a dépensé des millions à Berlin en écoles
de B«iux-Arls, Académies el Husées: Kunsl-Museum, Ruhnie
sale, Musée ethnologique, etc. Le Kunstgewerbe-Museiim , ou
musée d'art industriel, semble vouloir compléter par son archi-
tecture intérieure cl extérieure le souci d'an de ses collec-
tions. Comme loule consiruclion allemande, celle-ci ne sort pas
de la Renaissance et du style grec. Mais combien ingénieuse y est
la mise en œuvre d'éléments plus modernes, la faïence, la tôle
gauffrée, le bronze, le fer forgé, la brique el la pierre de couleur.
142
L'ART MODERNE
Pas de supercherie : les matériaux se présentent sous leur
aspect naturel, sans revêtement. C'est plus vrai si ce n'est pas plus
beau ; bien certainement d'une beauté moins conventionnelle. Le
goût allemand ne sera jamais noire goût. Il se délecte trop aux
fioritures et aux surcharges ; il raffole des coins et recoins.
La belle et simple ordonnance qu'on retrouve dans toute cons-
truction française et dont nous comprenons le charme plus sobre
n'est guère en honneur de l'autre côté du Rhin. N'cmpéche que
l'Allemand peut avoir le culte désintéressé de lignes qu'il croit
belles et pour la jouissance desquelles il sait dans ses monuments
dépenser des sommes énormes.
Tout le monde concourt à la formation des musées allemands.
Des voyageurs, des savants, des amateurs; les princes eux-mêmes
multiplient leurs donations ou leurs legs aux dépens de leurs palais.
Tontes les collections sont rangées avec cet esprit de systémati-
sation qui caraclcrise l'allemand. Pour l'enseignement populaire,
de longues vitrines où chaque objet est clairement décrit, par un
fragment découpé du catalogue. Le plus pauvre s'instruit, encore
n'eûl-il pas les 50 pfennigs que coûte le catalogue complet. De
telle sorte que le peuple, qui fréquente assidûment des musées
qu'il sait construits pour lui, peut suivre l'œuvre de ses savants et
de ses artistes; il acquiert une foule de notions intuitives et sûres;
il comprend son histoire par les survivances des milieux d'autre-
fois, son passé lui apparaît autrement que dans une série de
noms peu diserts.
Aussi, directement intéressé à l'Art et à la Science, le vulgaire
n'élève plus de mesquines objections quand il s'agit de voler
certains crédits : il sait trop qu'il en profilera le tout premier.
Par là, les intérêts supérieurs de la pensée ont des ramifications
plus étendues, sont désormais mieux assurés; et la démocratie se
trouve atténuée dans sa tendance généralement contraire au culte
désintéressé de l'Idée.
P. 0.
La Vente de Buisseret
La vente de la collection de Buisseret qui a eu lieu cette
semaine à Bruxelles, sous la direction de M. Henri Le Roy,
assisté de M.M. J. et A. Le Roy frères, et dont nous avons parlé
dans notre dernier numéro, à produit 243,780 francs.
C'est le tableau de Karel du Jardin, Berger et son troupeau,
qui a atteint le plus haut prix : 24,500 francs. L'acquéreur est
M. Colnaghi, de Londres, représentant, croyons-nous, la National
Gallery. Même acquéreur pour le Joyeux buveur de Franz Hais,
adjugé à 23,500 francs. La jolie Scène d'Hiver de Philippe
Wouwerman a été payée 14,100 francs par M. Huybrechts,
d'Anvers, qui s'est en outre offert pour H, 000 francs le beau
portrait du Prince d'Orange au Siège de Breda, par Cuyp. La
Cascade de Ruysdael a été adjugée 13,000 francs à M. Warocqué.
Le Torrent, du même, 9,600 francs ii M. Colnaghi.
L'Intérieur de D. Tcniers a atteint 11,100 francs et est resté
au vicomte du Bus. M. Gocdhaerl, d'Amsterdam, a fait monter à
7,000 francs la l'ue d'une place publique de Van der Heydcn et
Van de Velde, un vrai bijou. L'autre tableau de Van de Velde,
Site champêtre avec animaux, a été acquis 7,100 francs par
M. Colnaghi. La Tabagie d'Adrien Van Ostade, 7,100 francs
(Colnaghi). — Le Christ en croix de Rubens, 6,400 francs
(Le Roy, frères). — L'Hiver de Van der Neer, 5,500 francs
(Sedclmeyer). — La Chasse au Lion de Fyt, 4,600 francs
(Le Roy, frères). — L'Inlirieur de P. De Hoogh, 4,500 francs
(Sedelmeyer). — La muticienue, de G. Neisrher, 3,900 francs.
Le pouage du gué, par N. Bercbem, 3,400 francs (Le Roy,
frères). — Du même, le ReUmr k la ferme, 3,000 francs
(Colnaghi). — La malade de Jan Steen, l'un des tableaux les plus
intéressants de la collection, a été adjugé 3,000 francs > M. Se-
delmeyer. Les deux Pynacker sont montés, l'un. Paysage italien,
i 4,100 francs (Sedelmeyer), l'autre; Le Paysage peint en
coHaboration avec N. Bercbem, il S,600 francs.
Venaient ensuite : Adrien Brauwer, Intérieur, S.400 francs. —
Karel du Jardin, Paytage, 3,100 francs. — Begyn, FAbreuvoir,
2,000 francs. — Mignon, FUurs,i,000 francs. — Huchlemburg.
Choc de cavalirie, 1,700 francs. — Le même, L'Embuicade,
1,078 francs. — Soolmaker, V Abreuvoir, 1,600 francs. — Van
Goyen, Vue de la Meut, 1,550 francs. — Pierre Wouwerman
Halte de cavaliers, 1,5S0 francs. — Breugbel, le Moulin, l,5tlO
francs. — De Heem, Nature morte, 1,500 francs. — Van der Helsi,
Portrait, 1.450 francs. — Asselyn, Le manège, 4,400 francs. —
G. Coques, François Mieris, 1,350 francs. — Lingelbach, Halle
de voyageurs, 1,350 francs. — Brelielenkamp, Z« nmrc^nd d«
poisson, 1,300 francs. — Pierre Wouwerman, le Camp, 1,300
francs. — Soolmaker, Le passage à gué, 1,300 francs. — Ch. de
Moor, Portrait de l'artistt et de sa famille, 1,0Î5 francs. —
Dietrich, Lolh et ses filles, 1,000 francs.
La commission du Musée, qui s'était rendue an grand complet
à l'exposition particulière de la collection, n'a rien acquis, ce qui
est ficheux, car il s'y trouvait, comme nous l'aTons dit(l), nombre
de fort belles toiles qui ont été vendues k des prix très abordables.
Nous avons reçu les ouvrages suivants, dont il sera rendu
compte prochainement :
Harmonies de formes et de couleurs, démonstrations pratiques,
par Charles Henry, bibliothécaire k la Sorbonne (Paris, A. Her-
mann). — Vieuxlemps, sa vie, ses œuvres, par i. -Théodore
Radoux (Liège, Aug. Bénard). — Dyptique, par Francis Viélé-
Griffm (Paris, imprimerie A. -M. Beaudelot). — L'Androgyne,
VIII' roman de la Décadence latine, par Joséphin Peladan (Pan.i,
Dentu). — Les cahiers t André Walter, œuvre posthume (Paris,
librairie de l'Art indépendant). — La jeune fille dans Fart, par
Albert Dulry (Gand, A. Siffer). — Au pays du mufle, par Laurent
Tailhade (Paris, Vanier). — Bonheur, par Paul Veriaine (Paris,
Vanicr). — Daniel Valgraive, par Rosny (Paris, Lemerre). —
Là-bas, par J.-K. Huijsmans (Paris, Tresse). — Barbey d'Aure-
villy, par Ch. Buet, etc.
Correspondance particulière de l'Art moderne.
t« Canard sauvage, do M. Ibskn, b-aduit par MM. Armand
Epheaîii et Tb. Lindknlaub.
Hjalmar Ekdal joue de la flûte, boit de la bière, fait sa sieste,
feuillette des mémoires savants, paonne devant sa famille extasiée :
et, le soir venu, il est persuadé qu'il a travaillé à quelque boule-
versante découverte scientifique. Il croit que les recettes de sa
photographie suffisent aux dépenses du ménage : c'est Werle qui,
sous couleur de rétribuer les illusoires écritures d'Ekdal père,
(1) Voir l'article de notre collaborateur Eugène Demolder dans le
dernier numéro de l'Art moderne.
L'ART MODERNE
143
comble les déficits. H est le mari de Gina : c'est Werle qui eut
les prémices de Gina, et la petite Edwige est leur fille. Son
bonheur intellectuel, financier, familial est donc ii base d'erreurs
et de mensonges. Les autres personnages, seul le mensonge les
soutient : ce louche licencié en théologie Holvig s'imagine qu'il
est démoniaque, illusion qui l'empâche de mourir du dégoût de
soi-même; le vieil Ekdal, ex-lieutenani des forêts et qui tua neuf
ours, tire des pigeons et des lapins dans son grenier, en bondis-
sant parmi trois arbres de Noël, et il se voit sur les monts; si
Werle est le grand manufacturier et le bourreau des cœurs de la
contrée, c'est parce que sa complicité n'a pas été établie, dans
l'affiiire des coupes frauduleuses qui a valu au vieil Ekdal des
années de gédie; et la franchise n'est qu'une arme de l'hypocrisie
pour Berthe Sdrby racontant ses équipées à l'homme qu'elle veut
épouser. Dans ce monde là, dont l'équilibre ne se maintient qu'à
la faveur du Mensonge Vital, tombe Grcgcrs Werle. Ce jeune
Gregers Werle tient son père pour un misérable, et ne le lui cèle
pas. Il refuse de lui argent et asile. 11 est atteint d'une « incurable
fièvre d'honnêteté ». Il veut faire triompher les Revendications
Idéales, et commence sa campagne par Hjalmar. En l'édifiant sur
Gina, il provoquera une crise où l'union conjugale de ses deux,
amis, jusqu'alors précaire, se vivifiera dans l'aveu, dans l'absolu-
lion, dans la vérité, deviendra indestructible. Hais Hjalmar ne
sait ni s'avouer que ces révélations lui sont !) peu près indiffé-
rentes, ni accorder sans phrases le pardon que prévoyait Gregers.
Il éternise la situation, jouissant en acteur de son rôle à eflcis.
Déjà troublée par les prédications exallées de Gregers, Edwige
s'affole dans une nuit de contradictions et d'injustices où elle sent
que tout se disloque, et elle se lue, au grenier, à côté du canard
sauvage qui, lui, prospère. Ce canard, blessé à l'aile, avait
plongé pour s'accrocher aux algues et mourir « dans les
profondeurs de la mer»; tiré de là, il vivait depuis lors sous le
toit des Ekdal. Il fut selon la Nature, libre; il est selon la
Société, et captif. Dans les moments pathétiques, il est présent à
l'esprit de tgus, jamais il ne paraît en scène. Reculé dans les
profondeurs du grenier, effrayant cl pcul-élre goguenard, il
hospitalise tour !i tour les^ersonnages intellectuels de Gregers,
; d'Edwige, de Hjalmar, dont les personnages anecdotiqucs
bavardent sur les planches; en lui toutes antinomies viennent se
concilier, et il est bien l'âme de ce drame rugueux, fumeux et
délicieux que représenta le Théâtre Libre, les 2.ï, 27 et
28 avril 1891, k Paris. F.
FÉDËRATIOM ARCHÉOLOGIQUE
On sait que la Fédération archéologique et hif torique de Bel-
gique [Sen^T» sa prochaine réunion à Bruxelles du 2 au 7 aoûl 1891.
Le Congrès aura une durée de six jours; une journée sera con-
sacrée aux excursions des sections.
La souscription n'est que de cinq francs et donne droit à un
beau volume d'environ sept cents pages, contenant les comptes-
rendus des séances, ainsi que les mémoires présentés.
Pour assurer la bonne organisution de cette session, six sec-
tions ont été chargées d'étudier le qucslionoaire du futur Congrès,
de dresser la liste des rapporteurs, d'obtenir des conférences sur
des sujets intéressant l'archéologie et l'histoire, d'organiser une
exposition, des visites, des excursions, etc.
Ces sections ont commencé leurs travaux, il y a deux mois, et
font angurer nne réussite scientifique complète du Congrès. De
nombreux rapporteurs présenteront des mémoires sur les ques-
tions proposées.
Dans l'horaire provisoire du Congrès, nous voyons que le
dimanche 2 août, à 11 heures, aura lieu l'assemblée générale
d'inaugura'ion dans la Salle gothique. — Réception par le Col-
lège communal dans la Salle des mariages. — Discussion de la
proposition de revision des statuts.
A 3 heures, ouverture de l'Exposition rétrospective. A 6 h. 1|2,
banquet.
Les jours suivants, visites : au Musée d'histoire naturelle, aux
archives du royaume, aux musées de peinliire historique et d'ar-
tillerie.
Excursions aux environs de Mons, à Louvain et Diest, Nivelles,
Genappe et l'abbaye de Villers, aux stations préhistoriques de
Court-Saint-Etienne, visites de la Bibliothèque royale, des archives
de la ville et de l'église Sainie-Gudule, des Musées des ans
anciens, des arts décoratifs et des moulages, des églises Sainie-
Gudule, du Sablon et de la Chapelle, de l'Exposition rétrospec-
tive, des Musées de la ville, du Conservatoire et de collections
particulières.
Les adhésions arrivent nombreuses au secrétariat général du
Congrès, établi rue des Palais, 63, à Bruxelles. Signalons la pré-
sence annoncée au Congrès de savants, tels que MM. Leemans, de
Leyde, deBarlhélémy,A. Reville, comte de Marsy, de Qualrefagcs,
deMortillel,marquisdeNadailIac, Eug. NQntz, de Pafis.L. Palustre,
de Tours, Sophus Muller, Herbsl, de Copenhague, baron de Baye,
Paul Sebillot, etc., de Paris, Anatole Bogdanov, de Moscou, Gos-
selet, de Lille, D' Dôrpfeld, d'Alhènes, Hildebrand, de Stockholm,
D' Bone, de Dusseldorf, Ricardo Severo, de Porto, Conzo, Vir-
chow, etc., de Berlin, BertolottI, de Manloue, Ernest Chantre, de
Lyon, ainsi que de l'élite des savants belges. Ces noms disent
toute l'importance qu'aura cette réunion scientifique.
Chronique judiciaire de? ^rt?
Coupares au Thé&tre.
Les journaux quotidiens ont relaté déjà le procès que fait à l;i
direction du théâtre de la Monnaie M. Jules Destrée, avocat à
Harcinelle. Il s'agit d'une action en restitution du prix d'un bille i
de parterre et en dommages-intérêts fondée sur ce que le spectacle
annoncé, Siegfried, aurait subi des coupures et mutilations telles
qu'il ne pouvait être considéré comme remplissant les conditions
de la convention tacite intervenue cnirclespectateurella direciion.
On sent qu'il y a en jeu un intérêt artistique de premier ordre
que mettront en lumière les débats.
L'affaire sera appelée mardi prochain au tribunal de commerce
de Bruxelles.
Nos Sons-Officiers.
Le drame militaire Nos Sous-Offlders, joué ces jours-ci îi
l'Alhambra, a fait robjel d'un débat assez intéressant que vient
de trancher, par jugement du 29 avril, la \" chambre du tribunal
civil de la Seine.
On sait que ccdrame est tiré d'un roman qui parut l'an dernier
sous le nom de Paul Erasme, pseudonyme littéraire de M"" Marc
de Moutifaud, et qui fit quelque bruit. Il constituait une sorte
de réponse au roman de Lucien Descaves, Sous-offs, dont les
yj-ipnsi'ii's'
,^i;!e;^p3?2pi'.^"-
nh'élations cxcilèreni la plus douloureuse émotion ; et la noie
palriolique qu'y faisait adroilemeot vibrer l'auteur lui attira de
nombreuses sympalhics.
Nos Sous- Officiers passèrent, suivant l'usage actuel, du Livre au
Théâtre, cl la pièce, reçue aux Bouffes-du-Nord, cul 70 représen-
inlions. L'affiche mcniionnail comme auteurs MH. Paul Erasme et
(le Ricaudi.
C'est alors que surgit un collaborateur auquel il n'avait pas élé
f;iit allusion jusque là, M. Pages de Noyez, qui assigna M*** Marc
(le Monlifaud, épouse Quivognc, pour faire rei^onnaltre ses droits
(le collaborateur tant au roman qu'au drame, réclamant en outre
3,000 francs de dommages-intérêts pour le préjudice qu'on lui
nvnii fait subir en le luissan^ à la cantonnade.
Il paraît qu'il n'avait pas 'tort, M. Pages de Noyez et qu'il avait
cfl'ectivemeni collaboré à l'ouvrage. En vain la défenderesse s'esi-
(Mle efforcée de démontrer que si l'on a trouvé de l'écriture de
M™" Marc de Monlifaud entre les mains du demandeur, ce fait
s'explique parce que celui-ci s'intéressait à son œuvre cl qu'il
a pu avoir communiraiion de certaines épreuves; de même que
s'il a écrit personnellemenl certains chapitres, ce n'est que sous
l;i dictée de M"" de Monlifaud cl par pure obligeanc(! de sa part.
Le tribunal a jugé que la cotlaboraiion résvlu du concours prêté
soil dans la conception et l'exécittion du plan, soil dans l'ensemble
des travaux nécessaires pour amener à fin l'ouvrage projeté.
En fait, les circonstances démontrent que M. Pages de Noyez a,
eu ce sens, collaboré à Nos Sous-Officiers, da moins au roman qui
I oric ce titre. Cette collaboration n'est pas établie quant au
drame.
Eu conséquence. M"" de Monlifaud, épouse Quivogne, esl tenue
(le fiiire inscrire le nom de Pages de Noyez à la suite de celui de
Paul Erasme sur tous les exemplaires du livre et doit payer tt son
collaborateur la moitié du bénéfice acquis à ce jour par la vente
lie ce dernier, plus 200 francs de dommages-inléréls. M. Pages de
Noyez a, de plus, le droit de passer tous traités relatifs à la réim-
pression el il la cession de l'ouvrage, sous réserve de» droits
concurrents de la défenderesse, el louchera la moitié des droits
d'auteur éventuels.
iPlBLIOQRAPHIE MUSICALE
Horodine, Rymsky-Korsakow, Balakireff, Moussorgsky et César
Oui ont sonné le réveil de la musique russe, endormie dans les
alcôves italiennes. Déjà Glinka cl Dargomijski avaient tenté un
premier effort. Les « cinq » l'onl viclorieusemenl complété, et
::ujourd'hui la Russie possède une école music^c merveilleuse,
jaillie d'un jet de la nature slave, dans l'originalité de son carac-
urc. Le petit groupe des fondateurs, déjà décimé, hélas! s'est
reconstitué. El les noms de Glazounow, de Liadow, de Slcher-
balcheff, de Kopylow s'ajoutent à la liste des artistes qui ont porté
au loin la renommée du pays.
Les voici presque populaires en France, où l'éditeur Alphonse
l.educ, qui a acquis le droit exclusif de les éditer, les fait entrer
dans la « Bibliothèque » qu'il réserve aux musicietis de choix.
Publiée en un formai aisé à manier, gravée avec soin, cette
eollcclion des auteurs de la Jeune-Russie, aura, certes, un succès
légitime.
Déjà onl paru : de Borodine, les deux admirables Symphonies
jouées aux Conccris populaires, transcrites à quatre mains, el la
PetUe Suite pour piano, ingénieuse el ehannanle eompotilion qui
montre dans rintimilé de sa pensée lé grandi motieieii que Ui mort
a pris. De Rymsky-Korsakow, AnUtr, saperbe Ubleaa lympho-
nique que nous ont également fait cooDaltre les Coneerls popu-
laires, transcrit, de même, pour piano V qutre mriiu. De César
Cui, deux de ses meilleures œuvres : les Minialuret, pour piano,
et les 'Vignette*, mélodies vocales d'une grande fratebour. Ces
deux recueils rappellent, mais sans le pasticher, le style deSebu-
mann, — du Schtimann des Piicet pour tajeuuate.
Deux œuvres de nouveaux venus complètent la série : une
amusante série de petits morceaux de piano intitulés Biroulki
(jeux d'enfanis), par Liadow; les Zig-Zagt de Stcberbatcheff,
suite de fantaisies d'une saveur spéciale.
On le voit, le choix est heureux et fait honneur aux goûts
artistiques de l'éditeur.
ORITIQXJB :m:xj3ioa.t t\
simple rapprooheBMBt,
La jeune école musicale fran- M. Vioceni dlndy et ses amis
' çaise se donne un mal énorme ayant accepté de la théorie
pour ne plus écrire en français, wagnérienne tout ce qa'elle a
Il semble qu'elle «il horreur de de compatible avec l'esprit de
cequia toujours fait le caractère leur race, demeurent ettentiel-
essentiel du génie de la France : lemenl français par une inspi-
la simplicité el la clarté dans rationaimabU,par le sentiment
l'expression de l'idée quelle délicat, par cette clarté et cette
qu'elle soit. élégance d'expression qui ont de
{La Qaxette, 30 avril 1891 .) tout temps distinguéVart de nos
voisin*.
(L'Etoile belge, 90 avril 489i.)
«Petite CHROfdquj:
Voici l'ordre des prochains spectacles de Rossi i l'Alhambra :
Ce soir, dimanche, Louis XI; lundi, Hamlet; mercredi,
Macbeth; jeudi, la Mort civile; samedi, la Mort d'Ivan-le-
Terrible.
Il est question de représenter i Bruxelles le drame symboliste
de M. Edouard Dujardin, Antunia, joué la semaine dernière à
Paris, et qui souleva des tempêtes dans la critique et la chro-
nique (i). M. Dujardin amènerait avec lui la troupe, composée de
treize personnes, qui interpréta son œuvre au Théâtre-d'Applica-
tion. Celle représentation aurait lieu, si les pourparlers abou-
tissent, vers le 15 courant, «t.ne manquerait pas de faire quelque
bruit dans notre Landemcau.
Le quatrième Concert populaire aura lieu le mardi 12 mail 891,
à 8 heures du soir, au théâtre de la Monnaie, avec le concours de
MM. Lafargc, Danlée el De Backer.
Voici le programme de celle artistique soirée :
^Première partie : Troisième Symphonie (J. Brahms). — Le
Chant du destin (Schicksalslied) pour chœurs et orchestre (Id.).
Deuxième partie : Fragments du 3» acle de Parsifal («oli,
chœurs et orchestre). Scène du Vendredi-Saint et final (Parsifal,
M. Lafarge; Amforlas, M. De Backer; Gumemanz, M. Danlée).
(Richard Wagner). — Le F«iu«6«rp, bacchanale et scène ajoutées
au premier acle de Tannhâuser (Id.). — Preislied et final du
3« acte des Maîtres Chanteurs de Nuremberg (soli, chœurs el
(1) Voir lo compte-rendu de notre correspondant de Paris dans le
dernier numéro de l'Art moderne.
■■.■.■ V -wT^f^^F^^?^^ .'-
■■■■ -,"??
t'ART MODERNE
145
orchetlre) (Walier de Slolcing, H. Lafarge; Haos Sach», H. Dan-
lée). (Id.)
Dircelettrdes cHteprs : M. Léon Sonbre.
La répélilioD gtfniérale aura lieu le lundi 41 mai, ï 8 heures
précises du loir, au Ihéfttre royal de la Vonnaie.
L'Association des professeurs d'inslruments à vent a donné
dimanche dernier sa troisième séance au Conservatoire. On a
applaudi la correcte et délicate interpétalion du trio de Beethoven
pour piano, clariMlte cl violoncelle, dans lequel H. Camille
Gurickx remplafail avec talent M. De Greef, empêché. Un quin-
tette assex ttlandrenx d'Ouslow avait, avec moins de succès, onvert
la séance. Un baryton doué d'une voix agréable, M. Danlée, a
complété ce programme par l'exécution de l'air d'Iphiaénie en
Aulide çt de deux lieder de Schubert. Et pour finir, le grand
octuor de Beethoven, joué avec ensemble et précision par
MM. Guidé, Rablmann, Poncelel, Heirwegh, Merck, Bayart, Neu-
mans et Giseneer.
La quatrième séance aiira lieu le liimanche 10 mai, avec le
concours de M"* Luey BertIÎM.
On lit dans la Réforme : « M. Van Beers a envoyé quatre tableaux
It l'Exposition des beaux-arts de Barcelone, qui vient d'être inau-
gurée avec le plus grand éclat. Le jury a trouvé cps tableaux
attentatoires à la pudeur du public catalan. Un conflit s'est produit
entre tes jurés partisans de la nouvelle école et les jurés pudibonds.
Or, pour arriver à une solution, on vient de proposer l'installation
d'un petit salon réservé (absolument comme dans les diorjmas de
la foire), où l'entrée ne sera permise qu'à des visiteurs, hommes
e.\.i6mxM»,âgétaumoin$de irenteans ! Absolument authentique.»
Ce fait n'a rien de neuf. Les doctrinaires de l'art avaient, en
Belgique, et probablement ailleurs, ouvert la voie aux doctrinaires,
il demi maugrabins et sémites, de Barcelone. Nous nous souvenons
avoir vu au Salon de Gand, emprisonnés de la même manière,
en cabinet particulier, ou salle des horreurs, la Femme à la vague
et le Retour de la Conférence, de Courbet.
Une exposition d'études et de pastels par le poète Edmond
Haraacourt po^f l'illustration de son livre : Seul, vient de s'ou-
vrir chez M. Bernheim jeune, rue Laflittc, à Paris.
TITRE D'UN LIVRE DU XVI* SIÈCLE
A cette époque où le soin typographique du livre s'affirme d'année en anndc plus aigu, nous publions volontiers ce spécimen de
litre, un vrai chef-d'œuvre de goût.
11 appartient i un petit in-8» au catalogue Deman (mai 1891) relié par Traulz-Bauronnet tt armoriî sur les plats.
Les autres indications se lisent sur la présente reproduction elle-même.
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fer. — Correspondance directe avec les grands express internationaux (Toitures directes et wagons-lits). — Voyages i prix réduits de Sociétés.
— Location de navires spéciaux. — Transport régulier de marchandises, colis postaux, valeurs, finances, etc. - Assurance.
Pour tous renseignements s'adresser à la Direction de l'Eayloitation des Chemins de fer de l'État, i Bbuxklles; kV Agence géniale des
Malles-Postes de l' État-Belge, Montagne de la Cour, 90*, à Bruxelles ou Oracechurch-Street, a' 53, i Londres; i l'Agence des Chemins de
fer de l'État Belge, à Douvres (voir plus haut); à M. Arthur Vrancken, Domkloster, n» i, â Coloonb ; à M. Siepermann, 67, Unter den
Linden, à Berlin ; à M. Rcmmelmann, 15, Ouiollett slrasse, à Francfort a/m ; à M. Schenker, Scfaottenring, 3, à Vienne ; à A/"» Schroekl,
9. Kolowratring, à Vienne; à M. Rudolf ileyer, & Garlsbad; à M. Schenker, Hôtel Oberpollinger, à Munich; à M. Detollenaere, 12,
Pfôfingerstrasse, à Bale; à if. Stetens, via S" Radegonde, à Milan.
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Dimanche 10 Mai 1891.
L'ART MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE ORraQDE DBS ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Comité de rédaction i Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
ABOZnrXMKNTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. — ANMONCKS : On traite à forfait.
Adreuer toute* le» communication» d
l'administration oénéralb de TArt Moderne, me de l'Industrie, 32, Bruxelles.
Sommaire
LeTTHB OUTmTE A PR0PO8 DES RBPBliSKNTATIONS RoSSI. — DaNIEL
Valohaivs, par J.-H. Roany. — Exposition de Schaessbek. — A
VeRVIEBB. — LlVHES BEL0E8 JOOltS EN FRANCE. — CHRONIQUE JUDI-
CIAIRE DES Ahts. — Petite chronique.
LETTRE OUVERTE
à propos des représentatipns de Rossi.
Bruxelles, le 7 mai 1891.
Mon cher Confeère,
J'ai lu avec plaisir les lignes que vous avez consacrées
à l'apologie de Rossi. Elles sont si éloquentes que vos
lecteurs trouveront peut-être cellesK;! téméraires. Mon
excuse sera dans ma bonne volonté, et peut-être dans
ma suffisance, ou mon insuffisance, à votre choix.
Vous avez parfaitement dépeint l'art que pratique
le grand acteur italien. Son côté le plus étonnant c'est
le constant souci de la forme. Il est évident que
l'artiste complet est celui qui réunit à la fois dans
son œuvre la perfection de la forme et l'intensité de
l'idée : l'acteur doit d'abord comprendre son rôle, puis
le • sentir -, enfla le jouer, et c'est dans ce jeu que l'on
observera la somme énorme d'efforts auxquels il s'est
soumis pour atteindre le but de sa profession. Ce que je
viens d'écrire ressemble presqu'à une banalité. Le prin-
cipe de l'art, l'étincelle magique que chacun de nous
reçoit en lui, ne nous appartient pas, puisqu'il est issu
de l'éternel, du Beau en soi ; mais ce qui est bien à nous,
c'est la forme, c'est l'expression. La forme est le côté
humain de l'art éternel.
Une des grandes impressions de ma prime jeunesse,
c'est le souvenir des représentations de M"' Rachel. Je
lui ai vu donner plusieurs fois les mêmes pièces, et elle
les jouait chaque fois de la môme façon, absolument,
répétant les mêmes gestes, les mêmes attitudes, les
mêmes inflexions de voix, jusques dans les moindres
détails. Rossi lait de même, et il ne saurait pas faire
autrement, sans tenter de détruire tout l'effet d'une
représentation, pour les délicats, tout au moins. L'inspi-
ration vient de ce qu'on appelle souvent le hasard, mais
la forme, le côté humain de l'art, ne peut lui être aban-
donnée. Elle est le fruit du labeur obstiné, elle est imbi-
bée de transpiration, une émanation du sang, tout ce
qu'il y a de plus réel ici bas. Ne faisons-nous pas de
même nous autres, pauvres écrivains, quand nous limons
notre style, effaçant, grattant, surchargeant les traits
de notre plume, vingt fois sur le métier remettant notre
ouvrage? Je ne suis plus honteux de le redire, après le
vieux Boileau, depuis que j'ai vu, sous mes yeux, un
148
L'ART MODERNE
(les grands prosateurs de notre temps, membre de l'Aca-
démie française, corriger la septième épreuve d'une
feuille d'impression. Que les jeunes gens prennent donc
Rossi pour modèle, et qu'ils apprennent, une fois de
plus, que la perfection de la forme, ce qui achève^defaire
un artiste, ne s'acquiert que par le plus vulgaire et le
plus éreintant travail. Il sanctifie la vie et réalise l'art.
Rossi est supérieur à Rachel par l'intelligence du
rôle et surtout par la puissance avec laquelle il le sent.
J'avoue qu'il m'a plusieurs fois humilié ces jours-ci,
moi, vieux lecteur de Shakespeare, en « commentant »
devant nous, d'une manière vivante, Othello, le roi
Lear, Hamlet, Macbeth, en me faisant mieux saisir
d'un geste, d'un coup d'oeil, d'une inflexion de voix, tout
un passage du gigantesque écrivain, par exemple, de
mainte scène du roi Lear'{c[\xe\le œuvre épique!). Dans
Hamlet, il est bien le prince danois, roux, trapu et
replet du poète, et il a fouillé son rôle jusque dans
ses moindres replis, avec l'intelligence de l'historien,
du philosophe et du théologien. Si vous voulez avoir la
mesure de cette perfection dramatique, allez revoir
M. Mounet-Sully dans la même pièce : le Hamlet de la
Comédie-française est un personnage parisien, un mé-
lange d'Antony, de René et de Hernani, sans tradition
Shakespearienne, je veux dire, sans le caractère uni-
versel, humanitaire des héros de l'auteur, né par hasard
en Angleterre (car Shakespeare n'est pas un Anglais
comme lord Salisbury, c'est un européen).
Je ne veux pas dire du mal cependant de M. Mounet-
Sully, qui l'autre soir applaudissait^ de si bon cœur
Rossi, et qui m'a procuré une autre humiliation, en
me faisant enfin comprendre l'Œdipe-roi. J'ai eu, dans
le tejnps, la fantaisie de devenir docteur en philosophie
et lettres, et j'avais « préparé », comme on dit académi-
quement, toute la tragédie grecque, suivant les prescrip-
tions du programme et conformément à la tradition
universitaire. Qu'Apollon me le pardonne, je m'étais
égaré dans les ronces du commentaire pédagogique et
au milieu des épines des formes grammaticales. Je possé-
dais la lettre, mais j'ignorais l'esprit de Sophocle. Une
représentation de VŒdipe-roi par M. Mounet-Sully
m'en a plus appris que toute une année d'étude abrutis-
sante. J'ai compris enfin la grandeur d'un tel spectacle
sur les vastes scènes de la Grèce, sous le soleil de l'At"-'
tique, en plein air, devant un public immense, avec la
figuration et la musique des anciens. J'ai évoqué le
passé et entrevu l'avenir, quand il nous sera donné d'as-
sister, nous aussi, à des représentations analogues, où
notre foi, nos idées, notre peuple, la race humaine tout
entière seront l'objet dramatique de notre attention et
de notre enthousiasme. Le théâtre d'Oberammergau et
celui de Bayreuth, Shakespeare et Sophocle, Rossi et
M. Mounet-Sully nous donnent le pressentiment de cet
art toujours ancien et toujours jeune.
Laissez-moi achever ces comparaisons. J'ai to, il y a
deux ans, au Lyceum théâtre à Londres, Macbeth,
avec M. Irving et Mad. Terry, et, au Olobe ttieatre,
Richard III, par la troupe de M. Mancefield. Ce der-
nier est un acteur très distingué, supérieur par la dic-
tion à M. Irving, mais sa compagnie, quoique satisfai-
sante, ne valait pas celle de son émule, un •• veinard •<
comme vous savez. Macbeth était monté au Lyceum
avec un soin extrême : les costumes, la figuration, la
décoration produisaient des illusions étonnantes; les
armures étaient authentiques; les grands décors, par
exemple la partie du ch&teau de Macbeth où Duncan est
assassiné, étaient en relief ; les comparses, comme les per-
sonnages principaux, étaient toujours • dans la pièce >;
la chaudière des sorcières, le repas oti apparaît le
spectre de Banco, le défilé des ombres devant Macbeth,
la sarabande des sorcières dans le Firth, la forêt qui
marche, etc., tout cela était merveilleux de richesse,
de réalisme, de mécanisme et de précision -, les chan-
gements de scène (il y en a 27, n'est-ce pas?) s'opéraient
avec une rapidité et une aisance à recommander
ailleurs; enfin la musique de M. Sullivan, composée
spécialement pour ces représentations, aidait admira-
blement à ménager les transitions ou à préparer l'esprit
du spectateur. M. Irving a, comme acteur, une réputa-
tion peut-être exagérée : il fait de Macbeth une
franche canaille, tandis que Rossi, plus exact, je crois,
et plus fidèle à l'esprit Shakespearien, nous représene
ce personnage comme naturellement bon : pour l'acteur
florentin, le général Macbeth a une nature droite,
généreuse, courageuse, mais faible par un côté, le côté
mulièbre; c'est sa femme, lady Macbeth, ambitieuse,
hautaine et impérieuse, qui le pousse vers le crime.
Rossi joue admirablement la scène muette où, comme
un homme ivre, il se laisse entraîner par son altière
épouse. C'est un chef-d'œuvre. Le travail auquel
l'artiste a dû se livrer pour arriver à une telle perfec-
tion scènique, a dû être énorme.
M"" Terry, qui a le physique du personnage,-^ était
très suggestive au point de vue criminel, mais elle
n'était pas assez féminine, selon moi. Cependant, c'est
une femme de grand talent. Je place volontiers à côté
d'elle le souvenir de M™* Rorkhe, qui remplissait le
rôle de la veuve d'Edouard dans Richard III au Globe
théâtre. Le curé d'une des nombreuses paroisses catho-
liques de l'agglomération de Londres, me demanda un
jour où j'avais passé ma soirée de la veille. — Au Globe
théâtre, dis-je. — Alors, vous avez entendu M"* Rorkhe.
C'est ma meilleure paroissienne, l'édification de toute
ma communauté. — Bah ! Et vous ne lui défendez pas
l'accès des planches? — Et pourquoi donc? Elle joue du
Shakespeare; et nous aimons que nos fidèles aillent
l'entendre...
Heureux pays, heureuse paroisse, heureux théâtre :
L'ART MODERNE
149
nous ne sommes pas habitués chez nous à dç telles féli-
cités : Nous « jouissons » d'un répertoire déplorable;
DOS théâtres sont des ateliers de corruption pour le
goftt public ; la majorité des acteurs qui jouent devant
lui sont des déclassés; l'art est bafoué presque tous les
soirs-, les moins pudibonds d'entre nous n'osent pas con-
duire au hasard leurs familles aux représentations que
l'on nous offre; pour une pièce parisienne, où il y a au
moins de l'esprit, combien d'œuvres infectes ne sommes-
nous pas obligés d'entendre débiter? Cette corruption
du goût descend ensuite des hautes classes dans les
couches inférieures de la société contemporaine, empeste
les idées de notre peuple, infecte ses aptitudes natives
pour l'art et finit par obstruer les canaux de la récepti-
vité intellectuelle. C'est la mort morale. Il est doulou-
reux de voir mourir un homme dans l'abjection morale.
Il est poignant d'assister à l'œuvre lente de l'empoison-
nement systématique du goût de toute une nation. Cette
oblitération de l'art est atroce; c'est quelque chose
d'analogue à la négation de Dieu, car enfin, le Bien
absolu, la Vérité éternelle et le Beau en soi ne forment-
ils pas une Trinité divine?
Notez que je n'ai pas en ce moment la prétention de
m'ériger en censeur des mœurs. Sans dédaigner ce
souci, je ne cherche ici qu'à ameuter ceux qui me feront
l'honneur de me lire contre les entreprises anti-esthé-
tiques dont nous sommes les victimes payantes. L'art,
le grand art est moralisateur. Il est sacré. Les poètes
sont des • prophètes ». Tous les grands écrivains
dramatiques ont été moralisateurs, depuis Sophocle
jusqu'à Wagner, moralisateurs en principe : quand bien
même leur morale positive laissait parfois à désirer
par quelque côté, l'eff'et concluant de leur art a été
toujours élevé et l'action de leur ouvrage a donc
été moralisatrice. L'éthique et l'esthétique sont des
sciences sœurs. En haut les cœurs! Tel est le cri des
spectateurs devant les œuvres des hommes de génie.
On sort « meilleur - d'une salle de spectacle où l'on a
assisté à la représentation d'une vraie œuvre d'art,
quand même celle-ci ne serait pas absolument conforme
en tous points aux préceptes de la morale positive et
universelle. Pourquoi? Parce que le vrai artiste, -même
celui qui se comptait dans la peinture du mal, ne
saurait, sans mentir à sa vocation et sans prostituer
son génie, vouloir -glorifier le mal en soi. Cette œuvre
satanique est encore à faire. On l'a essayé parfois, mais
les siècles n'ont pas ratifié son succès passager. Eschyle,
le Dante, Racine (dans Phèdre, par exemple), Milton
(dans le Paradis perdu) et d'autres ont fait du mal en
soi des peintures éblouissantes, mais ces bienfaiteurs de
l'humanité ne l'ont pas glorifié.
Dans nos petits théâtres et même sur certaines
" grandes • scènes, on nous représente fréquemment des
œuvres sans aucune esthétique ; c'est là, et là seulement
que nous subissons la honte d'entendre applaudir ces
glorifications insensées. Si le public était mieux élevé, si
son goût était épuré par « l'expérience des belles choses»,
si son esprit était habituellement attiré vers ces hautes
et sereines régions d'où rayonne le beau dans toutes
les directions, il ne supporterait pas ces grossièretés.
Vous avez, mon cher confrère, il y a quelques années,
quand les Meininger étaient parmi nous, publié sur ce
sujet d'excellentes réflexions, que je ne fais que répéter
sous une autre forme, à l'occasion des représentations
de Rossi. Voyez, chaque soir, l'intéressant public qui y
assiste : la majeure portion des spectateurs ne connaît
pas l'italien, et cependant ils écoutent, et ils compren-
nent, oui ils comprennent. On peut écouter des yeux.
Il y en a qui entendent de l'àme. C'est une élite, me
direz-vous. Soit, mais j'y aperçois de simples ouvriers
et beaucoup de femmes. Un bon signe.
Laisserons-nous s'envoler ces symptômes heureux,
après le départ de Rossi, comme nous l'avons fait, quand
les Meininger nous ont quittés? Ces réconfortants
spectacles sont-ils destinés à passer chez nous comme
des météores ? Ne ferons-nous donc pas enfin un effort
pour les rendre permanents? Sommes-nous incapables
de [réaliser ce qu'ont accompli de simples particuliers
comme M. Irving? Le petit duc de Saxe-Meiningen
est-il plus puissant que nous?
Nous avons fait du théâtre de la Monnaie une des pre-
mières scènes lyriques du monde. Pourquoi n'essaye-
rions-nous pas sérieusement de créer enfin un théâtre,
où notre peuple d'artistes trouverait enfin un temple
digne de lui ?
Un de nos directeurs de théâtre les plus sérieux,
M. C, médisait un jour qu'avec une subvention annuelle
de cinquante mille francs il se faisait fort d'ériger une
scène comparable à celle des Meininger ou à celle de
M. Irving; et pour démontrer que cette idée n'avait pas
chez lui une origine sordide, il ajoutait qu'il se conten-
terait de devenir le régisseur de la maison.
Mais où prendre les 50,000 francs? Il ne faut pas les
attendre, je le crains, des pouvoirs publics. Mais, à ^
défaut de ceux-ci, pensez-vous qu'il serait si difficile de
former, dans le but indiqué, une société au capital de
500,000 francs (50 actions de 10,000 francs, ou 500 de
1,000 francs, ou 1,000 de 500 francs, ou 2,000 de
250 francs, payables par 1,000, 100, 50 ou 25 francs
par an, pendant dix ans?) En vérité, n'y aurait-il pas à
Bruxelles et en Belgique cent hommes de cœur, ayant
quelque fortune, désireux do s'honorer en donnant
chaque année, pendant dix ans, une misérable somme
de 500 francs? C'est le prix d'un dîner qu'on ofi're par
chic à ses connaissances pendant la saison. Je demande
ces cent hommes. Je demande que cent hommes se fas-
sent pardonner leur fortune par tous ceux qui ont faim
/et soif d'art.
150
UART MODERNE
Pour prix de leur concours, je ne leur promets rien
que la direction de l'entreprise et l'entrée au théâtre
pour eux et leurs familles. Mais j'ai l'intime conviction
qu'outre l'immense satisfaction morale que leur procu-
rera leur action, ils récolteront aussi des dividendes,
au bout de quelques années d'efforts. Les premières
années seulement seraient difficiles à traverser, car, au
commencement, il serait nécessaire de dépenser beau-
coup pour la décoration et la figuration de la scène, et
pour la formation de la troupe. Celle-ci ne comprendrait
que des sujets de premier ordre, et le cabotinage en
serait exclu rigoureusement.
La principale cause des premiers déficits serait l'in-
différence du public. Il faudra d'abord le former. C'est
l'œuvre la plus difficile. Mais elle n'est pas irréalisable.
Pour en rester convaincu , rappele2f-vous ce qu'était
naguère le public musical de Bruxelles. Il n'existait pas,
pour ainsi dire. Grâce aux concerts du Conservatoire et
à quelques associations libres, telle que l'excellente
société des Concerts populaires de musique classi-
que, il s'est formé lentement, mais sûrement, parmi
nous un public nombreux de dilettantes et d'auditeurs,
appartenant à toutes les classes de la société. Bruxelles
est devenu ainsi en peu d'années un des centres les plus
puissants 3e goût musical, et cette puissance esthétique
rayonne de la capitale vers les provinces, Anvers, Gand,
Liège, Mons, Namur, et aussi vers l'Etranger, au delà
de nos frontières. Aujourd'hui, notre civilisation vaut
quelque chose par la musique et quand notre clergé
comprendra mieux l'action que pourrait exercer l'Ecole
supérieure de musique religieuse établie à Malines,
notre peuple entrera dans une voie splendide de réno-
vation par l'art musical.
Soyez persuadé que les faits que je viens de résumer
et que vous connaissez mieux que moi, se renouvelle-
raient pour l'art dramatique, et d'autant plus vite qu'on
procéderait avec plus de décision. Ainsi, par exemple,
dans ce théâtre que je rêve de voir établir, je voudrais
qu'on réservât tout un rang pour les petits et les hum-
bles, à des prix intimes. C'est en effet une erreur de
croire que pour comprendre l'art dramatique il faille
être lettré. Je vous ai fait plus haut mon mea culpa :
moi, un lettré, je n'avais pas compris \' Œdipe-roi à la
lecture. C'est M. Mounet-SuUy qui m'a instruit sur la
scène. Et cependant je ne suis pas plus bête qu'un
autre...
Je suis peut-être plus long. Ne m'en tenez pas ran-
cune, car j'ai voulu apporter mon petit grain de sable à
l'édifice auquel vous travaillez avec tant de vaillance. Il
y a dans les choses de l'art une action charitable à
exercer. Usez-en un peu en faveur de votre humble et
dévoué serviteur,
Haulleville.
DANIEL ! VALGRAIVE
par J.-H. RosNT. — Paris, Lemerre.
Un homme qui se sait condamné il ne plus vivre qu'an an veut
assurer l'avenir moral de sa jeune femme et de son fils. Dans ce
bal il choisit et désigne avant sa mort celui qu'il juge digne de lui
succéder comme époux, comme père et aussi comme un ami pré-
sumé fidèle il une mémoire d'ami. Tel est l'argument de ce livre.
A qui voudrait prouver qu'il n'est point neaf, on répondrait que
la manière supérieure avec laquelle il est mis en œuvre ne ferait
môme pas craindre que M. Rosny reprit ainsi, pour les féconder
à nouveau, n'importe quels thèmes, des plus caducs. Celui-ci, je
crois qu'aucun des romanciers actuels ne l'eût traité avec autant
d'ampleur, que personne n'eût mieux décrit le douloureux cal-
vaire dont cette noble figure de Valgraive s'impose la route labo-
rieuse pour « la meilleure œuvre 6 faire » avant la Fin ; que per-
isonne n'eût mieux dit les naufrages de cette ftme, ces rudes crises
aboutissant il une satisfaction assoupie, après l'aven du Vœu
suprême. _
Sans doute, le public des gares de chemin de fer eût préféré
une plus large portion de réel, une part congrue de trompe-l'œil
quémandant le « comme c'est ça ». Et de fait, H. Rosny pouvait,
en doublant son texte, bien que sans viles concessions, introduire
l'élément physiologique qui manque à son livre (songez donc,
ô naturalistes, que la maladie du héros n'est point décrite, pas
même énoncée!); mais il a jugé supérieur de ne mettre stricte-
ment en évidence que la céréhralité d'un homme, qu'une méta-
physique des êtres ambiants, et de nous servir un sublimé, une
synthèse d'une grande tenue littéraire.
11 est heureux que l'auteur de Daniel Valgraive ait affranchi
son écriture de la terminologie scientifique qui naguère encore la
métallisait sans profit. Il a, d'ailleurs, d'autres ressources plus
compatibles avec l'art du littérateur, comme celles d'établir nette-
ment d'intelligentes comparaisons entre, par exemple, une âme,
son état transitoire, et deux phénomènes de nature coexistants.
Maintenant, si nous pouvons nous permettre une querelle de
scoliaste, nous condamnerons chez M. Rosny un futile penchant
à bombarder de majuscules, ii titre d'entités agissantes, des mots
traduisant de simples qualités, des modes qui n'en sont pas; i
moins que l'artifice n'ait d'autre but (comme dans les romans de
Villiers) que d'attirer l'attention sur certains vocables. Empres-
sons-nous d'ajouter que la question n'a pas d'autre importance et
saluons de nouveau en M. Rosny un des talents les plus hauts et
les plus sûrs du roman contemporain.
Les envois manuscrits que portent sur son faux-titre Daniel
Valgraive sont éloquemment signés Joseph-Henri Rosny et Justin
Rosny.
Edmond Coustdrier.
Exposition de Sebaerbeek
Celle Athènes au petit pied, — Schaerbcek, célèbre jadis par
SCS cerises noires, actuellement par la multitude de peintres et de
sculpteurs qui la peuple, a voulu avoir, elle aussi, son Exposition
des Beaux-Ans, son Salon annuel, — un Salon « local » disent
L's affiches, réservé aux seuls artistes dont le domicile est Compris
dans le périmètre de la commune. Ce qui fait que pour avoir le
y>j?-^ry^-/^~i^^yp/f^-'
•K', »K;'
L'ART MODERNE
151
<(iroil de s'exhiber dans la galerie gracieusemenl abandonnée au
comité par M. Léon Somzé, les peintres dont l'atelier est situé en
deçà du boulevard de l'Observatoire sont tenus de traverser
celai-ci et d'aller installer leurs lares aux abords dn Jardin
Botanique.
L'Exposition est coquettement présentée. Il y avait, le jour de
l'ouverture, un luxe inusité de tapis et de tentures, économique-
ment remisées dès le lendemain, de corbeilles de plantes vertes
et de fleurs. Deux salles (la seconde, i part quelques bons dessins
d'architecture et des vitraux d'art, semble bien un peu le cabinet
des horreurs de ce nouveau Tussaud) composent le petit musée
Schaerbeekois. Et les tableaux débordent dans le vestibule
d'entrée et jusque dans la cage d'escalier.
Ce n'est pas, certeél que tous les envois fussent si remarquables
qu'on n'en dût sacrifier quelques-uns. Il y a, paratt-il, de mauvais
peintres il Schaerbeek comme partout. Mais il en est de bons, et
parmi les artistes « de la localité » on compte des hommes de
valeur, connus dans les communes limitrophes et même an delà.
Vous n'êtes pas sans avoir entendu parler de MM. Alfred Verwéc,
J. Coosemans, Eugène Smils, Isidore Verheyden, Jan Stobbaefts,
Jan Vcrhas, Aelbrecht et Juliaan De Vriendt, Franz Binjé, Henri
Slacquet, Jean De la Hoese, P.-J. Clays, A.-J. Heymans,
Alb. Desenfans, Alb. Hambresin, J. Hérain, Emile Namur, Léon
Mignon, Paul Saintenoy. Eh bien, ces messieurs sont tous Schaer-
beekois I C'est à se demander si en dehors de cette commune
éminemment artistique il existe des ateliers de peinture
cl de sculpture, ou si, à Schaerbeek, il y a des citoyens qui
exercent d'autres professions que celle de barbouiller des toiles
ou de pétrir de la glaise.
Et encore ne les avons nous pas cités tous. Il n'y a pas moins
de 65 exposants différents, en ce Salonnet communal, et les
K dames » elles-mêmes, — au-. lieu de s'associer à l'aimable Mary
Gasparoli, toujours occupée à fournir son « groupe » d'émancipa-
tions féminines nouvelles, — les « dames » de Schaerbeek ne
dédaignent pas d'accrocher le délicat ouvrage de leurs mains à
côté des rudes travaux de leurs confrères barbus.
C'est ainsi qu'on peut contempler des eaux-fortes de M"« Mahy
Guillou, — en sérieux progrès depuis le temps où elle polé-
miquait dans les journaux judiciaires avec de jeunes avocats qui
avaient le tort de ne pas prendre son burin au sérieux, — des
fusains et des peintures de M"" Godart-Meyer (aie !), des fleurs de
M™ Triest (aie! aïe!), un Prinlempt de M"" Duchâteau (aïe! aïe!
aïe!), etc.
Ce sacrifice fait à la galanterie, voyons les envois masculins.
La toile d'Alfred Verwée n'est pas heureuse. Les pattes repliées
(le ses Fachet au repot semblent des moignons, tant le dessin en est
indécis, et les arrière-plans, que dans telles toiles le peintre recule
i rinfini,'Sont enfumés, brouillés et lourds, ne donnant nullement
la fraîche impression de r« aube «qu'ils ont la prétention de réa-
liser. Le Portrait de jeune fille d'Isidore Verheyden est infé-
rieur à ses portraits antérieurs. Si le visage est agréablement
modelé, les étoffes sont massives, ci les jambes écourtécs du
modèle donnent ii la silhouette une allure gauche. Une Pl<ige à
marée basse, du même peintre, laisse une impression plus vive et
plus durable. Au même groupe d'artistes amoureux de la belle
tache de couleur, de la coulée de pfttc onctueuse, — triomphe des
Louis Dubois, des Boulenger, des Baron, des Arlan, — appartient
Jan Stobbaerts. Il y a dans l'une de ses Etnbles une jonchée de
luzerne évocatoire des grasses campagnes flamandes, de l'été flanr.-
boyanl,-de la fraîcheur des croches. Mais l'ensemble du tableau
ne supporte pas une analyse sérieuse des valeurs et de la distribu-
tion du jour.
Le seul peintre de la même génération qui se soucie de la
vérité de l'éclairage, Adrien Heymans, expose deux toiles qui
marquent l'évolution du réalisme de naguère vers l'art plus libre
et plus vrai d'aujourd'hui. Il faut tenir compte à l'excellent pay-
sagiste de ses constants efforts. Enlisé dans l'épaisseur des pâtes,
naïvement ancré aux grattages, aux ponçages, aux triturations
d'une antique « Cuisinière bourgeoise », il tente, dans ses œuvres
les plus récentes, de rajeunirsa palette, de simplifier ses procédés,
et son écriture artistique nouvelle — déjà signalée parnous, notam-
ment à propos de son Coin de forêt du Cercle — produit d'heu-
reux résultats. Le matin, qu'il expose au 953 de la rue Royale,
témoigne de ce glorieux en-avant.
Il y peu de chose à dire des œuvres exposées par les autres
artistes que nous avons énumérés. Elles décèlent une activité
honorablement laborieuse et maintiennent leurs auteurs dans les
positions acquises.
M. Binjé réalise d'agréables harmonies de tons dans les dia-
prures de ses Rochers. C'est, peut-être, le peintre « Schaer-
beekois » dont les progrès s'affirment le mieux. Nous n'en dirons
pas autant des frères De Vriendt, dont les Portraits sont d'une
navrante banalité.
Citons, pour finir, deux nouveaux venus, remarqués déjà, l'un
au VHorwaarts, l'autre i l'Essor : M. Victor Gilsonl, encore em-
pêtré dans les formules de jadis, mais incontestablement peintre,
cl M. Orner Coppens, dont les Marines tranchent sur la médio-
crité ambiante. Dans sa Haute mer, M. Coppens tente timidement
l'application des procédés divisionnistes. On pressent que seul le
mélange optique absolu lui permettra de réaliser l'effort d'art vers
lequel, visiblement, il tend.
^ ^ERVIER?
{Correspondance particulière de TArt moderne.)
Dernière soirée de musique de chambre. Sixième qualunr de
Beethoven et quintette de César Franck. Je me demande avrc
inquiétude pourquoi celui-ci m'a ému plus que Beethoven. ■ —
Franck était plus pénétrant, plus jusqu'aux entrailles, triste cl un.
Est-ce l'enveloppe moderne de sa pensée qui en était cause, cl qui
m'en ouvrait la compréhension? Il est de fait pour moi, que
Franck est une des très rares âmes ou natures profondes qui
puissent servir de pierre de ouche pour juger Beethoven, —
comme Beelhoven sert de pierre de louche pour juger tous les
autres, et Franck, el Brahms, par exemple. — Beethoven me
donne la sensation de ces dessins aux belles lignes, riches et
pures, — dessins où les lignes ont un grand rôle, où elles se mul-
tiplient pour arriver avec une grande clarté et une grande sûreté
à faire ressortir non seulement les contours, mais les masses.
Franck procède par masses plus estompées, avec, ça et là, des
blancs cl des noirs sinistres. — Est-ce différence d'âge, d'époque?
Ce sont deux chastes; deux grands qui se sont creusés eux-mêmes
jusqu'à ce qu'ils trouvent le fond universel de l'âme humaine. —
lis sont frères, mais l'un, le Saxon, fait ressortir la race de l'autre,
le Latin.
Pas de piano b queue pour le quintcltc. L. Kifor avait voulu
/
' ;-f ■'•îiTi*>tj^-!»i;'*ïr(5-i*,Tif^«s'? ■
152
L'ART MODERNE
en exorciser les eDcom branles vibralions; et l'honnête piano
droit accomplissait sagement son rôle, ressortant quand il le
fallait, et accompagnant ou disparaissant comme tout membre
d'un ensemble doit faire. Mais que de pianistes, tant mâles que
femelles, ne le prendraient-ils pas pour une offense, une atteinte
à leurs droits sacro-saints, si on fermait le couvercle de leur
Erard il queue, pendant un Irio ou quatuor? Equilibrer le son
des instruments? Perdre la jouissance ininterrompue du clapote-
ment et de la .mullueuse pédale! Les idées démocratiques vont
envahir jusqu'au jeu des virtuoses! Horreur! tout se détraque
mes enfants — les temps vont bien mal!.
JjIVI^EP BELQEg JUqÉp EN }^'rANCE
Extrait du Afercur» de France, t. II, n» 17, livrai^n de noai 1891, où
l'on trouve aussi quelques pageM inédites de ViDien de l'Ide-Adam
très curieuses (?ariiu!ite8 de tÈve future). * ' ' r
Les Fusillés de Matines, par Georges Eékboud (Bruxelles,
Lacomblez). — Voilà un 1res bon livre, malgré quelques pages
d'un naturalisme un peu trop de kermesse à la phase exerémen-
lielle. C'est l'histoire de la révolte des Flandres, en 1798, contre
l'occupation française et la siupide tyrannie des Jacobins, On avait
fermé et pillé les églises, déporté les prêtres à Cayenne, sup-
primé toutes les gildes, confréries, corporations et fêles locales;
à toutes ces vexations (imaginées naturellement au nom de la
liberté et l'égalité) ajouté la conscription : — les paysans, un
jour, trouvèrent que cela allait un peu loin et prirent les armes.
Ils surprirent Malines, mais, surpris à leur tour et cernés, ils
furent massacrés, et ceux qui avaient échappé à la tuerie, fusillés
le lendemain après un simulacre de jugement. L'auteur méprise
et hait la Révolution française, — sentiment que tout artiste ne peut
que hautement approuver. Ah ! Gantois et Brugeois, si vous nous
aviez appartenu, comme nous aurions rasé vos maisons à pignons,
vos beffrois, vos couvents, vos hôpitaux, vos chapelles, vos églises !
Comme nous aurions redressé vos rues qui s'en vont sans savoir
où ! Et comblé les inutiles canaux de «ruges ! Et rendu toutes ces
villes un peu modernes! Songer que Bruges pourrait ressembler
îi Saint-Denis ! Sous couleur de patriotisme flamand, cette étude
de M. Eokhoud, fort bien écrite d'ailleurs, avec plein de trou-
vailles (le mots et style, est un plaidoyer de l'art contre le van-
dalisme et de l'idéalisme contre le despotisme utilitaire : donc, à
tous les points de vue, un très bon livre.
R. G.
L'ornement des noces spiriluelles, par Ruysbroeck l'Admirable
iraduitdu flamand par Maurice Maeterlinck (Bruxelles, Lacomblei)!
— Sur ce livre, un des plus hauts de la littérature mystique, je
me réserve de revenir un jour (un mois ou l'autre) en une élude.
Celle du traducteur est si complète, si pénétrante, si écrite en lé
style qu'il fallait, — que cela pourrait paraître superflu et même
téméraire; mais M. Maeterlinck, seul grief, n'a pas assez délimité
les deux mysticismes : le catholique et l'alexandrin. Je ne voudrais
pas que l'on citât Plolin pour expliquer Ruysbroeck, ou bien il y
faudrait apporter une grande prudence, "il y a deux grandes
classes de mystiques : les grecs, les latins. Le mysticisme grec
évolue dans l'Inlelligence; le mysticisme latin, dans l'Amour •
l'un, c'est saint Denys l'Aréopagile; l'autre, saint Boniface ou
saint Bernard. Ruysbroeck, tout en les ignorant également, semble
résumer les deux écoles. Pourquoi spécialement en référer à
Plolin? Je sais bien que M. Maeterlinck donne à ce sujet de très
subtiles explications, — justement à discuter.
« Ce saint personnage, dit la très iniérressante revue de Gand
Le Magasin littéraire, né au village de Ruysbroeck, entre Mal et
Bruxelles, en 1274, fonda dans la forêt de Soignes, au lieu dit
Groenendael (Val-Vert), un monastère qui suivit la règle des
Ermites de Saint-Augustin. C'est là qu'il écrivit en flamand ses
éioniiantes œuvres mystiques. Ces œuvres, éditées pour la
ftremiëre fois dans le texte original, il y a quelaues années, par
es soins de la MaaUduppii der Vlaanuelu Bulioi^ilêii, n'ont
jamais paru en français, sauf quelques passases Iradaita par Hello
sur le texte latin, rédigé au 16* siècle («r Lanrentias Snrias ».
Ajoutons que ces a quelques passages » Mdaits par Hello donnent
la quintessence de Ruysbroeck en un petit livre, qui ne doit pas
être, il est vrai, littéralement exact, mais qui n'en garde pas
moins sa valeur de bréviaire, de « Petites Heures » mystiques.
R. G.
Ce qui précède paraîtra, en Belgique, d'un exact jugement. Par
contre cette note courte et dédaigneuse sur un fort beau livre.
Les Demiiret Fila, par Albert Giraud (Bruxelles, Paul
Lacomblez). — M. Albert Giraud montre, en son très élégant
volume, une science accomplie dn vers et une connaissance appro-
fondie des poètes les plus modernes. La forme est toujonni impec-
cable,mai8 tel de ses poèmes rappelle Baudelaire, tel autre Leeonte
de liste, tel autre Verlaine. 11 n'est pas Jusqu'k Saint-Pol-Roux
qui ne puisse revendiquer « un masque ob la fièvre allume ses
cactus » et « des regards éperviers pour dcsebaaaes mauvaises ».
Cependant, en maint endroit, l'auteur aflBrme une personnalité.
Il a une évocation de paysages teintés de bleu tendre et de rose
p&le un peu « dessus de boite k bonbons », mais bien k lui.
____ E. D.
5^HR0NiqUE JUDICIAIRE DE? ^RT?
Conpoi^a Ml Théâtre.
Le procès intenté par M. Jules Destrée A la direction du théâtre
de la Monnaie au sujet des coupures infligées par celle-ci à la
partition de Siegfried a été plaidé cette semaine devant le tribunal
de commerce de Bruxelles. M. Destrée plaidait en personne,
assisté de M* Edmond Picard. M* Hahn était à la barre pour les
défendeurs.
D'après ces derniers, les coupures sont autorisées par l'usage.
Il n'est pas d'œuvre dramatique qui, au dire dn Conseil des
directeurs, soit représentée intégralement. On coupe dans les
Huguenots un air de Nevers et Te ballet du quatrième acte, on
supprimait jusqu'ici dans la Juive le ballet de la « Tour
enchantée » qui n'a été rétabli que depuis peu de temps, etc.
Les représentations sont subordonnées' aux nécessités do ibéfllre.
Les directeurs, qui exposent leurs capitaux, ont le droit d'écourter
le spectacle si l'intérêt de la caisse l'exige. Or, poor Siegfried,
il s'agissait de permettre aux Anversois d'assister à la représenta-
tion et de rentrer chez eux pat* le dernier train. C'est pourquoi
on a fait des coupures.
Le procès actuel n'est d'ailleurs pas nouveau. U fut intenté
jadis par un amateur mécontent des tripatouillages que M. Castil-
Blaze avait fait subir au Freitchûtz, par un directeur de théâtre
méridional qui, venu à l'opéra avec sa troupe, sons la direction
Vaucorbeil, pour entendre la Favorite, avait constaté certaines
suppressions. Dans l'un et dans l'autre cas, le demandeur fut
débouté de son action.
M' Hahn ajoute que le départ de M. Destrée après le premier
acte n'est pas établi. Si le demandeur a assisté au spectacle
jusqu'à la fin, il n'est pas recevable à réclamer la restitution du
prix de sa place. Qu'il formule des protestations, qu'il saisisse la
presse, c'est son droit. La querelle relève de la critique et non
du pouvoir judiciaire. Pour le préjudice que leur a fait subir la
publication anticipée de l'assignation, les directeurs réclament
reconvcntionnellement à M. Destrée 1,200 francs de dommages-
intérêts.
M" Destrée et Edmond Picard, plaçant le différend bien
au-dessus du procès actuel, plaident qu'un directeur Je spectacles
n'a pas le droit d'amputer une œuvre d'art dans un intérêt de gros
sous. C'est la cause de tous les musiciens et de tous les, amateurs
de musique qu'ils défendent. En annonçant par leurs affiches une
représentation de « Siegfried, drame lyrique de R. Wagner,
traduction française de V. Wilder»,MM. Sloumon et Calabresi se
sont engagés à jouer l'œuvre intégrale, telle qu'elle a été écrite,
^^'"^^r»,'
" > 1?"^ 8»'
et non des fragmeoli de cette œuvre. Par la publication de
l'affiche, un conCrat s'est formé entre la direction et le public. En
prenant son billet, M. Destrée a dû croire qu'il allait assister k
une représentation complète. Il n'est allé au théâtre que dans
ce bat et ne se serait pas dérangé s'il avait su qu'on lui donnerait
un Siegfried mutilé. Comment pouvait-il supposer que la direc-
tion se permettrait do supprimer des passages importants de la
partition, alors que Siegfned avait été joué dix fois de suite sans
coupures, alors que la loi de 1886 sur le droit d'auteur défend au
cessionnaire d'une œuvre d'art de modifier celle-ci pour l'exploiter?
Le prétendu usage invoqué par les défendeurs ne peut être
opposé It la demande. Un usaj(e ne prévaut pas contre une
disposition légale. D'ailleurs, un usage admis pour les HuguetioU
ou la Juive peut-il s'appliquer ii Siegfried f De ce qu'on a coutume
de chfttrer les matons peut-on inférer qu'il soit permis de prati-
quer la même opération sur tons les mammifères?
C'est 06 qui rend inapplicable k l'espèce la jurisprudence
citée par les défendeurs. Le procès de Robin de» Bois a été
intenté alors que depuis pinsieurs années il était d'usage de
représenter, non l'œuvre originale de Weber, mais l'adaptation
qu'en avait faite H. Caslil-BIaze. Et quant au procès de la
Favorite, les coupures qui indignèrent le directeur méridional
avaient été pratiquées depuis la première représentation. Le juge-
ment le mentionne expressément. Ces deux décisions ne sont
donc nullement contraires ii la thèse des demandeurs.
L'argument tiré de l'heure du départ des trains n'est pas
sérieux. Dans l'hypothèse où le train d'Anvers fût avancé d'une
demitheure, admettrait-on que la direction eiA le choix de sup-
primer la moitié d'un acte? Que dire d'un directeur de spectacles
qui coopérait dans Faust l'air des bijoux, dans RigoUtlo le
quatuor, dans Ouillaume Tell le trio ? Le public ne protesterait-
il pas avec indignation ?
Que M. Destrée soit, ou non, resté jusqu'à la fin du spectacle,
peu importe. Il déclare qu'il est parti après le 1" acte, et il a
fait constater son départ. Mais rien ne l'empêchait de rester, ne
fût-ce que pour s'assurer des coupures qui eussent pu être faites
dans les actes suivants. El aucune fin de non recevoir n'eût pu
lui être opposée de ce chef.
Quant k la publication anticipée de l'assignation par les jour-
naux, elle n'est pas le fait de M. Destrée. Ce n'est pas à lui à en
répondre. Et dans tous les cas, M. Destrée n'étant pas commer-
çant, l'action rcconventionnelle échappe !i la compétence de la
juridiction consulaire. Elle a pour base un fait spécial qui n'est
pas la conséquence directe de l'action principale.
I^ jugement de cet intéressant procès sera rendu la semaine
prochaine.
Petite CHROj^iquE
Les pourparlers dont nous avons parlé dans notre dernier
numéro au sujet de VAntonia de M^Edouard Dujardin ont abouti.
Cette tragédie moderne, dont toutes les revues de Paris, après les
journaux, font la glose, sera représentée vendredi prochain,
15 mai, au théâtre du Parc, par les artistes de la création (Théâtre
d'application, 30 avril 1891) (■!). Il sera extrêmement inléressanl
(le voir l'impression produite â Bruxelles par ce premier essai de
drame symboliste.
Il ne faut jurer de rien servira (celte comédie a-t-elle été
choisie par M. Candeilb dans une intention malicieuse?) de lever
de rideao il Antonia.
Dans la dernière séance de musique de chambre pour instru-
ments i vent et piano, donnée par HH. Anihoni, Guidé, Poncdet,
Merck, Neumans et De Greef qui aura lieu aujourd'hui dimanche,
on entendra comme œuvres nouvelles une Méditation de
Lefebvre et une Pattorale de G. Pierné, puis un andante pour
trois hautbois et cor anglais de Léon Jehin. M. Arthur De Greef
(1) Voir le compte-rondu d'Anlonia dans VArt Moderne du
26 avril dernier.
jouera le* Variatiotu térieuiu pour piano de Mendeissohn et, avec
M. Poncelet, des pièces de Schumann pour piano et clarinette.
La séance se terminera par la Sérénade n° 3 de Mozart, poui-
bait instruments k vent.
Pour rappel, c'est mardi prochain qu'aura lieu, â la Monnaie,
à 8 heures du soir, le quatrième et dernier Concert populaire de
la saison, consacré ii Brahms el a Wagner.
Demain soir, ii 8 heures également, répétition générale au
théâtre de la Monnaie.
A la mort de César Franck, ses élèves et ses admirateurs ont
décidé d'ouvrir une souscription pour lui élever un monument.
L'exécution de ce monument, qui sera édifié sur la tombe du
maître au cimetière Montparnasse, a été confiée au sculpteur
Rodin.
M. Van Dyck vient d'être cngasé â l'Opéra de Paris pour créer,
en septembre et octobre, après les représentations de Bayrcuth,
le rôle deLohengrin.
Les études préparatoires nécessitées par cet ouvrage sont com-
mencées. M. Lapissida a déjà établi en partie la mise en scène.
MM. Gailhard et Lamoureux s'occupent de la distribution des
rôles, à peu près arrêtée définitivement comme suit :
Lohengrin, M. Van Dyck; Frédéric, M. Renaud; le roi, Del-
mas ; Eisa, M"« Rose Caron ; Ortrude, M"" Fierons.
La première aura lieu du 10 au 15 septembre.
On ne s'occupera qu'après de Tamara, la pièce de M. Bour-
gault-Ducoudf'ay.
Du Ouide musical : Pour sa dernière soirée, la Société des
Concerts populaires de Nantes avait fait appel à M. Vincent d'Indy.
Trois œuvres du jeune maître figuraient au programme : Wal-
lenslein, la Forêt enchantée et Clair de lune. On devait en jouer
une quatrième, Saugefleurie, que le manque de temps pour
répéter a fait supprimer. M. Vincent d'Indy a été chaleureusement
acclamé par le public nantais.
Notre brillant confrère Etienne Destranges parle avec une cha-
leureuse sympathie de ce concert qui a clos dignement la saison
de 4890-1891. La Société nantaise des Conceris populaires a
exécuté, cette année, trente œuvres nouvelles, dont les princi-
pales ont été : le Préluiie de Tristan et Yseult, la Mort d'Vseult,
la Symphotiie fantastique et des fragments de Roméo et Juliette
de Berlioz, le Chasseur Maudit, les Djinns de Franck, Irlande
d'Holmes, enfin, la Flûte enchantée et Wallenstein. Elle a fait
entendre, en outre, des artistes comme Ysaye, Paderewski, Smith,
M"" Miclos, Fursch-Madier.
Ce n'est vraiment pas mal.
Du même : Une nouvelle invention nous est signalée de Berlin :
un piano électrique. Horreur !
La nouveauté de l'appareil Consiste en ceci, que les marteaux
sont supprimés. Le clavier est en communication avec des aimants
par lesquels passe un courant. Chaque fois que le doigt appuie
sur la touche, l'aimant entre en communication avec les cordes,
qui vibrent aussi longtemps que dure la pression du doigt sur la
touche. Il est loisible de jouer ce piano aiternaiivemcnt comme
un piano ordinaire, — car il a des marteaux et leur mécanisme
d'échappement, — ou de le faire résonner par l'élcclriciié. Il suf-
fit de manœuvrer un commutateur pour établir le contact élec-
trique. Alors le piano rend des sons d'orgue.
Un nouveau confrère parisien.
VEndehors, journal hebdomadaire, parait le mardi, avec ce
commentaire : « Celui que rien n'enrôle el qu'une impulsive nature
guide seul, ce passionnel tant complexe, ce hors la loi, ce hors
d'école, cet isolé chercheur d'au delà ne se dessine-t-il pas dans ce
mol : » VEndehors »?
Dix centimes le numéro. — Six francs par an. — Bureaux : rue
Bochard deSaron, 12, Paris.
El vogue, vogue...
ONZIÈME ANNÉE
L'ART MODERNE s'est acquis par l'autorité et l'indépendance de sa critique, par la variété de ses
informations et les soins donnés à sa rédaction une place prépondérante. Aucune manifestation de lArt no
lui est étrangôro • il s'occupe de littérature, do peinture, de sculpture, de gravure, de musique,
d'architecture, etc. Consacré principalement au mouvement artistique belge, il renseigne néanmoins ses
lecteurs sur tous les événements artistiques de l'étranger qu'il importo do connaître.
Chaque numéro de L'ART MODERNE s'ouvre par une étude approfondie sur une question artistique
ou littéraire dont l'événement de la semaine fournit l'aotualité. Les expositions, \6S livres nouveaux, les
premières représentations d'œuvres dramatiques ou musicales, les conférences littéraires, les concerts, les
ventes d'objets cTart, font tous les dimanches l'objet de chroniques détaillées.
L'ART MODERNE relate aussi la législation et la jurisprudence artistiques. Il rend compte des
procès les plus intéressants concernant les Arts, plaides devant les tribunaux belges et étrangers. Les
artistes trouvent toutes les semaines dans son MementO la nomenclature complète des expositions et
concours auxquels ils peuvent prendre part, en Belgique et à l'étranger. Il est envoyé gratuitement à
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Dmamchb 17 Mai 1891.
L'ART MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
RBVDE ORITIQDB DBS ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Comité de rédaction t Octavb MAUS — Edmokd PICARD — Émilk VERHAEREN
▲BOinfkiaBmrS t Belgique, un an, fr. lO.QO; Union poetale, fr. 13.00 — AmrOIÏCKS : On traite i forfait.
Adretter toutes lei communication» d
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A propos de SHYLOCK
C'est une pièce aasez différente de la très excellente
histoire da Marchand de Venise, qne le tragédien
Rossi noui a moptrée l'autre soir.
L'esthétique de ces modifications au texte,' larges
coupures, invasion de tableaux dans les actes et homo-
logation de différentes scènes, ressort de deux mobiles
principaux.
L'un de ces mobiles, tout naturel, est de plier la mul-
tiple mise en scène aux exigences de tout théâtre où la
troupe du comédien de Shakespeare (aussi, hélas! de
Giacometti) vient donner l'audition d'une série de chefs-
d'œuvre. Simplifier les mécanismes de nombreuses
machiu6ii<fe, épargner les allées et venues des figurants,
c'est fermer autant de. portes possibles pour le rire, et
rien de mieux pour l'audition du grand comédien.
L'audition du grand comédien, son audition par des-
sus tout, voici le deuxième mobile des découpures des-
sinées dans Kiakespeare. M. Rossi, qui vojage pour
lui, joue pour lui, et certes se persuade, non à tort, que
seul pour le public, il est capital. De là à lui sauver la
trop fréquente présence de comédiens qui ne seraient
pas lui, et s'entourer seulement d'un nombre de com-
parses suffisants pour lui donner la réplique, il n'y
avait qu'ofi pas.
Une autre raison encore expliquera dans les habi-
tudes dé ces troupes italiennes, le sans gêne avec lequel
le texte est traité. Passant en pays de langues diverses,
la plupart du temps devant des spectateurs qui voient
en eux comme les plus extraordinaires représentants
de la pantomime, ils ont intérêt à glisser sur tout ce
qui n'est pas bien physiquement montré, ou ce qui
n'est pas immédiatement et brutalement accessible; et
ces ébranchages perpétuels sont pour eux comme une
nécessité vitale.
Dans le Marchand de Venise, l'entaille est simple et
grande. Elle démontre exactement ce principe que c'est
le comédien shakespearien que nous devons venir voir,
et non la comédie, puisque, Shylock confondu, nous
n'avons plus rien à faire qu'à partir en réfléchissant
aux mérites de l'interprète.
En France, à Paris, veux-je dire, anx'Français ou à
l'Opéra, l'esthétique de Shakespeare est^diflérente.
En annihilant autant que possible les rôles des princi-
paux personnages, et en noyant le langage shakespea-
rien dans des tirade» incolores, on respecte soigneuse-
i
156
L'ART MODERNE
ment le canevas shakespearien en tant que prétexte à
déploiement d'élofles, pompes de casques et de halle-
bardes, décors de parcs à lumière électrique, hautes
salles vénitiennes avec des musiciens en costumes véro-
né^iens ou giorgionesi^ues. C'est encore et toujours
l'opéra de Gounod (sans musique) que nous écoutons
pour du Shakespeare. Ici c'est bien autre chose, mais
ce n'est pas encore du Shakespeare, c'est surtout du
Rossi.
Chez tous les interprètes d'art, virtuoses, acteurs, etc.,
vous découvrirez, plus ou moins avouée, plus ou moins
formulée, cette pensée que l'exécution de l'œuvre d'art
est une chose égale, sinon supérieure, à sa création.
Ils stnit amenés ii se formuler à eux-mêmes, à déduire
d'eux-mêmes une sorte d'esthétique représentative qu'ils
appliquent à toutes les œuvres qu'ils assument de vivi-
fier. De là et rapidement la création dans leur art d'une
singulière monotonie.
Rossi n'y a p<iint échappé. Ses vieillards se traînent,
se désespèrent, rient d'une sorte de gloussement quatre
fois répété, sont cauteleux, défiants, comiques; dans
leurs apparences mi-|)atelines, mi-gâteuses, ses vieillards,
qu'ils s'appellent Louis XI. ou Ivan-le-Terrible ou Shy-
loik, sont le même (la conception de la puissance
déiniite par l'âge et qu'il faut retenir de tous ses
gestes) .
Le Shvlock de Rossi est essentiellement traditionnel.
Non pas qu'il faille (pour ces rôles très en dehors) devoir
infliger une synibolique complète à tel personnage
simplement fabriqué pour faire rif-e à ses dépens, mais
encore faut-il que la silhouette qu'en donne le comédien
soit logique, quelque peu.
Où est la notation, dans Shakespeare, du grand âge
de Sliylo( k. Le fait d'avoir une fille le condarane-t il à
tousser, marcher courbé, se traîner péniblement, de
même, exactement de même que le roi Louis XI.
C'est un homme d'aflaires, réduit, poussé, encouragé
si vous préférez à un système spécial d'affaijœs, par des
lois qui lui interdisent d'autres expansions de person-
nalité. Il subit le mépris de la ville; quand on en a
besoin on va le prier et le flatter, quand il s'est enrichi,
on le dépouille; heureux souvent ceux qui n'étaient que
dépouillés Shylock ne peut avoir au cœur grande
gratitude pour les négociants qui comme Antonio le
méprisf nt - parce que leur fortune est sur la mer. « Il
lui tombe par hasard une occasion de vengeance, il la
saisit avec enthousiasme, et cette vengeance le séduit
par son caractère légal, par l'appui qu'elle recevra des
autorités chrétiennes. Shylock à Venise a inventé le
crédit, peut-être est-il un dt s fondateurs, lui ou un de ses
ascendants, de cette vie riche, fac'le, heureuse, en fêtes
que mènent paiement les Vtnitiens et dont il s'abstient;
quand tout lui auia tourné à malheur, que ses sacs de
ducats et sa lille se seront envolés, il revient plus forte-
ment encore à cette idée pour lui fondamentale, que
c'est lui ou des siens qui ont fondé cette opulence
nationale par lo crédit ; et cette force Titale du pays il
l'évoque pourdéfendre ses droits. Le Dc^doit lui céder,
constater son triomphe et sa force. Cest là l'essentiel
qu'a voulu Shylock.
S'il succombe à un moyen de vaudeville, tant mieux
pour tout le monde et la chaude alerte d'Antonio passée,
le mieux serait, si l'on nous y avait conviés, d'aller voir
aux jardins de Belmont des gens heureux par la force
de leur joies et les comiques inextricabilités des lois.
C'est donc une sorte de légiste retors et redoutable,
sobre de gestes, attentif à ses attires, très touché de la
disparition de sa fille et de son or, mais redevenant
ferme, grave et sérieux pour toute sa procédure, procé-
dure faite pour affirmer son droit et sa vengeance, que
nous eussions voulu voir sur la scène, et non un barbon
de la vieille comédie italienne, l'éternelle ganache trom-
pée et ridiculisée.
D'autres ici ont dit quel talent Rossi a déployé d'au-
tres soirs, et la beauté de son Hamlet, de son Othello,
de son Macbeth, de son Roi Lear. C'est là le beau
comédien romantique, soucieux de plastique, soucieux
de ses effets vocaux, du déroulement d'un personnage
dans la mobile fresque C'est là où il est bon, et non
dans la comédie, qu'elle soit de Shakespeare ou de plus
humbles écrivains.
Gustave Kahn.
AU GHAMP-DE-MARS
Tout Paris a assisté jeudi au a vernissage • du Cbamp-de-Mars.
Uuii heures durant quatre rangées de voitures ont défilé par l'ave-
nue Rapp. On se serait cm en pleine Exposition anivcrsclle. Dans
les immenses salles du Palais des Beaux-Arts, dans L» « hall »
central, dans le jardin dévolu à la sculpture, une foule innom-
brjble, brillante, papillouanle, caqaeiantc, s'est occupée avec
auenlion des toilclles exquises que le soleil de mai fjil éclorc,
s'est médiocrement intéressée aux toiles pçiplcs, aux pustcls, aux
bronzes el aux marbres. Le vernissage du Champ-de-Mars a iJéfi-
nilivement remplacé celui des Champs-Elysées, abandonné aux
rapins el à leurs modèles. Olni-là est « cliie », celui-ri no l'csl
plus. Le suprême du genre esl de rrnvoyer au comité de la Société
du artitta françait les cartes d'invitation qu'il distribue. Dans
notre naïveté, nous trouverions cela impoli. Mais on nous affirme
que c'est infiniment distingué.
La Société tuitionaU avait invité cinquante mille personnes. Il
en est venu trente-quatre mille huit cent «oixanic-quinre, chiffre
officiel. C'est environ douic mille de plus que l'an passé. Et
comme le nombre dos jplies femmes présentes s'est accru d.ins
une proportion notable el que les robes qu'elles portaient éUiienl
beaucoup pins jolies qu'au printemps dernier, le Salon actuel a
été proclamé de tous points supérieur au Salon défunt.
On s'est èattu, sur le coup de midi, autour des entrecôtes cl
des filets Béarnaise du buffet. Les malins ont insinaé, pour se fai^
■c-,
m
L'ART MODERNE
157
servir, des pièces k IVffigic de divers souTerains dans les poches
des garçons de restaurant el des petites bonnes affolés. D'autres,
plus malins encore, se sont fait hisser au premier étage de la
Tour Eiffel, d'où Ils ont pu contempler i l'aise, attablés devant de
savoureusoi côtelettes, le combat que livraient entre eux, pour la
possession d'une botte de radis ou d'un œuf ii la coque, les pein-
tres de la Société nationale et leurs invités.
A trois heures, il était absolument impossible de regarder un
tableau. Personne, d'ailleurs, n'essayait. Et l'idée d'un vernissage
d'où seraient exclues les œuvres d'art, vraiment inutiles et presque
encombrantes, venait tout naturellement ï l'esprit des novateurs.
Il y avait ti ce momenl-là S9 degrés de chaleur. Et comme
toutes les chaises de toutes les salles et toutes les banquettes et
tous les fauteuils étaient occu)>és, on s'asseyait par grappes sur
les marches des escaliers. Et l'on attendait tranquillement. Quoi?
On ne sait ou juste. Le vernissage, probablement.
Aucun pciutre n'ayant verni aucun tableau, on est parti, et
durant une heure, 6 miracle! il a été possible de faire le tour des
salles et de voir les œuvres exposées.
De cette très rapide visite, voici notre impression, en attendant
qu'un examen plus attentif nous permette de donner du Salon
une appréciation raisonnée.
Le triomphateur de 1891, c'est Puvis de Chavannes, dont la
grande toile décorative, l'Eté, est plus belle encore, plus limpide
que colle qu'il exposa l'an dernier. Son envoi est complété par
doux toiles de dimensions plus restreintes, la Céramique el la
Poterie, destinées au Musée céramique de Rouen, toutes deux
d'une belle ordonnance de lignes et d'une harmonie de tons
raffinée.
Parmi les œuvres de sculpture, le Monument funéraire de
Barlholomé s'impose. Le groupe principal, une figure d'homme
cl une figure de femme couchés, est d'une rigidité cadavérique
cxlrnordiiiaire. C'est lit du très grand art qui place Barlholomé
au rang dos nobles et purs artistes, hors des contingences
d'époque et de lieu. — Barlholomé, Constantin Meunier (le Fau-
clieiir el divers peiils bronzesi, Rodin (busie de Puvis de Cha-
vannes), forment la iriniié glorieuse des sculpteurs du Champ-de-
Mars. Ou prétend que la plupart des ouvriers du marbre et du
bronze sont demeurés fidèles aux Champs-Elysées pour ne pas
niler des commandes officielles. Qu'ils y restent. Les trois noms
que nous^Mions de citer suffisent ù animer d'une vie d'art le
jardin de l.i Société nationale. 11 convient d'y joindre Dalou, bien
que dans son buste eu bronze d'Albert Wolff le métier l'emporte
sur l'art.
Remontons dans les salles de peinture. Voici, au hasard des
rencontres, doux fort beaux Whistler : ce portrait de femme en
profil perdu, si fier d'allures, vu aux XX il y a quatre ou cinq
ans, el une marine, harmonie subiile de bleu et d'opale, d'une
rare distinction de coloris.
Voici des Alfred Sievens, parmi lesquels un chef-d'œnvre : la
Dame en jaune, qui vous arrête net au passage, évoquant des
visions de salon carré. Avoir peint un pareil morceau, el cha-
virer en de chiuroliques Ophéliel...
De tous les Des lui rd, ce que nous prisons le plus, ce sont les
huit cirions dessinés pour des vitraux, — merveilles de couleur,
d'iinaginaiion et de goût. Toute une faune s'ébat dans des pay-
sages (Je fantaisie, d'uue fantaisie féerique adorable : des autru-
ches, des paons, des flamants roses, des dindons, des cygnes,
(les volées de chardonnerets, et l'on se figure la joie de ces
verrières criblées par le soleil. Tel vitrail, le Buffet, exécuté
par M. Caret, permet d'apprécier le rare talent el l'à-propos
ingénieux de l'artiste. « Cela ne vous choque pas, ces vitraux
modernes, dénués de sens religieux? » nous disait Odilon Redon,
rencontré au cours de notre promenade au Salon. El après un
moment de réflexion : « Non, j'ai lorl. Il n'y a pas de raison pour
que le vitrail soit réservé aux cathédrales. J'admire, comme vous,
les verrières de Besnard. Elles sont d'un artiste ».
Un vitrail voisin est signé Lerolle. L'influence de Besnard s'y
fait sentir si vivement, qu'on serait tenté d'attribuer l'oeuvre 4 ce
dernier. Pourtant la différence est sensible, el un examen plus
attentif la met en relief.
Ne nous arrêtons pas devant les imagf>s qui requièrent la foule :
le Five o'clock de M"" Madeleine Lemaire, le Chanteur de
Jeanniot, la Madeleine de Béraud, les cent niaiseries sentimen-
tales, mondaines et autres qui peuplent les ci.naises. Laissons
aussi les Duez, les Carolus, les Gervex, les Dubufi; fils il leurs
admirateurs. Ils sont, dans un genre différent, tout aussi pom-
piers que les Bouguereau, les Lefcbvre, les Jean-Paul Laurens de
la maison rivale, el si le procédé varie un peu, la vacuité de la
pensée el la désespérante baualiié de la composition sont
identiques. Les sauces brunes sont remplacées par des sauces
bleues ou mauves, mais la sauie subsiste. Ei l'on seni i-i bien que
l'artiste ne discerne nullement le motif qui a guide tel ou tel
maître vers l'emploi des tons clairs, vers tels enveloppe-
ments de bleu, vers^lles réactions de lonaliiés! C'esl affaire de
mode, rien de plus. Et la mode se fiil sentir avec intensité au
Champs-de-Mars, où les exposants se copient les uns les autres
avec un ensemble touchant.
C'esl ainsi que M. Berton imite, à s'y méprendre (ce n'était
vraiment pas la peine!) les Pépias de N. Carrière, que M. Jacques-
Emile Blanche s'accroche aux basques de Boldini el de Whistler,
lequel inspire tout pirticulièrement M. Gandara, etc., etc.
A citer, parmi le ■ j unes i|ui s'annonceni bien, M. Louis Picard,
donl les portraits, curieusement envcloppi's el d'altiiudes inléres-
santes, révèlent un ariisle, et parmi les \ieux qui se rajiunissent,
M. Boudin, le consciencieux el charmant marini^le, donl les vues
d'Etrelat marquent un pas en avant inconicstable.
Un porirail du peintre Donnai, par Raffaëlli, el de suggestifs
dessins de banlli'ue du même artiste, une série imporianle de
Sisley récenis, loul vibranis d« vcnis frais passant d;ins les feuil-
lages, donneni la note la plus jeune du Salon. C'est peu, et quand
on songe que Gusl.ive Moreau, Claude Honet, Degis, Cmiille
Pissarro, Odilon Redon, Félicien Rops habitent Paris, on scdemaiidc
si l'an n'est pis à côlé du Cli.imp-ile-M,irs, comme il est il côlé
des Champs-Elysées, el si le proscnl S. don donne une idée, même
approximative, de l'exlraordinaire acliviié artistique de la France.
Mieux présenlée que celle des Champs-Elysées, tout à f.iit « dans
le train » et poussée par les syuipiihies des gens du monde,
l'Exposition de la Société nationale n'esl, au fond, comme sa
rivale, qu'une foire aux huiles. Les produits qu'on y vend sonl
mieux appropriés à la clieniêle spéiriale (lu'clle a eu l'adresse
d'attirer chez soi. Croire qu'il s'y rencontre une source d'art serait
duperie. Aliendons-nous de M. Aiiqueliii le \érilable Sjhn arlis-
tique? Pas davamago, pour la raison bien simple que sur cent
peintres, quaire-vingt-ilix-neuf cousitlèreronl loujours la pcinlure
comme un métier, el qu'on ne s'instaure pas ariisle comme on
s'établit cordonnier. Les Salons, quoiqu'ils soient, fussent-ils
dirigés par Puvis de Chavannes, ne seront jamais qu'une réunion
■•"'IKï'jf ". 't^^^^^S'^^WItW ■'
]S8
L'ART MODERNE
hélérodile dans laquelle c'est surprise et joie que de rencontrer,
parmi la baniile cliromographie eouiumière, quelque moro«au de
choix, comme ces poicries émaillée» de Gauguin, son bas-relief
en bois, naguère au S;il"nnel des JT^, aciueliemeni «igarés parmi
les porcelaities, les verreries dorées et les faïences « décorées »
du Champ-de-Mars.
Mais assez railociné. Le gai soleil se glisse parmi les plalanes,
semani des pièces d'or sur les graviers du Cours la Reine. El
sous les ponts l'eau toute bleue nargue les Montcnard. Ce que la
peiniuro pûlii et s'efface, lavée de la mémoire en un inEtanil...
Un mol encare sur nos amis les Belges, qui font bonne figure
à Paris. Ce sont MM. Vcrsiraele (la Veillée d'un mort en Campine,
le Hnleitr, Dimanche en Zélande, etc., toutes toiles vues à
Bruxelles), Emile Claus ( Vent et Soleil, Pêche en hiver), Rodolphe
Wyisman, Raerisocn (Un port de piche, la Tamite), Frédéric (le
Ruisseau), Oyens, etc. Ces toiles sont assurément parmi- les
envois honorables du Salon.
par Stéphane Mallabué. — Bruxelles, Edmond Deman.
Sous ce mol en grisaille : Pages, inscrit sur une couverture
d'un gris glacé, l'édiicur Doman publie un éclatant volume d'art.
Le signataire? Siéphane Mallarmé.
Si l'œuvre acljellcmeul éditée n'avair, oulre des manières de
poèmes en prose, englobé telles noies de haule criiiquc, certes,
croyons-nous, le litre primitif : Tiroir de laque, eûl été maintenu.
Il éiail plus explicite, plus coquet, mais légèrement étroit. L'au-
teur a préféré moins de précision et plus d'étendue.
Les premières proses, ici maintenues, daient de 1868; les der-
nières viennent de paraître dans la Jeune Belgique. Celles-là
étaient : la Pipe et Pauvre enfant pâle; celles-ci : la Déclara-
lion joraine, Réminiscence, etc.
Dos étapes inlermiHliairos il faut tenir compte : elles expliquent
le lenl mais sûr perfcclionnemenl de la langue mallarméenne.
flans la Pipe, le Frisson d hiver, la Plainte d'automne, peul-élre
parce que l'aeciilentel el le menu fait s'y d<'ploient encore au
premier plan, les phrases sont régulièrement déroulées selon le
mode presque général d'expression, l'ne forme certes artiste,
mais par un grand nombre d'écri*ains usitée el rendue populaire,
ne leur donne poinl ce caractère presque hermétique obtenu
plus lard Mallarmé n'a point encore écril :
« Un désir indérriablc à mon temps est de séparer comn^e en
vue d'allributions différentes le double étal de la parole, brut ou
immédiat ici, là esienliel. »
Certes celte vériié s'a|)pliqne-l-elle aux vers surtout. Pourtant
au degré de synthèse el d'alehiniie transcendante auquel l'auteur
élève son dire écril, pourquoi ne la point étendre au présent tra-
vail.
Il est certain que le Nénuphar blanc, la Oloire et la Déclara-
tion foraine Iranihenl comme blanc sur noir d'avec les premières
pages. Cel an — le plus parfait el le dernier conçu el voulu tel —
apparaîl oraruliire. El le style en est ramassé, concentré et
replié, comme si chaque mol était un morceau à lui seul digne
d'être un ensemble.
J'ai souvent songé, en lisant Popci.àces miroirs placés les uns
on face des autres ci qui, au bout de leur avenue de clartés, réper-
cutent certes la même image ioujourt, mais combien différente en
chacune de leurs cloisons transparentes. De même les phrases
approfondies de Mallarmé. Chacune reflète la donnée une, idée
ou sentiment, de l'ensemble, mais différemment el la concen-
trant el comme la suçant vers un dernier fo;er, Ik-bas. La
méthode de développement, la plus curieuse, s'affirme en ce livre :
emblématique. Non seulement le décor, l'altitude dea choses, les
comparaisons émises, l'atmosphère diluée an cours de t'écrit
mettent en relief le motif, mais bien souvent le moyen s'en va
bien au delà des correspondances.
Comment en effet qualifier)
a Je souhaitais de parler avec un mome trop vacillant pour
figurer parmi sa race,... qui rentrait en soi sous l'aspect d'une
tartine de fromage mon, déjà la neige des cimes, le lys ou aulre
blancheur constitutive d'ailes au dedans.... »
Le mot emblème n'est-il pas ici plus de saison que symbole ?
Au reste, ce dernier qui, pour nous, est résultat d'entente géné-
rale bien plus que souci d'une littérature, nous le trouvons pour
l'instant tellement lardé d'interprétations imbéciles qu'il nous
répugne de l'employer et aussi de le discuter. Les gazettes font
sali el les tambourineurs de programmes el de manifestes com-
plètement aveuli.
Le torturant vouloir de perfection explique la rareté des œuvres
mallarméennes. L'effort non seulement s'acharne sur la forme
mais encore sur l'idée. Donner la notion fondamentale des
choses en sa profondeur à Iravere l'accidentel et le quotidien
n'est qu'une conséquence de cette tendance d'esprit à écrire
définitif. Voir à travers l'apparence la leçon divine, en un mol :
l'ordre, apparaît à chaque page. C'est cette vue élémentaire, qui
isole tel spectateur parmi tous ses contemporains el lui donne
un trône alors que d'autres n'ont qu'un fauteuil d'orchestre. Il a
pu dire :
« Je me levai comme tout le monde, pour aller respirer au
dehors, étonné de n'avoir pas senti, cette fois encore, le même
genre d'impression que mes semblables, mais serein : car ma
façon de voir, après tout, avait été supérieure et même la
vraie. »
Pour arriver à produire l'essentiel et l'unique, cpmprcnd-on
combien nécessairement il fallait qu'nn mariage spécial intervint
entre la langue et la pensée, mariage strict, concis, fondamental.
Et ce mariage, dès qu'il eut lieu et que ses liens se resserraient cl
se ressèreni encore de jour en jour, aperçoit-on que la prétendue
obscurité n'était que le mystère et pour ainsi dire la pudeur de
ces belles noces d'art merveilleux. Ce défaut reproché n'était
qu'une barrière élevée pour les préserver de la foule, avec laquelle
elles ne descendaient point en contact, mais il n'a jamais existé
infranchissable à la vue et à l'escalade deS vrais artistes sympa-
thiques. Pour eux tout au contraire Mallarmé se dresse clair el
même aveuglant de lueurs sur le fond d'art contemporain. Tel
sonnet et tel poème en prose ont une flamme intérieure qui les
éclaire par le dedans en chacun de leurs angles.
Il conviendrait d'analyser d'après ces prémisses diven poèmes
de Pages. C'est impossible. Hais insistons sur qoelques extraits.
Voici une description de couchant. Y saisira-t-on que — par
quelle magie de termes et de rythme? — l'impression qui s'en
dégage forte, bien au delà d'un soir particulier, de tel soir; el
s'élargit jusqu'à traduire la débâcle d'un dernier coucher dX
jour.
« Un ciel pâle, sur le monde qui finit de décrépitude, va peut-
:'^:£;^','*}S^'^M.-' *"' "■
'/^^■:v,j-,- .iT.cijw^*?;»,;!?^':
i.7 i*^. v> -iw' •;!h'T'iw . ..-'•■*■
^•" ^^'yfl
L'ART MODERNE
159
élre partir avee lei nuages : les lambeaux de la pourpre usée
des coochanla déteignent dans une rivière dormant i l'horizon
submergé de rayons et d'eau. Les arbres s'ennuient, et, sous leur
feuillage blancbi (do la poussière du temps-, plutôt que de celle
des chemins) monte la maison en toile da montreur de choses
De môme, voici on fait^divers surélevé b la puissance d'une
vérité générale et totale :
« Le'pctil théiiro des Prodigàut^s adjoint l'exbibiiion d'un
vivant cousin d'Aita Troll ou de Manin ii sa févrie classique la
Bile et le O^nie ; j'uVaiB, pour reconnaître l'invitation du billet
double hier égaré chez moi, posé mon chnpeau dans la slalle
vacante & mes côtés, une absence d'ami y témoignant du goût
général b esquiver ce naïf spectacle. Que se passHit-il deviint
moi? rien, sauf que : de pâleurs évusives de mousseline se
réfugiant sur vingt piédestaux en archileciurc de Bagdud, sortaient
un sourire et des bras ouverts k la lourdeur triste de l'ours;
tandis que le héros, de ces sylphides évorateur et leur g-.irdien, un
clown, dans sa haute nudité d'argent, raillait l'animal par notre
supériorité. Jouir comme la foule du mythe inclus dans toute
banalité, quel repos et, sans voisins où verser des réflexions, voir
l'ordinaire et splendide veille trouvée b la rampe par ma recherche
assoupie d'imagination et de symboles. Eiranger à mainte
réminiscence de pareilles soirées, l'accident, le plus neuf!
suscita mon attention : une des nombreuses salves d'applaudis-
sements décornées selon l'enthousiasme k l'illusiraiion sur la
scène du privilège authentique de l'Homme, venait, brisée par
quoi? de cesser net, avec un fixe fr.tcas de gloire à l'apogée,
inhabile à se répandre. Tout oreilles, il fallut éire tout yeux. Au
geste du pantin, une paume crispée dans l'air ouvrant les cinq
doigts, je crompris, qu'il avait, l'ingénieux! capté les sympathies
par la mine d'attraper au vol quelque chose, figure (et c'est tout)
de la facilité dont est par chacun prise une idi'e : et qu'ému au
léger vent, l'ours ryihmiqunmenl et doucement levé interrogeait
cet exploit, une griffe posée sur les rubans de l'épaule humaine.
Personne qui ne haletât, tant cette situation portail de consé-
quences graves pour l'honneur de la race : qu'iillaii-il arriver?
L'autre patte s'abattit, souple, contre un bras longeant le maillot;
et l'on vit, couple uni dans un secret rapprochement, comme un
homme inférieur, trapu, bon, debout sur l'c^cariemcnl de deux
jambes de poil, éireiodre pour y apprendre les pratii<ues du gc^nie,
et son crioe au noir museau ne l'atteignant qu'a la moitié, le
buste de son frère brillant et surnaturel : mais qui, lui! exhaus-
sait, la bouche fulle de vague, un chef affreux remuant par un fil
, visible dans l'horreur les dénégations vérilibics d'une mouche de
papier et d'or. Spectacle clair, plus que les tréteaux vaste, avec
ce don, propre aux choses de l'art, de durer longtemps : pour le
parfaire je laissai, sans que m'offusquât l'altitude probiiblement
fatale prise par le mime dépositaire de notre orgueil, j lillir
tacitement le discours interdit au rejeton des sites arctiques :
« Sois bon (c'était le sens), et plutôt que de manquer k la
charité, explique-moi la vertu de cet atmosphère de splendeur,
de poussière et de voix, où lu m'appris a me mOuvnir. Ma
requête, pressante, est juste, que tu nesembles pas, en une
angoisse qui n'est que feinte, répondre ne savoir; élancé aux
régions de la sagesse, aîné subtil! 'a moi, pour te f.iire lilire, velu
encore du séjour informe des cavernes où je replongeai, dans la
nuit d'époques humbles, ma force latente. Authentiquons, par
celte embrassade étroite, devant la multitude siégeant à celte
fin, le pacte de notre réconciliation ». L'absence d'aucun souffle
unie b l'espace, dans quel lieu absolu vivais-je, un des drames
de l'histoire astrale élisant, pour s'y produire, ce modeste
théâtre t la foule s'effaçait, toute, en l'emblème de sa situation
'spirituelle magnifiant la scène : dispensateur moderne de l'extase,
seul, avec l'impartialité d'une chose élémentaire, le gaz, dans les
hauteurs de la salle, continuait un bruit lumineux d'attente. »
De même encore cette phrase qui est la constaialion par
Mallarmé lui-même de sa faculté magnifique :
H A quoi bon la merveille de transporter un fait de nature en
sa presque disparition vibratoire. Selon le jeu de la parole,
cependant, si ce n'est pour qu'en émane, sans la gêne d'un proche
ou concret rappel, la notion pure? »
« ie dis : une fleur ! et hors de l'oubli où ma voix relègue
aucun contour, en tant que quelque chose d'autre que les calices
sus, musicalement se lève, idée même et Suave, l'absente de
tous bouquets. »
Ces exemples — et combien d'autres au long des pages —
illustrent la spéciale manière de concevoir les choses, que profère
ce grand écrivain que le présent livre glorifie et que'l'éditcur a
lui aussi voulu reconnaître par le soin typographique de l'exécu-
tion.
UNION DES ARTS DECORATIFS
III» EXPOSITION
Il convient, certes, de louer l'iniiialivc prise par VUnion des
Arts décoratifs, ei l'enseignement qui se dégage d'une visilc à
l'Exposition ouverte au Musée moderne mérite d'être encouragé.
Grâce aux efforts obstinés et à la poussée artistique constatée
parloui, le temps viendra où l'art neuf, pour beaucoup encore â
l'état de lettre morte, finira par se dégager des langes routinières
qui l'emprisonnent.
Mais, disons-le bien vite, pour que des expositions du genre de
celle qui nous occupe aient d'une réelle influence sur les artistes
et les artisans, il faudrait n'accrocher aux murs que des œuvres,
sinon impeccables, du moins dénotant un cfforl tangible vers la
modernité; or, point n'est le cas ici, et l'indulgence grande du
comité d'admission a ouvert la porte à des choses incxposnbles,
notamment certaines toiles décoratives aux relents Louis-Philippe,
iruellées de colorations intenses, avec, sans signifiance aucune,
un coq batailleur, un paon banal, ou des personnages Louis XV
de dessin lâché. Mieux vaudrait un minuscule salonnel composé
d'oeuvres choisies qu'une exhibition d'intérêt alterné où proba-
blement tout membre de VUiiion des Arts décoratifs a droit
d'exposer; pour assurer le succès des futures expositions, nous
voudrions suppression de ce droit et sévérité raisonnéc pour l'ad-
mission.
Envoi très varié de M. L. Govaerls, qui fait preuve d'une grande
souplesse de talent dans sa Colonie scolaire à la mer, ses pavil-
lons d'archéologique recherche cl sa maison de si actuelle allure
avec ses terra-cotta, ses grès émaillés et son fer curieusement
forgé; pointe de pittoresque charmant dans le Projet de puits
pour un parc, et iniércssanlc note décorative dans le froniispicc
pour la revue d'architecture l'Emulation.
M. Prival-Livemont possède bien les qualités que l'on doit
exiger d'un décoraleur : fantaisie et imprévu de la composition,
légèreté de louche, tour spirituel et goût dans l'exécution. Sa
.„, „ ,,^.:,»,,. ,,. ,,^„i^j,^,;^,pçj^^^p^^^^^
160
L'ART MODERNE
Bfcquffe, le Premier pas, ses grandes figures décoratives, la fan-
taisic jnponaise et bien d'auires romposilions soal de séduisante
attraction et retiennent par le charme du coloris.
Avec M. Henri Bacs, nous nous élevons de quelques degrés
encore, car ù côiéde ses aquarelles de rideaux d'avant-scène abso-
lument savoureuses, nous avons joie grande de constater l'inva-
sion, duns la composition décoraiivc l'Offrande à la Paix, de
l'élément moderne sous forme d'ouvriers en coslume de travail,
fait qui prouve combien est possible le rajeunissement de la fasti-
dieuse et aniique allégorie : le groupement des figures dénote
beaucoup d'habilelé, sans banalité, la coloration générale a des
finesses d'imniaiérialiié osée, cl les motifs décoraiifs sont choisis
et Irailés avec goût. Pcul-éire eussions-nous désiré la planante
figure de la Paix de dimensions moindres, el plus de calme dans
l'avanl-plan, trop papillollant ; mais le souci de recherches qui se
perçoit en celte composition permet d'espérer que l'artiste arri-
vera bientôt i la suppression du déiail parasite et à l'absolu
em|iloi des b-plals dont les évocalives fresques de Puvis démon-
trent la conceiilralion el la puissance d'effet. Le même vouloir se
retrouve d:ins les polynationalcs décorations du Métropole, pres-
que trop arlisliques pour un lieu de beuverie, et dans les notes
de curieuse modernité, saisies sur le vif, qui égaient les parois de
deux cafés du centre de Bruxelles. D'une silhouelle finement et
nerveusement sertie, la figure de la Science séduit par la précio-
sité de ses tons nacré?, contraste avec la facture large, enlevée,
des médaillons d'Apollon et les muses. En celle réunion d'éléments
décisifs', nous trouvons la gnranlie de succès des leçons que
M. Henri Bacs développe b l'Ecole des Arts décoratifs, et qui
nous débarrassera bicniôl de la veulerie des quelconques pein-
tures qui baniiliscnt nos liabilations.
M. Charles Baes, en ses verrières, fait un effort parallèle;
VAn}io)iciatioji,a\ix lignes calmes, est aussi réussie que son grand
vilr.iil llenaissancc iialiennc où rinceaux, guirlandes et grotesques
enlourenl le médaillon d'un guerrier casqué de Vinci.
Nous aimons moins les esquisses de vitraux de M. Driesen ; le
faire eu est pelioi el manque souvent de souplesse el de brio. —
Hubik'lé éiounanle dans les imilaiions de bois et de marbre de
M. Logelain, el talent sérieux dans les dessins gouaihés d'appa-
ru'ils d'éil.iirage de M. Mcerl ; la sauvagerie brutale du fer forgé
de .M. Scliryvers ne parvient pas à compenser les tours de force
d'exéculion de ce panneau inspiré d'une poutre du musée du
Slcen, cl fait encore plus apprécier la délicatesse de profilage et
de modelé de la cheminée Louis XVI exposée par M. Evrard,
et la finesse d'ornemcnlalion des pièces d'orfèvrerie de M. Dufour.
Doux sérieux morceaux de sculplure de M. Dillens arrêtent et
séduisent : le Jean de Nivelles au chien dcâlemenl irrespectueux,
el VArt allemand, silhouelle féminine germaniquement étoffée et
haulcmenl caractérisée par l'épée Nothung qui s'érige Iriom-
plianle en ses mains. Quant aux dessins de M. Desaucourt de
Saini-Germain-cn Laye, dentelle, portière, reliures, cafetière,
meubles, etc.. ce sont l£i pièces de musée que, dans un but d'en-
scigncmcni, le gouvernement devrait acquérir pour les collections
du parc du Ciuquanlonaire.
La collection de fioilis de pierres tombales et cuivres funéraires
du Moyen-Sge, prêtée par la Société d'archéologie, est presque
une révélation que nous livrons aux méditalions (s'ils en sont
ca|ialjlos) des faiseurs de tombeaux modernes; quel style dans
ces figures endormies, quelle imagination dans l'ordonnance des
cncadrenicnts, et quelle variété dans le détail ornemental ! N'y
a-t-il pas Ik les élémenis d'une résurreclioa k tenter dans le
domaine de l'architecture fuoéraire? Le problème k résoudre nt
digne des essais de nos arlisites chercheurs de neuf, el l'on doit
se réjouir de cette . mise en lumière due k la wigacilé «te notre
savant confrère, M. Paul Saioienoy, h qui une chaire de nos
écoles d'art devrait bientôt pernielire de développer ses vastes
connaissances archéologiques.
Nous devrions parler de beaucoup d'autres œuvres exposées,
mais nous ne nous sentons pas le courage de culbuter des choses
qui se démolissent d'elles-mêmes. — Signalons, cependant, un
acte qui aura, sans doute, échappé au comité : la maquette d^uiie
érection de chapelle, portant la lettre W, doit être un ancien des-
sin de Deman ou de Suys le père, qu'un exposant n'a p.is craint
de découper, el de coller sur une feuille blanche en signant de
son nom.
En terminant, regrettons que le président, M. Armand Lyncn,
ne nous ail pas montré quelques-unes de ses habiles maquettes
de décors, et espérons qu'il ne nous en privera pas l'an prochain.
Concerta populairea. Quatrième eonoert.
H. Joseph Dupont a brillamment clôturé la série de ses audi-
tions. On lui a fait lundi et m.irdi une ovation qui marque la
vive sympaihie des amateurs de musique pour les efforts intelli-
gcnis du chef d'orchestre et du musicien.
On a même un peu plus applaudi Dupont que Brahms et
Wagner, qui figuraient au programme, il est vrai que ni l'un ni
l'autre n'avaient besoin d'être défendus. Le matire moderne de la
symphonie, le continuateur en Allemagne de Beethoven et de
Schumann esl depuis longtemps classé, jugé à sa valeur, et quant
i Wagner, le temps est loin où l'on polémiquait autour de son
nom.
Après les œuvres de la Jeune école française entendues au
concert précédent, l'Ecole allemande, représentée par ses deux
maîtres inconlestés, c'était logique.
Le succès de la soirée a été, naturellement, pour le troisième
acte de Partifal exécuté presque en entier, el qui a déployé
devant un audiioire recueilli l'essor de ses mélodies aériennes el
de ses divines harmonies. M. Lafarge a donné au rôle de Parsifal
une interprétation pleine de goût et de sentiment juste. Le timbre
de sa voix rappelle |)ar moments celui de M. Van Dyck, et c'est
une fêle pour l'i'spril que de se laisser aller, les yeux fermés, au
bercement des poignants souvenirs de Bayrei'th, en écoulant
le déroulement du drame. MM. Danlée el Debacker, dans les
personnages de Gurnemanz et d'Amfortas, ont été suffisams, el
les chœurs ont chanié avec ensenib:e. Quant à l'orchesire, on
sait ce que M. Dupont en fait, spécialement dans l'exécution des
œuvres de Wagner.
Il y avait un peu trop à'andante an quatrième concert de
y Association des professeurs d'mslrumeiits à vent. VAndanie
sostenuto de Ch. Lefcbvre, le Moderato de G. Pierné, VAnéinte
de Léon Jehin, tous ces mouvements Unis, joinis ii i'éclosion sou-
daine des premières chaleurs esiivales, ont amené quelque torpeur
dans la sulle du Conservatoire. Les ou\ rendes ouvraient des bou-
ches en accent circouflexe. Dans les baignoires, les spcclalcurs
4
L'ART MODERNE
161
bftillaienl difcrilemenl. Les musiciens eux-mêmes ont failli s'en-
dormir sur leurs pupiires, et c'e»! à celle influence somnifère qu'il
faut aliribucr, sans doule, le mouvement nilenii dans lequel
HM. De Grocf et Poncelul oui aiiaqué les Fanlasiettûcke de Scliu-
mnnn, pour piano et riarineiip, et la monotonie que H. Oc Greef,
d(<jï nommi', a mise dans l'inlcrpréiaiion des Variationt sérieutes
de NendcU>ohn.
Tout cela s'est terminé par la Sérénade n» 3, de Mozart, et
l'on s'est relire convaincu que MM. Anllioni, Guidé, Poucelet,
Merck et autres sont d'excellents et consciencieux ariisies, mais
qu'au mois de mai le temps est aux feuilles neuves des arbres,
aux triomphants soleils, aux trams ouverts roulant vers le Bois,
aux petites tables des cHfés poussées sur les terrasses, et que le
règne des rondes, des blancbes, des noires, des croches, des sou-
pirs et des points d'orgue est aboli.
M"" Hcllman, dont les soirées artistiques sont suivies par le
tout Paris artiste et mondain, a fait représenter chez elle, mardi
et jeudi derniers, sons la direction do Vincent d'Iiidy, les 2» et
3i actes de la Walkyrie, clisniés en allemand par la maîtresse de
la maison elle-même (Brunchilde), qui possède une superbe voix
et un rcmanjuable talent de tragédienne, par M™» Boidin-Puisais
(Sicglinde). par MM. B:igès (Siegmund) ei Dôme (Wotan).
De même que pour TiUtnii, qne M"" Hellman joua l'an der-
nier, on avait élevé un théâtre dans l'hôiel de la rue Dumont
d'Urvillc, un vrai théâtre avec décor», éclairage électrique, rampe,
herses, etc. Sous la scène, deux pianos tenus par MM. Chevillard,
Luzznto, Dukas et Lacroix figuraient l'orchestre. Les costumes
étaient dessinés avec goût et tout contribuait à donner une illu-
sion complète. Nous avons ressenti, en assistant ii cette intéres-
sante audition, de vraies impressions d'art. Voilà qui vaut mieux
que les banales comédies de salon auxquelles s'ingénient les
mondains en quête de distractions. Il est vrai qu'improviser un
petit Bayreuth chez soi, est moins aisé que faire jouer la Cravate
blanche et qu'il faut tout le dévouement artistique et le talent de
H"" Hellman et de ses amis pour mener à bien une pareille
entreprise.
Petite CHROf^iquE
Au dernier moment, un empêchement survenu à l'un des prin-
cipaux interprètes d'Avtonia, a fait remettre à une date indéter-
minée la représentation qui devait être donnée vendredi dernier
de celte œuvre au Théâtre du Parc.
L'Académie des Beaux-Arts a élu M. Jean-Paul Laurens à la
place vacante par suite du décès de Meissonicr. Il y a eu trois
tours de scrutin ; au troisième, le peintre de Marceau a obtenu
18 vnix, contre 16 données â M. Jules Lefebvrc cl 1 à M. Edouard
Détaille.
L'aquarelle : l'Escrime française au xix" siècle, par M. Régamey,
a été gravée et est aciuclli'mcnt mise en vente. Elle renferme les
portraits (an nombre de 94) des nialir.s cl amateurs d'escrime
les plus connus depuis le commencement du siècle jusqu'à nos
jours. Au premier plan est représenté le mémorable assaut
d'armes qui eut lien in 1816, au quai il'Orsay, sous la présidence
de Jcan-Lonis, entre le comte de Bondy et le célèbre professeur
de Lyon, Lafaugère.
Celte pièce, gravée et interprétée en couleur d'après la manière
des maîtres du xviii* siècle, est décomposée en plusieurs plan-
ches, ce qui a permis d'en obtenir le coloris sans aucune retouche
à la main. Elle esi donc la rénovation d'une manière de graver
qui fail le mérile des pièces en couleurs du siècle dernier. Prix
d'édition : épreuve de remarque, fr. 1-50. Épreuve avec lettre,
50 francs. Chez M. Vigna, rue Saint-André-des-Arts, 63 et chez
M. Vigneron, rue de la Sainle-Cliapclle, 3, à Paris.
A lire dans l'excellente revue Entretiens politiques et litté-
raires, 2" année, vol. II, n"> 13, p. 97 et suiv., d'cxlraordinairc-
menl curieuses Noies inidiles de Laforgue sur Baudelaire.
Dans la même Revue, celte note sur Seurat :
Le 29 mars est mort, à trente-un ans, Seurat, qui exposa : au
u Salon », eé 1883; au u Groupe des Artislcs indépendants »,
en 1884; â la « Société des Artistes indépendants », en 1884-85
1886, 1887, 1888. 1889, 1890 et 1891; aux « Impressionnistes »,
rue Laffite, en 1886; à New-York, en 1885-86; à Nantes, ^n 1886;
aux « XX », Bruxelles, en 1887, 1889 et 1891 ; au « Blanc et
Noir », Amsterdam, en 1888. Son catalogue comprendrait environ
170 panneaux botte-à-pouce, 420 dessins, 6 carnets de croquis et
une soixantaine de toiles (figures, marines, paysages) parmi les-
quelles : cinq de plusieurs mètres carrés (La Baignade, Un
Dimanche a la Grandk-Jatte, Posendel, Chahut, Cirque) et,
vraisemblablement, maints chefs-d'œuvre.
Le Mercure de France publie dans sa livraison de mai un por-
trait inédit de Gustave Flaubert, d'après le buste modelé par
Clésinger.
Étude de M" POELAERT, notaire, 47, rue Royale, Bruxelles.
Galerie Saint-Luc^ rue des Finances, 10 & 12
LES 20, 21, 22 ET 23 2wtA.I 1S©1,
à 1 1/2 heure précise de rcleyëe
VE]«XE PUBLIQUE
DE
TABLEAUX ANCIENS k MODERNES
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DniAMCHB 24 Mai 1891.
MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REtUB CRITIQUE DBS ARTS ET DE U LITTÉRATURE
Comité de rédaction i Octavs MAUS — Edmond picard — Ëmilb VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. — ANNONCES : On traite i>
forfait.
Adr ester toutes les communications d
L'ADMHnsTRATioN oËNÉRALB DE l'Art Modemo, ruo do l'Industrie, 32, Bruxelles.
Sommaire
Éloquknce CATH0LICO-SOCIALI8TS. Le Comte Albert de Mun. —
La quistion dks mats électriques. — Uni poion^ de vÉarris. —
Aetutbs bblobs a Paris, — La oERNiiRs de Rossi. — Les Livres.
— Petite chronique.
ÉLOQUENCE CATHOLICO-SOCIALISTE
Ij« comte AIlMTt d« Kua.
Jeudi, à Louyaiix. au collège du Pape, dans une salle
vaate, blanc de couvent, gradinée, achevant son amphi-
théâtre par une galerie semi-circulaire en colonnade
dorique. Foule noire, de ce noir des foules modernes
éclairées par les anémones des rouges visages. Atmo-
sphère chaude de four entr'ouvert. Au bas des secteurs,
une estrade avec, dessus, une chaire sommaire en
écran. TJn plant' de têtes chauves, chevelues, glabres,
moustachues, jeunes, chenues, rangées comme des
choux cabus : le conseil académique, mi-partie redin-
gotes, mi-partie soutanes. Très près de la chaire, un
viol&tre personnage, ilasquement étendu dans un fau-
teuil Louis XV tiré du magasin pour la circonstance,
un* personnage aux allures molles d'un anchois en
Coral, dégageant de sa simarre des pieds vernis et des
chevilles en fourreau de soie, avec des coquetteries de
vieille garde. Des femmes, un peu partout, venues là
pour se figurer un nouvel idéal fin de siècle : l'orateur,
beau mâle, pieux, mais anarchiste. Sur cet amalgame
en roulis les rumeurs des auditoires spectaculaires. Le
héros attendu en bête curieuse plutôt qu'en éveilleur
d'idées et en épancheur de paroles.
Le voi<y, s'avançant au milieu des feux de Bengale,
des applaudissements et des acclamations. Fort et simple
d'aspect, cet aristocrate démocratisant. Il porte haut,
il porte beau. Le masque d'un officier selon la formule
conquête d'Afrique. Quelque fatigue aux coins des yeux
et sur le front qui va se dégarnissant. Belle allure éner-
gique contenue. Quarante-cinq ans à vue de scène.
Un étudiant tiré à quatre épingles, humectant son
émoi au verre conférenciel, le complimente, pas mal,
ma foi, quoique d'un uniforme ton chantonnant :
— « Soldat transformé en apôtre....! Vous portiez jadis
l'épée de la guerre, vous_ voici armé du glaive de la
parole....? » — Rhétorique et. Juvénilité.
Lui éooute, correctement, salue et va à la chaire
qu'il débarrasse tout d'abord du verre d'eau conféren-
ciel. La main, une claire, expressive, très noble main,
s'élève d'un geste d'annonciation ; la bouche s'ouvre,
descendant d'un cran une lèvre massive, mais alerte,
d'orateur, et le voilà qu'il appareille sui^ la mer des
pensées battant les flots des palettes de la parole.
, ■ ~X'P'\lf^;-^>lm:T^»'S^g^'^;}i}if'
164
L'ART MODBRNE
Vite la qualité de son éloquence s'accuse : la voix est
claire, porte bien, articule nettement, monocorde,
quittant rarement le registre élevé. Elle s'est sans
doute, en ce ton, formée d'elle-même, au régiment,
clamant les ordres. Elle ne caresse pas, elle darde et
atteint à coups rapides de javelots, rarement émue,
sympathique, aisée toujours, ne faiblissant pas, accom-
pagnée, avec peu de variantes, du geste d'annonciation
de la dextre, la senestre posant sur le rebord de la
chaire, en point d'appui de statuaire. La tête ne bouge
guère, les yeux sans enveloppement circulaire de l'audi-
toire. Le mécanisme actif de la bouche est visible,
concentrant l'agilité de ce fonctionnant mécanisme
humain, légèrement automatique, sans cette agitation
fébrile de tous les muscles, de tous les nerfs qui tour-
mente et fait vibrer tels autres parleurs magnétiseurs
qui vous enveloppent des invisibles iils de leur turbu-
lence lancés, invisibles, en lazzos, autour d'eux.
Le style, limpide. Ce qu'on nomme la belle langue du
grand siècle : nulle image, nul pittoresque, ces caractéris-
tiques de la compliquée parole contemporaine, se fardant
de couleurs, se travestissant d'imprévu, chercheuse de
décors, d'allégories rapides, de mots qui visent d'un
seul coup magnifiquement l'idée. Il se ressent de l'édu-
cation cléricale en quelque collée de Jésuites, s'opinià-
trant dans le classicisme et la grammaire. Ses modèles
ont élé apparemment les orateurs de la Restauration,
académiques et gens du monde. De longues périodes,
menées à quatre chevaux, sur de longues pistes plates
d'un beau trot anglais correct et sûr. Et pourtant, un
vague soupçon vous vient que ce déroulement de
phrases bien équilibrées pourrait bien n'être que la
reprise en public de fières causeries dites en des salons,
au hasard des questions et des répliques, pour un cercle
d'attentifs des deux sexes, prêches par un apôtre debout
devant la cheminée. Çà et là, en oasis, une parabole, un
souvenir de roman, d'histoire ou de chanson, ingénieu-
sement poussé pour l'illustration de la harangue.
Et les idées ! C'est ici qu'apparaît le drame ! Les idées,
toutes empruntées au répertoire du socialisme désor-
mais quotidien, prennent du milieu où elles sont tout à
coup proférées, une grandeur de prophétie, de vitupé-
ration et de scandale extraordinaire. En vain celui qui
les amène là, devant ce public de recteurs, de profes-
seurs, de prêtres, de bourgeois accapareurs de richesses
et de bourgeoises vaniteuses, les entortille dans les
scbals de la religiosité : elles restent scandaleuses, à la
grande joie, à la joie délirante des étudiants infectés du
virus révolutionnaire et de quelques égarés venus là
pour voir et trépignant d'enthousiasme à l'audition des
énormités que cet inconscient manieur de chambrière
détache en claquants coups de fouet sur les tremblants
et furieux conservateurs qu'il tient en troupeau autour
de la butte d'où il les domine et les fouaille. Pensez
donc! Un catholique! un comte! lanctnt en pleine
figure, à poignéçs, à ce Tiolâtre recteor. à ces solennels
professeurs, groupés tels qu'une fournée de prévenus
encombrant l'audience d'un tribunal correctionnel, tout
ce que Volders égurgite à la Maison du Peuple, tout ce
qu'Anseele proclame au Vooruit.
Ah ! quelle jouissance à voir <vt apothicaire formi-
dable, d'un geste brusque et dominateur, passant à ces
satisfaits des lavements cnargés du vitriol des vérités
sociales; troussant celui-ci, et puis celle-là, et encore
celui-ci en soutane, et celle-là eu robe de soie. Sans s'en
douter, admirablement inconscient, ignorant et calme,
arrivé le matin, prenant son public pour un public
d'étudiants, et les étudiants de l'Arma Mater pour des
ensoifiés de progrès et de réformes. Et il est allé bon jeu,
bon ai^nt, applaudi à outrance par un quart de la
salle, tandis que les trois autres quarts s'immobilisaient
dans une mortelle rancune, pensant : Oh! le Belzébnth,
ô le Belphégor ! Vers la fin surtout, quand il s'est avisé,
téméraire et pathétique, de crier à ces escoliers (le
corrupteur infâme!) : • Soyez audacieux, soyez auda-
cieux ! Délaissez les routines, ayez peur d'être confor-
mes ! Méfiez-vous de ceux qui vous entourent : ils vous
conseillent la peur. Ne les écoutez plus : ils sont-là dans
les académies, dans les universités, dans les salons,
partout, vous détournant par leurs mauvais conseils de
prudence, ou plutôt de l&cheté, d'aller aux seules
batailles où est l'honneur. Répudiez ces mauvais chefs.
Si vous les suiviez, vous passeriez avec eux à côté de la
gloire sans l'obtenir, et même sans la reconnaître ».
Cet étrange et brillant aristocrate, descend, dit-on,
d'Helvétius Ce serait un curieux cas d'atavisme. Récon-
fortant et savoureux spectacle, assurément, faisant
venir au cœur ce mot : Merci !
U QUESTION DES MATS ÉLECTRIQUES
Nous ne pouvons que nous féliciter, et non sans an certsiin
orgueil, d'avoir élé les premiers ft donner, dans notre nnméro da
19 avril, notre avis mdtivé au sujet de la décision absolomenl
incorrecte de la Section des Beaux-Arts, annotant le jogement du
jury compétent chargé de juger le concours des mftts électriques
de la Grand'place. Notre voix a été entendue, et k notre grande
saiisfSiction, nous avons pu constater qu'une question purement
artistique est arrivée à émouvoir et à passionner le public, autant
que la revision et le suffrage noiversel ; la Presse a été nnanime
il défendre les principes fondamentaux des concours publics, si
inconsidérément foulés aux pieds, des membres dq jury ont dit,
sans détours, leur façon de penser, des amis même de nos
magistrats communaux leur ont reproché vertement cette intem-
pestive manifestation de mépris pour le droit indiscutable des
artistes, enfin N. Richald devait interpeller, lundi dernier, le
Collège, mais sa demande d'explications a été postposée k la
prochaine séance du Conseil.
Jf-Sf'.
Comme bien l'on penie, la Société centrale iarckiluture n'a
paa été la dernière k a'éraouvoir et k protester hautement, elle
qui par des démarchea répétées n'a cessé de réclamer (quoique se
bcortant h des bautaina refus), une organisation rationnelle do
coneoùra et des conditions donnant satisfaction k la fois k l'Admi-
niatralion et aux concnrrenls; après un examen de la situation et
nne intéressante diacnssion en assemblée générale, une pétition,
mesurée dans les termes; mais très ferme dans ses revendications
des droits lésés des artistes, a été adressée au Conseil communal
de Bruxelles; en voici les conclusions :
« Nous ne comprenons donc paa l'annulation du concours et
nous sommes alarmés de voir celte tendance des Sections k
réformer les jngemenis de commissions qu'elles nomment.
Personne ne ponède une compétence supérieure k la leur, qui
puisse invalider leurs décisions, et il serait du reste inulile d'avoir
recours aux lumières d'une commission spéciale pour rejeter
ensuite ses conclusions.
« Il nous revient qu'une des causes invoquées pour l'annula-
tion du concours, c'est qu'aucun des. projets n'est conçu dans le
style de la Grand'place. Sans ouvrir une discussion sur l'opportu-
nité d'imposer un style déterminé pour ces installations éminem-
ment modernes, il est évident qu'il fallait encore en faire nne des
conditions du programme, ou indiquer tout au moins celui des
styles des édifices de la Grand'place qu'il fallait adopter. Cette
condition n'ayant pas été mentionnée, la décision du jury doit
rester entière.
a D'autre part, la Ville, en promettant aux concurrents deux
primes de mille et de cinq cenis francs, avait contracté on enga-
gement dont elle ne pouvait élre déliée que si le concours n'avait
pas donné de résultats; l'unanimité du jury prouve que tel n'est
pas le cas. Donc, en toute justice et quelle que soit la décision
ultérieure au sujet de l'exéculion, les primes doivent rester
acquises aux concurrenls.
« Nons nous permettons d'insister tout particulièrement,
Messieurs, pour que vous ne suiviez pas la Section dans la voie où
elle s'est engagée. Avant nons, l'opinion publique s'est manifes-
tée avec énergie ; l'unanimité absolue de tous ses organes est
venue sanctionner notre opinion.
« Convaincus que vous prendrez une décision conforme k
l'équité et aux intérêts de ceux que vous avez appelés k mettre
leur talent, leur temps et leur argent au service de la Ville, nous
vous présentons, etc. »
Nons espérons que ces marques unanimes de désapprobation
finiront par ouvrir les yeux des membres de la Section des Beaux-
Arts et du Collège, et que le Conseil ratifiera les décisions du jury
et votera l'exécution des m&ls de la Grand'place ; il y a lieu d'espé-
rer aussi qu'il ne tiendra pas compte d'une solution saugrenue et
anti-artistique, surgie récemment et consistant k suspendre les
lampes électriques k des cables borizonlaux, telles les lanternes k
l'buile du Directoire ! Le mât électrique, d'un effet absolument
satisfaisant, est adopté k Londres, k Paris, k Berlin, k Vienne, k
Lisbonne, k Milan, etc.; il importe que Bruxelles ne reste pas en
arrière et choisisse un dispositif bien moderne, conforme k la rai-
son et au goût.
UNE POIGNÉE DE VÉRITÉS
StupehddhI Elles ont été jetées k la Chambre, ces vérités! A
la Chambre I ce marais où croupissent, avec leurs microbes, les
eaux stagnantes des politesses menteuses, des convenances stéri-
lisantes, des paiements en la fausse monnaie des mots, avec, au
des4M, l'atmosphère maléficante des préjugés, des routines, de la
morgue imbécile, de la fainéantise, de l'ignorance, etc., etc. Bref,
notre beau régime parlementaire censitaire et vieillardeux.
Il s'agissait des Beaiii-aris. Deux hommes se sont levés, et,
pendant deux fois un quart d'heure (tant que ça ! ), ont fait filtrer
sur les banquettes aux trois quarts vides, la pluie fine d'observa-
tions intéressantes.
L'un fut H. Slingeneyer, une des tètes de turc de l'inepte jour-
nalisme zwanzeur qui bit la gloire de notre organisation bour-
geoise. H. Slingeneyer, un dévoué, un convaincu, que jamais
artiste ne trouva en défaut pour un service k rendre, une démarche
k accomplir; un timide aussi, il est vrai, car en quels termes
moins banalement polis, et plus énergiques en leurs morsures,
pourraient élre dites ces vérités, auxquelles annuellement il fait
prendre l'air. Mais, un esprit élevé qui a compris qu'en art tout
change sans arrêt, sans merci, et qui, bravement, galamment,
admet que s'il eût son temps, la place est maintenant k d'autres.
L'autre fut H. Buis. Personnalité sans aptitude pour la poli-
tique et k courtes vues administratives, mais féru de préoccupa-
tions d'art et qui a introduit dans la pratique de sa bourgmestrerie
cet axiome : qu'on peut revêtir l'Utile de la cuirasse du Beau ; k
qui Bruxelles doit (il en gardera l'honneur) ces charmantes trans-
formations An Paysage urbain auxquelles si souvent ici nous
avons rendu un reconnaissant hommage. Rien que pour son
amour des arbres et son respect des branches (qu'il a défendu de
couper), nous l'admirerons sans fin. Allez voir l'incomparable et
majestueux berceau que forment, en ce printemps, les boulevards
avec leurs bas rameaux inlacis.
Tous deux il s'adressaient k M. Jules de Burlet. Un nouveau,
Pantalon, comme le nomme cette même presse idiote qui qualifie
M. Lejeune le violoneux. Un nouveau! El un hardi, nous l'espé-
rons. M. Buis lui a crié : « Gare k vos bureaux ! Il y a là des anky-
losés qui rueront si vous voulez changer leurs attitudes ! » En
effet, M. lejeune Minisire, il y a Ik des. reptiles budgétivores qui
ont arrangé leurs petites affaires, de temps immémorial, et qui siffle-
ront éirangement si vous leur marchez sur la queue ou si, les pre-
nant par la tête, vous les lirez de leurs caves. Mais n'hésitez pas !
promenez dans ces tannières une forte lanterne, allez-y voir vous-
même et... neltoyez, nettoyez, nettoyez!
Ce préambule dégoisé, voici les parties principales des discours
Slingeneyer et Buis. Attention aux passages en italique : ce sont
les plus forts coups d'éperon, et mérités.
M. SLINGENEYER.
(Quantité de jeunes esprits attendent qu'on les utilise : on ne
peut contester que, durant ces dix dernières années, un mouve-
ment s'esl produit dans notre pays en matière littéraire, et on ne
lui a peut-être pas accordé toute l'attention qu'il mérite.
En Belgique, les ressources offertes aux écrivains sont minimes
et il est peu de pays où la littérature soit aussi peu lucrative. A
moins de succès exceptionnel, le livre ne rapporte rien et, à défaut
du concours de l'État, le jeune homme qui se sent poussé vers les
lettres et qui est dépourvu de fortune est forcé de se jeter dans le
journalisme. Or, sur le grand nombre d'écrivains que le journa-
166
L'ART MODERNE
lUme nous prend chaque année, combien en etl-il dont le talent
tait rétitter à cette épreuve qu'un meilre a nommé très justement
« let travaux forcée de la littérature » 7
Ce qui manque au pays, ce qu'il doit surtout désirer avoir, c'est
une liiiéralure nalionale, une littérature artiste, et je crains bien
que ce n'est pas en se dépensant dans la presse quotidienne que
nos jeunes écrivains pourront nous la donner. . . .
Ce n'est pas que je prétends qu'il faille faire pour les jennes
écrivains exactement ce qu'on fait pour les jeunes artistes et que
les moyens de venir en aide aux premiers doivent être employés
pour les seconds.
Il ne peut notamment être question d'une école d'hommes de
lettres ni de prix de liiiéralure ; mais je suis d'avis qu'il serait bon
de soutenir par des subsides certaines œuvres littéraires ayant une
haute valeur d'art, quoique sans grande valeur marchande, et
d'accorder certaines (onctions aux écrivains sans fortune person-
nelle, — fonctions de conservateur, de bibliothécaire ou toute autre
amilogue, qui, sans prendre tout le temps de l'homme éC études, lui
permettraient de se livrer à ses travaux favoris, en lui assurant
la vie matérielle. En France, sous l'empire et sous la république,
on n'a jamais manqué i cette ligne de conduite
Et si de grosses dépenses d'argent sont nécessaires pour subsi-
dier la littérature nalionale, il serait bien simple de consacrer i
une œuvre aussi excellente et aussi honorable pour le pays, cer-
tains litiera du budget du ministère de l'intérieur dont l'emploi ne
me paraît pas toujours être des plus judicieux.
Certains postes rclalifs à l'histoire nationale, notamment, me
paraissent pouvoir être critiqués
Sans doute, j'applaudis à quelques-uns de ces travaux, destinés
à mettre en lumière notre passé, et je rends volontiers hommage
au talent des hommes qui s'en occupent, notamment à notre
regretté collègue M. Kervyn de Lettenhove, que Hontalembert a
appelé l'historien national de la Belgique, et dont les œuvres ont
été couronnées par l'Académie française ; mais je me demande si
les résultats ont toujours répondu aux sacrifices qui ont été faits?
Que la Chambre en juge. Quelques-unes des publications que je
viens de rappeler ont été décrétées par arrêté royal du 1«* décem-
bre 4845. Il en est ainsi notamment de la publication des actes
des anciens Etats généraux, inscrite au budget sous litt. H. de l'ar-
ticle. Le crédit annuel attribué i ce travail, le seul qui fût ordonné
par la Chambre, remonte même à 1842. Depuis cette époque, c'est-
à-dire depuis quarante-neuf ans, trois volumes ont paru : un en
1849, un second en 1853 et le troisième en 1866, et depuis vingt-
cinq ans plus rien n'a été publié. En admettant qu'il faille encore
six volumes pour compléter ce travail et que trois volumes
paraissent par période de quarante-neuf ans, la publication sera
complète en 1998!
Les 4,500 francs alloués à celte œuvre continuent néanmoins
à figurer tous les ans au budget et représentent, à Vheure qu'il
est, quelque chose comme 220,500 francs. Et ce cas n'est pas
isolé.
l!n grand nombre de crédits du budget relatifs aux sujets d'his-
toire pourraient d'ailleurs, me semble-t-il, être plus utilement
consacrés & une histoire générale de notre activité politique,
artistique cl industrielle. Nos populations ne connaissent réellement
pas le bilan de leur passé et notre hislofre a été jusqu'à présent,
on peut presque le dire, réduite à Chumble rôle de science chrono-
logique. De là, une indifférence générale pour tout ce qui a con-
tribué à illustrer la Belgique.
Il n'est pas, je pense, de pays oii le sentiment des choses passées
soit moins profond que chez nous. Il n'est pas d'autre nation qui
ait autant d'indifférence pour ceux de ses enfants — et ils sont
nombreux — qui se sont signalés autrefois dans les arts,
dans les sciences, dans l'industrie, dans le commerce, dans l'agri-
culture.
Aux yeux de beaucoup de Belges, il semble presque ridicule
d'affirmer que, dans les siècles écoulés, a existé dans nos provinces
non seulement en matière d'art, mais aussi en matière scienti-
fique et littéraire, un mouvement remarquable et que, au sein de
en popaUlions, ont sargi eontinaelltmeiil des homnief qui ont
semé leurs œuvres k trarers iodI« i'Barope. Alors qne nous
voyons, chez tous les peuples étrangers, ce senlinnenl sonvenl exa-
géré mais toujours réconfortant du patriotisme, ti lemUe qiu chez
nous, le dénigrement et le déHnage soient la rigUl ....
N'est-il pas certain, Messiears, qn'ane histoire réanissaot en
faisceau les réfolttls et les découvertes dont nons arons le droit
de nous enorgueillir, éionneraiî singulièrement et produirait l'effet
le plus utile et le plus sslniairef Ellft- ferait voir combien nos
devanciers ont souvent donné l'impulsion snx antres Dations; elle
démontrerait que, dans les manifestations de l'inlelligenee, nous
n'ayons personne à envier ni )i redouter. Elle mettrait enfin en
évidence notre individualité trop longtemps méconnue et donne-
rait la preuve indiscutable que, loin d'élre des plagiaires, des
imitateurs, voire des « filous » artistiques, comme on Ta prétendu
trop longtemps, nous avons toujours eu, en art comme en indus-
trie et en littérature, des aspirations très personnelles et des idées
exclusivement inhérentes ii noire race. Noue n'enlendriom plut
cet reproche* de plagiaire* qu'on nous adrute loue le* joim *an*
la moindre protutalion de notre fart et qui ont eu pour
effet de ne plut nout faire trouver bon, chex nout, que ce que
l étranger y admire, ■— les preuves abondent ii cet égard I
Nons ne saurions donc faire trop de sacrifices pour raffermir
dans l'esprit de nos compatriotes la confiance que 1^ Belges sont
en droit d'avoir en eux-mêmes.
Pour exécuter une histoire digne de notre glorieux patte, Ut
homme* ne manquent pas en Belgique; mai* le gouvernement
devrait se décider à utiliser, comme je le di*ais en commençant,
les talents de not littérateurt. Il trouverait facilement parmi eux
des esprits imbus de la science, connaissant les exigences de leur
temps et capables de donner la vie ii ces choses si vieilles, afin
de les rendre attrayantes et populaires.
Qu'il évite lurtout de t'adretter à cette etpice de reporters hit-
toriques ou chronologiques dont le* production* médiocre* feraient
incapables de faire imprettion tur le public.
En agissant comme je le lui recommande et en consacrant à des
travaux de ce geure une partie des subsides attribués actuellement
aux lettres et aux sciences, l'honorable ministre encouragerait
comme ils le méritent nos savants, nos littérateurs, nos artistes.
// rendrait tervice au pays, turtout s'il tu reculait devant
aucun sacrifice pour récompenser ou pour soutenir le* homme*
qui, dans le domaine intellectuel, honorent la nation et sont
capables de produire des oeuvres dignes du nom belge, dont ils con-
tribueraient ainsi i rehausser doublement l'éclat. (Tri* bien! tris
bien!)
M. BULS.
Un musée de peinture ancienne ne doit pas servir aux peintres
modernes des modèles pour leurs tableaux. L'art reflète absolu-
ment le caractire de l'époque dam laquelle il t'est produit et le
tempérament de Var liste; il y a des causes multiples qui influent
sur ce caractère.
L'honorable M. Slingeneyer ne me contrettira pas lorsque je
dirai que Vartitte qui se rendrait éant un mutée ancien pour y
trouver det modèle* ferait un déte*taUe calcul.
Il faut que ces musées servent surtout i l'éducation historique
des visiteurs, il former leur goût et à éveiller chez eux le senti-
ment du beau.
Il faut que, en les visitant, ils puissent se rendre compte de la
marche que l'art a suivi, du rapport qu'il y a entre cet art et la
civilisation au milieu de laquelle il est apparu. {Tri* bien !)
Cependant, les musées ne doivent pas ressembler à une carte
d'échantillons : tout en suivant l'ordre chronologique, en grou-
pant les écoles, en entourant les grands maîtres de leurs élèves,
il faut, autant que possible, placer le tableau dans les mêmes
conditions que celles pour lesquelles l'artiste avait conçu son
œuvre (1).
(1) Pour notre part, nous insistons particulièrement sur cette dis-
tinction : autant l ordre chronologique est à oonseiller dans on musée
L'ART MODERNE
167
)
Lm grandt UMmux religiem ne derraient pn l'élaler soui la
lamière erae d'un lanterneau : lear cadre devrait rappeler celui
d'un anlel ; las peiiii tableaux d'appartement aéraient ezponéa
dans des cabinets ayant un caractère intime, comme od 1 a hit
dans le beau mna^e de Dreade.
n a pam réeemmetti, en Allemagne, on livre intitulé : J7em-
kn«4t comme pédagoçuei il a eu an succès imanye, un retentis-
sement considérable, k en juger par ie nombre d'éditions. L'au-
teur y a précisément consacré deux pages relstiyes k cette ques-
tion des musées. Il dirige contre les musées allemands les mêmes
critiques que j'adresse aux musées belges ; il bit observer aussi
que ces musées n'atteignent pas le ont éducateur auquel ils
devraient tendre...
Le gouvernement a pris l'excellente initiative d'installer dans
les bilimenls du parc du Cinquantenaire le musée des échanges
et le musée d'art ancien qui se trouvait autrefois k l'étroit k la
porte de Hal, où l'on n'a maintenu que le musée des armures.
Rien n'est encore fait Ik d'ube façon définitive et il serait possible
d'y réaliser le programme que j'ai eu l'honneur d'exposer k M. le
mmistre.
Actuellement, quand on visite le mu$ée det plaire* aneieni, on
voit qu'il y règne le détordre le plut complet et que ceux qui ont
été auirgét dy ditpoter let tpéciment ne te ton! pat demandé une
teule fois à quoi ce mutée devait tenir et comment il pouvait être
utilisé pour l'éducation artistique des jeunes gens, des ouvriers et
des élèves de nos écoles de dessin et de sculpture.
Le musée d'art monumental et ornemental a un caractère diffé-
rent du musée de peinturé dont je parlais k l'instant. Je disais,
tout k l'heure, que ce serait un très mauvais peintre que celui
qui voudrait aller prendre dans un musée de peinture ancienne
des modèles k imiter. Mais il en est tout autrement quand il s'agit
de l'art décoratif.
En effet, les formes ornementales de nos décorateurs, que nos
architectes employent aujourd'hui, se rattachent intimement k
l'art ancien. Le xix* siècle n'a pas, en matière d'architecture et de
décoration, un style propre : les styles qu'il emploie sont ou bien
des styles issus directement des styles classiques de l'antiquité
grecque et romaine, ou bien du style de la Renaissance, qui en
est une transformation adaptée au caractère du xvi* siècle; quand
il s'agit d'édifices religieux, nos artistes s'attachent généralement
k imiter le style roman ou le style ogival.
Les architectes et les artistes décorateurs qui ornent nos monu-
ments sont donc constamment amenés k emprunter aux arts
anciens les éléments d'ornementation ou les formes architectu-
rales qu'ils emploient. Il convient, par conséquent, qu'ils aient
sous les yeux des collections de bons modèles, pour qu'ils ne
commettent pas d'erreurs de style ou des anachrooismes. Il en
résulte que, dans les musées, ces modèles doivent être classés de
telle manière que les jeunes artistes, les jeunes architectes qui
veulent s'en servir pour leur éducation esthétique, puissent recon-
naître facilement ces styles, savoir k quelles époques appartiennent
les fragments d'ornementation qui sont exposés.
Eh bien, je défie toute personne, mime fort intelligente, qui
ignorerait l'histoire des styles arMtecluraux et qui voudrait se
donner cette éducatimt en allant visiter le musée des plâtres, de
pouvoir (étenir celte instruction! Les modèles sont placés en dépit
du bons tent, tant méthode : aucun ordre chronologique n'a été
suivi. Il est impossible de se rendre compte des variations qu'a
subies une forme architecturale au cours des siècles.
Voulez-vous connaître, par exemple, comment le chapiteau s'est
transformé depuis l'époque grecque jusqu'k la fin du xviii* siècle,
en passant par les styles dorien, ionien, corinthien, romain,
roman, mauresque, ogival et de la Renaisssance, il vous sera
qui doit servir principalement à la reproduction et à l'ëtude archéolo-
gique, autant ce même ordre chronologique, poussé à l'eicès, est
inadmissible pour le classement des toiles. Celles-ci exigent avant tout
des conditions de voisinage qu'une marche trop régulière à travers le
passé ne pourrait réaliser.
impossible d'aVoir Ik-dessus une notion claire et précise en visi-
tant le musée des échanges.
,Ce serait cependant Ik un enseignement bien utile, que les
musées pourraient donner aux artistes I
Il en sera de même pour le classement du musée d'art ancien,
— ^ je parle de le partie de ce musée transportée de la porte de
Hal au palais du Cinquantenaire. LA encore, il y a des objets
mcbiliertf det tpéciment ^orfèvrerie, de céramique expotés sans
te nvtbidre clattement, tant le moindre ordre, tans qu'il soit pos-
sible de te rendre compte de la filiation historique de ces objets, ni
de leur tignifieation etthétique.
Ceux qui let étalent temblent n'être que det amateurt de bibe-
Inlt, ne songeant pas aux services que ces musées pourraient
rendre k l'éducation artistique de nos ouvriers industriels. Avec
un peu d'intelligence et de méthode, on en ferait cependant faci-
lement des éco^s d'esthétique populaire, par l'application de la
méthode intuitive.
H. le ministre est jeune aux affaires, il n'a pas de traditions
administratives qui le lient. Je le prévient qu'il rencontrera beau-
coup doppotilion de la part det bureaux, qui mit horreur des
changements, qui n'aiment pas qu'on leur donne un travail nou-
veau ni qu'on vientie secouer leur torpeur!
Je l'engage k se montrer ferme et énergique : le pays et les
artistes lui en seront reconnaissants. (Tris bien!)
^I^TIpTEg BELQEp A pARI?
Très belle salle k la première du Mâle, de Camille Lemonnier.
Tout le Paris artiste et littéraire. Dans une loge d'avant-scène,
M"" Camille Lemonnier et M"" Cladel. Dans les autres loges,
M. et M"" Emile Zola, M. et M"" Bergeral, M. et M""" Desfossés,
M. et M"" Lacaze, M. René d'Hubert, M. Edmond de Concourt,
M. Raff'aëlli, M. et Madame Clovls Hugues, M™ de Peyrebrune,
M"" Rachilde, Catulle Mendès, Becque, Bergcrat, J.-K. Huijsmans,
Vitu, Rosny, Descaves, Paul Alexis, Mélénicr, de Nyon, Tabarani,
Lacour, Valletle, Quillard, Retié, Dubus, R. Bernier, etc., etc.
Nombreux articles dans la presse quotidienne, un peu effarée
devant celte œuvre si fort de notre terroir, mais rendant unani-
mement hommage au matlre. Nous publierons un curieux article
de Lemonnier lui-même sur la représentation de la pièce.
Appréciation de Henry Bauer, dans l'Echo de Paris, sur I'In-
TRUSE de Maurice Maeterlinck, jouée pour la première fois à la
représentation organisée pour célébrer et glorifier Verlaine.
« J'en viens k l'Intruse de Maurice Maeterlinck, d'une puis-
sance scènique et d'une impression pathétique extraordinaires.
Entre l'aïeul aveugle, l'oncle, le père ei les trois filles, assemblés
autour de la table de famille, pendant qu'une jeune femme
malade, une quatrième fille, agonise dans l'autre pièce, les spec-
tateurs ont senti passer l'intruse : la mort, et ont frissonné.
L'œuvre est une des plus saisissantes qui soient et nulle part, que
je sache, l'impression de la réalité des sensations immatérielles
n'a été rendue avec une pareille intensité, sous une forme aufsi
concrète. L'acte de M. Maeterlinck est d'un art puissant et sen-
sible; je le souhaiterais à sa place sur une grande scène : c'est
une forme nouvelle, profondément émouvante du tragique
humain au théâtre. »
Plus haut, dans le même article :
« Les plus hauts d'entre les grands inspirés disparus, Victor
Hugo, Baudelaire, Lamartine, Edgard Poe, Théodore de Banville,
•V'
■'«'Js?
168
L'ART MODERNE
ceux qu'on renomme en ce temps, Maurice Maelerlinck, Catulle
Meodès, Mallarmé et Charles Morice ont orné de leurs œuvres
cette solennité de justice et de réparation. »
• «
A l'exposition du Champ-de-Mars, Constantin Meunier a son
grand succès habituel. Deux de ses statuettes ouvrières, en
bronze, ont été acquises dès l'ouverture, l'une par M. Bourgeois,
le ministre.
El chez nous? A quel ministre à faire de même?
LA DERNIÈRE DE ROSSI
Après d'assidues et attentives auditions, nous disons : c'est
sans comparaison le plus grand tragédien du siècle. En iroii
tableaux du Roi Lear, en trois tableaux d'HamIet, en un acte de
Shylock, il nous est uliimement apparu, prodigieusement, plus
encore ce soir là, magnifique, pathétique, effrayant.
Penser que des milliers de gens ont, eu un tel artiste six
semaines auprès d'eux, jouant des chefs-d'œuvre, chef-d'œuvre
lui-même, sans avoir été à ces divins offices d'arl. Penser qu'il a
eu le projet de donner une représentation à Gand, et qu'il a dû
y renoncer : les Algonquins qui peuplent la métropole des
Flandres avaient fait une location de cent-cinquante francs!!!
A Bruxelles, la salle de la dernière était belle, vraiment belle!
Un millier d'esthètes, toujours les mêmes. Ah I le débordant
enthousiasme, ijoulant encore une pointe, une fleur au génie de
l'auteur, poussant d'un effort surhumain Shylock, Hamlel, Lear
aux proportions de l'inoubliable.
A cet illustre, les pauvres que nous sommes ont donné les
présents barbares de notre pauvreté-: des palmes, des couronnes,
des bouquets, des fleurs en neige fine embaumant la scène, des
bravos, des cris, des trépignements, toute l'animale série jappante
de l'enthousiasme humain. Peu donc. Hais pourtant symbole de
joie, d'admiration, de reconnaissance.
LES LIVIDES
Quelques réflexions sur l'art décoratif et son mode
d'enseigrnement, par Armand Fumièbk, architecte. — Bruxelles.
E. Guyot, 1890.
Lu, avec l'attention voulue, celte plaquette que se partagent
trois chapilricules ; Exposé de l'enseignement des arts décoratifs.
— De la photographie appliquée à l'enseignement. — De la
nécessité de l'érudition dans l'étude des arts décoratifs.
Pas mal de truismes auxquels le plein air de la publicité n'était
plus nécessaire, et, de ci de là, des aveux précieux — documents
à conserver — et des hérésies professorales qu'il convient de
remiser sans retard.
Comme aveu, ceci : « Malgré les grandes améliorations intro-
« duites récemment dans nos Académies, la question de l'ensei-
« gnement des arts décoratifs est encore loin d'être complèle-
« ment résolue. Si tout a été dit sur cette matière, peu de choses
o relativement ont élé faites... Il ne suffit pas d'ouvrir des
« écoles, il faut encore les rendre profitables par un enseigne-
« ment susceptible de produire des artistes dont le talent puisse
« être pratiquement utilisé. » — Ces quelques lignes donnent
absolument raison aux détracteurs de l'eiueigneilient professé \
l'École des arts décoratib de Bruxelles, et dont les tfMves mêmes
apprécient les résultats belices k leur esacte valenr; elles sont
d'autant plus imporuntes qu'elles émanent certainement d'un pro-
fesseur de l'établissement, N. Th. Fumière, coupable déjh d'au-
tres brochures analogues, et auquel un {Mtrent a, cette fois, servi
do filial porte-voix.
L'auteur de la brochure constate, piqi loin, que la grande
majorité des élèves des Académies appartient i la classe labo-
rieuse et est presque complètement dépoorrue d'instruction; il se
plaint amèrement de ce que les élèves ne retirent aucun fruit des
cours d'art qu'ils suivent. A qui la faute, sinon au professeur qui
donne son cours d'une façon trop savante et ne se met pas au
niveau des intelligences qui l'écoutent? C'est, du reste, un
reproche formulé par le Jury qui a procédé aux derniers examens.
— L'auteur demande que l'instruction primaire des ouvriers soit
renforcée, et qu'on leur enseigne l'histoire : c'est pure aberra-
tion t II ne peut être question de contraindre des artisans k un
enseignement au dessus de leur portée; c'est au professeur à
posséder assez de souplesse de talent pour parler un langage
compréhensible à des élèves dont l'absence de culture intellec-
tuelle doit être acceptée telle qu'elle est.
Viennent de paraître chez^^ Vanier, éditeur, de M. Edouard
Dujardin :
La Comédie du amours, on volume de vers, dont voici l'aver-
tissement :
« Quelque peu de goût qu'il ail en général pour les préfaces,
l'auteur se croit obligé ii quelques mots d'explication louchant la
forme inusitée des vers de ce volume.
a L'auteur se défend de rien avoir voulu bouleverser. Une grande
répugnance pour l'impassibilité marmoréenne des poètes du Par-
nasse, une haine croissante de ce que les littérateurs appellent le
décor, l'avaient conduit à la recherche d'une poésie purement sen-
timentale; c'est semblablemenl que son dégoût de la perfection
factice où les derniers poêles parnassiens ont amené le vers, lui a
fait rêver, à lui et à quelques autres jeunes gens, une forme pri-
mesautière, libre de règles comme de canons, toute d'instinct et
qui fût la simple expression des émotions qu'ils auraient h conter. . .
Et, un beau soir, il a essayé d'une sorte de vers libre — qu'il
soumet au seul juge es arts reconnu, le public.
L'auteur a débuté, il y a quelques années, en publiant plusieurs
livres de prose pleins de recherches lexicologiques et grammati-
cales, et fort compliqués ; à son dernier poème e|Lprose il mêlait
encore des vers dont l'obscurité pèse lourd k sa conscience...
Aujourd'hui, la trentaine arrivant, il estime qu'une toute petite
émotion, le moindre cri de passion humaine, pour peu que cela
sorte en une expression précise et claire, c'est de l'art, — à meil-
leur titre que les échafaudages merveilleux où d'ailleurs qui que
ce soit de seulement intelligent peut paraître exceller. Mallarmé,
c'est le génie exceptionnel affiné jusqu'aux plus inaccessibles déli-
catesses, que nous vénérons d'une respectueuse admiration;
mais l'éternelle poésie humaine, n'est-ce pas Laforgue, Verlaine,
Musset? »
î' Antonia, tragédie moderne en trois actes et eavers libres,
représentée le 30 avril au Théâtre d'application .
Voici l'avertissement publié en tête du volume :
« L'auteur renvoie les lecteurs à l'avertissement du volume de
w^
L'ART MODERNE
169
yen, la Cmédii du ênumrs, qu'il vient de publier, pour les
quelques explieaUon eoneerDanl la forme poétique ici employée.
« La tragédie d'Antonia a, d'ailleurs, été faite pour être repré-
■enlée; c'est « un peu d'émotion », « quelques cris de passion
humaine » qu'il Toudrail faire entendre sur le tbéitre (1).
a La réduction dea indieations leéniques au strict minimum
rendra pent-éire la lecture du volume moins aisée; mais il a
semblé que l'intérêt littéraire du drame était dans le fait même du
dialogue et que les maîtres dn xvn* siècle avaient plul6t raison
en publiant le texte de leurs pièces dans leur plus fruste nudité. »
fÇTITE CHROf<IQUE
Portrait du bon Pierre i.o(i, narrateur sentimental et comme il
faut:
« L'académicien d'bier. N'a pas perdu son temps depuis que
M"* Adam, sa seconde mère, comme il l'appela dans une dédi-
cace célèbre, le prit en tutelle. Nerveux avec des hanches. Mince.
Toujours sanglé, quelquefois même maquillé. Semble avec sa
barbiche, son profil en lame de couteau, plutôt un officier d'in-
fanterie qu'un marin. Inventeur de la littérature exotique où
chantent des noms bizarres, se déroulent des paysages féeriques,
où il n'y a pas plus d'intrigue qu'en une romance. Un malin dou-
bléd'un artiste. A pejut-êire abusé de son « frère Yves ». Bourget
le sacra demi-dieu. Donne des fêtes costumées où il apparaît en
empereur roinain et en trouvère. Une élection qui prouve qu'on
n'arrive pas toujours II l'Académie par les femmes. »
11 y a des gens qui prétendent qu'on ne lit plus Victor Hugo.
Savez-vous ce qu'a produit depuis la mort do grand poète, c'est-
Si-dire depuis cinq an», la vente de ses œuvres T Sept milliont,
quatre cent dix-huit mille, trois cent soixante-huit francs, c'est-
à-dire une moyenne de vente par année de un million quatre cent
quatre-vingt-trois mille, trois uni soixante-treize francs.
Dans ses Instantanés, le OU Bios donne le portrait ci-après
de Claude Honet.
Une face rude, fruste de pécheur que les coups de soleil, le
fouellemenl des embruns ont recuite, hilée, crevassée de rides
multiples comme' les vieux portraits. Les joues et le menton per-
dus dans l'emmêlement d'une barbe broussailleuse.
Des yeux qui impressionnent. Des yeux clairs au regard enve-
loppant, aigu,cnercbeur, où se devine l'Ame vibrante d'un artiste,
où passent des reflets de ciel et de mer et qui par moments s'em-
brument, semblent s'être usés peu k peu en une contemplation
trop éperdue de la Nature, en un labeur de visionnaire.
L'un des plus admirables paysagistes d'aujourd'hui, — de tou-
jours. Le seul qui ait vraiment rendu le charme changeant, les
frissons lumineux de l'eau et des feuilles, les métamorphoses
des clartés. Un simple qui s'isole, qui fuit Paris, que ne tentent
ni les médailles, ni le bruit, ni la gloire, ni les gros sous. Ne se
repose jamais. Poursuit son œuvre de pays en pays, tantôt en
Hollande, devant l'éblouissement des champs de tulipes, tantôt
au cap d'Amibes devant les Alpes roses dressées sur l'enchante-
,menl des flots bleus, tantôt en Bretagne devant lesécueils de Noir-
mouiiers.
(1) M. Louis BessoD, dans VÊvénement, a ainsi dëHni, arec une
remarquable exactitude, le sujet d'Antonia : • ... que la femme est
faite pow tromper et trahir, l'homme pour souffrir. <•
A connu l'Apre misère, mais ne s'est pas découragé et mainte-
nant a son clou dans toutes les galeries où l'art moderne est en
odeur de sainteté.
Dans la très curieuse Enquête sur l'Evolution littéraire, sorte
de référendum sur le Réalisme et le Symbolisme, leur passé, leur
présent, leur avenir, que poursuit M.Jules Huret, dans VEcho de
Pai-is, depuis deux mâk, tfd'lit le passage suivant de la. dépo-
sition de M. Anatole France sur le très grand Verlaine. Au surplus,
c'cbt inimaginable ce qu'ils se déchirent les uns les autres :
« Ce pauvre Verlaine, plein de talent, mais inquiet, mais double,
pour ainsi dire. Vous souvenez-vous qu'autrefois on voyait, dans
tous les bals masqnés, un diplomate Peau- Rouge J C'était un
monsieur en habit noir, très correct, qui avait la figure tatouée,
et, sur la tête, des plumes de perroquet. Eh bien I Verlaine m'a
toujours rappelé ce déguisé. Au temps où il était Parnassien, il
s'efforçait, comme les autres, de faire des vers impassibles,
l'habit noir dominait; puis le sauvage prenait le dessus; puis, de
nouveau, une crise de correction; tour ii tour croyant et athée,
orthodoxe et maudit, A la manière des poètes religieux de
Louis XIII ; et ainsi de suite jusqu'à ce que l'habit noir, enfin usé,
il ne lui est plus resté que le tatouage et les plumes de perroquet.»
La librairie de la Bibliothèque Nationale met en vente le 318*
volume de sa collection : les Soirées de Saint-Pétersbourg, par le
comte J. de Maistre. — 25 cent, broché, 45 relié; 10 cent, en plus
pour recevoir franco partout. Adresser les demandes i M. L. Ber-
thier, éditeur, passage Montesquieu, à Paris.
Volumes récemment publiés : le Cilaleur, Mon oncle Thomas,
de Pigaull-Lebrun ; Correspondance de Voltaire avec le roi de
Prusse; Jacques le Fataliste, par Diderot ; De la Nature des
choses, de Lucrèce, etc.
On se trompe souvent dans l'opinion qu'on a du rôle pratique
des musées. On croit volontiers qu'ils servent surtout à l'avance-
ment des -jirtistes : nullement, ils servent bien davantage i
l'instruction du public. Les artistes originalement doués — les
seuls qui comptent aux yeux de l'avenir — s'inspirent franche-
ment de la nature et c'est de l'observation directe des choses,
sans nulle préoccupation du pastiche, qu'ils tirent une note de
réalité nouvelle. Les galeries publiques n'ont jamais suscité et
jamais détourné de sa voie un graid peintre. L'esprit souffle où
il veut, quand il veut. C'est folie de s'imaginer qu'il soufflera i
commandement au musée plus qu'ailleurs. Les belles collections
sont accessibles à tout le monde comme les bibliothèques des
grandes villes. Chacun vient s'y instruire ou s'y distraire, s'y
remplir d'idées oii d'impressions critiques, mais le travail de créa-
tion, réservé à peu d'hommes, se fait à l'écart et sous de bien
autres auspices.
Le collectionneur public ou privé fait acte de dillettantisme au
proQl des délicats et d'enseignement général au bénéfice de la
foule : rien de plus, mais aussi rien de moins. Et c'est déjà
énorme. {L'Art dans les Deux Mondes, U mars 1891.)
Dans son atelier du H de la place Pigalle, Puvis de Chavannes.
Drapé dans un immense pardessus qui le grandit encore, il fait
asseoir un ami, conseille un jeune artiste lui montrant ses œuvres,
entrelient un troisième arrivant d'une affaire. Le malire a le
front haut avec les tempes dégagées, le nez fort, le teint coloré,
la barbe blanche, les cheveux drus. D'une belle prestance, le port
de tête très droit, presque raide, Puvis de Chavannes est l'homme
au monde dont l'air est le plus imposant et l'accueil le plus
affable. *
ONZIÈME ANNÉE -
L'ART MODERNE? s'est acqnis par l'aatorité et l'indépenclance de sa critique, par la variMA de sea
informations et les soins donnés à sa rédaction une place prépondérante. Aucune manifestation de l'Art iie
lui est étrangère : il s'occupe de littérature, de peinture, de soùlpture, de gravure, de musique,
d'aroblteoture, etc. Consacré principalement au mouvement artistique belge, il renseigne néanmoins ses
lecteurs sur tous les événements artistiques de Tétranger qu'il importe de connaître.
Chaque numéro de L'ART MODBRNE! s'ouvre par une étude approfondie sur une question artistique
ou littéraire dont l'événement de la semaine fournit l'aotualité. Les expositions, les livres nouveaux, les
premières représentations d'œuvres dramatiques ou musicales, les conférences littéraires, les concerts, les
ventes dobjets cTart, font tous les dimanches l'objet de chroniques détaillées.
L'ART MODERNE relate aussi la législation et la jurisprudence artistiques. Il rend compte des
procès les plus intéressants concernant les Arts, plaides devant les tribunaux belges et étrangers. Les
artistes trouvent toutes les semaines dans son Mémento la nomenclature complète des exposiuons et
concours auxquels ils peuvent prendre part, en Belgique et à l'étranger. Il est envoyé gratuitement à
l'essai pendant un pois à toute personne qui en fiiit la demande.
L'ART MODERNE forme chaque année un beau et fort volume 4'«*vi<roB. 4^ pages, arec ta}4«
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Faits et dél)ata Jndlciairee. — Jnrlapmdémie.
— BibUoKraphie. — I.«cisUtion. — Notarta».
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' L'ART DANS LES DEUX MONDES
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MODERNE
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R«VU1 DM UYBSS. — ElPOSmoM DB PUBUOiri. — PeTITB CHRONIQUE.
A props des représentations dn (( lâle »
-î^.
A PARIS (1)
Qn'est-ce qn'une pièce de théâtre? C'est un milieu
déterminé où évolue la vie. La vie, au théâtre, plus
encore que dans le livre, est la condition essentielle,
puisque l'écrivain, pour formuler son concept, a recours
à des incarnations sensibles, puisque ce sont des êtres
agissants et vivants qu'il délègue à matérialiser sa pen-
sée. Le meilleur théâtre sera donc celui qui se caracté-
risera par la plus forte somme de vie. En procédant
par la détermination initiale d'un milieu, en en d^a-
geant les formations humaines issues de ce milieu, en
restituant celles-ci avec leurs évidences et leurs parti-
(1) L'exlntordioaire mouvement qui se produit, depuis peu de
tempa, dans l'art thé&trtl, et auquel nos compatriotes Lemonnier et
Maeterlinck ont tant contribué, donne un grand intérêt k l'exposé de
àttàHa» qu'on va lire.
cularités, on suit une méthode sûre, et peut-être l'unique
qui s'accommode de la nécessité d'imposer au spectateur
l'impression immédiate de la vie. ^.
Le livre, absorbé à petites fois, ingéré à travers la
méditation, peut se soustraire aux formules précises ;
il s'étend, par delà les manifestations de la vie sen-
sible, jusqu'aux extrêmes limites de la conjecture. Mais
le théâtre a des ressources bornées ; il requiert les nettes
images, les vifs reliefs, l'estampage exact ; il n'est du
théâtre qu'à la condition de porter à la scène une adé-
quation de la vie et de faire ressemblant. Pour que les
métaphysiques et les entéléchies puissent s'adapter à la
forme spéciale qu'il s'assigne, il faudrait abolir la repré-
sentation de l'individu, la figuration matérielle, anni-
hiler le geste et l'attitude de l'interprète qui toujours
s'interposera et niera la pure idéalité. Un subterfuge,
l'eflFacement des silhouettes derrière des voiles récem-
ment appropriait à une apparence de vision, à de déli-
cates et fabuleuses lignes de rêve la curieuse et vrai-
ment belle fresque dramatique de M. Pierre Quillard,
La fille aux mains coupées. C'est à peu près tout ce
qu'il est possible d'imaginer pour échapper aux réalités
trop opprimantes.
Les auteurs du Mâle ontrils su exploiter avantageu-
sement la méthode dont j'ai parlé plus haut? Je n'hésite
pas à dire oui. La Terre s'indiquait pour eux le thème
intégral ; ils ont pris dans ses deux aspects le décor
■/ 3
y
172
L'ART MODERNE
rural que leur conférait le livre. (Ecartons, n'est-ce pas 1
une fois pour toutes, Tassez vain reproche d'avoir
extrait du concept roman le concept théâtre, puisque
l'un et lautre se résoud par ceci : Arriver par des
moyens différents à la plus grande évidence possible de
vie?)
D'une part, la forêt, la grande nature indisciplinée et
sauvage, aux halliers comme des &mes vierges, aux
hautes frondaisons tourmenteuses, aux nocturnes faunes
rôdant dans le mystère. D'autre part, la glèbe soumise,
asservie aux labours et aux semailles, la terre du pay-
san, mariée à ses peines et à ses joies. Et corolfaire-
ment, du côté de la forêt, surgissant comme le symbole
de ses énergies, l'être primitif, l'homme des sylves pri-
mordiales, le chasseur vivant de ses proies, — Cacha-
près; du côté de la terre, symbolisant les ruses par
lesquelles se conjure l'immense hostilité des Forces,
l'être encore rudimentaire, mais affûté, rendu subtil
par le sentiment de la préservation, le glébain, maître
d'un toit borné par un lopin.
Voilà le fond, voilà le drame; voilà du même coup,
en ses grandes démarcations, toute l'histoire de la terre.
Il s'en déduit : l'instinct de la libre propriété, de la pos-
session immédiate aux prises avec l'ordre, la loi, la
défense de transgresser les fictions légales. En Ger-
maine tout à coup s'éveillera, à l'apparition du Mâle,
de la brute héroïque et amoureuse, sortie de ses taillis
et venue se mêler aux pétulances d'un jour de ducasse,
la faunes^e des ascendances de la forêt, la femelle chaude
de soleil et mûre pour les ruts copieux. Elle s'abandon-
nera aux baisers, connaîtra les possessions enragées au
fond des fourrés, mais sans abdiquer ses prudences de
paysanne, de fille de riches tenanciers, son sang de pro-
priétaire. Elle résume, celle-là, à travers un universel
aspect de la féminité, cauteleuse à la fois et sincère,
prise et reprise, l'instinct et le calcul des races mi-sor-
ties de l'animalité, entrées dans un état de civilisation
minoritive.
Pour cadre, rationnellement, la ferme et le bois avec
ces comparses : — Le vieux Hulotte, le fermier finaud
et brave homme, exploitant sa chevance, orienté à une
relative élévation de sentiments par la maturité de l'âge
et de la réflexion; Warnant, son fils aîné; Grigol, le
valet d'écurie revenu de la ville après avoir servi à l'ar-
mée, d'esprit naturel, de verve comique et frondeuse;
avec ces figures encore, énonciatrices des forces sour-
noises et farouches du bois, la mendiante et entremet-
teuse Cougnole, la rôdeuse des taillis, vivant de louches
aubaines, façonnée par la fréquentation des bêtes à
l'idée de l'accouplement des sexes, l'acceptant comme la
loi et le devoir des races ; puis, mais à peine indiquée,
ébauchée en traits violents, reléguée au second plan, la
Gadelette, l'instinct sauvage, compliqué d'amour et de
ruse, la petite fauve dissimulée et rageuse.
Certes oui, l'humanité qu'évoquent ces protagonistes
sans gloire n'excède pas une limitation forcément
restreinte, bornée à la vie sensationnelle, à la somme
d'idées et de sentiments que peut développer chez le ter-
rien une condition séculaireoient opprimée à peine
afiranchie. C'est une humanité élémentaire, soumiseaux
ambiances, actionnée par les Forces en suspens autour
d'elle. Les auteurs de la pièce ont-ils su la caractériser?
Tout est là ; le reste n'importe. Pour ma part, j'ose le
croire ; ils ont fait l'homme de la nature, ils ont su l'ex-
primer à travers l'angle qu'ils s'étaient proposé, ils l'ont
fait mouvoir et parler avec son geste, avec son verbe,
avec son instinct, en le subordonnant aux exigences de
l'action, ou si l'on veut, de l'anecdote qui est la vertèbre
de l'œuvre.
Telle qu'elle est, cette humanité, elle suffit à emplir
le drame, elle symbolise en maints côtés essentiels la
terre, l'animal à face humaine qui peine dessus et s'en
assimile les rancunes, les énergies, les puissances ; elle
aboutit à la synthèse. C'est la marque moderne de la
pièce et, je le crois, un mérite suffisant pour qu'à
travers les vicissitudes qui pent-ètre lui échéeront,
elle prenne date dans l'évolution dramatique contempo-
raine.
Le primitif, l'être sensationnel et instinctif, de céré-
bralité fortuite, uniquement incitée par les contingen-
ces, n'exclut pas la possibilité de certaines perceptions
déliées qui, à première vue, sembleraient uniquement
réservées aux natures de sens affinés. Au contraire,
l'instinct, chez les simples, fréquemment s'éréthise, se
travaille de pressentiments, va jusqu'à de merveilleuses
devinations. C'est pourquoi, presqu'anssitôt que Ger-
maine, l'ouvrière de ses destinées, lui est suscitée, Cacha-
près se sent remué, en l'aparté du milieu du premier
acte, par de troubles à la fois et lucides fiituritions.
L'histoire du forestier qui lui revient en mémoire est
comme le thème évocateur de sa propre misère. C'est là
un élément de poésie naturelle que je n'ai eu garde de
proscrire. Je ne sais si on y prendra attention, mais,
pour moi, je crois bien que, là encore, en ce simple
motif, en cette prescience du simple, se révèle une des
curiosités du drame. Toute la vie humaine, à travers sa
variété et sa dispersion, se meut sur un petit nombre
d'axes. Nos destinées résultent des facteurs qui sont en
nous et qu'y développe la circonstance. Chez Cachaprès,
c'est la rencontre avec la femelle énamourée et fourbe,
ramenant l'étemelle aventure de Samson et d'Hercule,
la déperdition du principe mâle, l'usure irrémissible des
énergies mentales et physiques, l'inévitable mort après
les baisers. La forêt, la primordiale genèse est vaincue
en lui par la créature d'amour et de péché. J'espère
qu'on voudra bien remarquer aussi le leit motiv qui,
dans la pièce, résume les &talités auxquelles, sitôt
l'amour accompli, Cachaprès demeure voué, cette phrase
^■^?''?!W^^?P?i^f ??^^^
iJÎ^î^JW.V'P^i-. VT^. ,'. ■
L'ART MODERNE
173
restée des musiques et des douceurs de la rencontre et
que lui dit Germaine : » C'est toi qu'es Cacbaprës I ».
Peut-être sont-ce là des effets bien subtils pour le pu-
blic : je n'aurais plus alors qu'à me confier en les seuls
artistes.
Les auteurs ont procédé par tableaux, par grandes
tranches de réalité et de nature, en utilisant le décor
que leur imposait le livre. On ne peut leur en faire
un grief : cela leur a permis de faire entrer plus d'air
dans la convention, sans laquelle leur pièce ne se fût
pas maintenue debout. Ils ont imaginé une péripétie, le
marchandage de la vache qui justifiait le second acte,
sa rusticité joviale, cette notation de la vie de la ferme,
et rendait plausibles les épisodes par lesquels l'éthopée
s'achemine à son dénouement. Cette péripétie n'est pas
plus mauvaise qu'une autre; elle suiBt aux vraisem-
blances, elle stimule la note comique ; elle particularise
le milieu rustique. Grosse affaire : elle est scénique.
C'est peut-être pour cela que personnellement je la
trouve indispensable, mais entachée d'usure. C'est une
concession aux modes actuels, au goût du public pour
le fait matériel, l'action qui s'agite et fait du bruit, la
subordination de l'homme et du cadre où il se meut à
ce que j'appelais tout à l'heure l'anecdote. Voyez
quelles divergences ; c'est peut-être cette action (c'en est
une) qui constituera l'intérêt de la pièce ; et toutefois, à
mon sens, elle demeure le point vulnérable, puisqu'elle
morcelle la synthèse, puisqu'elle rompt la grande har-
monie amoureuse de la terre et de la créature. Il a fallu
la subir en remettant à de meilleurs temps l'espoir
d'écrire une pièce sans action, toute en nuancements,
en figurations, en évolutions rapides de sentiments et
d'idées, une pièce qui serait de la vie unie et simple,
sans les nœuds que nous croyons devoir y faire.
J'écris ces lignes au lendemain de la répétition géné-
rale : je ne puis présager l'acceptation ou le reniement
delà critique ; j'ignore l'attitude possible du spectateur.
Maisj'ai le droit de faire remarquer que la pièce, écrite
et jouée une première fois il y a trois ans à Bruxelles,
fut la tentative de libres esprits, à un moment où le
paysan, l'homme de nature, le descendant des grandes
faunes n'avait pas encore été mis à la scène. Il n'y a pas
un mot d'auteur dans ces quatre actes; on y parle comme
on y vit, d'une vie nette, brève, cursive, sans horizon,
mais dans un cadre merveilleux, dont peut-être, à leur
insu, il passe quelque reflet sur les rugueux visages en
qui personnifient ici les symboles.
A peine puis-je relire ces lignes jetées sur le papier
et désordonnées. Elles témoigneront de notre volonté
de faire œuvre d'art et de nature. Notre ambition, en
donnant aux personnages du Mâle le relief de la vie
scénique, n'alla pas au delà.
Je veux dire, en finissant, toute notre profonde grati-
tude pour les artistes qui assumèrent l'ennui souvent
découragé des répétitions et consentirent à incarner ces
types d'un théâtre qui n'est ni celui des parades carica-
turales, ni celui des fictions paradoxales. Je remercie
M°"* Marguerite Rolland, Herdiès, Leconte, Gay :
chacune a mis de son âme et de ses nerfs dans des rôles
où toutes se sont montrées remarquables, où quelques-
unes se sont révélées hors pair. Et je remercie non
moins MM. Chelles, Régnier, Courcelles, Miran, La-
grange, pour les touches adroites et puissantes dont ils
ont achevé de faire vivre l'œuve.
Camille Lemonnier.
Ajoutons à cette intéressante étude critique de
M. Lemonnier sur sa propre pièce, que la première
représentation du Mâle, à laquelle nous avons assisté,
a été un événement littéraire. Il y avait une belle
audace, de la part de M. Henri Malin et de ses confrères
de V Avenir dramatique, à installer à Paris, malgré la
concurrence écrasante des théâtres de tous genres qui,
en ce moment, battent leur plein, une scène nouvelle
exclusivement consacrée aux œuvres d'art. Et leur
audace a été récompensée.
La sympathie et l'incontestable autorité dont jouit
M. Camille Lemonnier dans le monde des lettres étaient
de nature à assurer à leur spectacle d'ouverture une
salle de choix, composée du tout Paris littéraire et
artiste. L'intérêt captivant du drame, la rigoureuse
logique des caractères qui y sont développés, l'art avec
lequel l'auteur conduit l'action ont produit l'impression
qu'on était en droit d'espérer, et c'est très sincèrement
que les confrères parisiens de M. Lemonnier sont allés,
la toile baissée, féliciter celui-ci.
Un détail encore : la pièce a été jouée intégralement,
telle que l'auteur l'avait écrite. La censure n'a trouvé
qu'un seul mot à biffer : le mot pucelle. Il parait
que ce terme là n'a pas encore droit de cité au théâtreat
Quanta l'interprétation, elle a été des plus remar-
quables. M""*' Marguerite Rolland et Herdies surtout,
et M. Chelles ont donné aux personnages de Germaine,
de la Cougniole et de Cachaprès une physionomie nette.
AUX CHAMPS-ELYSÉES
Cel immense effort : la Mort de Babylone, dégage une impres-
sion multiple dans laquelle se fondent une réelle admiration pour
la belle vaillance du peintre attelé à pareille bépogne, le plaisir
éprouvé i l'analyse de tel morceau supérieurement peint, le regret
d'un stérile labeur. Malgré tout le talent qu'il a déployé,
M. Rochegrosse n'a réussi à faire que ce qu'en argot d'atelier on
nomme une « tartine ». Son tableau est énorme sans être grand
au sens esthétique du mot. La sensation d'épouvante, le frisson
qu'il a tenté de provoquer, le spectateur l'attend vainement,
amusé par la colossale nature-morte — et un peu vivante — des
avant-plans, distrait par mille détails curieux d'architecture et
d'accessoires. En ce fouillis de victuailles, de fleurs, de chairs
174
L'ART MODERNE
étalées, d'étoffes, l'œil s'égare ti la recherche de la scène k
exprimer : il ne la découvre que par l'analyse, quand déjà la
réflexion a succédé à l'impression arlisliqne. Et alors cette scène
apparaît comme un détail, comme une devinette dont l'impassi-
biliié du monarque, perdu dans une apothéose d'incendie au haut
d'un interminable escalier serait le mot, tandis que la nudité
triomphante des femmes renversées sur le dos, lascivement éten-
dues et enlacées constitue le véritable intérêt du tableau.
La virtuosité de M. Rochegrosse est prestigieuse. Sa coneeption
esthétique est nulle. Et la même critique s'adresse à M. Chalon,
dont le SardanapaU a quelques affinités avec la Mort de Babxf-
lone. Mais ici la vacuité de la toile est plus flagrante encore,
malgré l'accumulation des personnages qui s'y meuvent dans des
attitudes communément usitées pour exprimer l'effroi. M. Benja-
min-Constant était jusqu'ici le représentant officiel d« eet art
spécial, plus proche de la prestidigitation que de la peinture. Il
a aujourd'hui des rivaux sérieux. Et telle est la fascination de
cette peinture à paillettes que la médaille d'honneur, éblouie par
le feu d'artifices de ces pyrotechniciens, est ailé voleter aux alen-
tours des toiles de MM. Benjamin-Constant, Rochegrosse et
Chalon. Le hasard l'a empêchée de s'accrocher à l'un des cadres.
Pourlant il est, en ce même Salon des Champs-Elysées, une
attachante toile qui nous semblait mériter davantage la consécra-
tion d'une distinction de ce genre, — si tant est que Part ait
besoin d'être « consacré » et que jamais une médaille ait été de
quelque poids dans la réputation<|d'un artiste. D s'agit de la vaste
composition de M. Henri Martin' intitulée : A chacun ta chimère
commentaire de l'admirable pensée de Baudelaire : « Ils chemi-
naient avec la physionomie résignée de ceux qui sont condamnés
à espérer toujours ». Voici, dans la plaine immense, s'avancer le
cortège de l'humanité, conduit par des anges aux ailes éployées.
En tête marche le jeune homme possédé du rêve de la gloire, une
Victoire à la main. Dans la foule qui le suit, courbée sous le poids
des ambitions dévorantes, ceux que ronge la chimère de l'or, du
bonheur familial, de la religion, de l'art, de la science, des
armes... Ils viennent on ne sait d'oi^, du plus profond recul des
horizons, et ils vont, ils vont, par la lande inculte, dans la morne
désolation de leurs espoirs irréalisés.
• Celte toile échappe à la banalité qu'un pareil sujet eftt pu
engendrer. Elle n'est nullement « illustrative » d'un aphorisme
philosophique. Du rythme cadencé de sa composition, de l'har-
monie sobre de ses colorations s'exhale une impression d'art qui
rjfralchit et repose l'œil des imageries ambiantes. Certes, l'œuvre
n'est-elle pas dégagée entièrement des influences d'école, et nous
n'entendons point la désigner « chef-d'œuvre ». Mais elle décèle
tant d'honnêteté artistique, une élévation de pensée si haute en
même temps qu'une absolue probité de travail, qu'elle s'impose
au premier rang des envois du Salon.
Une toile plus petite du même artiste, — étude vraisemblable-
ment peinte au cours de l'exécution de son tableau, — complète
l'exposition de M. Henri Martin.
Proche de la grande toile de ce dernier, un portrait équestre de
M. James Gulhrie requiert par d'incontestables qualités. Ici, les
questions de plein air, d'enveloppement, n'ont rien il voir. Il s'agit
d'une peinture à la Vélasquez, largement et joyeusement étendue
par grandes surfaces, selon les antiques procédés. Ce qui plali
dans l'œuvre, c'est son allure décidée, crâne, bellement fière. On
redoute que le cavalcador qu'elle exprime soit quelque affreux
bourgeois de Londres enrichi par le commerce de peaux ou par
l*indualrie des aiguilles. Otna l'ignortnee o& nom lommca du
nom du modèle, aucun reproche ne vient k l'esprit. 11 y a, dans
la salle voisine, du même peintre, nn autre portrait, traité dans
des dimensions plus modestes, qui classe M. Guthrie, malgré ses
tendances réactionnaires, parmi les rares artistes du Salon.
Bonnat... Ah I mais, le mot de Lautrec le caractérise : « Don-
nez une chiquenaude à sa peinture, cela fera Ung!.,. » El de bit,
rien n'est plus en zinc que son lion, auquel va jenae athlète
désarticule la mftcboire avec l'aisanee d^ln expérinieiilé dentiste,
sans qu'un muscle du dit athlète tressaille. L'eitraetioB sans dou-
leur, quoi I Du brun et du blanc, comme dans les toiles d'Henner,
aucune recherche quelconque, fsut-il le dire? si ce n'est la maté-
rielle et exaspérante nudité du modèle d'atelier, cambré selon les
traditions, et développant son thorax sur des fonds de bitume et
de tête morte.
Y a-t-il au Salon des Bongaeteaa, des LefebvreT C'est possible.
C'est même probable. Nous avouons ingénument ne pas les avoir
vus, tant cette fabrication, aux antipodes de nos préfÂvnees, nous
sollicite peu.
Par exemple, il n'est guère possible de passer avec autant
d'indifférence devant la Voûte iaciir de J.-P. Laorene. Celte
« voûte » est construite en des proportions si coinsalcs que for-
cément oa se batte contre elle, et ce dès l'entrée. Ah! l'étonnant
modèle de peinture glacée, sans vie et sans Ame, d'imagerie gran-
diose élevant le petit soldat si gentil d'Épinal à la hauteur d'une
œuvre primée par les Académies I Et le trompe l'œil de celte bar-
rière d'avant plan, qui rappelle les beaux jours des panoramas
abolis \... La Voûte d!acier, c'est de très bonne peinture adminis-
trative, de la peinture pour vestibules de ministères. On aura
beau faire et beau dire, cette peinture U plaira toujours plus aux
ronds-de-cuir chargée d'équilibrer des budgets de beaux-arts que
les décorations d'un Puvis de Chavannes. La logique de la vie le
veut ainsi, et nous ne pouvons que nous incliner devant llmpé-
nétraMe FaUlité.
On nous excusera de ne pas entrer dans le détail des quelque
deux mille toiles qui sont censées exprimer, an Salon des Champs-
Elysées, le labeur arlislique de la France et de plusieurs nations
étrangères, parmi lesquelles la Belgique. Il y a, certes, des efforts
honorables et des réalisations heureuses. Mais que dire qui n'ait
été, en ce journal même et partout, répété à satiété î Bornons-
nous à la courte énumération de ceux des nétres qui sont cimaises
en ce Palais de verre, de fer et d'huile : ce sont (nous parlons de
ceux dont nous avons aperçu les envois et non d'après le cata-
logue) MM. Richir, F. Willems, Le Mayeur, Kflstohs, Charles
Lefebvre, Van Overbeke, Van den Bos et Herbo.
Et ne terminons pas ce rapide aperçu sans citer élogieusement
H. Rob. W. Vonnoh dont le Champ de eoquelieott, traité dans la
manière des impressionnistes de 1880, fiit sonner de joyeuses
et claires fanfares dans le concert assourdi des Cbamps-Élysés.
Un coup d'œil aussi aux intéressantes et louables tentatives de
peinture à la cire de M. Thivet, ainsi qu'aux fauves de M. Swan,
d'un mouvement et d'une silhouette impressionnants.
LE FESTIVAL RHÉNAN
Comment se fait-il que le gros du public distingue difficilement
le charlatanisme d'avec l'Art? Esl-ee ignorance, insuffisance de
sensibilité, où est-ce corruption? — cela vient-il de la grossièreté
L'ART MODERNE
175
d'une race de ptnrenos, non encore Mcenible au Beau, — ou
de la groHièreté d'one race de blasés qni n'y est plos aecessible
parce qu'elle l'a eoofondn avec le mol jouissance sensuelle?
Mais d'ob cela vienl-ilT Qu'un me le dise, pour l'amour de Dieu,
afin que je paisse troaver la télé unique de ce public b<te, et
taper desaus.
Voilk un directeur (et on en trouve en Allemagne, il doit
y en avoir un mauvais nid quelque part), qui défigure tout
ce qni lui tombe sous les mains, ponr foire « des effets », qui
allonge par ci, rétrécit par Ik, précipite autre part, dispose tout
de manière que celui qni ne sait pas suivre une pensée ni
on sujet musical soit au moins réveillé k tous les loumanis par
un de ces chauds-froids, ffrorte-piano qui ébranleraient des cui-
sinières.
Ce directeur (il s'appelle Scbuch) a été fêlé, cboyé presqu 'autant
que Hans Richter k la même occasion. Je dis prtsqu'autant,
parce qu'on avait ponr lui plus d'estime, grAce h son haut titre,
que de sympathie. Et on aimait k se figurer que puisqu'il arrivait
il produire tant « d'effet » il devait être grand. Vaste optimisme
de rifpM>rancel
En voyant avec quelle facilité l'Allemagne se laisse envahir par
cette école de la musique toute de crème et de piment, —
comme elle se laisse envahir par une peinture doucereuse et sans
nerfs, — on ne peut s'empêcher de penser : hé! petite Belgique
fais attention I ne t'endors pas, ne laisse pas des intrigants afladir
ton public pour l'employer comme une force contre l'art véritable.
Il se peat que M. Schuch n'ait pas d*» intentions aussi noires.
Hais quiconque manipule le Beau ponr en faire ressortir le joli,
est un foox prophète.
On a donc esssyé de nous « embellir» la cinquième symphonie
de Beethoven — ce qui lui va comme une rose en papier au
chignon de la Vénu$ de Milo — puis Obérvn, puis le Carnaval
iZomotn de Berlioz, puis Schubert; le directeur d'Aix, l'honnéie
Schwickeralb, a eu heureusement quelques occasions de tenir le
bâton : Ut Saison* de Haydn, le Fouit de Schumann et la
Symphonie de Brahms nous ont été un repos. Rien de transcen-
dant, mais rien de faux au moins. Merci, M. Schwickerath.
Il appert que le Conservarbire de Leipzig est infesté de ces
tendances efaarlatanesqnes, depuis qu'il a encore exagéré le
genre de son plus célèbre directeur, Mendelssohn.
Voyez vous notre cousin Sem essayant *de bonne foi de
nous comprendre, et ne parvenant qu'à nous singer extérieure-
ment t Quand trouvera-t-il son art à lui, et ne viendra-t-il plus
trouUer l'esprit facilement ahuri de nos foules par la fausse
eoaceptioa de notre art ft nousT Qu'il soit lui, qu'il ait cette
fierté, le grand Sem.
Alors BOUS le considérerons en bons voisins. Mais de la part
d'an étranger, qui veut s'imposer, se faufiler parmi nous pour
être des nMres malgré nons, les actes les plus inoffensifs nous
répugnent.
Il se pourrait donc que Maître Schuch soit fort inoffensif.
« Ne pas comprendre » et être de Dresde, qni sur la carte n'est
pu loin de Leipzig, m'a fait tout d'un coup rentrer mes cornes
et me dire : serait-ce un « étranger? »
Etranger aussi ce pianiste d'Albert, qui de ses douces petites
pattes a careasé un concerto du fort Beethoven. Un peu moins
étranger, mais étranger tout de même. « Que n'étions nous l!i,
moi et mes Francs I » pour protester à la façon de Clovis, — si
les vacarmes désapprobateurs étaient tolérés. I. W.
EXPOSITION DB SAINT-CYR BT:,MI0N0N
MM. de Saint-Cyr et Mignon ont ouvert dans une élégante salle
qu'ils ont foit construire rue de la Régence une exposition de
leurs œuvres. Toiles et sculptures sont coquettement présentées
et disposées avec goAi, parmi des corbeilles de plantes orne-
mentales, sur des parois tendues de rouge.
L'envoi de M. de Saint-Cyr embrasse le labeur de plusieurs
années. L'artiste s'est voué k des scènes de genre, i des portraits,
k des intérieurs luxueux. La préoccupation du^bibelol, du chif-
fonnement d'étoffes soyeuses, du mobilier de style le bante et lui
fait perdre de vue l'impression plus haute et plus vive de l'œuvre
d'art. Elève d'Alfred Stevens, admirateur passionné^des tableaux
de son maître, M. de Saint-Cyr cherche visiblement i se rappro-
cher le plus possible de ce dernier. Mise en pages, sujets, pro-
cédés sont directement inspirés par lui, et il n'est pas jusqu'à
l'évolution de l'artiste vers les OpMie de ces derniers temps qui
n'ait sa correspondance en l'élève.
On souhaiterait voir M. de Saint-Cyr affirmer une (personnalité.
On voudrait que sa main s'affranchit de la facture sèche, méticu-
leuse, qui emprisonne sa pensée. Que l'artiste se tourne un peu
vers ceux qui ont fait passer dans leurs toiles des bouffées d'air
frais. Les admiratrices de Béraud et de Van Beers le regretteront
peut-être : mais le peintre ralliera le suffrage des artistes, doni
l'opinion doit lui être plus précieuse.
M. Mignon, qni a pris part à un grand nombre d'expositions,
est plus connu. Il est classé parmi les sculpteurs laborieux et
persévérants. Son Taureau, son Bœuf, sa Lionne, son Bison,
sont morceaux robustes et de belle allure. Quelques bustes, entre
autre celui de M. Alfred Verwée, des figurines en pied et une
collection de types de soldats de l'armée belge, prestement
exécutés, complètent son envoi, qui ne manque ni d'intérêt ni de
variété. Mais....?
lies représentations d'Ernesto Rossi.
{Correspondance pariiculiére de ("Art moderne.)
Toutes les échines de la gent mercantile, plus désespérément
morose et calculante depuis que s'y étaient accrochées, si pesam-
ment! de malencontreuses et poulpeuses « cëdulcs », se sont
relevées. Un grand vent d'enthousiasme souffle impétueux et
imprévu. Il a relevé notre courage et une infinie reconnaissance
nous est au cœur pour le prodigieux artiste qui nous ranima.
Rossi triomphe, à Anvers, et l'Art avec lui !
Tout nous semble possible maintenant; cette réussite inat-
tendue d'une pure manifestation d'art nous déroule au point de
nous sentir capable « en ce momeni » d'excuses au public que
nons avons en loute^occasions si joyeusement malmené.
El ceci peut paraiftre invraisemblable! Mais rien plus n'est
invraisemblable, ici, depuis que l'on peut voir, se rendant à leurs
affaires, de très honnêtes et convenables gens, en dépit de tout
usage, dévorer, en rue, sur les plaies-formes des tramways, les
traductions du répertoire shakespearien.
Aux trois inoubliables auditions : le Roi Lear, Hamlet,
Othello, une très nombreuse chambrée, choisie, recueillie, accla-
mait de tout son cœur cet artisle-roi qui triomphait en dehors de
176
L'ART MODERNE
la langue de ses audileur!<, des moyens usités, de toute flatterie ^
leurs goùis, de tout et puissant cabotinage.
Un ardent et sympathique artiste, Frans Gilten?, avait imaginé
un comité composé en partie d'hommes officiels, de gens du
monde et d'un très éclectique choix d'artistes qui a vaillamment
travaillé au triomphe de Rossi. D'aucuns d'entre eux : GiHens,
Pol de Mont, Cornette expliquent la veille des spectacles, en des
causeries néerlandaises, à une foule qui accourt très nombreuse,
ces grandioses tragédies de Shakespeare.
Ainsi préparée, celte pariic du public est admirablement atten-
tive et enihouslastc. Quant aux quelques jeunes salonneux qui
devront tout au moins à Rossi de ne pas ignorer plus longtemps
l'existence de Shakespeare, et qui s'amusaient à nos côtés de
quelques bribes d'italien qu'ils équivoquaient stupidement ou
iniempestivemcni claquaient, se sont-ils vus rabroués et réduits
au silence par une douz.iine que nous étions, dés le début, déci-
dés ^ faire respecter contre toute atteinte l'Art et l'artiste qui nous
apporte les plus intenses sensations que nous ayons jamais res-
senties au théâtre.
Macbeth, Shytock sont ï l'affiche! Nous supplions ardemment
pour la Mort d'Ivan- le- Terrible et pour une seconde du Roi
Lear. V.
PŒÎ'VXJE DES LIVIDES
Le Caire, par Emile Minnaert. — Un volume in-18 de 336 pages
avec couverture illustrée. Bruxelles, P. Weissembruch, 1891.
M. Minnaert vient de réunir en un volume 1rs divers articles sur
le Caire qu'il a publiés successivement dans la Revue de Bel-
gique au cours de l'an dernier, et dont nous avons rendu partiel-
lement compte dans nos numéros des 19 janvier et 6 avril iS9ù.
L'ouvrage gagne à être ainsi présenté dans son ensemble, et tel
chapitre qui, pris isolément, paraissait de peu d'iniérôi, reprend,
dans le livre, son importance relative et contribue à la fidélité du
tableau. L'auteur ne s'est pas borné à la description extérieure
des rues et des monuments. Un séjour prolongé dans le pays lui
a permis de pénéircr plus profondément son sujet, et il nous
donne sur l'adminfblralion de la justice, pour la connaissance de
laquelle il était bien placé, sur l'éducation, sur la vie religieuse
et les mœurs intérieures des habitants, des renseignements fort
intéressants. 11 le fait en ami convaincu de l'Egypte et de sa civi-
lisation, trouvant que tout y est pour le mieux, et il n'est pas
jusqu'aux eunuques sur la bienveillance desquels il ne verse un
pleur d'attendrissement ; mais on est lenlé de partager ses faiblesses
pour tout ce qui est purement indigène, par l'agacement que pro-
cure le spectacle des Anglais, venus là sous prétexte de maintenir
en tranquillité le peuple le plus tranquille de l'Orient, et qui pré-
tendent, en dépit de la différence des habitudes et du climat, lui
intposcr le ridicule de leurs importations de tous genres. Conçu
dans un esprit dégagé de tout préjugé européen, le livre de
M. Minnaert sera un excellent guide pour ceux qui voudront
étudier ce curieux pays, et il les prémunira contre les dédains
que, trop facilement, on déverse sur ce que l'on ne comprend pas.
Projet d'an catalogue Idéologique (realcatalog) des
périodiques, par M. F. Nizet. — Bruxelles, Vanbu(fi?enhout,
1891, 26 pages in-S".
Nous avons signalé naguère une intéressante notice de M. Nizet
sur les catalogues de bibliothèques publiques. Au lieu de cata-
logues tels qu'ils ont été formés jusqu'ici, l'auteur préconisait le
cataloge idéologique, indiquant chaque ouvrage d'après l'id/e qui
s'y trouve développée. Il a ensuite démontré l'ulililé pratique de
cette innovation en publiant, comme exemple de cet ingénieux
caialoguement, ses Notet bibliographiques sur les habitatiovs
ouvriires et le grisou; d'après ce modèle, faisait remarquer
M. NIzel, « on pourrait dresser pour toutes les matières imagi-
nables des bibliographies absolument complètes qui ne laisse-
raient pas une idée dans l'ombre, pas un pouce de terrain sans
culture dans le champ de la pensée humaine ».
Aujourd'hui, dans sa nouvelle brochure, il fait le dépouillement
de quatorze revues pour janvier 1891 seulement : ce spécimen de
catalogue idéologique relève pour ce seul mois plus de sept cents
sujets : « Multipliez, dit M. Nizet, sept cents par douze, vous
aurez le produit d'une année, soit huit mille quatre cents sujets.
Si, au lieu de vous borner à quatorze revues, vous opérez sur
tous les périodiques du monde entier, vous a^^iverez ii des chif-
fres vertigineux. Cela est vaste, mais n'excède pas les énergies
humaines ». On ne peut assez applaudir i la réforme imaginée
par M. Nizet : travail fécond, qui, en facilitant les recherches,
empêcherait l'immense trésor intellectuel, enfoui au fond des
revues, de se perdre.
EXPOSITION DE PUBLICITÉ
Une très intéressante exposition s'est ouverte cette semaine à
Paris, proche le Salon du Champs-de-Mars. Il s'agit de la publi-
cité dans toutes ses manifestations : journaux, revues, affiches,
réclames, annonces. L'idée est ingénieuse, et la réalisation est
amusante. Les affiches américaines et anglaises abondent; la
montre Waterbury sévit avec intensité en des veinms de dimen-
sions colossales ; le Pear's Soap aligne en bataille son musée de
chromos ; le France Champagne, non content de s'annoncer en
de gracieuses affiches couleur de soleil, emplissait, le jour de
l'ouverture, les coupes de cristal généreusement distribuées aux
visiteurs. Quant aux journaux, ils sont légion, ils sont multitude.
La France, la Belgique, la Hollande, l'Allemagne, la Russie,
l'Amérique, ont délégué leurs périodiques, depuis les plus graves
(( officiels «jusqu'aux feuilles les plus folâtres, jusqu'aux organes
spéciaux de colombophilie, de vélocipédie, d'apiculture et de
gymnastique. Ce que consomme de papier et d'encre la Presse
insatiable!...
L'Exposition de publicité, organisée pa^ M. Bell, a trouvé en
M. Paul Patié O'Brien, notre confrère de l'Echo de Paris, un
secrétaire général des plus dévoués. Grâce à lui, le Salon de la
Publicité revêtira bientôt un caractère artistique des plus curieux.
H. Chaix lui a promis la collection complète des affiches de Ché-
ret, et Dieu sait si cette collection est actuellement haut cotée chez
tous les Sagot, les Bailly et autres marchands d'estampes et de
livres !
La Chine, le Japon, en retard (c'est excusable I), enverront sous
peu leurs gazettes. L'Amérique complétera ses réclames extraordi-
naires. La publicité ambulante : pouss-pouss, hommes-sandwichs,
transparents lumineux, achèvera de donner à l'ensemble un
caractère ultra XX' siècle. En attendant, quelque trois ou quatre
mille journaux, soigneusement rangés sur des tables ou retenus
aux murailles par les hampes traditionnelles, amusent les visi-
teurs.
■ ■r'X 2r^V\'K
L'ART MODERNE
177
Petite chro;<ique
Le Cercle des Ans et de la Preue vienl d'ouvrir au Mu^ sa
deuxième exposition annuelle. Nous en parlerons dans notre pro-
chain nninéro, qui contiendra dgalemcnl un cbmpie-rendu de
l'Exposition des peintres allemands actuellement ouverte à Lon-
dres.
Rossi joue en ce moment, à Anvers, devant des salles pleines.
(Voir la lettre de notre correspondant particulier.) Quelle humilia-
tion pour les Bruxellois 1 Quel honneur pour les Anversois I
A Bruxelles, grande différence entre les représentations de cette
année et celles d'il y a quinte ans. Alors les places à bon marché
étaient remplies, jeunes gens, petits bourgeois, ouvriers. Cette
année, elles sont restées vides. Presque tous les étudiants, deux
mille au moins (universités, athénées, écoles spéciales), se sont
abstenus.
Il est vrai qu'on joue cent-cinquante fois la revue Bruxelles-
Haut-Congo devant nne ialle comble.
Un joli incident à la gare de Louvain, le soir, quand les étu-
diants y ont fait une ovation formidable au comte de Mun, après
sa conférence ouvrière. Les hourrahs éclataient à l'entrée du train
en gare, tellement que les voyageurs se précipitaient aux por-
tières. Une dame, seule, ouvre la glace avec fièvre et demande
anxieusement en se penchant : « Qu'y a-l-il ? Qu'y a-t-il? » « Ce
n'est rien, Madame, répond un quidam qui se trouvait devant le
wagon, c'est un orateur socialiste qu'on acclame. »
Le Congrès archéologique et historique qui doit se réunir à
Bruxelles du 3 au 7 août prochain s'annonce sous les meilleurs
auspices : quatre-vingt-dix-sept académies, instituts, sociétés et
cercles tant de Belgique que d'Allemagne, de France, du Luxem-
bourg et des Pays-Bas, enverront des délégués au Congrès et cinq
cent cinquante-deux adhésions sont dès à présent parvenues au
comité général d'organisation.
Des excursions auront lieu à Louvain, i, Tirlemont, à Diest,
dans les stations des Ages paléolithiques et néolithiques des envi-
rons de Mons, à Nivelles et à l'abbaye de Villers.
Ajoutons que de brillantes réceptions seront organisées en
l'honneur des congresSisles et que dès à présent il est question
d'un concert de musique historique qui permettrait de leur faire
connaître les merveilles du Musée instrumental de notre Conser-
vatoire.
La Société de musique de Mons, dont la création est duc à
M. Camille Gurickx, vient de donner son dernier concert.
Au programme figuraient plusieurs chœurs, dont l'exécution a
été des plus remarquables : Le chœur des Vendanges, de Haydn
[les Saisons), VAve Verum, de Mozart, la Toute- Puissance de
Schubert (transcription de M. Michotle), la Chanson du Orand-
Père et la Chanson d^ Ancêtre, de SaintSaëns, les Bohémiens, de
Schumann. Solistes : M"" Houzcau, MM. Achille Tondeur, E. Preu-
monl et Uufrasne.
La Société compte mettre prochainement i l'étude, pour la
prochaine saison, la Nuit de Walpurgis, de Mendelssohli.
' La ville de Mons conquiert d'ailleurs brillamment sa place
parmi les cités artistiques. M"* Louise Luyckx, pianiste distin-
guée, y a fondé une société de musique de chambre qui a donné
cette année trois auditions des plus intéressantes.
La dernière soirée était exclusivement consacrée à Beethoven.
On y a entendu le trio en ut mineur, la sonate pour piano et vio-
loncelle op. 69, et le trio en n bémol op. 97.
« Les honneurs de cette soirée reviennent, dit le Journal de
Mons, à M. Camille Gurickx : il interprète Beethoven dans la per-
fection. Ce n'est plus le virtuose ne visant qu'il l'effet, c'est l'ar-
tiste qui donne tout ce qu'il possède d'aptitudes, dont tous les
efforts tendent à donner aux auditeurs l'expression la plus exacte
des sentiments ressentis par l'auteur en créant son œuvre. Gurickx
est d'ailleurs un pianiste modèle, classique par dessus tout, c'est
le type absolu du virtuose professeur; il n'est pas de telle ou
telle école, il est simplement de la bonne école, de celle-là qui
crée les vrais artistes aimant l'art pour sa beauté et sa grandeur
et non parce qu'il peut devenir la source de profits et d'avantages
de tout genre. »
M. Gurickx avait pour partenaires MM. Vivien et Ed. Jacobs,
qui ont été les interprètes scrupuleux de la pensée du Maître.
L'Association des Artistes-Musiciens de Tournai donne
aujourd'hui son deuxième grand concert sous la direction de
M. Leenders, directeur de l'Académie de musique.
Au programme, diverses compositions de M. Joseph Mertens :
l'ouverture du Capitaine Robert, un air de Liederick, la valse
A la vaprée, deux lieds, dont l'un avec violon solo et piano,
l'autre avec orchestre; puis la suite d'orchestre tirée de Milenka,
par J. Blockx; le concerto de Grieg pour piano et orchestre, joué
par M"* Folvillc, qui figure également au programme comme
violoniste et comme [compositeur, une Marche nuptiale de
Hutoy, etc. Les solistes sont, outre M'" Foiville, M"« B. Chainaye
et M. Noté.
Le 47 de ce mois, nous écrit un correspondant, nous avons eu
la fortuite occasion d'assister à une féie, qui, à cause de son
caractère profondément artiste, mérite d'être notée : la repré-
sentation de Polyeucte, joué, i l'occasion du cinquantenaire du
Collège Notre-Dame à Anvers, par d'anciens élèves de cet établis-
sement. « A mon gré, disait P. Corneille, je n'ai point fait de
pièce où l'ordre du théâtre soit plus beau. » L'œuvre préférée
du grand tragique a eu une interprétation digne d'elle. Sous le
rapport tant de l'ensemble que de l'exaclilude des costumes, nous
n'avons jamais vu représenter Polyeucte dans des conditions
aussi parfaites. A cet effort, nous applaudirions sans réserves, si
l'on n'avait pas fait aux goûts de la foule la concession d'entre-
couper l'admirable simplicité de la tragédie par des entr'actes
extraits de la partition de M. Charles Gounod.
Salle comble chaque soir au théâtre de l'Avenir dramatique,
où Un Mâle, de Camille Lcmonnier, J. Dubois et A. Bahier
obtient le plus grand succès.
La presse entière a été unanime à constater l'excellence de l'in-
terprétation de Un Mâle au théâtre de l'Avenir dramatique.
Sans parler des artistes qui déjà s'étaient acquis une haute
notoriété, sans parler de M"" Hcrdiès â qui l'œuvre a suffi pour
se révéler comédienne de haute race, ceux auxquels ont élé
confiés les rôles épisodiques, M"" Lecomte et Gay, Célina et
Gadelette; MM. Lagrange, Roche et Chalande tiennent leur
emploi avec une rare intelligence et prouvent un talent qui
n'attendait qu'une occasion de s'affirmer.
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Comité de rédaction i Octatb MAUS — Edmond PICARD — Ëkilk VERHAEREN
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Adretter toute» les communicationt à
l'adhimistratiom oén«ralb de l^Art Moderne, me de rindnstHe, 32, Bruxelles.
^OMMAIRE
« NUJ. Ho*N <• AD TBiATSK-LiBBS. — lOtU D'UH BOUmOBOIS SDB
{.'AmoBiTacnniB. — Ad Cbbclb dis kxn sr db la Paass*. —
L'xNasHuaiaNT on arts indusiuuls. — Au Pauus dis Asts
UBÉRAUZ. — PeTJTI CBBONIQUE.
« ML HORH )) an Mtre-Lilire
Le Bilatéral, Marc Fane et la Légende Sceptique
avaient placé très haut M. J.-H. Rosnjr dans la littéra-
ture contemporaine et, récemment encore, Daniel Val-
graive qu'il signa avec son frère, M. Justin Kosny, a
complété la belle réputation de l'un et établi du premier
coup celle de l'autre à un point d'extrême considéra-
tioD. On était donc un peu en droit d'attendre beaucoup
de Nell Hom et l'attente a été, je ne dirai pas déçue,
mais surprise, car la pièce, qui a des qualités, déconcerte
par ses qualités mêmes auxquelles on n'était point pré-
paré.
n est toujours assez dangereux pour un écrivain de
former à l'improviste une idée de lui que l'on n'avait
pas. M.c^Rosnj était considéré comme un génie patient
et ibrt, d'une belle logique et de nuances très fines et il
apparaît en sa première tentative au Uiéfttre comme
^hs d'une sorte d'art populaire et brusque, dur et cru.
Je ne veux pas parler du roman d'où le drame est
tiré ; il est fort beau et sert de dessous et de texte expli-
catif à la pièce qui en est une illustration brutale et
très vive, par tableaux sommaires dont le détail exact,
le trait net, la couleur ont charmé tous les Londoni-
sants. M. Raffaëlli qui a fréquenté les paysages de Lon
dres et de la Tamise et qui a peint du peuple anglais et
des Salutistes des types variés et sûrs, s'en disait ravi et
garantissait l'authenticité de la mise en scène.
Nous sommeç loin, en ces tableaux tristes et violents
de MM. Rosny, des anglomanies frivoles de M. Bourget
et nous ne nous en plaignons pas trop. J'aime mieux
l'heure du gin que l'heure du thé, et les Salutistes mina-
bles et exaltés me plaisent mieux que les ladies et les
clubmen.
La pièce est toute en action et d'une action violente
au possible par endroits. Les personnages parlent peu
et à peine commentent-ils leurs actes et ce qu'ils disent
pourrait s'inscrire sur de flottantes banderoles qui leur
sortiraient de la bouche pour représenter leurs paroles.
Je veux dire par là que la pièce a quelque chose de naïf
et de fruste comme une imagerie très attirante, une
sorte de lanterne magique, rapide et colorée.
Les personnages sont ou extatiques ou injurieux ; ils
prient ou ils sacrent. Parfois ce sont de simples sil-
houettes qui traversent la scène à des moments où leur
■ ■»crv; .'. :T:tFi^'Y!ii»fi!lâ
180
L'ART MODERNE
présence est assez décisive pour qu'ils participent au
drame en tant qu'épisodes ou solutions. Tels les orateurs
qui parlent durant la scène du meeting ou le Vieux
dont l'apparition détermine le dénouement.
Le premier tableau, une scène d'ivrognerie et de coups
dans une maison où habite le policeman Hom, est sai-
sissant. Il y a des cris, des chutes de corps, des femmes
qui appellent aux secours par la fenêtre. Il y a là du
guignol tragique très particulier qui n'est point sans
force.
La scène du meeting est amusante, très vive. Les
harangues se succèdent à travers les applaudissements
et les sifflets.
L'Armée du Salut arrive, bannières déployées et
musique sonnante, avec ses pancartes apostoliques,/
et ce sont les confessions publiques des convertis,^
et parmi les clameurs, au dessus du ridicule de l'exhi-
bition, planent le nom du Christ, la promesse salva-
trice à ceux qui pleurent, la pitié offerte à ceux qui
souffrent, l'issue proposée à ceux qui errent et qu'entend
une isolée, une misérable, la pauvre Nell !
Il ne faudrait pas croire que tout est gestes, actions
dans la pièce. Il y a aussi de nobles paroles. Ce que dit
avant de mourir le lieutenant Willis est d'une élo-
quence fiévreuse et d'une haute solennité, mais tout
cela a été bien mal compris du public. Il y a trouvé je
ne sais quoi de « calotin » qui lui a déplu, et il a été
dérouté par le manque d'explications, le laconisme,
l'abondance des faits.
Dans le théâtre actuel, on disserte plus qu'on n'agit ;
ici on agit plus qu'on ne disserte et on agit peut-être
plus qu'il ne faudrait.
En somme, on n'a pas regardé dans la pièce ce qui y
était, on s'est plutôt préoccupé de ce qui y manquait ;
en tous cas le public n'a pas eu un sens très particulier
d'une sorte d'art qui est prompt, très vivant et popu-
laire.
Henry de Régnier.
Idées d'un bourgeois sur l'Architecture
Recueillies par Edmond Cattikr. — Bruielles, J. Lebègue et C'«.
Un vol. illustré, de 242 pages.
Quelle peut donc bien ^tre la raison de la haine que M. Callier
a vouée aux architectes? Il nous souvient que, lors des expositions
d'architecture de i883 et 1886, la Oazetle publiait des comptes-
rendus où cet esprit de dénigrement systématique se faisait déjà
jour; dans son volume paru récemment, M. Cattier donne libre
cours à sa mauvaise humeur, déversant sur tous les membres de
la corporation une hotlée d'appréciations et d'insinuations fort
désagréables.
A dire vrai, ce réquisitoire n'occupe qu'une faible partie de
l'ouvrage, quarante pages environ, mais afin de composer un
volume d'une épaisseur convenable, l'auteur a jugé bon d'y
joindre une compilation de deux cents piges empruntées ii
V Histoire de l'Art monumental de Batissier/aux Entretient iur
r architecture de Vio!le(-le-Due, I la OramtMtre des Arts du
dfuin de Ch. Blanc, au Dictionnaire de l'arehiteeture de Viollei-
le-Duc, etc.... Il remonle jusqu'aux Egyptiens, en invoquant leur
religion, leurs temples, les pyramides, pour arriver k prouver que
toutes nos maisons sont ridicules ei mal construites et que les
architectes modernes sont des Anes.
Le ton agressif qui marque chaque ligne des Id^ (fun bour-
geois n'est guère i sa place dans un livre destiné à élucider des
questions d'esthétique. De plus, en rendant les architectes
responsables des malfaçons de quelques maçons ignorants, il s'est
fait l'écho de préjugés malveillants. Les effets de ce pamphlet ne
se sont pas fait attendra. Dans une récente séance du conseil
communal de Bruxelles, un membre a affirmé que la Vine a tou-
jours été volée par les architectes; un autre a proposé de faire
une saisie de leurs biens, meubles et immeubles, pour payer les
dépenses supplémentaires (très souvent provoquées par l'Admi-
nistration elle-même).
Nous aurions fort à faire si nous devions relever toutes les
inexactitudes dont est émaillé l'ouvrage de M. Cattier; mais il en
est quelques-unes qui dépassent les bornes. Que l'auteur visite,
pris au hasard, quelques hôtels ou maisons élevés par des archi-
tectes tels que MM. Beyaert, Hendrickx, Janlet, Acker, Haquet,
Van Humbeeck, Janssens, Brunfaut, Samyn, Bosmans, etc.... et
nous le mettons au défi d'y trouver cette absence de stabilité,
cette fureur d'ornementation et cette kyrielle de nuisances, tuyaux
crevés dans les murs, toits laissant passer l'eau, caves' chaudes,
murailles salpétrées, cuisines sans oxygène, dégagements distri-
buant l'odeur des égoùts!... Qu'il se rende dans la plupart des
bureaux d'architectes, et lorsqu'il aura consulté les dossiers de
dessins et constaté de visu la façon très poussée avec laquelle
sont étudiés tous les détails d'une construction, il sera contraint
de rétracter cette affirmation, lancée i la légère, que a nos archi-
tectes » commencent k b&tir d'après des plans approximatifs,
« quittes k tourner les difficultés lorsqu'elles se présentent pen-
dant la construction n, idée erronée sur laquelle il insiste lorsqu'il
dit plus loin : a ce devrait être une règle de ne jamais entamer
une construction avant d'en posséder les plans complets,
détaillés, etc »
Nouvelle erreur lorsque M. Cattier affirme que dans les construc-
tions « on engloutit un cube de pierres trois ou quatre fois plus
fort (!!) qu'il ne faut »; les travaux en Belgique se font depuis
longtemps il un prix si dérisoirement bas, qu'il existe, au con-
traire, chez tous les architectes, une préoccupation constante de
réaliser leurs profils avec des sections de pierres 'fhif><m«; c'est
aussi une tradition professionnelle de faire tailler les pierres !i la
carrière, et quoiqu'en dise N. Cattier, de les faire poser toutes
terminées; exception n'est faite que pour les pierres tendres fran-
çaises, dont les arêtes friables ne résisteraient pas aux transbor-
dements et déchargements successifs avant la mise en place.
L'auteur accuse les architectes d'être des ignorants et de mauvais
constructeurs, parce qu'entre autres choses ils n'exécutent plus,
comme au Moyen-âge, les planchers, poutres et escaliers en chine
apparent et qu'ils les réalisent avec du sapin médiocre dissimulé
par des plafonds plitrés; la seule raison qui les fasse agir d'une
façon aussi contraire à leurs goûts d'artistes, c'est la somme
minime mise k leur disposition et qui les contraint k l'emploi forcé
du simili. Trois exemples convaincants : une marche d'escalier en
L'ART MODERNE
181
sapineoloriëcofti« 7 francs, tandis qu'elle vaut 40 francs en chêne ;
un plafond ordinaire (gtles ei planches en sapin, plafond plâtré et
peint), coûte 9 franc» le mètre carré, et, en bois apparent, 50 francs ;
des lambris h moulures clouées peuvent élre estimés de 6 à
8 francs le mètre courant, et, en chêne, de 4S ii 60 francs, eic...
En appllqaant les principes de aineérité dans la construction, une
maison bourgeoise de 40 ii S0,000 francs vaudrait, même conçue
dans des données très sobres, une centaine de mille francs. L'ar-
chitecte n'a souvent qu'un désir, c'est de dire à son client : « Don-
nez-moi de l'argent, et je vous ferai du vrai et du sérieux au lieu
du iimiU et du toc », et presque toujours le cÙcni réduit le devis
de moitié au lieu de donner la somme nécessaire. Il y a cepen-
dant des exceptions, et alors l'œuvre produite réalise les desiderata
du client,' de l'architecte et du visiteur ; témoin bon nombre de
maisons et d'hôtels, quelques châteaux, ceux de Faulx et de
Jodoigne entre autres, certaines villas à Hiddelkerke et toute une
série de monuments dignes d'examen : le Palais des Beaux-Arts,
les hôtels communaux de Borgerhout et de Cureghem, le Palais
de Justice de Malines, la basilique du Sacré-Cœur ii Anvers,
l'église de Tombes , l'hospice de Bruges , l'entrepôt de Tour-
nai, etc..., autant de preuves tangibles du mérite des architectes
belges.
Nous avons, au début, fait deux parts de l'ouvrage que nous
examinons, et nous sommes frappés, arrivé à la dernière page,
de la flagrante contradiction qui surgit entre les arguments histo-
riques ou archéologiques invoqués et les critiques déductives que
l'auteur en prétend tirer : i toutes les époques de l'histoire de
l'art, i'ornementation et le décor, encore que très intimement
liés ft la construction, ont toujours été un vêtement plus ou
moins riche recouvrant la sèche ossature d'un édifice. M. Cattier
semble l'oublier, car pour les constructions modernes il demande
que l'on ne fasse voir que les éléments d'ulilliés d'un édifice, le
squelette en un mot ; dans une locomotive, dit-il, la forme des
divers éléments résulte des fonctions à remplir et de l'effort à
produire, hors de là tout serait parasite. Et appliquant ce miri-
fique exemple i l'architecture, il cite comme modèle i suivre par
nos architectes un atelier (^imprimerie (W.) de la rue Nuit-et-
Jour, fort bien construit, nous le voulons bien, mais ne présen-
tant d'autre intérêt que de grandes ouvertures dans les murs et
quelques poutrelles apparentes : ce n'est donc que de la bâtisse,
chère aux ingénieurs, et non de l'archilecturc.
La nuance, qui n'est peut-être pas saisissable pour l'auteur
des Idée* d'un bourgeoit, est énorme cependant; mais peut être
pour les œuvres architecturales, pas plus que pour les drames de
Wagner et les leprésenlations des Meininger, M. Cattier n'a-t-il
la notion ni la compréhension du côté artistique des choses.
Parlez-lui de résistance à l'écrasement, de moment de rupture,
de force motrice ou de boulons d'un longeron ; mais n'essayez
pas de le convaincre de l'imprévu d'un pignon de la Renaissance,
du charme d'un décor italien, de la puissante grandeur du duo
de Woian et d'Erda ou du goût déployé dans la mise en scène du
Marchand de Venise.
La presse quotidienne, sans examiner les Idées d'un bourgeois
par le menu, a fait un bruyant succès au volume d'un confrère ;
nous devions, nous, au public artiste^'analyser de plus près cette
œuvre qui a quelque peu ému les'artisles violemment pris à
partie, et de mettre nos lecteurs en garde contre les raisonne-
ments faux et les déductions illogiques du « Bourgeois » dont
M. Cattier a trop pieusement recueilli les airs.
AU CERCLE DBS ARTS ET DE LA PRESSE
Dans les galeries solitaires du Musée, la chaleur toml)e, lourde.
Les toiles pleurent des gouttes d'huile. Gargaro, huissier de salle,
sommeille sur le pouf central, à l'ombre du palmier traditionnel.
Léger bruit de feuillage froissé. Dans le grand silence, la voix du pal-
mier :
Le Palmier.
Eh ! bien, mon vieux Gargaro, ne commencez-vous pas à en
avoir assez, de ces expositions ?
Gargaro.
Le fait est, Mossiou l'arbre, que c'est bigrement toujours la
même chose.
Le Palmier.
En avons-nous vu défiler, depuis six mois, des tableaux! Ceux
du Voorwaarts, des Aquarellistes, de rExposIlion Artan-Bou-
lenger-Dubois, des XX...
Gargaro.
Ah! du moins ceux-là attirent du monde!...
Le Palmier.
... de l'Essor, de l'Union des Arts décoratifs, du Cercle des
A ris et de la Presse, sans compter le Cercle artistique, l'Expo-
sition Verslraete, l'Exposition de Saint-Cyr... Est-ce que cela vous
intéresse beaucoup, toute cette peinture?
Gargaro.
Ma foi, Mossiou, je regarde plus volontiers les petites femmes
qui entrent que les cadres.
Le Palmier.
El vous avez raison. Frotter sur ces bonnes toiles neuves toutes
ces couleurs sales, recommencer tout le temps le « Coin de
forêt », le « Coucher de soleil », le fastidieux « Printemps »,
l'exaspérant « Moulin à vent », cela devient crispant, à la fin ! 11
y en a assez! 11 y en a trop! Tenez, est-ce que cela ne vous
dégoûte pas que ces jeunes gens : Baerisoen, KUstohs et autres
s'attellent à la méchante besogne d'imiter Courlens, au lieu d'être
eux-mêmes?
Gargaro.
J'ai entendu dire par des Mossious qu'ils avaient du talent.
Le Palmier.
Sans doute, ils en ont! Hais pourquoi singer autrui ? Regardez.
C'est la couleur métallique de Courions, ce sont ses maçonnages
inutiles. Cela est opaque. Cela manque d'air. Cela fait penser à
la palette, et pas du tout à la nature.
Gargaro.
Mossiou Courlens ne doit plus beaucoup aimer sa peinture,
puisqu'il a imité la manière de Mossiou Heymans dans son tableau
de l'Escaut.
Le Palmier.
M. Heymans! A la bonne heure! Du moius celui-là est per-
sonnel et hardi. Il n'a pas eu peur, lui, de faire autrement que
ceux de son époque, et de marcher de l'avant, avec les jeunes,
tandis que les autres... Voyez Coosemans, Ter Linden, les frères
Oyens, Van der Hecht, Cluy5enaer,'Verheyden même, qui avait
eu une velléité de rajeunissement, comme ils restent en place !
Comme ce qu'ils montrent aujourd'hui ressemble à ce qu'ils
ont montré il y a dix ans, il y a vingt ans, et comme cela se res-
sent de la fatigue, de la meule toujours tournée!
^ïV^^ïvWiit^ïCï
182
UARTJdODERNE
Gargaro.
Pourtant Mossiou Verheyden a peint uo joli portrait : Petite
Mama.
Le Palmier.
C'est vrai. La robe est d'un rose fané très fin, adroitement mis
en valeur par le violet de la poupée. Il est très malin, M. Ver-
heyden. Il connaît tous les trucs.
Garoaro.
C'est comme M. Yerwée, qui repeint 7S0 fois le même tableau
sans jamais se faire attraper par les journaux.
Le Pauiier.
Vous avez raison. Voilà l'éliilon qu'il présente en liberté depuis
une vingtaine d'années, tantôt bai, lanlôt pommelé, tantôt noir.
La robe diffère, mais la bêle ne change pas. Savez-vous que c'est
très fort, cela ?
Gargaro.
Oui, c'est fort, comme tous les trucs. Il faut d'ailleurs avouer
que les bétes de Mossiou Verwée, elles sont crânement peintes!
Le Pauiier.
Pcuh!... J'aime mieux celles de M. Stobbaerts (Jan, pas Pietcr,
c'est évident). Regardez son Tondtur de chitm. Est-ce harmo-
nieux, distingué...
Gargaro.
' Oui, mais il est sourd.
Le Palmier.
Le Tondeur est sourd ?
Gargaro.
Pas le Tondeur, le tableau. Il ne « vibre » pas, comme ils
disent les Mossious des XX. On dirait qu'il y a de la fumée dans
la chambre.
Le Palmier.
Ah! vous aimez la peinture claire, vous? Eh ! bien, en voilk :
regardez le pastel de M. Claus, cette tête de vieux. ..
Gargaro.
Ça, c'est fichu comme mon sac i outils! Des couleurs à tort et
à travers... Des lignes tapées au hasard. Non, jamais vous ne
me ferez admirer ça ! M. Claus a fait de bien plus beaux tableaux
que celle vilaine figure tricolore.
Le Palmier.
El les paysages de M. Verhaeren T
Gargaro.
. Jolis. Mais quelle drôle de peinture! On dirait de petits Van de
Kerckhove de Bruges iripoiés avec des épinards et des carottes.
El puis il voit toujours à travers un roastbeef, Mossiou Verhaeren;
ses loiis, ce sont pas des tuiles, c'est de la viande fraîche !
Le Palmier.
El Meyers ?
Gargaro.
Mossiou Meyers? Il peignait autrefois avec de la farine. Mainte-
nant il écrase des groseilles, des cerises, des abricots, des prunes.
C'est plus tape-à-l'œil, mais ça ne vaut pas davantage.
Le Palmier.
El le grand tableau de M. Charlei, le Déliuage à la Papeterie
de Oastuche?
Gargaro.
Encore un jus de groseilles, de la grenadine, des bonbons fon-
dants, de la crême-glace comme en vend mon ami Antonio, dans
une petite charrette couverte de drapeaux belgat. Non, tenez,
Mossiou l'arbre, tout ça, c'aal peul-4lre bien bit, e'eat propre,
c'est convenable, mais h quoi $a aerl>il? Va laUeM, il faut
que ça vous fasse du bien k regard^, ou du mal, n'iaiporle, du
plaiiir ou de la peine, mais que ça vous fasse, looncrre de Dious I
quelque chose. Je vois ici une foule de braves garQona qui pas-
sent leur temps k étendre des cevleara aur des chftssU, mais pour-
quoi faire? Ça les disirait, pas vrai, de bire de la peinture? Tant
mieux! Vaut mieux passer son tempo k ça qu'k médire du pro-
chain, comme dit ma femme. Nais Jo vous demande un peu
k quoi bon (aire une espoaition pour montrer toutes ces images?
Qui cela intéresse-t-il? Qui s'en souvient, quand le Salon est
fermé?Qai les achète? Des Espositions pareilles, c'est béte comme
un feuilleton du Petit Jourtul. Personne ne vient les voir.
Dimanche dtimier, il faisait beau temps cependant, nous avons
fait vingt francs de recettes. Et voyes, Mossiou l'srbre, depuis ce
malin nous attendons encore l'étrenne d'un visiteur. Il n'est venu
qu'un exposant et deux journalistes. Moi, on me paie tout de
même, comme s'il vensit du monde. Mais j'ai l'amour du métier,
et je suis honteux d'être employé dana une esposiiion sans visi-
teurs. J'aime mieux raccommoder des pianos mécaniques.
Le Palmier.
Est-ce qu'on ne pourrait pas ftire une loi pour empêcher les
peintres d'exposer toutes ces niaiaeries?
Garoaro.
On pourrait peut-être leur bire psyer un imp4t par tableau
exposé, comme ponr les affiches? Ça refroidirsil toujours un peu
leur ardeur.
Le Palmier.
fonne idée! J'en parlerai k H. de Burlel. Mais chut I Je crois
que j'entends un visiteur...
Garoaro.
Non, c'est le concierge qui fait sa ronde. Il est cinq heures.
Nous allons fermer.
Le Palmier (soupirant).
Je meurs de soif. Mon petit Gargaro, allez donc me chercher
un verre d'eau,. Et vous boirez en même temps on bock k ma
santé.
La salle retombe dans le lileoce. Bruit de cleft. Les pas du
concierge s'ilolgnent. Solitude.
L'INSBIGNSIONT DES ARTS INDU8TRIIL8
Dans un nouveau discours prononcé k la Chambre le i8 mai (1),
M. Slingeneyer a dit de fortes et justes choses sur l'enseignement
des arts industriels en Belgique. Vraiment l'honorable memlire
tient bon et ne manque aucune occasion d'esssyer de fhire sortir
nos bureaux ministériels de leurs placides mouvements. Il demeu-
rera la plus nette expression d'une opposition attentive, intelli-
gente, opiniâtre et courtoise. Trop courtoise, hélas! car le lemps
est venu de bousculer ces incurables qui se ploient on instant sous
le vent d^ine critiqne, mais qui se redressent bientôt avec sérénité
et continuent leurs balancements rythmiques de vieux roseaux
stériles.
Il est regrettable que M. Jules de Burlet, le notivean ministre
présidant aux beanx-aris, sur qui Ton compte beaucoup pour les
(1) Voir le discours prteédent. Art modtme du 24 mai damier.
0
Vy
L'ART MODERNE
183
rëforM«,aU i^poadtt «u obwrvtlions de M. Slin^eDeyer au
moyen de raueigaentenla venus de ces malheureux bureaui qu'rl
faul non pat croire et gober mais houspiller el réKénirer. Son
discours Itiis^ une irisle impression : il tend k démontrer que (oui
est pour le mieui, alors qu'il est de notorlëlë publique que des
abus de tous genres sont ft réprimer. Nous reviendrons sur ces
questions, ear le* rumeurs sont trop générales, pour ne pas finir
par une campagne en règle, si le nouveau ministre ne réalise pas
ce qu'on attend de lui. On en a assez d'une administration des
beaux-arts vieillotte, routinière et tenant le gouvernement en
tutelle; M. Slingeneyer comme H. Buis ont mille fois raison
de le dire ; ils n'ont tort qu'en s'abstenant, par puérile décence
parlementaire, de ne pas mettre les pieds dans le plal. On les
mellrt pour eux s'il la bot.
Voici les passages les plus significatifs du discours de M. Slin-
geneyer :
L'instruction donnée dans nos académies a un caraclère trop
peu pratique : elle devrait être destinée k ouvrir des carrières qui
confinent k l'art, carrières nombreuses, ear les métiers les plus
infimes «xigant son appui.
' Si l'ensaignement était dirigé dans ce sens, quantité de jeunes
gens y trouveraient des moyens d'existence que l'art leur refuse :
ils n'auraient plus k lutter en désespérés avec les exigences de la
vie, comme nous le voyons constamment.
Pour arriver k cette fin, on devrait rompre avec la routine et
décider, une bonne fois, que nos académies, sauf une exception
ou deux, ne doivent être que des écoles de dessin, des écoles
JDduslriellM d'arts et métiers, diflérenles d'après les milieux oik
elles sont installées et les industries qu'elles sont appelées k per-
fectionner
J'ai développé k la Chambre, notamment dans la séance du
8 février 1888, la méthode simple et rationnelle enseignée par
nos maîtres d'avlrefois. Cet enseignement élslt empreint de logique
el de b<ms sens et ses brillants résultats ne sont plus atteints ni
en beaux-arts ni en arts appliqués, malgré tous les efforts de nos
académies actuelles et le mérite de leurs professeurs.
Ce sont cas traditions qui ont fait leurs preuves et la gloire de
notre école pendant plusieurs siècles, qu'il faudrait reprendre,
sons une fsrme appropriée k noire temps. L'éducation arlisliqne,
ainsi CMçae, pousserait nos enfants dans la voie où les appellent
leurs instincts el créerait moins de déclassés que de nos jours.
Avec la préUntUm de not lumbreuttt académie* de vouloir fabri-
auer dit artittet au lieu (Thommet ulilet, d'arlittmt intelligentt,
lu peintre* abondent et Fart t'affaiie!
On oublie que nos écoles d'art sont établies dans l'intérêt des
masses et nullement pour quelques natures d'élite, qu'il n'est dans
le pouvoir d'aneuiM puisaanee, nf«eadéffli«jne, ni autre, de faire
éelore. Les tempérament* profondément artistiques sont d'ailleurs
toujours rares et, partant, les organisations partiellement artistes
devraient trouver un enseignement qui les pousserait à s'em-
ployer effleacemeni pour le pays et pour eux-mêmes dans le vaste
domaine des arts décoratifs et' industriels, an lieu de les engager
!i persister dans l'art pur, qui leur est rebelle.
Bien des jeunes gens méconniiissent k tort celte vérité. Ils
voient une espèce de déchéance dans l'impossibilité de se livrer
tout entier k la pratique des beaux-arts et ils refusent d'appliquer
leur talent, même en partie, k l'industrie. Ils oublient ainsi
l'exemple de nos devanciers, qui voyaient l'art en tout et n'ont
jamais cm déchoir en prêtant leur génie k transformer les cbosen
les plus vulgaires en objets d'art. Les plus illustres maîtres se
sont occupés des arts industriels, y compris Raphaël et Rubens :
ils n'hésitaient paa k fbomir les beaux modèles, qu'ensuite l'in-
dustrie extfeuiait et tnlgarisait. Cesl grftce k cette alliance entre
l'art et l'indaatrie que ces grands artistes dirigeaient le goCti de
leur siècle, (rrdikwj.')
Il est temps, grand temps, que le gouvernement s'occupe de
la transformation de nos académies et de l'extension de notre
enseignement d'art industriel, surtout au point de vue national.
L'illusion sur les progrès k réaliser n'est plus possible!
M. Marins Vachon parle de l'utilité, pour les écoles, de posséder
des musées industriels et il cite comme modèle, répondant le
mieux k la mission de ces institutions, le South-kensinglon
Muséum de Londres ; il le considère comme le prototype du
genre. C'est, dit-il, un immense eulrepél, musée de chefs-d'œuvre
de l'art industriel, où non seulement Londres, mais le royaume
tout entier vient puiser largement des modèles el des exemples
pour toutes les industries du pays. Les collections d'oeuvres cl'art
de ce Musée sont utiles au pays entier par la création d'un sys-
tème de circulation dans les musées de province. Tout musée,,
toute école, toute association du royaume a le droit de réclamer
sa coopération constante, qui lui est toujours libéralement accor-
dée. Il n'est pas d'institution poursuivant le développement des
industries qui ne soit en communication intime avec lui, qu'il
'n'encourage el qu'il n'aide financièrement
Depuis des années, nous marquons le pas, j'ai déjk eu l'occa-
sion de le dire, tandis que, autour de nous, les peuples avancent
rapidement dans la voie >lu progrès. Une lutte ardente existe entre
toutes les nations intelligentes de l'Europe, el k cette lutte nous
ne participons point : notre insouciance nous en exclut ! Alors
qne ces nations veulent revenir aux saines traditions d'une renais-
sance artistique el industrielle du caraclère national, nous, qui
avons été leurs maîtres et leurs éducateurs pendant plusieurs siè-
cles, nous sommes menacés de tomber k une infériorité qui nous
oblige k aller prendre exemple chez eux pour des choses que nos
pères leur svaient apprises I
Dans l'ordre d'idées dont je m'occupe spécialement en ce
moment, — les arts industriels, — presque tout reste k faire.
Nous n'avons pas de bureaux de renseignements ni de consulta-
tions, comme nos voisins. Personne ne s'occupe de ce qui se passe
autour de nous. Jamais une publication officielle ne fait connaître
celle évolution artistique el industrielle qui, tous les jours, se
développe, s'accentue davantage dans les pays étrangers, et res-
tera un des signes marquants de notre époque. Nos travailleurs,
si impCoprcmenl appelés ouvriers d'art, restcol sans appui, sans
encouragement, plongés dans l'obscurité qui les enveloppe. El
cependant, il y a, parmi ces ouvriers, de vrais artistes, dont les
oeuvres originales sont inconnues. Si elles sont présentées à
l'examen du public, ce n'est guère que dans les expositions d'art
industriel ou d'art décoratif, sons le nom des maisons qui les
font travailler!....
AU PALAIS DES ARTS LIBÉRAUX
Le a troisième Salon », ainsi qu'on l'a baplisé k Paris, le Salon
des protestataires el des refusés, le Salon Anquetin en un mot,
ne vaut que par deux ou trois noms, confondus dans la foule des
médiocres, des quelconques, des amateurs qui consacrcnl leurs
loisirs du dimanche à couvrir de petits carrés de loile, des dames
qui « fout de la peinture », des innocents barbouilleurs rabroués
très juslemenl des expositions officielles et autres.
On espère toujours, en ces galeries de refusés, découvrir
quelque Manel bellement insurgé contre l'art tarifé el coté. Mais
les Manel sonl rares, et Pcrluiseï, qui expose aux Arts libéraux,
est insuffisant k combler la lacune.
Les tendances du Troisième Salon sont ainsi définies, en tête
du catalogue :
a Son bul est de réparer les préjudices matériels causés aux
artistes par une année perdue.
« Son caractère :
« Ce n'est pas exclusivement un Salon de refusés, puisqu'il
contient des œuvres n'ayant jamais été soumises k un jury el qu'y
sont inscrits des artistes exposant au Palais des Beaux-Arts. C'est
^
184
L'ART MODERNE
une manifestation en faveur : 1> De la suppression du jury ; 3° Du
droit pour tous d'exposer. »
Le programme, on le voit, est allécliant. Malheureusement, le
triage est trop vite fait des œuvres intéressantes, et la petite réclame
faite à deux exposants, NM. Monchablon {Une faute incalculable)
et René Vauquelin (Finis coronat opus) par « l'autorité supé-
rieure » qui a fait enlever les toiles de ces Messieurs où l'Empe-
reur Guillaume, dans l'une, et M. Jules Ferry, dans l'autre,
étaient égratignés, ne prévaut point contre la parfaite indifférence
qui accueille le Salon.
C'est, pour donner un terme de comparaison, VExposilion des
artistes indépendants dont on aurait supprimé la salle des impres-
sionnistes, seule raison d'être et unique intérêt de l'exhibition.
Venons aux artistes qui requièrent l'attention.
M. Anquetin expose une Femme dans la rue (soir), composi-
tion d'un charme morbide, très curieusement mise en page el
d'une coloration âpre, violente, affirmant une personnalité nette.
Deux pastels : Femme de dos, Femme au lit, un portrait, un
cadre de sanguines (études d'attitudes et de mouvements) complè-
tent l'envoi du peintre, dont l'exclusion du Champ-dc-Hars est
un flagrant déni de justice.
M. de Toulouse-Lautrec est représenté par un portrait d'homme
et par un groupe de rôdeurs et de filles, qui affirment de mal-
tresses qualités d'observation et de pénétration mêlées de quelque
humour, mais d'un humour spécial, par lequel l'artiste met en
relief, sans verser dans la caricature, les déformations physiques
et morales de ses personnages. C'est un humour tragique, pour-
rait-on dire, qui anime les figures et les font palpiter. M. Laulrec
tient le milieu entre Degas et Forain, tout en étant très personnel.
.Ses types d'êtres vicieux, pâlots, horribles, demeureront.
De M. Léon Fauché, un Profil de baigneuse, une Bergère et
Marianne (dessin rehaussé). M. Fauché, qui procède par larges
tons plats violemment délinéés, par surfaces cerclées de noir
comme en des verrières, obtient une intensité d'effet surprenante.
Il harmonise avec bonheur l'or des chevelures, l'émail des
épidermes, la richesse des étoffes. L'affinité de son art, synthé-
tique et violent, avec celui de Gauguin est évidente. Mais le temps
n'est pas loin, peut-être, où M. Fauché, maître de sa main et de
son œil, marquera.
Et c'est tout, pensons-nous. Depuis le vernissage, à ces trois
noms est venu s'ajouter celui de M. Henry De Groux, en reUrd.
.H. Camille Lemonnier lui a décerné un élogieux article dans le
Oil-Blns. Nous nous bornons à consigner ici ce succès d'un
compatriote à l'étranger.
Parmi les nouveaux venus, un très jeune homme, M. Herman
Paul, présente, en quatre panneaux de grandes dimensions, des
scènes de la vie de château d'une coloration chaude, non déplai-
sante, et d'une composition originale. Le début est bon el fait
espérer un artiste.
Quant aux pastels de M"-' Gyp, auxquels on fait de bruyants
succès, nous n'avons pu y découvrir qu'inexpérience et superfi-
cialiié.
"Petite chro/^ique
Un Mâle, pièce en 4 actes, par MM. Camille Lemonnier,
X. Barbier et J. DuboiSj.vient de paraître chez Tresse et Stock
en une brochure de iU pages. M. Camille Lemonnier a revu
soigneusement son texte, auquel il a donné les touches littéraires
définilives.
Le prochain spectacle du Théâtre-Libre, qui sera donné dans
la première quinzaine de juin, comprendra deux actes de
H. Pierre Wolff, un tableau de la vie militaire intitulé Lidoire,
par H. Georges Courteline, et Lawn-Unnit, un acte de M. Gabriel
Mourey.
Madame Lupar, de M. Camille Lemonnier, passera à la repré-
sentation suivante, huitième cl dernière de la saison.
M. Antoine compte ouvrir sa prochaine campagne thé&trale,
en septembre, par la Princesse Maleine de M. Maurice Maeter-
linck.
M. Jules Huret, qui poursuit dans l'Echo de paristoa inté-
ressante enquête sur l'évolution littéraire, a fait Je voyage de
Gand pour interviewer M. Maurice Maeterlinck. 11 lui a fallu, nous
écrit-il, deux jours, au lieu des quelques heures qu'il croyait
devoir consacrer sa h visite, pour pénétrer ce qu'il appelle « l'in-
curable mutisme » du poète.
On se rappelle que M. Maeterlinck, affolé par le tapage que
provoqua, l'été dernier, l'article de M. Octave Mirbeau, annonça
son départ pour l'Angleterre, afin d'échapper au reportage. C'est
grâce à ce subterfuge qu'il garda pode close. N'aime pas, décidé-
ment, la réclame, notre ami. T *• J r ' '• '
n » * ' »
Et voyez sa bonhomie : quand M. Antoine lui demanda la
Princesse Maleine pour le Théâtre-Libre, Maeterlinck lui écrivit
aussitôt que la pièce était it lui, et rien qu'à lui; qu'il lui donnait
le choix de la jouer ou de la garder dans un tiroir, pendant dix
ans. Et Maeteriinck nous disait : « Si H. Antoine me joue, je le
laisserai arranger la mise en scène comme il l'entendra. Je^
n'assisterai pas aux répétitions. Nous irons ensemble ii la pre-
mière, si vous voulez, en spectateurs, dans la salle. Je serais
curieux de voir l'effet que ma pièce produirait sur moi. »
Dans l'universel cabotinage de notre époque, cet exemple de
simplicité mérite d'être signalé.
lin jeune sculpteur, H. Puttcman», dont nous avons signalé
une belle œuvre au dernier Salon triennal, avait modelé en buste
une Princesse Maleine très suggestive. Le Comité d'admission
du Cercle des Arts et de la Presse ne l'a pas jugée digne de son
Salon! Elle aura occasion de reparaître.
Le concert donné dimanche à Tournai par VAttociation des
artistes musiciens, dirigée par M. Leenders, a brillamment réussi.
Les journaux locaux : la Vérité, l'Economie, le Courrier de
C Escaut, sont unanimes à féliciter l'organisation et ses inter-
prètes, parmi lesquels M"" Folville et Chainaye, M. Noté, les
compositeurs Blockx et Mertens ont été très applaudis.
Le comité belge de l'Association wagnérienne universelle y lenl
d'adresser à ses membres la circulaire suivante :
Monsieur,
Nous profitons de l'envoi de la carte de membre que vous trou-
verez incluse, potir porter i la connaissance de nos adhérents que
les demandes de places pour les prochaines auditions de Bayreuth
sont de beaucoup plus nombreuses que les années précédentes.
Nous engageons, en conséquence, les personnes qui désirent
se rendre à Bayreuth, à retenir leurs places dès maintenant. Il
n'est pas indispensable qu'elles les retirent immédiatement : il
leur suffira de les réclamer lors de leur arrivée i Bayreuth.
'"îi*^™^ -■ ■"' < • ■
Plusieurs de nos membres nous ont, k diverses reprises, demandé
les dales exactes des prochaines représentations. Nous les repro-
duisons ei-d«%MUi :
Partifal : 19, S3, S6, S9 juillet ; 3. 6, 9, 12, i6 et 19 août.
Tristan und Italie : SO juillet ; S et 15 août.
Tannhaïuêr : 3S, il, 30 juillet; 3, 10, 13 et 18 août.
Veuillez agréer. Monsieur, etc.
Le Secrétaire,
H. I..A Fontaine.
A pnopos des mâts électriques, nous recevons d'un artiste la
vive protestation que voici :
La Grand'Plaoe de Bruxelles est un chef-d'œuvre. On veut
déshonorer ce chef-d'œuvre par des mits électriques — {dee mât*
ttylités S. V. P.). Tous les artistes et hommes de goût proteste-
ront.
Ce malheureux et grotesque kiosque en fer forgé, flanqué des
futurs mftts électriques! ! — le comble du sacrilège et du ridicule.
Pourquoi pas rafraîchir les Van Eyck, les Rembrandt, les Rubens,
les Jordaens, et ajouter par ci par là une figure pour compléter,
pour achever
C'est absurde et abominable.
L'éclairage de la Grand'Place de Bruxelles? « Le toleil et la
lune », ardés par un modeste bec de gaz.
Plantez des mâts électriques devant les gares du Nord, du
Luxembourg et du Midi, et aux carrefours — là ils sont à leur
place, mais respectez la Grand'Place de Bruxelles, ce chef-d'œuvre
complet, t. S.
Ventes artistiques. — La vente Van Marcke, faite à la galerie
de la rue de Sëze, a produit 881,090 francs. Dans cette somme,
les œuvres de Van Marcke entrent pour 823,452 francs, et les
tableaux, dessins et aquarelles par différents artistes, pour
57,638 francs. — Ces prix sont ébouriffants étant donné l'artiste.
N'y anrait-il pas là dessous une manœuvre de marchands prépa-
rant la revente?
M. Engène Ysaye vient de terminer à Londres une saison qui
doit avoir été pour lui très fructueuse à tous égards. Le violo-
niste belge a fait véritablement fiirore dans les salons, et ses soi-
rées publiques ainsi que les matinées se sont succédé sans inter-
ruption.
M. Ysaye a produit également à Londres une de ses élèves,
M"* Irma Sèthe, à laquelle on a fait un accueil très encourageant.
Quant au jeune violoniste belge Jean Gérardy, depuis bien long-
temps aucun virtuose n'avait foit pareille sensation. Les journaux
sont unanimes à constater l'admiration qu'il suscite.
(Ouiie musical).
La direction des théâtres royaux de Munich vient d'interdire
aux artistes de donner suite aux rappels, soit à la fin d'un acte,
soit à la chute définitive du rideau. Des exceptions sont faites
pour les fétei jubilaires d'artistes bavarois et, à la fin du spectacle,
lorsque des artistes étrangers de premier ordre sont en représen-
tation. L'auteur d'une pièce peut se présenter au public à la fin
d'une première représentation.
«Voilà une bonne leçon donnée par nos amis les Bavarois au
cabotinage qui sévit parmi nous. Le respect dû aux œuvres d'art!
Quand donc l'observera-t-on en Belgique et en France avec la
dignité voulue ?
M. Henri Gaérard a ouvert, au théâtre d'Application, 18, rue
Saint-Lazare, à Paris, une Exposition de ses œuvres : eaux-forles,
panneaux au fer chaud, peintures, éventails. Cette Exposition res-
tera ouverte jusqu'au 10 juin.
Nous venons de recevoir la trente-sixième et dernière livraison
du Japon artistique. Ce bel ouvrage se trouve ainsi complet en
trois volumes qui renferment un ensemble de 400 planches hors
texte en couleurs, sans compter une foule d'illustrations dans 1r
texte.
Le Japon artistique présente ainsi le tableau complet de l'art
japonais, si nouveau, si charmant, et qui prend une place de jour
en jour plus grande à eOté des arts déjà connus et classés.
A la suite du Japon artistique, H. S. Bing annonce, pour
paraître prochainement, un grand ouvrage sur Hokusal, le plus
célèbres des peintres japonais.
Les Hommes iaujourihui (Vanier, éditeur), Ont publié un
excellent porlrail-cbarge de M. Edouard Dujardin par Louis
Anquetin. Le texte, par T. de Wyzewa, retrace fidèlement l'acliviié
littéraire de l'auteur A'Anlonia, qui fonda successivement la
Revue wagnérienne et la Revue indépendante et fit paralire une
demi-douzaine de volumes en prose et en vers, parmi lesquels,
spécialement, les Hantises et les Lauriers sont coupés.
Il y a quelque vingt ans, la critique française, férue de pein-
ture italienne, ne mettait les flamands que loin derrière Raphaël
et le Titien. C'est bien changé. Rubens est à la hausse. Tous ses
successeurs et ses prédécesseurs ont monté aussi. Voici Jordaens,
l'admirable artiste, le plus grand après le gigantesque Pierre-Paul,
longtemps taxé de grossièreté et de vulgarité, qui lui aussi est à
la hausse, (ormidablemenl. Le Guide de l'Amateur rappelle
qu'à la vente Rolhan, l'année dernière, on a adjugé à 55,000 fr.
le portrait d'un syndic que M. Rothan avait payé 2,500 francs
et que celui qui le lui avait vendu, M. Armand Frérel, s'était vu
adjuger pour dix francs en vente publique très peu de temps
auparavant. C'est ainsi que Thoré avait découvert Frans Hais.
Au moment où nous sommes, disait récemment M. Th. Child,
l'Amérique a sur l'Europe l'immense avantage d'être libre du far-
deau de l'admiration traditionnelle en matière d'art. Les murs de
ses musées sont pareils à l'or vierge dont on peut tirer également
des œuvres exquises ou médiocres, suivant l'emploi qu'on en
saura faire. Il n'est pas douteux que l'Amérique ait manifesté de
belles aptitudes esthétiques. Ses sculpteurs, en tête desquels
marche Saint Gaudens, ne sont pas à dédaigner. Des peintres tels
que Dannat, Sargent, Harrison et Abbey ont assuré un rang A sa
peinture en Europe. John Lafarge n'a pas de rival. Le mouvement,
en architecture, tant à l'est qu'à l'ouest de l'Amérique, est unique
à cette heure. Au point de vue des tissus, des meubles, de la
céramique, de l'orfèvrerie et de la verrerie, nous donnons déjà
mieux que des promesses. L'idéal pour noire nation serait de
rester elle-même, maltresse de son esprit, sincère et vraie — de
regarder avec méfiance l'art ancien de l'Europe, ou, pour mieux
parler, les anciennes réputations des Européens. Cet idéal serait
aussi de ne plus acheter par tradition, mais par conviction et
raisonnement et surtout, de ne plus remplir nos musées du
rebut de trois siècles d'art... (L'Art dans les Deux mondes,
14 mars 1891.)
«jJfaaiMifi"' 't 1 1 i-rrrnf i ■
L'j^I^T
ONZIÈME ANNÉE
L'ART MODERNE s'est acquis pftr l'autorité et l'indépendance de sa britiqùe, par la variété de ses
informations et les soins donnés à sa rédaction une place prépondérante. Aucune manifefltatioA de l'Art &«
lui est étrangère : il s'occupe de littérature, de peinture, de Boulpture, de gravure, dliMIWllIqne,'
d'architecture, etc. Consacré principalement au mouvement artistique belge, il renseigne nmaouAm ses
lecteurs sur tous les événements artistiques de l'étranger qu'il importe de connaifre.
Chaque numéro de L'ART MODERNE s'ouvre par une étude approfondie sur une question artistique
ou littéraire dont l'événement de la semaine fournit l'aotuallté. Les expositiotu^ les Uvnii nouveauœ, les
premières représentations d'oeuvres dramatiques on musicales, les conférences littéraire», \bb concerts, les
ventes dobjels dari, font tous les dimanches l'objet de chroniques détaillées.
L'ART MODETRNE relate atissi la législation et la jurisprudence artistiques, Il rend «o«apte des
procès les plus Intéressants concernant les Arts, plaides devant les tribunaux belges et étrangers. Les
artistes trouvent toutes les semaines dans son Mémento la nomenclature complète des eirbÇButons et
concours auxquels ils peuvent prendre part, en Belgique et à l'étranger. Il est envoyé gratjUtenient à
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paraittant le Jeudi et le dimanche.
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Le muméro : 26 centimes.
DmANOHB 14 Juin 1891.
L'ART MODERNE
PARAISSANT LB DIMANCHE
REVDB CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Comité de rédaction i Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
ABÔmfEMBNTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. —ANNONCES : On traite à forfait.
^ Adrester toutes les communications d
l'administration oénébale de l'Art Moderne, rue de l'Industrie, 32, Bruxelles.
^OMMAIRE
Enooêtk SDH l'Évolution littéraire. — Raymond Nyst. La
Création du Diable: — Musée dk Bruxelles. Tableaux gothiques
avec peintures tur les revers des volets. — L'Exposition allemande
A Lo^iDRBS. — Théathe-Librb. — Exposition des Beaux-Arts a
Li^B. — Memkmto DBS EzposrnoNS. — Petîte ch«onique.
EH0I1£TE SDR ItïOLDTION UTTERM
M. Jules Huret, de VÉcho de Paris, a eu l'ingénieuse
idée d'instituer une enquête sur l'Evolution littéraire
au temps présent. Il a rédigé un question'naire sur le
Romantisme qui s'est endormi, sur le Naturalisme qui
se couche, sur le Symbolisme qui se lève, et en a fait
la base d'interrogatoires courtois qu'il a prié les nota-
bilités littéraires françaises de subir et qu'elles ont subis
non seulement avec résignation, mais avec plaisir,
comme disait une jeune épousée. Depuis plus de deux
mois TÈcho de Paris publie -de très curieux et très
instructifs procès- verbaux qui ont Fintérêt d'un grand
procès*' se déroulant en public et où défilent comme
témoins des poètes et des prosateurs célèbres.
Ont, entreautres, été entendus: MM. Anatole France,
Maurice Barrés, Laurent Tailhade, Joséphin Peladan,
Paul Adam, Stéphane Malarmé, Paul Verlaine, Jean
Moréas, Charles Morice, Henri de Régnier, Charles
Vignier, Adrien Remacle, René Ghil, Edmond de Gon-
court, Emile ^ Zola, J.-K. Huijsmans, Paul Alexis,
J.-H. Rosny, Joseph Caraguel, Paul Bonnetain, Jean
Ajalbert, Lucien Descaves, Octave Mirbeau, Catulle
Mandés, Armand Silvestre, Leconte de Lisle, François
Coppée, Henri Céard, Paul Margueritte, etc., etc.
M. Jules Huret s'est aussi adressé à notre collabora-
teur Edmond Picard. Voici sa réponse, publiée dans
l'Écho de Paris de mercredi dernier avec quelques
mots d'introduction trop bienveillants, au gré de notre
collaborateur (1) :
Vous me faites l'Iionncur, Monsieur, de croire que mon
modeste avis pourra Cire de quelque utilité dans l'ingénieuse
information que vous poursuivez à l'Echo de Paris sous le
titre : Enquête sur l'évolution littéraire. Je n'en puis pourtant
juger qu'en étranger, en Belge, en Bruxellois, de fort loin par
conséquent, et sous l'impression de préjugés et d'erreurs d'autant
plus probables que si je suis fervent amateur d'art, «I quelque
peii écrivain à en croire mes amis, je suis avant tout, de famille
et de profession, avocat. Mais vous avez peut-être raison de
supposer qu'alors même qu'une appréciation formulée dans de
telles conditions sera fragile, elle n'en restera pas moins curieuse
comme chose exotique. Je me risque donc, enhardi par voire
flatteur encouragement.
(1) Quelques coupures ont été demandées et consenties four main-
tenir le document dansies proportions de la place réservée à M. Huret
dans l'Ècho de Paris.
*■- TifV trr'^fj ^i'.'' ,
eyUff^^^'S^^^t^
188
L'ART MODERNE
Vous me posez les queslions suivanles :
1° Où en est le Naturalisme?
a» Le mouvement Symboliste a alleinl la Belgique ; quelle en
est la portée, quel en est l'avenir?
3° Les personnalités littéraires belges?
En guise de veillée des armes, je viens de lire les quatorze pro-
cès-verbaux de votre Enquête, déjà.,publiés. Ils me laissent une
impression étrange. De vie d'abord, car vous avez réussi i mellre
admirablement en scène les hommes qui composent celle élile
littéraire dont les noms nous sont familiers, à nous Belges loin-
tains : Salve, Oallia, Regina ! D'effroi, ensuite, i cause de l'âprelé
des jugements de tous les personnages les uns & l'égard des
aulfes. Vraiment, votre Enquête est révélatrice d'une situation
que vous ne cherchiez pas à mettre en lumière. Vous vous deman-
diez : Où en est le Naluralismetoù enSst le Symbolisme? -^ et
voici que vous nous révélez où en est la fraternité littéraire i
Paris. Que d'animosités, grandsdieux! que de rancunes, d'amères
querelles ! quel acharnement dans les rivalités et de mauvais
vouloir réciproque. H m'a frappé, ce propos que vous a tenu
Zola : u Surtout, réunissez celte enquête en volume. Je tiens à
« avoir cela dans ma bibliothèque; quand ce ne sérail que pour
« conserver le souvenir de cette bande de requins qui, ne pouvant
« pas nous manger, se mangent entre eux. » Ce que quelques-
uns vous ont dit de nous, est modéré en comparaison des amé-
nités dont ils se gratifient entre eux, et fait pour nous calmer :
« Ils ont inventé le roman slave et le drame norwégien, sans
« compter le parler belge, qui est le fond même de leur âme
« littéraire. »
Certes vous nous aimez moins que nous ne vous aimons. On
écoute ici beaucoup la France littéraire. Jadis c'était avec la
préoccupation de l'imiter. Nous étions si peu, elle nous semblait
si belle! Désormais celte attention se contente d'admirer, car de
plus en plus nous nous efforçons ù faire sortir et à maintenir
noire originalité. Dans la question du Naturalisme el du Symbo-
lisme cette tendance se marque comme ailleurs. Vous l'allcz voir,
si mon parler belge ne trahit pas ma bonne intention.
Je parlerai d'après la généralité de ce que j'entends dire autour
de moi. L'évolution littéraire ne nous apparaît point comme la
destitution /radicale d'une forme ancienne par une forme nouvelle,
mais comme la substitution, dans le goût du public, des artistes
ou des esthètes, d'une préférence à une autre. C'est un peu la
modification des majorités dans les milieux parlementaires. Pas
de suppression des partis, mais un changement dans leurs pro-
portions et leur équilibre.
Pour ne considérer que ce siècle, le Romantisme a eu le dessus
longtemps; puis ce fut le lour du Naturalisme; maintenant
l'engoûment semble aller i une formule encore mal définie, dont
on groupe les forces embryonnaires sous l'étiquette Symbolisme.
Hais ni le Naturalisme, ni le Romantisme, ni toutes les antres
formes littéraires dont on retrouve l'époque brillante en remon-
tant l'histoire, ne sont pas abolis. Diminués ou diminuant, oui;
destitués de l'importance prépondérante et, d'après moi, déme-
surée qu'ils ont eue au temps de leur éruption, oui; mais
supprimés, jamais ! réduits à des proportions normales, mis à
leur rang, nettoyés de leurs exagérations, classés (d'où vient
classique) el prêts à servir (ceci est l'essentiel) il tonl homme de
génie, voire de talent, à qui il plaira, n'importe quand, de les
reprendre pour en faire les règles directrices d'une grande
œuvre.
Je ne puis donc comprendre ces affirmations de ta plupart de
TDS interviewés : Le Natoulisiib ist fini, b»n PÎHII qu'en ce
sens : Le Naturalisme n'est plus le préféré; il a fait son temps
comme école dominante; il a en .tout l'espace qu'il fallait pour
son épanouissement; l'esprit changeant du public en a été saturé,
en est las, el demande autre chose ; qu'on fasse son bilan ; qu'on
balance son actif el son passif; qu'on fixe ses caractéristiques, cl
Ju'a son lour, ainsi ventilé, il devienne classique, ne pouvant
lus désormais servir, sans paraître odieux, aux médiocres pas-
ticheurs, mais toujours prêt pour les artistes supérieurs, même
pour ceux qui, chefs actuels de son école, auront les muscles
assez forls et le souffle assez puissant pour gravir au sommet de
quelque chef-d'œuvre.
Donc un autre numéro-programme. Toutes les rumeap,
tontes l«> tentitlW, Tés'MdkraliaiâlI^lUè^aiïc^sYr^Vrs'
ne sont que l'expression de ce besoib. L'évolution littéraire, après
avoir tourné sur place (avec quelle magistrale puissance 1) depuis
quarante ans, avance de nouveau.
Où va-l-elle? Devant, pareils aux curieux enveloppant de leur
nuée la musique d'un régiment en route pour une destination
inconnue, courant -et gambadant, en une variété infinie, les nova-
teurs, les essayeurs : décadents, déliquescents, symbolistes, ésolé-
riques, verbol&tres, magisles, instrumentistes, impressionnistes,
néo-réalistes... Oh! quelle armée de Xercèsl Et chacun brandit son
fanion, en criant : A moi I par ici I Voici l'art neuf! Au gui l'ari
neuf!
Ce qui est singulier, c'est celle colère concentrée, celle sourde
fureur avec lesquelles les adeptes d'unç école parlent de l'école
voisine. Quoi! vous avez cette chance, grâce k l'extraordinaire
fécondité de voire ime française, d'avoir le clavier complet, d'une
admirable variété. Et voici que chaque secte jalouse ses voisines cl
les vilipendent. Et quand le morceau littéraire que joue le destin
emploie plutôt les basses que pintdl les hautes, les hautes s'irri-
tent et réciproquement. Réjouissez-vous, notes de compagnie,
d'avoir toutes les cordes. Ah 1 comme on vous envie !
C'est de celte confusion que sortira, peu ii peu formé, avec
son chef et ses cadres, un mouvement ayant l'unité et la puissance
du Romantisme et du Naturalisme : l'Ecole nouvelle! encore
mystérieuse. Jusqu'ici c'est l'école de peloton, chaque sergent,
avec ses hommes, dans un coin du champ des manœuvres.
Dès a présent pourtant, quelques linéaments transpercent dans
celte gestation, qui n'est pas à terme.
D'abord la haine des formules académiques el normaliennes
qui avaient essayé d'imposer un Code de l'art lilléraire. tin effréné
et salutaire besoin d'originalité; un mépris de l'imitation; l'obli-
gation stricte imposée & cbacAin d'être soi-même sous . peine de
n'être compté pour rien. De là cet éparpillement en sectes innom-
brables, ces tentatives souvent bizarres, ces coups de sonde dans
l'imprévu, déconcerlant el désespérant les orthodoxes. De lit
aussi, pour n'en pas citer d'autre exemple, cette rupture avec les
règles de la versification classique, cette mise en pièces des prin-
cipes scoiasliques sur la rime, la césure, la métrique, la symétrie,
et l'éclosion de celte poésie qui ne cherche que l'harmonie, le
rythme, le musical, le charme de l'idée mise en équation avec
une forme heureuse.
Ensuite, le besoin d'enrichir la langue, désormais insuffisante
pour exprimer les raffinées nuances de la vie contemporaine, de
notre ime aryenne arrivée k un paroxysme de complication.
Parmi les étranges et infiniment multiples transformations en les
Wl'r-'^' '-
L'ART MODERNE
189
quellei M fondent ton» le» décora de notre civilisation, qu'est-ce
qui se mnifeniw pluf étrangement que notre pensée humaine,
que notfe eerrelle humaine et sa production de sentiments et
d'idéiea? Tout y craque, tout y casse, et du fumant remaniement
des débris sort un agencement, sur nouveaux frais, prodigieux
en ses imprévus et ses détails. Un pullulement! Un fourmillo-
menl I Comme nous sommes loin de la pensée calme et mesurée
des hommes qui ont décrété la langue claire, simple et forte du
dix-huitième siëclel Efforts donc pour nous rendre les expres-
sions pittoresques de Ronsard et de Rabelais. Efforts pour créer
des mots nouveaux, ingénieux, sonores ou tendres, expressifs
toujours. Que de trouvailles en ce genre réalisés par cet admi-
rable Jules Laforgue dont se sont si peu souvenus la plupart des
témoins de votre Enquête!
EnQn (pour ne pas trop prolonger) il y a une visible tendance
I à dépasser les bornes visibles.de (a réalité, dans lesquelles
le Naturalisme prétendait si étroitement se confiner. Ici surtout
apparaît une face de la question li laquelle pourrait s'appliquer,
sans trop d'inexactitude, ce mol vague : Symbolisme. On veut un
art qui fasse penser, qui toit luggatif. Ceci répond il ce phéno-
mène, interne, mais si réellement réel en notre âme : le prolonge-
ment des réalités par le rêve. T(ous ne voyons rien tel que c'est.
Il faut un étrange effort d'abstraction, et jamais réussi, pour
dépouiller les choses de ce qu'y ajoute notre incompressible
imagimatiOD;ences jours présents surtout, où l'humanité aryenne
semble ne plus vouloir penser qu'en images et allégories, ajoutant à
toute réalité nn dédoublement mystique, une flottante auréole de
mystère. Celte inclination de nos cerveaux, séduisante et expres-
sive faiblesse, les artistes nouveaux veulent y faire droit : l'art,
disent-ils, doit l'exprimer, puisqu'elle est en nous et nous charme.
L'art qui la néglige est un art mutilé. La nature existe pour nous
non pas telle qu'elle est, mais telle qu'elle nous apparaît, telle
que nous la sentons, que nous la recréons, que nous l'habillons
de nos fantaisies, cruelles ou douces, fantastiques surtout.
L'artiste doit le dire. Il doit, dans les âmes moins actives que la
sienne, moins fécondes, susciter par la dextérité de ses rêves,
d'autres rêves. Son rôle est de mettre en effervescence, au plus
profond des autres, l'organe où s'épanouit, en sa divine jouis-
sance, LÀ. SENSATION AiiTiSTiQDK. Il ne saurait le faire pleinement
s'il se borne â la morne et sèche réalité !
Une versification plus simple, une langue plus riche, et l'imma-
tériel auréolant constamment la réalité, voilà quelles seront,
d'après moi, les dominantes de l'art prochain, qui, émondaot les
exagérations et les bizarreries de l'heure de transition présente,
régira pour un temps l'empire lilléraire. Cela se nommera Sym-
bolisme, ou... comme il vous plaira. Et peut être, par lassitude
du roman dont on est exténué, s'appliqucra-t-on à l'histoire;
car scientifiquement cl psychologiquement et littérairement l'his-
toire est â refaire, savez-vous?
Il me reste il répondre i votre troisième question : les person-
nalités littéraires belges. Elles sont actuellement très nombreuses,
presque tous des jeunes. Tenez compte que le patriotisme (qui n'a
pas son grain de chauvinisme!) m'illusionne, et prenez pour ce
qu'elle vaut celte déclaration : que je ne crois pas, toutes propor-
tions gardées, qu'il y ail n'importe où un mouvement d'art aussi
intense, aussi sincère, aussi indépendant que dans notre petite
Belgique. Et nos littérateurs ne se dévorent pas entre eux I Des
jeunes, dis-je ; oui, vers les voies non ouvertes, tâtonnant, frappant
les parois pour trouver les issues. Sans parti-pris, cherchant non
pas qui ils imiteront, mais comment ils se découvriront et se con-
querreroni eux-mêmes, très attentifs au mouvement français, mais
redoutant le vieux et cruel reproche de le pasticher. U-y a des
groupes, chez nous, mais guère d'écoles. Les plus disparates
fraient, n'ayant de commun que le même besoin de f.ire de
l'art.... chacun ii sa manière, fraternellement. S'il y cul jadis
quelques querelles, ahl comme elles sont apaisées!
Des noms? A quoi bon ! Que vous diraient nos noms, lanlôl,
pour vous, baroquement flamands, tantôt wallons. Je vou-
drais n'omettre aucun de ces modestes vaillants et alors... ce
serait long. De vous-même vous êtes parvenu à entendre ceux de
Camille Lemonnier, de Georges Rodenbach, de Maurice Maeter-
linck. Je pourrais y ajouter Emile Verhaeren, Albert Giraud,
Georges Khnopff, Charles Van Lerberghe, Grégoire le Roy, Fer-
nand Severin, Raymond Nyst, et d'autres, et d'autres 1 Mais je
préfère attendre qu'ils parviennent jusqu'à vous au petit bon-
heur (1).
Edmond Picard.
R„A.'5nj:o3srr) isrsrsT
La Création dn Diable, à Bruxelles, chez Henbi Kistshaickebs,
pet. in-8» de 142 p. , 1891, 125 ex.
En notre année 1889, nous avons parlé une première fois de
M. Raymond Nyst, p. 238, très élogieusemenl, avec l'entrevu
d'un bel avenir littéraire. Voici que ce Belge publie une nouvelle
œuvre, infiniment remarquable, dont, il est vrai, ni le titre, ni
l'illustration du titre ne répondent an contenu. On dit couram-
ment que c'est l'éditeur, se croyant très malin pour attirer l'ache-
teur, qui a inspiré cette qualification : la Création du Diable.
Tant pis pour l'auteur s'il s'est laissé faire.
Mais parlons du livre. Il dénonce un extraordinaire styliste au
service d'un rêveur d'apocalypses. La coulée des rêves étranges et
des phrases d'admirable coloris est abondante et brûlante comme
la lave. Images imprévues et superbes, descriptions d'une
intense ampleur décrivant des scènes fantastiques et des paysages
étranges, allégories bizarres et saisissantes, traînant avec elles un
cortège de pensées, suscitant l'étonnement et l'angoisse.
Cette œuvre, après l'éblouissemcnt , des mots, impose la
réflexion et la recherche d'une énigme. Il faudrait une longue
méditation pour résoudre son mysticisme et le concentrer en
quelque exposé bref et net. Elle n'est pas de celles dont on
dégage le sens profond â première lecture; elle va, dans le hruit,
le cliquetis, les rayons et le mysière, sonore et compliquée, â
chacun de ses pas suscitant un effroi ou un doute. Elle a la gran-
deur, h splendeur et l'obscurité. A peine pouvons-nous dire, après
la superficielle étude à laquelle nous condamne la vie haletante,
toujours poussée, bousculée en avant, sans repos, ni trêve, ni
halte suffisante pour savourer et discerner, qu'il nous a semblé
que l'auteur a voulu symboliser, en un d('cor unique, changeant
en ses détails, la série des grands vices humains, les vices capi-
taux, portant ces grands noms terribles : Luxure, CoJèro,
Orgueil..., roulant leurs horreurs et leurs misères dans le torrent
impétueux et lourd d'un fleuve funèbre, «vision d'apothéoses, de
débâcles, de symboles». Du reste le voici ; voici aussi le style, la
pensée, l'Écrivain :
(1) J'avais spécialement indiqué Qeoroes Eskhoud et Iwan
OiLKiN. J'ai été étonné de ne pas les retrouver dans TÊcho de Paris.
■: ■■ «^ ^y^'^'t^TPii'^-^Wy^'P^^-' '
190
UART MODERNE
« Le fleuve ne coulait pas de l'eau, majeslueusement lenl
il roulait la vie et les choses de ces villes immenses : faste
éclatant des ors, morbides couleurs des soies, multicolores
regards des fascinants bijoux, décors pompeux, caprices lascifs
des luxes, aphrodisme et vicialc névrose des arts, spasme et
luxure des enlacements stériles. Au soleil, lourdement, il pousse
l'encombrement de son cours ignoblement pulride,[épais et gonflé
du suc précieux des mondes futurs, bossue du remous des suin-
tantes carcasses fcrmentées dans la boue des charniers ; d'entre
ces détritus de pourritures d'hommes et de bétes, ces excréments,
ces eaux immondes, parmi d'écœurantes guenillesjde pauvres et
des nourritures risibles, au milieu des larmes, du sang, des corps
broyés — comme une jonchée de fleurs aux contours fragiles,
immaculées et royales, surnage l'émergement des vices aux prodi-
gieuses couleurs : verts comme émeraudos et cadavres, d'un vert
orgueilleux et attirant, d'un vert de gibier et^de fromages mûrs ;
vert tragique et sévère des bronzes sombres ; vert pSle et tendre
des bourgeons : veris des corruptions et des renaissances : le vice
jeune et le vice vieux, le vice des vierges, des femmes et des
vieillards; le vice délicat et suprême, verdeur faisandée; le vice
qui raffine, le vice adorable, juanesque, le vice serti dans la race
et la grùcc patriciennes comme la pierrerie dans sa grifle d'or;
des tentations rouges fulgurenl en lèvres tendues de courtisanes,
en langues florentines éperdftmcnt dardées et des seins nus
frémissent dans leur moite peau blanche ; la pourpre superbe des
tyrans flotte étendue, nageant comme ;un radeau, parfois aussi
large que le fleuve, qu'elle fait ployer du poids flatteur de ses
forfaits; vivement rougoient la craintive perversité des juvéniles
prostitutions; surgit le rouge sombre des vins et des ivresses, la
profanation des viols et des assassinats]; flamboient les couronnes
de gloire, les fards d'actrices, le sang qui perle d'une morsure de
rut : celte débâcle sort du fleuve immonde, en épanouissements
radieux, méduses bombant le cristal coloré de leurs disques
frangés, bulles croupissantes de marais irisées finement de pris-
matiques féeries, bouts de fantômes insolents vêtus d'éclat et de
soleil, idéales fragilités ancrées d'une vie tenace et incorruptible;
regards sûrs et immobiles de sphynx, aux paupières inutiles sur
des yeux avides impudiquement ouverts : ainsi qu'une femme,
pour le triomphe de sa beauté, enlève ses vêtements et séduit au
halètement de ses seins et de son ventre nus la continence du
m^ique, de même ces vices subjuguaient ma vertu. »
>f/[v^tE DE ;pRUXELLEp
Tableaux gothiques avec peintures sur les revers
des volets.
La collection des peintures gothiques du Musée de Bruxelles
est des plus précieuses.
Le catalogue oflicici renseigne trente-et-un numéros ayant des
volets sur les revers desquels les auteurs ont continué leur œuvre.
Ils y ont représenté, en grisaille ou autrement, soit un dévelop-
pement du sujet principal, soit des attributs variés, soit les por-
traits des donateurs du tableau, en y ajoutant généralement les
armes de ceux-ci. Ces revers étaient primitivement visibles en
temps ordinaire, tandis que le panneau principal et les volets
intérieurs ne l'étaient que pendant les grandes cérémonies. C'est
ce qui explique pourquoi les peintures des revers étaient presque
aussi soignées qoe les panneaux principaux. On peut donc affir-
mer que ai le panneau principal avec le* volets intërienn est jugé
digne d'être exposé dans un musée, il en est de même des revers
et, dans ces conditions, on se demande pourquoi ils sont destiné*
à rester dérobés aux regards du psUic.
La plupart des personnes ignorent leur existence. Celles qui la
connaissent ne peuvent les étudier qu'en ayant recours k l'obli-
geance épuisable des huissiers. Aussi ces peintures restent cacbées
au grand détriment de l'bisloire de l'Art.
Il est inutile de démontrer qu'il serait de la plus haute impor-
tance que ces revers soient visibles en tout temps, non senlement
au point de vue purement artistique, mais encore au point de vue
de la compréhension de sujets quelquefois obscurs, de la conser-
vation même de ces œuvres, de l'accroissement sans frais de la
collection et enfin des recherches en vue d'arracher b l'œuvre le
nom de son auteur. ' i
Plus de la moitié des tableaux gothiques de notre Musée sont
rangés dans la catégorie des maîtres inconnus. Parmi ceux-lii il en
est beaucoup qui possèdent des peintures sur les revers des
volets. 11 faudrait, pour ceux-là, que l'œuvre entière puisse être
embrassée d'un seul regard.
A cet effet, les volets devraient être sciés dans leur épaisseur. Il
ne s'agit pas ici d'une innovation, mais simplement d'une applica-
tion plus étendue de ce qui s'est fait pour le n» 41 , de B.VanOrley,
et pour le n° 11 5, d'un auteur inconnu. Le catalogue dit k propos
du n° 41 : « H. Nieuwenhuys, à qui le Uiptyque a appartenu,
ayant fait scier les volets dans leur épaisseur, les cinq comparti-
ments de l'œuvre se trouvent juxtaposés et sont embrassés d'un
même coup d'œil ». Pour le n° 115 : « Ce tableau était peint au
revers du n° 114. On a séparé les peintures en sciant le panneau
dans son épaisseur ».
L'énumération seule des auteurs indique qu'il s'agit d'un
travail important. 11 est entendu que le travail ne se ferait que si
l'épaisseur des panneaux était suffisante. Si les panneaux ne
l'étaient point, des mesures devraient être prises pour que les
volets soient visibles de chaque cOté.
CATALOGUE OFFICIEL. — Auteurs connut.
N° S"». J. Bosch. — Triptyque avec revers en grisaille.
7. J. Van Coninxio. ■ — Triptyque avec revers en tons
divers.
8. Id. — Panneau avec revers en grisaille.
9. Id. — id. id.
10. Id. — id. id.
11. Id. — id. id.
19. J. et H. Van Eyck. —, Deux panneaux avec revers eh
tons.
24. J. Gossart. — Triptyque avec revers en grisaille.
25. J.Grimmer. — Id. id.
26. M. Van Heemskerck. — Triptyque avec revers en tons.
31. J. Memling. — Triptyque avec revers en grisaille.
38. Q. Metsys. — Id. id. en tons.
39. J. Mostaert. — Deux panneaux avec revers en tons.
40. B. Van Orley. — Triptyque avec revers en grisaille.
41. Id. — Id. id. sciés.
44. Id. — Deux volets avec revers en grisaille.
44". Id. — Id. id.
232. M. Coxcie. — Triptyque avec revers en tons.
L'ART MODERNE
191
4il
1«3.
416.
(armoiries et noms).
id.
Auteur» incmmu*.
67. Voleb arec revetv en grisaille.
88. Triptyque id. id.
94. Voleii id. id. (portraits).
98. Triptyque aVee revers.
400. Portrait de Philippe-le-Beau avec revers en grisaille.
lOi. Id. Jeanne-la-Folle id. id.
105. Triptyque avec revers eu grisaille.
Id. id.
H. id.
Id. id.
ISO. Panneau id.
187. Volets avec revers en tons.
442. Id. id.
447. Panneau id.
Parmi les tableaux d'auteurs connus, on remarque :
Le n» 49, de J. et H. Van Eyck, deux volets détachés de la
célèbre Adoration de Gand.
Leno 34, de J. Memling.
Le n» 38, de Q. Melsys.
Le n» 40, de B. Van Orley.
Parmi les tableaux d'auteurs inconnus, le a° 443 est très inté-
ressant, a. La peinture, en détrempe, a presque entièrement dis-
paru, sans doute par l'effet de l'humidité des murs contre lesquels
les tableaux s'appuyaient dans l'église d'où ils provienneot origi-
nairement; il ne reste plus que de faibles traces de couleur; mais
le dessin et tout le travail préparatoire sont visibles, ce qui
rend ces morceaux particulièrement intéressants au point de vue
de l'histoire de l'art. »
Il paraît que le sciage des panneaux se fait assez facilement et
que le coftt en est peu élevé.
L'Exposition allemande à Londres
Correspondance particulière de l'Art moderne.
Tous les ans, à Earl's-Courl, une exposition, soit américaine,
soit française, soit autre, s'ouvre durant la saison londonicnoe.
Celte année, c'est la Oerman Exhibition. L'affiche en est jolie.
C'est môme la seule, avec celle de l'Enfant prodigue, qui vaille la
peine d'être regardée, pour l'instant, sur les murs à papiers et à
réclames de Londres. Les autres, parfois amusantes à cause de
leur boniment qui sort en banderoles de la bouche d'un bour-
geois attablé devant une bouteille de sauce ou de leur extraor-
dinaire barnumisme tricolore vert, rouge et ocre, ne valent guère
comme art. Depuis quelques années déjà, l'affiche américaine
s'atteste supérieure en ce genre tapageur et violent, où les cou-
leurs doivent crier et les sujets et les dessins vous arrêter brus-
quement, comme si vous receviez un soufilel que vous ne pouvez
rendre. L'affiche, suivant les Américains, doit élonner et pour
étonner, détonner. L'affiche anglaise est plus calme — trop
calme.
La Oerman Exhibition est peuplée d'échoppes où l'on chanie,
de boutiques où l'on vend de l'eau de Cologne et de petits bars
où l'on débile du vin de Moselle. L'après-midi et le soir des Bava-
rois et des Prussiens, dans la piste où jadis manœuvrait Buffalo,
font des manœuvres et des exercices miliiaires, et l'on joue ou
l'on jouera la Passion, avec la troupe d'Obcrammergau, dans une
aile da grand hall. Ceci est comme une profanation d'une simple
et niilve chose belle.
L'art industriel allemand qui s'étale à Earl's-Courtest loul sim-
plement un itlenlat jiu goût public. Cela devrait être puni comme
un outrage aux moeurs. Tout ce que Berlin renferme de bronzes
hideux, de sculptures veules, de cuivres criards, de meuliles
lourds, de céramiques outrageantes, de pintes et de brocs mir»-
culeux de hideur est là, sur de la peluche et de la loile cirée,
rangé par étages aux montres des tréteaux et des comptoirs. Ne
passons pas — fuyons.
Lîi bas, s'ouvre le Salon des beaux-arts. Les officiels autant
que les anlres ont donné. On se trouve en présence d'une mani-
festation complète de la peinture allemande : Munich, Dusseldorf,
Berlin.
Et voici d'abord le professeur Anton von Werner, non pas le
Fritz Werner qui imite, dans sa Lecture intéressante et son iSa»^-
touci, touche par touche et ton par ton Meissonnier, mais l'offi-
ciel et très bourgeois peintre pour les cours et les grands person-
nages. Son actuel envoi : le Quatre-vingt-dixième anniversaire de
la naissance de Ouillaume I" est d'une médiocrité soignée,
propre, patiente et lisse. Cela est peint avec une habileté lourde,
pbolographiquemcnt exact, mais quels yeux do grenouilles éton-
nées le respectable professer a-l-il donné aux fils de l'empereur
actuel! Toute cctic scène semble non pas être irailée pour un
empereur, mais pour de braves bourgeois, prolixes do famille,
qui se sont réunis dans le « salon », afin de célébrer une fête à
point fixe et à jour fixe, comme il convient que de telles fêtes se
présentent et se célèbrent chez des gens iradiiionnellement bien.
Menzel voisine avec von Werner. Un lout petit quadro, épa-
nouissement de couleurs nombreuses, comme un bouqucl. Pein-
ture fine et de ragoût : la Fin du Bal. Plus loin la Vue du Parc
du prince Albert de Prusse, qui fait songer à un Heilbulh. Pein-
ture parisienne d'il y a vingt ans, mais apparaissant parmi les
numéros voisins comme une page bien écrite, en un cahier de
salissures et de taches d'encre.
Lembach. Non plus des esquisses comme aux Portraits du
SiMe, à Bruxelles, mais de vrais portraits dccroclics des murailles
des destinataires. Le côté caricatural apparaît beaucoup moins cl
le caractère rcsle. Qu'on dise : cette peinture saucée, marmehi-
deuse, visqueuse, c'est possible; cela n'empêche que, préscnléc
ainsi, la coUeclion des Bismarck, Moilke, Gladstone, Frédéric I",
Ouillaume /"n'ait grand air. Ici du moins on sent quelqu'un qui
comprend et sait exprimer une pensée, et lui donner son altitude
plastique. Même voici un quadro : Doellinger, où l'art s'affirme
très pénélramment. Ce que le peintre a mis en celle savante et
polémiste physionomie de sournoiserie, de jêsuiierie el de
vague effroi, ce que celle lêle sent b bouquin el les in-folio, com-
bien celle peau est tannée à l'élude, est difficile ^ dire. II faut
voir.
Non loin de là, Kraus : la Première Réception. Le peintre reste
fidèle à ses sujets, jadis si aimés. Ce n'est plus le petit gamin qui
compte ses sous, ni le gavroche qui fait une farce à un vieux ;
c'est l'accouchée qui dans son lit reçoit les commères du voisi-
nage. Peinture déjà démodée, mais où du moins les tons font hou
ménage el ne se donnent pas de coups de poings.
Au reste, le genre continue à fleurir comme par le passé dans les
écoles allemandes. Tout Dusseldorf concourt à qui fera le mieux
sourire une grand'mère le jour de sa fête ou à qui peindra le
mieux les regards en coulisse des héritiers dans une chambre mor-
!.,.,.'r-fl-.-^>Jgj^-l^^
tuaire, ou à qui fera la plus bêlement sourieuse tête deTyrolienne.
Et il cette fin se mettent sur les rangs Bokelman, Dofregger, VaOtier,
Hcyncn, Schlabiz, etc..
Voici encore des portraitistes. Koner qui a eu la faveur de
peindro. Guillaume II et a commis une œuvre théâtrale et
vulgaire; le direclor J.-A. von Kaulbach, dont la peinture devrait
garnir les frises des musées de province; Sicliel qui plagie ou du
moins semble plagier Herbo ; et le professeur G. Ricbler, qui s'est
peint lui-môme à mi-corps dans une fenêtre ornée de pampres et
tenant son fils dans ses bras. Sujet de sculpture pour les panneaux
des meubles de Matines, art si fondamentalement commun et de
guinguette, qu'on s'imagine difficilement qu'en dehors de l'enseigne
ce professor puisse enseigner quelque chose.
La peinture allemande subit trois influences : celle des pein-
tres du Salon de Paris, celle des hollandais commandés par
Isracii et celle des impressionnistes d'il y a dix ans. Ces dernier*
sont suivis surtout par Kuschel-Hax de Hambourg; les seconds
ont abouti à la Hollande, mais en passant parUhde et Lieberman,
ce sont : Théodor Grust, Hartman Karl, Hermann Hans, Hugo.
Vogel, Kricheldorf Karel, etc.; les premiers sont disséminés il
travers l'Allemagne et imitent l'un Bastien-Lepage, l'autre Béraud,
un troisième Leioiret Gœnctte, etc. A quoi bon citer leurs noms?
Quant aux vieux de la vieille garde du paysage dusseldorfîen
et munichois et même berlinois, ils sont encore presque tous pré-
sents : Munthe, Slremel, Schlcich, Lindlar, Kameke, Escke.llsconli-
nuent à peindre les rochers chocolats et soufflés; les eaux jaunes
et brunes ; les verts et déteints comme trempés en des lessives
vieilles de quinze jours. Leurs couchers de soleil sont carameleux,
leurs ciels boueux et leurs terrains semblent faits avec de la terre
glaise.
On sortirait de la « German Exhibition » sans une seule impres-
sion, n'était Lembach ei surtout une toile intitulée : OraniMère
et petits enfanU, nullement sujet de genre, mais au contraire
sérieuse, fouillée, profonde et grande comme s'il reprenait,
M. Haider Cari, les Iradiiions d'Holbein ou de Cranach.
THÉATRE-LlBRE
VII» Spectacle de 1890-91 : 8 juin, Paris.
[Correspondance particulière de /'Art hodernk.)
L'amour de M"" Cécile Darnay est le lot de de Nairesse.
Quant au capitaine Darnay, il a dès longtemps perdu toutes pré-
rogatives. Or, ce soir-là, comme il sortait pour retrouver une
goton d'Alcazar, Cécile lui barre le passage, le supplie de rester,
s'offre. Et k de Nairesse, qui arrivait lout effervescent, elle refuse
l'habiluel rendez-vous nocturne. Le motif de ces insolites façons,
elle l'indique à l'amant et au public : je suis grosse. — Dans ces
Fourches caudines Ai }\. Maurice Le Corbeiller, tous sont absurdes.
Du moins le capitaine est-il absurde sans barguigner; mais les
autres, Cécile, l'auteur, de Briac, de Nairesse... On n'a guère cru
à ces personnages verbeux, emphatiques, étonnés de rien.
Leurs filles. — M. Pierre Wolff n'a pas voulu faillir tout à fait
aux promesses incluses dans ce tilre à la Barrière : donc, si Loui-
selle s'évade du couvent, ce n'est pas seulement par désir hérédi-
taire de faire la fêle, mais aussi pour échapper aux rires de cama-
rades qui ont appris quelle hospitalière profession exerce sa mère,
cl (|ii;ind celle mf're si^rmonnc lumuliucuscment Louiselle, c'est
moins par comique dépit de voir que ion projet d'être honorée
dans sa descendance rate que parce qu'elle eût voulu prétenrer de
toute salissure son enfant chérie. De tels effets ont été tant exploi-
tés au théâtre qu'ils ne sont plus qu'ennuyeux. Enauyeux ou
pathétiques, il est inadmissible qu'ils viennent païaudement attris-
ter par places une pièce bouffe. — Ces deux actes se meuvent
vite, ils sont fertiles en mots élastiques, en gaies collisions : fort
bien faits, bref. Ils ne contiennent aucun nouvel élément d'art, et
ces situations, ces réparties pas un instant n'étonnent.
En cinq minutes et funambulesque, le Liioire (soldats, sous-
oSs, un trompette), de M. Georges Courteline, eût été amusant.
On l'a joué avec un solennel naturalisme et dans un décor exact.
F,
Exposition des Beaux- Arts à LMg»
(Corretpondanee particulière de l'Aet modbkhi.)
Nous avons eu un Salon it Liège, et ce au généreux mois de
mai.
Il n'a pas fait grand bruit, ce Salon, et n'en devait pas faire.
Elles n'avaient en elles rien de tapageur, les pauvres toiles vieil-
lotes qui, dans le jour gris de la salle de la Société d'Ëmulalion,
dormaient du morne sommeil des dépérissants.
Et que dire d'artistes — tous Liégeois — qui, dédaigneux de la
lumière, sans intensité d'expression, indifférents k l'évoluiion
artistique de l'époque, refont ce que d'autres ont fait, et ont fait
beaucoup mieux, il y a quelque trente ans?
Ils sont pénibles à voir, ces portraits, qui plus ou moins exac-
tement reproduisent les traits des quidams à qui on a tout donné,
sauf l'expression de vie.
Elle est pitoyable, Mlle galerie de paysages sans soleil, sans
lumière, sans horizon, où tout se fond dans de confuses teintes
grises.
Et ces bronzes et ces plâtres — qui révèlent une certaine habi-
leté, on dit N. de Halhelin nouvellement initié — sont si dépour-
vus d'originalité, qu'ils commandent le silence. Son Coq de combat
— un bronze — est cependant bien campé, ne manque pas d'al-
lure.
Signalons d'aimables eaux-fortes de M. de Baré.
Des huit artistes exposants, dont sept peintres et un sculpteur,
retenons deux jeunes peintres : MM. Auguste Donnay et Emile
Bcrchmans, qui semblent moins ignorants de la vie et moins
dédaigneux des voies nouvelles.
M. Donnay n'expose que des dessins et de petites aquarelles;
mais ses dessins sont vigoureux et dans ses aquarelles, délicates
de teinte et de touche, l'air circule pleinement, la nature vit de
son intense poésie.
L'envoi de M. Bcrchmans est considérable. M. Berchmans a
touché â tous les genres. Souvent de louables intentions, ses per-
sonnages ont de la physionomie. Au moins n'est-ce pas un endor-
mi, il travaille, il cherche et il est jeune. Son trypiique est d'une
belle conception ; c'est un dessin très finement exécuté et comme
ligne et comme composition. L'œuvre est suggestive, mais bien
littéraire et quelque peu dans la manière de Félicien Rops. Elle
nous a plu beaucoup.
W^^j^^^^-'^W >'
L'ART MODERNE
193
Mémento des BxpositloiiB
Doiui- Cambrai. — 13-31 juillet ii Dooai, 15-31 août i
Cambrai. Délais d'envoi : notices, 35 juin; œuvres, 4 juillet
(dépdt i Paris : Dupuy-Vildieu, rue de l'Échiquier, S-8). Rensei-
gnemcDls : ttcrélaire de la SociéUdet a Amis des Aru de Douai-
Çambrai ».
• Maunbs. — 37* Exposition des Beaux-Arts. 38 juin-30 juillet.
Délai d'envoi : 15-30 juin. Renseignements : Commission direc-
trice, aux Halles, Grand'Place, Malines.
Spa. — 30* Exposition annuelle des Beaux-Arts. 5 juillet-fîn
septembre. Délai d'envoi : 5-35 juin (notices avant le 15 juin). —
Renseignements •.Albin Bovy, président de la Commission direc-
trice, rÛecIfttne'-Spia. "■ - . ■
Petite chrojiique
Miss Helyetl est devenue centenaire sans rien perdre de sa
jeunesse, de son entrain et de sa gaieté. Incarnée par M>i° Zoé
Tilma, qui joue avec beaucoup d'esprit et d'humour le râle de la
fantasque Américaine et dont la voix est fort agréable !i écouler,
voici l'amusante opérette de MM. Audraa et Boucheron repartie
pour une nouvelle série de représentations. Les auteurs ont été,
à cette « centième nmémorable, fleuris, acclamé!), rappelés, acca-
blés de palmes enrubanées. Les interprèles ont reçu des charretées
de fletirs et l'on a généreusement fait même succès à tout le
monde, aux nouvelles recrues comme aux anciennes connaissances,
il M'^Burdinne et Raimbaud comme à MM. Villard, Larbaudière,
Minart, etc. Et le théâtre lui-même s'était mis de la fêle en arbo-
rant, il tous les étages, des banderoles portant en lettres écarlates
le nom des « heureux auteurs » et de leurs œuvres.
H. Audran conduisait l'orchestre, qui s'est tenu à carreau, natu-
rellement, et M. Boucheron souriait d'un large rire satisfait dans
une baignoire d'avant-scène. Quant ii H. Durieiix, dont l'activité
et le talent ont donné un si vif éclat au Théâtre des Galeries, il
est resté modestement dans les coulisses.
Paul Verlaine, aimé, admiré des lettrés depuis au moins trois
lustres, a récemment été mis en lumière à Paris de façon il être
enfin vu et connu de la foule et des badauds. Voici que sans larder
le crifi'c|ue de l'Indépendance belge se met à jouer en son honneur
des airs variés, agcucés de telle sorte que les naïfs croiront que
cette vieille musarde l'a compris dès l'aurore de ses œuvres. On
sait que c'est sa manière. On connaît sa fameuse phrase : Nous
avons été les premiers à... i tout, surtout ii ne rien comprendre
aux vrais talents méconnus, sauf à les tambouriner avec frénésie
dès qu'ils passent à la mode.
Par la même occasion celte old lady encense en passant Maeter-
linck et l'Intruse. 11 y a un an elle ignorait le grand poète gan-
tois. Il y a trois mois elle s'en moquait encore. On n'est pas plus,
littérairement, horizontale.
La Qaxetle de Francfort (Frankfurter Zeitung) consacre deux
feuilletons, signés Maximilian Harden, de Berlin (n" des 3 et
4 juin), i Maurice Maeterlinck.
« De ce noir pays (la Belgique) s'est envolé, dit l'auteur, un
oiseau dont le bec est fièrement planté. » Une analyse critique
très élogieuse de Serres chaudes, de la Princesse Haleine, des
Aveugles et de l'Intruse forme le fond de celle étude. Seulement
M. Harden s'imagine, à tort, que Maeterlinck était lotalcment
inconnu avant le coup de trompette de M. Octave Mirbcau. Nous
pourrions citer plusieurs arlicles, et notamment ceux de l'An
moderne, qui ont d'emblée et longtemps avant le tapage provoqué
par le Figaro, mis l'auteur des Aveugles au rang qu'il occupe
actuellement dans l'armée des ouvriers de la plume.
La Louviëre sera en liesse aujourd'hui et demain, 14 et 15 juin.
On y célébrera avec solennité le cinquantenaire du plus ancien
établissement industriel de la commune, la faïencerie fondée on
juin 1841 par H. Victor Boch, le céramiste distingué dont le goût
et la haute compétence artistiques sont universellement appréciés.
A celte occasion, le Club symphonique de BruxelUs, dont
M. Boch est le président d'honneur, et le Choral des XX, qui a à
sa tête M»* Anna' Boch, donneront à La Louvière une matinée
musicale fa laquelle prendï-onl part, comme solistes, M''" Louise
Derscheid, MM. Emile Agniez, Edouard Jacobs, professeurs au
Conservatoire, et Lucien Tonnelier. Un train spécial conduira
l'orchestre et les chœurs !i La Louvière et les ramènera le soir à
Bruxelles.
Une assiette artistique, dessinée par M. Théo Van Ryssclberglie,
sera distribuée, en souvenir de la fête, aux invités, ainsi qu'aux
800 ouvriers deja fabrique, auxquels sera offert un banquet
suivi d'un concert donné par la Fanfare de l'usine, d'un bal
champêtre, etc.
M. Charles Van derStappen a modelé un grand plat commémo-
ralif reproduisant, en un médaillon élégant, le profil du jubilaire,
et destiné fa être fondu en argent.
La Société nationale des Beaux-Arts (Champ-de-Mars) vient
d'organiser définitivement la section des objets d'art, tentée celle
année pour la première fois, et qui obtient un vif succès. On
annonce pour l'an prochain de nouvelles attractions.
C'est Ifa une excellente mesure îi laquelle nous applaudissons
sincèrement. L'art industriel est un dérivatif efficace conirc l'en-
vahissement toujours croissant de la peinture « de Salon ». On
ne saurait assez l'encourager.
Déjà les XX avaient imaginé de joindre fa leur Exposition de
tableaux et de sculptures des objets en céramique, des vases en
terre, des albums pour enfants, des périodiques illuslrt^s, cic. 11
serait fa souhaiter que dans chaque Salon on organisai une seclinn
analogue; ce serait rendre un réel service aux artistes en mi'mc
temps qu'au public.
Très amusant, le Petit bleu du matin, adressé par Gil-Dlnx à
M"" la comtesse de Greffuhie, présidente de la Société des granitée
auditions, fa propos de l'exécution d'Israël en Egypte au Tro-
cadéro :
« Vous avez eu hier votre journée de triomphe, Madame, oi
vous paraissiez fort heureuse dans votre loge du Trocadéro, pon-
dant que le maître Vincent d'Indy faisait rouler des lonnerros
jusque sous les arcades extérieures de ce palais, peu habitué b
voir tant de monde. Car c'est là votr'e vrai triomphe. Madame;
vous avez amené au Trocadéro les trois salles d'abonnement ilc
l'Opéra et vous avez obligé des oreilles habituées fa la musique de
Gounod fa s'ouvrir aux sévères beautés de Haendel. Mais seule-
ment, croyez-m'en, ne recommencez pas l'expérience, car on s'est
ennuyé ferme et s'il n'avait pas été si crème d'y aller, il y a bien
des gens que le titre seul à'Israêl en Egypte aurait arrêté devnnt
la porte; sans compter les caillelles aniisémiles qui ont profilé
de l'occasion pour dire : « Oh! ces Juifs, on les reirouve par-
tout ». La prochaine fois, il faudra autre chose. Madame, ci
surtout pas d'oralorio! Comment voulez-vous que des gons du
monde comprennent la musiq'ue la plus anti-mondaine qui cxisic?
a Aussi, aux risques de vous causer un gros chagrin, je vous
avouerai que l'on a beaucoup poiinô, beaucoup jacassé, beaucoup
regardé, mais bien peu écouté. El si l'on n'avait pas pu vous
admirer, ahl Madame, Haendel en aurait entendu de dures ! — J. »
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Oiadata amnéb. — N* 25.
L9 NUMÉRO : 25 CENTIMES.
Dimanche 21 Juin 1891.
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PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE ORITIQDB DBS ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Comité de rédaction t Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
ABOmîBMIiNTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. — ANNONCES : On traite à forfait.
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, in Insée des tableaux anciens
Une série de désillusions, certainement, est amenée
par une visite au musée de la rue de la Régence. A
peine entré on se rappelle avec regret l'ancien musée,
«i chaud da lumière et si intime. La salle des gothiques,
d'alors, était-elle assez recueillie et harmonieuse, et de
qnel flambloiement brillait la collection des Rubens,
une merveille ? Maintenant les gothiques sont cimaises
en deux longs corridors, et' les Rubens, quel que soit
leur grandeur, se placardent en une sorte de hall, à
l'aspect de salle de vente. Ce hall était d'ailleurs des-
tiné aux exhibitions des salons, au tape à l'œil et à la
réclame de la vile tourbe des peintres contemporains,
qui, les puffistes, peignent pour le • Salon •, en vue de
pam/fas«a//£«, tandis que les anciens n'avaient pour but
que U décoration d'une cathédrale, d'un oratoire, d'un
local de corporation, d'un boudoir. Dans la galerie du
centre, c'est pis encore. L'idée d'un bassin de natation,
dans le £Mid duquel croupiraient d'odieuses statues.
vient immédiatement à l'esprit. Et, tout à l'entour,
voilà, dans un immense bazar, les toiles des petits
maîtres. Les musées d'Amsterdam et de Munich ont
compris, eux, que pour de petits tableaux il fallait de
petites salles. Les cadres mignons se noient sur des
murailles de vaste étendue. Ici, avec une incompré-
hension totale de la chose peinte, on a jeté pêle-mêle
les œuvres de minime dimension, les accolant à des
toiles plus grandes, d'une façon ridicule, sans respect
des tonalités réciproques et de l'harmonie des valeurs,
avec des fonds de peluche et des séries de petits cadres
collés sous un grand comme des timbres au coin d'une
enveloppe. Ce n'est pas même de la bonne besogne de
tapissier.
Cependant, soyons justes. Quelque délicieux qu'il fût,
le musée ancien devait être délogé. Il y avait, dans ce
local, où les tableaux modernes courent maintenant les
mêmes risques, de sérieux dangers d'incendie, surtout
qu'on avait trouvé rationnel d'installer sous le cabinet
des estampes, un laboratoire de chimie industrielle. Et
à propos de ce délogement, on nous a affirmé qu'il avait
coûté 80,000 francs. Nous n'osons le croire et aimerions
à être démentis. Tout entrepreneur de délogeraent eût
pri» l'affaire — nous nous en sommes informés — pour
25,000 francs, et beaucoup moins — et au lieu d'y
mettre quatre mois, comme l'a fait l'Etat, il eût
accompli la besogne en quatre semaines.
i^taMMMMildMpâ
196
L'ART MODERNE
Mais revenons à nos tableaux. Au cours de notre
visite, nous désirions connaître certains prix de tableaux.
Il est important pour un amateur de connaître le
prix des toiles. Et le catalogue d'un Musée est à ce point
de vue précieux, car on s'imagine que l'État, en excel-
lent administrateur, achète les tableaux à leur bonne
et juste valeur. Nous nous procurâmes donc un cata-
logue et nous nous aperçûmes avec stupeur que les prix
des œuvres n'étaient plus indiqués! Pourtant, jadis, ils
s'y trouvaient? Un catalogue de 1882, retrouvé dans
une bibliothèque, nous confirma ce fait.
Pourquoi ce changement? On n'ose plus publier les
prix? On a honte de ce qu'on paye pour les tableaux?
Quelle explication donner à ce phénomène bizarre?
Nous avons feuilleté le catalogue de 1882 et avons
examiné le prix et la provenance des tableaux. Nous
avons été étonnés de voir le nombre de toiles achetées
à des marchands. Un seul d'entre eux, M. Gauchez, de
Paris, en avait vendu seize, dont le Rubens : la Vierge
et TEnfant Jésus — un Rubens mesquinement peint,
peut-être un Van Balen î — pour la somme de 75,000 fr. !
Il est important, nous semble-t-il, que le Musée
achète surtout à des ventes, et le moins possible à des
marchands. Ceux-ci prélèvent toujours d'énormes béné-
fices. Aux ventes importantes, les musées de l'Europe
sont toujours représentés. Le Musée de Bruxelles l'est
rarement. Il s'approvisionne chez les marchands, qui
toujours, et c'est leur droit, " voient venir » un aussi
riche client et lui font même des dons de bienvenue, en
s'habillant à l'italienne. M. Gauchez, sous le nom de
Mancino (gaucher en italien), a donné plusieurs tableaux
à notre galerie nationale. Timeo Danaos et dona
ferentes. Quand un tableau a été refusé partout, nous
disait un jour un marchand, on le lance au Musée de
Bruxelles et on a des chances de réussir. Dans le monde
de l'hôtel Drouot nous avons un jour entendu appeler
notre Musée : V Hospice des tableaux. Nous ne faisons
aucun reproche aux marchands. Ils cherchent à vendre :
c'est plus que leur droit, c'est leur fonction. On ne peut
les incriminer en rien.
Cependant ces choses étaient à signaler, d'autant plus
que depuis 1882 linfluence des marchands sur le Musée
de Bruxelles a été considérable. La commission semble
n'avoir confiance qu'en quelques négociants parisiens.
Elle parait se défier d'elle-même, chose prudente, en
somme, mais dont elle ne doit pas abuser. Ainsi, même
aux ventes, elle hésite. Un jour, à la vente Kiihnen,
elle avait envie d'un petit portrait de l'école de Diirer.
Elle le laissa aller. Ce fut M. Coster, l'amateur bruxel-
lois bien connu, qui l'acheta. Le lendemain la commis-
sion lui demanda de lui céder le tableau, ce qu'il fit
gracieusement, n'étant pas marchand. Mais on ne ren-
contre pas tous les jours des acheteurs aussi délicats.
Voici les prix et les provenances de quelques tableaux
achetés depuis 1882. Nous nous en Bommfls infiïrtaé
ci et là. Peut-être certains de ces chifitee sont'ils «iton-
nés. Nous nous fions un peu à la « fomà », aux Jour-
naux d'art et de curiosités, et si nous nous troni|K>itB,
ce que nous ne croyons pas cependant, nous serons
heureux de recevoir une lettre de rectification.
Voici ces prix :
La Songeuse, de Maes : 66,000 francs, acquis k
M. Léon Gauchez (marchand & Paris).
Une Guirlande, de Van Utrecht : (?), acquis à M. Léon
Gauchez.
Trois Esquisses, de Rubens : 42,000 francs, acquis à
M. Léon Gauchez. ..: o * . . i.;
Les Têtes de Nègres, de Rubens : 85,000 francs,
acquis à M. Léon Gauchez.
Le Cabaret, d'Ostade : 50.000 francs, acquis à M.
Léon Gauchez.
La Chasse d'Atalante, de Rubens : 25,000 francs,
acquis à M. Léon Gauchez.
Un Moulin, d'Hobbema : 100,000 francs, acquis à
M. Bourgeois (marchand à Paris).
La Vieille femme, de Rembrandt : 105,000 francs,
acquis à M. Bourgeois.
Le Christ au peuple, de Lairesse : (?), acquis à
M. Bourgeois.
Un Coin de Halle, de Van Utrecht : (?), acquis à
M. Cardon (marchand à Bruxelles).
Les Pourceaux, de Potter : 32,000 franès, vente
Crabbe.
• Saint-Gérôme, de Patenier : 18,000 francs, vente
Van Assche.
Paysage, de Lucas Gassel : 10,000 francs, à un par-
ticulier (?).
Voilà les prix que nous avons pu savoir. On le voit :
deux marchands de Paris continuent à fournir au
Musée de Bruxelles. M. Gauchez avait déjà vendu, en
1882, 16 tableaux ; en voici maintenant 22, et les plus
chers. Si nous nous sommes trompés, que la commi^ion,
qui n'a qu'à s'en prendre à son catalogue tronqué,
veuille bien rectifier nos chiff'res. Et nous espérons bien
nous être trompés. Tenez : le dernier Ostade acheté :
50,000 francs, est d'un prix colossal ! A la vente Buis-
seret un bel Ostade a été vendu 7,100 francs. Il était
presqu'aussi beau que celui-ci, qui est usé par places.
Les Têtes de Nègres, de Rubens, ont été ofiertes, il y a
cinq ans, à un amateur bien connu à Anvers, pour la
somme de 40,000 francs : il a trouvé que c'était un peu
cher pour cette étude, très belle d'ailleurs, du maître
anversois. Quant à la Chasse d'Atalante, c'est un
exécrable Rubens. Il est épais, glaireux, brossé à la
« grosse brosse », noir, sale, et ne mérite pas de figurer
dans un musée. Ce tableau, acheté par hotre Com-
mission 25,000 francs, avait été vendu quelques mois
avant à une vente publique à Londres 9,000 francs.
,<-'''^J,W»V'
iwpwwp
w'm
mf^^r^^tr^r^"'^'
L'ART MODERNE
197
10 Irpl^ M^tjliNef» n'oinrent guère d'intérêt, sortout d«
Ijl ll^ ^Bt fillM «ont placées et présentées au pnbtic,
^M^;^ mtm^ «i n«l>9 en Rubens. Il y a d'autres
j^|^)l|n||( fliBijUKh ^Bi «tviquent ici. Bt voici : il nous
pi^^j^ «m A TespHt : lloelaat Savery. Il y a quelque
i(i|||.|ine (BUTra^ece peintre original, si fttédans
)«|^'||i|«é«a de QoUaDda, a été Tendii»à Braxellw. à m»
iMlt^ liB ¥uaée ne s'en est pas inquiété. Kle a été achetée
l,9fiÀ ftiuK» par M. Oirod, propriétaire du Grand
^6Mi qui i'a revendue pour 5,000 francs (?) au Musée
(^ OoDFtrai, ville natale de Savery.
Quant au Rembrant, il est de notoriété publique que
son authenticité est contestée. C'est un tableau qui
a essayé de se placer en maintes galeries, mais qui a
essayé d'aigres et vertes rebuffades, surtout d'un cri-
^iqite hollandais bien connu, M. Brennidus. Il est maigre,
peu vibrant, bien sec pour un Rembrandt. Des experts
ont affirmé que la signature est assez récente. Et cela a
coûté 105,000 francs ! Non, n'est-ce pas? Il est vrai qu'on
nous a assuré que cette croûte : la Peste de Tournai,
avait coûté davantage encore. Et cette Peste a été
commandée à Gallait alors qu'il était riche, vieux, et
que ses tableaux encombraient déjà tous nos édifices.
11 est vrai qu'alors Dubois, Agneessens, Boulenger,
Degrouz, Artan, étaient malheureux et qu'on ne leur
jetait pas même les miettes d'un Banquet de Rhéto-
ricien^ ou celles encroûtées de je ne sais quel repas
antique, signé Coomans, et payé ! I
Une bonne acquisition, c'est le Patenier-, beau
gothique, intéressant, plein de couleur, très original,
et payé : 1 ,800 francs ! Seulement? Il est vrai que c'était
à une vente. L'autre gothique, non encore catalogué et
dans lequel on a sans doute cru reconnaître un Lucas
Gassel, est détestable, sans cachet artistique, veule,
plat et repeint sur toutes les coutures d'une indigne
façon. On nous dit qu'il a coûté 10,000 francs!!!!
En somme, sauf erreur de notre part, nous trouvons
tous ces prix exagérés, les acquisitions faites sans
discernement, et il était de notre devoir de signaler
cet état de choses. Que l'État achète plus aux ventes
et moins aux marchands. Qu'il oblige la Commission
à faire connaître loyalement les prix d'acquisition,
afin que le public, aux frais de qui se font les achats,
ait le droit de vérifier* si on lui donne pour son argent. »
A Londres, dans tous les musées, les prix payés sont
mentionnés sur le cadre des tableaux, sur les vitrines
des objets d'art. Pourquoi n'en est-il pas de même chez
nous?
Nous soumettons ces observations au ministre des
Beaux-Arts, et attendons avec confiance des réformes
qui s'imposent.
A propos de l'article ci-dessus, reproduisons deux
notes, l'une de la Fédét-ation artistique, l'autre de la
Chronique.
A propos du Van Ostade, la Fédération artistique,
dans son n» du 19 avril, imprime :
« Il parait que l'achat de ce tableau n'aurait pas été ratifié par
le miolilre, qui génëralemeat se contentait d'approuver les déci-
tioni de la CommissioD, tandis que le nouveau ministre des
Beaux-Arts prétend devoir être consulté préalablement.
M. de Burlet ne doit sans doute pas avoir pris une aussi
grave décision sans avoir le droit de son côté; toujours est-il
qu'en attendant qu'une solution intervienne, le tableau a été
retiré du Musée. et mis dans le cabinet de la Direction'.
Si le ministre a voulu donner une simple leçon ou un aver-
tissement k la Commission, les choses s'arrangeront facilement ;
si au contraire il maintient son vélo, voilà un joli procès à l'hori-
zon entre la dite Commission et M. Gauchez, le vendeur >;.
De son côté la Chronique a dit :
« OsTADB PAR-CI, OsTADE PAR-LA. Nous avons annoncé hier
l'acquisition tacite, par le Musée de l'Etat, an prix de 50,000 fr.,
d'un petit tableau d'Adrien Ostade, mesurant 35 centimètres de
haut sur 30 de large.
On nous écrit à ce propos une lettre où il est dit entre autres
choses :
« Au moment où elle a acquis ce « pur chef-d'œuvre », la
Commission des Musées ne devait pas ignorer que dans la vente
de Buisserel se trouvait un très bel Ostade : Intérieur de tabagie,
à sept personnages, un pur chef-d'oeuvre aussi (de 27 centimètres
de haut sur 33 de large). Ce tableau, d'une indiscutable authen-
ticité et pourvu de tous ses papiers généalogiques, n'est vendu
que 7,100 francs; il a été acquis par M. Martin Colnaghi, de
Londres (1).
« En supposant qu'un nouvel Ostade fût absolument néces-
saire au Musée (ce qui est fort contestable), la Commission, avec
un peu moins de hâte, eût pu acquérir ce chef-d'œuvl'e de la
vente Buisserct, réalisant ainsi, au profit des contribuables, une
économie de plus de 40,000 francs ».
Sa vie, ses œuvres, par J. TeikiDOHB Radoux. — Liège, Aug.
Bénard, 1891 ; un vol. in-8° de 166 p., non compris titre et tables,
orné de neuf portraits de Vieuitemps, d'autographes, etc.
La biographie d'Henry Vieuxlemps que vient de faire paraitre
le savant directeur du Conservatoire de Liège est d'autant plus
intéressante qu'elle a été écrite, avec le pieux respect d'une
amitié fidèle, par un musicien dont l'intimité avec l'illustre vir-
tuose a été grande, ce qui vaut au lecteur nombre de so'uvenirs
personnels et de documents inédits.
M. Radoux a réuni et classé tout ce qui dans l'autobiographie
de Vieuxlemps, dans le volume que lui a consacré M. Maurice
Kulferath, dans les journaux, pouvait faire revivre l'artiste et
l'auréoler de gloire. Il y a ajouté une partie critique attachante :
l'appréciation raisonnée et éclectique des diverses compositions
du maître, faite avec une impartialité qu'on ne trouve pas tou-
jours chez les biographes. L'étude de M. Radoux n'est pas une
apologie : tout en exaltant le génie du virtuose, tout en plaçant
très haut telles de ses œuvres qui ont apporté à la littérature du
violon une forme neuve, l'auteur ne cache point les faiblesses de
certaines compositions, même de celles pour qui le maître avait
une préférence. Et la correspondance de Vieuxtcmps, et les
(1) Voir nos articles sur la vente de Buisseret, avec les prix des
enchères. Art moderne des 26 avril et 3 mai derniers.
108
L'ART MODERNE
rclaiions personnelles de l'autour avec l'arlisle, el les renseigne-
menis qu'il rccucillil de la bouche de Lucien Vieuxtemp», frère du
virtuose, et de diverses porsonnrg mêlées à la vie de celui-ci,
parmi lesquelles, en première ligne, M. Van der Heyden, pro-
fesseur au CoMservaioire de Bruxelles, l'ami des dernières heures,
cl de toujours, ont fourni à M. Radoux les éléments d'un travail
très complet, qui réunit les deux qualités essentielles de l'histo-
rien : In précision el la sinrérilé.
Le volume embrasse la carrière entière du nnusicicn, depuis le
concert fameux donné par Vieuxtemps à Vcrviers il l'Sge de six
ans, alors que u sa tète dépassait à peine les quinqueis de la
rampe », jusqu'au jour où la mon frappait, en juin 1881, !i Alger,
cette personnalité artistique de premier ordre, qu'une implacable
maladie avait, depuis plusieurs années, condamnée au repos. Il
suit le virtuose dans ses voyages en Hollande, en Allemagne, en
Angleterre, en Russie, en Suède, on Norwège, en Amérique, où
il recul partout un accueil triomphal. Il le montre dans l'intimité
de son intérieur, toujours épris d'art, organisant chez lui des
séances de quatuors fameuires. Il l'accompagne dans les villes
d'eaux où le maître lutta désespérément contre la paralysie enva-
hissante, puis à Mustapha Supérieur, où l'appela la sollicitude
filiale de W°' Landow^ka el qui devait être la dernière étape de
sa vie.
Professeur, il csl silhouetté en ces quelques traits : u Vieux-
temps avait autant souci de développer chez ses élèves le edlé
puremcni esthétique de l'art que la technique de l'instrument.
Aucun morceau n'était exécuté avant d'avoir passé par le crible
du raisonnement. Chaque thème était analysé, critiqué, envisagé
dans ses rapports avec l'idée mère de l'œuvre, el cela avec une
sûreté de vue, une élévation de pensée tout ii fait remarquables.
L'éducation du compositeur nourri aux plus saines traditions
déteignait sur le professeur-virtuose, le tout au grand bénéfice de
SCS disciples. »
Faut-il ajouter que ses élèves ont gardé pour lui une sorte de
culle? Ysaye, Jcnô Bubay, Narsick ne parlent de Vieuxtemps
qu'avec un respect admiraiif touchant. El il leur rendait en
affection tout ce qu'ils lui témoignaient de déférence, lui qui
écrivait à M. Radoux, quelques mois avant sa mort, parlant des
compositions auxquelles il travaillait dans sa solitude africaine :
« Je n'ai personne pour me faire entendre tout cela, ni juger en
dernier ressort, couper ou changer. 11 me faudrait quelqu'un, el
ce quelqu'un c'est Ysaye, qui ferait bien de venir passer l'hiver ici
où je lui stylerais mes nouvelles choses. J'entends toujours sa
chanterelle et je voudrais la réentendre encore! Découvre-le moi
el qu'il arrive le plus tdl possible ! »
Terminons notre rapide analyse par une louchante anecdote
que raconte M. Radoux. Le 9 avril 1881, deux mois avant sa
mon, Vieuxtemps écrivait ii une amie d'Anvers : « A propos
j'aurai peut-être à vous annoncer dans ma prochaine lettre là
venie de mon Onarnerins. Je suis en pourparlers sérieux à ce
sujet. Cela coulera cher à l'acheteur, mais il en aura pour son
argent, car ce violon est une perle unique, donl malheureusement
je ne puis plus me servir. Néanmoins, m'en séparer me coûtera
bien des larmes, et j'en ai déjà le cœur gros rien que d'y penser.
Mais, quand je le regarde, je pleure de ne plus pouvoir l'interroger,
l'animer, le faire parler! »
En effet, son ami Van der Heyden avait été chargé de négo-
cier l'affaire avec le duc de Camposclice, qui était ravi de
l'acquérir au prix de 17,000 francs, somme fixée par Vieuxtemps.
Nais au moment de ae demisir de m» ^ififin \lmiirtii^\pffifn^ ,
nDattre fut pris de remords, el, espëraiit en dégoûter r^mnleu/, U
s'écria : « Si l'on met 17,000 francs, on peut bien en mçiûre
20,000 ». Le duc. mis au courant de la siimlion, répon^ par
un chèque de 30,000 irancs adressd h Yan der tfàydén, par
l'intermédiaire de la maison Rothschild.
Croyant avoir vaincu toute résistance, l'ami s'en riiil tMover
Vieuxtemps de grand matin et lui mit le chèque sdut \H yemiL
Vous peindre le désespoir de Vieuxtemps n'est pas pewible, nie
dit Van der Heyden. Il pleurait el ne pouvait se dire k l'id^tde
se séparer de son Guamerins. Il demanda vingt-quatre keoret
pour réfléchir, mais ne vonlot pas garder le chèque. • Baporte.
empone cet argent, disait le pauvre désolé; je ne veux pas le
ToirI »
M"* Landovrska el son mari, craignant qne ce grand chagrin
n'amenftt une rechute de la terrible maladie de leor bien-aimé
père, prièrent leur ami de ne plus lui en reparler. Le due de
Camposelice fit de nouvelles instances auprès du négociateur pour
qu'il offrit davantage encore, mais celui-ci déclara qu'il était inutile
d'insister; il avait acquis la conviction que Vieuxtemps ne se
séparerait & aucun prix de son instrument.
Le duc devint cependant plus tard l'benreux acquéreur dn
fameux Guamerius, mais seulement après la mort dn HMitre et de
sa fille, H-* Landovrska.
TALLEYRAND
Mémoire*, lettres inédites et pstplers
par M. Jban Oobsas. — Paria, SaviM, 1891, in-8>. Prix : fr. 8-50.
Cet ouvrage est une véritable autobiographie dn célèbre diplo-
mate : c'est Talleyrand se racontant lui-même dans des lettres,
dépêches el rapports, pour la plupart inédita. Hais, de même qne
dans les Mémoires publiés par M. le due de Broglie, rbabile
politique n'y apparaît pas ii la hauteur de sa renommée. Dans
celte correspondance sans idées et sans style, on ne reconnaît
guère le « Mirabeau ii demi-voix », comme l'appelle Lamartine.
On n'y retrouve pas même cette mordacilé, cet éclaira d'épi-
grammes et de saillies qu'on a tant vantés en lui. On ehercbe en
vain sur son esprit terne, impassible, le reflet tragique el la
commotion des grands événements, auxquels il fui cependant si
activement mêlé. Il passe au travers de l'épopée révolutionnaire
et impériale sans que son âme s'allume k celle immense explo-
sion de passions. Ne conteslanl jamais avec le succès, prêtant
serment k tous les pouvoirs qui se succèdent en France^ \\ ne
jure, en réalité, fidélité qnlt lui-même, et son habileté politique
n'est qne le génie de son ambition. Il n'est pas de ces généreux
téméraires, qui, impatients dn triomphe de leure idées, se jelienl
résolument en avant de leur époque, au risque de foira busse
roule. Au contraire, sa politique, inspirée par son seul intérêt, a
pour règle de ne jamais se bSIler. Il laisse au deslin le temps de
lui montrer sa voie, et, avec une lenteur calculée, il attend qne
les circonstances l'emportent ven sa nouvelle fortune. Ne s'alla-
chant qu*k ce qui peut le soutenir lui-même, il passe ainsi lour k
tour à chaque régime qui s'élève en France, el Napoléon a pu
,dire justement de lui : « M. de Talleyrand était toujoun en étal
de trahison, mais c'était de complicité avec la fortune ». On
conçoit que ce poliiique égoïste, dont toute l'ambition fut concen-
trée sur lui-même, n'ait pas même laissé une pensée qui lui sur-
'^
L'ART MODERNE
109
Tricot. Sa tombe ett muellp, ei la reconnai'snnrc des peupli<8 ne.
Tiendra pas l'en relever. Il n'a servi, ue s'est sncrifid !i uiicune
ftniit cause : elles ne manquent pas eepi-mlaiit ii qui veut se
dévouer, tt elles enveloppent ceux qui soufTn at pour elles duns
leur propre immoriuliié. T;ii:eyr,ind n'a pus voulu de rcitc
gloire; il a oblcou toutes les 8ati»raciions auxquelles il a aspiré :
il est assrx récompensé.
Dans toule la paperasse recueillie par M. Jean Corsas, il n'y a
qu'une page révélant une vue un peu haute cl ce souci de l'avenir,
qui doit élrela principale préocrupution de 1 homme d'Eiat. Voici
ce passage ; « Du cAié de l'Amérique, l'Europe doit toujours
avoir les yeux ouverts cl ne fournir aucun prétexte de ré<riiniiia-
tion on de représailles. L'Amérique s'aecrotl chaque jour. Elle
dcTicndra un pouvoir colossal, ei un moment doit arriver oil,
placée yis-k-vis de l'Europe en comniunicaiion plus f^icilc par h;
' moyen de nouvelles découvertes, elle désirera dire son mot dnns
nok affaires et y mettre la main. La prudcnrc poTnicpic impose
donc aux gouvernement)' de l'ancien Continent le soin de veiller
icrapuleusement i ce qu'aucun prétexte ne s'offre pour une lellc
intervention. Le jour où l'Amt'riquc posera son pied en Europe,
la paix et la sécurité en seront bannies pour longtcmp!>. »
Pressentiment juste d'un avenir inévilahlc et peut-être rap-
proché. Fatalement, l'Europe doit éire vuineue dans la concur-
rence économique, dans la lutte pour la vie par l'Amérique cl la
Russie, débordantes de prodigieuses rcssoiirees. Eli; ne sera
plus alore qu'une province do monde renouvelé, illustre et sfffi-
lanieeomme la GrAre ancienne dans l'Empire romain.
Déchirée do haines sociales, épnisiée d'armement», usée de
vieillesse, incapable de se suffire it elle-même, elle arhèvera de
mourir entre les deux colosses, qne les facilités do communica-
tion TWit de plus «D plus précipiter sur elle.
LÉS ACADÉMIËJ3
• Avec la prétention rie nos noDibreuses
• académïps de vouloir fabriquer des artistes
• an lien d'hommes ailles, d'artisausioiel-
• eents, les (wintres abondent et l'art s'af-
• raisse! ■
(Extrait H'nn discours rte M. Slingeneyer
à la Chambre des repréaeniaots. — L'Art
moderne iu 7 juin 1891.)
Trouver une solution au problème moderne, a an casM-téie
ebùsois » : eMcigoenieot de l'art décoraiiFI
La BMladie i la mode : la peinture, la xculptore, l'art déro-
ni'\\ (roiaine si ari et art àécoràlif éywnK deux choses dis-
tiBC)e«!),
Apr^ un stage d'un certain nombre d'années dans une nradé-
mic, comme résultai : frotter de la couleur sur une toile (iiussi
grande qne possible), l'encadrer, l'exposer, s'iijtiiuler artisie
peintK L'oe médaille, deux médailles, voire une décoration;
Toilk l'art moderne.
Poor ^ox qui ne sont pas assez forts pour atteindre ces délices,
comme planche de salut : « l'An décora if ».
Que Diable! on est toujours artiste ! Vivo l'art décoratif!
Quelque cliose de brossé, de mal fait, quelque chose d'à peu
près : Toilil l'art décoratif moderne.
Plus je réfléchi», plo» je constate qu'il est impossible de trou-
ver u»e solution. CcUe maladie moilcrne esl uue horrible plaie,
où la gangrène s'est mise d<puis longtemps : il faut amputer.
El la cause de cette maladie? — La facilité, le perfectionnement,
l'eniralncmeni, l'enseignement académique, ce u turf » de l'Art.
Fermez les académies, ei la légion des demoiselles et messieurs
artistes fondera comme la neige au soleil. Etre arliste n'est plus
une vocation, c'est une profession. On se glisse dans l'Art par la
porte de l'Académie des beaux-arts.
u En vérité, en vérité, je vous dis que celui qui n'entre pas
u par la porte duns la bergerie, mais qui y monte par un autre
« endroit est un larron el un voleur. » (Cbap. X, Ev. selon saint
Jean, v. I).
Les académies d'art décoratif, des beaux-arts, d'industrie artis-
tique, etc., etc.... ce n'est pas la porte.
La sensation que chaque individu- a en lui, l'instinct, cette
chose indéfinissable... la Foi : « Je suis la porte : si quelqu'un
a entre par moi« il sera sauvé, il entrera et sortira, et trouvera
« de la p&ture ». (Chap. X, Ev. selon sainl Jean, v. IX.)
Croyez en vous-même. Croyez it votre vocation, et surtout
ayez-en une, travaillez el vous ferez de l'art.
L'euLnl iravaillrra comme on enfant, l'adulte comme un adulte,
l'bomme comme l'homme, et ses proUuits seront des œuvres per-
sonnelles, des œuvres d'art, el son tempérament, son talent, son
cœur, son insiiiicl le guideront plus sûrement que toutes les aca-
démies el tous les proft'sseurs réunis du monde entier.
Les primitifs avec des outils primitifs font des œuvres primi-
tives, tout cela lient ensemble et ces œuvres sont des œuvres
d'art. On leur appore des outils perfeclionnéf, le travail va plus
facilement, seulement ils ne font plus d'œuvres d'art, le charme
est rompu.
C'est déjà le commencement de la civilisation artistique!!!!! le
commen( em(>nl de l'idée « euteignemttit » (facilité, perfectionne-
ment, académie) et l'Art s'affaisse.
' Le gouvernement s'occupe de l'enseignement de l'art et ne
s'occupe pas de* artistes.
Jadis le jeune homme, qui sentait en lui se réveiller cette chose
indéfinissable, cet amour de l'Art, broyail des couleurs el lavail
les brosses de son maître, afin de pouvoir être son élève et de
pénétrer dans son tancluaire.
Aujourd'hui on ne broie plus de couleurs, el l'académie des
Beaux-Arts, celle grande maison de prostitution, reçoit toui le
monde i bras ouverts !
Non fils peint, ma fille peint, ma femme peint, tout le monde
peint. C'est le canl, le five o'clock moderne et l'An s'affaisse,
et la déesse souffie et pleure.
Fermei les portes des Académies. Fermez. Fermez! On ne
fabrique ni dos artistes peintres, ni des artistes sculpteurs, ni des
arti>tes d'aucune catégorie.
Fermez. Fermez U's portes !
On n'enseigne pas l'Art ; autant donner à un loup des moutons
il garder.
On n'apprend pns, en passant par les primitifs, les Égyptiens,
les Grecs, les Rnm;iins, les artistes des deux mondes réunis,
comment on doit drcorer une assiette!!!
Fermez... Fermez!
« Mais vous ne me croyez pas, parce que vous n'élcs pas de
« mes brebis comme je vous l'ai dit. »
(CUap. X, Ev. selon sainl Jean, v. XXVI.)
J. S.
'^'i
J
LA POUSSE DES FEUILLES
Quelques revues nouvelles font leur apparition. Nous les
saluons confraternellcmcut cl joyeusement, car, de même que
celles que nous avons signalées précédemment, elles sont toutes
vouées au bon combat que nous soutenons, au combat des idées
jeunes contre la routine, contre le docirinarisme littéraire,
contre le perruquisme, le bonzisme et le pbilistinisme.
La Revue libre, coquettement présentée sous une couverture
saumon, a élu domicile chaussée de Wavre, 45, !i Bruxelles.
Publiée sous la direction de H. Camille Roussel, la Revue libre a
pour secrétaires MM. Henry Classant (n'avons-nous pas rencontré
ce nom jadis, orné d'une particule, en des TabUltet lilUraire*
trop tdt abolies ?) ei José Hennrbicq. En ce premier numéro de
mai, des proses et des vers d'Henry Classant, Henry de Régnier,
Raymond Nyst, Jean Delville, José Hennebicq, Camille Roussel.
Et vogue, vogue
Le Recueil littéraire paraît à Montréal (Canada) en livraisons
bi-mensuelles de 24 pages,*llustrées de portraits, etc. On y parle
de Victor de Laprade, du bonnet de Sainte-Catherine, d'Homère,
d'une foule de choses douces au cœur ou héroïques à l'esprit. Le
directeur est M. Pierre Bedard, 192, rue Saint-Hubert, Montréal,
téléphone Bell 6363, botte-poste 1436. Qu'on se le dise. « Aucun
travail n'est admis s'il n'est excellent pour le fond comme pour
la forme, et s'il n'est signé d'un nom responsable », dit la man-
chette du journal.
Panlobiblion est édité en quatorze langues. C'est-ii-dire que
tous les volumes annoncés, tous les périodiques signalés le sont
dans leur idiome propre; tant pis pour ceux qui ne comprennent
pas. Cela est édité à Pétersbourg, Fontanka, 64, sous la direction
de M. A. Kercka, ingénieur, et cela colite 30 francs par an pour
l'Union postale. — Très ingénieux, d'ailleurs, le Panlobiblion :
des notices bibliographiques pour tous les ouvrages parus, Icssom-
maires de tous les journaux, de toutes les revues, etc., et, dans
la perspective, le projet d'articles critiques sur les principales
études publiées par les journaux scientifiques. La polytechnie
occupeau Pantobiblion une part prépondérante. On y fait accueil,
néanmoins, aux livres et aux revues littéraires.
Puis encore : la Revue de la littérature mod«rn« (Paris, rue de
la Grande Chaumière, 4; abonnements : Paris, 10 francs; étran-
ger, 12 francs), publiée sous la direction de MM. Auguste Chau-
vigne, directeur, et Alcide Guérin, sous-dircctcur. Lm Revue de
la littérature moderne est déjà dans sa septième année. Elle
paraît tous les quinze jours et publie des études critiques intéres-
santes, des poèmes, des portraits littéraires, des nouvelles, etc.
N'ayant pas eu l'occasion jusqu'ici de la citrr, nous sommes heu-
reux de la joindre aux revues nouvelles qui portent vaillamment
le drapeau de l'art nouveau et de la recommander à nos amis.
{A suivre, — nous l'espérons).
CONCOURS DU CONSERVATOIRE
Instrnmeiits en enivre.
Trompette. — Professeur: M. Goeyens. 1" prix, M. Grillaert;
2' prix, MM. Favart et Anlhoinc; 1" accessit, M. Schinck;
2= accessit, M. Cambron.
Cor. — Professeur : M. Merck. 1" prix, M. Guckcrt; 2«prix,
M. Neeus; l" accewil, MM. MM», IMwit, Smdls et Mon-
dait. ^
Trmltbotu. — Professenr : M^. Sau. f* prii, M. BrowiMÉn
et Dusch.
Saxophone. — Proiesseur : M. BucuUH. t* prix, M. Chani-
bon ; 1" accessit, MM. Rossaert, Borré et Caii>iMn.
Instmmanta en bota.
Basson. — Professeur : M. NEUiuim. S* prix ave<e disUnelion,
M. Van Dcasel ; f prix, MM. Tassel, Mondus el Provosl ; 1* acces-
sit, MM. Boogaerts et Maréchal.
Clarinette. — Professeur : M. Poncblbt. 1" prix avec distinc-
tion, M. Tourneur; i- prix, MM. Marreel elHublart; f prix,
MM. Van Attenhoven el Allard; l" acceuil, MM. Desmel, Soby,
Coessens.
Hautbok. — Professeur : M. Cdidé. 1* prix, M. Bievelagr ;
S* prix, MM. CarlieselDe Busscher; aecetùt, MM. Foateyne,
RoTies, Van Lierde, Didobbeleer.
Flàte. — Professeur : M. Ahthom. 1" prix, MM. Maeck el
Strauwen; 2* prix avec distinclioD, M. Navez; 2* prix, MM. Frémy,
Boriée, Gondry ; 1" accessit, M. Buyssens.
^jhronique judiciaire DEP ^KT^
Une atatne de la Vierge aona ■éqiMCtre
Une petite révolution a failli éclater dans la paisible ville de
Laval, el c'est le tribunal civil qui, par un jugement des plus
sages, a réussi k calmer les esprits.
Voici les faits, qui ne laissent pas d'être piquants :
Les dames de la halle de Laval avaient voué un culte spécial k
une statue de la Vierge qui, il y a plusieurs siècles, avait été
élevée sous les halles de la ville et avait reçu le nom de Nolre-
Dame-des-Halles.
D'ici k quelques jours doivent disparaître Ici halles antiques de
Laval. Que faire de cette statue vénérée? La municipalité avait
décidé, de prime abord, qu'elle serait transportée au musée ;
mais elle avait compté sans la piété scrupuleuse des marchandes
de la halle. El, tout dernièrement, le maire de Laval recevait la
visite d'une dépntation nombreuse de ces dames : elles étaient
soixante-dix. Elles réclamaient la statue et s'opposaient k ce qu'elle
devint un objet de curiosité profane dans un musée.
Le maire de Laval se montra très aimable pour les soixante-dix
dames ; mais il ne put rien promettre, si ce n'est de réunir son
conseil municipal et de lui . soumettre le cas. Il parait que le
conseil municipal ne satisfit pas les maraîchères lavalloises, car
elles revendiquèrent plus que jamais la propriété de la statue de
Notre-Dame-des-Halles et portèrent leur demande devant In
tribunal civil.
L'honorable M. Billon, maire de Laval, a dû comparaître devant
le tribunal, k la requête du sieur Alphonse Hutin, horticulteur,
agissant au nom et comme président du syndicat des maraîchers
et jardiniers de Laval.
Le tribunal a donné acte au maire de Laval de ce qu'il entendait
«ni discuter, ni contester, ni reconnaître les droits des demandeur;)
sur la statue de Notre-Dame-des-Halles ; de ce que, toutefois,
respectueux des sentiments religieux de la population lavalloisc
et tous droits réservés sur le fond, il était prêt k coopérer k toute
mesure de nature k sauvegarder ladite statue».
L'ART MODERNE
201
Le Iribunal a, en outre, ordonné que la statue serait placée sous
séquestre entre les mains de H. Hélie, curé de la cathédrale.
La sainte Vierge a donc été descendue de son piédestal et trans-
portée k la cathédrale, où elle a été mise en une place d'honneur;
c'est Ik quelle continuera de recevoir les pieux hommages des
dames de la Balle.
Tout est bien qui finit bien. {Moniteur des Arts).
f ETITE CHROfdQUE
Les concours du Conservatoire ont commencé cette semaine.
La grosse artillerie, cuivres et bois, a ouvert le feu. Nous don-
nons ci-dessus le résultat des diverses épreuves. Constatons,
d'une msni^ générale, la supériorité des concours de cette
année sur eeux des années précédentes. La classe de hautbois,
excellemment donnée par M. Guidé, et la classe de clarinette, que
dirige M. Poncelet, ont été particulièrement fécondes en instru-
mentistes distingués. Les flûtistes, sous la conduite de leur nou-
veau professeur. II. Anthoni, s'annoncent également comme
devant donnerai nos orchestres des musiciens de choix.
Voici l'ordre des prochains concours :
Mardi SSjuin, 9 heures : Musique de chambre avec piano.
Mercredi 24 juin, 3 heures : Orgue.
Vendredi S6 juin, i heures : Piano (jeunes filles). Prix Laure
Van Culiem.
Samedi 97 juin, i heures : Piano (hommes).
Mardi 30 juin et mercredi 1" juillet, 9 heures et i heures :
Violon.
Samedi 4 juillet, 10 heures : Chant thé&tral (hommes);
9 heures, idem (demoiselles) et duos de chambre.
Lundi 43 et mercredi IS juillet, 2 heures : Tragédie et comédie.
L'idée d'un petit salonnet, où auraient lieu à Bruxelles les'
expositions particulières, a fait son chemin. On a trouvé fort bien
la petite installation de MM. Mignon et de Saint-Cyr, rue de la
Régence. C'était plus intime, plus « coin d'inlérieur » que les
grandes salles du Musée. On oublie trop cette intimité dont beau-
coup d'œuvres ont besoin, comme aussi le milieu spécial qu'elles
exigent. Dans les discours faits à la Chambre des repr(<sentanls,
cette année, k l'occasion du budget des Beaux-Arts (1), on a
demandé pour les musées eux-mêmes cette appropriation de
l'emplacement k l'œuvre à exposer. A plus ferle raison celle
approprialioiv est-elle exigible des locaux particuliers. Aujourd'hui
l'objet d'art a sa place marquée dans nos intérieurs et c'est
autant pour nos « home » que pour les galeries nationales que
travaillent les artistes. Quand ils exposent tcurs œuvres, ils sont
.donc en droit de le faire dans des milieux aussi artistiquement
décorés que nos habitations modernes.
Quelques groupes d'artisles ont déjà tenté de réaliser ces desi-
derata. Rappelons les eff'orts décoratifs des XX, suivis bientôt
par l'Ettor et d'autres. Mais la disposition des salles n'est pas
encore satisfaisante. En outre, le prix de ces revêtemenis exté-
rieurs est souvent inabordable pour les petites expositions.
Autant de motifs pour assurer le succès du local qu'on projette
rue Royale. Les salles seront mises successivement à la disposition
des artistes peintres, scjjlptcurs, musiciens, conférenciers, etc. Un
certain nombre d'abonnements, donnant droit à toutes les entrées,
assureront la marche do l'entreprise.
(1) Voir numéro 21 d« F Art moderne, 24 mai 1891.
Le concert donné dimanche dernier k La Louvière par le
Club tymphonique et le Choral des XX, réunis pour la première
fois, a été 1res brillani. L'auditoire nombreux qui assistait à
cette intéressante matinée a fuit fête aux musiciens-amateurs qui
composent ces deux sociétés et aux solistes qui ont pris part au
concert.
L'orchestre a exécuté, avec une précision et un ensemble
remarquables, diverses compositions de Grieg, Pierné, Sandre,
Agniez, etc. Le timbre harmonieux et la justesse des chœurs ont
été très appréciés dans l'interprétation d'œuvres de César Franck,
Julien Tiersot et Chabrier, dont VEspana a été bissée.
La romance de Svcndsen pour violon, la fantaisie de Servais
pour violoncelle, puis le Désir, un Larghetto de Mozart, un
Impromptu de Schubert et les Variations de Saint-Saëns sur un
thème de Beethoven ont respectivement valu k MM. Emile Agniez,
Edouard Jacobs,k M"" L. Derscheid et k M. L. Tonnelier une
ovation méritée.
Un quatuor de Grulzmacher pour violoncelles, fort bien joué
par MM. Delfosse, Goffjrd, Boly et Martin, complétait cette
remarquable audition, donnée dans la nouvelle salle de concerts
érigée par M. Victor Boch et dont l'acoustique a été reconnue
excellente.
Henri De firoux, le très remarqué de deux expositions desZA",
et qui a exposé aux Arts-Libéraux de Paris, vient d'être l'objet
d'une attention toute spéciale de la part de la critique. Le Gil
Blas lui consacre une belle élude signée C. Lemonnier et choz
nous, dans la Nation, Albert Mockel signale en termes élogieux
ce beau talent prometteur.
M. Alhaiza a repris, au théâtre Molière, Par droit de conquête
de M. Ernest Legouvé, avec M"" Larmet, du théâtre de la Porle-
Sainl-Martin, dans le rôle de la fermière.
Embrassons-nous, Folleville sert de lever de rideau ^ Par
droit de conquête.
A Wiude : La Jeunesse de Louis XIV.
A l'Alhambra, M. Bayard a repris Devant l'Ennemi, qui rem-
porta cet Irivcrun succès honorable.
El ce pendant. Miss Helyetl continue à chercher imporlurhn-
blemcnl aux Galeries l'hopime de la montagne
M. Georges Lecomle, dont on a applaudi au théâtre du Parc la
Meule, jouée par M. Antoine, vient de terminer une comédie on
cinq actes : la Vie.
Le numéro de mai de la Wallnnie, qui vient de paraître, est
consacré k M. Francis Vielé Griffin {Jeux parnassien.<:). Le pro-
chain numéro contiendra des œuvres de notre collaborateur Gus-
tave Kahn.
J.-L. Forain, d'après le Gil-Blns^: Un pelil sécot. La démarclie
traînante, paresseuse de ceux qui se plaisent k badaudcr, k guetter
des sujets dans la rue. Une barbe courte aux ions d'acajou. Des
yeux extraordinaires, fonilleurs, aigus, hardis, dont le regard
vous dévisage, vous scrute, vous étudie des pieds k la télé. Une
bouche mince, que plisse comme un tic nerveux un perpétuel
sourire de gouaille. Plus qu'un caricaturiste. Un véritable artiste
qui a sa note k lui, ne ressemble k personne, ni k Gavarni, ni k
Daumier. Aussi intéressant et verveiix dans ses légendes k l'cm-
porle-pièce que dans ses dessins parfois admirables de réalité et
sentant la maîtrise. Né au pays du Champagne. Commença par
n'être qu'un pauvre apprenli. A courageusement lutté et sans
l'aide de personne creusé son trou. Aujourd'hui quelqu'un. Un
des rares peintres qui soient vraimenl leitri's et n'aient pas 1 es-
prit des aulres. Entretiendrait de mots de la fin tous les journaux
du boulevard. La tenue étudiée d'un sporlsman qui se ferait habil-
ler k Londres et fréquente tous les endroits chics. Une signature
cursive, sans paraphe, sans majuscules, qui sera bientôt cotée
dans les 1res grands prix.
', ' ^y^._, T<- ■**^'Fï??-»*,-'1^-* F'* .
'ONZIÈME ANNÉE
L'ART MODERNE s'est acquis par l'autorité et l'indépendance de sa critique, par la •variétA dé ses-
informations et les soins donnés à sa rédaction une place prépondérante. Aucune manifestation de l'Art ne
lui est étrangère : il s'occupe de littérature, de peinture, de scuIptuFO, de gravure, de muslque,
d'architecture, etc. Consacré principalement au mouvement artistiijne belge, H renseigne néanmoins ses
lecteurs sur tous les événements artistiques de rétranger qu'il importe de connaitre.
Chaque numéro de L'ART MODERNE s'ouvre par une étude approfondie sur une quesiion artistique
ou littéraire dont l'événement de la semaine fournit l'aotuallté. Les expotiiiotu, les livra nowoecnue, les
premières représentations d'œuvres dramatiques ou musicales, Ips confifrencet littéraires, les concerta, les
ventes d'objets d'art, font tous les dimanches l'objet de chroniques détaillées.
L'ART MODERNE relate aussi la législation et la jurisprudence artistiques. II rend compte des
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Administratioa et rédactioa t Jtme d»» Mimmm, lOw JJi tmeltm.
BruxeUei. — Imp. V Uonmou, 31, ru» de l'Iodnstria.
n'>' '' V,l
■m^^
OKittia Amta. — N* 26.
Lb mdhébo : 86 cbhthibs.
DnfAMGHB 28 Juin 1891.
MODERNE
PARAISSANT LB DIMANCHE
RivuE QRrriQnE des arts et de Là uttérâture
Comité de rédaction i Octave MAUS — Edmond PÏCARD — Éhili VBRHAEREN
▲BOmraiiâllrrS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union poaUIe, b. 13.00 — ANKONCKS : On traite à forfùt.
Adreuer toute* le» communicationt d
l'AmœasTaATioN oiNteALs db TArt Moderne, rue de rindnstrie, 32, Bruxelles.
Sommaire
Lm CARons D'AMDHi Walter. — RécniATioNs populaikbs. — Ad
Mmia Dl TABUUDZ ANCUN8. — L'ŒOVKI UTBOORAPRIlt OB PiLICIBN
Rom. — La cocliuk au thAatrc. — Conqoubs du CoNSEivAToiai.
— Accusa Dl aicBPnoN. — Pirira caaomQDE.
Les Galiiers d'André Walter
(1)
Comme ils sont loin les temps où tout débutant en
la prose et dads le roman autobiographique ou non,
se crojuùt forcé comme MM- Paul Adam dans Chair
molle, comme M. Bonnetain dans Chariot s'amuse,
d'élaborer scrupuleusement un art fait de miettes d'ob-
servation extérieure, de détails pris sur le vif, de
descriptions quasi photographiques, en un mot de ce
que les naturalistes qualifiaient : étude des milieux!
Aujourd'hui, cette notion du milieu ne se rapporte guère
à rextérienr; c'est le milieu intellectuel qui la remplace.
Les livres qu'il lit, le livre qu'il fait, la réflexion per-
sonnelle.sur lui-même toujours active et modifiante, ces
endedans bien plus intimement liés à nos déterminations
que n'importe quel endehors, voilà, dans les bouquins
récents, ceux de Barres, celui même — le dernier —
(1) Paria, Perria et C*. — Une autre édition de cet ouvrage a paru
à la librairie de l'Art indépendant.
d'Huysmans, celui de Rosny, ce qui influence, déter-
mine, légitime tour à tour la conduite et les passions
des personnages. Ces écrivains, tout autant que leurs
•'héros », se font leur milieu, quelquefois étrange et
complexe, curieux et soudain ; ils y vivent barricadés
contre l'envahissement du milieu de la rue, du milieu
de leur ville et de l'heure — et ainsi l'intellectualité de
leur art, plus haute parce que plus solitaire, apparaît
presque contradictoire des ambiances, alors qu'il y a dix
ans, sous le règne réaliste, elle y plongeait et souvent y
sombrait.
Il me semble que cette seule remarque fait com-
prendre tout le chemin parcouru dans l'express litté-
raire, depuis la gare de Médan. L'influence de Zola
n'est plus guère perceptible aujourd hui. Au contraire.
Certains livres semblent par leur art dirigés contre elle,
et sans qu'ils le soient, parlassent des attaques non
contre l'homme, mais contre le système.
C'est là la vraie lutte intéressante en art ; celle qui se
fait par la force même des œuvres, celle qui ne nomme
personne, qui n'afl'ecte point des allures de combat, qui
ne part en guerre contre rien et qui pourtant fait une
trouée de démolition évidente. De telles œuvres on les
reconnaît révolutionnaires, quand déjà elles ont passé
de la curiosité à leur définitive classification.
Ces réflexions nous viennent à propos d'un livre non
signé, intitulé : les Cahiers d'André Walter. On nous
a dit le nom de l'auteur. Nous avons fait notre possible
pour l'oublier, si bien qu'à ce moment il nous serait
très difficile de répondre à une interrogation à ce sujet.
Ce livre n'est donc qu'un livre, indépendant de toute
vanité d'ordinaire affichée en un nom.
A cette heure que nous sortons impressionnés de sa
lecture, nous n'hésitons pas à le coter haut et puissant
parmi les œuvres récentes. Sans plan, sans action, sans
péripéties, sans pose, presque sans phrases, il nous est
ofl'ert comme étoffes de pensées cousines ensemble, par
le fil d'un grand amour suprachamel, qui n'a pu se
réaliser en ce monde. Il n'est point habillé, pomponné,
taillé sur un patron ; il est comme en négligé, sans la
toilette de circonstance. Des périodes inachevées en
mots ; des points remplaçant des incidentes ; des tirets
et des vides. Parfois on dirait d'un déballage confus
d'objets dépareillés; parfois la conclusion est omise
comme si on n'avait eu le temps de la tirer des premiers.
On sent la hâte de consigner les pensées cravachées
vers leur fuite, l'angoisse à en choisir une parmi des
tas d'autres, la complexité des impressions ne se
débrouillant pas toujours, des loques arrachées au
vêtement entier d'une synthèse, des peurs de n'arriver
à temps pour écrire jusqu'à sa fin une impression avant
son évanouissement, l'agitation, la fièvre, la transe,
toute la vie d'un cerveau — et là bas c'est le havre de
la folie, le port de la démence tout en croix de mâts
noirs. Tandis que l'auteur note au jour le jour ou plutôt
à la nuit la nuit, l'empreinte de ses idées sur son âme,
il compose parallèlement un roman qu'il intitulera
Allain. Il a la crainte de n'arriver au bout avant sa
débâcle d'esprit et dans les Cahiers où il note la course
vers elle, il calque et décalque cette tragique angoisse.
Cela occupe toute la partie finale des Cahiers. Le
milieu est pris par l'étude de son amour; les premières
pages par des préliminaires. Immédiatement, en ouvrant
le livre, on est conquis par telles pensées :
« J'ai peur qu'une rhétorique, d'ailleurs impuissante,
ne profane; par haine des mots que j'ai trop aimés, je
voudrais mal écrire exprès ». Quand on appelait Flau-
bert un moine de la littérature on ne songeait guère à
cette discipline là. Les hommes de la génération de
Flaubert ne pouvaient l'éprouver-, ceux de la nôtre ou
plutôt ceux de demain l'éprouveront certes.
Une autre. Emmanueleet André — la sœur et le frère
s'aimant — après une lecture de l'Evangile :
— Si tu voulais, dit André, nous prierions ensemble?
— Non répondit-elle, prions à voix basse, sinon nous
penserions à nous plus qu'à Dieu.
Une autre encore :
« Tous ont raison, les choses deviennent vraies •..
Ces phrases ramassées au début de l'œuvre ne vous
permettent plus de l'abandonner, dès que vous l'avez
saibie. Je lis, me disait dernièrement un ami, les vingt
premières pages de tout livre qui me parvient; si au
bout de la vingtième aucune phrase ne m'a fait réfléchir
ni admirer, je passe à un autre. Cet ami certes aurait
lu les Cahiers jusqu'au bout.
L'amour constitue le fond de l'œuvre, un amour fait
de silence parce que le silence seul en 'peut avouer la
profondeur, un amour mystique, frêle d'apparence, tout
en teintes et en harmonies qui se mêlent, un amour dont
le rire et la chair sont non seulement bannis, mais
maudits, un amour qui se tresse et se noue à cause des
musiques admirées, des vers récités, des prières appri-
ses, des bonnes œuvres accomplies, des perfections
poursuivies, d'un presque état de sainteté convoité et
recherché ensemble. Un amour cassé par un devoir, par
une promesse faite et tenue, un amour moins de la vie
que d'après la mort.
L'auteur des Cahiers d'André Walter non seulement
intéresse par sa vie déchirée par lui en lambeaux d'art,
mais grâce à son quasi encyclopédique savoir, grâce à
ses réflexions hardies sur la, philosophie, sur l'essence
des choses et les moyens de connaissance, sur la nature
des facultés humaines et leur direction et leur but,
comme aussi par sa délicatesse à sentir et à admirer
les chefs-d'œuvre, à les faire sonner la note harmo-
nieuse en telle heure d'existence, à les marquer et à les
commenter par brefs aperçus, le plus souvent justes,
enveloppe son attentif lecteur d'une atmosphère d'émo-
tion tenue et puissante à la fois, qui le pousse à ranger
le livre parmi ceux qu'on relira un jour.
Il est certain qu'il vient à son moment, que chacun
y trouve un écho de son moi, qu'il est inédit d'impres-
sion, que s'il peut se rattacher à tel cycle oti les Barrés,
les Margueritte et même les Rosny — celui-ci plus lar-
gement que les autres — veulent enfermer les pensées
et les aspirations multiples de la jeunesse de leur temps,
il s'en distingue pourtant par une subtilité et une pro-
fondeur, moins extérieure et plus aiguë. J'oserais dire
qu'on y écoute la confession d'une âme jeune, très
haute, formée par une éducation personnelle, que le
milieu intellectuel où trempent les générations frang^i-
ses venues après la guerre et instruites par les débâ-
cles, ont faite mélancolique et savante. Et peut-être de
tous les livres parus jusqu'aujourd'hui, les Cahiers
d André disent-ils le mieux la tristesse et les désirs non
encore partis vers la conquête de ces âmes là. Le fond
de leur amertume n'est que le manque d'action, non
offert, redouté, jugé indigne du reste — et qui seul les
satisfera quand il se présentera, un jour.
Mais combien intéressantes et belles sont ces âmes
à cette heure !
i'î'flg*'"' ^-v*. ;
UART MODERNE
205
Récréations populaires.
Ploi que (oui autre élal social peut être, la démocratie a
besoin de rérréaiions populaires. C'est, après les spectacles
natursis, sa seule façon de concevoir l'art et d'entrer en relation
avec lui. Un art inférieur sans* doute, mais il ne dépendrait
que de la bonne volonté de quelques-uns de le faire successive-
ment progresser et monter très baut. L'important est qu'on s'en
occupe et que de temps en temps les qui de droit de cbez nous
fassent leur examen de conscience sur ce point spécial, et
recherchent s'il n'y a pas lieu pour eux de prononcer quelques
meà euljw.
Ce qu'on appelle les plaisirs d'une capitale, ce n'est précisé-
ment pas ce qu'on nous prodigue k Bruxelles depuis quelques
années. Nous nous mourrons lentement d'anémie et de découra-
gement, ne voyant pas de quel côté pourraient nous arriver les
éléments réparateurs. Qu'on dise si Bruxelles a jamais été aussi
triste I celte ville, si jolie, si variée, si délicieuse par les dorures
du soleil.
Nous avons bien celte bonne farce de Bruxelles-Attractions qui
de loin en loin fuit parler d'elle; mais cbez ceux qui pourraient
et devraient agir, on ne constate que déplorable inertie. Fran-
chement, en l'an de grice 1891, une capitale de six cent mille
habitants ne devrait elle avoir dans son Conseil communal une
section des Ans et des Fêles, tout aussi bien qu'une section
de l'instruction publique? Tout n'est-il pas en tout et la musique,
les promenades pittoresques, les exhibitions curieuses, les grands
spectacles ne peuvent-ils contribuer pour leur très large part au
développement intellectuel et émqtif de la foule ?
On l'a eortipris ailleurs. Dans des villes que la nature et le
passé des ancêtres avaient moins pittoresquemenl doués, l'ini-
tiative des édilités et des particuliers a quelquefois fait merveille.
Et ces villes, qui ne pouvaient passer pour belles, ont au moins
voulu être gaies. Notre chère capitale pourrait avoir l'une et
l'autre de ces prétentions. Qu'on lui donne seulement des fleurs,
de la musique, des fêles, des distractions; et encore, et toujours.
Ailleurs? Citons au hasard des souvenirs. Partout des récréations
accessibles ï tous et appropriés aux besoins et au génie de gaieté
locale.
A Paris? Les Champs-Elysées, si animés, si bruyants, les
squares incomparables, le bois tout peuplé de chilets, de restau-
rants gais, le très varié jardin d'acclimatation et les plaisirs
du canotage, les grands hippodromes, les expositions succes-
sives, etc., etc.
A Londres, pour le peuple, le palais du peuple, vaste construc-
tion où l'on offre d'autres passe-temps i l'oisiveté populaire du
dimanche que le petit verre et la bouffarde. Dans les villes du
Nord, k Copenhague, & Stockholm, à Christiania, ce soni les
immenses Djorgarden et les Tivoli, des kermesses permanentes
avec, au milieu de la ville, et tous les soirs d'été, des concerts
variés, des théâtres en plein air, des fêtes nautiques, des illumi-
nations fantastiques : le peuple s'amuse, reprend des forces, le
soir et le dimanche, pour le travail à venir : il y a du rire sur les
lèvres et de la g:iirté sur les visages; on n'y pense pas aux villes
mortes! — La Russie, elle, a conservé de vieilles traditions. En
plus le jour du Seigneur, elle a en moyenne au moins deux fêtes
religieuses ou historiques par semaine.
Les grands hermUagu de Pétersbourg et Moscou s'emplissent
ces jours-lk d'une foule ardente aux plaisirs, les grands bois se
transforment en champ de récréation : on s'y amuse aussi, de tout
le plaisir calme des grands amusements populaires accessibles à
tous.
Ce mot ne doit pas effrayer les puristes, les esihètes délicats
et aristocratiques. Chez eux seulement n'est pas le besoin d';irt.
H est chez tous, dans la foule comme dans les petites rhapellcs :
sa seule qualité variera. Et encore! La décoration n'a-i-elle pas de
raison d'être parce que la peinture est reconnue un gnind art? Ou
bien, précisément parce qu'on aime les gracieuses ou viriles com-
positions, les couleurs amusantes, suggestives ou harmonieuses,
n'éprouve-t-on pas le désir de remplacer les lignes droites et les
tons unis de son home par tons les agréments du décor? Et parce
qu'il est moins intellectuel que le théâtre, faut-il supprimer le
cirque?
Non, c'est dans un milieu citadin de plus en plus embelli,
coquettisé, rendu harmonieux et amusant que nous voulons passer
notre existence. Et une récréation appropriée à chaque classe
sociale, presque à chaque heure oisive du jour, est devenue une
nécessité. Nécessité pour nos socii'iés surmenées de travail et de
préoccupations, composées d'éléments ultra divers.
Triste notre Bruxelles, qui, en ces jours ensoleillés et chauds,
évoque toutes ces idées ! Quelle nécropole et que bonasses nous
sommes, nous laissant ainsi tout vivant dessécher, sans même
crier à mieux, et nous qui ne sommes pas du peuple et eux, ceux
du peuple, qui possèdent encore moins de distractions que nous !
AU MUSÉE DE TABLEAUX ANCIENS
MoNSiEDR LE RÉDACTEUR DE l'Art modeme.
L'article sur les tableaux anciens du Musée, publié d;ins votre
dernier numéro, m'a paru très Intéressant et Iri^s juste. Plusieurs
personnes m'ont déjà parlé d<>s prix des tableaux achetés p:ir le
gouvernement et de la façon dont on les cachait. J'ai été heureux
aussi de vos protestations au sujet du placement des tableaux, qui
est odieux et déshonorant. SI Fromentin revenait à la vie et à
Bruxelles, Il ne recommencerait plus son bel éloge de notre Musée
et s'indignerait de maîtresse façon à propos de la manière dont il
est actuellement organisé. Ou ne soigne même pas les tableaux.
Allez voir : les Cinq sens de Teniers vont tomber île leur ciidre ;
l'intéressant Portique d'un palnis de Dirk van Delen, une toile
rare et brillante, vient d'être netioyée et abifnéc complètement ;
toute l'harmonie calme et pure, qui en faisait un petit joyau, est
enlevée et on l'a rendu criard, luisant comme un habit neuf,
détestable, avec des rouges groseille atroces. C'est Indigne de
gâter une œuvre ainsi.
Ce que vous dites du Rembrandt est juslc[> Tous les amateurs
mettent en doute sérieux son authenticité et un expert m'u uRiruié
que la signature était assiz récente. Vous eussiez dû signaler
aussi, parmi les acquisitions défectueuses, le Bois de Haarlem
d'Hobbema, un piteux t.jbleau d'un grand maître, dans lequel on
sait que son dernier propriétaire, M. Nleuwenliuis, s'est amusé â
peindre un cheval blanc qui s'y trouve encore.
A propos du prix des Oatade, voici une anecdote que je vous
livre : En 188i, Monsieur D. a offert au Musée un Osade
(Isaac) superbe et bien connu des amateurs, pour 24,000 francs.
Le Musée a refusé. Trois semaines après un marcliand de Londres
le prenait pour 35,000 fnnes. Ce n'est pai la seule belle occasion
qu'a raiée la Commitslon. Elle a pu arheierft un prix raisonnable
un célèbre Rembrandt, mille fois supérieur ft la douteuse petite
vieille, iqui se trouve i l'hospice, comme vous disiez, de la rue de
la Régence.
Je déplore avec vous. Monsieur, l'insuffisance et l'incurie de la
Commission des Beaux-Arts. Il y aurait bien des rhosi'S i signaler
encore. Si vous croyez celles que je vous envoie intéressantes,
publiez-les. Je vous les certifie exactes.
Agréez, Monsieur, l'assurance de ma considération distinguée.
E. D. {un vieiVamateur de tableaux).
Un abonné nous envoie une lettre indignée à propos de la
façon dont on i encadré les Tilet de Nègre* de Rubens. Ce cadre
n'es) pas même digne d'un Van Boers, écril-il. Nous ne pouvons
que lui donner raison et enregistrer une fois de plus le très mau-
vais goût de la commission des Beaux-Arts.
L'n autre abonné nous communique les observations suivantes,
dans lesquelles il y a certes à glaner quelques bonnes idées :
Concierges. — Les musées de l'Etal possèdent, chacun, des
concierges logeant dans les bâtiments mêmes. Ces concierges sont
un danger permaneni. En effet, ils s'y occupent de tous les soins
de leur ménage. Comme certains d'entre eux sont des gens Agés,
ce danger augmente encore, car ils seraient incapables d'étouffer
un commencement de combustion produit par leur fait. De plus
ils seraient incapables de défendre les collections contre les mal-
faiteurs. Lorsqu'ils sont jeunes, c'est autre chose. Ils ne sont pas
assez précautionneux. On raconte qu'il y a une vingtaine d'années
le concierge d "un de nos principaux musées de peinture fut, pen-
dant longtemps, un original qui, enlr'autres excentricités, circu-
lait en vélocipède, avec ses amis, dans les galeries ! On l'accuse
même d'avoir abîmé plusieurs tableaux. Il fut, il est vrai, ren-
voyé, mais un peu tard.
Les huissiers, chargés de la garde des galeries, ne pourraient-ils
remplacer avantageusement les concierges pendant le jour? En
dehors des heures d'ouverture, la présence des concierges est
inutile. Mais comme il pourrait se faire que, dans certains cas
une commission doive être faite le soir, elle pourrait être trans-
mise au poste permanent des pompiers ou des soldats, auxquels
on aurait à s'adresser.
Il en est de même au Cinquantenaire, à la Porte de Hal. Quant
au Palais des Académies et aux autres musées de l'Eial où il n'y
a pas de poste, on construirait une loge séparée du bâtiment,
dans le jardin. Celte mesure a été prise à l'ancien Observatoire
où l'on peut encore voir la loge.
Apparfii.s de chauffage. — Ces appareils sont actuellement
établis dans les bâiiments mêmes. Ils devraient être installés tous
dans les j-.irdins, à côté de la loge du concierge. Inutile d'insister
sur l'importance de celle mesure.
Portes. — Toutes les portes de bois devraient être remplacées
par des portes de fer, ou tout au moins doublées d'une solide
plaque de iôle. Etant fermées, elles isoleraient toutes les parties
du baiimenl l'une de l'autre.
RE^.SEIG^EMENTS. — On devrait indiquer, en quatre l.mgues
d'une façon ap|iarinte, que 1 emri^e des musées est libre et gra-
tuite. Il en est de même des vestiaires, l'intérêt général devant
être prit en considération et non l'intérêt des girdieni de* ves-
tiaires.
HttissiERS. — Certains hoistiers n'ont pas nm tenoe ni un
maintien convenables. Les personnes qui MqoenlnM iseidtaient
nos musées ont pu le contUter. En général, ces dioses v». peu-
vent pas être remarquées par les membres des Goatimispipns,
parce que les huiuiers sont loojoors prévenu k temps de leur
arrivée. On voit quelquefois, dans tels musées, les fardiens
s'étendre sur les bancs, dormir on engsger d'une salle h l'autre
des conversations I haute voix, dsns «n langage peo relevé, soit
entre eux, soit avec les cireurs. En général, ils sont polis ; ren-
dons leur cette justice.
UmroaiiB. — Le costume actuel est très incommode. 11 devrait
être remplacé par un uniforme, pareil ft celui des gardiens du
Palais de Joatiee.
Stnivnujuici. — C'est un point psrtienUèrtnent important
dans un musée de grande ville. Celte surveillance laisse parfois h
désirer. Souvent certaines salles restent k l'abandon. Il y a quel-
que temps, une grande salle d'un de nos principaux musées est
restée plus de dix minutes sans surveillance, au moment même
oi^ six individus k mine suspecte t'y trouvaient. Je les ai observés
avec obstination, ce dont ils te sont aperças. Ils auraient pu,
sinon, détériorer k leur aise une des peintures exposées.
Bakcs. — Les musées sont ponrvus d'excellenu bancs, en
velours, très moelleux. C'est une chose détestable. En eflet, les
bancs sont faits pour qne les visiteurs puissent te reposer un
instant et non y dormir. Actuellement, il y a, certains jours,
lorsqull pleut surtout, au Mutée Moderne, quinze on vingt indi-
vidus qui jamais ne travaillent. Ht viennent l'étendre tor ces
bancs et alors ils tiennent des propot dégoûtanlt, narguent les
visiteurs et surtout les dames et les jeunet filles. Il devrait y
avoir de simplet banet, en osier, tans dossier. Cela toffirail pour
faire partir cet Individus, ce dont lei huittiert seraient très
satisfaits. A Londres, k Paris, k Madrid, en Italie, il y a partout
des bancs très simples et surtout non munit de dostier.
DénoMiNATiON DES SALLES. — 11 Serait utile de donner des
noms aux diverses galeries et salles : salle Rubent, telle Van
Dyck, salle De Crayer, etc. De même, les bustes des peintres
célèbres devraient avoir une inscription donnant les renteigne-
ments relatifs k chacun d'eux.
L'ŒUVRE LITHOGRAPHIE DE FÉLICIEN ROPS
Par E^STÈNB Ramiro. — Un vol. in-4<> da 137 page*, non compris
titre et tables, orné de sept reproduction! de litho^phiea en taille-
donoe et de sept fleurons et culs de lampe. — Paris, Conquet, 1891.
Lorsqu'en 1887 parut le catalogue de V Œuvre gravé de Féli-
cien Rops — ouvrage aujourd'hui épuisé et qui va refleurir en
une deuxième édition — nous qualifiâmes l'auteur, Erastène
Ramiro, pour les initiés Eugëne Rodrigues, notre confrère du
barreau de Paris : « Homme de goût s'il en fut, esthète dans toute
l'intensité du terme (1) ».
Le volume qu'il vient de consacrer k VŒuvre lilhographU de
l'artiste confirme l'épilhèie élogieuse que noua lui décernâmes
alors. Méihode dans le classement des pièces, justesse dans leur
description, discernement dans le choix désœuvrés k reproduire,
(1) L'Art moderne, 1887, p. 117.
j:^hi
L'ART MODSRNB
207
loin minotirax apporté an texte et aux gravures, le volume décèle
oe» méritea divera qui font le commentateur accom|ili.
II a -fallu que ce fût un Français qui menAi & bonne fin ce
monument de gloire b notre compatriote. El voici le monoment
aeherd. dreasani ses tours jumelles : I'OEuthb oiAVfi, l'OEovnE
UTWNSUMlt, alors qu'en Belgique On feint encore d'ignorer que
Félicien Rops est l'un de nos artistes los plus illustre*, — l'un
des Maîtres de l'époque. Certains s'obiitinent 6 ne voir en lui que
raolear de telles planches voluptueuses, abomination hypocrite
des officiels ronds-de-coir, — qui les serrent précieusement dans
le tiroir réservé aux aphrodisiaques. Eh bien, ces braves gens,
s'ils s'attendent k irouver dans YŒuvre lithographie des excita-
tions nouvelles, en seront pour leur louis inutilement dépensé.
Erasténe Ramiro constate, eo terminant sa préface, que dans cette
seule branche de son art, la lithographie, Rops a pu produire plus
de SSO œuvres sans qu'on en découvre une seule qui soit même
simplement licencieuse. Bonnes gens, il faudra vous résigner 1
Encore une légende abolie, et celle fois définitivement, nous
l'espérons.
Le catalogue de tŒuvre lithographie est d'autant plus alla-
chant qu'il embrasse une période déjà reculée de la vie de l'ar-
tiste, l'époque où dans le Crocodile, dans VUylempiegel, dans le
Charivari belge, feuilles éphémères créée», sans aucune idée mer-
cantile, par la fantaisie de quelques jeunes hommes de lettres,
Rops a généreusement éparpillé ses premiers coups de.crayon.
« Ce sont donc, dit l'auteur, des œuvres de jeunesse. Elles mar-
quent le début de sa carrière, et l'on peut convenir que certaines
des productions rapidement enfantées au jour le jour, sous la
pression des exigences du journalisme, ue sont pas ii l'abri de
toute critique; mais le plus grand nombre oITreni un haut intérêt,
et plusieurs, autant par une psychologie profonde que par la sou-
plesse d'un art achevé, commandent sans réserve l'admiration. »
Voici la division adoptée par l'auteur :
I. Lithographies parues dans VUyUiispiegel.
II. Id. publiées dans /e C/i<>rtvartfre^«.
lU. Illustrations et affiches.
IV. Lithographies diverses. Pièces politiques.
V. Id. id. Pièces humorisiiques.
Les grandes planches reproduites hors texte {pn double série,
dont une avec remarques dans les exemplaires de luxe, tirés à
petit nombre), sont : Le Dernier des romanliquei, la Sotie
Marie- Jotèphe, Juif et Chrétien, la Peine de mort. Chez let
Trappittet, Uh Monsieur et une Dame, Un Enterrement au
Paye wallon.
Les fleurons et culs-de-lampe, judicieusement coUigés, com-
plètent l'illusiraiion de ce magnifique volume, d'une composition
difficile puisqu'il a fallu rechercher dans les colleciions privées
nombre de planches oubliées, et qui classe l'artiste au rang qu'il
a le droit d'occuper, — le premier.
Pour finir, ciions cet extrait relatif i VUylenspitgel, qui rap-
pellera il beaucoup de nos lecteurs des souxenirs dfjà lointains :
a Comme les journaux heureux, l'f/y/eritpiVge/ n'a pasd'hisloire.
Le petit cénacle qui composait sa rédactinn, à di^faul de capitaux
considérables, jouissait d'une exiréme ji'unnsse. rar la plupart
des collaborateurs se portent encore à merveille. Hullaux, qui les
dirigeait sous le nom calenibnurgeois de Hnvin, est encore
aujourd'hui le sympathique rédarlruron eh' fili' ^i Chronique de
Bruxelles; Léon Jourol i-e livre toujours avec, succès à la critique
musicale; Emile Leclerc, ci-devant E. Piitorc, écrit des romans;
Rops bit mordre ses enivres avec vigueur pins juvénile quç
jamais. En route est resté Coveliers, qui, sous le nom de Bénédici,
traitait surtout les questions musicales; et malheureusement
aussi, Charles de Coster, un des rares écrivains de r « ancienne
Belgique ». Du moins, ce dernier nous a-t-il laissé deux livres
admirables : les Légendes flamandes et les Aventures de Tyl
CUie* Uylenspiegel.
« Le petit journal réussit presque,) un moment, à faire ses
frais. Nais on s'avisa d'en augmenter leiormat et il ne put sup-
porter cet accroissement de dépense qtie la publicité ne compensa
point. Enfin la retraite de Rops, au 'mois d'août 4857, lui porta
le dernier coup. La décadence rapide qui s'ensuivit témoigne
bien du rôle prépondérant du dessinateur dans son existence.
Vainement on réduisit le format. Vainement on cherchait à
rassurer l'abonné par des des notes du genre de celle-ci, parue
le 13 décembre 1887 :
« Sans nous engager précisément, nous avions promis à nos
u abonnés de faire en sorte de continuer il publier quelques
« dessins de Félicien Rops.
« Nous sommes en mesure aujourd'hui de promettre formelle-
« ment, pour l'année qui va s'ouvrir, un dessin par mois, tiré avec
tt soin et imprimé sur beau papier. »
On telles encore que celle-là, parue le 3 janvier 1858 :
« Notre numéro de ce jour contient deux pages d'annonces,
u Nous avions etpéré remplacer cette page par une lithographie.
« Nous ne l'avons pu cette fois. Notre première planche lithogra-
« phiée ne paraîtra donc que dimanche prochain. Le sujet en
« sera désormais la Revue du mois écoulé, douze il seize des-
u sins de Félicien Rops. »
« Cette intermittence excessive dégénéra, au commencement de
1859, en abstention complète; le public se découragea, la caisse
se vida, et à la fin de 1861 il fallut cesser de paraître.
« On avait mangé quelque argent, mais on s'était bien amusé.
Quelques-uns n'ont pas encore oublié une grande fêle donnée par
la rédaction dans la superbe salle de la Corporation des bouchers,
sur la Grande-Place.
« Le comte de Flandre avait promis de l'honorer de sa pré-
sence, ce qui suggéra à quelques amis de la maison l'idée d'une
vaste mystification. Au moment où la réception battait son plein,
une porte s'ouvre bruyamment tout à coup, et on annonce :
« Sa Majesté le roi Léopold! » El, en cfl'et, un personnage res-
semblant à s'y méprendre au monarque régnant, s'avance au
milieu du public formant respectueusement la haie et distribue
aux uns et aux autres des témoignages de bienveillance et d'affa-
bilité. Mais, ô stupeur! quand il approche des dames, sa douceur
devient caressante, et sa haute indulgence, polissonne! U fallut
bien recodallre alors que le prétendu souverain n'était autre que
Woordecker, un peintre fameux pour la souplesse et la précision
avec lesquelles il imitait l'allure du roi. Pendant plusieurs jours
tout Bruxelles s'égaya de cette farce, qui avait un instant ému
bien des cœurs féminins. Le buffet avait été somptueux. La note
s'éleva ii 1,200 francs ! Ce fut le chant du cygne ! »
LA COULEUR AU THÉÂTRE
Je ne sais si tous les hommes sont comme moi, mais il m'advient
souventes fois d'être remué jusqu'aux circonvolutions les plus
intimes de mon sensorium au seul aspect d'une nuance, d'un
.■1
208
L'ART MODERNE
chatoiement coloré, d'un trait lumineux rose violacé. Il y a là
évidemment tout un monde occulte, déjà pressenti par les Seiui-
lifs, — ces Colombs de l'âme humaine, — et qu'en leurs poussées
évolutives les générations futures ne tarderont guère i découvrir.
Ce n'est que d'hier que les couleurs commencent à être distin-
guées, classées. On s'en convainc sans peine par la pénurie de
mots désignalifs de couleurs dont sont affligées les langues
modernes, pourtant si riches en vocables techniques. Que sont
ces expressions de verl d'MU, blea ciel, bleu marine, marron,
jonquille, lilas, sinon de métaphoriques appellations tardivement
imaginées pour peindre des sensations tardivement éprouvées?
Sur les sept couleurs fondamentales, violet, indigo, bleu, vert,
jaune, orangé, rouge, il y en a deux au moins, qui n'ont que des
désignations d'emprunt : indigo, couleur qui vient de l'Inde,
orangé, couleur de l'orange.
Toutefois cet effort même tenté par le langage actuel pour
exprimer la chose sentie indique surabondamment que la sensa-
tion existe. C'est un vocabulaire en voie de création, voilà tout.
Mais si l'on remonte la série des temps on est bien vite en plein
chaos. Prenons au hasard deux exemples : l'un fourni par la
langue d'Homère, l'autre par celle de Virgile.
lotti-fii, qui a pour racine tov, violette, désigne à la fols le lilas,
le violet sombre et le noir. Cœruleus, en latin, peut s'appliquer
indistinctement à la couleur du flot marin, à l'azur du ciel, à la
nuance des yeux, et peut se traduire indifféremment par bleu clair,
brun foncé et noir.
Ajoutons à ces étrangetés le cas pathologique doté par les
savanis du nom de dalloniime et qui fait que l'on confond les
couleurs les plus opposées. Pur atavisme, incontestablement.
Retour accidentel à la phase peu lointaine peut-être oïl le sens de
la couleur ne subsistait qu'en puissance dans le microcosme
humain.
Au théâtre, aucune méthode vraiment rationnelle ne s'estencore
révélée dans l'emploi de la couleur. Acteurs et actrices — les der-
nières surtout — semblent avoir pour préoccupation unique le
choix de la nuance vestimentaire qui fera le mieux valoir leur
teint et qui, suivant nécessité, grossira ou amincira plus à sou-
hait leurs formes. C'est ici, comme dans l'ordre social, le triomphe
absolu de l'individualisme.
Rien n'est sacrifié au normal fonctionnement, à l'épanouisse-
ment intégral de cette virtualité collective, qui s'appelle l'âme
d'une pièce. Imaginez des acteurs férus de démence récitant cha-
cun son rôle en même temps en un coin de la scène, sans se sou-
cier des répliques, des entrées ni des sorties. Les couleurs amé-
nagées comme elles le sont la plupart du temps au théâtre font
pire que cela. Elles détonnent, se heurtent, se déchirent, s'assas-
sinent, jetant sur la coniexiure dramatique la mieux ourdie l'in-
fernal tohu-bohu de leurs épilepsies.
Et ce gobeur de public Fegarde, épris, ébaubi, ébahi, et les
fouilles publiques du lendemain narreront par le menu la toilette
faille mauve de la jeune première ou les retroussis vert-pomme de
la mère noble!
Il y a là, ainsi qu'ailleurs, tout un 93 à faire. Tel rôle implique
harmonieusement non seulement telle nuance prédominante, mais
tel arrangement de couleurs, comme il implique tel style, tel
débit, telle musique, tel dégagement de parfums.
Un goût excessif pour les restitutions grecques, romaines ou
moyenagesques en matière de costume semble férocement hanter,
depuis quelques années, le monde des impresarii. Ces bonnes
gens ne s'aperçoivent pas qu'ils font du vieux épouTanlablement
fantaisiste et faux. Leurs gladiateurs à maillot rose, leur* Jeannea
d'Arc plaquées de céruse et bistrée* de kohl, leur* Nérons vdtut
d'étoffes fournies par la maison Hériot et C, en place de la pourpre
syrienne et du byssus asiatique, tout cela htirle et crie pitié. Si la
somme d'efforts dépensée pour arrivera satisfaire le caprice aussi
bizarre que passager du plus volage des publics était consacrée à
perfectionner le grand art, l'art immuable et vrai, celui qui est de
toutes les époques et de tous les peuples, que de pas, que de
lieues nous ferions chaque jour vers l'Idéal I
Fabri DBS EssAKTS {VAvmir iramuiqui).
CONCOURS DU CONSERVATOIRE (>)
Ittstmments fc oordes.
CotHrebaste. — Professeur : M. Seha. S* prix avec distinction,
M. Broeckaert; 2« prix, MM. Van den Eynden, Jbek et Van Lem-
bergho.
Alto. — Professeur : M. Firket. 2* prix, MM. Baroen, Ferir et
Nagels; {"accessit : MM. Cniipelinckx et Gieizen.
Les deux seconds prix de l'an passé, après avoir joué le mor-
ceau imposé (fragment d'un concerto de Viotli), ont abandonné
la lutte.
Violoncelle. — Professeur : M. Ed. Jacobs. l" prix avec
distinction, M. Van l'iicrdael; 1" prix, MM. Inslegcrs et Gillet;
2» prix, MN. Gnffin et Vaniyn.
MnsiouE DE CRAMBRE AVEC PIANO {court inférieur). — Profes-
seur : M"' Zarembska. 2« prix, M'"« Van Eessen, Pardon,
Leborgne; 1" accessit, M"" Albert, Dekork, De Raedt.
Orgue. — Professeur : M. A. Mailly. i" prix avec distinction,
M. Goriiboek; i" prix, MM. Dcclercq et Byl.
Piano (jeunes fille»). — Chargé du cours : M. Gurickx. i" prix
avec distinciion. M"" Blés; 4" prix, M"~ Parcus et Falkenstein;
2' prix. M'" Meriens.
Prix van Cutsem, M"« Lemaire.
^CCUgÉg DE I\ÉCEPTION
Il sera rendu compte prochainement des livres suivants :
Dypiyqiie, par Francis VielE-Ghiffin; Paris, mars 1891 (sans
nom d'é<liieur; imprimé à petit nombre pour le compte des
Entretiens politiques et littéraires par A. M. B<audeloi). —
Liminaires, p:ir Paul Redonnel; Bruxelles, Lacoinblcz. — La
Joie de Maguelonne, par A. Ferdinand H^rold; Paris, Librairie
de tA ri indépendant. — Le Théâtre de Rachilde, avec un dessin
inédit de Paul Gauguin (Madame la Mort) et une préface de
l'auieur; Paris, Savine. — Suggestion.... par Henri Nizet; Paris,
Tresse et Stock. — Philosophie de l'enseignement des Beaux-
ArU, par Emile Leclercq; Bitiliohèque Gilon.
Petite chroj^ique
Félicien Rops, cliché instaniané de OU Bios :
Un mjsque sensuel, gouailleur de faune que hantent des désirs
sans trêve. La barbe en pointe, les moustaches retroussées, le
regard aventureux, étrange, troublant, se posant sur les femmes
(1) Suite. Voir notre dernier numéro.
• ^T^n^pfr^^PlPiiW 9' '
L'ART MODERNE
209
comme de l'OtMession. N'a pasd'âge Semble avoir trouvé le secret
de l'éternelle jouvence, conclu quelque pacte aecret avec son ami
le Diable. Un Flamand mâtiné de Purinien. Le maître de l'art ero-
tique. Imprègne ses prestigieuses eaux-fortes on ne sait de quelle
luxure éperdue. Leur donne le frisson, la fièvre des spasmes.
Épris des pourritures du siècle, des enlacements de sabbats, des
grouillantes misères, des beaux monstres, des femelles en rut.
Travaille h son caprice comme les grands bohèmes de jadis. Ne
connaît que l'heure du rêve et se moque du lendemain. Très guetté
par les amateurs qui se disputent !t prix d'or chacune de ses
œuvres. Rappelle Goya et souvent le dépasse.
Un Mâle, monté par le Théâtre de l'Avenir-Dramalique, a été
représenté samedi dernier pour la dernière fois, après avoir tenu
l'affiche pendant plus d'un mois. Comme l'a dit M. Sarcey, la
pièce faisait de l'argent. Ce critérium du succès la déléguait à une
carrière plus longue. En une saison meilleure, peut-étiî elle eût
atteint les gros chiffres; mais trente-deux représentations pour
une pièce qui se propose différente des machines en vogue et
délibérément récuse les moyens par lesquels d'adroits industriels
s'assurent dé fructueux bénéfices, constituent déjii un résultat fort
honorable.
Un MdU, d'ailleurs, ne quitte pas l'affiche parce que le public
le quitte, mais parce que la plupart de ses interprèles sont
rappelés par des engagements antérieurs. Il s'est trouvé que le
public, qui était venu un peu défiant aux premières représenta-
tions et que la critique, déroutée au début, avait à son tour
dérouté, est revenu nombreux et tout à fait bienveillant à mesure
que les représentations se succédaient.
Ces représentations se dénoncent comme une épreuve décisive.
La pièce, qui d'abord apparaissait un bélier dont s'effarait môme
la critique, a fini par avoir raison des préventions : on s'est
aperçu qu'elle ne battait en brèche que les tenaces routines et
qu'elle n'était révolutionnaire que par son reniement du théâtre
poncif et rebâcheur. (L'Avenir dramatique.)
Jobéphio Peiadan a, selon sa coutume, fait paraître en bro-
chure (60 pages, chez Dentu) une appréciation du Salon de Paris.
Seul l'a sollicité cette année l'Exposition du Champ de Mars.
Une dédicace « au maître peintre Marcellin Desboutins », une
préface « pour ces Messieurs de la Presse », un mandement de la
Rose-Croix du Temple fondant la Rose-Croix esthétique, avec
« paroles du Sar de la Rose-Croix à ses pairs », complètent ce
petit volume, qui marque, comme les précédents, la foi artistique
intransigeante et hautaine de M. Peiadan.
Voici à litre de document, les « V articles publics de la règle
des Rose-Croix esthètes » :
I. Pour entrer dans la R -I- C esthétique, il faut être présenté
par deux parrains d'honneur, deux parrains de talent, quel que
soit l'art où l'on œuvre.
II. Au cas où le récipiendaire forferaii à l'honneur, les deux
parrains sont chassés solidairement.
Au cas où le récipiendaire forferait à l'idéalité, en collaborant
aux journaux pollectionnels ou en dessinant avec Irrespect sur le
catholicisme, les deux parrains de talent seront solidairement
chassés.
III. Une œuvre de R -f- C sera certainement exposée si le con-
suliateur l'a déclarée valante au vu de l'esquisse.
Sinon, elle est soumise au jugement du Sar, assisté de deux
pairs.
IV. L'artiste R -|- C demeure libre d'exposer où et quand il lui
platt, pourvu qu'il envoie tous les ans au Salon de la R -f C une
œuvre spécialement faite.
V. En cas imprévu dans la Règle et en tout conflit d'artiste
avec les Commandeurs, l'autorité du Sar étant abstraite, est
absolue.
La suite de la Règle ne sera communiquée qu'au postulant. .
On peut écrire, dès â présent, au Consullateur esthétique pour
4891, Gary de Lacroze, 40, rue du Général Foy.
En souscription chez Dietrich et C", éditeurs à Bruxelles, les
Œuvres de i. Portaels, publiées sous la direction de Pieler
D'Hondt, bibliothécaire-adjoint â l'Académie royale des Beaux-
Arts et École des Arts Décoratifs de Bruxelles.
L'œuvre de Portaels se composera des reproductions des prin-
cipaux tableaux du maître. Il sera donné successivement une
série de figures, une autre relative à ses voyages au Maroc, en
Hongrie ei en Orient, une série représentant des tableaux d'his-
toire et religieux ainsi. qu'un cycle de tableaux et de dessins iné-
dits intitulé : Autour du Calvaire.
L'ouvrage sera complet en cinq livraisons, comprenant dix
planches chacune. Tous les trois mois paraîtra une livraison au
prix de 25 francs : un riche carton album (prix : 10 francs), sera
livré sur demande.
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Chez M"« V" LARCIER, imprimeur-éditeur, 22, rue des Minimes,
à Bruielles.
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papier teinta de cuve spéciale, format grand in-4», omë d'un fac-similé
des armoiries de l'ancienne Basoche et d'autographes de quelques-uns
des maîtres du Barreau. Il reste du tirage fait pour les souscripteurs
quelques exemplaires mis en vente au prix de 7 fr. 50.
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c
Onzièmb annâb. — ii' 27.
Lb NUUÉRO : 26 CENTIMES.
Dimanche 5 Juillet 1891.
L'ART MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
RBVDB ORITIQOE DBS ARTS ET DE U LITTÉRATURE
Comité de rédaction i Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
ABONNEMXNTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. — ANNONCES : On traite à forfait.
Adreater toute» les communications d
l'administration générale de TArt Moderne, me de nndnstrie, 32, Bruxelles.
Sommaire
Ln Mabcrands hors du Tbhplk. — Lss Mus^bs. — Toujocrs a
PaOPOe DES TABLEAUX ANCIENS. — MusisS EN PLEIN AIB. L. 0. RoTY.
— L'Art et l'Etat. — Quelques volumes. — Vincent Van Ooou.
— Concours du Conservatoire. — Petite chronique.
Les larobaods ïors du Temple
Nos critiques sur les faits et dits de la Commission
des Beaux-Ârts, ou plus généralement sur ia Direction
des Beaux-Arts en Belgique, ont fait le tour de la
presse. Seuls se sont abstenus les journaux qui profes-
sent que le respect des institutions ofiScielles est le
commencement du bon doctrinarisme et qu'on a toujours
tort de déranger quelque chose dans le bel ordre admi-
nistratif et mondain où tout est si parfaitement orga-
nisé pour la dignité, le repos et le profit des incapables
et des parasites.
Non» frappons, quant à nous, sur cette ruche habitée
par des frelons et nous continuerons à frapper et à
convier le public à ne pas faire trêve. Le silence calculé
qu'observent les personnalités visées (et atteintes) est un
indice nouveau des abus. On ne se tait pas avec une
telle obstination quand on ne redoute pas la discussion.
Il y a anguille, ou plutôt reptile sous roche. Il faudra
bien qu'il sorte ou tout au moins qu'à l'avenir il cesse de
nuire.
On a vu, par les faits et les chiffres que nous avons
cités, que depuis des années les fournitures pour notre
musée de peinture ancienne sont accordées avec une
étrange constance à deux marchands qui les traitent à
des prix exorbitants. Or, on nous assure que ces deux
marchands ne sont qu'un seul marchand, qu'il y a
entente, que l'un parait après l'autre pour ne pas éventer
le truc. Et chose plus édifiante, que le troisième mar-
chand qui, parfois, a la gracieuseté de donner à nos
collections une œuvre, est aussi l'un des deux marchands
susdits, ou l'unique marchand ; la Commission des
Beaux-Arts connaît le secret du pseudonyme sous
lequel se dissimule ce bizarre bienfaiteur, aux libéra-
lités alléchantes, mais le public l'ignore, car le public,
plus sceptique que les membres^de cette mirobolante
commission, se douterait apparemment qu'un marchand
qui donne est un marchand qui prépare un coup,
c'est-à-dire qui très gracieusement et très adroitement
va essayer de vendre sa marchandise le plus cher pos-
sible, en dorant la pilule destinée à être avalée par
l'acheteur candide et ignorant.
Nous avons dit à M. de Burlet, le nouveau ministre
qui a les' Arts dans son département ; « Surveillez ce
monde là, ou on le surveillera pour vous. Défiez-vous
en. N'avalez pas les bourdes qu'il émet avec l'aplomb de
-,-/,', jf' Vλi.1î'4ï.;-?ff»^,iP;' ; ■■
l'audace et des réussites antérieures. Visitez ces rou-
tines de fond en comble. Réformez cette pétaudière. » —
Nous nous y appliquons, nous, et nous convions tout
le monde à s'y employer. Car le ministre semble déjà
s'enfariner, et fait chanceler l'espoir qu'on mettait
en lui.
Cette drolatique commission dont nous publierons
incessamment le personnel avec instantanées à l'appui,
se laisse endoctriner par deux ou trois personnalités qui
passent pour oracles, à tort, car leurs hauts faits se
comptent par leurs sottises. Les autres membres menés
à bec tendu ne font pas ce qui s'impose à des hommes
investis d'une telle mission. Ils ne se tiennent au cou-
rant de rien. Ils achètent, achètent, achètent selon la
prétendue occasion que des habiles font périodiquement
surgir, ne connaissant pas le passé de l'œuvre, ses vicis-
situdes, les prix qu'elle a atteints précédemment, les
offres qu'on en a faites. On dit couramment qu'un
tableau ancien refusé ailleurs, trouve presque à coup
sûr son placement au Musée de Bruxelles, et qu'on peut
hardiment tripler ou quintupler, quand il s'agit de l'y
faire entrer, les prix obtenus ou demandés n'importe où.
Il serait bien simple, n'est-ce pas, de dresser un cata-
logue des prix obtenus dans les ventes publiques. On
saurait ainsi rapidement quel taux atteignent habi-
tuellement les œuvresde tel ou tel maître. Cela formerait
une base pour savoir ce que valent les offres pompeuses
de marchands qui arrivent tout à coup, débitant leurs
boniments, les faisant passer dans les communications au
ministre, demandant, comme ce fut récemment le cas, des
cent trente-cinq mille francs pour trois tableaux qui
valaient peut-être le tiers, et offrant, avec une appa-
rente complaisance, d'accorder à l'État des facilités de
payement. Eh bien non! pareils relevés ne se font pas.
On se f iche des ventes publiques. On semble s'être
donné le mot pour cacher les prix, qu'il s'agisse de celui
des œuvres qu'on achète pour nous, ou des œuvres dont
on trafique ailleurs. On couvre toutes ces combinaisons
d'un secret voulu. Le patient public ne sait rien des
projets qu'on manigance. Un beau jour un nouveau
tableau apparaît. A qui l'a-t-on acheté, qu'a-t-il coûté,
pourquoi s'est-on décidé, avec qui a-t^on négocié? Mys-
tère ! On s'arrange de façon à faire passer la chose ina-
perçue et il y a de bonnes raisons pour cela, parce que
la monstruosité des prix n'égale souvent que l'insuffi-
sance de l'objet. In emtione et venditione tantulum
circumvenire licet.
Et il y a des années que cela dure! Et ce sont tou-
jours les mêmes incapables qui traitent et les mêmes
malins avec qui l'on traite ! Les bénéfices réalfàés par
ceux-ci doivent avoir été énormes. Or, la seule peine
qu'ils se sont donnée a été de détacher parmi toutes les
offres qui vont à eux, en leur qualité de marchands
notoirement connus comme fournisseurs de notre Musée,
celles qui le moins indécemment peuvent servir à cette
spéculation, licite mais pour nous lamentable, qui con-
siste à persuader à un collège composé de quelques
roquentins sans érudition artistique, qu'un tableau quel-
conque est un chef-d'œuvre et qu'on doit le payer très
cher. Quand ces géroutes ont été empaumés, on rédige
le rapport, enthousiaste et pharamineux, destiné au
ministre, et celui-ci, d'ordinaire, approuve avec l'insou-
ciance d'un profane. Demandez plutôt à M Devolder. Et
quanta vous, Monsieur de Burlet, gare de ne pas égaler
promptement votre prédécesseur.
Il faut que cette comédie finisse. Â chaque cas nou-
veau, si on ose encore les mêmes irritants procédés,
nous crierons comme des brûlés. Il faut qu'aucune
acquisition ne soit mise en projet sans que le public
en soit averti. Il faut qu'on expose l'œuvre. Il faut
que quiconque est à même de donner des renseigne
ments sur son authenticité, sa qualité, son prix, puisse
s'expliquer. Il faut que la demi-douzaine de barbons et
d'eunuques qu'on a chargés de cette mission soient rais
en tutelle et subissent un contrôle sévère, ou plutôt
qu'ils aillent se coucher et qu'un élément jeune et
sérieux les remplace. Le ganachisme nous obsède et
nous ruine intellectuellement et pécuniairement. Il faut
que le scandale bête des acquisitions perpétrées depuis
trois lustres finisse.
Si cela déplait à Messieurs les trois marchands, ou, s'il
y a lieu, à Monsieur l'unique marchand ; s'il prétendqu'il
ne veut pas exposer ses précieuses denrées à une dis-
cussion publique parce que cela les déprécierait, qu'il
aille à tous les diables! Pour un de perdu, dix de
retrouvés. La tribu dont il fait partie pullule, et s'il
s'est partagé, avec quelques autres, les musées de l'Eu-
rope, gardant pour lui cet innocent et bénin Musée
de Bruxelles, dès qu'il aura vidé la place, les concur
rents reparaîtront. Elle est trop plantureuse, cette
excellente place, pour ne pas être immédiatement rem-
plie. On se bousculera pour l'avoir. Mais désormais elle
sera sévèrement surveillée.
LES m:xjs£ibs
CORRESPONDANCE
Bruielle», le 29 juin 1891.
Art moderne, mon ami, j'ai péché hier, cl ma punition a dié
cruplle !
Mais aussi, quelle fanlaisie ridicule que celle d'aller troubler,
pnr une belle matinée d'élé, la douce somnolence des gardiens du
Musée d'Anvers! D'autant plus que ces braves gens doivent me
trouver bien osé, bien encombrant : six ou sept fois déjà depuis
sa réinslallaiion, j'ai visité le Musée. Et ce n'a jamais éié que
le dimanche, jour consacré à la vile multitude, qui ne pai»pas
d'entrée pour admirer les trésors appartenant k tout le monde, et
qui a le pourboire récalcitrant.
^OssP;^«^■■>ï^v■ *" '.j??;'^ ""^
L'A RT MODERNE
213
Donc, me voilï dons la grande salle. J'arrive au merveilleux
Ent'eveliiiemetit du Chritt, j'emplis mes yeux des splendeurs du
tableau cl de ses volets, je m'aperçois qtie les .volets ne sont pas
attachés k la muraille. Le souvenir de vos iniërcssanls arliclcs sur
les peiDlurcs cxidricures des volets surgit. Je tourne la tête vers
le gardien : il était molloment assis et faisait une bien tranquille
parlolle avec son collègue de la salle voisine. J'eus crainte de lo
distraire, et respectueusement, pieusement je refermai aux trois
quarts le volet gauche. Je pus alors examiner pendant quelques
instants la grisaille qui recouvre l'extérieur de ce volet, puis je le
remis en place, et, respectueusement, pieusement, je recom-
mençai mon audacieux attentat sur lo second volet. Cela n'alla
point trop mal pour commencer, et, recueilli, je m'étais placé à la
distance voulue pour regarder la nouvelle grisaille, lorsque le gar-
dien apparut et, sans prononcer une parole, rouvrit brusquement
le volet et l'assujcliit contre la muraille. !
<• Pleurez, mes yeux >
vous ne verrez pas cette tantalcsquc peinture.
J'ai demandé au gardien s'il était défendu de voir les deux
faces des volets. Mon exquise politesse l'a fait sortir de son
mutisme, pnur prononcer d'un accent furibond ces mots énigma-
tiques : « Il est défendu de loucher aux objets. » Sur quoi, il
reprit sa place ei se rassit.
La salle était encombrée par deux visiteurs, arrêtés d'ailleurs
devant d'autres tableaux. Leur air ahuri me sembla indiquer
qu'ils cherchaient en vain pourquoi les gardiens ne couvraient
pas de fers le misérable qui avait tenté de mettre en poche la
DetctiiU de croix...
Alors j'ai continué ma visite, tête baissée, et, de salle en salle,
je sentis peser sur moi les regards soupçonneux des gardiens.
Pour éviter d'être mis dehors, j'ai, tout honteux, croisé ostensi-
blement les mains sur le dos. J'étais seul, je ne pouvais les atta-
cher : les gardiens ont paru le comprendre.
Maintenant, puisqu'il y a un idiot dans cette affaire, pouvez-
vous me dire si c'est le gardien, l'admlnistrâàtion ou moi ?
Si ce n'est pas moi, merci.
G. C.
Toujours à propos des tableaui anciens.
Bruxelles, le 1" juillet 1891.
Monsieur le Directeur de l'A rt moderne,
u On ne soigne même pas les tableaux », disait un correspon-
dant dans le dernier numéro de l'Art moderne, ^ propos du
Musée ancien.
Il n'y a pas qu'au Musée ancien que des tableaux de nos mallros
d'autrefois manquent de soins. C'est aussi le cas pour certaines
œuvres apparieuant aux églises. C'est le cas, pariiculièrement,
pour le Suint-Oeorges de Rubcns, de l'église Saini-Jac(iucs, à
Anvers.
Ce chef-d'œuvre du maître flamand, ce panneau dans lequel il
semble que le maître se soit résumé, ce testament artistique
continue à rester dans un étal... plus que négligé. Il y a dans le
bas de ce tableau des trai'es de je ne sais quel maslie, ou papier
gris adliéreoi à la p-iiituro. J'ai déjà signalé lo f.iit, ainsi que le
peu de surveillance dont on entoure l'œuvre.
Lorsqu'un copiste ou un artiste veut faire une étude-copie du
Saint-Oeorget, il est abandonné là, loin des regards du personnel
de l'église, et s'il est vu par un visiteur, se haussant ou s'installant
sur l'autel même, le dit visiteur, se trouvant seul un moment,
peut se hisser également, promener sa canne ou ses mains sur le
panneau, et à la longue, ces attouchements répétés et sjrriléges
nuisent à la conservation de ce tableau incomparable.
Je ne suis pas de ceux qui désirent quand même le transfert de
nos chefs-d'œuvre dans les musées, et j'esiime que lo Saint-
Georges, inaliénable, du reste, ne serait nulle part dans un cadre
équivalant à la chapelle du tombeau de Rubens. C'est là seulement
qu'il est beau et qu'il m'émeut. Ce fut peint pour être là, cl non
au nouveau Musée de la ville, nous le sentons.
Quand on parlera encore d'art à la Chambre, j'iippello sur ce
Rubens l'attention d'un député pour Anvers.
Agréei, Monsieur le Directeur, l'assurance de ma considération
très distinguée.
Un abonné.
On lit dans un numéro récent de Ut Gazette de l'hôtel Drouot :
« Dans la région sublunaire artistique de Bruxelles, une tem-
pête dans un verre d'eau... stade. La Commission du Musée de
Bruxelles a acheté au prix de S0,000 francs un Ostade : le
ministre-payeur des Beaux-Arts, dont on avait escompté la com-
plaisance, a refusé de ratifier l'aehat, contraire, d'après lui, aux
intérêts du trésor et de l'art. Le tableau exposé deux jours
comme acheté définitivement sous la responsabilité des mem-
bres de la Commission, a été décroché (1). Il paraîtque depuis une
vingtaine d'années, à commencer par l'acquisition du Crivolli, et
en passant par le plus que douteux Rubcns, la Vierge à l'enfant,
qui n'est qu'une bonne œuvre de Jean-Baptiste Van Baelen, c'est
au moins la dixième gaffe commise par la dite Commission au
détriment du trésor ; le dit Rubens- Van Bnclon ayant été payé
75,000 francs au lieu de 2,000 francs qu'il valait réellement. »
Musées en plein air
Pour " étoffer » le paysage sylvain, — ce merveilleux
paysage de futaies profondes, d'avenues et de lacs, —
on transporta au Bois, dimanche dernier, jour de ker-
messe, de buveries et de feu d'artifice, quelques statues
enlevées aux ateliers des camarades. Elles avaient l'air,
les pauvres, d'implorer la pitié des passants et de crier
grâce, tant leurs grêles silhouettes juraient avec les
grandes lignes harmonieuses et les masses imposantes
de la forêt.
Et voici qu'un journal demande sérieusement le main-
tien, à l'état permanent, de cette malencontreuse déco-
ration. Bien plus, il propose d'éparpiller le long de
l'avenue Louise toutes les statues et tous les bustes du
Musée, pour divertir les passants et leur fournir des
sujets de conversation (c'est textuel!). Il cite l'Italie, la
Grèce. Et comme argument priticipal, il constate que
les marbres plantés dans les pelouses du Bois ont été
regardés avec curiosité par tous les promeneurs,
La présence d'objets hétéroclites au pied des grands
hêtres justifie cette curiosité. On y eût installé un lot
(i) Oui, mais on l'a repris ; il est déflnitivement acquis cl pend au
musée, lesté de 50,000 balles. Ce sont ses deux compagnons (ensemble
85,000 frs.) qui sont restés en panne.
- "W
214
L'ART MODERNE
de machines à coudre et d'armoires à glace que la
curiosité n'eût pas été moindre. La seule chose a con-
sidérer, c'est l'effet que produisent, sous les frondaisons
de verdure, dans l'immensité des perspectives syl-
vestres, des figures et des groupes qui ont été conçus
et exécutés pour être placés dans un monument, sous
un éclairage discret. A cet égard, la discussion n'est
guère possible. Le cadre est sans proportion avec les
œuvres exposées.
Une ornementation de statues et de vases est compa-
tible avec les grâces mièvres d'un jardin français. On
conçoit, parmi les boulingrins et les charmilles, dans la
perspective rectiligne des allées plantées d'ifs taillés,
bordées de buis, égayées du fris.son des eaux murmu-
rantes ou fusées en jets irisés, la joliesse d'une Diane en
marbre clair, d'un Narcisse ingénument épris de son
visage reflété. Dans le décor rustique du Bois, dont
l'étendue et le mystère font le charme, ériger des
statues aux carrefours serait sacrilège. C'est la nature
qu'on y cherche, qu'on y veut retrouver, et non les obsé-
dants souvenirs du praticien, de l'atelier, du ciseau, de
la terre glaise plaquée sur une carcasse de naétal.
Ce char de Julien Dillens, naguère promené dans les
cavalcades, était-il assez piteux à l'entrée du Bois, dans
la splendeur des verdures triomphales! Et le soir,
tandis que la lune glaçait d'argent le feuillage, noyait
les horizons dans un bain de vapeurs opalines, quelle
piètre invention que ces flammes de Bengale qui faisaient
une apothéose fumeuse aux cartonnages allégoriques
de ce morceau de cortège !
Peut-être n'y a-t-il dans le projet saugrenu dont nous
parlons qu'une satire sanglante de notre Musée de
sculpture, si pauvre, si dénué d'œuvres d'art, si vide
d'intérêt. Mais après tout, l'idée n'est pas, dans un
certain sens, si mauvaise qu'elle nous parut d'abord.
Pour la rendre pratique, voici ce que nous proposons.
Qu'on mette sur roulettes les marbres et les plâtres,
3u'on les sorte de la cave où ils sont relégués, et où
e vagues anglaises vont seules les contempler. Et
après les avoir poussés, comme en un pilori, au milieu
de la Forêt où les passants se divertiront de leur
navrante médiocrité, qu'on les mette en pièces, à coups
de marteau.
Il suffirait, au demeurant, de les laisser quelques
jours sans surveillance à la garde du public. L'aima-
ble population qui s'amuse à casser les nez des termes
du Parc, à démolir les grillages des scjuares, à peler
les arbres de l'Avenue, à voler les chaises et les lan-
ternes vénitiennes des fêtes publiques, aurait bien vite
• nettoyé • la petite année de héros mythologiques,
de personnages historiques et de jeunes femmes plus ou
moins déshabillées qui peuplent actuellement l'ex-Palais
des Beaux- Arts.
Et ce que nos gracieux bourgeois (car ce sont les
bourgeois qui ont fonctionné à la fête du Bois) n'auraient
pas réussi à anéantir, le gel, les pluies persistantes,
tous les caprices de notre aimable climat achèveraient
sans peine de le réduire en miettes. — 0 Naples! 0
Athènes ! Pays de ciels bleus et de soleil caressant !
Pays où l'air balsamique et sec conserve et patine les
chefs-d'œuvre !
Nous demandons, si le projet est adopté, qu'on
dégarnisse en même temps le Musée moderne des
tableaux qu'il contient, à part la demi-douzaine de
toiles qui méritent d'être conservées. Qu'on les acci-o-
che, en manière d'enseigne, à tous les magasins de la
ville et des faubourgs. C'est c^ .qui distrairait les pas-
sants et leur fournirait des « sujets de conversation ! »
Aux verdurières, les paysages. Aux bouchers et char-
cutiers, les animaux. Aux poissonniers, les marines.
Aux marchands de comestibles, les natures-mortes.
Aux fleuristes..... II y aurait même, en cherchant
bien, des sujets admirablement appropriés aux ramo-
neurs jurés, et jusqu'aux sages-femmes. Et dans très
peu de temps nous serions débarrassés de toutes les
horreurs que pieusement conservent des fonctionnaires
salariés par l'État.
Il y aurait, au Musée ancien, un choix à faire. Et
l'on trouverait sans peine un stock de tableaux pro-
3)res à la destination nouvelle que nous proposons —
respectueusement — au gouvernement d'adopter.
C'est là, selon nous, le véritable M'usée en plein air,
tel qu'il est appelé à rendre à l'art et aux artistes de
sérieux services, tandis qu'il assainira pour quelque
temps le goût public.
L.-O. ROTY
Depuis d^jà quelques années l'arl des médailleurs renatl un peu
partout, mais en France spécialcmeni. Cet art si étonnammeni
vivacc aux xv* ei xvi* siècles, où les médailles iconiques des Vi)-
lore Pisano, des Caradosso, des Gatnbello inaugurent conmme an
nouveau miracle esthétique, était, au commencement de notre
époque moderne, chose morte. Certes, trouve-l-on encore, durant
l'Empire, des monnaies superbes, mais le médaillon lui-même est
ou bien confondu avec la miniature ou bien d'une veulerie con-
ventionnelle, toute froide, toute exsangue. Au jour du roman-
tisme, David d'Angers le ressuscita; il lui donna l'allure du temps;
il cisela les cheveux en orage, les nez fins, les fronts hauts, les
yeux rêveurs et les grands cols des Dumas, Hugo, Lamartine,
Musset, avec la préoccupation belle de faire deviner en eux les
René, le* Antony, les Didier, les Don Paez pour lesquels, sans le
savoir, ils posaient. Cet art, comme tout l'art romantique, étnit
d'allure fougueuse et fière, décorative et passionnée ; il touchait
en coup de vent la réalité. Très beau de reste, malgré l'actuelle
démode.
Sous Napoléon Ml, les médaillistes ne collectionnèrent ardem-
ment aucune empreinte sur bronz3 contemporaine — pourtant la
renaissance était proche. C'est depuis la guerre que se sont révé-
lés les Chaplain et les Roty.
De ce dernier que dire, sinon qu'il a imaginé un art d'une
grâce spéciale, distinguée et intime. Certes, jusqu'à cette heure,
la médaille s'imposait chose officielle, solennelle, pompeuse,
presque gouvernementale. Elle n'était qu'une monnaie pour occa-
sions solennelles. C'était une pièce d'argent ou d'or agrandie,. un
poids de métal plus rare que les francs, les louis et le» livre»,
voilà tout. Elle célébrait des événements patriotiques, des mon-
tées sur les trônes, des alliances entre souverains, des naissances
d'enfants royaux, des ouvertures d'expositions, des inaugurations
de gares, de ponts, de bourses, de basiliques — rien que cela.
Roty a fait descendre la médaille — est-ce descendre qu'il faut
dire? — de l'estrade tricolorée où on la distribuait, jusqu'aux fétc»
^
L'ART MODERNE
215
inlimes, jusqu'aui banquets, jusqu'aux anniversaires, jusqu'aux
réunions de la vie quotidienne et réelle. Il en a fait un souvenir ;
jadis elle était une commémoration. Il en a changé la forme non
pfus invariablement ronde comme une pièce de cent sous, mais
carrée, elliptique; lantOt d'une figuration de plaque, tantôt d'une
apparence de guichet cl divisée comme lui en compartiments. On
a pu admirer ces preuves d'art neuf il différentes expositions, soit
anx XX, soit k Paris.
Nous avons devant nous quatre spécimens récents sortis de
cette main étonnamment souple et sûre, dirigée par un magique
esprit :
Voici d'abord la médaille gravée en l'honneur de celte philanthrope
d'esprit pratique et moderne. M"" veuve Boucicaui. Le revers
relate la dale de la fondai ion de la caisse de retraite pour les
employés du Bon Marché. Un génie figure la libéralité versaqt
de l'or dans une caisse décorée d'insignes commerciaux. La face
représente la donatrice, en costume de bourgeoise, les traits
scrupuleusement exacts, la coiffure chignonnée. C'est un portrait
exécuté ressemblant et quotidien. Rien de théâtral mais au con-
traire de la simplicité et de la vie.
Une autre médaille, le fils de l'artiste, il l'âge de 52 mois. La
matière d'un bronzé légèrement noir donne à première vue une
impression veule et bien que la branche de pommier gravée au
dos soit délicatement et minutieusement interprétée, le teint
poussière vernie que rcvét l'ensemble nuit ï la belle venue de
l'œuvre. Pourtant à juger la manit^re originale dont le double
champ est rempli, la critique tombe vite.
Voici celle qui s'épigraphe : « In labore quiet ». Une femme
est assise, un livre sur les genoux et le dos appuyé à un arbre
dans un paysage de repos où des arbres feuillus piquent des ter-
rains montueux. La pose de la figure et surtout son geste sont
d'une attention tranquille, d'un calme doux, grave et délassant à
la fois. Au verso, une inscription et une branche de fleurs adora-
blemenl et légèrement exécutées.
Enfin, la mieux venue, la plus complète et la plus artiste fut
gravée en hommage au docteur Léon Gosselin, membre de l'Insti-
tut et président de l'Académie des sciences. La face est divisée
en deux registres, l'un occupé par une inscription, l'autre par
l'image du clinicien en veston de laboratoire, la tête serrée d'un ^
bonnet. Le revers figure la science songeante auprès d'un chevcl.
Les espaces vides sont animés de lettres, de dates et de textes.
Il est difficile d'exprimer le charme, i la fois calme et fort
et doux qui prend l'âme à la vue studieuse de ces quatre œuvTrs,
toutes chantant le beau style, l'irréprochable conscience, l'rpi-
niâtre et haute volonté artiste. A les voir on rêve de faire
consacrer par ces symboles admirables, les traits de ceux qu'on
aime, miniatures en métal, grandis en leur petitesse aux propor-
tions du chef-d'œuvre, infinis et pourtant portatifs, si près du
cœur et si près des yeux.
Si l'art du médailleur se hausse depuis quelque temps à une
quasi perfection, c'est que les arts décoratifs, tous ensemble, pros-
pèrent. En France, mais plus encore en Angleterre, il semble
qu'on revienne i cette tlonnée si simple des formes esseotielles
étudiées et comprises bien plus pour charmer l'œil que pour
traduire réalistement leurs correspondants en nature. A des
paysageAttttnt de fond aux médailles, à des branches de fleurs,
même fc S^ettre», M. Roty s'ingénie à donner tout h la fois une
spéciale raison d'être : celle de couvrir agréablement une surface
métallique de manière i satisfaire l'esprit, le goût et ces deux sens
spéciaux : la vue et le toucher. Il est aussi agréable de prendre
ses médailles en main que de les voir. Rien de rude, de cotipani,
même qu'elles soient neuves. Ce iont des preuves d'art exquises,
faites pour collectionneurs perspicaces et pour artistes.
Quand après, on songe au graveur Wiener !...
L'ART ET L'ÉTAT
Raides, mais justes, ces observations d'Oclave Mirbeau dnns
un des derniers numéros de Y Echo de Paris. Vraies en France,
elles ne le sont pas moins en Belgique :
Je viens de lire un roman, tout récent, et qui, paraît-il, obtient
un succès considérable. L'auteur de ce roman compte parmi les
gloires françaises. L'Académie lui sourit et l'appelle : les poètes
et les historiens, les dramaturges et les ingénieurs époussèlent
déjà son fauteuil; et le tailleur qui tailla leurs habits à Victor
Hugo et à M. Lecontc de Lisle attendait, dans son antichambre, le
mèire en main. En ce roman dont je parle, il s'agit d'un peintre,
naturellement. Et voici la scène que je veux conter. C'est la veille
du jour où l'artiste doit envoyer sa toile au Salon. lia convié
tous ses amis à venir voir son exposition, dans son atelier. Les
amis sont là, rangés en demi cercle, impatient.', devant le tabkau
que recouvre encore une immense toile de soie verte. Et, tout à
coup, le voile se lève, le tableau apparaît. C'est le portrait d'une
femme, d'une comtesse, célèbre par sa beauté! Le peintre l'avait
« saisie » au moment où, sortant d'un salon éclairé par les mille
lumières des lustres, des domestiques, dans le vestibule, lui
présentent son manteau de fourrure blanche. « L'effet fut consi-
dérable, écrit l'auteur de cette conception, car le portrait était
vraiment frappant et superbe d'allure. II y avait, dans ce tableau,
aux colorations puissantes et hardies, un sentiment merveilleux
du modernisme, de l'impressionisme, avec la science du dessin en
plut.
Celle façon de comprendre l'an, comme le comprennent le
nouvelliste du supplément et le romancier à la mode, n'est point
rare. On peut même dire qu'elle est comn-une, non seulement
parmi la foule, mais parmi les amateurs, les critiques, les pcin'res
eux-mêmes, et Cl ux-là, bureaucrates, maniaques el havards parle-
mentaires, qui sonl chargés, au nom du pays, de diriger l'art et
1rs artistes, de les proléger, de les récompenser. Cela nous parait
furieusement comique quand nous lisons ces choses, et nous
nous moquons. Hélas! nous n'avons point une notion plus noble,
une plus hautaine compri'hension de ce sublime mystère, de
celle parcelle de divinité lomlée dans le cerveau et dans le cœur
de l'homme.
Cela ne vous semble-t-il pas étrangement mélancolique qu'il y
ait un ministère et un ministre des beaux-arts, el que l'art, dans
notre paperasserie infirme, ne tienne pas plus ou pas moins de
place que le rôle social d'un gardc-champétrc ou d'un souspréfil?
El je me dis, souvent, en lisant les discours de M. Bourgeois :
« Quoi! c'est tout ce qu'il apporte, cet homme nouviau, le
progressiste! des vieilles doctrines fripées, des vieilles llic'ories
éculées, des rabâchages éntrvanis el des rengaines éternelle'^, et
cela, en face d'un art jeune, vivant, croyant, éclalanl, qiii,miilgré
les cris, malgré les insultes, a rouvert les portes du temple, el
rallumé, dans le sanctuaire, la lampe sacrée?» Au fait, que
voulez-vous qu'ils disent, M. Bourgeois et les auîres, cl que
voulez-vous qu'ils fassent ?
216
L'A/?r MODERNE
Les minisircs ei les ministères n'ônl jamais servi qu'à dtîslio-
norcr, par leurs commandes cl leurs achats, les murs de nos
monumcniE, les façades de nos palais, les jardins ni les perspcc-
lives de nos places publiques elde nos promenades. Il n'y a qu'un
seul gouvcrnemenl qui se soit montré vraiment arlisle. C'csi la
Commune, quand elle incendia la Cour des Conipies. Encore
ignorait-elle l'admirable ouvrage d'archiicclure qu'elle nous
léguerait.
Quelque? volume?
La Maison Smits, par M. L. Van Kkyueulbn.
(Bruxelles, Lebègue, 1891).
Itoman de moeurs, peinture de la bourgeoisie commerciale
d'Anvers. L'auteur montre l'évolution d'une famille de parvenus
qui s'élève et retombe eu quatre générations : le grand-père, bou-
tiquier, — le père, grand négociant, — le fils, dissipateur, — le
peiit-fils, scrofuleux, incapable mémo de vivre. Ce vaste acte de
comédie liumaine, taillé pour le génie robuste d'un Balzac, nous
pïirait dépasser les forces du jeune écrivain. Celui-ci, faute d'ex-
périence sans doute pour fouiller plus avant son sujet, n'en fait
qu'une élude superficielle, d'une vérilé banale. H n'a pas cette
Smc intuitive, pour ainsi dire multiple, qui s'identifie tour à tour
avec les âmes de ses divers personn;iges, vit de leur vie et pénètre
ainsi en leur fond iniimc. On dirait un roman de reporter, qui ne
voit que le fait extérieur et ne se préoccupe pas de montrer avant
tout, sous l'action humaine, les ressorts secrets et complexes qui
la font mouvoir. Roman de reporter, disons-nous : et, en effet,
dans cette œuvre comme dans la littérature bâclée de journal,
nul souci d'une forme artiste, nulle investigation foncière, parfois
une gouaillerie triviale et cette facililé qui n'est pas la verve de
l'inspiration, mais ce don d'écrire vile des choses médiocres. Les
caractères dépeints dans la Maison Smits n'emprunlent au style
aucun relief, à l'analyse scrulatricc aucune puissance de réalité,
aucune illusion de vie. 1,'auteur a écrit ce chapitre de physiologie
sociale non en médecin qui découvre les plaies pour les sondor
et les guérir, mais eu carabin qui dissèque, en ricanant, la pour-
riture humaiiie. On ne sent pas en lui l'amour de son sujet, —
cet amour qu'on trouve chez l'artiste comme chez le savant. Aussi,
trop froid [lour émouvoir, ne réussil-il guère à attacher : il ne
sait pas trouver cliez. le lecteur ce bout du fil sympathique dont
p&rie Ctt'lhe dans ses Affinités électives, cl que chacun porte au
fond do l'âme.
Caveau vervlétois (Annuaire). — Verviers,Mas8in, 1890, in-8».
V L'Annuaire, lisons-nous da^is sa préface, n'a pas la préten-
tion d'élre un recueil de bonnes pièces, mais seulement de
refléter l:i vie du Caveau pendant l'année écoulée ». Celle modeste
amhilion ostréali.sée : l'Annuaire, par le nombre considérable de
pièces qu'il contii'til, atiesle la viialilé féconile, le constant effort
lillcraire du Caveau vcrviélois. Si la ((iialilé de ces compositions
est inférieure à leur quanlilé, il n'eu faut pas moins savoir gré à
des amateurs, qui dérobent leur loisir aux banalités ambiantes
pour le consiicri r à l'Art. Une large place est réservée aux poésies
wallonnes : elles se di^iiuguenl p,ir une verve plus libre et plus
orij;inale (juc les poèmes français, cl, par leur bonne humeur
wallonne, elles se conforment mieux aux joyeuses tradiiions
qu'évuque le nom de Caveau.
!<• ThéAtre de Racbilde vient de paraître chez l'idileur Albert
Savine. Ce volume illustré d'un dessin inédit de Paul Gauguin
synlhéiisant Madame la Mort, est édité avec beaucoup do goût
dans la collection in-i8 raisin. Une amusante préface do l'a'qleur
donne quelques renseignements curieux sur la fondation du
Théâtre d'Art par Paul Fort et des détails intéressants au sujet
de cette hardie tentative littéraire. Outre les trois pièces : Madame
la Mort, le Vendeur de Soleil, là Voix du tattg, l'élégant volume
contient un Appendice composé des principaux articles parut k
propos des représentations du Théïire d'Art. Racbilde se révèle
en ce livre sous un jour nouveau : sans prétendre bouleverser les
lois scéniqucs, l'auteur de Madame la Mort a trouvé uoe forme
de drame vraiment neuve, d'un intérêt puissant.
'Le tome VII de la Trttdnctioii de laBlbto, par E. Lbdraw,
vient de paraître i la librairie Lemerre. Il comprend le Cantique
des Cantiques, l'Ecclésiaste, les contes de Ruth, de Tobie, de
Judith, c'est-it-dire ce que le vieux livre d'Israël présente de plus
curieux. C'est la première fuis qu'en serrant le texte d'aussi près,
on en a rendu toute la grâce et toute la force. Le savant hébral-
sant, qui en môme temps est un si puissant écrivain, semble
avoir concentré toutes ses facultés k faire passer, dans notre
langue, les chants d'amour de la Sulamile et le pessimisme élevé
de l'Ecclésiaste.
VIKCENT VAN GOGH
Le dernier numéro paru des Hommes d'aujourd^hui (Vanier,
éditeur) publie le portrait, plume et crayon, par Emile Bernard,
de feu Vincent Van Gogh, le fougueux coloriste dont les XX
firent, ce printemps, une exposition rétrospective. Le texte se
termine par ces aperçus caractéristiques : « Quelqu'iocomplète
que semble une œuvre prise à part, par la quanlilé Vincent
s'affirme très complexe; son égale turbulence vitale lui crée une
unité qui, b la longue, le démontre très équilibré, très logique,
1res conscient. En des toiles dernières, d'aucuns virent la folie.
Mais qu'est-elle lorsqu'elle se fait deviner sous la forme présente,
sinon Le génie? Ah! je sais qu'on nous fuit facilement un crime de
nos rêves cl de nos abstractions : nous outrepassons le bui de
l'art, nous devenons d'affreux égoïstes, nous pensons pour nous-
niéme, nous oublions le réic d'hisirion cl de ptlre qu'on nous
assignait avec cet écriieau : Arlisle. El voilà qu'on nous lapide de
ce que, dégoûlés des réalités, nous faisons voile pour ailleurs, ■
nous refusons décidément de distraire les foules! Néanmoins Van
Gogh fui un réaliste, un subjectif allant des fumiers aux oeuvres,
amoureux.
Des lichens de soleil «t des morves d'azur
et son pinceau les a brossés, et son tube on a crachés avec la
sublime envergure d'un mystique ivre et d'un créateur en rui.
Qu'on s'exalte devant les bibliques moissons au crépuscule
dont les gerbes, lourdes d'épis, s'étagentcu montagnes ; dont les
lames ondoient comme des étendards d'or; qu'on s'aitrisle devant
les cyprès sondjres ainsi que des lances aimantées fixant les
astres â leur pointe; ces nuits pareilles à des pièces pyrotechni-
ques éparpillant dans les ténèbres l'outremer lourd dei cheve-
lures. Puis qu'on rêve sous ces bosquets de fleurs qui, comme
des étoiles tombées, scintillent ; sur les bords paisibles de ce
fleuve qui coule 'sans ride au pied des collines en douleur, bai-
J^
L'ART MODERNE
217
gaanl des cabane* que les saules onvoileni; cl, après ces émoiions
successives, qu'on lise dans les yeux de ses portrails la confession
des cxisieoces irisleson bonicusos, bonnes ou sioisires. Alors on
sera sur la voie de comprendre Vincent ei de l'admirer.
CONCOURS DU CONSERVATOIRE (>)
Piano (hommes). — Professeur : M. Dk Greef. K" prix avec
la plus grande distinction, M. Siorck; 1" prix avec disiinclion,
H. Sevenants; 3* prix, M. Baize; 1" accessit, M. Janssens.
Violon. — Professeurs : M)l. Ysatk, Colyns et Cornélis.
1" prix avec la plus grande distinction. M"* Blés; i" prix avec
distinction, M»* de WagstaSe, MM. Pieters, Eodorlé; !•' prix,
!!•'« Sèthe, MN. Bmard, Sarloni, Hiry, Bayct, Francès, Kiebiman.
S* prix avec dislinq)ion. M""» Nanncy, Mablau ; S* prix, M"" Spiller,
Elliot, NH. Bonzon, du Domaine, Danhieux, J. Fabrion, Lam-
bioite, Valdèi, Barrachin, Kuipers; i" accessit, MM. Hans, Somcrs,
E. Fabrion, Kefer, Lunsscn», De Rerdt.
Chant monodique (jeunes 6llcs). — Concours i huis-clos. —
Professeurs : M"* CoRNËLis-SERVArs, M. Warnots. 1" meniion
avec distinction. M"" Cécile Tliévcoel, Kleyn et Van Hoof; pre-
mière mention. M"" Aeris, Michaux, Marin, Keyzer, Van Emelcn,
Fréchet, Artot; 2" meniion. M"" Bertholin, Orval, Callcmien,
Verbrugghe, B. Belle; 3« mention, M"« Geerts.
' Chant théâtral (hommes). — Professeur M. Warnots. i" prix
avec distinction, M. Rosseels; 1" prix, M. De Backcr; 2" prix
avec distinction, MM. Devillc et Ccuppens; i' prix, M. Verboom.
fETITE CHRONIQUE
A propos de Rops, dont nous analysions la semaine dernière
le superbe catalogue patiemment écrit par Erastène Rarr.iro
(Eugène Rodrigue»), celte curieuse anecdote, racontée par le
correspondant parisien du Journal de Bruxelles (Georges Rodcn-
bach) :
Ce n'est pas seulement pour ses lithographies qu'on a décoré
Rops de la Légion d'honneur. Voulez-vous l'histoire de celle
croix? M. Lockroy venait d'être nommé ministre, ayant les Bcaux-
Aris dans ses attributions. Après le Sulon il reçut ii dtncr un
certain nombre de peintres et se montra charmant, plein de zèle,
plein d'intentions excellentes pour les artistes. Il proclama tout
Iwat : « Domandci-moi... je ferai ce que vous voudrez... disposez
de moi.
M. Puvis de Chavanncs, assis !i côté de lui, et à qui sa grande
siluiition artistique donnait une certaine liberté, dit en souriant :
« Co sont belles promesses de ministre nouveau. Mais il vous
serait difficile de nous accorder quelque chose, même des croix,
et pour des hommes du plus grand talent... »
— « Demandez... C'est fait, » riposta M. Lockroy, piqué au
jeu.
— « Vous l'aurez voulu, dit M. Puvis de Chavanncs, avec son
sourire plein de malice. Mais je n'y crois pas encore. Je voudrais
la croix pour Rops. <>
— « Rops? C'est signé d'avance, » conclut M. Lockroy, au
milieu du silence de la table, qui s'était tue pour ce curieux
tournoi. »
(1) Suite. Voir nos deux derniers numéros.
Et l'arrêté parut en juillet 1889.
En Belgique, faut-il le dire, Rops est vierge de toute déco-
ration!... (1)
M. Guillaume Guidé, rexccllent professeur de hautbois au
Conservatoire, s'^st uni hier i M'-" Vercken. La bénédiction
nuptiale a été donnée !i l'église de Saint-Josse-ten-Nooile, qu'em-
plissait une assistance nombreuse et élégante. Pendant l'ofticc,
M. Eugène Ysaye et son quatuor (NM. Crickboom, Van Hout et
J. Jacob) sont montés au Jubé et ont exécuté d'une manière inui
à fait remarquable V A udaii te danuMuor en la de Glazounow. On
a entendu ensuite un Ave Maria chanté par M. Fernand Raquez,
accompagné parles chœurs de la maîtrise. Un solo de viole, admi-
rablement joué par M. Ysaye, a clôturé ce concert de choix.
Oa télégraphie de Lille t> VEcho de Paris, au sujet de deux
artistes bien connus i Bruxelles.
« Hier soir, tous les habitués de nos conccris d'été s'étaient
donné rendez-vous au palais Rameau. La direction s'était assuré
le concours de M. Cossira dont le public de Lille n'a pas oublié la
belle création d'Bérodiade. L'éminent anisie a chanté avec un
rare talent l'air de Signrd, les Enfants, de Massenei, la romance
à'Asca7iio, et le Papillon d'Iréné Berge.
« Dans le môme concert, la superbe voix de contralto de
M"" Emma Cossira a fait un grand effut dans notre immense salle.
La belle artiste s'est fait beaucoup applaudir dans le grand air de
la Favorite, l'habancra de Carmen et le grand duo du Trouvère
qu'elle a enlevé avec une maestria tout à fait remarquable. »
L'Evénement rapporte des informations analogues.
Les deux journaux annoncent aussi que M. Costa, l'imprésario
du Théâtre municipal de Nice, vient d'engager, à de irès brillantes
conditions, M. Cossira qui fera les créations de Lohetigriu,(\u Cid
cl de Cavaleria rusticana de Mascogni; et qu'il a également
engagé M""" Cossira pour le répertoire des eontralti. M-" Cossira
créera !i Nice Samson et Dalila.
Qu'il s'appelle naturalisme ou préraphaélisme, wagnérismc ou
impressionnisme, tout ce qui représente en art une innovation ou
un progrès doit toujours commencer par être bafoué, ridiculisé
et ignominieusement nié. Ce n'est qu'après bien des années,
lorsque l'indifférence dédaigneuse du public ou l'insolence rail-
leuse des petits chroniqueurs ont tué ou blessé à mort les initia-
teurs de la nouvelle formule artistique, qu'elle triomphe! Oh!
Alfred de Vigny avait bien raison d'écrire : « Les esprits paresseux
et routiniers aiment à entendre aujourd'hui ce qu'ils entendaient
hier; mêmes idées, mêmes expressions, mêmes sons; tout ce
qui est nouveau leur semble ridicule, tout ce qui est inusité
barbare! » (Vittorio Pica, Revue ludi'pendante).
M. Paul Fort, directeur du Théâtre d'Art, nous prie d'annoncer
que l'administration de son théâtre est transférée 73, rue Claude
Bernard, à Paris. Toutes les communications devront êire
envovées à cette adresse, à M. Léonard Rivière, secrétaire du
Théâtre.
Les personnes désirant voir M. PjuI Fort ou corresponJre
avec lui personnellement sont priées de s'adresser : 12, avenue
du Bac, !i Asnières.
(i) Absolument comme Camille Lemonnier. On a tellement attendu
et marchandé qu'il faudra les faire tous les deux Commandeurs, du
premier coup.
^m^^-ifii?^
ONZIÈME ANNÉE
L'ART MODERXES s'est acquis par l'autorité et l'indépendance de sa critique, par la variété de ses
informations et les soins donnés à sa rédaction une place prépondérante. Aucune lusnifestation de l'Art ne
lui est étrangère : il s'occupe de littérature, de peinture, de soulpture, de gravure, de musique,
d'architecture, etc. Consacré principalement au mouvement artistique belge, il renseigne néanmoins ses
lecteurs sur tous les événements artistiques de l'étranger qu'il importe de connaître.
Oiaque numéro de Li'ART MODERNE s'ouvre par une étude approfondie sur une quesilon artistique
ou littéraire dont l'événement de la semaine fournit l'aotualité. Les exposition», les livre* nouveauw, les
premières représentations d'œuvres dramatiques ou musicales, les conférences littéraires, les concerts, les
ventes dobjets cTart, font tous les dimanches l'objet de chroniques détaillées,
L'ART MODERNE' relate aussi la législation et la jurisprudence artistiques. Il rend compte dM
procès les plus intéressants concernant les Arts, plaides devant les tribunaux belges et étrangers. Les
artistes trouvent toutes les semaines dans son Mémento Ih nomenclature complète des exUOSitiOllS et
concours auxquels ils peuvent prendre part, en Belgique et à l'étranger. Il est envoyé gratuitement &
l'essai pendant un mois à toute personne qui en fait la demande.
L'ART MODERNE forme chaque année un beau et fort volume d'environ 450 pages. av«e table
des matières. Il constitue pour l'histoire de l'Art le document LE PLUS COMPLET et le recaeil LE PLUS
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*
Ômpa Aioatai. — M* 28.
Lb numéro : 26 cbntimbs.
DnUMCHR 12 Juillet 1891.
#
MODERNE
PARAISSANT LB DIMANCHE
REVUE ORIÏÏQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Comité de rédaction • Octatb MAUS — Edmond picard — Ëmilb YERHAEREN
ABOKMKBOBNTB t Belgique, ud kd, fr. 10.00; Union postale, te. 13.00. — ANMOHCKS : On traite i forfait.
Adresser toutes les communications à
l'àobonistration générale db TArt Moderne, rue de l'Industrie, 32, Bruxelles.
Sommaire
PotMOOBAPan. — SoooKSTioN.... par Henri Nizet. ^- Tb^rie dus
NiO-LUMIHAKI8TC8. — ViBUZ UTBSS ET VIEILLES RELIURES. — La
TniATas libre. — La question des Musées. — Concours du Conser-
TATonii. — Mémento des expositions. — Petite chronique.
Pornographie
Des hommes politiques, de ceux qui ne s'aperçoivent
d'un abus, on prétendu tel, que lorsqu'il s'agit de
ptpler un coup an parti ennemi, se sont asticotés cette
semaine, à la Chambre, sans aucun résultat comme
d'ordinaire, mais en donnant le toI à d'innombrables
lieux communs clérico-libéraux et parlementaires, à
propos de la Pornogbaphie I
Il parait que celle-ci, qui fait violer tant de choses,
àtirait aussi amené le viol de la Constitution, la pauvre
vieille garde.
A cwtains moments, un filet d'air pur artistique
s'est glissé en vent roulis dans l'atmosphère méphitisiée
qu'on respirait pendant ce • solennel débat » . Les ora-
teurs se sont souvenus vaguement que l'Art du dessin
ou de l'écriture avait quelque intérêt dans l'afiaire. Mais
cela les a fait étemuer, ils ont craint d'attraper un
rhume, et tout de suite ils se sont remis à respirer à
pleines gueules et avec délices les susdites émanations
clérico-libérales et parlementaires qu'ils préfèrent à
tous les parfums de l'Arabie.
Qu'il soit permis à des profanes comme nous, ne
connaissant rien aux crocs-en-jambes par lesquels on
essaie de culbuter des ministres dont on guigne les
places, mais ayant quelque prédilection pour les choses
de l'esprit, de risquer, entre amis et esthètes, notre
opinion sur tout cela.
Qu'il y ait de la Pornographie en ce monde, nul n'en
doute. Que des messieurs et des dames se livrent, pour
la réaliser, à des actions variées et malpropres, parmi
lesquelles celles exprimées par les verbes dessiner et
écrire, nul davantage n'en doute. Que beaucoup de ces
productions n'aient aucun caractère artistique, cela est
tout aussi clair. Qu'il y ait, sinon quelque utilité sociale
(on n'a jamais supprimé la pluie en supprimant les
gouttières), au moins quelque convenance au point de
vue du goût, à faire obstacle à ces cochonneries, nous y
souscrivons.
Mais comment s'y prendre ? Voilà l'énigme !
Des législateurs, crevant de bonnes intentions, ont
rédigé des articles qu'ils ont introduits dans la vaste
machine dit« " Code pénal » , drague énorme, jamais
inactive, promenée en long et en large sur les malheu-
reux humains dans le but vain de rétablir la morale
en ce monde. Ecoutez. Cela date d'un quart de siècle.
220
L'ART MODERNE
I aux
I eur
' Quiconque aura exposé, vendu ou distribué des
chansons, pamphlets ou autres écrits imprimés ou non,
des figures ou des images contraires atix bonnes
mœurs, sera condamné à un emprisonnement de huit
jours à six mois et à une amende de vingt-six à cinq
cents francs. — L'auteur de l'écrit, de la figure ou de
l'image, celui qui les aura imprimés ou reproduits par
un procédé artistique quelconque, sera puni d'un
emprisonnement d'un mois à un an et d'une amende de
cinquante à mille francs. <•
On le voit, le bon législateur, qui nomme un dessin
image comme il nommerait une statue posture, ne se
gêne pas : il comprend carrément dans sa proscription
même les œuvres artistiques. Il n'y a pas d'art permis
s'il est contraire aux bonnes mœurs. Notre Solon ne se
pose pas la question de savoir si l'art peut jamais être
contraire à ces bonnes mœurs que lui, bourgeois légifé-
rant, place au dessus de tout dans ses lois.
Soit. Si l'on était certain de ne pas se tromper, de ne
frapper que la vraie pornographie, on pourrait ne pas
se plaindre et laisser la drague en question fonctionner
pour l'assainissement des bas-fonds putrides.
Mais à qui est confiée la mission, prodigieusement
subtile, de dire : ceci outrage les mœurs, cela n'outrage
pas les mœurs ?
A de braves gens qui s'y entendent tellement bien
qu'ils ont condamné, entre autres, Baudelaire, Con-
court, Lemonnier, Richepin.
En cette matière ont été commises les plus mon-
strueuses bévues judiciaires. C'est qu'on constituait
experts des malheureux qui se connaissaient en art
comme un saumon en pyrotechnie.
Voici qu'on ne se contente plus en Belgique des occa-
sions d'erreur que fournit la Magistrature. On trouve
à propos d'y ajouter celles de l'Administration. Les Par-
quets, chargés de discerner les prétendus outrages aux
mœurs, les jurés, les juges eux-mêmes commençaient
à hésiter et trouvaient plus raisonnable de ne pas pour-
suivre ou d'acquitter que de s'exposer au ridicule
rétrospectif qui, dans la mémoire des hommes, ^ale
aux plus purs imbéciles les graves personnages qui
eurent l'infortune de décréter d'ignominie les Fleurs
Mal. Sous ce prudent régime on pomographiait
assez librement, non pas en forme brutale, mais avec
les grâces attiques qui caractérisent de façon char-
mante, en ce temps, l'illustration par le journal ou par
l'affiche.
De braves cœurs pudibonds en furent révoltés, et
voici que l'administratif s'en mêle et reprend pour lui,
l'imprudent, la tâche qui avait semblé trop périlleuse
au judiciaire. Là où des procureux-généraux et des
procureurs du roi, tenaces mais circonspects policiers,
s'abstiennent par un juste sentiment de leur impuis-
sance, à ne pas commettre de gaff'es retentissantes, un
ministre des Postes et Télégraphes se pose en affirmant
son infaillibilité.
La présomption, ou la sottise, est eifelienné.
En ce faisant, viole-t-il la Constitution? Porte-til une
main sacrilège sur nos libertés? Sa tyrannique audace
attente-t-elle aux droits du Peueueueupleî (Pardon pour
ces échos parlementaires.) C'est ça qui nous est égal.
A-t-on jamais su ce qu'on pouvait se permettre ou ne
pas se permettre avec ce'itte intrigante de Constitution?
Qui dira jusqu'où vont ou s'arrêtent nos libertés et les
droits du Peueueueuple.
Mais ce qui est intéressant, c'est de voir ce brave
homme de ministre aller bravement au sphinx et pré-
tendre résoudre l'énigme qui distingue l'Art de la
Pornographie. Mais, malheureux, tu vas te fiiire dévorer
par le monstre.
Quant à l'Art, il assiste impassible à ces danses de
guerre. Il est incompressible, insubmersible, inchavi-
rable. Il tire profit de tout, môme de ces persécutions
idiotes, où l'on voit un archer judiciaire ou administratif
viser un pomographe et atteindre un poète, viser une
saleté et frapper un chef-d'œuvre. L'Art se complaît à ces
jeux saugrenus dont les joueurs n'ont jamais recueilli
que des ridicules ou des huées. Ils sont pour lui occa-
sion de luttes et, finalement, de triomphes.
Certes, il vaudrait mieux, en ces temps où l'humaine
malpropreté, intime et incurable, a pris le parti de
lâcher toute hypocrisie et de se manifester au dehors,
la laisser faire, dût-il en résulter quelque mal, plutôt
que de continuer, en l'exaspérant, la grotesque comédie
de pouvoirs publics ayant la prétention de rétablir la
vertu, et ne réussissant qu'à alimenter la bêtise.
SUGGESTION...
par Hknm Niirr. — Paris, Tresse et Stock.
?^'
Voici un livre snbsianliel, où l'aalear a tooId faire de la
« supra science » ce que Jules Verne a fait de la science pure :
un roman qui la mette en action.
Il s'agit de suggestion, de télépathie et d'aulo-soggestion.
Depuis quelques années l'expérience mnlliplie ses recherches dans
ce monde mystérienx, aux fluides obscurs, et y marche â Ifttons,
ses mains craintives des ténèbres et des problèmes encore noirs
qui se dressent, fleurs d'épouvante, i la cueillette de l'observa-
tion. Les questions d'hypnotisme, si troublantes, s'indiquent
importantes, inquiètent; et leur solution montre it peine son aube
indécise à l'horizon.
Le livre de M. Nizet dénote an écrivain préoccupé de ces
recherches psychiques et y ayant acquis une somme très forte
d'expérience. On pressent un analyste qui a expérimenté, et
depuis longtemps, par lui-même, qui a fouillé des « sujets », et
a meublé sa cervelle d'un notable contingent de faits et de notions
relatifs à l'hypnose. C'est un savant, en ce sens; il sait beaucoup,
et de science sûre et méthodique.
Sa récolte d'investigations sagaces faite, il l'engrange, non dans
L'ART MODERNE
221
UD «ec « précis », mais en un livre nerveux, plein de vie, où sa
nalure d'observateur aigu, au scalpel mordant et cynique, peut
prendre essor. Et ce tempérament d'écrivain le place dans une
sphère supérieure à celle de cet autre romancier scienlifique
nommé plus haut : Jules Verne. Son style a des vigueurs et des
brûlures d'ean-forle et sa vision prend parfois des envols d'art
que jamais l'agteur précité n'eût lentes. Le défaut du livre, c'est
peut-être la pléthore de documents ; cela regorge d'observations,
et Térudit pousse l'écrivain à faire montre de savoir au détriment
de Pordonnance de l'œuvre. Il y a des pages pénibles, indigesies,
mais de la fatigue desquelles guérissent vite d'autres, alertes et
vivaees.
Histoire bizarre de télépathie et d'auto-suggestion ! Lebarrois,
un Parisien, un peu « bohème », va pour affaires en Galicie. Il y
rencontre une juive, Séphorah, dont la beauté étrange le frappe.
Il essaie sur elle son pouvoir d'hypnotiseur. Il la possède. Amour
fol I Séphorah est un. monstre, un être quasi-insexuel et les deux
amants se vautrent et s'enivrent en un rut éperdu, faisant vibrer
les cordes les plus secrètes et les plus compliquées des salacités
et des éroiismcs couvant en eux. L'histoire de cet amour est poi-
gnante, d'un réalisme sans voile et d'une allure insolite.
Mais Lebarrois est rappelé en France. L'idée de Séphorah le
hante. Il se produit alors un phénomène bien iniéressani de télé-
pathie. Les amants — sous l'influence de quel fluide? par suite
de quelle correspondance d'âme? — se fixent un rendez-vous,
sans s'écrire, par pure transmission de pensée, à Koloméa. Ils s'y
retrouvent; et leur rut recommence ses brûlantes morsures, à
travers les steppes, dans des auberges de « youtres », jusqu'au
moment où Lebarrois, décidé au « collage », emmène avec lui sa
maîtresse b Paris.
Et le roman entre dans une phase nouvelle. Jusqu'ici c'avait
été une ardente ivresse charnelle, un amour bizarre, une soif
insatiable l'un de l'autre, que l'hypnotisme venait accentuer et
auxquels il ajoutait comme un charme morbide et surnaturel.
Leurs âmes, littéralement, n'en étaient plus qu'une. Ils formaient
presque un seul être, à eux deux. Mais voici venir la fatigue,
atroce, veule, l'épuisement, le détraquement, avec, à l'horizon,
un avenir de folie qui darde déjà ses sombres nuées. Les oiseaux
de présage de la catastrophe volètenl en leurs rêves, en leurs
hallucinations. El après le phénomène curieux de la télépathie,
voici, chez Lebarrois, le phénomène, plus curieux encore, de
l'auto-suggeslion. Une pensée se fixe en sa cervelle, d'abord
vague, lointaine : il tuera Séphorah. Il a beau s'en défendre, se
protéger contre lui-même, il la tuera. L'idée fait son chemin, sans
hésite ; elle avanée ; elle devient formidable, obsédante, terrible.
C'est le cauchemar de chaque heure. Puis, Lebarrois se fait à sa
compagnie, il discute avec elle et enfin elle se précise, assez
douce, en somme, plausible, en route de transaction avec l'assas-
sinat brutal et le sang épanché :
« Après mon départ, a ordonné Paul, lu t'habilleras, lu pas-
seras dans la pièce voisine, en fermant derrière loi la porte,
soigneusement. Je le défends de laisser cette porte ouverte... Tu
auras froid... Tu verras le foyer éteint. Tu le mettras à genoux
pour le rallumer. Au moment où tu sentiras la clef du gaz
tourner sous tes doigts, avant de frotter l'allumette, tu le rendor-
miras brusquement... Avant de frotter Callumette, entends-tu ! »
Tel est le résumé de ce livre. D'autres personnages encore s'y
dressent, croqués d'une griffe leste : tels le typique Thévenot, ce
a calicot » babillard et bon enfant, ou Ravière, le bohème. Mais
toute la force de l'action se concentre en ces deux âmes qui, par
l'hypnose, s'insinuent, pour ainsi dire, l'une dans l'autre, se con-
fondent en un amour éperdu, et puis retombent de cet" embras-
sement furieux et passionnel dans un gouffre épouvantable
d'épuisement et de folie. C'est comme une ïerrible histoire
d'opium. L'hypnose y apparaît ravageant ainsi que l'alcoolisme.
Et c'est avec effroi qu'on regarde les bizarres personnages, en leur
épopée tragique, suivre, dans un rêve de luxure exaspérée, le cor-
ridor rouge et funèbre menant !i la démence.
THÉORIE DES NËO-LCHINARISTES
(NÉO-IMPRESSIONMSTES)
C'est avec quelque surprise que nous lisons dans le Moniteur
des A rit, l'un des journaux les plus encroûtés de vieilleries et de
doctrines surannées, un exposé clair et succinct de la théorie
néo-impressionnisie. Comment le morceau s'est-il glissé parmi
les vétustés bulles édictées par les pontifes de la Salle Drouot?
Nous l'ignorons. Les idées nouvelles gagnent, gagnent, gagnent.
Les plus antiques citadelles voient leurs remparts démolis par
elles. Dans tous les cas, il est savoureux. Qu'on en juge :
MtXt^Tuv cvavTi&jv
Heraclite.
Ce n'est pas dans le but de faire réaliste que les jeunes nova-
teurs se passionnent pour les observations scientifiques, mais
pour arriver méthodiquement à l'Harmonie en peinture par des
moyens peiutres, — exclusivement. (Lumière colorée et lignes
expressives). Cet aphorisme d'Heraclite : la conciliation des con-
traires est une harmonie, — Chevreul le reconnut des plus appli-
cables aux couleurs; et le peintre Seurat partit de ce principe
pour édifier sa théorie, — qui devint celle du cénacle, — sur le
contraste simultané des tons et des teintes. {Le ton étant défini :
une somme d'intensité lumineuse, ou telle modification qu'une
couleur peut subir pour produire le clair et le sombre; la teinte :
toute couleur spectrale et sa complémentaire, ou plus docte-
ment : le degré de réfrangibilité, la longueur d'onde de la
lumière.) Un peu plus tard, Seurat et Signac, très séduits par le
Rapporteur esthétique de Ch. Henry, ajoutèrent à ces contrastes
de colorations, — afin d'en renforcer les sensations, — le con-
traste des directions de lignes.
Quant il l'application de la théorie, elle a déjà subi maintes
modifications, maints perfectionnements, et en subira bien d'au-
tres, les chefs de l'école se vouant à l'expérimentation. Présente-
ment, Seurat, désireux d'impressionner par, des dominantes, a
beaucoup circonscrit l'emploi du contraste simultané dosions;
Signac, au contraire, en tire un effet nouveau : les dégradalions
rythmiques.
Mais, pour plus de clarté, examinons de suite les différents
phénomènes qui servirent de base à la théorie des néo-lumina-
risies (improprement dénommés impressionnistes), leur technie
s'en déduira logiquement.
La loi des com|)lémenlaires, découverte en 1812 par Ch. Bour-
geois, se comprend aisément par ces quelques lignes de Ch. Blanc :
u La lumière blanche contenant les trois couleurs élémentaires et
génératrices, le jaune, le rouge et le bleu, chacune de ces cou-
leurs sert de complément aux deux autres pour former l'équiva-
lent de la lumière blanche. On a donc appelé complémentaire
'■''m^m
Jf^^jp,-^-;
,-^î
222
L'A/îr MODSRNB
chacune des trois couleurs primitiTes, par rapport ^ la coulear
binaire qui lui correspond ».
Chevreul, qui poussa plus loin ses investigalions, nous apprit
que :
Lf. rouge est romplémenté par le bleu vert ;
Le vermillon par le bleu tris vert;
Le carmin par le bleu tris vert;
L'oranger par le bleu cyani;
Le jaune pur par le bleu tCoulremer naturel;
L'outremer artificiel par le jaune verdâtre ;
Le jaune verdâtre par le violet ;
Le vert par le pourpre.
A ce tableau, Rood ajouta :
Le jaune légirement ora»^/ complémenlé par le Ccball.
L'indigo ou bleu de Prusse par le jaune de chrome un peu
orangé.
« Or, déclare Chevreul, qu'apprend la loi du contraste simul-
tané des couleursl C'est que dès que l'on voit avec quelque atlen-
lion deux objets colorés en même temps, chacun d'eux apparaît
non de la couleur qui lui est propre, c'est-il-dire tel qu'il paraî-
trait s'il était vu isolément, mais d'une teinte résultante de la
couleur, complémentaire de la coulear de l'autre objet. D'un autre
cdté, si les couleurs des objets ne sont pas au même ton, le ton
de la plus claire s'abaissera, et le ton de la plus foncée s'élèvera.
En définitive, elles paraîtront, par la juxtaposition, différentes de
ce qu'elles sont réellement
« Le peintre sachant que l'impression d'une couleur vue ii cdté
d'une autre est le résultat du mélange de la première avec la com-
plémentaire de la seconde, n'a plus qu'à évaluer mentalement
l'intensité de l'influence de cette complémentaire pour reproduire
fidèlement, dans son imitation, l'effet complexe qu'il a sous les
yeux. »
Le raisonnement, judicieux d'ailleurs, est d'un chimiste qui n'a
étudié le contraste des couleurs qu'au point de vue teinture ; il
ne saurait suffire, par conséquent, au peintre qui doit tenir
compte et du ton local, et des reflets accidentels, et de la lumière
éclairante. Fénéon l'expose lucidement : a Ce mélange de la cou-
leur locale d'un objet avec les diverses lumières colorées qui y
afiluent (lumière solaire, normales irradiations de complémen-
taires et reflets accidentels), mélange qui constitue la teinte sous
laquelle nous percevrons cet objet, est un h^làkcb optiocb ».
Mais si les couleurs complémentaires s'exaltent par leur;'u«-
taposilion, elles s'annihilent par leur mélange, distribuées en
égale quantité, elles ne produisent qu'un gris terne et incolore ;
la division du ion s'imposait donc pour conserver aux taches leur
pureté, leur éclat (luminosité). El comme la pureté est l'absence
de lumière blanche ou de la sensation du blanc, les novateurs
résolurent de n'employer que les couleurs données parle spectre
solaire. Argument non moindre d'importance, Rood fait remar-
quer qu'en de nombreux cas, les peintres ne peuvent appliquer
directement ce que leur palette leur a enseigné ï l'interprélaiion
des effets chromatiques produits par la nature puisque e^^^i
dépendent souvent en grande partie du mélange de faisceai3P?e
lumières de couleurs différentes. Or, toujours selon le savant
américain, la seule manière pratique de mêler réellement en pein-
ture, non pas des matières colorantes, mais des faisceaux de
lumière colorée, c'est la division du ton, moyen précieux se prê-
tant bien à l'expression de la forme, à condition toutefois de ne
le pas trop régulariser.
Ptolémé« avait entrcleon on mode radimenUire de mêler )m
» faiMeaux de lumières, lei peinlm de l'aDliqnité ea Mt-ili tiré
parti? Nul ne peut l'affirmer, les plui anciennei peiuluret
retrouvées ne décèlent pas trace d'une telle préoeeupalion ; on
reconnaît, en revanche, dans les fresques pompéiennes, on souci
des complémentaires.
Chez nous, l'emploi des tons fragmentés n'spptrstl manifeste
que dans les dernières fresques de Delacroix. Relativement aux
méthodes, il n'en existe pas d'aniëneare ft celle de Mile (18S9),
qui recommandait de diviser le ton an moyen de lignes parallèles
ténues; les néo-luminaristes, après plusieurs expériences, ont
adopté le poiutillage, parce qu'au recul, toute fracture disparaît
en quelque sorte et l'œil ne perçoit plus que de la lumière
colorée. Le difficile est de faire sentir, avec un Tel procédé, les
reliefs et le modelé.
« Parmi les canetèrea les plus importants de la couleur, dans
la nature, — lisons-nous dans Rood, — il but ranger la dégra-
dation pour ainsi dire infinie qui l'accompagne toujonra... Même
lorsque la surface que l'on considère est plate et blanche, cer-
taines de ses parties sont toujoura plus éclairées que d'antres, ce
qui les fait nécessairement paraître plus jaunâtres on moins
grises; et, outre cette cause de changements, la surface blanche
reçoit sans cesse de la lumière colorée de tous les objets colorés
qui l'avoisinent, et la réfléchit ii son tour de mille façons
diverses. » Ruskin, l'admirable auteur des éléments de dessin,
fait dépendre de la dégradation des teintes l'éclat des couleura, la
force de la lumière, et même les effets de transparence des
ombres; aussi, la dureté, la froideur et l'opacité lui paraissent-
elles résulter bien plus encore de XégaUté d'une coulear que de
sa nature. Les néo-luminaristes dégradent les teintes en sjoutant
plus on moins de blanc aux tons pun, — seule mixture restant
lumineuse, — c'est le dosage des tons.
Parmi les objections soulevées à propos de la division uniforme,
une seule vaut qu'on s'y arrête; toutes les toiles présentées jusqu'à
ce jour recouvertes de taches d'égales dimensions semblaient
manquer de perapective aérienne, de profondeur, — même au
recul. Cela tient-il simplement il quelques inexactitudes de valeurs
de tons? ainsi que l'affirment Seurat et Signac; n'y peut-on remé-
dier, comme le prétend Séon, qu'en diminuant la dimension de
la tache à mesure que se dégrade une teinte ? La question ne me
parait résoluble que par les prochains travaux de ces artistes (t).
Alphonss GniuiH.
ïieiix llYPes et Yleilles pelînres
Dans l'actuel catalogue de M. Ed. Deman, nous trouvons plu-
sieurs pièces reproduites : reliures et gravures, qui signalent à
l'attention combien chez nous, grâce il l'activité d'un. libraire, le
goût des livres tend à se propager. De tels catalogues nous arri-
vaient jadis de Paris et de Londres; jamais de Bruxelles. On fabri-
quait ici de mensuels et semestriels recueils, imprimés sur chan-
delle, horribles d'aspect, qu'on lisait peu et dont le papier non
séché collait aux doigts. Or, voici une excellente impression, sur
(i) Cet article, on le voit, a été écrit avant la mort de Seurat.
Nous donnerons prochainement l'exposé que fait M. Alphonse
Qkbmain de la direction des liçnes, l'une des préoccapations domi-
nantes des néo-impressionnistes. Cet exposé complète son intéressante
étude sur la division du ton.
L'ART MODERNE
223
feuilles teinlëes, et fleurie de planches dans et hors texte. Ces plan-
ches sont si nombreuses qu'on peut, grftce ft elles, suivre, d'après
modèles, toute l'histoire de la reliure. Laissant ii part le bouquin
aux armes du Cardinal de Montalle, le futur Sixie-Quini, dont la
provenance est italienne, voici trois volumes paf Le Gascon,
relieur du roi Louis XIII. Déjh avaient paru en France les Geof-
froy Tory, les Roffet et les Ede, les inventeurs des ornements i la
fanfare. A la suite des Grolier, les rois François I", Henri II,
Henri III et les reines Louise de Lorraine et Catherine de Hédicis
et les grands de Thou, de Breze, de Montmorency, de Saint- Maur,
de Nesie, de Guise s'étaient affirmés amateurs illustres.
Là reliure avait déjà un passé, quand apparut, aux débuts du
XVII* siècle, Le Gascon, dont le catalogue Deman reproduit au
n* 89 une œuvre. Cet artiste s'appelait-il vraiment ainsi ? On en
doute. Qu'importe. Du moins est-ce k ce nom qu'on attribue le
travail qui se fit k celte époque pour tous les collectionneurs de
la cour. Un certain Badier faisait concurrence au relieur favori.
Mais lui se contentait d'être l'ouvrier des Gaston d'Orléans, des
Matarines et de H"* de Rambouillet pour laquelle il vétii, comme
un chef-d'œuvre, la Ouirlande à Julie.
Cétail alors pour les grands un devoir de haut luxe d'avoir
bibliothèque pleine et belle. Aujourd'hui l'écurie a pris la place
de la Mbliothèque et l'on s'étonne qu'on ne fasse point encore
dorer et damasquiner les sabots des chevaux.
L'innovation de Le Gascon avait été de pointiller l'ornement
dit h la fanfare, de donner aux plats du livre une apparence de
dentelle étalée, une apparence frêle, légère, arachnéenne, qui con-
trastait avec les reliures grosses et voyantes italiennes.
A travers les Dubois et les Levasseur et les Ruette, inventeurs
du papier de peigne, nous voici descendus au tour de Pasdeloup,
relieur de la Régence. Le n» 877 reproduit un travail de ce maître.
C'est l'habillement du Sacre du Roi. Au centre les armes de
?^LESOBVVRES<«<
feu maifheAIato charrier en (on
vluantSeaetairedu ka roy Char^
les fcpcicfme dunon* NouueU&
menc/tif^rimees rcueuesdC
conigkts ouliretes pre
cedetes ùuprefnoiu*
^^n les vend aPariscnla grant
lalle du palafsauprenu'er Pfllîercn
laboutKquedeGaUiotdupre U»
braire iuredeLunluerfite*
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etiacisieii»iiui(lKC8 dOeenuio^nmlfteof^
t I » •
fMtfit'
4£m fc6ΫijiÇapo«e mtapcintt^Xktfa
Louis XV sur un grand fond uni. Autour, des rinceaux courant sur
des lattes d'or et les feuilles de chicorée apparaissantes. Orne-
mentation assez grosse, plus fastueuse que de goût, quoique son-
nant exactement l'heure décorative de ce temps-là.
A côté de la dynastie des Pasdeloup s'affirmait celle des Deroux.
Ils étaient quatorze. Le plus célèbre vivait sous Louis XV. 11
mourut en 176t. Une reliure d'une grâce choisie vêt les Amours
de Daphtiis et Chloé (maroquin rouge, large dentelle à petits fers)
qui figure au n» 859. Le milieu du plat est vide, sans blason,
c'est sa limite seule qui est ornée : des fleurs, des arabesques,
des points comme des bulles.
Et voici pour finir (n° 808), une œuvre moderne recouvrant un
livre moderne (Jouaust, 1868-1872), la réimpression des œuvres
de François Rabelais. Cette reliure mosaïquée, qui s'inspire du
passé, lient cependant à s'originaliser par des divisions dans le
sens de la largeur, alors que dans le sens de haut en bas aucune
ligne droite ne s'indique. Feuillages et rinceaux et de rares entre-
lacs. Certes, les modernes mettent-ils dans leurs ouvrages une
précision ou pour mieux dire une propreté nette que les anciens
ne connaissaient guère. Les plus belles reliures des lointains
temps ne s'affirment jamais sans gaucherie, sans quelque lour-
deur — mais elles ont l'immense supériorité de faire sentir la
main, tandis que les actuelles prouvent spécialement l'instrument.
\
»
'¥
224
LART MODERNE
\
Est reproduite encore une reliure du xvi« siècle couvrant les
Heures à l'usage de Poitiers. Va peu lourde, comme naïve —
inlérél de date bien plus qu'intérêt d'art.
Quant aux planches : une scène de chasse (n° 355), dans
le goût allemand du xvi* siècle ; le litre du Roman de la Rose,
édition à l'enseigne de la fleur de lys (1538); un litre — marque
Jean Petit — de l'Ordinaire des chrétiens, dont la disposition est
de belle ornementation; le Spéculum stuUorum (même marque)
et une joule tirée d'un poème chevaleresque allemand, d'après
les dessins de Hans Schauffelein.
Nous reproduisons l'enlête des œuvres d'Alain Chartier, édition
de 1529, une merveille de vignette synthétique et naïve et le titre
de la Célestine, la première édition française de cette curieuse
comédie espagnole.
LE TH:É3A.TI?.E T ■TiBrg.E
VIII» spectacle de 1890-91. — Paris, 4 Juillet.
• {Correspondance particulière de l'Art moderne.)
Paul Rémond est bourrelé d'ambitions littéraires. Son emploi
dans les bureaux d'une compagnie d'assurances fournil le pain
quotidien à sa mère et à sa sœur, mais lui gâche son temps et
lui harasse l'esprit. Au logis, il est en butte à l'espionnage dou-
ceâtre, à la cauteleuse sollicitude des deux femmes. Impuissant à
réaliser une œuvre dans ce milieu hostile, il se débilite en une
délectation morose dédiée à la Gloire et un peu à M""" Ducler. Il
faudrait que, loin desii^milles et des administrations, il vécût une
année, libre. Or, il n'a pas assez de confiance en soi pour oser
subordonner à de plus hauts devoirs ses coutumiers devoirs immé-
diats. Que deviendraient, celte année-là, sa mère et sa sœur? Et
s'il échouaii? Il tergiverse, et sa rancœur se traduit en vaine haine
contre cette famille, à laquelle il continuera à se sacrifier. Du
moins, cet après-midi, tous sortent pour aller entendre le sermon
d'un prédicateur à la mode, et Paul reste seul. Bientôt il s'hallu-
cine : sa pièce est jouée, il maîtrise les foules, mais des croque-
morts piétinent dans la cour, sa mère, sa sœur sont mortes de
dénuement, de Irislesse ; ira-t-il au théâtre? â leurs funérailles?
et, dans l'obscurité, voilà qu'il discerne les deux spectres. « De
la lumière! » crie-t-il, épouvanté. Au moment où il pose sur la
table une lampe, — la mère, la sœur, M. Ducler, M"" Ducler
ouvrent la porte : de nouveau, la vie banale s'épand, et douce-
ment clapote, et l'immerge. M. Mullem aime, comme tel Russe,
brouiller les confins de la réalité et du rôve. Dans leur appareil
évocatoire, ses pièces gardent une rigide précision : d'où ce qu'elles
ont d'assez étrange. Les premières scènes de son nouveau drame,
surtout le dialogue entre fils et mère, avaient avec trop de vigueur
et de netteté dégagé les saillies de l'âme de Paul, pour que le pro-
lixe monologue de l'hallucination conservât un suffisant caractère
de nécessité. L'une des deux parties est inutile, et, étant donnée
la première, la seconde ne se justifierait qu'ainsi : dans les ombres
croissantes de cet après-midi d'hiver, un laconique, un guttural
soliloque de Paul Rémond s'éteindrait sur une pantomime, puis
des trucs illusionnistes feraient disparaître le récitant-funambule,
ruineraient peu à peu, mais non tout à fait, le décor, et installe-
raient des visions de théâtre triomphal et de mort, jusqu'au rappel
de réalité de la fin. Ces choses semblaient promises par la circu-
laire que le directeur du Théâtre Libre adressait à son public :
« Le décor de la pièce de M. Louis MuUem, Dans ui Rêve,
« exigeant uneàmachinerie compliquée dont la préparalion, con-
« fiée k un spécialiste, n'a pu être achevée en temps utile, le
« Théâtre Libre modifie comme suit les dates de »
Lb Pendu, de M. Eugène Bourgeois, est d'un lugubre fort gai,
et Coeurs simples, de H. Sulter-Laumann, émeul au moyen d'une
aventure connue. F.
LA QUESTION DBS MUSÉES
Bruxelles, 6 juillet 1891.
Monsieur le IUdacteur de l'An moderne.
C'est non seulement les Delen, les Teniers et les Rubens qui
sont « mal soignés » dans les Musées de l'Ëtat, ainsi que Tont
signalé vos correspondants. Allez voir au Musée moderne une
Marine de Gudin, médiocre tableau qui est en train de pourrir
dans son cadre. On dirait qu'on l'a aspergé de je ne sais quelle
matière. C'est dégot^tant !
Votre tout « abonné »,
A. S.
Bruxelles, 7 juillet 1891.
Approuvé mille fois l'article, si bien pensé et si bien écrit, que
\'Arl Moderne publiait dimanche dernier : Mutées en plein air.
Oui, en effet, parsemer de maigrelettes statues le merveilleux
Bois de la Cambre, ce serait un sacrilège.
Mais ne pourrait-on pas y exhiter, dans ane grotte artificielle,
le monsieur qui a conçu pareille idée? On donnerait volontiers
dix sous pour le voir.
CONCOURS DU CONSERVATOIRE (>)
Chant théâtral (jeunes filles). — Professeurs : M"« Cornélis-
Servais, h. Warnots. 1" prix avec distinction, M"** De Haene,
Bauvais, Guilliaume, Parentani, Flament; 1" prix, M"" Goetz et
Olivier ; i' prix avec distinction. M"" Hasselmans, Van Langen-
donck, Hendrickx, Delecœuillerie ; 2« prix. M"" Vliex, Coessens,
0. de Kozoubsky, Vranckx, S. Bolle.
CONCOURS A HUIS CLOS.
Harmonie théorique. — Professeur : M. G. Udbeeti. 1" prix
avec distinction, M. Stevens; 1" prix. M"* Delmotte, M. Baize;
i' prix avec distinction, M. Hondus; i' prix. M"" Pisart, de
Wagstaffe, MM. Mercier, Dusoleil, M"* Demaeght; l*' accessit,
M. Soudant. — 13 concurrents.
Harmonie écrite. — Professeur : M. J. Dupont. 1" prix avec
distinction, H. Gortebeek; 1" prix, MM. Marchand, Miry, Byl;
2' prix avec distinction. M"* Camu; rappel du 2* prix avec
distinction, MM. Tbiébaut, Kips ; rappel du 2* prix. M»* G. Dupont ;
1" accessit, MM. Biarent, Van Overeem, Couteaux ; 2° accessit,
MM. RUhlmann, Léonard. — 18 concurrents.
Harmonie pratique. — Professeur : M. Ed. Sam(}EL. 1" prix,
MM. Gortebeek, Byl; i" accessit, M"« G. Dupont, M. Biarent. —
4 concurrents.
DIPLÔMES DE CAPACITÉ.
Alto. — Professeur : M. Firket. — M. Hans (avec distinction),
M. P. Lefèvre.
(1) Suite. Voir nos trois derniers numéros.
^
L'ART MODERNE
225
VùAon. — M. Carnier(avec distinclion), élève de H. Colyns.
Piano (jeunes filles). — Chargé du cours : M. Gurickx. —
N'i* R. Hoffmann (avec distinction).
Orgue. — Professeur : M. A. Mailly. — M. Aug. De Boeck.
Mémento des Expositions
AnvEKS. — Salon triennal. — 9 août-27 septembre. Renseigne-
ments : O. Caroly, lecrélaire.
Batonne-Biarritz. — Exposition des « Amis des Arts ». —
20 juillel-10 octobre. Délai d'envoi : 15 juillet. Gratuité de
transport pour les artistes invités. (S'adresser aux secrétaires de
la Société, à Biarritz).
DovAi- Cambrai/— 12-31 juillet à Douai, 15-31 août à
Cambrai. (Dépôt à Paris : Dupuy-Vildieu, rue de l'Échiquier, 5-8).
Renseignemenis : secrétaire de la Société des « Amis des Arts de
Douai-Cambrai ».
Rouen. — Exposition municipale. — 1" octobre-30 novembre.
Délai d'envoi : 20 août. (Dépôt, à Paris, du 10 au 20 août, chez
MM. A. Guinchard et Fourniret, rue Blanche, 76). Gratuité de
transport pour les artistes invités. Renseignements : M. le Maire
de Rouen.
Saint-Madr. — 26 juillet-16 août. Délai d'envoi : 16-19 juillet.
Renseignemenis : M. Quinton, secrétaire général, S^Maur.
Saint-Germain-eh-Late. — 1<" aoûl-30 septembre. Délai
d'envoi : 10-15 juillet, chez MM. Guinchard et Fourniret, rue
Blanche, 76. (Droit fixe de 5 francs par exposant).
Vkrtiers. — 10 août-22 septembre. (Réservée aux membres de
la Société des Beaux- Arts et aux invités). — Délai d'envoi :
25 juillel-2 août.
Petite CHROfiiQUE
L'Association belge de Photographie a ouvert hier samedi sa
troisième Exposition internationale, dans les salles du Musée
moderne, place du Musée. L'Exposition, qui réunit les œuvres
de plus de 150 exposants belges et étrangers, est très importante
et très intéressante. Nous en parlerons prochainement.
Le dernier numéro de la Plume (15 juin 1891) est consacré
exclusivement aux Jeune-Belgique : M. Léon Deschamps, direc-
teur de la Revue, publie en tête de la livraison une élude d'en-
semble, suivie de la reproduction de proses et de vers de
MM. G. Eekhoud, A. Giraud, Iwan Gilkin, E. Verhaeren,
M. Maeterlinck, Ch. Van Lerberghe, G. Le Roy, A. Goffio,
Eug. Demolder, J. Désirée, M. Waller, A. Mockel, P. Clin,
H. Krains, A. Fonlainas, V. Gille, F. Severin, etc., etc.
Voici la dislribulion définitive de Lohengrin à l'Opéra de
Paris :
Lohengrin, M. Van Dyck ; Frédéric, M. Renaud ; le Roi, M. Del-
mas; Le héraut, M. Douaillier; Eisa, M"" Rose Caron; Orlrude,
M"" Fierens.
Tous les rôles, distribués en double, et les principaux en Iriple
et môme en quadruple, seront interprétés, au besoin, par :
Lohengrin : MM. Vergnet, Duc, Affre.
Frédéric : M. Melchissédec.
Le Roi ; MM. Plançon, Gresse.
Le héraut : M. Ballard.
Eisa : M*"" Bosman.
Orlrude : M™* Domenech.
M. Dalou est le sculpteur choisi pour le monument que devait
faire au Panthéon Henri Chapu. Et c'est M. Rodin qui est désigné
par la Sociélé des gens de lettres pour le monumeni de Balzac.
Pour la mille et unième fois, racontons, dit VEcho de Paris,
la mille et unième histoire de l'achat d'un faux Corot.
Un M. F.... avait vu, dans la vitrine d'un marchand de tableaux
de la rive gauche, un superbe Corot représentant un saule dont
les branches, penchées sur un étang, abritaient une paysanne lavant
du linge. Il voulut l'acheter et proposa la somme de 8,000 fr.
qui fut acceptée; mais, méfiant, il slipula que le tableau serait
examiné par des amateurs.
En conséquence, le marchand se rendit chez un M. X..., grand
amateur de Corot qui, enthousiasmé, insista pour qu'on lui don-
nât la préférence ; on lui donna le tableau et il versa sur-le-champ
les 8,000 francs convenus.
Le lendemain de cette acquisition, MM. Georges Petit et Tedesco
se rendirent chez M. X... Ils examinèrent le Corel et reconnurent
qu'il était faux.
Désappointé, M. X... alla trouver le marchand et lui réclama
son argent, le priant de reprendre sa toile. Celui-ci s'y étant
refusé, le commissaire de police informé a saisi le faux Corot.
La Revue Encyclopédique donne mensuellement, depuis le
1" juillet, un supplément illustré de quatre pages, entièrement
consacré à l'histoire des mœurs actuelles par l'image, d'après les
journaux satiriques et humoristiques de France et surtout de
l'Étranger. Ce supplément ajoutera aux documents de la Revue
Encyclopédique un élément d'un grand intérêt. La rédaction de
la Vie par l'Image a été confiée à M. John Grand-Carteret, l'hu-
moriste bien connu par ses publications sur la Caricature.
Est-ce que la plaisanterie des Meissonnier à 100,000,200,000,
300,000 francs aurait cessé? Voici ce que raconte le OU Blas :
« Un MÈissonnier qui n'a pu se vendre.
Cet exemple est peut-être unique. Le Postillon, datant de 1879,
a été mis en vente dans la salle 5 de l'Hôtel Drouot. Le tableau
avait appartenu au feu colonel Mac-Murdo. — Sujet : sur une
route ensoleillée, un postillon chevauchant un cheval gris en tient
un autre en main. Les animaux vont paisiblement pendant qu'il
allume sa pipe. Il porte le costume typique du postillon français :
vesie de velours bleu avec doublure cl gilet rouge, culotle de peau
et de hautes boties Louis XIU.
L'expert en demandait 120,000 francs. La mise à prix était de
68,000 francs.
La première offre a été 48,000 francs. Elle n'a pas été suivie
d'autres. Conséqucmmeni le tableau a été retiré, invendu. »
L'assiduité avec laquelle M. Emile Zola a suivi les répélilions
du Rive, qui vient d'être représenté à l'Opéra-Comique, a paru
surprendre quelques personnes qui ne le soupçonnaient pas
musicien. On sera moins étonné lorsqu'on saura que le maître de
Médan est, ou plutôt fut autrefois un nwsicien fort épris de son
art. Les familiers du magnifique appartement qu'habile le
romancier, rue de Bruxelles, ont tous remarqué dans la salle de
billard, occupant la place d'honneur, une superbe clarinette.
Jouer de ce délicat insirument était, il y a vingt ans, le passe-
temps favori de M. Zola; mais, depuis lors, l'assiduiié que je
romancier a apportée à son colossal travail ne lui a guère permis
de reprendre sa chère clarineile.
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Dimanche 19 Juillet 1891.
L'ART MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
RBVDE CRITIQDE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Comité de rédaction t Octavb MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
ABONNEMENTS t Belgique, ud an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. — ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser toutes les communications à
LADMirasTBATioN oÉM^BAtE DE TArt Modome, rue de rindustrie, 32, Bruxelles.
Sommaire
La DimssioN de la Direction et de la Commmsion des Beaux-
Arts. •— La otnanoN des Musses. Oyrresfonâance. — Le mal
CADUC DBS Conservatoires. — Odilon Redon. Son œuvre lithogra-
phique, par Jules Désirée. — Exposition internationale de Photo-
ORAPHii. — Litres et Brochures, — AROHéoLOfliE. La fouille» du
cimetûrt franc dAnderlecht. — Ck>NC0UR8 du Conservatoire. —
Petite chronique. — Vignettes.
LA DÉMISSION
DE LA Jf
Direction et de la Commission des Beanx-Arts
Une -véritable levée de boucliers s'est produite dans la
presse à la suite de nos révélations sur la commission
des Beaux-Arts, Tout le monde convient que l'état de
choses dénoncé par nous doit cesser. Seuls les ronds de
cuir qui prétendent diriger l'art, du haut de leur inca-
pacité et de leur incurie, restent muets sur leurs sièges
de fonctionnaires. C'est systématique, d'ailleurs, chez
les gens officiels, cette façon d'agir. Tout ce qu'ils font
leur semble bien fait, et ils n'admettent pas la critique.
Leur groupe est anonyme. Leur chapelle n'a pas d'en-
seigne. Ce sont des irresponsables. Leur lance-ton une
flèche, ils sont si effacés, si inconnus, si vagues, si nuls,
qu'on ne sait au juste lequel d'entre eux est atteint. Us
l'écoutent siffler et remettent leurs nez de gratte-papier
dans leurs paperasses ou se retirent dans leur fromage,
qu'ils ont soin d'entourer de bonnes croûtes.
La Jeune Belgique, à son tour, vient de faire la
lumière sur des choses bien intéressantes. Il n'y a pas
de Mellery au Musée moderne ! Il n'y a pas de Rops ! Il
n'y a qu'un seul Stobbaerts ! Cela s'explique. Mellery, cet
austère et grand artiste, n'est pas un quémandeur de
subside, comme tous les vils joueurs d'orgue qui tour-
nent la manivelle sous les balcons des détenteurs de la
" galette » gouvernementale. Rops a pour les fonction-
naires en général le plus vif mépris.
Mais ce n'est pas tout. La Jeune Belgique assure
que de leur vivant on n'a rien acheté à Boulenger, à
Dubois, à Agneessens, à De Braekeleer, à Degroux.
Est-ce vrai? Eh bien, cela crie vengeance ! Le Musée
moderne, à part les Stevens (Joseph) et quelques autres,
ne possède de réels tableaux que les tableaux des pein-
tres précités. Les commissions des Beaux-Arts ont
méconnu ces artistes, qui font maintenant la gloire de
la Belgique. Ces artistes ont été pauvres et malheureux
et l'achat des musées n'a fait généralement que l'affaire
de quelques amateurs ou marchands plus malins. Le
souvenir de ces nobles artistes devrait peser sur la con-
science des plumitifs qui ont organisé le Musée moderne
de l'odieuse façon que l'on sait et que nous avons déjà
signalée. On a payé, assure-t-on, 180,000 francs pour la
228
UART MODERNE
Peste de Tournai de Louis Gallait. On a quasi laissé
mourir de faim les Boulenger, les Dubois et d'autres.
On a désespéré le pauvre Agneessens !
Voilà la besogne des gens qui ont pour mission de
découvrir les jeunes artistes et de les protéger. Ce sont
des aveugles. Ils ont fait leurs preuves d'incompréhen-
sion totale, d'ignorance épaisse, obstinée. Ils raccom-
modent alors leur bévues à coups de billets de mille
arrachés aux contribuables et dont les artistes défunts
ne profitent plus.
Et ils continuent leur système. Ils n'achètent qu'à
ceux qui frottent leur lustrine de bureaucrate aux
flatteurs des gouvernements, aux lâcheurs des bottes
académiques. L'artiste qui surgit, nouveau, original,
honnête et sincère, les offusque, les gène dans leur
routine. Leur intelligence est inapte à saisir le neuf et
il faut attendre des années pour que dans la grande
cervelle officielle et obtuse entre enfin la notion exacte
de l'artiste jusque là méprisé.
Des exemples? Tous ceux cités plus haut, et parmi
les vivants, Rops et Mellery.
Et même les tableaux des maîtres disparus, comment
les achète-t-on? Voici un échantillon de leur manière :
l'esquisse de Leys, très belle, qui se trouve au Musée
moderne, a été exposée pendant six mois à la Salle des
ventes, à Bruxelles. Un marchand de Paris (toujours!!!)
M. Bra... l'y acheta pour 1,500 francs. Il la revendit
trois jours après 5,000 francs au Musée moderne. On
n'ajoute pas de commentaire à un fait aussi odieuse-
ment ridicule.
Depuis que nous nous occupons du travail de ces
Messieurs et de leur façon de ne pas protéger l'Art et
les artistes, nous recevons un tas de communications
que nous publierons toutes, en temps et lieu. On agit
avec la littérature comme avec la peinture. Tout est
aux médiocres et aux vils.
Voici une curiosité encore, cueillie dans la Jeune
Belgique :
- Les habitués du Palais des Beaux-Arts connaissent
la collection dite d'Arenberg. Elle se compose d'une
quarantaine de pièces, achetées en 1874, et forme la
base de la galerie des gothiques. On y remarque,
entre autres, la Cène de Bauts, Jésus chez Simon de
Schoen, la Messe de saint Grégoire, une magnifique
série de portraits, etc. Ces quarante tableaux, qui sont
à eux seuls une superbe académie de chefs-d'œuvre,
n'ont coûté que 90,000 francs ! ! Chose incroyable, la
commission de 1874 refusa de les acquérir ! Il fallut
l'intervention personnelle deM.Delcour,alors ministre,
pour forcer la main à la compagnie des bonzes!
En 1891, c'est le contraire qui arrive : on achète
50,000 francs un Ostade, et c'est la commission qui
■ force la main au ministre! Le sens dessus dessous est
complet! -
Voilà la piteuse situation de la pirotection de l'Art en
Belgique. Il faut que cela cesse. Le vieux fonctionna-
risme, sénile et exténué, poussif et impuissant, a
démontré qu'il n'était plus bon qu'à être mis an rancart,
avec les instruments de tortnre des musées d'archéo-
logie. Il n'a, comme ceux-ci, jamais servi qu'à faire du
mal. Le remède à cet état de jchoses honteux et depuis
tant d'années néfaste, s'indique nécessaire et argent :
la démission en bloc de la direction et de la commission
des Beaux- Arts. Leur inaptitude a été largement
démontrée.
Nous publierons, dans un prochain numéro, une
étude sur les opérations de la commission des Beaux-
Arts dans les ventes publiques de ces derniers temps;
nous dirons les occasions qu'elle a laissé s'échapper, les
tableaux qu'elle aurait dû acheter, et nous indiquerons
toutes les œuvres qui eussent dû rester dans les musées
belges et que les étrangers ont raflées.
LA QUESTION DES MUSÉES
CORRESPONDANCE
MonsiECR LE RÉDACTEUR DE l'Art nuxUme,
Dans un de vos derniers numéros vous racontez que dans le
tableau d'Hobbema qui se trouve au Musée, le cheval blanc a été
peint par M. Niewenhuis. Ce fait est exact. Dans un autre tableau.
Intérieur cTéglùe, d'Emmanuel Dewil, une des figures, celle
appuyée contre le pilier, a été peinte par le peintre Florent Wil-
lems.
Vauillez agréer, etc.
L. M.
Mon cher M*"
A propos de l'intéressante campagne que vous menez dans
les colonnes de votre journal contre les abus qui se commet-
tent à la barbe des contribuables au Musée ancien, il m'est revenu
i la mémoire la petite histoire que voici. Il ne s'agit plus de la
commission que vous avez blAmée avec justice, mais de la ville
de Bruxelles.
Sur une des maisons de la Grand'Place, celle habitée par
M. Billen, se trouvait un très beau vase en cuivre. La ville ayant
fait restaurer la façade de celte maison, on vendit i l'encan les
détritus cl les débris, parmi lesquels on laissa le dit vase. Celui-ci
fut acquis pour deux louis par un de nos collectionneurs bien
connus, M. J. V. Depuis celte époque, la ville voudrait racheter ce
vase et a fiait à M. V. de sérieuses propositions.
Que pensez vous, mon cher M'", de cette petite histoire? Il
faudrait chaque année voter un budget pour les bévues de nos
administrateurs.
Bien à vous.
A. D.
LE MAL CADUC DES CONSERVATOIRES
— Ils en mouiTODl ! . . . El ce sera justice, puisqu'aussi bien
ils se refusent obstinément ii l'inoculation de ce virus d'art sincère
que d'ingénus Pasteurs leur proposent en guise de curatif.
— Voire, en allendant qu'ils meurent de leur haut mal, ils
en vivent ; et leur petit commerce continue toujours, qui con-
siste b lancer périodiquement dans la circulation un contingent
toujours plus compact d'uniformes, prétentieux et répulsifs
cabots, taillés au préalable i la mesure du lit de Procusie des
traditions consacrées. Car telles sont, au sens des calamiteux pon-
tifes qui les gèrent, la fonction économique et la fin dernière du
Conservatoire... Tout le reste n'est que littérature.
— Et c'est i cette étonnante conception que notre curiosité
doit ces exhibitions dites : concours de déclamation et de mimi-
que, sur lesquels d'ingénieux mélancoliques comptent (du moins
on l'assure) pour dilater leur rate rebelle à tous les excitants. Le
résultat prévu ne leur aura point manqué cette année et le specta-
cle était vraiment irrésistible du défilé des malheureux palmivores
qui s'évertuaient pendant la semaine écoulée, devant un public
comateux, collé aux velours des vétustés fauteuils. Casihiir Dela-
vigne, Eugène Scribe et Emile Augier ont eu les honneurs de la
première journée... On a été généralement surpris de l'absence
de Ponsard au programme. (Nous aimons à croire qu'il suffira
simplement- de signaler cet oubli.) Les concurrents ont témoigné
d'un profond respect pour les formules de la Maison et ont fait
preuve de la plus parfaite inaptitude à s'évader vers de person-
nelles interprétations... Aussi le Jury s'est-il montré prodigue
d'embrassements et de lauriers, et, le soir même, un des grands
Aghos qui le composent nous dévoilait un coin de son esthétique
dans un copieux feuilleton, où scintillent des perles comme
celles-ci :
« M'i* Baudoux est une soubrette drue et ronde physiquement,
qui dit avec naturel, sans beaucoup de verve ni de mordant. »
« M"« Bauvais, qui jouait une misérable mendiante en belle
robe de velours, — il y a du reste de la mendicité qui s'exerce
sur le velours (tic) — a montré de l'énergie... »
Nous pourrions promulguer notre appréciation sur les journées
suivantes et insister notamment sur la singularité des exercices de
télégraphie aérienne et de danse du ventre qui constituent là-bas
la « mimique théâtrale». Nous pourrions, à l'exemple des Sama-
ritains dont nous évoquions le souvenir, rappeler humblement ces
Grands Malades au sentiment même de cet Art qu'ils entendent
monopoliser et officieliscr, en vertu d'on ne sait quel mandai
mystique...
Mais à quoi bon? Ne sont-ils pas incurables et leur entélemenl
ne résislera-l-il pas, avec la perlinacité d'un cul de plomb récal-
citrant à toute tentative émancipatrice?... Ils n'ont plus dans
les artères ni sang, ni enthousiasme, ni émotion, et sont mûrs
pour la tombe — qui s'étonne de les attendre si longtemps !
Ah! nous croyons bien comprendre le mol de ce pauvre
maniaque qui, sur le passage de M. Carnot, s'est écrié l'autre jour
en déchargeant un revolver :
« Non! toutes les Bastilles ne sont pas détruites! »
Cet homme pensait évidemment à ces forteresses de la Bétisc
officielle qu'on appelle les Conservatoires.
ODILOlSr PiEDOIsr
Son œuvre lithographique. — Catalogue descriptif, par
JuLBS DKsraÉB, avec deux eaux-fortes par M-« Jules Destrée (Marie
Danse), gr. in-S», 80 p., — 75 exempl. numérotés, — à Bruxelles
chez l'éditeur Edmond Deman, sans millésime.
En ces derniers temps de nombreux travaux ont paru sur cei
admirable artiste, un archi-inconnu pour le vulgaire, — un archi-
détraqué pour les trois quarts de ceux qui connaissent ses œuvres,
— un prodigieux esprit pour quelques esthètes.
Récemment, dans les Hommes d'aujourd'hui, la curieuse publi-
cation de Vanier qui débite les silhouettes des illustres avec la
régularité d'une presse typographique, Charles Morice, notre
confrère, écrivait :
« Le grand expressif de la Tristesse, de la Douleur, du Déses-
poir, avec une spirituelle Pitié qui reste sereine au sein même du
plus intense trouble ; le témoin pensif de la vie qui se cherche et
de celle qui se dépasse, d'avant et d'après la norme; le fastueux
artiste qui' trouve sa joie, en dépit des mélancoliques apparitions,
dans les somptuosités délicates des couleurs toutes dites par des
gammes d'harmonies de blanc et de noir. Ce solitaire à l'esprit
semblerait-il, plutôt du Nord, naquit (d'un père français et d'une
mère créole) en plein Midi, à Bordeaux, en 1840, en plein bruit
de triomphe romantique.
« Redon exposa pour la première fois en 1881 à la Vie Moderne.
Il adoptait le système des expositions restreintes et sans caractère
officiel. On le revit à la salle des dépêches du Gaulois en 1882
aux Indépendants et rue Laffitte en 1866, puis aux .yXdc Bruxel-
les, aux Peintres-Graveurs, aux Trente-Trois. Ce fut pour la presse
l'occasion de folles plaisanteries et de pires silences. On faisait de
comiques commentaires à cette œuvre désolée : ce n'est pas la
forme ni la déformation qu'on attaquait, c'est l'intention qu'on
suspectait, c'est le métier qu'on prétendait enseigner au Maître.
Quelques bonnes voix protestèrent : J.-K. Huijsmans de qui
dans A Rebours on peut lire de belles pages consacrées à Odilnn
Redon; Emile Hennequin, le plus pénétrant et rigoureux analvslo
de notre temps : il ne parlera plus, sa pensée lui survit; Gcffrov,
autorisé; des publicisles hollandais et belges. Disons à l'honneur
de ces voisins — non pas au nôtre — que chez eux Odilon Redon
obtient à peirprès les suffrages qu'il faut. »
A peu près les suffrages qu'il faut ! Pour lâcher celle phrase de
justice approximative, H. Charles Morice devait ignorer les remar-
quables études successivement publiées par notre compatriote Jules
Destrée et qu'il a réunies dans le livre dont nous rendons compte.
Rarement un grand artiste a eu la chance d'être fouillé, dans ses
œuvres, avec une plus pénétrante minutie, avec une compréhen-
sion plus haute de son génie. C'est l'élude d'un fervent, d'un
pieux, qui a compris sa divinité et l'exalte avec amour.
Catalogue descriptif! Procédé parfait pour juger le labeur d'un
artiste. Ses œuvres énumérées, méthodiquement groupées ; mais
la sécheresse calalogale immédiatement ornée de subtils com-
mentaires, de descriptions attachantes, de remarques ingénieuses
projetant des rayons dans la philosophie de l'art, dans l'histoire
de l'art, partout où vont, par des projections, la fantaisie, la
science, la raison de l'écrivain, abondamment et avec une
grande aisance de pensée et de plume.
Quatre vingt treize lithographies d'Odilon Redon sont ainsi
analysées sans un instant de fatigue pour le lecteur, marchant en
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Popper, air F. Benedict, Leschctitzhy , Napraouih, Joh. Selmer, Jnh.
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Ll NTMÉRO : 26 CBimiOB.
DuANCHB 19 Juillet 1891.
L'ART MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Comité de rédaction i Octatb MAUS — Edmond picard — ÉmLB VERHAEREN
ABONNEMENTS l Belgique, ud an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. — ANNONCES : On traite i forfait.
Adretter totUes le» communication» à
L'ADunnsTKATioN GÉNÉRALE DE l'Art Modome, iTue do l'Industrie, 32, Bruxelles.
Sommaire
La DiuusioN DB LA Direction et de la Commission des Beaox-
Arts. •— La odbstion des Musées. Corresponâance. — Le mal
CADUC DES Conservatoires. — Odilon Redon. Son œuvre lithogra-
phique, par Jules Désirée. — Exposition internationale de Photo-
ORAPBis. — Livres et Brochures. — AROHéoLooiE. Les fouille* du
cimetUre franc dAnderlecht. — Concours du Conservatoire. —
Petite chronique. — Vignettes.
LA DÉMISSION
DE LA
Direction et de la Commission des Beaux- Arts
Une véritable levée de boucliers s'est produite dans la
presse à la suite de nos révélations sur la commission
des Beaux-Arts. Tout le monde convient que l'état de
choses dénoncé par nous doit cesser. Seuls les ronds de
cuir qui prétendent diriger l'art, du haut de leur inca-
pacité et de leur incurie, restent muets sur leurs sièges
de fonctionnaires. C'est systématique, d'ailleurs, chez
les gens officiels, cette façon d'agir. Tout ce qu'ils font
leur semble bien fait, et ils n'admettent pas la critique.
Leur groupe est anonyme. Leur chapelle n'a pas d'en-
seigne. Ce sont des irresponsables. Leur lance-ton une
flèche, ils sont si efl'acés, si inconnus, si vagues, si nuls,
qu'on ne sait au juste lequel d'entre eux est atteint. Ils
l'écoutent siffler et remettent leurs nez de gratte-papier
dans leurs paperasses ou se retirent dans leur fromage,
qu'ils ont soin d'entourer de bonnes croûtes.
La Jeune Belgique, à son tour, vient de faire la
lumière sur des choses bien intéressantes. Il n'y a pas
de Mellery au Musée moderne ! Il n'y a pas de Rops ! Il
n'y a qu'un seul Stobbaerts ! Cela s'explique. Mellery, cet
austère et grand artiste, n'est pas un quémandeur de
subside, comme tous les vils joueurs d'orgue qui tour-
nent la manivelle sous les balcons des détenteurs de la
« galette - gouvernementale. Rops a pour les fonction-
naires en général le plus vif mépris.
Mais ce n'est pas tout. La Jeune Belgique assure
que de leur vivant on n'a rien acheté à Boulenger, à
Dubois, à Agneessens, à De Braekeleer, à Degroux.
Est-ce vrai? Eh bien, cela crie vengeance ! Le Musée
moderne, à part les Stevens (Joseph) et quelques autres,
ne possède- de réels tableaux que les tableaux des pein-
tres précités. Les commissions des Beaux-Arts ont
méconnu ces artistes, qui font maintenant la gloire de
la Belgique. Ces artistes ont été pauvres et malheureux
et l'achat des musées n'a fait généralement que l'affaire
de quelques amateurs ou marchands plus malins. Le
souvenir de ces nobles artistes devrait peser sur la con-
science des plumitifs qui ont organisé le Musée moderne
de l'odieuse façon que l'on sait et que nous avons déjà
signalée. On a payé, assure-t-on, 180,000 francs pour la
Peste de Tournai de Louis Gallait. On a quasi laissé
mourir de faim les Boulenger, les Dubois et d'autres.
On a désespéré le pauvre Agneessens !
Voilà la besogne des gens qui ont pour mission de
découvrir les jeunes artistes et de les protéger. Ce sont
des aveugles. Ils ont fait leurs preuves d'incompréhen-
sion totale, d'ignorance épaisse, obstinée. Ils raccom-
modent alors leur bévues à coups de billets de mille
arrachés aux contribuables et dont les artistes défunts
ne profitent plus.
Et ils continuent leur système. Ils n'achètent qu'à
ceux qui frottent leur lustrine de bureaucrate aux
flatteurs des gouvernements, aux lécheurs des bottes
académiques. L'artiste qui surgit, nouveau, original,
honnête et sincère, les offusque, les gêne dans leur
routine. Leur intelligence est inapte à saisir le neuf et
il faut attendre des années pour que dans la grande
cervelle officielle et obtuse entre enfin la notion exacte
de l'artiste jusque là méprisé.
Des exemples ? Tous ceux cités plus haut, et parmi
les vivants, Rops et Mellery.
Et même les tableaux des maîtres disparus, comment
les achète-t-on ? Voici un échantillon de leur manière :
l'esquisse de Leys, très belle, qui se trouve au Musée
moderne, a été exposée pendant six mois à la Salle des
ventes, à Bruxelles. Un marchand de Paris (toujours! ! !)
M. Bra... l'y acheta pour 1,500 francs. Il la revendit
trois jours après 5,000 francs au Musée moderne. On
n'ajoute pas de commentaire à un fait aussi odieuse-
ment ridicule.
Depuis que nous nous occupons du travail de ces
Messieurs et de leur façon de ne pas protéger l'Art et
les artistes, nous recevons un tas de communications
que nous publierons toutes, en temps et lieu. On agit
avec la littérature comme avec la peinture. Tout est
aux médiocres et aux vils.
Voici une curiosité encore, cueillie dans la Jeune
Belgique :
« Les habitués du Palai^ des Beaux-Arts connaissent
la collection dite d'Arenberg. Elle se compose d'une
quarantaine de pièces, achetées en 1874, et forme la
base de la galerie des gothiques. On y remarque,
entre autres, la Cène de Bauts, Jésics chez Simon de
Schoen, la Messe de saint Grégoire, une magnifique
série de portraits, etc. Ces quarante tableaux, qui sont
à eux seuls une superbe académie de chefs-d'œuvre,
n'ont coûté que 90,000 francs ! ! Chose incroyable, la
commission de 1874 refusa de les acquérir ! Il fallut
l'intervention personnelle deM.Delcour,alors ministre,
pour forcer la main à la compagnie des bonzes!
En 1891, c'est le contraire qui arrive : on achète
50,000 francs un Ostade, et c'est la commission qui
force la main au ministre ! Le sens dessus dessous est
complet! »
Voilà la piteuse situation de la protection de l'Art en
Belgique. Il faut que cela cesse. Le vieux fonctionna-
risme, sénile et exténué, ponssif et impuissant, a
démontré qu'il n'était plus bon qu'à être mis an rancart,
avec les instruments de torture des musées d'archéo-
logie. Il n'a, comme ceux-ci, jamais servi qu'à faire du
mal. Le remède à cet état de jcboses honteux et depuis
tant d'années néfaste, s'indique nécessaire et urgent :
la démission en bloc de la direction et de la commission
des Beaux- Arts. Leur inaptitude a été largement
démontrée.
Nous publierons, dans un prochain numéro, une
étude sur les opérations de la commission des Beaux -
Arts dans les ventes publiques de ces derniers temps ;
nous dirons les occasions qu'elle a laissé s'échapper, les
tableaux qu'elle aurait dû acheter, et nous indiquerons
toutes les œuvres qui eussent dû rester dans les musées
belges et que les étrangers ont raflées.
LA QUESTION DES MUSÉES
CORRESPONDANCE
Monsieur le rédacteur de l'An moderne,
Dans un de vos derniers numéros vous racontez que dans le
tableau d'Hobbema qui se trouve au Musée, le cheval blanc a été
peint par M. Nieweohuis. Ce fait est exact. Dans un autre tableau.
Intérieur cCéglise, d'Emmanuel Dewit, une des figures, celle
appuyée contre le pilier, a été peinte par le peintre Florent Wil-
lems.
Veuillez agréer, etc.
L. H.
Mon cher M"'
A propos de l'intéressante campagne que vous menez dans
les colonnes de votre journal contre les abus qui se commet-
tent à la bart>e des contribuables au Musée ancien, il m'est revenu
à la mémoire la petite histoire que voici. Il ne s'agit plus de la
commission que vous avez blAmée avec justice, mais de la ville
de Bruxelles.
Sur une des maisons de la Grand'Place, celle habitée par
M. Billen, se trouvait un très beau vase en cuivre. La ville ayant
fait restaurer la façade de cette maison, on vendit à l'encan les
détritus cl les débris, parmi lesquels on laissa le dit vase. Celui-ci
fut acquis pour deux louis par un de nos collectionneurs bien
connus, M. i. V. Depuis celte époque, la ville voudrait racheter ce
vase et a fait k M. V. de sérieuses propositions.
Que pensez vous, mon cher M"', de cette petite histoire? Il
faudrait chaque année voter un budget pour les bévues de nos
administrateurs.
Bien à vous.
A. D.
L'ART MODERNE
229
LE MAL CADUC DES CONSERVATOIRES
— Us en mourront !... Et ce sera justice, puisqu'aussi bien
ils se refusent obstinément à l'inoculation de ce virus d'art sincère
que d'ingénus Pasteurs leur proposent en guise de curatif.
— Voire, en attendant qu'ils meurent de leur haut mal, ils
en vivent; et leur petit commerce continue toujours, qui con-
siste & lancer périodiquement dans la circulation un contingent
toujours plus compact d'uniformes, prétentieux et répulsifs
cabots, taillés au préalable à la mesure du lit de Procusie des
traditions consacrées. Car telles sont, au sens des calamiteux pon-
tifes qui les gèrent, la fonction économique et la fin dernière du
Conservatoire... Tout le reste n'est que littérature.
— Et c'est ^ cette étonnante conception que notre curiosité
doit ces exhibitions dites : concours de déclamation et de mimi-
que, sur lesquels d'ingénieux mélancoliques comptent (du moins
on l'assure) pour dilater leur rate rebelle à tous les excitants. Le
résultat prévu ne leur aura point manqué cette année et le specta-
cle était vraiment irrésistible du défilé des malheureux palmivores
qui s'évertuaient pendant la semaine écoulée, devant un public
comateux, collé aux velours des vétustés fauteuils. Casimir Dela-
vigne, Eugène Scribe et Emile Augier ont eu les honneurs de la
première journée... On a été généralement surpris de l'absence
de Ponsard au programme. (Nous aimons à croire qu'il suffira
simplement- de signaler cet oubli.) Les concurrents ont témoigné
d'un profond respect pour les formules de la Maison et ont fait
preuve de la plus parfaite inaptitude à s'évader vers de person-
nelles interprétations... Aussi le Jury s'est-il montré prodigue
d'embrassements et de lauriers, et, le soir même, un des grands
Aghos qui le composent nous dévoilait un coin de son esthétique
dans un copieux feuilleton, où scintillent des perles comme
celles-ci :
« M'" Baudoux est une soubrette drue et ronde phytiquement,
qui dit avec naturel, sans beaucoup de verve ni de mordant. »
« M"" Bauvais, qui jouait une misérable mendiante en belle
robe de velours, — il y a du reste de la mendicité qui s'exerce
sur le velours {tic) — a montré de l'énergie... »
Nous pourrions promulguer noire appréciation sur les journées
suivantes et insister notamment sur la singularité des exercices de
télégraphie aérienne et de danse du ventre qui constituent là-bas
la « mimique théâtrale ». Nous pourrions, i l'exemple des Sama-
ritains dont nous évoquions le souvenir, rappeler humblement ces
Grands Malades au sentiment même de cet Art qu'ils cnlendeni
monopoliser et officieliser, en vertu d'on ne sait quel mandat
mystique...
Mais i quoi bon? Ne sont-ils pas incurables et leur entêtement
ne résistera-t-il pas, avec la pertinacilé d'un cul de plomb récal-
citrant à toute tentative émancipatrice?... Ils n'ont plus dans
les artères ni sang, ni enthousiasme, ni émotion, et sont mûti^
pour la tombe — qui s'étonne de les attendre si longtemps !
Ahl nous croyons bien comprendre le mot de ce pauvre
maniaque qui, sur le passage de M. Carnot, s'est écrié l'autre jour
en déchargeant un revolver :
« NonI toutes les Bastilles ne sont pas détruites! »
Cet homme pensait évidemment à ces forteresses de la Béiisc
officielle qu'on appelle les Conservatoires.
Son œuvre Uthographlque. — Catalogne descriptif, par
Jules DBSTaSE, avec deux eaui-fortes par M-« Jules Destrée (Marie
Danee), gr. in-S", 80 p., — 75 exempt, numérotés, — à BruxeUes
chez l'éditeur Eokond Deman, sans millésime.
En ces derniers temps de nombreux travaux ont paru sur cet
admirable artiste, un archi-inconnu pour le vulgaire, — un archi-
détraqué pour les trois quarts de ceux qui connaissent ses œuvres,
— un prodigieux esprit pour quelques esthètes.
Récemment, dans les Hommes d'aujourd'hui, la curieuse publi-
cation de Vanier qui débite les silhouettes des illustres avec la
régularité d'une presse typographique, Charles Morice, notre
confrère, écrivait :
« Le grand expressif de la Tristesse, de la Douleur, du Déses-
poir, avec une spirituelle Pitié qui reste sereine au sein même du
plus intense trouble; le témoin pensif de la vie qui se cherche et
de celle qui se dépasse, d'avant et d'après la norme; le fastueux
artiste qui trouve sa joie, en dépit des mélancoliques apparitions
dans les somptuosités délicates des couleurs toutes dites par des
gammes d'harmonies de blanc et de noir. Ce solitaire à l'esprit
semblerait-il, plutôt du Nord, naquit (d'un père français et d'une
mère créole) en plein Midi, à Bordeaux, en 1840, en plein bruit
de triomphe romantique.
« Redon exposa pour la première fois en 1881 à la Vie Moderne.
Il adoptait le système des expositions restreintes et sans caractère
officiel. On le revit à la salle des dépêches du Gaulois en 1882
aux Indépendants et rue Laffitte en 1866, puis aux .ZXde Bruxel-
les, aux Peintres-Graveurs, aux Trente- Trois. Ce fut pour la presse
l'occasion de folles plaisanteries et de piressilences. On faisait de
comiques commentaires à celle œuvre désolée : ce n'est pas la
forme ni la déformation qu'on attaquait, c'est l'inlention qu'on
suspectait, c'est le métier qu'on prétendait enseigner au Maîlre.
Quelques bonnes voix prolestèrent : J.-K. Huijsmans de qui
dans A Rebours on peut lire de belles pages consacrées à Odilon
Redon; Emile Hennequin, le plus pénétrant et rigoureux analyste
de notre temps : il ne parlera plus, sa pensée lui survit ; Gefl'roy,
autorisé; des publicistes hollandais et belges. Disons à l'honneur
de ces voisins — non pas au nôlre — que chez eux Odilon Redon
obtient à peu près les suffrages qu'il faut. »
A peu près les suffrages qu'il faut ! Pour lâcher cette phrase de
justice approximative, M. Charies Moricedevait ignorer les remar-
quables études successivement publiées par noire compatriote Jules
Désirée et qu'il a réunies dans le livre dont nous rendons conipie.
Rarement un grand artiste a eu la chance d'être fouillé, dans ses
œuvres, avec une plus pénétrante minutie, avec une •compréhen-
sion plus haute de son génie. C'est l'élude d'un fervent, d'un
pieux, qui a compris sa divinité et l'exalte avec amour.
Catalogue descriptif! Procédé parfait pour juger le labeur d'un
artiste. Ses œuvres énumérées, méthodiquemenl groupées ; mais
la sécheresse calalogale immédiatement ornée de subtils com-
mentaires, de descriptions attachantes, de remarques ingénieuses
projetant des rayons dans la philosophie de l'an, dans l'histoire
de l'art, partout où vont, par des projections, la fantaisie, la
science, la raison de l'écrivain, abondamment et avec une
grande aisance de pensée et de plume.
Quatre vingt treize lithographies d'Odilon Redon sont ainsi
analysées sans un instant de faligue pour le lecteur, marchant en
^■,/i":'^!B^fSi^-!:i3i;^s5 ?< >
230
L'ART MODERNE
ce musëe, au son ininterrompu de l'écriVain-cicerone expliquant,
signalant, dépliant les œuvres, révélant leur symbolisme, déga-
geant peu à peu leur portée et leur gloire. Quatre vingt treize de
ces oeuvres étranges, d'un art à première vue si ésoiérique que
Jules Désirée à cru devoir y attacher celle épigraphe douce-amère,
empruntée au philosophe inconnu Claude de Sl-Marlin : « Il
« est trop loin des idées humaines pour que j'aie compté sur son
K succès. J'ai senii souvent que je faisais là comme si j'allais
« jouer des valses et des contred|nse8 dans le cimetière de Nont-
u martre, où j'aurais beau foire aller mon archet, les cadavres
« n'entendraient aucun de mes sons et ne danseraient point. »
Il n'y a que soiiante-quinze exemplaires de ce catalogue. Fidèle
au dédain mérité donjl nos écrivains enveloppent le public belge,
Jules Oesirée a tiré à petit nombre. Cela importe peu pour la
diffusion des idées. Chez nous la mission de faire progresser l'art
appartient à une élite de quelques douzaines d'esprits. Ce qu'ils
décident (l'histoire de ces vingt-cinq dernières années l'atteste)
devient fatalement l'opinion. Kn vain les taxe-t-on d'orgueil ou
d'excentricité, rien n'y fait, leurs jugements triomphent. La doc-
trinaire critique fonctionne inutilement pour tâcher de préser-
ver la rouiine : elle est ânalement toujours trahie par ses lecteurs
et... par elle-même, car ces bonzes^ un à un, se convertissent.
Pour quiconque a la chance de posséder ce livre, un hommage
spécial va de la pensée aux lèvres en l'honneur de M"" Marie
Danse, compagne de Jules Destrée, qui l'inaugure et le clôt par
deux très belles eaux-forles, des meilleures burinées en Belgique.
Ce sont des motifs de sculpture vus quelque part en voyage et
interprétés avec une puissance qui dépasse fort l'ordinaire fémi-
nité. C'est comme une répercussion des sensations que donne l'art
de Redon. La jeune femme s'y révèle la très intellectuelle colla-
boratrice de son mari.
EXPOSITION INTERNATIONALE DE PHOTOGRAPHIE
Les salles du Musée abandonnées aux expositions particulières
sont présentement tapissées de photographies. 11 y en a de tout
format et de toutes nuances. Les portraits voisinent avec les
paysages et les marines. Les « instantanés » font la nique aux
solennels clichés de jadis, pour lesquels il fallait plusieurs
secondes de pose, — un siècle I Les épreuves aux sels d'argent
coqueltent avec les antiques procédés au charbon, et dans un
coin un appareil de daguerréotype, dalanl de i843, contemple
avec stupeur les instruments perfectionnés, les chambres noires
en noyer ciré et en acajou poli, garnies de nickel ou d'aluminium,
menues et gaies il l'œil comme des joujoux, les lanternes d'agran-
dissement, les obturateurs à déclenchement pneumatique les
viseurs, les châssis, les plaques entassés dans des vitrines.
Tout est actuellement simplifié ^ tel point qu'il devient difficile
de ne pas faire de bonnes photographies. L'an du photographe
réside presque exclusivement dans le choix des sujets à repro-
duire, dans la «mise en pages», dans le temps de pose à calculer
selon l'intensité de la lumière. Aussi les amateurs arrivent-ils
fréquemment it dépasser les « professionnels », et tandis que ces
derniers s'attardent en de matérielles images, tel photographe
improvisé, homme de goût et esthète, tire des épreuves qui sont
de véritables œuvres d'art.
Voyez, par exemple, les envois de M. Hector Colard, à qui est
dû principalement l'installation élégante de l'Exposition. Ses
agrandissements an gélatino-bromure, son kakémono, ws éludes
d'animavx, sa « Vague », ses titee maritimes des cAtes de France
sont choisis avec on diseeraemeiii parCiil et reprodails vnt une
èiitente rare du temps de pose. Tels antres amalenrs, M. Lun-
den, par exemple, en ses instantanés directs imprimés sar papier
Liesegang et sur celloTdine, M. Christiaen, en ses agrandisse-
ments sur Eastman, H. Storms, en ses pistinotypies, M. Colon,
M. Selb, qui expose, permis d'autres photographies, des vues
superbes de l'Exposition universelle de Paris, obtiennent des
résultats absolument remarquables, très supérieurs aux épreuves
des photographes patentés, ayant plaque sur me.
Parmi les envois de ces derniers, lirons Ibéanmoins hors pair
les instantanés directs il l'éclair magnésique et les agrandisse-
ments d'instantanés pris au cours des grandes manœuvres de
1889 et de 1890 par M. Alexandre, le plus artiste de nos photo-
graphes; les sites d'hiver de M. Edmond Sacré, de Gand; les
agrandissements au gélatino-bromure de HN. Morgan et Kidd.
Les applications de la photographie il la science fournissent b
l'Exposition un contingent varié et intéressant. En premier ordre,
citons les microphotographies de graines exposées par le labora-
toire communal de Courtrai, celles du docteur Rosier, de Flo-
rence, etc.
Cette curieuse exposition, la plus importante et la plus belle
qui ait été réunie jusqu'ici à Bruxelles, est complétée par une
bibliothèque considérable d'ouvrages et de revues sur la photo-
graphie, qui commence à avoir toute une littérature, par une
collection de phototypies excellentes, parmi lesquels le magni-
fique ouvrage de M. Van Ysendijck sur l'Art daiu les Pays-Bas,
publié par M. J. Maes, etc.
On y rencontre même une solution, encore incomplète, il est
vrai, mais déjii impressionnante, de l'alléchant problème de la
photographie des couleurs : le prisme solaire fixé, oui I fixé I sur
une plaque de verre, et suffisamment distinct pour donner l'es-
pérance qu'un inventeur franchira bientôt le dernier pas...
|jlVI\Eg ET BROCHURE?
Llntmae et !•■ At«iic1«« deHAimiCE HimiiLniCK, viennent
d'être tradniu en anglais par M"* Hàiit Viblé et publiés i
Washington, chez M. William H. Morrison, avec cette mention :
Only authorixed tramlatùm. Très coquette édition en 145 pages
dans le format de l'édition originale.
Mais pourquoi, citant Octave Mirbeau dans l'annonce d'une
imminente traduction de la Princesse Maleine, M"* Vielé
l'appelle-t-elle Victor? Serait-ce la traduction d'Octave en anglais?
Le sort de Maeterlinck est, paratt-il, d'être traduit par des
femmes. M"* de Vries, de La Haye, vient d'achever la traduction
en hollandais de la Princesse Maleine. Cette œuvre est encore
inédite.
Crlspl, Bismarck et la Tr^jtle alliance en carlcatores,
titre d'un très amusant volume dans lequel un spécialiste,
M. JoBN GRAin>-CARTSRET, décrit la vie de ceux qu'il nomme
« les trois compères » par les images publiées i leur sujet dans
les journaux satiriques italiens, français et autres. M. John
GRAM>-CARTEnET a trouvé ce moyen, original et certes plus spi-
rituel que les procédés habituels, d'écrire l'histoire. En cent qua-
«";•;. '-f "^.jy ,">,.'-r
L'ART MODERNE
231
raate planche* déâlent, épingles de commentaires plaisants, les
grands et menus incidents de la « Triplice. » Crispi surtout a
étéfuellé par les dessinateurs à l'affût. Et son image reparaît de
face, do dos, de profil, debout, couchée, en bateleur, en ténor,
en gymnaste, en César, en danseur, en prima donna, en père
noble, même en pifferaro et en cirenr de bottes, à toutes les pages
du livre, tandis que fiismarck et Tisza semblent quelque peu
dél^issés. 11 est vrai que Bismarck a déjà fourni ii M. Grand-
Caktuibt un volume complet. Quand au minisire autrichien, son
tour viendra sans doute.
Collectionner tontes ces images, les classer, en tirer la vie et
l'intérêt n'était pas chose facile. Aussi faut-il louer l'auteur de sa
patiente et attrayante entreprise. (Paris, Ch. Delagrave.)
•
* *
En quinze pages d'one écriture élégante, M. Camillb Benoit
décrit la Onutd* MeMe en si mineur de Jean-Sébastien Bach,
jouée ce printemps k Paris et connue des habitués de notre Con-
servatoire. Ce chef-d'œuvre a la fortune — rare — d'être analysé
par un artiste érudit et très compétent. M. Camille Benoit a choisi
comme épigraphe celte phrase de Richard Wagner : u Dans ces
œuvres magistrales, dans ces œuvres uniqnes, toute l'essence,
toute la substance de l'esprit allemand se trouve incamée ».
(Paris, imprimerie de l'An).
• *
Nous avons reçu de M. Léon Lobet, président de l'œuvre des
Soirées Populaires de Verviers, uoe brochure dont il est l'auteur
sur l'HypnotisaM en Belgique et le projet de loi tournis aux
chambra l/gislatives. Nous nous bornons ti signaler cet opus-
cule, dont l'objet sort du cadre de notre critique. (Verviers,
V* J.-P. Massin).
» ♦
Même observation 6 propos d'une étude sur Heary M. Stan-
ley, par M. Ed. Kehfyser. (Bruxelles, H. Mommens).
• *
De M. Albert Dotrt a paru récemment une brochureite de
28 pages : La Jenne fille daaa l'Art. L'auteur cite Eugène
Demolder, Théophile Gautier, Francis Nautel, Michel-Ange, José-
phin Péladan, Mr. Grant Allen, Jef Lambeaux, Félicien Champ-
saur, Jean Dolent, A.-J. Wauters, Alphonse Daudet, Jean Rous-
seau, Jules Claretie, Vanaise, Louis Ensuit, Louis de Taeye,
H*M Léon Bertaox, Sully Prudhomme et une jeune fille anonyme.
Jules Huret loi-même est distancé, lui qui n'a osé interviewer
que des vivants. (Gand, A. Siffer). '
*
• »
Dlocletta et Salona, par M. CHAnuts Buls. -— Bruxelles,
Vromant et O', 1891, in-S", 12 pages.
Dans celte notice extraite des Annales de la Société darchéo-
logie de Bruxelles, l'auteur décrit les mines de Diocletia et de
Salona (Spalalo), qu'il a visitées an cours d'un voyage dans
l'Adriatique. U fait succinctement l'historique de ces deux anti-
ques cités et détaille ensuite, avec une érudition d'archéologue,
les fragments d'architecture romaine qu'il y a rencontrés. L'opus-
cule, œuvre d'un amateur de curiosités et de voyages, d'un esprit
net et pénétrant, est irès inléressanL
Citons enfin : Le Labeur de U prose, bonne étude publiée
par M. GosTAVB Abèl dans la Revue universitaire, et qui est
mieux qu'une « mosaïque de citations », comme l'intitule modes-
tement l'auteur.
Sa conclusion, c'est que les plus grands écrivains ont trimé
sur leurs phrases, asservis à leur travail comme des artisans et
des manœuvres. Ceci à tilre de leçon et d'exemple. (Gand,
A. Dullé).
ARCHÉOLOGIE
Les fonUles du cimetière fi^anc d'Anderlecht.
La Société d^ Archéologie de Bruxelles vient de terminer les
fouilles du cimetière franc d'Anderlecht, qu'elle avait commencées
l'année dernière. Les recherches, faites avec le plus grand soin
malgré de fréquentes Intempéries, ont élé dirigées par MM. Georges
Cumonl, le baron Alfred de Loë, Paul Combaz, Charles Dens et
Jean Poils. En 1890, une soixantaine de tombes avaient élé explo-
rées; une cinquantaine ont encore élé découvertes pendant le
cours des travaux actuels.
Les guerriers francs, enlerrés avec leurs armes et leurs usten-
siles, ont ordinairement à c6lé d'eux un fer de lance, une hache
ou francisque, de petits ou de grands couteaux, quelquefois des
javelots, de grandes épées à deux tranchants, plus rarement des
angons ou l'umbo d'un bouclier. L'extrémité en bronze du four-
reau d'une de ces épées a été retrouvée et ce bronze porte encore
des traces de dorure. Sept de ces grandes épées ont été exhumées
cette année-ci.
Parmi les ustensile», signalons : des fers de briquets accom-
pagnés d'un silex quelquefois emprunté aux instruments préhis-
toriques de l'époque néolithique, des poinçons, des ciseaux, des
aiguilles en bronze, des pinces i épiler, des peignes avec gaine,
des boucles en bronze aux dessins bizarres, des boutons ou rivets
et aussi des gobelets en verre d'un travail très remarquable, sou-
vent même très artistique. C'est à se demander si ces verres si déli-
cats et aux formes si capricieuses n'ont pas élé fabriqués par d'autres
que par Tes Francs. En tout cas, le peuple qui manipulait ces verres
si minces ne devait pas être aussi barbare et aussi rude que les
Romains, ses ennemis, nous l'ont sans doute inlenlionnellement
dépeint. Le cimetière franc d'Anderlecht est particulièrement
riche en verres de toutes les formes, depuis la flûte sans pied
jusqu'à la soucoupe ornée de filets blancs. Des verres ont élé ren-
contrés aussi bien dans des tombes de femmes que dans des
lombes d'hommes. Les Francs, qui étaient grands buveurs, comme
tous les Germains, tenaient beaucoup i partir avec leurs verres
pour l'autre monde, et ces verres n'avaient pas de pied ou un
pied très petit, pour obliger le buveur à les vider d'un Irail et
jusqu'au fond.
Les femmes étaient ensevelies avec leurs atours : broches en
verroterie rouge cloisonnée, boucles d'oreille, bracelels, boucles
de ceinture, joyaux, colliers formés de grains d'ambre, de perles
en pâle ou en verre.
La femme franque, qui était bonne ménagère et qui devait filer
et lisser les vêtements de sa famille, emportait dans la tombe ses
ciseaux, son petit couteau de ménage, ses poinçons, son aumô-
nière et aussi le peson de son fuseau ou de son métier à lisser.
Les proches avaient soin de déposer aux pieds du mort un ou
plusieurs vases contenant probablement des provisions de bouche
pour le dernier voyage (des os de bœuf ou de porc se trouvent
quelquefois il proximité de ces vases). Ces vases ont des formes
232
L'ART MODERNE
bien délerminées, mais le cimetière d'Anderlecbt a donné quel-
ques vases dont l'aspect s'éloigne du type habituel. Certains vases
sont de fabrication gallo-romaine, ce qui indique les relations
suivies des Francs avec les populations au milieu desquelles ils
s'étaient établis en conquérants. Un bassin en bronze a été décou-
vert dans la tombe d'une femme.
Le mobilier des tombes était en rapport avec le rang social du
défunt et indique en quelque sorte, sa profession. Les grands per-
sonnages étaient généralement enterrés avec plus de soin et à une
plus grande profondeur (l^.SO) que les gens d'humble condi-
tion. Très souvent le corps était entouré de gros moellons, ce qui
semble exclure, dans ce cas, l'usage d'un cercueil. Une tombe
renfermait cependant des restes bien évidents de cercueil.
Les fosses, orientées de l'est à l'ouest, étalent comblées de
débris provenant d'une villa romaine saccagée et brûlée qui
avait existé non loin de l'emplacement du cimetière; parmi ces
débris, d'innombrables morceaux de tuiles et de poteries. Lorsque
la tombe n'était [ias profonde (50 cenlimèlres) on accumulait, à
dessein, des pierres à la surface pour empêcher les bêtes fauves
de dévorer les cadavres; la tête du mort était placée dans la direc-
tion de l'Ouest et regardait le Levant. Parmi les débris de la villa,
quelques-uns sont assez intéressants : citons entre autres une
broche gallo-romaine du iv« siècle, en bronze partiellement
émaillé.
Le cimetière franc d'Anderiecht est de création plus récente. Il
date probablement du vi" et même, en partie, du vu" siècle, mais
aucune monnaie de cette époque n'a été trouvée jusqu'ici dans les
tombes; celles-ci n'ont donné qu'un moyen bronze de Tibère et
un grand bronze de Vespasien. Ces pièces ne peuvent évidem-
ment nous renseigner sur l'ancienneté du cimetière.
Tous les objets découverts celte année à AnderlechI ont été
gracieusement abandonnés à la Société d'archéologie de Bruxelles
par M. Monnoyer, qui exploite la terre à briques dans laquelle
ont été faites les inhumations dont il vient d'éire question.
Terminons en émettant le vœu que le gouvernement prête
bientôt à l'active société bruxelloise un local, afin qu'elle puisse
y exposer ses collections archéologiques en même temps que ses
curieuses trouvailles d'Anderiecht.
CONCOURS DU CONSERVATOIRE (')
Tragédie et comédie (jeunes filles). — Professeur : M"' J. Tor-
DEUS. \" prix, M"" A. Guilleaume et De Haene; 2' prix. M""
Bauvais, Baudoux, Dubreiicq. — (Hommes). Professeur : M. Mon-
ROSE. \" prix, M. Rosseels. Diplôme de capacité avec la plus
grande distinction, M"" Parj's.
Dans les concours préparatoires, M"« Subra a obtenu une pre-
mière mention avec distinction; M"« Vliex, une première mention,
M"" Bady et Dclecœuillerie, une seconde mention. MM. Noél et
Vandeoplas ont remporté la première mention, M. Dulier la
seconde.
Mimique théâtrale (à huis clos). — Professeur : M. Vermandele.
1" prix avec distinction. M"' A. Guilleaume; \" prix. M"" Bau-
vais, Dandumonl et Subra; 2" prix avec distinction, M. Noél;
2" prix. M"" Van Damme, De Haene, Van Hoof; MM. Coryn et
Verboom;!" accessit. M"" Hasselmans, Thévenet ; MM. Ceuppens
et Vandenpias.
(1) Suite et fin. Voir nos quatre derniers numéros.
Contre-point et fugue (k huis clos). — Professeur : M. Kdffb-
RiTH. Division inférieure. — S* prix, M. Declercq.
Division supérieure . — 2* prix avec distinction, M. Lunssens.
pETITE CHROf{IQUE
' Aux concerts du Waux-Hall, très suivis depuis que la tempéra-
ture tiède incite aux flâneries sous les ombrages, se font entendre
des cantatrices, des chanteurs, des virtuoses de l'archel. On a
applaudi entre autres M"<» Dyna Beumer, Milcamps, Loewensobn,
B. Chainaye, Van Ackere. Cette dernière a produit une grande
impression dans l'interprétation de l'air de la Juive et dans celui
d'Hérodiade. On sent chez la jeune artiste un véritable tempéra-
ment dramatique, secondé par une voix d'un timbre superbe.
M. Hans, altiste, fraîchement sorti du Conservatoire ob il a
remporté le diplôme de capacité, a joué ces jours-ci, avec beau-
coup de sûreté et de goût, des Dame* polonaitet de M. L. Wallner
et un morceau de concert de M. Lapon, deux œuvTes inédiles fort
bien écrites et d'an intérêt musical sérieux. Elles ont été excel-
lemment jouées par M. Hans et par l'orchestre.
Jeudi dernier, nouvelle attraction. M. Poncelet, l'excellent pro-
fesseur du Conservatoire, présentait au public dix-huit clarinet-
tistes, jouant avec un ensemble, une justesse et un sentiment des
nuances tout à fait remarquables. On sait que M. Poncelet a com-
plété la famille des clarinettes, qui s'échelonnent désormais en
un quatuor complet. Le Rive d'enfant de Scbumann, le Mouve-
ment perpétuel et l'Invitation à la Valte de Weber, — ce dernier
morceau ajouté au programme à la sollicitation des auditeurs, a
donné aux virtuoses l'occasion de prouver un talent souple et
sûr. M. Hublard, premier prix de cette année, avait, dans la pre-
mière partie du concert, exécuté un concerto de Koene qui lui
valut un vif succès.
Voici la distribution définitive des trois drames) de Wagner
dont les représentations commencent aujourd'hui même à Bay-
reuth :
Partifal :
ParsifaI : MM. Van Dyck et Grûning.
Gumemanz : MM. GrengetWiegand.
Amfortas : HM. Reichmann et Scheidemantel.
Klingsor : MM. Fuchs et Plank.
Kundry : M""' Mcilbac, Malien et Materna.
Triitan et heult : '
Tristan, M. Alvary; Marke, M. Wiegand ; Kurvenal, M. Plank;
Iseult, H"° Sucher; Brangaene, M°>* Slaudigl.
Tannhauser :
Le landgrave, M. Doring; Tannhauser, MM. Alvary et Van
Dyck; Wolfram, MM. Reichmann et Scheidemantel; Walther,
M. Grûning; Biterolf, M. Lipe; Henri, M. Zeller; Reinmar,
H.Scblosser; Elisabeth (pas encore annoncé); Vénus, M"**Meilhao
et Sucher; le Pâtre, M"«« de Abna et Hertzog.
- La direction des scènes chorégraphiques a été confiée à
M"' V. Zuccbi.
L'Art dans Ut Deux-Monde* cesse de paraître avant d'avoir
achevé sa première année d'existence. C'est k regret que nous
annonçons cette disparition d'un journal qui avait, d'emblée,
conquis les sympathies du monde artiste par sa critique ialelli-
L'ART MODERNE
233
génie et documentée. Les trente-quaire numéros parus demeure-
ront précieux b feuilleter. Ils contiennent des notes intéressantes,
avec fttc-timiU k l'appui, sur Puvis de Cbavannes, Renoir, Claude
Honet, Degas, Pissarro, Sisley.Rodio, miss Cassati, M*** Morisot,
— l'honneur de l'art contemporain.
La naïveté des reporters est parfois désarmante. Exemple, cet
extrait de correspondance parisienne adressée à un journal
bruxellois :
« La formule du drame lyrique pur n'a pas jusqu'à présent su
s'imposer autrement que sous le patronage de Richard Wagner —
et encore, de plus, le Rêve présente cette innovation que les
personnages j/ sont faits iun vetlon, d'un pantalon et d'un faux-
col, comme vous et moi (I), et cela, c'est plus hardi, plus nouveau,
plus indépetulant que la formule du drame lyrique pur (!I).
u Donc, dans une certaine mesure, M. Bruneau a été crftne;
honneur aux braves, même quand ils se trompent et M. Bruneau
s'est trompé.
« Il a ouvert la route à d'autres, à M. Chabrier en parti-
culier (Ht) qui, probablement, n'hésitera plus maintenant A nous
donner la Olu, etc. ».
M. Bruneau ouvrant- la voie du drame lyrique à l'auteur de
Owendoline et de Briséis, c'est ce qu'on eût nommé un « comble »,
au temps où le jeu des « combles » était it la mode.
L'inexorable Willy dit fort justement, à ce propos, dans un
excellent feuilleton de V Avenir dramatique : « De grâce, que l'on
cesse de répandre parmi les foules naïves cette légende de Saint-
Bruneau, gonfalonier de la Jeune-Ecole. Les élèves de César
Franck — car c'est eux que l'on vise, les autres ne comptent
guère — n'ont jamais prié le musicien du Rive de jouer la partie
n leur nom, et l'avenir du drame musical en France ne dépend
en rien des recettes que peut procurer à M. Carvalho le conscien-
cieux opéra d'un musicien d'avenir, c'est entendu, mais sans
« Quand Vincent d'Indy donnera une œuvre au théâtre, la tenta-
tive — heureuse ou non — sera d'une toute autre importance, et
ce jour là, illa dies! l'école Franckaise, comme on l'appelle,
s'écriera (à l'unisson) : Voilà ce que nous voulons! Jugez-nous,
jugez par cette oeuvre noire but, nos tendances !... »
Le tournoi que nous reproduisons ci-dessous, d'après un dessin de
Hans Schauffelein, sert à illustrer un poème chevaleresque allemand, au
catalogue Deman du présent mois de juillet. La joule annoncée pour
dimanche prochain lui donne un intérêt spécial d'actualité.
L'autre vignette est le très-joli titre du Roman de la Rose, édition
de 1S38 à la « fleur de lys ».
brfa|?ofritouueffemmt rrueu
ttcotïiaeomttreCee pie
VitfÇiont .
fl fmfeistKbt fa f f cur befpe .
ONZIÈME ANNÉE
Li'ART M0DE!IINE s'est acqnis par l'antorité et l'indApeDdanoe de sa critique, par la rariM de Ma
informations et les soins donnés à sa rédaction une place prépondérante. Aaeone manifestation de TAi% ne
lui est étrangère : il s'occape de llttAratore, de peintnre, de sonlptore, de gmwmr9t de Bwwdqae,
d'archltectare, etc. Consacré principalement au monvement artistique belge, il renieigne Dianmoios aes
lectenrs sur tous les événements artistiques de Tétranger qa'il importe de eonaaitre.
Chaque numéro de la'ART MODERNB s'ouvre par une étude approfondie sur une question artistique
ou littéraire dont l'événement de la semaine fournit l'aotuallté. Les expotitiont, les livrf$ nouveaux, les
premières représentation* <d 'œuvres dramatiques on musicales, les confifreneet lUtéraira, les concert*, les
tente* dobjets cTart, font tous les dimanches l'objet de chroniques détaiiléies.
L'ART MODE31NB relate aussi la législation et la jurisprudence artistiques. Il tend compte des
procès les plus intéressants concernant les Arts, plaides devant les tribunaux belges et étrangers. Les
artistes trouvent toutes les semaines dans son Mémento la nomenclature complète des eCKpOSltiom et
concours auxquels ils peuvent prendre part, eu Belgique et à l'étranger. 11 est envojé gnuaitement à
l'e^iiii pendant un mois à toute personne qui en fait la demande.
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des matières. Il constitue pour l'histoire de l'Art le document LE PLUS COMELBT et le recosii LE n<US
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Lb wttÈaa : JB6 ckmtimbs.
DmAMCHR 26 Juillet 1891.
L'ART MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE oaraquE des arts et de la littérature
Comité de rédaction i Octave MAUS — Edmond PICARD — Émilk VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. — ANNONCES : On traite à
forfait.
Adresser toutes les communications à
L'ADuraisTRATioN oÉNÉRALB DB TArt Modome, ruB do l'Industrie, 32, Bruxelles.
^OMMAIRE
AUBBS RABENT BT^ON ADDIUNT. — Ll QUESTION DES MosiES. — Le
Bjiiibkandt du Mus^. — Oaspillaoes. — Dyptique, par F. Vielé-
Oriffin. — Histoires du Chat, du Coq et du Tbohbone. — Paysages
DBBAiNS. No$ arbres. — ThA>rib des néo-luminabistes. Let direc-
tioru de ligna. — Mémento dis expositions. — Petite chronique.
AURES HABENT ET NON AUDIUNT
Dans un article récent le Patriote défend faiblement
et avec de prudentes réserves la Commission de décou-
ragement de l'Art national par nous attaquée. Tout
d'abord, il approuvé nos réclamations au sujet de la non
indication des prix au catalogue du Musée ancien. Il
bl&me aussi les abus du fonctionnarisme et dit, entre
autres choses : « Le gouvernement, de son côté, ne
ferait pas mal de ne pas mêler de ses hauts fonction-
naires à des commissions placées sous son contrôle,
c'est-à-dire, quelque peu sous le contrôle de ces mêmes
fonctionnaires. Au surplus, il y a là, parfois, matière à
des cumuls irritants. Ainsi, tel directeur général,
appointé à 10,000 francs, est secrétaire d'une commis-
sion et touche de ce chef 5,000 francs ; en outre, il est
membre de la commission, ce qui lui vaut quelques
jetons et l'occasion de voyager. Seulement, comme
d'être directeur-général, commissaire par-ci, commis-
saire par-là, absorbe le temps et l'activité d'un homme,
on a désigné un sous-secrétaire, lequel, pour comble
d'ironie, est payé par l'État. Évidemment, M. de Burlet
mettra fin à ces abus " .
Nous l'espérons aussi. Que M. de Burlet ait de la poi-
gne 1 Voilà une bonne et salutaire besogne de nettoyage
pour un ministre qui, comme lui, a l'intention de bien
faire. C'est scandaleux, ces gaspillages et ce sans gêne !
Il faut chasser les marchands du temple et les rats du
fromage ; il faut écheniller les budgets des larves qui s'y
engraissent ! Nous protesterons, nous crierons, nous
guerroyerons, jusqu'à ce que cela soit accompli ! Comme
la Nation l'annonçait l'autre jour, nous laverons le
linge sale de ces gens ailleurs qu'en famille.
Où le Patriote a tort, c'est lorsqu'il dit que les prix
donnés pour les tableaux ne sont pas critiquables. Quoi
de plus aléatoire, dit-il -^ soit. C'est très aléatoire.
Mais l'aléa, dans le cas de la Commission, est toujours
du côté d'un prix excessif. Et que le Patriote n'oublie
pas (ce que nous avons signalé) que la plupart des
tableaux acquis, ces derniei-s temps, auraient pu l'être
à bien meilleur compte si les endormis de la place du
Musée s'étaient donné la peine de suivre les ventes et
s'étaient montrés plus actifs. Nous avons donné les
chiffres. D'ailleurs, nous le répétons : il est scandaleux
236
L'ART MODERNE
de payer 50,000 francs la toile d'Ostade récemment
acquise, de payer 75,000 francs an pseudo-Rubens, qui,
an dire de la Gazette de VHôtd^ Drouot vaat 2,000 frs,
de payer 25,000 francs pour cette mauTaise Chasse
d'Atalante, achat exécrable!
Où le Patriote se trompe encore, c'est lorsqu'il essaie
timidement d'excuser les achats faits à M. Ganchez.
•• Le nom de Léon Ganchez, marchand de tableaux à
Paris, dit-il, a été cité comme le fournisseur habituel
de la commission. M. Ganchez est Belge et très intelli-
gent. Sur vingt-deux achats, seize ont été faits, depuis
certain temps, à M. Gauchez, et c'est cela qui les chif-
fonne, les aristarqnes, qui réclament l'achat en Tente
publique, sans intermédiaire. En principe, iis n'ont
pas tort, mais il y a •• le fait ». Or, M. Gauchez, par
ses nombreuses relations, est souvent à même d'offrir à
ses clients des tableaux dont les détenteurs, pour des
motifs de convenance personnelle, ne voudraient pas
affronter la vente publique. Dans ces conditions, l'inter-
médiaire est parfois, non pas seulement une utilité, mais
un bienfait. »
C'est faire d'une exception la règle. En principe, nous
n'avons pas tort, avoue le quotidien précité. Merci.
Mais le fait? Eh bien, les principaux tableaux que
M. Ganchez — qui est très intelligent — a vendus an
gouvernement, ont passé par des ventes publiques. En
Toulez-vous des preuves? Le Rubens (ÎWW) La Vierge
et r Enfant Jésus a passé par une vente publique à
Londres, la Chasse d'Atalante aussi; les Têtes de
Nèg7'es ont passé plusieurs fois en vente depuis ces der-
niers temps ; cela a été imprimé par tous les journaux
lors de leur acquisition par le Musée ; le fameux Ostade :
Tabagie (50,000 francs) vient d'une vente aussi, nous
l'avons annoncé. Voilà les notables tableaux achetés à
M. Gauchez.
D'ailleurs, qu'importe? Nous disons : ces tableaux
ont coûté beaucoup trop cher, ils sont toujours achetés,
au même marchand, et cela doit cesser. Que ce mar-
chand aille chercher ses toiles en des ventes où le Musée
de Bruxelles n'est jamais représenté ou qu'il serve d'in-
termédiaire pour fournir ledit Musée de tableaux que
des familles n'osent pas exposer à des ventes, cela nous
est en somme indifférent. 11 y a M. Gauchez, seu Man-
cino, et rien que lui.
Nous avons parlé jusqu'ici des tableaux que la Com-
mission des Beaux-Arts a achetés. Comme nous l'an-
noncions dans notre dernier numéro, il y a aussi à exa-
miner les tableaux qu'elle aurait du acheter.
En premier lieu s'est trouvé, en 1883, à la vente
Nieuwenhuys un Jean Van Eyck de totU premier
ordre, le portrait d'une femme de Philippe-le-Bon. Ce
tableau a été acheté par M. Bourgeois 1^,000 francs.
Le Musée eût mieux fait d'acheter ce tableau que celui
qu'il a acquis à ladite vente : Le Bal de Marie-Made-
leine (11,000 francs), par Lucas de Leyde. Cette der-
nière toile, ao dire de tons les experts, est firnsse. (Voir
notamment Bredius.) A une autre vente &ite à Bruxelles,
la Commission a aussi laissé partir on Savery. (Voir
rArt moderne du 21 juin demiei).
Parmi les ventes importantes de ces derniers temps,
il y eut, en juin 1890, la vente Perkins, à Londras.
Tous chefe-d'œavre. Tous tableaux gravés. Deux Hob-
bema superbes. Un Metzu, dont le Musée a besoin.
Deux Ostade extraordinaires. Un Paul Potter. Un
portrait de Rembrandt. Deux Guillaume Van de Velde,
Des Wouwermans, des Wijnants. C'était une vieille
collection. Pourquoi le Musée de Bruxelles n'a-t-U rien
aoqunt - —
Voilà des œuvres capitales qui eussent dû rester ou
venir en Belgique.
On répondra : nous n'avons pas d'argent ! Pas d'ar-
gent? Eh bien ! démissionnez les directeurs et les pro-
fesseurs d'académie, supprimez les commissions inutiles
qui ne se réunissent pas, comme l'avouait naguère à la
Chambre M. Slingeneyer, supprimez les salons annuels,
n'achetez plus des tableaux modernes à des artistes de
trois-centième ordre, ne donnez plus de subsides à des
livres qui ne paraissent pas — cessez votre gftchis
artistique, en un mot, et vous aurez de l'aident.
n est certain qu'en Belgique on pr^^ générale-
ment verser le purin gouvernemental aux pieds des
betteraves, pour protéger l'industrie sucrière ; mais il
fi&ut que nous nous insurgions de toutes nos forces
contre ce lourd abêtissement qui Cùt du peuple belge
une potée d'industriels, de machines agricoles, de poli-
ticiens et de baes de cabaret. U &ut que tous les
artistes s'unissent pour nous éclairer et décrotter la
cervelle > nationale • engluée par cinquante ans de
plat doctrinarisme.
Dites? Ne seraitrce pas l'idéal pour la Belgique, et,
pour ce petit pays, une raison d'être puissante, que de
se faire une région artistique, que tous, alors, respec-
teraient? Eh bien! pour ce, en dehors du mouvement
actif surgi ces dernières années, n'est-il pas nécessaire
de garder prédeusement les chdSs-d'omTre d« passé?
La Châsse de Memling n'ajoute-t^lle pas à la gloire et
aux attraits de Bruges? La Descente de croix ne fait-
elle pas une apothéose à Anvers? Les Hais illustrent
Harlem. Les Syndics sont comme un phare qui attire
vers Amsterdam. Il est donc nécessaire que chaque fois
qu'une œuvre de réelle valeur (mais de réelle valeur,
entendez- vous, les bonzes de la place du Musée!) rappe-
lant le passé superbe de nos régions, se trouve à
vendre, on l'acquière. A ce point de vue, peut-être, les
60,000 francs qu'on alloue à la Commission du Musée
ancien, pour ses gaffes, sont insnfllsants.
7
»"?%'-,K-
UART MODERNE
237
LA QUESTION DES IffUSÉES
NoNSiiDK LK DiEECTEUK DE tAu modenu.
Votre campagae aliire sur nos musées l'atlenlion de quiconque
aime l'Art.
Entrant, ces jours derniers, au Musée moderne, après une visile
il la très intéressante Exposition de Photographie, j'ai, pour la
première fois, examiné les dessins et aquarelles appendus dans la
petite galerie d'entrée où étaient autrefois des tapisseries anciennes
et quelques sculptures. C'est d'une pauvreté navrante. 11 y a
notamment deux aquarelles lamentables de Den Duyls, dont on
eût pu acheter un bon tableau : on en a vu de cet artiste.
Mais où le scandale et le ridicule s'affirment oatrageusen^ept,
c'est dans deux grands cadres, mis aux places d'honneur, remplis
de croquis qu'on nomme en argot rognure* cTaUlier. C'est d'Emile
Wauters. Un assemblage d'insignifiances, de ces linéamenis comme
le premier venu en fait pour se distraire.
A-l-on eu cela gratis? Dans ce cas, il eût falia refuser, ou tout
au moins'he pas exposer dans un Musée de cette importance.
A-t-on payé? Dans ce cas, combien? Ce serait curieux à con-
naître,
*
Il parait que dans tous les musées la mesquinerieestde rigueur.
Voici ce que nous lisons dans la OasetU à propos des nouvelles
installations du Musée d'histoire naturelle :
a Le temps et la place nous font également défaut pour entrer
dans des détails au sujet des installations du parc Léopold. Nous
nous contenterons de dire qu'ils nous ont semblé plus que mes-
quines. Ainsi, l'ossuaire réservé aux vertébrés antédiluviens
retrouvés dans les couches crétacées de Bernissart, est liilérale-
ment encombré. Au centre se dressent les formidables squelettes,
dont le crâne goudronné touche au plafond.
Tout autour se rangent les vitrines conienant les péirificaiions
portant l'empreinte d'ossenienis, de coquillages, de plantes et de
fleurs, et aussi les débris dépareillés que l'on pourra pcut-ôlre
utiliser plus tard.
Une double galerie court des deux côtés. On y parvient par un
escalier de restaurant. Là commence la riche série des oiseaux
empaillés ».
• •
De son côté la doctrinaire Indépendance dit : « Les nouvelles
installations sont vraiment défectueuses. 11 paraît que l'on a res-i
lauré ou construit une partie de ce monument sans se préoccuper
de l'usage auquel on l'affectait. On aurait dû faire un musée où
pussent éire aménagées nos collections ; on a agi autrement. El
nos naturalistes ont été obligés de les caser comme ils onl pu.
Mais ce n'est iii qu'une critique générale. Que de choses à redire
sur les moindres détails! Celle fâcheuse impression a été d'ail-
leurs pariagée par bien des invilés ».
Les gens chargés de construire et d'aménager les musées en
Belgique sont-ils donc tous des créiins? On consiruii un palais
des Beaux-Aris pour le Salon. On y place les tableaux anciens.
On déménage les tableaux du musée moderne ; on est obligé de
les redéménager pour le Salon, pour lequel on avait construit un
palais où sont les tableaux anciens. 0 ma tête! On déloge le
Musée d'histoire naturelle : Voyez le sot el ridicule local, construit
pourtant où il y avait trop de place el où l'on pouvait aménager
quelque chose de superbe.
0 le triomphe des médiocres ! La phrase de l'Indépendance
giffle ces burlesques d'une façon comique : on a construit une
PARTIE DE CE MONUIIENT SANS SE PRËOCCUPER DE l'USAGE AUQUEL
ON l'affectait!!!!!!
LE REMBRANDT DU MUSEE
On discute beaucoup, dans les réunions d'arlisles, l'auihen-
ticilé de la Vieille Femme de Rembrandt, et surtout depuis que
nous faisons la lessive de la Commission du musée. Voici, au siijcl
de ce tableau, l'opinion du savant critique hollandais, H. A. Bre-
dius, publiée dans la Kunstchronik de Liepzig. M. Bredius est
un des critiques les plus compéienis, en matière de vieux tableaux
hollandais.
« La galerie de Bruxelles acquit au prix de 100,000 francs un
Rembrandt qui réclame avant tout noire attention. Des connais-
seurs moins sceptiques que le professeur Levin, qui suspecte
trop aisément les signatures, conviendront avec moi que celle de
Rembrandt qu'on voit sur ce tableau est fausse. Ici je puis
m'écrier à la façon de Levin : une vapeur d'esprit, et elle dispa-
raît! 11 est possible, toutefois, que trois des chiffres du millésime
soient authentiques ; quant à l'avaDt-dernier, un S, il hurle de
fausseté. Avant, il y avait là probablement : 1644. Si après cela
nous contemplons la figure, à la première vue nous la trouvons
magnifique, digne d'admiration. Nonobstant la laideur extraor-
dinaire de la vieille dame que l'artiste avait pour modèle, il a
réussi à faire un beau tableau, une œuvre qui par son excellente
caractéristique, son beau clair-obscur, son vigoureux coloris et sa
large louche captive longtemps le regard du spectateur. lUais
lorsque nous nous mettons à examiner minutieusement la
manière de son auteur, nous découvrons là toutes espèces de
choses qui nous empêchent d'attribuer cette peinture à Rem-
brandt, auquel la commission du musée l'attribue. La louche est
extraordinairement large et généralement pileuse. La façon dont
sont peints le collet, la coiffe et les mancheites est toute autre, •
plus mesquine el pénible, que celle qu'on connaît à Rembrandt,
surtout dans la période avancée de sa carrière à laquelle celle
œuvre aurait du être exécutée. Puis dans les tableaux de l'iem-
brandl que nous connaissons el qui onl été peints vers ce temps
(1644), la peinture est plus transparcnle, plus claire el d'un Ion
plus brunâtre. Ce que, par exemple, Rembrandi n'aurait jamais
fait, ce sont ces ombres noires el opaques, qu'on voit sons la
manche, à la mairi gauche. Enfin, si à côté de ce tableau nous
pouvions voir un véritable Rembrandi de celle époque, nous
verrions entre les deux une grande différence au désavanlnge de
celui de Bruxelles. Remarquons, en ouire, comme caractéristique
du peintre : un Ion gris ébouriffant dans les chairs. »
GASPILLAGES
Dans son dernier numéro la Jeune Belgique dit : « Sait-on ce
qu'a coûté le déménagement du Musée ancien? 80,000 francs!
N'importe quel entrepreneur eût opéré ce travail pour 25,000 fr.,
prétend l'Art moderne. El pour beaucoup moins, ajouions-nous.
Serait-ce un marchand de tableaux qui a entrepris le déménage-
238
L'ART MODERNE
ment? Puisque nous posons une queslion, ii propos de déména-
gement, aux membres d'une commission qui « déménage », nous
voudrions savoir ce que coûte le déménagement du Musée moderne,
nécessité par le Salon triennal? Le transport d'un tableau moderne
coûte-t-il plus ou moins cher que le transport d'un tableau ancien?
Et le replacement des toiles enlevées en vue du Salon de 1890
sera-t-il terminé pour le Salon prochain? Nous attendons la
réponse des bonzes ».
Effectivement, le Musée moderne n'est pas encore complète-
ment réinstallé. Il y a sept mois que le Salon est fermé. Est-«e
qu'on transporte les tableaux sur des tortues ou sur les membres
de la commission du Musée?
El à combien monte le coût de loutes ces opérations? Que de
belles et bonnes choses des gens intelligents pourraient faire avec
la centaine de mille francs probable que l'ignoble Salon de
Bruxelles a soutirée au trésor!
* Mais avec l'administration qui nous régente, tout est voué à la
médiocrité, !i la petitesse. Ces gratle-papier sont collés à la rou-
tine comme des escargots à leur coquille. Il y a longtemps que
le Salon devrait être supprimé, mais ces messieurs s'y crampon-
nent : c'est devenu une habitude invétérée chez eux. Cet annuel
et officiel étalage de croûtes et de postures convient à leurs idées
sur l'art.
El puis, nous voudrions savoir où on « remise » les tableaux
modernes pendant la durée du Salon? Dans les caves? Dans la
loge du concierge? Sous le bureau du président de la commission?
La véritable place de la plupart des toiles du Musée moderne est
\^. Mais pendant quatre mois, et les mois de touristes, Bruxelles
a été privé de son Musée moderne. C'est inouï, cela, c'est mons-
trueux de bêtise ! 0 les fonctionnaires !
D'ailleurs, ce gaspillage inutile se dévoile partout. Il est collé
jusque sur la façade de la Bibliothèque royale. On y a récemment,
au tournant de la grille, restauré une façade. Dans cette façade
saillent des pierres qu'il faut charger d'ornements. Certaines
d'entre elles sont sculptées. Mais trois gros blocs de pierre, au
premier étage, attendent les ouvriers sculpteurs. Pourquoi n'a-t-on
pas achevé la façade d'emblée et d'une seule fois? Voici : c'est
parce qu'il faudra rétablir à nouveau l'échafaudage et que chaque
fois qu'on l'établit cela coûte environ 2,000 francs.
Voilà où coule le budget des beanx-arls. C'est un budget à
fonds perdus.
Et à ce propos on nous signale la décoration du Palais des
Beaux-Arts. Est-ce que la commission serait assez aimable pour
nous faire savoir combien ce travail a coûté?
Nous attendons aussi la réponse des bonzes.
DYPTIQUE
par F. ViELÉ-GaiFFiN. — Imprimerie des Entretient politiques
et littéraires.
Ici parmi les chéoes,
L'ombre est un miroir étrange,
De rêveries ;
Et toutes les Seurs soot telles qu'elles vivent
De vieilles vies
Pensives;
Et quand je songe, en regardant les plaines
Là-bas, qui roulent par delà les branches, basset
Comme une frange.
Il passe des cortèges d'heures oubliées...
C'est bien cela : un de ces paysages anglais, touffus d'odeurs et
de feuilles, d'une nature séculaire et profonde, fait pour donner
asile aux désirs de l'homme, k l'oubli du soi-même dans les
sèves, les mais, les soirs, les malins. Et par ces particularités :
« plaines qui renient par delà les branches basses ; et fleurs qni
vivent de vieilles vies pensives », la note est aceenlnée k tel point
que surgit tel paysage vu, signé du vieux Linnell ou du contem-
porain Smythe, mais avec, certes, plus d'immatérialité et de
charme au profit du poète. Aussi avec un profond sentiment de
légende auquel ces deux peintres ne songèrent point.
Le porcher de M. Vielé-Griffin est un ermite. Le monde qui
n'est plus vivant dans le rêve de ses yeux que par l'interception ii
travers taillis, de couples qui passent et qn'il n'ose appeler, ni
interroger, agite là-bas, bien loin, sa fièvre de villes, au Nord des
forêts. Ces bruits des foules, ecrtes, ilf ne lai panrieBnent pM au
pordur, qui soit « le gai jeu des rayons an dos noirs de ses pour-
ceaux », ni les batailles léonines des idées, ni l'affairement inex-
tricable des civilisations. Lui, il a fui vers les solitudes.
• Son père étant dur et làch« et courbé.
Sous le jeune joug que lui faisaient les mains
De l'autre qu'il mena quand sa mère fiit morte. >
Et c'est depuis, une détente d'esprit et de rêve vers la myria-
daire attirance de la forêt : voix du vent; labiales confidences des
feuilles ; palpitations de la clarté aurorale dans les horizons; soirs
vêtus des lumières tombantes de la robe du jour; nuits voilées
sur leur ombre de toutes les branches du ddme bougeant; repos,
si profonds parfois qu'ils semblent séculaires; joies de lire — seul
peut-être — les textes du silence i « la page ouverte » des
futaies.
Des visites, oui. Une, celle d'une Flavie d'autrefois qui s'en va
avec cette pitié — o pauvre cœur !» — et d'antres, mais lointaines
— une visite d'yeux et non de discotirs — là-bas, passantes sur
la route, si bien que le porcher timide se cache dans les fourrés.
A merveille sont exprimés, comme peu à peu mais sûrement
reconquis, la primitivité des sensations et l'enfance des impres-
sions. Habitant des bois, frère des sources, des antres, des clai-
rières, des animaux sylvestres, des échos, des mystères, des
crépuscules, il l'est vraiment, celui que nous représente le poète
si simplement ingénu et si purement lavé de tout passé banal.
Il a les idées farouches, les craintes vierges, la bonté qui n'ose.
Il est le perdu de tout chemin, qui mène vers les autres, mais le
joyeux pourtant de l'air, de la vie, de la libre errance et s'il songe
encore au jadis c'est que :
J'aurais voalo leur dire
Que toute trisleew est au regard triste
De leurs yeux qui ne savent lire
Ce livre-ci où tout verbe persiste
Mnableet même...
Et je voudrais leur dire
Que je ne suis pas fou.
Le second volet du Dyptique s'intitule « Eurythmie ». Ce
poème est conçu en dialogue entre le poète et « Sa reine » de
rêve. Il déroule un cas d'existence générale, une définition de vie
ardente et belle auxquels des phrases pompeuses donnent essor.
A propos de cette deuxième partie — inférieure, nous scmble-
t-il, à la première, insistons sur la forme lyrique adoptée par
H. Vielé-GriOin. Elle est volutante autour de l'idée, la suivant
dans son allure, ne la contrariant jamais sous prétexte de fidélité
L'ART MODERNE
239
k la prosodie archaïque, la nouant en fermes rythmes ou la
dénouant en laisser-aller, d'après l'âme même de la pensée. On a
donné ii celte forme le nom de « vers libre », comme si le vers
l'était jamais! Surtout le vers qui, s'échappant à travers les douze
barreaux du pénitencier de l'hexamèlre, prétend subir le joug de
l'idée et se produire sans aucune soudure de remplissage ou de
cheville.
H. Vielé-Griffin manie en bon musicien le clavier des syllabes
— et presque jamais une fausse note.
Dyptique nous parait son meilleur livre.
Histoires da Chat, da Coq et du Trombone, par Hubbst
Stibknkt. Illustrations d' Annote Ltnkn. — Bruxelles, Lebègue.
Voici, en excellent stylé, de délicieuses histoires écrites pour
les enfants. M. Stiemet est un cOntenr attendri et charmant, plein
de délicatesse. Sa phrase court, amusante, coquette et vive. Ç!i
et là, le récit s'embellit d'une aquarelle joliment enlevée d'une
plume artiste.
Et l'on se laisse aller à écouter, car elles sont si bien dites, ces
toujours vieilles et toujours jeunes histoires de souris, de rats et
de chais, du vieux coq d'une église qui conte ses aventures et celles
d'un ménage d'oiseaux nichés sur son clocher; et.anssi l'on s'inté-
resse aux pérégrinations parfois bien tristes du trombone... .
Et l'on se figure qu'on a douze ans, qu'on est écolier; et ce
livre, écrit pour les enfants, mais d'une allure si artiste qu'il sera
goûté par les gens de goût de tout 3ge, rajeunit et ramène vers
un passé bleu d'enfance et de conte de grand'mère.
Les dessins d'Amédée Lynen sont pittoresques et encadrent bien
le récit.
Nos Arbres.
DéDié A Monsieur Bui.s.
M. Buis, l'ami des arbres, le bourgmestre-planteur, ce dont
nous l'avons incessamment loué, celui que nous nommerions
aussi le Verdurier n'était l'équivoque, et que nous nommerons le
Verduriste, sait-il que sur plusieurs de nos boulevards les platanes
s'en vOnt au diable (boulevard Botanique, boulevard du Midi,
par exemple). De même une ligne des marronniers de l'Avenue.
Oui, apparemment. Mais la cause?
On a dit : le sel versé sur les rails des tramways les jours de
neige. M. Buis a fait analyser la terre. Non pas le sel. — On a
dit : la trépidation des mêmes tramways. Pas vrai non plus : sur
la dernière section vers le bois, à droite du long parterre où l'on
a déposé les chevaux de Vinçoile et où le bon Champal proposait
de déménager le Musée de sculpture, les voitures de tram passent
et repassent et les marronniers restent magnifiques. Donc, pas la
trépidation. — On a dit : les fumées infectes et variées de la foire.
Or, pas de foire boulevard de l'Observatoire, et les platanes s'y
étiolent. — On a dit : les infiltrations du gaz. Possible. — On a
dit enfin : l'arrosage insuflisant. Je crois que nous y sommes.
Examinez la situation des platanes du boulevard Botanique.
Partout le sol y est imperméable : la chaussée d'une part, la
croûte durcie de la promenade d'autre part. De plus la pente, et
le contre-haut qui fait s'écouler les eaux infiltrées comme dans un
fossé, le long d'une roule. Toutes les conditions imaginables pour
empêcher les racines d'être abreuvera sont donc réunies. Et les
pauvres platanes dépérissent.
De même, au boulevard du Midi, sur le champ de foire. Surtout
quand les baraques des forains l'encombrent, plus le moindre
arrosement possible.
Li où l'on a pratiqué, en creusant, autour de chaque arbre,
un petit bassin de retenue, la situation est, en général, meilleure,
mais c'est primitif et insufiisant.
Il faudrait une canalisation systématique, à fleur de terre, ou
souterraine, aboutissant il chaque aibre, permettant d'humecter
le sol où il est atlaché. Sinon ils périront un à un, même ceux
qui, accidentellement, car il en est, ont eu jusqu'ici une belle
venue. Il n'y a que le viel orme, très opportunément choisi par
nos pères, qui aille quand même : il ne lui faut pas autant d'hu-
midité.
Dans les bois, les squares, les champs, la surface reste meuble
et par conséquent perméable. Les pluies pénètrent au lieu de
s'écouler au ruisseau. Aussi les plantations y viennent admira-
blement, quelle que soit l'essence adoptée. Le sol de Bruxelles,
quoique sablonneux, convient très bien it l'arboriculture; nos
superbes environs boisés en témoignent. Mais si l'on empêchait
les eaux du ciel de s'infiltrer, nul doute que la forél de Soignes
serait bientôt composée de futaies desséchées.
A l'avenue Louise, l'allée des cavaliers, au sol bien moins
dur, à un tout autre aspect que celle des piétons. De même le
tronçon en parterre depuis le rond point, où de longues pelouses
laissent entrer l'eau normalement.
Avenue du Midi, les platanes sont fort beaux. Mais chacun est
entouré d'un carré réservé, non asphalté, où probablement on
arrose régulièrement.
Nous avons le sérieux espoir que M. Buis veillera de plus près
à cette question. 11 serait puéril de se contenter, comme on l'a
fait jusqu'ici, de remplacer les arbres morts par d'autres arisres
destinés il mourir. --===•
THÉORIE DES NÉO-IUMINARISTES *)
(NÉO-lMPRESSlONNlSTES)
Les directions de lignes
11 nous reste k parier des directions de lignes, lesquelles con-
courent pour une large part !t l'harmonie du tableau; ces direc-
tions se ramènent il trois principales : l'horizontale, fadeur du
calme; l'ascendante, fadeur de gaieté; la descendante, facteur
de la tristesse. Les néo-Iuniinarisles les indiquent toujours avec
leurs directions complémentaires, car il est écrit en Ch. Henry :
« L'arrêt impliquant la diredion contraire, toute direction arrêtée
dans un sens évoque la direction contraire. Cette diredion peut
s'appeler «)mpl^m«)Uaii'«. C'est la loi du conirasie successif. On
arrive facilement à celte loi du contraste simultané : étant données
deux directions simultanées, chacune évoque la complémentaire
de l'autre. Ces lois combinées avec les déterminations des sec-
lions de la circonférence qui représentent les maxima et les
minima des contrastes successif et simultané,... nous conduisent
i préciser la forme sous laquelle apparaît l'unité réalisée par un
seul côté, il la fois successivement et simultanément. » Ce moyen
intensément et décorativement expressif, les directions linéaires,
quel artiste ne s'en inquiéta? Ch. Henry en a établi les lois dans
(1) 'Voir notre avant-dernier numéro.
quelques ouvrages précieux à consuller, et l'oa peut d'autant
mieux ajouter créance à sa Ibéorie que les œuvres de Michel-
Ange — merveilleuse inluition du génie ! — en réalisent la par-
faite adaptation plastique.
Telles sont, eompendieusement tracées, les causes efficientes
d'une théorie qui exerce déjà une saluiaire ioflurnce sur la vision
des peintres contemporains. Ceux-ci auraient tort de ne pas
préier attention à des tentatives fécondes en enseignements, tort
de se désintéresser de l'élude des faits essentiels dont dépend
l'emp'oi ariisiique des couleurs. (Réflexion et trammittion de la
lumière, cculeurs des milieux opalescents, effet produit sur les
couleurs par le changement de luminosité, par le mélange avec la
lumière blanche; contraste, dégradation, combinaisons binaires et
ternaires des couleurs, etc.)Le savoir procure une assurance dans
le travail dont le plus beau don do nature se passe ftialaisément,
et il n'est pas à dédaigner le moyen qui permet d'apprendre en
quelques mois ce que nos pères ne possédaient qu'après de lon-
gues années d'observations. Elle a été trop discutée pour ne point
contenir des germes excellents, cette théorie fraîche éclose;
l'obstacle à son développement vient de ce que certains la suppo-
sent inapplicable sans le système en vigueur. Eh! d'où ceux-lï
ont-ils inféré l'immutabilité dudit système? Comment n'ont-ils
pas remarqué que, d'un critérium commun, les principaux divi-
seurs du ton avaient tiré une technie subtilement différente?
Dubois-Pillet compliqua la méthode d'appoggiatures, Luce
s'efforce plutôt de la simplifier; quant aux deux propulseurs,
après une marche parallèle, ils arrivent à des résultats très parti-
culiers. Seurat arbore toujours en guise de pennon : l'harmonie
de tons, de t'.'inies et de lignes, par l'analogie des contraires,
mais il a constaté que rien ne fait plus heureusement valoir une
dominante si ce n'est le contraste successif des tons (luminosité
et sa seule ré.iciion complémentaire ; l'ombre). Signac reste
fidèle au contraste simultané des tons, non toutefois sans en
modérer l'usage (ainsi il ne fait plus réactionner le solide sur le
lluide, les arbres sur le ciel, par exemple); mais il n'a cure des
dominantes, sa dilection est pour l'harmonie des rythmes (dégra-
dations rythmiques de teintes, combinaisons rythmiques de
lignes). Rfen n'empOche donc un artiste d'interpréter la théorie
nouvelle selon son tempérament, ses aspirations; ainsi le com-
prirent Pissarro père, Alex. Séoa, et leur Ulent si délicat y a
gagné en puissance et en charme.
Jules Antoine, en une critique sagace, a montré, dialecticien
impeccable, les inconvénients qui surgiraient de l'emploi rigou-
reusement scientifique du contraste simultané des tons; il est cer-
tain que son maniement exige une virtuosité accomplie, seryie
par un œil très doué; mais, encore une fois, les néo-luminaristes
ne prétendent pas à la vérité physique absolue; artistes, ils n'ont
pas juré obéissance illimitée à la science, ils s'en aident, voilà
tout, afin de dresser une syntaxe de l'harmonisation picturale.
Grâce à leurs patients efforts, que de tâtonnements évités
désormais! Leurs toiles, autant de documents! La lumière! agent
prestigieux de transfiguration! C'est grâce â leur opiniâtre labeur
qu'on arrive à la fixer sur toile. Alors que tant de peintres se bor-
naient b démarquer les tableaux connus, eux, au risque de com-
prometlre leur avenir, et malgré les clameurs niaises, se jetèrent
irâuement dans la voie des innovations : pionniers convaincus,
ils persévèrent dans leur œuvre, dédaigneux d'officielle notoriété
et des succès de foule, — ce sont des braves, ces chercheurs
d Harmonie. Alphonse Germain.
Mémento des Expositions
Anvers. — Salon triennal. — 9 ao6t-S7 septembiv. Renseigne-
ments : O. Caroly, secrétaire.
RoDBN. — Exposition municipale. — l** octobre-30 novembre.
Délai d'envoi : 90 août. (Dépât, i Paris, du 10 au SO aoûi, chez
MM. A. Guinchard el Fourniret, rue Blanche, 76). Gratuité de
transport pour les artistes invités. Renseignements : M. le Maire
de Rouen.
Saikt-Maur. — S6 juillet-lfi août. Délai d'envoi expiré. Rensei-
gnements : M. Quinlon, secrétaire général, S'-Maur.
Saint-Gerhaih-em-Late. — 1" aoûl-30 septembre. Délai
d'envoi expiré.
ViaviEU. — iO aoCli-33 septembre. (Réservée an membres ^^
la Société des Beau»- Arts el aux invités). — Délai d'envoi ;
35 juillet-3 août.
Petite CHRO|<iquE
On fait grand bruit en ce moment, dans le monde musical,
d'une soi-disant innovation qui consiste à écrire de la musique
sur de la prose au lieu d'employer des textes en vers. Il y a eu
des interviews, des lettres, des chroniques, bref le potin habituel.
11 est peut être bon de rappeler, à ce propos, que l'idée n'est pas
nouvelle. M. Vincent d'Indy a écrit en 1888 un chœur pour voix
de femmes. Sur la Mer, dont le texte, composé par lui, est en
prose. Ce chœur fut exécuté en 1889 aux concerts des XX.
C'était, dans l'intention de l'auteur, un essai eb vue du drame
lyrique auquel il travaille en ce moment, et dont le livret est
également en prose.
Le recueil de mélodies qu'a fait paraître récemment M. Albéric
Magnard contient, sur six pièces, quatre œuvres dont les paroles
sont en prose. En cherchant un peu, on trouverait sans doute
d'autres musiciens qui ont adopté ce système. Ce qui n'empê-
chera pas un Monsieur Bruneau de l'inventer et « d'ouvrir les
voies » â tous ses collègues !
Le Théâtre Molière lutte avec succès contre les carrousels, les
femmes colosses, les beuglants et les somnambules de la ker-
messe. Entré un peu sceptique, ces jours-ci, dans la salle
ixelloise, nous avons dû reconnaître que les friands de drame
populaire sont toujours nombreux. Le théâtre était plein, et l'au-
ditoire suivait avec un intérêt soutenu les péripéties par lesquelles
MM. Anicet Bourgeois et Masson font passer Gabriel et Valentio,
les sympathiques Orphelins du Pont Notre-Dame, agréablement
incarnés, d'ailleurs, en la personne de M"" Warnots et Larmet.
M"" S. Larmcl, de la Porie-Saint-Marlin, et Jeanne Bernbardt
donnent une excellente physionomie aux personnages de dame
Catherine et de la comtesse, et le personnel masculin de la
troupe, MM. Dutertre, en abbé Vincent de Paule, Cbarvet,
Munie, etc., complètent un ensemble très satisfaisant.
Quant â la revue d'été que donne en ce moment l'Alhambra,
Bruxelles en Folie, elle décèle l'irrémédiable déchéance d'un
écrivain qui, depuis longtemps, ne compte plus parmi les
artistes.
Le Congrès archéologique et historique de Bruxelles tiendra,
comme nous l'avons annoncé, sa session du 3 au 7 août, au Palais
; N.
J
.■■^-'f ■ ■> ijw!;'»
L'ART MODERNE
241
des Académies. Le 1" août, à 8 1/3 heures du soir, le^membres
du Congrès seront reçus dans les salons de la Société des ingé-
nieurs, 6 la Bourse. Ues excursions auront lieu i Diest, Léau et \
Louvain, b Court-Saint-Eiienne et à l'Abbaye de Villers, à Mons,
Obourg et Saint-Symphorien, etc.
Pendant toute la durée du Congrès, une exposition d'objets
préhistoriques trouvés dans le Brabant sera ouverte dans la salle
de marbre du Palais des Académies, de 9 heures du malin à
S heures du soir.
Le nouveau directeur du Kursaal de Blankenberghe, M. Boul-
vin, organise quelques auditions musicales qui trancheront
violemment sur la banalité habituelle des concerts de villes
d'eaux.
M. P. Lilta, le pianiste distingué qui fit ses débuts cet hiver
kux concerts des XX, ouvrira aiijourd'hui même la série.' On
entendra de lui plusieurs compositions inédites pour orchestre.
M. Litta exécutera en outre le deuxième concerto (mi bémol) de
Liszt et diverses œuvres de Chopin, Liszl et Moszkowski. Au
même programme figurent M"* S. Kayser, harpiste, et M. de
Jongb, flûtiste.
Mercredi prochain, un grand concert sera donné avec le con-
cours de M""* Rose Caron, de MN. Lafarge et Sentein.
Un festival consacré aux œuvres de Vincent d'indy, sons la
direction de l'auteur, aura lieu, comme nous l'avons déjii annoncé,
le 3 août. Le programme porte : la trilogie de Wallenstein, la
symphonie pour orchestre et piano sur un chant montagnard
français (piano solo : M. Tonnelier), la fantaisie pour hautbois et
orchestre (soliste : M. Guidé) et la Forêt enchantée. M. Eugène
Ysaye s'est offert spontanément à faire la partie de premier
violon. HM. Jacob et Van Bout s'installeront également aux
pupitres de violoncelle et d'alto solos. Avec de tels éléments, on
pçot compter sur une exécution excellente.
Voici la liste complète des artistes belges récompensés h
l'exposition de Berlin.
PEINTURE
— Alfred Slevens, Lamorinière, Courtens.
— Siruys.
— Claus, Frédéric, Den Duyts, F. Van
— Abry, Farazyn, Seghers, Linden.
SCULPTURE
— Van der Stappcn, Dillens.
— Mignon.
— Charlier, Willems, Van Beurden.
— Hcrain, De Hacn, Hambresia.
GRAVURE
. — Reins.
- Slingcneyer, Wauters, M"« Beernaert,
De Vriendl, Paul De Vigne.
Diplôme d'honneur.
Première médaille.
Deuxièine médaille.
Leempntten.
Mention honorable.
Diplôme d'honneur.
Première médaille.
Deuxième médaille.
Mention honorable.
Mention honorable.
Hors concours. -
Alb. De Vriendt, Jul.
André Messager, l'auleur de la Batoche, vient d'être nommé
chevalier de la Légion d'honneur, en même temps qu'Edmond
Haraucourt, le poôie d» la Légende des Sexes et de VAme nue.
Voici les « instantanés » (pas flattés, par exemple! mais amu-
sants) que leur consacre Ip OU Blas :
André Messager. —Un nerveux aux traits fins et distingués.
Souple, svelte, toujours tiré à quatre épingles comme s'il faisait
partie de la grande figuration mondaine. Elève de Saint-Saëns et
l'un des meilleurs. Tint jadis les orgues dans la vieille église de
l'Ile Saint-Louis. Débuta par écrire des ballets pour les Folies-
Bergère, sauta ensuite des théâtres d'opérette dans les bonnes
maisons subventionnées. Sortit du rang avec l'adorable et fantai-
siste partition A'isoline. A beaucoup d'entregent et en use.
Oscille entre Delibes et Wagner et les pastiche à merveille. On l'a
appelé : le Gervex de la musique.
Edmond UARiUCOURT. — Ressemble b une vieille lune rageuse
avec sa tête presque glabre. Se croit le plus bel astre du ciel
poétique contemporain et daigne avoir Leconle de Lisle pour
satellite. Débuta par clamer ses vers dans un sous-sol de brasserie
au quartier latin, déflorant ainsi le meilleur de son œuvre, la
Légende des sexes, un volume qui se vend sous le manteau. A
jadis violemment harangué Iç public le soir de sa Passimi, en un
concert du vendredi-saint. Monologue fréquemment, selon la
méthode nasophone, dans les salons des différents ministères.
Pourrait chiffrer son papier à lettre d'une couronne trèflée, mais
supprime sa particule autant par euphonie que pour sembler
modeste.
La première série du Livre d'Or des Monticelli étant en prépa-
ration, les possesseurs de tableaux de cet artiste qui désire-
raient les faire figurer au dit Livre sont priés d'envoyer la
notice exacte de leurs tableaux, ainsi que leur adresse, ii M. le
Directeur de la Revue de l'Art, rue Saint-Bazile, 34, Marseille.
La huitième représentation du Théâtre d'Art (dernière de la
saison) qui devait se composer A' Axel, drame en quatre parties,
de Villiers de l'Isle-Adam, n'aura pas lieu, bien que les répéti-
tions soient fort avancées, par suite de dissentiments survenus
entre M. Paul Fort et M. Rodolphe Darzens, mandataire de
M"" Villiers de Ilsle-Adam.
La saison prochaine se composera di3 neuf représentations au
lieu de huit.
Uh nouveau Cercle artistique vient d'être fondé à La Haye par
un groupe de jeunes artistes, sous le nom de Haagiche Kunst-
kring (Cercle artistique de la Haye). Pour ce nouveau cercle, dont
les frais seront couverts par souscription, plus de 50 membres se'
sont déjà présentés. Le Cercle s'occupera des Beaux-Arts plasti-
ques, des belles-lettres, de la musique et des arts décoratifs.
MM. de Reszké, dit le Monde artiste, partiront du 5 au
10 octobre pour les Etats-Unis, et ils y resteront cinq mois aux
conditions suivantes :
M. Jean de Reszké recevra 2SO,000 francs pour 40 représen-
tations, soit 60,000 francs pour 8 représentations par mois.
Quand la recette dépassera 30,000 francs, M. Jean de Reszké per-
cevra 20 p. c. sur la somme totale.
M. Edouard de Reszké recevra 100,000 francs pour 40 repré-
sentations, soit 20,000 francs pour 8 représentations par mois.
Quand la recette dépassera 30,000 francs, M. Edouard de Reszké
percevra 10 p. c. sur la somme totale.
Le répertoire de la troupe se compose du Prophète, des
huguenots, de l'Africaine, de Faust, de Carmen, de Roméo,
à' Aida et de Lohengrin.
La troupe restera deux mois à Chicago et trois mois à New-
York.
On voit bien par cela ce que les artistes gagneront, mais on
saisit moins ce qui restera au directeur.
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DmANCHB 2 Août 1891.
L'ART MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE ORITIQDB DBS ARTS ET DE LA LITTÉRATDRE
Comité de rédaction • Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
▲BONNKMKNTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, &. 13.00. — ANITONCKS : On traite à forfait.
Adresser toutes les communications A
l'administration générale de l'Art Moderne, me de l'Industrie, 32, Bruxelles.
^OMMAIRE
Un Musis DE Copies. — Une Lettre de M. Buls. — Les Gaediens
. DU SERAIL DE LA PlACE DU MuSÉE. — LeS TaBLEAUX OUI NE COMPTENT
PAS. — Une Fi.Eua administrative. — Les bons parents. —
Bruxelles vivant. — Le Chasseur vert ou la THioaiE des^oom-
plAiont AIRES. — Auguste Rodin. — Pettte chronique
UN MUSÉE DE COPIES
Un article a paru à ce sujet dans la Nation. La
question parait intéressante, d'autant plus que nous
saTons que des essais, en ce sens, ont déjà été faits.
Seulement, ils n'ont abouti qu'à de l'incomplet et du
quelconque.
Un point sur lequel on n'a guère insisté, c'est sur la
perfection vraiment miraculeuse de certains procédés
photographiques. Non seulement, en telles épreuves, on
a la sensation du dessin du tableau original, mais
on y peut surprendre le coup de brosse, la facture et
riuu'monie des couleurs. Certes, le vert, le bleu, le
rouge, comme l'affirme l'auteur de l'article, ne se peut
traduire, mais la relation et l'harmonie des tons — ce
qui est chose capitale en peinture — se trouvent trans-
férées.
A voir certains Hais, certains Delacroix, certains
Rembrandt à la montre de Braun, on a nUusion de se
trouver en présence des tableaux eux-mêmes. Certaines
reproductions sont même plus belles. Exemples ? Celle
de la Af* Récamier de David ; celle de l Angélique
d'Ingres. Ces dernières ne sont pas même signées du
nom du très artiste photographe de l'avenue de l'Opéra.
Elles sont anonymes, et pourtant combien elles témoi-
gnent en faveur du projet de ce nouveau musée. Même
une quelconque épreuve est probante.
Il existe déjà, au Musée des Arts décoratifs, une cof-"
lection embryonnaire de telles copies. On y peut remar-
quer, photographiés, quantité de fresques italiennes et
de superbes Puvis de Chavannes.
Ces remarques complémentaires émises, voici l'idée
développée dans la Nation :
A Londres, dans les sous-sols de la National Oallery, faisant
face aux salles consacrées aux aquarelles de Turner, on a installé
un musée de copies : trois petites salles. Dans la première,
l'oeuvre presque complète de Velasquez et de Rembrandt; dans la
deuxième et la troisième, des fresques italiennes : Gozzoli, Pinlu-
riccbio, l'Aogelico, le Giolto, Massacio, Mantegna, Memmi,
Boiicelli, etc. ; plus quelques reproductions des gothiques
allemands; plus encore, deux triptyques, l'un de Van Eyck,
l'autre de Memling. C'est la seule initiative prise par les organi-
sateurs des musées anglais, qui nous paraisse malheureuse. Les
copies de dimension étroite, rapetissées à des proportions nulles.
244
L'ART MODERNE
niant el comme outrageant les originaux, leur menianl par l'allure
el le dessin, apparaissent en rang de pseudo-cliromolilhographie»
à la cymaise. A Florence, non» avons rencoptré de studieux jeunes
gens réduisant — sans doute pour le compte de la National Oal-
Ury — la Naissance de Vénus en page d'album, en illustration
de missel, en reproduction banale.
Il nous était donné d'avoir sous les yeux l'original éclatant et
divin, et vraiment c'était pitié de constater ce qui en restait dans
l'aquarelle méticuleuse et proprette du copiste. Non seulement
l'impression impérieuse s'était en allée, mais l'imagerie quel-
conque, qui la voulait traduire, étriquait tellement le chef-d'œuvre,
violait à tel point sa grandeur, qu'on aurait pu l'étiqueter : Défor-
mation de la Naissance de Vénus.
Au fond, la plupart des copies étant des mensonges peints et
payés relativement cher, il vaudrait peut-être mieux n'en faire
jamais. Laisser, au Louvre, vandaliserle salon carré par des rapins
sexagénaires et de vieilles toquées coriaces et de cosmopolites
palellisles, est manquer de respect aux grands maîtres.
Il est des choses suprêmes qu'on devrait défendre de plaisanter,
de galvauder dans des boutiques de bric-k-brac ou de marchands
de cadres sur les quais. Que de caricatures de cette pauvre et
immortelle Joconde ai-je vu traîner entre une tabatière allemande
et des pincettes empire ! Stéphane Mallarmé recueillit un jour, par
pure pitié, une Madeleine évidemment copiée d'un tabeau véni-
tien, contre laquelle, au coin des rues, les chiens levaient la patte.
Il y avait là un tel outrage i ce qui fut la beauté, que le poète ne
le put souffrir quotidiennement perpétré, au long du chemin qu'il
suivait. Aujourd'hui la Madeleine a une place chez lui et il raconte
sa bonne œuvre, volontiers.
En Belgique, heureusement, on n'a point suivi les errements
des organisateurs anglais. Quand on juge bon de se procurer des
copies on charge des peintres, d'ordinaire marquants et habiles,
d'aller en Italie ou en Hollande reproduire l'original dans les
dimensions et avec le soin voulus. Ainsi possédons-nous traduits
deux Hais, un Carpacchio, un Giolto, un Angellco, un Lnini, un
Van Eyck, un Kempeneer. Ces œuvres, exposées au Musée des
Echanges, couvrent honorablement leur pan de mur.
Et néanmoins, cela ne satisfait point. Et les raisons en sont
nombreuses.
La première est qu'un vrai peintre copie mal. Il y met trop de
sa personnalité; quoi qu'il fasse ou veuille, c'est encore lui qu'il
exprime en s'acharnani à ne laisser apparaître que l'autre. On peut
même affirmer : plus on est artiste, plus on translate faussement.
Rubens a copié la Cine du Vinci : il en a fait un Rubens ; Dela-
croix a reproduit Rubens, il en est résulté un Delacroix. Quand
on envoie Mellery ou Meunier, l'un à Venise, l'autre il Séville,
rapporter un Carpacchio et un Campana, on leur demande l'impos-
sible. Ils n'en ramènent qu'une figuration. Et ils ne se doivent
reprocher rien ; toute l'erreur incombe à ceux qui les ont envoyés.
Mais alors faut-il confier ces missions il des peintres nuls?
Moins encore, puisque aucun d'entre eux n'étant artiste, ne
saisira l'art déployé dans un chef-d'œuvre. Admettant qu'ils aient
assez de pratique pour transposer scrupuleusement tels et tels
morceaux, l'auiorilé de l'ensemble, l'éloquence de la toile totale
leur échappera. Ils feront de l'ouvrage, ils ne réaliseront pas
l'équation esthétique, lis n'y fourreront que leur incompréhen-
sion et leur insuffisance.
De tout ceci résulte qu'une copie manuelle est chose impos-
sible et qu'il ne faut confier ce travail à personne.
Et qu'on ne dise pas que, cette mesure prise, an tort évident en
résulte pour les artistes, privés de voyages et de foreurs.
Jamais, si l'Etat veut s'intéresser h tel peintre, l'occasion ne lui
fera défaut. N'eût-on pas mieux fait d'acheter I Mellery une oeuvre
bien sienne que de l'envoyer ii Venise T Le meilleur moyen de
s'occuper des artistes c'est de leur commander des tableaux pensés
par eux, conçus par eux, achevés par eux, c'est de se procurer
pour nos musées leur art, celui qui les exprime et non eeini par
lequel, inconsciemment, ils trahissent le génie des maîtres morts.
La seconde raison, c'est que ces copies nécessairement impar-
faites coûtent, à cause des frais de déplacement, fort cher, et que
par conséquent leur nombre est fatalement restreint.
On travaillerait un siècle k organiser un musée de reproductions
à la main, qu'il serait encore très incomplet.
Un seul remède existe — estrce remède qu'il faut dire? — c'est
d'inauprer un musée de copies photographiques. La photogra-
phie doit être pour la peinture ce que le surmoulage est il la
sculpture. Pourquoi n'envoie-t-on pas des sculpteurs copier
Michel-Ange, Donatello, Kraft el Jean Cousin? Celte idée ne serait
au fond guère plus illogique que celle d'envoyer des peintres
interpréter des peintres.
La différence dans les deux cas n'est qu'apparente.
Le surmoulage est un procédé qui assigne ce qui est essentiel
à une copie, l'exactitude. La photographie aussi. Certes ne donne-t-
elle pas, jusqu'à ce jour, la couleur ; mais le surmoulage donne-t-il
la patine et cette empreinte ou plutét cette merveilleuse couleur
des siècles qui caractérise les marbres invincibles?
Il importe d'insister sur la qualité des photographies. Le plus
possible elles doivent se rapprocher de la dimension des originaux
ou du moins en donner l'illusion.
Chez Braun, telles reproductions des Syndics de Rembrandt ou
du Printemps de Boticelli s'étalent, par&ites. Elles réalisent
admirablement ce but.
En certains cas — par exemple pour les fresques — on photo-
graphierait des parties, séparément, el l'on agencerait les mor-
ceaux par des soudures imperceptibles.
L'exposition se ferait non pas ii la diable : quatre punaises sur
fond poisseux, mais en des cadres appropriés el mariés aux teintes
variées des épreuves.
On arriverait ainsi à des ensembles, il de complets groupements,
à une histoire étendue et exemplaire des écoles étrangères. On
ferait œuvre pas énormément frayeuse, très utile et d'initiative,
aucun musée n'ayant encore inauguré cette idée, avec décision et
grandeur.
Un temps arrivera, certes, où chaque direction des Beaux-Arts
aura son atelier de photographie, comme actuellement le Louvre,
Florence et Rome ont leurs ateliers de plâtres, et l'on félW dM
échanges de planches 'et d'épreuves, comme aujourd'hui d^à oh
fait des échanges de statues et de bustes. Et l'on ne verra plus des
maisons de commerce — comme chez nous les frères Hanfstaengl
— faire preuve de goût germanique et reproduire il la li«-de-vin,
en une teinte atrocement rose, les chefs-d'œuvre de nos gothiques.
UNE LETTRE DE M. BULS
Nons insérons la lettre suivante très volontiers. L'inexactitude
que M. Buis signale dans la lettre de H. 'A. D., parue dans notre
numéro du 19.jnillet, nous la signalons i notre correspondant.
L'ART MODERNE
245
Quant k la leconde qoealion, nous ne voyons dans la réponse de
M. le j^oorgmeatre qne des renseignements et non des démeniis.
Et ils Bont fort iatëresaants cl probanU. Cela dit, qu'il nous soit
permis de remercier, dès aujourd'hui, M. Buis de l'engagement
qu'il prend de combattre 6 la Chambre l'organisation des musées
et d'appayer, de sa parole et de son autorité, les réclamations
aigoés qui volent de toutes parts comme des flèches vers les
commiaiîioDS et les bureaux des Beaux-Arts.
Qull n'ait crainte du « Et vous? » que pourrait lui rétorquer
un ministre. Nous avons trop souvent rendu témoignage du zèle
indiscutablement intelligent et artiste que M. Buis manifeste, dès
qu'il s'agit d'architecture et de paysage urbains, pour que son
administration puisse être assimilée à celle du ministère de l'inté-
rieur. Noas le remercions également du «journalistes-amateurs».
Mais amateurs encore bien plus que journalistes. Et amateurs dans
le sens de critiques indépendants, n'est-ce pas ?
Bruxelles, le 30 juillet.
MONSISUB l'Administhàteub,
La presse publie tant d'informations inexactes sur les actes de
l'Administration communale ijue je me suis donné pour règle de
ne plus les démentir.
Cependant, je fais aujourd'hui une exception pour l'An
moderne.
Dans votre numéro du 19 juillet, vous publiez une lettre signée
A. D., qui a la prétention de dénoncer à l'indignation de vos lec-
teurs une bévue de mon administration à propos d'un très beau
vase en cuivre qui se trouvait sur la maison habitée par H. Billen.
Or, il n'y a pas un mol de vrai dans cette histoire ; mes bureaux
me l'affirment, et M. Billen, qui habite cette maison depuis plus
de cinquante ans, n'en a aucune connaissance.
Bien au contraire, il ne se démolit pas une vieille maison à
Bruxelles, dans les quartiers que nous exproprions, sans que notre
architecte ne la visite pour s'assurer s'il ne s'y trouve pas un objet
d'art digne d'être conservé. Dans le numéro du 39 juillet, vous
me dédiez un autre article sur nos arbres, et tout en rendant
justice aux efforts que j'ai faits pour les multiplier à Bruxelles,
vous montrez encore que vous êtes mal informé.
Tous les essais que vous indiquez pour préserver les arbres de
l'avenue Louise d'une décrépitude prématurée ont été tentés,
même la canalisation systématique souterraine que vous con-
seillez; vous pouvez encore en retrouver les regards aux environs
de la rue Mercelis. Un seul remède a été reconnu efficace : c'est
le choix d'essences appropriées !i notre sol et & notre climat; c'est
celui' que nous employerons dorénavant. Si je vous envoie ces
rectifications, c'est que je compte encore signaler à la Chambre les
défauts de nos musées et que je ne veux pas m'exposer à me voir
opposer la lettre de votre correspondant par un ministre qui me
népoadra : et vous! comme on le fait trop souvent au Parlement.
Puis, votre rédaction n'est heureusement composée que de
journalistes-amateurs ; elle rie doit donc pas s'être imposée la
règle de ne jamais admettre qu'une ' administration officielle
puisse être attentive et prévoyante.
Agréez, Monsieur l'Administrateur, l'assurance de ma considé-
ration distinguée.
Le Bourgmestre,
Bols.
LES GARDIENS DU SÉRAIL
de la place dn Mnaée.
Voilà tantôt deux mois qu'à tue-tête nous clamons leur incom-
pétence. Chaque semaine nous ramassons plusieurs cailloux de
leur bêtise et nous les jetons dans les fenêtres des « bureaux »
où ils opèrent. Ils ne répondent même pas : il y a quelqu'un !
C'est le silence voulu, obligatoire, calculé. Ils sont gardiens,
oui, gardiens jusqu'au bout, comme ceux des sérails, et comme
ceux-ci muets et impuissants.
Croyez-vous qu'attaqués par la presse artistique entière, ils se
justifient ou se défendent ? Rien. On les accable de chiffres et de
faits. On dévoile leur ignorance. On met au jour leurs gaffes. On
ridiculise leur vie administrative. On les trique, ces rond-de-cuir,
on les hué, on demande qu'on les chasse, car ils sont usés, rancis,
perruque, séniles, incapables. Ils laissent faire. On dirait que cela
flatte même leur sénilité.
Que leur importe l'opinion publique? Ils sont les maîtres, les
élus définitifs du ganachisme, les casés en bonne place de la rou-
tine, les suprêmes dispositaires du budget.
Ah! vous vous amusez à tirer des coups de revolver dans le
vivier de ces carpes de fonctionnaires! Peuh! Les balles se per-
dent bientôt dans la vase.
Ne sont-ils pas les tout-puissants? Est-ce que les artistes ne
viennent pas faire antichambre chez ces caissiers? Ne sont-ils
pas, en somme, les juges suprêmes de l'art belge? Leur morgue
est aussi grande que leur bêtise. Ils sont tous décorés et admirés
par leurs commis.
En somme, le rôle de ces gens est important et ils ne forment
pas, dans l'Etat, une quantité négligeable. Us ont tué plusieurs
artistes de valeur. Us en ont déformé ou estropié beaucoup d'au-
tres. Ils sont plus néfastes que des accidents de chemin de fer.
Quel mérite ont-ils pour avoir obtenu cette importance? Avoir
taillé des plumes, gratté du papier, sommeillé sur un siège de
fonctionnaire, végété dans quelque académie, servi de secrétaire
à quelque commission.
Sont-ils des artistes? — Pas du tout.
Voient-ils clair en art? — Pas du tout.
Ce sont des cuistres. La preuve? L'un d'eux n'écrivait-il pas
récemment dans un grand journal cette phrase, fleur de gana-
chisme : « M. Herbo est le peintre par excellence de la chair
féminine, à vrai dire, la seule chair qui soit. »
Voilà à quels gens sont livrés les artistes, devant quels person-
nages ils sont obligés d'aller faire la courbette, pour avoir une
« commande ». C'est horrible et c'est triste!
S°imagine-t-on l'an, cette chose spontanée, toute idéale, toute
intuitive, à la merci de ces incompréhensifs? Ils viennent piétiner,
de leurs pantoufles de bureaucrates et du lourd sabot de leur
imbécillité, les plates-bandes où fleurissent les belles et jeunos
fleurs, dont l'arôme est trop étrange, trop rare ou trop neuf pour
leurs narines habituées aux huiles des académies ou aux pous-
sières des registres.
S'ils se contentaient de passer outre, encore! Mais ils écrasent.
Us ne sont pas seulement indifférents, ils sont hostiles.
J
Les tableaux qui ne comptent pas.
La question Giuchez a déjà été] disentée, il y a longtemps, k la
Chambre des représentants. Voici un extrait des AnnaUt parlt-
mentaires du 21 mai 1885.
« H. d'Andrimont Je lis, dans des documents officiels,
que M. Léon Gauchez, de Paris, qui semble être le fournisseur de
l'Elat, lui a vendu quatre tableaui, dont trois sont signés par des
artistes d'un talent reconnu.
Quant au quatrième, acheté 15,000 francs, il est d'un anonyme
et représente le portrait « supposé^.» d'un duc de^Bourgogne,
sans nom d'auteur.
Or, des personnes compétentes m'ont déclaré que cejtabieau
était vraiment payé trop cher.
J'ai également lu la description de quatre autres tableaux ven-
dus à l'Elat par M. Léon Gauchez, le 26 décembre 1883.
Il s'agit de quatre tableaux cédés pour 20,000 francs et intitu-
lés : Martyre de lainl Sébattien, Repos en Egypte, Ckritt au
tombeau et la Vierge et l'Enfant Jitus.
Encore une fois, ces deux derniers tableaux émanent d'auteurs
anonymes !
M. Slingenfïer. Les deux derniers ne comptent pas ; mais les
deux autres sont des chefs-d'œuvre. »
Ah ! alors on achète à H. Gauchez et on pend aux murs du
Musée des tableaux qui ne comptent pas.
Un musée est-il une remise de croûtes et de loques, ou bien
l'écrin oCi on ne met que des choses de valeur?
C'est déroutant!!!
^^\^Z fhZUK ADMlNIgTR/TlVE
Pourquoi les Goya sont-ils à la Bibliothèque, tandis que les
Rembrandt et les Durer sont au cabinet des estampes?
Vous n'en trouvez pas le motif?
Eh! bien. Monsieur, les Goya sont réunis en albums; alors ils
font livre, n'est-ce pas? et doivent se trouver dans une biblio-
thèque.
Il n'en est pas de même des Rembrandt : c'est pour cela qu'ils
sont aux estampes.
Voilà, probablement, le raisonnement qui a surgi dans la cer-
velle des adminisiraleurs des livres et des gravures de l'Elat, et
qui leur a fait prendre celte mesure plaisante.
LES BONS PARENTS
par HcBEKT KiuiNs. — Bruxelles, chez Alfred Castaigne.
Depuis dix ans, quelle ample moisson d'écrivains a surgi en
Belgique! C'était, d'abord, le turbulent et vivant noyau de la
Jeune Belgique. Puis, d'année en année, des noms nouveaux sont
venus s'accoler à ceux qui avaient déjà droit de cité dans le monde
des lettres. Les livres ont poussé comme les feuilles et les fleurs
par de beaux jours. Malgré tout, dans le plus hostile des milieux,
à. travers une lutte de tout instant, sous une pluie de raillerie béte
et de mépris imbécile, la littérature s'est soudain montrée superbe
et vivace. Elle compte, maintenant, et sous peu on comptera
avec elle.
Voici encore un o premier livre » qui vient de paraître, de
M. Knini. M. Hubert Erains est eollabontenr k to WtUonie et h
la Jimne Belgique et il lient k le SoeiM NomeUe aoe plume
pénétrante et acerbe de critique littéraire.
Son livre contient quatre contes. Le premier, Im Botu Parents,
est l'histoire d'an enfant bonn vendu, par ses parenu, k des
saltimbanques. Le deuxième, CoHtoUUrix, raconte les aventures
d'un groupe de bourgeois en promenade et terrifiés, près d'une
vierge miraculeuse, par une bande de mendiants qui viennent
prier. Le troisième, le Bonheur de* autru, dit la miaère navrante
d'un ouvrier et oppose celle-ci k la joie d'un bal de village. Enfin
le quatrième, la OU Mercantile, décrit une ville de négociants
hostiles i l'art.
Ce qui est vraiment curieux, dans un livre de débutant, c'est le
côté réfléchi et pondéré de ce style. D'emblée, H. Krains est
maître de sa plume. Chez lui, pas de ces bravoures ou de ces
forfanteries de langue, de ces morceaux enlevés par pure maestria
et qui souvent tentent les jeunes. C'est un Couleur k la Mérimée,
précis, nerveux, allant droit au but proposé. Il ne s'attarde k
cueillir, le long des sentes de sa littérature, des flenn colorées,
il ne s'amuse k faire briller et chatoyer son verbe, mais il est
sobre, réservé, modeste d'images, et attentif surtout k l'idée
poursuivie, qu'il cherche k rendre la plus nette possible. Ce qui
n'empêche son style d'être fort, fourni, charnu, car il cherche k
y condenser le plus d'idée possible. C'est le style d'un conteur
médullaire k la fois et modéré.
Voilà le physique du livre.
Au moral, nous trouvons un écrivain froidement ironique,
cherchant, dans la nature humaine, d'un scalpel sans enthou-
siasme, les celés mauvais ou ridicules. On dirait que pour lui la
bonté n'existe pas sur le monde : un brouillard de tristesse plane
devant les choses, et s'il luit des reflets plus gais, dans cette teinte
sombre, ce sont ceux des ridicules des hommes.
Devant ces découvertes des bassesses et des mesquineries, le
conteur ne devient ni colère, ni mélancolique. Il paraît consigner
un fait accompli. Un peu d'amertume lui vient k la plume, puis il
continue ses investigations, à la lueur de son esprit implacable,
qui met en cruel relief la méchanceté et la bêtise.
Et ces recherches psychologiques sont habiles, car ce collec-
tionneur des petitesses de l'ftme est doublé d'un observateur
constant et aigu. Il met k jour, d'un trait, le lieu commun des
esprits; il dévoile la banalité des cœun et des cervelles; il attrape
au vol les phrases « clichées » où se photographient les plates
misères et les pauvres idées qui forment le train-train quotidien
de la vie ordinaire — et cela avec un Un sourire de désabusé.
Où ces qualités se montrent le plus, c'est dans cette nouvelle :
Consolatrix. De quelle touche ironique M. Krains nous montre ces
bourgeois « à la campagne », apportant sous le ciel, dans les
bois, la fadeur de leurs pensées, l'étroitesse de leur vie. Et comme
il s'entend, avec quelle froide moquerie, à mettre en œuvre leur
mesquinerie d'âme, devant une vierge en pierre vermoulue qui
leur verse, de ses orbites noires, de la terreur, et k côté d'une
bande tragique de mendiants qui viennent prier et dont ils
craignent la présence.
Voici un extrait de ce conte, qui donne bien l'idée de la manière
de M. Krains : « Une des femmes, alors, révéla la peur que lui
causaient les pauvres. Elle ne passait jamais dans les endroits où
ils se tiennent d'habitude; quand elle se rendait à l'église, elle
baissait la tête en arrivant sous le porche, pour ne pas voir les
vieillards qui s'y réfugient ; et s'il lui fallait rentrer seule, la nuit.
elle ouvrait la porte en Iremblanl, hésitait uae minute avant de
pénétrer dans le corridor, s'imaginant toujours qu'un homme à
barbe hirsute, vêtu d'une blouse eb lambeaux, allait surgir des
ténèbres en brandissant un eustache bien aiguisé.
— Les pauvres, en effet, n'ont rien d'agréable, ajouta son amie;
les aveugles aussi m'épouvantent avec leurs yeux blancs. Puis il
y en a dont le corps est affreusement couvert d'ulcères.
L'employé intervint. 11 railla d'abord les femmes, ne compre-
nant pas qu'on eût peur des pauvres. Il disserta ensuite sur la
superstition, ii propos de la Vierge dont la présence contrariait ses
compagnons. « Supposez, dit-il, qu'au lieu de cette pierre à
laquelle on a donné une vague forme humaine, vous ayez, derrière
vous, un dolmen (j'entends un de ces blocs granitiques dont nos
ancêtres se servaient en guise d'autels, pour eacrifier à leurs
idoles), en éprouveriez vous la moindre crainte? Non, n'est-ce
pas. Vous iriez vous asseoir dessus, Iranquillement, sans vous
inquiéter de son caractère vénérable. Or, entre cette Vierge et un
dolmen, quelle différence y a-t-ilT Aucune. Ce sont deux pierres,
deux choses inanimées ». — El il haussa les épaules, tandis que
sa bouche dessinait une grimace méprisante. »
Il faut lire, aussi, ce conte déchirant : Les Boiu Parents. C'est
diabolique. M. Krains voit les paysans rapaces jusqu'au crime. Il
les fouille d'une plume brûlante, les lacère de sa phrase expiatrice,
mais toujours avec flegme, et pas plus ému qu'un vieux praticien
disséquant un cadavre. Balzac avait parfois de telles visions des
cœurs rustiques.
La Cité Mercantile et le Bonheur da autres complètent ce
volume, annonciateur d'un véritable écrivain, et qui certes doit
marquer dans l'évolution littéraire actuelle. Ce livre a beaucoup
de tt fond ». El l'on pourrait peut-être lui appliquer ce que
H. Krains écrivait dernièrement à propos de Là-Bas : « On dirait
que Huysmans s'est appliqué à satisfaire Stendhal, qui prétendait
qu'un écrivain a atteint la perfection lorsqu'on se souvient de ses
idées sans pouvoir se rappeler ses phrases ».
BRUXELLES 'VrV-J^lTT
par M. F. Mabuttb.
C'est la ville de cette heure-ci. La ville dont les journaux dis-
putent, journellement; la ville grouillante. Marchés, rues, squares,
cafés, promenades, monuments, théâlref, bourse, parlement,
concerts, salles de vente, cochers, fiacres, commissionnaires,
statues, us, coutumes, tout ce que proclament les affiches, tout
ce qu'épinglenl les faits-divers, tout ce qui fait l'objet des
annonces, des racontars, des anecdotes, des joies, des deuils, des
vanités, des parlottes, des scandales de ce temps brabançon
(anno 18dl), défilent en ce livre.
Un Bsedeker? non pas. Des annales ? moins encore. Des com-
pilations de faits et de dates, de l'archéologie T Erreur.
Tout uniment les impressions d'un attentif, pour lequel voir :
c'est retenir ; penser : juger et parler : écrire avec soin et volonté.
Bruxelles Vivant est au delà de l'article de journal et en deçà de
l'étude complète. Hebdomadairement, dans le tupplémenl litté-
raire de l'Indépendance belge les chapitres, un à un, ont paru.
Ils sont dédiés par l'auteur à ses voisins d'écritoire^ à la rédac-
tion dn journal.
Dans un autre quotidien, certes, avec moins de littérature, le
passé de la cité a été coupé en tranches par M. Joè Dirickx, et
réuni également en volume. Les deux livres se complètent. Ils
s'embottent.
Nous aimons à insister sur l'écriture de M. Hahutte, qui est
celle d'un jeune Belgique de la première heure et ne fausse guère
les traditions du groupe. La phrase nette et de clair habillée, le
mot figuratif, le vocable ressuscité, le néologisme logique, la ter-
minaison à nuances, la couleur vive, le chapitre ratissé de lieux
communs et sarclé de veuleries et de poncifs, on les souligne
fréquemment il la lecture. H. Hahutte n'est pas un révolutionnaire,
mais un inventif circonspect. Les mots de hasard il n'en veut pas
— mais il a exploré dictionnaire et lexique. Il connaît aussi le
coin des vieux auteurs où se trouvent les expressions de bonne
marque et, nettoyées de poussière, il les aligne côie à côte avec
les quotidiennes et les usuelles. Le dernier chapitre. En marche,
fournit amples preuves à ces cursives notes-ci.
LE CHASSEUR VERT
ou LA THÉORIE DES INCOMPLÉMENTAIRES
A Octave Macs.
C'est le chasseur d'un café nouvel instauré et dont le cuivre
vierge et blanc des lustres et des miroirs et l'intact cramoisi des
banquettes n'ont eu le loisir encore de se culotter aux cigares
des chalands et aux relents des aigres bocks. Comme les murs de
récente peinture de u sa botte », au pimpant glacis de mastic et
de vejrnis, le chasseur est flambant de crue nouveauté. Pareil à
une enseigne cruelle, dardant sur les passants, inévitablement,
l'impitoyable glaive d'un insolent tape-à-l'oeil, il court, vivante
affiche, à travers la ville, et impose aux rétines l'obsession de
son a complet » d'un vert de pomme aigre ou de drap de billard
puceau.
Une figure de singe, sous son képi à lettres d'or, avec un
insolent nez traité à la Forain et gratté souvent par un doigt
rouge, fleurit celte tige acerbe, sans écorce, raclée comme un
trop amer céleri, et donl l'horrible viridité est plus fatalement
maupiteuse que l'excrément qui aveugla Tobie.
11 a l'air du fiel du printemps, dans une indicible et increvable
poche baladée à travers les rues pour le profil des oculistes. Sur
les murs blancs, il est aussi suceur de vues, le vampire de
lumière, que les roues rouges ou vertes en voltige aux cornées
quand on a fixé le soleil. El il va sans inquiétude, œillière per-
nicieuse, broyant des globes sous la meule inhumaine de sa
couleur, pins férin qu'uu supplice infernal, plus insouciant qu'un
Arabe dans ses guenilles d'or. Une lettre à la main, avec un baste!
de peu pressé, il marche ainsi, commissionné par les clients de
son café et esbrouffe par l'éclat mal en ton de son vêtement.
Ah! certes, dans le paysage urbain, tout n'est pas aussi harmo-
nique qu'un crépuscule sur les champs, qu'une fête du jour sur
les vagues, qu'un chant de rossignol dans la forêt. Les épiciers
ne craignent de heurter l'éclat du ciel d'une enseigne mal digérée
par toute une ligne de maisons, qui en ont des haut-Ie-cœur; les
épicières et leurs « demoiselles » osent fleurir leur coiffe du plus
artificiel et plus malencontreux jardin botanique; les façades sont
souvent badigeonnées de jus de groseilles acides, d'ocrés de
poisseuse citronnée — mais, jamais, en aucun coin où la couleur
est gifflée, étranglée, mise au pilori, torturée ainsi qu'un impé-
nitent espagnol par les Torquemada de l'huile et du vernis, je ne
vis d'imprécation pareille !
S
Dans le bazar bigarré des villes, quel que soit pourtant le bario-
lage épileplique dont on ait barbouillé leur pétante physionomie
— toute teinte trouve toujours il se marier devant l'écbarpe bleue
du ciel; chaque sujet rencontre son verbe, s'ajuste un complé-
ment, pour la phrase picturale et claire écrite dans l'atmosphère
et chantée dans l'âme vibrante des prismes, sous l'archet des
rjyons.
Mais lui, c'ext le paria des vibrations harmoniques, la tare des
rues baignées de soleil, l'épine aiguë des magasins fleuris ; dtM'
les squares, où les rhododendrons aux fêtes nuptiales chantées
par les abeilles, et les houx profonds mettent leurs somptuosités,
son vert de vengeance produit une jJmc. On dit : il est trop vert!
Et les perro^MH 4es poèmes n'ont pas d'agacement plus éner-
vant.
Les gazons du Parc le repoussent avec horreur, les statues se
déiourneni, sur leurs socles glorieux de reconnaissaoce publique,
à son passage ; on ne voudrait de lui aux fêtes du bois de la
Cambre, et il erre désorbité, sous la malédiction des rayons,
pauvre âme de couleur en peine, symbole vivant de la fausse note,
haillon que nul rapin n'affichera parmi les loques de son atelier.
Pourtant, voici, sur le pavé étincelant de ce midi, une horreur
de roue rouge de voiture, en station sous la queue du cheval de
Godefroid de Bouillon. Il s'en approche. Affreuse roue, roue de
torture, ail ! de quel vermillon détonnant ! C'est sans doute l'ime
sœur du Chasseur Vert? Sa complémentaire^ Non. Elle le rejette
et ne veut ce mariage avec un célibataire partout refusé et con-
damné à l'éternelle solitude. Mais ralge! Il saute dans le fiacre et
sous le ciel éblouissant, l'aigre duel file i travers les rues,
dans la foule aveuglée, comme un fléau abattu sur des prunelles
d'exaspération
Fantasio.
AUGUSTE RODIN ^
Le monument de Balzac vient d'être confié au sculpteur Rodio.
Nul mieux que l'illustre statuaire ne pouvait évoquer, en sa
vivante ressemblance, le prodigieux créateur de la Comédie
humaine. Rodin est peut-être le seul — avec Frémiel toutefois —
qui ait su, en l'époque présente, instaurer un art vraiment
moderne, digne, sans aucune idée d'imitation de l'art antique ou
de l'an du moyen-âge.
La statue de Balzac, de même que le monument de Victor
Hugo dont le maître vient de terminer la maquette, va certaine-
ment attirer l'attention du grand public — si lente, hélas! à
s'orienter vers les plus dignes — sur le puissant artiste qui est
une des gloires de notre temps.
Cette statue de Victor Hugo, j'en vis la première ébauche, il y
a moins de deux ans, dans l'atelier 4e Rodin. Simple ébauche à
cire perdue, mais l'une des choses les plus extraordinaires qu'il
m'ait été donné d'admirer ! Le poète était figuré assis sur un
récif, quelqu'un de ces rochers de Jersey que les flots de l'Océan
viennent battre, et où il rêva les Châtiments ; derrière lui, soule-
vées par les souffles de l'au delà, par la rafale venue des horizons
obscurs, trois figures de femmes, trois mystérieuses muses, sem-
blaient lui crier à l'oreille les échos de l'infini, plaintes et chan-
sons, musiques de songe et clameurs d'épopées.
Ce projeta été modifié depuis, sur les remarques de la com-
mission qui l'examina. Ce n'est point ici le lieu, le moment non
plus, de juger des décisions aussi étranges et d'aussi imprudentes
observations... Toujours est-il que Rodin condescendit à en tenir
compte, et, sereinement, accepta les modifications proposées. Il
sut du moins être aussi original en sa deuxième ébauche qu'en la
première, et trouva, dans l'entrave apportée à son inspiration, le
préteite d'une eonceplion éfAt k ton ainée en grandeor et en
magoiBcence lyrique. Les vois du poêle, dana l'œuvre Bonvelle,
se présentent k lui de face, comme apportées par la vacne, et
malgré notre préférence personnelle ponr le projet primitif, noua
devons reconnaître, 4'une manière générale, qa'il est immMsible
d'imaginer qaelq«e chose de plus véritablement noble et Dean.
Rodin, iie qui la maîtrise infiniment souple est capable de
toutes Jek" délicatesses et de toutes les énergies, des simplicités les
jiias larges et des plus luxuriantes richesses, saura nous donner le
Balzac que réclame le Paris moderne, celte cité de labeur et de
fiassion que le génial romancier a comprise, décrite, chantée dana
es cent volumes de son oeuvre cyelopéenne. Son elseao a sa faire
tour k tour revivre Victor Hugo et Bastien-Lepage, incorporer an
marbre les visions de Dante et de Baudelaire, dresser devant noua
la grandiose figure de saint Jean-Baptiste et les spectres tragiquea
des bourgeois de Calais, décharnés par la faim, venant s'oBrir b
l'Anglais pour le salut de leus frères. Chez lui, le respect religieux
de la nature, le culte de la vérité, l'observation scrupuleuse du
réel s'allient t un sens merveilleux de la grAce et de là force,' nae
divination parfaite de la vie, ef, de plus, une puissante faculté ,
d'évocateur symbolique, de visionnaire ponr ainsi dire.
Personne ne sait modeler comme lui un dos, des épaules, une
gorge que la respiration semble faire frissonner : c'est l'existence
flagrante, avec ses frémissements les plus insaisissables. Mais
personne, d'autre part, ne sait mieux fixer le drame, l'idée, le rêve,
dans la pierre ou dans le bronze. Ici, c'est une femme, une de ces
« damnées » du poète, comme prostrée en un soupir, ou quelque
Oréade â peine surgie du rocher qui l'étreint, IS, ce sont deux
amants pâmés dans la tendresse du baiser ; plus loin, une figure
pensive, vivante énigme de douleur. Et toujours, malgré les
audaces les plus folles, la forme demeure belle, harmonieuse,
d'une incomparable suggestion.
On a comparé l'art de Rodin â celui de Donatello, ii l'art grec,
â l'art si expressif de nos vieux tailleurs d'images, et l'on a voulu
parfois le donner comme un imitateur des maîtres immortels. Il
les connaît sans nul doute, il les a compris et médités, longue-
ment, profondément. Mais il ne les imite à aucun titre; il est loi-
même, cl, loin de chercher â rajeunir les conceptions anciennes,
toutes splendides qu'elles soient, il a celte ambition généreuse de
traduire directement et librement la nainre. C'est pourquoi il est
digne de prendre place â côté des très grands, des meilleurs.
Alfked Errst. (Journal de* artistes).
Complétons cette très juste appréciation d'un artiste auquel la
critique rend enfin, après vingt années de silence et de dédain,
l'éclatant hommage auquel il a droit, par les intéressants détails
que donne dans l'Echc de Paris Emile Bergerat sur l'époque,
déjà lointaine, où Rodin travaillait au buste de Victor Hugo,
exposé en 1884 au Salon des XX :
« A la table de Victor Hugo, le soir, avenue d'EyIan, dans les
dernières années de la vie du poète, un conviv*e pensif vint
s'asseoir.
Il avait une barbe de sapeur de la garde impériale, rousse,
onduleuse et magnifique, danslaquelle il disparaissait tout entier,
et ses manières étaient très douces.
Sous le granit d'un front carré, raviné par l'idée, et planté J'un
maquis de cheveux drus et ras, les verreries du binocle enchâs-
saient, j'allais dire sertissaient, les sardoines de deux yeux, à la
lueur profonde, mais que calmait un sourire d'enfant. Et ce
sapeur était d'une timidité extrême. Non seulement il ne sapait
rien du tout, mais il ne portait point de hache, son attribut.
Immobile i sa place, silencieux, distrait, ne mangeant point et
buvant moins encore, il oubliait voisins et voisines et il regardait...
Victor Hugo.
11 ne faisait que cela, regarder Victor Hugo, comme si du
double feu de ses sardoines, il eût voulu l'hypnotiser. Ni le
Maître, d'ailleurs, ni sa famille n'en semblaient être incommodés,
et senis les invités du jour se demandaient avec inquiétude quel
rôle jouait aux dtneri du Maître ce survivant de la grande Epopée,
tel du moins qu'on les imagine, d'après Charlet.
L'ART MODERNE
249
Or, ils se le demandaient avec d'autant plus de raison que le
bon sapeur glissait sous son assiette un cahier de papier à ciga-
rettes, l'oofrait d« l'ongle, et, sans être vu, y dessinait des
plans, coupes et élévations de la téiode Victor Hugo, soit de face,
soil de profil, et même la bouclie pleine, que dis-je ! dans l'exercice
inausière du calembour, enfin dans tontes les expressions et
altitudes ramilières ii ce grand homme.
Puis, le repas fini, dans le salon, tandis qne Victor Hugo allait
et venait, le sapeur, debout sous un bec de lumière, délimitait
encore sur le pur fil de Job et les gestes et les repos de son
modèle auguste et parfois solennel.
Enfin sa moisson faite et son album pelure rempli, le sapeur
s'éclipsait, sa barbe fauve cessait de rayonner dans l'ombre et
M"* Orouel disait :
— H. Auguste Rodin est parti. Il a terminé sa sé.ince.
C'était bien une séance, en effet, et Victor Hugo n'en accordait
point d'autres au statuaire. Encore y avait-il fallu l'intervention
puissante de Vacquerie, et n'était-ce qu'k ses instances que le
vieillard avait consenti ii se laisser croquer de la sorte; sur le
pouce, pendant les heures perdues des dîners et des réceptions.
— A quoi bon, disait-il, nul ne fera jamais mieux que David
d'Angers, et le buste qu'il m'a taillé en 1830 est le meilleur
d'avance et le définitif. Ce jeune homme espère-t-il surpasser mon
vieil ami David?
On n'obtint de lui que les séances... de papier Job, sans doute
en souvenir des Burgravcs, et c'est ainsi que nous avons cette
admirable léte du poète octogi^ixaireet du« grand-père de Jeanne»,
modelée d'impression par Auguste Rodin et dont le marbre est
aujourd'hui la gloire de l'Hdlel de Ville.
Une seule fois le poète consentit à rester immobile devant le
sculpteur, mais pendant quelques minutes ii peine, grâce à un
stratagème dont je réclame la trouvaille, car je le suggérai à
Auguste Rodin désespéré et maudissant David d'Angers. Si vous
voulez que le père Hugo pose, lui insinuai-je, contestez un jour
en sa présence la dimension colossale du crâne que lui a prêtée
le sculpteur romantique. Il vous le laissera mesurer, soyez-en sûr;
tous les hommes de 1830 prétendaient aux quatre-vingt-dix
degrés d'angle facial du Jupiter Olympien, et ce fut leur coquel-
tene. Ce que Victor Hugo craint, c'est votre naturalisme irrespec-
tueux peut-être. Chicanez bravement David sur la hauteur du dôme
frontal et vous m'en direz des nouvelles.
La feinte réussit ^ merveille. Un malin, en sortant de son
cabinet, Victor Hugo trouva au salon le doux sapeur timide, aux
yeux d'enfant, et sans hache, juché sur une chaise et en train de
vérifier au compas les proportions du busie de David.
— C'est un peu grand tout de même, disait Auguste Rodin,
comme s'il se parlait à lui-même. Oui, c'est un peu grand, malgré
la couronne de lauriers.
— Otez-la, fil une voix. Et pour le coup le Jupiter Olympien
s'arrêta. Il voulut cjue le « jeune homme » vérifiât les mesures
d'après nature, avec son compas, immédiatement, et il donna
ainsi & l'artiste une pose de près de trois quarts d'heure.
Auguste Rodin ne parle encore qu'avec émotion de ces Irois
quarts d'heure où II toucha celle tête à jamais vénérable et colos-
sale, l'une des cinq ou six que la nature ail emplies de génie, et
qui il quatre-vingts ans poussait encore ses cheveux d'argent et sa
barbe fleurie. Mais il m'en doit le souvenir et l'aubaine. »
Petite CHROf^it^uE
C'est, décidément, M. Camille Gurlckx qui succède, au Conser-
vatoire, & feu Auguste Dupont. Ainsi se trouve réalisé le vœu du
Maître, qui avait, lorsqu'il sentit sa fin, appelé à lui son élève
favori et lui avait confié la direction de sa classe. Nous félicitons
sincèrement M. Giirickx de celle nomination, dont il esl digne k
tous égards. Voici la notice biographique que lui consacre le
Quidt muiical : « Né à Bruxelles, le 28 décembre 1849, Camille
Gurickx est l'un des plus brillants élèves du Conservatoire, od il
obtint, en 1868, le premier prix de piano dans la classe d'Auguste
Dupont. Applaudi k Paris, à la salle ^Erard et à la salle Herz en
1874, présenté, la même année, par Edouard Lassen, Si Liszt, dont
il reçut les conseils, Camille Gurickx a passé aussi un hiver â
Saint-Pétersbourg, où II eut de fréquents rapports avec Rubln-
steln. Il a fait des tournées artistiques en Allemagne avec Vieux-
temps et Marie Rose; en Angleterre avec M. et M"» Lemmens-
Sherringlon; il a donné, à Londres, des piano-reciials qui
allirèrent le public et le firent très hautement apprécier par la
critique de Londres, la plus Imbue de préjugés el de parti pris qui
soil au monde. Il y a trois ans, il fit une tournée triomphale aux
Etats-Unis. Il a étudié la composition à Paris avec Camille Saint-
&)en8, i BrineUes avec Ferdinand Kufferaih. Depuis 1878 enfin,
il esl professeur au Conservatoire de Mons, où il a formé de
brillants élèves el où 11 dirigeait avec une conscience el un talent
très appréciés une société de chœurs mixtes, dont les concerts
avaient un cachet artistique exceptionnel.
Tel esl l'artiste que le Conservatoire de Bruxelles vient de
s'attacher. Nul n'éiail plus digne que lui de succéder à son
regretté maître, dont il a élé, d'ailleurs, le disciple favori. Esprit
sérieux el cultivé, lettré délicat qui manie la plume en écrivain de
race, très épris de peinture el de théâtre, âme profondément el
gravement passionnée pour son art et pour tout l'art, il apportera
dans l'enseignement du Conservatoire des idées indépendantes el
personnelles greffées sur les traditions classiques dans lesquelles
il a élé élevé ».
Le Casino de Blankenberghe, artistement dirigé par M. Paul
Boulvin, multiplie les féies musicales. On a applaudi successive-
ment M"" Anna Wolf, MM. Gilibcrt, Isouard, Joseph Jacob, etc.
Mercredi dernier, un concert extraordinaire a donné â Ja colonie
de baigneurs, excepllonnellcmenl nombreuse, la rare fortune
d'entendre M"» Rose Caron et M. Lafarge, qui onl remporté un
succès énorme. M. Henri Fontaine, lexcelleni barylon anversois,
qui remplavall au pied levé M. Senlein, leur a piété, dans le trio
de Faust, une précieuse collaboration.
C'est demain lundi qu'aura lieu le festival consacré aux œuvres
de Vincent d'Indy, sous la direcllon de l'âuieur. Le programme
définitif esl ainsi composé : I. SaugefUurù, légende sympho-
nique. — 1. Lied, pour violoncelle avec accompagnement
d'orchestre (M. Henri Merck). — 3. Symphonie pour orchestre el
piano sur un chant monlagnard français (M. Lucien Tonnelier).
— 4. Sarabande el Menuet, extraits de la Suite en ré. — 5. Fan-
taisie pour hautbois el orchestre (M. G. Guidé). — 6. Karadec,
musique de scène pour un drame breton.
M. Boulvin a engagé pour les concerts subséquents M"'" Lan-
douzy, Bosman, Boidin-Puisais, M. Eugène Vsaye, etc., ele. Un
festival sera consacré aux compositions de Peter Benoit. Un autre
aux œuvres de Richard Mandl.
L'orchestre, placé sous la direction de M. Goettinck, se compose
d'inslrumenllstes de sérieuse valeur el peut rivaliser avec les
meilleurs orchestres des grandes villes. Les répétitions du festival
Vincent d'Indy, auxquelles nous avons assisté, foni présager pour
celle audition exceptionnelle une Interprétation de premier ordre.
Au huitième concert populaire, à Cologne, a élé exécuté, pour
la première fois, le WalUnsUin de M. Vincent d'Indy. Grand
succès pour l'œuvre du jeune mallrc français, que la critique
rhénane accueille de la façon la plus élogieuse.
"
ONZIÈME ANNÉE
L'ART MODERNE B'est acquis par l'autorité et l'indépendance de sa oritiqne, par la variité d« m«
informations et les soins donnés à sa rédaction nne place prépondérante. Aucune manifestAtion de l'Art ne
lui est étrangère : il s'occupe de littérature, de peinture, de soulpture, de gravure, de musique,
d'architecture, etc. Consacré principalement au mouTement artistique belge, il renaeigne néanmoins aes
lecteurs sur tous les événements artistiques de l'étranger qu'il importe de connaître.
Chaque numéro de L'ART MODERNE s'ouvre par une étude approfondie sur une question artistique
ou littéraire dont l'événement de la semaine fournit l'aotui^té. Les eJopoHtiont, les livre* twuveatue, les
premières représentations d'oeuvres dramatiques ou musicales, les conférences littéraires, les concert», les
ventes d'objets cTart, font tous les dimanches l'objet de chroniques détaillées.
L'ART MODERNE relate aussi la législation et la jurisprudence artistiques. Il rend compte des
procès les plus intéressants concernant les Arts, plaides devant les tribunaux belges et étrangers. Les
artistes trouvent toutes les semaines dans son Mémento la nomenclature complète des eSEDOSluOIiB et
concours auxquels ils peuvent prendre part, en Belgique et à l'étranger. Il est envoyé gratuitement à
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L'ART MODERNE forme chaque année un ^d e{ foirt '^rolamà d'anviitoà S^'fUigt», arec iàU«
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Dimanche 9 Août 1801.
L'ART MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE OMTiQDE DÉS ARTS ET DE U LmËRÂTURE
Comité de rédaction i Ootatb MAUS — BcMom) picard — Éuilb VERHAEREN
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KBHBBuiBm. — QuiLQon APPutciATioiia DB M. A. Bkcdios >ua LB
MoaiB BB Bkuxbllbs. — L'Enquêtb sdb Évolution LfTTiBAiR£. —
Pbtitb cbboniqub.
A VAU LA MER
Me voici de noa|^a courant la Mer. Â la recherche
de sensations artistiques, celles qui ne font pas banque-
route, celles que donne la Nature à qui la sent par le
septième mds. Telle qu'elle est? ou telle que co sep'tième
la représente? Mystère. Qu'importe, si la sensation
surgit.
Parti, oui, avec ce besoin de périodique migratioa
qui prend l'homme, comme l'oiseau, à certains retours
de saisons, par un prodigieusement atavique instinct
resté en nous, résidu atrophié des époques où, mal
préservé par une civilisation informe, il fallait bien
partir, émigrer pour retrouver et le climat et les ali-
ments. L'homme chasseur suivait les bètes qui s'en
allaient, fuyant le froid qui descendait des pôles,
esclave nlors des saisons comme la faune et la flore.
Ii^eciàs nous sommes de ces sucs d'autrefois, dres-
sant nos e^iérances vers l'avenir, eimpètrés encore
dans les ténébreux passés. La chasse aussi, plaisir
cruel, et la chasse à l'homme, la guerre, sont-elles
autre chose en nous qu'un phénomène voisin de l'agita-
tion de l'oiseau captif tourmentant les barreaux de sa
cage, s'y épuisant et mourant, quand le cercle des fata-
lités organiques du monde ramène le jour des habituels
départs?
Nous nommons cela les vacances. Puérils toujours,
nous mettons cet afflux de mal définis débirs sur le
compte d'un besoin de repos. Ignorants des énigmes qui
s'enchevêtrent en notre indéchiffrable humanité, nous
confondons avec nôtre volonté les impérieux comman-
dements des Lois universelles dont nous sommes les
jouets.
Parti donc, comme les autres, comme tous ceux qui
peuvent partir. Et droit à la Mer! Loin, d'une seule
traite, à Nantes, pour y trouver un bateau nouveau-né,
. celui qui, d'escale en escale, le long des côtes de Bre-
tagne, de Normandie, de la Manche, de la mer du
Nord nous mènera jusques Ostende, à travers les
paysages maritimes splendidement ourlés par le pitto-
resque des rivages. Un yacht, cette fois, un steam-yacht,
l'Eclair, que, par une fantaisie, ahurissante pour le
servilepecus bourgeois, un notaire, à ce point de vue
prodigieusement non conforme, s'est donné comme un
autre aurait acquis un bien de campagne à Uccle ou à
252
L'ART MODERNE
Boitsfort, avec basse-cour modèle et vide-bouteilles.
Epousailles adultères du notariat et de la naviga-
tion maritime. Descend-il de quelque Vicking, cet excel-
lent ami ? Eut-il parmi ses ancâtres quelque compagnon
d'Eric-le-rouge, le découvreur du Groenland, ou de
Magellan qui le premier, sur sa caravelle non pontée,
casque en tête et cuirasse aux épaules, entra dans
l'océan Pacifique?
Nous sommes à bord cinq libérés des quotidiens
soucis de la pesante vie sociale contemporaine, jeunes
ou mûrs, mais également grevés des inévitables lassi-
tudes, également assoiffés de liberté et de grand air. La
mer nous les donnera.
Et nous filons sur la Loire pour l'aller retrouver, cette
mer désirée et retentissante, qui nous portera sur son
large dos, nous secouant et nous faisant sauter comme
une robuste aïeule qui joue avec ses petits -enfants
avides de mouvement et de bruit.
Quelque part en descendant le" fleuve déroulant la
large nappe de ses eaux dans un de ces paysages fluvia-
tiles riants qui se répètent dans l'Europe entière, attes-
tant l'identité de la patrie aryenne, nous retrouvons au
mouillage le yacht de l'un des frères Menier, monstrueux
de luxe impérial, de vanité boursouflante, grand comme
un navire de guerre, éblouissant de cuivre, pullulant
d'équipage. Hier, quand il se déhalait à Nantes pour
appafëHler, de la foule ouvrière massée sur les quais
sont partis, en flagellantes injures, ces cris : Â bas le
chocolatier ! A bas le cuisinier ! Par quelle secrète ironie
ce vaniteux parvenu, destiné aux hécatombes populaires
prochaines et vengeresses, a-t-il été induit à baptiser ce
monument de sa stérile sottise d'un nom prédestiné :
NÉMÉSIS?
Voici Saint-Nazaire, nid de condor où sont couvés
les gigantesques transatlantiques. Et la mer s'ouvre, la
grande mer qui s'étale et grçgide jusqu'aux Amériques,
et que, prudents et timides, nous ne toucherons que sur
les bords : si fragile et si peu est, en sa silhouette
noire, gracieuse et élancée, notre notarial Éclair, mal-
gré sa double machine à triple expansion, comme le
répète avec fierté notre hôte.
Le temps est radieux. Une brise légère fait friseler
sous le ciel p\ir l'immense nappe des eaux océanes. De
sa double hélice le vaillant petit steamer baratte les
eaux, tirebouchonnant trois cents tours à la minute.
Son avant, qui coupe la masse fluide, net comme l'in-
faillible couteau de la guillotine, s'orne des deux bords
d'une blanche moustache d'écume crânement retroussée,
qui le doue d'une physionomie barbare et rageuse. A
l'arrière les toujours belles féeries du sillage qu'on
regarde et qu'on regarde des heures en la fascination
des couleurs et des frissonnements : un long et splen-
dide tapis, incessamment se déroulant, mosaïque de
bleu, de blanc, de vert, marbré de jaune par le soleil,
ruisselant de moirures, menant vers l'horizon à des
fêtes héroïques et mystérieuses, à desWalhallas! solli-
citant l'àme à quitter le bord pour marcher sur les eaux
rejoindre les fantômes qui là-bas, dans les r^ons de
pourpre et d'or du soleil couchant, procèdent à des
cérémonies triomphales.
Nous nuitons à Lorient, qui devrait s'écrire l'Orient ;
car ses fondateurs, membres de la Compagnie des
Indes, qui en firent leur entrepôt, voulaient rappeler
par ce nom leurs expéditions, alors tant plus lointaines
qu'aujourd'hui, sinon dans la réalité au moins dans les
rêves de l'&me. Par ces temps de navigation accélérée
et de Philéas Fog mÂles et femelles, où donc trouver
encore le bout du monde t
En ce Lorient nous relâchons un jour, au mouillage
dans la paix d'une grande rade oti dorment, comme
fauves endormis, des torpilleurs. Sous l'immense chrysa-
lide d'une cÂle on travaille au cuirassé Brennus, depuis
huit ans sur chantier, destiné peut^tre, comme tant
d'autres, à n'être plus qn'une vieillerie le jour oti on
le lancera. Tant vont vite, en ce siècle, les inventions
humaines, tant tout ce qui naît porte déjà les signes de
la mort, ainsi qu'il faut dans les périodes transitoires
dont les descentes vertigineuses mènent aux remanie-
ments sociaux.
En route pour Brest, avec escale méridienne à Beno-
det, charmante solitude côtière à l'entrée de la rivière
de Quimper. Elles se répètent ici ces rivières, larges
comme des fleuves, courtes comme des ruisseaux, sans
importance sur les cartes, aux noms mal retenus. C'est
l'océan, non les eaux intérieures, qui les forme. Ce sont
des baies allongées, des fiords aux rives encaissées et ver-
doyantes, où les marées tracassières entrent toutes les
douze heures, refoulant le courant qui sans elles ne
serait qu'un maigre filet, et créant des voies que les
navires de mer remontent.
En route. Emouvant après-midi par forte brise et
mer tourmentée, bourgeonnante d'écueils. Il s'agit de
franchir le Raz-de-Sein, de sinistre renommée, Itfponr-
voyeur séculaire de la baie des Trépassés, vaste cime-
tière }iquide enserré dans un demi-cercle de roches
décharnées, hautes et jaunes, servant de piédestal au
village de Plogoff, jadis^ repaire de chasseurs d'épaves
qui, les nuits d'orage, pendaient des lanternes à la
queue de leurs vaches, leur entravant un pied pour les
faire boiter et les chassaient à la côte, pour donner aux
navigateurs inquiets dans les nuits sans lune l'illusion
de parages sûrs, fréquentés par les navires; ils allaient
droit au terrible raz qui les chavirait, les absorbait et
les rendait en cadavres et en débris sur le rivage des
Trépassés.
Maintenant des phares sont là, dans la solitude marine,
droits sur les rocs, des balises ballottées sur leurs chaînes
d'ancrage. Tout cela veille impassible, avertit avec des
L'ART MODERNE
253
attitades figées et des gestes sévères contre la mer qui
se tord et ronfle autour d'eux, avide comme autrefois,
comme autrefois aussi réussissant parfois un naufrage,
mais ne rassasiant plus son appétit féroce de catastro-
phes et faisant chômer la baie des Trépassés.
Nous passons le lugubre détroit, avec, en nos esprits,
ces souvenirs. "L'Eclair se secoue comme un cheval que
gène le mors. Il entre en grinçant dans des lames à aspect
bisarre et sournois, promptes et menaçantes. Quel-
ques-unes lui sautent à la tête et parviennent à noyer son
pont de ces lourds coups d'eau qui balaient, allant et
revenant, tapageurs et brisant, de l'avant à l'arrière,
de l'arrière à l'avant. Le brave petit navire se secoue
et surnage, ne cessant pas un instant le rythmique
ronron de sa souple machine.
C'est fini. Le Mael-Stroom breton est ûtmcbi. Nous
voguons rapidement vers les superbes roches des Petits-
Pois et des Toulinguets qui font, de ce côté, de si
wagnériens portiques à l'entrée de la rade de Brest. En
passant à les toucher, notre pilote fait jouer la sirène
à vapeur : ses appels ranques et désespérés emplissent
l'atmosphère et sur les écueils se lèvent effarés des mil-
liers d'oiseaux déjà réfugiés, car la nuit commence à téné-
brer. Ils tournoient avec des cris aigus d'épouvante,
les goélands, les cormorans, les mouettes, tandis que
des marsouins, en chasse de sardines, bondissent tout
à coup au dessus des vagues comme s'ils venaient voir
ce que c'est.
(A continuer.)
LES ARCHITECTES AU CONSEIL COMMUNAL
Après trois mois de polémique dans les journaux et de discus-
sions passionnées dans le public, le Conseil communal de
Bruxelles s'est enfin occupé, dans sa séance du 6 juillet, de la
question fameuse des mlts électriques de la Grand'place (voir Art
moderne, 1891, u»* 16 et 31); après un exposé lucide de l'affiiire
présenté par M. Richald et des considérations justes développées
par M. Lepage, la défense des procédés étranges de la Section des
Beaux-Arts, que le Collège soutient encore malgré la réprobation
unanime des artistes, n'a guère eu de succès, et le Conseil, enfin
éclairé, a décidé que les primes seraient payées aux auteurs des
projets Preilo et Fiat Lux, classés premier et second par le jury,
et qu'il serait fait une exposition de tous les projets. Ce sont pré-
cisément les conclusions que nous avons défendues dès le premier
jour et que nous sommes heureux de voir adopter il la suite de la
campagne que nous avons menée en faveur des droits méconnus
des artistes; nous ne doutons pas du mérite des œuvres primées
de M. Acker et de H. S'Jonghers, et nous y reviendrons en les
examinant, ainsi que les autres projets présentés au concours,
lors de l'Exposition qui sera ouverte à l'Académie des Beaux-Arts,
du 15 au 26aûot.
Depuis quelque temps il ne se passe pas de séance qu'un ou
plusieurs conseillers ne tombent à bras raccourcis sur les
architectes, prétextant qu'ils dépassent leurs devis de 30, 40
et 80 °/« (!!)> que la Ville, d'après M. AUard, a toujours été velée,
oui volée (III), et qu'il faut faire saisie sur les biens meubles et
immeubles des arcbilectes, pour rembourser la Ville des supplé-
ments qu'elle a eu prétendument ii payer. MM. les conseillers ont
l'indignation et les malédictions d'autant plus abondantes qu'il ne
se trouve personne de compétent au Conseil pour leur répondre,
faire la part des retpontabilitét et rétablir, dans leur intégrale
vérité, des faits qu'une phraséologie creuse lente d'embrouiller.
Heureusement la vaillante Société centrale d! architecture veille,
et, en attendant qu'un membre de la corporation puisse siéger au
Conseil, elle ne laisse passer aucune occasion de réfuter les asser-
tions erronées et de demander la lumière sur toutëb choses : c'est
ainsi qu'elle vient de réclamer une enquête sur les légendes que
l'on tente do répandre dans le public, et elle l'appuie des raisons
suivantes qui nous paraissent convaincantes :
« Il est une autre chose sur laquelle nous désirerions que
« lumière fût faite aussi complètement que possible. M. Lepage,
« en effet, a dit qu'en général tous les devis étaient dépassés de
« trente, quarante et mémo quatre-vingts pour cent. Nous dési-
« rerions savoir si toutes les majorations, dont l'honorable
« conseiller a cité quelques exemples, sont imputables aux archi-
« tectes, si souvent, pour ne pas dire toujours, ce n'est pas dans
« le cours des travaux que l'architecte est invité i produire des
a devis complémentaires. Cependant, plus tard, on le rend respon-
« sable d'une situation qu'il n'a pas créée. Il arrive encore que le
« Collège, lorsqu'il propose au Conseil une construction, ne s'est
« pat rendu un compte exact de l'importance de la dépense à faire,
« que l'architecte n'est pas chargé de prévoir, dans les chiffres
« soumis au Conseil, tous les travaux; ce dernier croit cependant
« que la somme consacrée à la construction proprement dite, doit
a. répondre à tous les besoins ultérieurs d'éclairage, de chauffage,
a d'ameublement, etc., etc., et, iila cidiure des comptes, l'archi-
« lecte est encore accusé d^avoir dépassé ses prévisions.
I Quoi qu'il en soil, notre Société, estimant qu'il est de l'intérêt
« de tous que les responsabilités soient entièrement établies, et
« convaincue qu'il est temps d'en finir avec une réputation qui est
« de nature k jeter la déconsidération sur tous les architectes,
« vient vous prier. Messieurs, d'établir, par tels moyens que vous
« jugerez convenables, quels sont les édifices, construits pour la
« Ville, où les devis ont été si notablement dépassés; pour quelles
« causes ces majorations ont dû être accordées et pourquoi les
« abus, s'il y en a eu, n'ont pas été signalés à l'époque même où
a ils se sont produits ; enfin, si toujours la responsabilité de
« l'architecte est entière dans ces cas de majoration. Elle réclame
« de votre impartialité que vous fassiez cette enquête et que vous
« vouliez l'étendre aux édifices construits sous les ordres de vos
« bureaux techniques; elle est désireuse de connailrc si, dans ce
« cas non plus, les devis n'ont jamais été dépassés.
« Nous en attendrons les résultats pour répondre à la conclu-
« sion du discours de M. Allard, qui nous a vivement impres-
« sionnés. Ces regrettables paroles atteignent toute la corporation
« des architectes. Tous ont intérêt à savoir s'il en est qui méritent
« le reproche grave que leur a adressé ce conseiller; il est désirable
« que le doute ne puisse atteindre toutes les personnes apparte-
« nant à notre profession. Celte enquête seule pourra prouver si
tt les allégations de M. Allard sont exactes. »
II n'est que juste qu'avant d'être condamnés, les architectes
soient mis en possession de statistiques qui établissent la part de
^— i"-^;^vt*.
254
L'ART MODERNE
responsabilité de chacun ; aussi appuions-nons la demande forr
maléf par la Société centrale d'ardtiUcture.
* «
Un certain désarroi semble présider aux décisions prises par
les conseillrrs dont les idées paraissent ne, pas avoir beaucoup de
suite depuis quelque temps; c'est ainsi que le Conseil vient de
renvoyer aux sections le projet d'école de l'impasse Canivet, et
cela parce qu'un conseillrr trouve qne 700,000 francs c'est trop
cher et qu'on doit pouvoir la eonstmire pour 300,000 1 ! Remar-
quez qne ce projet est étudié depuis cinq ou six ans, qu'il prévoit
des places pour 1100 enfants, que la dépense est établie dans des
conditions absolument normales, qu'il a été épluché, discuté,
approuvé par les sections compétentes ; il n'y avait donc plus
qu'il voter la construction attendue depuis longtemps dans le
quartier de la rue Haote; une simple observation remet tout en
question et enterre le projet pour plusieurs années ! Qne dire de
tout cela !
Un comble, avoué par l'échevin de l'Instruction publique :
l'école sera, pour cause d'économie, chauffée par des poilu en
fonte, moyen anti-hygiénique condamné depuis l'emploi si rai-
sonné du système des calorifères ii eau chaude et à circulation de
vapeur : est-ce lit le fait d'une adminUtration attevlive et pré-
voyante, comme l'a écrit M. Buis ?
*
« *
Autre solution regrettable relative i la transformation du
marché de la Madeleine en salle de fêles. Le Collège, en comité
secret, avait proposé de confier ce travail, montant à 300,000 fr.,
i un architecte de son choix : les conseillers, dont la propagande
en faveur des concours publics commence à ouvrir les yeux, se
refusent à prêter les mains ii un nouvel acte de favoritisme et
ont décidé la mise au concours du projet de salle de fêtes. Il n'y
avait plus qu'à se conformer i ce vole et cela sans relard, afin de
répondre aux vœux répétés de la Société Bruxelles-Attractions ;
le Collège dépilé en a jugé autrement, et semblable en cela aux
gosses auxquels on refuse un bonbon et s'écrient : u Je ne joue
plus avec, na ! », il a résolu d'enterrer l'affaire et de ne pins
parler de salle de fôies.
Est-ce h la façon d'agir d'une administration attentive et pré-
voyante ?
En qualité de « journalistes-amateurs » mais dans le sens de
critiques indépendants tels que nous l'avons défini, nous atten-
dons une réponse à ces diverses questions d'intérêt aussi artis-
tique que communal.
BEAUCOUP DE BRUIT POUR UNE LETTRE
Des commentaires nombreux ont persillé la presse quotidienne
à l'endroit d'une lellrc de M. Buis, publiée, ici, dimanche dernier.
Les journaux trouvent l'attitude du bourgmestre à leur égard hau-
taine et choquante. Comment, alors qu'il refuse de répondre à
n'importe quels articles émanés des quotidiens, se donne-t-il la
peine d'adresser des rcclificaiions à un simple hebdomadaire, qui
ne peut lui être utile en rien, qui ne soutient aucune candida-
ture, qui n'est d'aucun parti, qui n'est lu que par un nombre res-
treint d'électeurs — les artistes ne l'étant généralement point —
qui n'a qu'une innucncc vague dans le domaine de telles et telles
idées, que les quotidiens considèrent comme de la menue mon-
naie de texte, à insérer entre un décès et un fait divers quand la
copie manque.
Noos interprélona eeU« aeeplion qii« M. Bob a voula &lre —
disons, en notre faveur — de la manière la ploa Bimple. Et
d'abord iooiile d'inprimer que noua n'en tirons ancnne vanité;
répondre k une gazette nous parait la chose la plus élémentaire
et tout écrit a droit en quelque sorte, a priori, k l'attention et k
la prise en considération de chacune de ses affirmations par cha-
cune des autorités d'une ville oa i^n gouvernement. Si celles-ci
se lassent et dédaignent d'y réptf^dre chez nous, c'est qne notre
presse — ii part quelques jonnmni que chacun pourrait désigner
— les dégoûte. Biles ont raison.
Quand on lit tes quotidiens bdgps, on reste étonné de la mes-
quinerie qui pend comme des baillons an long des articles, de la
futilité qui les rapetisae, de la souvent manvaise foi cancéreuse
qui les ronge, de la haine petite qu'ils pisaent et de la médiocrité
incurable et universelle qu lia jwHwl. -Cela eal vrai k Id poinr
que si dans sa réprobation des quotidiens, M. Bob n'avait visé
que les feuilles catholiques, toutes les libérales auraient imprimé
que c'était bien fait, et, au cas contraire, les cléricales eussent
exulté. La question clérico-Iibérale, qui semble s'éloigner des
préoccupations de tout homme pas béte, bourre encore de son
étonpe les yenx, soi-disant de lynx, de la plupart des journalistes
belges. Tout est encore, pour eux, estampillé soit d'one'eroiz, soit
d'nn triangle. Et ces deux signes déterminent tout jugement dans
l'un ou dans l'autre sens. El l'on se jette k la léte les mots les plus
boueux : torchon, feuille qu'on. ne nomme paa, rognure, moniteur
des trottoirs, dictionnaire des lupanars, journal de poilières, que
sais-je?
Nous nous sommes souvent demandé, quel jugement devai'
porter, sur la presse belge, tel lecteur qui' mange, chaque jour,
aux deux râteliers, le catholique et le libéral. A voir les uns
traiter les autres d'infâmeset les autres injurier les uns de canailles,
ce bénévole lecteur doit avoir de l'ensemble une idée toute de
choix.
Et encore si toutes ces colères et même ces injures volaient
dans l'air autour d'une question vraiment passionnante et haussée
jusqu'à tel étage des opinions humaines. Ou moins encore, si l'on
sentait la sincérité dans la rage, la conviction dans l'invective, la
violence rouge et crue. Ou moins encore, si l'on parvenait k
oublier qne telle insulte n'est qu'une réponse k telle raacnne per-
sonnelle et ne s'adresse, la plupart du temps, qu\ un monsieur,
sans jamais s'adresser k telle idée du même monsieur.
Chez nous on ne polémique jamais sans se diminuer tons les
deux.
Tels écrivains de presse ne semblent penser que pour qu'un
farocrate de l'estaminet des u Trois perdrix » affirme : « c'est
tapé ». Tel autre résont une question par nn calembour. Tel
encore mêle do marollien k son style et croit écrire pour les
masses. En voici un qui s'est fait la spécialité des chroniques où
ne semblent s'agiter jamais que des intérêts de faubourgs.
Si M. Buis affirme qu'aux yeux d'nn tel, un bourgmestre ou un
ministre fait mal toujours, immanquablement, fatalement, il dit
vrai. Si Louis Veuillot croyait qu'un journal est une machine de
guerre, d'autres de ses confrères croient que c'est une machine
k vidange.
Ces derniers jours an parlement M. Janson s'écriait : « Si le
Patriote imprimait que j'ai assassiné quelqu'un en cette chambre,
je ne me défendrais pas».
En telle circonstance, nous croyons fort que M. Buis doit être
d'accord avec M. Janson.
»■''
''^:;^^^:^r^'. •■■■
L'ÂttT MODERNE
255
riSTIVAL FINDT A BLANKSNBlRaHS
(Cormpmdtmet particulière de l'Ait hodunb.'^
H. Jolei Goeliaek, qui dirige l'orcheslre de Blankenberghe avec
le aonci de « faire de la musique », avait eu l'idée d'inviler M. Vin-
cent d'iody à venir ooadaire, au Catino, un concert eiclusivc-
ment consacré b ses œuvres. Ce concert a eu lieu lundi deraier.
Il a affirmé, ue fois de plus, la mattriae du coaspoaileur qui
ooe«pe«« F^Boe, depais la mort de César Franck, inoontestable-
nrat le premier rang.
C'était la première fois qu'on donnait en Belgique un festival
ettièreanent composé de ses morceaux symphoniques. M. d'tody
a figaré, oa h sait, k piasiears reprises m» proframmes ^s
Concerts populaires, des comerts des XX et des anditions don-
nées au Conservatoire par l'Associalion des professeurs d'instru-
ments k vent. Hais le festival de Blankenberghe — et l'honncar
«■ revient k M. Goetinck — a fourni au musicien l'occasion de se
taire apprécier dans nn ensemble de compositions qui ont fait
vivement ressortir la diversité d'un talent merveilleasement sou-
ple, qui passe (our k tour des tons les plus riches aux' nuances
les plus délicates.
SaugtfUurie, la Symphonie avec piano, la Fantaisie pour
orehatre et hautboii — les gros morceaux de cette audition
exceptionnelle — décèlent particulièrement celte variété d'inspi-
ratiOB, dont la richesse et le charme poétique sont servis par
l'ifistnimentation la plus fouillée, la plus originale, la mieux
appropriée au développement de la pensée musicale. El k o6té de
ces compositions de grande envergure, des œuvres plus courtes,
mais absolument charmantes et personnelles, le Lied pour vio-
celle, la Sarabande et le Menuet extraits de la Suite pour trom-
pette, et enfin trois morceaux empruntés k la panition que vient
d'achever, le jeune mattre pour un drame breton, Karaiec
(entr'actes et musique de scène), ont complété la physionomie
multiple et toujours attirante du musicien.
Dans celte dernière œuvre, jouée pour la première fois en BeJ-
giqne, M. Vincent d'Indy a utilisé des motifs populaires de Bre'lP'
gne qu'il a ingénieusement développés et sertis. L'un d'eux,
eiposé par le hauibois, évoque la grâce un peu balourde d'un
cortège nuptial campagnard. Le compositeur a biti sur ce thème
une œtrvretle pittoresque d'une originalité extrême qui a galment
terminé on concert où se sont succédé les impressions artistiques
les plus diverses, toutes d'une intensKé rare.
Nous adressons !i l'orchestre di; M. Goetinck nos félicitations
pour l'interprétation qu'il a donnée, sous la direction de
l'auteur, de ces œuvres difficiles. Les fonctions d'instrumentiste
dans les villes d'eaux n'est pas une sinécure. On répète dès huit
heures du matin. L'après-midi ont lieu les concerts-promenades
du Casino. Le soir, les grands concerts ou les bals, pour lesquels
l'orchestre est requis. Malgré ce labeur, les musiciens de Blan-
kenberghe, enthousiasmé» par les œuvres qu'ils avaient k exécuter
et ravis de la direction intelligente ot sûre de leur chef, ont
accordé k M. Vincent dinriy une atieniion soutenue ei se sont
montré pénétrés du souci de bien faire. Ils en ont été récompensés
par Texcellente impression produite sur les musiciens et esthètes
présents, impression que tous onl hautement manifestée.
Quant aux solistes, ils ont été tous trois à li hauteur de ee
qu'on attendait d'eux. Nul ne joue mieux du hautbois que
M. GuillauiM Guidé, dont le phrasé et le sentiment délicat onl élé
maintes fois applaudis. M. Lucien Tonnelier a joué en musicien
et en virtuose accompli la partie de piano de la Symphonie. H a
eu la modestie, rare chez les pianistes, de ne pas jouer de solo
dans 00 concert exclusivement sympbooique, afin de lui garder
intégralement le caractère qu'avait voulu lui donner l'auteur.
Quant k M. Henri Merck, violoncelle solo de l'orchestre, il a
interprété le Lied de M. dindy avec beaucoup de talent, révélant
sous le virtuose un musicien et un artiste.
Quelques appréciations de M. A. Bredius
SUR LE MUSÉE DE BRUXELLES
Nous avons déjk publié l'appréciation de M. Bredius sur le
Rembrandt du Musée (voir Art moderne, n* 30).
Voici ce qu'il dit du Lucas de Leyden acheté 11,000 francs et
du Rabens payé 34,000 francs.
Ldcas van LEYimN <T) La danse de Madeleine. Copie au pin-
ceau très médiocre d'une gravure connue de cet artiste, el peinte
postérieurement k son époque. Pendant le xvi* siècle, on s'est
souvent servi des estampes de Lucas van Leyden pour faire des
tableaux. Celui en question porte partout des traces d'une main
faible, copiant péniblement la gravure.
RiniENS. La Chasse de Diane. Celui qui, comme moi, a vu
souvent el examiné à fond celle belle chasse de Rubens, Si Madrid,
ne reconiiattra pas dans celle prétendue esquisse, sous nos yeux,
la main de Rubens, mais celle d'un médiocre copiste. Les figures
surtout sont extrêmement faibles. Payer 24,000 francs pour une
a esquisse », oe n'est vraiment pas peu de chose.
ENQIÊTE SUR L'ÉVOICTION IITTÉRAIRE
Nous choisissons dans les interviews publi(<s dans VEcho de
Paris par N. Jules Huret quelques-uns des plus caraiérisiiques :
ceux de MM. Stéphane Mallaumé, Emile Zola, Octave Mirbeau,
Charles Henry, pris dans les groupes d'écrivains les plus opposés,
symbolistes, naturalistes, néo-réalistes, théoriciens-philosophes,
lis résument ueitement le mouvemenl littéraire coniemporain et
demeurent pour l'histoire de l'art un document précieux. Nous
rappelons celui de notre collaborajeur Edmond Picard, paru dans
noire n" 24 du 14 juin 1891.
If. STÉPHANi: MALLARMÉ
L'un des littérateurs les plus généralcraenl ainiés du monde des
lettres, avec Catulle Mendès. Taille moyenne, barbe grisonnante,
taillée en pointe, un grand nez droit, des oreilles longues et poin-
tues de satyre, des yeux largement fendus, brillant d'un éclat
extraordinaire, une singulière expression de finesse tempérée par
un grand air de bonté. Quand il parle, le geste accompagne tou-
jours la parole, un geste nombreux, plein de grSce, de précision,
d'éloquence ; la voix traîne un peu sur les fins de mois en s'adou-
cissant graduellement : un charme puissant se dégage de l'homme,
en qui 1 on devine un immarcessible orgueil, planant au-dessus de
tout, un orgueil de dieu ou d'illuminé devant lequel il faut tout do
suite intérieurement s'incliner, — quand on l'a compris.
— Nous assistons, en ce moment, k un spéciale vraiment extra-
ordinaire, unique dans loute l'histoire de la poésie : chaque
poète allant, dans son coin, jouer sur une flûte, bien à lui, les
airs qu'il lui plaît; pour la première fois, depuis le commence-
ment les poètes ne chantent plus au lutrin. Jusqu'ici, n'est-ce pas,
il fallait, pour s'accompagner, les grandes orgues du mètre officiel.
256
L'ART MODERNE
El bien, on en a trop joué, et on s'en est Usaé. En mourant, le
grand Hugo, j'en sais bien sAr, élail penoadé qn'il avait enieiré
toute poésie ponr un siècle ; et, pourtant, Paul Veriaioe avait d^
écrit Sageue ; on peut pardonner celle illusion k celui qui a tant
accompli de miracles, mais il comptait sans l'étemel instinct, la
perpéinelle et inéluclable poussée Ivriqne. Sartont, il lui man-
quait cette notion indubitable : que, dans une société sans stabi-
lité, sans unité, il ne peut se créer d'art stable, d'art définitif. De
cette organisation sociale inachevée, qui explique en même temps
l'inquiétude des esprits, natt l'inexpliqué besoin d'individualité
dont les roanifestalions littéraires présentes sont le reflet direct.
Plus immédiatement, ce qui explique les récentes innovalions,
c'est qu'on a compris que l'ancienne forme du vers était non pas
la forme absolue, unique et immuable, mais un moyen de bire k
coup sûr de bons vers. On dit aux enfants : « Ne volez pas, voos
serez honnêtes ! ■> C'est vrai, mais ce n'est pas tout ; en dehors
des préceptes consacrés, est-il possible de faire de la poésieT On
a pensé que oui et. je crois qu'on a eu raison. Le vers eal partoal
dans la langue oh il ; a rythme, partout, excepté dans les affiches
et à la quatrième page des journaux. Dans le genre appelé prose,
il y a des vers, quelquefois admirables, de tous rythmes. Mais,
en vérité, il n'y a pas de prose : il y a l'alphabet, et puis des vers
plus ou moins serrés, plus ou moins diffus. Toutes les fois qu'il y
a effort au style, il y a versification.
Je vous ai dit tout i l'heure que si on en est arrivé an vers
actuel, c'est surtout qu'on est las du vers officiel; ses partisans
mêmes partagent cette lassitude. N'est-ce pas quelque chose de
très anormal qu'en ouvrant n'importe quel livre de poésie on soit
sûr des rythmes uniformes et convenus là oh l'on prétend, au
contraire, nous intéresser à l'essentielle variété des sentiments
humains! Où est l'inspiration, où est l'imprévu, et quelle fatigue!
Le vers officiel ne doit servir que dans des moments de crise de
l'âme; les poètes actuels l'ont bien compris; avec un sentiment
de réserve très délicat ils ont erré autour, en ont approché avec
une singulière timidité, on dirait quelque effroi, et, au lieu d'en
faire leur principe et leur point de départ, tout à coup l'ont fait
surgir comme le couronnement du poème ou de la, période!
D'ailleurs, en musique, la même transformation s'est produite :
aux mélodies d'autrefois très dessinées succède une infinité de
mélodies brisées qui enrichissent le tissu sans qu'on sente la
cadence aussi fortement marquée.
— C'est bien de là, — demandai-je — qu'est venue la scission ?
— Mais oui. Les Parnassiens, amoureux du vers très strict,
beau par lui-même, n'ont pas vu qu'il n'y avait là qu'an effort
complétant le leur ; effort qui avait en même temps cet avantage
de créer une sorte d'inlerr^e du grand vers harassé et qui
demandait grâce. Car il faut qu'on sache que les essais des derniers
venus ne tendent pas à supprimer le grand vers; ils tendent à
mettre plus d'air dans le poème, à créer une sorte de fluidité, de
raobililé entre les vers de grand jet, qui leur manquait un peu
jusqu'ici. On entend tout d'un coup dans les orchestres de très
beanx éclats de cuivre ; mai* on sent très bien que s'il n'y avait
que cela, on s'en fatiguerait vite. Les jeunes espacent ces grands
traits pour ne les faire apparaître qu'au moment où ils doivent
produire l'effet total : c'est ainsi que l'alexandrin, que personne
n'a inventé et qui a jailli tout seul de l'instrument de la langue,
au lieu de demeurer maniaque et sédentaire comme à présent,
sera désormais plus imprévu, plus aéré; il prendra la valeur de
n'être employé que dans les mouvements graves de l'âme. Et le
volume de la poésie future sera celui à travers lequel courra le
gr^nd vers initial avec une infinité de motifs empruntés à l'ouïe
individuelle.
Il y a donc scission par inconscience de part et d'autre que les
efforts peuvent se rejoindre plutôt qu'ils ne se détruisent. Car, si,
d'un côté, les Parnassiens ont été, en effet, les absolus serviteurs
du vers, y sacrifiant jusqu'à leur personnalité, les jeunes gens ont
tiré directement leur instinct des musiques, comme s'il n'y avait
rien eu auparavant ; mais ils ne font qu'espacer le raidùsement,
la construction parnassienne, et, selon moi, les deux efforts peu-
vent se compléter.
Ces opinions ne m'empêchent pas de croire, personnellement,
qu'avec la merveilleuse science dn ver*, l'art suprême des eoopea
que poaaèdeni des maître* comme Banville, l'aleiandrin peal
arriver à une variété infinie, suivre Ions les moaTemenit de pas-
sion pMMble : It Forgeron de Banville, par exemple, a det.aleiaii-
drins interminables, et d'autres, au contraire, d'une invraisem-
blable concision. Seulement, cet ittstrnmenl si parfiùi, et dont on
a peut-être un peu trop usé, il n'était pas mauvais qn'il se rcpostt,
vraiment.
— Voilà pour la forme, dis-je à H. Stéphane Mallarmé. Et le
fond?
— Je crois, me répondit-il, que, quant au fond, les jeunes sont
plus près de l'idéal poétique que les Parnassiens qui traitent
encore leurs sujets à la fiKon des vieux philosophes et des rieux
rhéteurs, en présentant les objets direclement. Je pense qu'il but,
au contraire, qu'il n'y ait qu'allusion. La contemplation des
objeu, l'image s'envolant des rêverie* suscitées par eux, sont le
chant : les Parnassiens, eus, pranacot lachoaa eaiiteinent et la
moBtmit; par là ils maM[wat de mystère; ils retirent aux espriu
cette joie délicieuse de croire aulïs créent. Nommer nn objet,
c'est supprimer les trois quarts de la jouissance dn poème qui est
faite du bonheur de deviner peu k peu ; le suggérer, voilk le rêve.
C'est le parfait usage de ce mystère qui constitue le symbo-
lisme : évoquer petit à petit un objet ponr montrer nn état d'ime,
ou, inversement, choisir un objet et en dégager nn élat d'àme,
par une série de déchiffrements.
— Nous approchons ici, dis-je au maître, d'une grosse objec-
tion que j'avais à vous faire... L'obscurité.
— Cesl, en effet, également dangereux, me répondit-il, soit
que l'obscurité vienne de l'insuffisance du lecteur, ou de celle du
poète... mais c'est tricher que d'éluder ce travail. Qne si nn être
d'une intelligence moyenne, et d'une préparation littéraire insuffi-
sante, ouvre par hasard un livre ainsi bit et prétend en jouir, il
y a malentendu, il faut remettre les choses à leur place. Il doit y
avoir toujours énigme en poésie, et c'est le but de la littérature,
— il n'y en a pas d'autres, — d'évoquer le* objets.
— C'est vous, maître, demandai-je, — qui avei créé le
mouvement nouveau T
— J'abomine les écoles, dit-il, et tout ce qui y ressemble; je
répugne à tout ce qui est professoral appliqué à la littérature qui,
elle, au contraire, est tout à fait individuelle. Pour moi, le cas
d'un poêle, en cette société qui ne lui permet pas de vivre, c'est
le cas d'un homme qui s'isole pour sculpter son propre tombeau.
Ce qui m'a donné l'attitude de chef d'école, c'est, d'abord, que je
me suis toujours intéressé aux idées des jeunes gens ; c'est ensuite,
sans doute, ma sincérité à reconnaître ce qu'il y avait de nouveau
dans l'apport des derniers venus. Car moi. au fond, je suis un
solitaire, je crois que la poésie est faite pour le fosie et les pompes
suprêmes d'une société constituée où aurait sa place la gloire dont
les gens semblent avoir perdu la notion. L'attitude du poète dans
une époque comme celle-ci, où il est en grève contre la société,
e^ de mettre de côté tons les moyens viciés qui peuvent s'offiir à
lui. Tout ce qu'on peut lui proposer est inférieur à sa conception
et à son travail secret.
Je demande'à H. Mallarmé quelle place revient à Verlaine dans
l'histoire du mouvement poétique.
— C'est lui le premier qui a réagi contre l'impeccabilité et
l'impassibilité parnassiennes; il a apporté, dans Sageue, son vers
fluide, avec, déjà, des dissonnances voulues. Plus tard, vers 1875,'
mon Apris-midi £un faune, à part quelques amis, comme Mendès
et Dierx, fit hurler le Parnasse tout entier, et le morceau fut rejusé
avec un grand ensemble. J'y essayais, en effet, de mettre, à côté
de l'alexandrin dans toute sa tenue, une sorte de jeu courant
pianoté autour, comme qui dirait d'un accompagnement musical
fait par le poète lui-même et ne permettant au vers officiel de ne .'\
sortir que dans les grandes occasions. Mais le père, le vrai père
de tous les Jeunes, c'est Verlaine, le magnifique Verlaine dont je
trouve l'attitude comme homme aussi belle vraiment que comme
écrivain, parce que c'est la seule, dans une époque où le poète
est hors la loi, qui peut faire accepter toutes les douleurs avec
une telle hauteur et une aussi superbe crânerie.
L'ART MODERNE
257
— Que pensez-vous de la fin du naturalisme?
— L'enfantillage de la liitéralure jusqu'ici a élé de croire, par
exemple, que choisir un certain nombre de pierres précieuses et
en mettre les noms sur le papier, même très bien, c'était faire des
pierres précieuses. Eh bien, non ! La poésie consistant à crier, il
faut prendre dans l'ftme humaine des états, des lueurs d'une
pureté si absolue que, bien chantés et bien mis en lumière, cela
constitue en effet les joyaux de l'homme : lâ, il y a symbole, il y
a création, et le mot poésie a ici son sens : c'est, en somme, la
seule création humaine possible. Et si, véritablement, les pierres
précieuses dont on se pare ne manifestent pas un état d'Ame,
c'est indûment qu'on s'en pare... La femme, par exemple, cette
éternelle voleuse...
Et tenez, ajoute mon interlocuteur en riant à moitié, ce qu'il y
a d'admirable dans les magasins de nouveautés, c'est de nous
>voir révélé, par le commissaire de police, que la femme se parait
indûment de ce dont elle ne savait pas le sens.caché, et qui ne
lui appartient par conséquent pas...
Pour en revenir au naturalisme, il me parait qu'il faut entendre
par là la littérature d'Emile Zola, et que le mot mourra en effet,
quand Zola aura achevé son œuvre. J'ai une grande admiration
pour Zola. Il a fait moins, à vrai dire, de véritable littérature que
de l'art évocatoire, en se servant, le moins qu'il est possible, des
éléments littéraires; il a pris les mots, c'est vrai, mais c'est tout ;
le reste provient de sa merveilleuse organisation et se répercute
tout de suite dans l'esprit de la foule. Il a vraiment des qualités
puissantes; son sens inouï de la vie, ses mouvements de foule, la
peau de Nana, dont nous avons tous caressé le grain, tout cela
peint en de prodigieux lavis, c'est l'œuvre d'une organisation
. vraiment admirable! Mais la littérature a quelque chose de plus
intellectuel que cela : les choses existent, nous n'avons pas à les
créer; nous n'avons qu'à en saisir les rapports; et ce sont les fils
de ces rapports qui forment les vers et les orchestres.
— Connaissez-vous les psychologues?
— Un peu. Il me semble qu'après les grandes œuvres de
Flaubert, des Concourt et de Zola, qui sont des sortes de poèmes,
on en est revenu aujourd'hui au vieux goût français du siècle
dernier, beaucoup plus humble et modeste, qui consiste non à
prendre â la peinture ses moyens pour montrer la forme extérieure
des choses, mais k disséquer les motifs de l'Âme humaine. Hais
il y a, entre cela et la poésie, la même différence qu'il y a entre
un corset et une belle gorge...
Je demandai, avant de partir, à H. Mallarmé, les noms de ceux
qui représentent, selon lui, l'évolution poétique actuelle.
— Les jeunes gens, me répondit-il, qui me semblent avoir fait
œuvre de maîtrise, c'est-à-dire œuvre originale, ne se rattachant
à rien d'antérieur, c'est Morice, Moréas, un délicieux chanteur,
et, surtout, celui qui a donné jusqu'ici le plus fort coup d'épaule,
Henri de Régnier, qui, comme de Vigny, vil là-bas, un peu loin,
dans la retraite et le silence, et devant qui je m'incline avec
admiration. Son dernier livre : Poèmes aticient el romanesques,
est'un pur chef-d'œuvre.
— Au fond, voyez-vous, me dit le maître en me serrant la
main, le monde es-t fait pour aboutir à un beau livre.
Petite chro/^ique
L'ouverture du Salon triennal de celle année, de la Société
royale i encouragement des Beaux- Arts, fondée à Anvers en
1788, a eu lieu hier, 8 août.
LeTfrSoût prochain s'ouvrira à Vcrviers une exposition de
peinture qui promet d'être fort intéressante.
Au nombre des artistes dont les œuvres figureront à cette expo-
sition, nous remarquons : MM. Baron, Evariste Carpcnticr, Claus,
J. Coosemans, César De Cock, Franz Courtens, Crjbeels, Hage-
mans, Marcette, Heymans, Isidore Meyers, Rossecls, Jan Siob-
bacrts, Vanaise, T. Vcrstraetc, Van Sevcrdonck, etc., cic.
Et parmi les jeunes: MM. Fernand Khnopff, Jules du Jardin,
Steppe, Delgouffre, Luyten, M"° Mary Guillou, Van Doren, elc.
Voici les nouvelles que donne l'Indépendance de la prochaine
saison de la Monnaie :
Le Théâtre de la Monnaie fera sa réouverture dans les premiers
jours de septembre, par Roméo et Juliette. M™ de Nuovina
chantera Juliette et H. Lafarge Roméo. L'emploi de falcon,
comme celui de chanteuse légère, aura deux titulaires. M"" Dexter
et Chrétien pour le grand opéra, et M»" Darcelle et M"" Smiths,
pour l'opéra comique. M"" Chrétien débutera dans Robert le
Diable qui servira aussi au début de la première basse, M. Ramat,
et à la rentrée de M. Dupeyron. M"« Darcelle débutera dans la
Rosine du Barbier, el M"» Smilhs, une Américaine à la voix d'or,
élève de l'excellent baryton Bouliy, fera probablemeni sa pre-
mière apparition dans Mireille.
Comme le premier mois est surtout consacré aux débuis de la
nouvelle iroupe, on y reprendra quelques-uns des principaux
ouvrages joués l'année dernière, et notamment Don Juan, où
M. Badiali chantera don Juan et M"° Chrétien dona Anna, et
Obéron, où la nouvelle dugazon, M"« Savine, remplacera
M"* Archaimbaut, et le nouveau contralto, M""= Benendès, chan-
tera Puck. Notons aussi les engagements, comme dugazons, de
MM"" Coroy el Darcelle.
La premierenouveaute.de l'année sera le Rêve de M. Bruneau.
L'auteur de la partition et le romancier du Rêve, Zola, viendront
pour diriger les dernières répétitions. Puis on compte monter la
Cavalleria rusticana de Mascagni, et il est question d'une grosse
entreprise d'art, de VArmide de Gluck. Sans préjudice des
reprises de Lohengrin et de la Flûte enchantée.
Depuis que Jules Chéret, le maître afficheur dont nous avons
signalé l'admirable talent avant que l'on en eût chez nous la
moindre idée, orne les murs de Paris de ses compositions sugges-
tives aux couleurs chatoyantes, le nombre des collectionneurs
d'affiches s'est accru dans des proportions extraordinaires.
Aussi, ne pouvant obtenir les affiches qu'ils désirent, ces col-
lectionneurs n'hésitent pas à employer toutes sortes de moyens,
même délictueux, pour satisfaire leurs goûis artistiques.
Il en est qui suivent les afficheurs et décollent derrière eux les
affiches fraîchement posées; d'autres les détachent du mur en,
coupant tout autour avec un canif très fin ce qui peut les faire
adhérer; d'autres encore s'adressent aux employés de certaines
maisons d'affichage et consentent à payer très cher les affiches
qu'ils convoitent : cela constitue une perle considérable pour les
commerçants qui en sont victimes el l'un d'eux ayant remarqué
que SCS affiches étaient l'objet d'une préférence désastreuse, a
porté plainte entre les mains de M. Dliers, commissaire de police.'
A la suite de l'enquête ouverte, deux mille affiches volées ont
été saisies chez un ancien afficheur et chez un bouquiniste. ■'
L'instruction de cette affaire, confiée à M. Rodai, a révélé lous
les détails d'une organisation complète. Il y a môme une cote des
affiches qui est publiée en secret et envoyée tous les rtiois à un
certain nombre de marchands d'estampes, libraires et bouqui-
nistes qui servent d'intermédiaires. Inutile de dire que les seules
affiches cotées sont signées Chérei. D'après celte cote, les plus
rares et les plus difficiles à avoir sont celles du musée Grévin, du
Courrier Français, du Théâlrophone, elc.
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OWÈHiM Àxaita. — N» 33.
Lb numéro : 86 CENTDdES.
DiMANCHB 16 Août 1891.
L'ART MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVDS ORmQUB DES ARTS ET DE LA LITTÉRATDRE
Comité de rédaction i Octavb MAUS — Edmokd picard — Émilb VERHAEREN
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l'adbunistratiom oénéralb db l'Art Modeime, rue de Plndustrie, 32, Bruxelles.
^OMMAIRE
A Vad la Mih. — Les bepr^sentations de Bayreuth. — Salon
TBncniAi. d' Anvers. — Litolpf. — La Question des McsiEs. Une
restauration dt tableaux. — Le Laid. — Chronique judiciaire des
ARTS. Truquages. — Pktite chronique.
A VAU LA MER
(1)
Cette vie de yachting au petit cabotage, de cap en
cap, à la mode d'Ulysse dans l'Odyssée, à la mode d'Han-
non le Carthaginois en son périple ob ses équipages
stupéfaits, contournant la pointe méridionale de
l'Afrique, virent se lever à leur droite le fulgurant
soleil, qui jusqu'alors s'était levé à leur gauche, a ses
charmes d'école buissonnière, oh! très différents des
grandes joies sévères que donne la navigation au long
cours, la navigation hauturièrk sur la mer où vivent
les monstr^, par un de ces mots de belle race qui pul-
lulent dans le vocabulaire maritime tout entier d'une
crànerie si sonore.
On v(^e quelques heures par jour. On s'arrête dans
un port "au gré de la fantaisie ou du hasard, ce pour-
voyeur d'imprévu, ce mutilateur de voyages convenus,
(IJ Suite. — Voir notre dernier numéro.
ce • constructeur d'itinéraires baroques et savoureux-
On gîte à bord, tout habillé, sur les banquettes, dormant
de ce bon dur profond sommeil dans lequel on descend
par la volonté au lieu d'attendre qu'il vienne. Ici le
bateau est mouillé en pleine rade, isolé, piquant l'ombre
de son fanal blanc, ayant pour horizon une ville « baignant
dans l'eau ses pieds de pierre - . Ailleurs, c'est dans l'an-
fractuosité paisible d'une rivière encaissée. Ailleurs, dans
le bassin d'un grand port, à quai ou contre un autre
navire. Au Havre, nous nous sommes introduits dans
une cale sèche, alors sans occupant ; en est-il beaucoup
qui peuvent dire : j'ai dormi dans une cale sèche? Le
matin, si l'eau est transparente et engageante, on se
donne une douche à l'envers en y piquant sa tète.
Quelle invigorante rusticité! quelle saveur en cet aban-
don du convenu banal, en ce retour aux simplicités!
Nous voici donc au fond de l'immense caverne à ciel
ouvert, repaire de Brest, tapi là avec ses arsenaux, son
râtelier de canons énormes, la gueule à fleur d'eau dans
des embrasures de roc, et son bric-à-brac de choses
maritimes hors d'usage, vaisseaux à trois ponts devenus
hôpitaux, magasins, écoles, frégates historiques déclas-
sées, cuirassés déjà démodés, torpilleurs vieux système,
débris sans nombre, submergeant le neuf e^ faisant
invisible et insaisissable l'actuelle puissance maritime
de la France résidant on ne sait où et en on ne sait quoi.
Le désir vient d'un nettoyage désencombrant ce fouillis
260
L'ART MODERNE
de vieux meubles, sordide friperie navale, et ne réser-
vant que ce qui compte encore.
Sur tout cela, va, vient, court, s'agite en fourmilière
la cohue des marins uniformisés par le béret et la vareuse
bleu-pilote. Dans la rade, circulent en scolopendres,
levant et baissant des pattes d'aviron, les canots-major,
vaquant aux multiples devoirs de la flotte avec des airs
de promenade. Car, en ces heures de désœuvrement et
avec la vue flânante du touriste, comment se figurer les
humains soucis et les humains labeurs sous le spectacle
splendide qui a pour décor le ciel nuageux de cette
Bretagne où abordent toutes les bourrasques atlanti-
ques, et la mer tumultueuse du large mal brisée par les
écueils de la côte, et pour acteurs la multitude affairée
qui, sans trêve, prépare, range, organise les existences
d'un grand port de guerre, bruyante et pourtant silen-
cieuse, tant les proportions gigantesques de l'ensemble
amortissent et calment tout.
Repos d'un jour. Il faut laisser souffler l'Éclair, dit
notre ministériel commandant qui traite son bateau
comme un cheval et passe la main sur l'onctueux poli
des cuivres et des aciers de sa machine, comme un
sportsman sur le satin de l'encolure ou de la croupe
d'un cheval de sang. Car il a dans son cœur de notaire
ce sentiment anglais qui fait traiter un bâtiment de mer
ainsi qu'une personne, qui lui donne un sexe dans une
langue où tout ce qui est inanimé est neutre et qualifie
man ofwar, homme de guerre, les vaisseaux destinés
aux batailles.
Soit. Remplaçons notre plancher mouvant par le
plancher des vaches. Il y a à visiter ce sombre château
qui charge de ses remparts massifs et de ses tours
camuses un roc de même sinistre couleur à l'entrée du
port. Inutile désormais, malgré son air farouche et
menaçant, autant qu'un burgrave cuirassé pour les
croisades. Un seul obus, craché par les monstres de
quatre-vingts quintaux qui peuvent lui donner de leurs
nouvelles à dix kiloaïètres et percent des plaques
d'acier épaisses de deux pieds, trouerait de part en part
ses fragiles murailles sur lesquelles dgi^e hommes d'ar-
mes manœuvraient jadis de front. "***
C'était une des forteresses de ces ducs de Bretagne
dont Henri IV disait, visitant leurs baugâs crénelées :
Ventre-saint-gris, mes cousins de Bretagne n'étaient
pas de petits compagnons ! Nous en avions vu un autre
^ à Nantes, d'un passé aussi formidable, celui où fut
enfermé, durant son procès, le satanique Gilles de Reys,
l'étrange homo duplex qui, après avoir été l'écuyer
préposé à la sauvegarde du pucelage de Jeanne d'Arc,
finit, en son lugubre château de Tiffauge, par d'effroya-
bles pédérasties sur les petits enfants qu'il égorgeait en
plein rut et dont il jetait les corps innocents et souillés,
par centaines, dans les pourrissoirs de son repaire.
Récemment J.-K. Huijsmans, dans Là-Bas, a saisi et
buriné ce type inexplicable, effrayante énigme psycho-
logique dont l'austérité légendaire de chevalier loyal
fut le prélude d'un sadisme byperhumain.
Nous appareillons à l'aube : il faut, pour passer
Ouessant, tâcher d'avoir avec soi le courant qui acconrt
de l'Océan et s'engonfire dans l'entonnoir de la Manche,
montant sur les bords qui l'étranglent des marées de
vingt pieds. Un vent sonore souffle et nous parcourons
rapidement les chemins poissonneux. La mer est dare :
nous filons dans les méandres d'un chaos de rochers,
l'austère cdte bretonne toujours visible, déchiquetée,
aride, achevant dans la désolation cette Europe dont elle
est à l'ouest la finale terre. La pluie, épanchée en obli-
ques averses de grains lourds et gris qui semblent jouer
aux quatre coins dans l'horizon, nous sabre d'heure en
heure et cache sous son momentané déluge la silencieuse
majesté des phares en érection sur les écueils. Le yacht
semble rouler, vas-tu, viens-tu, sur d'indéfinies monta-
gnes russes, avec de longs élans, des chutes brusques,
roulant, tanguant en des déhanchements désordonnés,
impuissants pourtant à nous infliger le mal de mer, car
nous eûmes cette chance, comme si les déesses marines
voyaient nos fantaisies et nos témérités de terriens en
goguette d'un œil favorable. A l'arrière toujours le sil-
lage et ses prestiges, tumultueux, grésillant, qui m'ap-
paralt maintenant tel qu'une évacuation monstrueuse
des entrailles d'un léviathan avalant les flots en tète et
les rendant en tourbillon magique et irisé à l'arrière.
De petites plages à bains, tant mystificatrices en leurs
rudimentaires installations françaises que l'imagination
payée des journalistes boursoufle, se détachent parfois
en grisailles au fond des ciseaux ouverts que font deux
promontoires. Roscoff, entre autres, cher aux peintres,
d'où Théo Van Rysselberghe, l'an dernier, rapporta
quelques œuvres pour les XX Car cette mer tente l'ar-
tiste : plus loin nous reconnaîtrons des sites qu'ont à
jamais fixés Monet et Seurat, ces sorciers qui volent
l'apparence des choses, pareils à ce diable qui vous
ravissait votre ombre, — ces sites où la mer, vue d'un
haut rivage, a de si étranges perspectives montantes et
remue si vivante les ruisselantes pierreries de la cou-
leur.
Le steam-yacht, avec son noir panache, aux curieux
que nos longues-vues découvrent sur l'ourlet côtier, doit
paraître un cigare fumé par quelque cétacé glissant verti-
gineusement à fleur d'eau entraîné par letièdegulf-stream
des mers tropicales vers les glaces polaires. Il passe à
toute vapeur le long des fantastiques roches de Plou-
manac, congrès de mégalosaures, mammouths et plésio-
saures sur les rives des fleuves antédiluviens, en des
attitudes formidables de repos ou de combat, au milieu
de la végétation massive des cryptogames colossaux aux
temps préhistoriques. Et par un soir de magnificence,
sous un ciel éclairci mais où traîne encore la majesté de
quelque» grands nuages frangés de pourpre, nous entrons
' dans l'asile enrubanné de prairies que forme la rivière
de Tréguier, moyen Âgeuse petite ville où naquit ce cha-
noine manqué : Renan.
(A continuer).
LES REPRÉSENTATlOi^S DB BAYRElTIl
(Corretpondance particulière de /'Art moderne.)
Le temps n'esl plus où l'on allail à Bayrculh à la découverte
d'nn art nouveau. Les disciples d'autrefois ont disparu, qui, après
leur initiation, se donnaient pour mission de révéler aux profanes
les paroles de vérité tombées des lèvres du Maître. « Wagner,
mais c'est un classique! » disait récemment un excellent chef-
d'orchestre de Bruxelles. Phénomène bizarre, le nombre croissant
des convertis ne laisse pas que de blesser certains fidèles de piéié
ardente et exclusive. Ce sentiment vient encore de se faire jour
chez un correspondant de la Oazelte de Cologne. Tout en se
réjouissant, comme Allemand, de l'intérêt éveillé dans le monde
entier par une des plus hautes manifestations de l'art national, il
déplorait, d'un ton plaisant en son pédantismc, l'afllux à Bayreulh
d'étrangers venus là, disait-il, par contagion mondaine ou curio-
sité banale. Dès lors, il ne s'établit plus entre la scène et la salle
une entente intime, une communion à laquelle ne sont aptes que
les âmes vraiment germaniques.
N'en déplaise aux vaincs susceptibilités de ce farouche Teuton,
il nous a été donné, comme à beaucoup d'autres, d'assister avec
émotion et recueillement aux fêles célébrées dans le lemple du
grand art. Nous ne songeons pas à relater par le menu les
« épisodes dramatiques », à détailler « les beautés musicales »
de Tannhâuter ou de Parsifal. Les lecteurs de l'Art Moderne
sont, Dieu merci, au courant depuis longtemps. Hais quelques
impressions notées en toute sincérité encourageront peut-être
quelques hésitants à entreprendre eux-mêmes le voyage de
Bayreulh. Quoi qu'ils pensent, ils en rapporteront des souvenirs
rares et profonds.
Des deux œuvres que nous avons entendues, marquant l'une
le point de départ, l'autre le but final des efforts géniaux de
Wagner, Parsifal surtout nous semble devoir remuer les cœurs
les moins susceptibles d'enthousiasme. L'idée et la forme s'y
combinent dans une harmonie si parfaite qu'on ne saurait dire
laquelle il faut admirer davantage. Ailleurs, le poète a donné des
représentations intenses du tumulte des passions humaines; ici,
il se laisse aller à un rêve de paix et de rédemption. L'idée chré-
tienne, par excellence, en fournit le canevas : Par le renoncement
aux joies terrestres, au prix d'efforts incessants, seul, l'être pur
et simple, « der reine Thor » est capable de guérir l'humanité de
la blessure toujours saignante de ses désirs.
Développé avec austérité ut magnificence h la fois, ce thème se
fixe en un tableau religieux, mais surtout mystique, d'un relief
saisissant. Et dans ce commentaire de la légende celtique du Graal
vibre cependant noire âme moderne. Ce que Wagner lui fait
exprimer, ce ne sont pas tant les élans d'une foi robuste et sure
d'elle-même, itl le prodigieux Credo de la messe de Bach, que ses
mystérieuses aspirations au repos, après les angoisses et les
curiosités inquiètes dont elle était comme possédée. Avec le sage,
cette âme a éprouvé que tout est vanité et c'est pourquoi elle
retourne à la simplicité primitive, à la pitié qui régénère et
purifie.
Cette conclusion éihérée n'est-clle pas celle il laquelle aboutit
aussi Tolstoï, cet autre interprète des troubles et des émotions les
plus intimes de notre conscience? Le moujik bon et simple qu'il
nous propose comme modèle n'est-il pas un peu «der reine Thor »
de Wagner?
Transportée et maintenue sur ces sommets, on conçoit que
l'inspiration musicale prenne une allure particulière qui la fait
échapper à la commune mesure de la critique. L'on se trouve en
présence de quelque chose d'inattendu, de souverainement ori-
ginal et créé, si l'on peut s'exprimer ainsi.
Le caractère transcendant d'une conception pareille a son côlé
périlleux quand il s'agit de la traduire dans la réalité. 11 est
malaisé de découvrir des interprètes qui non seulement soient
rompus â toutes les difRcultés du métier, mais qui, en outre,
soient assez conscients de la pensée de l'auieur pour la rendre
dans sa force et sa pureté, tout en la marquant d'un cachet pro-
pre de spontanéité et de personnaliié. A ces divers points de vue,
sans méconnaître les qualités d'ensemble des exécutions de Bay-
rculh, ni le souci d'une esthétique savante qui perce jusque dans
les détails, force nous est de signaler des défaillances pendant la
représenlation du 29 juillet. Le rôle si essentiel de Gurnemanz a
même été tenu de façon déplorable. Il ne suffit pas d'une tête
expressive ornée d'une barbe imposante pour faire oublier que
M. Wicgand a une articulation pesante et rude, une voix creuse
et surtout si constamment fausse qu'on est à se demander s'il a la
notion des demi-tons.
M""" Materna, assurément, a beaucoup de style et d'ampleur
dans le rôle de Kundry, mais pour personnifier la tentation faite
femme, aux séductions infinies, aux voluptés enlaçantes, il lui
manque... non, il ne lui manque pas assez.
Quant au rôle de Parsifal, personne n'ignore qu'il a été pour
notre compatriote Van Dyck l'occasion d'un succès éclatant, mais
nous n'avons pas eu la chance de l'entendre. 11 serait néanmoins
injuste de passer sous silence le ténor Gruning, qui incarne le
héros avec chaleur et jeunesse, avec seniiment et intelligence.
Plus vraiment intéressante nous est apparue la figure du roi
Amfortas, telle que l'a comprise et rendue le baryton Scheidc-
mantel. Il a eu des attitudes poignantes, des accents déchirants,
au moment où il conjure les chevaliers du Graal, témoins de ses
tortures, de ne plus exiger de lui l'accomplissement de ses fonc-
tions sacrées, et dans la scène finale, quand, rejetant au loin le
bandeau royal, il lance ses appels désespérés il la mort.
Si tel ou tel effort individuel est évidemment resté en deçà du
but à atteindre, par contre l'orchestre doit être mis hors de pair.
C'est lui qui corrige, relève, rétablit les parties faibles de l'exécu-
tion, tantôt puissant et sonore, tantôt divinement tendre, toujours
frémissant de poésie et d'idéal. Les chœurs sont absolument cor-
rects, mais on ne peut pas exiger d'eux de chanter comme des
anges, et c'est ce qu'ils devraient faire.
Et Tannhàuser! Mais c'est tout autre chose. L'œuvre, qui est
intitulée opéra romantique, s'adresse directement aux sens et
comme telle constitue une fête pour les yeux et les oreilles. Ici
les signes extérieurs et tangibles de l'idée conservent, sans peine,
leur valeur entière. Mise en scène éblouissante, changements à
vue étonnants, levers, couchers de soleil rendus sensibles par
dos artifices d'éclairage, ensembles aux cresccndos gigantesques,
tout cela concourt à surexciter vivement l'imagination. Le soin
. 'r '^^'^WiW>W^^*''T^'
que les bériiiere de Wagner, dépositaires de ses inlenlions et de
ses volonlés, ont mis à reconstituer une œuvre de sa première
manière, témoigne par lui-même de la puérilité des préoccupations
de ceux qui, se targuant d'un art plus raffiné et plus éclairé, déni-
grent et ravalent les productions du Matli^ qui ne sont pas
conformes à ses dernières théories. Il ne faut pas être plus roya-
liste que le roi. Certes, dans les créations de l'Age mûr, Wagner
a eu des vues singulièrement plus élevées, ses héros, symboles
de sentiments primordiaux, réalisent des types aulrement plus
puissants, la Irame musicale en est infiniment plus serrée.
N'empêche que dans Tannhâuser il y a un souffle plein de
verdeur et d'inspiration qui vous emporte bien au delb des limites
d'une admiration naïvement bourgeoise. Nous sommes très loin
déjà de « la musique du ventre », selon la définition par Berlioz
de certaine musique italienne.
Quant i l'interprétation, sans vouloir nous répéter, mentionnons
l'excellence de l'ensemble; i part H"' Sucher dans le râle de
Vénus, pas de natures. M. Rcichmann, très expressif dans
Wolfram von Escbenbach, et Hu° de Ahna, une débutante fort
bien stylée, dans le rdie d'Elisabeth, se sont parliculièremcnt
distingués.
R. V.
SALON TRIENNAL D'ANVERS
[Premier article).
Les organisateurs de pareil horrifiant étalage de toutes les
variétés de maladies picturales — et dire, qu'ils ne se doutent
peut-être pas du tout du but qu'ils ont poursuivi! — sont pré-
voyants autant, et plus impitoyablement! que ce directeur
d'exploitation foraine, sans morale pourtant — ce qu'on ne pour-
rait dénier à ceux-ci — qui révèle lucrativemenl toutes les atro-
cités du mal vénérien.
L'enseignement est identique et l'impression également salu-
taire : l'horreur du contact animal avec la Femme, l'horreur de la
Peinture!
Et, celte fois, faudra-t-il louer sans réserve la Commission pour
l'encouragement des beaux-arts — et ainsi son titre n'est pas
mensonger; tout au plus le système d'encouragement peut-il
paraître hardi, radical, excessif! — ; elle a dépassé tout ce que
des commissions analogues et rivales ont exhibé. Mais il faut dire,
pour ne décourager personne et louer en tonte équité, que les
organisateurs anversois se trouvent à la source. Qu'ils sachent
bien, avant tout, que la leçon ne sera pas perdue!
J'en sais qui renoncent k la peinture, s'en vont criant que
jamais plus ils ne loucheront un pinceau et se sentent pris d'une
irrésistible tendresse pour le balai, le vrai balai des rues', d'une
débordante et lyrique reconnaissance pour son assainissante
besogne!
Ainsi doiy;, réellement — et à ce sujet nous concevions encore
des doutes — l'An doit fatalement entraîner ceux qui le prati-
quent en celle égale et lente, mais irrésistible finance d'imbécillité ;
les entraîner par des sites d'outrecuidance et de vanités déme-
surées vers celle idéale terre de conformités et d'honneurs, où
leur vie s'éteindrait en l'absolue et béale sérénité du gâtisme.
Mais, c'est triste ; — comme toutes les eaux mortes ou peu
pressées! — et c'est navrant surtout de reconnaître parmi le*
détritus de ces centaines de noms nuls ou de réputations volées
bien des admirations d'antin et aatait d'intraniigeaiion som-
brées.
Et c'est qu'il ne convient pas de crier; aucun appel, d'où qu'il
parte, ne peut parvenir k ceux qu'il faut yoir passer au fil de ces
trognons de choux et de vieux chapeaux sans espoir -de sauve-
tage; leurt oreille* iont tout Veau !
Dès lors, il vaut mieux songer il la trenquillité de leur ftme et
il la douceur de la terre promise.
Tout an plus doit-on, et férocement encore I crier après ceux
qui par une condescendance inouïe et inexcusable ou par ane
attirance qui pronostiquerait de mort, vont se mêlant fe celte
déshonorante et pestiférée cohue. Que toui ceux qui les aiment
comme nous les aimons rappellent le* Clads — dont une déli-
cate impression fixe les lendres gris et les mauves da si fugace
crépuscule; — les FAimM-LATOVK — dont une nn peu m<rileien-
taiion captive par une disposition des lumière* assez troublante;
— les Gr5ntou> — qui répète ses silboneites si curieusement
typées; — les Hkijiuns — dont cette page de bonne virlnosilé
ranime de clair soleil et impose sa pénétrante nistioilë; — les
RossEEiiS — dont un simple et gris site de Campine s'imprègne
d'humidité et affirme cette conscience d'artiste rassénérée ; — les
SiSLEY — qui a tenu i faufiler ici un exquis petit chef-d'œuvre —
scintillement d'eaux et poudroiement de soleil — et dont le
placement avère la plus insigne mativaise foi.
Près d'eux, je n'imagine aucune démarche qui me répugnerait ;
aucune objurgation — et n'est-il donc pas assez de faire appel
à leur dignité? — si elles pouvaient aboutir k les détacher de ces
entreprises auxquelles leur présence impose un peu de respect
qu'elles ne méritent pas; revêt d'nne considération qui implique
quelque retenue encore et assez forte malgré tout pour retarder
l'heure où elles doivent inévitablement crouler sous le plus
unanime mépris.
Que les plus jeunes — les quelques bien bâtis, cessent de faire
escorte, ces jours de grandes parades, aux grands pontifes qui les
couvent et nous verrons bien la piteuse et prochaine et dernière
sortie de tous ces « Maîtres » abandonnés k eux-mêmes. Il faut
que ces jeunes gardent leurs forces pour les différents groupes
qu'ils ont formés; qu'ils se défendent eux-mêmes avant de partir
en guerre au profit d'autres qui ne les valent d'ailleurs pas, et
dont ils sont les innocentes dupes.
Et plus ils auront de mérite, plus accablant sera l'acte d'accu-
sation que nous dressons ou pluiOt plus pressant sera notre
appel.
Il faut qu'il parvienne k RAFFAfiLLi, k von Lbnbach, k CoHSTAirriN
MEimiEa, qp! prêtent encore la gloire de leurs noms et leurs
œuvres k Selte morne œuvre des Salons agonisants.
Différer l'instant de sa chute c'est reculer l'avènement de cet
art véritable qui doit bien leur tenir k cœur pourtant.
N'est-il pas désespérant de penser que l'existence des Salons
est entre les mains de ces quelques-uns qui persistent — malgré
l'abstention, qui devrait bien les faire réfléchir, d'antres — k
passer sous les fourches caudines d'une intolérance haineuse et
invétérée, k se faire réinscrire annuellement sur ces catalogues
qui deviendront forcément l'état-civil du crétinisme et des
sénilités.
mWmMw^f^
>:r'«î?r-A***i.:
L'ART MODERNE
263
HENRY LITOLFF
•
Le compositeur Litolff vient de mourir : figure étrange et tour-
mente dont on cite la vie aventureuse, les mariages romanesques
et cette création : l'édition populaire, k bon marché, des oeuvres
musicales, avant de parler de son art. Pourtant il occupa une place
notable dans le renouveau romantique. Son Chant du Ouelfu,
son ouverture de Robetpierre et celle des Oirondiii* ont une
crâne allure. Elles portent la griffe du musicien épris d'idées
larges, d'aspirations généreuses, dont l'âme s'épanche en exubé-
rants cris de passion^ C'est ce que, très justement, exprimait en
ces termes ifti critique parisien : « C'est un artiste de race qui
vient de disparaître, un de ces enthousiastes de l'art comme en a
connus le milieu de notre siècle, qui, toujours sur la brèche, com-
battaient en produisant des chefs-d'œuvre et ne se contentaient
pas d'écrire des préfaces ou d'écbafauder des prétentieuses théo-
ries, génération étonnante qui a ébloui le monde par ses triom-
phes, aussi bien en peinture qu'en sculpture, en littérature ou en
musique. »
Berlioz n'a pas craint de dire de lui : « Liiolff est un composi-
teur de l'ordre le plus élevé. Il possède à la fois la science, l'inspi-
ration et le bon sens. Due ardeur dévorante fait le fond de son
caractère et l'entratnerait nécessairement A des violences et à des
exagérations dont la beauté des productions musicales a toujours
& souffi-ir, si une connaissance approfondie des véritables néces-
sités de l'art et un jugement sain ne maintenaient dans son lit
ce fleuve bouillonnant de la passion et ne l'empêchaient de ravager
ses rives. Il appartient, en outre, à la rdce des grands pianistes,
et le feu nerveux, puissant, mais toujours clairement rythmé du
virtuose participé des qualités que je viens d'indiquer chez le
compositeur. »
Les représentations des Temptieri, joués !i la Monnaie, sous la
direction Verdhurt, amenèrent le maître k Bruxelles, qu'il avait
visité dans sa jeunesse. Il s'y trouva si bien qu'il y passa tout
l'hiver avec la charmante femme qu'il avait épousée en quatrième
noces et sa fille Sophie. On lui fit fête, et le souvenir n'est pas
éteint des soirées artistiques que chez quelques fervents d'an,
Litolff anima de sa verve primesaulière, de sa conversaiion étln-
celante et de son ardeur artistique.
Agé, ravagé, capricieux, bizarre comme un personnage de
Hoffinann, il gardait une séduction qui loi conquit toutes les
sympathies.
Outre différents morceaux pour piano, parmi lesquels des con-
certos avec accomgagncment d'orchestre remarquables, les prin-
cipales œuvres de Litolff sont : Six mélodie*, ses ouvertures de
Catkeriiu Howard, de Robespierre, des Oirondins, son Chant
du Ouelfu, son oratorio Ruth et Booz, ses opéras Nahel, la
BoUe de Pandore, HéloUe et Abilard (1872), la BelU au bois
dormant (1874), la Fiancée du roi de Oarbe (1874), la Mandra-
gore (1876); puis, en ces dernières annexes, les 7'«npii>»*, joués
en 1886 k Bruxelles, et VEicadrwi vdant de la Reine, monte en
1888 k l'Opéra Comique.
Litolff laisse un nombre assez considérable de compositions
inachevées et un opéra inédit : Le Roi Lear.
Ses obsèques ont eu lieu k Bois-Colombes, près Paris, où
l'ariiste s'était retiré depuis quelques années. Nous présenioos à
||i» veuve Litolff l'expression de nos respectueux seniimenls de
condoléances.
LA QUESTION DES MUSÉES
Use r— tanratloB dé tAblestox.
Ceci est copié dans « les Fêles de Hollande » de Gérard de
Nerval. C'était en 18S2 et nous reproduisons ces lignes pour
montrer que ce n'est pas d'aujourd'hui que date la béiise des
commissions et des fonctionnaires. La scène se passe k Anvers.
« J'ai franchi bientôt les remparts, la place de Meir, la place
Verte, pour gagner la cathédrale et y revoir mes Rubens : je ne
trouvai qu'un mur blanr, c'esl-k-dire réchampi de celle même
peinture k la colle dont la Belgique abu e, par le scniimenl, il
est vrai, d'une excessive propreté. « Où sont les Rubens, dis-jc
au suisse. — Monsieur, on ne parle pas si haut pendant l'office. »
Il y avait un office en effet. « Pardon I repris-je en baissant la voix,
les deux Rubens, qu'en a-t-on fait? — Ils sont k la restauration »,
répondit le suisse avec fierté.
0 malheur! Non contents de reslaiJrer leurs édifices, ils restau-
rent continuellement leurs tableaux. Notez que la même réponse
m'avait été faite il y a dix ans dans le même lieu. J'ai songé alors,
avec émotion, k ce qui s'était passé, un peu avant cette époque,
au Musée d'Anvers. L'histoire e>t encore bonne k répéier. On
avait confié la direction du musée k un ancien peintre d'histoire,
enthousiaste de Rubens, quoique très fidèle au goût classique et
n'admirant son peinire favori qu'avec certaines resiriciions. Ce
malheureux n'avait jamais osé avouer qu'il Irouvaii quelques
défauts, faciles du reste k corriger, dans les chefs-d'œuvre du
maître. Ce n'était rien au fond : un glacis pour éteindre certains
points lumineux, un ciel k bleuir, un attribut, un détail pittoresque
k noyer dans l'ombre, et alors ce serait sublime. Cette préoccupa-
tion devint maladive. N'osant témoigner ses réserves ni s'attaquer
en plein jour k de tels chefs-d'œuvre, craignant le regard des
arlisles-éludiants et même celui des employés, il se levait la nuit,
ouvrait délicatement les portes du musée et travaillait jusqu'au
jour, sur une échelle double, k la lueur d'une lanterne complice.
Le lendemain, il se promenait dans les salles en jouissant de la
stupéfaction des connaisseurs. On disait : « C'est étonnant comme
ce ciel a bleui! c'est sans doute la sécheresse, — ou l'humidité...
Il y avait Ik autrefois un triton ; la couleur d'ocre l'aura noyé par
un effet de décomposition chimique. » El on pleurait le triton. On
s'aperçut de ces améliorations trop rapides bien longtemps avant
d'en pouvoir soupçonner l'auteur. Convaincu enfin de manie
restauratrice, le pauvre homme finit ses jours dans un de ces
villages sablonneux de la Campine où l'on emploie les fous à
l'amélioration du sol. »
LE L4ID
Bien justes, ces réflexions de Colomba dans l'Echo de Paris :
Le musée Tussaud vient de brûler k Londres cl 11 parait que
l'incendie a été magnifique, comme disent les amateurs. Nos
voisins ont sorti leurs belles pompes k vapeur, dont ils sont si
fiers et elles ont fait merveille. Seulement, tout a brûlé et il ne
reste rien du musée, pas un décor, pas une figure, pas un
oripewa. Une seule collection a échappé, faisant partie du « Musée
des Horreurs. » C'est une collection d'instruments de torture,
appartenant k un lord, qui la prêtait au musée Tussaud, sans
mtmmfmm'mimm
264
L'ART MODERNE
doffte -pour ^ejuiilcr l'indjgnalion des Anglais cQiUie-l«« barbaries
des autres peuples. Quand j'ai passé par là, j'ai toujours eu
l'enYie d'ajouter discrètemenl, à la collection des instrunnenls
de torture, un beau « chat à neuf queues », qui eût eu son élo-
qu«nce, si quelque chose pouvait déshabituer les Anglais de leur
coutume pharisaïque de voir la paille dans l'œil du voisin et de
ne pas sentir la poutre enfoncée dans le leur.
Il va de soi que si cet incendie a causé des ruines, je le regrette
profondément pour les personnes atteintes par le désastre. Mais
s'il n'a coulé rien à personne, si les dégâts, par exemple, sont
payés par quelque riche compagnie d'assurances qui n'en donnera
pas moins un beau dividende à ses actionnaires, j'oserai dire que
je suis ravie du désastre. Le musée Tussaud était une des plus
vilaines choses du monde et donnait satisfaction à des idées qui
me sont violentes, V des modes que je tiens pour détestables. Il
était fait pour la curiosité badaude et pour plaire à ceux qui
aiment l'horrible et le laid. Pour la badanderie, passe encore.
Elle ne fait pas de mal. Il faut bien nous habituer à ce goût tou-
jours grandissant pour les puérilités qui nous fait aller regarder
les mannequins des hommes dont on parle : le général Boulanger
en uniforme, par exemple, qui ornait le musée londonoien. Mais
je ne puis admettre avec autant de résignation l'attraction du
laid. Il me paraît tout à fait indigne d'un peuple civilisé, et, dans
une certaine mesure, très dangereux, de courir à des spectacle^
où, au lieu de nous montrer la vie sous ses beaux aspects, on
nous la fait regarder sous ses côtés les plus répugnants. Qu'on
poursuive un rêve, quand on s'arrache à la réalité journalière, à
la bonne heure ! Mais pourquoi se mettre à la poursuite d'un
cauchemar? Le Musée des Horreurs en était un, et des pires. Il
paraît qu'il plaisait beaucoup aux imaginations souvent sombres
des Anglais. Mais cet amour du laid — leur Shakespeare avait
fait dire, par ses sorcières, il est vrai : u Le beau est le laid, le
laid est le beau » — n'est plus particulier à ces ennuyés d'Oulre-
Manchc, chez qui les sadiques ne sont pas rares. U nous gagne.
El jusqu'à la foire de Saint-Cloud ou de Neuilly, il n'est pas rare
de trouver des spectacles très déplaisants.
5!!hR0NIQUE JUDICIAIRE DE? ^RTp
Truqaages.
La Cour d'appel de Paris a rendu récemment deux arrêts inté-
ressants en matière de vente d'objets d'art. On sait que certains
antiquaires ne se font aucun scrupule, pour écouler des rossi-
gnols, de les décorer de noms pompeux et de leur faire une « toi-
lette » telle qu'il est souvent très difficile, môme pour un connais-
seur, de discerner un objet authenlique d'une vulgaire camelolte.
Les marchands de curiosités pourraient rendre des points aux
maquignons les plus rusés. Mais parfois l'acheteur ne se laisse
pas écorchcr sans crier, et c'est ce qui est arrivé à la suite d'un
achat de girandoles en argent, de style Louis XIV, garanties ori-
ginales dans toutes leurs parties et de l'époque du grand roi. Le
vendeur avait même ajouté : a OEuvre remarquable de martelage
et de fine ciselure ». D'où le prix de 9,S00 francs soutiré au client
bénévole.
Celui-ci jouit pendant trois ans en toute quiétude de son achat,
lorsqu'un irouble-fétc dissipa inopinément ses illusions en lui
démontrant que les girandoles avaient été confectionnées sous la
présidence de M, Carnot, tout au plus sous celle de M. Grévy.
Colère de l'amateur. Procès !t ranliquàire, qui oppose une fin de
non-recevoir : la réclamation est tardive, les actions rédbibitoires
devant être intentées à bref délai. Et d'ailleurs, comment établir
l'identité des girandoles? N'avait-on pas pu, pendant ce laps de
trois années, leur substituer des copies?
Par jugement du 33 mars 1886, le Tribunal civil de la Seine
accueille la thèse du vendeur. Appel du client, qui soutient devant
la cour qu'il y a erreur sur la substance même de la chose vendue,
ce qui lui donne le droit d'intenter pendant trente ans son action,
et qui demande une expertise. La Cour nomme des experts, et
après avoir acquis la certitude que le marchand de curiosités avait
abusé de la bonne foi de son acheteur, le condamne, par arrêt du
5 mars dernier, à restituer les 9,800 francs, avec les intérêts,
contre remise des girandoles, « considérant qu'il résulte du rap-
port des experts que les girandoles qur font l'oltjet du procès ne
sont ni de l'époque ni du style de Louis XIV dans aucune de leurs
parties; qu'elles ne présentent pas d'unité de composition dans
leurs deux parties principales, le chandelier et les bras qui y sont
attachés; qu'enfin elles ne sont pas des œuvres remarquables de
martelage à la main et de fine ciselure; qu'il suit de là que les
girandoles dont s'agit ne présentent pas les qualités d'ancienneté
et d'authenticité garanties à l'acheteur et qui avaient déterminé
celui-ci à les acquérir; qu'il est donc vrai de dire que le consen-
tement de B... au marché dont s'agit a été entaché d'erreur sub-
stantielle, d'où suit la nullité de ce marché et l'obligation par P...
de restituer à 6... le prix des girandoles dont s'agit, sur la remise
des dits objets qui sera faite à P... »
L'antiquaire est, en ontre, condamné à payer les dépens des
deux instances, y compris les frais d'expertise.
L'autre procès concerne la vente d'une table Louis XV en bois
sculpté et doré, achetée 25,000 francs à un antiquaire par
MM. Franck et Boislève et revendue par ceux-ci à M. Perdreau.
Ce dernier eut des doutes sur l'authenticité du meuble et assigna
ses vendeurs en annulation du marché. L'expertise démontra que la
tableélait un travail moderne dont tous les détails avaient été habi-
lement combinés pour présenter aux yeux des connaisseurs les
apparences d'un meuble datant de l'époque de Louis XV et même
d'une époque un peu antérieure. En conséquence, la vente fut
annulée. MM. Franck et Boislève assignèrent à leur tour le ven-
deur originaire, qui soutint que l'expression table Louis XV
signifiait «(i«j{i//« Louis XV v,e.\. qu'il n'avait nullement entendu
garantir que le meuble litigieux eût été fabriqué à l'époque du
roi Louis XV ou de la Régence.
Mais le Tribunal de la Seine, et après lui la Cour de Paris déci-
dèrent que le prix élevé payé pour la table impliquait nécessaire-
ment l'authenticité de l'objet du marché; que celle-ci était la rai-
son déterminante et l'élément essentiel du contrat. En consé-
quence, la vente est définitivement annulée par arrêt du 28 juin
dernier et le marchand condamné à restituer le prix, avec les inté-
rêts, et à payer les dépens du procès.
Petite chro;^ique
Sublimité d'un journal anversois.
Un critique analyse comme suit l'œuvre de Slobbaerts, à l'ac-
tuel Salon d'Anvers :
«■ Stobbaerts n'est qu'un coloriste qui a appris à peindre à peu
près comme Valmajeur, de Numa Roumestan, a appris à jouer
L'ART MODERNE
265
do la flûte, c'c8l-&-dire sans le savoir. Il ne faut rien lui demander
de plus qu'une ëlable avec des porcs ou des vaches. Sa science
du dessin, très rudimentaire, se dérobe dès qu'il veut s'élever
jusqu'au cheval. »
Une science qui se dérobe dès qu'elle veut s'élever jusqu'au
cheval I
L'ouverture du Salon triennal a été marquée du banquet tra-
ditionnel.
Aa moment où la bonne clière et les vins capiteux avaient
prédisposé chacun !i la bienveillance, à l'heure sacramentelle des
toasts enfin, on but au roi, au ministre, au gouverneur de la pro-
vince.
Naturellement, chacun des personnages dont on avait porté la
santé, s'est fendu également d'un petit speech. M. De Burlet
notamment a très longuement parlé. Il ne parle pas mal, son
excellence, mais ce sont toujours les mêmes lienx communs et
les clichés Iradiiionnels : l'amour de l'art, le grand art, l'art
sublime, etc., elc. M. De Burlet a poussé le lyrisme jusqu'il
appeler le Ministère des Beaux-Arts la maison des artistes !
« Vous en connaissez mainlenant le chemin, a-t-il ajouté, vous
y êtes chez vous. » Et tout le temps cela a été sur ce ion.
Pour corser la plaisanterie, M. Osy a appelé V Hôtel du gou-
vernement provincial d'Anvers, la succursale du ministère des
Beaux-Arts.
Et tout cela est dit sérieusement, sans rire. Words, words,
words, dirait Hamlet.
{Opinion, du 10 août.)
Au Musée moderne, les étiquettes manquant au bas d'un grand
nombre de tableaux, y ont été apposées.
Serait-ce un premier mais minuscule résultat de noire cam-
pagne antibureaucratique?
Le Théâtre du Parc fera sa réouverture en septembre. Son
premier spectacle sera la Contagion d'Emile Augier. M. Candcilh
montera aussitôt après Une famille de M. Henri Lavcdan, puis
Musotte de MM. Guy de Maupassant et Jacques Normand, le
récent succès du Gymnase. Ce dernier ouvrage ne passera
vraisemblablement qu'à la fin d'octobre.
La direction de la Jeune Belgique a passé de M. Gille à
M. Giikin. Nous signalons ce fait déjà âgé de quelques semaines,
pour ne pas perdre l'occasion de rendre ici témoignage de l'ex-
cellente et éclairée direction de M. Gille.
Admirables réflexions et conseils de M. Arsène Alexandre dans
l'Eclair, daubant l'enseignement officiel des académies, conser-
vatoires, écoles des beaux-arls et autres usines de déformalion
artistique.
1. L'heure présente est sans aucun danger pour les jeunes
artistes,
n. L'art ne traverse aucune période de transition, de crise
ni de fièvre.
m. — 11 faut changer lous les principes, môme et surlout
quand ils résultent de l'expérience et du sens commun.
IV. — Il est tout à fait inutile de passer dix ans de sa vie â
acquérir des qualités d'élève, si au bout de quatre on a l'étofTc
d'un maître.
V. — Apprendre la grammaire et l'orihographe d'un art est
chose tout à fait superflue, quand ce n'est pas dangereux.
VI. — Le désir de recruter des disciples et de' former des
écoles est une amusetie, et ceux qui coupent lâ-dedans sont des
niais.
VII. — Ne refléchissez jamais avant de courir les aventures, et
n'hésitez pas à jouer votre avenir. C'est le seul moyen de le
gagner.
Antoine Rubinstein a quitté Saint-Pétersbourg pour se rendre
dans un petit village près de Dresde, où il finira d'abord son
nouvel oratorio, Moïse, puis un nouvel opéra russe qui n'a pas
encore de litre. Il a commencé aussi à écrire un petit volume de
pensées et critiques musicales qui seront, dit-on, particulièrement
intéressantes.
CoRALUS DuRAN, instantané du Gil Blas .-
S'appelle Charles et Durand. Personnifie le panache dans la
peinture. Une téie retouchée, étudiée comme celle d'un comédien
qui fait des imitations. La barbe soigneusement taillée, les bou-
clettes de cheveux, le sourire et le regard qui dévoilent de longues
séances devant un miroir, la préoccupation entêtée de ressembler
à quelque hidalgo de Velasquez. Séduisant. Suave. Féministe en
diable. Aimant â s'entourer d'un décaméron de névrosées, b être
écouté, à paonner dans la fraîche caresse des éventails. Se fait
volontiers photographier en escrimeur, l'épée au poing, comme
prêt à jeter son gant à crispin aux mécréants qui ne hantent pas
sa petite chapelle. Joue de la mandoline aussi bien qu'un chanteur
florentin. A émis sur l'art et sur lui-même des aphorismes ineffa-
bles de modestie et que l'on cite dans les ateliers. Portraitiste en
vogue. A la spécialité des millionnaires un peu blettes et des jeunes
étrangères à marier. Celle mauvaise langue de Degas l'a baptisé :
Léotard de Vinci.
— -"
Le sculpteur Rodin vient de terminer- le monument funèbre
qu'il avait été chargé d'exécuter à la mémoire de César Franck.
M"" Augusta Holmes en avait pris l'iniliative. En quelques jours,
elle réunissait une somme de trois mille francs et s'adressait 'i
Rodin, qui se mettait aussitôt à l'œuvre. Ce monument sera très
simple. Edifié au cimetière de Montparnasse, sur la tombe do
César Franck, il se composera d'une simple pierre funéraire .tu
chevet de laquelle, au milieu d'un buisson de laurier, se trouvera
le médaillon de l'auteur des Béatitudes. Ce médaillon est terminé.
Vue de trois quarts, en haut relief, la belle et noble physionomie
de César Franck apparaît telle que les amis et les disciples du
maître l'ont connue. 11 est d'une ressemblance frappante et d'un
caractère très personne)'.
Un morceau détaché — dans un récent article de la Revue bleue,
signé : Francisque Sarcey.
K On fait passer quelquefois des énormilés, en les donnant
comme les choses les plus simples du monde : on ressemble à
l'enfant qui montre, en se roulant sur le lapis, tout ce que l'on
cache d'ordinaire, contre qui personne ne se f^che, parce qu'il n'y
met pas de malice. J'ai usé une ou deux fois de cet artifice, mais
il est d'un doigté extrêmement délicat. »
Ce doigté esi sublime, simplement.
Le Sillon, revue littéraire et artistique, parait lous les mois
en livraison de 16 pages (Paris, rue Lhomond, 9). Prix d'abon-
nement : 3 francs par an. La livraison de juillet contient des vers
et des proses de MM. J. Bonnet, J. Lanlry, A. Cheylack,
M. Spronck. E. Bouhaye, L. Maupryn, elc.
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informations et les soins donnés à sa rédaction one place prépondérante. Aaenne dMtDÛBstation ^J'Arf ne
lui est étrangère : il s'occupe de littérature,, de peinture, de sonlptore, de gntTnre, de ipittidqiM,
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Lb numéro : 26 centimbs.
DiMANCHK 23 Août 1801.
L'ART MODERNE
PARAISSANT LB DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Comité de rédaction i Ootavb MAUS — Edmond picard — Émilb VERHAEREN
ABOmnEMBNTB : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fe. 13.00. — ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser toutes les communications à
l'administration oâNÉRALB DB TArt Modome, rue de l'Industrie, 32, Bruxelles.
^OMMAIRE
A Vav la Mm. — -La Question des Musses. — Les votaobs et
ua mims. — A Toubnai. — A \'erviers. — A BAyaEOTH. —
TouToï. — Petite chbonique.
A VAU U MER
(1)
Tentative pour sortir de Tréguier à l'aube. Joyeux,
nous descendons rapidement la rivière dans le demi-
jour harmonieux. Mais au moment où, entre les bouées
rouges à bâbord et les bouées noires à tribord, alignant
leur chaussée conductrice, nous embouquons le chenal
de sortie, " Zeus à la grande voix, s'opposant au départ,
répandit le souffle des vents sonores qui soulevèrent les
grands flots pareils à des montagnes n. Nous girons sur
place, une hélice en avant, une hélice en arrière, déser-
tant la mer onduleuse, qui exhalait l'acre odeur de ses
eaux difficiles et effrayantes, se brisant contre la côte
aride et nous enveloppant d'écume. Nous revenons à
notre mouillage, au fond du port, là où jamais le flot ne
se Bonlèye ni peu, ni beaucoup et où il règne une con-
stante tranquillité. Ce sera pour demain.
Noos flânons dans la petite ville montagneuse, vieil-
(1) Suite. — '^oir nos deux numéros précédents.
lotte, démodée, musant avec un faux air de marine, car
depuis Brest, nous avons la casquette des pilotes, plate,
ne donnant aucune prise au vent, à double bouton doré
et à mentonnière de cuir, caractéristique et crâne. Une
cathédrale gothique, de beauté vénérable, abritant un
tombeau de saint Yves, notre patron à nous avocats (à
moins que ce ne soit saint Nicolas) .
Sanctus Yvo erat brito,
Advocatus et non latro,
Res miranda populo!
Le chœur a des jets en faisceaux de colounettes minces
d'un élancé superbe encadrant une de ces croix tombant
de la voûte qui insinue la dérisoire analogie d'un Christ
douloureux faisant le trapèze.
La maison natale de Renan nous sollicite. C'est une
boulangère qui l'occupe, et la maintient (est-ce par
ordre?) dans une simplicité armoricaine, compliquée de
malpropreté. Tout en haut, en belvédère, la mansarde
du travail. Les grands hommes cultivent ce symbolisme,
même quand ils ne le pratiquent pas.
Renan revient ici parfois, passe la nuit dans l'antique
maison des Souvenirs d'Enfance, y revoit, apparem-
menjt, en rêve, son père, maître de cabotage, n'entre
pas dans la cathédrale, dîne à ÏHôiel des Trois Rois
auquel on n'échappe pas, fait au dessert un speech de
croyant incrédule, entend applaudir sa philosophie
mondaine et fuyante par les rares esprits forts de ce
IMNERSin OF WWD^ USRMV
ééSmïlUlÊmm
268
L'Aflr MODERNE
coin bretonnant et retourne à Paris se livrer au culte
des financières juives dont il ménage ou caresse si bien
les origines en ses histoires. A Tr^uier, sitôt son
départ, les bigotes aspergent d'eau bénite les venelles
où il a passé.
Par les monts et le» vaux de cette terre tourmentée,
nous roulons à Port-blanc, un des petits trous pas cher
qui émaillent les côtes de France. Admirable déchique-
tage de mer et de rocs, avec deux auberges sales,
défendu contre les grands coups de vent par des écueils
postés en chaîne d'éclaireurs. Sur l'un d'eux, Ambroise
Thomas a bâti un castel gris pour se donner, lui aussi,
l'auréole de la vox damans in deserto. Tôt ou tard
on verra quelqu'un de ces messieurs prendre location
dans un phare.
Nous revoici sur les routes humides. « Autour des
larges golfes de la mer indomptée, la mouette, qui s'in-
quiète toujours des flots, chasse le poisson et plonge ses
ailes robustes dans l'écume salée. * Nous filons vers
Guernesey. Bientôt cette terre est proche et nous appa-
raît comme un bouclier sur la mer sombre. Les ll^s
normandes ! Elles sont à l'Angleterre, ces esclaves mari-
times, tachant de leurs maculatures étrangères la belle
unité de la France, s'efforçant à devenir Anglaises,
ayant l'hôtel britannique confortable et puritanisant,
les cottages abondamment enverdurés, les attelages fré-
nétiquement menés par des cochers qui semblent croire
que les voitures sont inversables et les chevaux intom-
bables. Ayant les misses surtout, pullulant, ornant les
rues, les chemins de leur floraison versicolore, off"rant
gratis, par la charmante et hardie coutume de laisser
sortir seules les bachelettes, l'adorable spectacle d'un
incessant courant de beauté humaine, ravissant les
yeux, malgré que la grâce soit en cette terre protes-
tante ankylosée par la raideur.
Dans le port étroit les mouettes, fleurs volantes de
magnoliers, se balancent autour des navires : un règle-
ment défend de les tuer et elles servent à l'ornement...
et au nettoyage ; avec des cris rauques elles se dispu-
tent les restes de la très sommaire cuisine du bord.
Nous avons pèlerine chez Renan. Pèlerinons chez
Hugo. Dans mon imagination et mon innocence, Haute-
ville-house, la retraite d'exil du poète, était une petite
maison de patron de pêche juchée sur une roche, dans
lisolement. C'est, au contraire, une bonne maison
bourgeoise, en pleine ville, solide et carrée, dans une
rue montante, bonne, à l'aspect, pour tout esquire bien
rente. Mais l'intérieur est ahurissant. Le proscrit en a
fait un si luxueux chef-d'œuvre de confortable et de
goût, dans les données sombres du xvi» siècle, meubles
lourds et foncés, tapisseries déteintes décorant murs et
plafonds, tapis sourds, verrières décolorant la lumière,
qu'un de nous disait : s'il n'était pas mort, il faudrait
le prendre pour tapissier. Tout en haut, en belvédère,
la mansarde du travail, comme à Trégnier. Ponr
table à écrire, une planchette noire retombante, atta-
chée à la fenêtre qui sert d'oculaire à la contemplation
d'une vue divine snr la rade; ponr couchette, un
matelas, sur le plancher, dans un cadre orné de japo-
naiseries sculptées et peintes par l'Illustre. AiUeurs,
dans les transparentes ténèbres du rez-de-chaussée, des
dessins aussi par lui, vaguement érocateurs d'Ôdilon
Redon, mais avec une poussée idéologique raisonneuse,
mais sans l'effrayant mystère de l'illustrateur '^ilee
Origines.
Les amoindris qui furent les héritiers légaux d'Hugo
et dont l'un représente si cascadeusement sa descen-
' dance (Lomhroso enseigne que les hommes de génie
sont stériles, et le droit romain, très prudent, dit qu'on
n'est jamais qu'enfant présumé de son père), maintien-
nent Hauteville-house en son pristin état, et une
accorte chambrière le montre dé 3 à 5 heures, intelli-
gemment.
De cap en cap, cabotons, cabotinons. Sur Cherbourg
maintenant, par l'incessamment, l'inlassablement chan-
geante mer à laquelle nous revenons, de plus en plus
pris par l'Ensorceleuse, après nos courtes infidélités
terrestres. Ah! les curiosités, les ^lises, les voitures!
Nous nous surprenons à les mépriser. C'est si gigan-
tique, si splendiose (biscomons les mots pour mieux
exprimer le trouble), si déroutant, si brutalement
séducteur, ce grand drame lyrique que jouent l'Océan
et les Vents, avec, pour décor, les nues et les flots, et
si profondément sur les cordes de l'âme, si magique-
ment sur les timbales des yeux, ils raclent leurs larges
airs tragiques, ils frappent leurs splendides coups de
lumière! On oublie l'ordinaire de la vie, et son compli-
qué pesant bagage de soins et de besoins. Il semble que
désormais on saura se contenter de ce triomphal régal
et que ce sera assez d'être l'instrument sur lequel les
Eléments, indestructibles artistes, exécuteront leur
sublime concert. Qu'importe donc qu'en ce Cherbourg
il y ait eu, pendant notre courte relâche, sur la rade
immense fermée par une chaussée de géants, rocher
artificiel d'une lieue, plongeant à soixante pieds dans
les eaux, renouvelant les merveilles de l'antique Egypte
suivant le mot de Napoléon qui osa la commencer;
qu'importe qu'il y kit eu là et dans la ville froidement
militaire, des musiques, des défilés, des banquets, des
réceptions, des feux d'artifice en l'honneur d'un colos-
sal cuirassé russe venu souffler en ce monumental asile,
après une course autour du monde? Qu'importe encore
que nous ayons vu le Havre, et ses seize bassins, et ses
transatlantiques monstrueux ayant un tourniquet à
leur passerelle et visités, moyennant dix sous, par d'in-
terminables files de badauds? Qu'importe encore et
Trouville, et Etretat, et Dieppe, et Boulogne, successi-
vement vus dans la mystification de leur liesse, si dési-
soire quand on connaît Ostende, car vraiment c'est une
impression bizarre et nn souvenir comique que la dis-
proportion entre les réalités de ces villégiatures célèbres
et les dithyrambes journalistiques qui ne devraient
exalter, pour être sincères, que les toilettes et les
bijoux, seul vrai déploiement de la richesse en France?
Qu'importe tout cela à nos âmes maintenant hàlées,
brûlées, salées, durifiées comme nos visages et nos
mains et faites au dédain des mesquineries du confor-
table et de l'élégance. La Grande Mystérieuse nous a
re&its hommes pour quelques jours, de brutes raffinées,
dégénérées et fin-de-siècle que nous étions. C'est, à
rebours, l'enchantement de Kirkô, aux beaux cheveux,
la sorcière de l'Ile Âialè, • vénérable et éloquente
déesse, sœur du prudent Âiètés, tous deux nés de
Hélios qui éclaire les hommes, et de Perse qu'engendra
Okéanos ». Et je suis revenu dans ce confln de Campine
limbourgeoise, désert de sapins, de bruyères et de
dunes où arrive encore, rasant les plaines, le soufflé
marin d'Euros et de Notes, et du violent Zéphyros et
de l'impétueux Boréas, soulevant les grandes lames, et
d'oti j'écris ces lignes rapides, la plume grattant le
papier avec les petits cris de l'hirondelle voyageuse, j'y
suis revenu titubant le roulis et le tangage, et la tête,
cloche à plongeur de la pensée, bourdonnante encore
du retentissement des grands flots d'Amphitritè aux
yeux bleus d'où sortit Aphrodite d'or.
(A continuer).
LA QUESTION DES MUSÉES
LA LETTRE DE MONSIEUR BULS.
Nous recevons, en réponse de la lettre de M. Buis, la commu-
nication suivante :
Monsieur l'Administrateur de l'Art moderne,
« H. Bals, en une lettre que vous avez publiée il y a quinze
jours, prétend qu'il n'y a rien de vrai dans l'histoire du vase en
cuivre provenant de la Grand'Placé de Bruxelles.
En présence de celte affirmation, j'ai pris de plus amples ren-
seignements.
Il y a non pas un vase, mais deux vases, très beaux, en cuivre,
qui doivent dater du xvni* siècle et qui se trouvent rue du Gentil-
homme chez M. Van der D...., l'amateur de tableaux et de cuivre-
ries bien connu. Ils ont été achetés pour lui par M. Co..., anti-
quaire, à des ventes, chez MM. Billen et Demol.
Il suffit de les voir et de bien connaître ceux qui se trouvent
an dessus de certaines façades de la Grand'Placé pour se con-
vaincre qu'ils proviennent de lit. Certains manquent à l'appel, au
dessus des toitures, notamment à une maison voisine de celle de
M. Van Neck. A mon avis, c'est même cette maison là qu'ils ont
ornée jadis.
Je vous envoie cette rectification pour vous prouver que je ne
vous donne pas des renseignements i la légère et qu'il y a du
vrai dam celle histoire. »
Votre dévoué, D.
Nous imprimons volontiers cette lettre, comme nous avons
publié celle de M. Buis. Nous avons même plaisir à voir surgir
cette discussion dans nos colonnes. Un correspondant nous
signale une négligence, en somme pas trop impardonnable, dans
l'administration de la ville, et aussitôt H. Buis se donne conscien-
cieusement la peine de faire une enquête et de nous en faire
savoir les résultats. Des deux cdlés, on fournit loyalement les
renseignements.
Quelle différence avec l'administration des Beaux-Arts! Nous
signalons, chaque dimanche, des monceaux d'abus. Nous mettons
ces gens en demeure de nous Répondre. Rien. Pas un mot. Pas
une ombre de protestation. Us s'inclinent devant leurs gaffes
accomplies. L'habitude de la courbette! El nous n'avons
pas été seuls à crier! Nous avons attaché le grelot aux vieilles
perruques et aussitôt tous ceux qui s'intéressent à l'art se sont
révoltés avec nous. La Nation a lancé aux trousses de ces fonc-
tionnaires do virulents articles, la Jeune Belgique leur a infligé
de cinglantes critiques, la Réforme les a spirituellement fustigés
par la plume de H* Chamaillac, l'Eventail a approuvé notre cam-
pagne, la Société Nouvelle aussi. Le Patriote lui-même nous a
donné raison, au fond. La presse de province s'est aussi jointe à
nous, et de nombreuses gazettes du Hainaut et des provinces de
Liège et d'Anvers ont vigoureusement protesté contre ces abus
par nous dévoilés.
Enfin, H. Buis vient de nous promettre son appui. Nous avons
évidemment aussi celui de M. Janson, qui s'est engagé, au ban-
quet de la Jeune Belgique, à soutenir l'art jeune.
Dans les griffes de ces deux députés de tant d'autorité, nous
verrons bien si les carpes des Beaux-Arts ne finiront pas par
expliquer leur conduite.
UNE FRESQUE QUI N'EXISTE PAS !
La Jeune Belgique vient de publier, sous le litre : l'Etat-
Mécène, un excellent article où l'on démolit le mode des copies
et des commandes que les quelques géronles budgélivores qui
siègent au ministère el ailleurs ont adoplé pour leurs, opérations
esthétiques et autres.
Relevons en cet article ce fait colossal-:
« Jl va sans dire que la Direction des Beaux-Arts, en organisant
son Musée des copies, a commis les impairs obligés et les gaffes
traditionnelles qui sont en quelque sorte son cachet et sa signa-
ture. Plusieurs histoires fort réjouissantes courent les ateliers.
Nous n'en citerons qu'une, qui en vaut dix. Un de nos jeunes
artistes — mettons que ce soit un peintre — a été envoyé à
l'étranger, — en Italie, si vous voulez, — pour copier une fresque
QUI N'EXISTE PAS ! ! !
Si quelque député, M. Slingeneyer par exemple, était désireux
de connaître le nom de l'artiste et le prix de cette chasse à fresque
imaginaire, qu'il s'adresse à la Cour des Comptes. La Cour des
Comptes l'édifiera sur la Cour des Miracles qui s'appelle la Direc-
tion des Beaux-Arts. »
UN ACHAT BIZARRE.
Est-il vrai qu'un membre de la Commission d'encouragement
de l'art académique et veule, M. P..., soit allé à Vienne, à une
exposition (frais de déplacements!), acheter pour 53,000 francs
Art el Liberté, cette toile ampoulée de Louis Gallait, qu'il aurait
pu acquérir, en Belgique, pour une somme beaucoup moindre?
On ne nous répondra pas encore. Il est vrai qu'on nous affirme
le fait absolument exact.
270
L'ART MODERNE
LES VOYAGES ET LES FEMMES
Reprenant quelques phrases d'un de nos A VAU LA Mer, une
lectrice nous écrit :
« Ce besoin de périodique migration qui prend l'homme comme
« l'oiseau, i certains retours de saisons, par un prodigieux atavique
<> instinct. »
Mais les gens contents, — moi, par exemple, — de qui héri-
tent ils leur amour du point fixe? Car nous sommes deux sur la
terre, — les gens comme vous et Its gens comme moi.
J'ai horreur des migrations. — J'ai des racines \i où je suis.
Je n'en ai pas ailleurs ; — or, je ne vis que par mes racines.
Toutes les choses que je peux approfondir, creuser, — chez moi,
\i où je suis née, — j'ai fini par les mettre à ma portée et lente-
ment me les rendre accessibles. Quand je voyage, — pour ma
damnation, — je trouve la terre, dont je ne vois que la pelure,
horriblement plate et uniforme. Les seules aspérités qui m'inté-
ressent sur la surface de la boule, ce sont les hommes. — Or,
comment les découvrir, les connaître, en jouir quand ils passent
devant vous comme les grains de sable d'un sablier? On n'a que
le temps de voir leurs ressemblances extérieures avec tant d'autres
grains de sable, et non celui de voir les différences, — quand il
y en a.
On a faim et soif d'infini — de cet infini qu'on n'entrevoit jamais
si bien que par la fenêtre d'un voisin qui pense. -^ Ouvrez donc
les fenêtres de tous ces inconnus! Impossible detrouver en un
clin d'œil le dissolvant qui les rendra instables, de stables qu'ils
sont depuis longtemps, pour parler comme M. Delbœuf.
« Ignorants des énigmes qui s'enchevêtrent en noire indéchif-
« frable humanité, nous confondons avec notre volonté les impé-
« rieux commandements des lois universelles dont nous sommes
" les jouels. »
Remuez-vous, changez, voyagez vous autres hommes, revivez
les migrations antiques, courez sur toutes les mers les plus agi-
lités, — dans les airs si vous pouvez. Il me semble que l'arbre
humain se compose de deux parties, dont l'une prend la vie à l'air
qui l'cnioure, essayant d'arriver toujours plus haut et plus loin pour
le trouver plus pur, — et l'autre la prend à la terre, creusant tou-
jours plus avant, ne bougeant que pour s'enfoncer; souche;
éternelle cl mystérieuse buveuse de la force obscure du monde.
Je suis passionnément femme, et ma volonté instinctive est de
rester tranquille.
Je crois fortement qu'en m'appesantissant à la place où je suis
jusqu'à m'y enfoncer, je suis la loi universelle de ma moitié de
l'humanité.
Allez, suivez votre loi de mouvement, et que l'instinct des migra-
.lions qui n'en est qu'un symbole, revive en vous.
Mais nous, qui avons cloué les races au sol qu'elles habitent,
laissez-nous protester pour notre parc exclusivement, contre les
migrations sous n'importe quelle forme.
I. WlLL.
A TOURNAT
Académie de MusiQtiE. — Concours publics {Salle des Concerts).
i" cours,!" division. — Trombone. — Professeur: M. Smets ;
1" prix à l'unanimité, M. Blangenois, Jules.
Trompette et Cor. — Professeur : M. Lempert; 1* cours,
î»» division. — 1" prix à l'unanimité, M. Delconrt, Gasloit. —
Cor. id., M. Delhaye, Donat.
Clarinette. — Professeur : M. Rogé; 1*' cours, 1" division. —
i" prix avec distinction, M. Frédéric, Benri.
Clarinette et Hautbois. — Professeur : M. Deizenne ; 1* cours,
i* division. — Hautbois, 1" prix à l'unanimité, M. Mondo, Louis.
Clarinette, id. M. Hivre, Louis, l*' cours, 1'* division. 1* prix avec
distinction, M. Masure, Léon.
Contrebasse. — Professeur: M. Patemoster; 1" cours, 9^ diTi-
sion. — Prix spécial, M. Sourdean, Arthur.
Violoncelle, même Professeur. — Audition. — Dumilttre,
Alexandre, prix spécial.
Violon (cours supérieur). — Professeur : M. Leenders (Direc-
teur). 1" cours, 3™ division. — Lempers, Armand, 4* prix avec
distinction.
Piano (Demoiselles). — Professeur : M"" Pielers. i" cours,
jme division. — N"' Hasoin, Régina, 1" prix & l'unanimité.
Piano (idem). — Professeur : M"» Bouria. 1" cours, 2"» divi-
sion. — M"' Baetslé, Camille, 1" prix, M'" Burger, Elise, l" prix
avec distinction.
A l'issue du concours, les Professeurs ont été unanimement
fécilités par le Jury pour les résultats brillants obtenus cette
année par leurs élèves. ^•
Le Jury était composé de MM. Leenders, président, Nevejans
et Beyer, professeurs au Conservatoire royal de Gand, Kaznl,
directeur de l'Académie nationale de Roubaix et Krein, sous-
directeur de la musique des Guides et particulière du Roi.
^ Yerviefo
(Correspondance particulière de l'Art moderne.)
Les concours de noire École de Musique viennent d'être clé-
turés dignement et artistiquement par la séance de musique de
chambre, dont nous donnons ci-dessous le magnifique pro-
gramme.
Le jury a décerné la grande médaille en vermeil avec la plus
grande distinction aux concurrents : M. Sauvage, pianiste d'un
grand avenir et M. Angenot, violoniste sérieux, solide et ferme.
Le jury complimente en outre les accompagnateurs et le profes-
seur, M. L. Kefer, directeur de l'école ; il exprime à celui-ci sa
vive satisfaction et le félicite chaleureusement d'avoir produit un
ensemble d'élèves aussi remarquables et d'avoir porté li un degré
si élevé le niveau des études de l'école de musique de Verviers.
(Extrait du registre aux procès-verbaux.)
Le public très nombreux a ratifié celte décision par des bravos
frénétiques.
Signalons parmi les sujets les plus remarquables des autres
cours :
MM. J. Gaillard, violoncelliste; Ed. Deru, violoniste; Bouxmann,
basse profonde, et M"* Lamboray, chanteuse, qui tous font hon-
neur à l'enseignement de celle excellente institution.
Vendredi, 14 août 1891, i 7 ^|i heures. — Musique de
chambre, professeur : M. L. Kefer.
Concours supérieur. — Jury : MM. S. Byrom, préaident ;
Ed. Jacobs, professeur au Conservatoire de Bruxelles; Van der
Heyden, violoncelliste ti Paris; Erasme Raway, compositeur i
"f-:^.
L'ART MODERNE
271
Bruxelle>; D. Heinberg, professeur au Conservatoire royal de
Liège; N. Laoareux, violon solo au Théâtre de la Monnaie.
ImtrumenUà cordes. — \. Haydn, 1" Allegro du Quatuor
n« ki {ré mineur). — 2. Haydn, Adagio du Quatuor n» 13 {$ol
niitmr). — 8. Mozart, Menuet du Quatuor n» 14 {mi bémol). —
4. Beethoven, Finale du Quatuor n» i {toi majeur). — 5. Schu-
mano, l" partie du Quatuor n» 1 op. 41 {lamineur). — 6. Beet-
hoven, Andante et variations du Quatuor n» 5 {la majeur). —
7. Hendelsiohn, Canzonetla du Quatuor n» 1 {mi bémof). —
8. Mendelssohn, Finale du Quatuor n<> 1 {mi bémoî).
Piano et Intlrumenu à cordes. — 1. Lecture à vue d'un Trio
ou Sonate, choisi par le jury dans la collection des œuvres de
Haydn et Mozart. — 2. Beethoven, 1" partie du Trio en ré majeur.
— 3. Beethoven, Adagio du Trio en si bémol majeur. —
4. R. Sehnmann, Scherzo du Quintette {mi bémol). — 8. Gabriel
Faoré, Adagio du l" Quatuor {ut mineur). — 6. L. Kefer,
S* partie du Trio (AUegretto-Scherzando). — 7. J. Brahms, Finale
du Quatuor en sol mineur (Alla Zingaga). — 8. César Franck,
l» partie du Quintette {fa mineur).
N. B. — Ce programme ne donne qu'un fragment de chacune
des œuvres travaillées par les élèves. Le jury pourra y ajouter
tels antres fragments qu'il lui plaira de désigner. Les concurrents
pourront, en outre, au gré du jury, exécuter la Sonate a' 2 en
toi mineur, de Grieg.
A BAYRBTTTH
Extrait d'une amusante correspondance adressée de Bayreuth
au GU Bios :
« Bayreuth est tout à Wagner.
Dans les magasins, on ne voit partout que souvenirs du Maître
et de son théâtre. Ce ne sont pas seulement des photographies,
des livres, des albums, mais une infinité d'objets dans lesquels le
goût allemand se révèle dans toute sa candeur. Le succès de
l'année paraît être un certain « Gral », dont on voit chez les mar-
chands des modèles divers : l'un est une réduction « aux deux tiers
de la grandeur naturelle » et « garantie d'après l'original » du calice
de Parsifal; l'autre, un simple verre à pied, avec des tons roses
et des reliefs dorés parmi lesquels figure en belle place la notation
du « motif du Gral ». Puis, ce sont des objets de toillelte et de
ménage. Les maris allemands venus à Bayreuth en laissant la
famille au logis peuvent rapporter en souvenir h leurs Frauen
de peUts tabliers blancs sur lesquels sont brodés en rouge le por-
trait de Wagner, ou le théâtre, ou la Wahnfried, avec des frag-
ments mélodiques dii maître : thème de Parsifal, commencement
de la romance de VEtoile, etc. ; ils trouveront même, s'ils veulent
être plus pratiques encore, des serviettes, des mouchoirs, des
nappes pour tables de toilette, avec les mêmes ornements ou des
devises appropriées.
Pour les devises, dont l'usage sévit avec insistance dans toute
l'Allemagne, elles sont utilisées surtout comme en-téles de canes
postales. En France, nous mettons ces choses sur les mirlitons ;
les gens de Bayreuth les inscrivent sur les cartes postales, avec le
« Salut de Bayreuth » d'usage et quelques dessins plus ou moins
simples, répandant ainsi la bonne parole à tous les coins du monde.
Ces devises sont naïves. En voici deux, au hasard entre mille :
Wilrt du dich laben am herrlichsten Klang,
Hope des Meisters Schwanengesang I
« Veux-tu te récréer par les sons les plus magnifiques? Ecoute
le chant du cygne du maître ! » Conseil excellent et auquel il n'y
a rien à redire.
Nach Mekkah pilgen die Mohomedaner,
Nach Bayreuth aile Wagnerianer.
« A la Mecque vont les mahom4Mfll^ Bayreuth tous les wagné-
riens », parole d'une vérité profonde, et que certains musiciens
français de ma connaissance ont dévotement pratiquée.
Comme toujours, les Français sont relativement rares; mais les
Anglais et les Américains abondent. Parmi ces derniers, on signale
une famille composée de cinq personnes, qui s'est installée â
Bayreuth, et doit assister à toutes les représentations.
Loyer m 2,S00 francs; vingt représentations à 12S francs
chacune <» 2,500 francs, c'est donc une partie de plaisir qui coû-
tera 5,000 francs non compris la nourriture.
Ajoutons que ces mélomanes Américains ont amené avec eux
leur cuisinier et... leur piano. »
Bayreuth chic, Bayreuth mondain tel que l'ont fait, en ces
dernières années, les Parisiennes qui se pâment aux soirées où un
ténor de salon chante les adieux de Lohengrin, est décrit de façon
amusante par Henry Bauer, dans l'Echo de Paris :
« Nos Parisiennes ne dorment pas, ne mangent point et de deux
en deux jours, de six heures à dix heures, dans une obscurité
contraire à toute toilette, entendent, chantée en allemand, la
musique la moins habituelle et la plus inattendue sur un poème
de la plus abstraite métaphysique et de la plus occluse philo-
sophie. N'importe, on les aura vues errer parmi les rues, où
l'herbe pousse, de l# ville modelée sur Versailles, elles auront
visité les boutiques de bimbeloteries où, témoignages d'un culte
natf, depuis la tabatière jusqu'à l'étui de clysopompe, tout garde
le portrait de Wagner ; elles se seront arrêtées sur la promenade
publique, devant le tombeau du Maître et auront tenté d'y dérober
quelques fleurettes; elles se seront fait présenter en sa demeure
à la villa de Wahnfried où, à défaut de sa veuve, M"' Cosima,
invisible, la fille aînée. M™ Tod, reçoit les visiteurs avec les
compliments de circonstance; — et l'hiver prochain aux pre-
mières soirées, les conversations iront leur train sur les croquis
de voyage : « Ah ! ma chère amie, qu'on était mal couchée. » —
« Mais ce théâtre n'était point imposant du tout; il a l'air d'un
grenier à fourrages. » — « Avez-vous vu le petit Wagner? » —
« Siegfried, il n'est pas beau du tout avec sa figure anguleuse,
je lui ai été présentée; il s'est montré très aimable pour moi,
j'étais émue devant le fils de l'homme qui a trouvé la scène du
banc de Tristan et Yteull ; ce jeune homme a certainement de
la volonté et de l'énergie. » — « Et Van Dyck, n'est-il pas très
bien? Quant aux chanteuses, ces Allemandes sont bien disgra-
cieuses, même la Sucher qui a une réputation de beauté. » —
« ... Quel intéressant voyage ! »
Très chic, Bayreuth; c'est k Bayreuth qu'est le mouvement,
dirait Chartes D..., l'intrépide vide-bouteilles. La mode, la vogue
et la badauderie s'en furent violer le sanctuaire érigé contre elles
en ce coin reculé de la Bavière, par Richard Wagner dédaigneux
des admirations banales. Il avait compté sans la curiosité et la
nervosité entreprenante des Parisiennes.
Wagner a conquis Paris ; son Lohengrin, le second de ses
ouvrages inspirés dans la manière de l'ancien opéra, prend place
sur la scène de notre Académie nationale; ses drames lyriques.
.'■'^.^'fy^^y.- k:^-
272
LART MODERNE
révolulionnaires de pensée, de slyle et de forme, se succéderont
cerlaiDemenl sur quelque autre ihéâlre. L'invasion de Bayreulh
par les légions mondaines n'est-elle pas comme une conséquence
du triomphe de l'art nouveau en France et nous, ses premiers ou
ses déjà anciens disciples, n'avons-nous pas la liberté d'un peu
d'ironie envers ces pèlerins de la mode allant où va le bruit ?
Les souvenirs de nos premiers voyages et des aimables com-
pagnons se présentent en foule par les impressions durables où
à l'enihousiasme se mêlait un peu de ridicule. Comment oublier
le Sar Péladan, élonnement des braves Bavarois, dans ce costume
inusité, pantalon collant sur bottes, gilet de soie bleu de ciel d'où
émerge la chemise à jabot ; justaucorps de velours, chapeau de
feutre, baudrier dans lequel était passé un parapluie. Sur le pas-
sage du mage, les chiens aboyaient, les chevaux se cabraient et
parlaient au galop, les cochers hurlaient : « Sacrement », les
habitants paraissaient aux fenêtres et sur le seuil des boutiques,
— cl lui, impassible, déRlaii.
L'n autre original, plus jeune cl plus gai, c'était le compagnon
Dujardin, le directeur de la Revue Wagnérienne ; il avait
emprunté au magasin d'accessoires du Théâlre Modèle le cor de
Siegfried et troublait le repos de la ville en sonnant pour l'arrivée
(le chaque compalriole. Mais mal lui en prit, quand il voulut
(ransformer le cor en hanap et boire larges rasades de bière en
l'honneur d'un hôle illustre : la peinture de l'accessoire fondit
dans le liquide et Dujardin faillit mourir d'une colique comme le
rai de la ballade.
Le La Mecque de la musique avait alors ses fidèles que, lous
les deux ans, ses magnifiques représentations retrouvaient assem-
blés. Une femme de noble esprit et de grand cœur. Madame
Pelouse, y venait avec un grand cortège d'amis et un nombreux
domestique. Mais l'un des plus anciens adeptes de la nouvelle foi
musicale était un magistrat de Paris, Monsieur Lascoux, qui
possédait et admirait plus qu'aucun les partitions de Wagner.
Durant plusieurs hivers, il nous rendit l'impression de ces œuvres,
alors honnies, dans les représentations privées qu'il organisait à
Paris. Au « petit Bayrouth », c'est ainsi qu'on nomma ces séances,
il fut le metteur en scène, le chef d'un orchestre dont les musi-
ciens avaient noms : Lamourcux, Messager, Pugno, Taffanel et ce
pauvre Fischer; et les chanteuses : Augusta Holmes et une vir-
tuose, très artiste mondaine. M"" Hellman. A Bayreulh, l'assem-
blée ordinaire se tenait après chaque représentation k la brasserie
Angerman, où les Grelchen verseuses de bocks répondaient aux
appellations de Kundry et d'iseull; c'est là qu'on discutait sur
les qualités d'une exécution comparée à une autre, qu'on débat-
lait sur les préférences entre MM" Malien et Materna, qu'on
rapprochait les capelmeister Lévy et Motl, qu'on se récriait sur
l'admirable interprétation d'un Amfortas tel que Scheldemantel
où d'un Beckmesscr comme Frédéric.
C'étaient les temps héroïques du wagnérisme français, où le
voyage à Bayreuth était qualifié d'antipatriolisme, où le culte au
Shakespeare musical était ridiculisé par les Revues. Maintenant
que le divin Maître est imposé aux peuplades de snobs, nous
rassemblons joyeusement ces souvenirs en regardant la mer au
bord d'un des sites merveilleux de la terre de France. »
TOlLiSTOI
Quelques détails caractéristiques, trouvés daos le Journal
de Kourtk, sur la manière de vivre du grand Rnsae, le comte
Tolstoï :
« A cinq heures du matin, l'hiver comme l'été, le comte Léon
Tolstoï sort de son lit... De son lilT... Soyons précis! Le grand
romancier dédaigne de dormir dans un lit, il couche sur une
chaise longue dans son cabinet de travail. C'est dans cette pièce
qu'il a écrit les deux chefs-d'œuvre qui s'appellent Ouerre et Paix
et Enfance et adolescence.
Le cabinet de travail du comte n'est pas un modèle d'ordre.
Près des bibliothèques remplies de livres de choix revêtus d'ad-
mirables reliures, traînent des chaussons de toile — car le roman-
cier ne porte plus de bas — des rftteaux et de gros aaca d'avoine.
En face de la bibliothèque est placé l'établi de, cordonnier sur
lequel Léon Tolstoï fait des bottes.
Aussitôt levé, Tolstoï, sans souci de la température banle ou
basse, prend un bain glacé, et se plongeant dans l'eau froide
avec délices, prolonge ses ablutions pendant au moins un quart
d'heure. »
A en croire l'écrivain russe b qui nous empruntons ce récit,
Tolstoï aurait également renoncé & l'usage du peigne et se con-
tenterait de démêler ses cheveux en y passant ses cinq doigts.
« Tolstoï porte dans l'appartement un costume de moujik com-
posé d'une blouse de coton bleu serrée par une ceinture, de larges
pantalons de toile et de grandes bottes goudronnées...
A cinq heures et demie, le comte monte b la salle h manger,
où il est aussitôt rejoint par ses convives, pour la plupart des
disciples en séjour chez lui et qui partagent ses travaux.
Bien que le comte ne prenne le matin que du café fort, on
sert il ses hôtes du thé avec de la crème, du beurre et du fromage,
qui sont la perfection du genre. »
Le beurre et le fromage sont préparés par l'auteur des Cotaquet
lui-même. Il en a envoyé des échantillons k Saint-Pétersbourg,
mais malgré leur incontestable mérite, ils ont eu beaucoup moins
de succès que les romans du même auteur : échec dont le com^e
ne peut pas prendre son parti.
A six heures le thé est fini et Tolstoï commence sa journée de
travail.
« Rien de plus varié que ses travaux : un jour il construit des
poêles dans les isbas des paysans, le lendemain il balaie la neige
autour de sa propre maison, ou prend l'alêne du cordonnier et
apporte à la confection d'une paire de bottes autant de açin qu'k
la composition d'un roman.
A une heure, dîner composé de beurre et de fromage ou
d'une soupe aux légumes.
« — Pourquoi condamnex-vous toute nourriture animale? lui
demandait un jour un de ses hôtes.
— Parce que tout animal est un organisme.
— Hais la plante aussi est un organisme, fit remarquer son
interlocuteur.
Après un moment de réflexion, Tolstoï répondit :
— Il viendra peut-être un temps où l'on ne mangera plus de
végétaux pour la même raison. »
De quoi se nourrira la faible humanité à cette époque lointaine,
Tolstoï ne l'a pas dit, et, du reste, son disciple n'a pas potusé
plus loin ses questions.
L'ART MODERNE
273
Aprt« le dîner, le comte prend une heure de repos, puis il ;e
met k écrire, mais jamais plus de deux heures.
Ceit dans ce court espace de temps qu'il a composé sa fameuse
Sonate à Kreutxer.
Le régime végétarien et le kvass ne sont-ils pas pour quelque
chose dans le pessimisme amer de la Sonatet Au temps ou Tolstoï
ne bannissait pas les organitmet de sa table et sablait le Cham-
pagne, il a peint l'amour et le mariage sous des couleurs beau-
coup plus vraies et infiniment plus attrayantes.
Petite chronique
Aux artistes suivants, la Commission pour l'achat d'œuvres
pour le Musée, fait des propositions :
I^or. Crabeela, d'Anvers (en léie de liste avec le plus grand
nombrti de voix). — J. Rosier, d'Anvers. — L. Brunin, id. —
G., Poclitije, id. — Bellis, de Bruxelles.
Parmi les sculpteurs :
Désenfans, de Gand. — De Braeckeleer, d'Anvers, et Fabri, idi,
se disputent, k l'heure qu'il est, le restant des 36,000 francs
affectés à cette belle besogne.
Parmi les blackboulés, entre autres : Verwée et Hetmans ! ! !
Emile Bergerat, qui, sous la signature Caiiban, se moque sans
lassitude des ponlifards d'art et de leurs sottes opérations doctri-
naires, s'occupe de la démission de M. Laroumet, le grand-préire
français en la matière et à celte occasion donne à ceux qui
briguent sa succession, les plaisants et excellents conseils que
voici :
« — D'abord il s'agit de protéger les arts. Peut-être vous
imaginez-vous que c'est facile? Mais outre que personne ne les
attaque, et au contraire, ces animaux d'aris se cabrent et ruent
dès qu'on b'ii mine de les proléger. J'aimerais mieux avoir à
conduire neuf filles folles au Moulin de la Galette que d'avoir à
diriger les neuf Muses sur les pentes du Parnasse. Ah ! quelle pen-
sion, mon pauvre Caiiban! Dès que je faisais autour d'elles le
moulinet d'Etat, en bon gendarme, les voilà qui troussaient leurs
colle* et s'escampalivaienl, bêlantes. Je crois que le propre des
Muses est de vouloir ne pas être protégées. Maïs je n'ose là-dessus
voua dire toute ma pensée. Qu'il vous sufKse de savoir que ces
immortelles allégories ont avec le Pouvoir les mœurs mêmes de
la Mouquelle
L'art est comme la foi, c'est sous les Dioclé(ien8 qu'il fleurit
ses martyrs. Faites un sort amer aux tragicolâlres, et demain
vous aurez des Racine. Qu'est-ce que vous avez taquiné sous voire
Consulat, la chansonnette de café-concert? Elle vous a donné ses
maître*.
— Sont-ce I& vos idées de surintendance?
Exactement. Un art qui se sent protégé est comme un
animal domestique, il meurt gras et gorgé de sucre, mais il meurt
dan* la langueur qu'engendrent les plus douces servitudes. Pour
moi, si j'aimais la tragédie, je la taxerais de police correction-
nelle, et j'en aurais! El si je voulais de la peinture d'histoire, je
m'en procurerais de la même manière, infaillible, en enfermant
ceux qui la pratiquent dans des maisons de force. Flanquez sur
un bateau tous les wagnériens et expédiez-les à l'Ile Nou, cl huit
jours après l'Opéra affiche la Tétralogie. Telle serait ma surinten-
dance. Les arts vivent de tracas el succombent au bien-être.
J'inaugurerai la persécution d'Etal, et vous m'en direz des
nouvelles. »
On a inauguré dernièrement, à Abbeville, un monument à la
mémoire de Pamiral Courbet. Le hasard des flâneries de vacances,
qui nou* a mené de l'embouchure de l'Escaut à celle de la
Somme, le long de ce littoral merveilleux sente de ports en gue-
ttes ei de plages tout en cottages et en chalets, nous fil voir,
aulro jour, le stupéfiant assemblage de marbres blancs qui
compose le monumenfCourbet. Il paratl qu'on s'est mis à deux
pour accomplir celte besogne. Falguière et Mercié, nous a-i-on
assuré, ont combiné el exécuté le groupe où l'on voit l'amiral
commander, en redingote, à des femmes nues démesurémenl
longues el flasques, enlacées à une nef antique. C'esl comique et
lugubre à la fois. Dans la trisiessc des monumenls modernes, la
statue d'Abbeville jette une noie gaie. Hais ce qui est navrant,
c'est de voir à quels écarts de goût peuvent se livrer des artistes
qui ont eu du talent el qui ont encore une accaparanle notoriété.
Tout & côté se dresse, dans sa sévère beauté, l'église gothique
de Sainl-Wulfran. El les merveilleuses dentelles de pierre de la
chapelle du Saint-Esprit, i Rue, si près d'Abbeville, en ce môme
département de la Somme, dont la cathédrale d'Amiens el les
Puvis de Chavannes du Musée de Picardie sont l'orgueil, ne nous
étaienl pas sorties de la mémoire...
Ce Musée de Picardie, fondé par Pfapoléon III, est fort bien
installé et remarquablement aménagé. Il n'a nullement l'aspect
d'un musée de province, bien que parmi les toiles qui s'y trouvent
il y ail bon nombre de ces achats de complaisance que l'Elal se
croit obligé de faire, tous les ans, à la Halle aux huiles des
Champs-Elysées (qui esi le Nijni-Novgorod des tableaux) el qu'il
expédie ensuite dans les chefs-lieux de déparlement.
Mais le Musée renferme une admirable série de Puvis de Cha-
vannes, peints tout exprès pour lui, el cela suffit à le hausser au
rang des plus beaux musées modernes de l'Europe. Nous avons
revu avec émotion le Pro patria ludus, l'une des plus magnifiques
compositions du maître. Elle rayonne, à Amiens, d'un pur éclat,
dan» l'encadrement que l'artiste lui a donné, el placée sur le pan-
neau pour lequel elle a été faite. Toute une galerie décorée par
Puvis de Chavannes, d'une harmonie de couleurs el de formes
extraordinaires, justifierait seule un voyage à Amiens, si déjà la
cathédrale, la plus vaste el la plus belle de France, ne le sollici-
tait.
On s'occupe, en ce moment, au Palais-Bourbon, du placement
du bas-relief de Dalou, Mirabeau aux EtaU-Oénéraux.
On sait que cette œuvre célèbre du maître slaïuaire doil être
placée dans la salle des délibérations, à l'endroit occupé actuel-
lemenl par la tapisserie de l'Ecole d'Athènes, au dessus du
bureau du président.
Le mur est déjà entaillé, el des essais de moulures ont été faits.
Le cadre doil être de marbre rouge antique. Il sera d'abord scellé
au mur, el c'est seulement après cela qu'on y introduira le
bronze.
Cette opération sera des plus difficiles, car le bas-relief do
Dalou pèse un poids considérable.
Il a été fondu à cire perdue el d'un seul jet par M. Eugène
Gonon, fils du célèbre fondeur Honoré Gonon, qui coula à cire
perdue les œuvres les plus importantes de Barye.
La fonte du bas-relief de Mirabeau est un des plus beaux tra-
vaux du bronze de ce temps-ci, cl appellera tout particulièrement,
au moment de son inauguration, l'atlcntion du publie et des
arlisles sur le maître fondeur, qui est âgé de soixante-seize ans et
a réalisé ce colossal travail avec très peu de collaborateurs.
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Pairtout elle vous poursuit, implac&ble, inétonffitble,
cette grande voix de rhamanité vraie, de l'humanité
ouvrière, clamant l'acte d'accusation contre les acca-
pareurs de richesses sociales. De sa noire caverne, la
Misère, pareille à Skyllé, pousse des rugissements
aussi puissants que ceux du fauve lion. Monstrueuse et
formidable, nul n'est joyeux de l'avoir vue, pas môme
un Dieu. Comme son antique et fabuleuse ancêtre,
a-t-elle douze pieds difformes et six cous sortent-ils
longuement de son corps, chaque cou avec une tête
horrible, et dans chaque gueule, pleine de la noire
mort, une triple rangée de dents épaisses? « Plongée
dans son antre creux jusqu'aux reins, elle étend au
dehors ses téteeet, regardant autour, elle saisit les dau-
phins, les chiens de mer et les autres monstres innom-
brables que nourrit la gémissante Amphitrite. Jamais
marin n'a pu se glorifier d'avoir passé auprès d'elle
sain et sauf, car chaque tête enlève un homme hors des
nefs à proue bleue ! »
Vous venez de la voir, vous venez de l'entendre au
Congrès ouvrier, l'indomptable et terrible bête, mis-
sionnaire de justice et d'égalité, prophétesse de cata-
strophes. Pour la première fois (car elle fut longtemps
hypocrite ou muette sur les secrets instincts de son
appétit d'ogresse), elle a crié très haut ce qu'elle vou-
lait : LA Guerre pes Classes ! Dans l'orgueil de sa
puissance montante, elle n'a pas marchandé aux futures
victimes l'arrêt qu'elle veut leur appliquer, impi-
toyable. Elle veut détruire et dévorer. Elle veut rester
seule sur le champ du carnage et y édifier la Cité de
Justice, où la sainte fraternité aryenne régnera, enfin !
et resplendira sous les cieux.
Et cette immense vision de dévastation et de réédifi-
cation ne semble plus un rêve. Chacun, dans les fonds
obscurs où s'agitent les prévisions de l'inconnu futur et
d'où montent les sûrs avis des pressentiments, ^seçt que
cela arrivera et qu'on ne peut plus ergoter que sur
l'échéance, toujours plus vite arrivée que ne le croyait
l'imprévoyance. Chacun commence à se préparer à cette
fin d'un monde, comme au siècle dernier aux approches
de quatre-vingt-neuf, et en redoutant vaguement le ter-
rifiant complément d'un quatre-vingt-treize. Mainte-
nant comme alors les cris d'alarme, les signes précur-
seurs, monstra ac portenta, abondent. On entrevoit,
_-ji <!?..; »■• -r;'?-.
276
L'ART MODERNE
non plus à l'horizon comme aux jours de Dioclétien,
mais au dessous de soi, les gi-ands barbares du poète, se
préparant à l'assaut de la civilisation artificielle de la
classe bourgeoise. Malgré sa puissance argent et sa
puissance armée, elle va s'écrouler, tombant dans les
innombrables flots populaires; elle va se dissoudre et
disparaître.
Oui, disparaître, avec tout ce qu'elle est, — et notam-
ment AVEC SON Art. Sans qu'on puisse deviner, avec
quelque vraisemblance, ce qui sera après. Car prodi-
gieusement puérile est cette lassante question du : ce
qu'il y aura après. Qu'importe! Dans l'évolution des
événements et des choses, le -Destin ne connaît pas
d'hyatus. Sous l'écorce usée qui sera brisée, déjà
poussent, mystérieuses, les végétations vigoureuses de
l'avenir. Faut-il répondre, quand il s'agit de guérir une
peste, noir fléau, à qui demande ce qu'on mettra a la
place?
Notamment avec son Art ! Avez-vous remarqué que,
dans ce congrès ouvrier, si fantastique d'imprévu, si
eff'rayant de feux destructeurs entrevus, de féroces
fureurs mal contenues, hennissant pareilles aux che-
vaux d'Achille, prêts à partir, dévastateurs, pas un mot
d'art ne fut dit, pas une pensée artistique ne flotta sur
cette multitude aux innombrables rumeurs comme la
mer. Croient-ils pouvoir vivre sans art leur organisa-
tion future? Rôvent-ils son abolition parce qu'il se
révèle présentement serviteur adulateur de l'odieux
luxe des parasites ?
Non, sans doute. Ces âmes et ces bras vont au plus
pressé et veulent d'abord débarrasser la place. Quand
on aura emporté les décombres et les cadavres, quand
on aura purifié les portiques, quand les arts de la guerre
auront achevé leur dure tâche, ce sera le tour des arts
de la paix. Car il est hors de la volonté des mortels
d'empêcher l'efflorescence divine du Beau sur les œuvres
humaines. Qui jamais pût éteindre cette splendeur, im-
matérielle émanation, dédoublant les corps, nectar et
ambroisie, seule nourriture de la partie la plus noble de
notre âme ?
Cet art que sera-t-il ? Encore la question de ce qui
sera après, obsédante. Jadis, en ce même journal, nous
nous laissions aller à sonder ce problème, la fragile
baguette de coudrier de la critique divinatrice entre les
mains. Et de notre plume sortaient timidement des idées
chancelantes.
Chaque fois qu'en un grand brassage, des idées, des
tendances nouvelles ont été mêlées à une civilisation ;
chaque fois que l'édifice d'une époque s'écroulant, ses
matériaux ont été entraînés dans le tourbillon d'une
révolution, roulés, broyés avec les matériaux d'au des-
sous en quantité plus grande, la pâte, résultante de cette
cuisine de cataclysme, est apparue d'abord comme de
qualité inférieure. Mais, plus tard, c'est elle dont sor-
tent les monuments plus beaux des temps noaveaux.
Aussi, cette période transitoire d'incertitude fit d'obscu-
rité masquant la fécondité, a-t-elle reçu un nom signi-
ficatif : LE MOYEN-AOB.
Moyen-âge fut la situation de l'Europe après la chute
de l'Empire romain éparpillant ses débris sur les multi-
tudes barbares. Moyen-âge sera la situation de l'art
après la chute de la féodalité d'argent émiettant ses
richesses restituées sur les multitudes ouvrières. Un
Nouveau moyen-aqe !
Oui, on peut s'attendre à un recul momentané. Tous
ces raffinements, toute cette manie, cette folie de
nuances, ces amincissements, ces aiguisements dispa-
raîtront dans la fournaise. Quel sens ont-ils pour ces
masses depuis si longtemps sevrées (et de plus en plus)
de l'art accaparé par d'autres ? Et comment ce monde
d'artistes, accoutumé à ne plus s'occuper d'elles, ayant
désappris la langue artistique compréhensible pour
elles, aurait-il l'aptitude nécessaire pour changer brus-
quement son orientation? Le courtisan du riche
désapprend de parler au pauvre. L'esprit habitué à
calculer ce que peut rapporter une œuvre, sera stérile
quand une telle préoccupation deviendra sans objet.
La crise sociale qui s'annonce, en même temps qu'elle
mettra la déroute chez les financiers, la mettra dans
le bataillon des artistes qui, conscients ou non, les
servent. Ce sera une universelle mise-à-pied et un
recrutement sur nouveaux frais.
Il y aura alors des jours d'impuissance et de stagna-
tion. L'art apparaîtra mort, ou tout au moins déchu.
Les lamentations sur • cette fin de siècle « redoubleront
et des voix gémissantes ou colères accuseront la démo-
cratie stérilisante, qui détruit sans remplacer. Mais en
vérité, elle sera comme la dévastatrice Athèuè, qui ne
ravageait que pour mieux féconder, la Minerve armée
de la lance meurtrière et du bouclier à tète de Gorgone
efirayante, mais qui était la déesse aux yeux clairs,
enseignant à planter l'olivier et inspiratrice de toute
justice. L'art démocratique aura ce caractère 4e viser
aux jouissances psychiques de tous au lieu de ne penser
qu'aux jouissances blasées de quelques-uns. Sans cesse
il grandira avec cette préoccupation plus généreuse,
plus saine et plus noble.. On le verra, redescendant
comme autrefois, dans les détails de la vie, embellir
l'outil du travailleur, le mobilier des demeures simples,
les costumes nationaux. L'assiette, le pot, l'enseigne, la
porte, la serrure redeviendront des objets que l'artiste
croira dignes de l'occuper. Et en même temps, dans
l'âme des poètes, au lieu des énigmes en honneur,
s'adressant aux initiés, reverdiront ces beaux chants
d'universelle humanité qui nous font, encore aujour-
d'hui, préférer les œuvres mortes aux œuvres récentes.
Une nouvelle ère de chansons populaires, de légendes
symbolisant les événements et les grandes lois natu-
^^m^W^^W-^!^^-
relies, des mythes puissants et charmeurs, un Folklore.
Le sculpteur ne travaillera plus pour le boudoir, mais
pour la place ou le monument publics. En architecture,
on aura antre chose que l'édificateur des maisons bour-
geoises, ^oïstes et cossues. L'art redeviendra la langue
commune, et ne sera plus on ne sait quel dialecte hermé-
tique destiné à un collège de brahmines.
Lentement il^ montera ainsi durant ce nouveau moyen-
Age, universel et populaire. Populaire, oui, et ce nonob-
stant, non moindre finalement qu'il ne l'est aujourd'hui.
Car, lui aussi procède par cet alternatif mouvement
qui, suivant Pascal, est celui de l'évolution de tout pro-
grès et de toute vérité : En avant; — puis, un peu en
arrière ; — ensuite, encore en avant ; — puis, un arrêt ;
— et alors plus loin d'une poussée nouvelle ; — mais un
ralentissement ; — enfin, en avant d'un élan irrésistible !
LES CHANSONS D'AMANT
par OusTAyi Kahn. — Brux«lles, chez Laopinblez.
Voici un livre qui sans doute nous vient d'Orient. Il
en évoque les site» et les emblèmes, et les personnages
et les àbles. On y trouve « les tentes dépliées au pied
des caravanes, les étriers coruscants jetés dans la pous-
sière, le bruit du galop exhilarant des cavales, les roses du
Faristan, les Babels et les rois-mages, les Judées et les
Palestines, les Ismaels, les Madianites et Myriam et
Âgar et Daoud et Soliman et la Bible, et aussi le
Koran ». Le rêve du poète ap{)aralt vêtu d'étoffes
légères, d'écharpes et de voiles, il s'attarde aux ter-
rasses au seuil des déserts, il s'étale en des fôtes de
soleil, il trouve sa joie aux cités des minarets et des
derviches, il s'échappe sans cesse vers les natales
r^ons, si bien qu'il semble plongé dans une oasis, alors
que rode autour le cri déjà solliciteur :
" Ahl fuir vers 1m tribui en marche. »
Pourtant, afiimer qu'il n'v ait aucun alliage d'occi-
dentalisme en ces visions ae vrai et personnel poète,
nous n'oserions. Et d'abord, bien que l'idée de volupté
qu'elles profèrent soit moellée de mahométisme, le
rond si noir-étoilé de lassitude, de tristesse, de découra-
gement, d'inquiétude, d'attenté'douloureuse, de détresse
souvent, suscite au souvenir ces vers, qui pourraient
servir d'épigraphe à mainte famille de strophes :
Ah, lointainei les Airiques et lei Palestioea !
La rue pile l'ëchoue en la brume d'Occident.
Et, de même certains détails de décor enjolivent des
moyen-âges chrétiens, et telles expressions, par exemple,
• dits de la reine • voisinent étrangement avec •> piscine
d'absolu ».
Nous croyons que par ces préliminaires remarques,
la nature de M. Gustave Kahn se révèle immédiate-
ment. Foncièrement exotique, elle est contrariée par
l'éducation subie, par les années vécues dans les pays
d'Europe, par les philosophies lues et tentantes, par
l'existence réelle filtrée à travers l'existence rêvée. Cela
nous parait vrai à tel point qu'à chac^ue partie des
Chansons d'amant, on pourrait noter 1 influence sous
laquelle elle fut composée. Seraient d'un poète oriental :
La belle au château rêvant. Eventails, Eventails
tristes et Reyam, et d'un poète occidental : Soir par
la ville^ et Lieds. Il est évident que nous ne jugeons
que l'ensemble de ces différents groupes de poèmes pour
les qualifier tels et que nous surprenons, certes, les
confluents des deux veines, ci et la, en chacun d'eux.
Ainsi entendu, M. Kahn nous apparaît un poète
notant d'instinct sa vie de cerveau en ses volumes. Il
s'écoute et se transcrit. Certes, s'incarne-t-il en tel per-
sonnage de fabuleuse vie éteinte, en des héros et en des
noms propres clairsonnants ; mais qu'il se grandisse le
quelqu un de son rêve exalté ou qu il se désigne par le
simple pronom personnel, c'est toujours lui. Il se des-
sine et se colore et c'est là l'œuvre ae tout chanteur, la
seule et la vraie, à moins qu'on ne s'attarde au jeu de
patience des rimes et aux parties de domino des sonnets
sans défauts. Au long du présent livre, on sent la vie
du soi-même exprimée sans se violenter, sans se fouetter
de difficultés vaincues, sans se lacérer de perfection;
on dirait au contraire : joie d'écrire, fête à trouver de
belles images frêles et éclatantes et à pavillonner la cité
où l'on mène en cortège l'art.
Entre deux poèmes, l'un la Belle au château rêvant,
l'autre Reyam, qui sont comme les points de départ et
d'arrivée d!^'une marche vers l'amour, le livre s'émiette
en chansons. Le premier est la légende simplifiée et
déformée pour son adaptation à l'œuvre de la Belle
au bois dormant, légende, croyons-nous, occidentale,
mais orientaiisée par le décor et refondue. L'affabula-
tion est peu complexe.
Tentée par la voix du veilleur sur la tour, le pèlerin
perdu de force, « l'Ephémère, le tyrse des Douleurs »
pénètre au manoir qui se dresse au front du roc. Il
a marché « par delà la colline et par delà la plaine sa
marche prisonnière, son cheval de luttes est mort au
long des grèves, son glaive s'est brisé contre l'écu du
chevalier-Trère. Il dit et interpelle :
Qui que tu sois, gardien du fort.
Qui que tu loia, marin du promontoire,
Descende tes pas armés le long des forteresses,
Le maître des douleurs transgressera ton territoire.
Mais le veilleur consent :
Que la herse se lève pour l'accueil.
Passant qui lamentez votre &me sur le seuil.
Pourtant le pèlerin, mal préparé, pour » l'indicible »
et • les pleurs lentes de la blessure rouge saignant aux
bouges trop fréquents encore de lui « est arrêté, malgré
ses suppliques : " J'ai rêvé la route à ton gîte où
l'étoile luit et que mes avenirs s'étoileraient de tes
féeries " et malgré ses promesses de fêtes. Le chœur
invisible lui bruit :
Transmuter l'ëclair en chair indestructible.
Figer la seconde en éternel monde.
Folie du passant qui s'arrête et s'écrie :
" Érigez sur cette vague l'étemel palais du réel ».
Et la belle non consentante se rendort :
Reviens à moi, sommeil, scelle-toi sur ma bouche ;
Des mirages de leurs visages garde le lac de mes jeux,
Reprends-moi dans le val aux mousses quiétantes
Où toujours l'amoureux soulève un pan dé tente
Et se retire peureux,
Et le veilleur des tours, tandis que s'en part le pèle-
rin, en guise de conclusion, reprend sa chanson lente et
le manoir retombe en sa tombe de silence.
■,>«'tç-ir»jç.i,%-!:.:
278
VART MODERNE
L'autre poème : Reyam est une réalisation d'espoir
autant que le premier est la déception.
L'amour y chante :
Cest l'heure attendue :
Mon ami de mes rivée et de ma vie l'en revient
vers notre chambre de nos baisers.
La nuit se fait plus claire aux vitraux de la chambre,
l'argent lunaire rit aux fleurs d'or des divans,
voici le silence de la nuit
l'heure en ftte de la nuit.
Un seul bruit passera sur la terrasse du palais
celui de son pas vers mes baisers.
0 Nuit vAtue de noire chevelure piquée d'astres
d'astres d'or mat, d'astres en diamants.
JN'ouB voici qui partons notre sommeil d'amants
vers toi, notre sœur étemelle et solitaire.
Et lu nous ris de toutes tes étoiles
Nuit abondante qui nous enveloppe de son voile.
Ces deux poèmes qui se passent dans le vague des
temps sont d'une conception universelle, spécialisée
des préoccupations littéraires de l'heure. Ils s apparen-
tent aux lyrismes wagnériens, à ces données fondamen-
tales de passion et de rêve, qui enserrent soit entre
leurs mailles versifiées soit entre leurs textures musi-
cales l'essentiel du cœur et du drame de telle pensée.
Pour l'exprimer on a recours à des moyens spéciaux, à
des affabulations légendaires, à des formes flottantes et
amples et surtout à ce qui est la poésie pure, c'est-à-dire :
l'imagination figurative et émotionnelle. Ce serait
rabaisser la signification de ces poèmes que de discuter
à leur occasion la question du vers libre et de ressasser
cette question si simple en elle-même, mais que les
disputes embrouillent et futilisent. Pour nous, les
beautés indiscutables de certains mots, le mariage
exquis de tels deux termes, nous les oublions à entendre
les rythmes déroulés à travers l'ensemble et si bellement
épanouissant l'idée, que nous ne croyons pas avoir
entendu jamais plus adéquates harmonies.
Dans la dédicace de son livre à M*"" Elisabeth Kahn,
l'auteur imprime :
(Ces vers) • ils sont durs et bizarres mais aimants •.
Aimants certes, bigarres parfois — mais durs? Nous
avouons ne pas admettre ce qualificatif. M. Kahn
évite toute rudesse et toute fausse sonnance qui n'au-
raient que faire en son art, triste, comme nous l'avons
dit plus haut, mais si aériennement pavoisé d'images de
soie.
Quand nous avons dit qu'entre les deux jpoèmes de
son seuil et de son abside, le livre s'émiettatt en chan-
sons, nous n'avons donné à cet imparfait aucune signi-
fication déprimante. En efiet, bien de ces chansons
s'affirment purement très belles. Elles sont des désirs
vers la femme, des louanges de sa splendeur, des sacri-
fices devant son mystère, des espérances en encensoir,
des caresses en prière, des aveux et des craintes comme
dans la Nuit sur la Lande ; puis des plaintes et des
navrances et des pleurs comme dans Soir par la ville ;
puis l'âcreté du bonheur, les choses vinoicatrices, les
passés cruels, l'âme perdue, en un mot les désespoirs
dans Lieds, puis dans Eventails tristes, qui précèdent
immédiatement le poème d'amour final, cette pièce de
douceur et de pardon :
Mon àme, pardonnons-nous ; quels tarots
nous eussent prédit nos solitudes !
Mon àme, pardonnons-nous ces trots dans les solitudes.
Ma compagne des veillées Acres, veillons ensemble.
ïa parler dea désespoirs dat solitudeat aoooude-lol
n parmi les ruines «eus U passage de la bord*
rMueiUa-ioi.
Au bois, !«• M des enlanta morts sonnent des musique* extatiques,
dai échos se lèvent et murmurent léthargiques
•4 Vos imes endormes-Tous, ton àme garde-toi. —
Et voilà ce livre vers lequel s'en va notre très vive
et grande admiration. Nous avons tâché principalement
de l'examiner, mais si nous devions en écrire la victoire,
certes serions-nous aussi explicites.
 propos de la phalange de néo-poètes dont M. Kahn
fait partie, le n» 57 de la Revue indépendante (juillet
dernier) a publié sous le titre Fiasco symboliste et
avec la signature de MM. Gaston et Jules Coutnrat,
une étude faite pour étonner. Â des hommes tels que
Stéphane Malarmé, Henri de Régnier, Francis Vielé-
QrifBn, Gustave Kahn, ils osent dire : Taisez- vous,
vous êtes des vaincus!... Taisez- vous et travaillez!
Pareille inconscience de la valeur du mouvement
littéraire institué par ces écrivains, et de l'évolution
poétique contemporaine, est fâcheuse, surtout quand
elle reçoit accueil dans une revue qui s'était fait un bon
renom. On a donné à cet article la première classe et il
apparaît comme une déclaration de guerre. Tant pis
pour la Revue indépendante et pour les Siamois qui
acceptent cette responsabilité qui ne fait pas honneur.
On pourrait, pourtant, espérer en avoir fini avec ces
querelles stériles, qui apparaissent surtout comme de
mesquines rivalités. Il semblait que chacun se rendait
compte qu'à notre époque littéraire destructive des
formes usées et constructive de formes neuves, la
sagesse et la justice étaient d'admettre et de favoriser
tous les efforts en attendant l'éclosion complète de l'Art
neuf encore indécis.
^ALON TRIENNAL D'^NVERg
(Second article.)
An Très Saint Temple de Très Sainte Nullité.
Eb bien oui, qu'on leur accordé la pitié qu'ils impiorenl ; qu'on
délivre ces doux et généreux organisateurs de ce Salon triennal
de la meule qui les poursuit et qui leur fait si furieusement battre
des bras l'air lourd ù remuer, en ces salles, comme les tristesses
qui se couchent sur l'âme. Qu'on les délivre de l'effroi du cauebe-
mar dont ils ne ponrraic&l^ae délivrer qu'en criant; et c'est, cbez
eux, le silence, le silence écrasant que personne n'a la puissance
de rompre; le silence des terres sans atmosphère, des terres
mortes, des terres noires; l'irrémédiable silence de ces salles où
ils se sont condamnés ii mourir pour y avoir bouché toute
échappée sur la radieuse et vivifiante clarté de l'art nouveau, de
l'art de l'avenir I Notre pitié est acquise à celte agonie où leurs
facultés s'affaiblissent au point de confondre une critique fièrement
indépendante el désintéressée, à coup sûr, avec telles manopuvres
journalistiques, surtout inspirées par une rivalité mesquine de
ville V ville, ou tout autre mobile 'dont la presse est l'agence
coulumière et méprisable I
N'ont-ils pas trouvé assez de force pour qualifier dans l'avant-
dernier rlle qu'ils pousseront, notre auitude « d'indignité t »
Evidemment serait-il plus prudent de nous mettre & distance pour
.l'^s^K--" «•''■■■ -^'
tÊSii
L'ART MODERNE
279
voir crever la voMie — k laquelle ils onl convié jusqu'h l'arrière-
gtrde des bouches pour la gonfler —si nous ne voulons pas élre
pollués par la « mauvaise humeur » qui s'en épandra 1
C'eil nous, pluUit, qui devrions nous excuser près de nos lec-
teur! de l'esclandre et des rudes coups d'épaule qu'il faut donner
— mais, grftce k Dieu, ne nous sentons-nous pas épuisés! — afin
d'arriver un peu librement, b travers l'hostile et immortelle
Nullité, h rendre notre dévotion aux très réels artistes qui s'y sont
égarés et i peser notre admiration I
Absolue pour cette géniale œuvre — le portrait du vieil empe-'
pereur OuiUaume! — La place où elle append se nantit pour
nous désormais du pouvoir d'évoquer — comme de clarté celle où
fut, il y a quelque douze ou quinze ans, accroché le Bar de
NANiTt — l'émouvante profondeur de ces yeux, la poignante
dolenee de cette exsangue face de vieillard I
Ainsi la fallait-il, résumée pour l'Histoire, cette pitoyable
figure du vieux roi, acculé |)ar le despotisme de l'esprit orgueilleux
et volontaire, auquel il était anormalement accouplé !
Ces yeux, ces yeux voilés d'infinie tristesse, tristes comme ceux
d'une femme qui gravit — comme lui — le calvaire d'une union
mal assortie, et aflirmeni le poids des convenances observées, des
rapporta maudits au fond de soi et l'effroi de l'œuvre, monstrueuse
ensuite, hors d'eux, — ici, celte Allemagne unifiée!
Il s'affaissa \i, en l'habituelle humilité devant celui qui pour
ne pas être visible en l'espace limité par cette bordure d'or vieil,
n'en n'est pat moim prêtent. Ce sera la gloire éternelle de von
Lknbach d'avoir noté ainsi Guillaume I", empereur, dépourvu du
faux air qu'il avait consigne de prendre — et qui menaçait d'his-
toriquement s'accréditer — aux heures d'apparat et de parade —
portraituré ainsi n'aurail-il incarné qu'une convention abstraite,
le suprême pouvoir! — et de l'avoir fait revivre pour nous en
l'intimité vraie de sa nature propre et de son ftme.
C'est que nous l'aimons maintenant, ce vieil empereur; nous
l'aimons de toute notre pitié ce plus puissant homme de la Terre ;
nous l'aimons ii cause de sa pesante charge et de l'inutilité de
ses victoires et de son apothéose.
C'est il se demander pourquoi ou a toléré i cette cour, si
éminemment vaniteuse et militaire, la menaçante présence de ce
peintre qui allait en laisser une physionomie si essentiellement
bourgeoiu et timpU. Car c'est une personnalité très étrange et
très sympathique et dont l'énorme prestige, dans cette Allemagne
qui incarne, en art, toute la quincaillerie et tout le mauvais goûi,
ne s'explique pas plus. Et n'était une alliance princière —
aCIrme-t-on — eût-il eu raison, — malgré son génie — du dépit
des .péronnelles mafilues que son insouciance aura insultées
autant que son expresse et dédaigneuse inattention pour ces
orgueilleux porte-éperons qu'il aura croisés dans les vestibules du
palais impérial. Lenbach est bien, i cause de son procédé mou,
terne et glaireux, le peintre le plus incapable que je connaisse de
peindre toute joie, toute exubérance, toute féminité; et je pres-
sens, en lui, un incommensurable dégoût du fnste. Il est, en ce
moment, le peintre né pour définir les traits des grands hommes
et lui faut-il l'altrail d'une supériorité ou d'une grandeur, sinon,
comme devant tel monsieur premier-venu Allemand descend-il ^
la vacuité du portrait quelconque.
Plus qu'il n'y parait à première vue, son art est parallèle ii
celui de Raffaëlli; et les œuvres de von Lembach seront un
appoint aussi considérable k la doctrine du « caracléritme » que
les œuvres du maître fiançais lui-même! Même que les toiles du
portraitiste allemand, sous leur forme plus coulante ou plus
superficielle, trahissent une plus grande acuité d'observation
caractériaiique qu'en ces u Deux ancietit » pratiqués, pourtant,
par un procédé plus incisif, beaucoup plus mordant. Cela tient-il
surtout au fond peu correspondant de lumière et Je signification ;
ce fond peu précis de banlieue parisienne sur lequel se silhouet-
tent ces deux captivantes têtes de vieux Juifs, qui mieux ailleurs
que Ik se spécialiseraient.
N'importe, ils sont ces deux têtes où s'inscrivent tous les
instincts de cette répulsive race sémitique, une des transcriptions
les plus méritantes, les plus bellement peintes de Raffaëlu.
L'orientation naturelle de l'art des forts se révèle donc vers ces
recherches — que reprendront bientôt, il faut le croire, avec tout
l'acquis d'une notation neuve et scientifique des couleurs, Ceux
qui momentanément ne se préoccupent que de ces seules et
spéciales éludes — du caractère et de l'intensilé de vie physique.
Le J^'aucfteurde Constantin Meunier souligne l'un ; mais, ici,
manque-t-il trop malheureusement de l'espace qu'il faudrait et de
l'horizon pour imposer toute l'ampleur de son geste ; et ce suprême
u Eeu homo » — qui s'affilie aux inoubliables figurines de
Georges Minne, vit de l'autre. Car il y a plus qu'une sculpture
qui donne l'illusion de n'être pas froide au loucher, il y a — mais
pourquoi cette transcription en de la littérature? — la lassitude
dont il ne réveillera plus de ce corps qui s'est élire sous lu
lanière de toutes les risées, de toutes les ignominies ; la pitoyable
dépouille de celui qui se désespère surtout k cause de sa bonté
incomprise. C'est le souvenir des (lasques chairs creusées de ceux
qui supplicient le travail et les catastrophes et l'angoisse morale
et toutes les désespérances qui ont visité son kme de très grand
artiste que MEinnKR a pétris pour cette image du Dieu fait homme.
tt Voilk l'bomme » est impropre, ici, comme il l'a toujours été;
car c'est le symbole plutôt qu'il incarnait, la personnalité du
Christ idéale qui furent exposés aux brûles et Meunier a affalé au
poteau ce hkve et allongé cadavre du Rêve, l'effondrement pileux
et décharné d'un idéal.
tt Voilk le Rêve » s'était imaginairement inscrit de toul temps
sur l'écrileau et d'aucuns l'y onl lu qui ne sont pas les plats nar-
rateurs des faits divers de I' k Histoire du Roi des Juifs! »
Et la fatalité de la prédiction rayonne d'autant plus intensément
qu'elle s'est incarnée en lin dont le corps est comme celui de
nous- même.
LA QUESTION DES MUSÉES
Monsieur le Directeur de F Art moderne,
Voici de nouveaux éléments k ajouter k votre cueillette de griefs
qui est en train de former une si belle auréole autour des fronts
impassibles de ces messieurs de la Commission des Musées.
Fait-on, de temps k autre, un récolemeni des œuvres d'art?
Y a-t-il un contrôle périodique de ces richesses? Y a-l-il quelque
part un inventaire sérieux et tenu à jour 1 Ou bien se conlenle-
t-on des paperasses administratives, difficiles k manier et a con-
sulter ? Pourrait-on indiquer une date k laquelle il aurail élé fait
un examen, sur place cl à pied d'œuvre, de ce qui existe réelle-
ment et de ce qui devrait se retrouver? Ne se cootcnle-t-on pas
de la foi en la fidélilé des gardiens et du trou que ferait dans
le panneau une œuvre disparue ?
Nota. — L'observation de notre correspondant nous paraît
• ■] » ..-Tî^'^f ''ï««r;%^»*^'Tr»|çjp^4:J!^^
très pertinente. Nous la signalons spécialement i M. De Burlet,
ministre des beaux-arts. Nons espérans qu'il a'anttreniMin retard
de la situation qui, !i ce point de vue spécial, paraît grave. Ce ne
serait qu'uue preuve de plus de l'anarchie et du saos-géne qui
régnent en nos musées, où l'on n'est attentif que lorsque M. Gau-
chez ou ses sosies arrivent proposer un de ces mirifiques achats
qui font son profit et notre gloire.
A ce propos, quand s'expliquera-l-on sur les singulières préfé-
rences données ù celte maison ? Est-ce que les très habiles gens
qui se sont occupés de ces affaires espèrent qu'en faisant les morts
l'orage passera sans les atteindre? Ignorent-ils que cette attitude
étrange suscite partout des soupçons dont ils sont seuls à ne pas
se douter? Fonctionnaires publics, ils relèvent de l'opinion,,
celle-ci a le droit de les interroger, ils ont eux le devoir de
répondre. S'il ne le font pas, gare à eux!
Ajoutons qu'il vient de nous arriver, au sujet du Quentin Melsys
du Musée, des renseignements qui nous font encore demander i
ces messieurs : u Quand un tableau est remis à un de ces per-
ce sonnages qui doivent les réparer, surveiile-t-on son travail?
u Ou bien est-il libre d'agir à la guise de son ignorance et de sa
<> sottise ? » Di manche prochain nous préciserons en racontant une
étonnante affaire dont les détails viennent d'un homme qui ne
sera pas suspect à ces messieurs : le ci-devant académicien
Adolphe Siret, directeur du Journal des Beaux-Arlt.
FESnVAL BENOIT A BLANKENBERGHE
(Correspondance particulière de /'Art moderne.)
Après Vincent d'Indy, le chef de la jeune école française. Peter
Benoit, le maître flamand, a donné, le U de ce mois, un festival
de ses œuvres. Vraiment, on fait bien les choses, à Blankenberghe,
et l'on y mène très artistiquement la campagne musicale.
L'année passée, c'étaient les concerts Wagner et Jan Blockx,
comine points culminants de la saison ; cette année, nous avons
eu d'Indy et Benoit. Cela n'est point banal, et tout à l'honneur du
jeune chef d'orchestre, M. J. Goetinck.
Disons tout d'abord que le festival flamand a admirablement
réussi ; la salle était comble et l'est restée jusqu'à la fin. Applau-
dissements enthousiastes, ovations sans fin, rappels et couronnes,
rien n'a manqué pour donner au succès de celte fêle les propor-
tions d'un véritable triomphe. Et c'était justice !
Le programme était, pour ainsi dire, le résumé de l'œuvre du
maître anversois ; depuis l'ouverture A' Elsenkoning (composée en
1859) jusqu'aux fragments du Rhijn (1889) il comprenait une
série de compositions qui permettent de suivre son génie dans
presque toutes ses phases et placent en pleine lumière la variété
de ses inspirations.
Mettons d'abord hors de p^itJoncfrouKathelijne, ce monologue
où la veuve du tribun Jacob Van Artevelde, sacrifiant sa ven-
geance i la patrie, va porter aux assassins de son époux ses
bijoux, pour venir en aide à la Flandre menacée.
Celle œuvre dénote chez Peler Benoit une puissance drama-
tique exceptionnelle; l'orchestration, très polyphonique, s'adapte
au poème d'une façon adéquate et produit des effets d'une dou-
loureuse intensité. — Quelle belle page aussi que le Salut au
Rhin, splendide péroraison sympbonique de la 1" partie de cet
oratorio profane. C'est l'expression de la .profonde admiration
d'un poète, contemplant le grand fleuve germanique, Valer Rhein,
comme disent les Allemands.
L'ouverture de CharloUe Corday, de si savante facture, est une
page sympboaique de premier ordre; elle forme la synthèse du
drame auquel elle sert de préface ; les motifs de Cbarlolle, de son
amour, celui de Marat, la Carmagnole stridente et farouche, domi-
nés par les accents de la Harseillaise, symbolisant la Liberté,
tout cela donne à celle ouverture le caractère grandiose d'un
fragment d'épopée.
Quelle poésie émue et profonde dans le poème pour flûte et
orchestre ; la rêverie est d'un charme pénétrant et la danse des
feux-follets très caractéristique, très originale. Mais aussi quel
admirable interprète que le flûtiste Anlhoni, dont le jeu a mis en
relief toutes les beautés de celle œuvre qui forme, avec le con-
certo de piano, le couronnement do cycle des Conta ei Bal-
lades.
La partie vocale du concert était tenue par M*» Henriette Cuve-
lier, une jeune et jolie cantatrice, récemment couronnée au Con-
servatoire royal de Bruxelles, et M. Henri Fontaine, professeur
de l'Ecole de musique d'Anvers. La première a chanté deux mélo-
dies (la Rose et Mon cœur est plein de désirs) d'une façon char-
mante quoique un peu froide, peut-être. Sa voix souple et très
élendue a fait merveille dans Joncfrou Kolhelijne.
M. Fontaine, dont une récente tournée en France a grandi la
réputation, a chanté A/i7nAfo«d«rf;)raa/E, captivante mélodie, avec
accompagnement de harpe et de quatuor, et qui a été bissée; le
Chant d" Artevelde (de l'oratorio de Schelde) et deux fragments du
Rhijn, la Chanson de la Moselle, pleine de charme et d'humour,
et la LoreleiSaga, où le compositeur a admirablement tiré parti
du motif populaire de la ballade allemande.
L'exécution a été irréprochable, vibrante d'enthousiasme, ce
qui ne pouvait manquer, avec un orchestre de vrais artistes
comme celui du Casino de Blankenberghe et sous une direction
comme celle du maître anversois.
La direction du Casino paraît décidée^ir^ne pas s'en tenir là; on
projette pour l'été prochain l'exécution intégrale d'un oratorio de
Peter Benoit, avec les chœurs d'Anvers et, dans ce but, des
mesures seront prises dès l'hiver. Ce sera une entreprise digne de
la réputation artistique du Casino de Blankenberghe, et un hom-
mage au génie du maître flamand, dont la gloire rayonnera pure
et sereine, à travers les temps, à cûté de celle des Schnmann et
des Berlioz. L. L.
Chronique judiciaire de? ^RT^
Bngacement thé&tral. — RA1« en partac*- — Droit
da directenr.
Si la clause, acceptée par un acteur, de jouer en chef mais en
partage, au choix de l'administration, donne le droit au directeur
du théâtre de distribuer les râles que pourrait remplir cet acteur
à d'autres artistes, s'en suit-il que ce directeur ail le droit de
retrait des rôles sans motifs légitimes et fondés?
Celte question a été résolue négativement par le tribunal de
Commerce de Nice en faveur d'un ténor connu à Bruxelles,
H. Ibos. Voici les principaux considérants de la décision :
« Le Tribunal,
Attendu que, le i octobre 1890, Ibos, artiste lyrique, a été
engagé par Gunsbourg, directeur du Théâtre municipal de Nice,
comme premier ténor dans le grand-opéra et opéra comique, aux
?ifP15^35?^V'-'-'^-
appoinlemenif de 6,000 francs par mois, pour onze représenla-
lions mensuelles, avec condilion que toute représentation en
moins pour cause de maladie donnerait lieu il la retenue du
onzième des appointements mensuels ;
Attendu que Ibos a accepté de jouer en chef ou en partage au
clioix de l'administration pour les dits emplois;
Attendu qu'il est établi au procès que Gunsbourg a confié ii
Ibos le rôle d'Henry de Richemond dans l'opéra Richard III,
dont il lui a remis les premier el deuxième actes;
Que l'annonce de cette représentation extraordinaire, portant
le râle d'Henry de Richemond par Ibos, a été faite dans le Journal
de Paris, le Figaro, du 10 novembre 1890, dans laquelle il était
dit que la critique parisienne serait conviée il la représentation ;
Que r«lte annonce a été reproduite |>ar les journaux de Nice :
Le Petit Niçois, L'Eclaireur et Le Phare;
Attendu que le 13 janvier, au moment où les artistes réunis
allaient commencer la première répétition de Richard III,
Gunsbourg a retiré ii Ibos le rôle d'Henry de Richemond pour le
confier au sieur Saléza ;
Attendu que si la clause acceptée par Ibos de jouer en chef,
mais en partage, donne le droit au directeur de distribuer les râles
de ténor k d'autres artistes, il ne s'en suit pas qu'il ait le droit de
retrait des rôles sans motifs légitimes et fondés
Attendu que, dans ces conditions, le retrait du rôle par Guns-
bourg a tous les caractères d'un acte arbitraire, d'un abus d'auto-
rité violant la convention des parties et portant atteinte ^ la
réputation artistique d'Ibos, dont Gunsbourg avait apprécié la
valeur en consentant à annuler dans le contrat la clause relative
au droit de résilier à la fin du premier mois »
En conséquence, le tribunal a déclaré l'engagement résilié et
condamné le directeur il payer 13,000 francs à l'artiste ii titre de
dommages-intérêts.
Petite chroj^ique
La compétition des chefs d'orchestre b l'Opéra de Paris, a pris
fin k la suite de cette décision inattendue du nouveau directeur,
M. Bertrand : M. Colonne, qui devait porter le titre de Directeur
des études musicales, a été nommé premier chef d'orchestre. Il
aura comme seconds chefs HM. Madier de Monjau et Taffanel,
qui conduiront il tour de rôle les représentations.
M. Taffiinel est l'excellent flûtiste que nous avons eu plusieurs
fois l'occasion d'applaudir k Bruxelles. Il a pris possession du
pupitre la semaine dernière el a dirigé l'exécution de Sigurd.
Le Oaulois raconte, k propos de celte représentation, que
M. Taffanel ayant, au deuxième acte, fait reprendre quelques
toiesores de la partition pour permettre à la fumée d'entrer en
tcène (Tîî), le ténor, M. Sellier, soit qu'il n'eût pas compris le
signal du chef d'orchestre, toit pour une autre raison (???) ne
recommença pas la phrase qu'il avait dite. Aussitôt M. Taffanel
la chanta pour lui, en même temps que celle des trombones (VA).
Nous ne nous doutions pas que cet artiste distingué possédât
une telle variété de talents, ni surtout qu'il pût les exercer simul-
tanément. Grâce au Oaulois, nous voici édifiés.
Dans un village du déparlement de l'Aube, à Colombé-Ie-Sec,
où la viticulture est surtout en honneur, on vient de représenter
entre gens du pays le Crime de Faverne, un drame qui
est encore plus difficile à monter que le Cœur et le Sang, l'œuvre
en vogue cette annéa dans les ihéâlres de société du Paris aristo-
cratique, et le succès a été tel qu'une seconde représentation a dû
être donnée k huit jours de dislance de la première. Notez qu'il
ne s'agit pas Ik d'une pièce jouée par des bourgeois de campagne
avec le concours de quelque vieil artiste retiré dans le puys ;
tons les interprètes de la pièce sont gens travaillant eux-mêmes i
la vigne el aux champs, leurs propres biens d'ailleurs, des
paysans pour de bon; peinant dur tout le long de l'année, ils ne
lésinent pas aux jours de liesse qu'ils s'accordent; décorateurs,
metteurs en scène, aucun concours n'avait été négligé pour
assurer la réussite é^l spectacle. La salle, ornée de fleurs et de
verdure, offrait un aspect des plus agréables, et la musique de la
fanfare charmait les entr'actes.
Le directeur du ThéAtre Libre a fui Paris, et il s'est réfugié au
fond de la Bretagne, k Camarci, dans un fortin construit par
Vauban.
Lk, pense-t-il, il sera peut-être k l'abri des auteurs qui préten-
dent se faire jouer par sa troupe. Il était temps de se retrancher
ainsi dans une place forte. Le courageux Antoine, ayant voulu
demeurer jusqu'au bout k Paris, n'a pas essuyé, avant de fuir,
moins de quatre cent soixante-douze manuscrits.
Et il va les lire !
Ça lui en fait k peu près dix par jour. C'est gentil.
Hais voilk qu'k la dernière heure, on annonce qu'un train de
plaisir s'organise pour Carmaret. Toute la jeunesse littéraire cl
symboliste se mobilise pour aller assiéger Antoine dans son forlin.
Que Dieu le garde! (OU Bios.)
Plus nous allons, et plus tout ce qui émerge de l'universelle
médiocrité, tout ce qui porte une force, en soi, force sociale, force
pensante, force artiste, vient du peuple. C'est, dans le peuple,
encore vierge, toujours persécuté, que se conservent et s'élaborent
les antiques vigueurs de notre race. Nos bourgeoisies, épuisées
de luxe, dévorées d'appétits énervants, rongées de scepticisme, ne
poussent plus que de débiles rejetons inaptes au travail el k
l'effort. (Octave Mirbeau. — Echo de Paris.)
Une Exposition internationale ihéitrale et musicale est sur le
point de s'organiser k Vienne. Presque lous les Musées el les Con-
servatoires de l'Europe y prendront part.
Il y aura k celte occasion des représentations données par la
troupe de la Comédie Française, par Rossi el par Irving.
Il y aura enfin un festival de musique auquel seront conviées
les sociétés musicales les plus connues.
Le premier poète qui, dans la lafiguc savamment préparée par
nos devanciers du Parnasse et par les écoles contemporaines,
exprimera simplement une émotion humaine , et pleurera
d'humbles larmes en racontant que sa bonne amie lui a fait du
chagrin, ou qu'elle a cueilli des pervenches sous les arbres en
fleurs, sera le maître indubitable des générations d'artistes qui
viendront après lui. Entre Musset et Verlaine, toute voix sincère
avait fait silence, étouffée par les rugissements méthodiques de
M. Leconie de Lisie, ce bibliothécaire pasteur d'éléphants. Cette
circonstance est pour expliquer la fortune sans précédent mais non
illégitime de Sagesse et de la Bonne Chanson. Quant aux psycho-
logues, MM. Bourget el Barrés ayant contracté d'opulents
mariages, l'école a certainement accompli sa destinée, tout aussi
bien que le héros Siegfried quand il eui reconquis le fameux .
anneau. (Interview de M. iMurenl Tailhade, par M. Jules Huret
dans son Enquête sur le mouvement littéraire contemporain.)
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ONZIÈME ANNÉE
L'ART MODERNE s'est acquis par l'autorité et l'iriSépendanoe de sa critique, par la variété de ses
informations et les soins donnés à sa rédaction une place prépondérante. Aneune manifestation de l'Art ne
lui est étrangère . il s'occupe de littérature, de peinture, de soulpture, de gravure, de musique,
d'architecture, etc. Consacré principalement au mouvement artistique belge, il renseigne néanmoins ses
lecteurs sur tous les événements artistiques de l'étranger qu'il importe de connaître.
Chaque numéro de L'ART MODERNE s ouvre par une étude approfondie sur une question artistique
ou littéraire dont l'événement de la semaine fournit l'aôtualité. Les expotitionr, les livres nouveauoB, les
premières représentations d'oeuvres dramatiques ou musicales, les conférences littéraires, les concerts, les
ventes d'objets d'art, font tous les dimanches l'objet de chroniques détaillées.
L'ART MODERNE relate aussi la législation et la jurisprudence artistiques. Il rend compte des
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L'ART MODERNE
PARAISSANT LB DIMANCHE
REVUE ORITIQÏÏE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Comité de rédaction i Octatb MAUS — Edmond picard — Éhilb YERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00 ; Union postale, fr. 13.00. — ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser toutes les communications à
l'administration oâNÉRALB DB l'Art Modome, rue de Tlndustrie, 32, Bruxelles.
Sommaire
Lk Qdbntin Mbtsts du Mdséb dk Bruxelles. — Les rbliqions
AD THÉATKB. — EnQUÈTE SUR L'iVOLUTlON LITTiRAIKE. il. Emile
Zola. — Tannhausib a Baymuth. — Edmond Roche. — Chro-
Niom JUDICIAIRE DES ARTS. — PETITE CHRONIQUE.
LE QUENTIN METSYS
r>XJ IL^XTSÉE DE BRXT2CEIL.L.ES
Venons au 'fait que nous annoncions dimanche der-
nier. Certes il est prodigieux. Et il s'agira de voir si
ces Messieurs de la Commission vont l'endosser, l'échiné
ployée, comme les autres.
Le 31 mai 1884, le Journal des Beaux-Arts (et de
la Littérature), qui avait pour directeur M. Ad. Si-
ret, membre de l'Académie royale de Belgique, etc.,
publiait en première place, sous le titre : Histoire de
Voleurs, et le sous-titre : une Histoire incroyable
mais vraie, un article qui n'était qu'une des suites
d'une étude générale sur les Superpositions de noms en
matière de tableaux, les Portraits faux, les Copies, les
Restaurateurs d'œuvres d'art, etc.
VHistoire incroyable mais vraie venait à la fin.
M. Ad. Siret, après avoir examiné la question des res-
taurations et cité d'abominables profanations, disait :
« J'ai été peut-être un peu long dans cette narration,
mais je crois avoir établi, par cet exemple saillant, qu'il
vaut mieux conserver un original abîmé que rafraîchi.
J'en suis fâché pour les restaurateurs, mais je défends
ici un principe dont je ne me départirais qu'en présence
de retoucheurs honnêtes, respectueux et savants -. Puis
il continuait ainsi qu'il suit (ô lecteur, sois attentif!) :
- Il y a quelques années un grand tableau gothique
passa des mains de son propriétaire besoigneux dans les
mains... d'une administration quelconque pour une
somme considérable. Il n'avait nul besoin de restaura-
tion ; je m'explique : il y avait des boursouflures faciles
à réduire, de la crasse enlevable sans danger, le bois
s'était fendu, rien de plus simple que de le rejoindre.
Bref, tel qu'il était, sans même tenir compte des petits
soins de propreté à lui donner, c'était une merveille
d'harmonie dans sa tonalité un peu uniforme, mais
qu'une sorte d'émail délicat avait admirablement fondue
et unifiée. Je vis partir ce chef-d'œuvre avec regret et
j'eus la chance heureuse d'en posséder une photographie
très bien venue. Hélas ! j'avais bien deviné ; on guettait
et le tableau alla directement chez le restaurateur X...
qui s'était engagé à le retaper à neuf pour... mettons
25,000 fr. (Nous sommes loin des prix doux de M. Lo-
rentl). J'était fort préoccupé de ce qui allait se passer
à l'égard du chef-d'œuvre et je résolus de profiter des
•liÉaé
284
U ART MODERNE
relations existantes entre son médecin et moi. Je mis nne
telle réserve dans cette surreillanoe occulte qae je finis
par désespérer d'en venir à mes fins, quand le hazard
et une servante, bète à manger de l'avoine, vinrent &
mon secours.
" Ayant à demander & mon homme un renseigne-
ment, je me rendis chez loi. Une bonne me reçut et me
dit que son maître était en voyage. Il paraît que j'en
eus l'air désespéré, car elle me demanda si je ne voulais
pas entrer et écrire un mot. Sur ma réponse affirmative,
elle voulut m'introduire au salon, mais il était fermé.
Contrarié de ce contretemps, elle me dit d'attendre un
instant, revint avec une clef à la main et à la section de
l'escalier ouvrit une porte et me fit entrer. Elle-même
me précéda et me donna ce qu'il faut pour écrire.
« J'étais dans l'atelier du restaurateur, et, qui plus
est, en face du chef-d'œuvre !
" Horreur! il avait disparu presque totalement sauf
les tètes et les mains religieusement conservées. Tout
était poncé et mastiqué effroyablement. On eût dit les
ruines d'une mosaïque ancienne. A droite et à gauche du
panneau reparqueté, s'étalait une masse d'indications
représentant les objets disparus et dont toutes avaient
conservé un fragment peint originairement sur le pan-
neau, plus une kyrielle de notes servant à guider le
travail du retoucheur ou du massacreur, comme on
voudra.
" Très ému et très indigné de ce que je venais de
découvrir, j'oubliai le but de ma visite et j'écrivis dans
ma sainte indignation sur le dos de ma carte : « Vous
êtes un bourreau ! » et je partis.
« Le lendemain X... vint me trouver, me fit com-
prendre que je n'y entendais rien, que je verrais, l'opé-
ration terminée, ce que le tableau renfermait de magni-
ficence, continua à me gouailler gaillardement et
m'apprit qu'il venait de mettre à la porte la maritome
qui m'avait ouvert, laquelle n'était entrée que la veille
et n'avait pas encore été stylée par le maître.
« Ainsi finit l'aventure, mais quand je vis le chef-
d'œuvre mis en place, je compris mieux encore la perte
que nous venions de faire. X... avait eu soin des jour-
naux et de son public : il n'y eut qu'un mot d'admira-
tion sur toute la ligne pendant une quinzaine de jours,
mais lorsque l'enthousiasme fut calmé on reconnut que
ce n'était plus qu'un tableau relavé. A l'heure qu'il est
l'étranger est parfaitement d'accord avec nous sur le peu
de valeur relative de cette merveille jadis si digne d'admi-
ration dans son primitif réduit, si soyeuse, si pénétrante,
si parlante à l'âme et aujourd'hui sans accent, sans vie,
sans signification. Œuvre banale et terne comme une
plante arrachée du sol et couchée dans un herbier.
" La morale de cette histoire : le tableau est perdu,
mais beaucoup de gens y ont gagné. »
Ainsi écrivait M. Ad. Siret, académicien et pour cela
très discret sur les noms dà tabiean, de son restaarateur
et des messieurs ofiBdels qui avaient le devoir de con-
trAler la restauration. .
Or, cette (EirvRE, c'est : le Quentin Metsts su
Mus^ DE Bruxeixes ! celoi qni fut acheté 200,000 frs.
à l'église Saint-Pierre de Lonvain. M. Ad. Siret l'a
déclaré à un homme d'une honorabilité absolue qui vient
de nous le révéler.
Le fait est monstrueux!
Est-ce qu'on se taira encore?
LES REUGI0N8 AU THÉATRM
Depuis quelques années, on peut noter chez les poètes une
tendance marquée à composer des poèmes dramatiques où ils
font apparaître, dialoguer et chanter les principaux personnages
de la Passion chrétienne.
Le Théâtre Libre a joué, le 19 octobre 1888, un mystère en on
acie, en vers, de R. Darzens, développant l'épisode évangélique
de la rencontre de Jésus et Marie-Madeleine chez Simon. Le Christ,
Marie-Madeleine, Simon le Pharisien, Jadas et les apAtres étaient
en scène.
Pendant l'hiver de 4890-91, le Paris lettré est allé applaudir à
la galerie Vivienne le Noël de H. Bonchor, où des marionnettes,
presquede grandeur nature, figuraient l'ange Gabriel, saint Joseph,
la Vierge Marie et l'Enfant Jésus, et débitaient, en vers sonores et
d'une nuance légèrement profane, la touchante histoire de la Nati-
vité.
Le jour du Vendredi-Saint, 4 avril 1890, dans la vaste salle du
Cirque d'Hiver, M. Edmond Haraucourt, l'auteur du remarquable
livre de poésies : VAme nue, donnait la première représentation
de la Passion, mystère en deux chants et six parties. La Vierge
avait emprunté les traits de M** Sarah Bemhardt, tandis que le
Christ lui donnait la réplique avec le masqne de M. Gamier, du
Théâtre de la Porte-Saint-Martin. Une nouvelle audition a été
offerte au public au Théâtre d'Application il Paris, le Vendredi-
Saint, 27 mars 1891.
A la Salle des Capucines, ce même Vendredi-Saint, M. Charles
Graodmougin a convié le public à entendre U Mystère du Christ,
interprété par M"* Esquilan, MM. Raymond, Dorny, Darville et
l'auteur, accompagné de la musique de Clément Lippaeher.
Cette production répétée, sur des scènes profanes, du fonda-
teur de la religion chrétienne et des principaux personnages qui
occupent tant de place dans la vénération des fidèles, appelle un
rapprochement bien naturel avec le petit incident international
soulevé, il y a quelques mois, à l'occasion de la représenution du
Mahomet de M. de Bomier au Théâtre Français.
L'heureux auteur de la Fille de Roland n'avait certes pas pensé
qu'en prenant Mahomet pour sujet d'une tragédie, il éveillerait
les susceptibilités des gouvernements étrangers.
Le personnage était si loin dans le recul du passé. Le plus con-
sidérable des écrivains français, Voltaire, l'avait déjà mis au
théâtre au dernier siècle avec ce titre : le Fanatisme ou-Mahomet
U Prophète. La pièce était restée au répertoire de la Comédie
Française jusqu'à des temps assez rapprochés, car des contempo-
rains, qui ne plient pas encore sous le faix de l'âge, se sou-
viennent d'avoir vu l'acteur Beauvallet jouer le r6le du Prophète.
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L'A/ÎT MODERNE
285
Enfin ia religion chrétienne, qui eompie encore en France un grand
nombre d'adeptes pratiquanls, fournil quotidiennement, comme
nous l'avons vu, la matière de nombre de compositions scéniques,
«ans qne ni les gens pieux, ni les gardiens autorisés du culte
chrétien, le Pape, les évéques, le clergé, pussent jamais élevé de
protestations.
Aussi, a la première rumeur que le monde musulman s'inquié-
tait de la représentation de son drame sur le théâtre de la rue de
Richelieu, M. de Bomier resta-t-il incrédule tout le premier. Il ne
poiivait admettre une pareille irriubilité et nous écrivait, le
19 octobre 1889, que « l'opposition de la Porte à la représenta-
tion de Mahomet n'existait que dans les imaginations ».
Cependant il follut se rendre à l'évidence. Le sultan Abdul-
Hamid n'avait pas caché à M. de Montebello, notre ambassadeur
à Constantinople, le déplaisir qu'il éprouverait à voir le person-
nage de Mabomet transporté sur les planches du premier théâtre
de France. A Paris, Essad-Pacba transmit au ministre des affaires
étrangères d'alors, M. Goblet, les senlimenls de son souverain sur
cet incident. ,
En présence d'une susceptibilité qui ne lui semblait pas justi-
fiée, k consulter les précédents soit en France, soit en territoire
musulman, le poète présenta sa défense dans la lettre suivante
adressée au directeur du Journal du Débats :
Monsieur le Directeur,
Paris, le S8 octobre 1889.
Je viens réclamer de votre courtoisie la permission de répondre
quelques mots ii une correspondance du Caire insérée ce matin
dans le Journal des Débals, à propos de mon drame Mahomet,
qui est en préparation à la Comédie Française.
Certes, je n'ai pas à défendre les droits de l'art et la liberté du
théâtre en France; si on les attaquait, vous seriez au premier
rang de leurs défenseurs, j'en ai la conviction. Je tiens seulement
k vous donner, quelques renseignements qui pourraient éclairer
votre religion.'
Mon drame est, pour ainsi dire, le contre-pied de la tragédie
de Voltaire. Voltaire avait fait du Prophète arabe uu monstre de
perfidie, de cruauté, d'incesle et d'imposture. J'ai fait tout le
contraire, quoiqu'en gardant et en exprimant mes opinions phi-
losophiques et religieuses. Non, Mahomet n'était pas un imposteur,
le génie exclut l'imposture, et Mahomet fut évidemment un
homme de génie.
Mais, pour votre correspondant, le point important n'est pas
là, et il s'exprime ainsi : <*■ Pour les musulmans, le théâtre n'est
pas ce qu'il est pour vous. Ce qu'ils en savent répond â des idées
de grossièreté et de mauvais lieu et, si les Français mettent le
Prophète sur les planches, c'est qu'ils ont dessein de se moquer
de lui, de l'abaisser, de tourner en ridicule la foi du croyant. »
Eh bien, votre correspondant se trompe. Non seulement les
musulmans ne répugnent pas â l'idée de voir mettre leur pro-
phète sur la scène, mais ils l'y mettent eux-mêmes. J'ai sous les
yeux un volume intitulé le Théâtre Persan (traduction Chodjko);
c'est un recueil des Téazits (ou Mystères) représentés sur le
Théâtre de Téhéran, en 1838, pendant quatorze jours consécutifs.
L'nne de ces téaxié* a pour titre la Mort du Prophète, et elle a
été composée ou retouchée par Hussein-Ally-Khan, directeur des
représentations théâtrales â la cour de Téhéran ; les personnages
principaux sont : Mahomet, Aly, Fatma, fille du Prophète, etc.
Cette téaàé a quelque rapport avec mon drame.
Il y a mieux : dans ce pays musulman, le théâtre est si peu en
horreur que l'on fait œuvre méritoire en donnant au peuple une
de ces téatiis en spectacle; le directeur y gagne ce que nous
appelons des indulgences {Sezzib, Kétr^j et les « scènes qu'il fait
représenter sont des briques qu'il fait cuire ici-bas pour construire
son palais céleste là- haut ».
Je ne hasarde pas cette citation pour engager les directeurs des
théâtres de Paris k se faire musulmans.
Voilk qui prouve bien, ce me semble, que les musulmans ne
regardent point le théâtre comme un lieu suspect, où le karra-
gheuz seul peut paraître. a
Du reste, votre correspondant exagère les choses quand il parle
de l'émotion produite par la seule annonce de mon drame, « de
Constantinople au Caire et de Smvrne au Maroc ». Voici quelques
mots pris dans une des lettres que j'ai reçues du madji... (per-
mettez-moi de taire son nom) qui est en môme temps un poêle
très distingué : « Gloire au Dieu seul et éternel ! Le Juste l'a
inspiré une œuvre destinée à célébrer le Prophète parmi les
chrétiens. Que le Miséricordieux soit loué! Nous supplions le
Tout-Puissant de faire descendre sur toi la rosée féconde de ses
bénédictions. »
Je n'ose pas trop espérer les bénédictions de votre correspon-
dant : il me suffira de votre justice et de votre bienveillance.
Agréez, Monsieur le Directeur, l'expression de ma considération
la plus distinguée.
Henri oe Bornieh.
Cependant, aux affaires étrangères, M. Spuller succède à
M. Goblet: il dégage la responsabilité du gouvernement français;
la pièce devait être jouée pendant l'hiver de 1889 ; elle est ren-
voyée k l'automne de 1890. Le grand acteur tragique Mounel-
Sully, qui a rendu si admirablement l'Orosmane de Zdire, créera
Mahomet; il aura plus de temps pour méditer son personnage.
Mais, au printemps de 1890, l'affaire de Mahomet revient sur
l'eau. Le Times fait interviewer M. ^ Bornicr qui raconte les
grandes lignes de sa pièce. Le Vakil, un des journaux InHuenis
de Constantinople, reproduit l'article du journal anglais. Abdul-
Hamid en a connaissance ; il appelle k nouveair l'ambassadeur de
France et lui marque la peine profonde qu'il éprouve, non comme
souverain, mais comme Calife et chef religieux de l'Islam, à voir
qu'en France le projet de jouer Mahomet n'a pas été abandonné.
Le conseil des ministres en est Informé, et M. TIrard, président
du Conseil, fait savoir k M. Clareiie, administrateur du Théâire-
Français, que la représentation de Mahomet est indéfiniment
ajournée.
L'auteur s'est dédommagé de cette interdiction en publiant son
drame d'abord dans une revue, le Correspondant, puis sous la
forme du livre, chez l'éditeur Dentu. En guise de préface, M. de
Bornier place, en télé de son volume, une insertion ainsi conçue :
Ce drame a été reçu k l'unanimité par le comité de lecture du
Théâtre Français, le 28 juin 1888. Le journal le Temps a publié,
le 1" avril 1890, la note suivante :
« En prévision des difficultés diplomatiques auxquelles pouvait
donner lieu la représentation sur une scène française du Mahomet
de M. de Bomier, le conseil des ministres, dans une de ses der-
nières réunions, a décidé que la tragédie en question ne pourrait
être représentée ni sur un théâtre subventionné, ni sur aucun
autre théâtre.
« L'ambassadeur de France à Constantinople, M. de Montebello,
a été chargé d'aviser le sultan de cette décision.
« Abdul-Hamid a remercié chaleureusement l'ambassadeur fran-
çais de la nouvelle qu'il lui annonçait. Il aurait ajouté :
« Je suis très reconnaissant de cette mesure ; j'y vols une déli-
cate attention pour moi et mes sujets, mais je trouve aussi que
c'est une mesure habile de votre part, vous avez ainsi ménagé les
susceptibilités de vos sujets musulmans qui n'auraient pu qu'être
blessés d'une pareille représentation. Je vous en félicite et je
vous prie de transmettre à Paris l'expression de ma vive sympa-
thie pour M. Carnot, pour son gouvernement et pour la France. »
La satisfaction du monde musulman s'est publiquement mani-
festée par l'organe des principaux journaux de Constantinople, le
Tarik et le Hafikat. « L'ambassadeur qui représente si digne-
ment, en Turquie, la République française, dit le Hafikat, M. de
■■ jrf^ ■■■S'?' ■•î^îfi^^'^^r f!^"?^
286
L'ART MODERNE
Montebello, a puissamment contribué, par son intervention intel-
ligente et habile, au succès obtenu, et dans noire reconnaissance
à l'égard de la France, de son président et de ses ministres, nous
n'oublierons jamais les services que M. de Montebello a bien voulu
nous rendre dans celte occasion. »
Comme épilogue et pour montrer à quel point les musulmans
se trouvaient blessés dans leur croyance par la production de leur
Prophète sur une scène profane, citons le fait suivant qui s'est
passé à la fm de septembre 1890. Le bruit courait en Angleterre
que le Mahomet de M. de Bornier, interdit en France, allait être
représenté sur une scène anglaise. Raffindin-Ahmad, vice-prési-
dent de l'Associalion musulmane de Liverpool, écrivit aussitôt
une lettre au Timet pour lai dire : — que cetle nouvelle causait
dans la population des Indes anglaises, en grande partie musul-
mane, une vive émotion ; que faire paraître sur la scène la per-
sonne de Mahomet serait offenser la population musulmane avec
laquelle l'Angleterre est en contact dans tant de pays; que dirait
le monde chrétien si on produisait Jésus-Christ sur la scène à
Constaniinople ou à Téhéran en le tournant en ridicule ; que lord
Salisbury ne refusera pas son intervention pour empêcher la repré-
sentalion sur une scène du Royaume-Uni.
Il est permis au philosophe de trouver les susceptibilités maho-
mélanes quelque peu exagérées. La scène de la rue de Richelieu
est si loin de^ pays musulmans, le portrait que la plume de M. de
Bornier avait retracé de l'initiateur de l'Islam était si respectueux!
Mais les questions de croyance sont gouvernées exclusivement
par le sentiment; le raisonnement y perd ses droits.
L'homme d'État doit les prendre en considération telles qu'elles
sont et non telles qu'elles devraient être.
Edouard Clunet.
ENQUÊTE SUR L'ÉVOLUTION LITTÉRAffiB '"
M. EMILE ZOLA
— Ah! ah! me dit le maître, avec un sourire, en me serrant la
main, vous venez voir si je suis mort! Eh bien! vous voyez, au
contraire! Ma santé est excellente, je me sens dans un équilibre
parfait, jamais je n'ai été plus tranquille; mes livres se vendent
mieux que jamais et mon dernier, l'Argent, va tout seul! Pour-
tant, on peut causer, causons.
M. Zola me dit qu'il a suivi attentivement mon enquête depuis
le début, et qu'il a été bien aise de voir comment les jeunes par-
laient du passé, du présent et de l'avenir de 1$ littérature.
— Ils sentent bien quelque chose, mais ils errent lamentable-
ment autour de la formule qu'il faudrait trouver. Le naturalisme
est fini! Qii'esl-cc à dire? Que le mouvement commencé avec
Balzac, Flaubert et Concourt, continué ensuite par Daudet et moi
cl d'autres que je ne nomme pas, tire à sa fin ? C'est possible. Nous
avons tenu un gros morceau du siècle, nous n'avons pas à nous
plaindre; et nous représentons un moment assez spiendide dans
l'évolution des idées au dix-neuvLème siècle pour ne pas craindre
d'envisager l'avenir. Mais pas un ne nous a dit encore, et j'en suis
étonné : « Vous avez abusé du fait positif, de la réalité apparente
des choses, du document palpable; de complicité avec la science
et la pliilosophic, vous avez promis aux êtres le bonheur dans la
vérité tangible, dans l'anatomic, dans la négation de l'idéal et vous
(1) Voir nos n"' du 14 juin et du 9 août.
lei avez trompés? Voyez, déjii l'ouvrier regrette presque les
jurandes et maudit les machines, l'artiste remonte aux balbutie-
ments de l'art, le poète rêve au moyen-Age... Donc, sectaires, vous
avez fini, il faut autre chose, et, nous, voilii ce que nous faisons 1 »
On pourrait à la vérité répondre : « Cette impatience est légitime,
mais la science marche à pas lents, et peut-être conviendrait-il de
lui faire crédit. Pourtant cette réaction est logique, et, pendant
dix ans, pendant quinze ans, elle peut triompher, si un homme
paraît qui résume puissamment en lui cette plainte du siècle, ce
recul devant la science. Voilà comment le naturalisme peut être
mort; mais ce qui ne peut pas mourir c'est la forme de l'esprit
humain qui, fatalement, le pousse à l'enquête universelle, c'est ce
besoin de rechercher la vérité où qu'elle soit, que le naturalisme
a satisfait pour sa part.
Mais que vient-on offrir pour nous remplacer? Pour faire
contre-poids il l'immense labeur positiviste de ces cinquante
dernières années, on nous montre une vague étiquette « symbo-
liste », recouvrant quelques vers de pacotille. Pour clore l'éion-
nante fin de ce siècle énorme, pour formuler cette angoisse
universelle du doute, cet ébranlement des esprits assoiffés de cer-
titude, voici le ramage obscur, voici les quatre sous de vers de
mirlitaire de quelques assidus de brasseries. Car enfin, qu'ont-ils
fait, ceux qui prétendent nous tuer si vite, ceux qui vont boule-
verser demain toute la littérature ? Je ne les connais pas d'hier. Je
les suis depuis dix ans, avec beaucoup de sympathie et d'intérêt ;
ils sont très gentils, je les aime beaucoup, d'autant plus qu'il n'y
en a pas un qui puisse nous déloger! je reçois leurs volumes,
quand il en parait, je lis leurs petites revues, tant qu'elles vivent,
niais j'en suis encore à me demander où se fond le boulet qai doit
nous écrabouiller. Il y a bientét dix ans que des amis communs me
disent : « Le plus grand poète de ces temps-ci, c'est Charles
Morice! Vous verrez, vous verrez. » Eh bien! J'ai attendu, je n'ai
rien vu ; j'ai lu de lui un volume de critique, la Littérature de tout
à l'heure, qui est une œuvre de rhéteur ingénieuse, mais pleine
de parti-pris ridicules. Et c'est tout. Vous me dites qu'il va, sous
peu, publier de ses vers; c'est toujours la même histoire! Comme
les socialistes : écoutez Guesde, dans six mois il gouvernera, et
rien ne bouge. A présent on parle de Moréas. De temps en temps,
comme cela, la presse, qui est bonne fille, se paie le luxe d'en
lancer on pour se distraire et pour embêter des gens. Qu'est-ce que
c'est que Moréas? Qu'est-ce qu'il a donc fait, mon Dieu ! pour avoir
un toupet aussi énorme? Victor Hugo et moi, moi et Victor Hugo !
A-t-on idée de cela? N'est-ce pas de la démence! Il a écrit trois
ou quatre petites chansons quelconques, à la Béranger, ni plus ni
moins; le reste est l'œuvre d'un grammairien affolé, tortillée,
inepte, sans rien déjeune. C'est de la poésie de bocal!
En s'attardant à des bêtises, à des niaiseries pareilles, à ce mo-
ment si grave de l'évolution des idées, ils me font l'effet, tous ces
jeunes gens, qui ont tous de trente il quarante ans, de coquilles
de noisettes qui danseraient sur la chute du Niagara! C'est qu'ils
n'ont rien sous eux, qu'une prétention gigantesque et vide. A une
époque où la production doit être si grande, si vivante, ils ne
trouvent à nous servir que de la littérature poussant dans des
bocks ; on ne peut même pas appeler cela de la littérature, ce sont
des tentatives, des essais, des balbutiements, mais rien autre
chose ! Et remarquez que j'en suis navré ; car ils ne me généraient
pas du lolrty moi personnellement, puisqu'il n'y a pas un roman-
cier parmi eux ; et je verrais volontiers ma vieillesse égayée par
des chefs-d'œuvre : mais où est-il, le beau livre? Sont-ils d'accord
' Tif^W^^m^W
■>i^-:f
L'ART MODERNE
287
pour en nommer un seulement? Non, cbacan le leur! Ils en arri-
vent même b renier leurs ancêtres. Car, quand je parle ainsi, je
n'entends viser ni Mallarmé, qui est un esprit distingué, qui a
écrit de fort beaux vers, et dont on peut attendre l'œuvre défini-
tive, ni Verlaine, qui est incontestablement un très grand poète.
— Alors matire, dis-je, la place est encore k prendre? Qui,
selon vous, la prendra ?
— L'avenir appartiendra à celui ou à ceux qui auront saisi
l'ftme de la société moderne, qui, se dégageant des théories trop
rigoureuses, consentiront à une acceptation plus logique, plus
attendrie de la vie. Je crois à une peinture de la vérité, plus large,
plus complexe, & une ouverture plus grande sur l'humanité : une
sorte de classicisme du naturalisme.
Mais les symbolistes sont loin de cette conception ! Tout est
réaction dans leur système ; ils se figurent qu'on bouleverse ainsi,
de fond en comble, un état littéraire, sans plus de préambule et
sans plus d'utilité. Us croient qu'on peut rompre aussi brusque-
ment avec la science et le progrès ! Ils parlent du romantisme !
Mais quelle différence! Le romantisme s'expliquait, socialement,
par les secousses de la Révolution et les guerres de l'Empire;
après ces massacres les âmes tendres se consolaient dans le rêve.
Littérairement, il est le début de l'évolution naturaliste. La langue,
épuisée par trois cents ans d'usage classique, avait besoin d'être
retrempée dans le lyrisme, il fallait refondre les moules à images,
inventer de nouveaux panaches. Mais, ici, quel besoin de changer
la langue enrichie et épurée par les générations romantiques,
parnassiennes, naturalistes? Et quel mouvement social traduit le
symbolisme, avec son obscurité de bazar à dix-neuf sous? Ils
ont, au contraire, tout contre eux : le progrès, puisqu'ils pré-
tendent reculer; la bourgeoisie, la démocratie, puisqu'ils sont
obscurs.
Si encore, malgré cela, ils avaient le courage, eux qui n'aiment
' pas leur siècle, de lui dire : Merde! au siècle, mais de le lui dire
carrément! Alors, bien. Cela s'admettrait! C'est une opinion
comme une autre. Mais non, rien ne sort, rien, de leurs galima-
tias. Tenez, il y en a un, d'écrivain, qui ne l'aime pas, le siècle, et
qui le vomit d'une façon superbe, c'est Huysmans, dans son feuil-
leton de YEcho de Paris. El il est clair, au moins, celui-là, et
c'est avec cela un peintre d'une couleur et d'une intensité extra-
ordinaires.
— Donc?.., dis-je.
— Donc, c'est entendu, le naturalisme finira quand ceux qui
l'incarnent auront disparu. On ne revient pas sur un mouvement,
et ce qui lui succédera sera différent, je vous l'ai dit. La matière
du roman est un peu épuisée, cl pour le ranimer il faudrait un
bonhomme! Mais, encore une fois, où est-il? Voilà loule la
question...
M. Zola se lut un moment, parut réfléchir, et dit très vile,
comme en courant :
— D'ailleurs, si j'ai le temps, je le ferai, moi, cequ'ils veulent!
— Et les psychologues? fis-je.
— Hé oui ! Bourget, qui, avec beaucoup de talent, a le parti-
pris de ne s'inquiéter que des mobiles intérieurs de l'être, et qui
tombe, de celte façon, dans l'excès contraire au naturalisme.
— Barrés î
— Oh ! un malin ! Pendant que ses autres camarades se donnent
un mal de chien pour n'arriver à rien, lui va son chemin avec
infiniment d'adresse !
Ses livres, je les lis avec intérêt, mais c'est tellement ténu.
tellement spécial ! Cela me fait l'effet d'une horlogerie très amu-
sante, mais qui ne marquerait pas l'heure, mais qui ne monterait
pas l'eau; cela cesse vile d'intéresser, et on s'en fatigue...
Je demandai :
— Quel avenir accordez-vous au théâtre naturaliste?
— Rien ne s'est fait du jour au lendemain. On arrive à mettre
peu à peu sur la scène des œuvres de vérité de plus en plus
grande. Attendons. Le théâtre est toujours en relard sur le reste
de la liltéralure.
Comme nous reparlions de Moréas, M. Zola me dit drôlement,
ce qui me fit rire :
— Il est Grec, oui! mais il ne faut pas qu'il en abuse! Moi
aussi je suis Grec! Ma grand'mère est de Corfou ; ce qui ne m'em-
pêche pas d'avoir la folie de la clarté !
En me reconduisant, il me dit :
— Surtout, réunissez toute celle enquête en volume. Je liens
absolument à avoir cela dans ma bibliothèque : quand ce ne serait
que pour conserver le souvenir de cette bande de requins, qui, ne
pouvant pas nous manger, se mangent entre eux!
Jules Huret. (Echo de Paris).
Tannhauser à Bayreuth
{Correspondance particulière de l'Art moderne.)
Vous voulez bien me demander mon opinion sur Tannhauser
à Bayreuth. Je vais essayer de vous la donner, bien que je ne suis
pas encore absolument au clair là-dessus. Vous aurez en tous cas
une impression sincère et très personnelle, — car j'ai évité, autant
que possible, de discuter là-bas, tenant à ne pas quiller le terrain
de l'émotion ressentie pour les vaines théories, pédanlesques par-
fois, des Allemands, et plus spécieuses que réelles, m'a-l-il
semblé, des auditeurs français.
Tout d'abord — et au risque de vous choquer, — vous per-
mellez, n'est-ce pas, une franchise autorisée par nos rapports, loul
d'abord, le sujet même de Tannhauser me louche exlraordinai-
rement, et, plus que celui de Lohengrin. Je reconnais la valeur
artistique plus haute et plus complète de ce dernier ouvrage, mais
le caractère même de Tannhauser me paraît plus humain et plus
dramatique, je veux dire plus à ma portée. Il me semble qu'il y a
en chacun de nous un Tannhauser, mettez que je parle pour moi
loul au moins. Celle lutte me passionne et m'émeut davantage que
l'idéale sérénité de Lohengrin qui se contenlerail d'une année de
bonheur :
" Nur ein Jahr ein reiiier Zeit ».
Maintenant, Tannhauser est-il « passend » pour Bayreuth?
Question complexe! J'ai entendu deux représentations; l'une, la
quatrième, du 3 août, excellente sous tous les rapports, sinon par-
faite; la seconde, la cinquième, faible, surloul par l'insuffisance
du héros. De la première j'ai emporté une très grande impression
et le sentiment que, sauf quelques passages où le manque d'unité
dans le style esl sinon choquant, du moins assez sensible, Tann-
hauser est, à condition que les principaux interprètes soient hors
ligne, tout à fait approprié à la scène de Bayreuth. Si ces derniers,
par contre, sont insuffisants, l'ouvrage parait jurer quelque peu
dans ce cadre qui exige pour Tannhauser, plus que pour toute
autre œuvre du Maître, une perfection aussi complète que possible,
en raison même de ses origines diverses.
■y.."/' ■ ■ "^iV JfJWfl^
L'orcbeslre, admirablement dirigé par Molli, m'a paru parfaite-
ment clair et suffisant comme sonorité. L'ouverture, entre autres,
d'une intensité de readu extraordinaire, avec les fameux traits de
violon qui se succédaient non de cette manière un peu monotone
et uniforme à laquelle on est habitué, mais comme des coups de
fouet (je ne trouve pas de meilleure expression), brillants et péné-
trants. L'introduciioD du 3' acte a aussi été une vraie révélation
pour moi. Les mouvements en général un peu lents (vous savez
que Molli, — quel artiste incomparable! — ne les craint pas),
m'ont paru faire ressortir très heureusement, — sans parler d'au-
rres passages, — et cette magnifique ouverture, et celte touchante
introduction du 3' acte. La Bacchanale m'a paru étonnante de vie
et de couleur ; décors et mise en scène superbe, comme pour tout
l'ouvrage du reste, allure grandiose d'une orgie antique, et poésie
supérieure dans le déchaînement même le plus fougueux des sens.
.\ l'œil, c'était un vrai Rubens, si l'on peut nommer ce grand
malirc de la couleur après l'art serein du Crée : mais il m'a
semblé que ces deux sensations, de plastique antique et de fougue
moderne, ■ctaieni bien caractérisées, et se complétaient harmo-
nieusement. Après celte merveilleuse (et quelle musique!) baccha-
nale, il faudrait un Tannhauser de grande envergure pour donner
toulc leur valeur aux strophes et antistrophes de ce chant qui
pariaiil d'impressions passionnées et un peu confuses, s'élève
jusqu'au cri désespéré :
M 0 Kônigiii, Oôttin I Lass mich zieh'n ! -
Le sextuor, puis septuor, fait fort bonne figure ensuite, et je*
u'ai pas trouvé qu'il parût d'une complexion maigre, — mais ce
n'est pas l'opinion de tout le monde ! Bref, le premier acte me
parait très-intéressant et 1res vivant à Bayreuth.
Le second est celui qui est le plus « genre grand-opéra »,
mais un idéal de grand-opéra, d'avant les dernières créations de
Wagner. Je vous abandonne le duo de Tannhauser et d'Elisabeth,
qui, selon moi, détonne et que je ne pois, malgré l'opinion de
Liszt qui l'a comparé à celui d'AchiWe et d'Iphigénie de Gluck,
trouver suffisant pour Bayreuth. Le concours des Chanteurs est
très bien, mais combien plus de variété de puissance et de cou-
leur y aurait mis le Maître s'il l'eût écrit à l'époque des MeisUr-
siiiger! Ces réserves faites, tout l'acte est très beau, marqué d'un
cachet de pittoresque grandeur : les chœurs étaient remarquables
aussi bien comme chant que comme ensemble et naturel dans
les mouvements et les groupes.
Le dernier acte, enfin, esl souverainement et idéalement beau.
C'est l'une de mes plus grandes impressions de Bayreuth, au
niveau du dernier acte de Tristan et de Parsifal. Il est là dans
son cadre naturel, et on le dirait écrit spécialement pour Bayreuth.
Cette impression a été générale, je crois, tandis que beaucoup de
personnes, et les Français en particulier, ne partagent pas, m'a-
t-on dit, mon opinion relativement aux deux premiers actes.
Je serai ravi d'entendre de nouveau Tannhauser à Bayreuth,
surtout avec deux héros qui soient de grands artistes.
L'effet, selon moi, sera merveilleux comme ensemble, et mal-
gré les quelques réserves formulées ci-dessus, je ne doute pas que
les auditeurs de l'an prochain (Madame Wagner considère les
représentations de celte année comme un simple essai et comme
des répétitions générales) soient de mon avis, dans une large
mesure, tout au moins.
Sans doute, pour ceux qui apportent à Bayreuth des préoccu-
pations plus complexes et plus exigeantes que les miennes, l'unité
parfaite du style, la richesse et la puissance d'orchestralion des
dernières œuvres du Maître sont plus indispensables qn'k moi.
Mais je fais partie du gros public, éclairé et ...honnête. (Je ne
parle pas des snobs qui ne vont lii-bas que par genre!) Mes
impressions ont peut-être, à ce point de vue, un ceirtain fonds de
vérité et d'intérêt.
Donnera-t-on de nouveau le Ring der Niebelungenf En 1896,
EN TOUS CAS (jubilé de vingt ans de la fondation du théitre). —
Avant, peut-être. On serait très désireux, à Wabnfried, d'avancer
la date, mais on recule un peu en face des difficultés et des
dépenses de l'entreprise. J'ai cependant l'impression que eeia ne
tarder* pas trop. Ces représentations s'imposent du reste moni-
lement, si l'on ne veut pas voir se perdre la tradition vraie et
laisser le Ring tourner ii l'opéra, comme cela ne se pratique que
trop en Allemagne. A. B.
ÎJdmond Ï\oche
Le plus ancien wagoérisle français fut certainement Edmond
Roche, un irrégulier de la presse, dont M. Arthur Byl fait revivre,
dans l'Avenir dramatique, la physionomie attachante et curieuse.
Une notice de Victorien Sardou, qui accompagne un petit volume
de vers de cet écrivain ignoré, révèle des détails particulièrement
intéressants sur la manière dont Roche fit la connaissance de
Wagner et sur la traduction, qu'il entreprit à la demande du
Maître, de Tannhauser :
« La traduction du Tannhauser prit à Roche une année entière
du travail le plus assidu, le plus exténuant; il y prodigua ses
jours et ses nuits. Il faut l'avoir entendu raconter tout ce que lui
faisait souffrir l'exigence de ce terrible ho}nme, comme il l'appelait.
Le dimanche, jour de repos à la douane (où Roche était employé
aux écritures), était naturellement celui que Wagner accaparait
pour sa traduction. — Quel congé pour le pan.vre Roche! — « A
sept heores, me disait-il, nous étions à la besogne et ainsi jusqu'à
midi, sans répit, sans repos ; moi cotirbé, écrivant, raturant, et
cherchant la fameuse syllabe qui devait correspondre à la fameuse
note, sans cesser néanmoins d'avoir le sens commun; lui debout,
allant, venant, l'oeil ardent, le geste furieux, tapant sur son piano
au passage, chantant, riant, criant, et me disant toujours : Allez,
allez! — A midi, une heure quelquefois et souvent deux heures,
épuisé, mourant de faim, je laissais tomber ma plume et me
sentais sur le point de m'évanouir : « Qu'avez-vous? » me disait
Wagner tout surpris. — « Hélas ! j'ai faim !» — « Oh ! c'est juste,
je n'y songeais pas. Eh bien, mangeons on morceau vite et
continuons. »
« On mangeait donc un morceau vite, et le soir venait et nous
surprenait encore, moi anéanti, abruti, la tête en feu, la fièvre
aux tempes, à moitié fou de cette poursuite insensée à la recherche
des syllabes les plus baroques... et lui, toujours debout, aussi
frais qu'à la première heure, allant, venant, tapotant son infernal
piano et finissant par m'épouvanter de cette grande ombre crochue
qui dansait autour de moi aux reflets fantastiques de la lampe et
qui me criait comme un personnage d'Hoffmann : u Allez toujours,
allez ! » en me cornant aux oreilles des mots cabalistiques et des
notes de l'autre monde ! »
Le Tannhauser eut à Paris trois représentations, comme l'on
sait, et le nom de Roche ne figura même pas sur l'afiicbe. Cet
excès de travail précipita la fin du pauvre traducteur; des
'^^^FT^^^'
L'ART MODERNE
289
cracbéments de sang éoient survenus, et Roche mourut en 1861,
b Irenle-qualre ans. « N'est-il pas curieux, ajoute M. Arthur Byl,
de mettre sous les yeux des lecteurs ce coin de la vie d'un homme
qui aima Wagner k en mourir, et cela trente ans avant que la
mode s'en fût mêlée, à une époque où le maître était nié de tous,
excommunié des chapelles musicales ! »
^jHRONIQUE judiciaire DEP ^RTg
On a saisi au Salon du Champ-de-Mars, à la requête de
M"» veuve Chapu, un médaillon signé du nom d'un artiste anglais,
H. Homerville-Hague. Ce médaillon, de forme carrée, qui figure
au catalogue de l'Exposition du Champ-de-Mars, au n° 13iS, avec
cette désignation : Althea, éinde en relief, est une falsification
d'un plâtre que Chapu exécuta il y a une vingtaine d'années. Il
représente M"" Chapu de profil, coiffée tt la grecque, les cheveux
relevés en torsades. Les élèves du maître regretté reconnurent
cette copie, malgré son imperfection, et signalèrent le faux à
M. Dalou, qui prévint M""» veuve Chapu. 11 fut décidé alors qu'on
demanderait à l'artiste anglais des explications avant de prendre
des mesures. M. Dalou écrività Londres et ne reçut pas de réponse.
On résolut d'agir. H. Diifoussal, représentant de la Sociélé des
artistes et M. Pelardy furent invités à procéder à l'enlèvement de
ce plâtre. Le commissaire de police l'a mis sous scellés et envoyé
ft la préfecture de police.
Le falsificateur anglais paraît doublé d'un excellent homme
d'affaire, si l'on en juge par l'inscription qu'il avait gravée der-
rière le cadre. La voici reproduite : « Althea, a siudy in relief
sculpted, Homerville-Hague, puis l'adresse. 40 livres sterling. »
Il offrait cette mauvaise contrefaçon au prix de 2.S0 francs.
Petite chroj^ique
Alphonse Karr, le solitaire de Saint-Raphaël, n'avait guère le
goût des pompeux monuments funéraires. La simplicité de ce
philosophe revenu de beaucoup de rêves serait offusquée d'une
prétentieuse statue.
L'auteur de Sous les tilleuls aura un monument assez simple,
dont la maquette vient d'arriver à Saint-Raphaël.
Ce projet est dû au sculpteur Lemaire. C'est un buste d'Alphonse
Karr, en bronze, sur un socle en porphyre haut de trois mètres.
Au milieu du socle court une guirlande en bronze, contournant
le buste et formant en retombant une sorle de couronne.
Au-dessous seront gravés en lettres d'or les beaux vers que rima
un jour Lamartine « à Alphonse Karr, jardinier ».
Une réunion générale de VAllgemeine Richard Wagner- Verein
a eu lieu à Bayreuth, au début des représentations. La séance a
été animée et quelque peu orageuse même, en raison des incidents
qui se sont produits à propos de la répartition des places entre
les différentes associations wagnériennes de l'Allemagne et de
l'étranger. Les procédés du comité de Bayreuth ont été vivement
blâmés par plusieurs orateurs. D'autres, en revanche, ont défendu
la thèse soutenue par M"" Wagner, à savoir que la qualité de
membre d'une association wagnérienne ne donne droit à aucun
privilège, que les cotisations annuelles sont une donation pure et
simple, absolument volontaire et désintéressée. La majorité de
l'assemblée, tout en se ralliant au principe que l'œuvre des
comités wagnériens devait être surtout une œuvre de propagande
artistique, a néanmoins émis le vœu qu'à l'avenir une date fût
fixée pour permettre aux associations] wagnériennes de faire
connatire le nombre de places payantes qu'elles désirent pour
leurs membres, avant que la location soit ouverte au public. Ce
vœu a été adopté à la presqu'unanimité et la date du 1.H mai a été'
acceptée en principe. Les membres des associations wagnériennes
à l'étranger devront donc faire connaître, à cette date, le nombre
de places payantes qu'ils veulent se réserver.
Voilà les wagnéristes prévenus, et ainsi il n'y aura plus de
mécomptes.
Le Beau dans les arts, dans tous les arts, est, presque sans
exception, rebelle à la surprise clamante du succès. Il débuie,
comme l'amour, par un peu de haine. Jamais il ne réunit du pre-
mier coup l'admiration unanime, qui est d'avance acquise aux
, chefs-d'œuvre de la médiocrité, les brevette et les impose b
l'horreur du nouveau, ce critérium du goût national.
L'expression du beau ressemble d'abord à une méprise, puis à
un défi, et c'est au moment de passer attentat que la palinodie
régulière la consacre. Tout le jeu est là, et la Critique, l'ignoble
critique du feuilletoniste et du reporter, est faite pour en suivre
la marche rebroussante. C'est pour cela que vous la voyez si
hagarde aux vernissages et aux premières, elle a peur d'aller plus
vite que le public et de devancer ses remords.
Et il en sera toujours ainsi tant que les productions de
l'esprit et les labeurs de l'âme seront jugés par mode de con-
cours, sur la doctrine do l'émulation. Les Salons sont des
comices où l'électeur va droit aux Barrabas. La grande erreur
est de lui donner à décider de la divinité des Christs-, rar, pareil
aux comédiens, qui ne savent du théâtre que ce qu'ils en ont
appris des auteurs précédents, et joués par eux, le sulTragani
d'art n'entend à l'art que ce que le passé lui eu enseigne, cl le
passé n'est rien précisément que le point de départ des véritables
individualités. En art, sachez-le bien, la folie c'est la raison.
Van Dyck, cliché du Gil Blns :
Un simple ténor malgré ce nom évocateur de gloires lointaines,
mais un ténor comme il n'y en a guère dans la tourbe des pous-
seurs d'uts affamés de réclame et gavés de banknotes. S'est
consacré corps et âme à la religion wagnérienne. Ne chante de
pays en pays que les œuvTcs du Maître allemand, laniôt à Paris,
tantôt à Bayreuth, tantôt à Londres. Taillé pour endosser les
-lourdes armures des beaux chevaliers du Graal, pour lutter avec
le dieu Wotan et délivrer les Walkyrics prisonnières. Le loini
fleuri des hommes du Nord, la barbe blonde, les yeux bleus, la
voix sonore, chaude, vibrant comme du métal. Homme du monde,
pouvant vivre à son plaisir, est devenu artiste par une enthousiaste
ferveur pour la musique nouvelle qui donne de si inoubliables,
de si profondes sensations aux cœurs épris de rêve. Reprendra
bientôt à l'Opéra ce rôle superbe de Lohcngrin qui lui valut déjà
à l'Eden en une légendaire et unique roprésenlation, tant
d'applaudissements.
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■?;mw^^^'ff^'''
OMBlÈia ÀXHta. — N* 37.
Lb numéro : 26 CENTIMES.
Dimanche 13 Septembre 1891.
L'ART MODERNE
PARAISSANT LB DIMANCHB
RBVDE ORITIQDE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Ck>mlt6 de rédaction • Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
ABOmrZMKNTS : Belgique, un an, fr. 10.00 ; Union postale, b. 13.00. — ANNONCKS : On traite i forfait.
Adresser toulet les communicatiom à
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Sommaire
La V«AI INVKAI8BIIBLABLB. — A LA MoNNAIK. RoméO Ct Juliette.
— Enquête sua l'évolution littbimjhe, îi. Octave Mirbeau. —
Lu OIIANDE8 rOBTUNBS ET l'aRT.'^ FinCNOOBAPHIK. — L'INSTINCT
OB luoBATioN. — Petite chbonique.
LE VRAI INVRAISEMBLABLE
• Le Jury, chargé de juger le concours triennal de
littérature dramatique, a décerné le prix à la Prin-
cesse Moleine àe M. Maurice Maeterlinck. La décision
a été transmise, par son président M. Fétis, à M. le
Ministre de l'Intérieur. Le Jury a nommé rapporteur
M. Gustave Frédérix. »
Divers journaux publient cette détonnante nouvelle!
La Princesse Maleine couronnée par ce Jury !
Vraiment c'est à pouflër de rire. Cette œuvre que
ces mômes gens ont ignorée pendant des mois et des
moifl, dont ils se sont ensuite moqués, qu'ils ont plus
tard louée du bout des lèvres, car elle heurte tous leurs
préjugés littéraires et bouleverse toute leur sénile esthé-
tique, la voici, par eux-mêmes, dressée au pinacle et
c'est ce vieux critique farceur, M. Gustave Frédérix,
qui est chargé d'expliquer le pourquoi de cette palinodie
miraculeuse.
Nous n'avons plus qu'à nous retirer à la campagne
après fortune faite. Voici que les sourds entendent, que
les aveugles voient, que les paralytiques chahutent. Le
métier d'apôtre conspué de l'art neuf devient sinécure.
Des radoteurs très usés nous arrachent le flambeau dont
nous leur brûlions la barbe et crient de leurs voix
enrouées les clameurs de guerre dont nous les pour-
chassions.
Est-ce que nous avions tant raison que cela? Est-ce
qu'on va assister, ahuri, à une communion générale?
Est-ce que cette cohorte d'invalides avait encore assez
de malice pour comprendre qu'à continuer son absurde
campagne elle allait ridiculement périr ?
Ces éreintés s'inoculent la Princesse Maleine comme
si c'était de l'élixir Browu-Sequard.
Et ce n'est pas une fausse nouvelle. L Indépendance,
qui sait tout et qui le sait toujours la première, a
daigné le dire, au risque de faire perdre le Nord à sa
clientèle du Bel Air et de gens en bonne posture !
Ne nous plaignons pourtant pas trop de ce que, sur
le tard, il pousse à ces aliborons des ailes qui les trans-
forment en Pégases. Il y a plus de joie à convertir
l'ennemi qu'à l'exterminer. Et ce nous sera urie allé-
gresse supérieure de voir ces bons hommes marcher,
cierges allumés dans leurs mains tremblotantes, devant
la procession que, naguère, ils accompagnaient de leurs
huées.
292
L'ART MODERNE
Pourtant il eût été mieux de discerner dès l'origine
la vérité artistique que si tardivement on encense, de
ne pas dédaigner les avertissements qui n'ont pas
manqué, de ne pas attendre pour se douter de
quelque chose qu'un figariste eût donné le signal, et,
alors, de ne pas marchander l'admiration. Il a fallu le
concert des journaux des deux mondes pour que ces
étranges personnages qu'on investit risiblement des
fonctions déjuges en matière littéraire, consentissent,
apostats ingénus, à ce lâchage en grand de leurs plus
chères marottes. 11 a fallu surtout la peur qui, depuis
quelque temps les tenaille, de rester seuls avec le
déshonneur de leurs opinions de têtes de pipe.
La Princesse Maleine est couronnée ! Evohé !
Evohé! Non pour sa gloire à laquelle un tel départe-
mental avantage n'ajoutera qu'un fleuron comique,
mais pour l'inouïe curiosité du fait, mais pour la cin-
glante leçon infligée à la routine, mais pour le coup de
poing lancé par la critique administrative elle-même
dans son gros œil de borgnesse.
Ah! badauds et pimbêches pour qui M. Frédérix est
un Bellac et un oracle, vous n'allez plus, n'est-ce pas,
gober désormais aussi facilement les ukases de ce pali-
nodard ? Pensez donc ! il a trouvé un jeune écrivain
belge digne d'une récompense officielle.
Et pourtant des scrupules nous tiennent. Attendons
le rapport du grand homme : parions qu'en ces phrases
acrobatiquement balancées dont il joue en clown rompu
aux exercices du cirque, l'éminent auteur du Diction-
naire universel des clichés et des locutions agaçantes ,
saura démontrer que Maurice Maeterlinck a évidemment
mérité le prix triennal tout en ne le méritant certaine-
ment pas. Car, en matière littéraire, c'est un proces-
sionnaire d'Echternach, ce gaillard-là, savez-vous !
L'Indépendance, où M. Gustave Frédérix remplit
les monotones fonctions de critique influent, apprécie
ainsi qu'il suit l'œuvre d'un de' nos jeunes écrivains de
très grand mérite, Chantefable un peu naïve, par
Albert Mockel.
« Figurez-vous que nous sommes en train de décou-
vrir des choses charmantes mêlées à bien des bizarreries
dans cette Chantefable un peu naïve (oh ! si peu I) que
vous signalait dernièrement notre Bulletin bibliogra-
phique. Et tenez, en voici une que nous voulons vous
donner à lire avant de risquer notre sentiment sur
l'ensemble du volume. Mon Dieu, certainement, il y a
là des puérilités, des préciosités, des obscurités, des
aspérités et même des banalités. Moderne? Si vous
voulez, étant admis que le comble du moderne est
l'archaïsme. C'est pourri de pastiche : une adaptation
sensibilisée du rondel, du virelai moyen-âge, une
chanson à danser sur le mode triste. Et tout de même,
c'est très gentil. "
C'est le procédé prudent adopté par cette radoteuse :
une chapelure où tous les ingrédients se neutralisent.
Laissons lui risquer son sentiment, pour voir ce que
sera ce nouveau tour d'équilibre.
^ LA «^ONNAIE
ROMÉO ET JULIETTE
Nous n'y étions pas. Car les vacances palpitent encore!
Naisnousavonslu des journaux parlantudc la belle réouverlnre,
par une belle soirée, par une belle œuvre ». Spëcialemeot, noe*
ne voudrions pour rien au inonde élre privé du compte-rendu de
notre Sarcey national, H. Gustave FRiDÉRix!
Dès les premières lignes, l'éminent critique perpétuel de l'Indé-
pendance se révèle :
« Il faut vous dire tout de suite que cette reprise de Roméo et
Julielle a élé brillante, très soignée en ses détails, avec des per-
sonnalités d'artistes et des voix sonnantes. C'est une des habiletés
ORDINAIRES DE MM. Cai.abrési ET Stoumon, d'avoir dei chanteurs
et chanteuses, ayant de vraies voix. »
Oli! les étonnants directeurs ! Et l'homme du bel air insiste en
son élonnant français : « On a bien entendu que les nouveaux
interprètes de Roméo, la basse M. Dinard et la dugazon M"' Savine,
étaient munis de ces qualités obligatoires à la Monnaie ». C'est très
simple, on est chanteur, on sait que certaines qualités sont obli-
gatoires, avoir une voix, par exemple, et l'on court s'en munir.
Surgit une gerbe d'ahurissantes Lapalissades. M. Frédérix en
tient collection, comme on sait, la plus riche de cette fio de
siècle. Oyez !
« L'amoureuse Juliette, l'incarnation séduisante et classique des
drames de la passion. »
« On peut toujours ajouter quelques traits i ces figures idéales,
que chaque artiste est en droit de voir à travers son propre
tempérament. »
« Ce serait beau, d'unir au même degré la vocalisation élince-
lante et le dramatique puissant. »
« On est étonné de ne plus voir leconsciencieux Chappuis, une
des institutions de la Monnaie, dialoguant en Gregorio, avec la
nourrice de Juliette ou le page de Roméo/^A/aw Chappuis a prit
sa retraite. »
t( Le Roméo et Juliette a beau être un duo d'amour en cinq
actes ; chaque épisode de ce duo a son intérêt, sa caresse et sa
force. »
Ah ça! est-ce que M. Gustave Frédérix serait le légataire
universel de M. de Calino, de Guibollard et de l'incomparable
Boircau?
Viennent ensuite, les tours de phrase aux stupéfiantes trou-
vailles! Symbolistes, pendez-vous.
« Les meilleures Julicltes se partagent, d'ordinaire; et celles
qui disent le mieux les plaintes amoureuses du quatrième et du
cinquième actes, n'ont pas la ténuité agile de la valse du premier
acte. »
« M"" de Nuovina s'est brillamment lirée de cette valse tour-
billonnante, sans s'y prendre les pieds, sans y chercher non plus
des notes suraiguës, des gammes piquées, et autres vaines
voltiges. »
LART MODERNE
293
« Le vigoureux trio du Iroitième, laacé avec un élan très dra-
matique, et luivi d'un rappel qui n'est pat coutumier. »
« MU* Savine, la nouvelle dugazon, a de la désinvolture et de
l'élégance, dan4 le joli cotiume où se moulent Us jambes du page
Stéphane. »
« N'oublions pas M"* Walter, qui- reprend avec dignité son
emploi de nourrice. »
Et les lieux communs par lesquels depuis des ans et des ans
on joue ti la critique dramatique, aussi invariables que les trenle-
deux cartes de l'écarlé; et les clichés dont M. Frédérix se croit
l'ingénieux inventeur, plus nombreux que les oiseaux migrateurs :
Le troublant duo, — le genre de beauté ii l'œil profond et au
teint mat, — l'accent énergique, — la souplesse de la voix qui
se ressent d'une préoccupation nerveuse, — le succès qui
s'affirme, — les déclarations tendres du balcon, — la douleur
vibrante, — l'artiste qui mérite des éloges et en méritera plus
encore, — l'actrice intéressante et séduisante, — le ténor qui
chante avec science et vérité, — l'accent délicatement expressif,
— la noblesse vigoureuse, — l'intensité tragique, — la belle
scène finale, — l'allure et la grice, — le rôle brillant, — la belle
phrase du trio, — l'ampleur de la voix, — la franchise du timbre,
— le morceau pittoresque, — une des pages les plus originales de
la partition, — la voix solide et expressive, — le sentiment
juste, — la fermeté de la diction, — la nouvelle campagne
lyrique,... et allez-y, et allez-y, ça n'en finit pas!
Ce n'est pas, certes, pour faire de la peine à un brave homme
que nous relevons ces cocasseries. On peut hésiter à troubler la
sérénité dans laquelle, à son déclin, il s'éteint, doucement. Mais
ne serait-il pas temps qu'il remisât? Vraiment il est sur les bou-
lets et sa critique est mangée aux vers. S'il se contentait de
bafouiller d'innocents comptes-rendus. Mais c'est qu'il juge,
tranche, accueille, repousse, lance des excommunications, formule
des aniithèmes, rend des brefs et est membre de ces jurys légen-
daires qui distribuent les palmes artistiques.
A ce litre il est Salutaire de mettre de temps à autre en relief
une telle infirmité littéraire qui essaie tout à coup de se rajeunir
dans les bras de la Princesse Maleine.
De son cOté,Champal,à propos de la nouvelle troupe du Théâtre
de la Monnaie, écrit :
« Ne voulant pas préjuger de l'accueil que les nouveaux
penaionoaires recevront du public bruxellois — ce qui serait
contraire aux usages — je me bornerai à publier les renseigne-
ments biographiques que j'ai recueillis sur chacun d'eux. »
Et tout de suite, le brave garçon, résolu il tant de réserve et à
une si rigoureuse impartialité, se laisse emballer par son incurable
et plaisante élogiomanie. Voici un échantillon de ce faire unique
du pullulant et ubiquilaire reporter qui a enrichi la langue du
verbe champaliser.
« H'x Chrétien qui débutera dans le rôle d'Alice de Robert le
Diable, est la fille de M. Chrétien, le naturaliste bien connu du
monde savant de Paris. M"* Alba Chrétien était entrée au Conser-
vatoire pour y apprendre le solfège et le piano et déjà elle avait
adopté la carrière du professorat lorsque la vocation du théâtre se
révéla pour elle irrésistible, conquérante. Il y a eu deux ans, le
!•' juin dernier, que M>'* Chrétien, qui possédait â fond sa
technique musicale, prit sa première leçon de chant auprès de
H. Raoul Dclaspre. Exceptionnellement douée, animée d'un zèle
ardent, la jeune cantatrice progressa avec une rapidité extraor-
dinaire et, stylée enlretemps par M. Melchissédech pour le jeu
scénique, elle est aujourd'hui merveilleusement préparée pour
débuter. Je n'en dirai pas plus.
Et il ne voulait pas préjuger! Zuzo un peu s'il avait voulu.
Champal, au début de son article, avait émis cet aphorisme
qui dénote sa connaissance approfondie du monde et du bel air :
Il est de tris bon ton détre renseigné avant la lettre !
Des mêmes auteurs, ces autres échantillons frais émoulus :
— o La pièce est jouée avec quelque verve. Le Boisjoli,
M. Desclos, est suffisamment effaré entre ses deux noces. Un
débutant, M. Victor, a une fantaisie tranquille amusante. M. Co-
radin semble avoir du naturel. El M. Chevalier, qu'on a vu long-
temps aux Galeries, a toujours sa même conscience et sa même
animation â jouer faux. La duègne. M'"" Cosle,a de la vivacité. El
on a revu avec plaisir les jolis yeux de M"° Haury. »
— u Robert le Diable! On ne peut vraiment pas dire qu'il soit
resté tout jeune, ce « pur chef-d'œuvre » de nos pères. L'éphèbe
au rameau nous semble aujourd'hui un mâle bien peu victorieux;
les chiens de la parodie ont singulièrement mouillé les lycopodes
du prince des ténèbres; cl quant aux enthousiasmes antiques
pour les gargouilladcs des gosiers en démence, ils ont, chez
beaucoup, fait place â la perception de la haute cocasserie de
semblables exercices. »
Enfin le pur chef-dœuvre que voici, du Champal en surexlrail :
a Un silence solennel règne dans les coulisses où les gens de
service, les pieds emprisonnés dans des chaussons de lisière,
glissent sans bruit comme des ombres.
« Au détour d'un portant, dans l'obscurité qui plaque le fond
du théâtre, apparaît Mu» Chrétien, parée de sou costume d'Alice.
Son habilleuse la suit.
u Rieuse et enjouée, la charmante cantatrice vient se mêler au
personnel de la scène. Mais le régisseur veille : il règne à cet
endroit du théâtre un courant d'air perfide et, entraînant la jeune
pensionnaire, il va l'entraîner au fond d'un immense fauteuil
byzantin.
« L' « entrée » de M"« Chrétien approche ; elle jette à son
habilleuse le châle qui garantit ses épaules, porte son mouchoir â
ses lèvres et, légère comme une sylphide, va prendre position
dans les coulisses. Agenouillé, le costumier ajuste les plis de sa
robe. Prestement M"" Chrétien quitte son encoignure, son tour
est venu, et gracieuse et résolue elle débouche dans l'aveuglant
embrasement de la rampe ei des herses.
« La représcnlalion de Robert en est au tableau de la croix.
Plus un chuchotlement, plus un mouvement, les spectateurs...
des coulisses paraissent figés; tous écoutent avec une curiosité
vive ; les mieux placés seulement voient.
« Arcboulé à un portant, dans une attitude instable, un des
deux directeurs enveloppe de son regard la scène éblouissante.
« Dans la coulisse, immobiles comme des statues, se tiennent
les habilleuses, les bras chargés de vêtements, plusieurs machi-
nistes appuyés en rang d'oignons contre la muraille, le pompier
de service, les mains passées autour du paquet de cordes qu'il
porte en bandoulière, enfin deux ou trois ballerines dont les
chairs rosées, les jupes de gaze jettent une noie éclatante dans ce
tableau aux tonalités assourdies.
« Sur le parapet de la passerelle où perchent les électriciens,
quelques hommes sont penchés dans le vide. On voit, paraît-il,
très bien de cette hune.
€< Au milieu de ces gens recueillis apparaît M. Dupeyron, plas-
tiquemeni moulé dans sa cotte de mailles en cuivre. Posté dans
la coulisse, Robert s'apprête à entrer en scène : il respire trois
ou quatre fois avec force, absorde un cordial, s'essuie les lèvres,
rétablit les lignes de sa barbiche et, le moment psychologique
arrivé, entre en scène crânement cambré.
« L'attention des auditeurs massés dans les coulisses est à son
paroxysme : Alice, Bertram et Robert vont tenter un des tours de
force les plus périlleux du répertoire à « obstacles ».
■ "■■' ■■ '-''s/^pr-' ''f-K^nr
a Enfin le rideau tombe et se relève sous une (empéle d'applau-
distements : la partie est gagnée. Directeurs, régisseur, machi-
nistes et habilleuses se précipitent au devant des vainqueurs. »
ENQUÊTE SDR L'ÉVOLUTION LITTÉRAIRE
(1)
OCTAVX MIRBXAU
Le plus passionné d'art des écrivains de ce temps; l'auteur
célèbre du Calvaire, de ÏAbbi Jules et de Sébatliai Roch.
Polémiste exlraordinairement vigoureux, il s'est fait autant
d'ennemis par la crine et impétueuse énergie de ses attaques,
qu'il s'est attaché d'amis sûrs par la belle générosité de ses plai-
doiries en faveur de talents méconnus. Les lecteurs de l'Echo de
Paru le connaissent sous cette double face de sa sympathique
personnalité.
Je prends le train & huit heures du matin pour Ponl-dé-l'Arche,
qui se trouve près de Rouen, & deux heures et demie de Paris. En
descendant du train, je trouve sur le quai mon hOtc, la 6gure
avenants, les mains tendues. Tout de suite il me dit : « Tenez,
c'est là-bas, la maison, voyez-vous, en dehors du village, ce toit
qui brille? » On grimpe en voilure, et, à peine dix minutes
après, on arrive devant la grande grille ouverte sur un jardin spa-
cieux, soigneusement entretenu, aux allées sablées, a II n'y a rien
encore, c'est trop tôt, mais vous verrez cet été ! » Nous parcou-
rons le jardin.
Dans les parlerres, de place en place, des bouts de bois sont
plantés, tout droits, en arcs, en angles aigus; de ci, de \i, de
minuscules verdures pointent de la terre grise.
— Ça û'a l'air de rien tout cela, dit-il, eh bien, tenez, voyez
cette fraxinelle, les soirs d'été, quand elle a grandi, elle secrète
des gaz et s'en enveloppe comme d'une atmosphère ; il n'y a qu'à
approcher une allumette, cela s'enflamme, et ce sont nos feux
d'artifice muliicolores, nos feux de bengale, à nous autres de
Ponl-de-l'Arche. Ici j'ai planlé des Eccremocarpus qui grimpe-
ront aux arbres et rejoindront ces BoussingavUia et ces Lopho-
spermnm,ce sérac omme une adorable pluie de fleurs qui se serait
arrêtée à deux mètres du sol. El partout, ici, là-bas, des
Heliantus, ces immenses soleils qui s'épanouissent à deux et
trois mètres de hauteur, et que Van Gogh a peints passionnément
des énormes Eremostachys, les divins lys du Japon, des Iris
Germanica, plus beaux que les plus belles orchidées, un Moréas
de la Chine, iridée magnifique à grands pétales oranges : qui
vaut bien les Moréas d'Athènes, je vous assure; là des pourpiers
fastueux, de gigantesques Héléniums, et, sur celte pente, des
pivoines, des citrouilles, des Hypericum pedeslrianum, fleur
cocasse s'il en fut jamais, et qu'il faut piétiner pendant une
journée avec des souliers de maçon pour la voir fleurir; et tant
d'autres merveilleuses comme ces Dielztras avec leurs liges pen-
chées où des cœurs roses sont pendus...
Avec un grand geste heureux et un éclair dans les yeux, il
Djoula :
— Vous verrez, vous verrez tout cela cet éié! Ces fleurs, c'est
plus beau que tout, plus beau que tous les poèmes, plus beau que
tous les arts!
— Vous savez, continue M. Mirbeau, je n'ai rien d'inlércssant
à vous dire, mais j'espère que vous n'aurez pas perdu votre
icmp?, regardez cela.
(1) \'oir nos n»' des 14 juin, 9 août et 6 septembre.
Du haut de la lemHe oft noD( noas IrouTions et qni est le
jardin, nos yen plongeaient k présent daoa m payragesplendide.
A cent mèti^ k peine dn garde-fou oA noos étions appvyés, la
Seine, sons le soleil roabit de l'srgent «l du csiTre entre las Ilots,
sur l'autre rive venait mourir la colline crayeuse dont les écbis
blancs se coupaient de rectangles de Tcrdure et de lignes de
hauts arbres; l'horizon se perdait dans de l'ouate bleue-.
Et, en même temps, je regardais mon interioeateor, sa haute
taille, ses solides épaoles, sa conrte monslache rousse relevée
aux pointes, la richesse paysanne de son teiol, tandis que lui, de
son œil vert pailleté d'or, comme strié, continuait k fixer Te
paysage et disait :
— Hein I est-ce beau ! Et l'été, Ik, dans l'Ile, si vous voyiei
cette végétation! Un énorme, un fabuleux paquet de verdure
impénétrable, mystérieux... Ahl comme c'est beau!
— Et comme on respire, ici I fis-je en humant instindiTe-
ment de larges bouffées de cet air pur qu'agitait un petit vent dn
Nord.
(Je me tiens k quatre pour ne pas raconter minute par minute
cette journée exquise, ce que je vis, ce que j'entendis, et la
qualité des sensations que j'en rapportai. Hais je connais des
esprits pointus et des Sourires Fins qui me rappelleraient k
l'Enqnéte, et, ma foi, ils auraient raison ; pourquoi, en somme,
ne conserverais-je pas tout cela pour moi ?)
— Nous causerons dans la forêt. Venez, venez me dit H. Mjr-
l>eau.
Pour éviter des circuits, nous traversâmes des guêrets, enfi-
lâmes des chemins creux bordés de baies qui apparaissaient,
avec les mille petits yeux entrouverts des bourgeons, comme
baignées d'une atmosphère verte. Pendant trois kilomètres nous
avions marché ainsi, 'sans que je pusse aborder la question qui
m'avait amené k Ponl-de-l'Arche, parce que tout ce que me disait
mon interlocuteur m'intéressait davantage, quand, soudain, au
hasard de la conversation, tomba le mol : naturalisme.
— Ah ! dis-je alors, enfin ! Croyez-vous qu'il soit mort?
M. Mirbeau se mit à rire, me plaisanta sur cette obsession qui
me poursuivait à travers ces paysages magiques et s'écria :
— Le naturalisme ! mais je m'en fiche ! Croyez-vous que, dans
cinquante ans seulement, il subsistera quelque chose des étiquettes
autour desquelles on se bat à l'heure qu'il est! Mais qu'il soit
vivant ou mort, le naturalisme, est-ce que Zola ne demeure pas
l'artiste énorme, l'évocateur puissant des foules, le descriptif
éblouissant qu'il a toujours été? Quand il a écrit un beau livre,
qu'est-ce que ca peut noas faire que (a soit naturaliste ou pas
naturaliste? Tout de même, il y a une réaction, réaction bienfai-
sante contre cette absence de toute préoccupation de l'intellectuel,
contre cette négation de tout idéal, qni auront marqué d'une
tache bélc l'école naluralisle. Et tout le mouvement actuel est
aussi le signe que la jeunesse n'est pas morte et quelle s'occupe
un peu à se frayer un chemin au travers des vieux ronds-de-cuir
qui détiennent toutes les spécialités de la littérature et de l'art.
Et ce que je reproche à Zola, par exemple, c'est justement ce
dédain qu'il afiecte pour les jeunes et sa façon de parler des
ptiitei revues, en faisant la moue. Il a donc toujours écrit où il
a voulu, lui? Il n'a donc jamais été débutant? Oui, cette morgue
de parvenu qui, autre part, d'ailleurs, s'afliche, s'étale, me gStc
mon bonhomme...
Voulez-vous que nous marchions encore un peu 7 Je connais, à
L'ART MODERNE
296
as UhMBèlr* d'ici, Ih tor la gauche, od endroit extraordiaaire
qvt je yvÊénà» tow montrer.
Nom éliOD» ea pMne forit, dant une large allée et nous grim-
ftmu «ne edta nride. De lemp* es letnpe, nous nous anrétions
me feceode, appay<» sur nos cannes, ii regarder le paysage de
seieii qui resplendisBeil derrière nous.
M. Mirbean ceatinua :
-^ H y a Ik, au Mercure de France, des gens comme Rémy de
GourmoDt, Saint-Pol-Roux, Albert Aurier, critique d'art, e» «Tau-
Iretqai TraimeiU Méritent mieux que le dédain de Zola. D'ail-
lean, omm je troir«e que toutes ces « petites revues », comaM il
les appelle, c'est ce qo^il y », k l'heure qu'il est, de phis iatéres-
saat k Kre. Voyons I l'Hermitage, les Entretient et le Mercure,
ça Tant toit de mtme mieax que la Revue des Deux-Monde* ! Et
les chroBiqnes, et les criliqoes qu'on y lit, sont diablement les
plM iMettigentes et pins copieuses que les chroniques et les cri-
tiques de Sarcey et antres pitseurs de copie k six francs la
colonne I
— C'est vrai, c'est vrai, dis-je.
— N'est-ce pas T. . . Oh ! elle est bien développée chez moi cette
horreur des critiques littéraires I Ofa t les monstres, les bandits I
Vous les voyez tous les jours baver sur Flaubert, vomir sur Vil-
liers, se vanter d'ignorer Laforgue, ce pur génie français mort !i
vingt-sept ans, qu'on s'acharne k montrer comme un décadent et
qai ne Test pas pour un sou, et prendre Narmeladoff pour un
poète rusée qu'ils ignorent 1 Vous les voyez tous les'jours s'em-
baller pour les idées infâmes et'sur les oeuvres de bassesse, mettre
le doigt avec une sûreté miraculeuse sur la médiocrité du jour, et
s'étendre sur l'ordure et l'abjection, avec quelle complaisance
porcine I Oui, ils me dégoûtent bien les critiques littéraires ! N'en
parloas phis, nous voici arrivés...
D'un geste machinal qui lui est ramiiier, M. Mirbeau renvoya
son chapeau sur le haut du front pour le ramener tout à l'heure
sur ses yeux, et, un poing sur la hanche, l'autre main appuyée
sur sa canne, il admira. C'était un grand espace de forêt tout
planté de hêtres énormes. Les fûls à l'écorce lisse el bleutée,
espacées dans un désordre harmonieux, s'élevaient tout droit vers
le ciel dans un jet élégant et viril. La perspective s'éloignait dans
une profondeur bleue.
— Hein 7 Quelques femmes de Puvis lâchées lâ-dedansi Voulez-
vous que nous nous allongions là, an milieu, dans ce rayon de
soleil?
Etendus s\ir les feuilles sèches, en fumant d'excellentes ciga-
rettes « RaTchlIne », très russes, comme dirait Jean Lorrain, nous
reprîmes la conversation de tout â l'heure, ii bitons rompus,
s'acerochant à toutes les incidentes et s'égarant â tous les carre-
fours. J'en retiens les morceaux que voici :
— Les symbolistes... Pourquoi pas? Quand ils ont du génie ou
du talent comme cet exquis Mallarmé, comme Verlaine, Henri de
Régnier, Charles Morice, je les aime beaucoup. Ce que je trouve
d'admirable dans la littérature, c'est justement de pouvoir aimer
en même temps et Zola qui, en somme, est surtout beau quand il
arrive au symbole, et Mallarmé, et Barrés el Paul llervieul Barrés,
on est là k l'embêter tout le temps avec son moi, c'est idiot! Mais
tonnerre! son m<rt est plus intéressant, je pense, que celui de
M. Sarcey qui en encombre les colonnes de trois cents journaux
tous les jours ! Et je considère son dernier livre, son Jardin de
Bérénice, comme un pur chef-d'œuvre; c'est très grand, très
élevé, cela, et c'est plein de préoccupations très nobles. Les
psychologues! Je sais bien que le mol est devenu assommant,
mais, enfin, il y en a de toutes les sortes. La psychologie de
Bourget, c'est un peu de la psychologie de carton, c'est de l'excel-
lent snobisme, c'est la formule écrite de banalités que tout le
monde sait; mais celle de Paul Hervieu est vraiment extraordi-
naire ; et son Inconnu est Toeuvre d'un des hommes les plus donés
de ces temps-ci.
Us attendent un Messie ! Quel Messie? Mais à aucune époque
de la littérature il n'y a eu une pareille floraison d'art. A part les
gens qui personnifient notre siècle avec M. Meilhac el M. Halévy,
qu'est-ce que les esprits les plus difficiles demandent de plus que
Mallarmé, que Verlaine, que Hendès,que Zola, que Maeterlinck,
que Tailhade ? Mendès I Où est-il le poète plus exquis, plus poêle,
plus pertotinel? Oui, plus personnel, car, enfin, elle esl finie cette
légende de Mendès imitateur d'Hugo el de Leconle de Lisie !
Ecoutez ce vers A'Hetpérue ;
Un jet d'eau qui montait n'est pas redescendu.
Dans le silence de la grande forêl de hêtres, à peine troublé
de pépiements d'oiseaux, M. Mirbeau répéta deux fois ce vers avec
on ton d'admiration sincère, presque de joie. Et ce vers, lancé
ainsi parmi ces grands fûts bleus el ce silence, donnait bien celle
sensation d'infini que le poêle a voulue.
— Et l'oeuvre de Mendès, continua H. Mirbeau, est pleine de
choses pareilles, il n'y a que le lire! C'est comme sa prose; dans
son dernier roman, par exemple, la Femme- Eiifanl , qui va
paraître sous peu, el dont le succès sera énorme, croyez-vous que
le passage des coulisses, entre autres, n'esl pas du réalisme
intense? Et les tourments d'artiste, du début de l'ouvrage, el tant
d'autres pages, croyez-vous que ce n'est pas de la meilleure
psychologie? Pourquoi nous embêle-t-on alors avec des étiqueiles,
puisqu'un même homme, un même artiste comme Mendès résume
enVji toutes les qualités possibles du plus parfait des écrivains?
ElTlaeierlinck, donc!
El voilà que reprennent à perte de vue les incidentes et les
échappées dans les souvenirs. Et j'écoule, en pulvérisant des
feuilles sèches, oubliant tout ce que je dois retenir, enlièremenl
pris par le charme de la parole cl l'imprévu de la pensée de mon
inlerlocuteur. Enfin, quand j'essaie de revenir au sujet, M. Mir-
beau medil en éparpillant machinalement dans l'air une poignée
de feuilles :
— La littérature? Demandez donc plutôt aux hêtres ce qu'ils en
pensent !
Soudain :
— Mais quelle heure est-il donc?
— Six heures. Déjà !
Nous revenons. Le soleil va se coucher. Des rougeui-s flam-
boicnl derrière les arbres el incendicnl les haies qui bordent la
roule, le petit venl de ce matin est tombé, le silence se fait plus
profond.
Quand nous rentrons à Pont-de-l'Archc, d'un côté le soleil tout
rouge va disparaître; de l'autre, dans un val, entre l'écariemeni
de deux collines, des brumes violettes s'élèvent vers le ciel gris.
A contempler ce spectacle, l'œil ébloui de mon hôte paraiss^i de
l'aventurine en fusion.
— Au fond, voyez-vous, c'est de la peinture que j'aurais dû
faire, dil-il avec un peu de tristesse.
296
L'ART MODERNE
Huil heures moins cinq. Le Irain de Paris passe à huit Jievres
cinq. Mes adieux hiiivement faits, on saute en XMture.
— Nous n'arriverons pas, ditie-yaoni.
— ai, tàfmmà M. tthlieau, hue, 'Coco !
I.e petit cheval breton part d'un galop effréné. Il fait nuit pres-
que noire. Cinq minutes passent.
Nous n'arriverons pas, répète le groom. Voilà le train qui
arrive!
Dans les ténèbres, au lointain, en effet, l'œil rouge d'une loco-
motive a paru*, en même temps qu'un grondement sourd arrive k
nos oreilles.
— Hue ! Coco ! ,^
Une réflexion rapide me traverse l'esprit :
— Vous ne m'avez pas dit quelle direction paraît prendre le
roman!
— Socialiste, il deviendra socialiste, évidemment ; l'évolution
des idées le veut, c'est fatal, hue! hue! L'esprit de révolte fait
des progrès, et je m'étonne, hue ! que les misérables ne brûlent
pas plus souvent la cervelle aux millionnaires qn'ils rencontrent...
hue! Oui, tout changera en même temps, la littérature, l'art, l'édu-
cation, tout, après le chambardement général... hue! hue donc !
que j'attends cette année, l'année prochaine, dans cinq ans, mais
qui viendra, hue! hue ! j'en suis sûr!
Le cheval s'arrête, le train entre en gare. Je saute à terre, je
serre fortement la main de mon hûle, la locomotive siffle et
s'ébranle avant que j'aie eu le temps de me reconnaître. Par la
portière, je crie : Adieu ! et une voix me répond :
— A cet été!
Jules Hcret. (Echo de Paris).
LES GRANDES FORTUNES ET L'ART
Dans une étude publiée sous ce litre en tête du n* 35 de
l'Art moderne de 1889, nous signalions l'inutilité des grandes
fortunes, si ce n'est pour les jouissances bétes de la Hichelifferie.
Si encore, disions-nous, les détenteurs de ces accumulations
anormales de richesses savaient en faire un bon et habile usage!
Mais ils n'ont guère le don de trouver ce qui les excuserait et
apaiserait l'animadversion qui les poursuit, lis ne se doutent pas
d'ordinaire de cette hostilité sourde, impitoyable en ses projets
de nivellement. L'opulence a pour propriété de les rendre inaptes
à percevoir le menaçant phénomène qui les enveloppe. Par le
changement brusque du point de vue, ceux mêmes qui, avant
leur transformation, étaient dans la foule récriminalrice et mur-
muraient avec elle, changent de sentiment et deviennent aveugles
et sourds. Ils taxent d'injustice et d'envie la passion d'égalité
qu'ils res-sentaient autrefois avec la multitude dont un coup du
destin vient de les faire surgir. // n'y a guère d'exemple iun
homme ayant une grande fortune qui l'ait fièrement et noble-
ment employée. Et on a ajouté : Une grande fortune est le moyen
le plus efficace d'amoindrir une âme.
J.-K. Huijsmans, dans Là-Bas, exprime mapifiquement les
mêmes idées :
« Enfin la plus désarçonnante des énigmes n'était-elle pas
encore celle de l'argent? — Car enfin, on se trouvait là en face
d'une loi primordiale, d'une loi organique atroce, édictée et
appliquée depuis que le monde existe. Ses règles sont continues
et toujours nettes. L'argent s'attire lui-même, cherche à s'agglo-
-mërer aux mêmes endroits, va de préférence aux scélérats et aux
médiocres; puis, lorsque par une inscrutable exception, il s'en-
tasse chez un riche dont l'ftme n'est ni meurtrière, ni abjecte,
alora il demeure stérile, incapable de se résoudre en nn bien
intelligent, inapte même entre des mains charitables k atteindre
un bnt qui soit élevé. On dirait qu'il se venge ainsi de sa Eiune
destination, qu'il se paralyse volontairement, quand il n'appar-
tient ni aux derniers des aigrefins, ni aux plus repoussants des
mufle».
« Il est plus singulier encore quand, par extraordinaire, il
s'égare dans la maison d'un pauvre; alors il le salit immédiate-
ment s'il est propre ; il rend lubrique l'indigent le plus chaste,
agit du même coup sur le corps et snr l'âme, suggère ensuite k
son possesseur un bas égolsme, un ignoble orgueil, lui insinue
de dépenser son argent pour lui seul, fait du plos humble un
laquais insolent, du plus généreux an ladre. Il change, en une
seconde, toutes les habitudes, bouleverse toutes les idées, méta-
morphose les passions les plus têtues, en un clin d'oeil.
« Il est l'aliment le plus nutritif des importants péchés et il en
est, en quelque sorte aussi, le vigilant comptable. S'il permet ft
un détenteur de s'oublier, de faire l'aumône, d'obliger un paurre,
aussiidt il suscite la haine du bienfait à ce pauvre ; il remplace
l'avarice par l'ingratitude, rétablit l'équilibre, si bien que le
compte se balance, qu'il n'y a qu'un péché de commis en moins.
« Mais où il devient vraiment monstrueux, c'est lorsque,
cachant l'éclat de son nom sous le voile noir d'un mot, il s'in-
titule le capital. Alors son action ne se limite plus à des incita-
tions individuelles, à des conseils de vols et de meurtres, mais
elle s'étend à l'humanité tout entière. D'un mot le capital décide
les monopoles, édifie les Banques, accapare les substances,
dispose de la vie, peut, s'il le veut, fiaire mourir de fiiim des
milliers d'êtres I
a Lui, pendant ce temps, se nourrit, s'engraisse, s'enfante
tout seul, dans une caisse ; et les Deux-Mondes à genoux l'adorent,
meurent de désirs devant lui, comme devant un Dieu, n
PORNOGRAPHIE
Voilà donc M. Vandenpeereboom en plein dans le pétrin qu'on
lai a prédit, poursuivant l'impossible, et ne résolvant une dif-
ficulté que pour en voir surgir une autre. Il a cru qu'on pouvait
comprimer, bonne ou mauvaise, cbasU ou obscène, la pensée
comme on étrangle un petit chat. Elle lui échappe et va se poser
ailleurs, et quand, chasseur toujoura déçu, il croira la tenir en cet
ailleurs, elle lui échappera encore, et ainsi de suite tn tœcula
tœculorum, à moins qu'il ne culbute avant la fin de ce rallie-
paper.
Un petit bleu du Gil Blas, que voici, envisage la question à
un autre point de vue et riposte du tac au tac à celte pudeur belge
subitement sortie de son puits :
a Non, mais savez-vous que vous devenez très drôles dans votre
pays, quand vous vous y mettez! Il est vrai que vous ne vous y
mettez pas souvent — mais vous savez rattraper le temps perdu !
Alors vous voilà devenus moralistes et vous ne voulez plus que
Paris vous enVoie des « grivoiseries », comme vous devez dire le
soir à la Cruche d'or, tout en buvant des lampées de faro qui
donnent à vos figures la patine de vivants Frans Hais ! Mais savez-
vous, bons Belges que vous êtes, que lorsqu'à Paris et même ail-
mw'^f] ..
L'ART MODERNE
297
leurs, quelque vieux paillard »ur le relour el surtout 8ur le déclin,
a besoin d'obscénités, de vraies, qui n'ont aucune excuse, aucun
art, aiicnn talent, savez-vous d'où il les fait venir? De Bruxelles
loul simplement. Il n'a qu'à écrire et on les lui envoie. Ce com-
merce se fait chez vous au grand jour ! et alors, tout à coup, vous
ne voulez plus de nos plaisanlcries parisiennes qui ne sont jamais
obscènes et toujours artistiques. Savez-vous que c'est à se tordre !
A moins que votre ministère, devenu protectionniste en tout, ne
veuille protéger la cochonnerie nationale, qui serait perdue à tout
jamais le jour où ses clienls habituels apprendraient à aimer le
joli au lieu du dégoûtant, le spirituel au lieu de l'ordure ! Vous
êtes bien drôles en Belgique, quand vous vous y mettez. »
L'INSTINCT DE MIGRATION (D
A propos de la phrase sur l'instinct de migration d'un de nos
A VAD LA Mer, un lecteur nous signale le passage suivant de Théo-
phile Gautier, Portraits contemporains, pp. 241 et 242,
(éd. 1886, Charpentier).
« Chose remarquable, l'âme a sa patrie comme le corps, et
souvent ces patries sont différentes. Il y a bien des génies pareils
au palmier et au sapin dont parle Henri Heine dans une de ses
chansons. Le palmier rêvait des neiges du pôle sous la pluie de
fen de l'équateur; le sapin, frissonnant sous les frimas de la
Norvège, rêvait de ciel bleu et de soleil brûlant. Ce qui arrive
aux arbres peut arriver aux hommes. Quelquefois ils ne sont pas
plantés dans leur pays réel ; ces aspirations singulières qui font
un Grec ou un Arabe d'un individu né à Paris ou dans l'Auvergne,
ont leur raison d'être. La mystérieuse voix du sang, qui se tait
pendant des générations entières ou ne murmure que des syllabes
confuses, parle de loin en loin un langage plus net et plus intel-
ligible. Dans la confusion générale, chacun réclame les siens ; un
aïeul inconnu revendique ses droits. Qui sait de combien de
gouttes hétérogènes est formée la liqueur rouge qui coule sous
notre peau? Les grandes migrations parties des plus hauts pla-
teaux de l'Inde, les débordcmenis des races polaires, les invasions
romaines et arabes ont toutes leurs traces. »
Petite chroj^ique
Scllt-Prudhoiuis, instantané du OU Blat :
Une figure douce, pensive, de rêveur, que hantent la recherche
de l'absolu, les mystérieux problèmes métaphysiques. Le regard
anxieiu, teinté des nostalgies de ceux qui n'ont pas la foi, qui se
demandent si la vie a vraiment un au-delà. Sceptique .seulement à
fleur de peau. Compatissant à toutes les misères, affectueux, cha-
ritable, conciliant, est de l'avis de tout le monde et fuit les vaines
controverses. Refusa le prix Vitet quand on le lui offrit pour ses si
beaux poèmes philosophiques et sa traduction en vers du grand
Lucrèce et demanda qu'il fût donné à des poètes sans avoir. Adore
la retraite. Se cloître en été à la campagne, en Franche-Comté
et y vit en ermite farouche et contemplateur. N'a qu'une inno-
cente manie, celle de faire ii tout propos quand il est entre intimes
d'énormes calembours.
S'il y avait des peintres dans la région des cataractes, ils nous
(1) Voir rArt Moderne du 23 août, p. 270.
offriraient certes des œuvres d'un coloris bizarre. Voici k ce sujet
ce que révèle le Mouvement géographique ■■
« A propos du blanc, disons qu'il est appelé mondelé, ce qui
veut dire : homme qui porte des vtttmenff, et non pas blanc dans
le sens de la couleur. Un clerc noir s'appelle mondelé ndombé,
homme noir portant des vêtements. Pour nous, l'indigène ne nous
considère pas comme étant de couleur blanche, mais bien de cou-
leur rouge. Au reste, le nègre n'a guère grande notion des cou-
li!urs. Il confond blanc et jaune et toutes les couleurs claires ; le
noir, le bleu, le vert n'ont qu'une appellation ; le rouge est la troi-
sième couleur pour les moricauds, qui n'ont que les mots :
mpembé {hhnc), «domW (noir), niftoiTti (rouge). »
Il est vrai que nous-mêmes, les blancs, nous sentons bieu des
choses pour l'expression desquelles les mots nous manquent. De
bons peintres nègres pourraient donc exister. Mais alors, quels
piètres littérateurs ils seraient!
Les amoureux de la Meuse dinantaise connaissent les ruines
de Poilvachc, dit aussi Pillevache. Savent-ils que ses dispositions
et ses dimensions représentent de très près la Troie d'Homère
telle que les fouilles de Schliemann l'ont révélée, réduite à ses
véritables et restreintes proportions. Comme celle-ci Poilvache
était établi sur un massif isolé, n'avait qu'une seule entrée,
n'avait que quelques centaines de mètres de tour, abritait la
demeure du seigneur et un amas de maisons, était en un mot
une bourgade fortifiée en parallélogramme, habitée par de très
primitifs occupants que l'Iliade a grandis démesurément (I).
Les ruines de Poilvache appartiennent depuis peu à M. de
Lhonçux, banquier, à Namur. Les touristes apprendront avec
plaisir qu'il a maintenu dans ses fonctions le' garde F. Donny,
d'Evrehaillc, si simple et si intelligent, qui a transformé le taillis
qui cachait les restes de la bourgade et mis à jour quantité d'in-
téressants débris. C'est lui qui a dressé l'excellent itinéraire qu'on
suit dans la visite et qui suggère tant de curieux souvenirs.
M. Jules deBurlet, Minisire de l'Intérieur et dos Beaux-Arts, lui a
accordé récomment un subside pour la continuation de ses
recherches, et certes c'est un argent bien placé. Ces rustiques,
faits d'instinct et d'ingéniosilé, ont souvent une conversation plus
riche, plus intéressante et plus vraie que los savanis. Donny en
est un exemple : nous on parlons pour l'avoir éprouvé et nous
rendons très volontiers cet hommage au modosic et opiniâtre
travailleur.
On lit dans la Réforme :
« La Princesse Maleine, qui a remporté le prix au concours
triennal de littérature dramatique, va avoir l'honneur de la tra-
duction. Notre excellent confrère Gérard Harry, do l'Indépendance,
publiera prochainement chez Heinomann, b Londres, l'éditeur de
Ibsen, Tolstoï et de la plupart des littérateurs célèbres du conti-
nent, une traduction anglaise de la Princesse Maleine. Ce
volume sera enrichi d'une préface d'Oscar Wilde, un jeune poète
qui sacrifie aux dieux nouveaux avec beaucoup de succès.
M. Gérard Harry, qui avait Iraduit comme on sait en français
les Cinq années au Congo de Stanley, accomplit cette fois le tour
de force de présenter au public anglais l'œuvre si originale de
notre compatriote.
Notre confrère, qui est d'origine française et qui a fait une
partie de son éducation en Angleterre, est un des rares lettrés
qui puissent entreprendre avec succès celte diflicultucuse traduc-
tion. »
Ajoutons qu'une autre traduction anglaise de la Princesse
Maleine paraîtra prochainement, ainsi que nous l'avons déjà
annoncé. Cette traduction est due à M™ Vielé-Griffin, qui a
publié cet éié la traduction de V Intruse et des Aveugles.
(1) Voir l'Art moderne du 19 janvier 1800.
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#
ONZIÈME ANNÉE
L'ART MODERNE s'est acquis par l'antorité et llndipendanee de sa eritiqae, par la rariMé 4e mb
informatioDs et les soins donnés à sa rédaction une plaee prépondérante. Anonne Bunifestation d« l'Ait ne
lui est étrangère : il s'occupe de littérature, de pelÂtore, de sonlptore, de gniTure, de mvalqaa,
d'arcblteoture, etc. Ck)n8acr6 principalement au mouvement artistique belge, il renseigne néanmoins ses
lecteurs sur tous les événements artistiques de l'étranger qu'il importe de oonnaitr«.
Chaque numéro de L'ART MODERNE s'ouvre par une étude approfondie sur une quasvion artistiqae
ou littéraire dont l'événement de la semaine fournit l'aotualité. Les exposit^nu, les livret ntmveaux, ks
premières représentations d 'œuvres dramatiques ou musicales, les conférences littérairet, les concerts, les
ventes dobjets dart, font tous les dimanches l'objet de chroniques détaillées.
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Le numéro : S6 centimes.
Dimanche 20 Septembre 1891.
L'ART MODERNE
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REVUE OWTIQDB DBS ARTS ET DE LA LinÉRATDRE
Comité de rédaction t Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
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Adresser totUes les communication» d
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^OMMAIRE
La dorsale UMBOnBoxoisE. — Affiches iixnsTRéBS. — Maurice
BfAimtLDCGK m Anolstbrre. — Rectification. — Le noctteau
■tmiàmiM ALLiMAX». — PmxB catsomama-
LA DORSALE LIMBOURGEOISE
A contimier! avait ajouté db entreprenant correc-
teur «a iroisiëme A tau la Mbk ! ici publié. Conseil ou
naïf désir. C'était fini pourtant de parler d'Elte. C'était
fini cette liaison de queues semaines et son récit. Le
CMitenr s'annonçait r^ugié quelque part en cette Cam-
pÏBeqai, par ses ondulantes dunes, et ses plaines s'éta-
lant en lointains horizrais vagues, et ses vents, et ses
gnuids deux, semble la terrestre création d'un roi
exilé de la mer qui voulut en fixer, par un matériel
décor, ka émouvants souvenirs.
Je veux tmter de décrire ce coin de la terre natale
ot m'a pooaaé le Hasard, ce magicien, toujours pré-
sent, totyouis invisible qui, bienveillant ou tragique,
coutamment iMms crie : tout arrivera autrement que tu
penMBl Une fois encore, il s'agit d'essayer, quoiqu'on
ttB jo«iml de critique artistique, d'être paysagiste de
la plome, car vraiment tant d'identité de sensations
s'échappe, pour l'âme et les yeux, de la Nature et de
l'Art, qu'une négation flotte en nous quand se réveille
la vieille maxime scolastique des fileurs d'Esthétique :
« Pas d'art sans l'Homme ! L'art c'est le Beau sorti de
l'activité humaine ! »
Qu'importe d'ailleurs : Je suis païen ; j'ai vu les
splendeurs du soleil couchant sur la mer d'Egine; j'ai
vu les tombeaux d'Achille et de Patrocle, dans la
Troade; Cybèle, la grande nourricière " qui fait la
farine et le vin », n'est pas morte en mon imagination
amoureuse des Mythes, et ses œuvres de déesse, pein-
tresse de marine et de paysage, « sculpteuse en horizons «
sont, pour l'idolâtrie ancestrale qui gîte en moi, des
œuvres d'art.
Ah ! qu'elle est belle en l'accidenté et mosaïque tapis
qui la couvre, jeté en ornement et tombant en longs plis
cassés, des Ardennes à la mer du Nord, cette petite
Belgique si mal habitée! Et quel charme dans
son toujours variable pittoresque qui, au promeneur
rêveur, maudisseur de la vitesse, anathéraatiseur de loco-
motives et de bicyclettes, déroule d'heure en heure des
sites nouveaux, où la Nature tourne incessamment les
pages et berce de sa muette lecture! Au voyageur à
longs et baroques vagabondages que je fus en tant
d'années de vie déjà consumées, chaque fois, au retour,
elle me caresse, en ses champs retrouvés, d'une mater-
nelle et séductrice impression de calme et de beauté.
300
L'ART MODERNE
Illusion? peut-être. Si longtemps notre humanité,
désormais peu à peu cosmopolite, vécut de cette étroite
et héroïque grandeur : l'amour de la patrie. Par les
jours de vacance où la raisonneuse sagesse chôme dans
le cœur repris par les naïfs instincts, je me laisse aller
(quelle douceur!) à ce touchant atavisme.
La Campine ! Oh ! à ce seul mot de féminine et son-
geuse allure, quelle évocation de demi-teintes et de
lignes fuyantes, quels indistincts murmures voisinant le
silence! Wel te vrede! Builen zorg ! d'antiques mono-
tones évocatrices devises flamandes, sur cette terre
flamande sont sussurées par l'invisible paix dont on
sent palpiter les ailes immenses dans la tranquille
atmosphère.
Et pourtant me voici, à l'improviste en des parages où
cette grande toile horizontale aux plans et aux colora-
tions stratifiées, si harmonieusement ternes et bru-
meuses, a été chiffonnée, brusquement, en ravines et en
collines, piissée en une longue frange jetée le long de la
Meuse, de la belle Meuse ! C'est la Campine montagneuse,
LA Dorsale Limhourgeoise !
La Dorsale ! car cette épine tourmentée est un des
chaînons qui séparent les bassins des deux fleuves belges,
rejetant de part et d'autre les eaux comme les fils
d'une chevelure soigneusement divisée. Ce tronçon,
spécial en ses beautés sévères, inconnues des touristes,
incomprises des naturels, s'embranche près de Tongres
sur le palier qui hausse le sud du Limbourg et le rat-
tache à la province de Liège. Il court au Nord s'inflé-
chissant bientôt vers l'Ouest et coupant diagonalement
les immenses bruyères du Donderslagh (du coup de
tonnerre, quel nom pour un désert !) et les- classiques
bruyères du camp de Beverloo.
Comme nombre de lignes de faîtes, forêts ou pla-
teaux, là règne la solitude, l'enchanteresse solitude !
Vous avez vu sur la carte du Limbourg ce grand
espace central, blanc, vide, qui suscite en l'esprit la
pensée d'espaces sablonneux et le désir, doux comme
une espérance, d'aller, quelque jour, en ces silencieux
parages où si peu, san^ doute, ont été. Ce sont les
landes campinoises, le grand fragment de cette pri-
mitive et légendaire aridité que les défrichements
opiniâtres ont détruite ailleurs et qu'ils rongent ici
circulairement, étendant d'an en an, le chancre anti-
artistique de leurs industrielles cultures. Symbole de
pauvreté dont personne ne veut être car le paysan des
confins y a le même tenace et puéril orgueil qui fait
répondre par tout Ardennais à qui on demande où est
l'Ardenne : C'est plus loin.
Mais ce n'est pas de cette large tache géographique
que je veux spécialement parler, étalement indéfini de
courte et maigre bruyère frissonnante mal venue dans
un sol graviéreux, où la marche du piéton au soleil,
par l'indistinct ruban d'un sentier, entre les bas et
tristes genévriers, venus là souffreteux, en sentinelles
perdues, est si plombante, où les couchants sont beaux
comme à la mer, où la nuit, et son firmament, et son
silence, et ses ténèbres, sont si émouvants et superbes.
Ceci est connu ou pressenti. Comme aussi, et depuis
longtemps, grâce au flair des artistes découvreurs de
sites, ce Genck, d'un joli pittoresque, mais déjà la
proie des assolements et des aubergistes et des phi-
listins, avec, très proches, les curieuses et charmantes
chaumières du hameau de Langerloo, enguirlandées de
pampres, ombragées de tilleuls et d'ormes, et la vue
magnifique, des hauteurs pelées du Peperblook, sur les
innombrables marais qui, de leurs boucliers métalliques,
reflétant le gris, l'azur ou l'or du ciel, diaprent la
plaine où surgissent en phares, émergeant d'un océan
de verdure, les clochers de Hasselt et de Diepenbeek.
Non. C'est plus loin. Plus à l'écart! Plus au fond !
C'est un coin plus soustrait aux regards et au travail
des hommes, aux profanations. Cinq lieues de long,
deux lieues de large, presque rien pour qui court
l'étape, tant pour le flâneur qui rêve! Un Mont-salvat,
« un Paradou " mystiquement enmuraillé de solitude
et de silence.
Puisque, pour se faire comprendre en pareille descrip-
tion, il faut un peu de topographie, disons : cela com-
mence au sud à Lanaeken, cela finit au nord à Neer-
Oeteren. L'axe de ce territoire charmeur réunit ces
deux pôles rustiques. De l'un à l'autre, en plantations
ininterrompues, les pins sylvestres de la forêt de Gruyt-
rode, quelques milliers d'hectares s'allongeant sur un
chapelet de hauteurs, en sombre bordure, parallèle-
ment à la large et fertile vallée des alluvions de la
Meuse, le Maasiand, avec ses innombrables villages, le
canal ombreux de Liège à Bois-le-Duc, et la somptueuse
route de Maastricht à Venloo, admirable et intermi-
nable avenue châtelaine, ordonnée par Napoléon, con-
struite par ses prisonniers d'Espagne, ici déportés,
fragment de la route militaire de Paris à Hambourg.
C'est cette forêt de Gruytrode, ses abords, ses prolon-
gements, ses horizons, c'est ce morceau de la Dorsale
Limbourgeoise dont je veux proclamer les beautés, après
six semaines de parcours par ses solitudes et ses che-
mins sans nombre, et de séjours sous la tente par ses
clairières, sur ses monts, dans ses gorges, baigné dans
l'air vivifiant, médecine divine, qu'imprègne la balsa-
mique odeur des vastes sapinières. Il semble qu'on
mange quelque chose de très substantiel et de très pur.
Qui se réfugie en ces retraites, marchera, sillonnant
à chaque pas la bruyère, y plongeant jusqu'aux genoux,
marchera, marchera des kilomètres et des kilomètres
sans voir une habitation, sans rencontrer un être,
1-homrae étant absent, l'oiseau rare, le gibier caché. Il
savourera la sensation délicieuse de l'isolement absolu
sur une terre vierge et sauvage. Constamment il sera
sur des cimes dominant la vallée mosane d'une cinquan-
taine de mètres, avec des échappées vers des lointains
splendides qui, passant au dessus du fleuve, s'achèvent
aux horizons indistincts de la Hollande. Ces monts
sont des dunes colossales formées, au long des siècles
sans nombre, par les vents du sud-ouest ramassant et
chassant les sables de l'ancienne mer desséchée noyant
les bancs qui plus tard devaient être la Campine. Us
furent arrêtés net, dans leur marche envahissante, par
le courant de la Meuse, s'étalant alors sur une lieue en
largeur, et formèrent une longue bande, apparent
rempart, où les eaux descendant des plateaux creu-
sèrent des sillons tourmentés, déchiquetant la longue
escarpe et la démantelant en brèches profondes, dont
chacune, aujourd'hui, élargie par les orages, étoffée
de pins rabougris, fourrée d'épaisses bruyères, est une
montée tortueuse vers l'intérieur, soutachée de l'étroit
cordon blanc d'un chemin sablonneux serpentant entre
les courts arbustes, tel qu'une piste de fauves. Là où
le col aboutit au plateau, c'est l'immensité de la plaine
qui, de la mi-août à la mi-septembre, quand fleurit la
bruyère, se carminé en prairie merveilleuse jaspée de
vert et de rouge, adorable tapis, murmurant d'abeilles,
parfumé de la forte odeur du miel. Des plantis de
pins semblent postés çà et là en bataillons carrés, raides,
et noirs à la tête comme des grenadiers en colbacks,
avec les droites avenues des coupes formant les inter-
valles des bataillons, tandis que sur les fronts, des
buissons épars de chênes semblent des éclaireurs.
Que de fois j'ai erré par ces nonchalants contours.
Le matin, attendant le lever du jour, après le sommeil
rustique, tout habillé, sous la tente, le soir, durant ces
heures radieuses où le soleil couchant, allongeant les
ombres, donne aux sites un aspect si puissant et si dra-
matique. Car clest l'aube ou le crépuscule, quand
grandissent les sombreurs invigorant « l'ombre par le
rayon et le rayon par l'ombre », quand Elios, au début
ou au déclin de sa course, aligne vers la terre ces
bandes lumineuses, descendant des nues, que les marins
ont nommé les haubans du soleil, ce sont ces heures de
résurrection splendide ou de royale agonie qui patinent
cette nature de la lumière qui lui fait sa plus magique
auréole : car il ne lui faut pas le ciel azuré immobile,
mais le défilé des nuageuses escadres.
Comment tout dire des sensations dont se repaissent
constamment les yeux, dont sans trêve est amolli le
cœur, dans cette Thébaïde, et de l'inassouvi qu'elle
laisse, du besoin de s'en repaître encore, de l'aspirer,
de la savourer? Dans la sérénité émue dont elle vêt le
promeneur comme d'un pur vêtement séraphique, elle
ramène sans cesse aux lèvres, à chaque tournant, à
chaque aspect, ces mots puérils et tendres : Que c'est
beau ! avec cette humble remarque de l'homme conscient
de sa fragilité : Nous ne méritons pas tant.
Les grandes impressions répugnent aux traductions.
Si vous voulez les amoindrir, racontez-les. Il est pour-
tant un site étrange qu'il faut brièvement signaler, tant
il est la plus intense concentration du pittoresque ici
partout épars : c'est le Sandberg de Gruytrode, étonnant
amas de hautes dunes, échouées sur les rives verdoyantes
d'un ruisseau, ruisselant^d'eaux descendues des fagnes,
le Boschbeek, pareilles à une émigration de pics sablon-
neux, détachés de nos côtes et lentement venues à
travers le pays. Elles dominent toute la contrée, bar-
rant l'horizon de leur massif mamelonné d'un jaune
ferrugineux, crête de dentelures bizarres, aigreté de
sapins tourmentés par les vents. Quand attiré par
leur masse dont la vue incessante est un irrésistible
appel, on y pénètre quelque soir, le spectacle est
prodigieux. Au sortir même de la vallée humide, fertile
et ombreuse, sans transition, on entre dans le désert :
ininterrompus les monts et les vaux, les vaux et les
monts se succèdent, s'enchevêtrent, en flots figés gigan-
tesques jaspés du vert émeraude des sapins, tachés de
l'orange des terres affleurantes, veloutés par la noire
fourrure du lichen. Des sommets où la brise moire le
sable, à nu comme sur les plages, des vues magnifiques
sur un très lointain cercle d'horizon, avec le premier
plan de ces dunes étranges, de ces dunes épiques, indé-
chiffrables en leurs sursauts, en leurs chutes, en leurs
étranglements de gorges où l'on rêve voir danser des
fées, en leurs plateaux où, au clair de lune, ont dû jadis
cabaler les sorcières. C'est l'ignoré site le plus beau du
Limbourg !
Et quand enfin il faut partir, sans avoir son compte
de ces paisibles et artistiques jouissances, ô fratei'nel ami
qui lisez avec sympathie ces insuffisants mots rapides,
allez-vous-en par la Meuse, en Lohengrin, sur un canot
puisque les cygnes, hélas ! ne naviguent plus pour les
hommes. Gardez- vous de remonter le fleuve vers les
beautés trop connues de la Meuse à rochers! Non, par-
tez au fil de l'eau vers la Meuse, la belle Meuse
délaissée aux rives basses qui mène à ce tant regretté
pays hollandais que la ba^e politique de septembriseurs
pires que les septembriseurs du Paris révolutionnaire
ont, il y a douze lustres, séparé de nous.
Ah! jamais, s'il y eût eu parmi eux des cœurs
d'artistes, ils n'eussent commis ce crime, ne filt-ce que
pour garder à nous et embellir de ces mots : c'est la
patrie ! les admirables paysages de ces terres prairiales,
superbe draperie de soie verte, relevée par les rouges
nœuds des villages, qui font au fleuve un si superbe
berceau. Oui, allez au fil de l'eau, disparaissez ainsi
lentement, mollement comme la traînée des souvenirs
effeuillés derrière vous.
820
L'ART MODERNE
AFnCHES ILLUSTRÉES
Depuis que le maître Jules Cbdrct pavoise les murs de féeries
et conlraini les passants, par son seul vouloir artistique, k s'inté-
resser à un purgatif, à épeler le nom compliqué d'une étoile de
café-concerl (ô l'adorable profil de M"' Kanjarowa, la nouverie
Yvette!), l'affiche est rénovée, asfainic des iape-à-1'œil aveuglants
imaginés par le puffisme yankee. Derrière lui, comme une com-
pagnie suii son capitaine, marclw la nouvelle école des « affi-
chistes » qui résolument font de l'An, — un arl spécial, séduc-
teur et délicat, en ce S:ilon en plein air : la Rue. Un iodusirici
soucieux de sa renommée, un marchand expérimenté ne confie
plus aux enlumineurs de jadis le soin de colorier l'affiche destinée
à solliciter le client. Il »ait que les brillants chromos qui mon-
trent un singe vêtu d'écarlate occupé h faire reluire une paire de
bottes ou une mégère en robe canari savonnant, à proximité
d'une baignoire, la nudité d'un gosse exaspéré, loin d'attirer,
repoussent les regards. II s'adresse aux artistes, à ceux qui ont
l'art de composer un mélange de tons harmonieux et joli, de dire
en quelques traits vivement jetés sur la blancheur du papier la
grâce perverse d'une danseuse du Moulin-Rouge, le geste déluré
d'une bicycliste brandissant l'étendard aux trois couleurs, l'énig-
maiiqne sourire d'une amadryadc enlacée à un terme h tête de
faune.
L'affiche s'est faite, cet été, paysagiste. Afin de mieux prendre
les touristes au collet et de les fourrer de vive force en waggoo,
les compagnies de chemins de fer ont multiplié dans les gares la
séduction des sites champêtres, des plages étincelantes, des
ruines pittoresques, des coins de ville obsédés de souvenirs.
C'est une fête pour les yeux, et certes une impérieuse tentation,
que CCS clairs panoramas déroulés d'une main experle aux bons
endroits. Timidement, les années précédentes, telle compagnie de
navigation sur le lac Léman agrémentait de quelques médaillons
coloriés l'horaire de ses services. Des topographies du Nont-
Blanc, des réclames en faveur de l'Oberland bernois s'illustraient
de certains profils de montagnes, de la silhouette d'un vague
alpiniste simulant l'admiration que lui faisait éprouver le lever
du soleil sur l'éclat des glaciers. La North- Western coeadrail ses
itinéraires d'assez lourdes chromographies évoquant des lacs
gallois, des monastères gothiques, des coteaux herbeux marbrés
de Durham trapus. Une Zélandaisc indique même aux Bruxellois
le chemin de Malincs à Terneuzen, — le dimanche, à prix
réduit, — et le passage vers Flessingue et Middelbourg, vers les
Japoneries des Iles.
Dès les premiers beaux jours, voici, celte saison, les gares
fleuries de compositions chatoyantes, qui chantent d'une voix
claire la gaité des voyages et des villégiatures. Signée Gustave
Fraipont, Lucien Lefebvrc, Hugo d'Alési, ou très modestement
demeurée anonyme, cette joyeuse imagerie requiert irrésistible-
ment.
L'excursion sur les côtes de Normandie montre, dans un fouil-
lis de branches do pommiers en fleurs, la fantastique archileclure
du Mont- Saint-Michel silhouettée en bleu sombre sur l'or du
couchant, la plage ensoleillée de Dieppe, Dinan et son viaduc,
ingénicuscmenl disposés en un groupement de médaillons que
traverse obliquement un vol de mouettes.
En une autre affiche, c'est la cathédrale de Rouen qui dresse.
sar on ciel miigeax, le pro61 de let (ours ^épatt», tawlis q«e
défilent su dessous, lanterne nugiqae k surprises, la perspectife
d'une vieille me de Dinan, le port de Saint-Malo, le château Elisa-
beth de Jersey, l'opulence d'une ferme normande plantée dans un
pré criblé de soleil.
Voici, enir'ouvert, l'écrin de joyaux des Baint de mer de
rOcéan : la tour farouche de la Rochelle glacée dTun rayon de
lune, Royan, Fouras, les Sables d'Olonne avec leurs somptuen
casinos rt leurs chapelets de cabines ; le phare de Cordonan battu
des flots ; le TÏeux chftteau de Poniir, dont la masse sombre hit
une tache violette sur un ciel incandescent.
Et tandis que les tamarys et les lauriers- roses s'entrelacent dans
le papiUolement de ces soyeux écrans, en l'affiche des Ckemùu
de fer du Midi, l'oraager, le citroaoier mêlent leurs fruits d'or
au feuillage ai^enlé des oliviers, aux ddmcs d'émrraude des pins
maritimes sons lesquels ruisselle de lumière le collier des stations
hivernales : Saint-Raphaël, Hyères, Antibes, Cannes, Grasse,
égrenant, comme des perles, leurs maisons blanches sur la côlc
d'azur.
De toutes les affiches des chemins de fer, celte dernière est la
plus artistique. Vainement avons-nous cherché, en quelque coin,
modestement inscrite en lettres minuscules, la signature de s6n
auteur.
Le Pas-de-Calais arbore fièrement la séduction de ses « roaie-
lottes n boulonaises auréolées du plus joli bonnet blanc dont la
tradition ait perpétué l'élégance pittoresque. Les installations
maritimes de Calais, le port animé de Boulogne, la forêt du Tou-
que!, la rusticité de la plage de Berck et ce petit coin de terre
perdu i l'embouchure de la Somme, le Crotoy, où la vie s'écoule
si paisible, loin du broit des tapageuses stations voisines, ont
fourni !i M. Fraipont les éléments d'une de ses plus jolies
affiches.
D'autres encore, innombrables celte année, amusent l'œil,
trompent l'attente impatiente d'un train en retard.
Dans l'affiche des Pyrénées et des Battu de mer d* Ootfe de
Ottscogne, un guide mène en des défilés sauvages une lonrislc
en pèlerine mastic hissée sur un mulet, tandis qu'autour du
groupe, parmi les sapins et les glaciers, apparaissent le cirque
de Gavaroie, la vallée des Eaux-chaudes, Biarritz ot son mono-
lithe, etc.
L'excursion en Dauphiné offre le panorama de Grenoble et
des rives de llsère, la vue incomparable dont on jouit sur les
glaciers des Grandes-Rousses. Puis c'est le Désert de la Grande-
Chartreuse et son chaos de rochers aux formes tourmentées, le
monastère de Saint-Bruno dans un site merveilleux ; le chUeau
de Bouqoéron, k flanc de cOteao ; plus loin une débandade de
toits' ronges dans un océan de verdure : Allevard, d'oft partent
les alpinistes pour les Sept-Laur, pour le pic de Belledonne, pour
les sommets où l'on vit dans l'indépendance de sa nature enfin
iifconquise.
A citer encore, parmi les plus originales, l'affiche du MorU-
Rose : un disque flamboyant, écarlate, énorme, enguirlandé de
fleurs alpestres, marque l'aiguillage de la voie ferrée vers la Vallée
de Zcrmatt, — une gorge encaissée, toute bleue, coupée irans-
versalement par la barre blanche d'un pont. Des crêtes neigeuses
courornieni la composition, qui vous poursuit, le train en marche,
de l'obsession de son œil rouge fixé implacablement sur vous.
Ces affiches, elles sont éparpillées d'un bout!) l'autre des TOies
ferrées qui sillonnent la France, la Belgique, la Saisse. Au hasard
'* ■ ;sP™S^?'^7i' - - ' ■■■
UART MODERNE
303
4n MMOMie», en flinniit «ir le qu»i d'embarqoemenl, au Nord,
» S«4, en eelta école buiggoonière des mois d'août et de
septembre qui vous jette brusquement des altitudes alpestres où
l'oB iMleia neige vierge en des vallées méridionales où mùrisseni
k ifoe et rubergine, nous les avons notées, et notre mémoire
S^efbm d'en reMasciler la physionomie. Sans doute il en est
d'mres «noore, «m Itaitie, en Espagne, en Allemagne, en Angle-
leric.
Lercgfet naît, tont naturellement, de ne pas vcir réunie celle
eoUacliaB et jonjoax amusants, et la possibilité s'enircvort d'une
Cqmitioii intemaiionalc annuelle, dans les grands centres :
taris, toadwM, Bruxelles, des affiches illustrées que les exigences
cnimntes de la fwblicilé jettent anx quatre vents de l'Europe.
Pour 6rinieU«s «artoul, la nécostilé d'une Exposition de ce
genre s'impose. \;a Belgique, qui tient dans les Salons de peinture
internationaux un rang honorable, est la dernière des naiions
dans l'an de composer et d'exécuter une' affiche. A part les affiches'
de Mellery (et comUen rares sont-etles !) toutes sont médiocres
ou détestables. Meunier lui-même, cet artiste de premier ordre,
n'a pas réussi ii faire une affiche présentable. Vainement a-t-on
tenté d'instituer des concours, de décerner des primes. Le résultat
s été piteux. La vue des affiches étrangères, si pimpantes cl si
gaîes, aurait sur nos dessinateurs tine heureuse influence et, qui
sah? provoquerait peut-ôlre l'entrée'en scène de quelques spécia-
listes.
Les XX oni ouvert les voies' en exposant les plus belles inspi-
rations de Chéret. Qu'on suive leur exemple. Exposer des affiches
est d^ratant pins aisé que ceux qui les font faire ont le plus grand
intérêt à les répandre. Quant an public, certes y trouvcrail-il
distraction et profit.
MAMIGE Hà£T£RLINCK SN ANGLETË&SJil
Uatfleur des correspondances datées de Londres qui paraissent
dans l'Indépendance belge s'occupe longuement de Maurice
Maeterlinck et révèle l'importance que les œuvres de notre com-
patriote ont brusquement prise en Angleterre :
« Un posl-scriplum de la «Vie anglaise» constatait, il j a huit
jonrs, dit-il, la soudaine révélation du poète belge Maurice
Vaeterfinck an public anglais par que!qncs articles de critique,
ÎVn ^e 1. George Moore, dans la Saivt-James Gazette; un autre,
signé de ees initiales opaqncs IV. W. dans le Author (la revue
que dirige le remuant romancier Waller Bosani); un troisième, de
M. 'WirHam ArcTier, dans la Fortnightly Review. »
Celle révélmion est due, non pas aux bonzes de la critique,
naturellement, mais !i la jeune école. Pickwick (c'est le pseudo-
nyme du correspondant de l'Indépendance), le consiaie, sans
twWierles habituels propos aigres, auxquels les jcnncs riposient
Ai rertc avec l'entrain qne Ton sait :
«t Ces trois articles sont des effusions adminitives d'écrivains
jeunes, audacieux, habitués ii bousculer les idées cou rani es î» la
■manière de oes jeunes dogues juvéniles dont les crocs, ardem-
ment élrennés, s'exercent, avec une joie féroce, h tout déchn-cr,
— surtout les reliques. Trois écrivains épris d'Ibsen, de Wagner,
voire de Whisller « de Mullarmé, de tout ce qui paratt refaire un
printemps à l'art, insurgés en principe contre 1rs plus beaux drs
vieux airs « parce que vieux » et fanatiques des airs les plus
nouveaux « parce que nouveaux ». Ils sont de leur ûgo, enfin —
Ae tear bel âge, — avec moins de paroxysme, loutefbio, qne tes
Fraoçais et leur génération, % cause du bronillard et du thé. »
Pickwick donne ensuite une analyse des trois articles qui va
faciliter la besogne au rapporteur du jury <iui a décerné le prix
administratif i in Prvncetse Maleine.
« A M. Georges Moore, les premiers actes de la Princesse ont
donné la sengatioa d'un livret d'opéra wagnérien on d'une fresque
monoclironte. Toutes les 4)ualilés qui font le chef-d'œuvre : pro-
fondeur de philosophie, richesse d'images, peintnre de caractères,
richesse de style, y manquent. L'œuvre est grande, magnifique;
elle a des passages sublimes. M. Moore ne dit pas si c'est par sa
nudité même, il constate son impression avec je ne sais qnd
vague étonnemrni, quelle impuissance ô l'analv-sor et quel regret
peut-être d'avoir été ému par une oeuvre dont il ne se sent capable
d'indiquer que les lacunes. »
Vient ensuiie cette curieuse constatation sur le jeune mouve-
ment d'art chez nous., faite déjà par M. Edmond Picard lors do
son interview par M. Paul Hurct, l'auteur de l'Enquête sur l'Evo-
lution littérnire (voir Art moderne du H juin dernier). Elle
est une amusante leçon, donnée par un étranger, a ceux qui, depuis
si longtemps, conspuent les tentatives de la génération nouvelle :
M M. Georges Moore s'étonne d'autre chose. D'où vient que nulle
cité ne s'intéresse plus passionnément que Bruxelles aux nou-
velles manifestations d'art; et que, malgré tout, la Belgique ne pro-
duise pas un génie français de premier ordre comme la celtique
Irlande produit des génies anglais, bien que sur 1 Irlande aussi
pèse l'ombre d'une race plus puissante qui a imposé ses langues
et ses moeurs? »
Voici maintenant la deuxième critique, celui du Author,
signée W. W. :
« C'esl l'éclosion d'une nouvelle école dramatique, « choz cet
amalgame de races aujourd'hui dénommé Belgique » qui l'intri-
gue et le confond. H ne trouve à donner, du phénomène, que celte
explicalion : Une renaissance du génie flamand, ressuscité, mais
non trans-formé, par les stimulants exemples du dehors. Pour lui,
M. Maeterlinck est un Flamand, un Flamand plus soccnioé encore
que Huijsmans ou Khoopff, écrivant en français, concevant et pen-
saal dans une langue exotique. La scène du meurtre de Maleine,
W. W. la place plus haut que les pages les plus dramaiiqucs de
àielmolh et de ï'Uncle Silos, œuvres de Le Fanu « poète anglais
du frisson », peu connu en dehors d'un cercle étroit de lettrés, trop
peu apprécié, d'ailleurs «etqac Maeterlinck ne doit pas avoir lu ».
L'Jntrme semble l'avoir srcoué encore plus profondément que la
Princesse M«leint. H trouve une vérité poignante dans les ima-
ginations du grand-père aveugle, dans les sinistres wgoificalions
prêtées par l'aïeul tremblant au craquement d'une porte, au mur-
mure du vent, au plus minisculc incident de la nuit de mort et
de deuil. Nos cerveaux assombrissent le cadre de tout événement
sombre et prêtent iostinctivemem aux mouvements des choses nn
sens symbolique de la catastrophe qui se prépare. Seulemcni,
nous n'avons conscience <\v,'nprès de ce travail de l'âme humaine
établissant une harmonie entre ses intimes angoisses et la couleur
du monde extérieur.
« Les pressentiments que Maeterlinck note cl fait exprimer par
la boucl«c de l'aïeul aveugle ne sonl que confusément ressentis
dans le présent ; c'esl le souvenir qui les traduit — plus tard,
quand reparait, dans la netteté des perspectives, l'heure tragique
de la vie avec tout son cortège de menues circonstances acces-
soires. Articulés dans le petit drame de l'Intruse, en pleine actua-
304
L'ART MODERNE
lilé de malheur, ils sont si saisissants que l'impression laissée par
celle leclurc d'un quarl d'heure devient aussi ineffaçable « que la
lâche de sang sur la main de lady Macbeth ». El de l'élude de
caractère, W. W. en voit une — puissante, ironique même —
dans l'opposilion des deux natures de l'aïeul aveugle mais pro-
phétique et clairvoyani, et du père qui ne voit que ce qu'il voit,
qui a une explication raisonnable pour tout, qui ne conçoit rien
en dehors de ce qui est palpable et visible. Voilà pour l'Intruse.
Des Aveugles, W. W. pense tout simplement qu'il y a là un drame
trop ample, dans sa concision, pour qu'il puisse l'étudier à fond,
dans le cadre d'un article de deux ou trois colonnes. 11 passe
outre. »
N'est-ce pas du plus haut intérêt, et le cœur ne se sent-il pas
soulaj^é, cl gros d'espérances, à voir, ailleurs que chez nous,
hélas ! tant d'admiralion attentive et raisonnée.
« Reste M. W"" Archer dans la Forlnighlly. Il rattache votre
poète à Poe, par ses mélopées de mots répétés, comme dans une
obsession de rêve ; à Baudelaire par le pessimisme ou le fata-
lisme de la posture inlclleciuclle et aussi à John Webster, l'au-
teur de la Duchesse d'Almafi, que Henri Tainc a, je crois, nommé
« le Sliakespcarc des sépulcres et des charniers ». 11 admire, du
reste, bien qu'avec un sang-froid et une mesure dont s'indignerait
M. Mirbcau ; et il prête à M. Maeterlinck beaucoup de génie, un
peu de charlatanisme, une habileté originale : celle d'adapter la
forme de la naïve ballade h l'art dramatique. »
Pickwick fait ensuite ces réflexions qui tombent d'aplomb
sur noire critique (la vieille, s'entend) récemment convertie, il est
vrai, mais si lard, et après tant de cris d'appel venus des qualre
coins de l'horizon littéraire pour réveiller ces endormis, ces
engourdis nous allions dire ces ramollis.
« Ces articles, il faut le répéter, ont fait événement, les œuvres
lie Maeterlinck n'ayant pas été imprimés en Angleterre avant
que MM. Moore, W. W. et Archer ne s'en fussent mêlés.
Les mêmes correspondants de journaux anglais qui télégraphienl
des colonnes entières sur le cas de quelque dame anglaise con-
duite, par un malentendu, au poste, ont jugé indigne de l'appareil
Morse, de la poste, d'un mode de communication quelconque,
l'annonce de ce fait qu'une fraction du continent littéraire mon-
tait b l'assaut de la gloire du « divin William », suscitait un
prétendant à sa souveraineté. Même, si les bruits de club sont
fondés, les jeunes écrivains qui viennent de dévoiler des coins de
l'œuvre de votre poète, par les articles prémentionnés, ont dû faire
preuve d'angélique patience et d'obstination héroïque, à la porte
des magazines ou journaux, pour arriver à cette fin. »
Résumons tout cela.
Quelle leçon pour nos critiques ordinaires (ordinaires, oui,
dans les deux sens du mot), eux qui, lorsqu'il s'agit des artistes
de nos jeunes écoles, ne parlent jamais (quand ils parlent) que
d'un ton prolecteur, dédaigneux ou gouailleur, et ne se doutent
de leurs mérites que si la critique étrangère est venue les secouer.
Et remarquez que celle-ci vante actuellement non seulement
Maurice Maeterlinck dont elle dit : il a du génie (voilà ce qui doit
faire s'esclaffer ou bondir nos vieux rabâcheurs), mais tout le
jeune mouvement de l'art en Belgique, qui la frappe, l'élonne et
lui parait digne de grande atleniion et de beaucoup d'admiralion.
C'est d'elle, apparemment, que sortiront les études et les
éloges que tant d'autres de nos nouveaux écrivains, peintres,
musiciens, sculpteurs, si brillants, si laborieux, si enthousiastes,
sonl dignes de provoquer. Jusque là ils n'obtiendront en Belgique
que les habituelles vilenies et les habituelles sottises. La presse
belge seule au monde donne cet exemple d'incurable iniquité et
de suprême bêtise.
Et l'on s'étonnerait que dans ces conditions il n'y eût pas chez
tant de nos concitoyens qui sentent ce qu'ils valent, mépris ou
colère? Mais ils ne réussissent à faire monter aux soi-disant
arbitres du goût l'escalier de la justice qu'à coups de triqueou à
coups de pied au derrière. Qu'on change la manière dont on fait
la critique, qu'elle soit attentive, bienveillante pour notre ardente
jeunesse, qu'elle essaie d'avoir quelque discernement au lieu de
se tenir^oigneusement enfermée dans les latrin,es où croupissent
les choses finies, qu'elle atteigne, on ne lui en demande pas plus,
l'étiage de bonne volonté de la presse étrangère, et on ne sera
plus enclin à traiter ses hommes comme s'ils n'étaient qu'une vile
domesticité.
RECTIFICATION
Dans un amusant entrefilet, d'où suinte la mauvaise humeur,
la Réforme dit que quelques lignes que nous avions attribuées à
Champal (elle s'abstient de préciser lesquelles dans le prestigieux
bouquet que nous avons offert à nos lecteurs) appartiennent à ce
qu'elle nomme comiquement « un musicien de goût qui a bien
voulu se charger d'écrire Ja critique musicale en l'absence de
notre excellent collaborateur F. L. »
Nous lui en donnons acte, en complimentant « le musicien de
goût » qui assurément est aussi un pasticheur émérile : c'était du
Champal à s'y méprendre, c'est notre excuse.
Mais en même temps la Réforme se moque à son tour du
critique influent de t IniUpendance ; elle écrit avec la vis comica
et l'ingénieux tour de phrase qui lui sont propres : « l'Art
moderne s'arcboule, à fin de renversement, contre la base de cet
écrivain délicat qui a nom Gustave Frédérix. »
On voit d'ici le groupe de cet arcboulement à fin de renverse-
ment!
Nous ne résistons pas à l'envie de publier un nouvel échantillon
de la manière de ces « écrivains de goût » qui manient les mots
de la langue française comme un kangourou les pièces d'un jeu
d'échecs. On ne saurait trop, répétons-le, essayer de faire
comprendre ce que valent « les critiques influents » qui régnent
dans notre firmament artistique. Il s'agit d'une repré.sentation
récente à l'Alcazar :
« Les clowns sont... des clowns, il n'y a rien à ajouter à cela;
démence réjouissante et fantaisie pondéreuse, toujours la même
chose, et le petit ballet, de gracieuse musique, est tout à fait
mignon.
« Pour M. Meusy, chansonnier pince-sans-rire et diseur spiri-
tuel, il ne gagne pas à élre ainsi transporté de la salle intimiste
du Chat noir, sous la brutale lumière des herses d'un vrai théâtre.
Ses drôleries internes et fragiles y font beaucoup moins d'effet,
d'autant que le public n'est plus le même, oh I mais plus du tout. »
Les clowns qui sont des clowns! la fantaisie pondéreuse! la
salle intimiste! la brutale lumière! les drôleries internes!!!
Vraiment le cas est rare et mérite d'être surveillé.
y
L'ART MODERNE
305
LE NOUVEAU THEATRE ALLEMAND
La question sociale parlout, môme au lliéûlre. L'Organe de
Mon» signale que dans le dernier numéro de la Bibliothèque
Universelle, est exposé le sujei d'une pièce nouvelle, Oleiches
Recht, jouée au Lessing-Thcatcr de Berlin. C'esl, ajouie-l-il,
l'œuvre d'un candidat malheureux du parti progressiste du
Relchstag, M. Grilling, avocat. Cette analyse un peu sommaire
démontre que si les intentions de l'auteur sont louables, l'intérêt
dramatique de son œuvre est fort médiocre.
Des ouvriers sont en grève. Ils ont faim. Le patron de la
fabrique ne veut pas entendre parler d'un arrangement avec des
gens qui ont cessé le travail sans l'en avertir dans le délai légal
et ont ainsi violé leur contrat. Le docteur Fels, chef aimé, idéa-
liste et désintéressé du parti ouvrier, a la tâche de communiquer
cette réponse à une assemblée populaire houleuse. Il prêche la
conciliation dans un grand discours, et impose silence aux tapa-
geurs, par des phrases comme celles-ci : « Voulez-vous tuer le
capital? Voulez- vous égorger la poule qui vous nourrit de ses
œufs d'or? » Cette sage économie politique apaise la colère des
grévistes.
L'éloquence du docteur Fcis obtient d'autres miracles. Les
grévistes ayant fait du tapage, deux compagnies d'infanterie ont
occupé la ville. Une collision se produit. Le fils d'un vieil ouvrier,
bonoéte et travailleur, est atteint d'une balle [en pleine poitrine.
Lé pauvre père se livre aux manifestations les plus vives de la
haine et du désespoir. Alors Fels apparaît. Il expose à l'infortuné
vieillard due son fils était parmi les émeuticrs, que l'ordre public
prime-toute autre considération.
Le vieillard se calme et accepte sa douloureuse épreuve!
Les fleurs sortent du sol le plus ingrat sous les pieds du bon
docteur. Il a touché le cœur de la fièrc Julie de llellborn, fille du
patron. Celle-ci est louteà lui et à la cause ouvrière. De nouveaux
horizons se sont ouverts pour elle, naguère égoïste et mondaine :
elle fonde des jardins d'enfants, elle porte aux malheureux des
soupes chaudes pendant les froids cruels de l'hiver. Dans une
fête donnée par son père, un lieutenant de réserve fat cl borné
lui -fait d'idiotes plaisanteries sur son amour des pauvres :
« J'aime mieux, répond la jeune fille, vivre dans l'atmosphère
empestée d'une salle d'ouvriers, avec d'honnêtes gens, que dans
un salon cossu, avec une douzaine de... cavaliers! »
Mais, à côté des amis sincères des ouvriers, il y a les meneurs
qui poussent aux violences. Talke, le socialiste révolutionnaire,
est de ce nombre. Il déteste le bon docteur Fels. Il sait que celui-ci
est aimé de M"» Hcllborn. Il exploite liichemenl cette affection
pour perdre son adversaire. Il fait croire aux ouvriers que les
efforts de leur bienfaiteur pour amener une entente avec le patron
ont pour but réel d'obtenir la main de l'héritière.
Après des péripéties diverses, le génie du mal l'emporte. Fols
est massacré par une foule égarée.
Alors seulement le cœur d'airain du patron mollit devant la
douleur de sa fille. Il fait lui-même des avances aux ouvriers et
leur promet Oleiches Recht, l'égaillé du droit, non pas le droit
selon la lettre, qui tue, mais selon l'esprit, qui vivifie; le droit
qui prend sa source, non dans les formules étroites des lois
écrites, mais dans le sentiment de la dignité et de la fraternité
humaines.
Les ouvriers reconnaissants et émus rentrent dans leurs ate-
liers, et une réconciliation générale termine la pièce.
Et voilà !
f ETITE CHROJ^IQUE
Exposition de Tournai.
Ce petit salon, qui vient de s'ouvrir, progresse chaque année
grûce au zèle et au dévouement de La commission ainsi que de
M. Pion. Celte modeste tentative a déjîi son effet sur le public et
il serait à souhaiter que les artistes étrangers y envoyassent
davantage. Le local est très bien. Il y a 29."» numéros. Citons
MM. Charles Allard, Guillaume Charlier, Louis Pion, Jan Slob-
baerls, Frans Van Damme, Van Damme-Sylva, Théodore
Vorstraclc, et du colé des dames M""" Berthe An, Anna Boch,
Rose Leigh, Elisa Maréchalle.
JosÉPiiiN PÉI.ADAN, inslantané de Gil Blas :
Une broussaille de cheveux noirs qui frisent et s'emmêlent
sur un front soucieux. Des yeux d'une teinte bizarre de regard
impérieux et par instants se noyant comme en des gouffres de
rêve. L'n nez d'une extrême finesse comme en ont certaines têtes
de conquérants. La bouche charnue, à demi cachée par d'épaisses
moustaches et une barbe de prêlrc assyrien. Un corps grêle. Est
venu de Nîmes comme les autres pour conquérir Paris. L'amuse
en attendant par ses excentricilés et ses boniments tinlamar-
rcsques. Un malin affamé de réclame, prétendent les uns. Un
visionnaire, dont graduellement s'élargit la fêlure, soutiennent
les autres. Habillé comme s'il revenait perpétuellement de quel-
que bal costumé. Se fait appeler le Sûr Peladan et aurait hérité
de l'épée magique du fameux comte de Cagliosiro. Hormis ces
ridicules, un des écrivains les plus talentueux, les plus originaux
de ce temps, aux trouvailles parfois presque géniales, au style
pourri, coloré, tantôt apocalyptique, taniôt harmonieux comme
les hymnes latines qui furent rimées par des évêqucs lettrés en
les premiers siècles du christianisme. A sa place dans les biblio-
thèques de raffmés, entre Baudelaire cl Barbey d'Aurevilly. Quel-
qu'un l'a jadis surnommé le Mage d'Epinal.
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L'ART MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRfflQDE DBS ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Comité de rédaction i Octave MADS — Edmond PICARD — Émilk VERHAEREN
▲BONNKMSNTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00 — ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser toutes les communications à
l'asmuobtration oâMARAUB DE TArt Moderne, rue de l'Industrie, 32, Bruxelles.
^OMMAIRE
UiŒ uçoN HXKrrdB. — Stations d'artistes. Genck. — Feu
Looi» GxLLAiT. — Au Salon d' Anvers (Troisième article). — Les
PIALOOUES TRISTES. — PkTIT» CHRONIQUE.
UNE LEÇON MÉRITÉE
A la date du 15 septembre (la lettre nous est tardive-
ment parvenue), Maurice Maeterlinck nous a écrit : A-
• Je reviens de voyage, et j'apprends qu'on a profité
« de mon absence pour m'infliger le prix triennal de
• littérature dramatique. Je n'ai pas encore reçu avis
• officiel de ce malheur, mais vous pouvez annoncer
• dèsàprésentqaeje refuse cette couronne imprévue. »
Voilà où en est arrivé le dédain de nos jeunes artistes
pour- la critique administrative qui fleurit chez nous.
Btre distingué par elle est tenu pour un affront, ou,
plus exactement, pour une quantité méprisable.
-■ D est presque superflu d'ajouter que les mêmes sen-
timents sont professés à l'égard de la critique journa-
Ustiqoe. Ses injures ou ses compliments sont tenus pour
également sans valeur.
Nos artistes, les vrais, travaillent pour eux, pour
quelques esthètes, .pour. l'art, tirent à petit nombre,
exposent chez eux, méprisent tout ce qui est officiel.
tout ce qui est influent, tout ce qui est gazetier, et sûrs
de l'avenir, poursuivent leur évolution féconde et admi-
rable dans l'orgueil, l'isolement et le silence. Ils donnent
le spectacle dun mouvement d'une extraordinaire inten-
sité, que l'étranger remarque avec étonnement et
louange, frappé de tant d'ardeur, de tant de persévé-
rance, de tant de désintéressement (car que rapporte
aux partisans de l'art neuf cette lutte opiniâtre?),
mouvement superbe, qu*, chez nous, est perpétuelle-
ment insulté, vilipendé, moqué, incompris.
Ce n'est pas pourtant le cœur qui manque à nos con-
citoyens. Us aiment les arts. Par tradition nationale et
par goût ils seraient aptes à combler les jeunes écoles
des triomphes qu'elles méritent et qui leur donneraient
une impulsion encore plus énergique et plus brillante.
Mais ils sont mal dirigés. Ils forment leurs jugements
d'après les conseils et les enseignements d'un journa-
lisme qui, en général, est le plus vulgaire, le plus igno-
rant et le plus infesté de camaraderie qui soit au monde.
Ils croient à l'éminence et à la compétence de critiques
stagnants dont les idées se sont formées il y a quarante
ans et qui représentent la plus incurable routine. Ils
n'osent pas se laisser aller à un examen personnel. Ils
s'effraient du neuf, et au lieu d'attendre que celui-ci leur
parle, comme il arrive toujours à qui sait patiemment
le regarder, ils acceptent, le trouvant plus commode,
ce que rabâche quelque ganache qui fut beau parleur
-s^^
> A :
cv X m 6 ,/ *5 '<»^vi t, *^u -^ i/o Z^"'' '^' '""^'
■^
308
L'ART MODERNE
ou convenable écrivain en son temps, ou ce que distille
quelque venimeux renégat, quelque impuissant suintant
l'envie.
Ainsi se forme chez nous une opinion publique qui,
dans tous les domaines, est si bête et si misérable qu'on
s'est accoutumé, parmi les vaillants que rien ne saurait
détourner des œuvres où les pousse la fatalité de leur
mission artistique, à penser, travailler, agir comme si
cette opinion n'existait pas, ou ne méritait pas qu'on y
prit garde.
Donc, tandis que le ganachisme continue son stérili-
sant et vil métier, l'art en sa paix conquise, continue
son avancée salutaire. Heure viendra qui tout paiera.
Mais voici que les gâteux s'avisent de troubler cet
ordre, désormais accepté, en s'avisant, sur le tard, de
faire des mamours intéressés aux nobles choses qu'ils
ont insolemment et si longuement délaissées. Halte-là!
crie le jeune et altier poète. Et nous applaudissons. Il
ne faut pas qu'au jour où leur vient, en faible lueur, le
pressentiment qu'ils apparaîtront plus tard couverts
du ridicule de leurs injustices (habituelle histoire de
leurs pareils), ils essaient, par quelque galanterie isolée,
de se vacciner contre les chances d'un retour de for-
tune. Cette tactique est connue : elle permet de se tar-
guer d'avoir rempli tous les rôles, même celui de
prophète ; elle autorise ce jésuitisme qui se vante inva-
riablement, quand la vérité n'est plus niable, à clamer
qu'on l'avait bien prévue, à citer, en les isolant,^ des
passages d'articles que balançaient savamment et
qu'annihilaient d'autres passages (contre-lettres artifi-
cieuses) dont on se garde bien de se souvenir.
A ces malins, soudainement aimables, qui accourent
sonner chez l'art neuf, il répond en leur flanquant la
porte au nez, ainsi que vient de le faire si crânement
Maurice Maeterlinck. Ce sont des capitulards qui com-
mencent à pressentir qu'il faudra se rendre et qui
espèrent obtenir les honneurs de la guerre. Eh bien,
l'art neuf ne veut pas lés leur octroyer ; il veut leur
défaite complète et la remise, sans conditions, des clefs
de cette vieille citadelle. Il veut en passer toute la
garnison par les armes. Il faut, pour l'exemple, que
l'exécution soit complète et impitoyable.
Le ganachisme ! Il s'est assez carré sur sa chaise
percée ! N'est-il pas stupéfiant de voir ces Bélisaires
recommencer sans trêve leurs chants d'aveugles. Assez !
assez ! vénérables braillards ! taisez-vous, ou allez psal-
modier à l'autre coin du pont.
Ganachisme ! La domination des invalides, des vieil-
lis, des usés qui prétendent rester quand même où ils
sont, et toujours veulent faire « le Jeune homme ».
L'entêtement à se croire quelque chose quand on n'est
plus rien, à régir le présent avec les idées de jadis, à
faire attendre au contrôle deux, trois générations nou-
velles, à ne céder que devant la mort, et à ne laisser la
place ouverte qu'à ceux qui sont à leur tour devenus
des ganaches, en espérant.
Tout cinquantenaire qui se soigne bien en a pour
vingt-cinq ans au moins à circuler encore, à s'accrocher
au poste qu'il occupe, même à monter plus haut, à se
croire une autorité, à pontifier, à tracasser les idées
nouvelles, à opprimer les arrivants, h jouer l'office
d'universel gêneur, dédaignant, contrariant, obstruant
à l'égal d'un vieux marron avalé de travers.
Dans l'Art, notamment, cette situation est chez nous
intolérable. Ils sont rares ceux qui s'eflÎEicent, disant à
leurs cadets : Passez devant. Pareil bon sens abnéga-
toire blesse trop les vanités et le besoin d'être au dessus
des autres. Il faut avoir une âme très haut située pour
se mettre soi-même à la retraite et à n'être plus qu'un
spectateur bienveillant dans la pièce où l'on fut acteur
applaudi. La caractéristique de la ganache artistique,
comme de la vieille coquette, c'est de ne pas se résigner
à vieillir. Dix ans, vingt ans après l'âge des succès et
des amours, l'une et l'autre persisteront à se produire
et à tenir pour insolent quiconque ne leur rend plus
hommage.
Et voici le mal redoutable : c'est à ces généraux
démodés, partisans des vieilles tactiques et des systèmes
de guerre déclassés, qu'on confie la direction des forces
artistiques gouvernementales. On les trouve dans les
Académies, soit, ce sont les musées des antiques ; mais
dans les Ecoles, les Conservatoires, les Universités, les
Jurys. Ce sont ceux qui enseignent et qui jugent, avec
leur amour des routines, leur exaspération contre le
neuf, leur manie de protester, contre ce qui commence,
à la gloire de ce qui est fini. Et pendant des années et
des années, alors que tout se transforme, les idées
allant, allant comme une rivière que rien n'arrête, les
écoles remplaçant les écoles, les systèmes faisant place
aux systèmes, ils sont à se délecter, immuables, autour
des bassins d'eau croupissante qu'ils ont détournée de
l'intarissable courant principal et qu'ils prennent pour
la mer (1).
Cet incident Maeterlinck aora une portée exception^
nelle. Il volera sur les ailes de la séraphique Princesse
Maleine, dans tous les pays où l'œuvre du jeune dra-
maturge a conquis la gloire qu'on lui a marchandée chez
nous. lisse demanderont ces Français, ces Anglais, ces
Américains, ces Allemands, ces Italiens, ces Russes,
pourquoi son méprisant refus et ce retentissant soufflet
infligés à cette haute distinction officielle. Ils appren-
dront alors, ce que nous savons tous ici, que la Belgi-
que n'est pas une patrie pour l'art belge renouvelé, qu'il
y est traité en paria, que la critique y est piteuse, le
journalisme injuste et misérable, l'administration vieil-
lotte et retardataire. Ils sauront que cette activité
(1) Voir notre article intitulé : le Oanachltme, Art moderne du
n juin 1888.
L'ART MODERNE
309
Artistique qu'ils admirent et qu'ils signalent ne vaut ici
que quolibets et zwanzes à ceux qui la mènent ou qui
la défendent. Ils se souviendront des paroles terribles
de Proudhon, parlant de ce triste pays où tant de forces
vives sont paralysées par la sottise et le plus induré
arriérisme : • Des bourgeois qui digèrent et dorment,
4e8 jeunes gens qui fument et font l'amour » (1). Ils se
souviendront des paroles cruelles de Baudelaire : « En
Belgique on ne pense qu'en bande. En Belgique le grand
crime est de n'être pas conforme » (2). Oui, Maeterlinck
leur aura appris tout cela en renvoyait, en pleine
figure, leur fameuse couronne aux barbons de l'officiel
jury.
Et peut-être que cette fois la leçon profitera, non pas
à ces incurables, mais au public. Amen 1
terlinck ! Les poètes de Gand leur arrivent à Bruxelles
via Paris. »
La Nation, qui avec le Journal de Bruxelles, du
temps de M. de Haulleville, s'est souvent signalée par
une juste entente de notre jeune mouvement artistique
(rari riantes !) a commencé, en Belgique, une Enquête
Isur l'Évolution littéraire, à l'instar de celle de M. Jules
Huret. Quoique imitation soit chose fâcheuse, elle est
intéressante. Camille Lemonnier a été interviewé
d'abord : à tout seigneur tout honneur ! puis Georges
Eekhoud, en attendant la série. Ce dernier a répondu,
entre autres, ce qui suit :
« Nos PRINCIPAUX ENNEMIS étaient et sont encore les
bureaucrates, les professeurs de littérature, rhéteurs
ofiSciels, les snobs et les pimbêches de la critique ; puis
quelques chroniqueurs spirituels, tellement spirituels
qu'ils sont les premières victimes de leur esprit et que
leur scepticisme les a toujours empêchés de faire œuvre
d'artiste et d'écrire un vrai livre. Nous avons eu l'im-
pertinence grande de créer, à coups de livres, un mou-
vement littéraire en Belgique, sans eux, malgré eux.
Ils considèrent chacun de nos livres comme un repro-
che, comme une injure personnelle ! Et ils poussent la
mesquinerie jusqu'à chicaner un écrivain de talent à
propos des témoignages d'estime qu'il accorde à d'autres
écrivains. On ne leur dédie pas le moindre sonnet à ces
bonzes et on ne leur demande pas de préfaces ! Ce sont
DES MYOPES A QUI LES FIGARISTES PRÊTENT DE TEMPS EN
TEMPS LEURS LUNETTES. Ils n'ont jamais encouragé un
talent naissant. Rancune de coquettes et de céladons
de lettres qui se sont dépensés en grimaces, en minaude-
ries et en petites - postures » ; incapables d'un sentiment
profond, d'une passion noble et féconde. LArt moderne
les comparait récemment avec raison aux pèlerins
d'Echtemach : deux pas en arrière pour un pas en
avant; deux coups de patte après un semblant d'éloge.
Ils viennent d'inventer et de couronner Maurice Mae-
(1) Voir notre étude sur Proudhon, Art modei-ne du 31 août 1890.
(ï) Id. Baudelaire, id. du27juilletl890.
Reproduisons ces quelques pensées de Proudhon sur
le journalisme belge dont les feuilletoneux qui savent
débobiner en dix colonnes l'éloge d'on ne sait combien
d'œuvres fades étrangères, n'ont que le silence ou la
gouaillerie s'il s'agit d'œuvres belges :
Une des plus grandes misères de la presse en Belgique : les
journaux se classant tous dans l'une ou l'aulre de ces deux calé-
gories, libérale ou cléricale, on peut parier d'avance et presque à
coup sûr, que si une idée est embrassée par un des principaux
organes de l'un ou de l'aulre parti, tous les journaux de la même
opinion se rangeront de son côlé, pendant que les journaux du
parti contraire se réuniront contre lui.
Aujourd'hui, comme au temps de Descartes, de Spinosa, de
Vollairc, la produclion et la circuialion dos idées sont, pour un
Belge de la vieille roche, article de curiosité et de commerce, mais
dont il ne se soucie pas aulrcmenl.
Les gens de letires qui se livrent à la profession de journalistes
n'obtiennent qu'une considéralion médiocre ; le particulier aisé
qui, par dévouement h une opinion, se fait rédacteur de gazette,
semble déchoir.
Le journaliste n'étant qu'un instrument aux mains d'une caste,
un auxiliaire du crieur public, de l'avocat, du recors, un follicu-
laire gagne-pclit, comme nos écrivains publics, se façonne de lui-
môme à son Irisle métier : il faut réellement qu'il soit de vertu
robuste pour ne pas dégénérer tout à fait en sbire littéraire.
On n'est pas l'homme d'une idée, on ne connaît plus d'amis
quand on écrit dans une feuille belge.
Quant à la dignité du journaliste, comment la bourgeoisie ne
s'aperçoii-elle pas que les turpitudes du personnel chargé, dans
une certaine mesure, d'exprimer ses idées et de défendre ses inté-
rêts, rejaillissent sur elle ; que le journalisme avili se venge en
corrompant l'esprit public et que là où la parole est prostituée la
conscience bientôt le sera.
Proudhon dit : « Il y a des exceptions. » Naturellement!
STATIONS D'ARTISTES.
OENCK.
Les stations de peintres ont une vie organique : elles naissent,
enfantées par le' caprice d'un artiste, elles grandissçnt, se déve-
loppent, — et meurent, obscures ou célèbres.
Le souvenir de Barbizon est si étroitement lié à l'Ecole des
paysagistes français du milieu du siècle : Millet, Rousseau, Dupré,
Daubigny, Diaz, Troyon, que le nom (et même un peu la chanson
« des Barbes de bison ») ne s'éteindra pas.
En Belgique, Genck a sa place dans l'histoire de l'art, et
l'assemblage des cinq lettres de ce vocable à la consonnanco rude
évoque, dans bien des cœurs, de vivants souvenirs : les longues
séances commencées dans la fraîcheur du matin, sous les rayons
obliques qui teintent de lueurs incarnadincs le miroir des lacs
frissonnants, achevées tard, dans la paix du crépuscule, après les
féerict du couchanl prodigue d'or et de pierreries royalement
épandues sur l'infini des bruyère». Puis encore : le» repas en
commun, animés et bruyant», dans la «aile de l'auberge décorée
d'études et de tableaux, affectueux hommages légués aux hôtes
après une résidence prolongée souvent presqu'au cœur de l'hiver.
El les soirées intimes où la causerie pren,ail inopinément des
ailes et s'élevait dans les hautes sphères. El' 1rs concerts impro-
visés où la voix d'un contralto magnifique exprimait les angoisses
de VAmotird'une femme ou la mélancolie des Plaintet d'une jeune
Le temps est loin, déjà, du phalanstère qui marque l'apogée de
la rustique station. Ses membres sont dispersés aux quatre vents
de l'horizon artistique, les uns illustres, d'autres demeurés
inconnus. Et la mort a détruit des espérances, rompu des amitiés.
Pour nous, qui avons vécu à Genck d'inoubliables semaines,
chaque année impatiemment attendues, toujours trop tôt abolie»,
les maisons du village, les arbres de la roule exhalent des sou-
venirs très doux, parfums perçus par le cœur. Des tableaux sur-
gissent, à chaque détour du chemin, étoffés par la silhouette des
amis qui peuplaient jadis la pittoresque résidence. Et c'est, avec
les hôtes, — avec l'hôtesse demeurée veuve; là aussi la mort a
passé, — un assaut de récits d'autrefois, de menus incidents
ressuscites, de cendres remuées.
Une invincible tristesse naît de ces fouilles dans le passé. Et
le décor, lui aussi, peu à peu se transforme. La révolution amenée
parles ans dans nos idées, dans notre manière de sentir et de
voir rend plus intenses les modifications qu'il subit. L'harmonie
est rompue, de nos impressions avec le milieu dans lequel elles
sont écloses.
Des maisons neuves s'alignent le long du pavé, si galment
battu autrefois, de la gare à l'auberge, en tête du cortège des
camarades venus à l'arrivée du train, — des maisons neuves
poussées là comme une végétation insolite, inquiétante. Un
presbytère monumental, à prétentions architecturales, trop riche,
trop « cossu » pour ce fruste coin de Campine, parle d'opulence,
accord dissonant dans la pastorale. Les branlantes chauminS~en
pisé, aux tons d'orange mûre et de crème fraîche, si jolies sous
leur fourrure de genêts, sous leur chaume lavé par les pluie» et
velouté de lichens émeraude, ont fait place à des cubes de
maçonnerie coifft's d'ardoises. (Quelle main sacrilège a osé arra-
cher la vigile qui enguirlandait de ses sarments le linteau de la
porte et les croisées des fenêtres?) Au lieu du rempart de pierres
effritées, envahies par les pariétaires, un mur en briques, impla-
cablement rectiligne et architectural, hélas! comme la cure,
enserre l'église! La vieille enseigne de l'hôtel de la Cloche, peinte
par Fourmois, a été remisée en quelque grenier, peut-être acquise
par un Anglais. Car il y a des Anglais !i Genck! On parle l'anglais
au bord de ces mares flamandes que seul troublait jadis le vol
circulaire des canards sauvages. Un de ces jours on y établira
un lawn-tennis! — Ceci, sans aucune intention désobligeante
à l'adresse de l'aimable miss Andaluzia Evans, peintresse de
talent et femme distinguée, qui a établi à Genck ses quartiers
d'été et qui y perpétue les traditions d'art et de travail léguées
par ses collègues d'anian.
Il faut sortir du village, gagner les hameaux solitaire des
Winlerschlag, de Langerloo, de Camerloo, de Gelieren, de Sulen-
dael, gravir les plateaux dénudés du Peperblook où le sol rcvêche
et caillouteux ne laisse percer qu'une bruyère courte, clair semée,
pour éprouver la sensation d'une nature farouche que Genck et ses
environs immédiat! donnaient jadis. Les îotrépidea Toat pUmar
leur chevalet k Asch, i Niel, k Op-Glabbeek, en un niloo saoTafB
où un minuscule cours d*eau fuit entre des lives d'aineot-al da
malachite tous la voûte bruissante des pins tordus par le Sarroit,
des bouleaux et des charmes. Ceux que requiert un isolemenl
plus complet encore s'enfoncent dans les prairies marécagensea,
ourlées de dunes au sable d'or, semées de lacs limpides, qni
déroulent jusqu'au Démer an tapis aux Ions de bronze Tert, fonda
k l'extrémité en de délicates iraances de bzali et d^méihiste, et
dont seuls de lointains oloebers, érigés en pharea, rampent h
ligne inflexiblement horitonlale. D'anirea cnBn escaladent les
croupes au milieu desqoellea est planté le ^tia§p, et par des
chemins sinueux, ravinés d'ornières, largement tracés k travers
les pinières, (si rarement foulés que l'herbe, la fougère, le Renét
y poussent drus et haut», et les envahissent, et les font diape-
ratire sous leur toison odorante), vont se perdre dans les steppes
sans limites de là Dorsale campînoise, aux confins, sembl«-l-U,
des terres habitées, océans d'arbustes dans lesquels on marche
des heures durant sans rencontrer la trace d'un être vivant et que
seule anime la lente chevauchée des nuées.
Si Genck se fait villégiature, la Campine demeure artiste. Et
la municipalité, et le» aubergistes, et les Anglais, et les touristes
auront beau faire 11 y a heureusement, et pour longtemps encore,
en ce» régions ignorées, k l'écart des routes, des chemins de fer,
du télégraphe et do téléphone, des coins de nature aastère où b
pensée prend librement son vol, où l'esprit se baigne k l'aise dana
les ondes rafraîchissantes de la solitude et du silence.
FEU LOUIS GALLATT
Un curieux attire, crucifié au bas des deux XX de M. Félis, a
paru dimanche dlmier dans le SupplAnent littéraire de FltkU-
pendance. Pour louer son ami Louis Gallail, M. Fétis a pris son
bon cœur, l'a disposé en encrier devant lui et y a péché k la
plume un tas de jugements bienveillants, honnêtes et inoffensifs.
Pour lui la Peste de Tournai est le couronnement d'une carrière
illustre; pour nous, c'est une vieille toile on peu trop roide, puis-
qu'elle sert de linceul k Tart creux et vide et emphatique de notre
« gloire nationale ». Mais l'article est prismatique et présente une
antre face bien plus intéressante. Tout da long, Panteur y persifle
rofilciali8me,la direction des beaux-arts, ses habituelles manières
d'agir, ses incurables négligences, ses hypocrisies, ses men-
songes, ses vices, c'est-k-dire sa vie. Quand on songe quelle
place occupe M. Fétis, de quel art et de quelles contumes il est le
représentant, de quelle loge d'entre les coulisses il juge la scène,
on est étonné, mais on le remercie bien vile de sa franchise.
Après s'être moqué de l'éloquence officielle et des banquets offi-
cies — ceci, pour les toas teurs des dernières agapes triennales
du récent Salon d'Anvers — et avoir écrit que Gallait fut forcé de
s'expatrier — chose normale chez nous, la preuve Stevens, Wil-
lems, Flameng, Rops! — il ajoute :
« La position de Gallait k Paris était faite; il comptait parmi les
peintres dont on attendait les œuvres aux expositions. Cependant
le gouvernement belge comprit qu'il était préjudiciable au bon
renom du pays qu'on laissât se fixer définitivement k l'étranger un
artiste qui occupait, de l'aveu de tons, le premier rang parmi les
maîtres de l'école nationale. De pressantes démarches furent
faites auprès de Gallait pour qu'il vint s'établir k Bruxelles. On lui
promettait une grande part d'influence dans le mouvement des
■*WSiWSS^!Ji?^-Tf 3/-i '
L'ART MODERNE
311
•M et dlmporUnts travanz commandés par l'Etat. Galluii se
laissa eonvaiocre; il aimait son pays et »e rapproihait avec joie
d* Ml mire qui eoiuinoait de résider li Tournai. Les promesses
qu'on lui avait faites tardèrent !i se réaliser; elles lardèrent si
biea, qu'on n'en tint aucune. »
N'eat-oe.paa préciruzT Un artiste qu'on aSàme va cherrher tra-
vail ebez le voisin; on le laisse en repos jusqu'à ce qu'il ait pain,
logement, quelque or, réputation, honneur, puis tout !i coup on le
ironMe de promesseï, on fait appel h des sentiments nulfii et bons
qo'il peut avoir gurdés pour son pays, on lui fait quitter toute
eonquéte, toute position sftre, tout résultat acquis, on le rapatrie
et quand on le tient ft sa merci et dans sa main, en exécution de
tous engagements, afin de le caler on lui donne pour s'asseoir
devinez quoi T Le vide. On lui escamote sous le nez les places
promises, les commandes garanties, le succès proclamé certain.
Certes, on lui avait dit que la Belgique pour garder son bon renom
avait besoin de lui, qu'il était nécessaire à l'école nationale, qu'on
comptait sur lui, qu'il « le nous fallait «. Certes tout cela était
vrai — mais ce qui ne l'était et ne l'est guère moins, c'est que
l'état a le dédain des artistes, a l'incurie de l'art, c'est que « cela »
ne compte chez nous que si l'on a besoin de faire des phrases
pompeuses sur le passé, c'est que « cela » est si pi-u qu'on peut
se permettre d'être prometteur en l'air, hypocrite, menteur, trom-
peur, voleur même — puisque tous les ans on distrait dos sommes
du budjet des beaux-arts pour les reporter à d'antres budjcts —
c'est qu'après tout pour les peintres, bons diables un peu vani-
teux, il faut qu'on établisse au ministère une règle de conduite
invariable adjoignant aux employés supérieurs de les berner, de
se rire d'eux k -force de politesses niaises, de les renvoyer aux
calendes grecques, de faire les gorges chaudes de leur nalveié et
de leur crédulité et de trouver, après tout, la farce bien bonne.
Nous tenons certaines anecdotes, prouvant ^ révidencc de telles
dispositions hostiles. Uu artiste en Belgique est quelqu'un de
sacrifié, dont on ae sert quant il est crevé, pour dire que la sempi-
ternelle lignée de Rubens n'est pas morte. Quant à tenir compic
de la grande idée qu'il représente, de l'exception glorieuse qu'il
est, de la mission je ne dirai pas sociale, mais intellectuelle qu'il
profère, allez donc le demander à ces très encaqués harengs des
bureaux, à ces plies d'aquarium officiel faisant la sieste sur le
sable doré de leur traitement?
Ce qui s'est passé pourballait se passe encore tous les jours.
Ils promettraient tout jusqu'il leur chemise, quitte à ne pas donner
un boulon. Quel est l'artiste qui ne connaît le chemin^dc croix
des ministères, et les Hérode, et les CaTphe7 La petite toniaine
qu'on y voit dans les coins, me fait toujours songer au bassin où
Pilale se lavait les mains. La direction des Beaux-Ans, les com-
missions, les secrétariats ont pour meuble principal et ceniral
un moiisieur, qui salue, donne des poignées de mains, dit des
phrases banales : « Votre projet est à prendre en considéraiion...
Voire idée ne me déplail point... Nous examinerons alienlive-
ment votre demande... J'en parlerai an ministre... Vous pouvez
compter sur mon appui. »
On s'en va satisfait, mouillé de loule l'eau bénite de cour pos-
sible, on écliafaude de l'espoir, on croit que la requête est en
bonnes voies. En réalité elle dort dans les tombeaux des cartons
verts, personne ne la remue, elle s'enlinceule de poussière, celui
qui avait promis appui est le premier à l'oublier, au besoin il
ferait la garde autour pour empêcher qu'on ne la soulève jamais :
c'est une afifaire classée, c'est 4 dire mort-née.
Ce pauvre Louis Gallait, lui pourtant si correctement formé
pour être le peintre constiluiionnel et bourgeois de notre mille-
huitcenlreniisme incurable, dire qu'il a passé par la route des
déboires, soutenu par son ami Fétis, et que, lorsque ce dernier
évoque des souvenirs, c'est pour signaler et condamner des
erreurs contre lesquelles probablement, à l'heure présente, il
oublie de se gendarmer.
(Troisième article.)
Au Très Saint Temple de Très Sainte Nullité.
Par une déférence, qu'en raison de relations anciennes qui
obligent on comprendra, nous comptions nous abstenir de criii-
que devant les œuvres de Charles Veri.at. Devant celte salle
du Salon d'Anvers, où des amis plus intéressés que dévoués les
ont rassemblées, nous passions avec un réel sentiment de
navrance ; et d'orgueil aussi, à celle pensée que quand il nous
arrivera d'ayo''" ^ défendre la mémoire d'un ami, nous appor-
terons en l'accomplissement de cette liche plus de piété et plus
de modestie.
Mais au recueillement qui s'imposait, les organisateurs de ce
Salon dans un salon ont préféré une fanfaronne bataille où le
nom de l'artiste mort est la plus terrible machine de guerre.
Pour nous, cette salle médiane du tour de Salon, gonflée à
outrance, bourrée d'œuvres à en crever, semblait le Venire exagé-
rément fécondé de germes très divers et lourd de la menace d'une
génération qui perdurerait et à laquelle l'Etemel aurait promis
comme à la.postériié d'ABRAHAM « d'être comme la poumère de
la terre l »
Nous compilons réserver ces peu encourageantes réflexions
pour nos méditations propres et l'immuniié qui garantit l'artiste
mort a préservé de la cravache qui nous démangeait les grotes-
ques gardiens de sa mémoire tant affamés de notoriété.
Nons avions décidé même, pour clore un peu curieusement
nos études sur ce Salon, d'emprunter quelques lignes à l'élude
insérée an catalogue par M. Van Keymedlen, qui certes ne
nous en eiil pas voulu d'être à pareille fête et nous eussions —
pour ne pas rester en retard vis-à-vis du confrère qui constate
« qu'une cité Inboi-ieuse se refait sans peine un peu de capital,
mais qu'il foui la collaboration dt toutes les forces lif ta nature
peur refaire un homme supérieur! » et résume l'histoire du
peintre en annotant que « Verlal fut le fils d'un fabricant de
savon; qu'il prit des idées de Courbet ce qu'elles avaient de rai-
sonnable et de plus fécond, « domina » des lions, des tigres et des
loups! se baigna dans les eaux du Jourdiiin! se désaltéra à la
source de Siloé, oii il fit des esquisses par une tempi^ratiire de
56° centigrades! » — nous eussions souscrit en quelques mots
très émus à son projet de monument à Vcrlal sur lequel ce très
fin critique voulart inscrire celle émouvante épllaplie :
« Ci gît un Anversois qui eut de l'esprit et qui sut peindre. »
Mai? il se fait — qu'un peu à la barbe de M. Van Keymel'I.en
)e monument vient d'être dressé et qu'il est haut, est haut
comme la toute bêtise versifiée d'un homme! M. Edmond H.,
en la toute sérénité d'une ftme très candide, l'a édifié sous
le plafond des lignes doubles qui protègent habiluellement des
(1) Voir l'Art moderne des 16 et 30 août derniers.
312
L'ART MODERNE
abondants pleurs de ses lectrices sensibles le feuilleton du Pri-
curseuT et que soutiennent les cinq colonnes d'un style à peu
près impossible à définir!
— Voici quelques passages du morceau. Je les livre sans
aucun commentaire.
Ecoutez :
A VERLAT
Us disent que le sang s'est tari dans nos'veines.
Alors, dans l'œuvre
Nous avons fait la part d'à peine une poignée
Et sans choix sur les murs nous l'avons alignée,
Pour décider du sort.
Ce sont ces murs fameux,
Il en sort comme un $uint d'effluves immortelles (!)
Cest Félan anversois, que l'impuissance nie,
Qui répond en créant.
Qui laisse hurler au loin la vaine capitale.
Là bas, quelle couleur, qui répugne à l'argile !
Quel mensonge du peintre et quel labeur stérile.
Bâtard de tous les cieux.
" Verlat, ô sain esprit! que tes si.noes s'en donnhnt "(!!!)
Non, non ! Soyons de race et gardons l'arche sainte.
Laissons d yios voisins sans envie et sans crainte
Leur art indépendant,
Indépendant de tout, soit sous ciel, soit sur terre.
De la terre oii ton ra, du ciel qui nous éclaire.
De notre esprit flamand.
Ah ! quel apothéose, unique dans les âges.
Van Dyck, Jordaens, Teniers, qui nous peignent tout l'homme
Et tant dautres épars. Van Lerius trop vite
Moissonné par les sens.
Et que d'autres encore, mettant de l'or sur table.
Rosier dans un boudoir, Stobbaerts dans une étable.
Ah! si c'est là mourir, où donc est bien la viel
Dans leurs feuilles de joie, oii la haine s'allie
A la stérilité f (!!!)
Non ! Elle est dam Tesprit de ces singes, qui raille
Et dans leurs Muséums, tout pleins de notre gloire,
Qui seraient sans soleil, privés de notre histoire.
Qui sur leurs murs s'écrit!
Edmond H.
Il ne resterait que ces vers détachés, ils défieront l'Eternité!
Le moment est aux découvreurs. Nous sommes tous talonnés
du désir d'imiter la générosité d'OcTAVE Hirbead et, personnelle-
menl, je me chagrinais fort de voir mon autorité vieillir sans
qu'elle parvint à découvrir « la moindre Princesse! »
C'est un beau Prince — un peu vieux — que j'amène il la cri-
tique en la personne de N. Edmond H. ! Et je ne me connais
aucune appréhension quant à la réussite démon « lançage! »
LES DIALOGUES TRISTES
DÉDIÉ AUX SARCEY BELGES
Une tr<^s amusante (et tr6s pinçante) satire k propos du gros et
vide Sarcey, du personnage Journalistique dit « le critique
influent » qui sévit chez nous, comme à Paris et qu'on ne saurait
trop moquer. A bon entendeur salut! C'est l'Intruse de Maurice
Materlinck qui en est l'occasion, c'est Octave Mirbeau qui en est
l'auteur, c'est VEcho de Paris qui en est le porte-voix. Octave
Mirbeau, irès discrètement, y use de certains procédés littéraires
chers à l'évocalcur esprit du créateur de la Princesse Maltine.
" L'Intruse » à Nanterre-
(Le salon d'une petite villa des environs de Parie, ftk» d'une table
où sont disposés un encrier, un porte-plume, du papier bUne,
M. Francisque Sarcev sommeille. Autour de la table se tiennent
silencieux H. Oandillot, M. Hector Peaiard, M. Brisson. Sur la
cheminée le buste lauré de M. Scribe. Une lampe ^lair« fiùble-
ment la scène.)
M. Bhisson (Iris bat). — Comme il dort longtemps, ce soir!
H. Hector Pessahd. — Oui, je trouve qu'il dort longtemps, ce
soir,
M. Brimon. — Il n'aura pas le temps d'écrire son feuilleton...
El que va-t-il arriver s'il n'écrit pas son feuilleton I (H se dirige,
sur la pointe des pieds, vers la fenêtre.) 11 me semble que le ciel
est effrayant, ce soir : il me semble que j'entends, dans les feuilles,
des bruits singuliers, ce soir... (/{ revient et s'arrête devant lebuste
de Scribe.) Et le buste de M. Scrihe est étrange aussi, ce soir.
M. Hector Pessard. — Ne troj\<'*z-vous pas qu'il baisse?
N. Brisson. — Qu'est-ce que \ous dites?... De qui parlez-
vous?...
U. Hector Pessard (mon/ran/ M. Sarcey endormi). — De luit...
Ne trouvez-vous pas qu'il baisse?
M. Gandillot. — Mais non, ce n'est pas lui qui baisse... C'm(
la lampe qui baisse... (Il se lève pour remonter la lampe.)
N. Hector Pessard. — Ne faites donc pas de bruit!... Ne Utiêt
donc pas d'rs(>rit... Vous n'êtes pas il Déjazet, ici... Moi, j« topI
dis qu'il baisse... Pourquoi n'esl-il pas au théâtre, ce soir?
M. Gandillot {il se rassied). — Il n'y a pas de premiArM, ce
soir...
M. Hector Pessard (impérieux). — Pourquoi n'etl'U pw au
théâtre, ce soir?
M. Brisson. — Ne parlez pas si haut... Voua êtes élnuige, aussi,
ce soir... On vous dit qu'il n'y a pas de premières, e$ lOir...
M. Hector Pessard. — Ce n'est pas une raison.,,
N. Brisson. — El vous !... Pourquoi n'éles-vovf pM au théâtre?
M. Hector Pessard. — Moi?... Ça n'est pM U méine cbose...
Vous savez bien que je ne suis jamais au IhétllV, moi!...
M. Brisson. — Vous feriez mieux d'y aller...
M. Hector Pessard. — Mais vous tnn bien que je ne com-^
prends rien aux pièces que je vois..., rpiu savez bien que je ne
comprends quelque chose qu'aux piiCM que je n'ai ni vues, ni
entendues..., qu'aux pièces dont j'ignore le titre, l'idée, le dialo-
gue... On ne saura jamais tout ce ane J'aurais pu dire, si je n'étais
jamais allé au théâtre... Hais loil... qu'est-ce qu'il va pouvoir
écrire sur Vlnlruset... Il ne l'f TW, il ne l'a entendue qu'une
fois... Il aurait dû y retourner,
M. Brisson. — Mais, on ne l'a jouée qu'une fois 1
M. Hector Pessard. —Ce n'est pas une raison... Il aurait dû
y retourner... U ne poonw riM en dire.
N. Brisson (<im«r). — U me semble que, vous, non plus, vous
n'en avez rien dit.
M. Hector Phmw. — Moi, je l'ai vue !... Je ne puis plus en
parler... C'est une question de probité littéraire, une question de
conscience de erilique !... Je ne puis plus en parler... (M. Sarcey
se remue un peu; le fauteuil craque.) Beinl... Quoi!.. Arez-vons
entendu?... fiu'esl-ce qu'il y a?
M. Gahdillot. — C'est le maître qui se niveille...
M. Brisson. — Eh bien, ça n'est pas trop tdt... Il commençait
vraiment à m'inquiéter pour son feuilleton... Je ne peux pas plus
concevoir un dimanche sans feuilleton de Sarcey, que je ne con-
çois un aveugle sans clarinette!... Hum! Hum !
M. Sarcet (il tressaute, regarde autour de lui effari). — Où
suiâ-je?... Qui est là?... Est-ce qu'onn'a pas sonné pourle trois?...
Pourquoi me regarde-t-on ainsi?...
M. Brisson. — Mais vous êtes chez vous, mon cher beau-père...
Et voici Pessard... Et voici Gandillot!...
M. Sarcet. — Je ne vous vois pas bien, encore...
M. Pessard. — Nous sommes là !...
M. Brisson. — El voici M. Scribe sur la cheminée ! (M. Sarcey
L'ART MODERNE
313
dirige tes regards tur la cheminée et reconnaît le busle de
M. Scribe. Jeu de icine.)
H. Sahcet. — Dieu! C'esl ma foi vrail... Ah! le mâtin!.. .
Toujours le même!.,. Où étais-je donc toui à l'heure?... Je ne me
gonviens pas bien... Est-ce que Lebargy ne jouait pas?...
M. Brisson. — Vous vous étiez endormi, mon cher beau-père.
M. Pbssard. — Vous avez beaucoup mangé, ce soir...
M. Sarcey. — Cela me semble si drâlc de ne pas être au ihéAtrc,
b celle heure?... Ça nie gêne, ça m'endort... Je n'aime pas ôlre
chez moi, le soir... Il me semble qu'il s'est passé quelque chose
de très triste, ce soir!... Pourquoi avez-vous, tous, l'air triste, ce
soir ?. . . Vous savez qu'il n'y a que les gêna sans talent qui ont l'air
tristel... Gandillot!
M. Gandillot. — Mon cher maître !
M. Sarcey {ii ril, il pouffe de rire). — Est-il impayable, ce gail-
lard-là!... Je me tords... Non, mais avez-vous entendu, comme
il a dit : u Mon cher maître ». On n'est pas dréle comme ce
garcon-là!... Gandillot!
M. Gai«dillot. — Mon cher maître !
M. Sarcey (riant loujnurt). — C'est à payer sa place!... Je ne
gais pas où il va trouver tout ce qu'il dit, cet animal-là !... Ah ! le
bougre I Quelle imagination ! Quelle observation ! . . . Quelle fantaisie
dans la cocasserie!... Il me fera mourir de rire... Oh! oh! oh!...
Voilà ce que j'appelle du talent, moi... Aussi, Gandillot viendrait
n'aDDOncer que son père, sa mère, sa femme, ses enfants sont
morts empoisonnés par des champignons... eh bien ! il n'y a pas, •
j«me tordrais C'est triste... mais je me tordrais!... Voilà le
latenil... {Le rire de M. Sarcey gagne M. Britton, M. Pessard,
M. ùandiUot lui-mime. Rire général durant quelques minutes.)
M. BtissoM {t'inlerrompant soudain de rire). — Et le feuilleton,
mon cher beau-père?...
M. SaKCBY (subitement sérieux). — Quel feuilleton ?
M. BftittON. — Mais votre feuilleton!... y a-t-il donc d'autres
feuilletons T
H. SaROÏT. —Oh! sacristi!...
H. Brissdr. — Vous allez encore être obligé de vous presser,
et de dire un las de bêtises, comme la dernière fois.
M. Sarcey (regardant lencrier, le porte-plume, le papier blanc).
Du diable, par exemple, si je me souviens de quelque chose...
Ma foi ! je vais entore y aller de mes douze colonnes sur Gan-
dilloll... ^
M. Brisson. — Mais vous avez t Intruse, cette semaine.
M. Sarcey. — V Intruse? qu'est-ce que c'est que ça ?. . . Ça n'est
pas de Gandillot.
H. Brisson. — L Intruse? Vous savez bien, cette pièce, au
Vaudeville, dans la matinée.
M. Sarcey (cherchant à se souvenir). — Attendez donc ! ... Oui. . .
je me rappelle... Il y a un corbeau dans cette pièce...
M. Brisson. Mais non!... vous confondez!... c'est dans une
autre pièce qu'il y a un corbeau...
M. Sarcey. — Il n'y a pas un corbeau, dans l'Intruse?
m! Brisson. — Non, il n'y a pas de corbeau dans l'Intruse!
M. Sarcey. — Alors, ça n'est donc pas de Becque, l'Intruse?
M. Brisson. — Mais non!... V Intruse n'est pas de Becque...
Pourquoi voulez-vous qu'elle soil de Becque ?
H. Sarcit. Je n'y suis plus du tout, mon ami Ah! si...
atlends un peu... Je me souviens!... H y a des Lapons dans cette
pièce... des décors polaires, des ours blancs... Et c'est en vers!
M Brisson. — Vous confondez encore... Il n'y a rien de tel...
Ca se passe dans une chambre, le soir... Des gens sont réunis
autour d'une table et ils causent... A côté, dans une autre chambre,
est une malade qui va mourir. . . „ . ,
M Sarcey. En voilà des inventions I... Est-ce gai, au moins?
M Brisson. — Comment voulez-vous que ce soit gai, puisque
je TOUS dis que la malade va mourir et que l'enfant de la malade,
qui est lui-même malade, va mourir également !
Il «»m _P.h bien lau'est-ce que cela fait?... On
M. Brisson. — Mais non ! mais non !...
M. Sarcey. — Comment! ça n'est pas gai? ça n'est pas cochon?
il n'y a pas le moindre couplet? El tu voudrais que je dise du bien
de celte ordure-là?... Ah ça ! mon gaillard, est-ce que lu devien-
drais symboliste, toi aussi? J'aurais, moi, Francisque Sarcey, un
gendre symbolisle!... Quelle pièce pour Gandillot!
M. Drisson. — Je ne vous dis pas d'en dire du bien, moi !...
M. Sarcey (furieux). — De qui?... de Gandillot? Tu ne veux
pas que je dise du bien de Gandillot?
M. Brisson. — Et qui vous parle de Gandillot? Je vous parle
de Maeterlinck.
M. Sarcey. — Allons bon!... Qui ça .Maeterlinck?...
M. Brisson. — L'auteur de l'Intruse!
M. Sarcey. — Tu perds la tête!... Ne viens-lu pas de me dire
que l'auleur de il7ilruse, c'est Henri Becque?
M. Brisson (découragé). — Tenez! Vous feriez mieux d'aller
vous coucher!...
M. Sarcey. — Tout cela n'est pas très clair... laisse-moi tran-
quille. (Il s'approche de la table, retrousse ses manches, empoigne
son porte-plume.) Allons-y!... (Il écrit avec rage... les feuillets
s'entassent les uns sur les autres, et l'on entend de loin en loin,
tandis qtte grince la plume sur le papier, ces mots, en bout de
phrases tronquées) : « Molière Gandillot!... Nous nous
tordions... un rude gaillard... un fameux lapin... Gandillot!
Molière!... Nous nous tordions... »
H. Sarcey. — Eh bien ! qu'est-ce que c
1 peut mourir
el que ce soil gai... Gandillot, lui, ferait ça gai . Tout le monde se
lordrail !... C'est drôle! Je ne me souviens pas du tout!... Dis-raoi,
Brisson, est-ce un peu cochon?... Chante-l-on des couplets un
peu... un peu cochons?
Petite CHROf^iquE
Nous avons annoncé que deux traductions anglaises de la
Princesse Maleine allaient paraître- prochainement : l'une par
M. Gérard Harry, l'auire par M""" Vielé-GrifTin. Ajoutons que ces
deux traductions ont été autorisées par M. Maurice Maelerlinck et
faites presque simultanément. L'une (celle de M"" Vielé-GriflTin) est
destinée exclusivement aux Etats-Unis d Amérique, l'autre à l'An-
gleterre. Les lois sur la propriété littéraire, dans ces pays, légi-
timent el nécessitent même cette double autorisalion.
M. Albéric Magnard, qui a secondé cet été M. Léon Jehin dans
la direction de l'orchestre de Royan, vient d'achever un drame
lyrique en un acte, dont il a écrit le texte et la musique. —
M. Ernest Chausson, dont la Tempête» tw aux concerts des XX
un si vif succès, a terminé une nouvelle œuvre importante pour
piano violon et quatuor d'inslrumenis à cordes. Une audition
intime en a eu lieu dernièrement chez l'auteur, à Paris, et
l'impression, à ce qu'on nous écrit, a élé très grande. —
M.Gabriel Fauré, qui a passé un mois à Venise, en a rapporté un
cycle de mélodies extrêmement remarquables. M. Fauré a ter-
miné, en outre, une nouvelle œuvre de musique de chambre dont
on dit le plus grand bien. — Les fragments que nous avons
entendus, chez 1 auteur, du drame lyrique en trois actes auquel
travaille M. Vincent d'Indy, promettent une œuvre de premier
ordre, qui classera définiiivement « l'école franckisle » dans
l'opinion. L'auteur de Walleixstein a corrigé cet été les bonnes
feuilles de son Quatuor pour instruments à cordes, de la Forêt
enchantée, poème symphonique pour orchestre, et de la petite par-
tition de Karadec, qui paraîtront simultanément en octobre. —
M. Charles Bordes recueille en Espagne des mélodies basq ues
qu'il se propose d'utiliser dans une composition symphonique,
ainsi qu'il l'a fait dans son Quintette pour flûte et instruments
à corder.
On voit que la Jeune-France musicale est en pleine activité
laborieuse.
L'Administration du Bureau de Bienfaisance de Laeken ouvre,
entre les architectes belges, un concours pour les plans de mai-
sons ouvrières à construire Petite rue Verte à Laeken. Le pro-
gramme est à la disposition des intéressés, rue Saint-Georges, 2,
à Laeken et au local de la Société Centrale d'Architecture de Bel-
gique, Palais de la Bourse, rue du Midi, les mardi et vendredi de
8 à lÔ heures du soir.
,.f\ ». Y.,.-jjT».j,j»T77:.5^i.-çj.»»f30j.^>.
ONZIÈME ANNÉE
L'ART MODItRNE s'est acquis par l'aatorité et rindépendanee de sa critiqne, par la variété de ms
informations et les soins donnés h sa rédaction une place prépondérante. Aucune maoifeatation de l'Art ne
lui est étrangère : il s'occupe de littérature, de peinture, de sculpture, de gravure, de musique,
d'architecture, etc. Consacré pfincipalenaent au mouvement artistique belge, il renseigné néanmoins ses
lecteurs sur tous les événements artistiques de Tétranger qu'il importe de connaître.
Chaque numéro de Li'ART MODERNE s'ouvre par une étude approfondie sur une qaesiion artiatiqne
ou littéraire dont l'événement de la semaine fourQit l'aotuallté. Les expositiom, les livrei nouveenteo, les
premières représentations d'œuvres dramatiques ou musicales, les confiirences littéraires, les concerts, les
ventes d'objets cTart, font tous les dimanches l'objet de chroniques détaillées.
L'ART MODEiRNE relate aussi la législation et la jurisprudence artistiques. H rend compte des
procès les plus Intéressants concernant les Arts, plaides devant les tribunaux belges et étrangers. Xes
artistes trouvent toutes les semaines dans son Mémento la nomenclature complète des expOSltlOSS et
concours auxquels ils peuvent, prendre part, en Belgique et à l'étranger. Il est envoyé gravultemont à
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Lb NuuÉao : S6 centimes.
Dimanche 4 Octobre 1891.
MODERNE
PARAISSANT LB DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DBS ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Ck>Ilrifté de rédaetifltt i Octave MÂUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
ABOXVBMBKTB : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. — ANNONCES : On traite i forfait.
Adresser toute* les communications d
l'admoostbatiom générale de TArt Moderne, rue de l'Industrie, 32, Bruxelles.
^OMMAIRE
Lb Van dbr Meer de Brunswick. — La critique en Belgique. —
L'iNCiDBNT Masterlinck. — La question dis Musées. — Exposition
DB ORATimi A La Hâte. — Petite chronique.
I£ VAN DËR lEER DE BRDNSIIGK
Une surprise en ce musée d'Allemagne, au fond de
cette ville de toits en châteaux de cartes et de maisons
en armoires sculptées et peintes, que ce rare et infini-
ment admirable tableau, venu là, sans doute, grâce au
dilettantisme d'un duc mécène et appendu en une salle
petite, d'où il commande au musée tout entier. La
photographie n'en peut rendre la particularité. A le
voir reproduit on songe à un Metzu ou à un Terburg.
Qu'est-ce? — Une scène d'élégance comme tant de
petits Hollandais en ont peintes. Un cavalier— manteau
long, souliers nets, culottes lâches — s'incline vers une
dame assise pour avoir la faveur de la débarrasser d'un
verre qu'elle tient en main. La dame regarde souriante
de l'autre cdté et ne semble s'inquiéter de la politesse
du gatsni. Elle s'inquiète encore moins d'un antre pour-
suivant près de la fenêtre ployé, en une pose boudeuse
ou indifférente.
Le M^t a'«et donc rien et quand Alfred Stevens ou
Florent Willems s'amusaient, l'un à typer des Pari-
siennes, l'autre à ressusciter des mondaines du xvu" siè-
cle pour ne leur imposer d'autre rôle que de se mirer
en un miroir ou s'attacher une rose au corsage, ils
suivaient de près les petits maîtres de Hollande qui vou-
laient eux aussi l'insignifiance du sujet popr que les
qualités seules du peintre s'imposassent.
De tous ces petits maîtres, le maître est certes Van
der Meer de Delft. Il a toutes les qualités de finesse,
d'élégance, de distinction. Usait son métier, il pratique
son art mieux que personne. Toute gaucherie, toute
hésitation, tout doute en sont absents. Si la perfection
dans le faire, loin de toute brutalité comme de toute
mièvrerie, a jamais été atteinte, elle le fut par lui.
L'impeccabilité, il la possède autant qu'il est possible
de la conquérir.
Dans les collections d'Amsterdam et du Binnenhof de
La Haye, il apparaît paysagiste. Qui n'exalte sa Vue de
Delfl? Qui ne proclame merveille son tableau : les
Ruelles de la galerie Sixte? Là, ce qui nous avait ébloui,
c'était son. admirable sens de la proportion. Combien
ses personnages tenaient dans le site de ville, combien
les toiles se découpaient exactement sur le ciel, conibieu
l'on sentait que les questions de dimension et d'étendue,
combien les parties constituant l'ensemble, combien le
délicat problème des mesures et des optiques le sédui-
saient, se prouvaient décisivement ! La proportion ne
■;.;-^;/. •^P:''.fii^;'nyK^i<. ■■
316
L'ART MODERNE
s'enseigne pas, elle est un don comme la couleur. C'est
une sensibilité spéciale au dessus des difficultés qu'on
apprend à résoudre aux académies en vingt-quatre
leçons. Quelques peintres, par exemple Teniers, ne se
sont jamais douté de ce qu'elle est. D'autres comme Van
der Meer l'ont devinée et la prouvent en chacune de
leurs toiles.
Une œuvre assurément secondaire, rencontrée au
Musée de Hambourg, appuie plus encoreces remarques.
A Brunswick — comme on le devine par le sommaire
que nous venons d'en faire — c'est un intérieur où tel
qu'en la plupart des panneaux du peintre la préoccu-
pation de l'éclairage domine, grâce à une fenêtre à
gauche.
La Laitière d' Amsterdam profère même disposition.
Le jour filtre à travers les carreaux et la verrière
blasonnée, et chaque faisceau de rayons est comme
étudié à part. Près de là, une table nappée, surmontée
d'une cruche en grès et d'un plat d'argent.
Si le faire n'était si précis, le dessin si lisse, la facture
si propre et si reposée, on se croirait en présence d'un
Manet : ce coin de table est d'un moderne. Il semble vu
par un impressionniste. Les ombres sont colorées et
légères, la cruche a son envers teinté de bleu. L'har-
monie en est tellement inédite qu'on ne se peut figurer
au XVII* siècle un artiste prouvant une vue aussi en
dehors de toute tradition et qu'on croit à une restau-
ration. Mais actuellement encore aucun Allemand ne
pourrait voir ainsi — et nous sommes en Allemagne. Il
est donc bien certain que rien n'a été modifié et que l'on
se trouve en présence d'une sorte de miracle plus encore
que devant une exception déconcertante.
Dans les salles voisines se cimaisent des Brauwer,
des Ostade, des Steen, des Mieris, des Hais, des Fictor,
tous les peintres soi-disant de genre qu'Amsterdam ,
Delft, La Haye, Leyde ont produits. Mais lequel d'entre
eux ne paraît poncifà côté de l'inoubliable chef-d'œuvre?
Tous profèrent les tons brunâtres, grisâtres, veules;
tous laissent surprendi-e leurs trucs et leurs clichés,
tous sont les mêmes. Eux — à voir le Van der Meer —
qu'on admirait, on les néglige, on les regarde presque
distraitement. Il y a entre eux et lui, le soudain maître
novateur, une telle distance de goût, de perception
spéciale, d'étonnantes hardiesse et victoire, que sa
suprématie envahit et bourre le jugement, exclusive et
despotique.
Jamais un peintre, nous ne disons pas au point de
vue de l'idée, mais au point de vue de la forme et de la
vision, ne s'est aussi étonnamment affranchi de son
temps pour deviner l'avenir. Chez d'autres, par exemple
le Tintoret, on surprend certes d'étonnantes pratiques :
par exemple colorer certaines ombres et peindre les
noirs avec des bleus ou des verts; mais nulle part il ne
réalise l'atmosphère impressionniste, la gamme entière
des tons modernes, la joie des couleurs qui fait qu'une
toile de Monet ou de Renoir s'adresse autant à l'odorat
qu'à la vue et mêle les objets des deux sens, comme le
ferait un bouquet de âenrs éclatantes et parfumées.
Van der Meer est le magicien de ces inappréciables con-
fusions et correspondances artistes. Lé premier, il ouvre
l'armoire claire dont sa toile semble un panneau déta-
ché. Il est l'évocateur bien plus que n'importe qui, fût-ce
Rembrandt, de la lumière. Celui-ci s'est glorifié les yeux
par des évocations de clartés surnaturelles qui semblent
des jours de ciel et des auréoles, tandis que l'auteur de
la Dame au verre de vin s'est attaqué à la lumière
réelle, vivante, perçue par tous et l'a conquise comme
une. authentique et prismatique Toison d'or.
Ik CRITIQUE EN BELGIQUE
M. Gustave Frédérix, que nous nous excusons d'avoir nommé
le Sarcey belge, est de massacrante humeur. Cette humeur l'induit
à se départir du silence, en apparence dédaigneux, au fond très
prudent, qu'il avait pour système d'observer quand on lui déco-
chait des flèches.
Voici les ruades auxquelles le Pégase de l'Indépendance s'est
laissé aller après avoir lu le témoignage de Georges Eekhoud
dans l'Enquête sur l'Evolution littéraire belge ouverte par la
Nation :
" L'enquête de M. Jules Huret, de FEcho de Parit, sur l'évolution
littéraire, a fait quelque tapage, et le public s'est naturellement
amusé de ce qu'elle contenait de vanités énormes, de rivalités féroces,
d'invectives des marchands de lettres, peu connus, aux gros com-
merçants, bien achalandés. Un journal de Bruxelles entreprend une
contrefaçon de cette enquête, réduite aux proportions belges. On peut
bien recommencer en Belgique la contrefaçon littéraire, si on a
chance d'y trouver quelque publicité, quelque bruit.
D'après ce qui a été publié de l'enquête, transportée à Bruxelles, il
parait que nous aurons contrefaçon aussi des narcissismes d'auteurs,
et de ces récriminations furieuses contre la critique, particulièrement
adressées, à Paris, à Jules Lemaitre, Â Anatole France, à Sarcey.
Les critiques belges, qu'on traiterait comme ces maîtres-là, et en les
jugeant aussi d'esprit borné et de langue pâteuse, seraient évidem-
ment confus d'un honneur qu'ils ne méritent pas. Mais ils n'en
seraient pas moins flattés d'être classés et injuriés en si bonne
compagnie.
Nous lisons dans l'interview d'un romancier, dont nous avons, par
des articles répétés et élogieux,'appris le nom à nos lecteurs, quelques
lignes sur les > chroniqueurs qui poussent la mesquinerie jusqu'à
chicaner un écrivain de talent à propos des témoignages d'estime
qu'il accorde à d'autres écrivains ". Cela est une allusion directe à ce
que nous avons dit, dans un feuilleton sur les Contes de mon village
de M. Louis Dclattre, de l'inopportunité des préfaces glorifiant les
volumes avec lesquels elles sont brochées. C'est au conteur, du reste,
à M. Delattre, dont nous nous plaisions à signaler la fraîcheur,
l'émotion, la sincérité, que nous recommandions de ne plus se laisser
introduire, en son propre livre, si amicalement auprès du public.
Mais le préfacier des Contes de mon village, M. Eekhoud, est de
susceptibilité violente. Il nous le témoigne, après cette allusion for-
melle, et après avoir ajouté, pour que nous soyons obligé de nous
reconnaître : > Ils viennent de couronner Maeterlinck », il nous le
témoigne par ces qualifications spirituelles, dont il veut évidemment
"^ •■.,?1*';'^ *■,' ■
UART MODERNE
317
que nous prenions une bonne part : •• bonzes, myopes, coquettes,
céladons de lettres qui se sont dépensés en grimaces, •• etc.
De cet avis donné en passant à M. Delattre, que les préfaces
enthousiastes sont des fautes de goût dans les livres qu'elles précèdent,
M. Bekhoud garde une inconcevable blessure. Nous croyions que
l'auteur des Kerme$$e» ne tenait pas, au contraire, à avoir ce bon
goût des citadins et fransquillons, qu'il se targuait d'être un paysan
mal dégrossi, un poldérien farouche, un campinois dédaigneux des
bonnes façons et des délicatesses. Il a dit cela, en paroles furieuses,
dans les Nouvellei Kertneites. S'il faut maintenant, avec les mérites
vigoureux, les soucis de vérité et d'art que nous lui avons si souvent
reconnus, trouver en outre du tact et de la finesse à M. Eekhoud,
nous craignons bien de ne pouvoir jamais satisfaire cet écrivain
énergique et tourmenté.
Les violences poldérlennes, " bonzes », •• céladons ••, et les autres,
sont négligeables. Mais H. Eekhoud a dit de ces critiques, pour
lesquels il a un dédain si distingué : • Ils n'ont jamais encouragé un
talent naissant. « Nous savions que de jeunes auteurs, de désinvolture
moderne, dont on avait parlé avec sympathie, avec insistance, leur
procurant une bien autre publicité que celle de leurs petites revues à
dix-sept abonnés, nous savions que ces jeunes féroces, allégés de tout
scrupule, pour aller plus vite, — après avoir remercié les critiques
qui les signalaient généreusement, avaient le bon goût d'invectiver,
dans leurs feuilles hebdomadaires ou mensuelles, ceux dont llg
s'étaient dits, par de chaudes épîtres, les obligés reconnaissants. Ce
sont des mœurs nouvelles. Il paraît que le combat pour la vie autorise
maintenant ces procédés à double détente, — gratitude et déférence
par correspondance privée, récriminations et insultes par notes
imprimées.
M. Eekhoud est certainement incapable de ce double jeu. Il est si
violent, qu'il doit avoir de la franchise. S'il a dit de certains critiques
ces mots amers : •• Ils n'ont jamais encouragé un talent naissant •,
il ne parlait probablement pas pour le critique, à qui il écrivait, le
23 février 1891 : >• Vous m'avez toujours accordé votre attention dans
r Indépendance, et dès mes débuts vos observations et vos conseils
m'ont encouragé dans la carrière la plus ingrate qu'il soit possible
de suivre en Belgique. Mais jamais vous ne m'avez traité avec autant
de faveur qu'à propos de mon dernier livre, et je suis d'autant plus
heureux de vos éloges que je tiens les Fusillés de Matines pour un
de mes enfants les mieux venus. Merci encore pour ce sympathique
et très grand encouragement et croyez-moi, très cher et honoré con-
frère, votre bien-dévoué. »
Le critique, é qui M. Eekhoud écrivait cette lettre, a consacré un
plus grand nombre d'articles à l'auteur des Kermesses qu'à l'auteur
des Rougon-ltacquart, qui a, sinon une plus grande place dans la
littérature française, tout au moins une plus grande abondance de
volumes, ce qui aurait pu lui valoir des comptes rendus plus répétés.
Ce critique n'a pas manqué non plus •• d'encourager les talents nais-
sants " en parlant de M. Lemonnier, de M. Rodenbach, de M. Qiraud,
de M. Maeterlinck, de M. Verhaeren, de M. Delattre, de M. Oilkin,
de quelques autres, et même d'écrivains amateurs, qui méritaient
une bienveillanoe particulière, en étant des avocats lettrés. » O.P.
Ce morceau irrité ei tumultueux nous suggère les calmes
réQexiODsque voici. M. Gusiave Frédérix
(c'était un vieux routier, il savait plus d'un tour.
Même il avait perdu la queue à la bataille)
prend ou veut donner le change sur les reproches que l'on fait à
sa criliquc avec une persistance et une unanimité qui devraient
lui faire comprendre « qu'il y a quelque chose ». (I s'imagine avec
une naïveté amusante, ou feint de croire avec une roublardise
raffinée, que lorsqu'il a reçu d'un auteur une lettre accusant poli-
ment lecture d'un de ces comptes rendus, si justement équilibrés
dauK le blâme et dans l'éloge, dont il a la spécialité, il est k cou-
vert de tout péril et assuré de toute victoire, pourvu qu'il ait
malicieusement serré cedocument dans le tiroir aux petits papiers
dont se munit tout bon doctrinaire belge. Ah! fi! pour un homme
du Bel-Air et en si bonne posture dans le monde où l'on s'ennuie,
c'est être peu gentilhomme !
On ne vous accuse pas. Monsieur Frédérix, de vous taire sur
les jeunes partout et toujours. Vous êtes trop avisé pour com-
mettre une aussi lourde faute. Le grief, le vrai grief, le voici :
Vous êtes depuis des ans et des ans, par l'effet de la prédilec-
tion pour les vieux serviteurs, en possession du feuilleton lilté-
raire d'un journal qui eut ses beaux jours au temps où la presse
française était ligotée par le second Empire, et qui aujourd'hui
vivote confortablement grâce à la haute finance dont il sert les
intérêts. Vous êtes, de plus, à perpétuité membre des jurys divers
institués pour encourager la littérature nationale. Enfin, vous
êtes bien accueilli et l'on croit en vous, dans le monde des para-
sites où vous apparaissez à Eekhoud (et à bien d'autres), comme
« un céladon de lettres » : ne vous offusquez pas du titre, il
marque votre importance. Vous avez eu ainsi, vous avez encore,
quoiqu'elles aillent diminuant par la trop longue durée et le trop
stérile emploi, les puissances par lesquelles un écrivain peut ser-
vir la cause de l'art et aider à son évolution vers le neuf. Cette
belle et très fière mission vous pouviez la remplir, ei vous eussiez
été alors le maître respecté devant qui les jeunes générations com-
battantes auraient passé le shako au bout des baïonnettes.
Au lieu de cela, vous n'avez jamais été qu'un amuseur du
hicheliffe. Vous ne vous êtes préoccupé que de plaire, par des
fadaises, à une coterie d'oisifs et d'inutiles. Votre critique n'a
jamais eu pour mobile l'intérêt de l'art et pour but sn glorieuse
évolution : vous avez dansé des pas et chanté de puérils refrains
devant votre petit public d'ignorants et de sceptiques. Vous avez
caressé ces âmes aux endroits ignobles au lieu de les diriger et
de les corriger. Vous avez fait œuvre de balladin et non œuvre
d'apôtre. Vous avez festonné, gesticulé, sauté avec des grtces
pesantes, mettant des jabots à vos blagues pour les déguiser en
mondaines, tâchant de rendre distinguées vos farces, pinçant vos
zwanzes, mais, au fond, blaguant, zwanzanl autant que le plus
vulgaire reporter.
C'est avec cette méthode que vous vous êtes parfois occupé de nos
jeunes artistes. Puisque vous êtes fermé à l'évidence du triste rôle
que vous avez rempli, peut-être ne vous rendez-vous pas compte
non plus du découragement ou de l'irritation qui vient après la lec-
ture de ces feuilletons goguenards où, dans le langage que vous
avez composé à votre usage et dont on a dit que si vous n'avez
pas une manière de style, votre style au moins a des manières,
vous prétendez, d'un ton prolecteur, régenter notre art littéraire
régénéré, ne donnant un morceau de sucre candi, au bout d'une
ficelle, que pour le retirer aussitôt en cassant une deni. Vous vous
croyez bienveillant et juste. Vous vous imaginez aider à l'c> lo-
sion des nouveaux-nés littéraires? Eh bien! au risque d'exas-
pérer vos désillusions, nous répétons avec Eekhoud que vous
n'avez jamais encourage un talent naissant. Nous en appelons
% quiconque lient une plume dans l'armée littéraire nouvelle. Pre-
nant un à un tous vos articles, on le prouverait phrases à la main.
Vous apparaissez à nos jeunes tel qu'un gros chat fourri^, faisant
la chattemite, caressant d'abord, mais pour déchirer ensuite etf
semble-t-il, rendre plus nette la place où vous enfoncerez papc-
lardement vos griffes. Eekhoud a eu raison d'ajouter, au eujct
de votre critique : Incapable d'un sentiment profond, d'une pas-
sion noble et féconde.
318
L'ART MODERNE
Ne le prouvez-vous pas une fois de plus dans l'article reproduii
ci-dessus? Ne vous y monlrez-vous pas uniquemenl occupé de
vous et de vos manies, défendant rageusement votre majorât de
feuilletoniste, vous disloquant pour essayer d'atteindre le tour
spirituel, « vous dépensant en grimaces et en minauderies », et
finissant, dans un égoïste besoin de défense, par cette petite mal-
propreté : la publication d'une lettre privée, confiante et généreuse,
issue d'une âme prompte ti exagérer la gratitude et transformant
promplement en compliments exagérés les banales formules de
politesse par lesquelles il est d'usage de remercier un journaliste,
encore que mince soit le morceau qu'il vous sert. A moins
que cette lettre incorrectement divulguée, ne soit cruellement
ironique, car qui, sans sourire, peut entendre Eekboud, le puis-
sant cl original écrivain, se faisant si petit et si humble qu'il
vous dit : Vos observations et vos conteili m'ont encouragé!
Vous vous moquez, du haut de vos talons rouges, « des
petites revues à dix-sept abonnés » et des feuilles hebdomadaires
nu mensuelles (attrape. Art moderne! attrape, Jeune Belgique!)
rn lesquelles, à défaut de gazettes sémitiquement soutenues, la
jeune école défend ses idées, prêche son art, et combat le
ganachisme. En cela encore vous dévoilez votre injustice, votre
courte vue et votre incurable mauvais vouloir. Si ces publications
vaillantes ont des rédacteurs opiniâtres qui ne jouissent d'aucun
(le vos appointements, cl qui balaillcnt uniquement pour l'hon-
neur, c'est qu'ailleurs « leur art est sans trêve insullé, vilipendé,
moqué, ou demeure incompris » jusqu'au jour oS (c'est encore
Eekjioud qui parle) « quelque flgariste prête ses lunettes â votre
myopie ». EU quoi que vous en pensiez, on les lii. Monsieur, et
rcs revucttes font leur Irouée, du moins si l'on en juge par la
dépression des routines qui vous sont chères, et par votre
sourde fureur contre elles.
Néanmoins, il sérail lemps encore pour vous d'honorer votre
vicilKisse en changeant d'allures. Vous devez en avoir le pressen-
limcni, cl pcul-élre le désir, puisque vous avez, à l'improvisle et
h la générale slupéfaclion, couronné la Princesse Maleine. Per-
suadez-vous que le respect des jeunes pour qui les aide dans
leurs difficiles efforts, vaut mieux que les coquelages et les
l>amoisons des pimbêches du beau monde. Cessez de faire le
galaniin, renoncez aux lauriers de Bellac et à la plaisante gloire
ilu gros Sarcey, ce roi d'Yvetot au pays des lettres. Tâchez de
voir, enfin, qu'il y a un admirable mouvement littéraire en
Belgique, enveloppé encore de beaucoup de gangue, certes,
mais où de purs filons apparaissent incessamment, et qui, dans
son ensemble comme dans chacune de ses tentatives, mérite
la plus bienveillante, la plus attentive, et, surtout, la plus
confiante critique. Prenez tout cela au sérieux, très au sérieux,
et vous verrez voire sort changer. Ce sera fini des tracasseries.
Car ce que ces artistes demandent, ce n'est pas l'aveugle et per-
pétuel éloge, mais la croyance en leur bonne foi, en leur enthou-
siasme, en leur volonté désintéressée de bien faire et de doter
notre pays d'une littérature autochtone el brillante. Ne vous
sentez-vous pas misérable d'avoir appris (un de vos collabora-
teurs vous l'écrivait récemment d'Angleterre) que cette efferves-
cencc éionnantc cl louchante de nos jeunes artistes frappe et
séduit la critique étrangère, tandis que la vôtre s'obstine sénilc-
inenl à la nier cl se borne à lui faire de temps â autre l'aumône
lie quelijucs dragées accompagnées en sourdine d'ineptes el véné-
neuses réserves?
riKCIDENT lAETERUNCR
Sous le litre « Cn Refus », la Nation a publié un excellent
article (il est de Victor Arnould). Nous le reproduisons comme
document à conserver du petit événement qui marque une étape
nouvelle dans le régime de l'art en Belgique.
' « La oommission chargée de conférer tous les trois ans une
récompense aux jeunes littérateurs, avait, comme on sait, accordé
la couronne officielle de feuilles de laurier cousues sur carton
vert, i M. Maurice Maeterlinck. Jusqu'en rhétorique, il jr a des
distributions de prix tous les ans dans toutes les inslitalioni d'en-
seigpcment du royaume. Cela se fait solennellement, en pn^senee
des autorités et avec de la miisique. L'amour de là gibire pénètre
ainsi les générations nouvelles, qui la voient, dès leurs jeunes
ans, ceinte d'une écharpe et prononçant par la bouche d'hommes
graves des discours longs el solennels auxquels pleurent les
mamans dont l'excuse est de ne pas les comprendre.
« El les trompettes de la renommée, qu'on voit sur tous les
monuments, sonnent dans les fanfares du corps des pompiers.
C'est tous les ans une superbe moisson de distinctions que recol-
lent d'innombrables jeunes gens, il qui l'on d,it qu'ils sont l'espoir
de la patrie.
« Mais une fois la rhétorique passée, et vu probablement une
importance plus grande qu'on leur reconnaît, ce n'est plus que
tous les trois ans que l'on consacre les jeunes littérateurs, en
votant dans le sein d'une commission composée de personnages
mi:trs el eux-mêmes décorés, une somme d'argent qu'accompagne
un brevet, cl que, d'ordinaire, suit la croix d'honneur. Quand on
a passé par là, et qu'on est poète et littérateur lauréat, on peut
écrire désormais tout ce qu'on veut, on reste consacré et on a le
droit de figurer dans tous les recueils officiels de littérature.
« On n'a plus besoin d'être lu, parce qu'ona un nom recommandé
par le Moniteur sous le sceau cl la garantie de l'Etat, et qui aura
sa place étiquetée à côté des autres noms illustres dont le pays
s'honore officiellement. C'est déjà presque comme si l'on était de
l'Académie, de l'une des deux, la française ou la flamande ; car
notre pays possède deux renommées, l'une en français, l'autre en
flamand, ayant chacune « sa langue véhiculaire propre ».
« Mais si les Académies u'apparaissent peut-être encore que dans
le lointain, au moins les lauréats feront-ils immédiatement partie
de l'une ou de l'autre de ces autres commissions, sans exception
du reste déjà illustres, el entre lesquelles est partagé tout ce qui
« concerne » les Beaux-Arts, les Lettres et les Scieneà. Ouvrez
un Annuaire du royaume, el vous les verrez s'étaler les uns der-
rière les autres, ces commissions, ces conseils, ces classes des
aris el des lettres, avec directeurs, vice-directeurs, secrétaires cl
membres, où tous nos grands hommes sont collectionnés, chacun
dans sa case, avec numéro d'ordre et titre spécial à l'admiration
des contemporains.
« On né parle pas de la postérité. Quand un homme illustre de
l'une des classes meurt, il est remplacé par un vivant désigné
comme tel, mais tous les vivants forment l'armée officielle de la
gloire. Entre eux, ils en occupent tous les rayons comme des
abeilles vigilantes — plus vigilantes que laborieuses — cl sous la
haute surveillance de cette grosse abeille qui est l'Etal. C'est la
haute police de la gloire du royaume, ces académies et ces com-
missions, el de grade en grade, depuis l'école primaire, tout cela
monte el se complète, cl par une sélection naturelle écarte succès-
<
■T'v^'^^- ■ 'f
• m9
sivemenl loul ce qui n'est pas conforme el taillé sur le patron
accepté et rwonDO. Car ks patrons ebangeni, et de période en
période ils se renouvellent. Les Académies elles-mêmes ont leurs
modes lentement modifiées, et déjà ossifiées aussilél qu'elles se
modifient. Mait il n'y en a jamais qu'une qui prévaut à la fois,
avec une r^gle et une loi où sont pris et engrenés les œuvres et
les hommes.
« Et l'immense et multiple macbine fonctionne ainsi depuis plus
d'an demi-sièclç, «'assimilant tout ce qui peut lui servir, mSehant
de ses dents pesantes les travaux et les esprits, les digérant en
SCS boyaux énormes et vingt fois repliés sur eux-mêmes, et pro-
duisant, Il basse pression continue, de l'illustraiion et de la con-
sidération sans fin, qui s'élèvent circulaircment en Iropbée
national, et forment ce temple historique de l'immortalité Offi-
cielle autour duquel bourdonnent désormais 'tontes les mouches
de la renommée. On a parlé d'élever un Panthéon an sommet du
plateau de Koekelberg. Qu'on le fasse de cette forme arrondie et
majestueuse, avec des étages superposés, où toutes les commis-
sions et toutes les classes auront leur cercle, symbolisant la fécon-
dité nationale au repos.
a Au fond, c'est dans cette police de la gloire avec alignement
fixe qu'on invitait Maelrrlinck à entrer, pour en faire l'un des
piliers de l'art consacré, el qu'on pourrait opposer désormais
viclorieusement à toutes les critiques, comme la preuve vivante
pour l'art officiel d'une puissance d'assimilation qu'on ne lui
soupçonnait point.
« Mais Maeterlinck ne se laisse pas faire, ifn'a point envie de
se prêter k cette absorpiion par laquelle on l'engluait de flatterie
pour l'avaler ensuite plus facilement. Maeterlinck refuse la
distinction triennale.
« Il est malheureusement certain que l'Art et les Lettres se
treuvent aujourd'hui dans noire pays entre deux ennemis-nr^s
également redoutables, et d'autant plus redoutables qu'ils sont en
glande partie inconscients du mal qu'ils font : d'un cété, l'énorme
Amehinc administrative, aveugle, sourde, endormie, incapable de
recontiaftre ou de juger par elle-même aucune œuvre, el qui
n'attire à elle et ne récompense que ce qui lui tombe sous la
patte, an hasard, à moins que, comme pourMaelerlinck, elle se
brûle les pattes en voulant y toucher, — el de l'antre côlé une
criiiqtie généralement malveillanie, de vue basse, d'esprit
hostile, &pre & détruire tout ce qu'elle ne réussit pas k ravaler èi
son niveau el k faire rentrer dans les catégories dont il est
défendu de sortir, sous peine d'être exposé aussiioi k l'animad-
version universelle. « L'ami du genre humain n'est pas du tout
mon fait »,' dit Alcesle; "
« Mais, chet nous, c'est l'ennemi du genre humain qu'on
devient, pour Ipeu qu'on ne consenie pas à parler, à penser en
troupeau, en bande enrégimentée et soumise, où quand l'un saute
au hasard du caprice, tous les autres suivront, brebis galeuse
devenant celle qui veut regarder seulement où elle tombera.
« L'A ri moderne cons'ate une fois de plus cet immense travers
belge, cl en profile pour rééditer quelques paroles de Baudelaire
et de Proudhon qu'il est toujours bon d'enlendre. « En Belgique,
« disait Baudelaire, on ne pense qu'en bande. En Belgique, le
« grand crime est de n'être pas conforme, n Et Proudhon disait :
« On n'est pas l'homme d'une idée, on ne connaît plus d'amis
« quand on écrit dans une feuille belge. »
« Et cela, malheureusement, est vrai, non seulement en art
el en lilléralure, mais plus encore dans la politique.
« A qvi, daoe la politique, est-il permis de penser el de parier
comme il pense, du moment qu'il cesse « d'être conforme » ?
C'est une lutte de tous les jours, un combat sans trêve jusque dans
les moindres choses, et l'on a tout le monde pour ennemi déclaré,
ou pour ennemi caché, ce qui est pis encore.
« Quelques-uns au moins résistent, et, quoiqu'il doive leur en
coûter, ne consentent pas k être « conformes », triturés, chylifiés
et propres k la digestion commune.
« Maeterlinck est de ceux-lk, et il a la force profonde k qui il
suffit de reposer sur elle-même pour ne pas pouvoir être entamée.
Orgueilleusement, il veut avant tout rester lui, se réfugiant en lui-
même d'autant plus éperdument que ce vain el vide. décor exté-
rieur cherche k le distraire et k le détacher. C'était une sotte idée
de vouloir « banaliser » Maeterlinck en l'embrigadant dans l'épi-
corie nationale. M. Maeterlinck refuse le bâton de réglisse d'hon-
neur. Quand il rêve d'étoiles, ce n'est pas d'étoiles de papier
peini. »
Si la Nation s'exprime avec celle mesure et cette justice, par
contre la Chronique déblatère avec rage : il parait que Théo
Hannon espérait avoir le prix de litléraiure dramatique triennal
pour une de ses revues de fin d'année.
Mais k la Réforme le pompon. On sait si Maurice Maeterlinck
qui avait publié sa Princesse Maleine k petit nombre el ne l'avait
donnée qu'k ses amis, pouvait s'attendre, après un an d'obstiné
silence chez nous, k l'article enthousiaste el révélateur d'Octave
Mirbeau dans le Figaro. On sait que jamais écrivain n'a plus
évité le bruit et s'csi, plus k l'improviste, vu mis en éclatante
lumière. On sait, enfin, que la Belgique devrait s'honorer de celle
pureel^jwdeste gloire reconnue d(<sormais dans tous les pays
de race européenne.
Or, voici comment un malheureux Iraile l'homme, l'œuvre, et
l'action très pure qu'il a accomplie :
« M. Maurice Maeterlinck vient de refuser lapageu? cment le prix
Iriennal de lilléralure dramatique qui lui avait été décerné sur la
proposition de M. Gustave Frédérix. Les prix officiels sont choses
qu'on peut subir sans crier, k la rigueur. M. Maeterlinck aime
mieux faire un peu de bruii. Ali! il entend la réclame, ce
GAILLARD LA. »
La Réforme se dit un journal avancé. Comme le gibier alors.
Voici comment Maurice Maeterlinck, k la demande de M. Hun I,
le promoteur de l'Enquêlesur l'évolution littéraire, explique son
refus du prix Iriennal. C'est bien comme nous le disions, non pas
une affaire perfonnelle, mais une protestation au profit do l'.irt
littéraire nouveau en général, dans un pays où on l'a systématique-
ment sacrifié k la rouiine, sauf les rares exceptions dictées p,Tr
l'inlérêt et qui pousfcnl les ganaches k se prémunir de temps k
nuire, par d'apparentes concessions, conire les conséquences d'un
exclusivisme Irop crianl. Histoire de se procurer un sauf-condi ii.
Maeterlinck n'a pas voulu leur laisser le bénéfice de cette malice
cl leur a fourré le nez dedans. C'est parfait. Fallait pas qu'ils
aillent.
Les grands journaux de Paris reproduisent celle Icllrc qui
mellrale public liiléraire parisien au courant delà siiuation faiie
depuis si longtemps b notre jeune école, la seule dont ils s'occu-
pent el que chez nous on gouaille habilucUemenl, quand on ne
l'insulle pas.
320
L'ART MODERNE
Oostacker, par Oaud, 30 septembre 1891.
Mon cher Huuet,
Vous me demandez pourquoi j'ai refusé le prix de littérature
dramatique qui m'a éié décerné par l'Académie de Belgique.
Je ne veux pas qu'on attache la moindre importance à un très
médiocre événement, mais pour vous faire connaître les motifs de
ce refus, il faudrait faire toute l'Iiisloire de nos luttes depuis dix
ans ; il faudrait vous dire tout ce qu'ont souCTert mes aînés pour
avoir essayé de rendre un peu de dignité et un peu de vie à la
littérature d'un pays où l'on avait perdu l'habitude de penser; il
faudrait vous dire tout ce qu'ils ont souffert de la part de ceux qui
espèrent aujourd'hui qu'une aumône nous fera oublier le^^Mssé.
Il faudrait vous dire ce que c'est que « f trnrfrfmfr royale de
Belgique ».
Ce serait bien triste et bien ennuyeux.
Il faudrait vous montrer l'invraisemblable palmarès officiel de
la Belgique, et vous verriez que je suis moins dégoûté que je n'en
ai l'air.
Quant à l'écho du Figaro que vous m'avez signalé, il parle d'un
prix de 15,000 francs. C'est une erreurjj'ignorequel est au juste
le montant de mon prix triennal. (<i.^T il n'y a eu jusqu'ici qu'une
tentative de couronnement). Mais il paraît qu'il s'agit en général
d'une somme de cinq à six cents francs. — On pousse parfois les
choses jusqu'au chiffre royal de quinze cents francs, m'assure-l-on.
Enfin cela importe peu; mais avouez, mon cher Huret, qu'un
pays se donne ainsi assez économiquement de petits airs de
Mécène qu'il est utile de décourager.
Bien cordialement vôtre,
Maurice Maeterlinck.
LA QUESTION DES MUSÉES
Monsieur le Rédacteur,
J'ai suivi avec intérêt la campagne Ai l' Art moderne canin
les directeurs et administrateurs de beaux-arts qui sont la honle
de l'art belge. A propos des achats de tableaux modernes, faits
jusqu'ici de la façon la plus déplorable, la plus injuste et la plus
ignare, il m'est venu une idée. Peut-être l'approuverez-vous. Au
lieu de laisser acheter les tableaux par un groupe impuissant de
vieux bonzes, ne vaudrait-il pas mieux charger de ces achats
trois artistes de haut mérite, d'une probité incontestable, et
nommés par les artistes eux-mêmes? Des Mellery, des Meunier,
des Eekhoud , par exemple. Ceux-ci achèteraient sous l«ur
responsabilité morale et, certes, ne laisseraient pas pénëlrcr des
croûtes ou des infamies dans les musées, car ils lieQacDt à leur
honneur d'artiste — plus que les fonctionnaires incapables qui
ne tiennent, eux, qu'au budget et dont la soleanclle et hideuse
bêtise gâche actuellement Salons et Musées. Faire reconnaître ce
qu'il y a d'artiste dans une génération jeune par quelques
gratte-papier qui ont troué pas mal de ronds-de-cuir, me semble
une chose anormale. Des artistes, peintres, sculpteurs, écrivains,
seuls le peuvent.
Votre dévoué,
E. D.
EXPOSITION DB GRAVURE i U SiTB
(Correspondance particulière de l'Art MODIMb)
L'Exposition du Nederlandsche EUcliib, cellt Jeune et floris-
sante société de peintres-graveurs hollandais, Mt brillante, très
brillante celte année. Cette cinquième expoiilioQ a lieu dans
l'excelleole salle du Cercle artistique de La Hfye, où un jour
parfait tombe sur lea fianneaux arrangés avec |Oût.
Comme dJialMtude des artistes étrangers ont élé invités : plus
de jiA(!( œuvres de Bracqaemond représenlept la talent un peu
hautain de cet artiste rompu i tous les procédât. De Félix Bnhot,
sept épreuves, vues do villes, fronlispicet, inlérieurs, variés,
travaillés, fouillés, toujours plein de cfaamw, |)« Mai7 Caïaatt, la
délicate artiste américaine, l'élève de Degw» VOB primeur : ses
pointes-sèches et aqua-teintes imprimée) en eouleurs, exquises
de tons mineurs, au dessin délicieusement MOti et d'un style
superbe. Desboutin a envoyé ses magistrplM pointes-sèches, son
Homme à la pipe et de hautes inierpr^MlioDS de Rembrandt et
de Frans Hais. Plus de vingt Henri Guérard montrent cet arlisle
chercheur sous tous ses aspects, épuiatnt tous les procédés. Du
très intéressant Max Klinger, des gravurat au burin admirables :
citons Mire et fnfanl, le Pkilotopht, le Paysan, Integer vilœ;
celles-ci de ses plus récentes œuvra*, faites ti Rome la plupart, et
intensément suggestives; merveilieuaea souvent comme mise en
page et comme expression.
Et de petits envois, mais irêf remarquables, de Keene, de
Slauffer Bern, de Menzel, de Qpadrelli, de Fantin Làtour.
Parmi les membres de la soeUté, beaucoup manquent ii l'appel.
Par contre, d'autres ont de* «mois hors ligne, spécialement Bauer,
qui expose une quaranlaii* de dessins, d'eanx-fortes, de lithogra;
phies ; parmi ces deraj^rM deux illustrations pour la Légende de
Saint-Julien V HospitaUer ■* deux œuvres qui montrent ce que
pourra devenir la luiu de dix ou quinze planches qu'il se propose
d'exécuter pour MMOupagner ce conte. Deux ou trois dessins
sont de purs cbafHl'oenvre : des vues de Stamboul, exprimées
avec une rare ioleniilé de sentiment, comme la plupart dea eaux-
fortes de cet artiste si hautement apprécié par ses confrères et
que le dernier Salon des XX z fait connaître au public bruxellois.
Du grand peintre qui vient de mourir, Bosboom, de splendides
desaittS, d'une jeunesse de faire stupéfiante pour un peintre de
10 ans.
De Jan Toorop, six ou sept dessins, légèrement rehaussés de
teintes mates, dont un superbe, d'un grand sentiment et d'un
art raffiné.
Une série d'eaux-fortes de H»" Elha Fies et Barbara van
Houlen. De celle-ci une admirable planche d'après Dupré, bien
supérieure à la planche d'après Rousseau de Bracquemond. De
nombreuses œuvres de Koster, des dessins de van Looy, de
Karsen, de van der Valk, des cuivres violemment mordus de
Verster, de très intenses portraits de Jan Velh, des lithographies
fouillées d'un art caractériste très remarquable; et une suite de
délicates petites pointes-sèches, études de figure et vues de
rivières hollandaises de Ziicken.
f^ETITE CHR0|<1QUZ
Quelques revues nouvelles, auxquelles nous adressons les
vœux d'usage, marbrent de tons orange, céruléen, chamois, les
i:art moderne
321
(ables de rédaction submergées par l'accutnulalion des brochures,
volumes et gazettes apportées durant les mois de vacances par
des facteurs inflexiblement rivés au dévoir.
C'est, d'abord, le Recueil liltéraire publié k Montréal sous la
direction de M. Pierre Bedard. Sur It manchette : Religion, hii-
loire, écotwmie sociale, littérature, tcitncet, beaux-arts, biblio-
graphie. Mensuel, 24 pages; bureaux : imprimerie Grenier, rue
Notre-Dame, 3069. On s'y plaint de 1' <(',indifférenlisme » litléraire
au Canada. Comme chez nous, alors! — En oe même Canada,
parait depuis juillet la Science pour tout, revue scientifique
dirigée par H. Meyer. Livraisons de 16 pages le 8 et le iO de
chaque mois. Bureaux : rue Saint-Vincent, 38.
Puis, à Montpellier : Chimère, revue mensuelle de litléralure
et de critique, sous la direction de M. Paul Redonnai, dont un
volume de poésies, Liminaires, a été édité récemment par
Lacomblez. Les deux numéros parus portent, entre autres, au
sommaire, les noms de P. Verlaine, Géo Mauvère, René Ghil,
Stuart Merrill, i. Renard, P. Dévoluy, Edouard Dubus, Léon
Deschamps, etc. Rédaction : cours Gambetia, 82, Montpellier.
Abonnements : 8 francs par an.
Enfin, à Bruxelles, la Libre Critique, revue d'art et de littéra-
ture paraissant le dimanche sous la direction de M. Eugène
Georges, pseudonyme d'un musicien-amateur qui signa dans
l'Impartial bruxellois d'intéressantes chroniques musicales et
artistiques imprégnées des idées nouvelles. Nul doute qu'entre ses
mains la Libre Critique combatte vaillamment à nos côtés pour
les idées de réforme et de progrès. L'importante élude consacrée,
dès le premier numéro de la Revue, it Vincent d'Indy (signature :
Henry Eymieu), marque nettement d'ailleurs l'esprit du journal.
Les bureaux sont établis rue Souveraine, 37, à Bruxelles. Le
prix d'abonnement est de 8 francs pour la Belgique, de 40 francs
pour l'étranger.
M. Maurice Leenders, directeur de l'Académie de musique de
Tournai, vient d'atteindre sa vingt-cinquième année de directoriat.
On fêtera solennellement, aujourd'hui même, ce jubilé.
Un grand banquet par souscription réunira les amis, les colla-
borateurs, les admirateurs de l'ariisle qui s'est acquis, tant comme
virtuose que comme professeur et comme directeur de l'Académie,
d'universelles sympathies. Un objet d'art sera offert au jubilaire
en commémoration de cette féie, i laquelle assisteront nombre
de notabilités artistiques du pays et de l'étranger.
Dédié a notre CoMMissroN du Musée : Il y a cinq ou six ans,
dans un musée de Séville, une tête de saint avait été enlevée d'une
tollé de Muriilo, sans que personne s'en fût aperçu. On retrouva
ia tête, quelque temps après, en Amérique, chez un marchand de
bric-à-brac. Elle a été replacée soigneusement sur la toile, qui est
redevenue l'objet de l'admiration des visiteurs du musée.
De M. Henry Maret, dans le Matin (document à conserver) :
« Je ne suis certainement pas suspect de tendresse pour le
wagnérisme. Je le considère volontiers comme une maladie fin
de siècle, ou, si vous le préférez, comme une fumisterie analogue
au boulangisme. Wagner m'apparalt comme un Boulanger de la
musique, entraînant par son outrecuidance, amassant des badauds
qui applaudissent sans comprendre, prétendant, ainsi que le singe
de la fable, montrer le ciel et les étoiles, et finalement ne mon-
trant rien du tout, faute d'avoir éclairé sa lanterne.
« Hais je reconnais que le meilleur moyen de faire durer
longtemps celle mauvaise plaisanterie est l'opposition qu'on lui
fait. Quand je pense que ce vieux fou allemand partage la France
en deux camps et qu'on se bal !i Paris en son honneur, j'avoue
que je me sens moins fier que les jours où je regarde la Colonne.
Mêler une question de patriotisme à cette question de ré, mi, fa y
soi, n'est pas sans rappeler la querelle des gros bouliens et des
petits boutiens, dans les Voyages de Oulliver. »
Ah ! le pauvre homme ! Catulle Mendès dit : Lohengrin, cygne
hué par les oies.
La réouverture des cours de l'Ecole de musique de Saint-Josse-
len-Noode-Schacrbeek, sous la direction de M. Henry Warnots,
aura lieu le lundi 5 octobre.
Le programme d'enseignement comprend le solfège élémen-
taire, le solfège approfondi, l'harmonie, le chant individuel et le
chant d'ensemble. Tous les cours sont graluils. L'inscription des
élèves aura lieu, à partir du 5 octobre, dans les locaux de l'Ecole,
savoir :
Pour les jeunes filles, le jeudi après-midi et le dimanche malin,
rue Royale Sainte-Marie, 452, à Schaerbcck; ,
Pour les garçons, le lundi, le mercredi et le vendredi, à six
heures du soir, rue Travcrsière, l.S, à Sainl-Josse-len-Noode ;
Pour les adultes (hommes), le lundi et le jeudi, à huit heures
du soir, rue Traversière, 15.
Instantané du OU Bla,s : M™ Rose Caron.
« Un paquet de nerfs et une admirable anisle. Les traits trou-
blants en leur élrangelé tragique. Des yeux qui luisent comme
des étoiles dans un pâle crépuscule automnal. Pas banalement
jolie, mais se transfigure, s'imprègne de sonilègcs, rayonne à la
scène comme si la musique l'apoihéosait. Semble, avec sa voix
chaude, émouvante, avec cette beauté fatale de reine perverse ou
d'ensorceleuse légendaire, avec son art de décadente où palpitent
les grands frissons de la vie amoureuse, avoir été élue pour être
tour à tour l'héroïque Walkyric et Brunehilde et Salammbô et
Eisa. A commencé par n'être qu'une pauvre petite ouvrière qui
gagnait de misérables journées. Porte encore le sceau des souf-
frances anciennes sur son pâle et souffreteux visage. Vit très
tranquille dans l'ombre, se donnant presque tout entière â cet art
qui est sa plus grande joie, son unique rêve. Pourrait s'appeler
« Cœur Dolent » comme la mère et l'enfant héroïque qui apporta
le pardon de Dieu dans le sanctuaire du Graal.»
Que de fois, ici même, alors qu'elle en était, à Bruxelles, au
début de son bel art et que nous la nommions la Rachcl du
chant, nous avons dit à la grande artiste : Laissez donc le vieux
répertoire; seul le théâtre de Wagner est digne de vous et vous
fera monter au plus hauts sommets. — Elle doutait alors, elle
hésitait. N'était-clle pas élève du conservatoire? Mais la voici
délivrée, sauvée comme la Walkyrie.
ENCADREMENTS D'ART
ESTAMPES, VITRAUX & GLACES
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LA GAZETTE DE LA BOURSE
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Bulletin financier de la Bourse de Bruxelles. — Bourses étrangères.
Articles spéciaux. — Renseignements. — Tirages.
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Le numéro : 86 centimes.
Dimanche 11 Octobre 1891.
L'ART MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
RBVDE CRITIQUE DBS ARTS ET DE U LITTÉRATURE
Comité de rédaction i Octave MÀUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. — ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser toutes les communications à
l'administration générale de TArt Moderne, rue de rindustrje, 32, Bruxelles.
?
OMMAIRE
Les « TALRNTS NAISSANTS » DE M. OuSTAVE FrÉDKRIX. — QUELQUES
rtficHES AD Musée. — Les petits papiers de M. Fhédérix. —
Le Royaume des Feumes. — A propos d'un musée de copies. . —
L'Eternelle histoire. — Mémento des expositions. — Petite
chronique.
les (( talents naissants »
IDE i^. O-XJST-A.'VE FRiÉDÉieiX:
Mon Cher Confrère,
Je ne vous lis guère. Ne croyez pas à de l'indifférence :
la vôtre pour le miracle d'une littérature se produisant
chez le peuple le moins littéraire du monde est un cas
trop curieux et qui bien plutôt me passionnerait. Ma
confraternité, toutefois, pour se former une opinion du
talent que les salons vous prêtent, attendait une œuvre
de vous où ce talent se fût authentiquement dénoncé.
Leparfilagequi constitue l'usuel fond de votre critique,
le travail de Pénélope qui vous fait recommencer sans
trêve les pantoufles que vous brodez à votre gloire, les
freluches dont vous amusez votre désœuvrement litté-
raire, ne peuvent entrer en ligne de compte. Mais vous
avez, à travers une maturité indiscutable qui vous vaut,
comme à Sarcey, nos respects, la jeunesse incurabje.
C'est peut-être le secret de ce livre lent à venir et dont
vous nous ménagez indéfiniment la su"^rise.
Il m'est arrivé l'autre dimanche de rencontrer mon
nom en une ligne de vous reproduite parfAr< moderne,
une ligne où, à' propos du " talent naissant » que vous
m'accordiez à urte époque où j'avais fini de débuter, ce
nom est enfilé négligemment avec quelques autres. Ma
parcimonieuse gratitude, en effet, se souvient d'un
article un peu lointain déjà sur celui de mes romans où
vous fûtes à peu près seul à vous apercevoir de cette
particularité de - mon talent - quand à Paris et ici, chez
mes cadets, depuis passés maîtres à leur tour, ce
roman [un Mâle] me valait une sympathie qu'on n'est
pas accoutumé d'accorder à des écrivains encore dans
les langes. C'est votre originalité à vous de ne découvrir
sans restrictions des écrivains que là où l'originalité
fait justement défaut, et pour ceux qui ont acquis
l'espoir de s'en croire un peu, de la restreindre en de
telles limites qu'elle cesse à peu près d'exister. ,
Votre article sur le Mâle, cette prose bifide et
rétractile, du plus réticulaire éreinteraent et où, du
bout des pincettes de votre critique, vous aviez l'air de
me déposer à la voirie, témoignait de votre façon
d'encourager « les talents naissants ». Et vraisemblable-
ment, j'en devais être un plus encore que vous ne vou-
liez le dire, pour si bien mériter l'aigre-doux d'un
^r.-7*,'.T -r.';. 'sw-'vÇ^- ïî 1' ■■ .
jugement au bout duquel, sous cet enterrement de pre-
mière classe où vous m'aspergiez d'un goupillon fréné-
tique, je finissais par n'être plus qu'un talent mort-né,
un pauvre talent qu'on mène pourrir aux charniers de
l'indifTérence et du dégoût publics.
Le •> talent naissant » ressuscita, il est vrai, dans un
article sur La Belgique.
Ah! y déploriez-vous assez l'excès de ma couleur
et les riboles de mon style, vous qui, fidèle uniquement
aux malvacées, tempérant jusqu'en votre goût des séda-
tives tisanes, préférez vous enivrer de sobriété! — puis
à propos de la pièce tirée du Mâle par Bahier, Dubois
et moi, dans un recommencement, mais plus conges-
tionné encore, de votre démolissage du livre. Vraiment
oui, vous fûtes à mon égard un fossoyeur diligent; les
pelletées lourdes de vos encouragements tombèrent sur
mes livres sans les enterrer.
A part ces sécrétions de votre bienveillance, je ne me
rappelle pas d'un seul écrit d'où puisse résulter la con-
fiance que j'aie continué d'exister pour vous.' Après
tout, n'était-ce pas déjà bien suffisant, cette charité de
votre parainage, pour un écrivain dont les amis, il y a
trois ans, fêtaient, à l'occasion de son vingt-cinquième
livre, le jubilé de vingt-cinq ans « de luttes et de vic-
toires », ainsi qu'ils, s'exprimaient, trop avantageuse-
ment pour moi ?
Ah ! comme cet enthousiasme d'artistes généreux a
dû vous paraître ridicule à vous qui, le Jeune premier
de notre vieille littérature constitutionnelle, différez
toujours de débuter 1 Allez ! je vous envie toujt de même.
Tout le monde, à travers un demi-siècle de feuilleton,
n'a plus les dents qu'il faut pour rire. Et vous avez tou-
jours, vous, la petite grimace acide du singe mordant
dans le brou d'une noix !
Je vous surprendrai probablement, mon cher Con-
frère, en vous apprenant qu'avant le Mâle, j'avais écrit
Nos FlMïiands, les Contes flamands et wallons, le
Coin de Village, Thérèse Monique, les Charniers,
et que, même pour plus d'une de ces œuvres du com-
mencement, mes aines m'épargnèrent l'ironie de ce
• talent naissant » que plus tard vous deviez tenir sur
les fonts baptismaux. Vous n'étiez pas obligé de le
savoir : n'étais-je pas un de ces écrivains belges de qui,
avec une merveilleuse et immuable impertinence, il vous
a suffi à vous, toujours si bavard et melliflu aux mérites
de vos plus éventés confrères parisiens, de parler comme
à la cantonade, avec le mépris d'un pion pour de négli-
geables cancres? « Talents naissants! • Ah! Monsieur,
c'est admirable : vous les prenez, vous, vers la tren-
taine, vous leur apprenez à têter quand déjà les molaires
leur ont poussé. Peut-être espérez-vous rajeunir ainsi
vous-même l'air de vieille douairière précieuse et cail-
lette qui fait remonter votre esprit à l'âge des ridicules
et des marabouts.
On m'assure que vous donnez plus large mesure
aujourd'hui et que, comme le fruit, votre critique s'est
attendrie en blettissant.Quoi ! vous seriez devenu ce bon
apdtre I Vous mêleriez l'eau bénite à vos verjus ! Ce
serait à désespérer de l'encroûtement. Je ne veux pas
croire à cette faiblesse m extremis du vieux pécheur,
et souhaite pour l'intérêt des lettres chez nous que vous
restiez le contempteur pétré et irréductible, le critique
d'arrière-garde dont nous n'avons jamais vu que les
talons, l'officier civil préposé aux naissances des talents
déjà adultes, le cocher de corbillard de notre littéra-
ture ; oui, je le souhaite, vos dénis nous étant, après
tout,^lus profitables que vos suffrages. N'est-ce pas à
la condition de les écorcher avec libéralité que vous
conférez l'eau lustrale à ceux d'entre nous en qui
votre clairvoyance continue encore à diagnostiquer des
•• talents naissants •. Ah ! cessons d'outrager Sarcey : il
fut bon oncle quelquefois.
Je m'occupe ici d'un cas personnel. Encore ne m'y
décidé^je que dans ma joie immodérée de me retrouver
vivant en une ligne de votre écriture. D'antres se sont
chargés ici de réduire à sa vraie importance votre
consternant et vain effort pour nous maintenir sur la
chaise percée du premier âge littéraire. Félicitez-vous,
Monsieur, de ma mansuétude ; j'aurais pu, à propos de
cette découverte de mon "talent naissant >• dont vous
vous vantez trop légèrement, le prendre de plus haut
avec vous et recommencer la querelle qùé.'plus jeune,
je fis à un autre critique belge qui, je crois, n'eut pas les
rieurs de son côté. Je me réjouis d'être arrivé à un peu
de la sérénité de l'indifférence que vous réservez aux
écrivains qui ne vous ressemblent pas. A quoi bon,
d'ailleurs ? Les livres parlent mieux que le mal qu'on en
dit et la défense qu'on en peut faire. Puis, n'est ce pas,
il ne faut abuser d'aucun genre de supériorité, bien que
la vôtre, au sujet de nos livres, ait un peu tumultueuse-
ment consisté à montrer l'écart qui règne entre nous
qui en faisons et vous qui n'dn fiâtes pas.
Vous avez, en effet, mon ohtt* Confrère, le silence
envahisseur et turbulent ; vous Ates le muet bruyant du
sérail. C'est votre force de n'avoir rien écrit qui puisse
faire soupçonner que vous soyez capable d'écrire à votre
tour. Après des ans de laborieuse indigence littéraire il
vous échéera la gloire finale de vous en aller plein des
livres que vous n'avez pas écrits. Vous êtes bien heu-
reux : vous laisserez le regret de ceux qa6 vous auriez
pu écrire.
CAMILUt LbHONNIBR.
QlELQUeS FLÈCHES AD IDâfifi
On a fait graocl brnil jadis autour de l'acquisition par l'ËUl des
Ttte* de nègre* de Rubeos. El, ceffMI^ eeUe élude si moderne
malgré — dit-on — ses deux siècles «nge, ébioait par sa facture
■"i'!Ji?M^r'i?V;W>
LART MODERNE
325
el sa consenalioD. Si elle est de Rubens, c'est au mieux, et ne le
fût-elle, encore serait-ce une toile superbe et en tout point digne
d'une galerie. Seulement,' puisque cette toile a été payée haut et
que depuis des temps, tout achat par notre Musée est pécuniai-
remenl excessif, il importe de vérifier celui-ci comme les autres.
Nais disons d'abord que noire étonnement a été net, de voir
récemment en des musées d'Allemagne et d'Angleterre quelques-
unes de nos toiles appendues aux cimaises. Sont-ce des copies,
sonl-ce des doubles T Qu'en est-il d'un Crucifiement cartouche à la
National Oallery ■- Patinir et d'une Vierge, cataloguée en Alle-
magne sous le nom de Mabuse ? Nos conservateurs les ignorent-
ils ? Si point, pourquoi n'en faire mention au catalogue et discuter
l'authenticité de nos chefs-d'œuvre mis en parallèle avec leurs
similaires? Pourquoi ne les point signer comme Ik-bas et se
contenter au contraire de les marquer : inconnu, ce mot tout
^'impuissance mais plus souvent encore tout d'incurie et de
paresse. La Nation faisait dernièrement ces mêmes remarques.
Chose plus grave : constater — nous l'avons fait de nos yeux —
an Musée de Cologne, dans la salle flamande, les Quatre Utet de
nigrtê, les identiques à celles de notre Musée, signées non plus
Rubens, mais Van Dyck. Encore une fois, nos conservateurs sont-
ils an courant de celte colncidenee?
Certes, n'était-il pas étrange que l'élève Van Dyck copiât un
tableau de son maître, mais une esquisse? Un tel double est
malaisé à expliquer, d'autant que c'est le panneau signé Van Dyck
qui a plus que celui, paraphé Rubens, l'aspect vieux et séculaire.
Le nôtre a je ne sais quel dehors neuf, quelle allure d'aujourd'hui.
Il pourrait être peint par Henri Regnault. Et tout ii coup, à cette
réflexion, ce qui nous le faisait tant admirer ti première vue,
c'est-à-dire sa merveilleuse conservation, sa miraculeuse fraîcheur,
sa louche toute spéciale se tournent contre lui, nous inquiètent
quant i son authenticité et sachant les gaffes commises par nos
conservateurs, l'habileté des vendeurs, l'histoire du faux Rem-
brandt, nous nous demandons si le* Têtes de nègres ont leur acte
de naissance en règle ou bien ne sont qu'une transcription du
Van Dyck de Cologne.
La question vaut-elle la peine qu'on l'examine et ceux qui s'inté-
ressent à l'an désirent-ils vivement qu'elle soit tirée nu clair,
certes.
Puisque nous voici au chapitre des achats, c'est-à-dire des
gaffes commises, pourquoi ne point appuyer sur certains points.
Sur celui-ci, par exemple :
Il est constant — nous l'avons fait ressortir en maint article —
que tel qui peuple le Musée de Bruxelles de chefs-d'œuvre (?), ce
n'est point la Commission, mais une Irinité, Gauchez, Bourgeois
el Mancino ne faisant qu'un seul... monsieur. A lui seul il rem-
place tous les membres. Leur approbation, elle lui est acquise on
dirait d'avance. C'est un eut de choses que leur ignorance el leur
paresse onl créé : fatal. Tous ces petits commissaires fainéants ont
choisi un marchand de tableaux pour maire du palais de la rue de
laRégeuee. Pendant qu'il administre, ils se réunissent, mais à seule
fiu de toucher des jetons de présence ou fumer leur cigare. L'autre
les laisse faire, les soigne, leur fournit la série d'œuvres intércs-
sanlei à eoller au mur de six mois en six mois, puis s'en retourne
à Paria compter ses bénéfices en honnête marchand cl citer peut-
être k ses collègues, comme type de bêlise humaine, tel membre
de la Commission des Musées royaux de Belgique. Si l'art n'en
souffrait, nous ne verrions aucun inconvénient à cette comédie :
les gens inaptes el nuls étant faits pour servir de fromage !i la
verqaine des habiles et des exploiteurs. Mais l'art est atteint et,
par conséquent, les réformes s'imposent. Voici ce qu'on pourrait
proposer :
La deisi-douzaine de chevaliers de l'ordre de Léopold, qui
actuellement composent la Commission, étant plaqués jusqu'à la
mort à leur chaise de membre, inddcollablsaieiit, certes, on leur
peut continuer la vanité de fournir de toiles le Musée, seulement
— et ce seulement devrait être une barrière sérieuse — ils ne
seraient autorisés à conclure un marché à moins qu'une commis-
sion de purs artistes, choisis à ce seul effet, n'appiouvassent leur
choix et la valeur esthétique de l'œuvre. L'évidence de l'authen-
ticité des signatures devrait être fondamentale pour tout panneau
d'ancien maître. Les ventes publiques fréquentées plus assidû-
ment que des boutiques de brocanteurs et les sommes mises à la
disposition des acheteurs plus larges et plus alertes.
Ainsi, y aurait-il moyen d'éviter les gaffes légendaires, la
pacotille prenant la place du chef-d'œuvre, le faux paraphe s'éla-
lanl à la cimaise et la bêtise belge logée ailleurs et étalée ailleurs
qu'en des palais, bâtis aux frais de l'Élat, pour servir d'instruc-
tion au peuple, d'enthousiasme aux artistes et de spectacle bur-
lesque aux étrangers.
LES PETITS PAPIERS DE M. FRÉDÉRIX
Quiconque, ayant di'jà été condamné,
récidivera, aubira le maximum de la
peine et sera placé sous la surveillance
spéciale de la police.
Code pénal, art. 54 et suivaDts.
Nous aurions voulu clore par l'article de Cnmillo Lcmonnicr
nos rapports avec M. Gustave Frédérix. Mais voici que nous avons
reçu la lettre agacée suivante du Bellac de l'Indépendance :
Bruxelles, le S octobre 1891.
Monsieur l'Editeur de « l'Art .moderne »,
L'Art moderne consacre de bien nombreux articles, et bien
longs, au critique de {Indépendance, tout en le déclarant sans
clairvoyance, sans autorité, sans générosité. C'est un acharne-
ment bien puéril, si ce critique, en cffcl, n'existe pas.
Je ne crois ni nécessaire, ni intéressant de répondre à ces
fébriles gamineries. Je tiens cependant à rassurer l'auteur de voire
dernier article, lequel semble bien inquiet, bien alarmé de ce
que j'aie publié une lettre de reconnaissance d'un romancier, qui
m'en a écrit bien d'autres, non moins reconnaissantes, sur
« l'aitcniionque je lui ai toujours accordée dans l' Indépendance »,
et qui ne l'empêche pas de m'injurier aujourd'hui. Il est visible
que le rédacteur de l'Art moderne a dû écrire une lettre, à peu
près de même encre, au critique de l'Indépendance.
J'ai souvenance, en effet, d'avoir reçu, après un feuilleton très
élogieux sur Mon Oncle le Jurisconsulte de M. Edmond Picard,
une lettre de gratitude de l'auteur de cet opuscule distingué, avec
envoi d'un bel exemplaire, sur grand papier, de la Forge Rous-
sel. Mais que M. Picard se rassure. Il n'est pas probable que j'aie
attaché assez d'importance à sa lettre, pour la garder. Et en tout
cas, je ne prendrai pas la p3inc de la rechercher.
Veuillez agréer. Monsieur, l'assurance de ma considération.
Gustave Frédërix.
Incorrigible, ce M. Frédérix! Il papillonne de petit papier en
petit papier.
Donc sa réponse est toujours la même ! Quand on lui met le
326
L'ART MODERNE
nez dans sa sëoilc critique, il riposte : « Eh I elle doit être
excellente, car, un jour que j'ai parlé de celui-ci ou de celui-là,
il m'a envoyé sa carte sous forme de lettre polie ; il m'a même,
une fois, donné un livre avec des images! »
Voyez-vous ça ! Avec cet ingénieux système de guerre, M. Fré-
dérix assurerait l'impunité aux fariboles dont il illustre l'Indé-
pendance. Chaque fois qu'il redoute un adversaire, vlan! il
rabâche sur une de ses œuvres, reçoit son remerclment, l'expres-
sion de sa gratitude distinguée et de sa parfaite considération, serre
le papier dans le célèbre tiroir, et attend en paix les événements.
En cela, M. Frédérix rappelle un sémite bruxellois bien connu
qui ouvrait généreusement sa bourse, mais, au moment où l'on
empochait les espèces, réclamait tout doucement un reçu en règle
qui mettait la corde au cou de l'infortuné emprunteur et garan-
tissait sa servitude. A la moindre velléité, l'excellent créancier
menaçait d'exhiber la pièce en public.
Écrivains de tout âge, vous voilà avertis! N'écrivez jamais à ce
périlleux personnage. Ses articles sont des piperies. Il ne fait pas
de gamineries, il se contente d'indélicatesses.
M. Edmond Picard ne se souvient que vaguement de ce fameux
article sur Mon Oncle le Jurisconsulte, « opuscule distingué ».
— « Il n'y a pas attaché assez d'importance pour le garder et ne
prendra pas la peine de le rechercher. » — Si ce beau feuilleton
« très élogieux » lui a été envoyé, il ne l'a peut-être pas considéré
comme un encouragement pour son « talent naissant » (l'opuscule
distingué n'a paru qu'il y a cinq ou six ans !), mais a certainement
remercié de son attention l'auteur, selon les prescriptions du
code de la civilité puérile et honnête, — voire par cette banalité :
le don d'un volume. Nous sommes heureux de l'apprendre à
M. Frédérix, dont l'ignorance à ce sujet est singulière pour un
homme du Bel-Air, et, vraiment, lui enlève quelque chose de la
bonne posture en laquelle si volontiers il se carre (1).
Ce qui est tout aussi ccrlain, c'est qu'alors même que M. Picard
aurait grossi de cent billets de politesse les dossiers que forme
soumoiscmenl M. Frédérix, gazetier très prudent, il ne se tien-
drait pas pour bâillonné au sujet de cet étrange personnage et ne
manquerait pas de dire, en toute bonne occasion, son fait à sa
critique infatuée, traître et louche. On ne vend plus sa liberté
pour un plat de lentilles, ce légume fût-il récollé dans le potager
de l' Indépendance.
Au lieu de s'attarder « fébrilement » îi ces niaiseries, M. Fré-
dérix ferait mieux d'essayer une réponse aux reproches précis
formulés contre sa myopie littéraire, ses radotages parfumés de
benjoin, son constant mauvais vouloir à l'égard de notre jeune
école et ses prétendus encouragements aux « talents naissants ».
Nous lui répétons qu'il a cherché à assassiner la jeune littérature
jusqu'au jour où il a compris, enfin, qu'il fallait compter avec
elle ou tomber sous le ridicule. Nous lui répétons qu'il ne fera
jamais prendre pour de la bienveillance et de la perspicacité sa
malice à se concilier ceux dont il hait l'art ou à paralyser leur
indépendance en les gratifiant d'un morceau de son sucre candi
frelaté.
Bien qu'il ne demande pas l'insertion de son épltre, nous la
publions pour ne point laisser perdre la mémoire des corrects
procédés de ce gentleman de lettres.
(i) Le teito de cette mystérieuse lettre serait intéressant à connaitro.
A qui M. Frédérix, ce collectionneur de documents de l'e.spèce,
fera-t-il accroire qu'il l'a égarée ? Blagueur, va !
L.E ROYAUME DES FEMMES
Pièce en 3 actes de MM. Bldm et TocHi. — Théitre des Oaleries.
Dans le royaume des femmes, celles-ci portent — vous l'avez
deviné — les culottes. Elles sont ministresses, générales, chéfesses
de bureau. Aux hommes, les fonctions subalternes de ménagers,
de bouquetiers, de piqucurs de bottines, de gantiers cl de « bons
d'enfants » ! Les femmes font la cour aux hommes, leur offrent
un petit hdtel et un coupé quand c'est pour le mauvais motif,
sollicitent respectueusement leur main quand c'est pour le bon.
En ce royaume... Mais à quoi bon conlinner? Vous avez déjà
saisi la donnée de la pièce, le ressort destiné par les auteurs à
faire jaillir en fusées le rire.
Il paraît que nos pères ont trouvé cela superlalivement comique.
Vers 1830. Mais depuis cette espèce de nuit des temps, il est
passé sur les planches tant de Grande- Duchesse de Oérolstein et
tant de Madame l'Achiduc que le ressort s'est usé. Les auteurs
ont eu beau le remonter, cric, cric, et le tendre à le briser, le rire
n'a pas voulu jaillir.
Il eût fallu pour rendre cette vieillerie plaisante la semer de
traits d'esprit, selon la recette donnée par Gondinel à un jeune
auteur pour avoir un succès certain.
MM. Blum et Toché ne l'ont pas voulu. Pourquoi T C'est ce qu'on
s'est demandé, mardi, aux Galeries. Les plus malins ont .trouvé
ce motif.: le Royaume des Femmes a été fait pour le Théâtre des
Nouveautés en vue de l'Exposition de 1889. Les traits fins, la
satire délicate, les rastaquouères accourus à Paris des plus loin-
taines Amériques pour « s'en fourrer jusque là » ne les eussent
pas compris. Il fallait une exhibition de maillots, un déshabillage
de petites femmes, un éblouissemcnl de chairs et de lumière élec-
trique, des ballets, des cortèges, du bruit, du clinquant, et ce
genre de spectacle ne s'accommode guère des scènes de comédie
bien venues, des dialogues pétillants. MM. Blum et Toché ont
donc fermé à double tour le coffre-fort aux saillies amusantes. Ils
ont laissé le costumier échancrer les corsages et supprimer les
jupes, et la cocasserie de Brasseur fils aidant, la pièce a eu un
nombre honorable de représentations.
On s'est aperçu tout de suite qu'à Bruxelles les rastaquouères
manquaient. Ce n'était pas, d'ailleurs, la seule chose qui faisait
défaut. Mesdames les artistes, se mettant avec trop d'empresse-
ment dans la peau de leurs personnages, ont remisé pour la cir-
constance, avec leurs jupes, leurs jolies voix de fauvettes. Elles
ont poussé la conscience de leurs rôles masculinisés jusqu'à
chanter aussi mal que des messieurs....
Si l'illusion en était renforcée, le spectacle y perdait singuliè-
rement en intérêt. Et le plaisir de lorgner d'agréables travestis n'a
pas paru au public une compensation suffisante. On a baillé, dis-
crètement, aux flonflons d'opérettes et de café-concert qui traver-
sent, en couplets de revue, ce vaudeville vieillot. El les petits
carabiniers, et les petits guides, cl les petits grenadiers sans les-
quels, depuis le Petit Poucet, il n'y a plus de cortège dans les
théâtres de Bruxelles, ont à peine suffi à tirer l'auditoire de la
somnolence à laquelle il s'abandonnait mollement.
LART MODERNE
327
A PROPOS D'DN MUSÉE DE COPIES
Corroborant la thèse soutenue il y a quelques semaines, dans
les colonnes de l'Art moderne, au sujet d'un musée de copies,
deux faits sont à citer :
Un prince sans goût, prétentieux et militariste, résolut, lui aussi,
de laisser dans le superbe parc de Potsdam l'empreinte du génie
architectural de «on temps. Il y fil élever le palais dit de l'Oran-
gerie, une immense horreur à plusieurs séries de colonnades et
toute bâtardée de style grec. Ce prince était le roi de Prusse,
Frédéric Guillaume IV. Dans la grande salle de l'Orangerie, hall
énorme et froid, on crut bon de réunir les copies peintes de
tous les Raphaël célèbres. Résultat : c'est à s'enfuir. Les pro-
moteurs du musée des copies seraient certains de trouver à
Potsdam le suicide de leur projet.
Mais s'ils tentent le voyage d'Allemagne, qu'ils aillent voir, à
Leipzig, le deuxième étage du Musée moderne. Celui-ci renferme
une collection d'horreurs allemandes contemporaines qui dépas-
sent les permissions.
Mais on y a réalisé le projet préconisé par VA ri moderne : une
histoire de la peinture depuis le xii« siècle jusqu'il nos jours,
formée par une grande collection d'estampes et de photographies.
C'est instructif lant au point do vue technique qu'idéologique.
A part la couleur, la photographie donne tout « le faire »; quant
à l'évolution des sujets, des genres et de la « mise en page »,
elle est parlante. Après avoir vu ce qui a été fait, l'artiste conçoit
mieux ce qui reste à tenter.
Un tel musée a été facile à créer. On a exposé méthodique-
ment toutes les gravures et estampes que l'on possédait, repré-
sentant des tableaux d'importance, et l'on a complété les vides
par des photographies et héliogravures qui coûtent peu ou que
l'on peut se procurer par échange.
Jj-ÉTERNELLE ]4l?T0IRE
A l'occasion des représentations de Lohengrin à Paris, M. André
Haurel a eu la curiosité de rechercher l'avis des musiciens et des
principaux critiques lors des représentations de Tannhàuter, en
4861. C'est édifiant. Lisez :
M. Charles Gounod répond à un ami qui lui demande son avis
sur la musique de Wagner :
— Cela m'intéresse beaucoup au point de vue grammatical.
Auber est plus net.
— C'est comme si, dit-il, on lisait un livre sans points ni vir-
gules.
Et il ajoute :
— Pour bien juger le Tannhàuser, il faut l'enlcndrc trente
fois de suite, mais on n'est pas obligé d'y aller soi-même.
Rossini recevait ses visiteurs avec la partition du Taunhàitser
sur son piano, mais elle était i l'envers, le maître prétendant qu'il
comprenait mieux ainsi.
Enfin, le grand musicien Hector Berlioz, qui lenaii alors le
feuilleton au Journal det Débati, laissait i d'Ortigue le soin
d'écrire l'article sur Tannhàuser.
Hais il s'épanche dans ses lellres. D'abord, il écrit i son fils :
« Comme je te l'ai dit, je ne ferai pas l'article là-dessus, je le
laisse faire par d'Ortigue. Je veux protester par mon silence,
quille à me prononcer plus tard si l'on m'y pousse. »
Pnis il écrit i M"« Massart, le 14 mars, lendemain de la pre-
mière :
« Ah ! Dieu du ciel, quelle représentation ! Quels éclats de rire !
Le Parisien s'est montré hier sous un jour tout nouveau ; il a ri
du mauvais style musical, il a rides polissonneries d'une orches-
tration bouffonne, il a rides naïvetés d'un hauiboia; enfin il com-
prend donc qu'il y a un slylc en musique. Quant aux horreurs,
on les a siSlées splendidement, n
Et le 21 mars il écrit i son fils :
« La presse est unanime à exterminer Wagner. Pour moi, je
suis cruellement vengé. »
Voilà pour les musiciens; passons maintenant aux critiques.
M. Jean Rousseau, aujourd'hui directeur des Beaux-Arts à
Bruxelles, s'écrie en tôle du Figaro :
Nous voilà quittes enfin du Tannhàuser, tombé de façon à ne
plusse relever!
Et parlant des brochures de Wagner où le maître, loyalement,
exposait SCS idées sur la musique, M. Jean Rousseau vaticine :
M. Wagner semble destiné à tire infiniment plus connu par ses
prospectus que par ses ouvrages.
De H. Jouvin :
On noos'assure* que M. Wagner considère le Tannhàuser
comme étant l'enfance de l'art de l'avenir... L'Evangile de la reli-
gion nouvelle, ce serait Tristan et Iseut/... Tannhàuser devait
préparer la voie à Lohengrin cl à Truian. Il est certain que si
M. Wagner réussissait à verser aux Parisiens du Suresnes pour
du Bordeaux, il pouvait espérer de leur servir plus tard du
vinaigre et de le leur faire trouver cxcollenl.
Qu'on s'appelle \e&P'iits Agneaux ou Lohengrin, on ne
connaît pas, on ne connaîtra jamais le chemin constellé où trônent
Cimarosa, Mozart, Weber, Beethoven et Rnssini.
Et M. Jouvin conclut en déclarant préférer à Wagner le Tromb-
alCazar d'Offcnbach.
De M. Albert Wolff:
La musique de Wagner, c'est une question de plus ou moins
de trombones.
Et M. Wolff raconte celle anecdote :
M. Charles Narrey, ayant rencontré Wagner sur le boulevard,
alla se précipiter dans les bras d'Aubor pour se roineiire.
Dans la Presse, sous la plume de Paul de Saini-Viclor, nous
trouvons :
Tannhàuser a passé et la musique de l'avenir n'f'xisie déjà plus.
Que celle cruelle expérience nous apprenne h nous défier des
renommées ampoulées, des génies apocrjplies, des fanalismcs
factices, des Messies datant l'art de leur propre hégire.
M. Wagner s'inierdii à dessein ce que les musiciens de lous les
temps ont recherche : le rythme, la mélodie, la clarté.
« Il a mangé du tambour et bu de la cymbale », criaient les
Hiérophantes des mystères orgiaques, pour désigner l'Initié qui
avait traversé la terrible épreuve. « Si jo comprends ce que je
mange, je le chasse » disait un gourmet à son cuisinier. — Voilà
en deux mots la musique de M. Wagner. L'Ininielligible est son
idéal.
Nous déplorons que ces tristes lignes soient signées Paul de
Saint-Victor.
Dans les Débats, le remplaçant de Berlioz, M. d'Ortigue s'écrie:
Le système musical de Wagner ne prévaudra nulle part, nous
A- ., ■-■■ ^,^- rvr ,î
,'^ 1,^' rjarii', -'-ï*--«;ifri^
328
L'ART MODERNE
l'affirmons en toute assurance (!), tant nous avons foi en la vérité
de l'an musical et en son avenir...
Pas de forme ; pas de mélodie ; pas de syntaxe ; pas de moa-
vemcnt; pas d'expression; pas de vie!
Guenille si l'on veut, ma guenille m'est chère !
Pour comprendre la musique de M. Wagner, il faut être doué
du sens de seconde ouïe.
Voici maintenant M. Azevedo, fort célèbre à cette époque, la
fleur de l'esprit parisien :
Il fallait presque n'être pas Français pour ne pas rire au Tann-
hàuser, et c'est en riant que les Français ont gagné tant de
batailles !
Qu'est-ce donc que ce Vénusberg et qu'y fait-on pour que sa
simple fréquentation entraîne irrésistiblement la damnation éter-
nelle? C'est sans doute qu'on y fait de la musique de M. Wagner!
Puis, prenant deux mots d'un long développement métapho-
rique où Wagner compare l'impression que la grande mélodie,
telle qu'il la conçoit, doit produire dans l'âme de l'auditeur au
majestueux silence d'une grande forél, Azevedo écrit :
Ce nom de mélodie de la forêt, que M. Wagner donne à sa
musique, rcsiera, car on est volé comme dam un bois'.
La musique de Wagner n'a ni queue ni tête... pleine de diable-
ries symphoniques... Tout cela fait considérer la chute du rideau
comme la plus belle résolution d'accords, comme la plus belle
cadence parfaite dont les humains aient jamais été gratifiés.
M. Henri Rochefort invente ce dialogue :
— Comment a-t-on osé mettre une meute de chiens dans on
grand-opéra ?
— Pourquoi non? On savait bien qu'h la troisième représenta-
tion, il n'y aurait plus un chat dans la salle !
H. Clément Caraguel écrit :
L'orchestre me parait vouloir imiter le bruit' du vent qui s'en-
gouffre dans un vieux corridor...
Les personnages se livrent à la déclamation lyrique, mais aucun
ne chante. . .
En sortant de Ik, quel plaisir j'aurais eu à entendre chanter :
Malbrouck s'en va-l-en guerre! ou J'avais une marraine!
M. Edouard Texier, au Siècle, fait cette constatation :
Dans la salle, on se regardait, on se lorgnait, on causait, pen-
dant que Tannhâuser et Vénus se livraient à une mélopée alter-
native...
Ce qui ne l'empêche pas d'ajouter, un peu légèrement pour
quelqu'un qui s'est occupé plus de la salle que de la scène :
Si c'était de la musique, les chiens qui ont paru sur la scène h
la fin du premier acte auraient aboyé 1
Prenons maintenant les journaux musicaux. J'en choisis trois,
les plus renommés de l'époque : la France musicale, l'Art musi-
cal et le Ménestrel.
Dans la France musicale, ce pasaage :
M. Wagner n'est pas un maître de l'école allemande; il prétend
faire école à part, et cette prétention ne déguise pas assez son
insuffisance. Ah ! si c'était un novateur, on mettrait plus de
retenue à se prononcer sur son compte. Wagner a des obscurités
b nulles autres pareilles; Wagner prétend inventer une nouvelle
musique. Plus heureux que les autres, il se console de ses échecs
en disant : « On ne me comprend pas ! » 11 ajoute que l'avenir le
comprendra. J'en doute...
Dans le Ménestrel -.
La donnée générale du poème désigne à l'esprit un penseur, un
poète ; mais le musicien, le penseur et le poète se sont entendus
pour commettre, en définitive, une interminable tiomélie musi-
cale, sacrifiant la forme aulfond, le fond k la forme, «'évertuant k
développer plus que surabondamment les récitatifs de Gluck, sans
le génie concis et si profondément dramatique du créateur.
Plus loin, je trouve ceci :
J'ai entendu trois fois le Tannkâuter ; je l'ai sous les yeux en
ce moment, el j'avoue, en toute humilité, que je suis aussi embar-
rassé que si j'avais k dessiner nettement les contours de la statue
de Napoléon, au plus haut de la colonne Vend6me, par un jour
de brouillard...
H. Wagner est un profond musicien, puisque profond il y a,
mais un chercheur dans la mauvaise acception du mot, un rêveur,
lin utopiste. L'harmonie n'a pas assez de secrets pour lui, mais la
mélodie lui a fermé sa porte, el M. Wagner, en exposant sa
théorie, ressemble au renard devant les raisins.
Et maintenant voici M. Oscar Comettant, critique k FArt
musical.
M. Comettant plaisante d'abord en disant que des trains ont été
organisés pour la première de Tannhâuser et que les locomotives
de ces trains ont été décorées des noms caractéristiques de la
musique de Wagner : Disconiance, Trémolo, Enharmonie,
Qiromatique, Mélodie in/inie, etc.
Puis il ajoute :
Nous n'essaierons pas de faire l'analyse des morceaux de musi-
que — sont-cc des. morceaux de musique 7 — qui forment cette
immense ^rtine sonore (!). La tâche serait impossible.
Il su£Bra de dire qu'k part l'ouverture... k part la marche... k
part une poétique romance de baryton (celle de VEloUe sans
doute), k part quelques accents heureux, quelques effets
d'orchestre et quelques fragments de mélodie disséminés dans
l'ouvrage avec une parcimonie désespérante, toute cette partition
désespérante, toute cette partition de l'apôtre de la nouvelle école
n'est que confusion, antithèses sonores, combinaisons préten-
tieuses et baroques, discordances; métaphysique, obscurité,
chaos.
... On ne compose point naturellement ainsi quand on est
doué de la faculté musicale...
— Hais enfin, me demanderez-vous peut-être, que doit exprimer
la poésie d'une oeuvre lyrique, pour être conforine atu idées de
M. Wagner?
— Rien.
— Comment, rien?
— Rien, vous dis-je, car, dit M. Wagner, la grandeur du
poète se mesure surtout par ce qu'il s'abstient de dire, afin de
nous laisser dire k nous-même en silence ce qui est inexpri-
mable.
En anglais, ce qui est inexprimable, c'est un pantalon et une
chemise...
Mémento des Expositions
Chicago. — Exposition des Beaux-Arts (section de l'Exposition
universelle), i" mai — 30 octobre 1893.
Sculpture .- Figures el groupes en marbre, œuvres originales
fondues par des artistes modernes, modèles el monuments déco-
ratifs ; bas-reliefs en marbre ou en bronze, figures et groupes en
bronze, bronzes k cire perdue.
Peinture k l'huile, aquarelle, peintures sur ivoire, émail.
'^^^îf.?p«p^mlr^-
i:art moderne
329
néial, porcelaine et autres matières ; fresques, peintures sur les
mura, gravures et eaux-fortes, imprimés, crayons, charbons,
pastela et autres dessins ; sculptures antiques et modernes gra-
Ttfei sur médiillons ou pierres précieuses, intailles de collections
privées.
La section des Beaux-Arts comprendra :
1* Une section américaine (Etats-Unis) ;
9* Une section pour chaque contrée étrangère, qui sera repré-
sentée par une commission générale ou par un comité national ;
8° Une section comprenant l'exposition de collections parti-
culières et les œuvres des artistes des contrées étrangi^res n'ayant
pas de représentant ; ces œuvres pourront être admises sous la
protection d'une autre section.
Le chef du département des Beaux-Arts ne correspondra pas
avec les artistes des pays représentés par une commission géné-
rale ou UD comité national. Les œuvres de ces artistes ne seront'
admises que par l'intermédiaire des commissions générales ou
des comités nationaux chargés de la réception et du retour.
Les artistes étrangers natifs de pays non représentés par une
commission générale ou par un comité national devront adresser
leurs demandes au chef du département des Beaux-Arts avant le
IS jttUlel 4892. Ils devront lui faire connaître le nombre des
œuvres qu'ils désirent exposer, les sujets et les dimensions,
cadre compris. Ils seront informés alors de l'endroit où ils doi-
vent envoyer leurs œuvres pour l'examen d'un jury spécial,
chargé de l'admission de ces œuvres.
Dans le cas où ces œuvres, après avoir passé sous les yeux des
jurys d'expositions reconnues, auraient été exposées déjà, le jury
les examinera à une date aussi rapprochée que possible, posté-
rieure au 15 juillet 1892.
1^ décision de ce jury sera communiquée immédiatement à
l'artiste, et les œuvres acceptées devront être remises à la porte
du Palais des Beaux-Arts avant le 1" mars 1893.
l'ETITE CHROf^lQUE
Une collection de tableaux importante et particulièrement inté-
ressante pour nous, en raison des œuvres qui la composent (elles
appartiennent presque toutes à l'école belge) sera dispersée au
printemps prochain. C'est la galerie de M. le docteur Lequimc,
que des raisons de santé obligent chaque année ii de longs dépla-
cements dans le Midi et qui se propose d'abandonner définitive-
ment Bruxelles.
Réunie patiemment par ,un amateur éclairé et éclectique, la
collection Lequime compte parmi les plus belles de la Belgique.
Tous nos maures modernes y sont représentés par une ou plu-
sieurs de leurs œuvres capitales.
Nous avons reçu le billet de faire part ci-après :
M. Emile Mathieu a l'honneur de vous faire pift de la naissance
d'un opéra en 3 actes et 8 tableaux.
Louvain, le 5 octobre 1891 .
A l'angle gauche, où l'on inscrit habiiuellement le nom du nou-
veau-né, le litre de l'ouvrage : L'Enfance de Roland. .
Nos meilleurs vœux pour la sanlé de lenfant et celle... du
père.
L'élégant salonnet de la rue de la Régence vient de s'ouvrir hier
samedi ii S heures. Parmi les artistes exposants nous trouvons :
L. Dubois, Smits, Vancamp, Courtens, Verheyden, Baertsocii,
Marcelle, Degreef, G. Meunier, E. Waulers, Verhaeren, Hage-
mans, M. et M"" Wyisman, Claus, C. Meunier, Saint-Cyr,
Lemayeur, Uytterschaut, Stacquct, Boulanger, etc., pour la pein-
ture et Charlier, de Tombay, Herain, Samuel, Mignon pour la
sculpture.
On commence à se préoccuper de la prochaine saison concer-
tante. 11 est vaguement question de concerts symphoniques qu'or-
ganiserait M. Franz Servais, d'après le plan des concerts d'hiver
qu'il avait donnés il y a quatre ans. L'Association des artistes
musiciens donnera deux conccris à orclieslre seulement; comme
l'année dernière, ils auront lieu au Théâtre de la Monnaie.
Quant aux Concerts populaires, ils seront au nombre de quatre,
et, dès il présent, il est à peu près certain qu'on y verra paralin;
Hans de Bulow, le grand violoniste Wiihelmy et Sgambati, le
chef de l'école symphonique néo-italienne. (Ouide musical.)
Le Salon de Spa, qui vient d'ôire fermé, a été très suivi celte
année et nombre de toiles ont trouvé acquérerir. Citons :
H. Berchmans, Quai de Fragnée il Liège. — Ch. Boland, En
flagrant délit. — Ed. Menta, Environs de Cadénabbia. —
Ed. Larock, Premier essai. — J. Pétillon, Rue de village. —
Ch. Storm Van 's Graserlande, La Meuse à Dordrecht, Calme plat
et Vaisseau fantôme (eaux-fortes). — J. Ubaghs, Anier à Heyst.
— Em. Van den Bussche, La barque funèbre. — Ch. Van den
Eycken, Convoitise. — Van Luppen, L'occasion fait le larron.
Les œuvres suivantes ont été acquises pour la tombola :
W. Albracht, Joueurs de caries. — Ch. Boland, En visite.
— A. Cohen, Bibelots. — M"» De Bièvrc, Pavois. -^ W. Debrus,
Roses.— De Schieter, Fin du mois d'avril. — F. Vanderkhoven,
Les bords de la Senne. — P. Comein, Napolitaine (statuette). —
F. Gailliard, En villégiature (aquarelle). — J. Henrard, Bovigny.
— L. Reiglère, Nature morte. — V. Ravct, La buveuse de café.
— J. Dieudonné, Crépuscule (eau-forte). — De Bruyn, Le ruis-
seau.
Suite à la liste de revues nouvelles annoncées dans notre der-
nier numéro :
Le Bluet, revue littéraire et artistique, paraissant le S et 'e
20 de chaque mois, avec concours littéraires, jeux d'esprit et de
dessin (?), etc. A Pari?, rue Mont-Thabor, 28, 7 francs par an
pour la France, 8 francs pour l'étranger. La revue offre une prime
aux abonnés n en gage de satisfaction personnelle et peu ordi-
I naire » gg
Le Nouveau Temps publie la lettre suivante de M. le comte
Léon Tolstoï :
u Monsieur,
« Par suite de nombreuses demandes d'autorisation de publier,
de traduire et de faire jouer mes œuvres, je vous prie de publier
dans votre journal la déclaration suivante :
a Je donne à titre gratuit à tout le monde le droit de publier en
Russie et i l'étranger, en russe ou traduites dans une autre langue,
et de faire jouer sur des scènes de théâtre, toutes mes œuvres
écrites depuis 1881 et publiées dans le tome XII du recueil com-
plet de mes œuvres paru en 1886, ainsi que dans le tome XIII
paru cette année (1891) et toutes mes œuvres non publiées en
Russie, ainsi que celles à paraître après la date ci-dessous.
« 16 septembre 1891.
« Léon Tolstoï. »
ONZIÈME ANNÉE
L'ART MODERNE s'est acquis par l'autorité et l'indépendance de sa critique, par la variété de ses
informations et les soins donnés à sa rédaction une place prépondérante. Aucune manifestation de l'Art ne
lui est étrangère : il s'occupe de littérature, de peinture, de soulpture, de gravure, de musique,
d'architecture, etc. Consacré principalement au mouvement artistique belge, il renseigne néanmoins ies
lecteurs sur tous les événements artistiques de l'étranger qu'il importe do connaître.
Chaque numéro de L'ART MODERNE s'ouvre par une étude approfondie sur une question artistique
ou littéraire dont l'événement do la semaine fournit l'actualité. Les expositions, les livres nouveaux, les
premières représentations d'œuvres dramatiques ou musicales, les conférences littéraires, les concerts, les
ventes dobjets dart, font tous les dimanches l'objet do chroniques détaillées.
L'ART MODERNE relate aussi la législation et la jurisprudence artistiques. Il rend compte des
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On lit dans le dernier numéro de la Jeune Belgique :
« Supprimez les prix et les récompenses, et avec cet
argent-là, subsidiez une librairie à Paris, une Librairie
BELQB, grandement établie, qui vendra exclusivement
les livres, — tous les livres, quels qu'ils soient, — édités
en Belgique. «
Voilà une juste réclamation qui mérite qu'on s'occupe
d'elle immédiatement. Car ce n'est certes |>88 une aumône
que la jeune littérature réclame ainsi : c'est le payement
d'une dette.
Si l'on examine, en effet, l'argent dépensé depuis
vingt ans en subsides et en prix littéraires, on se
deinande en quelles poches tout cet or est tombé et en
quoi il a pu faire revivre la fleur naguère encore si bête
et si veule de la littérature belge.
Certes, une école de lettres a pris aujourd'hui son
essor dans notre pays, d'un vol tellement large et puis-
sant qu'elle a jeté son ombre et ses cris de victoire jus-
qu'aux pays voisins. Cela est incontestable. Nulle part,
dans le monde, il n'y a de coin littéraire aussi intense,
aussi vivant qu'en nos provinces. Et c'est la littérature
qui va laver le Belge des moqueries habituelles dont
on l'abreuvait, souvent à bon droit.
D'où est venu ce mouvement? Il a été hbre, indépen-
dant, spontané, fait par une poignée de jeunes qui se
sont insurgés et ont combattu.
L'hostilité régnait partout. Les littérateurs d'antan
qui régentaient la pensée belge et la mettaient au niveau
si cruellement persiflé par les Baudelaire et les Proud-
hon, étaient des incompréhensifs d'art. Ils faisaient de
la littérature comme ils eussent fait de la politique, du
professorat ou de l'administration. C'étaient des fai-
seurs de phrases, qui opéraient au goût plat dont ils
étaient les serviteurs. Ils possédaient une petite balance
de haine bête où ils pesaient les œuvres des autres, et
ils tentaient de se moquer de Baudelaire en une confé-
rence au Cercle artistique ou bien ils exécutaient Flau-
bert dans un feuilleton.
Ils étaient naturellement protégés par le gouverne-
ment, mis à la tête des incolores revues d'alors, calés
dans les journaux importants, où certains d'eux mon-
trent encore au rez-de-chaussée les rubans décolorés de
332
L'ART MODERNE
leurs bonnets d'ouvreuses de loges et miment leurs der-
nières coquetteries. Tout cela était convenable, officiel,
municipal. On suivait l'avis des modistes de Paris et
on s'inclinait devant les gens en cour. C'était la littéra-
ture constitutionnelle et monarchique. On se pâmait
devant les Coquelins de la Comédie-Française, et on
découpait avec des précautions le dernier Cherbulièz.
C'était d'un provincial assez typique.
Quel ahurissement, il y a quelque douze ans, au pre-
mier éclat de la littérature nouvelle ! Les gens bien pen-
sants de la vieille lyre inventèrent, de mauvaise foi, le
style Jeune Belgique — un charabia, pontifiaient-ils,
dans leur solennelle impuissance. Le public, que leurs
produits fades avaient anémié, trouva cette plaisanterie
très bonne, ne lut pas les livres des jeunes et approuva
qu'on appelât « charabia " le premier langage artiste
parlé chez lui. Les oies du Capitole de la médiocrité
officielle et nationale avaient crié. Elles craignaient les
jeunes aigles.
Quelle responsabilité pour les critiques d'alors! Ils
ont voulu étouffer un mouvement aujourd'hui appro-
chant d'un apogée et glorieux. Ils avaient la •• publicité «
en mains, ils ont été traîtres. Oh! on sait bien qu'ils
n'étaient pas des artistes, et que les plus « influents «
d'entre eux sont encore à peine des mondains lettrés ou
des journalistes aimables. On leur a envoyé des livres,
parce que c'était leur devoir, leur métier, à eux, agence
de publicité littéraire, de parler des œuvres belges. Les
littérateurs ne s'attendaient pas, de la part de ces gens,
à de la critique personnelle, passionnée ou vivante,
mais du moins à de la critique sincère et de bonne
volonté. On n'a rien eu. Ils ont beau protester, mainte-
nant. S'ils ont même parlé de quelques écrivains — et
que rarement et tardivement! — la façon dont ils ont
noyé leur éloge parcimonieux dans l'apothéose de
cabotins et de gaillards de vingtième ordre, rend cet
éloge presque injurieux. On est en sotte et banale com-
pagnie dans les colonnes de leurs gazettes. Après des
lignes et des lignes consacrées à vanter les gestes d'un
Coquelin on fait l'aumône de trois mots à un livre, d'une
plume dédaigneuse!
La critique influente étant muette, le public resta
indifférent, et le " gouvernement » immobile. Nul
encouragement — etil en était qui peinaient dur et ferme
sur l'àpre labour de nos lettres — rien, du dédain, de la
moquerie. La bataille a été gagnée par une avant-garde,
dans un brouillard d'hostilité, sur un champ ingrat.
Tout ce dont se glorifie la littérature actuelle a fait sa
trouée seul, sans appui, par cette force mystérieuse
de la valeur qui s'impose, à la fin, quand même, malgré
les ennemis et les imbéciles.
Mais le moment est venu de rendre les comptes. Un
jeune écrivain a fièrement rejeté à la face des bonzes
antiques de la médiocrité nationale, cette vieille cou-
ronne académique qui a coiffé trop de gens qui ont
chanté • la paix des champs • et les » gloires de la
Belgique •>. La jeune littérature ne reconnaît pas à ses
anciens tyrans le droit de la couronner.
Mais elle réclame une chose — elle exige, car c'est
elle, maintenant, qui représente les lettres belges, les
anciens ne comptent plus ! Elle exige, comme tous les
citoyens d'autres métiers, simplementun débouché pour
ses produits à l'étranger. C'est son droit strict. Comme
dit la Jeune Belgique : •< pour la littérature, aidez-la
à conquérir le grand public français, puisque c'est en
français que nous écrivons » .
Les anciens encouragements n'ont produit que médio-
crité et veulerie ; tout ce qui a été méritant a jailli spon-
tanément. Donc, plus de prix, plus de couronnes!
Nous ne sommes plus des collégiens et il nous déplaît
de donner à des incapables des satisfactions de pion.
Nous avons été dignes, et nous ne voulons pas être
humiliés par des récompenses que nous considérons
comme néfastes, voilà ce qu'ont dit aux jurys et aux
commissions officielles les vrais et purs artistes qui pro-
fessent un noble culte de leur art.
Qu'on accorde donc à la Jeune Belgique ce qu'elle
demande! C'est peu et c'est juste. Une librairie belge à
Paris ouvrirait un débouché aux livres belges, peu lus,
en somme, dans notre pays de gens pratiques. Qu'on la
confie à un Français connaissant bien la Belgique ou à
un Belge connaissant Paris. Qu'on intéresse le direc-
teur de la librairie à l'afi'aire et qu'on la subsidie avec
l'argent destiné aux lauriers académiques. Ce sera l'éga-
lité pour tous, au moins. Tous les écrivains pourront
profiter de cette institution et chacun aura ses livres
protégés et exposés à Paris. N'y a-t-il déjà pas, là-bas,
la librairie Fischbacher pour les livres suisses? Et
n'avons-nous pas, à Bruxelles, une maison qui ne s'oc-
cupe que des œuvres de la jeune école de musique fran-
çaise?
Et puis, voilà trouvé le moyen le plus digne d'encou-
rager les lettres. Ce subside ne va pas à l'artiste, il
va à l'art. Il laisse à chacun toute liberté, il n'humilie
ni ne déshonore. Et alors, le mérite sera couronné par
le vrai succès et non plus par des mains caduques.
Il importe donc qu'on agisse immédiatement, et que
tous les eff'orts des jeunes se portent vers cette idée :
la création d'une librairie belge à Paris. On la doit sans
aucun doute à cette cohorte vaillante, qui malgré tout,
à coups de livres, combat l'indiff'érence et l'hostilité
belges alliées contre elle.
ËUOÈNE DeMOLDER.
MŒURS PITTORESQUES
Cela s'esl passé mercredi en un minuscule village du Brabanl
flam:md. Une fête paysanne à l'occasion du double mariage du
fils (lu seigneur el de sa fille, qui revenaient de voyage el se
réinsiallaieut au pays. Des drapeaux piqués dans les loils, des
bandes de loile peinte autour des portes, des inscriptions accueil-
lantes au long des fenêtres, des prolesiaiions de ferveur et d'atta-
chement, des manières de lustres tout en fleurs aux façades, des
arcs de triomphe en buis noir, où de gros dahlias appuyent leurs
bouches rouges — el le cortège !
Au bout du village, à un carrçfwm de chaussées, un prêtre,
l'instituteur, les notables sont installent attendent. De petites
filles — robes blanches — portent des péniers de petits papiers
versicolores. Des cavaliers — écharpe au bras — en redingote et
chapeau de haute forme refoulent la foule à larges poussées de
croupe de chevaux. Un grand remue-ménage, tout à coup. Puis,
au loin, sur la route d'arrivée un landau clair aux panneaux qui
rejettent du soleil ; un trot preste — el les voici.
Pas un hurrah. Mais digne l'inslitulcur s'avance, déplie un
rouleau el souhaite la bienvenue. Certes, senl-on l'assistance
sympathique; une cordialité un peu lourde et gauche, quoique
vraie. Potirtanl pas un cri, pas une débonde d'enthousiasme; la
curiosité seule de ce qui se passe et va se passer.
Et devant les couples, remerciant celui qui les a harangués et
s'affirmant attachés au pays, enfants du village, que sais-je, la
cavalcade se met k défiler, baroque en sa gravité, cocasse el
'violente, fruste et balourde, toute bariolée de vieilles légendes
el de séculaires poncifs, en même temps qu'étrange et souvent
bouffonne de contemporanéilé crue. Celui qui en a dressé le plan
doit être quelque vieux documentaire de village, qui collectionne
les faits-divers du Congo et du Soudan et rêve en même temps i
ces quelques années d'humanités passées à Malines, voici trente
ans, pendant lesquelles on lui enseignait les mises en scène
mythologimies d'Horace et d'Ovide.
Le corl^e s'ouvrait par un groupe de sapettri, barbouillés de
noir el de jaune, vêtus de peaux de bêtes, coiffés de schakos de
l'Empire, rugueux de poils el abattant à coups de hache, devant
chaque cabaret, les poteaux cl les obstacles, établis là pour
enrayer la marche des groupes el les obliger à entrer boire au
comptoir. La Renommée, une vierge t cheval, suivait; puis
Diane, une rebondie fermière, habillée de tulle vert; puis sainte
Cécile, serrant d'une main pourpre une lyre en bois peint; puis la
Victoire, puis l'Etpérance, puis la Vertu, puis la Paix, puis la
Constitution, touies monumentales pucelles, appesantissant leurs
tournures grasses au balancement lent des pas en avant de leurs
montures de labour. Des chars vêtus de toile, ornés d'astres en
papier, surmontés de feuillages trimbalaient, aux cahots du pavé,
les ouvriers brasseurs, rinçant des tonneaux, ingurgitant des pintes,
martelant des fûts ou bien les garçons de ferme liant des gerbes,
battant le grain ou bien encore les bûcherons grimpés sur des
sapins et des aulnes el abattant des branches el les jetant vers la
multitude.
Alors s'avança le char iu Parnasse, A\ec Apollon à son faite el
une trentaine de Muses, endimanchées en blanc, qui chantaient un
refrain, toujours le même, el se tenaient par la main. Il était pré-
cédé du Cirque de Tippoo-Tip, une épouvantable caricature
réalisée au moyen d'hommes-singes qui se liraient la queue, qui
se balançaient à un perchoir mobile, qui grimpaient au long des
parois du véhicule et faisaient des pieds de nez au public. Une
grande femme, la Belgique, venait immédiatement après et aussi
la Voiture des modistes du bourg travaillant des chapeaux cl des
bonnets.
Opsignoor! Huit grands diables le lançaient en l'air, le rattra-
paient au vol el le relançaient, au mouvement tanguant et roulant
d'un énorme drap de lit. Il tombait à droite, à gauche, parfois
parmi les curieux qui le projetaient dans le cortège avec des cris
de frayeur et des éclats de rire. Ab-dul-Eh-MidPacha, coiffé du
dé à coudre écarlale d'un fez, fumait un cigare énorme, dont la
fumée agaçait le nez d'un Louis XV équestre, tout en velours et
en galons, suivi à son tour de sa suite en perruque filasse et en
bottes d'opéra comique.
Groupes ienfanlt, chariot des bouchers, char-à-bancs des fer-
miers, mais surtout le Monde à l'envers, figuré par un paillasse
ivre et crachant et hurlant el chevauchant à rebours un vieil âne
lamentable dont il tirait les poils. Arrivé devant les « héros de la
fêle » il se démena, proférant des paroles folles et imitant — de
la gueule seulement — certains personnages de Teniers.
Flore, Pomone, l'Union, la Vérité, la Force, sur des cour-
siers formidables et pesants, les crins cordés avec des pailles,
s'étalaient en tarlatane versicolore, les bras nus, les tresses au
vent, comme des pièces de viande en parade. Philippe le Bon,
melonné d'un chapeau noir à corde d'argent, avec, sur les épaules,
une pèlerine de velours, s'avançait ensuite, accompagné de son
fils et de ses gentilshommes.
Après lui des blasons et puis, tandis qu'une fanfare jouait la
Brabançonne, quatre personnages, catalogués Holtentols, se
mirent à danser groiesquement devant le seigneur. Ils disparais-
saient jusqu'à mi-corps dans un énorme tuyau noir, un masque
couvrait leur ventre, des cheveux leur pendaient jusqu'au bas du
dos. Le tuyau était piqué d'une cocarde. Et ils sautaient plutôt
comme des meubles que des hommes, imitant certaines carica-
tures de pots, d'armoires et de chaises qui entrent en sarabande.
C'étaient des heurts et des chocs et cela avait l'air tellement
absurde, au plein et magnifique soleil de celte campagne en or
d'octobre, que cela acquérait une signification de déséquilibre
fondamental, au delà des sens, jusqu'au fond de la pensée.
Alors le landau des mariés entra lui-même dans le cortège,
flanqué d'une garde d'honneur et les rênes des chevaux tenus en
main par des fillettes en blanc, qui suivaient de chaque côté. On
traversa le village, on fit un circuit à travers champs et l'on rentra
au château, après une heure de promenade. Tout le canton avait
envoyé des bandes de filles et de garçons. De vieux couples rassis
el secs, un parapluie à la main, se mêlaient à leur foule et dos
gamins sillonnaient l'ensemble, mangeant des pommes et crachant
les pelures sur les robes des passantes. II y eut des calottes, des
empoignades, des chants, des cris, que l'illumination et le feu
d'artifice du soir devaient certes... accentuer.
Si nous avons pris plaisir à noter une telle réjouissance et si
nous la signalons, appuyant sur son côté grotesque, c'est que
nous la trouvons, après tout, nullement risible, mais très caracté-
ristique. Elle est l'esprit même du village flamand actuel. La tra-
dition y joue son rôle, une tradition qui date de la Renaissance
et met en ligne tous les simulacres des siècles mi-païens, mi-reli-
gieux, qui dressèrent les Flandres illustres parmi les autres peu-
ples. Le village flamand vit encore sur ce vieux fond, un peu
rossignol, de gloire.
334
L'ART MODBRNB
Egalement son tempérament, tourné vers la grosse farce pres-
que cynique, y éclate en telle figuration d'ivrognerie sautante et
gueulante que personne ne trouve déplacée. Au contraire : sou-
haiter du bonheur, faire des vœux, adresser des hommages en
exhibant des clowneries, en se travestissant en sauvages et en
singes, en se barbouillant de rouge, de vert et de bleu le visage,
en se livrant à des pantomimes hottentotes n'est que de bonne
règle et d'usage.
Puis apparaît la passion du décor, de l'extérieur, de l'étalage,
et celte prétention du plus mince hameau à vouloir montrer ses
belles femmes, opulemment en chair, toutes en parures, afin que
les spectateurs puissent se renseigner en même temps sur le goût
artistique des gens, sur leur largesse à donner des fêtes et sur la
chair et le bien-cn-point de leurs pucelles.
Enfin se prouve le travail que fait le journal au village, y pro-
voquant les préoccupations de l'heure, le rire devant l'inconnu,
l'aptitude à se moquer (naturellement) de tout ce qu'on ignore,
l'idée anticipativcmcnt baroque avant d'être ouverte au réel,
la moquerie facile et au fond la zwanze cultivée comme une faune
nationale.
Celte kermesse d'un après-midi nous a renseigné sur ces dif-
férents points, candidement et simplement, et nous la relatons,
parce que curieuse.
LA QUESTION DES MUSÉES
Nous recevons d'un amateur de tableaux bien connu la lettre
suivante :
Bruxelles, le 14 octobre 1891.
Monsieur le Rédacteitr de l'Art moderne,
Lés vacances sont terminées et vous avez repris la campagne
vigoMeuse que vous avez entreprise avec tant de succès contre la
Commission de peinture du Musée de Bruxelles.
Les membres de cette trop célèbre Commission se réjouissaient
déjà de votre silence. Ils s'imaginaient que vous n'en sortiriez
plus. Les voilà amèrement désillusionnés.
Le public, lui, a tout lieu d'être satisfait de vos généreux efforts
et, soyez-en convaincu, il n'est pas une personne désintéressée
qui ne désire que vous les continuiez jusqu'à ce que satisfaction
soit donnée à de si justes protestations.
Dans un précédent article, intitulé : « Quelques flèches au
Musée », vous parlez des Têtes de nègres achetées par notre
Musée national.
Voici quelques renseignements complémentaires à ce sujet :
Le Musée de Cologne possède, comme vous le dites, un tableau
représentant des têtes de nègres et attribué à Van Dyck, tableau
absolument identique à celui du Musée de Bruxelles, attribué,
celui-ci, à Rubens.
Le premier a été donné au Musée, en 1877, par M. Steinmann-
Flammershcim. Au moins, s'il n'est pas le tableau authentique,
le Musée n'a pas à se plaindre.
Celui de Bruxelles a été acheté à M. Bourgeois, de Paris, pour
la somme de 85,000 francs. Un peu auparavant, il avait figurera
la vente Narischkine, à Paris.
M. Kums, l'amateur anversois bien connu, avait poussé les
chères jusque 39,000 francs. Il fut adjugé à 40,000 francs,'* aux-
quels il faut ajouter les frais, qui sont à Paris de 5 »/,.
La peine de l'acheter, de le porter à Bruxelles et de le vendre
à notre fluBée coûta donc 40,000 francs. Car il est évident que s
la Cooimission du Musée n'était pas composée d'invalides, elle se
fût dérangée ou eût délégué quelqu'un pour aller l'acheter direc-
tement à la vente publique, sans passer par les mains d'un mar-
chand privilégié.
M. Kums, en apprenant cet achat, ne put s'empêcher de dire
des choses peu aimables à l'adresse de la Commission bruxelloise.
Répétition aussi pitoyable de ce qui précède pour l'esquisse de
Leys, récemment acquise par le Musée moderne. Elle était i
vendre au prix de 1,S00 francs chez on marchand de Bruxelles.
Arrive de Paris un marchand qui l'achète et l'offre au Musée pour
S.OOO francs. Acquisition immédiate. Dont coût, pour les contri-
buables, 3,S00 francs.
Agréez, Monsieur le Rédacteur, mes salutations distinguées.
Nous avons déjii donné les renseignements contenus dans cette
lettre, en ce qui concerne les Tiles de nègres, dans nos numéros
du 21 juin et du 36 juillet. L'histoire étonnante de l'esquisse de
Leys a été narrée par nous dans le n<> du 19 juillet. Hais ces
choses doivent être répétées. C'est salutaire.
Pour le surplus, que notre correspondant se rassure.
Nous recueillons de nouveaux renseignements et nous ne lâche-
rons la « Question des Musées » que lorsque nous aurons obtenu
entière satisfaction.
Autre lettre, qui contient un renseignement nouveau fort
curieux :
Bruxellet, 16 octobre 1891.
Monsieur lb Directkck,
Je suis navré, nous devons être navrés, tous ! Nous croyions ce
prestigieux Rubens, l'amant de la couleur, un être essentielle-
ment gai. Hélas, nous devons abandonner cette illusion! Les trop
nombreuses têtes de nègres dont on lui attribue la paternité me
convainquent qu'il ne cessait de broyer du noir!
La Commission du Musée de Bruxelles en connaissait quatre ;
colle du Musée de Cologne, quatre autres. Total, huit — ou plut6t
quatre couplées.
La vagabonderie vacancière m'a entraîné à Francfort. J'ai visité
au galop — sans catalogue, pressé par l'heure, — l'intéressant
Musée de l'Institut Stsedel.
L'on y voit de fort belles choses et une curiosité : une neuvièhe
TÊTE de nègre ! La même que l'une des quatre aux 85,000 francs ! ! !
Ne pourrait-on pas « éclaircir » un peu ces têtes de nègres T
Si, pour commencer, on priait les directeurs .des Musées de
Cologne et de Francfort de dire quand, & qui, à quels prix leurs
têtes de nègres ont été acquises? Et si ces messieurs voulaient
ajouter quelques renseignements sur les origines de leurs têtes de
nègres, peut-être parviendrait-on à savoir si ce sont les leurs ou
les nôtres que nous devons transformer en têtes de turcs — pour
taper dessus, ferme.
Votre abonni,
C.
j^OTUtE ^NVER^OipE
« Nous nous efforcerons de montrer et d'enseigner & tous l'art
dans son libre et progressif épanouissement, l'art indépendant
des doctrines et supérieur ii toutes, l'art dans ses manifestations
L'ART MODERNE
335
aincères et respeclables, sans sacrifier jamais aux hésitaiions qui
relardent l'apparition du vrai, aux engouements si communs au
public qui le déloamentdu Beau. »
Nous retrouvons en celle fière phrase que M. Victor Robijns
prononçait devant ceux qui l'inslallaient président du Cercle
artistique et littéraire les intentions belles et le vouloir probe
qui en font un des nôtres.
Elle rachète un peu l'inconséquence de pareille situation, autant
que le fait aussi la naïveté qui l'illusionne encore sur la dignité
des Ruins qui ne manqueront pas d'appliquer les précieuses et
certaines manœuvres abortives dont elles disposent au programme
qu'il leur confie.
Nous ne voulons pas dissimuler notre réelle tristesse de voir
porter en dot au Cercle artistique une ligne de conduite pour
laquelle nous, quelques-uns seuls — et ailleurs — luttions vigou-
reusement.
Mais qu'importe, après tout ; la lutte nous réserve d'autres
amertumes que celle de retrouver un ami !i la léte des forces qui
nous combattent. Et cette situation sera plus difficile pour lui que
pour nous.
N'en déplaise donc à personne ; nous continuerons nos « rail-
leries et sarcasmes »; n'en déplaise surtout à ceux qui écrivent
que malgré l'hostilité dans laquelle nous nous complaisons « nous
sommes tris heureux, à l'occasion, de venir conférencier en celle
société qui sera toujours peut-être le principal foyer de la vie
intellectuelle à A nvers », et qui savent, aussi bien que nous pour-
tant I que d'Aucuns n'y sont venus qu'à la suite de pressantes solli-
citations d'amis, et d'Autres, dans l'unique espoird'un cachet qu'ils
ont été très désappointés de ne pas trouver à la sortie.
v. D. V.
JEAN JULLIEN
Henry Bauer a donné de Jean Jullien (<), dont la Mer vient
d'obtenir un releniissanl succès in l'Odéon, la silhouette suivante :
C'est un grand garçon brun aux larges épaules, à la figure
douce, naïve el mélancolique, i la démarche embarrassée de géant
timide. Comme beaucoup d'hommes de haute stature et de force
physique, il répugne aux mille grimaces de la société, aux hypo-
crisies des relations, aux puériles complaisances envers les indif-
férents, et cette disposition le rend gauche et inquiet parmi les
assemblées d'hôtes inconnus. Doué d'une activité, d'une combati-
vité intellectuelle et physique des plus rares, il trouve de la
saveur au grand péril et s'effarouche des mesquines exigences
sociales; il a l'âme d'un poète, le vague d'un rêveur et, sorti du
songe, embrasse la vie d'une observation aiguë et impitoyable.
De cette espèce, Tolstoï a fixé admirablement le type dans son
Pierre de la Guerre et la Paix ; la finesse de la vision, la raison
solide, le tourment de la vérité, la pilié attendrie, la bravoure
physique et morale dans une enveloppe gauche et timide, sans
nulle jobardise pourtant, ni crédulité, ni complaisance aux
méchants.
Notre auteur n'a point commencé par la littérature; à ses
débute d'homme, il fut ingénieur en une fabrique du littoral
breton, non loin du lieu où il a placé l'action de la Mer, mais
les conditions de l'exploitation industrielle, la répétition mécani-
(1) Nous avons salué avec enthousiasme l'apparition de son superbe
drame le Maître; voir TArt moderne, 1890, p. 97.
que d'une même besogne le dégoûtèrent vile. J'imagine, comme
le penchant des hommes s'accuse dès les années d'apprentissage,
qu'il aimait mieux l'observation des marins, de leurs mœurs, de
leurs habitudes particulières, de leur tempérament acquis, que les
combinaisons de la chimie industrielle. Enfin, il lâcha t'ingénioral
et vint à Paris, contemplateur de la nature et de la vie, pour être
auteur. Il fallut dix ans pour que son nom fût imprimé sur une
affiche, pour que son premier ouvrage fût représenté, discuté,
contesté. Hais le débat, la discussion, la critique, c'est la vie
intellectuelle toute frémissante, et au lendemain de la Sérénade,
il se prit à la composition du Maître, le brave artiste !
LA PÉRICHOLE
Représentations de la Scala d'Anvers
C'était à l'Alhambra, cette semaine, qu'était « le mouvement »,
comme disent, dans le OU Blas, les joyeux écholiers. Il n'y a
pas à dire mon cœur : un café-concert de province a battu à
plate coulure les théâtres les plus selected de Bruxelles. Et par un
prodige que nous ne chercherons pas à approfondir, ce café-
concert, malgré ses décors cocasses et sa garde-robe indigente,
a ressuscité et fait bruyamment applaudir cette vénérable Péri-
chole qui, depuis des ans et des ans, avait été rayée des affiches.
Les femmes, les femmes,
Il n'y a qu'ça!
Tant que la terre tournera,
Tant qu&le monde durera!...
Ce sont les actrices de la Scala qui, incontestablement, ont
remporté cette victoire. Et parmi elles, au premier rang,
M'" Lesœur, qui a mis dans le rôle de la Périchole une vivacité,
une bonne humeur, un talent de chanteuse et de diseuse peu
ordinaires. Piquillo, c'est M. Vidal, que nous avons entendu
jadis aux Galeries, et qui a conservé, avec sa voix de fort lénor,
une lourdeur désastreuse.
Ce qui fait le charme des représentations données par la
Scala, c'est l'homogénéité de la troupe. Les rôles accessoires sont
honorablement tenus, les chœurs sont chantés avec ensemble, le
chef d'orchesire est atlenlif aux répliques et soucieux des
nuances. On a la sensation d'une opérette jouée avec soin, —
avec le soin que mettent les troupes allemandes â faire valoir les
partitions légères de Franz von Suppé, de Cari Millôcker et de
Richard Gênée.
• Seulement, qu'on n'aille pas voir la Périchole d'Offenbacli avec
l'espoir de retrouver en cette bouffonnerie le souvenir, même
lointain, de l'actrice créée par Mérimée que personnifia merveil-
leusement, en un temps reculé où il y avait au Théâtre Molière
des matinées littéraires, la sveltc M"« Sylviac.
y^CCUpÉ? DE RÉCEPTION
Nous avons reçu les volumes suivants, dont il sera rendu compte
dans nos prochains numéros :
La femme-enfant, par Catulle Mendès (Paris, Charpentier). —
Le Vœu de vivre, livre IV de Dire du mieux, par René Ghil (Paris,
publication des Ecrits pour VArt, 16bis, rueLauriston). — Il ne
faut pas mourir, dialogue par Jules Bois (Paris, librairie de l'Art
indépendant, H, rue de la chaussée d'Anlin). — Cliantefable un
336
L'ART MODERNE
peu naïve, par Alberl Mockel (Liège, imprimerie de la Wallonie).
— Vers de l'Espoir, par Maurice Desombiaux (Bruxelles, Lacom-
bicz). — Le théâtre de R. Wagner de Tannhâuser à Parsifal;
Lohengrin, essai de critique lilléraire, esthétique et musicale, par
Maurice Kufferatli (Paris, Fischbacher ; Bruxelles, Schotl frère» ;
Leipzig, Otto Junné). — Les Tourmentes, poésies, par Feroand
Clcrget (Paris, Bibliothèque artistique et lilléraire, rue Bonaparte,
31). — Les Filles d'Avignon, par Théodore Aubanel (Paris, A.
Savine). — La Peur de la Mort, par F. de Mon, avec préface par
Camille Lemonnier (Paris, Savine), etc.
M. H. Buffcnoir nous adresse une notice : les Russes en Asie
(Paris, E. Pion, Nourrit et C'), qu'il consacre à l'exposition des
collections ethnologiques rapportées de l'Asie centrale par
M. Henri Moscr, auteur d'articles sur les Turcomans publiés
dans la Revue des Deux- Mondes. Citons celle remarque : « Dans
les mœurs de l'Asie centrale, la robe de chambre joue un rôle
important. Elle indique le rang, la naissance, le mérite parmi les
dignitaires. Ainsi, pour nous faire comprendre, là-bas M. Renan,
M. Zola, M. Alphonse Daudet auraient le droit de porter la robe
de chambre rehaussée d'or et garnie à l'intérieur du poil des
plus fins renards de la région. M. Georges Ohnet serait autorisé
seulement à en revêtir une doublée de poil de lapin ».
A l'occasion de l'inauguration du monument élevé à Tournai à
feu Louis Gallait, M. Alexandre Henné, président de l'Académie
d'archéologie et d'histoire, a publié une biographie du peintre (1),
dans laquelle il relate nombre d'anecdotes intéressantes.
« Juste objet d'admir.ition pour ses compatriotes, grandement
apprécié par l'étrangor, dit M. Henné, Gallait fut alors (lorsqu'il
vint s'établir à Bruxelles, en 1842, après son voyage en Italie)
négligé par l'administration des Beaux- A ris. Elle avait à favoriser
bien d'autres, oubliés aujourd'hui! »
Ah ça ! Si les académiciens eux-mêmes s'en mêlent!...
Mémento des Expositions
BiDAPEST. — Exposition de la Société hongroise des Beaux-
Arts. 25 novembre 1891-25 janvier 1892. Délais d'envoi : notices,
25 octobre ; œuvres, 10 novembre. Deux médailles d'or de 500 fr.
chacune seront attribuées l'une à un artiste hongrois, l'autre à un
artisic étranger (fondation Auguste Tréfori). Gratuité de transport
pour les œuvres admises par le jury. — Renseignements : Secré-
tariat de la Société, rue Andrassy, 69, Peslh.
Chicago. — Section des Beaux-Arls de l'Exposition universelle.
l" mai-30 octobre 1893 (voir l'Art moderne du 11 octobre 1891).
Paris. — Salon de 1892 (Champs-Elysées), 1" mai-30 juin.
Délais d'envoi : peinture, 14-20 mars; dessins, aquarelles, pastels,
miniatures, porcelaines, émaux, carions de vitraux, 14-16 mars;
architecture, 2-6 avril; pour la sculpture, la gravure en médailles
et la gravure sur pierres fines, de même que pour la section de
gravure et de lithographie, les dates ne sont pas encore fixées. —
Renseignements : F. de Vuillefroy, secrétaire, palais de l'Indus-
trie, Champs-Elysées.
— Salon de l'Association de l'Ordre du Temple de la Rose f
Croix (Galeries Durand-Ruel), 10 mars 1892. — Renseignements :
M. Joséphin Péladan, rue Pigalle, 24, ou comte Antoine de
la Rochefoucauld, rue d'Offémonl, 19.
(1) Bruxelles, Ch. Rozei, brochure de 23 pages.
Petite chroj^ique
Eugène Dbmolder, l'auteur des Contes iYperdamme, ail-
houelté par H. Carton de Wiart dans la dernière livraiioo du
Magasin littéraire (1), en un curieux article intitulé Néo-mysti-
citme flamand :
« Au physique, — puisque l'état physique est une fatalité qni
domine toujours quelque peu le talent, — H. Demolder est un
homme bien portant. C'est Rabelais à vingt-huit ans. 11 a, d'ail-
leurs, du curé de Meudon, la grande bonté et la large tolérance,
et une naturelle aversion pour aies hypocrites, les traîtres qui re-
« gardent par un pertuis, les cagots, escargots, matagols, cafards,
« empantouflés, papelards, Chattemites et autres telles lectes de
« gens qui se sont déguisées comme masques pour tromper le
u monde. » Il a, comme lui, l'ingéniosité du style, et plus que
lui, la curiosité fine de la pensée.
« Ajoutez à cela une imagination un peu bohème dont les
opérations doivent heureusement retremper M. Demolder des
soucis excédants, des paroles importunes où sa noblesse native
doit souvent s'irriter, dans l'exercice des graves fonctions de
l'ordre judiciaire qui lui sont dévolues. »
Les répétitions de Lohengrin à la Monnaie marchent bien, à ce
qu'on nous rapporte. C'est en décembre qu'aura lieu la reprise
de cet ouvrage, dont voici la distribution :
Lohengrin MM. Lafarge.
Frédéric de Teiramund Seguin.
Le roi Dinard.
Le héraut Béral.
Eisa M""' de Nuovina.
Ortrude Wolf.
On commence aussi i préparer les représentations d'Armide,
dont les rôles principaux seront créés par M"* de Nuovina et
M. Lafarge.
En attendant ces représentations à sensation, la Monnaie
reprendra mercredi prochain Salammbô avec la distribution de
l'année passée, sauf pour les rôles d'Hamilcar et de Spendius qui
seront chantés par MM. Seguin et Badiali. Elle annonce en outre
la reprise de Carmen et de Don Juan,
A propos de Lohengrin, ij est intéressant de donner la liste des
principales traductions qui en ont été publiées :
En français : Traduction de Ch. Nuitler. — Paris, E. Denlu,
édit. 1870.— Traduction de Victor Wilder. — Breitkopf et Hfirtel,
1889.
En italien : Traduction de Salvalore de C. Marchesi. — Milan,
Francesco Lucca, édit. 1868.
En suédois : Traduction de Frans Hedberg. — Stockholm,
Albert Bonnières, édit.
En danois : Traduction de Adolphe Hertz. — Copenhague,
J.-H. Schubolih, édit. 1870.
En anglais : Traduction de Naialia Hacfarren. — Londres,
Novello, Ewer et C'«, édit.
En hongrois : Traduction de Gustave Ormai Fereocz. — Pesth,
Ferdinand Pfeifer, édit. 1871.
En russe : Traduction de Constantin Zwanzon. — Saint-Péters-
bourg, Edouard Roppe, édit. 1874, 187S.
(1) Siffer, éditeur, rue Haut-Port, 52 et 54, Oand. Parait le 15 de
chaque mois. AJjonnementi: Belgique, 10 francs, Etran^r, 12 franc*.
LART MODERNE
337
En espagnol : Traduction de T. Gorchs. — Barcelone, Gorchs,
édil. 1884.
En tchèque : Traduction de V.-J. Novoinij. — Prague,
A. Urbanek, édit. 1882.
En polonais : Traduction de Aurolego Urbiinskiego. — Lwôw,
J. Dobrzanskiego, édil. 1877. — Traduction de L. Matuszuskiego.
— Varsovie, Ladislas Banarskiego, édit. 1878.
Les recettes de Lohengrin à Paris :
Les dix premières représentations ont produit exactement
fr. 206,991-24, soit une moyenne de fr. 20,699-12 par représen-
tation, malgré les services de presse, qui ont réduit la recette
des deux premières à 15,891 francs et 18,682 francs.
Le Théâtre Molière, qui vient de reprendre le Voyage de
M. Perrichon, la très amusante comédie de Labiche, annonce
pour jeudi, vendredi, samedi et dimanche prochain des représen-
tations extraordinaires données par M™ Judic et sa troupe. On
jouera Lili, Divorçons et Afam'xelle Nitouche.
Le Club tymphonique a repris, lundi dernier, ses séances
hebdomadaires, en son local, rue Bodenbroeck, n" 3.
Fondé en 1889, il entre dans sa troisième année d'existence cl
d'activité. Les diverses auditions organisées au cours des cam-
pagnes passées témoignent hautement du zèle et des excellentes
dispositions qui animent tous les membres de la société.
Sous l'habile direction de M. Emile Agniez, ils ont, à plusieurs
reprises fait leurs preuves devant un public choisi dont l'accueil
a été des plus bienveillants. Leurs efforts patients et soutenus leur
ont valu de la part de musiciens éminents de précieux encourage-
ments et des marques de sincère sympathie.
Bien qu'il y ait lieu de se féliciter des résultats obtenus en si
peu de temps, encore l'œuvre entreprise reste-t-elle susceptible
de grands progrès. La propagande du Club tymphonique tend à
la constitution d'un orchestre de plus en plus nombreux et
complet el, ii cet cffiet, il fait appel à toutes les bonnes volontés.
Les nouveaux adhérents sont priés de s'adresser à M. R. Vaulhier,
secrétaire, rue Bréderode, 47, k Bruxelles.
A la dernière assemblée générale de la Société de musique
d'Anvers, il avait été décidé que la Société de musique suspen-
drait provisoirement ses travaux.
A la suite d'un appui généreux qui s'est offert depuis, elle vient
d'être mise à même de reprendre ses études, el se propose l'orga-
nisation de quatre concerts à grand orchestre pendant la nouvelle
année sociale. ^^^ •
Nous avons annoncé naguère là fondation de la Rose f Croix
esthétique (1) et publié le mandement par lequel Joséphin Péla-
dan fait connaître cette œuvre au public. Aujourd'hui, le groupe-
ment est fait, après de nombreux tiraiilemenis, et le Salon de la
Rose t Croix s'ouvrira à Paris le 10 mars. Sa tendance :
« Insuffler dans l'art contemporain et partout dans la culture
esthétique l'essence ihéocratiquc , voilà notre voie nouvelle.
Ruiner la notion qui s'attache à la bonne exécution, éteindre le
dilettantisme du procédé, subordonner les arts à l'Art, c'est-à-
dire rentrer dans la tradition qui est de considérer l'idéal comme
le but unique de l'eff'ort architectonique ou pictural ou plasti-
que ».
Parmi les adhérents, citons MM. A. Séon, F. Khnopff, M. Denis,
(1) Voir lArt Moderne du 28 juin 1891.
Egusquiza, H. Martin, L.-O. Merson, 0. Redon, et les sculpteurs
Dampt el Pézieux.
u En somme, dit la Jeune Belgique, un u à l'instar^» du Salon
des XX, organisé par un Octave Maus qui serait du midi. »
Tournai a dignement fêté le jubilé de 25 ans du directeur de
son Académie de musique, M. Maurice Leenders, un musicien de
valeur estimé à la fois comme virtuose, comme compositeur et
comme professeur. Une centaine de convives ont pris part au
banquet off'ert au4ubilaire Parmi eux, MM. Eugène Ysaye, César
Thomson, Mesdagh, Wilford, Bauwens, Emile Périer, Nevejans,
Beyer, Krein, etc.
5. M. Delville, président de V Association philanthropique des
artistes viusiciens a, dans une allocution chaleureuse, porté la
santé de M. Leenders dont il a retracé la brillante carrière.
M. Emile Delrue a parlé au nom des anciens élèves du jubilaire,
M. Eugène Ysaye au nom de ses amis. On a offert à M. Leenders
son portrait par M. Chanlry, professeur à l'Académie de dessin
de Tournai.
MM. Gevaerl, Radoux, Samuel et Peter Benoit ont envoyé des
télégrammes par lesquels ils félicitaient l'artiste et s'associaient
à la manifestation dont il éiail l'objet.
La veille, la Société des Orphéonistes avait offert au directeur
de l'Académie un bronze d'art dont le sujet est emprunté au
tableau de Louis Gallait : Art et liberté. C'est au local do cette
société, en un raout animé et cordial, que s'est clôturée cette
journée de fête.
La saison théâtrale de Bayreuth a éié brillante cette année.
Elle a produit, dit la Cronaca' d'Arie, de 600,000 à 800,000 fr.,
ce qui couvre, et bien au delà, les frais des représcntaiions. (La
mise en scène de Tannhàiiser a coûté 400,000 francs.) Pour la
première fois depuis l'inauguration du théâtre, la salle a été
entièrement louée pour chacune des vingt représeniations.
On parle déjouer l'an prochain Parsijnl, Tannhâuser, Tristan
et Yseult et les Maîtres-Chanteurs.
Dans le Mercure de France d'octobre (1), M. Sainl-Pol-Roux
prêche la bonne croisade des Jeunes contre les Vieux et adjure
tous les chefs de la littérature nouvelle à faire trêve aux querelles
intestines, à s'unir contre l'ennemi commun.
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DiBiANCHB 25 Octobre 1891-
L'ART MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CaraQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Comité de rédaction i Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Unioa postale, fr. 13.00. —ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser toute* les communications à
l'administration générale de TArt Moderne, rue de l'Industrie, 32, Bruxelles.
Sommaire
Au riBD DU MUR. — Chantefable ln peu naïve, par A. Mockel.
— La p«dr de la moht, par François de Nion. — Enquête sur
l'Évolution littébaire. M. Charles Henry. — Cueo.sique judi-
CIAniE DES ARTS. — PkTITE CBRONIOUE.
AU PIED DU MUR
Nous lisons dans la Libre Critique du 18 octobre
1891, à propos à'Art et Liberté de Louis Oallait et
d'une étude d'un académicien :
« Appert aussi de cette très intéressante étude que :
de ce temps, comme de nos jours, la direction des
Beaux-Arts était régie par des Esthètes gouvernemen-
taux rondecuirés, on ne peut plus à la hauteur de
leurs fonctions!!! Art et Liberté nous en donne un
exemple frappant : refusé à 6,000 francs pour être
acheté quelques années plus tard 50,000 francs.
« Gaffeurs alors comme de nos jours, les ronds de
cuir! Que voulez-vous de la direction des Beaux- Arts?
C'est l'éternellement semblable renouvellement du
• // fallait un calculateur, on prit un danseur. -
Dans notre numéro du 23 août dernier, nous avions
déjà raconté qu'un membre de la Commission des Beaux-
Arts était allé à Vienne acheter pour 55,000 francs
(plus les frais de voyage) Art et Liberté de Gallait,
qu'on aurait pu, disions-nous, acquérir en Belgique pour
une somme beaucoup moindre. Cette somme beaucoup
moindre était donc 6,000 francs.
Dont coût pour les contribuables :
Quarante- quatre mille francs!!!
D'un autre côté, nous recevons la lettre suivante :
Bruielles, le 21 octobre 1891.
Monsieur i.e Rédacteur de ï Art moderne.
Dans le dernier numéro de voire très eslimé journal, il a él6
question des prix donnés par la Commission du Musée de
peinture de Bruxelles pour les « TlHcs de nègres » de Rubens et
l'esquisse de Lcys.
Ceci est plus fort :
La « Songeuse » de Macs a été acquise pour la somme de
65,000 francs de M. L. Gauchez, dit Mancino, fournisseur attitré
du Musée de Belgique, le seul marchand, dans le monde entier,
avec M. Bourgeois bien entendu, qui, au dire de la Commission,
possède et présente de beaux tableaux bien authentiques.
Or, le tableau en question était exposé depuis longtemps dans
Bond slrcel, à Londres. Je l'y ai vu. On en demandait vainement
1,000 livres sterling, soit 25,000 francs, lorsque M. Gaucliez le
découvrit.
Celui-ci n'a pas l'babilude de faire des gaucheries, tout le
monde sait cela. Il le prouva bien. Acheter le tableau et le faire
accepter par la Commission du Musée fui affaire facile.
, i? ;;
340
L'ART MODERNE
Dont coût pour les contribuables : 40,000 francs.
Plus fort que cela:
Le Musée possède un tableau de fleurs de l'école espagnole. Il
fut exposé dans une vente publique, annoncée par catalogue, k
Bruxelles même, dans la salle de M. De Brauwere, galerie S'-Luc.
La Commission alla voir. Le tableau fut retiré à 80 francs faute
d'amateur.
Sur les conseils d'une personne qui connaissait de longue date
la valeur de la Commission, le propriétaire du tableau le présenta,
avec un joli cadre bien redoré, au Musée qui l'acheta 1,300 francs,
soit plus de seize fois le prix auquel il aurait pu l'acquérir!
Je ne sais si ces choses ont déjà élé signalées par vous.
Quoi qu'il en soit, il est bon de les dire et de les répéter pour bien
montrer ù quelles gens l'art ancien est livré k Bruxelles.
Agréez, etc.
En somme — voilà bientôt six mois que chaque
dimanche, nous, et quelques correspondants indignés
comme nous, demandons compte aux Commissions des
Beaux-Ârts de l'usage maladroit qu'elles font des
deniers publics.
La presse a protesté avec nous. Le public est sym-
pathique à notre campagne. Et voyez ce qui est arrivé :
Ces messieurs de la place du Musée n'ont pas donné
signe de vie !
Eh bien ! — là bas, vous, les assis officiellement sur
des ronds de cuir, les teneurs de livres de l'art acadé-
mique — allez-vous donc répondre à la fin et vous
expliquer ?
Vous savez — vous n'êtes ni inamovibles, ni irres-
ponsables. Vous êtes des fonctionnaires. Vous êtes à la
solde du pays dont nous faisons partie.
Ah! vous avez sans doute la morgue facile du fonc-
tionnaire parvenu et calé, qui s'imagine que ce ne seront
pas des articles de presse qui le jetteront bas ! Et vous
méprisez donc l'opinion publique, que vous ne cherchez
pas à vous justifier? Eh bien! alors, c'est l'opinion
publique qui vous exécutera. Et nous crierons, et nous
protesterons, et nous guerroyerons, jusqu'à ce que
justice soit faite! Les marchands hors du Temple ! Les
bureaucrates hors de l'Art! Les incapables hors des
Musées!
Tâchez de répondre aux questions qui suivent, et si
nous n'avons pas d'explications, on pourra considérer
comme vérité tout ce qui s'y trouve dit et vous appa-
raîtrez tous inaptes à continuer les fonctions qu'un pays
aveugle et arriéré vous a confiées et que, jusqu'ici, il
n'a pas surveillées d'assez près.
Première question. — Est-il vrai que le déménage-
ment du Musée ancien a coûté 80,000 francs, alors que
n'importe quel entrepreneur eût opéré ce travail pour
25,000? Gaspillage net : 55,000 francs. (Voir Art
moderne, 21 juin.)
Deuxième question. — Est-il vrai (\ii'Ârt et Liberté
de Louis Gallait a été acheté à Vienne 50,000 francs.
alors qu'on eût pu l'avoir ici pour 6,000 francs? Gaspil-
lage net : 44,000 francs. (Voir Art moderne, 23 août,
25 octobre.)
Troisième question. — Est-il vrai que vous avez
acheté pour 180,000 francs la Peste de Tournai de
Gallait, alors que le Musée possédait 17 tableaux de Gal-
lait, que Gallait était riche, et que de l'avis de tous les
peintres la Peste de Tournai est un mauvais tableau ?
Gaspillage net : 180,000 francs. (Voir Art moderne,
21 juin, 10 juillet.)
Quatrième question. — Est-il vrai que vous n'avez
pour ainsi dire rien acheté de leur vivant à Hippolyte
Bonlenger, Louis Dubois, De Braeckeleer, Artan, des
gloires maintenant reconnues même par vous, les
myopee? Veuillez dire à qui tous avez acheté leurs
tableaux qui sont au Musée, quand et à quel prix,
afin qu'on puisse se rendre compte du montant du gas-
pillage. (Voir Art moderne, 19 juillet.)
Cinquième question. — Est-il vrai que l'esquisse de
Leys a été achetée à M. Brams, marchand à Paris,
pour 5,000 francs et que celui-ci venait de l'acheter lui-
même pour 1,500 francs à l'Hôtel des Ventes de
Bruxelles où elle était exposée depuis six mois? Gaspil-
lage net : 3,500 francs. (Voir Art moderne, 19 juillet,
18 octobre.)
Sixième question. — Est-il vrai que la Commission
du Musée achète quasi tons ses tableaux à un même
marchand, M. Gauchez (lequel prend parfois le pseudo-
nyme de Mancino), et pourquoi? (Voir Art moderne,
21 juin, 26 juillet.
Septième question. — Pourquoi, depuis 1882, les
prix des tableaux ne sont-ils plus indiqués an catalogue
du Musée ancien? (Voir Art moderne, 21 juin.)
HumÈME question. — Est-il vrai que M. Gauchez a
vendu au Musée ce tableau, que nous trouvons mauvais,
comme tout le monde d'ailleurs, attribué à Rubens :
la Vierge et V Enfant Jésus — et ce pour 75,000 fr.î
Que pense la commission de l'avis de certains experts
qui attribuent ce tableau à Van Baelenf La Commission
sait-elle que la Gazette de l'Hôtel Drouot a estimé ce
tableau 2,000 francs. Gaspillage net : 73.000 francs.
(Voir Art moderne, 21 juin, 5 juillet,)
Neuvième question. — Savez-vous que ce glaireux
et épais Rubens : la Chasse d'Atalante, acheté par
vous — pourquoi? — 25,000 francs à M. Gauchez, était
vendu 9,000 francs quelques mois avant dans une vente
à Londres? Gaspillage net : 16,000 francs. (Voir Art
moderne, 21 juin.)
Dixième question. — Savez-vous que -le Paysage de
Lucas Gassel, acquis récemment, est un tableau
presque entièrement repeint? Gaspillage net : 10,000 fr.
(Voir Art moderne, 21 juin.)
Onzième question. — Vous connaissez peut-être
Roelant Savery, un peintre courtraisien, très célébré
L'ART MODERNE
341
dans les musées de Hollande et pas représenté ici?
Savez-vous qu'à une vente, à Bruxelles, M. Girod,
pn^riétaire du Grand Hôtel, a acheté un beau Savery
1,300 francs et l'a revendu 5,000 francs au Musée de
Courtrai? (Voir Art moderne, 21 juin, 26 juillet.)
Douzième question. — Savez-vous que le Lucas de
Leyde : le Bal de Marie-Madeleine, est faux î Con-
naissez-vous l'opinion de M. Bredius à son sujet? Gas-
pillage net : 11.000 francs. (Voir Art moderne, 26 juil-
let, 9 août.)
Treizième question. — Connaissez-vous aussi l'opi-
nion du même M. Bredius — un critique compétent,
celui-là — sur la Vieille Femme de Rembrandt, que
vous avez achetée 105,000 francs? Il soutient et
démontre que ce n'est pas un Rembrandt et beaucoup
de personnes sont de cet avis. Gaspillage : 105,000 fr.
(Voir Art moderne, 21 juin, 26 juillet.)
Quatorzième question. — Est-il vrai que vous avez
acheté pour 50,000 francs le Cabaret d'Ostade à
M. Gauchez et que le ministre a refusé pendant quel-
ques jours de ratifier cet achat qu'il considérait comme
peu raisonnable ? Savez-vous qu'un Ostade aussi beau a
été vendu 7,100 francs à la récente vente Buisseret?
Gaspillage net : 40,000 francs. (Voir Art moderne,
26 avril, 3 mai, 21 juin, 28 juin.)
Quinzième question. — Les Têtes de nègres sont-
elles un Rubens ou bien une copie d'un Van Dyck, par
Henri Regnault? Savez-vous que le même tableau,
attribué à Van Dyck, se trouve au Musée de Cologne?
Savez-vous que le nôtre, que vous avez acheté
80,000 francs, a été vendu quelque temps avant pour
40,000? Gaspillage net : 40,000 francs. (Voir Art
moderne, 21 juin, 28 juin, 11 octobre, 18 octobre.)
Seizième question. — Est-il vrai que M. Gauchez a
acheté la Songeuse de Maes 25,000 francs à Londres,
où ce tableau a été exposé très longtemps à vendre
pour 1,000 livres sterling et que vous l'avez, vous,
acheté 65,000 francs? Gaspillage : 40,000 francs.
Dix-septième question. — Est-il vrai que vous avez
acheté pour 1,300 francs un tableau de fleurs de l'école
espagnole que vous auriez pu avoir pour 80 francs,
dans une vente à Bruxelles où il fut adjugé pour cette
bagatelle. Gaspillage : 1,220 francs.
Dix-HumÉME question. — Est-il vrai qu'ayant
acheté le Quentin Metsys 200,000 francs, vous l'avez
fait restaurer pour une somme de 25,000 francs par un
barbare qui l'a poncé, gratté et repeint sauf les visages
et les mains. Gaspillage : 25,000 francs et dépréciation
énorme de l'œuvre. (Voir Art moderne, 6 septembre.)
Dix-NEUViÈME question. — Comment procédez-vous
quand vous faites restaurer un tableau? A qui confiez-
vous ce soin? Surveillez-vous la besogne qui se fait?
Vingtième question. — Avez-vous conscience, qu'en
ces matières de nettoyage, vous avez abimé le Portique
dun Palais de Dirk Van Delen? (Voir Art moderne,
28 juin).
Voilà, en résumé, dans notre campagne, vingt ques-
tions posées aux Commissions des Beaux- Arts et des
Musées. Nous en laissons d'autres de côté. Nous ne
parlons ni du prix do la décoration du palais des
Beaux-Arts (voir Art moderne, 26 juillet), ni des infa-
mies du Musée moderne, ni de l'envoi d'un jeune artiste
en Italie pour copier des fresques qui n'existent pas...
Mais dans ces vingt questions, il s'agit de quatorze
tableaux, et nous trouvons pour quatorze tableaux
un gaspillage de 643,720 francs, gaspillage dû, soit
au favoritisme envers certains peintres officiels, soit à
l'ignorance d'une commission qui ne sait pas distinguer
un bon tableau d'un mauvais, soit aux combinaisons
de certains marchands, soit à l'incurie de fonctionnaires
qui ne se dérangent pas pour assister à des ventes.
Et que répondez-vous pour vous défendre? Ah! il
en est beaucoup parmi vous qui n'assistent pas aux
séances, soit parce qu'ils habitent Paris, soit parce
qu'ils « se font vieux », soit par indifférence. On sait
que Louis Gallait, qui faisait partie de cette fameuse
commission sans assister jamais à ses réunions, protesta
violemment et se mit fort eu colère — mais que trop
tard! — quand on lui montra le pseudo-Rembrandt
qu'on venait d'acheter. Et dernièrement un membre de
la commission actuelle du Musée a dit que l'Ostade
acheté 50,000 francs n'en valait pas 20,000!
Mais peu nous importe! Nous voyons le musée que
Fromentin a tant loué envahi par des toiles douteuses,
nous voyons gaspiller des sommes fabuleuses, nous
sommes honteux de notre Musée moderne :
IL FAUT QUE CELA CESSE !
Répondez donc ! Expliquez-v ous ! Et si vous ne savez
ni répondre, ni vous expliquer, démissionnez — démis-
sionnez tous, en bloc, commissions et directeurs, con-
servateurs et secrétaires, c«ux qui achètent, ceux qui
exposent — tous! Vous ne savez pas ce que c'est l'Art!
Vous êtes aveugles, impuissants, momifiés!
Et notez ceci :
Si vous ne voulez ni vous expliquer, ni démissionner,
vous essuyerez d'autres attaques que celles de chroni-
queurs d'art et d'esthètes :
Nous tenterons de faire faire leurs devoirs aux
députés des Chambres et nous demanderons vigoureuse
justice à un ministre qu'on dit résolu à bien faire.
CHANTEFABLE UN PEU NAÏVE
par A. MocKiL.
N. Morkel, en parlant de son livre, emploie lui même le mot
unique clcnracliïrisliquc et nous épargne ainsi la diflicullé de la
trouvaille.
Il dcril ; « Quant au pri^ludc musical destiné !i fixer l'almo-
spli^rc de ce drame »
En effet, comme cerlains recueils, érios récemment des rôves
(les poètes, rcliii-ci est un drame, limité en panneau pour faire
partie un jour d'un polyptique qui sera l'œuvre entière. Celte
œuvre divisée comme tels volets gothiques en plusieurs scènes,
en plusieurs époques d'c«prii et de cœur, nous livre la nature
et la personnalité de l'auteur autant que n'importe quelle mono-
graphie. Elle suscite les différentes phases de vie interne, par les-
quellc.n le poète a passé, phases de désir, de volonté, de songe
cl d'éludé, que tous ceux qui vivent & celte heure, en l'atmo-
sphère inicllcciucllo de ce temps, ressentent ou ont ressenti.
L'inlércH suprême du livre sera de voir à quel poinçon M. Mockel
a marqué l'or de la vie artiste, qu'il a tirée des mines philoso-
phiques, passionnelles ou esthétiques ouvertes fa nous tons.
Chantefable un peu nnlve s'ouvre et se ferme par quelques
pages de prose, od, de quelques circonstances de vie se suscitent
des idées synthétiques apparentées fa celles que les pages de
vers éveillent au cerveau du lecteur. Un préambule, exprimé en
musique, devrait de son atmosphère baigner le livre entier.
Ne nous occupons que des poésies.
Et c'est d'abord la prime enfance — Ingénuité — qui se
gazouille en dos syllabes — gouttes d'eau qui tomberaient d'une
branche, dans l'eau — avec évocations fabuleuses, par la forêt et
près des sources, de la cristalline fée l.aztili, toute de puérile cl
miroitante fraîcheur. Puis V Adolescence timide encore, quoique
(léj^ sonore :
Allci: petits iliVsirs Apnnoiiis de pures
(lélici's, nllfli les timides, vers ce mystère :
l'nuniro i» l'Orient aomant ses dréhirures
vilii'nnto s'inairuic nu tuimilto d'obscure
ili'Tinito ; telair d'Apec qu'ëUi^risc un scintil,
elloi'rijfp ses mille ai^reltes ndnmnntines
cl bannit do vos yeux, comme elle In lutine,
idéollo en jeux d'or une terreur mutine
nux Iningcs inflnios qu'une Iris illumine.
Dans Y Autour de soi les clairons vers l'action retentissent.
1,'oxtéricur fait par les yeux dans l'ilme du poète entrer une inva-
sion do bruit cl de couleur cl c'est l'inéluctable élan vers les'
vagues conquêtes. Actions qu'on rêve et visions hautaines.
Rejfnnle! le soleil aux ors d'une verrière
«'merveille son irradi.inl cri de roi :
»n ton *me où s'éveille une enfance en prière
le teste de l'Arohnnjfe n sommé ton effroi
d'Anneor nu lénilli l'arc de In Joie nltière
mnir toi-même èplover .soudain comme un orfroi
le chant vnste où fuigure une Aile de lumière.
De nouvelles pensées, de nouvelles fièvres de cœur, d'ioappa-
nica jusqu'fa ce jour [tassions ou fragments de passions, d'iné-
dites transes ou joies, ce livre ne nous les apporte point. Son
originalité est dans la présentation et l'évocation des choses,
dans la conduite des thèmes cl des visions, dans l'impression
d'avoir écoulé comme dos sources musicales qui chantent à
niainlc p.igo. Oli! la forme de M. Mockel est bien s^iéciiile,
Il a des phrases ductiles, saulillantes comme des cascatclles,
sonores d'un bruit de lumière et d'imu ; sons do flûtes et de crislal.
ténuité de toile d'araignée couverte de rosée, aurorales et sylvestres
vocalises. Hais aussi — d'après le sqjet — phrases d'éclat et de
violence, colorées de vocables, voix de fer el de pierre, cris
d'acier et d'or.
Nous le préférons noialeur subtil de musiques fraîches et
douces que marteleur de glaives el de cuirasses.
La langue de lA. Mockel, pour rester musicale, n'est que rare-
ment ambiguë et obscure ; elle est inventive do termes exquis
(fa preuve le titre du poème), elle est synthétique et se ramasse
en strophes d'où la stricte grammaticalité, souvent inutile, est
bannie.
Au résumé, un livre de quelqu'un, qui sait sa nature et la cul-
tivera en fleur originale el profonde de racines dans le rêve el
dans l'art.
Deux vers significatif» pour clore celte partie :
Une ombre a dévoré les chevalien de proie...
et le silence est de ruines, dans la plaine.
Parait la Petite Elle — une fleur fine et fière, el ingénue,
Elle, la pure enfant dont avec la pensée
les regards ingénus distillent des rosées,
la vierge de fierté, l'œil au loin qui s'exalte
sur les basaltes épuise un sourire nubile,
églantine inclinant un baiser vers l'abîme.
El c'est celle qui dil ;
'Viens, ne regarde pas au loin ! Regarde-moi.
Cette phase de tentation passe cl se dissipe par celle raison
presque toujours telle : « et celui que nous sommes, jamais elles
ne l'auront aimé ». Et fa la place de la réelle, mais ignorante
aimée, l'ondinc — Enfant <Us eaux qui pattmt — apparaît. Elle
aussi travaille avec fatalité au malheur, elle, la chimère et la
lueur, el la merveille el la promesse irréalisable :
Perfide enfant, tu l'as tué t
le simple qui mirait son regard au cristal
du trop limpide azur épuisé de nuées,
c'est toi, ta voix
c'est toi qui lui montras la loi fatale
c'est loi qui l'étouffas dans les vagues, c'est toi.
La dernière phase du drame se ramifie en courbes et lignes
vers les multiples loins de la pensée, devenue au delfa de toutes
sortes d'adolescences, plus que jamais, la raison de continuer fa
vivre. Une conception des choses natt dominatrice el s'aiTirme :
« Ce que nous sommes nous le contemplons et ce que nous con-
templons, nous le sommes ». El le rêve s'élargit, se complique,
s'entrenouc et les routes diverses s'entrecroisent et souvent ne
s'éloignent que pour revenir vers les points de départ et les voix
80 font entendre toujours au delfa d'autres voix, si bien que la der-
nière pièce du livre pourrait s'allonger fa l'infini, si pour le vrai
artiste qu'est Albert Mockel, l'art, dans son sens d'harmonie
totale, n'était une conclusion et une évidence snprémes.
Poursuis le rythme du seul Thème
suscite aux Formes l'harmonie
qui d'un abime de vertige
mire en tes yeux l'Ordre des sphères ;
sois le désir qui se mire en soi-même
et magniâe en la Musique
le dieu que tu seras demain
si l'Œuvre en l'infini silencieux profère
Tos songea mutuels grandis ao Verbe unique.
Or entends, voyageur sur le mouvant chemin
la voix du ciel quand la tempête rompt les môles :
tu verras en vigie à la conquête insigne
comme cinglent sous la neige émule les cygnes
d'un vol algide vers les Pôles.
w^
L'ART MODERNE
343
Xj-a. fbxjr, IDE LA. :m:ot?<t
par FaAMgou de Nion.
Uberamur metu mortit. Nous sommes délivrés de la crainte
de la mort. — Ces phrases de chresiomaihie latine, psalmodiées
dans un jadis ennuyeux d'école, banalement, nous sont revenues
fa la mémoire en lisant le titre de ce livre. Qu'ils sont vrais, ces
trois mots, en leur brièveté romaine : Liberamur metu tnorlis,
chipés par un préfet d'études fa Dieu sait quel vieux philosophe I
Oh I l'antique poncif, d'une véracité indiscutable ! Car — combien
rarement songeons-nous fa la mort? Le « Frères, il faut mourir! »
ne retentit que dans le sépulcral silence des cloîtres, et le glas,
continu pourtant, des choses qui s'éteignent, ne parvient pas fa
éteindre les chuuds appels du sang et de la force qui battent fa nos
tempes et fa nos oreilles.
Aussi, quelle hantise terrible, obsédante, dévoreuse de vie,
cette crainte du néant prochain chez un être! Quel ange gardien,
aux traits de spectre, sans cesse assis au chevet de son existence !
Cette idée, cette terreur activent la fuite des temps; les jours
s'en vont plus vite comme enlevés par un souffle de sépulcre,
et le patient, d'un air de douleur et de mélancolie macabre,
regarde le temps fa lui dévolu par les lois fatales s'écouler comme
un désespéré qui, les veines ouvertes, contemplerait son sang
ruisseler sur ses chairs.
C'est cette idée — la Peur de la Mort — qui hante le cerveau
du héros du livre de M. de Nion : le comte Pierre de Feysin. Ce
comte est un homme ordinaire, d'une « bonne moyenne », d'une
bonne noblesse campagnarde et assez affinée, et, de plus, très
enclin fa philosopher. 11 vil de la vie moderne d'homme riche et
désœuvré. Il se dissipe fa Paris, avec des maîtresses faubouriennes
et cabotines, fa la mer, en des plages sauvages, fa la campagne, fa
sa « gentilhommière ». Il a de vagues envies de faire de la litté-
rature ei son esprit a des tournures poétiques.
Ainsi débute le roman, d'une façon documentaire, notant des
faits divers de l'existence, avec, poussés dans les pages, des
aquarelle» assez fébriles et vivantes de Paris, des marines larges
de» côtes normandes, des paysages clairs des Bordes, avec, aussi,
des tendances i l'observation et fa l'élude de milieux et l'amour de
détails clichés net, — en somme, avec de visibles manières de
naluraliiU.
Mais bientôt le chemin engagé dans du réalisme tourne, cl l'on
entrevoit des choses mystérieuses. La photographie de la vie et
des choses s'abreuve fa un art de rêve. La réalité s'éclaire de
quelques rayons de l'au-delfa. L'idée de la mon surgit le long de
la route, suivant le récit comme un orage, au fond d'un horizon,
ensinislre les voyageurs d'une grande route pavée. Colle idée,
germée devant le cadavre de deux jumeaux, se nourrit de toutes
le» miettes de la vie qui tombent dans le néant; elle prend corps,
s'accroche fa tout, devient formidable, et mine le comte Pierre de
Feysin, que l'auteur poursuit jusque dans le tombeau, dans l'ana-
lyse de la vie qui se désagrège, jusqu'à la lueur finale, l'aube
étrange, froide et mystérieuse comme un feu follet et blanche
comme une rédemption, qui signe ce livre de son élrange feu.
Et c'est Ifa le mérite très réel de l'œuvre, sa nouveauté et sa
rareté, dans celte usine à bas prix des romans naturalistes
actuels, veulcs et grossiers, d'avoir pris cet envol dans la philo-
sophie et l'au-delà. Beaucoup de réflexions typiques, pénétrantes,
profondes font songer. Ainsi des idées sur Dieu et la faillite des
choses fa l'idée, bien originales.
D'ailleurs, Camille Lemonnier, dans une préface de son style
magnifique, vante en ces termes M. François de Nion : « Il n'ap-
partient fa aucune école déterminée, il les résume et en fait pres-
sentir une nouvelle. Par la notation miniaturée, l'émietlement du
détail, le fragmenté du tableau, sa filiation s'atteste, il demeure
documentaire et précis. Ailleurs il se médiatise, recherche le syn-
chronisme de l'acle et de la pensée, louche aux synthèses : c'est
déjà un élargissement des concepts. Celle figure de M. de Feysin,
avec ses ciselures, ses facettes, ses dessus de lumière et ses des-
sous d'ombre, a les évidences du plus réaliste portrait et à la fois
se perspective sur des lointains d'idéal, se spiritualise par une fine
et constante atmosphère d'intcUeclualiié. Nous percevons un mode
subtil et large de psychologie.
Naturiste et psychologue, l'auteur, M. François de Nion, l'est
donc, mais avec indépendance, avec, en outre, des dons fa lui,
inédits, spéciaux, des perceptions de grâce el de finesse, un sens
des aristocraties. L'habit noir de Feysin s'encadre entre d'aimables
têtes, des élégances de palriciat, des intensités d'âmes claires et
soyeuses. Il appartiendrait fa M. de Nion d'écrire le roman du
monde, qu'il ne faut pas confondre avec le roman mondain. Son
art pimpant et luxueux, affiné el substantiel, compliqué, sensa-
tionnel, son art d'alerte modernité parisienne, avec ses fusées et
ses griseries de forme, ses essences subtiles, la saveur el le mon-
tant de son spirituel impressionnisme, le délègue à celte élude. »
ENQUÊTE SUR L'ÉVOLUTION LinÉRÂIRB '>'
M. CHARLES HENRY
C'est notamment l'auteur d'une esthétique scientifique qui
prétend rattacher à notre organisme physiologique les conditions
et les lois de la beauté. Il pa«se pour avoir influencé en littérature
les décadents symbolistes les plus extrêmes cl les plus conscients,
comme Jules Laforgue el Gustave Kalin, et, on peinture, les
impressionnistes de la division du ton, noiainmonl MM. Seural
cl Signac.
.Mathématicien cl érudil, il a su rendre pratiques plusieurs de
ses découvertes, qui, en même temps qu'elles méritaient l'appro-
bation des corps savants, de l'Académie dos sciences entre autres,
ont abouti à dos réalisations indus'.rielles. Elles s'inspiraient
d'une méthode générale scieiiiifique qui n'est pas encore cnlièrc-
menl formulée, et qui lui a valu de retenir l'attention même de
ses adversaires.
Trente ans, longel mince, dégingandé, il pourrait réaliser phy-
siquement le type de ces êtres uUra modernes, résumant en eux
tons les effets de la longue culture intellocluelle des races; à voir
ces mains effilées, délicates, aptes aux subtiles bosopnos, on ima-
gine aisément que le fluide nerveux qui les fait mouvoir de celte
cxlraordinairc façon esl d'une essence plus raffinée que celui du
commun des mortels ; sa complexion générale exprime la con-
fiance du savant dans la puissance illimitée des machines, — il
dédaigne d'avoir des niusclos...
En résumé, il apparaît très rationnellement comme l'historio-
graplie de nos sensations les plus raffinées, qu'il pèse, mesure, et
où il découvre des mondes ; un des Esseintcs qui serait raison-
nable el savant.
Je lui demande :
— Dans quel sens pensez-vous que l'évolution littéraire pourra
s'exercer?
Je ne crois pas à l'avenir du psycliologismc ou du natura-
lisme, ni, en général, de loule école réaliste. Je crois, au con-
traire, à l'avénemcnl plus ou moins prochain d'un art très idéa-
(1) Voir nos n»' des 14 juin, 9 août, 6 el 13 septembre.
344
L'ART MODERNE
liste, mystique même, fondé sur des techniques absolumeol
nouvelles. Je le crois parce que nous assistons à un développe-
ment et à une diffusion de plus en plus grandes des méthodes
scientifiques cl des efforts industriels; l'avenir économique des
nations y est engagi^ et les questions sociales nous y forcent, car,
en somme, le problème de la vie progressive des peuples se
résume ainsi : « Fabriquer beaucoup, à bon marché et en Iris
peu de lemps ».
L'Europe est condamnée à ne pas se laisser devancer et
même anéantir par l'Amérique qui a depuis longtemps combiné
son éducation nationale et toute son organisation pour atteindre
ce but. Je crois à l'avenir d'un art qui serait le contre-pied de
toute méthode logique ou historique ordinaire, précisément parce
que les cerveaux, fatigués d'efforts purement rationnels, auront
besoin de se retremper dans des étals d'ime absolument opposés.
Voyez, d'ailleurs, la faveur singulière des doctrines occultistes,
spiriles, etc., qui, elles, sont en contre-sens, puisqu'elles ne peu-
vent satisfaire ni le raisonnement, ni l'imagination.
— Le symbolisme vous paralt-il être l'une des manifestations
de cette tendance nouvelle?
— Oui, je serais disposé à y voir une intuition peut-être mieux
précisée d'un art nouveau.
Mais l'intuition de cet art est de tous les temps. Il y a dans la
Ki'/a uuova de. Dante^ et dans les mystiques espagnols, des pages
admirables qui resteront classiques à ce point de vue.
Plusieurs ont compris, parmi les symbolistes actuels, et plus
ou moins vaguement, qu'outre les liens logiques des idées, il pou-
vait y avoir entre les images des associations inséparables fondées
sur des lois purement subjectives. Par exemple qu'entre l'audition
de certains sons, la vision de certaines couleurs et le sentiment
de certains étals d'âme, il pouvait y avoir des liaisons intimes,
inexplicables par des concordances objectives, et dont la raison
est dans les échos analogues que peuvent éveiller ces sons, ces
couleurs, ces états d'âme, sur notre organisation.
Pour être précis : il y a des liaisons entre la vision de la direc-
tion de bas en haut et la vision de la couleur rouge, entre la
vision de la direction de gauche â droite et la couleur jaune. Une
surface rouge paraîtra plus haute, une surface jaune paraîtra plus
large, quoique égales entre elles. Depuis longtemps on associe le
haut avec les sons aigus, et le bas avec les sons graves, à ton,
d'ailleurs, car il y a là l'indice d'un renversement dénotant dans
l'âge moderne une évolution bien sensible d'autre part dans la
tendance des diapasons vers l'aigu.
— N'y a-t-il pas une analogie entre vos théories et celles de
M. René Ghil?
— Les procédés littéraires de M. Ghil n'o^^rtainement aucun
rapport, de près ou de loin, avec la scienc^Ce sont des fantai-
sies individuelles, logiquement construites et qui ont toutes les
raisons d'être incompréhensibles. Voyez, au contraire, dans Raim-
baud : b côté de folies gigantesques, des iniuitions de génie qui
vont au cœur de tout être cultivé. Une technique littéraire un peu
précise supposerait l'accomplissement d'une psycho-physiologie
raffinée dont nous sommes loin. Il y aura toujours, d'ailleurs, !i
la constitution d'une telle science, des difficultés tenant i l'in-
fluence de l'hérédité, de l'histoire spéciale de l'individu, et déter-
minant des pcrturbalions déjouant toute espèce de loi.
De sorte que, au fond, un art vraiment émotionnel avec de
telle tcclinique, sera forcément un art plus ou moins personnel,
plus ou moins de cénacle, et seulement accessible à des êtres
ayant vécu la mémo vie morale : résultat d'ailleurs vers lequel
nous acheminent tou:es les exigences de la civilisation moderne
et les transformations sociales. Plus nous allons, en effet, plus
nous tendons vei-s l'uniformité: voyez, en Angleterre, tout le
monde porte déjà le chapeau 'a haute forme, le cocher est'un gent-
leman qui ne se dislingue en rien de ses clients, sauf peut-être par
un peu de tenue ; les porieuses de pain y ont aussi des chapeaux
îi brides !
Les progrès de l'organisation sociale auront pour effet de
siniplifaT et d'iiméiionr notre psychologie individuelle. Il est
l'vidcnl, n'est-ce pus, que les drames, par exemple, qui reposent
en général sur des malenlendus et des quiproquos, D'inronl plus
aucun sens dans un temps donné; la féerie remplacera, annla-
geusemcnt, d'ailleurs, ces acrobaties psychologiques. Les histoires
d'amour, qu'on nous rabâche encore, n'ont un sens quli cause de
notre état social qui met un très petit nombre de femmes en con-
tact avec un très petit nombre d'hommes et qui a besoin d'entou-
rer de protection et de garanties particulières l'acte d'amour. Il
est évident que tout cela deviendra incompréhensible le jour où la
société se trouvera organisée autrement, les eniants k la charfte
de l'Etal, par exemple, c'est-ft-dire la femme prenant intégrale-
ment possession d'elle-même, et devenant libre de choisir et
d'aimer en genre et en nombre tous les hommes qu'iUui plaira.
Donc, vous le voyez, la marche nécessaire des progrès
industriels et économiques nous mène à une simplification en
toutes choses...
— Hais la langue? dis-je...
— La langue, de même, sera soumise ii cette évolution. On en
a des exemples frappants; il est certain que l'on arrivera à un
certain état stable de la langue qui tiendra à une certaine immo-
bilité dans l'évolution des facteurs psychologiques. Je considère
l'évolution des langues comme due !i la contrariété qui se produit
entre les sons naturels des voyelles et les tons de la voix qui
expriment le gentiment suggéré par le mol...
— Je ne saisis pas bien, dis-je à M. Charles Henry.
— Exemple : 4o suggestion d'une sensation excitante par une
idée dont le mot se compose de voyelles basses comme u et ou
déterminera fatalement la transformation du vocable en des
voyelles plus hautes ; c'est ainsi qu'a pu se faire la transformation
de pater en pire; a est un si bémol du troisième octave, e est un
si naturel du quatrième octave, d'après Helmoltz. L'idée qu'on se
faisait de la paternité n'a-t-elle pas évolué? Mais il serait trop long
même d'essayer ici à résoudre un problème de cette complication.
Pour arriver à quelques notions précises dans cet ordre d'idées, je
prépare en ce moment un appareil pour analyser les modifications
des bruits el des sons émis suivant l'expression du sentiment; je
vous le montrerai un de ces jours.
— En résumé, comment la littérature de l'avenir vous appa-
raltelle?
— Je vois dans l'avenir des gens courbaturés, par le calcul
intégral, les problèmes de distribution, etc., qui chercheront le
repos dans une hydrothérapie physique et morale; oui, l'extraor-
dinaire contention de ces cerveaux exigera pour leur repos des
bains de sentiments moraux très élevés, cosmiques, universels,
des idylles d'où toute réalité et toutes contingences seront
bannies...
Jules Hcret.
fkHRONIQUE JUDICIAIRE DE^ ^RTg
Photogx^phles coloriées.
La Cour d'appel de Paris a fait dernièrement une application
assez curieuse de la législation sur le droit d'auteur. M. Loire,
artiste-peintre, ayant aperçu à la vitrine de ceruins confiseurs des
reproductions en couleurs, sur des bottes à bonbons, de son
tableau Us Infortunes de Pierrot, fit saisir les exemplaires el
assigna les fournisseurs des boites, MN. Chevalier et Laurent,
fabricants de cartonnages, en dommages-intérôU. Ceux-ci allé-
guèrent qu'ils avaient acheté les photographies chez Braun, lequel
était autorisé à reproduire le tableau de M. Loire el à vendre les
photographies.
— En noir, oui. En couleurs, non, riposta l'artiste. El surtout
pas pour servir de couvercle â des boites de pralines et de fruits
confits.
Le tribunal civil de la Seine donna raison au peintre.
« Attendu, dit-il, que la reproduction d'un tableau ou dessin,
sous une forme nouvelle et non autorisée, au mépris des lois sur
la propriété des auteurs, est une contrefaçon;
« Que Chevalier et Laurent en coloriant les photographies
LART MODERNE
345
lebelies de Braun, et les collant sur des bottes à bonbons, en
ont modiâé l'aspect de même que la deslinaiion ;
« Qae celle image coloriée, imilant le tableau de Loire sous
aoe forme imparfaite et placée sur des menus objets de confiserie,
a caosé k l'artiste un préjudice que le Tribunal a les éléments
nécessaires pour fixera 300 francs »
Sar l'appel des fabricants, qui avaient en outre fait intervenir
MM. Braon et C* au procès, la Cour a confirmé le jugement et
déclaré les appelants mal fondés dans leur appel en garantie,
avec condamnation aux dépens.
Que celle petite leçon soit profitable aux a bonbonniers » indé-
licats
Petite chroj^ique
M. Georges de Saint-Cyr constmil rue Royale, 180, une salle
destinée aux expositions d'oeuvres d'art, aux auditions musicales,
aux conférences, etc. La OaUrie moderne — c'est le nom choisi
— sera éclairée le soir et pourvue des principales publications
artistiques, qui seront mises à la disposition des abonnés.
Une circulaire, distribuée ces jours-ci, invite les artistes qni
désireraient profiter de ces avantages ii s'inscrire au plus tél. C'est
au commencement de novembre que s'ouvrira celte galerie nou-
velle, appelée k rendre de sérieux services aux artistes.
La vente de la bibliothèque de feu M. A. Scheler, le bibliothé-
caire do Roi et de S. A. R. le comte de Flandre, vient de se ter-
miner soos la direction du libraire-expert E. Deman.
A signaler parmi les adjudications : Le Trétor de* livre* rares,
de Graessc, vendu 460 francs; — V Imitation de Jétut-Chritt, de
l'Imprimerie impériale, 390 francs ; — un Heptaméron de Afar-
gueriude Navarre, édition illustrée de 1780, 130 francs; — le
Râlait de Le Duchat, avec gravures de Bernard Picart, 140 fr. ;
— le Dictionnaire de l'ancienne langue française, de Godefroy,
MO francs.
Parmi les intéressants autographes relevéfi fa la fin du cata-
logue, nne série de lettres des membres du Congrès national a été
fijtt 180 fraa«; — une curiease missive de l'actrice Louise
CoÂlai, 36 francs; — diverses lettres de Napoléon I", S5 fa 30 fr.
ebMOM ; — un reçu sur parchemin, signé par saint Vincent de
Paul, 70 francs; — une précieuse lettre de Voltaire fa Lckain, le
tragédien Célèbre, 50 francs; — enfin, fa des prix divers, des let-
tres de François l**, Henri IV, Marie de Médicii, etc.
En résané, vente d'un vif intérêt en laquelle notre Bibliothèque
' nationale, lUniversilé de Bruxelles et les Archives ont disputé
avec succès d'heureux achats aux bibliophiles et aux libraires du
pays et de l'étranger.
Prochainement s'ouvrira fa Paris une exposition internationale
d'instruments de musique. Non seulement on y verra exposés
tous les instrumentt modernes dans tous leurs deuils — ainsi que
les ateliers de travail — mais encore les instruments anciens les
plus curieux.
On parie même de concerts d'époques et selon les styles de
chaque siècle.
Les fluctuations des prix d'oeuvres d'art sont parfois curieuses.
En 1858, — c'est d'après un volume de la Revue des Beaux- Avis
de la dite année que nous citons ces prix,— on se faisait adjuger
en vente publique un Decamps, {U Soir, forêt), pour S-SO fr. ; un
dessin du même, (Campagne de Rome), pour 305 fr. ; un Eug.
Delacroix, {Ottelloet Desdemona), pour 510 fr.; un Diaz, (F^ius
et FAmour), pour 400 fr. ; un Jules Dupré, {Prairies), pour
ÎOO fr.; un Troyon (Paysage avec animaux), pour 425 fr. ; un
Debucouri, (Fite foraine), pour 230 fr.
U est vrai que tous ces artistes vivaient encore, fa l'excepiion
du dernier !
Le dernier numéro des Hommes d'aujourd'hui (Vanier édit.)
publie un portrait-charge de Caran d'Ache, le dessinateur humo-
riste (de son vrai nom Emmanuel Poiré), dessin de Luque, texte
de Pierre et Paul. Des croquis de, Caran d'Ache illustrent ce
numéro.
A conserver, cet extraordinaire « document », trouvé dans la
Revue Belge au sujet d'an des plus purs artistes de l'époque :
a RiEH m'est plus FACILE QlSt, DE FAIRE DE l'ODILON ReDON :
c'est le procédé préconisé par le Vinci, le hasard dans l'enchevê-
trement des lignes, qui est appliqué aux taches de clarté et
d'ombre; en un mot, c'est le hasard qui produit un Ubleau, un
ensemble. 1! suffit de juxtaposer, sans idée préconçue, un cheval,
un oeil, une tête, du blanc, du noir, beaucoup plus de noir que
de blanc, ou bien plus de blanc que de noir, de bien mêler le
tont et de servir chaud an jeune public épaté. » (!!!)
La Curiosil/ universdle donne sur l'origine des bâtons de chef
d'orchestre les curieux détails ci-après : Le maître de musique
chez les anciens battait la mesure tanlêt par le mouvement du
pied, c'était alors le pedarius, tantôt en réunissant les doigts de
la main droite dans le creux de la main gauche. 11 s'appelait ainsi
le manuduclor. Il y avait aussi le claquement des écailles, des
coquillages, des ossements.
Lulli, le premier, ne sachant comment inculquer fa ses violons
le sentiment de la mesure, s'arma d'un bâton haut de six pieds,
dont il frappait rudement le plancher. L'n jour il frappa, non pas
sur le sol, mais sur son pied. La blessure d'abord légère, par
suite de refiis de soins, devint gangreueusc et amena la mort de
Lulli (M mars 1637).
Le bâton continua son rôle jusqu'à la fin du xvui" siècle et
plusieurs célébrités s'occupèrent de lui. Rousseau qualifie le chef
d'orchestre de l'Académie royale de musique de Bûcheron fa cause
des grands coups qu'il ne cessait de donner sur son pupitre.
Grélry était l'ennemi du baUeur de mesure. Grim, enl766, qualifie
de frappe-bâton celui de lOpè.-a, dans Ctfphaleet Procris, ioné fa
Paris. En mai 1T75, le chef d'orchestre est appelé dans un
dialogue le batteur de mesure.
Habeneck inaugura fa l'Opéra, en 1821, ce fameux coup d'archet
ce petit bruit du bois sur le bois — appelé lack, qui dominait
toutes le» rumeurs du théâtre.
Strauss imagina le bâton de mesure. A sa mort, en 1849, dans
un de ses concerts populaires à Vienne, le doyen des violonistes
offrit, devant trois mille spectateurs, à Jean Strauss qui succédait
fa son père, ce bâton devenu célèbre.
Celui de Meyerbeer était d'argent massif. Fétis avait le sien
enrichi d'or et de pierreries. Mozart conduisait des chœurs fa
Salibourg, son pays natal, avec une baguette d'ivoire.
ONZIÈME ANNÉE
L'ART MOOEIRNE s'est acquis par l'autorité et l'indépendance de sa critiqae, par la variété de ses
informations et les soins donnés à sa rédaction une place prépondérante. Aucune manifestation de l'Art ne
lui est étrangère : il s'occupe de littérature, do peinture, de soulpture, de gravure, de musique,
d'architecture, etc. Consacré principalement au mouvement artistique belge, il renseigne néanmoins ses
lecteurs sur tous les événements airtlstlques de l'étranger qu'il importe de connaître.
Chaque numéro de L'ART MODERNE s'ouvre par une étude approfondie sur une question artistique
ou littéraire dont l'événement de la semaine fournit l'aotuallté. Les expositions, les livret nouveaux, les
premières représentations d'œuvres dramatiques ou musicales, les conférences littéraires, les concerts, les
ventes dobjets cTart, font tous les dimanches l'objet de chroniques détaillées.
L'ART MODERNE relate aussi la législation et la jurisprudence artistiques. II rend compte des
procès les plus Intéressants concernant les Arts, plaides devant les tribunaux belges et étrangers. Les
artistes trouvent toutes les semaines dans son Mémento la nomenclature complète des expositions et
concours auxquels ils peuvent prendre part, en Belgique et à l'étranger. Il est envoyé gratuitement à
l'essai pendant un mois à toute personne qui en fait la demande.
L'ART MODERNE forme chaque année un beau et fort volume d'environ 450 pages, avec table
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Le numéro : 26 centimes.
Dimanche l" Novembre 1891.
L'ART MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE ORraQUE DBS ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Comité de rédaction i Octave MâUS — Edhond picard — Ëbiilb VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. — ANNONCES : On traite à ferrait.
Adresser toutes les communications à
l'administration oénérale de TArt Moderne, rue de Tlndustrie, 32, Bruxelles.
^OMMAIRE
UNB ENQUftTE QDI s'iMPOSK. — DoCUMS.NTS A CONSERVBR. — Le
Rapport du Jury lur la Princesse Maleine. — La Maison du
Roi. — La question des musées. — Chronique judiciaihjs des
ARTS. — Accusés DE BÉCEPnoN. — Petite chronique.
UNE ENQUÊTE QUI S'IMPOSE
A propos de notre opiniâtre campagne relative aux
Musées nationaux et à l'Administration des Beaux-Arts,
on annonce que M. Siingeneyer, à la rentrée des Cham-
bres, réclamera une enquête.
Bravo ! Il faudra donc que ces étranges muets sor-
tent de leur inexplicable silence. Ils en ont vraiment
besoin, car des légendes commencent à se former, nui,
surtout s'il est investi d'un mandat public, ne pouvant
impunément se taire et la vieille tactique qui consiste
à Éaire semblant de ne pas s'apercevoir, n'aboutissant,
en définitive, qu'aux pires soupçons.
M. Siingeneyer rendra donc service à ses collègues
en même temps qu'à l'intérêt général. Il est d'une con-
science trop délicate pour ne pas souffrir beaucoup de
l'inertie que ce collège affecte. Nous avons plus d'une
fois rendu ici même hommage au sentiment élevé qu'il
a de l'art et des devoirs de l'artiste. Nous comprenons
qu'il ne veuille pas exposer davantage la très honorable
situation qu'il s'est acquise, et que, dans l'impossibilité
où il se trouve, en galant homme, de donner sa démis-
sion immédiate, qu'il songe à provoquer une mesure
qui mettra en relief les responsabilités de chacun. Le
bruit court que le nouveau ministre de l'intérieur, dont
l'indépendance vis-à-vis de la routine des bureaux
s'accentue de plus en plus, abonde dans le même sens.
Nous aurons donc, espérons-le, une enquête.
C'est là un résultat considérable de la polémique que
nous avons instituée et que quelques journaux ont
appuyée; lesautres, pourdes raisons que nous n'avons pas
à approfondir, ont observé une assez singulière réserve.
Cette enquête remplacera avantageusement l'infor-
mation officieuse que nous avions commencée avec de
grandes difficultés, car, lorsqu'on en est réduit aux
forces et à la bonne volonté privées, il est extrêmement
malaisé de pénétrer les mystères administratifs, et les
occasions d'erreurs peuvent être fréquentes. Il est stu-
péfiant que dans un pays de libre critique il ait fallu
pendant environ quatre mois se contenter de ce mode
imparfait, alors que de si graves intérêts étaient enjeu,
et qu'on ait assisté au spectacle de particuliers con-
traints de faire eux-mêmes la police de nos collections
nationales.
Nous arrêterons donc à partir de notre prochain
numéro la publication des renseignements qui chaque
348
L'ART MODERNE
semaine nous arrivent plus abondants et toujours plus
caractériques. Un procédé officiel et plus sûr va rem-
placer notre action individuelle. Nous ne doutons pas
que nos obligeants correspondants admettront cette
réserve. Qu'ils songent, au surplus, que le contrôle est
souvent embarrassant à cause de l'attitude expectante
de l'ennemi que nous harcelons et que, dans ce bon pays
de zwanze, il ne manque pas d'imbéciles qui essaient de
faire trébucher, par de misérables et puériles mystifica-
tions, l'accomplissement d'un devoir courageusement
poursuivi, sans acception de personnes et sans crainte
des ennuis.
Une enquête! oui, parfait. Mais à la condition qu'elle
soit sérieuse.
A cet égard d'immédiates réflexions viennent à l'es-
prit.
La direction et l'administration des musées sont con-
fiées à une commission de dix membres, chargée
aussi de compléter les collections. Les achats, proposés
par elle, exigent une autorisation du Ministre, dont on
avait fait, avant l'arrivée de M. de Burlet aux affaires,
une formalité tellement vaine que le Van Ostade récem-
ment acquis 50,000 francs à M. Gauchez était déjà en
place au musée avant qu'elle n'eût été obtenue : c'est là
que le Ministre récalcitrant a dû aller le voir. Trois
commissaires experts sont attachés aux musées; pour
le moment VAlmanach royal officiel n'en renseigne
que deux : MM. Victor Le Roy et Lampe; les avis qu'ils
sont appelés à donner sont consignés par écrit et signés
par eux; mais le bruit court que leur contrôle a été
plus d'une fois dédaigné.
Les membres de la Commission sont présentement
MM. Fétis, Portaels, Slingeneyer, Balat, Fraikin,
Robie, Guffens, comte de Beauffort, Emile Wauters,
Clays, A. De Vriendt, Dclebecque, et Jean Rousseau, ce
dernier cumulant fort étrangement cette fonction avec
celle de Directeur des Beaux-Arts, de telle sorte qu'en
cette dernière qualité il a le contrôle des actes qu'il
accomplit en la première.
Eli bien, pour éviter toute équivoque, toute malice et
toute mystification, nous demandons :
1° Que la Commission d'enquête soit composée
d'artistes et d'amateurs pris en dehors de ce monde
administratif et officiel qui ne saurait, soit par les fonc-
tions qu'il occupe, soit par ses attaches mondaines et
autres, avoir l'indépendance indispensable pour ne rien
commettre qui ressemble à une complaisance ou à une
indulgence;
2° Que comme première mesure on se fasse repré-
senter les procès-verbaux et feuilles de présence de
cette fameuse commission à noms plus ou moins reten-
tissants, afin de constater par l'examen de l'assiduité
ou de l'absence aux séances, la part que chacun a prise
dans tout ce qui a été fait ;
3° Qu'on dresse la liste officielle et complète des
achats avec les prix exacts, car on conaprend combien
l'erreur est aisée là-dessus, puisque, depuis plusieurs
années, sans qu'on sache exactement pourquoi, sauf
qu'on le devine trop, ces prix n'ont plus été inscrits au
catalogue. C'est ainsi qu'il parait que la Peste de
Tournay, cette immense non- valeur, a été payée 105,000
francs et non 180,000. La bêtise de cet achat subsiste,
mais le chiffre, toujours formidable, doit être réduit.
Cette liste devrait mentionner les noms des vendeurs
et résumer les motifs allégués par la Commission dans
la dépêche qu'elle doit adresser au Ministre pour obte-
nir son consentement à l'achat : ou nous nous trompons
fort, ou il y aura là de curieuses révélations.
4" Que pour chaque œuvre on s'assure si les com-
missaires-experts ont été consultés et ont délivré les
avis écrits obligatoires, signés par eux. C'est là un point
de la plus haute importance, étant données les critiques
sérieuses dirigées en Belgique et à l'étranger contre
l'authenticité de certains tableaux. Il serait même bon
de réunir pendant un certain temps tous ces achats
dans une salle unique, ouverte au public, où ils seraient
soumis à la critique générale des artistes, des savants
et des amateurs.
50 Que l'on dresse aussi la liste des restaurations,
avec indication des restaurateurs et des salaires qui
leur ont été payés. Ce côté de l'affaire mérite une atten-
tion particulière. Là également il faut se mettre en
garde contre les équivoques. Récemment on nous
disait : <• Ce n'est pas le Quentin Metsys de Louvain qui
a subi le traitement atroce raconté par M. Siret
en 1884, c'est un autre tableau ». On voit d'ici la tac-
tique : on produirait la note du premier, on se tairait
sur le second, et on triompherait. Pareil tour doit être
déjoué : il le sera par le relevé intégral. Cette indication
des restaurations mise en rapport avec les œuvres
permettra d'apprécier ce qu'on leur a fait subir. De
plus les procès-verbaux de la Commission permettront
d'apprécier quelles mesures ont été prises pour les
préserver des sacrilèges de rentoileurs abandonnés à
eux-mêmes.
6° Que la Commission d'enquête ait le droit de sou-
mettre les œuvres à des expertises sérieuses au point
de vue de leur authenticité et de leur valeur; qu'elle
puisse entendre quiconque s'off'rira à lui fournir des
renseignements sur l'origine des tableaux et sur les
prix antérieurement payés; qu'elle puisse appeler
devant elle les critiques qui s'en sont occupés pour les
contester ou les réduire à leur juste valeur; qu'elle ait
le droit de prendre toute mesure utile comme, par
exemple, de confronter à Cologne même les Têles de
nègres de Bruxelles avec celles qui sont dans le musée
de cette ville.
Ce qui précède ne concerne que les tableaux anciens.
L'ART MODERNE
349
A chaque jour suifit sa peine. Il faudra, quand la
lumière aura été faite là-dessus, entamer aussi les
modernes.
Voilà rapidement les points sur lesquels nous atti-
rons l'attention de M. Slingeneyer. S'il veut faire une
besogne sérieuse, que ce soit là sa plate-forme. Il est
parfois un peu timide dans ses critiques. L'occasion est
bonne pour rompre les chiens et montrer ce que peut un
honnête homme las enfin du rôle subalterne qu'on lui a
fait jouer dans cette comédie. Car il est vrai, n'est-ce
pas. Monsieur, que si vous aviez pu vous douter de tout
ce qu'il y a à redire, il y a longtemps que vous et plu-
sieurs de vos collègues auriez été plus exigeants et plus
fermes dans l'exercice de vos fonctions? Que votre atti-
tude prochaine, à la rentrée des Chambres, vous lave
de ce léger reproche que nous nous permettons.
Et tenez. Monsieur, puisque nous nous adressons à Vous, voici
deux faits sur lesquels nous attirons votre attention, parce qu'ils
peuvent mieux montrer ii vous-même comment ces choses se pas-
sent et le rôle qu'on fait jouer à la Commission.
Savez-vous que lorsque fut annoncée, il y a peu de mois, la
vente Buisseret, oCi figuraient plusieurs tableaux anciens dignes
d'attention, le Ministre mit il la disposition de la Commission un
subside que noua croyons être de KO, 000 francs et obtint de la
famille de Buisseret une promesse de fixer des époques de paiement
commodes. A cette vente figurait un beau Van Oslade qui fut
adjugé pour 7,000 francs ou environ? On vous a vu, avec
deux ou trois de vos collègues, il l'exposition. Mais rien ne fut
acquis. A cette même époque la Commission achetait .S0,000 fr.
l'autre Van Oslade à M. Gauchcz et, comme nous le disions plus
haut, considérait l'avis favorable du Ministre, nécessaire aux ter-
mes des arrêtés, comme une formalité de si peu de conséquence,
qu'elle faisait pendre l'œuvre au .Musée avant de l'avoir obtenue
et le mettait dans la délicate situation de l'accepter aveuglément
ou de provoquer un fâcheux conflit avec le marchand.
Savez-vous si ce tableau a été soumis aux commissaires-experts
et s'il existe d'eux l'avis écrit et signé prescrit?
Savez-vous qu'en proposant au Ministre l'achat de ce Van
Ostade sept fois plus cher et, supposons-le, sept fois meilleur
que celui de la famille Buisseret, on a essayé d'endosser au même
Ministre, qui a furieusement reginjbé, deux autres tableaux, pré-
sentés avec force vanteries, l'un de 50,000 francs, l'autre de
35,000 francs. Avaient-ils été soumis aux experts et approuvez-
vous les boniments qui accompagnaient la demande de ratifier
l'achat de ces toiles?
V^
JOCUMENT? A CONSERVER
L« Rapport du Jory sur « la Princesse Malelne •
Il y aurait une lacune dans l'Art moderne si sa collection ne
comprenait pas ce monument de l'incurable mauvais vouloir, et
de l'étonnante ignorance du groupe des arriérés, pour la Littérature
belge nouvelle. Et comme nous avons l'espoir et l'orgueil (oui,
l'orgueil!) de croire que ce journal restera un témoignage de ces
résistances ineptes et des luttes par lesquelles on |i:s a vaincues,
et qu'il servira il ceux qui feront l'histoire de l'Art national en ces
temps où tout ce qui chez nous est vieilli et délétère aura été
bousculé et anéanti, nous voulpns combler cette lacune et nous
érigeons en nos colonnes cette dépouille d'ennemis si amoindris
qu'ils ne prêtent plus qu'au rire.
Voici ce texte, rédigé par l'un de ces jurés incomparables et
approuvé par les aulres :
Monsieur le Ministre,
Le jury chargé de juger le concours triennal de littérature drama-
tique en langue française, pour la période 1888-1890, a l'honneur de
vous adresser le résultat de son examen et le résumé de ses délibéra-
tions.
Le département de l'intérieur a reçu et transmis au jury dix pièces
dont voici les titres ; La Microbes: L'homme du siècle; Ambiorùc;
La princesse Haleine; Les Aveugles; Le Roman d'une ouvrière ;
Comtesse; Le Mariage de lierlhe; Trop de Bâtards et Le Pont du
Diable. Dix œuvres de pres(iue tous les genres, puisqu'on y trouve
une tragédie en vers, à forme classique, une féerie en dix-neuf tableaux,
deux drames, de hardiesses nouvelles avec des imitations anciennes,
une comédie d'âpre réalité, d'autres comédies à complications émou-
vantes ou à plaisantes surprises.
Le jury a examiné ces différents ouvrages, en y cherchant les
marques les plus originales de talent, et sans aucun souci des
systèmes, des écoles d'art dramatique, des vieilles ou neuves formules.
Bien avant l'homme qui a eu plus d'esprit que tout le monde, on
savait que tous les genres sont bous; et les publics qui, autrefois
et aujourd'hui, ont admiré Œdipe-Roi, Macbeth, Andromaque,
Hemani, comme ceux qui se sont plu à l'Ecole des Femmes, aux
Jeux de VAmour et du Hasard, à Diane de Ly», au Gendre de
M. Poirier, au "Voyage de M. Perrichon, à la Petite Marquise,
n'ont pas adopté successivement des théories contraires, en se laissant
prendre à toutes ces œuvres puissantes ou charmantes.
Les auteurs présentés au concours triennal de littérature drama-
tique en langue française ne semblent pas se proposer de faire des
révolutions au théâtre. Le seul, dont on ait cité une parole sur son
dessein particulier de drame, aurait dit : •• Je vais tâcher de faire une
pièce à la façon de Shakespeare pour un théâtre de marionnettes ». Ce
qui est une fantaisie curieuse, mais n'aspire évidemment pas à être
un modèle nouveau et fécond pour l'art dramatique.
Le jury, consciencieusement appliqué à découvrir celui des neuf
auteurs ayant le plus personnellement fait œuvre d'art, ne prétendait
couronner un drame tout neuf ou une comédie audacieuse, une pièce
de conception forte ou d'exécution vivante. Peu de concours ont
apporté de ces pleines révélations. Il nous suffisait de reconnaître
quelque chose de saisissant, des mérites individuels de forme, une
façon particulière de rendre la terreur ou la pitié, le mystérieux, le
naif ou le pittoresque.
Nous avons déjà rappelé l'opinion d'un critique illustre, disant à
propos d'un concours de littérature dramatique : « Quand des récom-
|)ense3 publiques sont proposées par l'Etat, il est de bon exemple
qu'elles trouvent leur objet; il est pénible de venir déclarer, après
examen, qu'il n'y a pas lieu à les décerner ». Le prix triennal de litté-
rature dramatique ne fut pas décerné en Belgique en 1882, ni le prix
quinquennal de littérature française en 1883. Cette dernière décision
fut surtout critiquée, et avec beaucoup de véhémence, par nos jeunes
littérateurs, qui avaient souhaité généreusement qu'un de leurs chefs,
brillant et vigoureux écrivain, obtînt cette « récompense publique de
l'Etat ". Il l'obtint dans le concours quinquennal suivant, et aux
applaudissements de tous, avec un livre sur la Belgique, ayant le
double mérite d'un style très éclatant et d'une fierté très patriotique, de
descriptions très orgueilleuses et très caractéristiques de notre pays.
Notre jury n'a pas pris sa décision, fait son choix, par la principale
raison qu'il est « de bon exemple " que les couronnes officielles
350
VART MODERNE
soient distribuées. Quelques-unes des œuTres présentées ne «ont pas
sans mérites, mais leur quantité et leur qualité d'art ne nous ont pas
paru suffisantes. Nous proposons d'attribuer le prix à la Princesse
Ualeineàe'ii. Maurice Maeterlinck, précisément parce que l'auteur
est un artiste délicat, un chercheur de naïveté et d'étrangeté, un
écrivain de science raffinée. Qu'on ait pour lui des ambitions violentes,
qu'il peut justifier plus tard, qu'il soit d'une école nouvelle ou qu'il
fasse des pastiches d'autrefois, peu importe : M. Maeterlinck a sa
personnalité d'écrivain et il a produit quelque chose de rare.
Le rapporteur se permet de redire ici un peu de ce qu'il avait dit
ailleurs de la Princesse Maleine : c'est un drame en cinq actes, dont
les personnages n'ont aucun caractère et les événements aucune origi-
nalité. Rien de moins compliqué que ces personnages dont on ne sait
rien, mjirqués par quelques traits rudimentaires, et que ce» événe-
ments d'une horreur inexpliquée. L'art subtil et net de M. Maurice
Maeterlinck est d'avoir prêté du charme et du tragique à des scènes
si peu vivantes, à des êtres si indistincts, à des sentiments si peu
profonds. Ce drame d'une guerre figurée par quelques images
exiguës, d'un amour exprimé par quelques paroles terrifiées, de traî-
trises et de meurtres dévoilés en quelques mouvements rapides, ce
drame embryonnaire, de réalité nulle et d'humanité vide, arrive au
saisissant et au délicieux par sa naïveté savante. C'est du primitif,
refait avec une ingéniosité minutieuse, dont on voit le jeu souvent,
mais dont les lignes ont une précision rare. Et l'émotion de ce conte
bleu, où l'on sent l'épouvante et le mystère, a une intensité vague,
apporte des contours arrêtés à une vision chimérique.
Dans toutes les crises du drame, les personnages ne s'expliquent
sur l'événement que par quelques exclamations, et, le plus souvent,
par quelques onomatopées, comme : " Oh I Oh I Oh 1 •> Ainsi M. Maeter-
linck évite tout le poncif des réflexions et des discours des gens très
affligés. Il ne risque pas de faire de phrases déclamatoires ni de
morceaux fâcheusement éloquents, puisqu'il n'en fait pas du tout.
C'est très ingénieux. Mais, tout en se garant du poncif, il se dérobe
au plus difficile et au plus noble de l'art dramatique, à cette difficulté
de montrer la diversité des caractères, le dedans des âmes et le mouve-
ment des passions sous les coups du sort ou dans les férocités des
luttes.
M. Maurice Maeterlinck n'a pas voulu que sa Princesfe Maleine
fût un drame de cette sorte. Il a écrit, avec une délicatesse très
curieuse, avec les finesses et les sûretés de ce temps-ci, un poème
dramatique primitif, Par la netteté du style, par la fraîcheur ou
l'étrangeté des images, par,le choix des petits détails pittoresques ou
émouvants, tous très'suggestifs, la Princesse Maleine est une œuvre
originale : originale, malgré le factice de sa naïveté ; charmante,
malgré l'insistance de ses procédés; forte, malgré la pftleur anémique
de ses personnages. C'est un drame artificiel, avec des situations A
à peine accusées qui font frémir, et avec des mots à peine expliqués
qui font rêver.
Le jury, chargé de désigner pour le prix, l'œuvre la plus remar-
quable, parmi celles qui ont été présentées au concours triennal de
littérature dramatique de 1888-1890, propose de couronner la Prin-
cesse Maleine, de M. Maurice Maeterlinck.
Veuillez agréer. Monsieur le ministre, l'expression de nos senti-
ments les plus distingués.
Le rapporteur,
0. FhiUd^rix.
La Nation a signalé le caractère insolent et malveillant de cet
étrange factum. Elle a signalé aussi le piège auquel était exposé
le poète convié à accepter la prétendue distinction qu'on lui avait
annonréo sans lui faire connaître de quel nnéchant commentaire,
de quelles venimeuses restrictions on se réservait de l'accompa-
gner. Son instinct l'a servi hcureuscmenl, et il a évité Jd recevoir
la palme qu'on était résolu à accompagner d'un soufflet. Bien
mieux, c'est lui dont la fière altitude a calotte ces distributeurs do
couronnes eofielléen. Le voil-on pris dans ce traquenard et risi-
blement traité en moutard de lettres par ces gëronleaf
Ces ricanants marmollages comblent la mesure. La guerre doit
être à mort entre ces incorrigibles et les représentants de l'art
neur. Que tous s'unissent pour les abattre sans trêve ni merci.
Qu'il toute attaque nouvelle réponde une exécution immédiate
et impitoyable.
Nous n'y faillirons pas. Toute concession, toute indulgence,
toute tendance i la paix ou i la trêve ne sont que duperie.
En avant done et préparons-nous k sabrer de nouveau ! Sus,
sus, il la moindre incartade.
Et d'autre part, nous adressant au Minisire qui nomme ces
stupéfiants jurés, nous lui disons : Vous avez désormais la preuve
évidente de la partialité de ces personnages; rien, en eux, ne pré-
vaut contre leurs préjugés et leurs parti-pris; iU ne jugent plus,
ils insultent ; ils ne songent plus il encourager notre littérature,
ils n'ont de préoccupation que d'assouvir leurs animosités et d'es-
sayer de sauver leur autorité vermoulue; les désigner encore pour
remplir une mission qui veut le désintéressement, le calme,
l'équité, serait un déni de justice; si vous voulez que celte insti-
tution qui leur a été livrée ne tombe pas sous le mépris, qu'il ne
soit plus jamais question d'eux ; choisissez ailleurs des artistes
dignes de l'exercer, choisissez-les parmi les générations nouvelles
et laissez définitivement aux Invalides ces malheureux infirmes de
l'esprit; ils se vantent d'être des Sainte-Beuve; ils se parent, en
effet, de toutes ses plumes, sauf de celle avec laquelle il écrivait.
LA MAISON DU ROI
Lentement, lentement se complète, avec des détails d'archéo-
logique saveur, le prestigieux décor architectural de la Grand'-
Place. Après les maisons de corporations restituées en leur prime
silhouette, voici enfin sortir de ses langes ligneuses l'antique
Broodthuis, tel que l'avait projeté Antoine Keldermans, « maître
ouvrier des maçonneries de Mgr le Roi en Brabanl », et que l'au-
rait achevé Henri Van Pede, l'habile et original ciseleur de cette
châsse en pierre qui s'érige, précieuse, en la place commune
d'Audenarde.
Peu de monuments, en Belgique, ont été restaurés avec cette
respectueuse religiosité qui requiert , dans tel chapiteau aux
spongieuses nervures ou telle arcade trilobante sertissant d'une
courbe harmonieuse le plus oullre charlequintesque ; on sent, en
tout ceci, une pénétration intime des documents historiques, une
assimilation patiente du sentiment décoratif post-ogival, une ino-
culation, pour dire ainsi, du goût spirituel des artistes de l'aube
encore fiamboyaote du xvi* siècle, qui témoigne des sérieuses
recherches de labeur bénédictin auxquelles se sont livrés, en ces
ultimes années, M. Jamaer et ses collaborateurs. A eux, et de
droit, vont les félicitations des esthètes.
Ce n'est pas sans crainte que nous attendions la mise au jour
de la double galerie i^oge et non bretèque, erronément qualifiée
par les incompétents), surgie du cerveau de Keldermans mais
jamais réalisée : seuls les culots et les premiers claveaux des ner-
vures encastrées aux façades en constituaient les rares témoins.
En ces temps de gaffes artistiques, un manque de goût, une gau-
cherie de composition, une note discordante mellant i vau-l'eau
cet exquis monument étaient à redouter. Or, point. Bien que de
proportions un peu élancées, les arcades rez pied, aux tympans
v*» :■''"'■:•" ;'■
L'ART MODERNE
351
cartenaeroeiit aecoladét, reçoivent un adjuvant de non-monotone
allare par le ledooblement des baiei de la galerie supérieure :
l'ensemble, harmonique, vaut, tant par le profil nerveux des
détails que par l'intime liaison de contexture avec l'ordonnance
architecturale du Broodtkuù même.
Viennent maintenant, l'an qui suivra, les voûtes en briques,
jetant, dans la teinte gris-perle des pierres, leur note réchauffante
de vermillon atténaé, et l'œil éprouvera la joie grande que les
clochettes, cloches et bourdon du carillon apporteront plus tard
k roreille.
n n'est œuvre, tant parfaite puisse-t-elle élre, qui soit ii
l'abri des critiques ou des regrets; ci, les nôtres :
Vue en son intégrité, la galerie manque peut-être, aux angles,
de points accusant nne certaine fermeté; isolées, se détachant
sur le vide, les dernières colonnes paraissent amaigries : des
piliers, diagonalement disposés de façon k contrebuuer la résul-
tante des poussées des voAtes extrêmes, eussent mieux calé ces
hofa-d'cenvre, si légèrement écbafaudés, et dont les masses
demandaient k être balancées et conclues par un rappel des
vigueurs du pied de la tour. — Et les pluies, inondant les ter-
rasses, qu'en feraH-oiiT Nulle trace, pour le dégorgement, de
gargouilles, cet élément aussi utile que décoratif; aussi restons-
nous anxieux, et n'osant croire au dégoulinement des eaux par les
clefs de voûtes sur le chef des passants, nous appréhendons l'em-
ploi, lâchement dissimulé, de tuyaux de descente, solution éco-
nomique mais non logique.
Nous sera-t-il permis de ne pas être enthousiaste des cheva-
liers, lansquenets, rettres, hérauts d'armes, gonfaloniers, etc.,
qni peuplent, combien trop nombreux, les pinacles des pignons
grands et petits ; si elles sont admissibles aux gables des ruelles
latérales, ces posturettes, de détails minuscules et papillotants,
remplacent mal, sur tes lucarnes, les fleurons de pierre qui,
rationnellement, devaient s'y épanouir. Autre erreur : l'emploi du
bronze qu'une dorure, de patine dartreuse, dénature ; ainsi com-
prises, ces figurines sont plutôt bibelots d'étagère que terminai-
sons de silhouettes architecturales. La pierre, ici, s'imposait, ainsi
quli Audenarde où des bambins, de facture grasse et simpliste,
forment, avec l'aiglon autrichien, le plus savoureux diadème de
lucarne qui se puisse rêver.
S'il en est temps encore, crions casse-cou à l'architecte de la
Ville, et déclarons-lui, en franchise entière, que la flèche pro-
posée pour le beffroi est inadmissible; elle est inspirée des folles
cominnaisons de bulbes, moutardiers et bilboquets que la Renais-
sance (une croulante décadence k dire vrai), mit i la mode dans
les Pays-Bas, à la fin du xvi* siècle et surtout au cours du xvii";
des formes aussi bizarrement et mollement contournées ne peuvent
donc, d'aucune manière, être appliquées k la Maison du Roi
construite de 1545 k <5i4. La resuuration, de complète réussite
jusqu'ici, qui nous occupe, n'a que faire d'éléments hétéroclites :
sa fort belle et actuelle unité réclame hautement nne flèche ter-
minale aux arêtiers sainement stylés et nerveusement épurés. —
L'aura-t-elleT
Espérons que, sur ce point, notre voix sera entendue par ceux
qui, k l'Hôtel-de-Ville, ont charge des beaux-arts et compétence
voulue en archéologie architecturale.
LA QUESTION DES MUSÉES
Monsieur le Directeur de l'Art moderne,
Connaissez-vous l'histoire du prétendu Terburj; : Portrait de
gentilhomme, dont un des yeux est presque effacé ?
11 a été acheté k la vente Hollander 2,640 francs. Comme il est
très usé par le nettoyage, M. Go..., le grand marchand d'Amster-
dam, l'avait vendu pour 100 florins i M. Hollander. A la vente
Hollander, H. Go... c'est fort amusé de voir son tableau acquérir
un prix dix fois plus fort qu'il ne valait, et l'on a ironiquement
félicité l'envoyé du Musée de Bruxelles.
Recevez, etc.
PLUS FORT QUE L'ENFANT DE BRUGES
On peut lire, k côté de la signature d'un tableau de J. Brueghel,
qui se trouve au Musée, sa date : 1569.
Or, sur le cartel qui se trouve au bas du tableau, on lit :
J. Brceghel, mé en 1568. Voilà un génie précoce !
AU MUSÉE MODERNE
Au cours d'une courte visite au Musée moderne, nous avons
constaté que le fameux Christ k six doigis, d'un dessin académique,
avait été relire de la salle des dessins et des aquarelles. C'est
dommage, car cela amusait fort la galerie (c'est bien le cas de le
dire!) Heureusement pour ceux qui aiment à rire, un accident
comique, dû k l'épaisseur et au gluant empalement de la pein-
ture, est arrivé au tableau signé E. de Block el intituté : La Lec-
ture de la Bible. La télé du petit garçon qui regarde la Bible
prend d'incontestables allures de pomme cuiie. Aurail-il l'inten-
tion de se lancer contre la Commission des Beaux-Arls?
j!ÎHRONlQUE JUDICIAIRE DE? ART?
Sous le tiire : Un Sâr embêta, l'Echo de Paris rend compte
en ces termes des procès intentés par M. Joséphin Péladan k
Rodolphe Salis, à Léon Bloy et à Léon Descliamps, — procès qui
ont été plaides dernièrement au tribunal correclionnel de la
Seine. Les personnalités en cause font rentrer les faits dans notre
rubrique : Chronique judiciaire des ans.
A quoi sert-il d'avoir approfondi les sciences herméliques et
d'être un mage qui se respecte si l'on perd ses procès comme le
dernier des justiciables de défunt M. le président Toulée? C'est là
la question que l'on se posait à la neuvième chambre cor-
rectionnelle où le Sar Joséphin Peladan a éié vaincu dans le com-
bat judiciaire — le seul que son Dieu lui permette — qu'il avait
intenté contre le cabarelier Rodolphe Salis.
M. Péladan ne poursuivait pas seulement, devant la neuvième
chambre» le genlilhomme-cabaretier de Montmartre, il réclamait,
en outre, pour diffamation, 10,000 francs de dommages-intérêts
à MM. Léon Uloy et Léon Deschamps, rédacteur cl directeur-
gérant du journal décadent la Plume.
Le Sar Péladan, actuellement en province, où il propage sans
aucun doute la bonne doctrine, n'est pas venu à l'audience pour
soutenir, de sa présence tout au moins, les poursuites qu'il inten-
tait k ses détracteurs. Très modesiemeni, le mage s'est fait repré-
senter par des conclusions d'avoué.
352
L'ART MODERNE
Celte absence du Sar a vivcincnl mdcontcnié l'auditoire d'avo-
cats et de gens du monde accourus non seulement pour entendre,
mais aussi pour voir des choses curieuses. Dès ce momeni, il
était facile de constater que les actions Josépliin Peladan étaient
à la baisse.
Les affaires du Sar ont débuté par les débats du procès dirigé
par M. Péladan contre la Plume. M" Le Jeune, député de Paris,
a exposé les doléances du mage. Puis M° Fernand Labori, avocat
de M. Deschamps, a présenté au tribunal l'avocat de M. Bloy, un
prince russe authentique. M" Alexandre Ourousof, du barreau de
Moscou, venu tout exprès à Paris pour défendre son ami, le dis-
tingué écrivain cat.holique Léon Bloy.
M" Labori s'est exprimé en ces termes, à reproduire en entier :
« Je ne me lève pas. Messieurs, à l'heure présente, pfour défendre
M. Deschamps. Il n'est dans ce débat qu'un prévenu de second
rang. J'ai hâte d'accomplir un devoir de courtoisie et de vous
ménager un plaisir délicat en laissant la parole !i notre honorable
confrère du barreau de Moscou, M. le prince Ourousof. M' Ourou-
sof accomplit, en se présentant devant vous, un véritable acte de
dévouement professionnel et amical... M. Léon Bloy a voulu se
faire assisicr, non seulement d'un défenseur, mais d'un ami. Il
ne pouvait mieux s'adresser qu'à l'homme distingué qui a fait de
Flaubert le culte de sa vie. M. Ourousof est venu ici comptant sur
voire bienveillance et sur la sympathie de ses confrères français.
Il voit déjà qu'il ne s'est pas trompé. J'espère que M' Ourousof
éprouvera qu'il est à cette audience chez lui et comme à la barre
d'une de ses juridictions nationales.
Il existe entre les hommes cultivés de tous les pays une sorte
de concitoyenneté de l'esprit et du cœur; ne le sentons-nous pas
bien aujourd'hui quand nous accueillons parmi nous un membre
de ce Barreau universel à qui ses traditions font un patrimoine
commun d'honneur et de désintéressement, l'avocat du Barreau
de Moscou, l'ancien procureur de Varsovie et de Saint-Pétersbourg,
le citoyen de ces villes dont le nom résonne aujourd'hui comme
le nom de véritables villes françaises. C'est un honneur pour moi
de le saluer ici en l'introduisant auprès de vous. Vous avez hflte
de l'enlondre, je lui laisse la parole. »
M' Ourousof, après cette chaleureuse et éloquente présentation,
a défondu très correctement son client pour lequel il a plaidé en
fait et en droit
Après M" Ourousof, M« Fernand Labori a présenté avec son
grand talent la défense de M. Léon Deschamps. Puis M. le substi-
tut Cabat a donné ses conclusions et le tribunal a renvoyé à
huitaine pour jugement.
Cette affaire terminée, l'huissier a appelé le procès Peladan
conire Salis.
Le Sar a continué à faire défaut. Quant au gentilhomme-cabarc-
tierdc Montmartre il est accouru s'asseoir au banc des prévenus.
M" Le Senne s'est alors efforcé de démontrer au tribunal que
M. Rodolphe Salis avait commis une diffamation en se permettant
contre le Sar une plaisanterie chatnoiresqiie, que nous ne réédi-
terons pas.
M« Reboul a plaidé pour le directeur-gérant du Chat Noir, qui
a été acquitté haut la main. L'infortuné Sar a été condamné aux
dépens du procès.
Joséphin Peladan vaincu par Rodolphe Salis! Comme le Chat
Noir va triompher! Grand Sar, bouchez-vous les oreilles et les
yeux, ot plongez-vous dans les sciences hermétiques! »
Ajoutons que, par jugement rendu cette semaine, le iribuDal a,
débouté M. Joséphin Peladan de son action contre HM. Léon
Bloy et Léon Deschamps.
5\CCU3Ép DE RÉCEPTION
Nous avons reçu de M. V. Grubicy de Dragon une inléressanle
notice (1) sur la première exposition triennale de Milan. L'auteur
passe en revue les diverses tendances évolutives de la peinture,
sans oublier la théorie de la division pigmentaire, qui a en Italie
des adhérents.
L'ouvrage est orné de quinze reproductions d'œuvres d'art.
Nous avons reçu en outre les ouvrages suivants, dont il sera
rendu compte :
Journal des Denrée, Mémoires de la vie lltléraire, par Jules
Destrée; Bruxelles, P. Lacomblez, éd. — Hittoire de l'habi-
tation humaine; Bruxelles, Lyon-Claesen, éd. — L'eiueignement
spécial en Belgique, par H. Bertiaux (I. L'enseignement pro-
fessionnel); Bibliothèque belge des connaissances modernes,
Bruxelles, Ch. Rozez, éd. — La pisciculture et l'agriculture
appliquées à la Belgique, par Emile Gens; même bibliothèque.
Petite chroj^ique
Les interviews littéraires se succèdent dans la Nation. Après
celui de M. Lemonnier, très complet et large, vint celui de
M. Eekhoud qui déchaîna de vives polémiques, puis celui de
M. Edmond Picard, puis celui de M. Nizet. Voici celui, le plus
récent, de M. Giraud, qui appuie sur l'originalité foncière du
mouvement littéraire belge. Il l'explique ainsi :
« Non seulement nous avons un mouvement littéraire, mais ce
mouvement littéraire est original. Ce n'est qu'aux yeux des obser-
vateurs superficiels qu'il se confond avec le mouvement français...
Notre mouvement littéraire n'est pas, i proprement parler, un
mouvement belge, ni encore moins un mouvement flamand ou
wallon, — il est l'expression française d'un état d'esprit et de
civilisation septentrional. Nous sommes tous ici, à des degrés
divers, des hommes du Nord ; mais nous exprimons notre état
d'esprit et de civilisation dans une forme d'origine latine... C'est
chez nous que, depuis des siècles, se rejoignent les trois grandes
forces du monde : l'esprit franco-latin, l'esprit anglo-saxon et
l'esprit germanique. Nous sommes au confluent de trois races.
C'est en Belgique qu'elles nouent leur nœud... L'imagination et la
sensibilité nous viennent du Nord, la forme plastique nous vient
du Midi. Et ce sera l'originalité de nos écrivains d'avoir pratiqué
celte greffe, d'autant plus profonde qu'elle a été instinctive. »
Et il termine et conclut, faisant allusion ^ certaines dissensions
d'antan, moins existantes dans la réalité que dans l'apparence :
« M. Picard a eu raison de dire que les anciennes querelles sont
apaisées ». Un autre point a retenir encore :
« Pourquoi, disais-je au banquet de la Jeune Belgique, pour-
quoi ne fonderions-nous pas la Ligue des intérêts artistiques, et
pourquoi, chaque fois que l'on nous invite, nous et les nôtres, à
nous souvenir que nous sommes des citoyens, ne dirions-nous pas
(1) Prima etpoiixione triennale. Brera 1891. — Milano, typ.
coopr. Insubria. — Broch. in-4» de 1(X) pages, non compris la table,
et tirée à 150 exemplaires (hors commerce).
L'ART MODERNE
353
oux brigucura de mandais poliliqucs : a Prenez garde ! Nous
sommes un élément aclif de la prospérité oaiionale. A pari deux
ou trois, que l'on pourrait nommer, voua feignez tous d'ignorer
notre existence. Et cependant, nous avons des droits, et vous
avez envers nous des devoirs. Accordez-nous les uns et respectez
les autres ; sinon, gare à la prochaine renconlre! Nous braque-
rons notre bulletin de vote, et nous ferons feu ! »
On inaugurera aujourd'hui, au Nouveau Musée d'Anvers, le
buste de Henri De Braekeleer, par Jef Lambeaux.
Un Comité composé de MM. A. De Vricndt, directeur de l'Aca-
démie royale des Beaux-Arts ; Fr. Van Kuyck, président de la
section des arts plastiques du Cercle Artistique; H. Luyten, pré-
sident du cercle AU ik Kan; H. Timmermans, président du
cercle Ane et Labore; Jos. Dclin et Jean-G. Rosier, a pris l'ini-
tiative de celte manifestation.
A ce Comité a été adjoint un groupe d'ariistes, d'amateurs et
de joarnalistes bruxellois qui représenteront i la cérémonie les
artistes de la capitale. M. Sllngencyer, représentant, a été prié
de prendre la parole. La réunion aura lieu à 40 1/2 heures au
Cercle artistique d'Anvers.
Dans quelques jours s'ouvrira la saison musicale. C'est, immé-
diatement après la distribution des prix du Conservatoire, —
ouverture officielle, analogue aux séances solennelles de rentrée
des Cours et Tribunaux, — fixée à dimanche prochain, le pianiste
Lilta qui entamera les hostilités par une séance intime, à laquelle
sera conviée l'élite des amateurs.
Cette audition, au programme de laquelle 6gurent plusieurs
œuvres nouvelles, inédites ou inconnues, aura lieu dans les salons
de la maison Erard, le ii novembre, i 6 iji heures. Le jeudi
suivant, M. Joseph Wieniawski, qui est sur le point d'entre-
prendre une tournée de concerts en Allemagne, se fera entendre
à la Grande Harmonie. MM. Schoit frères, quiilepuis quelques
années organisent d'intéressantes séances de musique de chambre,
ont choisi, pour leurs auditions, les samedis 14, 28 novembre et
U décembre. On y entendra M""» Uziclli, cantatrice; MM. Barth,
De Greef et Dreischock, pianistes, de Ahna et Gregorowitsch, vio-
lonistes, Haussmann et Jacobs, violoncellistes. Le premier con-
cert de V Association des artistes musiciens aura lieu le il novem-
bre et le premier Concert populaire le 6 décembre (souhaitons
que le patronage de saint Nicolas lui soit propice). Le Conserva-
toire donnera son premier concert le 20 décembre. EnHu, en
février, il y aura au Salon des XX une série de concerts consacrés
i l'audition des écoles nouvelles.
Le Théâtre Molière arbore sur ses affiches Serge Panine,
seconde mouture d'un roman du melliflu et intarissable Georges
Ohnet. Les dialogues et les soliloques de ce nouveau Monlépin
déroulent leurs banderoles ternes, déployées par des artistes de
bonne volonté mais légèrement sceptiques, et le public ixcllois
lui-même, le bon public de la Chaussée, à l'esthétique indulgente,
n'a pas l'air de croire que a c'est arrivé ». Il y a des sourires lors-
qu'au moment le plus pathétique l'héroïne, une honnête com-
merçante très embêtée d'avoir pour gendre une canaille, dénoue
la situation — et termine la pièce — d'un coup de pistolet.
L'intérêt se concentre sur les débuis d'une ariisie qui fut aper-
çue, il y a deux ans, au Théâtre des Galeries et que fêta, l'an der-
nier, le Jeune Barreau dans une revue, célèbre au Palais et
ailleurs, jouée au Théâtre Communal.
M"" Madeleine Max a été rappelée trois fois le soir de la pre-
mière, et applaudie, et fleurie. Elle a joué avec beaucoup d'intel-
ligence le rôle de Jeanne de Cernay, apportant îi la troupe de
M. Alhaiza un élément nouveau : la distinction.
Le Théâtre du Parc annonce pour mardi la première nouveauté
de la saison : Une Famille, comédie en quatre actes de M. Henri
Lavedan, couronnée par l'Académie française.
Aux Galeries, au premier jour, la Demoiselle du téléphone
succédera au Royaume des Femmes.
De Rénory, dans la Réforme, ces excellentes remarques qu'on
n'est pas habitué de trouver dans la presse belge odieusement
zwanzeuse. Est-ce que les mœurs journalistiques nationales subi-
raient une transformation? C'est à propos de la revue Bruxelles
Fin de siècle de Halpertuis, !i l'AInazar :
« Cette revue m'a ravi surtout parce que un peu délicate et très
dédaigneuse des applaudissements faciles qu'offrent si généreuse-
ment d'une part l'odieux, l'ignoble, le misérable calembour, et
d'autre par», les immondices de l'obscénité. Certes Malpertuis qui
est un peu parisien et même un peu gaulois, n'a reculé ni devant
le quolibet ni devant le propos leste quand, par rares occasions,
ils se présentaient de bonne grâce et aimablement aiiornés, mais
il ne les va pas chercher dans les trous obscurs de la piètre
gouaillerie bruxelloise, au hasard du las ramené, pour les
enchâsser de vive force, comme des coins, dans le dialogue ; il
ne combine pas ses répliques ou ses scènes pour amener un jeu
de mots ou une polissonnerie. Le calembour ou la note badine
en sont quelquefois la fin, la solution, jamais le but. Et comme,
pour ainsi faire, Malperluis devait rompre avec des traditions
hélas constantes â Bruxelles, comme il devait se passer de succôs
faciles, comme il devait dédaigner des misères estimées â haut
prix par la grande masse d'un public habitué â ne pas se servir
de l'esprit qu'il a, comme il devait demander la réussite â sa
seule bonne humeur, je pense qu'il a fait œuvre eslimable et
très louable effort. »
L'impératrice d'Aulrichc fait construire, â Oorfou, un monu-
meni h Henri Heine, son poète favori. La sialue sera placée sur
un rocher â 800 mètres au-dessus de la mer et sera entourée de
50,000 rosiers.
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OncJUu anméb. — N" 45
Lb numéro : 25 centimes.
Dimanche 8 Novembre 1801.
L'ART MODERNE
PARAISSANT «LE DIMANCHE
REVDB CRITIQDE DBS ARTS ET DE LA LITTÉRATDRB
Comité de rédaction i Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
▲BONNEMKNT8 : Belgii^ue, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00 — ANNONCKS : On traite i forfait
Adreuer toute» le* communicationt à
l'administration oénéralb de TArt Moderne, me de Tlndastrie, 32, Bruxelles.
30MMAIRE
La Bibuothèqui ROTiiuc. — Isauodbatiom d'un bostb db He.>bi
Db Bbaekklbeh. — L'n« Famillb. — Th*atrb libee. Le Père Goriot.
— Pbtitb chroniqck.
LA BIBLIOTHÈQUE ROYALE
L'attention accordée par le public à la réorganisation
de nos Musées, nous désirerions qu'elle passât un
instant à la Bibliothèque royale. Cette - noble insti
tution » a besoin également de profondes réformes.
C'est un vieux feu qui couve, qui boude et qui s'en-
eendre — il lui faut un coup de tisonnier vigoureux.
Mais d'abord que soient mis à labri de toute violence
les employés des salles de lecture, très serviables et
irréprochables. A part certains huissiers solennels
qui vous apportent les livres comme s'ils portaient sur
na coussin la couronne de France et de Navarre et qui,
i la moindre demande, font puritainement grincer,
jusque dans l'intonation de leurs réponses, les tenailles
ronillées du règlement, les rapports des lecteurs et de
leur» surveillants sont parfaits Presque autant qu'il le
fikut, les un» sont serviables, obligeants, renseignés et
Bavants et les autres reconnaissants pour services
rendus. Et certes doivent-ils ceux-là, avoir de la
patience. Car si l'on compte, par jour, à la Bibliothèque
une quinzaine de travailleurs sérieux, plus quelques
spécialistes et bibliophiles de passage, plus quelques
artistes, le « gros de la clientèle -,1e bataillon du bouquin
public, se compose surtout soit de lecteurs de romans,
soit de collégiens à l'affût de traductions pour leurs
thèmes et leurs versions de classe, soit de vieillards ou
d'éphèbes graveleux, qui promènent leur curiosité enfan-
tine ou sénile dans les ruelles de tel dictionnaire ou dans
les parcs-aux-cerfs d'un Brantôme ou d'un Bonaventure
Desperriers. Parfois aussi apparaît le client famélique,
en quête d'un local chaufîé, ëelui qui s'assied à la
Bibliothèque aujourd'hui et qui se couchera à la morgue
demain. Encore celui qui n'a rien h faire, qui monte à
la Bibliothèque quand il pleut ou quand il neige. Encore
ceux qui attendent un emploi, qui ne savent comment
tuer leur temps, qui au lieu de bayer aux corneilles,
bayent aux livres. Ce sont eux qui demandent les
Dames galantes , par Molière ; les Mires pastorales,
par Mgr Pascal ; Grandeur et Décadence, par Jules
Romain, etc.
Ces deux classes distinctes ou plutôt contraires de
lecteurs, les uns travailleurs et chercheurs, les autres
oisifs ou bohèmes, on ne devrait jamais les admettre ni
les confondre eu un mènae local. Il ne se peut qu'une
même institution les desserve, ni qu'un même service
356
L'ART MODERNE
public réponde à des catégories d'intérêts aussi dissem-
blables et aussi disparates.
Pour réaliser du mieux, voici : instituer deux locaux,
l'un où l'on donnerait en lecture le livre banal, le
livre courant, les dictionnaires, les romans, les classi-
ques, les annales et les revues, l'autre, où ne se prête-
rait que le livre rare et spécial pour savants et artistes.
La salle publique serait ouverte du matin au soir, elle
compléterait l'œuvre de l'hospitalité de nuit; à la salle
spéciale, on n'aurait accès qu'à certaines heures. Dans
l'une, la surveillance serait exercée tenacement; dans
l'autre, à condition d'être sévère pour l'admission, on
n'en exercerait quasi aucune.
Cette scission des vrais chercheurs d'avec les quel-
conques, on l'a opérée à Londres et à Paris, où non
pas une, mais plusieurs bibliothèques, correspiondant à
des classes prévues de lecteurs, sont ouvertes.
La Nation préconisa un projet excellent : créer un
bureau de renseignements bibliographiques et biblio-
philiques. Ce bureau trouverait évidemment sa place
dans la salle de travail. Il aurait un personnel particu-
lier, uniquement voué aux recherches, aux questions
mal éclaircies auxquelles la bibliographie n'a point
encore songé, aux classifications nouvelles de livres et
d'annales. Que de bouquins dénués d'intérêt jusqu'à ce
jour, seraient ainsi mis en vedette tout à coup!
Autre point. Le budget de la Bibliothèque est de
100,000 frs. Le conservateur en chef prend 10,000 frs. ;
les cinq conservateurs des diverses sections 25,000 frs. ;
les cinq ou six adjoints 15,000 frs. ; les huissiers, cou-
cierges, chauffeurs, domestiques 10,000 frs.
Restent 40,000 frs. pour les livres, les estampes, les
médailles et la reliure. Cette somme est évidemment
dérisoire.
Quand on songe à la valeur atteinte aujourd'hui par
les gravures, les exemplaires de choix, les planches
rares, on ne s'étonne plus que nos collections soient
aussi incomplètes. Pourtant, même avec ces sommes
modiques, peut-on faire mieux qak)n ne fait. Ainsi,
quant aux estampes, pourquoi ne pas acheter les œuvres
du vivant même des artistes, alors que leurs gravures,
lithographies et eaux-fortes sont abordables? Pourquoi
n'avoir que quatre Rops, trois Célestin Nanteuil, quel-
ques rares Delacroix? Pourquoi trembler d'être les pre-
miers à admettre des valeurs esthétiques nouvelles et
non estampillées par tous ? Nous savons pour l'instant
une suite complète des eaux-fortes de Henri de Braeke-
leer, destinée, certes, à monter haut à cause de sa
rareté. Le cabinet des estampes la possède-t-il oa songe-
t-il à l'acquérir? Acquiert-il l'œuvre de Bracquemond,
celui de Flameng, celui de Jules de Goncourt, celui de
Degas, celui de Manet, si étonnant et merveilleux litho-
graphe? A-t-il soupçon que Redon existe, qu'il a créé
un art, tout en génie, que des cahiers nombreux ont
été publiés S0U3 sa ngnatare? Songe-t-il aax illuatra-
tions qu'ont réalisé pour des poèmes, les Holman Hunt,
les Rossetti, les Milais? S'occnpe-t-il des nooTeaox pro-
cédés r héliogravure, phptotjpie? Actnelleinent encore
toutes les suites de tels et tels maîtres sont à prix
minime, quoique déjà à la veille de monter. Mais ce
brave Cabinet des estampes ne se doute de rien, n'entend
rien, ne voit rien, épil(^ue et remue un peu de poussière
archéologique autour des Vosterman, Bolswert, Sout-
man, Pontius, de doux morts, certes, bien que peu
intéressants pour les artistes de notre heure. Aussi et
naturellement le toujours brave Cabinet des estampes,
qui devrait être après le Musée la salle la plus connue
et la plus fi^uentée de toutes, est désert toujours, est
froid toujours et solitaire comme un coin de cloître. Il
représente de la mort cataloguée et dans ses nom&eux
tiroirs d'armoire il doit se rencontrer, par-ci par-là, des
momies sons étiquette.
Revenons aux livres.
Mise à une aussi excessive diète d'argent, vivant d'un
perpétuel carême, la Bibliothèque royale ne peut jamais
acheter un recueil qui soit un monument bibliophilique.
Cela renverserait le budget. Il faut se rabattre sur les
bouquins.
On achète tout ce qui se publie en Belgique, mais
avant que le libraire, chargé de cette fourniture par
contrat, ait fait son envoi, avant que le livre ait été
enregistré, catalc^é et relié, il se passe du temps.
Le livre moderne, on ne se le procure guère. Il coûte
trop cher neuf et on espère se le fîdre adjuger d'occasion,
dans les ventes. Chez Bluff, chez Fonteyn, chez Deman,
un employé de la hibliothèque achète des livres en
paquets et les dispute aux antiqnailleurs du vieux
marché.
Aux grandes ventes de Paris et de Londres, jamais
personne. L'État belge est un petit bourgeois, un
modeste rentier, qui ne peut dépenser que par cinquante
centimes un maigre argent de poche, le dimanche.
Quant au livre ancien, on flaire avec des museaux
de souris malades le moindre opuscule qui a trait au
moindre bourg pourri belge. On dirait que la Biblio-
thèque n'est composée que pour les archivistes. L'œuvre
large et belle, celle qui s'adresse non plus à des compi-
lateurs, mais à des poètes ou des écrivains — par
exemple, les premières éditions des grands génies du
monde littéraire — on les ignore. On a la coUectiomanie
étroite et provinciale. On ne possède guère une suite
complète ou quasi complète des éditions d'un Scbake-
speare ou d'un Rabelais, pas même celles de Hugo ou de
Lamartine. On vit à tant la semaine, à tant le mois.
Au résumé, telle qu'elle est constituée, telle qu'elle
est organisée, telle qu'elle est subsidiée, la Bibliothèque
royale ne peut vivre ni répondre à son but. Tout y est
insuffisant et incomplet. Et à son sujet, comme an sujet
•'^/^■ir^i\flf.^^-A-f'^.!l-~-
L'ART MODERNE
367
de prenne tontes les institutions publiques belges^ on
peut affirmer qu'on est en retard de vingt ans, qu'il vous
vient l'humiliation d'être d'un pays ou rien n'est adéquat
aux aspirations de l'élite de ses travailleurs et de ses
écrivains et qui moisit dans le silence de ses soi-disant
sommités incapables et de sa presse complice.
nsr-A.xjoxjRA.Tioisr
d'un buste de Henri De Braekeleer.
Anvers, ville enfiévrée de négoce, n'a pas le temps, dans le
coniinnel ponrehas des affiiires, de songer k ses artistes. Le café,
le ris. les viandes salées, les peau tannées que débarqnent sur
les quais les transatlantiques, b reqDitrenl impériensemeni, et
derrière l'acajon poli des gniehels l'année des employés de com-
merce exige une incessante surveillance. Aussi bien les artistes
sont des rêveurs, des fainéants qui n'entendent rien aux rythmes
mystérieux du Doit et Avoir et qui sont gens, les malheureux ! il
allumer leur cigarette avec une lettre de change. La cote de la
Bourse ne renseigne pas les « floctualions » du prix des tableaux.
Quel marchand sérieux prendrait souci, dès lors, de ces choses
non réalisables sur le marché ?
Par ces simples considérations s'explique ce fait, qui a surpris,
k tort, tant de monde : En juillet 1888, quelques amis, en nombre
infiniment restreint, suivaient sur la route du cimetière du Kiel un
corbillard modeste. El si, dans le fracas des rues baUues par les
camions des « Nations », nu passant, pris de pitié pour l'indi-
gence da cortège, demandait qoel était le malheureux qu'on
enlerrrait en si pauvre équipage, il recevait cette réponse :
■ C'est Henri De Braekeleer, un peintre ».
Sans doole. dans l'esprit du passant, l'idée de peinture évoquait
anssilM celle d'échafaudage, de pot a couleur suspendu ï la tringle
d'une échelle. Et il continuait k passer.
Des hommages? Des délégations officielles? Le deuil d'une ville
dont l'artiste illustre le nom? U n'en fut point question. Les quel-
ques amis qui avaient accompagné le peintre jusqu'au tertre où
il repoae gardèrent fidèlement le culte de son an chatoyant dans
lequel paase le frisiMU des maîtres de jadis. Et ce fut tout. Trois
ans s'éeoalèrcBt, sans que nul, k Anvers, songelt \ faire revivre
la figure disparae. Les eafés et le riz absorbaient tonte Patten-
tion. On^a vraiment pas le temps, dans le eonnneree, de s'oe-
cnper d^ ees puérilités sentimentales.
Dernièrement, un écbevin, qui avait eonnu le peintre et l'avait
eal ridée de 'commander son buste i l'an de nos principaux
rs. Le bute bit, eonlé en métal, il l'offrit k la ville
iTcrs. Celle-ci le palpa, constata qu'il était en bronze et l'ac-
I convoqua, pour Tinaugurer, les amis du peintre. Il vint des
artisies de Bruxelles, de Cand et d'ailleurs. Des sociétés apportè-
rent des fleurs, des palmes, des conronoes. Et les Anversois,
abandonnant un insunt les bureaux où ils surreillaienl leurs
eoamns (c'était d'ailleurs dimanche), se dirent Fun i l'autre : « D
parait qoe ce peintre-li anraii pu gagner beaucoup d'argent s'il ne
ï'était pas bissé mourir ». El ils allèrent voir inaugurer le buste.
Jnaqn'iei, il n'y a dans celte histoire rien qoe de très naturel.
11 éuit nn pen eomiqne, Q eat vrai, de voir Anvers ignorer le phis
pand de ae* artistes, edni que depuis longtemps on pbfaii, \
ail
Bruxelles, ù la tête des peintres contemporains, dont un collabo-
rateur de l'An moderne avait dit, dix ans auparavant : « Cest
l'une des plus hantes personnalités qu'ait produites l'école de
Leys, et celle-lk indubitablement, avec trois ou quatre autres que
l'avenir retiendra, si l'on ne tenait compte d'une parenté venue
de Hollande k ce beau peintre minutieux et large, dont le coloris,
par moments, semble attisé avec de la braise ».
Mais c'était simplement comique. A l'inaugaration, l'atlitude
de certains devint odieuse. On entendit un conseiller communal
de la cité mercantile vanter les distinctions dont l'artiste avait
été l'objet, rappeler combien il avait été soutenu et encouragé,
parler des funérailles émouvantes qui Ini avaient été faites et du
deuil public dont sa mort avait frappé la ville. Et tous ceux qui
avaient méprisé l'artiste original et fier, qui n'avaient pas daigné
loi faire l'anmùne d'un convoi funèbre décent étaient b approu-
vant de la tête, filtrant une larme de crocodile, appbadissant
l'éloge décerné au Maître, — au Maître avec une majescule! an
glorieux représentant de l'Ecole d'Anvers, au continuateur de
Leys, de Rnbens et des grands Fbmands...
Nous disons k ees gens-là : « Bas les pattes ! Vous avez dédaigné
et bafoué De Braekeleer vivant. Depuis trois ans qu'il est mort,
vous n'avez pas songé k fleurir sa tombe. Allez-vous-en ! Vous
n'avez pas le droit de vous emparer de son nom et de vous insi-
nuer dans le rayonnement de sa gloire! Il n'y a rien de commun
entre De Braekeleer et vous. Il a toujours marché avec les nova-
teurs, avec les audacieux, avec les jeunes, contre l'Académie et
les autorités officielles. Les XX Ini ont fait aecneil dès 1886 et
ont organisé une exposition de ses plus belles toiles.
Vous, qu'avez-vous fait pour lui ? Vous ne vous êtes aperçu de
sa valeur qne lorsqu'il ébit hors d'état d'écbbousser de son génie
les personnalités médiocres que vous cherchez k faire passer ponr
des illustrations nationales. Mais la mèche est éventée. Allez faire
ailleurs votre acte de contrition et laissez-nous pleurer seuls nos
morts. Il vous reste Verbl. »
Tel est le sens de b manifestation de dimanche, accentuée par
les déclarations de M. Slingeneyer et surtout par celles de
M. Louis Delmer, parlant an nom des jeunes artisies, et dont b
franchise a violemment contrasté avec les phrases tnielleuses dans
lesquelles on encarameltait jusqne-lk b mémoire du peintre.
Aussi, ce qu'il a été appbndi!...
Voici ces denx discours. Il importe qoe l'on en garde le sou-
venir.
Diaeoom de M. BUmgemejtr.
Memucbs,
■ Cest au nom des cercles artistiques de Bruxelles que je
prends b parole.
Noos sommes venus k Anvers pour honorer b mémoire d'un
grand artiste, ce grand artiste dont l'image fidèle est devant nous :
Henri De Braekeleer. Mort jeune et malheureux, méconnu pendant
sa vie, il a fallu qne plusieurs années aient passé sur sa tombe
pour que justice lui soit rendne. Son talent était une incarnation
vibrante de notre an national. Henri De Braekeleer était un peintre
flamand. — un vrai.
Pendant sa trop courte carrière il a trouvé le temps de doter
son pays d'oeuvres remarquables, dont la plupart sont de premier
ordre.
0 appartenait k nous, artisies et liilérateors, de procbmer cette
gloire, et b postérité ne nous désavouera pas, no«s en avoas b
3se
L'ART MODERNE
conviciion. Aussi n'avons-nou» pas hésiié à nous joindre à nos con-
frères d'Anvers lorsque nous avons appris que le busle de ce grand
artiste allait figurer au musée de sa ville natale. C'est la juste con-
sécration d'une existence dévouée tout entière k l'art. Tous, nous
tenons k nous y associer et donner ainsi ti Henri De Braekeleor
une dernière marque d'estime et d'admiration. »
Dlacoors de M. Louis Delmer.
Messieurs,
« Il V a trois ans, lorsque le pauvre Henri Dp Braekeleer, accom-
pagné jusqu'à sa lombc par un très petit nombre d'amis, traver-
sait au milieu de l'indifférence générale les rues de voire*eille
ville, qui arait inspiré à l'artiste se» plus émouvants morceaux
de peiniure, on ne se serait certainement pas douté qu'aujourd'hui
une manifcsiation aussi importante que celle-ci se formerait pres-
que spontanément pour rendre gloire à ce peintre magnifique qui
comme les Dubois, les Boulenger, les Dcgroux, mourut au milieu
de ses compatriotes, découragé par l'indifférence dont il était
l'objet et exaspéré par les privations ei la tristesse.
Ah! oui, l'art a, lui aussi, son martyrologe! On y Toil inscrit
une liste de noms qui subsistent aussi intenses que les remords,
dont plusieurs doivent souffrir ici.
Aujourd'hui, après trois nns, nous gloriBons un martyr et tous
ceux qui l'aimèrent et ceux raéme qui ne l'aimèrent pas viennent
avec grand éclat apporter dans l'urne de la sanctification du mar-
tyr leur bulletin de vote ! C'est une réparation !
Savcz-vous bien pourquoi Henri De Braekeleer ne fut pas bre-
veté grand artiste de son vivant! C'est parce que Henri De Brae-
keleer était UN GRAND artiste!
Dans l'art, comote partout, l'envie et la jalousie existent ! La
rcconuaissance est une monnaie qui n'a plus cours, elle est rem-
placée par l'ingratitude, et de celle monnaic-h, croyez-moi, Henri
De Braekeleer fut royalement payé pendant sa vie !
Je n'insiste pas plus.
Il y a des plaies qu'il est dangereux de rouvrir constamment.
Ix)in de moi l'intention de vouloir vous redire, comme l'ont
fait en si bons termes les orateurs précédents, ce que fut Henri
De Braekeleer.
IHalgré toute ma présomption à moi, jeune homme dans cette
.issemblée vénérable, je sens mon impuissance, et je préfère vous
(lire re qui, chez les jeunes artistes amoureux de leur an, fait
battre leur cœur au nom de Henri De Braekeleer.
Notre grand artiste, qui puisa sa force dans ta couleur,'eonsii-
luanl dans ses tableaux ce que le style est au livre, «'esi-à-dire la
vie, était un esprit large et indépendant, ennemi de la règle et de
la servitude, un esprit qui se reflétait supérieurement dans ses
œuvres, un esprit qui fait an delà du cadre étroit de la toile sur-
gir dans nos Smes captivées de vastes points d'interrogation ! La
préoccupation de l'au-delà !
Henri De Braekeleer aimait son art pour l'art. Grâce à son indé-
pendance il fut original, je dirai plus : il fut un novateur ! Illuminé
par un rayon génial, il fut le premirr qui, dans notre pays, trouva
réellement la solution pratique et rationnelle de l'union hirmo-
nlcusc de l'esprit et de la matière, de l'imagination et de la
réalité.
Il fui indépendant, en art il fut honnête, Inynlemenl ennemi
des promiscuités dangereuses; contrairement aux agissements de
nombre de dos artistes de mardi-gras, il ne fut pas un vakt de la
foule, et il a toujonn rehué de w faire l'inlerprètc des passionr
éphémères de son épo4)uc ou des faux penchants de la multitude
pour laquelle il avait du reste, el avec raison, le plus profond
dédain.
Etant donné ces sentiments, il n'y eut' rien (Tétonnant \ voir
Henri De Braeltelecr participer en 1868 li la création de la Société
libre eu BemxÂTU, et plus tard, en 1871, apporter la pré-
cieuse collaboration de ses «vis et 4e ses idées ii FA ri IWre, dont
nous pouvons saluer ici la présence de quelques valeureux survi-
vants venus k celte maaifeatalion pour eonflrmer tes honneurs que
nous rendons k leur ancien (rire d'armes, mort glorieux sur le
champ de Thonneur.
Ce fut un beau temps que cehii-lk où les artis'es de valeur se
semient les co«ides : ils iallaieni jnsqal la victoire pour défendre
uae idée, «n prineipe.
Ils révolntioMièiFent lei vieilles idées, enfoncèrent les portes
vermoulues des vieux édifices caduques et donnèrent à l'art une
virginité nouvelle !
Ils se plaisaient à faire entendre la grande voix de l'humaniié,
c'est-k-dire la liberté.
Ils savaient el ils firent comprendre que l'art est souverain, que
l'art ne sert pcrtonne, qu'il est en dehors et au-dessus des mes-
quines questions politiques el philosophiques.
Ils savaient et firent comprendre que la tutelle en matière d'art,
c'est l'art étranglé, c'est l'art du c6té de la lorgnette qui rapetisse
et empêche qu'on voie bien ; c'est la force hypocrite masquée
sous les traits de la justice ; tandis que la liberté en matière d'art
c'est la justice indignée démasquant la force I
La tutelle, c'est l'infaillibililé autoritaire; la liberté, c'est la
tolérance mutuelle I
La tutelle, c'est le privilège; la liberté, c'est le droit!
La tutelle, c'est l'erreur; la liberté, c'est la vérité!
Voilk quelles furent les idées pour lesquelles Henri De Brae-
keleer lutta et voilà pourquoi nos jeunes artistes faisant évasion
hors des vulgarités de nos luîtes politiques et de nos discussions
philosophiques adnfriraient il y a trois ans et acclament aujour-
d'hui l'ancien membre de l'An libre! »
La gent ofiBcielle se souviendra-t-elle de ce dimanche où une
bonne centaine d'artistes, aeeourus pour honorer la mémoire <le
ce grand mort, la cingla de cette formidable clamenr d'accusation
qui doit lui être rentrée plus profondément encore dans la chair
que ce maître coup de fouet de celui qui par'a au nom des Jeunes?
Car la voilk décidée k escalader n'importe quelle barricade de
fleurs, de faire jeter ■'importe quelles palmes d'hypocrisie pmir
établir publiquement et en toute occasion la froide haine calculée
d« l'art qui anime ceux qni ont mission de le découvrir cl de
le glorifier I
Rien n'eût pu reculer l'expiation, le châtiment était dans l'air.
M. Sliogcneyer, a\ec la dignité qu'il apporte k toutes les tribunes
où il parle d'art, l'avait nettement accusée d'indifférence envers
Henri De Braekeleer, et les pénibles el retordes explications du
président du comité firent ouvertement sourire. Pounant tout fut
mis en œuvre pour sauver cenx qui durant sa vie martyrisèrent
d'oubli celui qu'ils continuent k exécrer malgré sa mort. Dans
leur contriiioB simulée, ils ronseniirent à se brûler la gorge
d'envie et à adressera Henri De Braekeleer ce titre de « maître »,
que leur appétit sans fin prétend avaler tout seul. Et comme i's
se carraient devant ce buste qu'une irrespectueuse pensée de
L'ART MODERNE
359
Lambeaax avait fait placer plus haut qu'eux, quelle rage était la
leur de ne pouvoir le couvrir tout k fait de leur personne comme
ce pauvre et taciturne De Braekeleer, vivant, se l'ëiait laissé faire
si paisiblement!
C'est une belle audace d'affirmer devant nous — vrai, qu'iU
comptaient snr leur habituelle clientèle, sur cette ignorante et
asservie partie du public qui fait habituellement corlègc ii leurs
manifeslalions et où les plus glorifiés sont toujours eux-mêmes,
mais qui, celte fois, s'éiait montrée rebelle à leurs pressantes
invilations — c'est une belle audace d'affirmer qu'on a suffisam-
ment honoré, à Anvers, ce grand martyr par le U\\. d'avoir,
en 1878, ii l'occasion de la médaille d'honneur — qu'ailleurs ! —
à Amsterdam — on lui décernait, fait frapper trois médailles qui
lui furent remises, comme au premier venu lauréat du concours
général de l'enseignement, en séance publique du Conseil com-
munal.
La vérité serait qu'on aurait exagéré les récompenses, puisque
« le Cerck artittique t'attocia à cette grande (!) manifutation en
lui offrant un diplôme d'honneur (!!) »
Vous autres, n'rst-ce pas. Messieurs, avez l'habitude de vous
eontenter de pareils platoniques hommages?
Non, la haine n'est pas le fait des représentants officiels de
l'art; ils n'ont jamais usé d'aucun moyen pour écraser un véri-
table artiste ; personne, pas même i Anvers, n'a rien i leur repro-
cher. Qu'on n'aille pas surtout leur faire un grief de la misère
dans laquelle ils mainleDajent,£e^us beau peintre d'un mouve-
ment d'art qui se clôt. On se dispose, nous affirme M. Van
Kuijck, à acheter de ses œuvres.
Qu'on n'accuse donc plus l'impitoyable indifférence de ceux qui
disposaient des achats et des encouragements et qui, à deux
reprises différentes, échouèrent ti vie sur les rives mortes de la
folie; la faute en est i De Braekeleer lui-même : u Le talent du
maître n'étant pas banal, une période d'initiation était nécessaire
avant que le public pût apprécier à sa juite valeur cet art si
personnel ».
Celle initiation dure i Anvers depuis le Salon de 48S8, où il
exposa pour la première fois, et durera longtemps encore puisque
ceux-là mêmes qui ont pris la parole au nom des artistes d'Anvers
n'y ont uem compris jusqu'aujourd'hui!
La manifestation du dimanche i" novembre 1991 marquera
une victoire dans la lutte que nous soutenons contre le despotisme
et la suffisance de la vieille geot artiste, contre rontrecuidanle
spéculation de a critique qui la soutient encore.
Nous marquons le point. Messieurs nos maîtres valétudi-
naires!
UNE FAMILLE
Comédie en 4 actes, par Hiinu Lavbdan.
Alléché par les six colonnes de rez-de-cbaussée d'un grand
journal élevées k la gloire de la pièce nouvelle (mais oui,
Monsieur, nous vous lisons quelquefois!), et snriout par le nom
de l'auteur, un des « protestataires » de jadis, qui signa, avec
Gustave Guiches, les Quart* d'heure, joués au Théfttre Libre ei ,
sans collaborateur, un curieux et suggestif roman en dialogue,
St're (l), au décor pompeux fidèlement restitué, nous all&mes,
hier, au Tbéltre du Parc, dans l'espoir d'applaudir quelque tenta-
(1) Voir TArt Moderne, 1888, p. 406.
tive d'art neuf, tranchant sur la médiocrité des habituels fourni*
seurs.
Illusion! Le chroniqueur de la Vie parisienne parait avoir
résorbé l'écrivain personnel cl perspicace de Sire, et sa pièce ne
sort guelfe, si ce n'est en quelques scènes d'un brio amusant, du
moule dans lequel on a coutume de façonner L'art dramatique.
On dirait même que l'auteur, méfiant de soi-même, a eru
nécessaire de dépecer diverses formes usitées par les manou-
vriers célèbres et d'en rajuster avec soin les morceaux. Il est sorti,
de cette trituration, une figurine hybride dont les bras ont l'air
d'avoir été modelés par Alexandre Dumas fils, les jambes par
Victorien Sardou, le buste par Emile Hennequin et la tête par
Alfred de Musset, le tout habillé d'un très moderne vêtement
parisien.
LesujetT Parti de rien, il se gonfle aux proportions d'un gros
drame. On prévoit des catastrophes et tout finit en queue de vau-
deville. Il est beaucoup question des belles-mères, inépuisable
mine ii scénarios, mais, cette fois, par un renversement assrz
comique des situations connues, il s'agit d'une MIe-mèrc qui a
inspiré V son geildre un violent béguin. Madame Phèdre laisse
celui-ei dérouler ses dé<-laralions de clubman lassé, désireux de
trouver dans celte aventure une distraction pimentée, et quand
il a fini, elle le raille doucement, lui rappelle qu'elle a quarante
ans, que ses tempes grisonnent, que demain elle aura des ridrs,
et le renvoie tout penaud i sa femme. Pour rendre vraisemblable
l'anecdote, il a fallu imaginer, non sins labeur, une belle-mère
plus ou moins Levantine, veuve de bonne heure et remariée k un
explorateur célèbre qui l'a ramenée de Syrie.
Sur la basse continue de ce duo baroque carillonne en gammes
cristallines un amour idyllique : Marie Ferai, la fille de la Levan-
tine, aime un ami du clubman, — et l'épouse, ceh va de soi.
Quant au clubman lui-même, l'explorateur l'envoie à Tunis réflé-
chir sur les inconvénients que prés-^ntent les tentatives de séduc-
tion avortées.
Il est vraisemblable que \c. bon colonisateur des rives du Congo
n'élit jamais eu vent de l'aventure extraordinaire survenue dans
son ménage, si une maltresse de son gendre, lâchée et mécon-
tente, n'eût pris soin de l'avertir par une lettre anonyme. Elle a
surpris (oh! le truc de la poriière derrière laquelle se cache la
délatrice!) la conversation de la belle-mère et de son co-respon-
dent (c'est le nom à la mo l<') et s'est empressée de déposer Fon
message aimable dans le bureau du mari (oh ! le truc des bottes
aux lettres!) Patatras !. Le rendei-vous est dévoilé. Une portière
propice (encore!) dissimule l'explorateur anxieux. Heureusemenl
que, de la part de sa femme, c'était « pour rire ». Et l'on s'en
va bras dessus bras dessous, chacun avec sa chacune.
Cette pièce a été couronnée par l'Académie française. Elle a
été jouée au Théâtre-Français. Il est dès lors i présumer que
M. Henri l^vedan dotera la littérature dramatique de quelques
Famillet nouvelles, dénuées, comme celle-ci, de tout effort en
vue de créer un art neuf. Qui l'en blâmerait, puisque le public,
et les directeurs, el ces messieurs aux palmes vertes lui font
risette ?
Ce qui demeure, de cette comédie-vaudeville-drame, c'est l'es-
prit de bon aloi déployé par l'aulcor dans deux ou trois scènes,
parmi lesquelles nous citerons le dialogue où Le Brissard et
d'Egrigent se rarooteoi leurs bonnes fortunes de jadis. Les répar-
ties sont rapides, incisives, et la tire-lire aux bons mots a été
généreusement vidée, pour le plus grand agrément «les specta-
leurs qui les happent au passage. C'esl très Fit parUientu, très
subtil, irôs fin ; mais cela ne compense guère les longues scènes
où l'on croit voir revivre les ingénieurs de H. Dumas et même,
parfois, où grimace l'ombre des colonels de M. Scribe.
th::éa.tr.e libre
{Correspondance parliculiire deh'AtiT MODEitHK.)
Le Père Goriot, pièce tirée du roman de Honoré Balxac, par
M. Tabahant.
Le Théâire Libre ouvrit la saison avec le Père Ooriol.
Balzac fournissait de bons élémenls de drame k M. Tabarant.
Il s'est servi de quelques-uns en négligeant les antres; aussra-l-il
donné quelque chose d'incomplet. Il a voulu animer une œuvre
célèbre, qui ne devient, à cet essai, qu'une œuvre écourtée et
longue i la fois.
Balzac, qui est un écrivain abondant et circonstancié, garde
une forte unité à travers la complexité des développements. L'unité
réelle a lieu dans Rastignac et dans un apprentissage, par des
exemples immédiats, des conditions et de certaines passes de la
vie. Pour la scène on a concentré dans un événement particu-
lier de son séjour il la Maùoii Vauquer tout ce qui, dans le
roman, se ramifie au dehors et aboutit, à la fois, chez M"* de
Bauséant, du faubourg Saint-Germain et chez M. Gondureau, de
la rue de Jérusalem.
Malgré le réel talent de H. Antoine à composer son Goriot, et
le soin méticuleux qu'il y mit, la figure qu'il en façonne reste un
peu brusque et inexpliquée, surtout i cause de ce que les paroles
du rôle ont été prises directement au texte de Balzac, avec les
raccords indispensables, mais interverties, parfois, sans les puis-
santes siitufes d'événements et d'explications qui, dans le roman,
les coordonnent et motivent leur force progressive. Il faut aussi
compter dans ce malaise que le don de vérité et de vie qu'a Bal-
zac est excessif et toujours dans le sens d'une vérité et d'une vie
visionnaires.
II arrive donc que ce qui dans le génial et complexe récit est
admirable et juste devient avec le grossissement scénique Savoir
une portée autre et Si se dénaturer.
Il en est ainsi pour les traits d'éloquence, de folie et de dou-
leur palernclles de Goriot, de même que pour les situations déli-
cates où Rastignac résiste si mal aux générosités amoureuses de
Delphine de Nucingen.
En toute l'œuvre ce sentiment d'une impropriété persiste' i
cause de la comparaison qui se fait avec la forme écrite et-
pnginéc.
On peut trouver à ce genre d'adaptation théâtrale un mérite
d'illustration, et au Théâtre Libre celle qu'on nous présente
semble trop due au crayon d'un Eugène Lampsonius et paraît
empruntée aux éditions populaires â deux colonnes de Balzac.
L'interprétation par les acteurs est assez bonne. On joue bien
au Théâtre Libre. M. Antoine est toujours égal i lui-même, sans
s'y montrer supérieur, mais l'opinion que les actrices savent tout
représenter, déesses ou chiffonnières, tout, excepté les femmes
du monde, reste admissible et un bon esprit peut s'y tenir.
R.
Petite CHROf^iquE
Nous avions posé, dans notre avant-dernier numéro, vingt ques-
tions précises k la Commission des beauxarlt et des musées, sur
les gaspillages commis par ses membres. L'ImUpendance, k la
rédaction de laquelle appartient, on le sait, un des membres les
plus influents de cette commission, répond k la première. D'après
elle, le déménagement du Musée n'aurait cofkté que onze milU
et non quatre-vingt niille francs.
Elle reste muette sur les dix-neuf autres.
Nous sommes donc autorisés k considérer comme vrais les
renseignements que nous avons publiés sur tous ces points et
auxquels se référait notre questionnaire.
C'est, comme nous l'avons annoncé, le 6 décembre qu'aura lieu
le premier Concert populaire de la saison, sous la direction de
H. Joseph Dupont. On y entendra M. Camille Gurickx, le nouveau
professeur de la classe de piano du Conservatoire qui interprétera,
pour la première fois k Bruxelles, le concerto pour piano et
orchestre de Tchaikowsky. H. Joseph Dupont fera exécuter eu
outre, également pour la première fois, la symphonie Sn Italie
de Richard Strauss, l'un des plus intéressants compositeurs de la
jeune école allemande, deux pièces d'orchestre de Glazounow et
l'ouverture de Sacountala de Goldmarck.
Aujourd'hui diihanche, k S heures, distribution des prix au
Conservatoire.
L'audition musicale par invitations que donnera H. Litla k la
Salle Erard aura lieu le mercredi 11 courant, au lieu du jeudi IS,
afin de ne pas coïncider avec la première représenlation du Rive,
annoncée pour cette date k la Monnaie.
Madame Mblba, instantané du QU Bios .-
Pas de la première jeunesse. Un de ces types de b^lle femme
plantureuse, imposante, presque mfkre qui font perdre la tête aux
rhétoriciens et aux petits princes en rupture de gedie. Des che-
veux superbes. Des épaules k mouler. Un profil d'archiduchesse.
Australienne. Fut nécessairement l'élère de M"* Marchesi, la
classique lanceuse d'étoiles. La coqueluche des vieux abonnés de
l'Opéra qui se pftment k ses moindres vocalises. Beaucoup
d'allure et une voix chaude qu'elle manie en virtuose habile.
Artiste de « season » comme on les aime k Londres. Y est reçue
partout comme le beau Jean. Mariée. Voudrait bien qu'on ne
parle plus d'elle que comme prima donna.
W' Judic donnera au Théktre Molière, mercredi prochain, une
représentation de la Femme à Papa. Ce spectacle sera le dernier
de la tournée Judic en Belgique.
Une représentation de bienfaisance sera donnée le 19 courant,
au Théâtre du Parc, au bénéfice de la Créche-école gardienne
d'Ixelles, par VUnion dramatique ixelloise. Le spectacle sera
composé de Us Espérances (1 acte) de Paul Bilhaud, et de Un
Père prodigue (S actes), d'Alexandre Dumas, avec le concours de
M"" Marie Georges.
Le Progrès a ouvert k Namur, dimanche dernier, un Salon de
peinture, — le cinquième qu'il organise. Les jeunes artistes namn-
rois ont répondu en grand nombre k l'appel du Comité. Des dis-
cours ont été prononcés par le président du Cercle, M. Rosel, et
V \j^'
L'ART MODERNE
361
parle bourgmestre do Namur, H. Lcmaltre. « En Art, a dit ce
dernier, il ne fuut pas rendre simpIcmeDl et matériellemenl ce
que l'on voit ; il fout que dar.5 viiaquè s-uvre on sente que l'artiste
y • mit tout son cœur, toute la sensibilité dont il est capable et
il est nécessaire pour réaliser le Beaa que l'interprète de la nature
ne se contente pas seulement d'une observation directe, mais qu'il
poursuive constamment la réalisation d'un idéal, duquel insensi-
jklement il se rapprochera. »
La Jeune Belgique, dans un article net cl violent, signé Albert
Giraud, parle ainsi de MM. Frédérix et Tardieu :
Dn premier :
a II se contenta d'écrire un feuilleton sur deux ou trois écrivains
de la Jeune Belgique, envers lesquels, i cause^de leur qualité de
journalistes, il se croyait tenu à quelque apparence de courtoisie,
et sur l'effort des autres, qui lui envoyaient leurs livres, il se tut
avec majesté. Il se tut quand Max Waller publia la Vie Bile,
F Amour Fantasque et Lytiane de Lytiat. Il se tut quand paru-
rent les derniers romans de M. Camille Lemonnier. Il se tut après
la Damnation de l' Artiste de M. Iwan Gilkin, après le Lys et le
Don d'Enfance de M. Femand Severin, après les Chimères de
M. Jules Destrée, après Mon Cœur pleure d'autrefois de M. Gré-
goire Leroy, après les Impressions et Sensations de M. Arnold
Goffin, après les Flaireurs de M. Charles Van Lerberghe, après
MxttU de M. Henry Maubel, après les Impressions d: art de ,
M. Eugène Demolder, après les Flamandes, les Moines, les Soirs,
les Débâcles et les Flambeaux noirs de M. Emile Verhaeren,
après les Serres chaudes de M. Maurice Maeterlinck 1 Ah! quel
saint Jean le Silentiaire! Je ne cite ici, au hasard de la mémoire,
que les omissions les plus criantes. Mais quelle liste je dresserais,
si je voulais! Cette liste serait, i cinq ou six œuvres près, le
catalogue bibliographique du mouvement belge depuis quinze
années I »
Des deux :
« Vous êtes convaincus, vous M. Frédérix, d'avoir fait le silence
sur la plupart des œuvres belges parues chez nous depuis vingt
ans, et vous, M. Tardieu, de les avoir exécutées, dans voire sup-
plément littéraire, entre des annonces de librairie, en quelques
lignes méprisantes qui dégoûteraient de la lecture de ces livres le
plus intrépide et le mieux disposé des lecteurs. Si les nouvelles
générations vous bousculent, — c'est que vous l'avez voulu.
« Nous ne vous demandons rien, sinon d'observer loyalement le
contrat tacite qu'en votre qualité de critiques vous avez conclu
aTec lesclienU de votre journal. Ce contrat, vous le violez. Vous
vous donnez des airs de grande feuille littéraire, et vous essayez
d'étouffer les écrivains qui surgissent dans votre pays. Vous
n'avez ni l'excuse de l'ignorance ni celW de l'incompréhension.
Tous n'êtes assurément pas de très grands clercs, mais vous êtes
capables de lire un livre et d'en soupçonner la valeur. C'est ce
qui aggrave votre cas. Les littérateurs belges ont bien le droit, ce
me semble, d'exiger, d'une Maison qui se dit belge, les mêmes
égards qu'elle prodigue aux artistes français. Vous qui courez
aux premières représentations du plus petit théâtre de Bruxelles,
qui n'en laissez point passer une sans en informer votre public,
— pourquoi en usez-vous autrement avec nos livres T Le vaude-
ville le plus inepte trouve grâce â vos yeux, et l'effort désintéressé
de nos écrivains, auquel la critique étrangère commence â rendre
justice, ne mérite que votre silence ou votre dédain. Est-ce qu'on
vous demande des éloges? Est-ce qu'on vous demande d'aimer
des formes d'art qui vous répugenl? Vous savez bien que non.
Tout ce que vous leur devez, c'est une attention impartiale,
pareille â celle que voirc confrère M. Félis prête aux œuvres de
nos jeunes peintres et de nos jeunes musiciens. Il n'aime guère
leur an, et il a le droit de ne pas l'aimer; mais, comme critique,
il a le droit de le faire connafire, et ce devoir, il l'accomplit avec
dignité, sans aucune de vos méchancetés ni de vos malices. »
La Revue blanclie nous fait part de sa naissance, — ou plutôt
de sa puberté, car elle exista, durant deux années, à Bruxelles,
et deux ans, c'est toute Tcnfance d'une revue ! Adolescente, la
Revue blanche émigré â Paris. Son premier numéro arbore les
noms de Henri de Régnier, de Gustave Kahn, de Lucien Mahifeld
(secrétaire de la rédaction), de plusieurs Naianson, dont l'un,
Alexandre, est directeur de la revue. « Très simplement, dit le
N. B. préliminaire, nous voulons développer ici nos personna-
lités, et c'est pour les préciser par leurs complémentaires d'admi-
ration ou de sympathie que nous sollicitons respectueusement nos
maîtres et que nous accueillons volontiers de plus jeunes. »
La Revue blanche paraîtra le 15 de chaque mois, en livraison
de 48 pages. Prix d'abonnement : 7 francs l'an l'édition ordi-
naire, 20 francs l'édition de luxe sur Hollande à tirage reslrcini.
Bureaux : rue des Martyrs, 19, Paris.
Nos félicitations et nos vœux.
En même temps que paraît, à Paris, la Revue blanche, nou-
velle série, MnC Revue rosemW. b Liège. Littéraire, naiurellemcni,
et artistique, et même scientifique. Au sommaire : Paul Delhaye,
J. Baudot, Paul Combes, Emile Goudeau, etc. Abonnements :
45 francs l'an pour la Belgique, 18 francs pour l'étranger. Admi-
nistration : rue des Meuniers, 10, Liège.
Oo ahead and fare ivell !
On va créer en France une caisse dite des Musées, destinée â
concentrer les fonds nécessaires à l'acquisition des œuvres d'art
qui seraient jugées dignes de figurer dans les collections natio-
nales.
Au lieu du crédit alloué chaque année, on aurait une dotation
fiermanentc qui serait constituée par le produit des entrées dans
es musées, palais, édifices historiques appartenant b l'Etat.
Un projet de loi décrétera ces droits d'entrée. Toutefois, les
établissements seront toujours accessibles gratuitement les
dimanches et jeudis pour tout le monde. Les autres jours, l'en-
trée sera toujours gratuite pour les artistes.
En France, avons-nous dit. Si pareille mesure était prise à
Bruxelles, il est probable qu'il n'y aurait plus jamais personne
dans les musées.
Le dernier numéro des Hommes d'aujourd'hui {\3n\er, éd.), et
consacré au D' Cazalis (Jean Lahor).
On vient de reprendre i Francfort, pour l'ouverture des con-
cert» du Rûhlsche Verein, le Saint- François d'Edgar T^nel. Le
succès en a été très grand. L'œuvre de notre compatriote va être
exécutée cet hiver d Amsterdam, à Copenhague et à Breslau.
Ix Magazine ofart, dont la livraison de novembre ouvre une
nouvelle série, inaugure la publication de planches en couleur.
Le frontispice, consacré au tableau de M. H.-E. Detmold « A breezy
day », est d'une jolie coloration et d'une grande finesse d'exécu-
tion, 'il sort des presses chromolypographiqucs de MM. Goupil,
â Paris. A signaler spécialement dans ce numéro les reproduc-
tions des « Six jours de la création » de Burne-Jones, qui font
partie de la collection A. Henderson, décrite par M. W. Shaw-
Sparrow, et aussi un curieux article de M. W.-F. Dickes sur « les
Ambassadeurs » de Holbein, avec de nombreuses illustrations.
Le Magazine of art commence, dans la même livraison, un
block-notes mensuel illustré, destiné à renseigner le lecteur, par
le seul aspect d'une série de gravures, sur les principaux événe-
ments artistiques du mois.
'^v."»-" ï: tSPT^'v^TWa*'»»'^^
ONZIÈME ANNÉE
L'ART MODERNE s'est acquis par l'autorité et l'indépendance do sa critique, par la variété de ses
informations et les soins donnés à sa rédaction une place prépondérante. Aucune manifestation de l'Art ne
lui est étrangère : il s'occupe de littérature, de peinture, de soulpture, de gravure, do musique,
d'architecture, etc. Consacré principalement au mouvoAient artistique belge, il renseigne néanmoins ses
lecteurs sur tous les événements artistiques de l'étranger qu'il importe de connaitre.
Chaque numéro do li'ART MODERNE s'ouvre par une étude approfondie sur une quesiioa artistique
ou littéraire dont l'événement do la semaine fournit l'aotualité. Les expositions, les livres nouveaux, les
premières représentations d'œuvros dramatiques ou musicales, les conférences litlérairet, les concerts, les
ventes d'objets cTart, font tous les dimanches l'objet de chroniques détaillées.
L'ART MODERNE relato aussi la législation et la jurisprudence artistiques. Il rend compte des
procès les plus intéressants concernant les Arts, plaides devant les tribunaux belges et étrangers. Les
artistes trouvent toutes les semaines dans son Mémento la nomenclature complète des ex-posiilons et
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OmiAia amhAb. — N* 46.
Lb numéro : 26 centimbs.
DiMANCHB 15 Novembre 1891.
L'ART MODERNE
PARAISSANT LB DIMANCHE
REVDB CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Comité de rédaction t Octave MAUS — Edmond PICARD — Émilb VERHAEREN
▲BOmrXMElITS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. — ANNONCES : On traite i forfait.
Adresser toute» le» communications à
l'administration oénérale de TArt Moderne, rue de l'Industrie, 32, Bruxelles.
?
OMMAIRE
• Lb Révb i> au Théâtre de la Monnaie. — L'Akt a la Maison
DU PBUPLB. — Lb Labeur de la vtusiE, par Ghistave Abel. — Vers
DE l'Espoir, par Maurice Desombiaux. — En Hollande. — La
QUBSTION DBS MuS^ES. — CoRRESPONDANCB, — CHRONIQUE JUDICIAIRE
DBS ABTS. — Petite chronique.
LE RÊVE
AU THÉÂTRE DE LA MONNAIE
Lorsque parut, en 1888, le Rêve, broché de jaune,
honnête rejeton de cette famille Charpentier qui avait
élevé et lancé dans le monde d'innombrables Rougon-
Macquart, il y eut quelque surprise et le mysticisme
imprévu de i'arrière-petite-fille de Coupeau mit en
ébuUition la critique et la chronique. Il resta du livre
une impression de tendresse douloureuse, le souvenir
des enluminures de missels dont Zola illustra joliment
un conte bleu, une façon de chanson de nounou,
sans qae l'œuvre, à fleur de peau, provoquât l'émotion
profonde et durable des chefs-d'œuvre.
En passant du roman à la scène, le Rêve n'a pas subi
de transformation sensible, et pourtant l'impression
qu'il fait naître est affaiblie. Autour de l'extatique
Angélique, emportée par ses visions de saintes et de
martyres, gravitent des comparses dont l'indigence
dramatique est flagrante. Un seul rôle a subi quelques
développements : celui de l'évêque Jean de Hantecœur.
Celui-ci domine les épisodes du petit drame de famille
accroché aux flancs de la vénérable cathédrale gothi-
que, personnage muet, symbolique et absorbant, dont
Zola, selon son procédé habituel, a fait le pivot de
l'action.
Il est résulté de cette mise en vedette d'une figure de
second plan, sinon un amoindrissement, du moins une
atténuation du caractère d'Angélique, qui ne concentre
plus exclusivement l'intérêt. • Ce qui fait sa séduction,
disions-nous de l'héroïne du Rêve en rendant compte du
livre, c'est son assimilation corporelle et psychique aux
vierges frêles peintes aux tableaux des maîtres gothiques.
Elle vit en la légende dorée, hie par elle dans un vieil
exemplaire illustré, et ses pensées comme sa vie sont à
l'imitation de ces êtres mystiques et suaves. Elle les
sent voltiger autour d'elle, elle entend leurs voix
mystérieuses. Son existence est une extase. Elle désire
leurs divines aventures. Elle assimile tout autour d'elle
un monde poétique où les naïves légendes religieuses
les ont mises. Et c'est là son Rêve. La cathédrale de
province à laquelle a été incrustée la petite maison de
ses parents adoptifs, tressaillant de tous les bruits de
l'église comme une nacelle aux flancs d'un trois-ponts.
L'atelier moyen-âge où elle pique des chasubles d'après
•>- "ï»-'ï-7!;m-?'?if^f*^g^!^^5f
les procédés traditionnellement conservés des anciens
brodeurs. Son corps mince de martyre, son visage aux
sourcik presque effacés des triptyques, sa longue che-
velure d'or qui la fait jumelle de sainte Agnè». Son
jeune et chevaleresque amoureux qu'elle voit pareil à
saint Georges. Son besoin de souffrance, de renonce-
ment, d'abandon des joies terrestres pour la fuite en
des joies idéalement célestes. Et ses visions de ce
paradis peuplé de saintes, de toutes ces saintes : « Agnès,
le col troué d'un glaive, Christine, les mamelles arra-
chées avec des tenailles, Geneviève, suivie de ses
agneaux, Julienne, flagellée, Anastasie, brûlée, Marie
l'Egyptienne, faisant pénitence au désert, Madeleine,
portant un vase de parfums. D'autres, d'autres encore,
défilant, une terreur, une pitié grandissant à chacune
d'elles, comme une de ces histoires terribles et douces,
qui serrent le cœur et mouillent les yeux de larmes » (1).
L'Angélique du drame de M. Gallet n'est pas tout à
fait l'Angélique du récit. L'analyse psychique de son
âme de dévote illuminée, complaisamment tracée par
Zola, a dû être retranchée au théâtre. C'est l'inconvé-
nient habituel des romans « mis en pièces » que cette
nécessité de substituer à l'exposé des caractères une
succession brutale de faits.
Quelque incohérence naît de cette transformation. On
ne s'explique pas le refus d'Angélique de suivre le bien-
aimé qu'elle a appelé de toute l'ardeur de son &me. Ce
n'est plus la vierge assoiffée de martyre, c'est une gri-
sette capricieuse, dont l'hystérie apparaît dénuée de
l'esprit de sacrifice qui la magnifiait, c'est une ingénue
sautillante, une pensionnaire du Sacré-Cœur emballée
par un jeune homme aperçu par les grilles du couvent,
qu'elle ^ut épouser, qu'elle repousse ensuite, et qui
vient, souriant et toujours épris, la conquérir au
moment où elle va mourir de consomption.
Ainsi réduite, la trame du roman déjà fragile descend
aux banalités de l'anecdote. L'Abbé Constantin a même
valeur artistique. Ce qui parfumait le fait divers d'un
très subtil encens, grisant et suave, — la mysticité d'une
àme candide brûlée aux légendes miraculeuses, perpé-
tuellement excitée par l'atmosphère de piété qui l'op-
prime, — n'est guère appréciable dans le drame. Et il
n'est pas jusqu'au dénouement tragique, — la mort
d'Angélique au sortir de l'église où elle a reçu la béné-
diction nuptiale, — qui n'ait été modifié. Le rideau
tombe sur la résurrection de la pauvrette, que les
prières de l'évèque ont tirée d'une léthargie pour la
pousser dans les bras do Félicien, — solution aimable
permettant aux spectateurs d'espérer que le ménage sera
heureux et qu'il aura beaucoup d'enfants. Est-ce là la
fin du RÊVE ?
Mais entendons-nous. Il y a, paralt-il, deux dénoue-
(1) L'Art moderne, 1888, p. 338.
mentsau « drame lyrique •• de M. Oallet. Deux dénoue-
ments au choix ! L'un, pour les Ames sensibleis, à l'usage
dea jeunes filles qu'on mène à l'Opéra-Comique dans de
ténébreuses intentions matrimoniales (et c'est, hélas!
celui qui a été adopté an Thé&tre de la Monnaie!),
l'autre, conforme au roman de Zola et à la logique esthé-
tique du récit. Un drame bicercal I Nous nous refusions
à croire à ce phénomène. Il a folln qu'un ami nous mon- '
trftt la partition, où sont consignée les deux versions,
pour que nous fussions convaincu. ^
Se tigure-t-on Carmen, au lieu de recevoir le coup de
couteau final, prendre amoureusement le bras de Don
José et retourner allègrement avec lui là-bas, là-bas, dans
la montagne! Imagine-ton, dans r.<4r2dMmn«, FfédéiH
reparaître sain et sauf après s'être précipité du haut
du moulin, et rassurer avec sollicitude sa mère
épouvantée? Que dire d'une version dans laquelle
Roméo et Juliette, la scène du tombeau jouée, remon-
teraient, enlacés, dans la salle des fêtes du palais des
Capulets ? Ce serait à souhaiter pour ménager la ner-
vosité des spectateurs qu'impressionnent trop vivement
les émotions violentes. Mais le bon sens? Mais la logique ?
Mais l'art?...
Il est stupéfiant que Zola ait consenti à cette compro-
mission. Il est renversant que M. Brnneau se soit plié
à pareil joug et ait eu le courage d'écrire une partition
aboutissant à deux épilogues contradictoires. Cela ferait
douter de sa sincérité d'artiste, si son œuvre ne déno-
tait, d'un bobt à l'autre, le continuel souci de bien faire
et de faire du neuf.
Elle est, certes, séduisante, l'œuvre du musicien et
le seul tort qu'aient eu ses amis est d'avoir voulu la
faire passer pour la révélation attendue du drame
lyrique moderne, alors qu'il ne faut y voir que le début,
consciencieux et habile, d'un musicien qui pourra don-
ner, nous l'espérons, bien davantage.
Zola, dont l'indulgence se conçoit, a déclaré, dans une
interview, que M. Bruneau avait du génie. C'est un
terme bien gros, appliqué à un artiste qui ne nous a
permis de le juger que sur une partition aimable, sans
doute, Toaii qui se borne à souligner de quelques des-
sins mélodiques le texte d'une œuvrette de courte enver-
gure. Il a dénoncé la musique de l'artiste comme ayant
« des ressemblances frappantes avec celle de Wagner ».
Ceci est inexact. Si tel tableau du Rêve évoque le
lointain souvenir d'une scène des Maîtres-Chanteurs,
ce n'est ni par l'analogie des formes mélodiques, ni par
la similitude de l'écriture. Il y a, tout au plus, une cer-
taine atmosphère musicale comparable à celle qui règne
au début de la comédie lyrique de Wagner, impres-
sion d'ailleurs toute fugitive, que détruit un examen
sérieux.
Les procédés de M. Bruneau sont essentiellement
distincts du style de Wagner. Au lieu de bâtir, comme
j^ïf çafç^|lM^^^*;/>:;y•'" ' -■ '
•■*y^ /" ii^ •: '.V^IJ^ -^i^^Jïï^ ..
■.h":,v*,-«j;w,..'-. .
ce dernier, sa partition sur une série de thèmes caracté-
ristiqaes, symphôniquement dérelopp^i au cours de
l'ouvrage et suivant pas à pas le développement psycho-
logiqae des héros du drame, l'auteur du Rêve se borne
à accentuer ses récitatifs de quelques motifs très courts
qui sont répétés, sans guère subir de modifications,
lorsque la situation des personnages l'exige. Ce n'est,
en aucune façon, l'emploi des leitmotive tel que l'a
imaginé Wagner. Nous nous sommes expliqué déjà à
ce propos en parlant de la partition de Manon, dans
laquelle on crut voir aussi, bien à tort, des afSnités avec
l'esthétique vagnérienne.
Le maître de M. Bruneau, celui qui a incontestable-
ment exercé sur lui son influence, c'est Bizet, dont il a
la clarté pimpante, le dessin précis, l'amour des timbres
neufs. Son instrumentation est habile, séduisante à
l'oreille et porte allègrement les légères broderies musi-
cales d'une harmonie souvent audacieuse, dont il agré-
mente les récits des protagonistes. Ce qui manque,
c'est l'ampleur. On attend une envolée, un essor vers
les liantes sphères, et toujours la phrase, an moment
de déployer ses ailes, tourne court. C'est ingénieux, ce
n'est pas grand, ni profond. Peut-être l'auteur a^t-il
craint, en se donnant carrière, d'enlever à l'œuvre le
caractère archaïque qull a voulu lui imprimer. Il y a,
certes, dans ses thèmes aux contours naïfe, aux intona-
tions balbutiantes, une ingénuité voulue. Mais on peut
se demander si l'action contemporaine du drame s'acco-
mode de cette illustration de verrières et de fresques.
n y, a quelque désaccord, semble-t-il, entre le sujet, tel
que l'a taùté le librettiste et son encadrement musical.
Ce qu'il &ut louer sans réserve, c'est la suppression
des airs k ritournelles qui empestent encore l'opéra,
l'abolition des phrases répétées, des motife repris en
chœur, de toute la friperie musicale d'antan. Encore y
a-t-il des duos & l'unisson inutiles et un septuor à effet
dont l'opportunité est contestable.
Le Rêve marque une tendance nette vers un art libre,
débarrassé des conventions. C'est un généreux et coura-
geux effort, auquel il est impossible de ne pas applaudir
et qui commande la sympathie.
L'interprétation du Rêve est très satisfaisante. Si
M"* Chrétien n'incarne pas, au point de vue physique
(et qui l'en blâmerait?) la firèle et nerveuse héroïne,
jumelle de sainte Agnès, minée par les hallucinations, sa
Toix superbe, d'un métal sonore, réalise pleinement les
intentions du compositeur. M. S^uin a une autorité,
une onction, une prestance admirables. On n'imagine pas
le rAIe de l'évéque mieux joué, ni chanté. H. Dinard,
dont le timbre dé voix a quelque analogie avec l'organe
de M. Seguin, donne au rôle un peu eff'acé d'Hubert
une physionomie intéressante. M"* de Béridèz et M. Le-
prestre, dans les personnages d'Hubertine et de Félicien,
complètent une interprétation homogène et soignée,
encadrée dans des décors agréables, soutenue avec
discrétion par l'orchestre de M. Barwolf.
L'^RT > LA «^AlgON DU PEUPLE
Une leolative audacieuse vient de se produire à la Maison du
Peuple. On y a fondé, mardi dernier, une section d'art. Et l'effort
de la réunion a lenda à rendre pratique celte idée d'esthétiser le
peuple, lequel b prime aspect semble éloigné de l'art.
' Notre art, dit-on, est raffiné, subtil, complexe. Au rebours
de toute naïveté, de toute primilivilé, il a élu des territoires où
grandissent des floraisons de serre, où croissent d'inextricables
lianes perverses, où des plantes noires arroodissenl pour les yeux
bien plus que pour l'émotion, leurs larges disques d'un deuil
souhaité et exquis. On y cultive de la douleur, de la tristesse,
de l'ennui.
Une pièce de Baudelaire défiait cette tendance en précisant :
Nous kTOns, il est vrai, nationB corrompues,
Aux peuple* ancien* des beautés inconnues,
Des visages rongés par les chancres du cœur,
Et comme qui dirait dès beautés de langueur.
Mais le poète, qui prévoyait, ajoute :
Mais ces inventions de nos muses tardives.
N'empêcheront jamais les races maladives
De rendre A la jeunesse un hommage profond...
Cet hommage profond, il me semble que presque tous les poêles
venus après Baudelaire, l'ont rendu. Il y a eu depuis lui un
continuel retour vers la fraîcheur, ver» la candeur, vers la primi-
livilé, dont les races neuves que le poêle célèbre au début de ses
strophes et qu'il oppose aux races d'aujourd'hui furent l'expression
nette. Des chanteurs sont venus apportant des « dons d'enfance »,
d'antres des <> chantefables », d'autres les rythmes naïfs de la
chanson populaire.
Il en est résulté aussi des œuvres contradictoires où se mêlaient
des lassitudes i des renaissances, des crépuscules à des malins,
des désirs de résurrection à des abattements anciens. Mais ce qui
est indéniable c'est que sur le jardin littéraire de celte heure-ci,
un vent frais et clair se répand et qu'il y souffle de l'aurore.
Un autre sentiment profond, nnerveilleux, large nt ardent s'est
également irradié sur les lettres : la pitié. Nombre d'esprits hauts
y trouvent le grand remède social. Des écrivains de génie l'ont
étendu à travers les pages de leurs livres; l'un d'entre eux,
Dostolewsky, en a fait l'âme de toute son œuvre. Chez nous,depui«
longtemps déjk, celte énorme émotion fixe avait orienié en
plastique les cerveaux des Degroux, des Meunier, des Mellcry et,
en littérature, avait requis Eckhoud. Parmi les récemment venus,
Maeterlinck et Van Lerberghe éprouvaient les mêmes tendresses
pour les faibles.
Est-ce le développement en eux de ces différentes manières
de sentir qui, pour l'heure, tend à rapprocher les artistes du
peuple? Certes, pour la plupart, le raisonnement n'intervieni
pas. Us n'ont pris, pour venir jusqu'aux travailleurs, aucun chemin
i travers traités économiques ou sociaux. Ils ne sont au fait que
de bien peu d'écrits. Ils n'établissent sur rien, si ce n'est sur
leurs impérieuses sympathies, leur volonté d'aller vers les
humbles. Ils la dirigent vers les rustres des campagnes aussi bien
que vers les ouvriers des villes. Ils ne distinguent pas. Ils sont les
émus de voir souffrir, les natTs de leur bonté, les rêveurs d'une
haute justice idéale, au loin, dans les temps.
Quelques-uns pourtant détiennent en eux une belle fleur de
haine. Ils ont le dégoût non seulement du bourgeois mais de la
bourgeoisie. Ils se savent hostiles autant que le plus décidédémo-
craie i cette classe de parvenus flegmatiques, dont l'art est
médiocre autant que la conscience, qui ne sentent que le banal
et ne protègent que le suranné. Ils se savent, eux aussi, révolu-
tionnaires i leur manière et que leur art a contre lui la même
opposition, la même tyrannie d'argent que le peuple. Ils se sentent
niés, bernés, persécutés par les mêmes gens, ridiculisés par le
même rire, bannis par les mêmes préjugés Eux aussi ont eu leurs
soirs de rage et de colère et c'est le souvenir de tout cela qui fer-
mente, qui enflèvre, qui unit et qui ligne.
Et puis, après tout ou si l'on veut avant tout, une loi domine
et englobe l'entière question qui nous occupe ici. Cette loi
n'est que la fatalité qui entraîne aujourd'hui vers et dans l'orbite
populaire tous ceux qui songent et écrivent pour demain. Le mou-
vement s'est manifesté dès le commencement du siècle, surtout en
Angleterre, et pour l'instant il s'accélère, il devient l'énorme roue
magnifique qui fait mouvoir les usines de toute politique et de
toute science. Personne dans le monde qui pense, ne pense à
celte heure, sans que les trois quarts de ses pensées n'aillent,
soit en tremblant, soit en espérant vers le peuple. L'art aussi
s'émeut. La religion elle-même — l'immobile — est entrée dans
l'immense rotation. La loi de la gravitation morale, on peut la
suivre aujourd'hui aussi précisément que celle des planètes et de
leur soleil. On oserait même afiBrmerque si la tentative proférée i
la Maison du Peuple rate, une semblable se manifestera immé-
diatement après. En des cas semblables on n'échoue pas, on diffère.
L'atmosphère est favorable, la solution de la question est dans
l'air. Tout au plus peut on discuter sur les moyens.
El à ce propos comment mettre en rapport les artistes et le
peuple? Comment se comprendront-ils? Comment iront-ils l'un i
l'autre?
Voici ce qu'on a fait. On a organisé des conférences, des entre-
liens, des lectures, des livres à donner aux bibliothèques popu-
laires, des exécutions musicales i entreprendre, des expositions
!i ouvrir.
On a conclu également — et ceci importait il certains d'entre
les écrivains — que la participation i la section d'art n'impli-
quait aucune adhésion au programme politique et social du parti
ouvrier. L'art reste souverain maître chez lui ; il ne s'inféode pas ;
il ne sert aucune autre idée que le beau. Il ne fait que développer
le sentiment esthétique chez le peuple et s'adresse — comme on
l'a dit au cours de la réunion de mardi — A son cerveau.
Vers un public fruste, indépendant de toute atiache avec
n'importe qu'elle école passée, il se dévoile sincère, libre. Il lente
une expérience. Fatigué et dégoûté de ceux qui le jugent d'après
leurs préjugés et leur médiocrité, il casse, pour aller jusqu'à
l'âme des masses, toute attache, soit d'intérêt, soit de succès
fncile, qui le maintenait en habit noir dans les salons bourgeois.
Il croit aux émoiions fraiemelles endormies 1), dans l'esprit
simple et clair du peuple et veut leur donner son jour i lui, sa
lumière Si lui pour qu'elles s'éveillent et se lèvent. Ce qui dans
l'art est fier et franc et profond le peuple l'a compris de tout temps
et souvent il l'a créé lui-même. Aussi sera-ce par la présentation
des grands géniM humains, Wagner, Hugo, Scbelley, que les con-
férenciers et les artistes comnwnceronl la série des fêtes d'art.
La tentative, peu importe ii quel point de vue on l'examine, est
donc plus qo'ioiércssaote et plus qu'opportune — elle est glo-
rificalrjce et belle.
LE LABEUR DE LA PBNSte
par OnsTATS Abml. Une plaquette in-S* de SS pagat. (Extrait
de la Rame VniverHtaire de BruxtUa).
« Colliger un certain nombre de glanures faites au hasard de
recherches pour prouver qu'écrire n'est pas toujours ausai facile
que d'aucuns le pensent », c'est l'idée qui n'a certes pas fait
inutilement noircir du papier k M. Gustave Abel.
Ëcrire n'est pas facile. — El d'abord, un peu de patience ne nu il
pas. Au témoignage de Balzac, il fout sept ans pour pénétrer l'esprit
de la langue française; il en faut quinze, dit Taine, pour savoir
l'écrire, non avec génie, mais avec clarté, suite, propriété et
précision. « Le génie c'est la patience ! » dit Buffbn, et Voltaire
résume assez bien ainsi les habitudes de travail des grands parmi
les grands -. « Je fais vite et je corrige longtemps ».
D'autrefois ou d'aujourd'hui, la liste est longue de ceux qui
peuvent se dire les manœuvres de la pensée. L'histoire des
oeuvres de Montesquieu et de Jean-Jacques an siècle dernier, de
Zola, Flaubert, Cladel, des de Concourt au uAtre, apprend que le.
talent ne correspond pas toujours k une grande facilité d'exécu-
tion. Jules de Concourt est mort d'épuisement verbal. Zola ne
produit jamais plus d'une page par heure, plus de quatre par jour.
Flaubert travaillait dix heures par jour; il ne s'échauffait guère
que vers cinq heures quand il s'était mis au travail ii midi. Il
était « obsédé par celte croyance absolue qu'il n'existe qu'une
« manière d'eiprimer une chose, un mot pour le dire, un
a adjectif pour le qualifier et un verbe pour l'animer. Il se
« livrait ii ce labeur pour découvrir ii chaque phrase ce mot, celle
« épiihèle et ce verbe ».
Elle est très bonne l'idée de M. Abel, d'avoir réuni les preuves
du grand travail qu'ont coûté les belles œuvres. Les exemples qu'il
en donne nous amènent i voir une règle générale dans celte
souffrance du bien dire. Hais c'est une si grande chose, être écri-
vain, que nulle fatigue, nulle mort concluant les travaux, ne
doit être crainte. Car, comme dit Cladel. « l'écrivain est l'homme
a par excellence, le grand ouvrier : en écrivant il dessine, il
n peint, il grave, il burine, il nielle, il émaille, il sculpte, il pense,
« il chante, il rêve, il spécule, il aime, il hait, il fait tontes ces
« choses en n'en faisant qu'une seule; il accomplit ces diverses
« fonctions en exerçant la science qui les contient toutes. Il est
« l'universel et le irismégiste. Il est Pan, il est tout I II «t, enfin,
« parmi les artistes, le roi ; de même que parmi les hommes et
u les mots, le verbe est Dieu ».
VERS DE L'ESPOIR
par MAVUca DasomiAnz. Bruxelles, Pinl Laccnnblei, in-18>, 129 p.
Les jeunes n'ont pas encore bit la paix avec le siècle. Le siècle
n'a pas lieu de s'en réjouir. Nais nos regrets, \ nous, sont tem-
pérés de toute la joie de lire de belles choses. Car si notre temps,
malgré ses grandes et vitales questions, écœure par les petits
'■■'W^immw*!*',
L'ART MODERNE
367
eAlfc toiOoar* trop en Millie pour les coolemporaiiis, si le«
amoarcnz ds V«be M du Magnifiani maDdineot avec Fbabert
MS maquioerie* appareniea, le plus clair résallal de ceci est ane
prodaction liuéraire très i part, due k ces réfugiés dans le passé.
■aorice Desombiaux n«as apporte ses Vert de l'Espoir, ses
mUt morte*, son Triompke dm Verbe, trypiique en un beau et
charmant volnme. Un de ces Tolumes qui remplissent de silence
b dernière page tonmée, parce qu'il y est question des mêmes
choses placées sons les yenx tons les jours, mais dites en si riche
langue et nombreuses inufes, que tout retour explicatif vers le
livre on expression parlée de quelque autre idée, sinlimide de
sa pauvre nudité de mots. Cest de la prose pourunt, mais une
prose très savamment rythmée qui bit classer telle pièce parmi
quelque Iretxième espèce de vers.
Les Vers de CEtpoir earrgislrent les visions d'un croyant.
Visions de celui qni aime et voit revivre les traditionnelles céré-
monies du coite, les l^endes d'un autrefois rdipenz et les
grands dogmes révélas d'une parure d'expressions nouvelles.
« J'ai cm, c'est poorqnoi j'ai parié. » Il a parlé, le poète, espérant
le rdoor de tontes les grandenrs qu'il chante et croyant, en
visionnaire du bean, que lenr survivanee ou leur résurreèlion
tient h lenr poésie.
Comme nos peintres, nos poètes ont ce (aire merveilleux qui,
en rabscace mente de haute envolée intellectnelle, (ait d'eux des
omnien de premier ordre. H y a dix ans, on les croyait «ces et
froids et anguleux, les dignes successenrs de Tinfinissahle lignée
diz-bnit cent trente des raisonnenrs et des didactiques. S'est
lévâée, an contraire, en eux ime incontestable puissance de colo-
rntes et de sculpteurs. Précisément, ce qu'on craigiuit le plus
voir apparaître dans les nouvelles, Tidée, la Ibèse, les principes
généraux, a fait, au dire de quelques-uns, trop complètement
place aux espressioiis ciselées, étudiées, accumulées d'un Beau
plus famel qu'inielkctnel.
Coflime nulle part ailleurs, les nôtres ont compris ce que l'un
d'entre cax a mis en titre d'un livre : tAme de» duiia. Avec
aBMMr, avec fervear et religion même, les compagnons muets de
noire vie ont été décrits et lear vie intime, toute manifeste de
syaritoles et d'affections mortes on prêtes i mourir, s'est révélée
en des interprétations poétiques. Animant les choses, ils iwds ont
tût vivre dans un milieu plus sabtfl, car une idée s'est accrochée
h chaque obiet et ceux-ci ont Corme comme une atoMMphère
sensible, aidant admirablement k préparer une atmosphère
inidlecincBe.
Maurice Desombiaux est de ces poètes. Ses VUU$ de riat*
ressasdtenlbien sn^eslivement les vieilles cités de notre histoire.
Cest Caad, c'est Bruges, avec ■ aiu tours gothiques dormant
leur séculaire sommeil de gloire, attachés par dlmperreptibtes
fib, comme les grandes toiles d'araignées imponiblement acrro-
diées \ respace, si frêles snr les immenses auvents pleins
d'ombre des quatre côtés, les cadrans d'or des horloges ■. C'est
DauMM, oA ■ aux bords du canal vert parsemé de feuilles mores,
snr les drèves couvertes de mousse et d'herbe processionneot les
grands arbres et, dans l'éloignement de la vieille ville dont on
apervoit les maisites portes, les tours, tes clochers, les gradins
des pignons et les loiu ronges, Tean regarde étemeliement le ciel
h tnvcrs les lamiues qui forment une voAte immense an-dejuis
d'elle ; les nuages se bouleversent, s'allongent, changent et pas-
sent pour kii dire lont ce qu'ils ont vu dans lenr conrte efténê<> à
travers les vcttigineax espaces aériens *.
C'est Anvers, la tour de Notre-Dame et son carillon, « dont
la ballade sautille et s'envole en chants et rires de petites voix
chevrotantes et bit oublier que le temps s'enfuit en vertigineux
tourbillons. Il ne marque pas les chutes de Fêlre vers le néant,
et les heures d'or remontent dans le passé k d'inaccessibles
banteors avec les saints, de pierre en pierre près des grandes
ogives sculptées, parmi renchevêireroent des arcades qni mettent
un effroi de silence et de solitnde aatonr des églises recueillies ».
Cest on ne sait quelle ville mi-historique, mi de rêve dont il est
dit -.
« Dans le ciel, une tour montait vers les étoiles.
« Des maisons, de petites maisons massives semblaient s'être
<• resserrées contre elle pour abriter son énormiié.
« D'inquiétantes formes, dans l'enfoncement d'un des e6iés,
■ posaient leurs bras sur un cadran vaguement lumineux qui
« paraissait on oeil cyclopéen de ce monstre occulte.
« Les heures étaient des chimères tordues par d'insondables
« tristesses, et l'œil morne, Ffletl terrible contemplait anxieose-
« ment l'infini, comme s'il cherchait, en une pensée, le fil d'un
« obacnr problème. »
Paraphraser de telles évocalriees descriptions, i quoi bon? Cela
ne donnerait pas l'impression de ce livre, à qni Ton ne peat
reprocher pent-être qu'une trop grande abondance de détails et
d'épiibètes, si intéressants qu1ls se nuisent réciproquement.
Poésie : bire, faire de rien. Cest bien k cette étymologie que
l'on pense en relisant telle piécette, taite de jolis maiérianx bien
disposés mais si ténus, qu'on se demande i quoi tient l'impression
souvent intense quelle produit.
Le Triomphe du Verbe fait succéder aux pièces détachées qni
précèdent et dont le lien est dans le sentiment plutôt que dans le
sujet, un morceau de plus longue haleine oà les qualités de pen-
seur de Maurice Desombiaux colbborem plus pnissammem arec
sa technique. Le penseur ici est un religieux ; non un mystique,
mais un croyant qui crée un symbole pour y bire vivre son espoir
en le retour du Verbe, invoqué comme b source radieose de toute
iotellectnalité.
Mais on livre de vers n'est pas bit pour être expliqué ni décrit.
Il se lit et c'est rïntime d'an chacun qui doit s'ériger en critique
des nuances.
EN HOLLANDE
{Corretpomdamee pmrticuUire de l'Abt noncan.)
A La Haye, en ce moment, deux expositions :
L'une, an « Cercle Palcbri Stndio ■, très briOante, des œavnM
de Johannes Bosboom. on très grand artiste trop pco apprécié
hors dn pays où il vécut. Cent soixante toiles et aquarelles mott-
trenl son talent se développant depuis les tltoonements de b
jeunesse jusqulk b mûre éclosion de son génie. Car il a su, ce
maître, dans Tampleor des cathédrales, bire nbrer b bmière
dans b poosnère d'or et b fumée des encens d'une bçon toute
spécble, 1 lui personneile et vraiment géniale. On admire dans
ses oeuvres un bire brge et léger, une coaleor blonde, cendrée,
lumineuse, une émotion pénétrante. Et, chose remarquable, ï
mesure que son >ge s'accroiL, son art te déveiopp« : ses demièrri
toiles sont les pins savoureuses et les plus belles.
Le catalogue contient une hautaine auiobiofraptiie, écrite par
le peintre il y a quCqnes années, moorraot b roonatSMice qs il
tf- .■'jJ'.''^*.^'. v**>'.' Ss'+w,'
368
L'ART MODERNE
avait de lui-même, de son lalenl, de sa valeur, et le dédain qu'il
itimoigoait à IVgtrd de l'opinion.
Bosboom est morl j.l y 3 quelques mois, ti l'Age de 74 ans.
*
Dans le « KunUkring », une «uiie 4e dessins de Josselin de
Jong, d'habiles, n'es adroits et faciles dessins, d'un illustrateur
de très grand talent. Ces dessins, qui ont plus de couleur que les
peintures du même artiste, dénotent uo savoir très complet, une
rare science de l'effet i obtenir; ils ne sont peul-élre pas très per-
sonnels encore, mais certainement très ioléressanls.
El de Théophile Ue Bock d'admirables pages en plein air, études
d'arbres, troncs veloutés de hêtres, troncs parcheminés de bou-
leaux, feuilles d'or luisant dans des verts de malachite et d'éroe-
raude. Up peintre daoi le vrai sens du mot, se baignant volnp-
lucusement dans la couleur, forçant la gamme des tons au plus
haut diapason, faisant vibrer les azurs, les lapis, les ors, tout eu
exprimant avec d'infinies délicatesses la légèreté des frondaisons
transparentes, les dentelles effilées de l'automttç, dans uue riche
coulée de couleur savoureuse.
LA QUESTION DES MUSÉES
Trois nonyeUea acquisitions.
Trois nouveaux tableaux viennent d'être exposés au Musée
ancien, Ils ne sont pas encore munis de leurs cartels — comme
beaucoup d'autres d'ailleurs dans notre musée mal soigné.
Un Brakenburg (Richard), signé et évidemment authentique.
C'est une bonne toile de ce petit maître, dont Bruxelles possédait
déjà une File cFenfanU, peut-être moins bien établie et plus molle
que le tableau récemment acquis. Celui-ci représente une cour
de cabaret; on sent l'influence d'Ostade et de Maes. La scène est
vive et chaude, U couleur, dans des tons d'ambre noir, a de la
vigueur. Mais pourquoi placer aussi haut, à une deuxième rangée,
une toile qui demande i être vue de plus près? Et puis : le
prix, s'il vous plaît? Nous espérons que cela n'a pas été payé
80,000 francs, comme le fameux Ostade, ni même 40,000.
Les deux autres tableaux n'ont pas encore, non plus, leur
cartel. Ce sont de mauvais saint Paul et saint Pierre dignes d'une
église de village. Cela a l'air de deux copies d'après quelque
vague italien. Il est honteux, vraiment, d'afficher des choses aussi
vculcs, aussi plates, dans un musée où rayonnent de merveilleux
Rubens. Pourquoi ces tableaux sont-ils là? D'où viennent-ils? Les
a-t-on achetés? Est-ce un don.* Si on les a achetés, c'est une tiute
grave et lourde, une gaffe nouvelle à ajouter il toutes celles
commises par la commission. Si c'est un don, — peut-être
de quelque Mancino — , c'est une honte pour notre galerie
d'anciens d'encombrer ses salles d'œuvres aussi insignifiantes et
qui dégoûteraient de la peinture.
^Correspondance
Bruxelles, le 10 Dovembre 1891.
MoNBiEDR i.B Directeur de F Art moderne.
C'est avec un bien vif intérêt qSe j'ai lu dans les colonnes de
l'A ri moderne des remarques aussi courageuses que judicieuses
sur les abus qui se sont glissés dans la formation de notre Musée
/
de peinture, ainsi que sur la néceuité de changer le règlement
d'Aidke intérieur de la Bibliothèque royale. Il est, h notre avis,
une autre institution dont certaine partie a également besoin que
la main d'un restaurateur passe par i|. Il s'agit des court publia
qui se donnent, le soir, rue des Sols. Parmi ces cours, il y en a
un qui est si peu public qu'il n'est fréquenté que par imt ou
trois fidèles, des maniaques prenant forée notes, et par trois ou
quatre passants, qui se gardent bien de s'y présenter une seconde
fois. Il y a quelques jours, la curiosité m'y a poussé k mon tour.
J'y ai vu en chaire nn vieux brave homme, baragouinant un
langage impossible. Je n'ai pas imité la plupart des auditeurs,
que l'ennui faisait se sauver successivement. J'ai eu le courage
d'écouter jusqu'au bout. En cbercbint k comprendre, je me suis
demandé si l'on n'avait pas affecté au service de l'enseignement
primaire une salle servant le jour k l'enseignement supérieur,
tellement m'apparaissaient banales et puériles les notions que le
pauvre conférencier, suant sang et eau, s'efforçait de communiquer
k son auditoire, plus ahuri qu'attentif.
Si c'est comme cela qu'on prétend former l'esprit public, il
faut avouer que lé moment est singulièrement choisi pour vulga-
riser, de la sorte, la science, maintenant qu'on est k la veille
d'appeler tout le monde k la vie politique.
Agréez, Monsieur, etc.
Votre abonné,
^___^^ V.
Chronique judiciaire DE^ ^rt^
OBsTrM mnstaOes ezéontéM dans 1m AtM ds «ociétés.
. — RacponaaMUté du Préaldaat «t da XMraotoar.
« Ceux qui, en leur qualité respective de Président et de Direc-
teur, ont apposé leurs signatures au bas des invitations et des pro-
grammes de fêles au cours desquelles des œuvres artistiques ont
été exécutées, ont ainsi pris part k l'organisation et, dès lors, ont
porté atteinte aux droits des auteurs en faisant choix des morceaux
k exécuter ou en ratifiant ce choix. »
Tel est le résumé d'une décision que vient de prononcer le juge
de paix du S» canton de Bruxelles. Il s'agissait d'une poursuite
intentée par MM. Eylenberg et consoru contre le Président et le
Directeur de la société l'Echo de Ut Senne, qui avait exécuté, sans
l'autorisation des demandeurs, plusieurs morceaux de la compo-
sition de ceux-ci. En vain les défendeurs opposèrent-ils k l'action
une fin de noo-recevoir fondée sur ce que la demande eût dû être
intentée contre le chef d'orchestre et les exécutants. Le jugement
décide que ces derniers ne sont que les engagés des organisateurs
de la Tête, seuls responsables du fait de leurs préposés.
Le même jugement tranche la question de publicité dans le sens
généralement adopté par la jurisprudence : la publicité existe
lorsque des invitations ont été adressées non seulement aux
membres de la société mais encore k des personnes étrangères.
fETITE CHRO;«(IQUE
Ad Tbéatu MoLiftKK. M. Alhaiza qui connaît k fond sa clien-
tèle ixelloiye, enfantine et appassionnée, a décroché un respec-
Uble drame de Dennery et Dnmanoir, type du genre, le Vieux
Caporal, mouvementé, accidenté, touchant et terrible, en lequel,
d'acte en acte, la situation se noue, se dénoue et se renoue avec
'/■ÏTS'':' ■''>Wî^FS^;'* ' '^ ■ ''~
L'ART MODERNE
de prodigieax torlilleinenls. C'est vraiment curieux à voir et ii
entendre au point de vue de Këvolution historique de L'art drama-
tique et nous vieillit ou nous rajeunit de dix lustres.
C'est de plus bien joué par M. Dutertre, mimant un rôle de
grognard muet, par M™ Bourgeois, jeune servante rustique drô-
lement savoureuse quoique un peu trop peinte en rouge, par
M. Charvel, très empoignant dans un farouche et odieux traître
de village, et par M"** Madeleine Max, distinguée et de jeu très
sobre sur une scène où, d'ordinaire, on est fort agité et fort
bruyant. La jeune artiste, de beauté étrange et paie, a, de plus,
étudié avec un grand scrupule des costumes et des coiffures de'
premier Empire finissant et de Restauration commençante, époque
mal définie et mal connue. C'est d'une exactitude et d'une origi-
nalilé parfaites; mais les ingénus naturels du faubourg ne doivent
guère s'y reconnaître. C'est charmant et très louable d'essayer
d'apporter, sur un aussi modeste ihéftire, les pratiques de l'art
vrai. Nous en félicitons de grand cœur la débutante qui a été si
bien accueillie récemment dans Serge Panine. -
Demain, lundi, r.i4r/tc2e 231 de M. Paul Perrier remplacera
Une Famille sur les affiches du Théâtre du Parc.
M. P. Litta, dont une audition aux concerts des XX révéla le
mécanisme délicat et la compréhension artiste, a donné mercredi
dernier, & la salle Erard, devant un public d'invités, une séance
musicale attrayante dans laquelle il s'est produit à la fois comme
virtuose et comme compositeur. Une Sonate de H. Litta, écrite
pour piano et violon, voisinait au programme avec quelques
œuvres de pianistique transcendante, signées Chopin et Liszi,
avec un trio pour piano, violon et violoncelle de F. Callaerts,
maître de chapelle à la cathédrale d'Anvers, et avec les Valtet
romantiques, it deux pianos, de Chabrier.
La Sonate a plu par sa grâce prime-saniière et juvénile. Elle
a une distinction de bon aloi. Dans le Trio de Callaerts, divers
styles se coudoient. La première partie, la meilleure, contraste
avec la joliesse de Vandanle, avec la vulgarité du final, traité en
manière de tarentelle. L'œuvre a été couronnée par l'Académie
de Belgique. Elle méritail, dans tous les cas, d'être tirée de
l'oubli où elle est reléguée. 11 est assez piquant qu'il ait fallu
l'initiative d'un artiste étranger pour la faire connaître à Bruxelles.
MM. Schorg, violoniste, et Niry, violoncelliste, ont été les
partenaires scrupuleux et habiles de M. Litta, dont le jeu brillant
et coloré a été vivement applaudi.
M. Jean Rousseau, directeur général des lettres et des beaux-
arts, est mort vendredi i Bruxelles. Il éiail igé de 69 ans. Il
écrivit, jadis, k F Etoile belge, au Figaro cl i l'Echo du Parlement.
Lundi dernier ont été célébrées, i l'église de Notre-dame-des-
Victoires, au Sablon, en présence d'une foule innombrable,
recueillie et sympathique, les funérailles de M"* Gevaert, femme
de l'éminent directeur du Conservatoire de Bruxelles.
Le deuil était conduit par M. F. -A. Gevaert, par M. le docteur
Gevaert, son fils, et par M. Fierens, son gendre.
Nous nous associons an deuil qui frappe la famille Gevaert et
prions celle-ci d'agréer nos sincères condoléances.
L'CBuvre de» Art* et du Travail, une œuvre d'utile et bienfai-
sante philanthropie, nous fait savoir qu'elle invite \ visiter ses
snperbes salles de la rue Veydt ions ceux qui sont en qoéle de
locaux appropriés k des expositions, i des représentations drama-
tiques ou \ des auditions de musique. La grande salle et ses
annexes se prélent admirablement à touies les combinaisons
qu'exigent les grandes fêles. L'acoustique de la salle est excel-
lente et fort appréciée des conférenciers. Les salles d'exposition
sont éclairées par le haut et présentent une hauteur de mur supé-
rieure à celle de tout auire local bruxellois. V Œuvre Aei Art* et
du Travail offre la location de ses locaux aux conditions les plus
avantageuses. Elle ne recherche qu'un modique moyen d'accrotlre
SCS ressources destinées aux malheureux, après avoir été Irans-
formées en travail.
M. Isidore Meyers a ouvert hier, dans la salle Saint-Cyr, rue de
la Régence, une exposition de ses œuvres. Nous en parlerons
dans notre prochain numéro.
M. Maurice Barrés fera jeudi soir, à 8 1/2 heures, une confé-
rence au Cercle artistique sur les A nlinomies de la peruée et de
r action.
La conférence suivante sera faite le 4 décembre par M. Adolphe
Prins. Titre : Notre culture intellectuelle.
La 25* exposition du Cercle Als ik Kan s'est ouverte hier â
Anvers. Jeudi prochain, M. Arthur Wilford, pianiste et composi-
teur, s'y fera entendre. MM. Louis Delmer et Pol de Mont feront
au même local des .conférences dont la date sera fixée ultérieu-
rement.
La conférence de M. Delmer aura pour sujet : Le nu dans l'art.
Nous avons annoncé que le Saint- François d'Edgar Tinel a été
exécuté dernièrement avec grand succès à Francfort. M. Wttllner,
directeur des concerts du Gurzenich, ii Cologne, en a donné,
le 3 novembre, une excellente inlerprélalion. L'œuvre de notre
compatriote sera, en outre, jouée dans le courant de l'hiver, à
Dusseldorf, à Fribourg-en-Brisgau, il Breslan, % Copenhague, à
Aix-la-Chapelle, à Amsterdam et probablement à La Haye. C'est
là un succès assez rare pour être signalé d'une façon particulière.
M. Van Dyck a chanté Lohetigrin samedi pour la dernière fois
à l'Opéra de Paris. C'est M. Ibos qui a repris le rôle. En retour-
nant i Vienne, où il va continuer les représenlatioas de Manon,
M. Van Dyck emporte la partition manuscrile du nouveau ballet
de M. Hassenet, le Carillon, qu'il va remeilre entre les mains du
directeur, M. Jahn. Les représentations du Carillon suivront de
près celles de Werther.
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' ONBtaia AJiHÉi. — N* 47.
Lb numAro : 86 csmtiiibs.
DuAHCHK 22 Novembre 1891.
L'ART MODERNE
PARAISSANT LB DIMANCHE
REVUE ORITIQDE DBS ARTS ET DE U LITTÉRATURE
Ck>init6 de rédaotioil • Octatk MAUS — Edmond PICARD — Ëhilb VERHAEREN
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Une inUrfeilation ù la Chambre. — ExposmoM Bf araas. — Panra
{SBOmQOS.
Notes sur les Priimti& italiens
A Madami Julbb DasTKÉa.
GIOTTO
Voici s'ouvrir nne série de modestes et brèves notes,
des remarques écloses en songeant aux chefs-d'œuvre
de là-bas, les souvenirs d'un curieux d'art, quelques
traits seulement indiqués de grandes figures, de médail-
lons à peine, là où il faudrait des statues. Qu'on
m'excuse, autant que je m'en accuse, de l'insuffisance
de tout ce qui suivra : ma louange ne sera, certes,
jamais celle qu'il &udrait pour magnifier de tels artistes,
et jamais mes mots, ces pauvres mots si froids sur la
page, ne sauront s'empanacher d'assez d'enthousiasme
pour ctiébrer les fêtes qu'ils ont données à mes yeux,
pour les remercier de tout ce qu'ils ont réveillé de bon
en mon cœur.
J'aurais donc préféré attendre si je n'avais considéré
comme un devoir de sonner de suite, au plus tôt, mon
imperceptible fanfare : les œuvres chères sont en péril ;
par delà les Alpes d'incomparables fresques s'évanouis-
sent de plus en plus chaque jour, et au Louvre même,
dans cette salle des Sept-Mètres où il n'y a jamais per-
sonne, j'ai vu un Ucello s'écailler dans l'abandon et
l'indifiièrence.
Il faut donc que tons, même les plus humbles, pro-
clament leur foi : la parole écrite a de si bizarres, de si
lointains retentissements imprévus ! Il faut, ainsi que le
disait Péladan, se hâter de faire l'admiration autour
des Primitifs et entraîner vers eux la sollicitude de
l'opinion ; il Ctut se hâter en tous cas de les étudier ; à
demi-mortes, ces grandes pages murales ne seront pres-
que plus appréciables pour le xx' siècle ; il faut se hâter
enfin de démontrer par les Quattrocentisti que l'esthé-
tique de nos jours est jme honte et que les admirateurs
de M. Meissonnier sont des imbéciles.
Et quoi! dans CArt moderne?
Pourquoi pas? A glorifier ce passé, nous resterons
dans le sens vrai de notre titre, nous n'aurons jamais
mieux signifié l'esprit d'indépendance et la guerre aux
conventions. Car cette question des Primitife, c'est au
fond celle de la règle et de la liberté.
Pendant des siècles, on a admis sans difficulté l'exis-
tence d'un Beau absolu; on a cru qu'il existait une
forme définitive, unique, excluant toutes les antres;
372
L'ART MODERNE
l'art grec et l'art italien du xvi« siècle ont paru se rap-
piocher le plus de cet idéal théorique ; et alors les his-
toriens, les professeurs sont venus, tous inspirés de
cette idée préconçue ; on a arpenté, mesuré, discuté les
œuvres sacrées modèles ; et les académies, les écoles,
les traités didactiques ont formulé des règles, prescrit
les conditions esthétiques pour l'appréciation du passé
et les réalisations de l'avenir, dressé le canon invariable
de la beauté pure; des générations successives ont été
façonnées à copier des nez grecs et à admirer Raphaël
comme le plus grand des peintres. Il en est résulté un
discrédit profond pour tout ce qui s'écartait de la norme
promulguée du haut des chaires des enseigneurs.
Mais depuis cinquante ans, des esprits insoumis ont
singulièrement affaibli la puissance de cette conception
rigoureuse. Ce furent d'abord les merveilles de l'an-
cienne Egypte, les exhumations des antiques civilisa-
tions orientales qui posèrent pour la sculpture et l'ar-
chitecture le problème de la légitimité des formules
esthétiques contradictoires; en même temps, sous
l'influence des romantiques, la vieille Europe se décou-
vrait les inestimables trésors de l'art gothique. Plus
tard, des critiques fureteurs révélaient l'importance et
la splendeur de l'école hollandaise, à peine connue.
Plus tard encore, ça a été l'intrusion soudaine et le
triomphe de l'art japonais. Nul aujourd'hui ne doute
que toutes ces expressions différentes de l'effort esthé-
tique ne soient également dignes d'admiration; chacun
choisit selon les préférences de son tempérament, mais
s'incline respectueusement devant toutes ; il n'y a plus
que les pions qui prétendent créer des hiérarchies et ^ ,
assigner des places, ainsi qu'en une distribution de prix.
Les académies, pourtant, imperturbables, continuent
à enseigner aux jeunes générations à copier des nez
grecs et à admirer Raphaël comme le plus grand des
peintres.
Quand on réfléchit au fonctionnement ininterrompu
de ces fabriques enseignantes, lorsqu'on songe à l'in-
tensité de ces impressions reçues dès l'enfance, de ces
doctes leçons pétrissant le cerveau de préjugés et de
conventions qu'on ne contrôle plus par la suite, on
comprend combien il est difficile, vis-à-vis de soi-même
et vis-à-vis des autres, de solliciter la sympathie, même
tout simplement d'être juste pour des formes d'art non
consacrées.
Ainsi s'expliquent des énorraités que l'on trouve chez
les meilleurs des critiques : dans son Voyage en Italie,
en maints endroits si remarquable, si compréhensif,
Taine dit que Giotto n'était qu'un imagier.
Celui qui a pour ainsi dire créé du néant la peinture
italienne, qui a fait surgir, sur les murailles des cathé-
drales, plus d'évocations que cerveau d'artiste jamais,
peut être, n'en conçut, un imagier ! Dans ce mot mal-
heureux reparait le normalien irréductible.
Ainsi s'explique aussi la rareté relative des ouvrages
qui se sont occupés de ces peintres longtemps tenus
dans l'ombre sous cette dénomination globale et con-
damnante : les Primitifs.
Les biographies de Vasari, les travaux érudits de
Crowe et Cavalcaselle, VArt Chrétien de del Rio ont
été, jusqu'en ces dix dernières années, les seules sources
où se pouvait désaltérer la soif de renseignements. Plus
récemment, en Angleterre, conséquence peut-être du
mouvement préraphaélite, peut-être aussi rayonne-
ment de la collection splendide de la National Gallery,
et en France, des enthousiasmes ardents se sont
attestés.
Le recommandable manuel.de M. Lafençstre et les
intéressantes études de M. Miintz sur la Renaissance
sont devenus des guides indispensables.
Josephin Péiadan avait commencé, vers l'époque oit
parut le Vice Suprême, de curieuses monogi-aphies,
bellement enflammées d'amour pour l'art, pétillantes
d'aperçus originaux, et savantes. Les fascicules consa-
crés à l'Orcagna etkrAngelico seuls ont vu le jour. Ils
font déplorer amèrement que le jeune écrivain ait aban-
donné les Quattrocentisti pour des parades bruyantes
et des romans érotico-magiques d'un plus fructueux
rapport.
Ces feuillets étant devenus introuvables, qu'il me soit
permis d'en citer quelques lignes : « Je ne puis donner
une plus juste idée des Primitifs italiens qu'en les appe-
lant des confrères de la Passion, des peintres de
Mystères. Un jubé a été le premier théâtre français,
un retable le premier musée italien. De Giunta de Pise
à Giotto, à Ucello et à Piero délia Francesca, l'art
semble un tiers ordre et n'oublie jamais qu'il est né du
Christ et sorti des catacombes. Mais cette comparaison
ne porte que sur l'identité de la source d'inspiration ;
tandis que les mystères représentés au Bourg-Saint-
Maur n'étaient que de pieux fatras, aujourd'hui illisi-
bles, les mystères peints aux murs du Campo-Santo de
Pise méritent, dans l'histoire de l'art italien, le rang si
élevé qu'on attribue dans l'art français aux cathédrales
ogivales...
> Les journalistes qui font de la critique d'art actuelle,
sans métaphysique, sans études comparées, ne sentent
pas, positivistes niais ! qu'au delà de l'art selon les règles,
il y en a un autre — le grand — qui s'élabore en dehors
des arabesques de lignes et des effets de clair-obscur et
autres artifices vulgaires. Je crois que l'œuvre d'art est
plus encore une opération de l'âme que de la main ;
l'homme met dans ses créations le meilleur, c'est-à-dire
l'immatériel qui est en lui ; je crois qu'il entre dans un
chef-d'œuvre plus que de l'étude et de l'effort, du
mystère. -
J'aime à m'associer à cette déclaration nette que les
Primitifs sont les premiers en mérite comme en date.
'^^^^^i^^^^wv^y
™*V.'i''^W ^v^'tjT-'.ï'î.'^^-
L'ART MODERNE
373
car 8i je conserve cette dénomination générale à
laquelle l'accoutamance a donné une signification pré-
cise, c'est en protestant contre toute interprétation qui
conclurait de ce terme de primitifs, à quoi que ce soit
de gauche ou d'incomplet. L'appellation est en eff'et par
trop étroite, et pour certains absurde, pour désigner
tons les peintres compris entre Cimabué et Léonard.
M. Miintz déjà a heureusement réagi en appelant le
XV* siècle, l'âge d'or. Il faut toute notre fatuité moderne
pour oser appeler primitifs des artistes aussi parfaits
que le Ghirlandajo, aussi variés que Gozzoli, aussi
subtils que Filippino Lippi, aussi compliqués et délicats
que Boticelli ! L'ânerie de la tradition académique fai-
sant commencer l'art à Raphaël peut seule rendre plau-
siblece groupement irrationnel. Quelle que soit la culture
de nos cerveaux, il serait téméraire de croire nos
pensées supérieures en diversité, en finesse ou en pro-
fondeur à celles de ces « primitifs > là !
Bien au contraire, pour nos contemporains les con-
frontations sont accablantes. Oh! la triste, la pauvre
petite figure que font les plus grands, les plus justement
estimés des modernes, confinés dans tel ou tel domaine
restreint, si on les fait comparaître devant Giotto tri-
plement génial et maître trois fois, par le pinceau, le
ciseau et le compas! Que cette œuvre exubérante et
magnifique nous écrase ! A Pise, à Padoue, à Florence
et à Rome, il a illustré de fresques les murs de vastes
chapelles ; la vie de Jésus, celle de la Vierge, celles de
saint Jean et de saint François, il les a glorifiées en
innombrables épisodes, avec une verve jamais afi'aiblie,
avec une ampleur, une fécondité d'imagination vraiment
sans exemple !
Avant lui, rien ou presque rien; les tentatives de
Cimabué et de Duccio de Sienne, impuissants à s'afl'ran-
chir de la tradition byzantine. Tout l'art réduit à quel-
ques figurations pieuses...
Avec lui, tout. La beauté du corps humain, la vigueur
des hommes, la grâce des femmes, la variété des mou-
vements, les plis nobles des tuniques, les animaux,
même les architectures et les paysages, tout devenant
( le domaine esthétique sans bornes. . .
Il semble que Giotto soit entré dans l'atelier où des
artisans s'étiolaient et étoufl'aient à copier laborieuse-
ment d'hiératiques modèles et qu'il ait brusquement
ouvert les fenêtres, montrant l'humanité, les enfants,
les femmes, les fleurs, et dans le large horizon la vie
incessamment multiforme et qu'il ait crié : Allez, artis-
tes, tout est à vous ! Et autour de lui, quelle floraison
superbe de peintres : celui-là surtout, son rival Simone
di Martino, à la tète de l'admirable école de Sienne si
peu connue encore ! Et ses élèves et ses continuateurs :
les Gaddi, Jean de Milan, Puccio Cappana, les Loren-
zetti, rOrcagna !
Oh! quelle introduction fastueuse aux rayonnements
qui suivirent! Quelle aurore splendide ainsi que les
plus étincelants midis !
Toute cette première Renaissance se rattache à cette
figure centrale, Giotto, et c'est cela seulement que je
voulais marquer en inscrivant son nom en tête de cet
article. Il est le Primitif par excellence, on devine chez
lui des joies d'enfant qui bat des mains devant la beauté
d'une fleur ou la vivacité d'un oiseau ; une naïveté
exquise, une réceptivité vierge qu'aucun souvenir d'éru-
dit ne vient ternir, le perpétuel étonnement devant les
spectacles ambiants, le bonheur de constater le mouve-
ment et la vie ! Et dans son esprit supérieur, tout se
représente en s'ennoblissant ; les compositions s'ordon-
nent avec une eurythmie parfaite et les expressions
des visages, les gestes et les draperies concourent toutes
vers une impression de grandeur et de santé. Et cela
est si parfait que des siècles après les plus savants vien-
dront encore interroger la fraîcheur de son inspiration
et tout ce qu'elles contiennent d'émotion et de rêve,
ces fresques ; tout ce qu'elles versent de pardons et de
paix aux hommes de bonne volonté !
Jules Destrée.
LE NOUVEAU DIRECTEUR DES BEAUX-ARTS
M. Jean Rousseau est mort. .Son passage aux beaux-ans
n'aura pas laissé de traces bien profondes. C'était un timide. Il
n'osait. Il transigeait. Il s'esquivait. Arrivé avec des intentions
superbes, lui, le chroniqueur ami des Lcmonnier et des Rops, il
a tenté, mai» que faiblement! quelques réformes dans la lourde,
impuissante, solennelle et routinière machine des beaux-aris. Tout
de suite, il a cédé. Et du directeur vigoureux qu'il avait promis
d'être, il n'est resté qu'un fonctionnaire. Le fonctionnaire fait ce
qu'on a toujours fait, il grimpe dans le train-train quotidien des
lignes administratives, descend aux stations où ses devanciers
sont descendus, examine ce qu'ils ont examiné, admire comme
eux, gère comme eux. Les fonclionnaires se suivent et se
ressemblent.
Il est vrai : la position de directeur des beaux-arts est difficili'.
Il faut de la poigne. Il y a de la Inlte. De la lutte sans merci. Il y
a les bureaux, ces sempiternels bureaux anonymes, ces fromages
dévorés de larves, qui se révoltent contre lonlc tentative neuve.
Les bureaux ne montrent quelque vigueur qu'en cela. Ils ont
des forces, naturelles, d'inertie qui en ont réduit de plus forls
encore que M. Rousseau. La bureaucratie belge compte parmi
les plus mauvaises, les plus encroûtées ; c'est une plaie du
pays. Elle fait la garde — une garde de vieux eunuques, qui no
meurt jamais — autour de l'Etat, afin d'y empêcher l'arrivée de
toute idée généreuse ou nouvelle. Ce sont des concierges malfai-
sants qui arrêtent le Beau et le Bien ii la porte des ministères.
Ils sont arrogants, astucieux, ne voyant que leur place et leur
« avancement y. Avec cela ils ont de la paresse plein leur rond
de cuir et de la bélise plein leur cTine.
C'est ï de telles gens qu'on ministre à affaire. C'est de telles
gens qa'an directeur des beaux-arts devrait dompter.
On dit : voilà l'occasion de faire quelque changement aux
374
L'ART MODERNE
rouages usée et détraqués du département artistique ! Mais non !
Cela demande du temps, cela traînerait, cela ne servirait k rien !
Ce qu'il fuul, c'est un homme t Un homme! Avec un sabot, un
rude et vieux pécheur prendra mieux le large qu'un transatlantique
muni d'un équipage sans expérience. Avec un fusil à pierre un
bon chasseur abat mieux les perdreaux qu'un maladroit tireur
muni d'un hamerless. Un homme de trempe et de poigne, voilà
ce qu'il faut. Un homme sans idées de routine, un homme de
lullc : un vigoureux!
Nous appelons là l'attenlion du Ministre.
C'est que, depuis quelque dix ans, la poussée artistique a
grandi cl a changé en Belgique.
Avant cela, les sacrifiés et les lutteurs de la pensée, c'étaient les
Uoulenger, les Dubois, les Artan, les Degroux, les Agneessens,
les De Brarkelcer, enKn reconnus, à cette heure, enfin proclamés. ,
Ensomme, sur le terrain ingrat de la Belgique de ce siècle, la
peinture a fait une trouée.
Mais ce n'est pas tout. Elle change de manière, elle se vét de
lumière nouvelle, elle s'abreuve à un esprit supérieur de sym-
bole ou de mysticité. L'art reflète les tourments actuels! Il faut
savoir en saisir toutes les nuances, toutes les diversités, toutes les
tendances ! Et, d'autre part, la façon de se produire a changé.
Les Salons ofllcieis ont fini. Il y a lutte, lutte ardente, dans des
cercles, dans des ateliers. On ne va plus aux Salons. C'est devenu
une arène vide, les gens des beaux-arts en sont cause.
Et puis, il y a une littérature belge. Quoi qu'en disent certains
ratés de la plume, continuateurs de la traditionnelle doctrine de
la banalité paternelle, celte lilléralurc est nationale, profondé-
ment. Les écrivains récents sont de race belge, flamande ou
wallonne, et cela incontestablement, pour celui qui sait voir!
Cette littérature est toute nouvelle.
Elle a surgi en ces derniers temps et grandit chaque jour. On
l'aperçoit de l'étranger, par-dessus les frontières, tant son éclat
s'indique. Nous sommes au milieu d'un mouvement intense,
violent, accusé par des livres, des revues, des journaux et d'ar-
dentes polémiques.
La musique, aussi, est-elle assez cultivée en nos terres? Les
merveilleux concerts populaires, le nombre sans cesse grandis-
sant de rercles et de clubs musicaux, l'extension des conserva-
toires et écoles de musique n'en sont-ils pas la preuve évidente?
Si tous ces mouvements se coordonnent et continaenl l'im-
pulsion enthousiaste donnée, Bruxelles va devenir sous peu un
des centres cérébraiii de l'Europe, où l'art et la littérature
seront le plus en honneur. Cela devient clair et sans conteste
possible.
Aussi, avant de choisir le directeur des beaux-arts qui sera
en fonctions pendant cette éclosion, de plus en plus féconde, que
le minisire refléchisse et se garde des conseils de ses bureaux!
Qu'il prenne un homme d'expérience, — non pas dans le
ministère, dans les odieux bureaux qui lui donneraient quelque
aigri de la littérature ou quelque retraité de la peinture religieux,
— mais, au dehors, dans lu vie. Qu'il prenne un homme appor-
tant aux officines endormies et poussiéreuses l'air frais du dehors,
l'écho des batailles, la vaillance des luttes. Un bomme qui ail vu
de près ces travaux et ces guerres ; qui en aitcâtoyé les ouvriers
et les soldats; un homme qui sache, enfin, que la pensée belge
a évolué depuis qu'on a fondé le ministère des beaox-arts !
In dernier mol encore ! que M. le Ministre, autant que de ses
bureaux, se défie des académies ! Là encore c'est le passé et la
routine. La plupart y sont ferméa au aouTcmenl jeune ; ce sont
des gens k formule, des mannequins d'atelier. Lenr influence
serait néfaste et leur nomination loalèTerail l'énergique répro-
bation de tous les artistes — xHdUHtuUment !
CAMUXE VAN CAMP
Nous aimions en Camille Van Camp, que la mort vient d'abattre,
son esprit d'indépendance et d'initiative. Il fut avec Louis Dubois,
Hippolyte Boulenger, Louis Artan — pour ne citer que les morts
— le fondateur de cette SoeUU libre du Beaux- ArU qui si crâ-
nement s'insurgea contre le despotisme officiel. Bomme d'action.
Van Camp groupa et disciplina les forces éparses de la jeunesse
artistique et la mena, drapeaux déployés, k l'assaut des vieilles
citadelles qui paraissaient alors inexpugnables.
Il fut l'ime de cet An libre qui bouleversa l'opinion, voici
vingt ans, — du premier journal osant dirp,ii la fiice des Académies,
des Jurys, des Directions de Beaux-Arts, que les temps étaient
révolus, que l'art entendait conquérir sa liberté, qu'il n'apparte-
nait plus à une commission gouvernementale de peser sur l'essor
des artistes.
Le vaillant journal, précurseur de F Art universel, de FArtitU
et de VArl moderne! Mallarmé y publia ses Page* oublias, parmi
lesquelles la Pipe, Pauvre enfant pâle. Camille Lemonnier s'y
affirma romancier et critique d'art. Cevaert et Servais y parlèrent
musique, avec autorité. Le prodigieni Dubois, sous on pseudo-
nyme transparent, mena joyeusement des campagnes contre
toutes les routines, fouettant d'une cravache souple des préjugés
invétérés, tapant de son poing solide sur les télés de turc les plus
calées, et les culbutant, jambes en l'air, drAlaliqnement. Henri
Liesse rimait des sonnets, secrétarisait avec une fooge juvénile.
Léon Dommartio s'y prouvait wagnériste, — déjà ! Il y avait dans
toutes les plumes de l'entrain, du brio, une communauté d'idées
en vue d'instaurer, enfin ! un art neuf.
C'est à Van Camp surtout qu'on doit la fondation du journal,
dont la très courte existence laissa d'inoubliables souvenirs, au
même titre que cet autre journal de combat, la lÀberti, aussi
éphémère que l'Art libre, et dont le sillage, depuis un quart de
siècle qu'il a disparu à l'horizon, n'est pas encore effacé.
La mémoire de Van Camp reste unie k ces ardentes manifesta-
tions. Plus que son art, sa combativité l'auréole. S'il fut un
peintre délicat, silhouettant tel aimable profil déjeune fille, lavant
d'un pinceau habile une aquarelle harmonieuse, brossant parfois
avec virilité telle scène historique — témoin cette Mort de Mar-
guerite de Bourgogne, eimaisée au Musée, — la réalisation de
son art n'atteignit que rarement sa conception esthétique. U
chercha toute sa vie une formule qui satisfit son esprit curieux et
novateur. Et son dernier effort, la grande scène qu'il peignit en
vue de célébrer le jubilé de notre indépendance, montre, en même
temps que la tendance philosophique de sa pensée, l'intense
besoin de rajeunissement, d'affranchissement, d'en avant dans les
voies nouvelles qui le possédait.
Bien qu'il eiit dépassé la cinquantaine, il resta, de cœur et de
sympathies, avec les jeunes, qui n'enrent jamais, dans les jurys
d'expositions, dans les commissions, de défenseur plus ferme, de
conseiller plus bienveillant et plus compétent.
C'est avec un sincère regret que nous saluons, .de ce dernier
hommage, l'artiste qui fut des nOtres et dont la place demeure
inoccupée.
9jrm^m^^^-!swm'^fi^T^'
L'ART MODERNE
375
LA QUESTION DES MUSÉES
Un* laterpellAtioB à la Ghambre.
If. SuMODiKm. — J'ai l'honneur d'annoncer à l'honorable mi-
nistre de llnMriear qne je me propouii de l'interpeller à la première
a^anoe utile au sujet d'une question relatire aux beaux-arts. Je prie
l'honorable ministre de me dire quand il lui conriendrait d'entendre
mon interpellation.
M. Di BoBLar, Qiinistre de l'intérieur et de l'instruction publique.
— Je ne Tois pas d'incouTénient à ce que l'honorable membre
soumette immédiatement à la Chambre les obserrations qu'il se
propose de présenter.
M. SuMOEHirn. — Messieurs, la Commission des musées royaux
de peinture et de sculpture est actuellement composée de : MU. Fétis.
conserraleur en chef de la Bibliothèque rojale ; comte de Beauflbrt,
anden gouTemeor; Delebecqne, ancien représentant; Rousseau,
direcieor général des beaux-arts; Balat, architecte; Fndkin, sta-
tuaire ; Portaais, directeur de l'Académie royale des beaux-arts de
Brazellea; Alh. De Vriendt, directeur de l'Académie royale des
faeaox-arts d'AnTers ; Em. Wanters, Robie, Claeys, OuOens, SUnge-
nsyer, artisles peintres, membres, et Stiéoon, secrétaire.
Sauf M. Wauters, absent du pays, et M. Portaels, qui se déplace
diiBeilement, tons les membres que je riens de citer assistent ré^-
lièreaient aux séances.
La mort nous a successirement enleTé, depuis peu d'snnées,
MM. Oallait, Madou, Verboekhoren, Simonis, le comte Dubos, le
général baron Ooethals, De Rongé, conseiller à la Cour de cassation.
(hUemtption de M. U minùtrt de tintérieur et de Chatructton
pMique.)
L'honorable M. de Burlet me dit qu'il faut malbeurement ajouter
i osHs Kste, déji longne, le nom de M. Rousseau.
Oe|mis quelque temps, une campagne asscs rire est menée contre
la Coauniasion des musées royaux ; les attaques ont pris nn caractère
si direct, qne je ne pois pas rester indiffèrent à tontes les accusations
dont cette administration a été l'objet.
Certes, c'est nne mission très délicate, pour les membres des
musées royaux, d'être Hutermédiaire entre le rendenr et l'acheteur,
alors que cet acheteur est l'Etat qui a mis en eux toute sa confiance.
Mais ici, la personnalité de chacun dispsrail ; chaque membre n'est
qu'âne partie solidaire d'an ensemble qui doit, plus qu'aucun autre,
avoir aonci de sa dignité et de son bon renom ; c'est parce qne je
taofnstia cette solidarité que je prends aujourd'hui la parole, moi.
le aeol membre de cette Chambre qui (assc partie de la commission.
Cependant, et je tiens à le faire remarquer, je parle en mon nom
personnel.
On a ibrmnié contre la ConuniasicHi des musées un certain nombre
de griefs; tons ces grie6 aonl relevés dans le rapport qui sera remis
à rhooorable ministre. A lui déjuger ni les réponses mut suffisantes
et de nature i jeter une pleine lumière siur tout ce que l'on déclare et
sur tout ce qu'on laisse entendre. Sinon, il ne lai reste plus qu'une
ssnie solution, me semble-t-il, c'est d'ordonner un examen minutieux
sor la &its incriminés.
Dans tons les cas, j'insiste très ritremeot pour qne l'honoiable
ministre donne à cette afiàire une prompte solntioo.
M. M Bc>i.rr, ministre de l'intérieur et de l'in.'^trurtion publique.
— Messieurs, j'ai transmis et signalé moi-même et tuccesaiTement à
la Commission des mu.sées royaux les articles auxquels vient de faire
allnaion l'honorable M- Slingeneyer. J'ai appelé son attention sur La
néecsailé d'y répondre, sinon par la i^oie de la presse, an moins par
mis de communication an ministre responsable vis-é-Tia du parlement
et dv pnya.
Je constate, par la motion de l'honorable M. Slingeneyer, membre
lai-méme de cette commission, que cette nécessité est comprise.
Nulle part plus utilement que dans cette Chambre, les explications
demandée* ne peuvent se produire.
Je ne suis pas en mesure de les fournir complètes aujourd'hui. Les
réponses aux dépêches que j'ai transmises à la Commission des musées
royaux ne me sont pas toutes parvennes ; elles constituent un travail
assez long, dont j'aurai i prendre connaissance. Je le ferai avec tout
le soin que réclame l'importance de la question.
Le débat sur ce point surgira tout naturellement, avec les dévelop-
pements qu'il comporte, lors de la discussion de mon budget, discus-
sion qui, je l'espère, ne tardera pas à s'ouvrir.
M. SuHOKMBmi. — Je me déclare satisfait.
M. d'Andumomt. — L'honorable M . Slingeneyer, dans son inter-
pellation, a fait allnsion, je crois, à des attaques dirigées contre la
Commission des musées par rArt moderne. Or, un très grand nombre
de membres, si pas tous les membres de cette Chambre peut-être, ne
sont pas abonnés à lArt moderne et ne lisent pas ce journal.
Je viens de le (aire demander à la bibliothèque et il m'a été répondu
qu'il n'y existe pas.
Je prie donc MM. les membres de la Commission de la bibliothèquf>
de bien vouloir prendre un sbonnement à ce journal, que Ton dit très
intirettant et que nouM $eriom enchanté* de connaître.
M. WoBsn. — Cest dans la discussion du budget de la Chambre
qu'il faut demander cela.
M. n'AxDUMOirr. — Je demande. Monsieur le président, qu'un des
membres de la Commission de la bibliothèque de U Chambre veuille
bien me donner une réponse.
M. DE BonLST, ministre de l'intérieur et de l'instruction publique.
— Il est exact que la communication faite par l'honorable M. Slinge-
neyer a été inspirée, comme aussi mes demandes d'explications à la
Commission des musées royaux, par une série d'articles publiés dans
fArt moderne. Je m'itonnerais que cejounutl ne te troutàt point a
la bibliotlUque de la Chambre. En tons cas, comme il est désirable
qne, lors du débat annoncé, la Chambre ait à sa disposition les arti-
cles de CArt moderne auxquels il est fait allusion, je prendrai les
mesures nécessaires pour qu'il en soit ainsi.
M. D'Aimuiioirr. — Je vous remercie, Monsieur le ministre.
— L'incident est clos.
Ce dialogue noosélonnr. Il rappelle celui de certaines comédies,
où l'aulèur fausse le rôle d'un de ses personnages pour arriver
soit à un trop rapide soit il on iasalisfaisant déoGocment.
En pays parlementaire et administratif, on a lellemeol ehoini
les chemins d'il côté, les roules ï contre bon sens, les peliis »en-
liers dissimulés en des fourrés comme les seuls pralicabics, que
rinlcrpellalion de M. Slingeneyer n'y produit peot-élre pas la
même sarprise qa*) nous. Poar nous, nous ne savons qne nous
exclamer devant cette explication demandée ^ un ministre, par
quelqu'un qui devrait la lui fournir. Comment ! M. Slingeneyer,
membre de la Commission royale des musées de peinture et sculp-
ture, après avoir affirmé qu'il assiste il toutes les séances de cette
commission, après, par ronséqueni, avoir implicitement convenu
quil est au roarant de mules les questions — ventes, achats,
resiauDlioos, discussions sur raulhentirilc des œuvres, — qui s'y
sont iraiiées depuis longiemps, demande simplement que tous nos
ir.-iefs soient relevés dans un rapport qu'on remeitraavec réponses
au ministre, pour que ce dernier soit sali.'ifail et soit juge do la
discussion ouverte et des accusations produites. Tout ain.si se
passerait entre gens disposés à arranger le^ elio^es, quitte i faire
une petite réprimande anodine, que le public ne connaîtrait même
pas.
Ce n'était pas cela que nous demandions, ce n était pas cela,
après toute celte campagne menée assurément avec opportunité.
37<5
LART MODERNE
ave« nécessilé, qu'il fullaii accorder : xois demandions it voi-
lions l'enoi'ête.
Il serait vraiment natf ou plutôt ironique de venir nous dire :
Vous voulei un examen sur la gestion de la Commission des
musées, vous allei l'avoir ; seulement ce contrôle sur la commis-
sion sera exercé sur elle-même par la commission gtU tneme ;
monsieur un Tel qui a volé pour que tel uMaan soit acheté k
raiaôB de IM.OOO firaaa, ae fnmwmtiri sur le point de savoir
s'il se blàoK devoir >chcté 100,000 francs tel tableau ; monsieur
un Autre qui croit que telle toile est d'un maître alors qu'elle est
d'un élève, se prononcrra sur le point de savoir s'il s'est fourré le
iloii^t dans l'ceil; monsieur un Troisième décidera lui-même s'il a
été berné, trompé et si vraiment il accepte qu'on le traite i
l'avenir d'ineaiuble, de négligent ou d'imbécile.
l'ne commission consultée de telle manière sur elle-même
devra nécessairement émettre des réponses prévues.
.\ulre point. Dans l'ensemble de nos accusations dirigées contre
elle, il en est poul-éire qui sans être fausses manquent de déter-
mination. Nous tirons de l'extérieur dans une salle où l'on main-
tient précautionneusement les ténèbres et à travers les volets; ce
n'est que si de temps en temps une porte s'ouvre ou une lucarne
que nous voyons par surprise ce qui s'y passe. >'ous sommes
{fatalement en uu lieu d'observation défavorable. D'où certaines
erreurs de détail qui, certes, ne peuvent détruire des vérités de
fond, mais desquelles on peut profiler pour se dérober sur des
points importants. Ainsi, il nous revient qae le Quentin Metsys,
dont nous avons signalé la restauration vandalisie, aurait é:é
épargné, mais que tous les outrages énuméréâ ont été prodigués
à un tableau voisin. Ainsi encore les Tite$ de Sigrti ne sont
peut-être pis de Regnauli, mais restent d'une authenticité essen-
tietlement problématique.
La Commission des musée^s est pour l'insiant une accusée : elle
ne |vut être son propre juge d'instruction, elle ne peut s'emparer
elle seule de nos griefs, en faire des choux et des raves, cacher
l'un sous l'autre, diminuer l'un par l'autre, faire preuve de ruse,
d'lub:leu-, de Ulillonnisme, escamoter, donner le change, sr
l»a>s:onner p-^ur >[u,' l'ou sache le moins possible, mettre au
(lern «T ('bu cvvi. tjire (arader eela, soigner ses intérêts ^ elle,
iiK-nag\T sa pe;ile p'.-r^onne. défendre sa petite institution, en un
mot faire de ia bureaucratie 11 où il faut faire de la nette et crue
lumière autour d'une question d'art.
Pour savoir si telle œuvre a été payée au delà de sa valeur il
fjul qu'on s'informe auprès d('< gens compétents. coUeetionoeors
Je tableaux anciens, atlenLfs aux ventes qui se font dans le monde
entier et intègres; pour dévider si tel lableaa est anlbenliqae il
bol appeler les artistes, les critiques, les savants en arehéologie
artistique, qui savent l'état civil des toiles et reconnaissent un
tableau autrement qu'à la signature : pour que nimporte quel
acte d'achat ou de \ente soit justifié il faut qu'il le soit contradic-
toiremeot, a^^rès examen et toutes les pièces étant au dossier.
Il £iu'.. en résumé, que l'examen soit Eait par des peintres et des
eonnitsseurs pris en dehors du monde oiSeiei. Toute la paperas-
serie administrative, tous chiSivs, comptes, notes eaJtKinies an
fond de cartons. to«s arguments invoqués par la commission.
daiK la pasîse — disons le mot — snspie^e où elle se tronve.
n'anroni d'efficacité que disenlés ainsi.
Cela précisé, tl est d'évidence entière qne la demande d*eipti-
cation produite 1 La Giaahre par I. Slingeneyer. mmk parait
d'une banalité et d'une anOiiinité sspréoMS. Ce a'esl pas ■■ p««
de bruit vain que noas avons essayé de susciter autour de cer-
tains bits, ni «n peu de tapage; nous n'ayons pas seulement
voulu p.EM«>quer l'attention sur les agissements d'une commission
eiJ«t dire « prenex garde », nous avons dit plus nettement : « Vous
n'avei pas pris garde ». Noos avons dressé un réquisitoire en
règle, auquel, avec acharnement, nous eiigeons qu'on nous
réponde. Nous avons étayé la liste des ceuvrcs achetées trop
cher, la liste des œuvres douteuses, la liste des œuvres uccagées
par les restaurations, la liste — nn seul nom — des marchands
au commerce duquel on s'approvisionne, la liste des gaffes com-
mises, des négligences perpétrées, des ignorances flagrantes, des
occasions manqoées, des incapacités démontrées, des bêtises
légendaires.
Si bien que la Commission des musées paraît un Guignol
dont M. Gauches, depuis longtemps, tenait les fils. Ils ont sauté,
les petits hommes, h sa bntaisie, opinant de la léie quand il lenr
Uchait de la ficelle, se raidissant, se rebiliant l'un contre l'autre
quand il la resserrait. Cette comédie a été jouée loin des yeux de
tous, d'abord devant des banquettes vides, pnis quelqu'un est
entré, s'est arrêté un instant, a compris le rôle ridicule de ces
marionnettes, s'est convaincu que si personne ne venait k ces
représentations tout le monde pourtant les payait, a soulevé on
coin de toile et a crié dans les journaux ce qu'il avait vu. On s'est
rassemblé, on s'est rué contre les ais et poteaux, on a jdé des
banquettes — je veux dire des articles — k la léle de Fiaipic-
sario et de SCS acteurs et pour l'insiani on songe i démoUr la
baraque tout entière, s'il y a lieu. Voili.
Il y a eu une queue ^ linterpellation de M. Slingeneyer. CrAce
^ M.d'.Andrimonl, nous avons appris qoe CArt medemt m pMé-
trait jama» josqu'k la bibliothèque de la Chambre. Fplf pt.Je
la direction des beant-arts il était, il y a quelques IBMS, pmCcan-
lionnensement éloigné. A la Chambre on pouvait aas itite se
procurer YEeko des jtnbns Ufamiers de Neder-mMT'BMm^eek,
mais on ne pouvait pas se prtKorer r.i4rl wtodenu.
X. de Burlet, qui en tout ce débat bit preuve fmmt iapartialilé
nette et haute, s'en est étonné lui-même et, eolCB, y avait-il de
quoi. On sourit ï cette pensée de voir la CoiMWMa des beaui-
aris. i la demande de M. Slii^teneyer, pcépuar son bon petit
rapport et le présenter aux Chambres, alon ^'ancnn des mem-
bres de celte Chambre n'aurait pn se RaM%Mr i la biUiothè-
que sur les véritables points en diacMMa el b direetiOB des
attaques. La bibliothèque de b CtMikre seconderail-clle b
Commission des musées dans sa haine on sa âeberie qn'elle doit
éprouver contre nons? .Nous ut Mas y opposerions point, nous
enscnoas mémehewenx, milles «c manifettMert leliemtni qne
par de petits moyens, tels qne TdoignetneiU on b sappression de
notre journal dans une saDe de lecture.
Poar clore ces dé^ trop longs commentaires, résamons qne
llnterpeUation de iS wnembre ans Chambres hdfcs, qni semble
avoir voulu vmtàUr b discnssion aatoor de la question de l'art
dans les mHibs, n'eAt certes pas été faite anbemeal. si elle avait
en poar bnl de renterrer, avec les qoeiqnes dt yuftndir parie-
mealHCS d'usage. Pooruni tel ne sera pas le sort d« débat actoel
et m nae pierre tombale, dans rinCeaiion de qnelq|aes-nns, doit
être gravée poar qnelqae ehoae, ce ne sera pas ponr b question
d'art qni se lève vivante et actnelEe et impérative, mais ponr b
coaaaissioa des Vasëvs qai josqu*) ca jour s'est lae, comme sa
-,'■: M^w^P^}^ ■"■>'''¥('''
L'ART MODERNE
;m
■^XPOglTIOf* *^EYERP
Qaaraiiie-CiB% loilcs, sifoées : Isidore Veyert, bpiswm
acUwUeiBeBl It gllene de Saini-CTr. Elles décèleni un éridenl
»oaei d'exprimer avec vériié b minre. Villages piiiorcsqnn des
bords de l'Escaol, fllfcs. marines, sous- bois : looie nue flore de
plein air, épanoaie ta booqoei de Ions jib, gais a l'cnl, pim-
pantt et ebirs.
■. Herers est issu de eMle école de Termonde que Rosseeb
■Kfla dans les cbemins, alots pcn explorés, de la lamiire. Sod
triomphe, re sodI les mafO— tries, les moradies solides, Ifs
maisoDs de briques, les loiis de lailes éearlaies. Sa foctore on
pea loarde coavieiit moins a b Boidilé des eanx, aux délicatesses
da fenllage. ftans tel site de Teere on 4e llamrae. dans tel coio
de BraKCS, Tartiste note scrapnknscmeM llmimilé d« ruelles,
b pais de b fie msiiqoe, et sa palette, échoaCée an coloris
dienri De Braekeieer, a des aeccnis de sincérité qni pbiseni.
Qnaad il vent metlie en scène des personoa^es, Tantste est
moins henmix. Ses Coréurs ont nne allore pocbe, et, en
général, VHobft de va lableani détonne dans li'eniembie. On
les sent ajonlés après coop, siibocK^lés d'one maio iababile a
desainei b %Bre hamaioe.
De coascicBcieoscs nocations de Inoiière n^lrac^ par b brame,
de dartés Innaim. de j-mr} crépasenbcrcs comptéteni on total
d'ornes d'où tonte banaliié est esclni>. Le Scttanu MirtMt est
a cîlcr, qni iMintre, {(bcécs d'ar^cnf, de T3fn«s «Ibooetles de
bumnes éthonécs lar le rinfe. Cest d'âne pénétrante poésie et
d*^ harmonie délicate.
Ce Xtùtrmt et b Xmû de XtA appartiensent i b «âion lanl
sait pea romantiqne dn peintre, qai maifré Ee réalisme de ms
inila douime niées et ri^oareasement étabCîes, rériKe. par Ee
e certains de ws titres, des préoccapation» lé^èreownt
Eacmple, ces déaanusuioois : Sftm/tiifmet mmén. CitekttUrîa
Immira. E» (*" <^ fmfm. Otnanm frue. PMa rmyiu. Cul
nmSU. la» ii ; aurait namise ^Ve a qiiii>r«ller r»rti:Me ï e^.
sayif. La Si^ale ckxMe qui importe, e>st qn'^ îneten dlaacjks
i oa perfiM ITart sincère d'an ftittn refii» par dThar-
; accent, senstbte atrx spDeiuienrs 4e b aatiir». viKvMé
mat hs mindiiffi if innn ctgostaous qiK' Ees heixrgH et (es «ûmi» t^nc
sabir aa pajsafr.
D f a r—fjif inipii qpe 9. Seyeis est mt la brée&e. Q met m
eaiaiemene teaoMe b demenrer jeiHe. ^ timaat^T ws bvnMM » la
TiiaBeé des artn«es indépendant», d«iiaifHiu des ^<iip d'é«a{e «t
éti faièics xaéécaif^a». kvnm^ ce if ail dit tntsqmi par 'WS r.iMt-
ckafeas' fawr Ciiî, fespoiMiina b«\(ielioi!«« manfoera nme iKjpi>
Car B est lOtpoiMiM» sbt «îsiner «oo «ibam>i «m» rRstteiuir pour
Tarûte ■oe ii'«!' ^npallue, ponr -tes cnoivaaci etinrts diï faitiiu-
raâaa et dm respect.
Petite CHROfttquE
Vts^amtàtm anaiiKilie lA» iiçKintSiiUtts «^i^sc ivxvmt &ier ^oii»
ea partlmia» Ams si«w» prucftaira rumii'r'V
loe exposition riirnipeaire des (eii*rrs d'Henri Ile Bra«^kel«^
t'ooTrira ao CereU artUliqme d'Anvers le 6 décembre.
Le mUre de b Monnaie a représenié celle semaioe on ïntllH
dû b b coibboralion de MM. Hanoon et Léon Dubois. I.e (iire pri-
mitivement choisi : Labo$. aoqael le nom de rbéroloe, SmfU*,
a été »iibslilaé, délimite le champ d'aelioa de cette «eorretle.
L'arrivée inopinée d'un jeune h'»nny; Irooble l'iDliinrlé de deux
amies étroitement onies, d'ob : jalootie, repm«b^s, défooemeni
Moclanl. Cesl, transporté dans file célèbre, et mis en pir«>aetl«»,
le LMmH-temnis de Gabriel Noorejr >|ai a elbrooebé b podenr des
(omédiens do Théâtre Libre. Sar ee eaoeras lena, N. Léon
Daboisa brodé quelques miïreeaaxd'DD dessin délicat, qoi nf^èlent
une main experte, on esprit jndicreax.
Lue petite scène imilatiTC, tOruge, a panitaït^TfmtM pia an
public, qai a applaodi arec bienreillanee (e ballet nooTeaD-n^.
Jeodi, %. Himnee Barrés a prononcé, an Or^rle artistiqse fie
Bmxelles, nne cooïérence litiéraire et %eir^ifMf\i\w. : « les AotJivrv
mies de la Volonté, b volonté de bien \if;w«n, bten bire et bû>n
instruire, et les possibilités de déduire des n^jli^ «te Mndoil/^
poor le peftwnr qai je vent knmme d'action * ; k tnttht rfe
>. Saariee Barrés a été fand et mérité.
Le procbaio numéro présentera en no article de a«(re colbbo-
ralcnr Cottave Kabo, acK étude des ihéivrics et prixéiié^ fie
N. Maurice Barnhi.
Dcni vieilles fardes ont été mterviewi'es b •»etnaii»e >fen»T<^rft
pjr M. de Watione qui poiirssit vx> iniéresMikie etufivéie inr
TévolaFioo littéraire en R^ljfiqiie. II »'»jpB *» M. Foi^ia i»t f.'e
M. Gustave Prédénx.
Ce dernier a traité »ie «abiMiBcijft l« rfirw» /ta premier, fj» «tui
p>*rmet i M. de Walinae de rtire : « Feu aimaWe, tBiiwie poor les
ami», M. Frédérix. »
Frémtact île vin^-eisgreiétiK» r»^po*tioo, vi<»nBeiii d'^ia^rir. .«
.^aver», les membres iit VAU A kitw. — 3'Vi'r. !>► enoi-ivir"» *» la
plupart des artistes t^iii en raisoa *t' aspiration» p(n» rétro jprarVs
ow p(n» pmjresiBTes avaunu qniiré eefte ^ft<fT)h,é, — im ^érirab^e
Sabo. Tm« «eats auniériv* an r.aialojpw et 4e ic'odam'es ■«i
diverses '.
L"hon«uHeté 4* rorymisation — 1«»» f'jW ïinyi.iU"» — i
aiaeaé a la rampe rnja<;('.oativiné vi>i»ijiayi* *» p^a» *vUies r.hivw*
pictarales aves tes pli» réf.mti^^ app(i»»r.ioo» ifar la dîvwioiv du
MO. .lu jarpftia, ilin» llnJi^nnértiAirft, lit prérieii*»!» promes*"»
poar aa atveau proitton ptiw pcoyi'Sâif.
La Mciéfé AU ik k/nt aiowtera » wa ?talrta labtlaire raiirut —
iiéinrto.iré aux .IT-ir — ite r.i»feri>ii«i»s i^t l'iitititioiw miimi-AlftH
L» pn»mu'r eoojRiîrt ^ieattt'aTOfr iu'ii H""" Fneil<^-ftoiirftV!Wh, iiiui
ftiatairice ruMe, iloof la «on aa;aat '\nt^. b pi»rvmii(' pOMèil»^ iim'
s spéciale et MOTafc htanré, te i|tincii«r Wiiltbnt, Wambaehv r<e
■erÎK et août j nat très ea^eUentmeiit vatitrfeiHé itm neavres <i^
CnrelTi, .^ftnmsMui tTriit- *» /ft maijitnr), W^hrr Qn/iiutir .
BraJin», Bira-Hki, Kwatrtw « O'sar '".m.
»>t va monfer * .tjnsientom li» Oune 'tt lit l'I/ir.lut rie V"nv,i»n(.
iflad!?, ifa« rrempoc'a i^a I^J^ i<» prix it^ 'i-.x ituiU: teaiîs (1<> h
ville *» Firi».
Cetr* «ipwftiî Mmpomlvna, 'pii (■.nrapr'nrf n'pe laJj|«»aiiT m iiiv
pcit^hyuit (-«t^i., rhfleiirs et nri-Meum. n'a «i» iiiHijii'ir.i i?i<»«u«fl
i^'uae Ihis, l« i* jaavii^r ISWH'. •Miw la i<iri>ruoa it« M f.h.-jrli-s
Lvmriorea'x, a^er, f aa &yi'.ft et M™" Sriini't^lLatlinir itcin.-» l^s rrties
arinnioattx (te Wiliiîlm «l (te L^nnri» L'5) itiri>c"liMin 'd'. criai'.Rris
nnt Muioiirs ri>r.itlé itHvsnt les flc.m rnnHÎ.irrabli's .^i'' ri<»r.«(!t)l»»nr.
li>.s éuutes<l<* la mirtft aiv pnml *' i'.i»lJ.^ impfirtin4i> piiruijnn. %iiih
MieiKtoft M. Ei»s, le je^ine i»t ^inllani. rhef iforctu^ttr^ 'in .Vmm7«
ifiAimHi ^ élit wni *rtisui|im imiiativi». ^iiitiaiionn içnilli'. <mi <iuvii>
cTi Beltpqne. Lv aiwnitmi, il y aiim iîiTlain«m«nt un l'ï/vle it>
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DutANCHB 29 Novembre 1891.
^
L'ART MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
RBVDB CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTBRATDRE
Comité de rédaction • Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHÂKREN
▲BOmrXMBNTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union poitale, fr. 13.00. — ANNONCES : On traite à forfait.
Adretter toute» les communicationt d
L'ADiamsTRÀTioN oÂNÉRALB DE l'Art Modome, me de rindnstrle, 33, Bruxelles.
Sommaire
A raopoa dis Skpt Princbssis. A Uaurice Maeterlinck. —
MAOBUai BABKit. — Lb Saix>n des Aqdabbllistes. — Une nouvelle
LWmM DB M. BdLS. — La QDBSnON DES MOSÉBS. — L'iNCIDENT De
BRàBEELBE». — PETITE CHBONIQUE.
A PROPOS DES SEPT PRINCESSES
A MAURICE MAETERLINCK
Comme on sort, hagard, d'ane forêt tragique, pleine
d'ombre, aux frondaisons traversées de larges coups de
lumière descendus du ciel, retentissante des clameurs
des iauves, résonnante des notes mélodieuses d'oiseaux
mystérieux et rares, à la fois bruyante et douce,
effrayante et sereine, — ému, je m'évadais du troisième
Tolame de cette prodigieuse correspondance de Gustave
Flaubert, en laquelle l'âme tourmentée du grand écri-
vain solitaire, délivrée des maniaques liens du style qui
le ligottaient à sa principale œuvre, sublime, Salammbô,
aprta des heures usées pour faire cette misère : une
phrase! un Qioins que rien, — comme un torrent,
comme un flux de sang brûlant répandait en une lettre
desUaée à l'obscurité, à l'oubli peut-être, plus d'élans,
d'enthonsiaame, de socs virils, de sève bouillante qu'en
des pages et des pages pour l'ingrat et stupide public
lecteur.
Et j'avais la tête bourdonnante des invectives, des
brutalités familières à ce robuste penseur, prévoyant
le sort, prophétisant le sort de l'artiste livré aux bêtes.
Et ma mémoire machinalement répercutait ses ana-
thèmes : « Cite-moi l'œuvre et l'écrivain de quelque
valeur qui n'ait pas été déchiré. Relis l'histoire et remer-
cie les dieux !» — « Pourquoi écrire dans un ton doux j
Soyons féroces! Versons de l'eau-de-vie sur ce siècle
d'eau sucrée. Noyons le bourgeois dans un grog à onze
mille degrés et que la gueule lui en brûle, qu'il rugisse
de douleur !» — » Frappons, bousculons, étripons les
abrutis des feuilletons. Je suis ulcéré contre les feuille-
tounistes. Quels misérables! "
Et je tombai sur un, deux, trois articles que ces
abrutis et ces misérables avaient régurgité à propos des
Sept Princesses.
Oh ! la joie, l'intime et profonde joie, de sentir son
âme épurée et grandie par du Flaubert, au diapason
qu'il faut pour que vibre en elle le mépris et la haine
qu'il faut, à l'odeur de telles turpitudes, à moins d'être
un dégénéré!
Voici une œuvre mystique, saisissante et très pure,
d'un pénétrant symbolisme, où le rôle terrible de la
Mort, cet éternel ange gardien funèbre préposé au ren-
versement de nos joies et de nos espérances, est fan-
i;i'i;r.-v.rr,^-;r'«l'r'5;»'i^>' '!r#^
380
L'ART MÙDBRNE
tastiquement décrit en une de ses plus sombres facéties :
la destruction d'un héroïque amour! Une œuvre qui
complétait la superbe trilogie de l'invisible et invincible
déesse, commencée par l'Intruse oti, sournoise, elle
venait la noire Kère, cruelle et impassible, mais instinc-
tivement pressentie, briser la famille; continuée par
les Aveugles où elle affirmait son impitoyable pouvoir
de désespérer les faibles et les infirmes. Par trois fois,
le penseur, le poète, s'attaquant au spectre dominateur
de notre triste vie, l'avait, en des scènes poignantes,
en des suscitations d'angoisse et d'effroi, en des évoca-
tions tremblantes, fait apparaître, malgré sa traltreuse
et cachottière allure de spectre se dérobant et frappant
par surprise. Admirable et souveraine puissance de
magicien armé du don d'appeler et de contraindre à
sortir de ses abîmes l'esprit des ténèbres.
Et il avait, dans ces Sept Princesses raconté, avec
un enveloppement de rêves et de prestiges, cette sans
cesse renouvelée histoire du grand cœur, un royal
cœur, parti pour le lointain des aventures grandioses et
mystiques, portant partout avec lui la souvenance et le
souci d'un bel et fort amour, et revenant, - par un
sombre canal inflexible -, " par une noire campagne
marécageuse», -sur un grand navire de guerre»,
pour retrouver et posséder son idéal, sa princesse, sa
princesse! lui criant : il est temps! et ne trouvant
qu'une morte! qui ne s'éveille pas! qui ne s'éveille plus!
'Trop tard ! fermé ! fermé ! rentré dans l'inconnu impéné-
trable qui, de son opaque cocon, nous enferme, pauvres
chrysalides.
Cette histoire d'humanité déchirée, d'humanité déchi-
rante, a été mise en contact avec les journalistes, ces
abrutis (Flaubert), avec les feuilletonnistes, ces miséra-
bles (Flaubert). Et l'un a dit : M. Maurice Maeterlinck
n'a fait aucune évolution nouvelle. Et un autre a dit :
C'est le moment de rigoler car c'est incompréhensible.
Crétinisme et zwanze, voilà la consigne.
Nous eussions parlé plus tôt des Sept Princesses, si
nous n'avions eu le pervers désir de voir d'abord com-
ment se comporteraient les subalternes qui ont assumé
la domesticité de présenter les plateaux de garçons de
café sur lesquels ils servent au public leurs consomma-
tions littéraires du jour. Ils ont fait leur tournée et ont
touché leur pourboire. En habit noir, frigides et gla-
bres, la serviette sur le bras, ils ont distribué aux habi-
tués et aux habituées les boissons frelatées de leurs
articles. Maintenant qu'ils ont fini, on peut parler avec
la joie d'avoir surpris leur incommensurable sottise.
Et nous disons au poète : Voici que très froidement on
vous salue, ou que très impertinemment on vous conspue.
Tant mieux ! Voici que les cuistres qui éprouvent un
plaisir infini à trouver qu'un esprit supérieur faiblit,
proclament que les Sept Princesses ne valent ni
Maleine, ni l'Intruse, ni les Aveugles. Tant mieux!
Voici qu'après avoir subi l'écUirage de feQX de ben-
gale des artificiers de la presse, tous rentrez dans l'obs-
curité I Tant mieux! Rendes gr&ce au sort qui vous
retire du péril immense oti topt ce cabotinage tous
entraînait. Rentrez dans la soiiîEde^tolnt&U^ pour l'ar-
tiste véritablerA iàotivTsens, vous commenciez à être
lu par trbp de monde. Vous n'6tes pas fait pour les
banalités du succès. Vous n'êtes point de ces crus qu'un
gazetier peut déguster et classer. Laissez ces buveurs
de piquette qui, s'emparant d'un mot que vous-même,
en votre modestie de belle &me chantante et admirative
des gloires Vayonnantes, aviez écrit, ont essayé de vous
amoindrir, criant, le doigt tendu et le rire aux dents :
Un nouveau Shakespeare ! Fuyez cette tourbe. Qu'elle
vous devienne physiquement intolérable. Dites comme
Flaubert : • J'en pousserais des cris ! » Ecrivez pour le
seul plaisir d'écrire, pour vous seul, sans aucune
arrière-pensée d'argentj|U^ tapage.
Ecoutez I c'est encore Flaubert qui parle : « Tout cède
à la continuité d'un sentiment énergique. Tout rêve finit
par trouver sa forme. Rien ne fait mieux passer la vie
que la préoccupation incessante d'une idée. Folie pour
folie, prenons les plus nobles. Il faut boucher toutes nos
fenêtres etallumerdes lustres dans notre chambre. Seul
comme un ermite et tranquille comme un dieu! Il faut
mettre les poings aux oreilles et continuer son œuvre. »
Et il ajoutait ce beau mâle et cet insolent grand
homme: «Fou... -vous de l'azur plein les yeux. Les jours
de pluie et d'em reviendront assez tôt. »
A l'un de nous, Maurice Maeterlinck a écrit la curieuse
lettre que voici :
Non cher MaItre,
Quant i la question Shakespeare, qu'en dire? Si je suis un
sin)ple pasticheur de Shakespeare, i quoi bon qu'on me défende?
Si je suis antre chose que cela, ces choses-lk sont toujours recon-
nues à leur jour et à leur heure et on a le temps de ne pas s'en
inquiéter. Il est curieux cependant que les Anglais qui savent leur
Shakespeare un peu mieux que les Français ou les Belges, ont tou-
jours, — il propos de ce nom absurde et montagneux de u Shakes-
peare belge » dont on désirait faire mon tombeau, — insisté,
non sur l'inégalité, ce qui serait grotesque, mais sur l'entière
divergence de vision et de tendances ; ils ont dit que je procédais
d'un certain Le Fanu (dont j'ignorais même le nom), de Webster,
de Musset, etc. Mais vraiment, c'est trop absurde, c'est comme
si je voulais prouver que je ne suis pas semblable à la voie lactée
ou au soleil, et quelqu'un qui pourrait pasticher Shakespeare
serait tout simplement aussi grand que lui, car la caractéristique
de Shakespeare est tout juste qu'il n'a ptu de manière, pas plus
que la mer, une forêt ou un paradis; il est organiquement univer-
sel, et qui parviendrait k l'imiter n'aurait pas imité un poète mais
quelque chose de plus.
Tout cela k propos des Sept Princatetf U ne faut pas qu'on
attache tant d'importance k celles-ci ; c'est une simple carte de
visite, la dernière piécette de cette petite trilogie de la mort que
L'ART MODERNE
381
je voudrais elose désormais. J'ai d'autres projets que je n'ai pu
mûrir encore : (a Beauté dans la maùon, la Datinée dan* la
maUon, etc., une espèce de théfttre où par delà les caractères
Uni épnisës je voudrais pouvoir rendre visibles certaines altitudes
secrètes des êtres dans l'inconnu. Pourtant une chose m'inquiète :
ces études trop spéciales, trop originales même, ne vieillissent-
elles pu plus vite qu'une simple étude de passions générales et
nuesT Peut-être. Ainsi, l'on pourra toujours relire Shakespeare et
Racine. Mais, dans quelque vingt ou soixante ans, pourra-t-on
supporter encore la lecture d'Ibsen, par exemple?
Tout cela me trouble et, pour le moment, je travaille à un
drame simplement et banalement passionnel, afin de me tran-
quilliser et peut-être aussi parviendrai-je ii détruire ainsi celle
étiquette de poète de la terreur qu'on me colle sur le dos. On ne
verra que cela dans le$ Sept Princesses, 'a\on que j'ai fait tous
mes efforts pour n'en pas y mettre, et y mettre tout autre chose.
Mais voilft, le baptême a eu lieu...
Pardonnez-moi, mon cher Maître, cette longue et incohérente
lettre écrite en bAte terrible et laissez-moi vous remercier, une
fois de plus et du fond du cœur, de toute votre boulé.
f i' T^ '/o ^ à^ e ^ Maurice M AETERLiNCi.
Si parmi les jeunes hommes de ce temps, certains, mécontents
de l'allure intrinsèque des choses, réfugient leur rêve dans les
poèmes et les fictions, soit aussi dans la science pure, et pensent
que leure idées, communiquées par la simple forme du livre,
vivront et engendreront par leurs vertus d'existence et de vérité,
d'autres estiment que le littérateur ou le savant se doit mêler ii la
vie ambulante du monde, qu'il y faut et parler et agir, et que
l'homme de pensée peut et doit participer aux pouvoirs publics
d'une époque en transformation, pour être prêt et en situation de
donner, lors de l'éclosion d'un ordre de choses nouveau, les
conseils de l'homme de pensée.
. M. Maurice Barrés, de par le talent que l'on constate dans ses
livres, aussi par le fait même de sa présence au Parlement, est le
représentant autorisé de ceux qui pensent que l'action est bien la
sœur du rêve. M. Barrés a été prophète en son pays, et double-
menl, puisque c'est son pays natal lui-même qui l'a élu, le pré-
férant, en ce jour, i un ancien ministre des partis autoritaires en
France. Ce fut, pour le jeune député, double triomphe ei il lui
plut fort, je crois, qu'à Nancy, ville d'université, ville en face
l'Allemagne, ville où les problèmes sociaux et politiques sont
envisagés d'une manière toute spéciale, il fut préféré, pour la
jeunesse de ses idées, i un homme rompu à l'expédition des
affaires. Aussi ce fait est symplomalique, qu'au succès de son
élection participèrent autant que les éléments de rénovation
éveillés autour du général Boulanger par l'élasticité de ses pro-
messes, le succès de sa parole et de sa présence parmi les
groupes d'étudiants qui vivent en cette ville.
Aussi M. Barrés s'adressa volontiers à cet ordre de jeunes gens,
qu'on appelait autrefois la jeunesse des écoles. Son lecteur ou
auditeur doit connaître ses humanités, être au courant même de
ces existences dont les écrivains actuels sont, à différents titres,
soucieux. Les Stendhal, Benjamin Constant, Laclos de Choderlos,
Paul-Louis Courier et Baudelaire, c'est à ceux-ci dans le passé
que M. Barrés a demandé conseil pour trouver l'heureuse fusion
de la pensée et de l'action, et c'est ceux-ci que ses livres aussi,
comme en de mentales conversations, évoquent.
Aussi cite-l-il Loyola, et non sans un certain dandisme littéraire
s'amuse-t-il k aimer ce chef d'apostolat, réservant les idées
pures pour un groupe d'initiés, et n'en donnant au populaire
que l'aspect extérieur et mécanique; l'idée d'un chapelet socia-
liste ne paraîtrait i M. Barrés nullement improbable.
Au courant de ses causeries, il parle de MM. Lavissc et de
Vogué, qu'il considère comme des maîtres de la jeune génération.
On peut contester l'opportunité du rôle de M. Lavisse et de
M. de Vogué; en nier l'importance serait vain; le nom de
M. Lavisse est intimement mêlé, en France, à l'hisloire des
réformes universitaires au lendemain de 70. M. Lavissc fut un de
ceux qui réclamèrent énergiquemeni des modifications à l'outil,
déjà cinquantenaire, de l'instruction publique en France ; il vou-
lut aussi s'enquérir historiquement, et surtout par les procédés
créés par le grand Michelel, des solidités de puissance de l'Alle-
magne. M. de Vogué fut l'apôtre du roman russe, en France,
et ainsi contribua à un mouvement d'idées, si puissant, que le
naturalisme, alors maître et seigneur, en fut et demeura fêlé ;
depuis M. de Vogué patronne, sous la coupole académique, les
arts du Chat Noir, et complique son œuvre de celte nuance de
facile dilettantisme, qui est si vague fleur à la vague boutonnière
de H. Jules Lemaltre.
« •
Mais si M. Barrés cite MM. Lavisse et de Vogué avec prédilec-
tion, je suppose qu'il pense fort à d'autres qui furent aussi des
écrivains mêlés à l'action. M. Berthelot certainement, et plus
dans le passé, un passé qui est d'hier, Thiers et Guizot le préoc-
cupent, et ^ssi bien Disraeli.
Concurremment, M. Maurice Barrés aime et défend Bourget, le
Bourget auteur du Disciple, soucieux du rôle de sa génération et
se demandant, en cette préface du Disciple, préface supérieure
au livre, et peut-être jusqu'à ce jour sa meilleure page, quel est
le rôle de l'écrivain dans sa patrie, alors surtout que celte patrie
fut blessée.
Encore M. Barrés s'est préoccupé de Michelet, de Taine,
et généralement l'on peut dire qu'il est issu plutôt des philosophes
et des historiens, que des poètes et des rêveurs des précédentes
générations.
Sous l'œil des barbares. Un homme libre, Le jardin de Bérénice
et à côté, en fantaisie. Huit jours chez M. Renan et Trois sta-
tions de psychothérapie, l'œuvre de M. Barrés; causés avec le plus
grand soin, et une méticuleuse et éloquente parole, plulôl
qu'écrits, ces livres présentent et patronnent une doctrine philo-
sophique simple et, diraient des mathématiciens, élégante.
Cultiver son moi, se considérer comme un terroir de phéno-
mènes psychiques, que l'on peut embellir par de l'attention
apportée à perfectionner ses qualités mentales, et émonder ses
défauts; être instruit du passé et au courant de toute idée nou-
velle; être suffisamment dileltante pour ne point persévérer en
d'impratiqufs idées; aimer son moi et examiner avec conscience
le moi de son prochain, hygiéniscr les détails de la vie et pour-
suivre logiquement un but final, donl la recherche même, plus
querobtenlion, décore esthétiquement l'allure de la vie, telle est
la théorie de vivre que nous présente M. Barrés. Si le sceptique
doit penser qu'en réalité rien ne vaut la peine d'être conquis, il
doit en même temps se prouver que tout peut l'être.
L'homme quel qu'il soit est fait pour l'action, et le vide de
c
■^^'■■'■yp --v.r^~-;^i'---^^
382
L'ART MODERNE
1
l'existence, il le doit parer pour lui-même; rechercher c'est créer;
et en conséquence M. Barrés tente d'agir et de persuader, comme
les poêles tentent de rêver et d'ajouter au patrimoine de légendes
et d'images de leur race. De même que les poètes recherchent avec
soin des moyens d'expression et de technique propres à la bonne
traduction de leurs utopies, et à leur fixation sous forme Irans-
porlable et communicable, M. Barrés recherche les outils qui
permettront au penseur homme d'action d'agir et de persuader.
En sa conférence, après avoir brièvement indiqué par quelques
exemples !i quelle famille d'esprit il aime à dédier sa mémoire, il
passe en revue les modes d'action du penseur. Le livre est-il suf-
fisant? Non, car le livre ne persuade que des initiés; le livre
qu'on prend, qu'on quitte, sur lequel de basses volontés peuvent
avec un peu d'entente faire le silence, le livre toujours trop long,
empêtré dans des nécessités d'explications, ne s'adresse qu'k une
élite, et de par son public des malévolents jugent par milliers ; le
livre n'est donc qu'un répertoire d'idées pour les égaux et les
futurs égaux; il n'agit sur les humbles qu'après des temps
écoulés.
L'enseignement ! A-t-on le droit, en croyant armer de jeunes
cerveaux, de leur communiquer une nourriture mentale excessive;
doit-on propager les théories généralement nihilistes des récents
génies à des cervelles qui ne comprendront jafnais les correctifs
nécessaires de ces théories, l'amour de lotion, l'amour du pro-
chain, l'amour de l'élégante preuve et de la solide démonstration?
C'est chanceux et hasardeux, et soit par des crises d'âmes indivi-
duelles, soit des jours de révolution, les idées des penseurs,
jetées en des cervelles mal défrichées, peuvent se revêtir de sin-
gulières apparences et leurs démonstrations subir de singuliers,
sinon criminels corollaires ; donc le penseur ne peut ni unique-
ment se fier au livre et, éducateur, il doit proportionner sa
manne à la débilité de qui il instruit.
Dans un article du Figaro, M. Barrés, expliquant et commen-
tant une discussion de la Chambre française, expliquait, avec
esprit et agrément, ses idées sur la parfaite inutilité de débattre
des modes d'enseignement. Cependant que M. Joseph Reinaeh,
qui est un politicien et un critique des choses militaires, récla-
mait pour les nourrissons le droit à la connaissance du Promé-
ihée délivré et du de Nalura rerum, que d'autres voix autorisées
voulaient adjuger à la même classe de privilégiés, plutôt des
notions de Gœthe ou de Shakespeare, M. Barrés indiquait, qu'en
somme il importait peu : qu'il fallait donner, à ces malheureux
lycéens, des bibliographies, des renseignements, un choix judi-
cieux d'extraits de tout, et que c'est assez tôt, pour l'homme de
dix-huit ans, de connaître et d'évoquer, dans son locatis de dix-
huit ans, les grandes ombres et les féeries des hautes apparitions.
Donc, si pour agir sur autrui, écrire n'est pas suffisant et
enseigner peut être dangereux, si se presser de communiquer il
de jeunes cervelles des vérités est hasardeux, mieux vaut parler
aux hommes faits et légiférer.
De lit, le rôle de M. Barrés, romancier pour les écrivains,
journaliste pour divulguer des idées, député pour représenter des
similaires et conférencier pour persuader directement.
Que la foi philosophique de M. Barrés donne toutes solutions
pour les problèmes actuels et les difficultés permanentes, non;
personne au monde d'ailleurs ne peut avoir cette prétention;
qu'elle soit pour toute une classe d'esprits distingués un suffisant
bréviaire, ou tout au moins un guide intéressant, certainement
oui. Aussi faut-il avoir gré à cet écrivain, de trancher sur la
monotonie actuelle ; les écriTaim , Ie6 vraïa poètes et tDisi les
rhéteurs, ont été toujours trop lentéi, et surtout par notre
époque, de se considérer comme le centre du moqde.
Autour dlnsoffisaats nombrils, une insufisanle circulation de
mondes en efBgies. Il éuil bon qu'un lellré t'aperçut de l'action
et y réussit.
Gdotate Kabn.
LE SAION DES AQUARBLUSTES
Très nettement la classification s'éUblil, aux Aquarellistes, des
œuvres jolies, anecdotièrement tracées en quelques coujSs de pin-
ceau habiles, et des œuvres de style qui vont au delà du « coin
de nature vu it travers un tempérament ».
Le référendum ouvert par nous Tan dernier, et qui fil quelque
bruit, affirma que la technique infiniment souple et variée de la
peinture i l'eau n'exclut aucune expression d'art. Pratiquement, les
peintres interrogés appuient leurs dires de flagrants exemples. Et
tandis que dans la première catégorie, dans celle des prime-sau-
tiers lavis, se rangent les pimpantes aquarelles des Stacquet, des
Uytterschaul, des Binjé, des Hagemans, des Titz, des Cassiers, des
Claus (qu'on pourrait dénommer : aquarellistes sans phrases),
dans la seconde s'érigent quelques concepts d'un ordre plus
élevé, reflétant une pensée et pénétrant plus profondément dans
le cœur et dans le cerveau du visiteur. Tels : les suggestifs dessins
de Mellery, TOffrande et surtout Une fleur morte de Femand
Kbnopff, les Barque* de pMie de Constantin Meunier, Novembre
et Lumière d'Albert Besnard.
Dans ces compositions de grande allure, le procédé s'efface,
l'art se dresse, dépouillé de son enveloppe malérielle.
L'offrande — fleur rare tendue au buste de la Femme inconnue
— est toute dans un geste, — ^te d'une suprême noblesse et
d'un impérieux vouloir, accentué par l'expression résolue d'un
visage où se mêlent l'espoir et la souffrance. Une fleur-morte —
lys symbolique retenu d'un bras crispé — n'est qu'une attitude,
— attitude de douloureuse résignation et de défense, encore,
malgré l'irrémédiable flétrissure. Mais ce geste, mais cette attitude
restent dans la mémoire, définitifs. Ils déterminent l'indéfinissable
frisson que seule provoque l'œuvre d'art. Ils plongent au plus
profond de l'ftme. Us en font jaillir une émotion artistique :
angoisse, pitié, et dès lors conquièrent irrésistiblement.
Un paysage : Fin de jour, exacte notation de l'heure indécise
qui baigne de clartés douteuses de vieux murs de ferme, une
eau limpide, et plus loin, dans des feuillages, la façade d'un chA-
lean enveloppé de silence, complète l'envoi de Femand Kbnopff,
— son premier envoi ti la « Société royale ».
Les compositions de Mellery, nous parlons de ses projets de
diplômes pour associations ouvrières, s'affirment : sculpturales.
Dans ces œuvres purement allégoriques, l'artiste s'élève au-
dessus de toute banalité et son art précis, d'une merveilleuse
pureté de style, sollicite le praticien. Nul, mieux que lui, n'a le
secret des rayonnantes nudités, des pouvemenls amples et
gracieux. Relié aux traditions de la Renaissance italienne dans
ses compositions décoratives, il est, dans tes dessins, moderne
et d'une personnalité plus accentuée. Exemples : son portrait et
Vintériatr charmant qu'il cimaise ii côté de set diplômet.
Novembre, de M. Albert Besnard, e'esl, en des colorations
fanées, un buste de jeune fille aux chairs mortes, jux inùts fati-
gués. Lumière, du même, resplendit de carnations fraiehet, de
pssss.îîf?*';'-
L'ART MODERNE
383
sang h fleur de peau, de rubéniejiqe unie. Il y a dans le geste,
dans le modelé du lone, une volupté rare. L'art éclate dans ces
deux œuvres, — moins profond, moins concentré que dans celles
dont nous venons de parler, mais avec une intensité inaecoulumée
qui nous fait priser haut ces morceaux de peinture savoureuse
cl belle.
Des deux Meunier, nous préférons lu Barques. Ici encore,
c'est un grandissement indéniable de l'épisode. Ce qui requiert,
ce n'est pas la barque de pèche, ce n'est même pas l'adorable
figure de jeune fille adossée au mftl. La rude vie du marin, l'in-
flexible devoir qui le pousse au large, l'incessante lutte avec la
Grande mystérieuse se dressent dans la pensée, fatalement, obs-
tinément, quand on contemple ce bout de wbatman griffé et
taché. Dites, lorsque vous regardez les jolis bateaux de
M. Uytlerschaut, si joliment dessinés et lavés, ces impressions
naissent-elles en vous?
El pourtant, il serait injuste de méconnaître à M. Uyiterschaut
une virtuosité rare, un savoir faire de premier ordre. Les huit
grandes aquarelles qu'il aligne — barques échouées, maison-
nettes de pécheurs, siies de la Hollande ei du Brabant — sont
toutes enlevées avec un brio, un chic, une entente des procédés
qui le classent parmi les meilleurs water-coloristes.
N. Uytlerschaut se produit, en outre, comme professeur : son
jeune élève, H. Georges de Burlet, fils du Ministre de l'intérieur,
débute, aux côtés de son maître, par quatre aquarelles qui
décèlent des dispositions exceptionnelles et un sentiment délicat
des colorations. (A suivre.)
jm mmiu lettre de h. buls
Bmzsllea, le 19 norembre 1891.
HOHSnCR L'ADMnnSTKATEini,
En parcourant les numéros de l'Art moderne parus pendant
mon congé, j'y ai trouvé une nouvelle lettre de votre correspon-
dant D., donnant des indications un peu plus précises sur le fait
que, dans votre numéro du 19 juillet dernier, il qualifiait de bévue
de nos adminislrateuri.
rtà TOnlu en avoir le coeur net et j'ai fail pousser l'enquête i
fond. Voici ce qu'elle a produit :
« Les deux vases que possède M. Vander Donck ont été vendus
i celui-ci en 1890 par M. Cools, antiquaire, rue du Gentilhomme,
lequel les a achetés, en 1883, d'un brocanteur qui est venu les
loi offrir comme provenant d'une maison démolie Grand'Place.
« La seule maison démolie Grand'Place, depuis mon entrée it
l'HAlel de ville (1847), est celle dénommée l'EloOe, formant
l'angle de la rue de l'Hôtel-de-ville. Cette démolition a eu lieu
en 185S.
« Le dessin exécuté en 1739 de la façade de celte maison,
déposé an Muiée communal, ne porte aucune indication de vase.
« La Ville n'a jamais fait d'offre pour acheter les vases visés.
« Si, comme le dit l'aulenr de la lettre adressée à M. l'Admi-
niatrateor de l'Art moderne, eeruins vases manquent k l'appel
au-deiaas des toitures, notamment à une maison voisine de celle
de M. Van Neek (k son avis, c'est méihe celte maison-lk qu'ils ont
ornée jadis), je fais remarquer que les maisons voisines de celle
de H. Vu Neelt, disposées entre les rues de la Colline et des
Harengs (reconstruites en 1696 et 1697, sauf deux qui sont
modernes), ne sont frappées d'aucune servitude et qu'il est
parfaitement libre aux propriétaires de les démolir soit entière-
ment, soit partiellement, et partant de disposer à leur gré des
matériaux qui les composent.
a En tous cas je ne me rappelle pas qu'une opération de ce
genre se soit produite depuis mon entrée au service des travaux
publics, n
Votre correspondant reconnaîtra qu'il s'est avancé un peu
légèrement et qu'il n'y a eu aucune bévue commise par l'Adminis-
tration communale, e. q. f. d.
Agréez, Monsieur l'AdminisIraleur, l'assurance de ma considé-
ration distinguée.
Le Bourgmestre,
Buls.
La lettre de M. Buis dégage sa responsabilité, évidemment. El
nous ne pouvons que le féliciter de l'enquête qu'il a fait faire à
la suite de nos réclamations, — attitude qui contraste si belle-
ment avec celle de la Commission des beaux-arts.
Nous savons maintenant exactement d'où viennent les vases de
H. Vander Donck. Ils viennent, comme nous l'avions dit, des
maisons voisines de celle de M. Van Ncck, au coin de la rue des
Harengs, lesquelles ne sont frappées, d'après H. Buis, d'aucune
servitude et dont le propriétaire est libre de disposer à son gré. On
aura fail une démolition parlielle consistant dans la descente des
trois vases dont on voit parfaitement la place, le socle, au-dessus
delà façade. Deux de ces vases sont chez M. Vander Donck :
celui du milieu et un de côlé. Cela est incontestable. Ils ont un air
de famille typique qui les appareille aux autres vases qui surmon-
tent quelques façades de la Grand'Place. Aux dires d'experts,
que nous avons consultés, il n'existe pas d'autres objets de ce
modèle et leur origine n'est pas douteuse. Il est déplorable,
pour l'aspect de la place, qu'ils manquent ^ l'appel.
Donc, (nous ne pouvions savoir, d'ailleurs, qu'il n'y eût pas de
servitude sur ces maisons et que l'adminislralion n'y eût rien a
dire), si la bévue devient un accident regrettable, du côlé de notre
correspondant il n'y a pas non plus de renseignements dénués de
fondement, comme M. Buis le croyait dans une lettre précédente.
Une bonne solution : que M. Vander Donck donne ou lègue a
la Ville les deux vases au sujet desquels on polémique avec tant
de courtoisie et avec une si nette volonté de bien faire !
LA QUESTION DES MUSÉES
MoMSiECR LE Directeur de l'Art moderne,
La campagne que vous menez contre la Commission des musées
est utile.
Je liens & y apporter une modeste pari.
Au Musée ancien se trouve un tableau de Gerrit et Job Berk-
heyde : Une rue de Harlem (dans la grande salle précédant celle
des gothiques). On voit au Musée San Donalo un tableau, égale-
ment de Gerrit et Job Berkbeyde, intitulé : Place du Marché à
Harlem. Les deux toiles sont identiques, si ce n'est que sur le
tableau de la Galerie San Donalo se trouve en plus un homme
conduisant un cheval et que... les titres diffèrent.
Le catalogue du Musée ne m'a pas éclairé sur ce fail, c'est
pourquoi je vous le soumets.
Agréez, Monsieur, l'expression de ma grande admiration.
Unus ex Vulgo.
384
L'ART MODERNE
Bruxelles, le 15 noTembra 1891.
MoNSKCB LE Rédactcuk be tA Tt modertu.
Vous avez parlé récemmeot de l'orgaDisaiioD, des acbais et des
leodances de la Bibliothèque des estampes de Bruxelles.
Il me semble qu'il senit indispensable de faire, dans quelques
salles du rez-de-chaussée, une exposition publique et permanente
des plus beaux exemplaires de la gravure. Il y aurait une salle
pour les anciens et une salle pour les modernes. Les estampes qui
ont un caractère archéologique seraient d'un côté et celles qui
ont un caractère artistique, de l'autre. A l'aide de vitrines-tour-
nantes, on pourrait en placer un grand nombre et changer pério-
diquement la collection exposée.
Il ne suffit pas d'avoir 300,000 estampes dans des cartons.
Il faut les exposer, de façon que le public prenne goût k cet an
trop abandonné.
Ce n'est qu'en les montrant qu'il peut acquérir ce goût.
Beaucoup de bibliolhèques étrangères en agissent ainsi, et. entre
autres, la Bibliothèque des Offices i Florence.
Il parait que l'on approprie diverses salles qui doivent recevoir
les plus beaux spécimens de la Bibliothèque de Bourgogne. C'est
parfait et nne semblable mesure devrait être prise pour les col-
lections des cartes et plans, pour les autographes, pour les
médailles, en prenant, sans doute, toutes les précautions néces-
saires, et pour les livres imprimés les plus curieux et les plus
anciens.
Il devrait en être de même an Dépôt des archives qni est,
comme on sali, un des plus précieux de l'Europe. Les pièces les
plus intéressantes devraient être exhibées et cousiilner l'histoire
de l'écriture. Cela donnerait peut-être le goùl de la paléographie,
science presque ignorée en B<>lgique.
En un mot, on devrait ouvrir au public les collections natio-
nales. Acluellemenl elles ne 5er\enl qu'à quelques privilégiés.
Il est k remarquer qu'à Londres, notamment, où la fouie qui
fréquenle journellement les musées est si nombreuse, tont est
exposé largement ; mii^scriis, estampes, cartes, livres rares, etc.,
sous une surveillance rigoureuse.
Agréez, Monsieur le Rédacteur, mes salutations distinguées.
Lli\ClDE.\T DE BRAEKELEER
Nous avons reçu la lettre suivante :
Bruxelles, le 19 noTcmbre 1891.
Non cher CoNmfcRE,
Aujourd'hui seulement, on me communique des journaux
d'Anvers dans lesquels je lis que M. l'échevin Gils, qui, la semaine
passée, présidait une des séances du Conseil communal de la ville
d'Anvers, chargé d'annoncer officiellement à ses collègues le don
du buste de Henri De Brackeleer par M. l'échevin Van den Nesl,
s'est exprimé en ces termes, faisant allusion au discours que j'ai
prononcé à la manifestation De Braekeleer :
u On s'est plu, à cette occasion, à créer une légende malveil-
veillante en attri)>uant la mort prématurée du peintre au découra-
gement et à ràl>andon !
a Au nom du sentiment artistique si vivace dans notre cité, je
proteste contre cet calomnuf venues du dehors !
« Nal plus que ses concitoyens n'a apprécié, de son vivant,
l'immense talent de Henri De Braekeleer; il eat de ceoz qni ont
en le bonbenr, li envié det artistes, de voir nne de ses meilleures
œnvres. Le Looiihmit, acquise pour notre Musée oO elle 6gnre
depuis t8M et témoigne de la menreillease puissance de coloris
dn maître. Faut-il rappeler aussi que le Conseil communal d'An-
vers a décerné a Henri De Braekeleer une médaille d'or frappée en
son honneur à U suite de ses succès k l'Exposition d'Amsterdam.
Cet honneur, jusque lors, n'était échu qu'à notre illustre Henri
Leys.
« L'hommage posthume que nous lui arons rendu réeemmept
n'est donc pas une réparation, comme on l'a dit, mais nne affir-
mation nouvelle de notre admiration.
■ Telle a bien été la pensée, j'en ai la conviction, de l'ami des
arts qui a doté notre Musée du buste de Henri De Braekeleer. »
Permettez-moi, en toute confjratemilé, d'oser des colonnes de
votre journal pour répondre par des affirmations catégoriques k
ces observations.
Tout d'abord, c'est par déférence ponr M. l'échevin Van den
Nesl, qni avait joint ses instances k celles du cercle VBuor, que
j'ai accepté de parier k la manifestation Henri De Braekeleer.
Lorsque M. l'échevin Van den Nest a fait foire auprès de moi
des démarches pour me décider k prendre la parole, il n'ignorait
pas combien était grand le dégoût que m'inspire la conduite de
certains poociCs plus on moins artistes d'Anvers.
Mes attaques, mes déclarations sincères et lojrales, n'obt visé
que certains de ces « artistes de mardi-gras », k la figure et k l'opi-
nion changeantes d'après les circonstances, qni, après avoir bafoué
De Braekeleer pendant sa vie, ont en le cynique courage de venir
par leur présence k la manifestation le louer après sa mort. Mes
critiques n'ont visé que ceux-lk seuls ! Les vrais artistes anversois
qui assistaient k la manifestation ont compris k qui s'adressaient
mes reproches et ils n'ont pas hésité k les approuver de la manière
la plus absolue ; cette approbation me suffit !
Le seul reproche qu'on poisse me faire, c'est d'avoir dit la
vérité. J'aurai l'occasion de la répéter k Anvers même, dans la
conférence que je suis invité k y donner.
Je maintiens, faffirme et je prouverai que le peintre Henri De
Braekeleer est mort de misère au milieu de ses compatriotes, que
pendant tonte sa vie il n'a été l'objet que d'attaques malveillantes
de la part de certains personnages malheureusement influents, et
dont l'importance n'a d'égale que leur impuissance artistique !
M. Gits veut prouver les sympathies qu'on avait pour De Brae-
keleer en signalant l'acquisition du tableau Le Loodtkuis faite
par la ville d'Anvers ; mais il oublie de dire k quel prix dérisoire
ce tableau a été acheté k l'artiste, tandis que, k la même époque,
le tableau d'un certain peinturlureur anversois, tableau dont \i
valeur est, selon moi, absolument nulle, est devenu la propriéie
de la ville d'Anvers an prix de 18,000 francs.
Quant k la médaille d'or accordée k Henri De Braekeleer, elle
a soulevé de tristes discussions; elle n'a été remise k l'artisic
anversois qu'après de nombreuses difficultés.
En un mot, M. Gits veut-il que je fasse la confession des actes
de la ville d'Anvers k l'égard de l'artiste De Braekeleer et de tant
d'autres, comme Stobbaerts, Heymans, Lambeaux, Meyers.etc.T
Qu'il réponde? Si oui, je m'en^arge, et alors le public pourra
juger.
Recevez, mon cher Confrère, l'assurance de mes sentimenu
tout dévoués.
Lotns Itaufu.
■'f^g^Ww^^x-f^^Yf''--'^
*nf'-'*^»*^- -5' «y *: ■
L'ART MODERNE
385
Petite CHROfiiQUE
Une eiposilioo d'œuvres de MM. Jao Verbas, Dea Dayts,
Cootemans, Fernand Khnopff et Maurice Vaaihier est ouverte en
ce moment au CereU ariù tique. A boitaine le compte rendii.
Les Tiolons sont sortis des étais, les pianos sont ouverts. C'est
la musique de chambre qai prend son essor, préludant aux
crandes auditions sympboniqnes imminentes. Aux concerts
Schotl, on a appbadi le talent élégant et correct de M. De Greef,
l'art délicat de N. Jarobs, attelés tous deux, malheureusement, i
des œuvres connues, qni plongent daos de capiteuses extases les
nombreux pensionnais déjeunes filles réunis pour la circonstance,
mais laissent aux artistes le regret d'un programme épingle de
compositions nouvelles. Une .-cantatrice suisse, M"* l'zielli. a
chanté d'une voix agréable des lieder de Brahms et la Chanson
iC Avril de Bizet, sans justifier toutefois les éloges complaisants
dont on avait accompagné l'annonce de son arrivée.
Les Concerts populaires inaugureront dimanche prochain leur
vingt-septième année d'existence.
Le premier concert, sous la direction de M. Joseph Dupont,
sera donné avec le concours de M. Camille Gurickx.
Voici le programme du concert :
nuatuz rjA-itE.
I. Ouverture de Sakounlata, Cark Goldmark. (Première eiécu
tion.)
i. En lUtlie, fantaisie sympbonique, Richard Strauss. I. Dans
la campagne romaine. — II. Dans les ruines de Rome. —
m. A la rive de Sorrenie. — IV. Vie populaire napoliuine. (Pre-
mière exécution.)
DECXIÉ3U PAtTIE
3. Concerto pour piano avec accompagnement d'orchestre
(op. 33), P. TscfaaXkowsky. Exécuté par M. Camille Curicix. (Pre-
mière exécution.)
4. Rivtrit orientale (op. 14, n« î); Première sérénade en la
majeur (op. n* 7), A. Glarounow. (Première exécution.)
5. En Mer, fantaisie pour piano et orchestre. C. Gurickx.
Exécutée par l'auteur.
6. Luslspiel-Ouverture, Fr. Smelana.
Les portes et les bureaux seront ouverts i une heure. Le concert
commencera il Mi heure.
Répétition générale, samedi 5 décembre, i 2 li heures pré-
cises, dans b salle de la Société rofile de la Grande Harmonie,
rue de la Vadeleioe, 83.
La séance inaugurale de la Section d'Art et d'Enseignement
fOfmUire de la « Maison du Peuple ■ aura lieu le mardi
i" décembre, i 8 heures, au local de b place de Bavière. Elle
sera consacrée k l'oeuvre de Richard Wagner. Programme : Confé-
reaee de H. Maurice Kufierath. Partie musicale avec le concours
de MM. Meari La Foniaiae. Liiu, Odave Maos, Scboepen et
Sccnin (du Tbéltre royal de la Monnaie).
Le prix d'enliéie est fixé i 5 frs. par t^oce, i 10 firs. pv série
de six séances. (Entrée libre pour les membres do Parti Ouvrier.;
On peut se procurer des cvies i la « MaiMiu du 'Peuple >. chez
MM. Louis de Broocàere, avenue Lonive, 170, et Emile Vaoder-
velde, chaussée dlxdies, 61 .
M. Louis Delmer, invisé par VAls ik kan % venir donner ooe
coniètcnce sur l'art 1 Anvers, a eboièi pour titre : Les Parias de
{Art. OtUU couféreooe sera fïîle aujourd'hui, dimaorbe, i une
hmre. dans 1» salles de l'aDcien Moséie de peintuie k Anvers.
Le prix des places est de SO ceniiotes.
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Am d'un prince, du tbéUre impossible d'Edmoad Abont, aocom-
p^ii I ^mde déjeune file tta- l'aftcbr. La maUDée commeDcera
par nne tamterie de M. Armand Silvesire.
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Hardi l" décembre, il 3 heures. M. E. Veuueur : La minia-
ture gothique considérée comme le début de la peinture gothique.
Mercredi 2 décembre, à 3 heures. M. Pekcajieni : L'Europe
après les traités dUtreeht.
Mercredi 3 décembre, !i 3 heures. M. Discaiixes : J.-J. Rous-
seau.
Jeudi 3 décembre, 3 heures. M. Louchât : I^es mouvements
populaires dans le pays de Liège et la mort du bourgmestre Sébas-
tien La Ruelle.
Jeudi 3 décembre, i 3 heures. M"* Tobiiel'S : Diction : partie
technique, prononciation et lecture.
La Société de Musique de Touruai donnait, le 14 novembre, son
premier concert intime de b saison.
GrSce ) son sympathique et dévoué président, M. A. Stiéoon
du Pré, et i son iaielligeot directeur. M. Henri De Loose, celte
jeune société, qui n'eu est qu'à *•» troisième année d'existence, a su
réveiller chez les Toumaisiens le seuliment musical, qui s'étei-
gnait sous l'inertie et l'insuffisance des marchands de notes
officiels.
Au programme : M'** De Cré, la jeune caniatrice bruxelloise ;
MM. Anlhoni, Guidé. Poucelel, >euman et Merck. Ces derniers
ont obtenu un légitime succès dans 1*; Quintette de G. Onslow et
le Prélude et Menuet de E. Pessard.
Les choeurs, en progrès coostanl, ont supérieurement inter-
prété la Chanson de Mai et \<t premier acte de Judith, drame
lyrique de Ch. Lefebvre.
Pour bientôt, concert réser%é ^ l'oeuvre de Peter Benoit. Ealre
autres, et en présence de l'^iutx^ur, ou y doauen b Rubens canlAte
et des fragments du Schelde.
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II
MASOLIXO DA PANICALE
n £uit aller à Castiglione d'Olona pour aimer Maso-
iino.
Certes, de son labeur des traces ailleurs subsistent,
et malgré l'irréparable fatalité qui s'est acharnée sur
ses œoTres, à Rome et à Florence d'aucunes ont sur-
Téco. Mais elles s'entourent là de trop redoutables voi-
anages. Dans la chapelle Brancacci, toute la gloire est
poor llasaocio. Son g^ie équilibré, harmonique et défi-
nitif, devançant si extraordinairement son temps, fait
tort aux recherches naïves, aux demi-gaucheries char-
Ci) Voir l'Ari moderne d» 47, Owno.
mantes de son maître, doué d'autant de bon vouloir à
coup sûr, mais de bien moindre pouvoir.
A les comparer, on les sent tourmentés du même
désir de noblesse et d'él^ance, du même souci de vérité
et de vie, dans les attitudes, dans les draperies, dans
l'ordonnance du sujet Mais l'un a complètement réalisé
son ambition, l'autre n'a pu que l'indiquer. Bien qu'en
fait quelques années seulement les séparent, ils sem-
blent de deux époques diflérentes.
Masolino se rattache à ces vaillants, à ces curieux
artistes qui, au début du w^ siècle, tentent un effort
fécond pour s'affranchir de la tradition giottesque qui,
après avoir suffi à trois générations, était déchue dans
la sécheresse, le maniérisme et la monotonie. Masaccio,
an contraire, se doit grouper avec ces peintres décisifs
qui, pendant la seconde moitié de ce siècle prodigieux.
donnèrent à l'art un épanouissement sans exemple :
Boticelli, Ghirlandajo, Lippi, Léonard!
11 serait donc injuste d'opposer la réalisation accom-
plie de l'élève à l'imperfection du maître, et plus injuste
encore de considérer — ainsi que certains ont prétendu
le faire — comme des œuvres de jeunesse de Masaccio.
les travaux de Masolino dans la chapelle Brancaeci.
Cest faire tort à l'un et à l'autre. A cet égard, une
visite à Castiglione dissipe toute incertitude : les deux
jeones seigneurs qui se promènent sur une place, dans
les Miracles de saint Pierre, sont de la même main
388
L'ART MODERNE
que ceux qui escortent Salomé dans les fresques du
Baptistère à Castiglione.
Nous étions donc partis pour Castiglione. De grand
matin, nous avions quitté Lugano et un véloce petit
steamer nous avait emportés sur l'eau bleue, où trai-
naient des vapeurs indolentes, jusque Porto-Ceresio,
insignifiant hameau perdu sur les bords du lac, au
milieu de verdures et de fleurs. De là, en voiture décou-
verte, au grand trot de minuscules chevaux maigres et
nerveux, leur grand trot rapide sur la route grise, avec
les sonnailles des colliers et les gais claquements de
fouet, les bêtes encapuchonnées de frais feuillage et
trottant toujours par descentes et montées, sous le clair
soleil, à travers champs, bois et jardins, jusque Varèse
et, plus loin, jusque Castiglione.
Cette seconde partie de la route, de toute beauté.
Derrière nous, sur lazur du ciel devenu net, la splen-
deur des éblouissants glaciers du Mont Rose, les blancs
.sommets pleins de lumière, dominant les verdures et
les rochers, arrêtés dans le bleu comme d'éclatants
nuages de neige immaculée. Puis une descente dans un
val frais, des ombrages et des herbages, des murmures
de ruisseaux, un pays pareil à un grand parc seigneu-
rial. Quelques maisons égrenées le long du chemin :
c'est Castiglione. L'ancienne église est tout en haut,
là-bas, sur une colline rocheuse qui se dresse à pic dans
la vallée et dont le sautillant ruisseau lave incessam-
ment la base. Il faut gravir, gaillardement, la côte
raide. Dans les arbres, sur la cime, l'église s'érige
comme un castel féodal. On passe sous une arche en
ruine, on arrive devant une tour rugueuse à la porte
fermée. A nos cris, une lucarne au sommet du clocher
s'entr'ouvre et une tète grognonne et méfiante s'enquiert
de nos intentions. Et vient alors, péniblement, soufflant,
prisant, reniflant, le plus bizarre ecclésiastique qu'ait
jamais vêtu une soutane crasseuse et délabrée : une face
aux traits extravagants ravinés de rides singulières et
contradictoires, tortueuses, autour d'un énorme nez de
priseur, autour de molles lèvres d'édenté, avec de petits
carrés de taff'etas noir et des tampons de ouate éche-
velés, dissimulant l'amputation probable de multiples
verrues. Des yeux gris, noyés de pleurs, ternes, indiffé-
rents. Murmurant d'inintelligibles monologues, inat-
tentif aux questions, ce stupéfiant fantoche nous mène
aux Masolino.
Déception profonde : on ne voit plus rien. Les yeux,
remplis encore de l'éclat du soleil radieux et des fron-
daisons vigoureuses, cherchent, désappointés, dans
l'ombre de l'église silencieuse, les nobles fresques qui
furent là, sans doute, voulues par le généreux cardinal
Branda et qui représentaient la Naissance du Christ,
r Adoration des Rois et le Couronnement de la
Vierge, mais il n'en reste que des souvenirs pâlis.
Dittîcilement, en cherchant de propices éclairages, on
peut parfois deviner une silhouette svelte de femme,
une tète blonde, un pli d'étoffe effacé, inc^ertain ain^i
qu'une illusion.
Sur ces ombres, M. Lafenestre qui peut-être eut la
chance de les voir moins ruinées, écrit les judicieuses
lignes suivantes qu'on ne peut que répéter : « Malgré
le mauvais état dans lequel sont réapparues ces
fresques, on est vivement frappé par la grâce des têtes
féminines, par la souplesse des vêtements, par l'élégance
et la simplicité des draperies, par l'exactitude curieuse
du milieu architectural, par une harmonie douce dans
les colorations claires qui établissent la parenté de
Masolino avec Starnina et Fra Angelico et le montrent
en même temps poussant plus hardiment qu'eux dans la
voie du naturalisme » .
Heureusement, les fresques du Baptistère sont dans
un moins déplorable état. L'édicule est à quelques
mètres de l'église, à l'autre bout de la crête rocheuse.
Un cloître ouvert les relie ; sous les arcades piaillent,
autour d'une maîtresse d'école, les récitations d'une
douzaine de gamins et de bambins qui nous suivent
curieusement de leurs yeux vifs et noirs... Et montent
jusqu'ici, dans la gloire du soleil de midi, le frissonne-
ment de la feuillée dans le val et la plainte douce de la
rivière sur les cailloux.
Ce Baptistère est tout petit. Des fenêtres minces
comme des meurtrières et ouvrant sur le vide, l'absence
de tout mobilier, lui donnent l'aspect d'une cellule en
un burg. En face de la porté d'entrée, Masolino a peint
sur la muraille un fleuve aux flots vert pâle dans un
paysage de montagnes, uniforme et sommaire, mais
non sans profondeur, dont la monotonie se rompt de la
moucheture de grêles sapins noirs. An milieu de l'onde,
dans l'eau jusqu'aux genoux, un linge blanc roulé
autour des flancs, le Christ, trop beau de beauté
conventionnelle, fade et blonde, s'incline un peu sous le
baptême de saint Jean qui, sur le rivage, un genou à
terre et vêtu de peaux de bête et d'un manteau
rougeâtre, le bénit avec respect. Sur la rive opposée,
trois anges attendent, debout, immatériels sous les
plis chastes de leurs longues robes ventes ou jaunes,
leurs minces ailes au repos, leurs gracieuses figures
souriant au Christ à qui elles présentent des linges
bleus et roses. Derrière saint Jean, au contraire, le réel :
des néophytes impatients s'apprêtent pour l'immersion
sainte. L'un d'eux s'est assis pour enlever ses bas; un
autre se déchausse avec un geste énergique; un troi-
sième, le dos tourné, découvre la musculature d'un
beau corps, les bras et la tète encore embarrassés dans
la chemise qu'il veut quitter. Un dernier, entièrement
déshabillé, semble grelotter dans nn manteau jaune. . .
A gauche de la fenêtre étroite, la Prédication de
saint Jean nous montre, dans le groupement heureux
des spectateurs, quelques belles têtes, fortes et fines, du
L'ART MODERNE
389
XV* siècle, portraits sans doute, analogues à celles de
Masaccio et de Lippi. Puis, encore, la comparution de
Jean devant le roi et la reine, celle-ci le visage en œuf,
implacable et froid, les lèvres minces et le regard
perfide, de côté, celui-là solennel, porteur du sceptre,
coifl'é d'un lourd turban rouge aux ornements noirs ;
puis l'incarcération, la décollation du saint ; en haut, sa
glorification dans une guirlande d'anges en prière ; au
plafond, des évangélistes. Tout cela presque évanoui,
avec des balafres et des entailles, la lèpre des plafonnages
brutaux, la blessure des réparations plus cruelles que
les intempéries, l'absolu abandon, le dernier témoignage
d'un grand artiste livré aux inscriptions commémo-
ratives des badauds et aux grattages des touristes
imbéciles!
Déjà, lamentablement, s'atténue et disparaît cet
admirable Baptême du Christ qui, sauf le paysage
resté dur et conventionnel, serait indiscutablement un
des purs chefs-d'œuvre de cette première Renaissance,
la plus heureuse fusion qui se puisse rêver, de l'esprit
d'observation précise avec la poésie de la légende et de
la tradition religieuses.
Moins parfaite, de moindre science et peut-être, pour
l'époque, moins audacieuse, mais bien plus intéressante
encore par sa bizarrerie, est la fresque du mur de
droite où est contée l'histoire de Salomé. Deux épisodes
différents sont dans un même encadrement, réunis.
Ghacao se délimite par des architectures raides, inspi-
rées de l'antique et qui laissent apercevoir dans le
lointain des jardins et des montagnes arides. Le
premier est le Festin d'Hérode. Sous une sorte de
dais, devant une table, le roi esti assis avec trois con-
seillers, en accoutrements étranges. Et s'avance vers
eux, souple, et mince, et virginale, avec la ligne gra-
cieuse d'une fleur, une très candide Salomé en robe
brune, les mains croisées sur la poitrine, chastement.
Elle s'approche ; un page à l'élégance insexuelle et trois
jeunes seigneurs lui font escorte. Ils ont tous des cha-
perons de forme inusitée et de Eastueux manteaux. L'un
des convives du roi, très jeune homme à la moustache
fine et blonde, assis près d'un vieillard à barbe blanche,
très grave, semble appuyer du regard la requête que
présente, les yeux baissés et timides, l'enfant inno-
cente...
De l'antre côté, la même Salomé s'agenouille devant
Hérodiade pour lui présenter la tête coupée. La reine
est assise sur un trône élevé, dans une ample robe aux
plis nobles et coifi'ée avec une complication maniérée ;
et leur impassibilité, à toutes deux, est vraiment incon-
cevable. Seule, une des deux fillettes qui se tiennent de
cbaqoe côté du trône, fait un geste de stupeur. Et
comme elle se penche aussi pour voir, sa hanche menue
saille dans un mouvement d'une grâce exquise...
Pins tard, au cours des siècles, d'autres artistes évo-
queront à nouveau ces inquiétantes héroïnes; mais nul
ne les fera plus énigmatiques et plus troublantes. Nul
n'aura mieux exprimé la tranquillité incompréhensible
que la femme, parfois, montre en des cruautés, et
comment son œil reste clair devant l'atroce ! Oh ! cette
reine impassible au front de roc, et cette frêle Salomé,
adorable en son œuvre de sang! Comme on y songe,
comme elles vous obsèdent et vous accompagnent, les
silhouettes de princesses ambiguës, de fiers seigneurs
exotiques et décoratifs, tandis que l'on redescend vers
l'ombre fraîche de la vallée et la cristalline chanson du
ruisseau, que de nouveau la voiture vous emporte et
qu'à l'horizon, dans l'immuable azur, resplendissent
les blanches étendues des glaciers, comme elles vous
accompagnent désormais dans la vie, pour toujours!
Jules Destréb.
LE SALON DES AQUARELLISTES
Second article (1).
Une conslalation, faile pour chatouiller agréablemmt notn;
pclile vanité nationale : les aquarelliste» belge», — et nous ne
parlons que des manieurs de martre» que nous avons qualifiés :
aquarelliste» sans phrases, — sont incontestablement sujMÎricur*
à tels peintre» possesseurs, à l'étranger, d'une réputation solide-
ment assise sur les colonnes de journaux complaisant». Il» ont
acquis, nos compatriotes, une telle dextérité, ils ont fouillé »i
profondément la technique des dilution» colorée», qu'auprès
d'une tt plage n de Slacquct, par exemple, ou d'un « sous-bois »
de Binjé, le prétentieux Automne de M"" Madeleine Le Maire
parait manifestement criard et Buperlativement antipathique.
L'œil fait aux harmonie» d'Eugène Smits (les joli» ton» fané»
dont se parc »a palette!), aux pétillantes illumination» d'Emile
Claus, — qui n'en est pas moin», semble-t-il, un sceptique de
l'aquarelle, — on demeure indifférent aux lourde» polychromie»
des Cipriani, de» Bucciarelli, des Carlandi, des Coleman, et on
abandonne de bon c<jeur à l'admiration béate d'un Max Sulzt<erger
les épinaleries des Hans Ucrmano.
Oui, même le tri fait des œuvres vraiment artiste» du .Salon,
et mis à part les quatre ou cinq peintre» qui réalisent par le»
moyen» sommaires du Whatman lavé d'eau une conception esthé-
tique élevée, la moyenne de nos aquarelliste» e»t su|)érieure 'i
celle des invité» qu'ils réunissent. El l'on comprend le suce"-»
remporté par eux dan» le» tournois internationaux : l'accueil fait,
entre antre», par le» Magyar», — les journaux l'ont proclamé, —
aux pclil» soldats prestement dessiné» par le major Hulicrt.
L'un de» envoi» le» plu» intéressant» du présent Salon ei>t, »aos
contredit, la série de» CinquavU tours et luurelUt hulori/jues de
la Belgique, patiemment réunie et exécutée d'un pinceau préci»
par M. Jean Bae». L'œuvre e»l aujourd'hui eomiiliU: et offre à
l'œil un aspect charmant. Nous avons signalé déji cet important
et curieux document artistique lor» de la publication qui en a été
faile par l'éditeur Lyon-Claeseu (îj. Il serait fâcheux que cette
(1) Voir notre dernier uataéro.
(2) Voir rArt modrme 1890, ja^e 412.
' w- fv Y'f^^'^Wf'r^^^î^sl^f^W^^^
390
L'ART MODERNE
colleclion fùl dispersée, el l'espoir de la voir conservée en un
musée vient loui oaturellemenl k la pensée.
Il convient de citer encore, parmi les nouveaux-venus qui
requièrent l'attention, M. Boutet de Nouvel dont Utie vitiu et le
Portrait d'enfant, peints avec une minutie de primitif, en des
ions nacrés, plaisant malgré leur sécheresse, et M. Ten Cale, un
jeune Hollandais établi depuis quelques années à Paris (ne pas
confondre avec la dynastie des Ten Kate), qui interprète joliment
les paysages de banlieue, les quais noyés de bnimes, les ciels bas,
chargés d'eau, prêts i crever en ondées sur les horizons rouilles.
C'est menu, un peu chiche, mais l'impression est juste et l'har-
monie délicate.
l'n grand paysage de M. Alexandre Marcelte, V Amateur de
M. David Oyens et Us Voyageurs de son frère Pierre, enfin un
portrait de M. Jacob Smiis, peint par lui-même, complèlenl Pen-
semblc des œuvres noioires de l'exhibition, l'une des plus inté-
ressantes, certes, et la plus expurgée de banalités que nous ait
offertes la société.
. Au milieu de la grande salle, parmi le feuillage verdoyant des
palmiers, quelques sculptures se prélassent, et la rencontre de
ces objets solides, parmi les fluides aquarelles, est assez imprévue.
Ce sont des œuvres de MM. Dillens et Vander Stappen. De ce der-
nier, deux bronzes « plein-airistes » d'une rare élégance de
formes el d'un réel intérêt artistique ; la Porteuse deau et la
Source, toutes deux modernes et vivantes, joliment modelées et
dignes de figurer parmi les meilleures productions de l'artiste.
U COLLECTION DD BUS DE 6ISI6NIES
L'ensemble de cette galerie — choisie par un homme de goût,
dont le nom a déjà compté dans le monde des collectionneurs
(l'art — est à la fois mondain et artiste. On y trouve des œuvres
d'aspect simplement aimable, mais aussi des œuvres d'art, parmi
lesquelles : les Joseph Stevens, les Alfred Stevens, les Leys, un
Lies, un De Braekeleer, desjCourtens, un DeGroux, un Corot, des
Diaz, un Géricault el d'antres.
De temps en temps reviennent ainsi, i des ventes, des toiles de
Joseph Stevens, et chaque fois on constate une maîtrise superbe.
C'est le plus robuste de l'école bel([e. Il rivalise avec Fijt. Le
magnifique animalier! Dans ce Protecteur, encore, quelle puis-
sance de couleur, en une pénombre brune aux tons chauds! Il y
a de l'or sur cette palette, et que ces animaux sont solides, et
plantés : le bull-dog, avec son encolure massive et le king-cbarles
avec l'eSaremeni brun et brillant de son grand oeil doux ! Voilk
certes une très belle toile! Et dans l'autre : Le Marchand de sabU,
quel nerf, quel feu el quelle vie, en ce coin de banlieue mélan-
colique, donnés par cet attelage haletant et crotté, «'échinant à
traîner une charretle par un crépuscule solitaire qu'éloilent déji
les réverbères!
Alfred Stevens se montre ici assez varié. Voici un Homme à
l'épée, très curieux parce qu'il est de la première manière de
Stevens et qu'il dénote une forte influence de Charles DeGroux. Il
y a aussi du Roybct dans celle toile, du Roybet dont voici un
(Jui/ariste élégant et habile, et que connut Alfred Stevens i ses
premiers temps. L'habileté d'un pinceau soyeux « velouté fait
aussi le charme de la Musicienne de Stevens et de la Rêverie où
il profile un minois chiffonné au clair de lune, près d'une eau
qui don moirée d'argent à l'horizon el pareille, elle anssi, i du
salin. La Dame aux papillons est dans une noie identique d U
Neige développe une capricieuse et amusante fantaisie de flocons,
de fleurs et d'oiseaux. L'art de Stevens laisse derrière loi un frou-
frou de toilette — et son œil amoureux des étoffes satine jusqu'aux
chairs des femmes.
De Charles DeGroux : La Rixe au cabaret. Un peu plus clair de
ton que les autres De Groux, mais d'une clarté siof^ilière, ftpre,
mélancolique, qui n'ôte rien k la tristesse de cet artiste, qui a été
un des premiers i dii« le cAlé navrant des pauvres et des rustres.
Quelle humanité et quel cœur — lorsqu'on songe aux Rixes des
Teniers dont les belles taches de sang, provoquées par des pots
lancés uniquement aux têtes, étaient aussi joyeuses que l'écume
qui sortait des cruches ! Ici, c'est de la blêmissante colère, de la
terreur, de la rage.
Vlntérieur d^antiquaire de De Braekeleer, avec %m vieux
cuivres et ses bïences polychromes, dans cet atelier badigeonné
de rouge et éclairé par une fenêtre k petits carreaux, avec ses
bahuts et ses bibelots, chante quelle antienne de paix .lumineuse,
toute pénétrée d'ancienneté, fleurant magnifiquement une riche
mélancolie de choses passées ! Parmi tous les artistes qui disent
l'ime des choses. De Braekeleeranra été un des plus beaux poètes.
Il suit Leys, ce ressuseiteor d'un passé énorme, mais dans une
voie plus intime, tapissée de cuirs de Cordooe, meublée de
chênes piqués par les vers, tonte sonnante de vieilles horloges.
Et puisque nous parions de l'éeole de Leys — voici un Lies
supérieur : L'AUhimisU. C'est, je pense, le plus beau Lies qui
soit. Une ceux de l'école d'Anvers, qui maintenant peignent si
« goudronneux » et si « bitumenx », rendent celle toile et
remarquent la délicatesse de cette touche brune, mais savoureuse,
légère, on peu rembranesque dans le fond de la toile, et d'une
minutie de petit maître ii l'avant-plan — et combien distinguée k
cAté de leurs lourds et épais g^his actuels!
Et voici le baron Henri Leys lui-même. La femme de la Cour
d habitation, en jupon de soie jaune, est traitée k la façon d'un
Pieler De Hooghe; la muraille, au pUtre effiiié, exhale la poésie
recueillie des vieilles cours hollandaises. C'est de la aeeonde
manière de Leys, alors qu'il s'inspirait fortement des petits maî-
tres du xvn* siècle. Bien que la lumière du corridor soit un peu
sèche, cette toile est superbe de solidité et d'opulence. Cest peut-
être le plus beau Leys qui soit dans cette manière très.direele-
roent inspirée des anciens.
Voici, du même, une esquisse, très suggestive, de sa belle
époque : Marché au X FP tiède et un bel et romantiqne Episode
du siège dAns>ers, plein de tuerie et de pillage, a««c 4es dieva-
liera en cuintsse et des soudards el des p(MgB»rte et des halle-
bardes dans un décor moyeo-ftgenx aux poivrières piqoaat le cid,
aux pignons crénelés, aux vieux hdtels faisant rêver k des
massacres de nobles dames. Et de quelle splendide couleur toute
cette scène est habillée !
Au hasard — noos rencontrons quatre Conrtens : un Pafsage,
vu d'nn œil sanguin, qui rappelle fortement la Pluie d'or, dont
il a la richesse dorée et la matérialité sonore ; une claire, corsée
et vibrante Matinée de Mai, fleurie de serpolet et de genêt; an
Paysage de bmyère, chaud et turbulent, aux tons d'ambre, et un
autre, plus petit, d'une pUe douceur de prairie.
Il y a d'ailleurs beaoconp de paysagistes dans cette collection.
Théodore Fonrmois y est représenté par deux larges oeuvres; Fran-
çois Français par une toile de Mes d'or, très ensoleillée., avec une
lisière de bois baignant, au fond, le sommet de ses arbres dans
^.MTf. 7'IV,? ■ ■■
"Y i^- -,
L'ART MODERNE
301
un ciel piein de lumière ; voici Roelofs, Verbocckboven, Isidore
VerbeydcD, Clays, el un soyeux Van Mareke : Le Verger, tout
plein d'an printemps qui tombe sur les taillis d'un vert rajeuni
en péules blancs et roses.
Le petit Corot est léger et fin; c'est un petit joyau de mélan-
colie vespérale, an rêve de couchant. Le Paysage de Diaz est
dans une note plus chaude, plus corsée, mais moins poétique.
Son Payuge turc a un charme de joyaux et son Automne e»t
déliciease et tentante, avec son torse nu, si lascif et d'une blan-
cheur de chairs parfiiroées, tandis que ses jambes se drapent dans
une riche étoffe d'un bleu adamantin. Des fruits savoureux, un
amour blotti sous des bosquets de mystère, complètent cette
composition charmante, de ce lyrisme vaf^ne et chaud en même
temps, qui fait le talent de Diaz. Isabey n'a pas la poésie de
Corot et de Diaz, mais dans ces deux Marines, son pittoresque a
de la force et de l'esprit et son pinceau a de la finesse, de la
transparence et une sémillante facilité. Quant à Géricault, ce
grand maître, la colleclion possède de lai un nerveux et fringant
étalon blanc li l'écurie, d'un beau feu et crftne, avec celte
inscription : Tamerlan, peint à Versailles en 1810.
VoiU, — avec Ribot, dont le Cuisinier, plein d'esprit, est saucé
d'une ragoûtante couleur de civet de lièvre, Delpy, dont le
Paysage est vibrant, Jules Dupré avec un tableau un peu poussé
au brun, mais d'une gamme solide et belle, Eugène Fromentin,
dont la Conversation entre deux Arabes coiffés de burnous blancs
est d'une touche délicate et facile, et grande en même temps, —
les maîtres français qui méritent d'être signalés dans la collection.
Parmi les peintres belges, il en est encore beaucoup que nous
n'avons pas cités; le catalogue les indique, mai» énumérons
encore quelques noms qu'on trouve dans beaucoup de galeries
belges : deux bons Madoa, trois Bobie, dont l'un a àe» roses
d'une jolie tendresse, un Veriat : L'Interruption, tableau de sin-
goric, — les seuls où ¥eriat ait réussi, malgré ses ambitions et
ses prétentions ariverselles, el — enfin quatre Willems, dont on
conn^ Fart archaïque, savant mais froid — d'ailleurs quatre
bons Willems — et puis un Dyckmans, La Partie de Dames, qui
•st pent-élre la meilleure toile de ce peintre anversois peu connu
en Belgique, mais qui s'était fait une réputation en Angleterre.
L'ART À LA MAISON DU PEUPLE
L'isangaratioa de la Section iart et {enseignement populaire
à la Maison du Peuple (1) a eu lieu mardi, en présence d'une
assemblée énorme, et la réussite a dépassé l'espoir des organisa-
teurs. On souhaiterait, vraiment, avoir toujours un public aussi
attentif, aussi respectueux de la parole de Toratenr et des oeuvres
interprétées.
M. Maurice Kofferatfa, qui s'était cbarfé de présenter Richard
Wagner \ Fanditoire, Ta bit avec tact en résumant la vie acci-
deatée, toute de labeur et de douleurs, du Maître. Il Fa montré
luttioit pour l'art, victime de la gnerre acharnée déclarée i ses
idées rénovatrices, persévérant avec une indomptable énergie
jnsqn'au triomphe finaL Des anecdotes, des souvenirs puisés dans
la partidpationdeWagaer an mouvement révolutionnaire de 1848
ont été partiealièrement goûtés des auditeurs, qoi ont applaudi
avec diseemement les passages saillants el acclamé l'oratenr.
(1) Voir tArt modrme du 15 norembre.
La partie musicale n'a pas eu moios de succès, malgré le carac-
tère essentiellement artistique du programme, dont voici la com-
position : Ouvertnre de» MaUres-Chanleurs, Monologues de Hans
Sacbs, — admirablement chantés par Seguin, — Prière et Rêverie
d'Eisa^ Romance de « l'Etoile », Adieux de Wotan el Conjuration
du fea. Chevauchée des Valkyries.
Certes ne peut-on se flatter que pareilles œuvres entrent d'em-
blée dans la compréhension du peuple. Mais ce qui est incontes-
table, c'est que les assistants ont été vivement intéressés et
qu'ils ont écoulé jusqu'au bout, avec une attention croissante,
cette sélection. Le premier pas fait, l'esprit de l'auditoire frappé
par la grandeur d'un art qui lui échappe encore mais dool il
pressent la supériorité, ne sera-t-il pas aisé d'initier, par un
enseignement gradué et méthodique, des intelligences qui oe
demandent qu'à s'ouvrir ?
Notre ami Vincent dlady a fait, l'an dernier, une série de coo-
férences musicales, avec exemples à l'appui de ses démonstra-
tion, à l'Institut des Jeunes Aveugles de Paris. Il leur a révélé,
lui aussi, l'œuvre de Wagner, et les résultats qu'il a obtenus ont
été surprenants.
Le plan des « compagnons artistes », comme les a si justement
appelés M. Emile Van der Velde dans la chaleureuse allocution
qu'il a prononcée pour souhaiter la bienvenue aux musiciens
empressés à se mettre k sa disposition, est plus vaste : il com-
prendra non Fart musical seulement, mais tous les arts, cl spécia-
lement les arts appliqués aux industries dont s'occupent les
syndicats d'artisans affiliés à la Maison du Peuple. Des confé-
rences auront lieu, des lectures, des causeries avec projections,
des expositions même. L'expérience du {" décembre a victorieu-
sement démontré qu'on peut tout tenter.
L'EXPOSITION DU CERCLE ARTISTIQUE
Jaji Verhaa — Dem Dajts — rnnfman» — Fenuund Klmopff-
DCD Dajts — Cooaenaïui
MaBiioe VwuXUtr
Voili cinq peintres de tendances el d'âges bien différents; tan-
dis que M. Coosemans est, pensons-nous, le doyen de nos paysa-
gistes, M. Vaulhier débute — et quel abtme entre l'art de
M. Khnopffet celui de M. Verbas!
Nous n'aimons guère l'exposition de M. Verhas. Ses portraits
d'enbnts sont maigrement el bourgeoisement peinls, sans vif,
sans goût. Quant anx Martyrs de la plage : ces Snes sont léchés,
propreu el lisses, on les ferait entrer dans un boudoir. Puis le
sable des plages de M. Verhas parait être de la glace on de la
crème. On remarque seulement une assez chaude Etude de pvr-
trait et une gracieuse Etude d'enfant.
M. Den Dayts est un paysagiste mélancolique, très fin; c'est
le poète des sons-bois ensoleillés par le couchant el des vespri^'es
o& fument les cbaumines du soir. Très poétiques son Soir,
La Mer et Dans la dune. M. Den Diiyls a réussi également des
Fleurs et des captivantes Pivoines.
Les œuvres de Feniand Kbnopff — ainsi cet admirable dessin :
Une Ville morte, ou tel profil i la sanguine — étaient, la plupnn.
connues. L'étude pour « Memories » a de la grâce et l'étude pour
« l'Heure » fait penser i un ancien gothique allemand. Les petits
payages qu'expose M. Khnopff, dans une note fine et distinguée,
charment par leur délicatesse et leur douceur velouiée, aux jaunes
exquis et d'une saveur rare.
392
L'ART MODERNE
M. Vaulhier débute. Il expose six porlrails et un Menuisier.
11 est nettement dans une fausse route. Rien de jeune dans tout
cela. C'est vieux jeu, bilumeux, lourd. Allons, M. Vauiliier, un
p :u de soleil et de légèreté !
M. Coosemans a une exposition remarquable et importante.
Tous ses paysages possèdent une vigueur chaude et ont un bel
aspect décoratif. VAjiTès-midi d'octobre à Tervueren est une
glande toile pleine de majesté avec les ddmes des grands arbres
cuivrés par l'automne au-dessus des étangs, sous un ciel plein de
soleil. La Fin d'automne est robuste et très bellement peinte.
Cette lisière plantée d'une futaie puissante, avec horizon énergique
où l'on pressent l'hiver, fait songer à Boulengcr. On y trouve
même ce ciel de Boulenger étoffé, un peu à ras de terre, lourd de
robustesse. H. Coosemans a solidement peint aussi tout le pays
(le Genck, sa plaine, ses bruyères, ses coins marécageux, avec
un pinceau d'une jeunesse verte et le fort et grand souvenir de
cette école de Tervueren dont il reste un des derniers représen-
liinls.
j!10RREgPONDANC£
BruMlles,.le 2 décembre 1891.
Messielrs,
Je suis fort curieux de voir si vous insérerez la présente lettre.
C'est une peiiie expérience de psychologie — le mot n'est-il pas
un peu lourd? — que je tente, et je ne sais vraiment encore si je
devrai considérer comme réussite de cette expérience l'insertion
ou la non-insertion des réflexions qui suivent.
Je suis — vous l'ignorez peut-être — l'un des « feuilletonnistes »
qui ont osé loucher avant vous aux Sept Princesses de M. Mau-
rice Maeterlinck, v.l que, derrière Flaubert, vous traitez si libéra-
lement de cuistres, de misérables, de crétins et d'abrutis.
Je n'ai aucune raison particulière de croire, Messieurs, que vous
n'êtes pas convaincus jusqu'en vos injures, et c'est précisément
pour cela que je voudrais attirer votre attention sur un procédé
inconsciemment habituel, consistant à exagérer le mal et le bien,
— à prendre déjà M. Maeterlinck pour un génie et à traiter
comme il est dit plus haut ceux qui s'avisent de le critiquer.
La réclame est une bien belle chose, et c'est une fort adroite
f.içon d'en faire à quelqu'un que de proclamer sans cesse et sur
tous les tons qu'il n'en a pas besoin, et de le plaindre à propos
(le persécutions qu'il n'a pas subies. Depuis le jour où il a livré à
l'impression la première ligne qu'il ait écrite, M. Maeterlinck n'a
lien eu à désirer par son succès. Il est certainement le dernier
(les littérateurs belges qui ait à se plaindre d'avoir été un seul
instant méconnu. Tout le monde s'est accordé à lui trouver un
grand talent, à faire valoir cette très habile tentative d'originalité
que constituait la Princesse Haleine. Voici cependant le moment
de pouvoir faire quelques restrictions, s'il y a lieu, et ce ne sau-
rait être un crime que de ne pas pleurer après les Sept Princesses.
Quel est l'homme assez grincheux et enthousiaste pour être sincè-
rement d'un avis contraire?
M. Maeterlinck fera mieux, bien probablement; en tout cas,
pirMone— pas même vous. Messieurs —ne se plaindrait s'il
luisait autre chose.
Je crois qu'en dehors de ceci, rien n'est que des mots, et ceux-là
mêmes qui les écrivent — ces mots fussent-ils des insultes — ne
peuvent pas s'en contenter.
Agréez, Messieurs, mes confraternelles salutations.
H. NlZET.
Elle est drôle c'te lettre de M. Nizcl! El d'un obscur I Mais
puisque la voici insérée, elle est faite « sa petite expérience
psychologique », qui, paratl-il, devait réussir soil que l'insertion
eût lieu, soit qu'elle n'eût pas lieu. Il place à la fois sur la rouge
et sur la noire, sur passe et sur manque, sur pair et sur impair,
M. Nizet. Qu'est-ce qu'il pouvait bien noqs vouloir en bat de ça?
1| est vrai qu'il ajoute qu'il ne le sait pas lui-même. Architecte en
rébus, va, mais où fourres-tu la clef? « Je n'ai jamais vu de cor-
respondant plus étrange », dirait Maeterlinck.
THÉÂTRE MOLIÈRE
Au Molière, jeudi après-midi, une matinée où la pièce de
M. Henry Maubel a obtenu un net succès.
Mais d'abord une causerie de M. Armand Silvestre. Sujet? Le
mouvement littéraire belge. Le causeur a fignolé quelques petites
anecdotes en cigarettes qu'il a fumées devant le public, ou mieux
il a chiffonné en copeaux quelques souvenirs cl les a fait rouler
devant lui, au hasard. Cela a amusé par sa futilité.
Il a parlé de la pièce de M. Maubel très sommairement. Trop
sommairement pour en tirer cette conclusion, certes inattendue,
qu'elle est de celles qui forceront les directeurs de théâtre à lire
les pièces qu'on leur présente. On voit difficilement pourquoi la
pièce de M. Maubel, plutôt que n'importe laquelle, posséderait
cette vertu sur des messieurs aussi rances.
Le même escamotage de logique a permis à H. Silvestre de
parler du théâtre soi-disant impossible en examinant celui de
Scribe. Et Scribe a appelé Banville et Banville Aboul et About
Saod. Ils s'appellent comme chien et chat.
Le mouvement belge on l'a cherché en vain parmi les peluches
et les pailles et les paillettes de cette conférence et il est heureux,
certes, qu'il ne s'y soit pas rencontré. M. Armand Silvestre l'aurait
évidemment roulé comme tout le reste en cigarettes d'anecdotes.
L'intérêt de la matinée était V Etude de jeune (Ule. Par son
titre M. Maubel a nettement marqué la tendance de sa pièce,
toute faite pour mettre en relief un caractère. Peu ou point
d'action; rien que celle qui agit â l'intérieur du cœur, celle des
sentiments. La jeune fille, une pensionnaire, y apparaît avec ses
gamineries, ses songeries, ses audaces, ses naïvetés, ses colères,
ses pleurs, ses brusqueries, ses douceurs, ses bontés. Tout le
drame — un bien gros mot.— est le jaillissement d'une jalousie
vile canalisée. Non plus, le personnage fatalement en repoussoir
pour faire valoir le caractère principal.
L'écueil de telles pièces sont l'afféterie et le maniérisme.
M. Maubel les a évités certes ; le seul reproche que l'on puisse
lui articuler est d'employer parfois des mots d'auteur et de courir
trop après l'esprit. Phrases de livre souvent cl non pas phrases
de théâtre.
Mais qu'importent ces vétilles si l'on songe aux scènes fines,
très observées, très vivantes et charmantes, qui remplissent le
premier et le troisième acte. Aussi des trouvailles de ce qu'on est
convenu d'appeler des jeux de scène, par exemple le baisser du
rideau sur Miette endormie et éclairée par la seule lampe, que
la bonne n'éteint pas dans le salon obscurci.
. .WV-i'^Tt/ -T.'-' VîiS„ • ;
L'ART MODERNE
393
Encore toute une fraîcheur, une simplicité, une nouveauté
insunrée sur la scène. Le dédain de tout truc, l'oubli de toute
recette, l'uni et facile déroulement d'une situation familiale de
deux soeurs, l'une déjà stylée aux usages, l'autre encore sauvage
et capricieuse, qui aiment. Cela, dans l'atmosphère d'une ville
belge, au fond d'une maison bourgeoise quelconque, où la maman
préside ii l'éducation et aux succès dans le monde de ses filles.
Somme toute, succès franc pour l'auteur et rappel pour ses
interprètes, surtout pour M"« Villiers qui a créé, très heureuse-
ment et intelligemment, le rôle de Miette.
Jhéatre de? -{^alerie?
Le Cauchemar
Si la caricature est la monnaie de la gloire, voici M. Bruneau
célèbre. Son iï^i-ea été l'objet d'une parodie assez amusante, jouée
avant-hier au Théâtre des Galeries. Désormais le jeune composi-
teur n'aura plus rien à envier aux auteurs illustres. Il est vrai que
ce qui a déterminé le succès du Cauchemar, c'est le prologue,
un tableau bien venu montrant, dans leur cabinet directorial,
MM. Stoumon et Calabrési obsédés de réclamations, assiégés par
les abonnés qui leur demandent du neuf, et tout heureux de
mettre la main sur une partition dans laquelle il n'y a ni chœurs,
ni ballet : a Pas de frais!... »
Une figure bien connue d'abonné a eu un succès d'autant plus
vif que l'original se trouvait dans la salle. C'est le triomphe des
revues, ces coïncidcnccs-là. Et la toujours fringante jeunesse de
ce fidèle habitué des coulisses (qui n'est pas toutefois le Benjamin
des abonnés) a été acclamée d'enthousiasme par les spectateurs
mis en belle humeur.
Quelques méchancetés à l'adresse des directeurs de la Monnaie
et du Ministre des chemins de fer (qu'on ne s'attendait guère à
vojrdans cette affaire!) ont été happées au vol et soulignées
d'applaudissements.
Puis se sont déroulés les tableaux du Rêve, accommodés à une
sauce ullra-naturalisle, sur des airs variés extrêmement gais
empruntés au répertoire des opéras et môme des chansonnettes
en vogue, parmi lesquels le compositeur de celte bouffonnerie a
intercalé aux bons endroits quelques lambeaux de la partition de
M. Bruneau.
L'ouverture, bâtie- sur les motifs dé la Nuit de Noël, a failli
élre bissée tout comme un prélude de revue basochienne!
Et c'est dans l'expansion d'une gaieté communicative qu'a été
proclamé le nom de l'auteur : M. Emile Boulland.
Petite chronique
La jolie salle construite par M. de Saint-Cyr, rue Royale, 180,
et qu'il a baptisée Oalerie moderne, a été inaugurée mercredi par
une importante exposition d'œuvres de Constantin Meunier :
tableaux, sculptures et dessins. Nous parlerons dimanche de cetie
superbe exhibition qui montre notre grand artiste dans la pléni-
tude d'un talent de tout premier ordre.
Le lendemain, M. Xavier Cariier a fait entendre, en un concert
qui avait attiré un nombreux auditoire, un choix de compositions
dont aucune ne s'élève au-dessus de la banale médiocrité des mor-
ceaux de salon. Mélodies, romances avec et sans paroles, valses,
mazurkas et barcarolles se sont succédées, jouées par l'auteur,
chantées par M°>*Comélis-Servais ou accompagnées par MM. Jonas,
Lerminiaux et Liégeois, sans donner aucune sensation d'art.
Seules, les jeunes' filles qui se délectent aux inspirations de
M'" Chaminade ont paru ravies.
Les mineurs et les verriers de M. Meunier n'avaient pas l'air
content. Quelques auditeurs soucieux d'échapper à leurs regards
réprobateurs ont ingénieusement masqué quelques bustes en v
accrochant leurs chapeaux
Il n'est plus question, à la Monnaie, de remettre à la scène
VArmide de Gluck durant cet hiver; le deuil récent qui a frappé
M. Gevaert l'empêchant de diriger les répétitions, cette importante
reprise est postposée à l'an prochain.
Au Conservatoire, les répétitions des concerts sont suspendues
pour le même motif; le premier concert, qui a lieu habituelle-
ment fin décembre, sera remplacé par une audition d'élèves.
Comme dédommagement, nous aurons, en février, une exécution
de Manfred, avec Mounei-Sully et M"« Dudiay.
A la Monnaie, après Barberine de Saint-Quentin, dont la pre-
mière est annoncée pour mercredi, et la reprise de Lohengriu
avec Engel (remplaçant Lafarge sérieusement indisposé), nous
entendrons la Cavalleria Rusticana de Mascagni ; puis la Flûte
enchantée et sans doute le Roi malgré lui de Chabrier ou une
reprise de Gwendoline. On songe aussi â Richard Cœur-de-Lion,
avec Badiali.
M. Dupeyron et M"" Carrère quittent la Monnaie pour l'Opéra ;
M. Badiali va à l'Opéra-Comique. M. Sentein sera remplacé par
M. Dinard.
M"" Angélique Cusseneers exposera au Cercle artistique, du 7
au 17 décembre, quelques-unes de ses ueuvres.
Cours supérieurs pour Dames. — Lundi 7 déeemàre, b
2 heures. M. Percaheni : Ouverture du cours de géographie.
Même jour, à 3 heures. M""» Chaplin : Schakespeare.
Mardi 8 décembre, à 2 heures. M. E. Verhaeren : La minia-
ture gothique considérée comme début de la peinture gothique
(suite).
Mercredi 9 décembre, à 2 heures. M. Pergameni : Le dévelop-
pement du régime parlementaire en A ngleterré auX VI II' siècle,
sous les trois Georges.
Même jour, à 3 heures. M. Discaili.es : J.-J. Rousseau.
Jeudi 10 décembre, à 2 heures. M. Lonchay : Procès et
mort d'Anneesent.
Même jour,à 3 heures. M"«Tordeus : Diction (partie technique;
articulation; phraséologie).
On nous prie d'annoncer qu'un concert sera donné le vendredi
18 courant, à 8 1/2 heures du soir, en la Salle Marugg, par
M">» de Luce, M"" Florence et Berlha Saller et Ch. Welly, canta-
trices, élèves de M"" Moriani ; avec le concours de M'" Louisa
Merck, pianiste.
On peut, dès â présent, se procurer des cartes chez tous les
éditeurs de musique.
La Société centrale d^ architecture de Belgique fêlera, le
20 décembre, le dix-neuvième anniversaire de sa fondation ; outre
le banquet de rigueur, il y aura une visile de l 'hôtel du gouver-
neur et des bureaux de la Banque Nationale, de l'Hôtel des Postes
et de l'église Saint-Antoine-de-Padoue, une exposition de dessins
de Suys le père et de M. Ch. De Wuif, et enfin la séance plénicre
annuelle au cours de laquelle sera disculée une proposition de
suppression des concours de Rome et la création de bourses de
voyage laissant-aux artistes une liberté plus grande dans le choix
du pays â parcourir.
Cinquante concurrents ont répondu à l'appel du Bureau de
Bienfaisance de Laeken pour le concours de maisons ouvrières ;
c'est un vrai succès pour cette administration qui, mieux inspirée
que la Ville de Bruxelles, a, sur les conseils de la Société cenlRile
d'architecture, rédigé le programme et les conditions du concours
de façon à donner satisfaction à tous les artistes. — Les cinquante
projets seront exposés cette semaine dans le préau d'une école de
Laeken.
^^,^.^^.-.f..^:.
"VBlîTTE
TABLEAUX MODERNES
DES ECOLES BELGE. HOLLANDAISE, FRANÇAISE, ETC.
foumant le cabinbt db
m. le vieomte clu BUIS de OISIOI^IES
Œuvres de G. Bodeman, L. Brunio, F. Courtens, H. De Beul, De Block, Henri De Braekeleer (Intérieur eTanti-
quain- et Jeune f^nme à sa toilette), C. De Bruyne, Charles De Groax (La rùee au cabaret), J. De la Hoese,
H.-C. Delpv, D. De Noter, E. De Schaœpheleer, Julien et Albrechi De Vriendt, Diaz, Jules Dapré, Djrekmans, Elsen,
Théodore Fourmois, Eugône Fromentin, F. Français, L. Gallait, H. Gaoïné, Bf Gempt, Théodore Gérard,
J.-L. Géricault, J. Goupil, L. GoupU, J.-A.-Th. Gudin, E. Isabej, Fr. Keelhof, G. Koller, L. Kratké,
P. Lauters, Ad.-R. Lefôrre, J. Lewis-Brown, H. Leys, J. Lies, J.-B. Madoa, E. Metsmacher, P. Noôl, B.-P. Onune-
ganck, A. Ortmans et E Verboeckhoren. D. Ojrens, J. Portaels. E. Ribot, L. Robbe, Robert-Fleurj, J. Robie,
Ch. Rochussen. W. Roelofs, J. RofBaen, H. Ronner, C. Roqaeplan, Pr. Rojbot, A.-J» Seuroa.'A. SAtitbamt.
P. Soyer, C. Springer, A. Stevens. J. Stevens, A. Toolmonche. Ch. T^ha^eny, H. Van Aaaehe, Jan Van Beers,
H, Van Hove, J. Van Lerius. E. Van Marcke, J.-B. Van Moer, P. Van Schendel. E. VerboeckhoTen, F. Veriias,
Ch. Verlat, \V. Verschnur, A. VoUon. C.-M. Webb et H. Van HoTe, J. Verheyden, G. Willems et L. Zaccoli.
LA ^'ENTB, AUX KNCHfiRBS PUBUQCBS, AITHA LIKU BN LA
GALERIE S.r%.lI«T-L.U<::, lO et 1», rue des Plnances, à Mt ¥ HK kj m .mam
les lundi 7 et mardi 8 cedémbre 1891, à 2 heures précises de relevée
Pnr If miitittérr de \à ' '' HOlairv, ru* de la C%miceUetie, 10, é BruxtiU*.
ExrEUTS . MM. J. et .\. LEROY, irêres, place du Musée, 12, à BnixcUcs, cba Iccqnab m distrilMe le catalogae.
Kxpooitioii publique, le rtlmaachw 6 d^wimhr» 1891, de lO A 4
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45. MONTAGNE DE LA COUR. 45
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L'ART MODERNE
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l'asmdostsatioh oéhékau db TArt Moderne, me de l*Iiidiistrie, 32, Bmzelles.
Sommaire
Atb. — CoMSTiTATioira. — HonuK Inaar. — OaoBJiw ad
tWUssn Moufeax. — PanoBi CoRcasT roroLiias. — BiaaniiirE.
— La TaiATBB db la M omAïa. — TaiATaa db Otiaami. —
TBiATUt lona. — La CamQca aau» — CouasTATOiaa m Lâoa.
— Caxnnooa /nnciAïaa sas Aan. — Pâma caaosiooa.
AVIS
CONSTATATIONS
Tandis qu'ai Belgique, certains littérateurs ratés et
OCTtaines-Tîeilks perruches dn feuilleton s'obstinent,
arec un entêtement qui les perd même dans l'estime de
leur pnUic dn Bel Air, à mépriser le jenne mouTonent
bdge et à aj^CTses rq»résentantsla • ligue desgosKs •
(nâr dans la Jeune Belgique la réponse de M. Tardieu
i Albert Giran^, les Français, les Aillais, les Hol-
landais et les All^nands, — tons nos Toisins, — se préoc-
cupent singulièrement de nous. On sait en quelle estime
les Gustave Kahn, les Mallarmé, les Mirbean, les
Griffin tiennent nos émvains. Ds collaborent à nos
revues et s'intéressent aux œuvres de nos poètes. Le
. il^iaméro dn 15 juin d'onerevne parisienne, La Plume, a
été uniquement consacré aux Jeune Bdgique et il j
était dit à propos de nos écrivains les plus récents :
• Ce fot une magnifique floraison de jeunes talents, une
vraie Roiaissance : la Belgique allait enfin avoir sa
littérature à eUe». D'autre part, 2^3fercure de France,
dans le compte rendu dn livre de M. Hubert Krains,
n'hésitait pas à déclarer que •> l'auteur belge a toujours,
à un pins haut degré que l'auteur français, le senti-
ment de sa dignité d'terivain ». A Bmxelles, après
cela, quelqu'un a traité M. Charles Potvin de cabotin et
d'autiés de saltimbanques. 0 ! les gafies du désespoir !
D'un antre côté, M. William Archer consacre, dans
la FortnighUy Review, un article enthousiaste à Mae-
terlinck. Et le tragédien Beerbohm-Tree a donné à
Londres, an Playgoert Club, une conference qui a en
dn retaitissement, sur le poète gantois. Le tragédien a
surtout envisagé l'œuvre de notre compatriote an point
de vue • jouable », et s'il a £ût de ce c^té certaines
Téaaja et certaines critiques, il n'en est pas moins vrai
qu'il a déclaré qu'il j avait dans l Intruse nue scène
{Hiesque incomparable et plnseurs éclairs de génie.
396
L'ART MODERNE
M. Beerbohm-Tree ne fait poartant pas partie de notre
petite chapelle, entendez-vous M. Tardieu? Il n'a pas de
raison pour nous faire de la réclame!!!! et pour bien
parler de nous, — tandis que vous, au contraire, vous
dites avec tant de distinction à la jeunesse littéraire :
N-i-Ni, FINI t ! ! ! (on croiraitque vous parlez de M. Frédérix).
Les abonnés de V Indépendance paient pourtant. Mon-
sieur, vingt francs par an pour que vous les renseigniez
sur les manifestations littéraires belges, vous qui tenez
un supplément littéraire! C'est ce que vous ne faites
pas, absorbé uniquement, ainsi que vous l'avouez, par
- l'aérage de votre polémique -, et préoccupé d' • esqui-
ver l'asphyxie électorale ». C'est sans doute afin de
faciliter le « tirage • de votre journal. Au point de vue
du JOURNALISTE que vous prétendez être, ces préoccu-
pations sont louables. Mais alors contentez-vous d'un
supplément commercial, qui sera comme l'arrière-bou-
tique de votre journal, ôtez à la maison G. F. C. T.
son enseigne littéraire et fermez les rez-de-chaussée
dramatiques et comiques de M. Frédérix. Si vous
CROYEZ QUE LA CLIENTÈLE S'EN PLAINDRA ! SUivant UUe
des phrases de votre lettre qui donne, Monsieur, la
mesure de l'élévation de vos tendances et des buts que
vous vous proposez.
Mais ce n'est pas seulement la France et l'Angleterre
qui s'occupent du jeune mouvement belge, un grand
journal hollandais, le Nieutoe Amsterdamsche Cou-
rant, consacre une très longue et très élogieuse étude
à Georges Eekhoud. On y analyse minutieusement,
avec un grand renfort d'admiration et d'éloges : Kees
Doonk, les Kermesses, les Milices de saint Fran-
çois, la Nouvelle Carthage et les Fusillés de Matines.
L'étude se termine ainsi : » Beaucoup de réalistes se
contentent de la narration des faits et abandonnent au
lecteur le soin d'en tirer des conséquences. Eekhoud,
au contraire, pareil à son géant flamand, ne demande
pas l'approbation des autres ; comme artiste il soutient
ouvertement un combat. Il amène devant nos yeux,
avec un grand amour, les plus parias de sa race et il
les couvre de son égide : mais nous devons l'apprécier à
une très haute valeur, pour sa puissante littérature et
son œuvre profonde de création. »
Cet article ne fera pas plaisir à certain pataud de
salon, qui a appelé Eekhoud un paysan des polders et
qui dernièrement a essayé, à l'occasion du compte
rendu du livre d'un jeune écrivain wallon, de piquer
l'auteur des Kermesses en insinuant que certains
auteurs flamands écrivaient difiicilement le français.
En revanche, il y a en Belgique beaucoup d'écrivains
français qui écrivaient et qui écrivent facilement le
patois. (Voir Hymans, Leclercq, Tardieu et Frédérix,
passim ) Et d'ailleurs, le généreux poète des polders
est trop haut placé dans la littérature pour être atteint
par la revanche du kroumir, qui veut faire payer à
Eekhoud la réclame que les jeunes lettrés octroyent si
largement depuis quelque temps à la vieille marquise
de r Indépendance. Elle n'est pas contente, la vieille
marquise. Vraiment, les •• gosses « de M. Charles
Tardieu sont bien mal élevés !
Et tenez ! Il lui arrive chaque jour des mésaventures.
Dernièrement elle assiste, en sa qualité de fenilleton-
niste, à une conférence de M. Prins, professenr à
l'Université de Bruxelles, sur le mouvement intellec-
tuel en Belgique. C'était au Cercle artistique, et là la
précieuse mondaine se trouvait presque certaine de ne
rien entendre qui pût blesser ses notions littéraires.
Elle parlait sans doute de ses relations avec Dumas
père, qui a été !'« amuseor de toute une génération » et
avec Victor Hugo dont elle a dit, dans son livre unique,
intitulé Le Banquet des Misérables : « Il porte mainte-
nant toute sa barbe, mais la barbe ne manque pas de
pittoresque, et puis elle est utile à ceux qui habitent
près de la mer : elle préserve des maux de gorge et des
extinctions de voix ». Petite folle !
Or, M. Prins a courageusement constaté, devant les
membres du Cercle, que le niveau intellectuel était
rudement bas en Belgique. Heureusement, dit-il, une
grande lueur s'est réveillée. Et parmi les représentants
de cette Renaissance, le conférencier a cité l'auteur de
la Princesse Maleine, oui, marquise, l'auteur des
Kermesses, oui, marquise, l'auteur des Flambeaux
Noirs, oui, marquise, l'auteur de la Damnation de
r Artiste, oui, marquise — et d'autres, oui, oui, mar-
quise ! Mais il n'a parlé ni de vous ni de votre amie !
Les temps commencent à bien changer! N-i-ni, Fini!
n'est-ce pas ?
HENRIK IBSEN
Etude sur ta vie et ton œuvre, par Charles Sàkoléa, (arec le por-
trait d'Ibsen). — Paris, librairie Nilason, 1891, iii-18, 102 pages.
Il semble que chaque temps a toujours tu oatlre le genre de
critique qu'exigeaieni ses œuvres d'art. Depuis que Sainte-
Beuve a écrit ses Lundis, Jules Janin et de Pontmartin leurs
FeuUUtont, un peu à l'amasetie, comme en une fine et spiri-
tuelle causerie, nous avons en successivement la critique histo-
rique de Taine, la critique scientifique d'HennequIn et la critique
dilettante de Lematlre. Restait ia critique comparée, celle qui ne
s'objective en aucun nom, mais qui influence manifestement tous
ceux qui, aujourd'hui, scrutent les pensées et les sentiments des
grands génies.
Non seulement il est intéressant de savoir ce qu'un homme
doit à sa race, à son milieu, b son temps, de connaître en détail
la bibliographie de ses livres et la biographie de sa personne, de
découvrir, au moyen de ses œuvres, quelque grande loi de psycho-
logie, mais encore de prendre les idées qu'il a exprimées, de les
examiner en elles-mêmes, de juger ce qu'elles valent, en les
comparant à leurs analogues, arrivées i maturité sous d'autres
latitudes et en d'autres temps.
L'ART MODERNE
397
M. Chartes Saroléa fait beaucoup de critique comparée.
Non £0 des chapitres spéciaux où il opposerait le génie norwé-
gien d'Ibsen au génie d'un dramaturge français ou anglais, mais
dans le corps même de ses écrits, avec tout l'à-propos qu'on
pent dteirer. Un peu trop abondante peut-être son étude sur
Ibsen, mais il doit être bien difficile de se résumer en quelques
brèves et précises formules, quand on possède toute sa lecture et
que l'on vent être complet. Disons-le toujours intéressant et, qua-
lité souvent rare chez un critique, grand et profond admirateur
de celui qu'il étudie.
Les œuvres d'Ibsen sont divisées en trois catégories par
M. Saroléa : drames historiques et romantiques, poèmes drama-
tiques, comédies sociales, catégories ii travers lesquelles est pour-
suivie l'évolution de toutes les maltresses pensées de son oeuvre.
Ex pièces dont les éléments doivent prouver qae le maître est
bien un arUtoerate radical, comme le qualifie son critique.
La pensée d'Ibsen, c'est l'idée morale, l'idée du devoir de
l'individu en tant qu'être libre et son émancipation du joug de
la société. Car la liberté de l'individu lui paraît assujettie aux
conventions de la société et celle-ci lui semble vermoulue si bien
qu'on l'entend craquer de toutes parts.
Celte idée générale revient sous celte iriple forme:
Qu'est-ce que les individus d'i présent à cèté des puissantes
individualités du passé? Des nains à c6lé de géants : thèse déve-
loppée'dans les drames romantiques, dont aucun n'a été traduit
en français : CatUitia, la Dame Inger à Oïlral, lu Prétendants
de la couronne, etc.
Qu'est-ce que la Religion et l'Idéal? Un mot, une famille :
thèse de la trilogie lyrieo-dramatique : La Comédie de Famour,
Brand et Peer Oynt.
Qu'est-ce que le Mariage et l'Amour? Une convention, un
marché : c'est le problème discuté dans les comédies sociales,
entre autres dans la Piliers de la Société (iSn), Nora (1879), les
RevenanU (1884), vn Ennemi de la société (1882), le Canard
sauvage (1884), Hedda (?a6/«r (1890).
Le biographe d'Ibsen a le grand mérile à nos yeux de nous
avoir enfin donné une idée d'ensemble de l'œuvre du maître
norwégien. Ne lit pas le danois qui veut et les traductions fran-
çaises sont lentes a venir. La teneur de tous les ouvrages du dra-
maturge nous est expliquée, moins dans leur trame que dans leur
esprit, et ce n'en vaut peut-être que mieux.
En résumé, étude très consciencieuse et souvent de haute
envergure, comme les deux chapitres où il est traité de la
conception de l'art et de la morale d'Ibsen. Elle fait grand honneur
a la jeune critique belge où, du reste, foisonnent les esprits
pénétrants.
GRISELIDIS
A.TJ THÉA-TieE IWtOXjIÊRE
Quelle que soit l'opinion que l'on ait sur la pièce de M. Silvestre,
il importe de rendre justice a son désir de faire autre, et, si
possible, neuf.
Persuadé que le théitre s'embourbe dans l'ornière actuelle des
pièces \ succès facile et !t dénouement prévu et régulier, il essaie
la fantaisie, la légende, l'archaïsme. Il n'a peur ni de restituer le
vers il la scène, ni de composer de belles phrases.
Il est resté le parnassien d'anlan, le chanteur pur qui mêle à
ses pensées toutes les belles choses banales mais éternelles du
monde: l'azur, les étoiles, la nuit, la mer bleue, le soleil, les
oiseaux, les fleurs. Lorsqu'on n'écoute qu'à moitié le sens de la
pièce de M. Sylvestre, ce sont de tels mots, — d'ordinaire servis
en comparaisons et en images, — que l'on entend exclusivement
retentir. Et certes, que de beaux vers sonores eux aussi comme
les vagues et frais et clairs eux aussi comme les roses.
La pièce est titrée Mystère. Et c'est le vrai titre, peu importe
la signification acquise de ce mot. Le drame est d'essence humaine,
le mystère de fond divin. Or, ici, le miracle est étalé aux yeux de
tous. Dieu intervient directement, le diable aussi. L'enfant Loys
est rendu & ses parents par l'intervention surnaturelle : on n'ex-
plique pas, on constate.
Voilï i notre sens la vraie audace de cette pièce : rendre patent
le miracle et s'en servir comme noyau scénique. Wagner l'avait
également adopté dans Parsifal, et Parsifal n'est point un drame,
c'est un mystère.
Au point de vue archaïque la pièce est curieuse. Le mot trop
moderne est évité, parfois le terme ancien apparaît, — exemple :
bailler dans le sens de donner, — mais il se fond heureusement
dans le ton général de la phrase. La légende est exquise : Grise-
lidis, miroir de l'épouse fidèle, ne se laisse vaincre ni dans son
obéissance, ni dans son honneur, ni dans sa foi. Elle se garde
intacte, malgré les multiples épreuves et les embûches du diable
qui la tente pendant l'absence de son seigneur et mari et elle se
présente a lui, revenu des guerres barbaresques, aussi inviolée
que le jour où il partit. Voila le fond. On assiste au départ, aux
épreuves, au retour. El d'ailleurs, un page explique la pièce
dans le prologue et lui assigne une conclusion au tomber du
rideau.
Nous avons dit le mystère de MM. Silvestre et Morand : curieux.
C'est tout. Intéressant, peut-être encore ; émouvant et profond,
non.
Le poète a, dirait-on, manqué d'intensité, de tendresse, de
douceur. Griselidis déclame trop, elle est trop le personnage
désigné pour chanter le beau vers ; elle est irop extérieure-
ment étudiée et produite. Sa bonlé, sa ferveur, sa grâce d'hu-
milité sont comme en décor et nullement les sources vives de son
ime. De même, le marquis de Salluce n'est point assez le guer-
rier et le preux, le soldat encore barbare. Il y a manque d'ac-
centuation dans les caractères: aucun n'est assez soi-même.
Certes, la pièce vaut qu'on y aille et elle a plu beaucoup au
public du premier soir qui a fait des rappels après chacun des
trois actes et réclamé bruyamment le nom des auteurs i la fin.
Aussi n'est-ce pas sans quelque élonnement que l'on a lu, le len-
demain, les comptes rendus moroses de la presse.
La tentative Hardie et consciencieuse de M. Alhaiza mérilaii
mieux. Peut-être les auteurs ont-ils eu tort de quitler Bruxelles
avant la représentation et de tenir, avant leur départ, à des repor-
ters Irop disposés i former leurs opinions d'après les bavardages,
quelques propos un peu sceptiques sur l'effet des premières répé-
titions. Le bruit courait dans les couloirs que MM. Silvestre et
Morand étaient partis en déclarant l'interprétation insuffisante et
l'on comprend que cela ait suffi pour embrouillarder les oreilles
et les yeux de nos critiques ordinaires.
A notre avis, certes, les décors de la pièce au Théâtre-Français
lui donnent un cadre charmant, fantastique et rêveur qui man-
que au modeste Théâtre Molière et puisqu'il s'agit dune féerie.
398
L'ART MODBRNB
c'est beaucoup. Mais l'imagination p«at s'abstraire de cet exlé-
rienr qui manquait totalement au théâtre de Shakespeare.
Quant il l'interprétation, elle a vraiment été très conTenable,
étant données les ressourceii restreintes du Théftlre Molière et les
inévitables vices de la déclamation dite de Conservatoire qu'on
appelle si singulièrement aavoir dire le ver». Sous ce rapport la
fameuse Comédie-Française est un réceptacle d'odieuses routines
et en réalité le petit ibéfttred'Ixeltes vaut plulét mieux quemoins,
car certains interprètes y ont moins sacrifié aux vieilles habitudes.
M. Duterire a dit admirablement les stances touchantes du pre-
mier et du troisième acte qui se terminent & chaque strophe par
Griselidis! Griselidis! H. Alhaiza est un diable aussi bon que
Coquelin cadet, M"" Bourgeois, en diablesse, vaut mieux que
l'interprète parisienne, et quant & M°>* Madeleine Max, elle a
donné de Griselidis une version simple et touchante qui
détonnait par son originale hardiesse au milieu des déclamations
usuelles auxquelles se conformaient consciencieusement ses par-
tenaires. Cette mesure et cette distinction ont un peu dérouté le
public, mais nous engageons vivement la jeune artiste à persé-
vérer dans sa manière sobre : nous ne doutons pas qu'elle finisse
par être comprise, car tout va à la sobriété du jeu ; nous en enten-
dions faire récemment la remarque par de très compétents artistes,
à la charmante et mordante revue Ailleurs, jouée au Cràt Nom,
d'un bout 6 l'autre, sur ce rythme pénétrant et tranquille. H™ Ma-
deleine Max avait aussi accepté courageusement les nécessités du
costume moyen-âge : pas de corset! pas de talons! au risque de
sembler maigriote et trop petite. En vérité elle était très séduisante
dans sa robe de tryptique couleur ivoire, brodée de signes sym- ,
boliques, et, sur la léte, son diadème à aigrettes scrupuleusement
imité d'un missel. Ces soins d'artiste scrupuleuse eussent mérité
une remarque du reportage plus à propos que le léger coryza qui
assourdissait la voix de Griselidis.
PREMIER CONCERT POPULAIRE
M. Richard Strauss, — nom célèbre, prénom illustre, disait
Wilder, — est considéré en Allemagne comme le gonfalonier de
l'école nouvelle. En ce pays que la mort du Maître a plongé dans
la plus complète indigence musicale, il fallait trouver à tout prix
un Walther, ne fût-ce que pour l'opposer à celui qu'irrévéren-
cieusement, dans certains milieux, on traite de Beckmesser. Inu-
tile de le nommer, n'est-ce pas?
El du coup, voici Richard Strauss très bien en cour, — vous
savez à quelle Cour nous faisons allusion, — appuyé par les
Bayreulher Blâlter, patronné par Cosimallah et par son prophète
Mahomet von Wolzogen.
Ce que vaut M. Strauss, nous le saurons quahd on nous four-
nira l'occasion de le juger autrement que par une œuvre de jeu-
nesse, qui trahit une inexpérience candide. Le mot d'ordre étant
d'applaudir, nous nous méfions et nous attendons ses composi-
tions récentes, Don Juan, par exemple, joué à Paris ces jours-ci,
mais qui ne paraît pas avoir excité beaucoup plus d'enthousiasme
que sa symphonie En Italie, produite à Bruxelles dimanche
dernier.
11 y a, dans ce premier essai d'un prix de Rome lâché à travers
les osléries, les campi sanli, les musées et les ruines, plus de
recherche que d'idées, plus de labeur que d'inspiration. La longue
phrase mendelssohnienne qui constitue le fond de la première
partie, intereaMe dam un asseï pittoreique récit de h campagne
romaiBe (le meilleur merceau de l'œuvre), n'etl guère peraonneUe.
Blie file, file, k la manière trop napolilaine d'un macaroni,
sans laiater d'impression profonde. Vandamtt, qui débute par de
jolis timbres frais peignant les flots bleus qui caressent la grève
sorrentiBe(où«les fleurs en tonte saison...», musique connue), se
résout en petits soli dévidés b tour de r^ par le premier violon,
par le hautbois, par l'aile, grêles et mesquins, malgré d'asaez
curieuses harmonies. Un sektno infiniment trop toofii, d'un
rythme compliqué, surchargé de dessins encbevéMs que Je défie
le meilleur des orchestres d'exécuter inlégralament, succède i ce
morceau. Au final éclate le Funieuli, fiinieula qui égaie l'ascen-
sion des Anglais su Vésuve et qui a, au Concert populaire, paru
divertir prodigieusement un avoué de nos amis auquel, depuis
l'an dernier, il sert de leUmêtù. Le thème est présenté d^ine
manière amusante, sur des harmonies hardies, mais au Ken d'être
symphoniquement développé, il est haché, démembré, torturé, et
la symphonie, assez heureusement commencée, s'en va ft tous les
diables.
Ce n'est pas, il notre avis, cette œuvre décousue qui placera
M. Richard Strauss au rang qu'on loi assigne au delii du Rhin.
Peut-être a-t-il mienx i nous offrir. Nous serons heureux de
l'écouter de nouveau, et très disposés k l'applaudir.
On a fait^à M. Gurickx, le nouveau professeur du Conserva-
toire, un joli succès mérité par ses qualités de sérieux musicien
et de pianiste consciencieux. M. Gurickx a interprété avec talent
le concerto de Tschaikowsky qui renferme, h cété de fragments
délicats et attachants, des morcesux en forme de valses et de
mazurkas dont l'opportunité peut être mise en doute. Il a joué en
outre une fantaisie pour piano et orchestre. Sur la mer, dont il
est l'auteur, — œuvre de bonne facture, mais d'intérêt musical
contestable.
Le succès artistique du concert est allé aux deux pièces sym-
phoniques de Glazounow, Rêverie orientale et Sérénade {la maj.),
tout à fait jolies d'inspiration et d'instrumentation.
Et le concert, langnissamment ouvert par la fi-oide ouverture
de Sakountala deGoldmark, — unGonnod germanique, disait-on,
non sans raison, — a été plus gaiement clèturé par la vivacité de
la Lustspiel-Ouverture de Smetana, applaudie l'an dernier et
conduite avec verve par Joseph Dupont.
BARBERINE
Cette idée de tirer de Barberine un opéra comique n'est pas
neuve. Il y a quelque vingt ans, deux avocats du Barreau de
Bruxelles, — aujourd'hui parmi les plus éminents, — « libretti-
nèrent » la jolie comédie de Musset et prièrent un prix de Rome
de leurs amis d'en écrire la musique. Mais le prix de Rome devint
directeur d'un Conservatoire, et rien ne tarit, paratt-il, l'inspira-
tion comme les obligations qu'entraîne une charge de ce genre.
Barberine dormait toujours, lorsque survint un Siegfried qui
la tira de sa torpeur. Ce Siegfried est un ancien préfet auquel le
16 mai a donné des loisirs et qui consacre ceux-ci au culte des
Muses, ainsi qu'on disait sous la Restauration.
Il est très honorable pour un gentilhomme de sacrifier le
billard, la chasse et le baccara ii l'étude de l'harmonie et de dai-
gner noter sur du papier i musique des romances, des chœurs,
des menuets, des gavottes. M. de Saint-Quentin a acquis, dans
piK .?;^fvw-s^..^
'.3;"7'
VART MODERNE
309
"T-
ee difficile labeur, quelque dextérité. 11 connaît ses auteurs,
depoia Grëtry juaqali Wagner, et pour prouver qu'il les a étudiés,
il les cite k propos. Le premier acte de la Valkyrie parait lui
avoir plu particulièrement. Il en a transporté dans sa partition
d'importants fragments, ce qui a vain k celle-ci l'honneur d'être
eoadoUe par le chef d'orchestre wagnérien du théâtre, M. Pion.
Halbearensement, quand il présente aux auditeura ses propres
inspirations, le compositeur est moins heureux. Les romances,
les duos, les aira k boire qu'il égrène auraient sans doute un joli
succès mondain s'ils étaient chantés dans un salon, entre deux
paravents. Sur la scène de la Monnaie leur ingénuité a iait
sourire une partie des auditeurs, — celle des musiciens, — tandis
que l'autre, — celle des diplomates, — luttait avec un dévoue-
ment et une constance dignes de tout éloge pour sauver du
désastre (a musique préfectorale, Irès bien défeiidue d'ailleora par
M. Isouard, par M"** Wolf, Darcelle, Savine, DalmonI, etc.
On n'en est pas venu aux mains, heureusement. Nous nous
permettons toutefois d'engager les directeurs de la Monnaie à ne
pas renouveler l'essai. Les théâtres sont faits pour les artistes et
non pour les amateurs. Et le Théâtre de la Monnaie, ^ui passait
jadis pour un des première de l'Europe, doit k sa réputation de
ne pas verser dans le cabotinage.
LE THÉÂTRE DE LA MONNAIE
On se montre fort surpris que la concession du Théâtre de la
Monnaie ail été renouvelée pour un terme de trois années au
profit de MM. Stoumon et Calabrési, sans qu'aucun appel ait été
fait au public en vue de candidatures éventuelles.
Le contrat qui lie les direcleura de la Monnaie à la Ville de
Bruxelles expire le 31 mai prochain. D'après le cahier des
charges, la Ville était obligée de mettre le théâtre en adjudication
k partir du i" janvier 1893.
L'adjudication s'imposait d'autant plus, même en dehors des
termes précis du cahier des charges, que la Direction, on le
sait, est loin de rencontrer l'approbation unanime. Pourquoi, si
ce n'est pour escamoter le vote, a-t-on agi avec une si extraordi-
naire précipitation ?
Ce petit coup d'Etat est vivement commenté par le public. Il a
été l'objet, nous assure-t-cn, d'une interpellation k la dernière
séance du Conseil, réuni en comité secret.
Les partisans du renouvellement invoquent les précédents. La
dernière exploitation de MM. Stoumon et Calabrési a été, après
un terme de neuf années, continuée pendant la dixième année
sans adjudication. Mais il s'agissait alors d'une prorogation excep-
tionnelle, justifiée par les circonstances et de courte durée, et
non du renouvelUmenC d'un contrat, lequel ne peut se faire sans
qu'un appel soit adressé k la concurrence.
Il est probable que l'affaire ne s'arrêtera pas Ik et qu'on deman-
dera publiquement au Conseil des explicalions. L'intérêt de l'art
et la dignité du théâtre l'exigent.
THÉÂTRE DES GALERIES
La Fille de Fanchon la Vielleuse a remporté avant-hier aux
Galeries un succès retentissant. Fascinée par une mise en scène
d'un luxe inaccoutumé, séduite par une interpréution vraiment
•xeellenle, la foule a réclamé, par trois fois, que le compositeur
vint se montrer sur la scène k la chute du rideau. Et H. Vamey
s'est laissé faire, « traîné » par ses interprètes, dans l'expansion
bruyante d'une allégresse universelle.
Fanchon constitue un très joli spectacle dont les détails ont
été réglés avec un soin méticuleux par M. Durieux. M"* Samé
mène avec un entrain endiablé la folle farandole dans laquelle
évoluent M'" Villers, MM. De Béer, Lamy, Schey, Guffroy, etc.
Les cascades et facéties du livret sont souvent amusantes, ce qui
n'est pas fréquent dans l'opérette. Il y a, notamment, au qua-
trième tableau, une épisode érolico-boudbique qui a fait rire aux
larmes les pessimistes lex plus austères. A citer, entre autres, cette
définition nouvelle des incarnations de Boudba, gravement di(e
par le prince de Vizapour : « Siva, l'amour; Brabma, la guerre ;
et Visbnou... la paix! »
On voit le ton de cette œuvrelte joyeuse, destinée k éviter d'ici
quelques mois tous frais de renouvellement d'affiche au directeur
des Galeries.
TIÏÊLA.TRE LIBRE
{Correspondance particulUre de l'Art moderne.)
M. OiJTON Sàlamdki : La Rançon, comédie en trois actes, en prose.
— M. Maobicb ViDCAiSB : Un Beau Soir, comédie en un acte, en
vers. — M. Makol Prévost : L'Abbi Pierre, pièce en un acte,
eo prose.
La gaucherie évidente de H. Salandri (mots malheureux, lon-
gueure du dialogue), qui avait compromis le début de son pre-
mier acte, devient élément de succès dès que Henriette et Jean
Guéret sont en tête k tête : car, la situation est presque illicite,
et lorsque Henriette a dissipé son trouble, elle feint de l'éprouver
encore pour les besoins de sa diplomatie. Elle épouse Jean Guéret.
Etant donnés son éducation, son caractère et les circonstances
adventices, elle sera adultère. Hais M. Salandri n'a pas joué la
difficulté. Le mari, avec une nuance de jocrisserie et de candide
égoTsme, est trop neutre pour que le conflit puisse être intéres-
sant et son issue un instant douteuse. La pièce, fertile en mots
révélateurs de l'intime des partenaires, a le son du réel. Et
M°* Irma Perrot l'anime de ses bavardages et de ses costumes.
Pourquoi toute une région s'insurge-t-elle contre la veuve
Ledru dont le seul méfait est : s'être abandonnée, il y a trois
mois, k un colporteur un peu Ivre? Pourquoi, même enceinte,
raconle-t-elle celte aventure à son fils, l'abbé?
L'émotion qui émane du drame de M. Prévost est bien groE-
gijre. — Quand donc, demandait Jules Laforgue, nous monirc-
rons-nous adéquats à la valeur des phénomènes et vivrons-nous
justes de ton ! '
F.
LA CRITIQUE BELGE
Ne fût-ce que pour entretenir les salutaires aniipalhies et mettre
nos jeunes écrivains en garde contre les trop prompts oublis,
donnons cet extrait, surextrait de mauvaise humeur rancunière,
évacué par le bureau de la critique à V Indépendance belge. Il
s'agit de la jolie, vraiment très jolie piécette de notre compatriote
400
LART MODERNE
HeoTT Maabel, jaaée arec on plein succès m Tbéâtre MoUife.
grVe i finiliatÎTe éclaira de H. Albaiza. Cest toojoars le même
»Tstènie : nn ritriolenr qui mettrait da coid-cream i sa Ticlime
après le manvais coup. Il est irai que des étndiants placés aoi
troisièmes ^leries s'étaiest amusés \ accueillir FarrîTée da gilet
blaac de C Indi-pendance par de railleurs « bans de chien, bi^bans
ei /ur-bans » el des • pariera '. parlera pas '. ■» qoi avaient billi
compromettre la dignité de ce grave personnage.
... a 1. Armand Silvestre a aé d'une aménité parfiite, sans
fadeur; il a fait Téloge des pièces qu'on allait joaer, il a looé
roascienciensement Jl. Alhaiza de jouer des jeunes écrfrains
belges dont il n'avait pas fairde savoir les noms...
« On a joué ensuite une comédie inédite en trois actes, intitulée :
Etudi lit j€une (iUe. L'auteur, M. Xaabel, a eu raison de ne pas
donner un titre de pièce i son « étude », poisqu'il n'y a aucone
sorte de pièce, ni snjet, ni lutte, ni passion, ni action, dans ces
trois petits actes. La jeune fille étudiée est M"* Xietle, qui sort
p^'odant un jour de sa pi^nsion, raconte ses impressions de pen-
sionnaire, dit qu'elle est très « réservée » et que le pensionnat
[lar con.sé'fuent est un a réservoir », dit aussi qu'elle prend les
v'rs de Boileau cotmne des « pilules », jugement pharmaceatiqoe
peu naturel ï une jeune fille, devine que sa grande soeur va se
marier, a un rêve, se eroii un instant jalouse de sa soeur, rit an
peu et pleure un peu saas motif et rentre finalement en pension,
un peu plus jeune tille uju'elle ne l'était, avant celte journée
il'étude.
a Cette éiuiie de jeune fille vise précieusement ï la griee, \ la
ileliealess)'. L'insignifiant v est très subtil, et le rien très travaillé.
M. Maubel est un louable t;urieu.\ de la forme, et an fiitigant cher-
eheur de finesa?s. Et ses personnages disent les choses les pîns
inutiles avec une malice alambiquée. La jeune fille, M"" Xiette,
est bien nommée; mais on a servi celte miette en s'y délectant, et
jvec solennité, comme un festin savoureux. »
Pour an échantillon de la manière, c'en est an réussi assuré-
ment. C;. ilire que c'est le personnel de ce bureau de renseigne-
ments qu'on fourrait jus.]u'ici dans les jurys appelés à juger notre
liuérature. Ah ! i;a n'arrivera plus, par exemple ' .A l'eau ! i l'eau !
a 1 eau :
M. Charles Tardieu, afin de tenterdese relever du coup terrible
ijue lii Jeune Btlgiquii lui avait porté dans son dernier numéro
et que nous avons signalé, écrit une longue lettre comme réponse.
Il se donne beaucoup de peine pour les a dix-sept n abonnés de
la jeune revue, qu'il méprise tant, il envoie, pour prouver qu'il
j fait de la belle critique d'art, certains morceaux sur Gus-
lave Soreau et d'autres où nous cueillons ces phrases, qui
s<;rvent de pièces justificatives i Albert Giraud: .A propos du
Diivil méditant .lur sa p<Mlertle'. de Jloreau : « Ce tableau, doTU
.ion ememhLe. est comme une harmonie reliffieuse de Lamartine,
mue en musniue par Charles Gouncd t. Cette phrase est aussi
belie que la barbe de Victor Hugo mise en prose par H. Frédérix.
Et puis: a .rltTui iu. Sphinx deitiné, où certaine colonne de
marbre veine i/ai ferait fureur à Drouot, détourne un iiutant
l'attention liea iLeux héros de Uaction ». Enfin Jl. Tardieu constate
qu'on trouve des myihes partout, même dans la mythologie. On
irouve des gaffes partout aussi, même dans la collection de
CArt.
Conservmtoire de Liège
Pnwo- CoMot.
( Cvrrtsftmdmna fmrhtmUir* iâ l'Akî ■ombki.)
Exécniioo médioere par MaM StaaemiÀt M de nellclé de b
^pmfkame fatlorwU; certains des insinmentisles de ror^eMre
maniiiesleni d'une mauntse volonté qne ne ponient pas k «aineie
complètement ■. Badonx. Puis on est qoelqne pe« blifnd des
fréquentes exécutions de celle symphonie qui. en vérité, ett des
moins safgestires du Hailre.
Dna firapnenis sympboniques de b GMtriàmamtnt»), b
larebe funèbre et un fragment dn l" acte (scène II), ont èlé
joués arec plus de Samme el pins tTfwwmtiir. On Mohailerait
plas de précision ; les larges phrases mélodiques de Wagner, mal
dessinées par rorchestre, se perdent dans b puissante orchestra-
tion, que l'on bit bruyante % l'excès. CependaiU ■. Radoox nese
décourage pas et les progrès marqaenl.
Un élève de notre fooservatoire, ■. Gnilbnme Remj, aajonr-
d'hoi très apprécié k Paris, a reçu de ses concitoyens on accacil
enthousiaste. Koos ne partageons pas cel enthousiasme.
Certes, ■. Remy est on violoniste de laJenl. mais sans person-
nalité. Il tire de son instrument tu joli son, pur, mais son jen
délicat est troid. complètement dépown d'amplenr. Sa maoière
nous a rappelé celte de 1. larsick.
I. Remy nous a donné du premier coneeito de Saz bnch une
inierpfétatioa bngnissante; il a joué d'agréable manière le Pré-
lude de b sonate en mi de Bach, une Inlrodoctian et an Rondo de
Saint-Saêns.
Cest avec le plus vif pbisir que noas avons réentendu
N>'* Lépine, Tartiste délicate qui noos était apfaFve,si toochanle,
dans larguerite de iaZ)iniriM/is«d<F«»/.M''< Lépineaeonaené
sa jolie voix et sa pore diction. Elle a chanté d'an sentiment
simple, intime, avec une animation conienne, U Ntftr de Schu-
mann. Aussi ne lui reprochons-nous que poor mémoire son choix
de morceaux : l'air de la Création de Baydn est cnnnyeax, les
Ballades, Sérénades et Rotnanees deWidor H de Saint-Saëns sont
peu dignes d'un concert dn Conservatoire. K.
Chronique judiciaire de? art?
Kakba coatre Saajttn
!(on3 avons reblé le succès qui accnefllit i la Honnaie le
ballet de M. Théodore lannon et Léon Ifohois. La visite
inopinée d'un btiissier vint, an moment oà le rideau allait se
lever sur b detixième représentation de cet onvrage, bire
craindre un instant qu'il budrait renvojrer dans leurs loges les
jolies prêtresses de Lesbos dé^ en posture de cambrer sur la scène
leurs pieds agiles...
Lu X. Debvve. auteur d'un scénario intitulé Eihba, brandis-
sant du papier timbré, s'opposait i toute exécution noweOe de
Smflis, dans laquelle il prétendait voir un dénurqoage de son
œuvre, récbmait aux auteurs 10,060 francs de dommages-inté-
rêts, sollicitait du tribunal des tnsertioie dans les joumaux, etc.
A faudienee (tout aboutit décidément an Palais :), 1. Debwe.
par l'organe de ses coaseiis,m^ Scbvwtz et Robert, exhiba un
contrat aax tenues duquel H. Léon Dubois s'était engagé, en
1888. i mettre EsMJhm «n musique, soutint que eelni-ei avait
violé ce traité en négligeant d'achever son oeuvre et Taecnsa nette-
ment de contrebçon artistique pour avoir bit osaoe. dans le
«ï^?s»i'î5^<iirî^iTOfïp^^w«'^^
L'ART MODERNE
401
baOel de H. MamiOD, des inspiratioDS destinées primilirenieiit i
son scénario \ lai, Mrm.
■* Octave Haas, conseil da componlcor, démomn qu'il ne
pon^t j avoir vioblion da Irailé paisqoe jusqu'ici H. Dubois
n'a jamais été mis en demeure d'exécnler son obligation et qu'il
se déclare prêt ) remplir sa promesse. En ce qui concerne la
dispoailion qu'a bile le musicien, en faTenr de SmflU, de deni
airs de ballet qn'il destinait \ Etkbm, il est incontestable que
dans l'ébboraiion d'une oenvre commune, le musicien conserre
le droil de modiier sa création, de b détruire ou de s'en serrir
poar un autre ootrace, s'il le ja|>e opportun. Le procès bit ^
■ . Dubois est léméraire et Texaloire : il cause i l'artiste un pré-
judice dont. reconTenlionnellemenl, U. Dubois réclame b répa-
ration.
■* Frick, pour V. Hannon, s'applique ï démontrer qail n'existe
ancane ressemblance, même lointaine, entre Ethba et StinflU et
conclut énalemenl i la condamnation du demandeur i des dom-
( et intérêts.
Enfin, ces conclusions sont appuyés par ■* Haho, interrenanl
an nom de 119. Stoamon et Cabbrési. directeurs de b lonnaie.
L'aCùre, qui avait attiré un nombreux auditoire et qoi fat
plaidée, de part et d'autre, avec beaucoup d'animation, a été ren-
voyée ) mercredi procbain pour b fin de b pbidoirie de
M* Robert et pour les répliques.
Petite CHROfiiquE
Noos avoiB reçu d'un correspondant une lettre rebtive i
Masolino da Panieale, que nous insérerions bien volooliefs.
Seolement, nous n'avons pu déchiffrer b signature. Prière ^ notre
correspondant de nous b bire parvenir en écriture plus lisible.
Jeudi procbain IT décembre, i 8 I 2 heures da soir très pré-
cBes.ib salle Saint-Cyr. rue Royale, n» 480, an milieu des œuvres
ouvrières de Constantin Heonier. si impressionnante», M. Edmond
Picard fera une conférence sur FA rt et le seeimlume. Cette conlé-
rence est organisée par le Cercle des Etndianls socialistes et a lieu
i portes fermées. Pour obtenir les cartes d'entrée limîlées ) 34)0,
s'adresser i M. Emile Vandervelde, avocat, «thaossée de Wavre
n» 54, 4 Ixelles.
Qoelqaes extraits de joamaux intéressant une ancienne connais-
sance des habitués du TbéMre de la loonaie.
m A Covenl-€arden, b dernière représentation a été celle des
Bu^eneti. Les espéranees qu'avait bit naître 1. Cossira. si
remarquable dans Reméo et dans Fmuit, où il a été si complet
comme chanteur et comme acteur, se sont pleinement réalisées
dans le rAle de Raoul ; les applaudissements les plus vi& et les
pina sincères hii ont été prodigocs i ce quatrième acte, où il a
été absolument hors de pair ».— T. Jobhou. {Figtro.)
m Tons les pensionnaires de M. Costa se sont montrés! bbanienr
de leur liche. M. Cossira, qui bisait sa rentrée dans le r6le de
Tasco de Gama, a reçu Paccueil le plus sympathique et les bravos
qui l'ont salué i diverses reprise* ont du loi prouver toute ta
satisbctiou que Fou éprouvait enfin de le voir. ÎJotre ténor étant
nne ancienne connaissance, nous n'aurons pas i nous étendre
longnemenl i son sojet. D nous suffira simplement de déclarer
que nous sommes fort heureux de posséder an chanteur aussi
exercé, un artiste aussi émérite, et de manifester le désir de
powoir l'entendre et l'appbodir le plus souvent possible >i. —
(L'EeitiTe»T de Nke.)
5oas avons appris i regret b mort de 1. Louis Cattreux, agent
générai en Belgique de b Société des auteurs dramatiques.
1. Cattreux remplissait ses fonetioas avec beaucoup de lèle «
avec une réelle compétence. Il a publié sur le droit d'auteur ph»-
sievrs brochures inléreManies, fréquemment citées i b barre des
trOmnanx. II a pris part ^ tous fes congrès orpniscs par ïkssa-
daiion intenaiioaaie des gens de lettres. C'était une personnalilé
très connue du monde des artistes, et universellement appréciée
ponr b eordulilé de ses relation».
■. Cattreux est mort ! L'cefe dans une propriété qu'il habitait
l'été. Depuis un an, il était atteint d'une maladie qui ne laissait
aucun espoir ï ses amis.
CocBS svrtKiEints roint Daiks. — 14 décembre, % i heures.
M. H. PncAXESi : Le Pamir et la Chine.
3 heures. ■■•Cbah.is : Skeridan.
15 décembre, i t heures. X. E. VaamEii. Réunioti i b
bibliothèque de Bourgogne (seclioa des maouscrita).
17 décembre, i 3 heures. X. H. Leschat : Les Pttip-Bas Mm
r empereur Char Ut i 7.
3 heures. )P* Toiu>Ers : Diction : intonation; inflexion.
La commission mixte nommée par le Gouvernement et par la
TiUe de Bmxelle». a approové, tes maquettes présentées par
M. Constantin Meunier pour b décoration du portail de l'église
de b Chapelle.
Voici b description de cette dé'Omiion scalptarate :
■ Dans b voussure se trouve ta sainte Trinité, représentée par
Dieu le père assis, tenant te Christ crucifié et surmonté par le
saint Esprit. Sur les côtés, deux anges adorateurs. A une
extrémité, saint Benoit, fondateur de l'ordre des bénédictin».
auquel appartenait l'abboye du Sainr-Sépati-re. rie Courtrai. dont
dépendait l'église de la Chapette. A l'autre boiil, Darwin, abbé du
Saint-Sépalrre, ï qui le duc! Go<i>?(roll I" donna l'emplacement
de l'é^se. »
On dit le plus jmnd bi(»n àc reiivrv- de M. H-'uaier.
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AVIS. — BaSet resUaraa» » bord. — Soiaa^ iliMai par — piiinaaal Waiaia „_ _ ^
f«r. — CctrreipMdiLK* directe avec ka gnadi ofnKi iataraatioaaax («oitana Arerlea ta wafia lih).— Tojagtai fnx
— LncatâoiB de eavinc <:p«àaax. — Traaqnrt rigalicr de ■anfciadiaai. eolia |— >»¥. «aima, taa—
IV«r taxa* maàfTatmt»\K s'adrcsacr à la Direaim et r&phiimiiim da <3haaâu étfèrét Ftitmi, à
ilBOa-Posta ée rÊita-Btife, Uoati^ae de la Gov, 90*. à Bbcxuub oa Ofaeecinck^lnat. ai* 53. i
fer ie l tjmt Ba-ft. à Doctbe!^ (voir pjai kaat<: à If. ArùOÊr Trmmdktm, Daakioalcr, ai* 1, à Cairacs; à Af.
Lii>â«D. é Beaux; ^ U . Rtimm^tmamm, 1^ OaiolkM strass», i Fkaxcpc«t <■ ; i AT. Scfeembr. SckoMenii^, 3. i ti
<>. KokTTabTmr. à Vnxxi; à it. Rmicif llryer, à Cuukib; à il.Scttnka; Holcl ObopoUii^cr, à Jlcxaca: i AT.
trnîWf et lAITEL, Imellcs
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L\-iinrBe ESTEY. {loiiiflrul «i mcniier imwwiif. de forae éiégaste,
ïi>«> m'bwv'. ».l saas mai, ai nan) pnr la heaaV H Va faililiii
«QlïllizDfîf ^ î^r^ii-
La Si£iï4aL ESTKT «r. oooitsjrait 1121 SThXii irpmJ^t^ de TboAAm est
diSirfttiiei CTKaitmn piisr ITftlIw rBcale <4 leSalaM.
Li mûwod jiciMHidf de» ^miû&nts «xocOrejU âe MM. Bifmr Timti,
chim, WilkrSmj. Eâ. Grinf. Oif BtilL A. Eiai/Kig. So/ir il-n^er,
Dfmrtif Anan^ Pmmhirif Ltimw, Pté*» dr Sarai^e^ Ftri HtUer, D.
Piffirr, àr F Bnwràin^ i«ifArttix*jr, Xmfrmrmik, J^Jl. Siimer, JtiL.
Srmi»rr,, K. Rwnénof/i, J.-G.-E^ StrUe, Ifitair BriHt, eftc_, «*e.
H. B. i)!! «ctloc çrtiajiïaiHŒi 1» prix-eoaimats «4 l9.eati-
LA CDRmsnt DMIYEBSEILE v imi^\ ^mr^a kd^âon»-
4hTrf, Pans, I. r^^ Ruixaic.. — X<^-T«rt, 9. Fîna Awriix".
Ahim.ttnukemu : Paru. $ fraoïcF Tkb — Étnaiar. fr- li.9^.
PIANOS «.
BRUXELLES
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La (><Bgjpa^paJe. traite d» abin» ea Betpnae dqiaB 18BB-
tAtmmaa, timâtrr*. Oc^ paréi. ftet de SSO milHiaa.
RBHTKB TIA^kan aax tan de lO, ISat 17 ^c..
saiiaBl TitfK. faipahla saas fraû et aa eaao» dbas toale
rBaïup. Pmyiectaf et waggai ^ ali Ko^mttmaA ea /iaoe
-S3,i«adet-
,S.raa«al
■''^nî7Ç^4«
IfJ"^:' -vÇ'-'^F-pJf-^":
:.;:' "vr/ -.-?■■" .'f.^,F-
Oimtia MOÉK. — N* 51.
Lb Himteo : S6 cBimias.
DuiuicHB 20 Déczubu» 1891.
L'ART MODERNE
PARAISSANT LB DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE U LITTÉRATURE
Comité de rédaction t OcTAyi MAUS — Eoiion» picard — Ëiole VERHAEREN
: Bdgiqiie. mn an, 6r. 10.00; Union postale, fr. U.OO — AVHOMCK8 : Ou UwW i («rjEwt
Adresser toutes les communications à
LAiMfixisTSA'nos GÉxÉSAus DB VAjft Modomo, mo de I*Tndinttrle. 32, Bnucellos.
Sommaire
KoiB ara. LU Pnuuiin »"■— — Otntilc ia Faki^mo. — Exro-
mnas mat <p:w^ ■■ Hbxbi Db Bbabdeucb a Asrnss. — Lai rtmiAS
IB l'ut. — PcnucATHOs p'nBBsxis. — Pnniitn» nirmAHarrAnaK
ac • TkÉATSz s'ABr •. — Las m»iaa» boujixvu» a Pas». —
ScAsB anaocm n'EkAnm Rawat — Cbbokiqicb «canuiBB sai
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GENTILE DA FABRIAKO
BtOcsMe^aFabnane: La<dbe-
kad k lfe>;«iiHii^ âe Ddlacraix ^y.
Etaa. et J. se OnwwiKT, MtmtSteVÊJvmm
Onrietto. en 1425. le prânt d'emer d'âme llad«ae lai
fiMacBseeailiédnde, le sainaît <> BBagûteraiagtfitronuu «:
la répalifiqae de Veûae HMnonit d'âne peiuâoa et da
titre de sèntear ; qadqaek amées pfa» tard. Bogttr de
((Ij) Vaja A— f.a«« JfaiJmw a- -fi. Oiittti) et o> 49. HsaOtti» &l
PalM^^^V — Pn?rfti«iiaifTi]f = pîiaanriHip
I Tmaat à ^Jiyn^^^^1r mtni arSâdlc ^de «eitte Dftii'Mii .frâ âam «m
■ a tuuljiiiurB nra ^nvtattnnL El fivlt flivMKX pniuifeailt lAc
dÉInik «idéi ifas sBd foœ ccada : a
la Pastare nlnésttàit pai à le proclaimer le premôer de»
peintm dltalie et plos tard «oioore, ]fi<eb«li-Aii^« par-
lait avec véaÉratioa do vieux maître G^stiile, ao «tjJe
aussi doux que le nom Tek les iémo%Bag«k louiuï^siis
da&s les biographies et qall but anjoturdliini «iprtitiïé'
ment ooofirmer.
Et cepoidaiit. il ne ooms ett pHiu dicwoé de pVQTvjr
admirer te Légende du Précurseur qaU pé^i k
St-Jeas-de-Latnui^ ni la BaOtMe naic<ile A<Ml ii ililm«iua
les mniv dm Palais Dmcal â T«iuit<e. ai «es Kjaraisz d«
Bresda pour Pai»dM$9 Italatesita.
Da eouidénUe labeur de cette TÎe triUaaiie. ptro-
menée, arec des trioniiplief et raiBe aT«tiitor«k. â ij^Te»
oes odors torbolestlei et mat^^S^w», û sie neet^ (Ixts
qitae dljotâ^joifiaiitt déirit, datîpwt*» djuatt k* iJ3'Uiti*«t de
MiHaffi. de V^nâse. de Parie «t 'die Barlm, fra^siofaii» à«
seocnulaire âmportaïuoe qni, déHidniniiés 'de Haur 'àoHtijiia'
t«» KUoonutÎTe et poesse, ap^jaraiiweiiîut tk^nut id'aiicunfi aT«t
les eomlLeniirs crmaK, faiiwjuoe iCa-timut^É^ie. Ile 'âttiMii
sonmaire. fi|)ê et ootiTKHtiiitiaiiueli «des 'âenuan> tiomljaiiua-
tears de GkxDto.
A euji^ier d'autres loe <q^'vm pWMiâe lie Luiiriie. ^aur
cxeaofiile, GeoSiille se «cokçujt ecoiuiue wi iij&tinewauiiit
artiste de seecîati (Ordine, d'ituuewiiçkt&iiiftiélfltii't^^ iiotâé-
cm. i a]9pareB&er â It'Ajii^eiEcni et iiil isxS. inkv iiuu >^'ovt
Mstorâgne ponr ajppnteier ia Tàkms' et t&dii>er 'âe lâtsuer-
marett^'û affXMia de lueaif-
.^..•^■r- -«^,|.^^-s:^»(^!jS5^Tys^ - . "f^^f^lf^l^^^''
404
L'ART MODERNE
Or. U justice ne xeat pront pour Gentile ce rôle
inférieur ; admirable pour Tépoque, il reste admirable
ea dehors de la r^tirité du temps. L'Adoration des
MaçfS, à l'Académie de Florence, la seole de ses
œuTnes de quelque importance qui ait écha{^ à la
destruction, suffit à l'attester.
B n'y a guère eu/ en aucune école, en aucun siècle,
de plus heureuse réalisation esthétique que cdle-li ; je
sais peu de tableau'x aussi complètement, irréprocha-
blemeni par&i(s, qui signifient mieux ou plus {dôoe-
meni !e rêve d'une grande Ame. j'en sais peu qui soient
une telle ièle pour les jeux, qui laissent au cœur une
impression plus r^confijrtante et plus douce.
Dans ce merreilieux tableau, Gentile apparaît comme
un des derniers primitifs, au sens normal du mot. Après
lui. il n"j aura plus que l'Angelico. retiré en un cloître,
qui aura cette fraîcheur d'âme, cette naïveté adorable,
cet le simplidiè d'émotion continue et profonde. Et la
î^^rsiniialiié du peintre se raconte candide, vive et
irè< toune : on devine une orsanisaùon apte à impres-
sicDDer et à se réjouir de tout, un caractère où le sMiti-
mem de la graiideur s'allie à des tendresses, à des
deMoatess*^ de femme. .
ReHp*«x sans mysticisme ni tristesse, il lest encone
de Ê»c>>B très vive, franchement, jovensement^ ainsi que
Tavaû easeigTsè ce bîenfusant semeur d'amour, saint
FrsiDO>i* d Assise. Le gn>upe de gauche dans f Adora-
tion : îa sainte Famille, Joseph, au regard pnotecteor
et £Tave. la Merpe. retenant d'un geste chaste son
m.\meau sor sa ficî'irine, et la caresse puérile du bam-
birio sur le &\>ni du vieux mage, tout, les figures, les
aiûiudes. rharœonie de* couleurs, tout cela est
rw^ceilli et frrreiLî conome une oraison, pur et bon
ainsi qu'une pnère de jeune fille, et d'une simplicité
aisée et ik«i<'.e qo-e n>ùt fias deîsavou^ Gsoito.
Mais GfBÙ> n'est fias un moine, un saint comme fra
AEpelico. Son existence se meut dans la fièrre, les impé-
teosiîè* de vie de 3a première Renaissance et déjà
FaKxidaxKre juienne. la snijnptuorsiiè. ta passion d'un
liejitî plus v^irii». la volonté de jouir, frémissent et
fâiffeici, c«>Kime ks chevaux de l'escorte des rots, dans
son œ<QTre.
Il es; Ir dernier primitif, maïs aussi le premio* des
£Tai»ds primnes de cet extraordinaire xv* siède. Avec
■Q&e deoc'C-'-vranie maimse il transforme et rajeunit
rbrritaiire du passé. Son tempérament doox et calme
l'eloùmait des audacess. des recherches et des brutalités
reiili^tts des .\Blrca dei Castagî>o et des PaoJo Uceik»,
ses eoQiemjK>rki&s. mais sion inteUigeitce ouvia-te et fiite
avait vite p>e}xu riosioffisance de l'art épuîsé et cooren-
tàc^'Unel. éio<c^ dans dets feanmules, des denûa^ gîot-
lestqiies Par ses cîesx d'or, par ses ooistiuDes aux kurdes
etoâ'es fastueuses à ram^vs, cssekes presque comme
des orfèvreries, par stes tnrinns « ses diadèmes, par s»
bijoux et ses wnements àaréa en relieC par ren&iioe
tnidre de ses Tisages. il omaare les prmtiqMS et les
prfoccapAlioas dos miniaturistes da BMij«B-ige: onis.
norateor channant, il ratoameà robnrratka de la
natnre, s'inquiète de fat véritA des attitades. des gestes
belles et naturds, introduit des rnooreaMats phis libres
eA plus diTers,T(Hre même des hardiesses de raœooim.
démootre un sens très Tif du rythme de la oompoeitïoD.
qualité qu'arait possédfe, et superbeBMait, GioÛo, nais
doot rimportanœ était méooDoue par ses gaaehes aoo-
oesseors. Dans son bel amour de la imiie Tirante, il
«itoare les rms mages d'une escorte brillante pareille
à cdles qu'y aTait tu accompagner k» princes itdiens
à la chasse et aux fetes. A sa cataleade, il mile une
animalité de luxe «i de décor pcHnpenx : des clûens
srdtes, des singes sur des chameaux, des bncMis et des
guépards. D approfondit le paysage; il agrémente les
lointains de lliorizoo élargi d'^usodes jMttoreeqneB.
La nature ! Cest en retournant i la natnre que Giotto
ressuscite l'Art diq>aru depuis des sièdes; c'est en
retournant à la nature que cette tiinité TaiOante, llaso-
lino. Gentile et Pisanello, au début du xr* siècle, le
délîTrent i nouTeaa des conTcntims et des règles
déprimantes.
Cette ooBstatatioa. dont Féridence s'impose i tout
obserratenr attentif. — pour qui sait, des apparences
modernes, décrasser l'ambiance, s'apeicewiunt dans
l'Italie actuelle, à chaque dètoor de me, les modèles
Tirants dont ils sln^iièrent, — n'a pas reca la oonsA-
cration académique. Les proiesseurs aiment an oq.^'
traire k enseigner que c'est à Tétade de Fart grec que
la Renaissance itaUenne doit prinôpalement. sinon
exditsiTement, sa force et son édaL
Les gens qui passent leur existence à dioaset des
élères à imiter des maîtres, ne peuTcnt admettre une
éckision spontanée d'artistes, au déTclonieBMataaloch-
tone et indépendant, des originalités s'affinaant sans
précepteors. Ds ont réassi à aenédïter cette erreur à
bien que beaucoup la répètent qui n'j ont jamais rMé-
chi. La dîscassîon en est intéressante «t j'y reTÏendrai ;
notons seulement aujonnFhui eombiea il serait diiBdle
dladîqiier en quoi TAdoratUm desMaga est tribataire
de l'antiqae.
ExpositiH des cnm 4 Bon DiBïaïkilMr iAran.
{Cwrvofitmàtmot ptràcmUirr et l'Ast iMlll )
Les «awws Ae levi De KracLdcicr «ai {
k haïr mj^aerfim qa'naai a ■art; 3s «al
ansâ r«Br feilr s« adaînlcan et ona qai
n ■'«» nwBcat pas pralriMf qme TcMie
SKï^î^P'^?7vP^«7**^^
L'ART MODERNB
405
CeU qu'aoeone mortifiealioa ne leur bit épaffnfe. Pentez doue,
b féaérpwlé aaladroiie de cet éebevin coimaiMeiir qoi les force
de pmlM ea Mène, nalfr^ eux; de o'y parallre qa'en COTypbée*
t ; eeue poigaée de Jeune», emaite, qaî Im remet fi bni-
'. devant lenn chow* |ns propres.
four toale déCenae ils n'ont Iroové que de fociles railleries i
IMresK de ees eaiptebenis de danser en rond et uwte la presse
antewoiae. onUieoae ponr on instant de ees passionnantes qoe-
lelIcB poUtîqnes qui raKaenleot habilnelleaient, le réconcilia \
rnccMiou de la SKro-ninie ma^eaté menacée de nos (rands poo-
tifca de Fart, eoneilialMb et pais Ueha pendant nne qninzaine on
Bot de jnatifiealions.
Ea an laar de maia Q fut ptonré qa'na tel aioasiear qni le
Béglifta si oaveneaMat fiit Pami le pins dérooé de De Braefce-
ieer, qae toos les artistes, qoi oat qaitté Aarets de pear d'y som-
brer de miaire, soat des infrals et qoe nons ae sommes, ooas
les Jeaaes, qae des pmias « poaaat ridieakaMnt aax martyrs ».
Test k croire qae aoa joamalisles sont iris conscients de la
valenr iaieOeetaeile de lear dieaièie : aacaa d'eai ae prend b
peme de hû liner aae boaae laisaa.
Os se soat dit qae lear anloriié saSt amplement : qae le pnUic
iènit prompte jastioe de cdai qai s'avisctait d'exifer d'eai on
fait aet proanat celte soUidlade de sa nOe natale qai s'en ivfoe
ai haat et aacan d'eai ne iTcst imagiaé qa^ moias qa'il ae FaCr-
mJt lai-m<me. aoas perâslcroas k sigaaier rate de donlioa de
>. Tao de Hest i iimwr aae craeOe lecaa, reiposiiioa actael-
local da Cerde artisiiqae
de qadqaes-aas des
: toiles qai s'j lioawat soat aalaat iTa
alets qai icfoashent sar b face de eeax qai
a'oat va ea De Draekcleer qa'aa peiaire aégiifeaMe, i lear taille ;
iprélolesk lemord» poar ceai qai anieat smiîoa oa
- d'jppajM de saa vivant TadmiraMe pciaire des Objets
Xaai liMamwM phîar. ea oaire, k aCrmer qa'3 lear ta cait
de pwrir. jatqalk ce qae Taa de aas *■ éawarals > criiiqaes d'art
aamiiwis aaai soit veaa crîer ea bet qae sa caaicifatc tat Ina-
qaae. qa'aaeaa doale ae FeAcare tmr s»prabiié arlidiqae. sar
Fcmier aeeaaiffiMemeal de saa devaîr.
dkaôeai b fa laa^e b amH ékmme de Fa
laaiai b ■eari De Dcadicieer, b aaas dianâre de
fa'i aaas est doaaé de caaBMifler aa^aarThm b Fafcrî *e Mate
, advcsaed pi^jidifiiiMr.
pKaa^ohiers a'a^nl mtttémMikioeait
et calkaaaîatfe adMmaade Bearî Ite tmekititer sa
I des XZ. ea «M7. aima qae ■j^^mMiititfairm et *t»»-
rwfts.Mi ripaaliiar If fmrfr r^rr'|--'
Ce aoi fait ea dfaa fias laaf «ae toaUs leurs fwifnnaiafif «t
nne bien profonde derinalioa, une très spéciale inleHifeoee d«»
choses de l'art, — ce qu'il serait a««ez natf d'exiger de qnetqoe
prolessioiuiei eriiiqoe, — pour enconrager par noe poMîeîlé, qoi
b cette beore ponvaii encore avoir quelque jmiManee pour b
vente d'one oeovre d'art, le* suivantes et plus penonnelie* pro-
ductions do peintre.
La pénétration qoi les caractérisera plo* tard, noipttoyable
précision do dessin, b triomphale juxtaposition de merv««ll«o*es
et hardies cooleors, — qo'il est dans l'ordre de wit rtbater, —
leur faisaient défaol. Car b l'heure de • b t'vtebmtrm «(IWi),
n* 43 ; du « Jardin du fleoritte », o* 44 ; du « Chaudronoier *
(1861), n* 23; des « Potiers « même, — évoquant si îo«pioé««nt
Fidée qa'ib soat des Orieataiu, — De Braelule^r n'avait pM
encore décoavert b persoanificaiioo de* Otjeto doai il ferait piM
lard ses priacipaax, presque esdusifii acteur*, il n'avait pM péné-
tré encore ceUe atOMtsphtre de Silence et de PovsMires qui ««t
fa leur propre.
Le* Choses ae aatfseat b b vie qoe b oà rboonae ert mon,
oè il se fait BMMrir et a-t-il assez fait lea»!>rt,laî. po«r««rpn«»dre
le seas de celle vie qu'un riea de brait, de sMovemeal oa d« pa»-
sioa écraale irrémédiableaaeat.
La réfje qa'il procbanit. b tout frofot : Il fuU vivre *ttl,
fêurre et ne, et qu'il afisMait d'an b<ia aMez emptoiluque, le
r6fnme.t.«Ue amez ptiéeaationsé pour ae riea brtt«qo«r, f/aa m
pas rompre celle atfflériiem* intimité qui s'était étaUie «Mtv ivi
et se* impassible* modèles.
Les seafa pertoasa^ qae De Braeiitieer a iair94»)kM — ««a
daasle aaisétable bat • d'étiodCer * dre» iatérieais ; uM» itsmvtt
«La salle defa matsoa b;dfaal*i|ae> <32>,«La Salle Left« fHH), H
Mat d'aae iaaaiaMMa iméfrale — dMH ee atottiit: irmUa»
e,Ma( aasci seait.aaHi ponvvfK*, aMsi mimiemmt qi»« ivi-
Ca» le « ftiatre ceptae « <«• tj; b « r««Mi>« à ht r>«r-
lière • (S>; b « Cneaae « '(Cji: b feaune qai fi mn/nanmM nptfiie
eetle m Pface Temiiu% » {9^ -. k * ttf/fwr» (itr, k iitull imutui
qui s'aHied daos « b SatUe de b nunMw 4« DrMitiratr» » <M} ;
celiai de « FAsbt » <33>: celai de « It^Ue TermaïKlt » (Sir, in
(eauM de ■ b Salle des £»6i|aw > OXj ; nmmiMe t^jaHir* tk
«fAldier><42/; k « Kae» « 4«ea«e«Ki«Mwd«tPliM««t » ^u'-Mi
i'éloaae de ae pM v»ir dc>ar»c&ié>« da fttttiéf b «ta» ««cmumu..
Ce «en b gMne dwrabAe ^ fttae-j I»« tmÊiéiwàv^ <m^.a utinrif
ce faadde baaaiiiié» "ladainTii t, o» • Mérjein » ^»t, <l^^u« Kj*--
ler de laiifh, aae médiacriaéyea invxasnie «sjplmrutii iruuiiiH4»tv
met, «e lai» de tiwMhwmai't|Miivwre«fBW'fi>i lu» y»niyta»»aiito*i>-
ttttftamtaL CetSaa fiMPï d'anar moMi^ us i ««( «H|Mtt ysibv^ Jn
iHpiàé pcnAae, ë»<w naneatf faOKaitawi dtx «rluiM» 41 tW»
enifcèle» ««rsee» traftes «Aie* dm f«««é «Awfutill^s k 4<^tit Ifiiu-
MuabnUe* «t faideMes p^ioMrturw fui «n }ir«)«(!UMaal :i>% «Hu-
tlnpM,<r<«4in
PitoMaat «Tetf es b itacttni« «unifiiuié ints^ ^k» wyfO» fili» luttii'
daûas, pd» madent», — «La eaa^iiifiK^c ft. CuiUtaui " 1^;
*wt ame caaMÛlKinftr cwagge urne «otytnai-^ ^ ut Dtain l»f Itnie'
fcrtiiaBT m&daa le ptta* 4âbuiiii««aK)ui «w H^èti^iTiin..
Ctm. «ntfine ée |iteie 'fin 'iTaviur }Kiini « il» T«il«tiie » C^ «u
fainv»*ieHaeiiK«anfiatalUeianni^lk«i^£flpa*»'l7i. qu^ K«t»
«sHnA au paôni dk! »'«n pAvattir fliut 4ir« '
406
L'ART MODERNE
LES PARIAS DE L'ART
Conférence faite à Anvers par M. Ix>iiia DKIJfKB.
(Correspondance particulière de l'Art moderne.)
L'aliiiude «'ncrgique prise par M. Louis Delmer en faveur de
l'Art libre au Congrès catholique de Malinesel à la manifestation
De Brackclecr tout autant que le titre batailleur de sa conféreuce.
Les Parias de l'A ri, avaient attiré un auditoire nombreux dans
les salies de l'ancien Musée de peinture d'Anvers.
Le jeune oraleur s'est attaché à prouver: que l'Art doit avoir
pour condilion le Progrès cl il l'a fait clairement en parcourant
l'histoire de l'Art dans notre pays. De l'exposé de cette histoire
il a égalemenl fait ressortir que la liberté et l'indépendance sont
les propres de l"Art ; que l'Art ne sert personne, qu'il est souve-
rain, qu'il ne ^ient pas à nous, mais que nous devons aller il
lui.
M. Delmer a passé en revue ceux qui en Belgique veulent pro-
stituer l'An en l'annihilant ou en l'avilissant. La Presse, d'abord,
puis ceux qui sont appelés les « grands peintres », c'est-à-dire
les peintres des commissions, des jurys etc., ensuite les impuis-
sants, c'est à-dire les néo-golhiques et les adversaires du nu,
après eeux-ci les peintres pornographes, enfin les jurys, les
conïmis.'^ions, les académies.
Pour chacun de ces adversaires de l'Art libre, M. Louis Delmer
a eu des mots s:inglants qui ont porté d'autant plus qu'il se
Irouvail dans l'auditoire certains personnages officiels auxquels
s'appliquaient directement les vertes critiques du conférencier.
Aucun d'eux n'a osé protester.
Celle conférence avait duré plus d'une heure et demie, inter-
romiiue à cliiique instant par des applaudissements chaleureux,
lorsque M. Louis Delmer demanda à l'auditoire l'autorisation
d'eniarner un sujet purement personnel. Ce fut alors une impro-
visation violente à prnpns de Henri De Braekeleer : apologie du
grand ciilorisie anversois, réquisitoire écrasant contre ceux qui
en furent les persécuteurs.
« I);ins une des dernières séances du Conseil communal de la
\illed'Anvers,dit cnsubsUincc l'orateur, un échevin a eu le cynique
courage de me reprocher d'élre venu apporter à Anvers des
calomnies lors dv la manifeslalion De Brackdeer, dont je fus
l'organisaleur à Bruxelles. Mes précédentes affirmalions, je les
réilère ici. Henri De Braekeleer, après avoir été toute sa vie
conspué el persécuté par ses compalrioles, est mort au milieu
d'eux dans la misère. Je défie qui que ce soit d'affirmer le con-
traire. »
Pour jusiificr son affîrmalion, M. Delmer a signalé des faits
récllemeni révoltants. En voici un, entre autres, et des plus signi-
ficatifs: « Vous dites avoir eu toujours la plus grande vénération
pour l'artiste? Comment se fait-il donc que lorsqu on a lancé
l'idée de faire le busie do De Braekeleer, le montant de la liste de
sousiiipiion mise en circulation n"a atteint que dix francs? »
Celte conférence a révélé en M. Louis Delmer un défenseur
énergique et convaincu de l'Art libre en Belgique ; c'est ce qu'ont
fait ressortir le soir, en des toasts prononcés au banquet offert
à l'orateur, MM. Van Ackeu, Luytcns, Vcrstraeie et Francis Nys.
M. Louis Delmer a élé nommé membre d'honneur de \'Als Ik
Kan et sur la proi)Osilion de MM. Vcrstraeie et Abry il a élé
décidé que prochainement aurait lieu à Bruxelles la constitution
d'une vaste Fédération belge de l'Art libre, dont M. Delmer a
accepté dès à présent les fonctions de secrétaire.
Dr A>Tun ahtusois.
PUBLICATIONS D'ÉTRENNES
MalaoaHetBel.
Sous les ors et les bleu-paon, sous la vélure des prismatiques
couvertures aux pimpantes arabesques, comme de frivoles et
coquets reliquaires, le voici, le bataillon fidèle des amuseurs de la
jeunesse, les mièvres et doux conteurs onançanl leurs encres des
couleurs cbatoyées de la fantaisie.
Au milieu des sévères études où cette fin d'âge s'oriente aux
définitives solutions, c'est le petit coin de l'illusion, l'envol léger
des bistorjeiies autour des lampes de la veillée el, en des barbes
de patriarches, de vieilles voix qui se rajeunissent h évoquer les
visions aimables. Un charme ingénu s'en va de là el nous gagne
à des fraîcheurs d'esprit, à la pensée des races qui noua suivent
el tendent leurs petites mains vers les livres minoritifs où c'est
le souci des grands de les acheminer par des chemins d'inno-
cence à la vie.
La librairie Heizel, comme les antres ans, assume la fonction
providentielle d'un père Noël vidant aux chevets sa hotte de
jolis livres chamarrés d'arc-en-ciel. Tout change autour d'elle,
les firmes s'éclipsent en fuite ; elle subsiste, par une secrète jou-
vence, la tradition de la charité aux petits, de la lecture familiale
et des chimériques aventures qui nous émerveillèrent en nos
autrefois. Nais le siècle a pris de la raison : fini le temps des
légendes et des contes de fées, fini les jardins enchantés peuplés
de monstres et de magiciens ! En d'autres edens les Verne et les
Laurie ont mis pousser l'arbre de la connaissance, — grand
comme un arbre de Noël, — et c'est la notion, l'évidence de»
choses, la science qu'à la place des grappes de la fantaisie grap-
pillées par notre âge de souvenir, y vendange la curiosité de nos
postérités I
Le monde, après tout, ne se recommence pas, l'enfance est un
microcosme en qui se reflète el se réduit l'âpre goât du savoir
qui nous tantalise, nous, les vieux, et les miettes de miche du
petit Poucet, par un rafraîchissement de l'ancien symbole, sont
devenues les cailloux qui servent de jalons aux caravanes en
marche. Un joli petit navire pavoisé, avec l'imagination pour
pilote et la science pour lest, appareille pour les lies inconnues
dans le sillage de nos propres armadas.
Avec la Mislress Branican de Jules Verne, c'est un mode
nouveau d'illustration que nous défère la maison Heizel, un essai
de coloriages légers, le rien d'une teinte de chromos aux paysages
du Pacifique et des régions australiennes vers qui nous mène,
par les feux d'artifice et les pyrotechnies des chandelles
romaines du récit, le découvreur de mers et de conlineols, le
fabuleux argonaute qu'avère l'inépuisable production de cet
Alex. Dumas géographique. Nayne-Reid, à son tour, dans une
suite de récits el peut-être les meilleurs de son gros labeur inven-
tif. Aventures de terre et de mer, nous restitue les sensations
« sauvagesques » qu'à son exemple cuisina Aymard et où ces
deux maltres-queux des grands plats exotiques dHuent les savou-
reuses recettes de Fenimore Cooper.
Laurie, moins romanesque, constant en son étude de a La vie
t'-'SfHrw,;t!^r<iY?y.'^VX'''^'' ■ '.
i;w>)jv/(;;r:j?.ff^
L'ART MODERNE
Aon
de collège dans tous les pays », collige el met en pages une
Suède encore peu explorés, une Suède scolaire où, !i câté de
l'humble école de village, c'est la grande université d'Upsala qui
nous est révélée.
Ensemble ils forment le lot des conteurs instructifs et rensei-
gnants; leur moulin moud une farine substantielle qu'ils bou-
langent en petits pains d'un goût agréable et d'un débit certain.
Ils ont, du reste, pour aides et pour mitrons ces artistes d'outil
preste et d'ingéniosité infinie, les Bcnctt, les Rion, les Roux, les
Ferat. De feuillet en feuillet s'égrènent les croquis par centaines,
le relief des vives images, le fourmitlemenl des petites silhouettes
comme des ombres chinoises, l'amusement et le bariolage de tout
le caprice des auteurs prenant corps et geste dans le fouillis
pimpant des illustrations.
El le roman raconté par des crayons diligents. Ad. Marie,
JeoflFroy, Schuler, Philippoteaux le recommencent dans les gloses
spirituelles et les petits tableaux dont ils décorent les Conta de
l'oncle Jacques, signés de ce nom toujours jeune, vert comme le
laurier et Icscyprès sous lesquels perdure sa mémoire, S.-J. Stahl,
l'esprit fin et charmant qui fut l'axe de la Bibliothèque Hr-izel !
— les Adoptés de BoisvaUon de H. Henry Fauquez, l'Heureux
malheur de M. Lermont, et le Magasin déducatio» qui est bien
par excellence la maison des couleurs à la plume el au crayon.
C'est la floraison d'un art cursif, délié, chiffonné, tout d'imprévu
et de trouvailles, d'un art qui rivalise d'entrain et d'enjouement
avec le récit el qui, sous la main d'un Mellery illustrant quelques-
uns des contes des Joujoux parlants de Camille Lemonnier,
garde, en ses airs de vignette, la belle tenue d'une grave
estampe.
Première représentation du < Théâtre d'Art >
{Correspondance particulière de l'Art hoderne.)
Les poètes qui mènent actuellement le mouvement artistique
dans le livre, l'ont voulu porter au théâtre, et pour la réalisaiion
de ces tentatives, un directeur audacieux fonda le Théâtre d'Art.
Je ne soutiendrai pas que les œuvres représenlécs l'autre jour,
mais auparavant imprimées, aient embelli, par quelque côté que
ce fiit, l'impression qu'un lecteur pouvait en avoir, et de fuit,
rien n'est plus explicable : car si le Concile féerique et Ferdinand
le Noceur constituent deux pièces de théâtre, il est clair que des
comédiens accoutumés dès leur carrière à traduire Gandillot ou
compagnie, ne pouvaient que trahir Laforgue. Aussi, combien
ont élé meurtris les vers du charmant, du tendre ironiste, et peu
senti l'éclat ductile de son rire amer!
Les Aveugles, mieux interprétés, — les n'pétitions ayant été
intelligemment dirigées par Adolphe Retlé, — ont excité les
esprits jusqu'à vaincre la ni.niscrie des gens venus là pour moquer ;
poètes et snobs y ont trouvé leur émotion, ceux-ci pour lésons
immédiat de la pièce, ceux-là pour, en sus, sa symbolique signi-
fication; et certes, il faut estimer comme rarement atteint jus-
qu'alors le mérite qui consiste àdolerlethéâtrc d'une œuvre d'art
sans essuyer les protestations des spectateurs de cafés-conccris.
Notez que malgré les idées courantes implantées par le natura-
lisme, ceux-ci ont applaudi une pièce dans laquelle la courte
observation et le petit fait, cet écucil du beau, n'existent pas, car
si la cruelle situation qui intéresse cette douzaine d'aveugles au
point de mettre leur vie dans l'incertitude du lendemain, faute
d'un œil valide pour guider leurs pas, peut être considérée comme
vraisemblable, après simple examen, des négligences, des omis-
sions apparaissent, mais voulues assurément el jugées utiles par
l'auteur dans le désir de ne point faire dévier la perspective de
son œuvre (i). La lecture qu'on fit de la pièce en présence d'un
institut d'aveugles, nous coulait naguère le Figaro, lecture qui
fit sourire ces honnêtes gens peu préparés aux émotions esthé-
tiques, est un critérium.
Non, H. Maeterlinck est parvenu i émouvoir sans s'être inutile-
ment meublé de documents, et il a fait œuvre d'art pour n'avoir
choisi dans le réel que ce qui suffisait à servir une idée supé-
rieure, et cette idée : établir si l'on veut des vallées de désolation,
d'humaine misère, les unes plus, les autres moins profondes —
les aveogles, — et motivées par l'absence de l'idéal dans la
direction de la vie, — le prêtre mort. Cet idéal perdu produit
chez les conscients, — onze aveugles, — la désespérance, chez les
inconscients, — l'aveugle folle, — une excitation douloureuse
réflexe, chez les prescients, — l'enfant qui voit el conséquem-
ment possède en virtualité l'idéal, — des pleurs, écho de la déses-
pérance ou crainte d'un devenir pareil.
Tel peut être le symbole que dégage l'œuvre admirable de
M. Maeterlinck, admirable, voire plus rare qu'un beau poème,
étant donnés les casse-cou que devant les tréteaux il faut éviter
pour y installer une belle œuvre théâtrale. L'auteur des Aveugles
a su les contourner prcstigieusemeni, ces écueils, et il est bien le
premier qui ail enfin réussi à diminuer l'art du comédien pour
grandir l'an dramatique.
Le Théodal de M. de Gourmont nous dit l'aventure d'uu
évêque repris par. sa femme en l'an 570 ; le dénoùment des cein-
tures est retardé par un long étalage d'érudition lhéologique,donl
l'auteur trouvera peut-être dans une œuvre prochaine une utili-
sation plus esthétique; les belles pages de Sixline assez posté-
rieures à Théodal suffisent à fortifier notre espoir.
La symphonie du Cantique des cantiques a été représentée à
une heure trop tardive pour avoir pu réclamer efficacement de la
part des spectateurs la présence simultanée de leurs pensée, vue,
ouïe el odorat. L'adresse de l'adaptation P.-N. Roinard n'en a
pas moins paru incontestable cl là bien atténuées les « couleurs
trop crues » que l'on reproche aux traductions Grotius, Bèze et
autres. L'épithalamo de Salomon n'a perdu, à la scène, ni le
ragoût de sa grâce idyllique ni le charme replet de ses fraîches
métaphores.
Le programme assez chargé, comme on voit, avait été inau-
guré par des récitatifs de chansons de gestes, traductions frag-
mentaires sous ce titre : La geste du Roi. Un peu terrorisé par le
jeu épileptique du premier récitant, je n'ai pu apprécier la tra-
duction de Fierabras par Camille .Mauclair; mais Bertheau grand
pied, — version Adolphe Relié, — el Roland, — version Stuart
Merril, — la première surtout, transposée dans la poétique
actuelle, et l'autre, plus adéquate, ont élé fort applaudies.
Parmi les acteurs qui embellirent cette soirée, nous citerons ;
sur la scène, M"« Georgette Camée, MM. Lugué Poe el Emile
Raymond ; dans la salle, MM. II. -G. Hels el Sainl-Pol-Roux, dit le
Magnifique. Edmond Cousturier.
(1) En voici qudques-unes : 1° Pourquoi l'inquiétude ne survient-
elle aux aveugles qu'au moment de minuit, c'est-à-dire après sept ou
liuil fleures d'afwndon ? 2° Pourquoi le tact, d'ordinaire si fin cliez eux,
les sert-il si peu? 3 " Pourquoi n'associent-ils pas leurs voir pourclamer
leur alarme? 4" Pourquoi, après de si longues heures, semble-t-il
qn'on ne s'est pas inquiété d'eux à l'hospice î etc.
LES PEINTRES HOLLANDAIS A PARIS
(Correspondance particulière de l'Art Moderne.)
Dédiées pourtant toutes à la riante Hollande où — comme en tout
pays humide, Venise, Japon, etc. — le jeu des couleurs a tant
de richesse et d'élasticité, les toiles que le Kunstclub de Rotter-
d:im exhibe jusqu'à l'année prochaine au Pavillon de la Ville de
Paris s'enténèbrent et se saurent. Laide p&te, mais badigeonnage
savant, verveux. Influence des musées.
463-165. — Trois tableautins. Leurs colorations sont de vieil
ambre, mais non pas sales, lucides plutôt; leur dispositif com-
plexe et dense reste net ; doucement ils vont s'animer d'une mère
qui lave, d'un marmot qui s'étire, d'enfants en route, de bœufs
sous le joug : figures hors de l'anecdote, réfugiées en la durée,
magnifique de style. Le numéro 163 est le délice de l'exposition.
Par leur ardeur concentrée, leur tranquille mystère, leur charme
lointain, ces œuvres établissent évidente la suprématie de Mathys
Maris.
On préférera de Jaap Maris les œuvres déjà anciennes, celles
où, dans une belle matière lapidescente, il endort des villes et des
bourgades et des lents fleuves : ce 153, Souvenir d'Amsterdam,
(des bateaux se devinent le long du quai dans la brume ram-
pante, des fumées montent, et l'harmonieuse ligue fattière s'op-
pose au firmament spicenétique et beau), et ce 162, Bords de
rivière, banlieue. Depuis, laissant là ses hautes façons à la Van
dcr Mecr de Delfl, il s'est modernisé dans le sens du" paysage
français et des paysages du troisième frère Maris : Willem.
Celui-ci, d'une énergique brosse, mouvementé un ciel lumi-
neux, hérisse des roseaux, lancéolé des graminées, lustre des
vaches. Les cacao ont disparu; des vert tendre et des lilas pal-
pitent; mais tels noirs, destructifs de toute couleur locale et
inaccessibles aux reflets, sont des taches d'encre sur un objet
d'art et point de l'ombre aux anfractuosités d'un terrain.
Cataloguons : Mauve et ses paysages vulgaires et sans-aplomb;
Hendrik-Willem Mesdag, aux ciels vert et rose en rubans de
papier peint; Jozef Israëls, avec quinze tableaux épars sur trente
années, les anciens d'une exécution calandrée, les récents en
hachures de pluie sur suie, tous d'une poésie aux artifices de
laquelle il faut opposer un cœur de roc; l'émotion qu'Albert
Neuhuys extrait de sujets analogues est certes d'un meilleur aloi.
Encore des paysagistes': Philip Ziicken, W. Roelofs, P.-J.-C. Ga-
briel, J.-H. Weissenbruch.
Breitner se particularise par la violence de ses louches, leur
lourdeur, ses à-coup de rouge et de jaune sur ensembles caligi-
ncux, le trapu de ses arrangements. Pâte savoureusemeot pétrie,
dessin concis, Velh expose une paysanne qui coud. Sur des ciels
d'un bleu nu, Zwart, volontaire, Apre et insolite, développe des
arborescences et de grands profils muraux.
Les forces, bref, de l'École hollandaise actuelle résideraient en
It's trois Maris, et ses espoirs en ces trois jeunes peintres '
Willem de Zwart, G. -H. Breitner et Jan Veth.
SOÊITES lîINIDOXJBS
dllrasme Raiiray
Ce très attachant poème symphonique qui, joué en 1882 aux
Concerts populaires, classa d'emblée son auteur parmi les com-
positeurs les plus personnels de la génération actuelle, vient de
paraître, transcrit pour piano à quatre mains, chez l'édilettr
Muraille, à Liège.
L'œuvre, qui se compose de quatre parties : I. Danse:
II. Hymne du peuple; III. Sacrifice; IV. Divertùtement et final,
forme un élégant album de 50 pages, gravé avec le plus grand
soin par M. C.-G. Boeder, à Leipzig. Il en a été tiré 96 exemplairei
de grand luxe numérotés. La réduction pour piano a été faite par
M. Victor Marehol, qui a accompli avec beaucoup d'exaclilude et
en excellent musicien ce travail délicat. Il a pris soin de noter,
autant que possible, l'instrumentation, selon un procédé qai tend
à se généraliser et qu'on ne saurait assez recommander.
Lorsque l'œuvre fut présentée au public par l'orchestre des
Concerts populaires, elle fut accueillie avec un véritable enthou-
siasme, phénomène si rare pour une composition indigène que
nous crûmes devoir le noter très spécialement.
Nous avons, à éette époque, apprécié en ces termes la partition
de M. Raway :
« C'est plutôt une succession de tableaux qu'un poème eom*
plet. Le compositeur résume le drame en quatre parties : une
danse, d'aberd calme et langoureuse, qui s'échauffe peu t peu et
se transforme en une ronde échevelée; un hy)nne dupeupU, pré-
paratoire au sacrifice, dans lequel l'auteur fait prenve d'une con-
naissance approfondie des timbres et des effets; pais le laerifice
lui-même, le morceau capital, d'une grandeur vraiment tragique,
écrit avec ampleur, sans ficelles, et qui amène le dénouement;
un diverlissemetu, terminé par un hymne, composé lur un chant
indien original.
« Ces quatre scènes révèlent un véritable tempérament musical.
L'idée est claire, exprimée sans hésitation, suffisamment intéres-
sante et toujours habillée avec élégance. A côté de certaines
gaucheries, — en très petit nombre, — il y a des habiletés de
musicien rompu au métier. C'est, croyons-nous, la première fois
qu'une œuvre de celte valeur se produit, du premier coup, sous
la plume d'un Belge » (1).
j!!1hronique judiciaire de? art?
KshlML contre Sinylis.
Les débats de celle affaire, dont nous avons rendu compte dans
notre dernier numéro, ont été clôturés mercredi. On a entendu la
plaidoirie de M' Robert, les répliques de MM** Octave Maus, Frick
et Hahn. La cause a été communiquée au Ministère public, qui
donnera son avis la semaine prochaine.
Le syndic de la fiUlUte Verdhnrt contre lea héritiers
de César Franck.
On se rappelle que, l'an dernier, à l'Eden-Théâlre, vers la fin
de sa direciion, M. Verdhuri annonça l'exécution de plusieurs des
œuvres de César Franck, le maître qui venait de mourir.
Les héritiers du composileur, après avoir donné leur autorisa-
tion à la représentation projetée, l'interdirent au dernier moment
et firent même saisir au théâtre les parties d'orchestre, prétextant
l'imperfection trop marquée de l'exécution.
Peu après, M. Verdhurt tomba en billite. Son passif était de
SS!),(K)0 francs, son actif de 38,000 francs à peine.
Le syndic de la faillite, prétendant que les héritiera avaient, par
(1) Voir fArt moderne, 1888, pa^ 84.
•» .■:^-"
leur consentement eniuiie retire, occasionné i M. Verdhurt des
frais inutiles dont ils lui devaient compte, leur demandait, en con-
séquence, 90,000 francs de dommages-intérêts.
La premièi-e chambre du tribunal lui en a accordé 1,000 à l'au-
dience d'hier.
Petite CHROf^iquE
• Vé\éftnle Qaleris Moderne constniite par M. de Saint-Cyr a
reçu la triple consécration de l'expoiition, du concert et de la
conférence, — les trois manifestations artistiques auxquelles elle
est destinée. Elle a été reconnue excellente sous tous les rapports.
La lumière, tamisée par un vélum, éclaire admirablement, sans
brutalité, les œuvres exposées. Le soir, dos sun-burners distri-
buent le jour avec égalité dans toutes les parties de la salle.
L'acoustique est exrellenie, ce qui permet aux trois cent cin-
quante auditeurs qui trouvent place dans la galerie de ne pas
perdre une note des concerts, une syllabe des conférences. C'est,
incontestablement, le meilleur local que nous possédions aciuel-
lemenl i Bruxelles pour les solennités artistiques et nous en
félicitons sincèrement celui qui l'a instauré.
Voici quelques-uns des prix d'adjudication des œuvres princi-
pales ayant fait partie de la collection de M. le vicomte du Bus de
Gisignies : L'automne de Diaz, 1Î,000 fr.mcs ; Le Verger d'Emile
Van Marcke, 19,000 francs ; Cour dhabilatimi du baron H. Leys,
9,600 francs ; La partie de dames de J.-L. Dyckmans,9,!î00 frs.;
Le protecteur de i. Stevens, 8,200 francs ; Fleuri, fruits et acces-
soire* de Robie, 8,100 francs; Le guitariste de F. Roybet,
S,500 francs; La tentation de saint Antoine de L. Gallait,
5,000 francs; Episode du sac d'Anvers du baron H. Leys,
5,000 fnncs; Jalousie de Madou, 4,900 francs; La musicienne
d'Alfred Stevens, 4,000 francs; La lettre de Fl. Willems,
3,400 francs; L'arrivée du même, 2,950 francs; Fleurs et fruits
de Robie. 2,950 francs ; Intérieur dantiquaire de Henri de Brae-
keleer, 2,900 francs; Paysage de Jules Dupré, 2,800 francs; La
conversation de Fromentin, 2,600 francs; Fleurs et accessoires
de Vollon, 2,500 franr» ; L'alchimiste de Joseph Lies, 2,500 frs.;
Plage d'Isabey, 2,200 francs; Paysage de Franz Courtens,'
2, 100 francs ; Im rixe au cabaret de Ch. DeGroux, 2,000 francs ;
L'interruption de Verlai, 2,000 francs; Femme du Directoire de
Jules Goupil. 2,000 francs; Intérieur turc de Diaz, 2,050 frs ;
Tite de femme de Van Beers, 1,950 francs; La dame aux papil-
lons d'A Ifred Stevens, 1 ,850 francs ; L'homme à l'épée du même,
4,800 francs; Le coup de iétrier de Fl. Willems, 1,700 francs;
Paysage de Corot, 1,650 francs.
Cours sipébieurs pour Dames. — 21 décembre, à 2 heures.
!!■• Chàplih : Shéridan (suite).
A 3 heures. M. H. Percameni ; Hydrographie de la Chine, les
institutions et la vie chinoise.
22 décembre, à 2 heures. M. E. Verhaeren : Vieilles écoles
de Pise, Sienne et Florence.
23 décembre, i 2 heures. M. H. Pergameni : La royauté abso-
lueen France sous Louis XV.
24 décembre, à 2 heures. M. H. Lonchay ; La littérature, Us
arU et les sciences en HoUande au X Vil' siècle.
A 3 heures. M''" J. Tordeus : Emission de la voix. Lectures.
Le Théâtre Libre donnera demain, en même temps qu'un acte
en vers de M. Marsolleau, Son petit cœur, une comédie en cinq
actes de M. Georges Ancey : La Dupe, qui n'a que quatre per-
sonnages. Le spectacle suivant du Théâtre Libre se composera
d'une pièce en un acte et de VOrtie, comédie en trois actes.
C'est samedi prochain que la Société nationale de musique
reprendra i Paris la série de ses auditions. Il y aura dix concerts,
échelonnés de quinze en quinze jours, du 26 décembre au 14 mai,
et donnés alternativement i la salle Pleyel et i la salle Erard.
L'un de ces concerts (28 février), consacré i la musique reli-
gieuse, aura lieu !i l'église Saint-Gervais. Les séances des S mars,
2 avril et 14 mai seront donnés avec orchestre et chœurs ; les
autres avec le concours du quatuor de la Foiidation Beethoven
(MM. Geloso, Tracol, Fernandez et Schnéklud).
Deux tableaux de Monticelli, récemment vendus à l'hdtel Drouot,
ont été adjugés, l'un. Offrandes à l'amour, 1,450 francs, et
l'autre, L'tle de Cythère, 1,380 francs.
M. Charles Lamoureux vient de s'assurer le concours de M. Van
Dyck pour trois concerts qui seront donnés à Paris pendant la
semaine sainte.
Une exposition d'œuvre» de Raffet s'ouvrira à Paris au mois
de mars. MM. Bodinieret Gonzague-Privat avaient pris l'initiative
de cette exposition, dont l'idée a été reprise par un comité avec
lequel ces Messieurs se sont entendus.
L'exposition promet d'être importante et fort intéressante.
La Société des Artistes indépendants prie les artistes désireux
de faire partie de la société de se faire inscrire avant le 31 décem-
bre, 31, avenue de Villiers, afin de prendre part à l'élaboration
du règlement spécial il sa huitième exposition, qui aura lieu en
mars et avril au pavillon de la Ville de Paris.
Passé ce délai, la société reste ouverte à tous, mais ne peut
garantir aux nouveaux sociétaires l'exécution du dit règlement.
C'est du 1" au 31 mai prochain, d'après la date fixée par le
Ministre de l'instruction publique et des beaux-arts de France,
qu'aura lieu, dans la grande salle du premier étage de l'Ecole des
beaux-arts, l'exposition de l'œuvre de Meissonier.
Une grande exposition internationale consacrée aux Arts de
la femme aura lieu, au Palais de l'induslrie (Champs-Elysées),
pendant les mois d'août, de septembre, d'octobre et de novembre
prochains.
Tout ce qui, dans les industries d'art, est exécuté par et pour
la femme, tout ce qui, dans sa vie intime et dans sa vie extérieure,
lui sert de cadre, d'ornement et de parure, toul/ce qui lui permei
de gagner sa vie ou d'uiilise^ ses loisirs ironvên là sa place, dans
trois groupes généraux dénommés beaux-arts, enseignement,
industrie.
Cette exposition est organisée par l'Union centrale des .4r/.?
décoratifs.
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informations et les soins donnés à sa rédaction une place prépondérante. Aucune manifestation de l'Art ne
lui est étrangère : il s'occupe de littérature, de peinture, de soulpture, de grravui^t de maslque,
d'architecture, etc. Consacré principalement au mouvement artistique belge, il renseigne néanmoins ses
lecteurs sur toUS les événements artistiques de l'étranger qu'il importe de connaître.
Chaque numéro do L'ART MODERNE s'ouvre par une étude approfondie sur une question artistique
ou littéraire dont l'événement de la semaine fournit l'actuallté. Les expositions, les livres nouveaux, les
premières représentations d'œuvres dramatiques ou musicales, les conférences littéraires, les concerts, les
ventes dobjets d'art, font tous les dimanches l'objet de chroniques détaillées.
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L'ART MODERNE
PARAISSANT LB DIMANCHE
REVDE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Comité de rédaction i Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile YERHAEREN
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Adresser toutes les communications d
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^OMMAIRE
NoTB SUR LES Primitifs itaubns. Oentile da Fabriano (Suite). —
Constantin Mkunibr. — Audition au Conservatoire. — Pafner a
l'œuvbi. — A LA Maison du peuple. — Petite chronique. — Table
DES MATIÈRES. ^
Notes sur les Primitife Mens
III
GENTILE DA FABRIANO (i)
L'œuvre est ordonnancée comme un poème. La partie
supérieure du cadre est divisée en trois arcades surmon-
tées de pignons gothiques dont les fleurons ajourés
entourent trois médaillons. Au centre la figure majes-
tueuse du Père, le Principe auguste ; dans celui de
gauche, l'ange de l'Annonciation ; dans celui de droite,
la Vierge inclinée et confuse. A ces divisions du cadre
correspondent, en la prédelle, trois petits panneaux
représentant la Nativité, la Fuite en Egypte et la Pré-
sentation au temple (ce dernier, par un sacrilège
imbécile, a été enlevé pour le Louvre). C'est donc toute
la_légende de la Divine Naissance célébrée comme en
(1) Suite ; Toir notre dernier numéro. Voir aussi n" 47 (Giotto)
.et 49 (Masolino da Paaicale.)
un cantique dans ses traits essentiels et glorifiée dans
son épisode le plus éclatant :
On les aperçoit d'abord dans le lointain, les trois rois
mages aux longues et lourdes robes d'or, observant sur
une haute roche, dressée au bord de la mer, le ciel
enflammé où scintille l'Étoile. Dès qu'ils l'ont reconnue,
ils ordonnent de seller les chevaux et de quitter la ville
blanche aux murs crénelés, la mer bleue où dansent les
navires frêles.
Et par les pays inconnus, par les plaines et les ravins,
parles chemins escarpés des montagnes, se poursuit
dans la gloire des aurores et la pourpre des couchants,
leur triomphal voyage.
Les voici encore, l'adolescent, l'homme et le vieillard,
tous trois auréolés d'or, chevauchant côte à côte, pré-
cédés et suivis d'une cavalcade magnifique qui serpente
dans la montagne et disparait au gré des sinuosités du
chemin. Longeant des cultures et des broussailles, ils
montent vers un château fort, vers une ville hérissée de
tours et de créneaux dont la porte s'ouvre là-bas,
blanche sur l'horizon d'or. Près d'eux un écuyer jeune
et svelte, pique sur l'épaule et cor à la ceinture, se hâte,
tenant en laisse un grand lévrier gris prêt à bondir à la
poursuite d'un daim disparaissant dans le fourré. Tous
leurs autres compagnons promènent sur de nobles et
fiers chevaux l'opulence de leurs costumes de brocart
lamé d'or et de velours lourd. Les uns tiennent au poing
412
L'A/îr iiODERNE
des faucons pour la chasse, dantres emmènent en
croupe des guépards menaçants. Ils vont lentement, an
pas, devisant du voyage et de l'arrivée prochaine; on
cheval blanc dmit on veut modérer l'impatience se cabre
à demi pour franchir un tronc d'arbre abattu au trav««
du chemin.
On les revoit encore, très lointains, silhouettés sur
l'embrasement d'un soir rouge et or entrer, par le pont-
levis abaissé, en un cAstel aux murailles crénelées. L'at-
liiude résolue du premier cheval est superbe, otHttrae
d'ailleurs tous les détails de cette chevauchée âtstaeuse
si étonnante de mouvement, de vérité et de vie.
Ces trois épisodes occupent le haut du tableau; sans
en être séparés, ils sont traités en dimensions réduites,
comme des détails lointains Mais quels bijoux! quelle
exécution d'irréprochable finesse! quelle ampleur dans
ces quasi-vignettes ! quelle harmonie de lignes fières et
de couleurs opulentes!
Les voici enfin arrivés devant le souverain qu'annon-
cèrent les étoiles L'astre conducteur s'est arrêté au-
dessus d'une chaumière misérable, aux murs en ruine,
adossée à un rocher dont une cavité sert d'étable ; k
l'approche des voyageurs un bœuf roux aux gros yeux
placides a poussé la tête au-dessus de son auge et un
âne giis dresse les oreilles avec inquiétude.
Devant la porte de la masure, la 'Viei^ est assise,
enveloppée d'un roant^^au bleu dont sa main ganche
rassemble les plis sur sa poitrine chastement, nimbée
d'or; sa tète aux traits réguliers et purs est du type
classique des vierges de Giotto. A côté d'elle, le nimbe
aussi autour de son front chauve et de ses cheveux gris,
se tient debout, grave et pensif, saint Joseph en pauvres
vêlements jaunâtres; par sa barbe blanche et ses traits
ridi's. par son attitude vénérante, il est bieji le père
nourricier de la légende, le protecteur et non l'époux
de la Vierge, le serviteur dévoué du Bambino. Derrière
Marie, sur le seuil de la maison, deux femmes du
peuple, amies on servantes, se montrent la boîte d'or
que vient d'offrir le vieux roi mage.
Car le premier, il s'est incliné devant l'enûmt radieux
que la Madone retient de la main droite assis sur ses
genoux ; le premier, son chef creusé de rides et dénudé,
la neige de ses cheveux et sa longue barbe d'ancêtre lui
donnaient cet honneur, le premier, il a agenouillé
sa puissance, l'ancien savoir et l'opulence de ses habits
royaux devant l'innocence d'un pauvre petit en&nt
nu ri s'est complètement prosterné, les mains appuvées
vers le sol, et relève vers le Nouveau Né son visage
basané ; ses vieilles lèvres baisent respectnensement le
petit pied du bambin dont un sourire bienveillant éclaire
la figure Toode, intelligente déjà, et qui pose sa menotte
potelée sur la tête du vieillard en un geste ot il y a à ht
fois rinconscience des caresses eSlfantiDes et la bénédic-
tion d'nn Dieu.
Et s'incline i son toor, adorant, le second roi mage,
demi-ooarbé et on genou en terre, vAtu d'une/ robe de
brocart splendide ob, sur un fond noir. s'AUlent des
fleurs et des pesants fruits d'or, analogoes aux char-
dons héraldiques, comme on en vmt dans les étt^fes
moresqa«^ et les cuirs esp^nols. Il s'apprête à «nlerer
aussi sa couronne de dessus sa coiffure bizarre, faite de
plumes blanches et couleur de feu, e( de l'antre main
il présente un calice d'or, préciensemoit orfêvrë, ren-
fermant la myrrhe symbolique.
Le troisième présent, l'encens, est apporté par le
plus jeune des trois rois. Le premier est déjà couvert
des n«ges de l'hiver; le second est encore dans le
vigoureux été de la vie humaine ; ceinici en inaugure
le printemps II se ûeni debout, candide et modeste,
attendant que vienne le moment d'offrir anss son hom-
mase. Merveilleux, ^louissant. avec son doux visage
imberbe de femme et son extravagante parure d'or pile,
il est beau comme une (HÏncesse et gradenx comme
un page. Sur ses cheveux blonds s'enroule un tarban de
perles et de fleurs surmonte d'une couronne d'or. Sa
tunique brodée d'or, bordée d'or, d'une richesse de fêerie,
enserre sa taille fine et redesoend jusqu'aux genoux,
ciselée comme un bijou, de feuillages eî d'arabesques.
Un collant gris perie moule des jambes minces près
desquelles un jeune écuyer s'est baissé pour enlever les
éperons d'or. Le fier cheval blanc dont il TÎeot de
descendre et dont les gourmettes, les brides, les étriors
et le nx>rs paai incrustés d'or, est d«Tièf« lui. pia&nt,
gardé par/tm second page anqud il a remis aosd son
épée au pommeau d'or.
Ce mage resplendissant et doux marque le centre de
Tonavre et l'illumine tout «iti^t«. D est la Jeunesse,
l'espoir, le radieux avenir. D est invraisemblable et
charmant ainsi qu'un personnage de légende, ainsi
qu'un fabuleux héros de conte «iental. D évoque les
chevaliers de por^ et de salut, Lohengrin et Parsi&l
et, oomnoe eux, &it surgir en nous-mêmes de longues
songeries aux pays des diimères, des sentimoits indé-
finissaUes, d'ine&bles harmonies.
Un sens esthétique très daîrvt^ant a distriboé la
composition autour de ceste figure centrale. Devant le
jeune mage, à sa droite, o^t»; scène de C Adoration que
je viens de dire, calme, émue, simple et silencieBse; de
Tantre c&tè, derrière lui, la fonle pressée, bruyante,
versioolore des s^gneurs de Fescorte. Deux on ixms,
sont descendus de cheval, entre antres ToiseleDr qui
portait au poing un £uM3on. Mais la plupart y sont
encore et s'approdtent ; ils arrivent Dorabreax ,
remuants, causeurs, s'eotassant, sous fat poussée de
ceux qui suivent, derrière les chevaux dont Tîensrat de
descendre les rois et que des éooyers retàeuieBt. Cela
fait comme un fleuve vivant de tètes dlicaraes et d'ani-
maux; tètes de chevaux beaoisamte et fringants.
9ï^'^SwWW'''^yWV^-'' '■'■'■
L'ART MODERNE
413
aaoooant leurs mon dorés; têtes d'Asiatiques à la peau
sombre et aux dents blanches, et d'Aryens à la face
pâle, tendre et rèTeose, sous d'étourdissantes coiffures
de plames et de velours, sous des couronnes, des cha-
perons et des turbans; têtes de guépards prêts à
mordre; et sur un grand chameau, deux singes roux et
gris. Beaucoup de ceux qui processionnent ainsi avec
magnifioenoe n'ont point encore vu l'humbie demeure
sacrée; ils bavardait, rient, s'occupent de leurs che-
vaux; quelques-uns s'amusent à suivre des yeux deux
colombes qui viennait se becqueter au-dessus de la
cavalcade principe...
Jules Dbsixke.
Conutantln Mennier.
L'exposition de ConsUolin Meunier est iocoatesublemeni le
succès le plas décisif qu'un grand artiste ait obleaa chez nous
depuis longtemps. Artistes et critiques sont aDanimes i l'écrire et
i le proclamer.
Dans une confétnce organisée par la Section d'an de li Mai-
(on éM PenfU, l'an de nous a montré la signification profondé-
ment haraaine et sociale de cet art nouveau et iDédit.
Au point de vue artiste, l'oeuvre de Meunier est la preuve neUe
qiK, ponr ioal grand sculpteur, la vie moderne, tout autant que
ndéal grec, peut men«' an style, an caractère el i la beauté. La
vie, % qui la sarprend d'an «eil émerveilié et si^^K, est esibé-
liqae paitont, qu'elle soit celle des champs, celle des ateliers ou
celle de la mine. Meunier l'a |diée k ron émotion et i sa vision
spéciales : des cbefs-d'oesvre en sont le résultai.
Voici quelques remarques coocloanles et résomantes k cet
^ard qn^ pnbiiées la \ttioH :
m Son art est réaliste. Cesi i ce souci qa'il doit de produire ses
perB0nnag«5 dans leur vérité de mouvemenl, dans leurs habitudes
de nuo'cbe H d*immotnlité, dans leurs déformations exactes et
sorapnleusemeot observées. Ce sont des mains de travailleurs,
TOiU pourqnoi elles sont grandes : ce sont des attitudes d'abat-
teurs et de boucbers, voiU pourquoi les pieds sout lonroés en
dedans; ce sMit des ir^tneurs de charrue, voilà pourquoi les dos
mo—m enta»» Mot tesdos et comme hors de proportion nor-
male. Le mssde, Pos, b chair «ou des modelés spéciaux.
« Cette vérité d'allure et d'habitude. Meunier la grandit par la
belle ooaoeptioa qui! possède des lignes et non pas 1 la manière
académiqoe, qui conduit au poncif et 1 la banalité, mais à la
manière, j'oserais dire <jasnqae, dans le sens brge et moderne
de ce mot. n en rérulle noe n^desse nouvelle, un peu fruste,
et quelquefois de Tâ^^nre. Oui, de l'élégaDce. Sa slaluelte du
Scmflair de varrt est inoontetEtablement telle. Encore, en pein-
lare, ses filleiies en oostnme l^nc, le mouchoir noué amour de
b léie. Lears corps sont svelies, jeunes, lancés.
> Ca anue soad qu'il ne sacrifie jamais, c'est de traiter les
c^ofies d'ettsenble et ponr ainsi dire de bloc. Le détail, il œ s'y
aantse guère, il k sacrifie. U ne lait point la main ponr qu'elle
soit «ne mais bien veoae. mais uniquement parce qu'il sculpte
oa corps auquel appartioil une main. Il envisage l'homme
entier, avant d'eu préciser les moroeaui; il l'exprinoe en sa
■aa»e, fortemem.
« Voib pour ses qualités, j'oserais dire manuelles et visuelles;
quant 1 ce qui fait le fond de son art et sa force humaine, c'est
au deli de tout métier, de toute science, de toute hatiileié, la
puissante émotion qu il émet. Il est relui qui sent profond et
triste, celui qui est allé vers les plus rudes et les pins pitoyables
d'entre les opprimés modernes, pour donner >i leur ime uu cri
dans l'art de son l^mps.
« El les voici ceui de la GlAe, sous le ciel lourd df pluie el
d'autonme, si étonnamment ployés et courbés, si à tout jamais
les serfs et les bétes de somme ; le voici le pauvre Vieux dtnial
des mines, usé par le fouet, bosselé de coups, carcasse d'os,
qu'on ne remontera, un jour, vers le soleil^ que pour élre abattu;
le voici ce groupe d'un drame si simple, d'une mère relrouvaiil
son fils brûle dans la fosse et, dans son attitude contenue, dauts
ca maternité silencieuse, sans bras jetés vers le ciel, eiprimanl
toute la douleur populaire. Enfin, le voici, lui, le Ctirist, l'bomroe-
Dieu, plus homme, certes, aux yeur de l'artiste que l>ieu, dont le
corps tout en souffrance, la léte tout en épines, les pieds rappro-
chés par la crainte el la tristesse, le ventre éreinlé. \e> épaules
cassées de tourments, la poitrine morte, personnifient toute la
détresse humaine immortel lement. Cest en cette figure que non
seulement l'art de CoDslaniin Meunier, mais sa vie d'âme sont
inclus, et je ne sache que les très grands, qui aient pu ramas^r
leur passion et leur peine en une oeuvre aussi complète et aussi
éloquente. Pour résumer donc notre jugement sur Constantin
Meunier, nous dirions volontiers qu'il est, en un métier à lui, le
sculpteur et le peintre de la souffrance démocratique, plus encre
qu'humaine, et, certes, plus que le peintre de la souffranci'
idéale. »
AUDITION Ar^ CONSERVATOIRE
Outre l'habituelle exliibition des petits el grands prodiges de
la Maison (parmi lesquels M""' Blés, une mignonne violonisie à
qui l'on a fait un succès considérable), le Conscr\atoire a offert
i ses fidèles le régal d'une œuvre inédite, une Eicgie de M. Pai.l
Gilson, que le public n'a point comprise el qui n'en est pas
moins une composition fort remarquable, k laquelle on ne tardera
pas i rendre justice. Construite sur un tbème uuique, cette
£l/gU se développe en quatre parties ; Mélancolie, Aupiralicv,
LutU, Apaitemcnt, soudées Tune i l'autre, et si ingénieusement
réunies qu'on passe insCMsiblenrH'nt de l'une il l'autre, taudis que le
motif conducteur revêt lecaracléreet l'instrumenlalion adéquates
au sentiment exprimé. Pas un trou, pas une bés-ilalion en cette
trame serrée el fournie, d'une polyphonie complexe et néanmoins
très claire. Lue originalité assez curieuse; les trois premières
parties sont exclusivement écrites pour les arcbets. Dans le mor-
ceau final apparaissent d'abord la batterie, puis les cuivres, puis
toute l'harmonie, et l'effet ainsi obtenu est 1res inaitendu. Peut-
être y a-t-il, en celle dernière partie, une suppri'ssiou 'à faire : la
reprise textuelle d'un dévelop()emenl présente antérieurement
allonge inutilement la partition. C'est la seule critique que
nous ayons li formuler au sujet de cette composition très distin-
guée de M. GilsMi. qui décidément prend rang parmi les meil-
leurs symphonistes de l'époque.
La snperbe cantate de i.-S. Bacb pour la fête rie la Pentecôte,
avec ses éclatantes sonneries de trompettes suraiguës dominant
le tiumilte des choeurs et le déchaînement de l'orchestre, a clôturé
."'"aj^jeJT^
414
L'ART MODERNE
paf une nctlc impression d'an celle audilion panachée d'œuvres
iniércssantes el de banalilés. Elle a été, sous le bâion directorial
de M. Wamols, exécult'c avec ensemble el avec enthousiasme.
FAFNER A L'ŒUVRE
M. Gustave Fr(?d(*rix, reconnaissant enfin sa vérilablc vocation,
osi allé confiVencier en province, à la Société générale des Etu-
diants de Gand.
Il a parlé de Victor Hugo et des Châtiments, qu'il doit bien
connaître maintenant.
Ce qu'il a dit de Vicior Hugo ne nous intéresse guère, mais, dil
la Nation, M. Krédérix a tenté un déshabillage complet des
adeptes de la jeune école.
« .AujourJ'IiuI, dit M. Frédérix, le talent consiste à être aussi
obscur que possible; plus l'œuvre est incompréhensible, plusclle
est bcllc! on s'exprime par phrases courlesi, par monosyllabes;
le leeleur n'a qu'à deviner le reste. »
11 est impossible d'amonceler plus d'àneries. On s'exprime par
monosyllabes, hein? quoi? — Toute celte logomachie de vieux
pion vise la Princesse Maleine, couronnée par M. Frédérix lui-
même. 1.0 juré otlicit 1 avoue qu'il n'a pas compris l'œuvre déférée
!l sa jugi'Oiic. Nous l'avions loujoursdit.il y a beaucoup d'œuvres
inoouipréliensibles pour M. Frédérix.
Mais ee qui esl plus incompréhensible encore, c'est sa conduite.
Non eonieni de lancer des insultes, dans un rapport officiel, à
l'œuvre qu'il couronne, M. Frédérix se fait le Pierre l'Ermite
d'une croisade conire la Princesse Maleine. Il va à Gand même
éreiuler son auieur, la popularité dont il jouit dans la jeunesse
des écoles de Bruxelles l'empêchant d'expectorer ses rancunes
dans la capitale.
Nous signalons ce fait i M. le Ministre des Beaux-Arts. Il im-
porto qu'à l'avenir on nous donne des jurés plus sérieux et moins
folSires. Ce ne sont pas des vieilles girouettes qu'il nous faut,
qui tournenl au vent de leurs colères et des éreiniemenis qu'elles
aliiapeni, ou de vieux plaisants qui, après avoir décerné des prix
à une œuvre, rhi relient à l'élr.ingler en un coin de province.
Non! mille fois non! Qu'on nous prés.'nte des gens sincères el
compélenis el qu'on remise les giroueltesdans quelque musée de
vieille ferraille.
M. Fiédérix a affirmé, au cours de sa eonférence, donl les
jouriaux ganlois ont très peu parlé, d'ailleurs, que toute école
nouvel e (loii l'Ire en bulle aux persécutions. Les Torquemada
fourbus el ércinlés de la Jeune Belgique savent cela mieux que
personne, el il esl drt>!e de les voir avouer, sur le lard, leurs
peiiies manies persécutrices.
A LA MAISON DU PEUPLE
Soirée exrellenle et qui a démontré, cette fois, péremploire-
meni, qu'en somme le meilleur public que puissent avoir ceux
doni l'art esl fort, fier el ardent, c esl le public de la Maison du
Peuple.
On (lisait : Le peuple, il ne comprendra point, il ne répondra
que p;ir l'absenre aux soirées que vous allez lui offrir; il sera
inapl.- à saisir — i moins que vous ne fassiez des conférences et
di's le lures pour eiifanis — la moindre inieniion et la plus
élenienlain' émotion que vous mettez, vous autres, écrivains el
poéiis, d.ins vos papes.
Aujourd'hui, il n'est plus possible d'affirmer un tel mauvais
présage. L'épreuve de mardi dernier a élé concluante. Le public
tout entier a été très attentif et 1res compréhensif k la conférence
très littéraire, mais aussi très vigoureuse et fière de Georges
Eekhoud. Le mouvement de la Jeune Belgique y a été analysé
dans ses poètes el ses prosateurs. On a lu des vers d'Iwan Gilkia,
d'Albert Giraud, qui ont été soulignés d'adhésions et d'applaudia-
semenls prompts et intelligents. On a salué les noms de De
Coster, de Van Hasscll, de Pirmez, de Hannoo, de toute la Jeune
Belgique et de la Société nouvelle. Cl cela, tout en sachant les
opinions que tels el tels professent. On n'a pas fait de distinction
entre poètes aristocratiques ou plébéiens, on a acclamé l'effort
total, le travail entier de dix années et le triomphe qu'on sent
approcher. Les vieilles pantoufles de la critique, les grincheux de
l'article huile et vinaigre ont été exécutés en passant.
Georges EcLlioud a triomphalement lu les jugements de Baude-
laire sur la Belgique, el dans ce milieu-là pas un nooi rouge ou
plutôt blanc de haine n'a élé mal appuyé sur l'épaule de ceux
qu'il éiail destiné à flétrir.
Il y a eu après celte ardente et belle causerie diverses lectures
entreprises par Jules Désirée, Van der Velde, Emile Verhaeren,
Georges Eekhoud, Edmond Picard. Tout cela a porté droit.
Une Marseillaise chantée a clôturé la soirée, à laquelle assis-
taient les étudiants socialistes étrangers.
Petite CHROf^iquz
Le deuxième concert populaire esl, comme nous l'avons
annoncé, fixé au 10 janvier. On v entendra M"« Rose Sucher,
du Théâtre de Bayreuih, dans la Stofl d'/teult, l'air d'Elisabeth
du deuxième acte de Tannkàuser el le Rêve, étude pour Tristan
et Iteuli.
L'orchestre exécutera la Première symphonie de Schumann
{si bém.), les Murmures de la forêt de Siegfried el la Kaiur-
marsch.
M. G. Lilla donnera le 43 janvier, i 8 heures el demie, dans
les Salons de la Maison Erard, un Piano-recilal comprenant un
choix d'œuvres anciennes el modernes. Des billets d'entrée, au
prix de 5 francs, sont en vente chez MM. Breilkopf et HSrtel,
édiieurs. Montagne de la Cour, 45.
L'exposition du Voom'aarts s'ouvrira, au Musée, le mercredi
6 janvier.
Sous ce titre : Illustrateurs et caricaturistes, le peintre Georges
Lemmen prépare une élude qui paraîtra prochainement dans
l'Art moderne et qui sera consacrée à J.-L. Forain, Ch. Keene,
ObcHïnder, \1. Krane, etc.
On nous écrit de Tournai :
Samedi dernier, 19 décembre, concert i la Société de mutique
de Tournai. Public nombreux el, comme toujours, franc succès.
Pour la première fois en Belgique, on y a donné Blanche
neige et Rose rouge de Cari Reinecke. Cette œuvre, rappelant le
faire de Schumann, a beaucoup plu par son charme tout poéti-
que ; on a vivement applaudi les solistes. M"** Poispoel, Ason et
Darby, ainsi que M. Maurice Chômé, que l'on avait chargé de la
déclamation. Quant aux chœurs, ils ont élé réellement superbes.
Le programme comportait en outre le Oiaeur des chameliers,
extrait de Rébecca, du regretté César Franck, le n* 5 du Requiem
de Brahms, et Pandore, scène lyrique de G. Piemé. De plus,
on a eu la bonne fortune d'entendre un excellent violoniste,
M. Lilien, dans la Légende el le 9* Concerto en ré mineur de
Wieniawski, ainsi que la Ballade et Polonaise de Vienxtemps.
Cet artiste, professeur à l'Académie de musique de Tournai, joue
avec un sentiment et une délicatesse des plus rares. Aussi a-l-il
vivement impressionné son public, qui loi a fait une chaleureuse
ovation.
Le Festival Peler Benoii est- définitivement fixé au S4 janvier
prochain. Comme les fois précédentes, la Société de musique
s'est assuré le concours de MM. les professeurs du Conservatoire
de Bruxelles, ainsi que d'nne partie de l'orcbeslre des Concerts
populaires.
TABLE DES MATIERES
CONTENUES DANS LA ONZIÈME ANNÉE (1891) DE LART MODERNE
ÉTUDKS ET PORTRAITS
Dix ans de CRiriQUE a l'ata!(t-garde (Camille Lemoxnier) 1
L'Evolution de la Langue (Eugène Robert) ... <i
La Peinture (Edmond Picard) 3
La Poésie (Emile Verhaereh) 4
La Musique (Octave Maus) 6
La Sculpinrc (Edmond Picard) 7
Le Théâtre (Victor Armolld) 7
L'Art et le Socialisme 275
Eloquence catbolico-socialisie. — Le comte deNun 163
Pornographie 296
Artan — Boclenger — Dubois Ô3
Walter Crâne (G. Lkmmen) 67, 83
Oberi^nder. Albums et dessins (G. Kahn) .... 43
G. Secrat (G. Kahn) 107
La Musique en Belgique 115
Siegfned 19
Le Rive. 363
Le Théâtre Libre à Bruxelles 75
Ernesto Rossi 131
Lettre ouverte i propos des représentations de Rossi
(Haulletille) 147
A propns de Shylock (G. KuiTi) 155
La Parabole dt-s mauvais semeurs (Léon Bloy) ... 46
Au Musée des tableaux anciens 195
Les Marchands hors du temple 211
La démission de la Direction et de la Commission des
Beaux-Arts 227
A ures habenl et non audUint 235
An pied du mur 339
Une enquête qui s'impose 348
Musées eo plein air 213
Do musée de copies 243
Le Quentin Met^ys du Mu<ée de Bruxelles 283
Le Van der Mrer de Brunswirk 315
Xoti-s sur les primitifs ilatien* ii. \itsnis.) :
l. GlOTTO 371
Q. Masouno da Pa.iicale 387
in. CEiTTILE DA FaBRU!IO 4fj3. 411
A vao b mer ï5l, 2-19, 'M't'i
La dorsale hmbonr|!<>oi«e. . 299
Une librairie belge i Paris iC. Demolder; 331
La Biblioib^oe rovale 355
Le mi iovraisembUble 291
Une kçoii ménlée 'MA
Les ■ Talents naissants » de M . Gusuve Frédérix (Camille
Lem055ier> 323
A propos des Sept priticeues 379
La cakitni André Watler 203
CoBtuiaiiODS 395
RHeiendDm anisiiqne Il
Ceobces Eexhoc». — Les f*\HUs de MaUne$ ... 91
Jrus LAro««rc. — Dernier* ter$ 27
Gnmea RoacnAOï. — Le régne dm silence .... 139
Fernand Severin. — L«rfo« £f«H/fln« 59
Emu.* Zola. — L'argent 123
PEINTURE
I.A QUESTION DES MUSÉES. — Au Mutée des tableaux
anciens 195
Les Narrhands hors du temple 211
Toujours il propos des tableaux anciens 213
La démission de la Direction et de la Commission
des Beaux-Arts 227
Auret habenl et non audiunl 235
Gaspillages 237
Un musée de copies 243
A propos d'un musée de copies 327
l.es gardiens du sérail de la place du Musée . . . 245
Les tableaux qui ne comptent pas 246
Une fleur administrative »
Le Rembrandt du Mutée S* 237
Quelques appréciations de M. A. Brédius sur le Musée. 255
'.'ne fresque qui n'existe pas 2ft9
Un achat bizarre »
Le Quentin M< tsy» du Musé»- de Bruxelles .... 2*3
Dé<Jié il noire C'>minis«ion du Nu*ée 321
Quelques fliclies au Nuitée 324
Au pied du mur 339
Une enqut'te qui s'impose 348
Plus fort que l'enfant de Bruges 351
Au Mu«^ moderne n
Constatation 34î<l
Trois nouvelles acquisitions 368
1^ nouveau direcleor de» Beaux-Arîs 373
Une inter|>ellalir>n ï la Chambre 375
TabU.-aux gothiques avec p'fintur'-s «nr les revers de»
voU-t» 190
Correspondance» . 20.*;, 206, 212, 213, 224, 228. 237. 279
320, i34, 351, 368, 383, 3M
Une lettre de M. P,uU 244
Beaiiroup de brijji pc/ur une lettre 254
U leur- d- M. Buis 269
Une no»J^e;le lettre de M. Bofs 383
R'-fer< ndom ani-iique »ur liquarelle 11
Affi'beinll.inrées 3<f2
SialKm^ d'article», — G«Tjck 309
TU-orie d'-»r./o-!utiiiuirive* 'Aij-H'/S^t GEJtiiAl»/ . .221,2:59
Iji i-<.al('ur an ih<:-.ilre <F*lMic Dt-s Ls«AKT»> .... 207
l>-» .Aca/lémi'-s 199
Feu l./.ai» Galliit 310
Paul Gaufniin '(k.tave NitHAt' VI
\ Me!lery 'G. LumD/ ii
NoDtitelli 126
Vid<r«iit V»n (,<tf\i i\. Aniai 5tl6
Tue "voigoée d<? vénié» 'MM. S;iDf»t>eTeT et BoH â b
aamhn, ' 165
L'ens^igoemenl d»» an.» indttfifrt» fdtuMmr» d*
M. ilitgene^er/ 18^
^?«p^
4l«
TABLE DES MATIÈRES
Ls Dnlkwtiini df Buisseno (Ënacw lllaHaimK.i)
Lï tmlteMimi du Duf de iCtHtpnm
Lmu)v>r ii/Uiiprufiiàf àr F. &itp^ jiar E. Itemirii .
LmiOTi Uitiiipvnjiiaguf f'Ùdiiim BnâaiL, jar Jiiitef
ih^Klrnc _' _ ..
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i>i<ièlbMir»el IsinrùiiifucwiiiiBraKBr. 9Bt
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ld. Wi. Snrw dfair») ..... ...... Mf
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Le lumuunHuC Cmnhot à âiVAwfJBt . . .
lif nimiimifliil 'd^JL^dinnw bmr
Ld imœ en Xiiriàietni 'Ar ttiAnii . . .
S)''(inriitirai lân juntudl >Af lU OtopE^fe par C
^dUillKlK. — ■..-S.-A.. (&ipB . . .
L'iiPRbîHcaiT? BE Cminrain i&nAïuftunlie
LVlihil miimiinujQ Ar Su-JiwBe
HjçHi ma ariâiiM«!tf«. ...... .
Lev jtpniitutni» ai Cansali f""™"""*^' .
i.:t Iktôsam 'Au ftni .
EvfinaUlnil 'de Snhiiei4wi& .
Lf 'onDrmun- <du m&i ifitomnignr ...
Lis puim* •Ar f^iNcaiitic . . . .
Lfî« (A^mwdHLioDf 'Af» Jliifjbm mn E{^ir . .
b«iKinAi)(tr jfRiKiTatc 'A<' tlt Sai idic ifumvi^ùipit
Fftdtimtaiii ardlwfdnpifiif .........
L<^ ihiuilk» 'Ai 'cmHtiiiègir Smnr iCAoïAnrikvitll .
EimiiTOi CiursKBL iàscr 4 vm Ihmargiiaà. siar iTiumdUiltBithm
i'tiu &kinniEwm. — lit lomannuatiaB làa maimmmat
tm Bdiffifur .............
143
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TABLE DES MATIÈRES
417
UTTtKATim
kmès iC. Kabi^
Taiaaf
Cap IrtlJi» ^ T«ilb<oi
Lr t«rt JAfr^ oralbinFanF de M. Ccsiau Kais m XX.
yitemjL Inivf irt lufliililre* nrlisirva
Kkratosm «Tua bilriiMif)liii!le '^LMêMlx^ lkiaEBci>) . .
IblifaAie sur rêtoliilîea llciikârûiir (Eaa«i* Rkuwi)
M.
II.
•IfjUMXMS. WKsm.xi\ .
ftofêtat
faMernéw (Ar 9 . Ilwkt Cku».
M. S. WjLEnximoK ...
M. ■> FkiaiMiK «4 rwm»
CfSTin: lu.. — L^' iutiemr ée l* ftniu
U. — Le iUilHair et ie ptnunéc
jEkx AiuJBXT. — Ffmwta et jmjfnogf*
L'jUME Snr. Ruj». — SmaemAt-^ix mmt
ttmUnm^Hmvmt . _ . .
f I— Il Pewe(T. — La 'giramie wuoite em a mm. ie
J S Bodk
■. BïrFEM«- — Ifi: Rmnn* em AtM
Cnuuc» %*\i~. — DiwiiuMe rs Sciinn . - ^ . . .
■bctok CjlkDim. — Lémr iatliimef
EkiKFT djmtm* . — Smn^iini
Euusx IM iCM^n:. — Av Ceanoime
Lmk De LarnE- — Cm'fes ■ér nufc tvUagt ....
CiMBXJC liEUVK.. — Ln umimnimt
MjiPMg: >* miiin- — VméeS'a^tnr
iax» tUfsenss. — L'^man'im ihtUigmfltapkt tfMMim
BUééiB
Emcma Incusan;. — Le. ainuêtie 4t* lanamin .
U-. AaMnita ....
Alhxt ItnrBï. — Ls ym-M ^lU iam ftii-j ....
CewcEf Euixnai. — Li* futaU» 'dr Miubma .
J.-F- Ei»»ji'»«««.. — Biujie iHtvrmelie
Eml LTonsKl.. — Le vmguonaùt iatrt fAîie-
mitkfritr
flBMtWKR» FtfOK.. — Xatnefir ...,,.
■enkt FkiitfrEZ — Ln aài^Ai» àe Etiat- i'^aMim.
(m %. Fiii« <itS(<rt»iuB — Lo hiiiiifmt imiiifiitaDe . .
k. FtsKaïf:. — Ktw.'tput nifii-saiai* t^ur Tien ikioiirmiaij
ta mm immie liitathoffitemteait
|JL C)»*-!) — Liif iicHuwf fAniinf M'itâjuv ....
Aumr •&KJIIBI — Ln imuttri» ifHia
Je«S £iHKi>>£.. — La wnnmuén» .ér TtOeynaai .
Jmv 1âaL*s»4LêK.vsMKt. — Ortfsabataumick tl it Tnfik
AËitouoc . . ....
%. Cmiocî — Pivma j!f!/i4iKisàinn l.twnoumU . . .
)L. fc*-»)!. — Linat Goilliml.
J. hmm£ »» CiNM.. — fréiiuia ....
âltc. JK»i»ii!T. — Lif Jœiténwr. ...
Ccsitkvc. Il*k* — ^ %umaimtf ffiiafumtil . . .
E* fcuwtui. — Hamnjj S/temlkjj ......
■iBîKS li£.»in.F.. — Li^ liiat* fmiormu
!.. lûtmn»..»!!» — iÏMinJ'i-îié . .....
L, t. — Cin,ili:,u &nêtoeé.S. JE Làifn/U IJ . .
PjiSiL Ij««>MSM.. — Jirnoiia: jklk» .....
J. VtPWnWÊ. — Bt'-mixnv vtT* .....
Lmkih.. — la 11U di KiiUiige 'itriLt UHit lU» jiBigt .
KiiL^Miai LkUKU. — L» ifvmti'ie ifaexx ....
Câan&a. Lomimoek. A tttm» i Nnw» — Cm
Cfca&iix iLoMi*>iB«.. — JiMipitix fttiliimita.
E. IcMLiV- — r-T'oéMAi* ,1k U Béte <(IL %1I» .
Imtmevt — Litr^it^-mx muMàOiir .....
LM* LiHCir.. — ^ Tiijgfmitmmie em BdifÊfme
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F. SmktiK- — Bninaa vammt 247
J. m. lAHnK. — Le$ sojréet 4e Smê-PéUrAumrf 1491
SiCrwuK ■aluuh. — Paye» . 15^
MtnK-Ka». — Atrmtmtrtéeiarttl 4t n^r 4*6
tamm SoiMEXT- — Lf Gn/rr ... |7iS
AuEKT Scicm- — C^tempilviiie v* fxm twûv 342
Jeu X«kêu. — /^ fiOerim pcsntniné y»
KvFLE-AsKun. — Le* n^wt ie Jiiut n let éaraeeMX
ntifiuaina 3(St
F- tm. Su». — L/t /nmr Se Im miit ..... 313
E- }KiKT. — Pnr^i'l £vv ■mlttio^if tieiihftgme tet parti,
t»Vtx * •"*
■fSKi SiŒf . — SttppMâim ... 22ft
Kai-MO» ^TiT- — La nétOMm é,v duil,U . . !«(•
FiLUKK F«iiKiEra!. — Praiçtif . . I W
Kttwttm — Le ttm^limit unauu ... Il'iri
I». — Tététitre . 214
TnewMiE HkHin. — riemxumtjii. ne «w. mx «Kivet I:)'?
atm £!<jrt 34*
Jcics KciLâluii. — Stvin/ra ffiinxif M
CfK««E(. tàiOicmiKa. — Lt mpu: eu làLmux l3St
i.^ **i»T. — LMaïki rBlpfiaaif. . . i;;^
CaiMfs SjiEiUiA. — HoLTiL iituv . it^
Feu.»» StTEBiB.. — Le Ain fftyiijewH îiSi
Cjuucf *<Lt"«TJL. — L'iryfml ii» ji/ar. ... id
S.-J. >ï*ML. — C<niîci il fmu'Àf Juti^tei MT
'initj/viiief dm diurtmieiutiiiiit H^
1. fnsioïT. — Hintie,ri'f eu .cUtvi. et mg m (Lu U'tmi-
iiinif ..... ... 2iîy
SirOiT Hixiuti. — Li:t ■fai.iu ....... TT
ta TiiMst. — EimBi» nvir kf ca* f/intriifua <?r £ifly-
•p>ç'w a»
HiBionEMiri; Vu. w: Wibux. — liif-irgot »V
Ea»*!!!» Vi* BkH«a.!i . — Cm fn^in d-itruamiix- . ii
L. l'A'» SlTBBIlLI-li . — Le VMUini .<vrM . ilit
H\i» f EKM. — JéMrvu Brini-tauu . Wv
F. Vant-^CtuBTin.. — b^ttitjiu. . . «i*
■ « WMAiiai. — Le ifhiih a Sueit^l iiï}i
Ejra.z Z1M.A. — L'eirgBBii. Hïj;
AtaiwiB!* .û» -flUiftiiailt 6f Jl nn-frrKilt- àf Kxuiicl MU
tmuuuiiT ,éii C^7)flBa iieriviB» 211-i.
Vunjs» '6f ™ .wçduoj ... - 2**. îUS.. ^4iî
LraTu* ij«i{F^ iiU{K* -Hii FnaiOf . . Sîfî
VirrueniiPtU de» ima'» /r/nraw-ik» (k fciri-iîlinieii. .riiinit-
Tiiiilt .... I.
■aœnw Mavi.f'ini'miijgr'w-jf jiir lii (Tj.igw- alkîniaiiti»-. itMl;
Tmâuntreoif jo^tuiMs 4» «urainef ck Muuu.tûmti 2ii4i. 2iC -3;il.i;
Llmcifcui Wu«H!Tilm(<t. . . 4U+.
Lf ■nçyiir: du 3irTi «itr is /*fTi»w**f Mirinm jUlJ'
LTiilr-um M- fiMsai i . . . . . S'<~
Le »Tim 'tiRTKHt'màÛiéïk' . 2V8
Fnif Ifisum TJiérnw . . ^It'*'
Lu .(TJtiqw <ai liBlpguf ilK^
L» ce TitWtH- iiaHrtiuuU' > ôf ■ Kr F'éd'n-.T: iC. LsHtit-
WKB.. . ji*i;
Lef jmûi* jiKfiiKTï 6r W. Fr«û«rr» JUS.
LeJ-nimtr Biliptpuri^ Ml. Fr«6érn. »!; HM-^dieiJ M't
fiàwT .il fBBir»-^ . H ï
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A fï^iftis iffinif lîifflitnai'.it -la tf ini 4iriir.it 71
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PbbS V^rûiiaH' -(îl T Iiiâa/imâauix Imifii 9'M
La uTikiguf fnpw- jarr fcîioTyt Sinitl . 4)'
Liw iflfiipf i4f Tkwti Khudkii . . . . itiî
Lr IbuugmU 'Af le Jeime BdigufiH . 2î>
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SC/-'ÎS^ff?f;»«T^lS^
418
TA^ii? O^S MATIÈRES
Bernardin de Saint-Pierre vrai 72
Le comte de MuD à Louvain 163,177
Les œuvres de Victor Hugo 169
La pousse des feuilles 200
Instantanés : Eugène Demolder 336
Edmond Haraucourt 241
Pierre Loti 169
Joséphin Péhidan 305
Sully-Prudiiomme 297
Vente R. Chalon 37
Id. Schelcr 345
Nécrologie. — Théodore de Banville 100
MUSIQUE
Th. Radoux. — Vienxtemys 197
Jean Van DEN Eeden. — Un nouveau solfège . ... 17
Julien Vienne. — Grammaire musicale »
Concerts populaires. — Saison 1890-1891. Concert
jubilaire 29
Id. Troisième concert 134
Id. Quatrième concert 160
Saison 1891-1892. Premier concert. (En Italie de
Richard Slrau.^^s. — Camills Gurickx) .... 398
Association dos Professeurs d'i7islrumenls à vent . . 145
Conservatoire de Bruxelles.— Concours. 200, 208, 217, 224,
232
Le mal caduc des conservatoires 229
Nomination de M. Camille Gurickx 249
Audilion 413
Concerts DES XX. Premier concert (César Franck) . . 63
Deuxième concerl (musique française) 69
Troisième concert (musique russe) 78
Le Choral des JiX 65
Association des Artistes-musiciens 120
Concert X. Carlier 393
e. Id. Liita 369
!d. Padercwski 78
Concerts Schnil 385
Id. du W:iux-Hall 232
Id. Au Club Symphonique 101,337
Concert du Club Symphonique et du Choral des XX à
La Loiivière 201
La vie musicale à Anvers 31,96
Conservatoire de Cand (V. d'indy. — J. Blockx) . . 78
Conscrvaioirc de Liège 31,57,119,400
Nouveaux concerts liégeois 64, 88
Sociélé de musique de Mons 25,177
Académie do Namur. — Distribution des prix ... 25
Académie de Tournai. — 'Résultat des concours. . 270
Associalion dos i4(7isto-mi/ii«e)H de Tournai . . . 73,184
L'Association svmphonique de Tournai à Lille . . . 113
Jiibiléde M. Lècndcrs ! .321,337
Sociélé de musique de Tournai 385,414
Ecole de musique de Vervicrs 127,151,270
Festival V. d'indy à Blankenberghe 255
Festival P. Benoit à Blankenberghe 280
Fêles musicales du Casino de Blankenberghe. . . . 249
Les nouveaux chefs d'orchestre de l'Opéra .... 281
L'éternelle histoire (i propos des représentations de
Lohengrin à Paris) 327
La jeune école de musique française 313
Le festival rhénan 174
Assemblée générale de \'A llgemeine R. Wagner- Verein 289
Exposition musicale à Vienne 281
Symphonie de L. Kefer 16
Scènes hindoues d'Erasme Raway 408
Le SniHi-Franfow d'Edgar'Tinel à l'étranger . . .361,369
Israël en Egypte au Trocadéro 193
La forêt enchantée de V. d'indy (V. Wilder). ... 39
Vincent d'indy à Nantes 153
Eugène Ysaye à Londres 185
Une anecdote relative i Beethoven 17
Les femmes musicol&lres 41
Zola musicien tSS
Simple rapprochement 144
Le piano élecirique 163
La prose employée au lieu du vers par les musiciens 240
L'origine des bâtons de chefs d'orchestre 345
Bibliographie musicale 40, 96, 144
Instantané : André Messager 241
Nécrologie : Emile Blauwaeri 49
Jules De Swerl 81
Henry Litoiff. 263
THEATRE
Le théâtre inlellecluel !.. 116
Lettre ouverte à propos des représentations de Rossi
(Haulleville) 147
Les religions au ihé&tre (Ed. Clunet) . . . . 284
Edm Eyenepoel. — Le wagnéritme hors d'Allemagne. 48
Maurice Kufferath. — Siegfried 95
Rachilde. — Théâtre 206
Théâtre de Bayreuth, — Les représentations de 1891
{Parsifal. Tristan et Yseull, Tannhâuter) 261, 271, 287
Id. Rcceties 337
Le Théâtre de la Monnaie 399
Théâtre de la Monnaie. — Siegfried 19
Don Juan .... 88
Obéron (reprise) 105
Roméo et Juliette (reprise) 292
Le Rêve, de M. Alfred Bruneau 363
A propos du Rêve 233
Smylis, ballet de MM. Th. Hannon etL. Dubois . . 377
Barberine, de M. de Saint-Quentin 398
Théâtre du Parc. — Ma Cousine, de H. Meilbac . . 16
Représenlalion de M. Dupuis 97
Madame Montgodin 127
f/Me/^a»u7/«, deM. H. Lavedan 359
La Fille Elisa, de J. et E. de Goncourl .... 15
La MeuU,<if H. G. LecomUi. ....... 79
Les Revenants, deti. Ihaen ' . . . 86
Théâtre COMMUNAL. — Omntn Frn/«nirf.' .... 94
Les représentations de Rossi 131, 168
Théâtre Molière. — L'Hôtel Oodelot, de M. Crisafulli. 97
Pierrot amoureux, de M. Kistemaeckers .... 97
Par droit de conquête, de M. Legouvé 201
Les Orphelins du Pont Notre-Dame 248
Serge Panine, de M. G. Ohnct 353
Le Vieux Caporal, de MM. Dennery et Dumanoir . 368
Conférence de M. Armand Silvestre 392
.£/»(<£ de ,/euiie i^//«, de H. Henri Maubel. ... »
Griselidis. de MM. A. Silvesire et Morand|. ... 16, 193
Théâtre des Galerie.s. — Miss Helyetl 397
Le Voyage de Suutte 112
Le Royaume des Femmes 326
Le Cauchemar 393
La fille de Fanchon la Vielleuse 399
Théâtre de l'Albambra. —Z/«iî^(7imen/ 24
La Bouquetière des Innocents 105, 112
Bruxelles en Folie 240
La Périchole 335
Théâtre de l'Alcazar. — Bruxelles fin de siècle . . 353
Les rcpréscnlaiions d'Erneslo Rossi il Anvers . . . 177
Polyeucte au collège Notre-Dame »
Théâtre libre de Paris. — Le Canard sauvage,
de H. Ibsen 142
Nell Horn. de M. Rosny (II. de Régnier) .... 179
Les Fourches caudines, de M. Maurice l,ecorbciller . 192
J««nM/î//(M, de M. Pierre Wolff »
Lidoire, de M. Georges Courteline »
Dans le Rêve, de M. Louis Mullem 224
Cœurs simplfj, de M. Suiter-Laumann »
tt^<<'*i''-?p'W.J''--v-'^\-^W} ■■■\-- -^r^ ï^'n^"'''T'>f<*'*'--''^-^
■^;'>>;i"'-,T . ■ \-:
Le Pendu, de M. Encène Bourgeois m
Le Père Ooriol, de M. H. Tabaranl, d'après Balzac . 360
La /2an(vn, de M. G. Salandri 399
Un beau ioir, de M. M. Vaucaire »
Ii'aftW Pwrw, de M. Marcel Prévosl »
Th^trbd'Art. — Le Concile féerique, de H. i. Laforgue 407
Let Aveugles, de M. M. HaelerWoek »
Thiodat, de M. B. de Gourmonl »
La geste du Roi, de MM. G. MMclair, A. Relié et
Siuarl-Merril »
ThAatrk d'Application. — Antonio, de M. Edouard
Dujardin 135
Théâtre db l'Avenir dramatique. — Un Mâle, de
M. Camille Lemonnier 167,171,477
Thëatre dk Carlsruhe. — Les Troyens, de Berlioz. 23
Le Ihéâire i Berlin 141
Le nouveau théâtre allemand 305
A Munich. Interriii^ion de donner suite aux rappels. . 185
Les inductions de Lohengrin 386
La Valkyrie i Copenhague 131
r» M/an #< Fmu// à New- York 137
Le crime de Faverne '81
«"'• Marcy & Marseille 65
MM. de Reszké en Amérique 241
M. Ernest Van Dyck îi Vienne 369
Débuts de M"" Cossira i Nice 121
M. et M"»Co88iraà Lilleelà Nice 217,401
Documents A conserver. — Les Revenants d'Ibsen i
Londres 86, 128
Coup de pied à Wagner 72
Opinion de M. Henry Maret sur Wagner 321
Instantanés : M""» Rose Caron 321
M-'Melba 360
Ernest Van Dyck 289
ARTICLES mWRB
L'art à la Maison du Peuple 368,391,414
Récréations populaires 208
Mœurs pittoresque» 333
Paysages urbains. Nos arbres 239
Exposition de publicité l''6
Le Beau dans les arts 289
Le Laid 263
Le chasseur vert ou la théorie des incomplémeniaires . 247
Les voyages et les femmes 270
L'inslinct de migration 297
Les grandes fortunes et l'art 286
L'art en Amérique 188
L'art et l'Etal (Octave MiRBEAu) 218
La protection des arts et des artistes (Emile Bergerat). 273
Pornographie 219, 296
Diafoirus et C* (Jules Lemaitre) 80
Les traités de commerce 124
Critico-mendicité 24
Notule anversoise 334
Nécrologie. — Louis Cattreux 401
Petite chronique. 17, 25, 32, 40, 48, 57, 68, 73, 81, 89, 97,
104, 113, 120, 128, 137, 144, 183, 161, 169, 177, 184, 193,
201, 209, 217, 228, 232, 240, 249, 257, 264, 273, 281, 289,
297, 308, 313, 320, 329, 336, 348, ^52, 360, 368, 377, 388,
393, 401,409,414.
CHRONIQUE JUDICIAIAE DES ARTS
Partitions manuscrites (Ricordi c. Ville de Montpellier). 32
Coupures au théâtre (J. Désirée c. Sloumon et Calabrési). 143, 152
Nos sous-ofUciers (Pages c. M"" M. de Monlifaud) . . 143
Une siatue de la Vierge sous séquestre 200
Un faux Corot 225
Les affiches de Chéret 257
Engagement théâtral. — Rôle en partage. — Droit du
directeur (Ibos c. Gunsbourg) 280
A propos d'un médaillon de Chapu (contrefaçon Homer-
ville-Hague) 289
Photographies coloriées (Loire c. Chevalier et Laurent). 344
Truquages. (Girandoles Louis XIV, table Louis XV) . . 264
Un sâr embêté (J. Péladan c. R. Salis, L. Bloy et L. Des-
champs) 351
Œuvres musicales exécutées dans des fêtes de sociétés.
— Responsabilité du Président et du Directeur
(Eylenberg et consorts c. i'£'c/io de /a S«»me) . . 368
Eshba contre Smylis (R. Defawc c. Th. Hannon, L. Du-
bois, Sloumon et Calabrési) 400, 408
Les œuvres de César Franck (faillite Verdhurt c. les
héritiers C. Franck) 408
a
VIGNETTES
Frontispice, par G. Lcmmen 1
Frontispice de De kniis et phitonicis mtilieribus 104
Id. des Figures du Nouveau Testament (15&9) . . . 148
Les armoiries de la Basoche 209
Titre des Œuvres d'Alain Chanier (1829) 223
Frontispice de la Célestine , »
Tiire du «Oman d«/fli2oi« (1538) 233
Un Tournoi, par Hans Schauffelein »
"k^;m;;;.7!s •
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UNIVER^ITY OF WINQSOR LIBRARY
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MAI 1966
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COTE DE LA BIBLIOTHEQUE NATIONALE
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1892
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3 JANVIER
189^
Douzième armée
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Lbs lauriers fripés. — L'exorcisée, par Paul Hervieu. —
X.9HENGRIN. — La musique BELGE. — La QUESTION I»ES MUSBES.
— GoRRESPbllDANCE. — r La CRITIQUE BBLOE, — ; L'ÉOUSE
Saint-Josse. — Théâtre libre. — Publications Hachette. —
Accusés de réception. — Petite chronique.
:i
LES LAURIERS FRIPÉS
A cette levée de la jeune école contre les académies,
contre les institutions officielles, contre lès bonzes d'un
journalisme sénile et impuissant, — à ces mépris et à
ces salîtes colères, dont les témoignages répétés sont en
train de culbuter des socles et des monuments qu'on
croyait solidement plantés et imprenables, — à cette
guerre, enfin,' impitoyablement déclarée, par ceux qui
ont de la vie et de l'art, aux momies gouveniementales,
aux prétentieux' fruits secs des'*vieilles chroniques, à
tout le ganâchismé, en un mot en isme mi désigne net
leur école, — d'aucuns' se sont étonnés et se sont demandé
les causes, si faciles à trouver pourtant, de ces vastes
dédains, de ces moqueries ou de ces fureurs.
Maeterlinck, en refusant le prix que lui offrait un jury
de médiocres, un fameux jury de distributeurs de miel
et de vinaigfe, de palmes et de haine, un jury à double
fond, qui s'est ouvert pour montrer UûJoûrd FaftiV,
soufflant des éloges vénéneux dans la prose ^'.unratpport
curieusement bigarré ^ Maeterlinck a inât^iiéi'a&ioluai- .
rement les causes dp ces dédains et dé ces^bolèresieji:
quelques lignes bien calmes et bien :.digii8S,'/dak|^ Mue,
lettre à M. Htiret * : ''.Ziz: .: ^lôVcA
" Vous me demandez pourquoi j'^irëfusé le, pitïidéî
littérature dramatique qui m'a été décerné p^l'Acgjié^r
mie de Belgique. ..... . I ., ;
« ... Il faudrait vous dire tout ce qiié nos aînés) ont j^
souffert de la part de ceux qui espèrent âujourd'huf ,
qu'une aumône nous fera oublier le passé. Il faudimit
vous dire ce que. c'est que l'^cad^fe royale déilÉslrj,
gique^ Ge serait bien triste et bien enniiyeux. n , • \
Bien triste ! Bien ennuyeux! ,,
D'ailleui's, quels gens ont composé 'les jujpys des con-
cours, ces émanationis <Jes académies? Les voici. Vous
allez voir à quels personnages on a (k)nfié le soin de
veiller aux lettres nationales. A des Jurisconsultes et à
des professeurs, à des conserva.tejirs âébibUothèqueàoii^
de musées, à des jôurnalistes-iiainéui.' 'AÛQ0a tittérù-
teur! On appelle un seul hor)(tme de lètlésis^^ {i<yïi\
; allez rire), c'est M. Gusttive Frédérix,/— et 'un autre,-'
encore : M. Solvay, quia (ionc eu. jadiâ, des intentions
académiques, ■ — '
Mais eu général, dans une proportion de neuf sur (^i,^ '
ces jurés s'y connaissent en littérature et sont aptes i-
î, >-
• t
4.'
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-;
f: ■■ '
i
UART MODERNE
juger une œuvre nouvelle comme un Peau-Rouge qui
serait appelé à déguster les choses délicates d'un Café
Riche ou un Congolais qu'on inviterait à écouter de la
musique religieuse.
La plupart sont des incompétents. Les autres sont
des haineux. La cause de la haine? Dès la première
bataille, la bataille Hjmans-Lemonnier, on la devinée :
l'auteur de la Belgique paj^lementaire s'imaginait qu'à
lui seul revenait le droit de décrire la Belgique pitto-
resque. Les autres, ses compagnons, étaient lesquelques
qui croyaient " avoir de la littérature ", et cela les gêne
qu'on leur démontre qu'ils n'en ont pas du tout. Ils se
cramponnent à leurs lauriers flétris, à leurs guenilles
académiques, avec le désespoir et la rage de se voir,
dépossédés de leurs couronnes de pacotille et de se
voir arracher les plumes de paon et d'oie dont ils tiraient
tant de vanité.
Voici la liste
NAL DE LITTÉR.\TURE FRANÇAISE
osition du jury.
MM. Faider, procureur géné-
'esseur à l'École militaire, de Monge,
"professeur à l'Université de Louvain, Fuerison, profes-
seur à l'Université de Gand, Grandganage, académi-
cien, Van Beramel, professeur à l'Université de Bruxelles,
Stecher, professeur à l'Université de Liège.
Période 1868-1872. — MM. De Decker, Grandga-
nage, Alvin, Fuerison, de Monge, Stecher, Van Bemmel.
Période 1873-1877. — MM. De Decker, de Monge,
Fétis, académicien, Fuerison, Siret, académicien, Stap-
paerts, académicien, Stecher.
Période 1878-1882. — MM. De Decker, de Monge,
Fétis, académicien, G. Frédérix, homme de lettres,
Pergameni, professeur à l'Université de Bruxelles,
Ch. Potvin, académicien, Rivier, jurisconsulte, Stap-
paerts, académicien.
Période 1883-1887, — MM. De Decker, Discailles,
professeur à l'Université de Gand, Fétis, conservateur à
la Bibliothèque, Frédérix, Fuerison, Rivier, Le Roy,
professeur à l'Université de Liège.
CONCOURS TRIEN^^AL DE LITTÉRATURE DRAMATIQUE
FRANÇAISE
Composition du jury.
Période 1861-1863. — MM. Mathieu, Fuerison,
Bourson.
Période 1864-1866. — MM. Faider, Fuerison,
Bourson.
Période 1867-1869. - MM. Bourson, Fuerison,
Stecher. ^
Période 1870.1872. - MM. Bourson, Siret, Stecher.
Période 1873 1875. — MM. Alvin, Bourson, Fétis,
F^ï^fison, Siret
Période 1870-1878. — MM. Alvin, Fétis, Potvin,
Frédérix, Delmotte.
Période 1879-1881. — MM. Alvin, Frédérix, Fétis,
Louis Hymans, Potvin.
PtVîWe 1882-1884. — MM.- Bourson, Fétis, de Monge,
Siret, Guilliaume.
Période 1885-1887. — MM. Fétis, Claes, avoué,
de Monge, Frédérix, Solvay.
Période 1888-1890. —MM. Fétis, de Monge, Frédé-
rix, Stecher, Stoumon, directeur de théâtre.
Période 1891-1893.- MM. Fétis, Frédérix, Stecher,
de Monge, Stoumon.
Où sont les noms, dans tout cela, qui attirent les
sympathies des vrais littérateurs? Quels sont ceux qui
ont Véritablement encouragé un mouvement d'idées
jeunes et vraiment artistes? Avec M- Solvay, M. Perga-
meni, qui signale, dans son cours à l'Université, la jeune
école littéraire belge comme très forte et devant inté-
resser les étudiants. Mais à part eux, que viennent
faire tous ces noms dans l'art? Quelle est cette invasion
mi-ignorante, mi-hostile^/Que signifie cette bande de
professeurs, imbus d'idées anciennes et de traditions, et
appelés à juger des écrivains libres et des poètes nou-
veaux? Certes, avaut 1880, il y avait peu de littéra-
teurs. Mais il y avait déjà et Victor Arnould, et Edmond
Picard, et Eugène Robert. Et puis André Van Hasselt.
Et Victor Jolly? Et Léon Dommantin? Et Wilmart ?
Et puis Charles De Coster, sur lequel les sinistres offi-
ciels on fait un silence infâme, sur lui, le pauvre et
grand auteur de YVylenspiegel. Et Octave Pirmez,
pour lequel un ridicule poète de centième ordre,
M. Charles Potvin, n'a eu que de la petite moquerie! Et
Camille Lemonnier maintenant, célèbre, n'est-ce pas,
que n'ont-ils fait, les gens d'académie, pour entraver
l'essor de son libre talent, qui venait, à coups formi-
dables, bousculer les idées reçues dans leurs cervelles?
Mais depuis 1880?C'elfe la même bande qui opère
toujours : toujours les Frédérix incrustés, les éternels
Fétis, les indéracinables De Decker, les Stecher, les
de Monge, les Le Roy, les Fuerison, toute la vieille
école belge, les momifiés, les savantasses, les doctri-
nâtres, — au milieu desquels on trouve, comme élément
nouveau, un directeur de théâtre et un jurisconsulte
suisse!!! Les Pandecies et la Nuit de Noëll
Le banquet Lemonnier, d'abord, a porté le premier
coup à l'institution ofiicielle des jurys. Le refus de
Maeterlinck l'achève. C'est fini, maintenant. Ces gens
sont discrédités. Ils ont assez, depuis trente ans, démon-
tré leur non-valeur. Ils tombent sous le mépris. Et
d'ailleurs, ils le sentent eux-mêmes. Se voyant crouler,
ils se défendent et ils insultent, ils insultent au nom du
Gouvernement. Nous l'avons déjà signalé. Us sont
désormais suspects de haine. Il fautqu'ils disparaissent.
Nous publierons prochainement la liste des œuvres
■X
<.
UART MODERNE
<^5
"%
couronnées par les jurys et cela démontrera l'inutilité
totale de cet engrenage gouvernemental. Qu'on les sup-
prime net! Mais si on n'ose le faire (car en Belgique, ce
pays arriéré de vingt ans, tout va lentement, avec des
peurs), eh bien! qu'on nomme pour siéger sur ces
basanes des gens nouveaux, de vrais lettrés, et qu'on
signifie un congé définitif aux conservateurs de biblio-
thèques et aux rapporteurs enfiellés. Cela s'impose.
L'EXORCISEE
par Paul Hervieu. — Paris, Aliihonse Lemerre, éditeur,
1891; iu-18, 132 pages.
En amour, ce sont toujours les mêmes qucslions agitées. Le
platonisme, le « droit au but » et les diverses combinaisons pos-
sibles entre ces deux extrêmes. Bien avant les Cours d'amour et
les KamaSoutra, on devisait de ces problèmes entre sexes. Raison
de plus pour apprécier uniquement l'art, dans l'œuvre de celui
qui doit créer de rien, ou de ce que tout le monde connaît — ce
qui est bien la môme chose.
M. Paul Hervieu ne doit pas gazer, ni faire prendre des vessies
pour (les lanternes, pour nous mettre nu cœur du sujet. 11 traite
de cela, et c'est une si personnelle façon de braver les conventions
sociales et de rendre bien intéressants ses personnages, que la
sympathie est acquise à l'auteur dès les premières pages du livre.
D'intrigue, on peut dire qu'il n'y en a pas, tant elle est
secondaire. Une femme est tombée en la possession d'un homme
indigne de l'aimer. Sa névrose a ainsi réagi sur sa mehtalité
qu'elle se croit positivement envoûtée. Son salut, elle ne l'aper-
çoit que dans l'amour d'un autre homme, l'aimant assez pour
comprendre son envoûtement et pouvoir l'exorciser.
Mais, en réalité, le livre n'est qu'une suite de flirts, d'un carac-
tère très français, plein de mondanité élégante et inlellecluelle.
M. P. Hervieu a une façon rare d'être spirituel avec des idées.
Ces pauvres idées! Elles servent si souvent à de lourdes et
pédantes digressions d'un style dit pbilosophique! Si souvent
aussi elles ne sont que l'occasion de faire des motsl Sous la
plume de l'auteur d'Exorcisée, elles deviennent une conversation
écrite, et ces idées, aimées pour elles-mêmes, indépendamment
de leur forme et de leur véi;ilé, se divisent, se subdivisent, se
subtilisent, laissant l'impression de quelque chose de très fin, de
très aristocratique, spectacle que se donne un esprit supra-délié
de sa manie raisonnante.
Exemple : On commence par une déclaration, ce qui fait dire
justement à Laurc : « C'est drôle qu'il faille une convention pour
inviter à violer toutes les conventions ».
On devise bientôt sur l'éternel féminin, donc sur l'amour. On
métaphysique délicieusement sur les causes et les effets de cet
aimable sentiment. Voici d'abord la voix d'homme :
« Voyez-vous, l'amour, le vrai amour, le seul amour, sur
« lequel reposent la confiance et le bonheur de deux vies, n'est,
« en réalité, en définitive, que de l'habitude. C'est, si vous le
« voulez, la forme la plus noble, la plus généreuse, la plus intéres-
« santé de l'iiabitude ; c'est une sublime manie. Et la force d'un
« amour sera en raison directe de sa durée, alors qu'un être est
« devenu l'habitude d'un autre par tous les liens de toute l'ûme
c< et de tout le corps. Chaque jour d'amour en commun, par les
« actes qui s'y succèdent, par les souvenirs dont la veille a
« augmenté ce lendemain, ajoute des fils à l'habitude, serre des
« nœuds nouveaux. C'est en ce qu'il a d'habituel que l'amour ne
« peut se passer de son objet, qu'il fournit dans un autre une
« seconde nature et soumet tous les mouvemenis, toutes les
« pensées à un attachement machinal, actif, tranquille; et c'est
« en ce qu'elles ont de maniaque que certaines amours nous
« stupéfient à les voir si incorrigibles, si incurables, furieuses el
« mortelles... »
Et l'on répond, voix de femme :
« Croyez-moi, la question est insoluble entre les deux sexes. —
« En amour les hommes ont un but, ils connaissent ce but, ils
« peuvent l'atteindre... et, ce qui est plus, l'avoir atteint... Vous
« me répondrez que les femmes ont un but aussi et que ce but es
« le même! El moi je vous dis que non!... A leur idée cela n'est
« qu'une circonstance. Elles partent avec vous; mais à destination
« d'au-delà, vers l'inconnu, vers l'indéfinissable, vers l'infini..,
« Chez vous. Messieurs, aimer c'est agir, faire l'amour! Il fallait
« être bien homme pour créer celle expression!... Chez nous
« c'est agir et vivre. Nous aimons comme vous et, en plus,
« comme nous : ainsi, l'on est loin de compte... »
Précèdent et suivent ces passages des digressions, variées à l'in-
fini, de très piquantes scènes, d'osées conversations, puisqu'il
s'agil de ça. Mais vraiment dans le livre de M. Paul Hervieu on
pèche plus en parole qu'en pensée et en action.
Il ne faut pas détourner de la lecture d'un ouvrage en donnant
au lecteur d'un simple compte rendu l'illusion qu'il connaît tout
ce qu'il y a à savoir du livre et de sa valeur. Raison pour laquelle
nous préférons renvoyer à l'Exorcisée sans plus tarder.
LOHENGRIN
L'aflluence inusitée qu'attirent en ce moment les représen-
tations de Lohengrin à la Monnaie démontre une fois de plus
(combien de fois nous faudra-l-il le répéter!) que le salut du
théâtre est non dans les pièces usées du vieux répertoire que
s'obstine à maintenir la direction sur les affiches, mais dans
les œuvres artistes et spécialement dans les drames de Wagner.
La reprise da Lohengrin a été un triomphe. L'enthousiasme était
monté a un tel diapason que les spectateurs regardaient de
travers, les prunelles chargées de reproche, ceux qui se permet-
taient de ne pas applaudir. Et l'on a rappelé les chanteurs à plu-
sieurs reprises après chaque acte.
A ne point se montrer trop exigeant, l'ensemble de l'interpré-
tation est bon. Il dépasse certes de beaucoup la moyenne ordi-
naire des représentations de la Monnaie. Sous la direction nerveuse
et précise de M. Flon, l'orchestre a retrouvé ses belles qualités
d'ensemble, de justesse et de sonorité d'autrefois. Les chœurs
chantent avec entrain, en respectant les nuances, ce qui n'est pas
fréquent. N'était une mise en scène puérile, contraire aux élémen-
taires notions de la vraisemblance (mais parfaitement conforme
aux conventions scéniques les plus invétérées), il n'y aurait qu'à
se déclarer enchanté des masses.
Venons-en aux solistes. M. Lafarge réalise un admirable Lohen-
grin. Prestance, taille, noblesse d'attitudes et de démarche, il est
certes le Chevalier au cygne rêvé par Wagner. Et si sa voix n'a
pas retrouvé tout son éclat, il la manie du moins avec goût et dans
tels passages — les « Adieux » notamment — il a causé une
réelle émotion. M"'' de Nuovina ne paraît pas créée pour incarner
'Sàk
L'ART MODERNE
la mystique héroïne du maître. Elle n'a ni le physique, ni la voix
qui conviennent à ce personnage idéal. Sous la robe blanche
d'Eisa de Brabant, elle demeure Esciarmonde. Elle chante en
chanteuse d'opéra, sans se douter de la psychologie de l'œuvre
qu'elle est appelée à interpréter.
C'est, d'ailleurs, le reproche qu'on peut faire, en général, à la
plupart des interprètes de Lo/iejjjfnn, grief assez excusable quand
on songe que toute l'éducation artistique de ces chanteurs et de
ces chanteuses est faussée par l'art factice encore en honneur au
théâtre, et que pour se préparer aux drames de Wagner, ces
artistes chantent tous les soirs Robert le Diable et les Huguenots.
Un seul y- échappe : M. Seguin, qui a composé un très beau
Telramund, sombre et tragique. Le rôle, un peu haut pour sa
voix, ne lui a pas toutefois donné l'occasion de se faire valoir
avec autant d'autorité que dans les Maîtres Chanteurs cl la Val-
kyrie.
Ortrudc c'est M"« Wolf, et l'on n'a pas été peu surpris de voir
la dugazon d'avant-hier aborder ce rôle difficile, si peu fait,
semble-t-il, pour ses moyens.
M'i« Wolf a diverses qualités qui l'on fait traverser victorieuse-
ment l'épreuve : excellente musicienne, sincèrement éprise de
son art, elle a une voix bien timbrée et d'une grande étendue
qui la sert à souhait. Malgré son visage de madone et sa jeunesse,
Mil* Wolf a réussi, dans une certaine mesure, à donner au rôle
de la farouche Frisonne le caractère voulu. Elle s'est montrée
artiste intelligente et le public ne lui a pas marchandé ses applau-
dissements. En étudiant sa mimique, qui laisse encore à désirer,
l'artiste se fera certes une place brillante au théûtre.
M. Dinard, qui personnifie le Roi, et M. Béral, le Héraut, n'ont
qu'une idée approximative du parti qu'il y a à tirer de ces doux
figures fort inlére^anles, bien qu'elles soient de second plan.
IL..A.
m:xjsiqxje belo-e
Correspondance .
Art moderne, cher Art moderne qui nous avez fait tant de bon
sang cet été pendant cette campagne contre la négligence, la pe-
titesse, l'ignorance, la complaisance routinières, je vous apporte
encore de tristes choses à crier aux sourds, du haut du grand
balcon d'où vous les regardez.
Savez-vous combien d'œuvres d'auteurs belges les concerts
populaires ont fait entendre depuis vingt-sept an« qu'ils existent?
Voici ce que je trouve — si je me trompe, rectifiez : trois œuvres
de Raway, trois ou quatre œuvres de Mathieu (qui a dû amener
ses choristes de Louvain pour ses œuvres importantes), deux
œuvres de Tinel (aussi avec les choristes de Malines), une suite
d'orchestre de Blockx, une symphonie de Samuel (presque
obligatoire à l'occasion de son anniversaire) — et peut-être çà et
là quelques compositions de moindre importance, mises au pro-
gramme par le choix des virtuoses, comme le dernier récit pas-
sionné de Camille Gurickx, par exemplc(l).
Dira-l-on, après un concert comme le dernier, qu'il importe do
donner d'iibord dos œuvres plus géniales que celles qui peuvent
(1) La nomenclature de notre correspondant est loin d'être com-
plète, ■■ — qu'il vous permette de le lui faire observer. Aux œuvres
qu'il cite, il faut ajouter entre autres : J)e Oorlog, Charlotte Cordât/
au complet et deux concertos de Peter Benoit; un Scherzo et La lutte
au XVIe siÉclede J. Van den Eeden ; un fragment de V Apollonide al
le Jet d'eau de F. Servais; plusieurs compositions importantes
d'Etl. Lassen; des fragments de la Symphonie deWaelput; deux
naître en Belgique ? En admettant même, ce qui n'est pas le cas,
Dieu merci ! que les œuvres de nos jeunes compositeurs soient
aussi insignifiantes que ce qu'on nous a donné dimanche de
russe et d'autrichien, — à qui devrait-on donner la préférence?
Quand je pense aux choses vraiment nationales, exprimant
notre vie à nous, les sentiments populaires des Flamands et des
Wallons, à tous ces morceaux de notre moi enfouis dans des
cartons faute d'une compréhension intelligente qui les en tire, je
suis trop triste pour m'indigncr en de longues paroles.
Attendrons-nous encore que l'étranger consacre nos artistes en
se moquant de nous? — de nous qui ne Icsavons pas compris?
Les nations voisines (sauf peut-être la Suisse qui est encore
plus bornée que nous de ce côté) sont fières quand le moindre de
leurs enfants a tiré du fond universel une œuvre qui, inconsciem-
ment, porte l'influence du sol, de la race, du milieu, de la vie du
pays. — En Belgique, les artistes pour la plupart ont puisé leur
inspiration dans cet instinct inconscient qui leur a révélé la forlo
amcdu peuple; en Belgique, les artistes belges sont presque des
inconnus aux concerts populaires.
0 dérision !
I. WlLt,.
LA QUESTION DES MUSÉES
La campaerne de « l'Art moderne > contre la Commission des
Musées a abouti. A l'une des dernières séances de la Chambre,
M. Sllngeneyer a réclamé une enquête au sujet des faits que
nous avons révélés.
M. de Burlet, Ministre de l'intérieur, a répondu en excellents
termes à l'honorable député et a annoncé qu'il ferait droit A. sa
réclamation. Nous reviendrons sur cet incident dans notre
grochain numéro et publierons le texte des discours prononcés
cette occasion.
MoNSiELU i.E RÉDACTECR DE l'Art modeme,
On l'a souvent répété, le Musée de sculpture de l'Etat est d'une
pauvreté remarquable.
A côté de quelques bonnes œuvres modernes, il s'en trouve do
fort médiocres. •
Mais ce qui est parliculièremenl incroyable, c'est qu'il possède
5 peine quelques exemplaires de la statuaire de la deuxième
moitié du xviii'-' siècle, et que, quant aux œuvres de sculpteurs
plus anciens, il ne possède absolument rien.
Il y a eu cependant beaucoup d'artistes remarquables en
Belgique. La Commission ne s'en doute probablement pas. C'est
pourtant bien à elle qu'incombe la mission tle réunir leurs œuvres
et non à la Commission du Musée des antiquités qui a dans ses
attributions l'art industriel et non les Beaux-arts.
Voici, entre autres, un exemple nouveau de l'indifférence des
bonzes de la Commission du Musée de peinture et de sculpture.
On a vendu, il y a quehiues jours, en vente publique annoncée
par affiches et circulaires, dans la salle Fiévez à Bruxelles, deux
charmantes statues de marbre représentant des enfants. Elles
étaient attribuées îi Duquesnoy. En tous cas, elles étaient vraiment
remarquables.
Disputées par un amateur bruxellois, elles ont été adjugées à
un maroliand de Paris pour la somme dérisoire de 800 francs.
concertos, une Polonaise et la Marche niqUiale d'Aug. Dupont ;
diverses œuvres de Fëtis, Gcvaert, Hanssens, Vieuxtemps, Etienne
Soubrc, Huberti, Mertcns, Radoux, Riga, Jehin, Colyns, Balthazar-
Florcnce, etc. Enfin, les Eolidcs de César Franck. En ce qui concerne
ce dernier, c'est peu, certes, et nous espérons que Josei)h Dupont
songera à faire entendre d'autres œuvres du maître,
N. D. F, R.
y'
LART MODERNE
Le Musée aurait dû les acheter, Mais il n'a pas le temps de
s'occuper de semblables bagatelles.
Si les objets avaient été présentés par un Mancino quelconque,
c'eût été différent.
11 se peut que, dans quelque temps, on les lui offre au prix de
S, 000 ou 6,000 francs qu'elles valent, du reste, largement, et
qu'il les achète.
Votre dévoué,
L.
Extrait du catalogue des livres, antiquités et tableaux délaissés
par feu le Rév. M. Kuyi, en son vivant curé du Béguinage et
vendus les 24, 25 et 26 novembre derniers :
847. Portrait d'un personnage à déterminer. A gauche, dans
un coin, armoiries; à droite, la date 1625 et la signature
S. -A. Bray. Excellent portrait d'un maiire rare. Grande correction
de dessin et beau coloris. Parfait état. B. 0.42 X 0.46.
Le Musée de l'Etat belge ne possède rien de ce maître portrai-
tiste.
Correspondance
Bruxelles, 7 décembre 1891.
Monsieur le Directeur de l'Art Moderne.
Dans l'intéressante étude sur Masolino da Panicale, M. Jules Dés-
irée, décrivant les fresques du baptistère de Casiiglione, parle de
trois personnages du Baptême du Christ dont l'un enlève ses bas,
l'autre se déchausse, et le troisième se présente le dos tourné, les
bras et la tête encore embarrassés dans la chemise qu'il veut
quitter.
Cette description m'a remis en mémoire une sensation d'art
intense éprouvée, l'an qui fuit, à la National Gallcry de Londres ;
il me reste le souvenir, mais effacé, de personnages se présen-
tant dans des attitudes similaires et traités avec une justesse
d'observation de mouvements étonnante.
Le Baptême de Jésus- Christ dont je vous parle doit se trouver
dans la salle dos primitifs italiens, sans nom d'auteur, mais ren-
seigné sous l'appellation vague d'école de Taddeo Gaddi.
Qui en sabe? 11 y a peut-être là une œuvre inconnue de Maso-
lino da Panicale; en comparant, au moyen de gravures ou de
photos, le tableau et la fresque, M. Destrée aura peut-être la
chance d'éclaircir l'actuel myslèra et de laurer ainsi de quelques
feuilles en plus le réaliste artiste du xv« siècle dont il ravive la
gloire en vos colonnes.
Mes salutations très distinguées, je vous prie de les agréer.
Monsieur.
A. W.
LA CRITIQUE BELGE
A propos de l'incident De Drackelcer, la doctrinaire et commer-
çante presse d'Anvers ne décolore pas. Ces spéculateurs, qui n'ont
rien fait pour De Braekelccr, dansent maintenant on ne sait quelle
ronde provinciale autour de son cercueil en se vantant d'une
générosité qui leur manque.
Le Précurseur, dans une « chronique locale », cherche b
démontrer (ju'Anvcrs a été une mère généreuse pour l'auteur du
Géographe. Mais quand l'Anversois parle d'Art, il y a toujours la
jalousie, la méchanceté ou la maladresse quf perce. Tout en
ayant l'air d'exalter De Braekeleer, le journaliste du Précurseur
le ridiculise et lui lance des traits qu'il môle à des phrases fleu-
ries. Ainsi, en parlant du peintre : « Un de ses grands plaisirs était
de dîner copieusement au restaurant. Ce n'est la faute de personne
s'il n'a guère produit que pendant dix ans. S'il parlait peu, c'est
qu'il avait peu de chose à dire. C'était un boursou(lé{'.!!) »
Pour démontrer que De Braekeleer n'est pas mort pauvre, le
gazetier raconte cette anecdote, qui est simplement à l'honneur
de la probité artistique du peintre : « Il est probable qu'il connut
des moments difficiles, mais de là à dire qu'il n'avait plus même
de quoi acheter des couleurs, il y a un abîme. Après le succès du
Géographe, un riche particulier d'Anvers fit à De Braekeleer une
commande de douze mille francs; il s'agissait de décorer quatre
panneaux de salle à manger. L'artiste accepta d'abord, puis
refusa; sans doute, ce n'était pas précisément son genre, mais
quelqu'un qui aurait été talonné par la misère n'aurait pas décliné
de la sorte une commande relativement avantageuse. Le grand
Meissonier n'était pas si dégoûté que cela, lui, lorsqu'au début
de sa carrière, qui fut autrement ingrate, puisque ses parents
vivaient dans l'indigence, il peignait des toiles à cinq francs le
mètre carré pour l'exporlal\,on! »
Malheureusement pour les Anvcrsois, leur indifférence est notée
par les phrases suivantes de leur gazelicr qui démontrent qu'ils
ont laissé^ux prises avec un marchand bruxellois, l'artiste dont
la gloire flatte tant aujourd'hui leur vanité de mercantis :
« De tout temps, De Braekeleer avait eu le travail difficile;
c'était à peine s'il produisait assez pour remplir le contrat qu'il
avait passé avec un marchand de tableaux de Bruxelles, M. Cou-
teau, dont la veuve possède encore une vingtaine de ses toiles. Il
est donc injuste d'accuser d'indifférence le grand public, puisque
celui-ci n'a jamais eu l'occasion de se familiariser avec l'œuvre
du maître. Quant aux artistes, s'il est plus surprenarK qu'ils
n'aient pas tous unanimement, et dès le début, signalé les quali-
tés transcendantes de De Braekeleer, il serait téméraire, pourtant,
de leur reprocher un ostracisme systématique à son égard, et la
preuve, c'est qu'il a été surtout méconnu par son propre père qui,
très certainement, était de bonne foi. »
L'ÉGLISE SAINT-JOSSE
Vue de la rue de la Loi, pimpante et de joyeux aspect avec son
clocher en pierres blanches papillotant au soleil, l'église
Saint-Josse exerce une attirance qui ne réserve aux promeneurs
curieux d'architecture qu'amère désillusion : de près, en effet,
sautent aux yeux la vacuité de la composition générale, l'absence
d'étude des profils lourds et mous, le hors d'échelle de l'orne-
menlation et le manque de goût dans le choix des motifs.
Nous ne comprenons pas que l'architecte se soit inspiré des
monuments élevés au xvii" siècle par Franquart et Coeberger,
œuvres de pleine décadence et pastiches maladroits des églises
du Gésu et de Saint-Ignace à Rome; il y avait mieux à faire et,
à défaut d'imitation d'une meilleure période de la Renaissance,
nous eussions grandement préféré que l'artiste recherchât des
solutions modernisantes, telles que nous les montrent les œuvres
de Baltard et de Vandremer en France, de Cuypers en Hollande
et de Waierhouse en Angleterre.
VART MODERNE
Analyserons-nous par le menu les divers éiémenis de celle
façade? A quoi bon? Pas n'esl besoin d'ôlre ton versé en science
archileclurale pour api)récier, comme ils le mérilcnl, les frontons
des poi'les aux allures d'épannelage frusle, les vases d'angle de
massivité pompbak, l'immense cartouche totalement dépourvu
d'inlérêl, que surmonte un ange hydrocéphale, les llambeaux et
la croix si piètrement maintenus par de misérables tringles, les
cadrans (oubliés par l'arcliilecte !) chevauchant les arcades gémi-
nées latérales, etc.. Pileux résultat que tout cela et qui ne fait
((n'augmenter la collection de monuments ratés de notre pays.
Par bonheur, une sève de rajeunissement sourd de divers
côtés avec la génération nouvelle imbue des seuls principes de
modernité dans l'Art, et bientôt pourrons-nous saluer la (in de
l'ère néfaste des poncifards.
THEATRE LIBRE
[Correspondance particulière de l'Art moderne.)
1. M. Georges Ancey, la Dupe, en prose. — 2. M. Louis Marsoleau,
Son petit cœur, en vers.
i. Pour les cinq actes de la Dupe, — quatre personnages seu-
lement et un unique décor : et ce goût de netteté et de concision
se manifeste aussi dans le style du dialogue...
Le sujet :
De ri au II, Albert épouse Adèle. Elle s'est mariée à contre-
cœur. Quelques mois passent et voici (juc, soudain en ferveur,
elle aime, et à jamais, son mari. Celui-ci, qui par définition est
un séduisant félard (qui sait? l'Intrépide vide-bouteilles), appa-
raît malheureusement au spectateur comme une simple brute,
une brute inintéressante. Au II, il la trompe; au III, la ruine;
au IV, la botte : tout cela vraiment sans chic. Mais au V, Adèle
xsl seule, — humiliée, mortellement triste, presque pauvre.
Arrive Albert. (La Banque l'a congédié dont il allégeait la caiste
pour une demoiselle; il exerce désormais d'indécises industries
de rues et de champs de courses.) Il vient, après une longue
disparition, quémander quelque argent, et certes il ne pense pas
que sa femme puisse lui dédier mieux qu'un vague mépris
nuancé d'apitoiement. Sa détresse physique" est évidente. Sa
détresse morale, il n'a plus la force de la farder, et c'est le môme
homme que jadis, — vil, mais pas plus que ses frères en huma-
nité : et, lui, rédimé par la propitiatoire souffrance, maintenant.
Pour la première fois, il est juste qu'Adèle l'aime. Entre les deux
pauvres êtres s'échafaude fragile, timide, un projet de bonheur...
Ce cinquième acte émeut comme aux dernières pages de l'Edu-
cation, la rencontre de Dulaurier et de Moreau, et sa beauté se
propage aux autres actes et les justifie.
Pour dissuader de trop croire à ces histoires en somme déplo-
rables, M. Ancey, gentiment, les timbre de bouffonneries qui, ce
rôle utilitaire rempli, plaisent encore par elles-mêmes, — si
gaies! car elles ne sont point joviales, — M. Antoine fut, ce
soir-là, le haut comédien qu'il est parfois, le comédien qui sut
incarner Hjalmar Ekdal et Akim.
2. Peut-être le vieil Alexandrin Théâtral aurait-il dû profiter
de la mort de de Banville pour réintégrer noblement le silence :
il laissait alors le souvenir d'une vie bien remplie, et la recon-
naissance de plusieurs eut pèlerine vers son hermilage. Hélas, il
ne sait pas — tel Concourt et Bismarck — se résigner : il est
prêt à tous les levers de rideau ; il rédigerait des prospectus ; et
niéme il en rédige. Très épris de formes poétiques plus jeiines,
|)lus complexes, plus libres, et jaloux de le discréditer tout h fait,
M. Antoine le barbouille de rouge et de plâtre, le pousse en
scène, et l'incite à niaiser et h grimacer : il y a dans cette poli-
tique quelque chose de perfide qu'il faut ([u'on blâme.
F. F.
PUBLICATIONS HACHETTE
lue noble figure, M. Emile Templier, l'Ame et la léte de la
librairie Haclieile, pour ses grandes- publications d'histoire et de
géographie, n'est plus. Mais la tradition de ce IVrme et doux
esprit survit en l'élan admirable qu'il imprima à ses créations et
([ui, après lui, leur assure, pour de longues périodes, la pléni-
tude de la gloire et de la vie.
Le Tour du Moiidt: compte à présent 37 ans d'existence : c'est
le grand magazine géographique, le recueil et les annales de
toutes les découveites contemporaines. L'un apiès l'autre, les
conquistadores, les Jason découvreurs d'îles y défilèrent dans le
faste et l'émerveillement des coins de nature que leurs récits
mirent au jour. A travers -400 relations et plus de 18,000 gra-
vures, c'est la Terre qui se révèle à notre curiosité des patries,
c'est tout le cosmos connu qui des Atlantiques s'évoque et nous
niilie b d'abscouces et surprenantes humanités.
Les deux volumes actuels nous octroient l'exploration du capi-
taine Binger dans la partie de l'Afrique qui constitue le Soudan
français, les péripéties du voyage de M. Bonvalot et du prince
Henri d'Orléans à travers les hauts plateaux mystérieux de l'Asie
centrale. M. Tridtjof Nansen nous entraîne aux terres glacées du
Groenland, M. Coiteau aux régions de l'Alaska, M. Zeys en celte
imprévue oasis de M'Zab dissimulée au cœur des sables saha-
riens. Enfin, avec M"'« Chantre, ce sont les séductions de l'Armé-
nie ru>-se qui se « désexotisent » pour nous et M. S. Vuillier,
parmi la multiplicité et l'inédit pittoresque des images, nous
visionne une Corse et une Sardaigne nullement banales.
Le Journal de la Jeunesse, comme le Tour du Monde, fut
une des coastanles préoccupations d'Eriiile Templier. C'est avec
émotion qut ceux qui approchèrent cet homme charmant, cet
admirable réalisateur de pensées et de bonnes œuvres, ont
retrouvé, en tête du second tome de l'année 1891, son loyal et
souriant visage. Dix-neuf ans déjà ont passé sur les premières
semailles de cette bibliothèque encyclopédique ; elle a fructifié
depuis en moissons généreuses, conférant abondamment la fleur
et le froment intellectuels. Celle fois encore, au cours des deux
semestres réunis en volumes, tous les genres y sont manifestés :
contes, nouvelles, récits d'aventures et de voyages, fantaisies
humoriste?, variétés scientifiques, etc. De graves esprits, comme
M. Maxime Du Camp, ne dédaignent pas d'y écrire : on lira avec
émotion ces attachants récils signés de son nom, le Commandant
Pamplemousse et Délie de jeu.
La librairie Hachette est la maison d'élection des grandes
publications; elle nous figure une active usine littéraire mue par
des forces puissantes et dévolue à la dissémination de l'Idée sous
ses plus somptueux aspects. L'estampe, la vignette documentaire
et artiste, grâce à elle, ont acquis, en ses splendeurs d'édition,
le rôle el l'importance d'une collaboration équivalente au texte.
On peut en juger par l'Histoire de France de M. V. Duruy et le
caractère de l'illustration de ce considérable ouvrage, à la fois
décorative et renseignante, et qui, à chaque page, anime et rend
i:art moderne
S(Misil)los, par un clinix df gravures omprunlf^os aux missols, aux
psautiers, h l'ancionne icnnograpliio, los figures cl les événomenis
(lu nV'ii. De relie Histoire ello-méme, il n'y a plus rien à dire :
e'esl l'ensenilile des enseigncmcnis auxquels, en France, s'est
fornif^e la eonseience historique des dernières gc^néralions. En
allianl les mdiliodes descriptive, anecdotique el historique, l'his-
torien s'allache ù préciser la chronologie des faits, le souvenir
des personnages mémorables, les conséquences philosophiques
el sociales au point de vue de la marche de la civilisation.
Le même procédé d'illustration justificative, les éditeurs l'ap-
))liqiient h In Charité en France, h travers les siècles de M""* de
Witt,née Guisot, un vrai cours dcmorale en action où c'est comme
le portrait de l'Ame el sa figure matérielle que fait se lever la
patiente élude de l'auteur. On le retrouve avec non moins de
lionheur dans la Littéralure française, des origines nu dix-liui-
tième siècle di> M. Paul Albert, un abondant tableau synoptique
(le l'idéal d'une race el que des porlrails du temps, d'anecdo-
liques vignettes avérant les mœurs el la coutume des antérieures
époques, toute une mise en lumière de l'amc cl de l'esprit des
aïeux transposent en de matérielles et immédiates évidences.
Un autre travail de synthèic cl de restitution bien saisissante,
c'est V Habitaticn. '" \ine de MM. Ch. Garnier et Ammann. Nuls
documents ni chroniques ne s'égalent, pour la rigoureuse véracité,
aux modes successifs cl aux types de la « maison », qu'elle soi
fixe ou nomade, lente ou casbah, palais ou chaiiminc.
A travers leurs variations se discernent non seulement les
formes extérieures des civilisations, mais l'intimité même, des
diverses humanités et cette histoire de la famille qui tient de si
près à l'abri sous lequel elle grandit el prolifère. L'histoire de
l'habitation n'est donc pas autre chose que l'histoire réelle,
vivante des mœurs sociales et domestiques régies par les res-
sources géologiques el les besoins généraux de la vie h travers
les figes. SIM. Garnier el Ammann, partant de ce principe, se
sont plu à reconstituer en de minutieux détails, avec une rare
sûreté d'érudition, toutes les formes de l'habitacle humain depuis
l'ère préhistorique jusqu'aux temps modernes.
La firme Hachette propage, en outre, un lot d'aimables con-
teurs depuis longtemps accoutumés au succès el que l'immuable
gratitude de leur jeune clientèle n'est pas près de délaisser. Ren-
seignons les Conquêtes d Hermine de M""" Colomb, la Papillonne
deM"'<'Z. Fleiiriot, les Jumeaux de la Dourzngue de M. H. Meyer,
Une poursuite de M"'« de Nanteuil, In Famille Hamelin par
M''" J. Schutz. C'est, on pourrait le îlire, la petite classe avant les
hautes humanités, la littérature préparatoire aux reliefs savants
de noire art littéraire actuel. Mais tout n'y est pas toujours écrit
d'un style bonne-femme, el quelques rehauts ci el là valent qu'ils
soient dignes d'une mention, même dans un recueil qui, comme
celui-ci, se lourmentc de plus ûpre esthétique.
y^CCUgÉ^ DE RÉCEPTION
Les Charneux, mieurs wallonnes, par Georges Garnir (Bru-
xelles, Lacomhlez). — De Secte der Ldistcn of Antwerpsclie
libertijncn, door JuMis Frederichs (Gand, J. Vuylsleke et La
il.iye, M. NijtiolT). — Die Littcratur des neumehnten Jahrhun-
(lerts in ihren Hauptitrômungen dnrgcstclU, von Georg Brandes.
Seclistcr B;ind : das Junge Dc^utschland (Leipzig, Veil et C""). —
A propos des Sceaux et des Armes de la ville de Thuin, par
Ed. NiFFr.E-ANCiAUX (Malincs, L. el A. Godenne). — Derniers
accroissements du Musée de Namur. La section du Moyen-âge
cl de la Renaissance, par Ed."^iffi,e-Anciaux. Premier fascicule
(Namur, Ad. Wesmael-Charlier). — Salon de la Rose f Croix;
règle et moniloire, par J. Pei.adan (Paris, E. Dentu). — Episodes,
Sites el Sonnets, par Henri de Régnier; nouvelle édition (Paris,
L. Vanicr). — Lassitudes, par I>ouis DuMfR (Paris, Perrin elC'*).
— Etude de jeune fille, comédie en 3 actes, par Henry Maubel
(Bruxelles, Lacomblez). — Les apparus dans mes chemins, par
Emile Verhaeren (Bruxelles, Lacomblez). — Thulé des Brumes ,-
par Adolphe Retté, avec portrait à l'eau-forle par E. H. Meyer
(Paris, Bibliothèque artistique el littéraire).
Petite chroj^jique
l'ne exposition des œuvres de Henri De Braekeleer s'est ouverte
le jeudi 31 décembre dernier au Cercle artistique de Bruxelles.
Elle durera deux semaines.
MM. Pierre Berton et Coquelin viendront, dans le courant du
mois, donner quelques représentations de Thermidor de V. Sardou
au Théâtre de la Monnaie.
La première séance de musique de chambre pour instruments
à vent et piano, donnée au Conservatoire par MM. Anlhoni,
Guidé, Poncelel, Merck, Neumans et De Grcef, aura lieu aujour-
d'hui dimanche, à 2 lieures, avec le concours de MM. Oscar
Rossecls, Heirwegb, l>aourcux, Enderlé, Hans et Bousercz.
Le programme comprend un quintette de Mozart, les Amours
du Poète de Schumann et une Pastorale chantés par M. Rossecls,
une sonate pour violon, exécutée par M. Laoureux et un oitetlo
de Hoffmann.
S'adresser pour les abonnements chez M. Florent, aile droite
de l'établissement.
La Société de musique de Tournai annonce son grand concert
annuel pour le dimanche 24 janvier procliain,à 7 heures du soir,
dans la vaste salle de la Halle aux Draps. Le programme de celte fête
musicale sera entièrement consacré aux œuvres de Peler Benoit :
Fragments de Charlotte Cordny, une scène du Schelde, chantée
par M. Henri Fontaine, Poème symphonique pour piano et
orohostre exécuté par M. Arthur De Grcef, lied Mijn Moeder-
spraàk, fragments AwRhijn el h Rubeus- Cantate, interprétée par
un ensemble de 500 exécutants.
M. Edouard Dujardin vient de quitter Paris pour aller passer
l'hiver dans le sud de l'Espagne et le Maroc; il doit y achever
une nouvelle tragédie symboliste pour faire suite à son Antonia.
M. Vincenl d'Indy a été, le i" janvier, nommé chevalier de la
Légion d'honneur.
Un public nombreux assistait à la distribution des prix aux
élèves de l'Académie des Beaux-Arts cl du Conservatoire de
Mons.
L'orchestre, dirigé par M. Jean Van den Eeden, directeur du
Conservatoire, a exécuté avec un magnifique ensemble l'ouverture
de Rouslane el Ludmila , du compositeur russe Glincka.
Puis, la salle a frénétiquement applaudi l'ouvcrlurc des Maîtres
Chanteurs, enlevée avec une maestria, une vigueur et un respect
du texte réellement remarquables. Cette superbe page de Wagner
avait été fouillée consciencieusement el le résultat obtenu* par
les musiciens du Conservatoire a été en tous points digne des
plus sincères éloges.
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DOUZIÈME ANNÉE
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d^arcliitecture, etc. Consacré principalenafent au mouvement artistique belge; il renseigne néanmoins ses
lecteurs sur tous les événements artMitiflues de l'étranger qu'il importe de connaitre. "
Ghaquo numéro do L'ART MOPERNE s'ouvre par une étude approfondie sirr uno question artistique
i^uj littéppire dont lévénement de la semaine . fournit ractuallté- Les expositions, les livres nouveaito), les
premiénes représentations d'isuvres dramatiques ou. musicales, les conférences littéraires, les concerts, les
ventes d'objets cTari, font tous les dimanches l'objet de chroniquç^ détaillées.
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Douzième année. — N" 2.
Le numéro : 26 centimes.
Dimanche JO Janvier 1892.
L'ART MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Comité de rédaction « Octave MAUS — Edmond PICARD — Émilb VERHAEREN
Abonnements : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. — ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser toutes les communications à
l'administration générale de l^Art Moderne, rue de l'Industrie, 32, Bruxelles.
Sommaire
L'knquête. — L'Aht chez le peuple. — A propos des primitifs
ITALIENS. — Exposition du « Vùorwaahts «. — Les six derniers
MOIS. — A LA BERGÈRE. — Le DRAME LYRIQUE A AnVERS. — LiVRES
ET BROCHURES. — CHRONIQUE JUDICIAIRE DES ARTS. — MeMENTO DES
EXPOSITIONS. — Petite chhonique.
L'ENQUETE
M. Slingeneyer a prononcé à la Chambre, dans la
séance du 23 décembre dernier, un discours auquel
nous applaudissons sincèrement. Il y reconnaît la grande
place qui revient à l'Art dans l'œuvre de la civilisation
et dans l'éducation d'un peuple.
Malheureusement, dit-il, « en jetant un regard en
« arrière et en consultant les résultats obtenus, j'arrive
" à cette conclusion, que le rôle des Beaux-arts, comme
" facteurs de progrès, n'est pas encore compris à sa
« juste valeur dans notre pays.
« On ne peut nier l'action prépondérante et même
" omnipotente des arts et l'on peut soutenir cette vérité
" qu'en soutenant l'Art, l'État travaille sûrement et
" efficacement aux progrès de l'industrie. "
Le gouvernement, continue-t-il, a montré son bon
vouloir et a pris de bonnes mesures : l'organisation
du dessin obligatoire dans nos écoles, rallocation
annuelle d'une somme de 100,000 francs, à titre supplé-
mentaire, pour la conservation de nos monuments
artistiques, l'installation de trois musées remarquables
à l'ancienne place des Manœuvres.
Enfin, il parle du projet de M. le ministre de Burlèt
de mettre prochainement au concours la rédaction
d'un ouvrage relatif à l'histoire générale de l'activité
scientifique, artistique et littéraire en Belgique.
Mais il faut faire plus encore.
Notre insouciance nous exclut de la lutte qui existe
aujourd'hui entre toutes les nations intelligentes de
l'Europe pour la protection de leur industrie.
" Alors que ces nations veulent revenir aux saines
" traditions d'une renaissance artistique et industrielle
" du caractère national, nous, qui avons été leurs maîtres
« et leurs éducateurs pendant plusieurs siècles, nous
" sommes menacés de tomber à une infériorité qui nous
" oblige à aller prendre exemple chez eux, pour des
« choses que nos pères leur avaient apprises.
- Si nous voulons que nos objets d'art exercent la
" même séduction et produisent la même fascination
" sur les étrangers qu'autrefois, nous devons revenir
« aux traditions artistiques nationales. Cet esprit, c'est
« le nôtre, c'est l'âme du pays. "
A son avis, il y a lieu, entre autres, de compléter
l'Administration des beaux-arts par une section d'art
4?;^-;-
.,,,:-ÊêÊÊ
industriel, à l'exemple de ce qui existe dans les autres
pays. Et que d'autres mesures à prendre !
La nomination d'un nouveau Directeur général des
beaux-arts, des sciences et des lettres amènera peut-
être une réorganisation de cette administration.
Il insiste, en terminant, auprès du gouvernement
pour qu'il se préoccupe des questions qu'il vient de
rappeler.
« L'argent dépensé pour mettre dans le cerveau de
« nos artisans et de nos ouvriers des notions artistiques
« ne sera jamais qu'une simple avance de fonds qui
" rentrera avec usure dans les caisses du pays, par les
« succès obtenus sur les divers marchés du monde.
« Nous avons eu pendant des siècles une situation
.„ «' prépondérante ; il s'agit de la reconquérir : c'est le
« problème qu'il faut résoudre. »
Parlant alors de la longue polémique que nous avons
entreprise contre la Commission des musées et des
nombreux reproches que nous avons dft lui adresser,
l'honorable député est d'avis qu'il y a lieu de faire une
ENQUÊTE régulière et de la confier à des gens étrangers à
ladite commission.
. Si des réformes sont à accomplir, —ce qu'une enquête
pourra révéler, — il sera des premiers à les réclamer
et à les défendre. '
M. le ministre de Burlet remercie M. Slingeneyer
d'avoir constaté que la discussion de l'an dernier n'a
pas été sans fruits. Certaines résolutions qu'il avait
annoncées ont passé à l'état d'exécution et il était
difficile de faire plus, eu égard au peu de temps qui s'est
écoulé depuis les derniers débats et la perte de
M. Rousseau.
La réorganisation de la Direction des beaux-arts le
préoccupe ajuste titre, mais la question est fort com-
plexe et ne peut être résolue précipitamment. Ce n'est
pas, en effet, la Direction générale de la peinture seule
qui est vacante : c'est la Direction des beaux-arts, des
sciences et des lettres.
Quant à la question de l'enquête, il est absolument
d'accord avec M. Slingeneyer et aussitôt la Direction
des beaux-arts réorganisée, celle-ci aura à s'occuper de
la question, de commun accord avec le ministre.
. Répondant à M. Woeste qui avait appelé l'attention
"^Ir gouvernement sur la question de savoir s'il est
opportun de maintenir les expositions triennales, M. de
Burlet fait remarquer que le Salon de Bruxelles est
seul organisé par le gouvernement. A son avis, ce qui
fait tort aux expositions triennales, c'est le grand
nombre d'expositions particulières.
« Nous avons à Bruxelles, en ce moment, outre
" l'Exposition des aquarellistes, la remarquable Expo-
" sition de l'œuvre de Constantin Meunier, sculpteur,
« peintre, aquarelliste,.. En outre, les expositions par-
» ticulières se succèdent au Cercle artistique et litté-
" raire. On y voit se produire, sous tous leurs aspects,
" l'œuvre de nombreux artistes de mérite. Cela est de
" nature, encore une fois, à diminuer l'importance
« des expositions triennales et même à rendre l'utilité
« et l'opportunité de celles-ci contestables. -
Nous sommes heureux de voir l'intérêt que porte
aux choses de l'art, si décriées dans notre pays, M. Slin-
geneyer et de constater que le gouvernement lui prête
un énergique appui.
La présence de M. Slingeneyer à la Chambre, nous
l'avons déjà dit, a été une fort bpnne chose pour les
intérêts artistiques du pays et celle de M. de Burlet
au ministère nous a permis d'espérer que le gouverne-
ment commencerait à se montrer plus favorable aux
arts qu'il ne l'avait été jusqu'alors. Nos vœux ont déjà
eu un commencement de réalisation et nous comptons
bien voir le gouvernement persévérer dans cette voie.
Une proposition qui nous a été fort agréable aussi,
c'est celle de la commission d'enquête, surtout com-
posée de la façon dont M Slingeneyer le propose. Il n'ap-
partient pas, en effet, à la Commission à laquelle nous
avons tant à reprocher de diriger elle-même une
enquête qui n'eût pas manqué d'aboutir à son absolution
complète. Il faut que tous les griefs que nous avons
formulés soient examinés de près et point par point
par des personnes indépendantes qui ne soient point
partie en cause. C'est là seulement que l'on trouvera
toutes garanties d'impartialité.
Nous félicitons M. Slingeneyer de l'attitude qu'il a
prise. Si des réformes sont à accomplir, ce qui n'est pas
douteux, nous tenons bonne note de sa promesse d'être
le premier à les réclamer et à les défendre.
M. de Burlet nous promet de s'occuper de la
question aussitôt que la Direction des beaux-arts sera
réorganisée; nous avons foi dans sa promesse et nous
n'en attendions pas moins de lui. Le temps n'est rien et
le retard ne sera d'ailleurs pas grand. L'important pour
nous est de constater que notre campagne vigoureuse a
abouti et que ce n'est pas en vain que nous avons
bataillé au nom des intérêts de l'Art,
L'ART CHEZ LE PEUPLE
La doiixièmc scancede la SecUon d'An (1) a décidément permis
de considérei ravenlurcuse inilialivc des ailislesallaiU aux masses
ouvrières, comme digne de la plus scncusc disLiission. .AUeiitioii
soutenue du public pendant plus de deux heures et demie, de ce
public venu là, après sa journée de travail el privé de la bière et
delà pipe traditionnelles; signes non équivoques do compréhen-
sion aux passages les plus caractérisli(jui's de la conférence ou
des lectures; sympathie respeclueu.se de i'auditou'e pour les tra-
vailleurs de la pensée ; autant de faits ([ui ont donné la foi aux
plus sceptiques.
(1) Voir le compte rendu dan.s notre numéro du .Tl déccml)ro.
L'œuvre de l'éducalion arlislique du peuple s'impose désor-
mais comme possible, comme immédialcmenl réalisable.
Voilà de quoi changer la posilion de tous les problèmes
d'cslhélique el de leur assurer une solution aussi cerlaine que
le permet la méthode expérimentale. Car il s'agit d'une vraie
collaboration, d'une sorte d'enseignement mutuel. L'artisie
n'aura pas moins h apprendre de la fréquentation d'auditoires
ouvriers, que ceux-ci de l'atlcnlion qu'ils prêteront aux artistes.
Qu'on ail compris, c'est indiscutable. Qu'on ait tout compris
el qu'on ail exactement compris, certainement non. Mais qu'im-
porte? Il y a eu sympathie pour les œuvres de haute envolée el
c'esl là l'essenliel. Ce public, du fond des cénacles assemblés
dans les chambres calfeutrées cl défendues contre l'enlrée de
l'atmosphère extérieure, on s'était cru autorisé à le proclamer
incapable de s'élever au-dessus de la compréhension de faits
immédiatement utiles, de données exclusivement positives el con-
crètes, incapable do s'intéresser k ce qui n'entre pas dans la
sphère des intérêts matériels. Et voilà qu'il se révèle, au contraire,
avec une âme foncièrement artiste, se laissant séduire par le
charme caché d'un conte, par la magie de certains mots adéquats,
émouvoir par le récit coloré de la vie de ses ancêtres des
métiers. Quand, sans bien connaître la langue d'un pays, nous
n'hésilons pas pourtant, au cours de nos voyages, à assister aux
représentations données par les Ihéûtres nationaux, n'obéissions-
nous pas aussi à un besoin d'arl que nous disons satisfait alors
même que le sens des trois quarts des mot* nous a échappé? Il
y a ce que l'on comprend el ce que l'on devine. El par là surtout
se caractérise l'art, qu'il n'exige pas la précision de la science, el
qu'il vaut souvent plus par ce que nous ajoutons arbitrairement
à un thème donné que par notre docilité à suivre sans écart le
labyrinthe des développements de l'artiste.
L'impression esthétique, voilà ce qui domine tout.
Nous pouvons difficilement nous figurer d'ailleurs l'élonnanl
effet sur une nature fruste de la plus petite idée bien comprise
ou de la moindre image bien saisie.
Nous sommes, nous, des richards en idée. Noire atmosphère
ambiante en est déjà surchargée. Puis nous avons la grande
ressource dej^ivres, ce réservoir des idées, de tous les temps, de
tous les génies nationaux. Aussi les idées et les formes ne fonl-
ellcs que nous amuser un moment el rapidement elles cèdent la
place à d'autres, el passent comme en un vrai gaspillage : nous
ne craignons pas la disette. Mais chez ces pauvres d'idées, mais
non pauvres d'esprils, soupçonnons-nous combien choyé un
aperçu nouveau, une comparaison qu'on a applaudie, un conte
fantastique ou réel qui vient varier le répertoire appris depuis
l'école?
Il ne faut pas que l'observation se borne à être toute exté-
rieure au sujet de l'expérience qui se poursuit à la Maison du
Peuple. Nous devons savoir mainienanl ce qui se passe dans les
cerveaux de ces simples, quand nous k-ur apportons le pain de
l'esprit, il serait bon que leurs chefs les fassent causer el raconter
leurs impressions. El qu'ils vinssent ensuite les redire aux artistes.
Car, répétons-lo, il s'agit avant loul en l'espèce d'une collabora-
lion.
.Autre mission encore de certains chefs : compléter par des
conversations particulières l'œuvre des séances el expliquer les
contradictions apparentes entre les enseignements de l'an el ceux
qu'ils ont reçus d'ailleurs. Nous nous demandions, en effet, lors
de la dernière réunion, quel singulier trouble devaient jeter dans
un esprit bien équilibré, mais de peu de culture, des concep-
tions poétiques, toutes de symbole et de fiction, alors que la
matière de ces symboles est encore si vivante et cru réelle par
beaucoup. Enlre le miracle, objet de discussions philosophiques
religieuses, el le miracle envisagé comme touchante el Ijelle
légende, digne d'émouvoir un poète el de servir de irame à ses
censées, il y a une distinction profonde, mais subtile à saisir...
La question que nous aurions envie de poser ici regarde moins
l'art que le développement intellectuel du peuple. Bornons-nous
à l'indiquçr el à l'adresser à qui de droit.
A PROPOS DES PRIMITIFS ITALIENS
CORRESPONDANCE.
Monsieur le Directeur de l'Art Moderne.
Moi aussi, j'ai été vivement frappé de l'analogie très grande que
présente l'œuvre de la National Gallery, obligeamment signalée
par M. A. W. (1), avec les fresques de Castiglione ; et, à première vue,
j'avais cru à une redite affaiblie, mais très remarquable de la
Légende de Saint-Jean de Masolino. Seulement, si l'on consulte
le catalogue, guide érudit et sûr, on découvre que ce tableau,
provenants d'une abbaye du Casertin, fut peint en 1.387 pour un
certain Filippo Neroni. Or, Masolino est né en 4383. Quant à
Taddeo Gaddi, il était mort, lui, depuis 1366.
Impossibilité donc d'attribuer à l'un ou l'autre de ces maîtres
l'œuvre notable de la National Gallery. Son aulcur fut sans doute
un de ces vaillants artistes méconnus par la gloire dont l'efforl
anonyme rend celle époque si intéressante.
Il semble donc que Masolino ait copié son précurseur inconnu.
La chose est possible el ne diminue point son mérite. Il eut à
son lour l'honneur d'êlre copié par Piero délia Francesca {Bap-
tême du Ckrist) et par Michel-Ange (canon de la Guerre de Pise),
ce qui nous amène à conclure que les artistes d'alors ne pensaient
pas du loul comme nous au sujet de ces emprunts. Les preuves
en sont nombreuses : l'une des plus frappantes est la copie à peu
près servileque le plus fécond décorateur du XV" siècle, l'in-iom-
parable évocaleur du cortège des Rois Mages de la chapelle Ric-
cordi : Benozzo Gozzoli, fil de l'Adoration des Rois de Genlilc Ja
Fabriano au Campo Sanlo de Pise. — Psychologie spéciale, à
débrouiller.
Bien à vous,
Jui.Es Destrée.
Exposition du « Voorwaarts »
Le Voorwaarts, rallié aux coulumes exhibitionnistes des XX:
groupement des œuvres par panneaux, toiles d'invilés allernanl
avec l'envoi des membres, etc., offre au public un Salonnel de
bonne tenue et de réel intérêt, supérieur, dans son ensemble, à
ses précédentes expositions.
Parmi les invités, M. Verhaeren se distingue par l'éclat d'un
coloris qui se hausse aux harmonies sonores de De Braekeloer.
In suggestif effet de lumière el la Récolte du lin affirment l'obser-
vation scrupuleuse et la conscience arlislique d'Emile Claus. Une
nature morte du Hollandais Kamerlingh évoque le souvenir des
(i) Voir noire dernier numéro.
12
L'ART MODERNE
Floris Versler, aperçus l'an dernier au Salon des XX. Un paysage
de Pointelin, un Heymans frais el une agréable petite figure de
M. Gari Melchers complètent le cycle, assez restreint, des envois
étrangers. Nous prisons peu l'art praliné de M. Gagliardini : sa
Provence est irop de Monlélimar, patrie du nougat, et quant au
portrait exposé par M. Vanaise, il est neltcment mauvais.
Les membres du Cercle, en progrès sérieux, alignent un con-
tingent important de tableaux et d'études. Les plus dignes
d'attention sont les paysages de MM. Van Doren (à citer particu-
lièrement le n<> !?, Clair matin d'automne), Hoorickx, Del-
gouffre, etc.; les dessins de RI. Colmanl, spécialement une élude
de vieille, pleine de caraclôre; les toiles de M. Dlieck; le portrait
d'enfant de M. Du Jardin, à qui l'on pourrait reprocher une hantise
des .œuvres de Fernand Klinopff; les sculptures de M. Auguste
Puttemans, dont la grande figure O nuit ! exposée en plâtre au
Salon^e Bruxelles, aclueliement présentée sous sa forme défini-
tive, est réellement un bon morceau.
M. Middeleer affirme des tendances littéraires. Il compose de
grandes toiles d'iniérél conleslabic et de couleur vide et terne. Nous
n'aimons guère ses Fleurs du mal, qui évoquent le souvenir des
toiles appendues aux cabinets des magiciens, sur les champs de
foire, el si son saint Julien est suffisamment lépreux el repous-
sant, le jeune homme qui l'élreint, les anges qui assistent à la
scène, sont d'une navrante banalité.
Nous avons gardé pour la fin les deux artistes les plus inléres-
sanls du groupe, ceux qui, certes, dominent tous les autres el
apportent au Salon du Voorwaarts une note personnelle :
MM. Gilsoul et Laermans.
Nous les avons mis en vedette l'un et l'autre l'an passé. Leur
actuelle exposition est de celles qui forcent l'attention. Il y a dans
les effets de nuit du premier, obtenus par les anciens procédés de
peinture, une poésie intense décelant un tempérament artislique
très particulier. Dans la grande toile qui montre un des bassins
de Bruxelles assoupi dans les ombres nocturnes, la lointaine illu-
minalion des quais, les fuyantes lueurs qui éclairent les ruelles,
le calme des eaux, la limpidité du ciel sont exprimés avec une
pénétrante émotion. Le Canal aux anguilles, la Courbe attestent,
de môme, une vision personnelle et de maîtresses qualités de
peintre. M. Gilsoul est, inconleslablement, l'un des jeunes qui
marquera.
Eugène Laermans est la plus nette personnalité du Cercle
Voorwaarts. Vision nouvelle ; recherches spéciales de couleur,
certes, pas toujours heureuses; plutôt dessinateur que peintre;
préoccupé à tel point du caractère qu'il aboutit, audacieusement,
parfois à la caricature ; tendance à voir les choses par masses et
par blocs; ligniste scrupuleux, attentif, sincère; déformateur
violent du type reçu, soit classique, soit romantique, soit natu-
raliste, du paysan ; travailleur unique, le dos tourné aux voisins,
commesi personne n'existait à côté de lui. Quelqu'un.
Les magots, ceux que voulait remiser dans les greniers do
Versailles le bon goût de Louis XIV, les voici. Assurément très
éloignés de ceux deTeniers, aussi des rustiques des frères Lenain,
encore des farouches et mystiques bergers de Millet, enfin de tous
les types réalistes, dont Bastien Lepage et ses continuateurs ont
fait orner les blouses et les sarraux par les médailles officielles,
aux divers Salons des Champs de Mars et Elysées. Si M. Laermans
rappelle un maître, ce serailTancienCamille Pissarro, celui qui fit,
alors qu'il ne pointillail pas encore, tels marchés et tels coins de
halle de Rouen el de Paris où de formidables rustauds et rustaudes
arrondissent des croupes, des dos et des ventres kilogram-
matiques. Seulement, de tels pastels et lavis doivent être tota-
lement ignorés parle voorwaartsisle
En son tryptique : Préludes, Plain-chant, les Harmonies du
Silence, et en ses Politiques de Village, il apparaît indubitable-
ment original. On sent qu'il a vécu au village, ou jdutôt dans le
hameau, qu'il y connaît le maçon auquel on doîn^n sobriquet
à cause de sa taille invraisemblable, le tueur de cochons qui
semble de suif et de saindoux comme les bélcs qu'il abat, le gamin
qui ramasse le crottin sur les routes, le petit mendiant hâve qui
vole les poules, la commère du cabaret A la Barrière, la grosse
fermière dont les lélons massifs chargent le ventre, le conseiller
communal, en culotte rapiécée, en camisole déteinte, qui va au
Conseil fumant sa pipe et délibère les sabots gluants dans la mare
de crachats qu'avant la fin de la séance il a thésaurisé comme des
pièces de cent sous.
Toute la vie pataude, la vraie, l'affamée ou l'engraissée, celle
qui digère, celle qui souffre, celle qui ahane, celle qui finaude,
celle qui déblatère, celle qui écoute et se lait prudemment, celle
qui paît l'exislence, celle qui la traîne bâtée par ses mysticismes
et ses croyances, se retrouve en les quatre numéros précités.
C'est surtout déformés par leurs travaux et par leurs vêlements
que les paysans se présentent à M. Laermans. Mains, pieds, bras,
jambes, dos, tôles, ventres, cous, inclinaisons du corps, voùte-
tements ou redressements- sont étudiés. En ce sens tous ses types
sont des bêtes de somme. Mais aussi, de par leurs pantalons trop
larges ou trop courts, de par leurs vêtements empilés les uns sur
les autres, ou pendus au long des tibias et des échines comme des
linges qui sèchent à un piquet, de parleurs défroques portées de
père en fils, de par leurs gilcls taillés dans les jupons usés de
leurs femmes, de par toute leur guenille, ils réalisent des ensem-
bles de coudes, de moignons, de raccourcis et de bosses, qui les
classent dans la catégorie des marchandises : sacs, paquets, colis,
ballots.
■ Or, ces aspects divers, souvent grotesques, quelquefois curieux,
n'ont jamais été aussi continûment el aussi fidèlement mis eu
relief.
Terminons, en indiquant la teinte de mélancolie qui plane sur
toutes ces scènes el qui rattache M. Laermans noueusemont et
solidement à sa race.
LES SIX DERNIERS MOIS
Les six derniers mois littéraires de la Belgique ont été peut-
être les plus vivants et les plus prospères depuis l'aurore de noire
Renaissance des lettres. Un coup d'œil sur les livres parus, sur
les revues, sur les polémiques suffît à le démontrer. Jamais vie
aussi intense ne s'est manifestée.
Voici les livres publiés au cours de ce dernier semestre ;
Henri Nizet. — Suggestion.
Hubert Krains. — Les Bons Parents.
Frantz Mahutte. — Bruxelles Vivant.
P. -M. Olin. — Des Visions.
Albert Mockel. — Chante-lable un peu naïve.
Jules Destrée. — Journal des Destrée.
Albert Giraui). — Pierrot Narcisse (réimpression).
Eugène Demolder. — Les Contes d' Yperdamme.
Maurice Maeterlinck. — Les Sept Princesses.
Emile Verhaeren. — Les Apparus dans mes chemins.
L'ART MODERNE
13
Maurice Desombiaux. — Vers de l'Espoir
Georges Garnir. — Les Charnetix.
Henry Maubel. — Elude de Jeune Fille.
Camille Lemonniek. — Les Jouets vivants.
Ajoutez à cela que Gustave Kahn a fait paraître k Bruxelles
ses Chansons d'Amant et Stéphane Mallarmé ses Pages, l'un
chez Lacomblez, l'autre chez Deman.
Ajoutez encore qu'on annonce pour bientôt le Cycle Patibu-
laire et la Nouvelle Carthage (Odilion définitive) de Georges
Eekhoud, les Récits de Nazareth d'Eugène Demolder, le Livre
d'Images de Gustave Kalin el, chez Deman, l'apparition d'une
très artistique publication où collaboreront MM. Lcmonnier,
J.-K. Huysmans, Kahn, Mallarmé, Picard, Verhaeren, Demolder,
Octave Maus, Eekhoud et Gilkin.
La Société nouvelle et la Jeune Belgique ont été, ces derniers
temps, des plus vivantes et des plus belles et les polémiques,
tant contre les Commissions des beaux arts que contre de vieux
chroniqueurs jaloux ont eu du retentissement. Les incidents
Maeterlinck, Eekhoud, Picard, Giraud, d'un côté, les interpella-
lions à la Chambre de l'autre, sont des indices d'une intense
vitalité.
Les interviews que fait M. de Wattine (il y a quelque douze
ans, il lui eût été difficile de s'adresser à plus de trois ou quatre
littérateurs) sont également des signes non contestables d'un
mouvement sérieux et durable, de même que les conférences que
font avec tant de succès les jeunes lettrés à h Maison du Peuple.
Tout cela est très original et attirera certainement l'attention
de l'étranger sur la Belgique. Cette attention est déjà éveillée,
d'ailleurs. « La Belgique monte », disait encore, il y a trois
semaines, une revue française : La Revue blanche.
A LA BERGERE
La Gazette a secoué les rubans roses de son bonnet d'ouvreuse.
En minaudant, elle a parlé sur la Direction des Beaux-Arts.
On pressent quelle peut être, en pareille matière, l'appréciation
d'un journal qui a choisi pour critique artistique cet extraordi-
naire M. Cattier. La crainte de voir le Ministre choisir un défen-
seur des idées nouvelles affole la trinité Renson le père, Félis le
fils el l'esprit-saint Vauthier, dont le « premier Bruxelles » d'hier
sonne le tocsin à toute volée. Méfiez-vous du candidat! Lui, à la
rigueur, cela pourrait aller, comme dit Marignan dans la Cigale.
Mais il y a quelqu'un dans son ombre qui est effroyablement dan-
gereux ! Ce n'est pas lui qu'on nommerait, c'est l'Autre, le mysté-
rieux cl redoutable personnage qui s'enveloppe d'un manteau
couleur de muraille, se dissimule derrière le candidat et lui dicte
des ordres, et c'est Celui-là qu'il faut éloigner en écartant celui-ci.
Ah ! la plaisante histoire, que Ponson du Terrail eût volontiers
mise en feuilleton et que la Gazette eût publiée avec un zèle
pieux. Il serait facile d'établir l'indépendance et l'autorité que
s'est acquises, par quinze années de critique loyale, de polémique
littéraire, d'études continuelles, de publications nombreuses, de
relations constantes avec les artistes de toutes les écoles, la per-
sonne à qui l'on fait allusion. Mais à quoi bon? La mauvaise
humeur de notre bonne commère est trop naturelle pour être
traitée comme un cas sérieux. Demain elle proclamera le nom de
son candidat, quelque mà,suir arraché à son rond de cuir, farci de
routines, truffé de préjugés, décidé à enfouir au fond des cartons
verts tout projet d'innovation, toute proposition libérale, toute
idée neuve.
Prenez mon... masuir! Nous attendons avec curiosité le phéno-
mène que vont nous exhiber les imprésarios du Fossé-aux-Loups.
Gageons qu'il prendra pour devise : « Les Maîtres Chanteursf
Un plat vaudeville! »
Le drame lyrique à Anvers
[Correspondance particulière de l'Art moderne.)
Une représentation intégrale de cette exquise fantaisie, le Songe
d'une Nuit d'été du grand Will, n'est pas une tentative d'art com-
mune, cl la reconnaissance des esthètes qui s'en réjouissaient
si bruyamment à la première va droit k celui qui, en dépit de la
sourde oreille que le public prétait k des reprises — méritoires
mais enfin trop connues! — en dépit de celte presse si avilie
qu'elle aime mieux s'arrêter aux aventures scandaleuses du
monde artistique qu'aux réels efl'orts d'Art, a néanmoins per-
sisté dans l'intention d'offrir des représentai ions de drameé^
lyriques à celle partie dU public que n'affriolent pas les allusions
aux cuisses de Miss Hellyetl.
Peter Benoit a dépensé, depuis le commencemenl de la saison
théâtrale, plus de temps et plus d'argent qu'il. n'en fallait pour la
réussite de sa généreuse entreprise; et la curiosité du public
pour ce « Zomernachtsdroom », ses acclamations répétées
l'éclaireront-elles sur les seules causes de ses premiers et per-"
sistanls insuccès : les redites?
11 est avéré maintenant qu'il sérail dangereux de patauger plus
longtemps dans des reprises; il importe d'accomplir les pro-
messes et de monter au plus tôt V Arlésienne, Peer GipU surtout.
Car, celte fois, nous avons plus pris plaisir k la pièce, que de
respectueux artistes nous ont donnée sans la moindre coupure,
mais alourdie pourtant par une régulière et maussade versificii-
tion d'un Docteur Burgcrdijk, qu'au commentaire musical un
peu monotone et laborieux de Mendelssohn. « L'Entrée des rhé-
toriciens », le « Chœur des Elfes », si gentiment mené par une
très jeune el trop peureuse actrice, le « Nocturne » et la « Marche
nuptiale » auront tranché cet ensemble trop indéfiniment gris,
dont, à cette première d'inexcusables négligences de l'orchestre
auront encore accentué le ton.
Malgré tout, ce fut un réel succès qu'il nous est très réjouissant
de noter cl qui va relever le courage, que nous admirons, de l'or-
ganisateur très désintéressé de ces très artistiques soirées.
Ailleurs, au second Théâtre Flamand, un excellent acteur,
M. Laroche, a choisi, pour la soirée à son bénéfice, le (^olksvijand
d'Henrik Ibsen.
Il paraîtra dans l'écrasant rôle d'Otto Stockmann. Un comité
s'est formé pour seconder, comme il le faut, cette tentative d'art.
Il entend ne négliger aucun moyen pour faire réussir la pièce et
intéresser le public au peu banal projet de l'acteur.
LIVRES ET BROCHURES
Le Monténégro {Conférence donnée au Club Alpin Belge), par
M. Ch. Buls. — Bruxelles, Hayez, 1891, in-S», 16 p.
En une courte esquisse, M. Buis dépeint la route qui conduit
de Bruxelles aux bouches de Catlaro. Sa causerie, d'allure simple
14
VART MODERNE
el vive, déroule devant le lecteur un rapide dioraina. Cette des-
cription à vol d'oiseau ne donne qu'une vision superficielle des
contrées parcourues. Il semble que le voyageur a marché trop
vile. Les p;iysages ont légèremenl glissé sur sa rétine; l'ùme des
choses entrevues ne l'a pas pénétré ol ne parle pas en lui. Nulle
part ce feu d'idées, d'images qui jaillit de l'esprit au choc des
impressions, en jetant une illumination sur le pays évoqué.
Néanmoins ce récit de voyage, à peine ébauché dans le cadre
restreint d'une conférence, offre des détails intéressants sur les
mœurs, l'archéologie, l'ethnographie et la constitution politique
du Monténégro.
Histoire de l'iiabitation humaine. — (Bruxelles, Lyon-
Claesen, 24 planches iii-12, emboîtées dans un cartonnage )
On se rappelle le succès des spécimens d'habitations exposées,
en 1889, au Champ de Mars, par M. Garnier, qui permetiaienl
aux visiteurs de suivre le développement de l'art de bâtir depuis
les temps les plus reculés.
L'éminent architecte a fait paraître, en un album de luxe, la
série des dessins de ses constructions pittoresques, mais le prix
n'en est pas accessible h tous. C'est ce qui a suggéré à M. Lyon-
Claesen l'idée de s'entendre avec M. Garnier au sujet de la publi-
cation d'un album réduit contenant, dans un formai portatif et à
bon marché, les 24 planches éditées à Paris. C'est cel album,
ingénieusement cartonné, que l'éditeur met en venie. Son prix
minime (3 francs) le rendra rapidement populaire.
Les joujoux parlants, par Camille Lemonnier. Lu volume
grand in-iC, illustrations de GeofTroy, Destez, Motty, Semeghini,
Mellery, etc. Broché, fr. 1-50 ; cartonné genre aquarelle, 2 francs.
Rien de plus gai, de plus séduisant, de mieux rempli d'obser-
vations piquantes, de spectacles plus variés que ce nouveau
volume de l'auteur de Bébés et Jumeaux. Toutes ces jolies his-
toires sont à lire et à relire, et l'on y reviendra pour mieux saisir
encore toute leur saveur et leur douce philosophie. C'est du
Lemonnier familial et tendre.
Des artistes de talent ont rivalisé d'entrain pour rendre les amu-
santes scènes de ce petit bijou littéraire.
Ne pourrait-on appliquer aux revues littéraires, aujourd'hui si
nombreuses, l'initiative prise pour les revues de droit par
MM. Blanchemanche, Cassiers, Max Hallcl et Pau! OtIcI, qui
pu.jlient tous les mois le sommaire des articles et études juri-
diques parus dans les périodiques belges et étrangers (J)? Cette
nouvelle revue, coquettemenl présentée, est, pour les juriscon-
sultes, d'une incontestable utilité.
11 nous souvient d'avoir reçu pendant quelque temps un BuUe-
lin des sommaires, qui généralisait le principe. Mais l'extension
trop grande du cadre choisi rendait les recherches laborieuses.
Restreinte aux Lettres, une table mensuelle des travaux publiés
serait intéressante et rendrait de réels services.
«
(1) Sommaire périodique des Revues de droit, paraissant du 25 au
30 de chaque mois par livraisons d'environ 32 pages. — Bruxelles,
Librairie générale de jurisprudence, rue des Minimes, 22.
j^HRONlQUE JUDICIAIRE DEp ^RT^
Eshba contre Smylis.
La ¥ chambre du tribunal civil de Druxclles a prononcé mer-
credi dans l'affaire Eshba-Smylis dont nous avons parlé dans nos
numéros des 13 el 20 décembre.
M. Dcfawe est débouté do son action et condamné aux dépens.
Il est condamné, en outre, reconventionnellemcnt, à payer à
M. Hannon 500 francs de dommages-inléréls.
Le jugement, très intéressant en ce qu'il tranche les questions
de droit nouvelles posées par les plaideurs, décide notamment
qu'en matière de ballet, comme en matière d'opéra, le musicien
qui s'est engagé à écrire une partition garde la propriété person-
nelle de son œuvre tant que celle-ci n'est pas complète et défini-
tive; qu'une œuvre ne peut être considérée comme définitive el
commune aux deux collaborateurs que lorsqu'elle a été livrée à
l'auteur du scénario et acceptée par ce dernier; qu'il faut même
admettre que chacun des collaborateurs conserve le droit d'y
apporter des modifications tant que l'œuvre commune est restée
inédite ou n'a pas été exécutée publiquement.
Il en résulte que M. Dubois a pu, sans encourir aucun reproche,
introduire dans la partition de Smylis divers fragments qu'il des-
tinait primitivement b Eshba el qu'il avait même fait jouer sous
ce dernier titre au Waux-hall.
Le jugement consacre donc textuellement la thèse présentée au
nom du compositeur. H décide, en outre, qu'il n'y a aucune res-
semblance entre le scénario à' Eshba el celui de Smylis, et que
dès lors aucun fait de contrefaçon ne peul être imputé ni à
M. Hannon ni b M. Dubois.
Mémento des Expositions
BKUXELI.E.S. — 1X« Salon annuel des XX (limité aux mombrcs
et aux artistes invités). Février. Renseignements : Secrétariat
des XX, rue du Berger, 27, Bruxelles.
Cannes. — Exposition internationale. Janvier, lévrier, mars,
avril 1892. Renseignements : M. le Commissaire général de
l'exposition internationale, Cannes {Alpes maritimes).
Chicago. —Section des Beaux-Arts de l'Exposition universelle.
1" mai-30 octobre 1893 (voir lArt moderne du H octobre 1891).
Florence. — Exposition annuelle do la Société des Beaux-
Arts. IS février-30 avril 1892. Délai d'envoi : 20 janvier.
Renseignements : Secrétaire de la Société, Via délia Colonna, 29.
Glasgow. — Exposition de l'Institut des Beaux-Arts. 2 février-
2 mai 1892. (Gratuité do transport pour les artistes invités).
Renseignements : M. Robert Walker, secrétaire.
Madrid. — Exposition historique européenne. 12 scplcmbre-
31 décembre 1892. (Sculptures sur pierre, sur bois, sur métal et
sur ivoire; — Tableaux peints à l'huile, à la gouache cl à la
détrempe sur toute matière; — Miniatures; — Dessins; — Gra-
.vures; — Mosaïques; — Pièces d'orfèvrerie, do joaillerie el de
toute sorte de métaux; — Panoplies; — Vêtements de toute
nature; — Tapis, tapisseries et étoffes; — Reliures artistiques;
— Manuscrits rares; — Mobilier; — Céramique; — Verrerie; —
Carosserie; — Matériel des arts et métiers). — Délais d'envoi :
l"-30 avril 1892. — Renseignements : Comte de Casa Miranda,
sous-secrétaire d'Etat à la présidence du Conseil des ministres,
Madrid.
-wmm
L'ART MODERNE
15
Munich. — Exposilion iiitcrnalionalc des Beaux-Arts. \" juin-
fin octobre Délais d'envoi : notices, l.'i mai; o'uvres, l"-20 mai.
Henseigncrncnis : M. Ch. A. Baur, secrétaire du Comité central.
— Envoi collectif par H. W. de Haas et C'^
Nantks. — Société des Amis des Arts. l"-'M mars 1892.
Délai : 9 février. Dépôt chez M. Toussaint, rue du Dragon, i3,
Paris, du 4 au 9 février. Renseignemonts : M. John Flornoy,
secrétaire- général, place du Commerce, 12, Nantes.
Paris. — Salon de 1892 (Champs-Elysées), l"'' mai-30 juin.
Délais d'envoi : peinture, 14-20 mars; dessins, aquarelles, pastels,
miniatures, porcelaines, émaux, cartons de vitraux, 14-16 mars;
architeclure, 2-6 avril; pour la sculpture, la gravure en médailles
et la gravure sur pierres fines, de môme que pour la section de
gravure et de lithographie, les dates ne sont pas encore fixées. —
Renseignements : M. F. de Viiillefroy, secrétaire, palais de
l'Industrie, Champs-Elysées.
— Salon de l'Association de l'Ordre du Temple de la Rose f
Croix (Galeries Durand-Rucl), 10 mars 1892. — Renseignements :
M. Joséphin Peladan, rue Pigalle, 24, ou comte Antoine de
la Rochefoucauld, rue d'Offémnnt, 19.
Pau. — Exposilion de la Société des Amis des Arts. 15 janvier-
15 mars 1892. Deux œuvres par exposant. Renseignements :
M. Tardieu, secrétaire général. Musée de Pau.
Petite CHROf^iquE
Les XX ouvriront dans les premiers jours de février un neu-
vième Salon annuel de peinture et de sculpture. La liste des
invités, que nous publierons prochainement, comprend notam-
ment plusieurs artistes anglais et français qui se sont fait une
spécialité des applications de l'art à l'industrie et qui n'ont
jamais exposé à Bruxelles.
L'un des attraits principaux du Salon sera l'exposition rétro-
spective, aussi complète que possible, de l'œuvre de Georges
Scural, enlevé à l'art dans le courant de l'année passée.
Pour rappel, aujourd'hui h 1 1/2 heure. Concert populaire avec
e concours de M"'" Rosa Sucher, des théâtres de Bayreuth et de
Berlin. ___
M""* Rosa Sucher se fera entendre jeudi prochain, 14 courant,
k la Salle Marugg, en un concert extraordinaire.
La Maison Schotl a eu la bonne idée d'engager en outre pour
ce concert le pianiste Lilta, ce qui permettra ù M'"" Sucher, indé-
pendamment des mélodies de Beethoven cl de Schumann qu'elle
se proposait de chanter, d'interpréter la scène finale de la Gôlter-
diimmerung. *
On nous écrit de Paris :
Les Vendanges ! Quoi litre pour la nouvelle œuvre de Henry
De Groux, le peintre effrayant du Christ aux Outrages, expo.s'é
au dernier Salon Triennal de Bruxelles, — rafale immense de
déchaînés contre un pauvre Dieu qui tremble !
Henry De Groux paraît être aujourd'hui le seul peintre assez
tourmenté par l'insomnie de son propre cœur pour exprimer, en
son art, les réalités profondes.
Ah ! les bourgeois, les phénix d'entre les bourgeois, ceux qui
peuvent encore tressaillir en voyant onduler une poitrine de
désespéré, sentiront, cette fois, l'inexprimable danger d'avoir
toujours été des pourceaux dans une société qui sanglote en
regardant approcher sa fin !
L'artiste visionnaire, simplifiant tout à la façon du génie,
creuse un lit unique au torrent des calaslrophes. 11 choisit pour
les crétins volontaires et les satisfaits, pour les semeurs d'amer-
tume et les jardiniers d'ignominie, la très plausible extermination
par les supplices.
Dès lors, plus de pitié pour le spectateur giflé d'effroi. Ce
tableau panique et molestateur ne s'interrompt pas d'étaler l'an-
goisse affreuse d'une multitude qui, pour la première fois, con-
labule humblement avec les montagnes, dans l'ignoble espoir
d'en être écrasé.
C'est le grand Carillon pascal des mugissements de la dou-
leur; la Pentecôte efÇroyable des langues arrachées et des calci-
nantes effusions de la Justice; la Toussaint lugubre des cabestans
et des scorpions. Cela, dans un incendie de couleurs écrasées sur
la palette la plus lumineuse et la plus taillée dans du cœur de
chône qu'on ail encore vue depuis Delacroix.
Telle est, en aussi peu de mots que possible, la pantelante
impression d'un homme admis à contempler l'ébauche terrible
du tableau qu'Henry De Groux se propose d'exposer au printemps
prochain sous la frondaison redoutable du mancenillier de la
critique.
Grand succès, vendredi, au Théâtre du Parc, pour Leurs Filles,
la pièce en deux actes de M. Pierre Wolff, qui révéla l'an dernier,
au Théâtre Libre, le nom de ce jeune auteur.
Le 25 janvier, M"'= Cerny, l'élégante artiste, qui créa à Bruxelles
Ma Cousine, la spirituelle comédie de Meilhac, viendra donner
une série de représentations. Le public bruxellois aura l'occasion
de l'applaudir dans Amoureuse, le grand succès parisien, de
M. de Porto-Riche; le Gendarme, la pièce amusante de M. Pierre
Decourcelle et enfin dans une reprise de Ma Cousine.
M. Candeilh fait en ce moment répéter l'Intruse de M. Maurice
Maeterlinck qui passera après les représentations de M"* Cerny.
Cours supérieurs pour Dames. — Lundi 11 janvier, à 2 heures.
M. Pergameni : Les institutions et la vie chinoise.
Lundi 11, à 3 heures. M"'* Chaplin : Shéridan.
Mardi 12, h 2 heures. M. E. Verhaeren : Quelques peintres
chrétiens d'Italie ; Ecole chrétienne allemande.
Mercredi 13, à 2 heures. M. Pergameni : La cour de France
au X VI 11^ siècle.
Jeudi 14, à 2 heures. M. Lonchay : Jeunesse et éducation de
Marie-Thérèse.
Jeudi 14, à 3 heures. M"« Tordeus : Lecture d'auteurs
modernes.
Vendredi 15, à 2 heures. Conférence de M"» J. Blaze de Bury :
La Comédie française et les grandes comédiennes (1645-1880)..
Les dames étrangères aux cours et les messieurs peuvent obte-
nir, pour celle conférence, des cartes d'entrée au prix de 2 francs,
chez le concierge du Palais des Académies.
Le programme de la prochaine première du Théâtre Libre se
composera de : L'Ortie, pièce en Iro's actes en prose de M. F. de
Carel (M"" Charticr en jouera le principal rôle), et de Bichette,
comédie qui d'abord avait élé présentée par M. Eugène Brieux
à la Comédie-Française.
Dans le courant du mois, le Théâtre des Marionnettes donnera
une nouvelle légende de M. Maurice Boucher : Sainte Cécile.
Bientôt toutes les villes d'Europe auront leur Théâtre Libre.
L'invention de M. Antoine vient de Irouver des imitateurs à
Zurich, où une Société s'est constituée dans le but de faire repré-
senter, pendant toute la prochaine saison d'hiver, diverses pièces
allemandes d'un caractère révolulionnaire et socialiste : La Mort
de Danton de Bluchner, Franz de Sickinyen de F. Lassalle,
Guerre à la guerre et le Renégat de M. Otio Witkers.
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Comité de rédaction « Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
s»SBp:
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. —ANNONCES : On traite à forfeit.
Adresser toutes les communications à
l'administration générale de TArt Moderne, rue de l'Industrie, 32, Bruxelles. .
^OMMAIRE
Le Rôle de l'Art. — Leurs Filles, par Pierre Wolff. — Le
Théâtre du Parc. — Deuxième Concert populaire. — Accusés de
RÉCEPTION. — Exposition d'esquisses de Maîtres. — Nouveaux
Concerts liégeois. Première audition. — Chronique judiciaire des
arts. Affaire de " l'Eventail ». — Petite chronique.
Le Rôle de FArt
Combien se rendent compte du rôle de l'Art? Pour la
plupart, c'est un objet de luxe, destiné à procurer un
plaisir, comme une jolie femme ou un vin délicat. La
littérature, aux yeux de ces gens, sert à les désennuyer
les jours de villégiature ou par les soirées trop longues
de l'hiver; la comédie et le drame activent et facilitent
la digestion ; la peinture est faite pour orner les salons,
et les aquarelles constituent des « étreunes » très
amusantes à donner.
L'Art, à leur avis, est une grande maison Couplet, où
l'on fabrique avec plus ou moins de bon goût, mais où
l'on cherche à séduire et à flatter le public ; et les expo-
sitions et les revues d'art constituent des étals plus ou
moins savants des marchandises produites, où chaque
artisan cherche à faire valoir son œuvre et à attirer des
acheteurs. Sa portée n'est pas autre et ils ne lui accor-
dent pas plus d'importance. L'Art, c'est le luxe et lé
superflu ; c'est une cinquième, ou même une sixième
roue dans ce que M. Horaais appelait « le char de
l'Etat », roue très jolie et très gentille, il est vrai,
mais dont on pourrait très bien se passer.
Ce ne sont pas seulement les innombrables cervelles
creuses qui pensent cela dans le monde où nous
sommes : ceux qu'on appelle les « meilleurs esprits "
sont imbus de ces idées et de ces préjugés. Ceux que leà
« classes dirigeantes » se paient comrïiè m?iîtres d'opi-
nion — religieuse, politique ou littéraire, — les direc-
teurs de la conscience publique actuelle, les tuteurs des
intelligences bourgeoises qui plient et se fanent, — tous
les gens importants et influents (ou presque tous, soyonà
généreux) ravalent l'Art à cette idée d'objet de luxe et
de dernière nécessité.
Ah! qu'on leur parle de Propriété, et ils deviennent
grands, éloquents, et ils s'érigent en défenseurs de
cette » base de l'humanité », dont ils proclament la gran-
deur. Qu'on leur parle de Finance, et ils s'agenouillent
devant le Veau d'or devenu pourtant, maintenant, bien
taré et véreux : ils n'hésitent à se faire les grands prê-
tres de sa religion, dont ils vantent l'extrême puissance.
L'Industrie? A sa seule [idée ils s'époumonent comme
des machines : la fumée noire du Borinage ne se
change-t-elle pas en poussière de diamant pour les
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L'ART MODERNE
exploiteurs ? La Politique ? C'est elle qui fait les grands
hommes et les grandes réclames; c'est la pieuvre qui
s'attache et suce à tout ce qui se donne l'air de main-
tenir, aux yeux des gens supérieurs dont nous parlons,
les divers .éléments célébrés par on ne sait quelle
balance méthodique et pondérée! Et le Commerce! Il a
certainement aussi son droit de cité dans l'assemblée
des assises qui soutiennent ce qu'on appelle de ce nom
illogique et vide : la Société ! Car au mot de Commerce,
les bien pensants voient des navires au ventre enflé de
marchandises, qui leur font l'efl'etde ballots crevant d'or.
Tous ces mots donc ."Propriété, Finance, Industrie, Poli-
tique,Commerce, sont, pour leséconomistes habituels que
s'octroye la Société décadente d'aujourd'hui, des Atlas
qui soutiennent le monde et au milieu desquels apparaît
l'Art comme un Arlequin aux jours de carnaval pour
faire le sourire fleurir parfois les lèvres de ces géants.
On veut bien le protéger et prendre envers lui des airs
protecteurs, comme le fait la police pour les intrigues
et les imbroglios aux temps de mardi-gras. Cependant,
pour qu'il ne pirouette pas trop et ne lance trop de
lazzis, on a pris l'habitude d'en confier la garde à
d'antiques commissaires, qu'on appelle académiciens,
et à des conservateurs bien assis.
Nous trouvons la preuve de ces sentiments tous les
jours. Ainsi il paraît qu'il est question en Belgique de
créer un nouveau sénat, auquel il semble qu'on veuille
ouvrir de larges portes et au Travail et au Capital et à
l'Intelligence! Un sénat? Ce vieux mot, dans la bataille
des Idées modernes, nous apparaît comme un casque de
légionnaire ou une arquebuse dans une bataille gron-
dante de canons Krupp, Et le baume sénile qu'on veut
appliquer sera vite mangé par la plaie ardente dont il
doit servir à calmer les âpres douleurs. Mais dans ce
sénat, l'Art sera représenté, proclame- t-on. Certaine-
ment, on ne l'oublie pas et on lui fera bonne place!
Comment donc ! Il mérite toute notre attention et notre
indulgence ! Nous allons lui désigner des représentants
inamovibles. Et tout de suite, comme si pour repré-
senter Arlequin on prenait le Commissaire ! on cite et
on met en avant une poignée d'académiciens encore
couverts de la poussière des cartons. Aucun ne manque,
pas même celui qui est chargé de conserver les archives
de l'État ! Tous, ils sont là, avec leurs titres : Conser-
vateurs! Tous ceux qui ont été attaqués et bousculés
par les jeunes, les voilà à l'assemblée suprême de la
nation nouvelle, et cela pour en représenter l'élément
le plus hardi et le plus vif : l'Intelligence. C'est con-
fier la lumière à des aveugles !
Et — en dehors de ces personnalités sans importance
pour la véritable Idée qui lutte et pour l'Art qui crée — ..
combien de sénateurs daigne-t-on octroyer à l'Art?
Trois pour la littérature, pensons-nous (ces détails d'une
architecture oflBlcielle ne nous intéressent pas au point
d'en compter les joyeux fleurons), et cinq ou six pour
les autres arts, nous ne savons plus au juste, mais le
bataillon sénatorial est maigre comme valeur artiste et
comme nombre : juste ce qu'il faut de gendarmes pour
empêcher une trop brusque et trop claire invasion de
la Pensée.
Ce n'est pourtant pas ainsi qu'on traite l'Art quand
on a la notion juste de ce qu'il est! Vous, les bouchés,
les voyant-petit, les manieurs d'écus ou de politique :
l'Art est la force suprême et la supérieure harmonie,
comprenez cela ! Qu'on lui ouvre, dans Lps assemblées,
dix portes, grandes et larges, au lieu d'une petite,
ouverte sur des bureaux, des paperasses et des acadé-
mies, et qu'elles donnent, ces dix portes, sur la vraie
foule de l'Art, qui y fera entrer ses triomphateurs, et
alors vous aurez de la lumière, de la générosité et de
la vie.
L'artiste a des côtés d'harmonie, d'intuition, de clair-
voyance, de cordialité qui font qu'il plane, de l'envol
sublime d'un esprit supérieur et indépendant. L'artiste,
qu'il touche à une chose, la consolide et l'harmonise ; il
la vivifie et la rend attrayante. Il a, pour cela, une force
mystérieuse de charme et de profondeur, qui manque
aux autres hommes. Ce n'est pas un amuseur : les
artistes forment la quintessence de la Pensée et du Sen-
timent.
Des amuseurs, les bâtisseurs de cathédrales, ceux
qui se sont le plus approchés du ciel? Des amuseurs, les
tragiques de l'antiquité, qui versaient aux peuples de
l'héroïsme et de la terreur? Des amuseurs, les pieux
qui ont créé, avec quelle ferveur, la peinture gothique?
Non : ce sont ceux qui dressent, pour ainsi dire,
au-dessus de l'histoire, le décor éternel de l'esprit
humain, où se reflètent le caractère et le cœur de
chaque race et de chaque époque.
L'Art est la plus grande des forces. Quand Victor
Hugo a tiré contre le seco«d Empire le glaive flam-
boyant et vengeur des Châtiments, il a porté le coup le
plus superbe qu'ait subi l'étonnante Badingue. Germinal
mine plus la bourgeoisie, de sa large épopée, que les plus
exaltés propos des révolutionnaires rouges. Et cela —
parce que ces attaques terribles partent de hauts som-
mets de la pensée et que ces armes sont damasquinées
d'art.
Aussi faut-il laisser à l'Art le champ vaste et ne pas
le traiter en objet de luxe, et ne pas lui donner pour
représentant des bonzes. Qu'on le regarde comme un
des éléments essentiels des évolutions sociales, le plus
pur et le plus noble, qu'on le mette au rang des autres
éléments qui forment la matière : Humanité, et qu'on
le laisse, libre d'entraves, comme un astre qui épand
sa chaleur et sa lumière, et dont aucun Phaéton,
quelque académique ou savant qu'il soit, n'a le droit de
conduire le char éblouissant.
LEURS FILLES
Comédie en deux actes, par M. Pierre Wolff.
Un succès !
Certes est-il étonnant que ces dramos-là puissent émouvoir
notre public, surtout celui du Parc Aux premières, on ne voit
que gens graves, bourgeois plastronnes, matrones dignes. Aussi
des gommeux. Sont-ce ceux-ci qui, se reconnaissant et reconnais-
sant leurs maîtresses parmi ces deux actes représentés, leur ont
battu des mains?
C'est à croire qu'ils n'ont pas conscience de la force railleuse
et impétueuse et révolutionnaire que dételles pièces profèrent?
Ils applaudissent — et puis?
Un tel art est plus terrible pour la bourgeoisie que n'importe
quelle fédération ouvrière et socialiste ? Un tel théûtre admis, joué
devant les foules, applaudi par les stalles et compris par les para-
dis, active plus une révolution que n'importff'quelle émeute ou
grève. C'est la réalité qui crie, qui réclame, qui veut qu'on la
change. C'est le vice montré de telle manière qu'il entraîne des
destructions inévitables, des balayages nécessaires, des aérages
soudains et des soulèvements de voûtes, tellement l'odeur est
forte dans l'égoul.
Vraiment, les jovials pères de famille qui s'imaginent encore
que le « spectacle » est une distraction pour leur demoiselle, le
soir de la fête de leur mère, quelle altitude doivent-ils garder devant
l'Honneur, r Ecole des Veufs, la Meule, les Corbeaux, la Pari-
sienne, tout le théâtre réaliste nouveau de ces derniers temps?
Ce succès de Leurs filles, jouées devant des messieurs .bien et
des jeunes gens cbic et des dames de respectable maintien, a donc
lieu de surprendre. La collection de gifflcs, de coups de pied,
l'arrachement des hypocrisies et des conventions, les mots cin-
glants et brutaux comme les coups de fouet d'un roulier, les
fleurs de haine cl de colère et de mépris et de sarcasme, tout a
été présenté et avalé.
Bonne chance — et digérez bien !
Leurs filles est une excellente pièce de théâtre libre. Vive,
franche, rapide, nette, simple, succincte, cynique.
L'entremetteuse y est produite, pour la première fois, croyons-
nous, dans sa véritable vie, sans atténuation et sans biais. Elle
nous vient, cette figure dés comédies antiques de Rome et de
Grèce, des siècles des Pétrone et des Apulée et des Lucien.
Dans son Dialogue des Courtisanes, ce dernier donne à l'entre-
metteuse le rôle vorace d'argent et de perversité qu'elle affirme
en ce temps-ci comme jadis.
Ce qui frappe en Leurs filles c'est le drame réel qui s'en
dégage. C'est l'élude de la courtisane étudiée dans deux êtres, la
courtisane mûre et la débutante, qui toutes les deux ont « cela
dans le sang ». C'est aussi la présentation du viveur moderne,
de l'amant veule, mou, lâche, flegmatique.
A part cette coïncidence qui assigne le même entreteneur à la
mère et à la fille, coïncidence un peu trop de comédie, rien ne
rappelle le théâtre de mœurs d'il y a vingt ans. Le neuf ici règne,
seulement ce neuf-là manque d'envergure. Tel qu'il est nous le
préférons pourtant à n'importe quel Abbé Constantin, ou Une
Famille ou ^/wio/Zf, toutes piècesd'une réalité arrangée, faussée,
enjolivée, pleines d'excentricités de situation et d'improbable
humanité.
M. Manin et M'i*Besnier, bien que celle-ci manque de force à la
fin du deuxième acte, jouent de manière précise et vivante leurs
personnages.
I^E Jhéatre du ^ARC
Le directeur du Théâtre du Parc, M. Candeilh, a donné sa
démission. Il paraît que son exploitation devient de jour eu jour
plus difficile et plus hasardeuse, dit un journal.
Mais, d'un antre côté, il en est qui croient que M. Candeilh n'a
donné sa démission que pour qu'on le prie de la retirer, — ce qui
serait une coquetterie de vieille directrice et pourrait amener le
Théâtre du Parc à se faire subventionner.
F.n effet, le Théâtre Flamand obtient trente mille francs de la
ville; il a la jouissance de la salle et des décors gratis; de plus,
le gouvernement lui octroyé huit mille francs.
C'esl beaucoup. Et à côté de cela le Théâtre du Parc paraît
assez abandonné à lui-môme, et l'on pourrait peut-être partager
la poire donnée exclusivement aux Flamands.
Mais alors, il faudrait imposer à la direction du Parc des con-
ditions nouvelles.
En effet, quoi que disent les amis de M. Candeilh, la direction
de celui-ci n'a été ni très littéraire ni très artiste. Elle a été trop
uniquement consacrée à des pièces de la valeur de Tête de linotte,
des Dominos roses, des Surprises du divorce ou d'Un Monsieur
qui suit les femmes. Le Vaudeville est là pour ce genre de spec-
tacle. Mais le Théâtre du Parc doit avoir des prétentions plus
hautes et plus dignes, et s'il ne les a pas, il faut les lui imposer.
Il faut qu'on lui dise : Plus de pochades ! plus de farces ! mais
du théâtre, du théâtre littéraire, d'où qu'il vienne, de Belgique
ou d'ailleurs, du théâtre classique même, français ou anglais,
espagnol ou allemand. Qu'on nous donne de l'About, du Mérimée,
du Banville, et aussi du Shakespeare, du Gœthe, du Schiller,
du Lope de Vega, du Tolstoï, Que la Belgique, au confluent des
races, opère une sorte de synthèse; et, h ce titre, nous devons
nous désinfecter du parisianisme exclusif dont on nous a depuis
trop longtemps servi les tranches en vaudeville, en feuilleton à
l'instar des Sainte-Beuve ou des Lemaître, et en coquelinades. Ces-
sons de nous fournir à ces trousseurs de folies parisiennes, à ces
vaudevillistes dont la sefle valeur est de plaire aux cocottes ou
d'amuser les petites bourgeoises, et tâchons de créer une scène
de comédie qui marque et qui attire l'étranger.
Au vrai jeune théâtre français M. Candeilh n'a emprunté que
la pièce de M. Wolff qui, ne l'oublions pas, est le neveu d'Albert
Wolff et collabore au Figaro. Le reste a été fait par M. Antoine,
lors de ses tournées en Belgique, et exclusivement par lui.
Quant au théâtre étranger, nous avons eu Nora, traduit par
quelqu'un de bien calé dans le monde officiel, el/« Flèche d'E.<!sai.
C'est absolument tout, et évidemment cela ne suffit pas.
Le théâtre belge n'a pas été traité avec plus d'intelligence ou
de générosité. Des jeunes d'ici ont envoyé à M. Candeilh des
pièces qui avaient été jouées en matinée littéraire au Théâtre
Molière. Les a-t-il lues? Pourtant, il y a des pièces belges, et de
bonnes, maintenant. Il y a toutes celles de Maeterlinck, il en
existe de Waller, il y a les Flaireurs, de Van Lerberghe, et celte
exquise Etude de Jeune fille, jouée avec tant de succès au
Molière et signée Henry Maubel. Il faut évidemment qu'on
encourage ce mouvement dramatique. Il est vrai que l'Intruse est
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L'ART MODERNE
à rafficlie. Mais la sollicitude do M. Candciili pour Maeterlinck
arrive au petit irol poussif comme la sollicitude aigre-douce de
M. Frédérix. L'Intruse a été jouée à Paris et Maeterlinck est à la
mode! Le mérite n'est plus aussi grand qu'on pourrait le penser!
Voyez d'ailleurs la liste des œuvres belges que M. Candeilli a
données. Elle est incolore et parait une nomenclature à faire
couronner par les jurys imbéciles qui ont depuis trop longtemps
siégé officiellement eu Belgique. La voici :
La Famille Plumet et C'est ma femme, de Covelicrs; Jacques
Gervais, de Claes ; la Part du Feu, de Leclercq ; le Ménage
d'Ernest, de Dcconinck; Emile, de Sloumon ; la Duchesse Lilly,
de Flor O'Squar ; Cherchez la Femme, d'Hennequin ; Par Télé-
^ phone, de Calticr et Vandrunen ; Cora, de Descamps; le Ruban,
de Stoumon; Une Surprise, de Weycrs; le Sémaphore, de
Catlier ; Avant la Lettre, de Claes ; le Prix de Beauté et la
Famille d'Alice, de Descamps ; et enfin l'Intruse, h l'élude.
C'est tout, et ce n'est pas assez. Celte liste est presque insigni-
fiante. Peu de ces œuvres ont marqu/5 et n'était la question de la
prime, peut-être que même peu d'entre elles eussent vu la rampe.
Aussi faut-il que cela change. Quand il s'agit de donner une
œuvre française un peu neuve, ou bien un Ibsen ou un Tolstoï,
M. Candeilh, jouant son petit Ponce Pilalc, appelle Antoine et se
lave les mains. Ce n'est en somme qu'Antoine qui a donné, à de
longs intervalles, quelque vie à son théâtre.
Certes, nous ne voulons pas qu'on fasse du ïhéûtre du Parc un
théâtre d'œuvres étrangères, ou un vrai théâtre libre, ou un
théâtre national; mais qu'on oblige le directeur h donner plus
d'œuvres nouvelles, artistes et sérieuses, plus d'œuvres étrangères
et classiques, plus d'actes signés par de jeunes auteurs belges
et qu'on cesse d'avoir à Bruxelles deux théâtres du Vaudeville!
DEUXIÈME CONCERT POPULAIRE
L'intérêt capital du concert était, faut-il le dire? la première
apparition à Bruxelles de M™" Rosa Sucher-Papicr, l'interprète
célèbre des grandeé figures de Wagner, l'adorable Yseult que les
pèlerins de Bayreulh ont si souvent applaudie là-bas... L'impres-
sion n'a pas été, au début, celle qu'on attendait, et il y a eu quel-
que déception. M"« Sucher est surtout, en effet, une tragédienne
lyrique dans la plus haute acception du mot. Elle a la plastique,
les attitudes, le geste, la mimique qui conviennent aux figures
héroïques qu'elle incarne. Elle sait être tendre et caressante,
passionnée et impérieuse. Elle a la noblesse et la grâce, la
puissance et le charme. M"" Suchor est actuellement, avec
M-^e Malten, l'artiste la plus illustre d'Allemagne, depuis que la
Materna se résigne à céder le tour. Mais il lui faut, pour faire
valoir ses mérites exceptionnels, l'ampleur de la scène, et le décor,
et la « réplique » des camarades, et le costume, et la lumière
électrique. Au concert, un rouleau de musique h la main, Yscull
retombe de haut et certes la méthode gutturale, la voix clairon-
nante des cantatrices allemandes ne sont elles pas pour plaire à
un public qui ne juge, — et qui ne peut évidemment juger, —
que la chanteuse, non l'actrice.
Ce changement d'optique a failli compromettre, dimanche, le
succès de l'artiste, dont le premier morceau, l'air d'Elisabeth
(2« acte de Tannhauser), pris un peu haut et dans un mouvement
ralenti, n'a pas impressionné favorablement l'auditoire. Heureu-
sement les œuvres suivantes, les Rêves et surtout la Alorl
d'Isolde, déclamée avec une émotion conmiunicalive, ont sauvé
la partie compromise. Il y a eu des rappels, de l'enthousiasme,
même des larmes, et tout le monde a été heureux.
Le restant du concert éiait les pommes de terre qui accom-
pagnent le bifteck (comparaison dont nous prions les lecteurs
d'excuser la trivialité, mais qui nous paraît juste). La symphonie
en SI de Schumann ? Hum! On l'a entendue souvent, et son
opportunité dans un Concert Wagner était conteslablc. Mais
M. Joseph Dupont a remporté un vrai succès avec la Scène de la
/"'or^/ de Siegfried, vraiment bien jouée, avec précision et couleur,
et qu'on a bissée unanimement. Et aussi cette étonnante et
monarchique A'nwfc'ril/arsc/t, qu'il ne nous souvient pas avoir
jamais entendu présenter avec autant d'autorité et d'imposante
solennité. Cela grandissait, grandissait, dans le déchaînement des
barbares roulements de tambours, dans le tonitruant ensemble
des cuivres tonnant le choral de Luther â la gloire de l'Empire
germanique. Mazctte ! Celle musique de plein air, cet arc-de-
Iriomphe en sonorités, qui évoque des multitudes armées gueulant
à pleins poumons le Heil! Heil! Dem Kaiser! dans une plaine
frissonnante de baïonnettes et d'épées, cela vous a des allures
d'hymne triomphal, de chant religieux et guerrier auprès duquel
paraissent bien pâles les airs dits nationaux les plus entraînants.
^CCUpÉ? DE RÉCEPTION
Chants de la Mer et des Grèves, par Geouges Flé, recueil de
onze mélodies dans le style des chants populaires, notées sans
accompagnement, et qui ont toutes une jolie couleur poétique.
(Bruxelles, A. Vanderghinsle et Ch. Vanderauwera). In-8°, 34 p.
— Eugène Delacroix, par V.-G. Wauterniaux, 26 pages de
revue en lesquelles ces aphorismes : «L'état lui-même, quels que
soient d'ailleurs ses droits religieux et politiques, et filt-il repré-
senté par Napoléon en personne, n'a, en matière d'Art, d'autre
droit que celui de sauvegarder la religion, s'il en reçoit l'ordre
du Pape » (p. 21). «Si Delacroix n'avait pas su dessiner ce qu'il
pensait, personne ne pourrait avoir aucune connaissance de sou
imagination, qui précisément était celle d'un peintre » (p. 11).
« Plus un artiste a de génie, plus pour lui augmentent la difficulté
de la mise en œuvre » (p. 9). Est-ce assez ? — Dekinderens
Wandschildering in het Bossche Stadhuis, door Jan Veth
(Amsterdam, S.-L. Van Looy). In-8», 37 p. — Les bottes de
Pieter Cappermann, dramatique récit de Noël dédié h Georges
Eekhoud, par Hector Van Doorsi.aer, et écrit d'une plume
alerte. (Extrait de la Revue générale ; 16 p.) — Le Réveil, revue
mensuelle de littérature et d'art, publié sous les auspices du
Cercle Littéraire Français ; suite et développement des Essais
dont nous avons parlé précédemment. Rédaction : rue de
Flandre, 71, Gand. — Au sommaire : MM. Rodonbach, Ch. Sluyts,
ValèrcGillc, A.Goffîn, M. Desombiaux, F.Hcnnehicq, J.Dcsgenéis,
etc. 11 y a dix ans, l'apparition d'une revue littéraire en Belgique
était un gros événement. Actuellement, il en paraît tous les
trimestres des nouvelles.... Bonne chance au Réveil, auquel
vont nos sympathies et nos vœux.
Catalogue d'afflches illustrées anciennes et modernes,
avec quinze reproductions tirées hors texte (couverture et afflche-
prime inédites de J. Chéret, tirées en cinq couleurs). — Paris,
Ed. Sagot, libraire-éditeur, rue Gueiiégaud, 18. — Tirage à 550 exem-
'■&:
t
LAHT MODE UNE
21
plaircs, savoir : 500 sur papier ordinaire, avec les 15 i)iaiiciies en
noir et radiche-prinu' (litliographio originale : la Jolie Jardinière),
épreuve ac<?c lu lettre, prix 10 francs ; 50 sur beau papier vélin, avec
les 15 planches en noir, 8 [)lanches coloriées à la ynain, une épreuve
(l'essai (tirée en bistre) clo la couverture et l'affiche-prime, épreuve
avant la lettre, tirée sur papier fort, jirix 25 francs.
« Il faut, (lisait H. Béra kl i, auteur des Graveurs du XIX" siècle,
cataloguer les alHcliPS tout comme îles burins cl des eaux-fortes. »
Depuis que CIk^tcI, par la fantaisie et l'imprcHu de son art
chatoyanl el exquis, a fait revivre l'art de ralUche, délaissé pour
les grossi(>res enluminures, les collectionneurs ont paru, si nom-
breux et si tenaces, que voici le libraire Sagol obligé de classer
en un calalogue complet toute i'iconerie-réclame qu'il a paliem-
ment accumulée. Dkux mim.e dkux cent trente-trois numéros,
s'il vous |)lait ! parmi lesquels flTO œuvres de Chérct, exécutées
de 1866 à 1891. Les autres sont signées Willeltc, Grasset, Caran
d'Acbe, Forain, Métivet, Fraipont, Sleinlon, et aussi Céleslin
Nantcuil, Gavarni, Grandvijle, Daumier, Ralfel, Tony Johannot,
de BeaumonI, Henri Honnier, clc. Car l'intérêt du calalogue
Sagot, c'est qu'il embrasse .'i la fois l'afliclie ancienne el l'affiche
moderne. Il en est qui remonlenl à 1649 ! Et c'est Hiistoire tout
enlière qui se déroule en ces images, pour la plus grande joie des
collcclionncurs, des curieux, des artistes, des bibliophiles!
C'est, pensons-nous, la première fois qu'on publie un calalogue
sp^cw/ d'affiches. Il convient d'insister particulièrement. Il con-
vient aussi de louer M. Sagot du soin et de la précision qu'il a
mis dans ce travail, clairement ordonné et méthodiquement
développé.
Les quinze planches d'après E. de Bcaumont, Gavarni,
T. Johannot, Grasset, Chéret el Willette qui accompagnenl le
texte rappellent des types d'affiches déjà anciens et rares et
commentent agréablement le texte de ce très curieux catalogue,
qui demeurera une rareté bibliophiliquc et un documenl d'art
imporlanl.
Derniers accroissements du Musée de Namur, par M. Nif-
flk-Anciaux. Namur, A. Wesmael, 1891, in-8°, 13 p.
Ce fascicule est consacré à la section du Moyen-âge el de la
Renaissance du Musée de Namur. A côté d'une riche collection
d'orfèvrerie mosano et- d'orfrois brodés, une large place a été
réservée h la sculpture. L'auteur cite deux acquisitions remar-
quables : m\ Saint-Jean-Baptiste, qui paraît dater du xvi" siècle
et wnc Sainte-Catherine, (\\x\, par le luxe du vêtement, rappelle le
faste de l'époque bourguignonne. Des bois sculptés il passe aux
sceaux el insiste avec raison sur l'importance à la fois artistique
et historique de la sigillographie. C'est notamment grûcc à ces
petits disques de bronze, comme il le fait remarquer, que se sont
perpétués les portraits de maints personnages célèbres et la repro-
duction de maints monumenls détruits. M. Niftle-Anciaux appelle
ensuite l'attenlion sur un sceau du xiii'= siècle, dont l'acqui-
sition rehausserait la série déjà importante des matrices du
Musée namurois. Enfin, dans la salle affectée à la peinture
ancienne, il signale el décrit minutieusement un panneau du
peintre bouvignois H. Blés, représentant saint Jérôme dans la
solitude. (( Cette œuvre, dit-il, non cataloguée dans l'Histoire
de la peinture an pays de Liège de notre savant confrère
M. Helbig, est pourtant supérieure de beaucoup, pour le coloris
surtout, au tableau que le Musée possédait à l'époque où ce
livre a paru. »
A propos des sceaux et des armes de la ville de Thuia,
par M. NiFFi.K-ÂNCiAux. Malines, Oodenne, 1891, in-S», 45 p.
M. Nifile-Anciaux ouvre son histoire sigillaire de Thuin par une
savante dissertation sur les sceaux communaux. Il décrit ensuite,
avec une particulière minutie, parmi les divers sceaux de la cité,
un grand sceau et contre-sceau qui datent du commencement du
xiv" siècle el dont la reproduction figure en tête de l'opuscule. Au
cours de sa discussion sigdiographique, l'auteur nous donne
d'érudits détails sur l'histoire, sur l'ancien chaieau et sur les
armoiries de la ville de Thuin.
De Secte derLoïsten, door JuliusFrf-deriks. Qent, J. Vuylsteke;
s'Gravenhage, M. Nihoff, 1891, in-8°, 64 p.
Un (le ces esprits d'investigation patiente, qui se complaisent
aux minutieuses fouilles de l'histoire, M. J. Fredericks, professeur
à l'Université de Gand, élucide en cettrc brochure un chapitre
de l'histoire religieuse des Pays-Bas au xvi* siècle. Dans
cette étude, solidement documentée, il remet en lumière la secte
des Loïstes, sur laijuelle il rectifie et complète les sommaires
renseignements des historiens. Il biographie le fauteur de cette
hérésie, Loy de Schaliedekker, alias Eligius Pruystinck, déter-
mine les croyances panthéistes ou plutôt panenlhéistes qu'il pro-
pagea principalement à Anvers el raconte la sévère répression qui
étouffa ces doctrines en nos provinces.
EXPOSITION D'ESQUISSES DE MMTRBS
Après l'exposition, qui eut tant de succès, de Constantin Meu-
nier, voici que s'ouvre, à là Galerie moderne, une exposition
d'esquisses de maîtres.
Maîtres? Le mot est sans doute un peu erpphalique pour
nombre des exposants. Néanmoins l'exposition est très iniéres-
sante et ne manque pas de curiosité.
L'esquisse d'un tableau, c'est sa première phase, son embryon,
el on y trouve comme les bégaiements du pinceau de l'artiste à la
recherche de la belle phrase picturale. Souvent ce premier jet esl
plus original, plus primc-sautier que le tableau accompli. Jamais
de truc ou de léchage. L'artisle s'abandonne, son pinceau court,
hàlif, pressé de fixer les lignes élémentaires de l'œuvre. C'est
plein de fougue el de feu; et puis, telle de ces œuvrelles a
comme de piquants attraits d'une jolie femme à son lever, dans
le « négligé » de sa toilette.
La plus belle? C'est celle signée Joseph Sievens, brûlante dans
ses t^ns bruns el déjà dorée d'on ne sait-quelle magie de palette.
Voici l'esquisse de la Bête à bon Dieu d'Alfred Sievens, très
coquette et vive, de fougueux Boulenger, des Agneessens, des
Speekaerl, des Cormon, des Portaels, des Hennebicq, des Smits
très gracieux, un très curieux Stobbaerls en des Ions grisâtres,
un clair Wylsman, des Vcrheydcn, trois Marcettc pleins de brio,
deux très savoureux panoramas d'Anvers par Artan, un Abry,
l'esquisse des Tètes coupées de Gallait. Citons encore : Con-
stantin Meunier, Van Aise, Impens, — et, en sculpture, \'Onip-
drnilles de Van der Stappen, le Tombeau deRogier de Dillens, des
Charlier, etc..
Il esl inutile de détailler de la critique autour de ces œuvrettes,
de ces esquisses, de ces ébauches. Ce serait vouloir faire un bou-
quet avec des boulons qui ne sont pas encore ouverts.
22
IJART MODERNE
Nouveaux Concerts Liégeois.
lr« Audition.
{Correspondance particulière de l'Art moderne.)
De tous points inléressanl ce premier concert, et par la com-
posilion du programme, et par l'exéculion.
César Franck, Richard Strauss, Vincent d'Indy figuraient au
programme.
M. Sylvain Dupuis fait œuvre d'initialeur et la tûchc qu'il s'est
proposée, il la poursuit en artiste délicat et consciencieux.
Chaque fois, il apporte dans ses exécutions plus de souci, une
observation plus minutieuse des nuances, une pénétration plus
profonde de l'œuvre qu'il inlerprèle. 11 dirige d'une main plus
sûre, avec un grand respect et une haute compréhension de
l'œuvre. Il obtient de son orchestre des effets d'ensemble, des
transitions faciles, un « fondu général » auxquels nous ne sommes
pas habitués.
Ainsi exécutée, la symphonie de Franck nous a pénétré de
l'inspiration si puissante, si haute du maître. Quelle pureté de
lignes ! Quelle intensité et quelle profondeur de sentiment !
Bien mieux qu'à la précédente exécution (1), nous en avons
saisi la pensée dans la plénitude de sa force et de son élévation.
La Symphonie sur un air vwnlagnard français de Vincent
d'Indy, déjà exécutée à Liège (2) ci accueillie avec le plus vif
succès, reste une œuvre extrêmement séduisante par la distinction
des rythmes, la fraîcheur et la vivacité du coloris.
Richard Strauss n'était connu de nous que par son récent
insuccès aux concerts populaires de Bruxelles. Le poème
symphonique Tod und Verklârung (Mort et Transfiguration),
nous est une révélation.
C'est une page descriptive dune étonnante vigueur de cou-
leurs. Les sonorités les plus hardies, les plus étranges succèdent
à la douceur des timbres, au mol bercement des rythmes. Les
cruelles alternatives de la lutte du moribond contre la mort :
soudains apaisements, puis crises violentes, les derniers éclairs
de l'esprit du mourant qui revit son passé: sourires et rêves de
jeunesse, ensuite désillusions étiolantes, constantes et toujours
vaincs recherches de la vérité, tout cela constitue un tableau
impressionnant, que ,Ig, ^compositeur a décrit de saisissante
manière. Nous aimons moins la dernière partie : l'inspiration
nous parait avoir faibli ; les chants de Transfiguration, de
Rédemption s'élèvent péniblement ; le travail, l'effort sont trop
visibles ; la suave, la « transfigurale » impression de l'au-delà se
dégage mal.
OEuvre touffue, où l'on souhaiterait peut-être plus de précision,
plus de sobriété, des lignes plus simples, mais œuvre forte,
empoignante, révélatrice d'une personnalité rigoureuse.
Le jeune Gérardy nous est revenu, après de triomphais
voyages en Allemagne et à I^ndres. Son succès chez nous a été
éclatant. Son jeu s'est fortifié, il est plus facile et plus ferme ; le
son qu'il tire de son violoncelle a gagné de l'ampleur et conservé
sa moelleuse douceur ; sa personnalité se dessine davantage. En
lui la sincérité, le tempérament naissant sont caractéristiques, et
ce sont ces qualités solides qui nous promettent un grand artiste.
(1) Voir VArt moderne 1890, no 50.
(2) Voir l'Art moderne 1890, no 5.
Chronique judiciaire de? ^rt?
Affaire de « l'Éventail -.
Le tribunal civil de Bruxelles a été saisi d'une demande en
dommages-intérêts dirigée par les directeurs de la Monnaie
contre le journal l'Eventail qui, dans son n» du 25 octobre der-
nier, avait publié un arliculet conçu en ces termes :
« Il paraît qu'à l'une des dernières répétitions de Salammbô,
l'auteur s'est exprimé sur le compte de tout le monde, depuis les
sympathiques directeurs jusqu'au dernier dos interprètes, avec la
franchise d'un compositeur qui sait mal farder la vérité.
« Il a dit sa manière de voir, coram populo, en termes éner-
giques. Entre autres vérités qu'il a lancées à la face des intel-
ligents impresarii, il leur a reproché de vivre sur l'ancienne répu-
tation de leur tliéAlre, réputation qu'il ne mérite plus, oh! mais
là plus plus tout ! Comme c'est bien cola ! ! ! «
MM. Sioumon et Calabrési n'estimaient pas à moins de
huit mille francs le préjudice matériel et moral que cet article
leur avait fait subir. Ils demandaient, en outre, des insertions
dans des journaux belges et français jusqu'à concurrence de trois
■mille francs.
Après avoir entendu MM'''* Habn et Iluysmans pour les deman-
deurs, et M« Robert pour M. P^Holiei^ le directeur de l'Eventail,
le tribunal a, mercredi dernier, rendu un jugement qui, tout en
admettant qu'avant de publier un proi)Os qui lui est rapporté,
le critique doit vérifier s'il a été réellement tenu, restreint à fort
peu de chose la réparation accordée à MM. Stoumon et Calabrési :
une seule insertion du jugement dans l'Eventail, et rien de plus.
Voici quelques-uns des « attendus « les plus intéressants du
jugement :
« Attendu qu'il est acquis aujourd'hui que l'auteur deSalammbô
n'a pas émis l'appréciation qui lui a été prêtée; mais qu'il rie
s'ensuit nullement que lors de la publication de l'article incriminé,
le défendeur ait commisse inexactitude consciente, entachant
sa sincérité et sa loyauté\
Mais attendu que, con/rairement au sentiment du défendeur, la
présente action est fondée sur sa faute aqiiilicnne, dont les con-
séquences sont réglées par l'art. 1382 du C. civ. ;
Attendu que celte disposition oblige à la réparation de tout
dommage occasionné, même de bonne foi, par faute, imprudence
ou négligence;
Attendu que la question de savoir s'il y a faute, imprudence ou
négligence est toute de fait ; qu'il faut donc se placer au point
de vue spécial de la critique d'art et de la liberté qu'elle com-
porte ;
Attendu que le défendeur proclame que la liberté de critique en
matière d'art n'est limitée que par les exigences et le respect de
l'honneur privé;
Attendu que le défendeur ne vise évidemment que la critique
honnête et loyale, ne s'écartant pas de la vérité pour nuire; qu'on
ne pourrait d'ailleurs tolérer certaines atteintes à l'honneur pro-
fessionnel, parfois inséparable de l'honneur privé;
Mais attendu que là n'est pas le terrain du débat; qu'il ne s'agit
pas dans l'espèce de la publication d'opinions personnelles au
défendeur, — appréciations personnelles dont la manifestation
en matière théâtrale jouit d'une liberté particulièrement étendue;
Mais attendu qu'il s'agit de décider si Rotiers est ou non léga-
'ii^:;
L'ART MODERNE
23
leinenl en faute pour avoir imprudemment placé dans la bouche
autorisée de Reyer une déclaration dommageable que celui-ci n"a
pas faite;
Attendu que la solution ne peut être qu'aflirmative;
Attendu que le critique d'art ne peut trouver une excuse dans sa
légèreté quand il cause préjudice à autrui en induisant le public
en erreur, à l'aide de l'autorité d'un critique et d'un musicien en
renom — double qualité qui appartient à Reyer ; qu'avant de
publier le propos qui lui était rapporté, Rotiers devait vérifier s'il
avait été réellement tenu; que sa publication faite sans contrôle
est constitutive d'une imprudence, entraînant sa responsabilité
légale. »
Aucun préjudice matériel n'est établi, ajoute le jugement.
Le soir de la reprise de Salammbô, la salle était comble, et le
public a pu apprécier l'exécution par lui-môme et par les comptes
rendus de la presse. Le préjudice moral qu'a pu infliger à la
Direction du Théâtre l'article en litige sera donc suffisamment
réparé par la publication de la décision.
pETlTE CHROf^lIQUE
Voici la liste des artistes invités à prendre part au prochain
Salon des XX qui s'ouvrira, comme nous l'avons dit, au début
de février: A. Bartholomé, A. Besnard, Miss Mary Cassatl, Henri
Gros, A. Delaherchc, M. Denis, L. Gausson, Herbert Horne, Selwyn
Image, M. Luoe, X. Mellery, C. Meunier, L. Pissarro, Ch. Serret,
feu George Seurat, H. de Toulouse-Lautrec.
Comme les années précédentes, des concerts et des conférences
initieront le public Ji l'évolution de la musique et des lettres.
On se préoccupe sérieusement de reprendre au Théâtre du
Parc le Mâle. C'est M""* Marguerite Rolland qui jouerait le rôle de
Germaine, créé par elle avec un si grand succès au Théâtre
moderne l'an dernier. Il se peut que le rôle de Cachaprôs soit
tenu par un des artistes de la troupe de M. Candeilh, très épris de
la figure du mâle et qui, dit-on, y apporterait un air de nature
tout à la fois et de terroir qui manquait un peu au créateur du
rôle, M. Cbelles. M"" Besnier reprendrait sa création du person-
nage de Célina si finement ciselé par elle il y a quatre ans.
On lit dans un journal italien :
« Camille Lemonnier, le puissant romancier, dramaturge et
critique d'art à qui l'on doit la renaissance deYactuelle littérature
belge, vient de terminer un roman dont la protagoniste est modelée
sur Yvette Guilbcri, la hue diseuse fin de siècle.
K De Lemonnier va être traduite, en italien, pour éire publiée
par un journal de Palerme, l'Isola., une de ses œuvres les plus
originales et les plus caractéristiques, Happe-Chair, qui est le
digne pendant de Germinal de Zola. »
C'est donc par les journaux de l'étranger que nous allons désor-
mais recevoir des nouvelles de nos artistes! Ce que dit le confrère
italien du prochain roman de Camille Lemonnier est juste, mais
il oublie de signaler une œuvre qui précède celle-là et qui ne lar-
dera pas à paraître : La Fin des Bourgeois.
La Section d'Art et d'Enseignement populaires de la Maison
du Peuple donnera, mardi prochain, à 8 1/2 heures du soir, sa
quatrième séance.
M. A.-J. Wauters y fera une conférence sur le Congo, avec
projections lumineuses.
Cartes d'entrée, 5 francs ; cartes permanentes, iO francs.
Entrée libre pour les membres du Parti ouvrier.
M. Emile Sigogne reprendra, le jeudi 21 courant, au Musée
moderne (salle des conférences), la série de ses cours de littéra-
ture contemporaine. La séance d'ouverture sera consacrée à un
aperçu général et à Villiers de l'Isle-Adam. Puis viendront, de
jeudi en jeudi, des leçons sur Sully-Prudhomme, F. Coppée, les
poètes belges, Dickens et Thakeray.
Le prix du cours pour les dix séances est de 20 francs.
La scène se passe, Ji Bruxelles, dans un cabinet de lecture, où
l'on donne en location les livres récents qui paraissent.
Un père de famille entre, fait une scène, prétend qu'on sature
le public d'ouvrages scandaleux, qu'on corrompt son fils qui est
abonné. 11 ajoute qu'il va provoquer une descente du parquet ;
qu'il ne paiera pas son abonnement...
Le gérant de l'établissement, empressé, décontenancé, s'informe
du nom du client... C'est un échevin de la ville.
Il se renseigne ensuite sur le titre du livre injurié :
C'était la Tentation de saint Antoine, par G. Flaubert.
Cours supérieurs pour Dames. — Lundi 18 janvier, à 2 heures.
M. H. Pergamem : L'Asie russe : la Sibérie.
Lundi 18, à '3 heures. M"'* A. Chaplin : Dickens.
Mardi 19, à 2 heures. M. E. Veriiaeren : Les premières écoles
chrétiennes de peintur» allemande.
Mercredi 20, à 2 heures. M. H. Pergamem : La Prusse au
X VHP siècle.
Jeudi 21, à 2 heures. M. H. Lonchay : Marie-Thérèse et
Charles de Lorraine.
Jeudi 21, à 3 heures. M"" J. Tordeus : Lecture d'auteurs
modernes.
Les études de la Rubens Cantate, l'œuvre de M. Peter Benoit
qui sera exécutée à Tournai le 24 janvier prochain, se poursuivent
activement et tout promet une exécution hors ligne de la belle
partition du maître anversois.
Le prix des places, pour ce concert, est fixé comme suit :
Premières numérotées : 5 francs; secondes : 3 francs. On peut
retenir les places numérotées à dater du 17 janvier, en envoyant
un mandat-poste au trésorier de la Société, 7, quai des Salines.
Le nombre des places mis à la disposition du public est rela-
tivement restreint. Les demandes de places seront servies suivant
l'ordre de leur arrivée.
A titre de renseignement, les personnes de Bruxelles se rendant
à Tournai pour ce concert, devront se munir, au départ de
Bruxelles-Midi, d'un supplément de Bruxelles-Midi à Bruxelles-
Nord pour le retour. Le train international quittant Tournai à
9 h. 47 du soir va directement à Bruxelles-Nord. Le concert com-
mencera à 7 heures et sera terminé à 9 h. 1/4.
M. A.-J. Blaes, ancien professeur au Conservatoire de Bruxelles,
vient de mourir, à 77 ans, à la suite d'une longue maladie. II eut,
avec François Servais dont il était l'ami et le contemporain, une
réputation de premier ordre à l'étranger, oîi il charma toute une
génération par la virtuosité avec laquelle il jouait de la clarinette.
Il laisse des mémoires, publiés il y aquelques années, et dans
lesquels la verve du Bruxellois pur-sang apparaît sous le vernis
de l'artiste et du professeur.
A l'occasion de l'exposition horticole des 3 et 4 avril 1892, la
Société royale d'horticulture et d'agriculture d'Anvers organise
des concours de peinture et d'aquarelles auxquels tous les artistes
du pays et de l'étranger sont priés de prendre part. Un jury spé-
cial sera désigné pour les juger.
Des prix seront décernés au plus beau tableau de plantes, fleurs
ou fruits (l'"' prix : médaille de vermeil et 100 francs); à la plus
belle aquarelle, gouache ou au plus beau pastel (1" prix : médaille
de vermeil).
Adresser les demandes au secrétaire adjoint (chaussée de
Malines, 221), au plus tard le 28 mars.
Un comité ayant à sa tête M. Ambroise Thomas vient de se
constituer dans"^le but d'organiser une souscription pour élever,
dans le cimetière de Colombes, un monument à la mémoire d'Henry
Lilolft'. M. Lucien Palh'z a été chargé, à l'unanimité, de fournir
le projet de ce monument.
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mBÊ^
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DOUZIÈME ANNÉE
Li'ART MODERNE s'est acquis par l'autorité et l'indépendance de sa critique, par la variété do ses
irffdV'mations et les soins donnés à sa rédaction une place prépondérante. Aucune manifestation de l'Art ne
lui est étrangère : il s'occupe de littérature, de peinture, do sculpture, de gravure, de musique,
d'architecture, etc. Consacré principalement au inouvement artistique belge, il renseigne néanmoins ses
lecteurs sur tous les événements artistiques de l'étranger qu'il importe do connaitre.
Chaque numéro de L'ART MODERNE sV)uvre par une étude approfondie sur une question artistique
ou littéraire dont Tévénement do la semaine fournit l'actualité. Les expositions, les livres nouveaux, les
'premières représentations d'œuvres dramatiques ou musicales, les conférences littéraires, les concerts, les
ventes d'objets d'art, font tous les dimanclies l'objet de clironiques détaillées.
L'ART MODERNE relate aussi la législation et la jurisprudence artistiques. Il rend compte des
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Douzième annéb. — N" 4.
Lb numéro : 25 CtCNTIMES.
DiMANCHB 24 Janvier 1892.
L'ART MODE
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REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Comité de rédaction t Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00 —ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser toutes les communications à
l'administration générale de TArt Moderne, rue de rindustrie, 32, Bruxelles.
^OMMAIRE
, Les Crucifiés. — La lettre de Courbet. — La question des
Musées. Les responsabilités. - Notre culture intellectuelle. —
Une statistique. — Lawn-tennis. — Exposition universelle de
LA Musique et du Théâtre. — Chronique judiciaire des arts. —
Petite chronique.
LES CRUCIFIÉS
Rien des martyrs ! Rien de Jésus ! Rien de la Croix,
en tant que symbole pré-chrétien de la Vie-qui-vient,
dans les lointaines Egyptesd'Osiris-Sérapis et lesGrèces
divines de Bacchus-Dyonisios, dans les lointaines Ninives
de Samsi-Toul, fils de Salmanasar, d'Assur-Nasir-Habal,
roi d'Assyrie, portant sur le pectoral la croix à ailerons
palmés dite depuis croix de Malte, la croix à bâtons
égaux dite depuis croix grecque. Rien non plus de la
croix des monstrueux supplices sémitiques, à bras iné-
gaux, qu'on nomma croix latine, ni de la croix en Tau
sur lesquels Flaubert, le gigantesque, crucifia les lions
atlasiques qui stupéfièrent l'armée des barbares, mer-
cenaires révoltés de Carthage, en marche vers le défilé
de la Hache et la Mort.
Non, rien de ces grandeurs féroces et de ces cruautés
sublimes ! Rien de la vie-qui-vient, Zojjv empxpii£vnv
hiéroglyphe cruciforme, de la-vie-arrivant, de la vie
future, insigne mystique et obscène de la génération;
présidant, en pleins brouillards d'un. incommensurable
passé, aux germes humides et chauds dont le vin, par son
état liquide et sa chaleur aux intestins, est le représen-
tant hypermystique. La croix, signe de la vie saine et
forte, rappelant le marteau de pierre à manche de frêne,
gravé sur la paroi gauche des grottes préhistoriques,
emblèrhe mal déguisé de la virilité, faisant pendant, en
ces temps perdus, à la figure grossière de la féminité, le
marteau de fer, à masculine figure, qu'en certains can-
tons sauvages on jette encore dans le giron de la mariée
en clamant quelque allusion erotique.
Non, non, rien, rien de ces croix, vieilles comme
l'Humanité, vieilles comme la mystérieuse génération,
comme l'espérance, comme la souffrance! Rien du bois
de la y'ie, Lignum vitael rien de la croix notre vie,
crux vita nostra! rien de la mort morte sur la croix,
mors mortua in ligno ! rien de la croix trouvée dans
les catacombes de Rome, mêlant la foi nouvelle à la foi
des sauvageries remontant à l'âge du Renne, rien du
crucifix, symbole de la vie divine qui vient, vient,
vient, viendra, ô mon âme, oui viendra, inspiratrice et
consolatrice !
Voici l'afl'aire, dans le Monitelti de mercredi :
ORDRE DE LÉOPOLD
Sont promus et nommés dans l'Ordre :
Au grade de commandeur : M. A. Pauli, achilecle, professeur
émérite de l'Universilé de Gand ;
Au grade d'officier: M"' E. Becrnaerl, artiste peintre à Bruxelles;
MM. F. Courlens, artiste peintre, à Bruxelles; J. De Braeckeleer,
statuaire, à Anvers ; J. Demannez, graveur, à Bruxelles; G. Den
Duyls, artiste peintre, à Bruxelles; G. Meunier, artiste peinire, à
Bruxelles: L. Mignon, statuaire, à Bruxelles; L. Vander Ouderaa,
artiste peinire, à Anvers; P. Vander Stappen, statuaire, à Bru-
xelles; P. Van Havermaet, artiste peintre, à Anvers; J. Van Sever-
donck, artiste peinire, à Bruxelles.
An grade de chevalier : MM. E. Claus, artiste peintre, à Astene;
V. Dumoriier, archiiecle, à Bruxelles; M. Hagemans, artiste
peintre, à Bruxelles; F. Khnopff, artiste peinire, à Bruxelles;
A. Le Mayeur de Merprès, artiste peintre, à Bruxelles; I. Meyers,
artiste peintre, à Bruxelles; A. Plumet, artiste peintre, à Anvers;
H. Slacquet, artiste peintre, à Bruxelles; V. Uylterschaut, arlisie
peinire, à Bruxelles; F. Van Kuyck, artiste peintre, président de
la section des arts plastiques du Cercle artistique et littéraire
de la ville d'Anvers; F. Van LeempuUen, artiste peintre, à
Bruxelles; J. Mister, professeur à l'Université de Gand; L. Blan-
chaeri, arlisie peintre, à Mallcbrugge; Ch. De Pauw, directeur
des écoles Saint-Luc, à Gand et à Bruxelles; A. Malfaii, artiste
sculpteur, à Bruxelles.
Coînmandeurs ! OflRciers ! Chevaliers ! Sonnez clai-
rons, battez tambours! Sonnez, battez, clairons des
tours, bronzes des cathédrales ! Evohé ! Evohé ! Voici
vingt-sept heureux, parmi lesquels un Président de la
Section des arts plastiques du Cercle artistique et lit-
téraire de la Dille d'Anvers!
Quelle salade! comme les quatre épices y sont exacte-
ment mesurées, sans compter cette pincée de poivre de
Cayenne vingtiste, Fernand Khnopff, dont aucune
consonne n'a été oubliée. Quelle exacte aspersion d'eau
bénite de cour sur les trente-deux rhumbs de la rose
des vents officielle : Nord, Nord un quart Est, Nord-Nord-
Est, Nord-Est un quart Nord, Nord-Est, Nord-Est un
quart Est, Est-Nord-Est, Est un quart Nord, Est, etc.,
etc., etc., rose des vents sur laquelle l'aiguille magné-
tique ne marque jamais rien ou plutôt marque toutes
les directions.
Oui, ils y sont tous, les points du compas, depuis les
cardinaux, jusqu'aux sous-cardinaux et aux sous-
contre-clin-cardinaux, en passant par tous les collaté-
raux. Chaque école a reçu son écot. La prudente
libéralité éclectique de la vacante direction des Beaux-
Arts a mis sur les trente-six numéros du tapis pour
être sûre de perdre et de gagner, et d'équiliber ses mises
dans la plus parfaite neutralité.
Il y a des présents de marque dans cette distribution
de sucre candi, et des absents formidables, comme
Xavier Mellery et Félicien Rops. Raisons administra-
tives monstrueusement niaises : Mellery, parce qu'il n'est
pas chevalier depuis assez longtemps ! Rops, parce que
c'est un poooornographe ! ! Pourquoi faire cette figure
ébahie. Monsieur? Oui, c'est un poooornographe! Le
grand artiste, l'incomparable auteur de centaines dechefs-
d'œuvre profonds, l'admirable dessinateur, le prodigieux
graveur, à qui depuis deux ans la France émerveillée
a donné la Légion d'honneur, est un cochon! Oui, Mon-
sieur, un cooochon, et c'est moi Joseph Prudhomme, et
c'est nous Bouvard et Pécuchet, et c'est moi Tribulat
Bonhommet, qui vous le disons sans baragouiner : un
cooochon, un triple cooOchon, un cochon cochonnant.
Lui donner la croix ! la croix de l'ordre de Léopold ! la
croix que porte le colonel de la légion de la garde
civique de ma section ! Mais autant vaudrait décorer
les prostituées. Monsieur, les viles prostituées, opprobre
du genre humain et honte de notre belle capitale!
Ah! ma foi, c'eût pourtant été crâne pour les minis-
tres conservateurs, galants hommes et très allants,
d'accrocher la croix à la boutonnière d'un tel avéré
grand homme, et d'ajouter à la fête Camille Lemon-
nier. Quelle salve dans le monde artiste à la révélation
d'une telle fière audace, et comme ce jeune ministre
des Beaux-Arts à belle désinvolture, maître Jules
de Burlet, eût à jamais été débarrassé de la méchante
et ridicule légende qui lui valut le surnom de Pantalon.
Mais c'est si difficile d'être crâne, quoique ce soit si
souverainement habile. Félicien Rops! Camille Lemon-
nier ! Allez donc ! Pauli-Plumot-Mister-Blanchaert,
à la bonne heure !
Voilà donc une fournée de peintres, de professeurs,
et même d'architectes. Yen aura-t-il une de ^^usiciens ?
Y en aura-t-il une de littérateurs? Ce mauditCamille
Lemonnier rend l'affaire terriblement difficile pour les
littérateurs. Comment lui passer sur le corps, à lui
l'initiateur et le précurseur, et, ce nonobstant, toujours
le chef, le maître? Il obstrue! Il obstrue absolument
comme un cuirassé coulé dans une passe. Décorer, sans
commencer par lui, le moindre écrivain, si ce n'est
dans l'arrière-garde des essoufflés et des bedonnants,
c'est s'exposer à de retentissants refus. Pas avant lui !
crieront sans doute par escouades tous les. jeunes qui
ont le sentiment de l'honneur du drapeau. Et nos
timorés crucilages continueront à vivre leur vie morose
et bloquée, ne décorant rien de littéraire, si ce n'est
les émasculés, cantatiers et chroniquailleurs, parce que
quelques imbéciles auront aigrement objecté : Ah!
mais vous savez, V Enfant du Crapaud, l'Enfant de ce
malheureux Crapaud ! ! laissant soupçonner on ne sait
quel horrible attentat gerministe commis sur une inno-
cente victime.
Et grâce à cette lourde terreur comico-bourgeoise,
on verra, en cette chère Belgique aux vingt-huit mille
décorés, ce phénomène, oh! quelle joie! pas une seule
croix pour nos prosateurs, pas une seule croix pour nos
poètes !
UART MODERNE
27
Lil LETTRE DE COURBET
C'esl le momenl de rééditer la fameuse lettre de Courbet, l'inap-
privroisé, l'inapprivoisable, quand on s'avisa de tenter sur lui le
viol de la décoration (1).
Monsieur Gustave Courbet à Monsieur Maurice Richard,
ministre des Beaux-Arts à Paris.
Paris, le 23 juin 1870.
Monsieur le Ministre,
C'est chez mon ami Jules Dupré, à l'Isle-Adam, que j'ai appris
l'insertion au Journal officiel d'un décret qui me nomme chevalier
de la Légion d'honneur. Ce décret, que mes opinions bien con-
nues sur les récompenses artistiques et sur les litres nobiliaires i
auraient dû m'épargner, a été rendu sans mon consentement, et
c'est vous. Monsieur le Ministre, qui avez cru devoir en prendre
l'initiative.
Ne craignez pas que je méconnaisse les sentiments qui vous ont
guidé. Arrivant au Ministère des Beaux-Arts après une adminis-
tration funeste qui semblait s'être donné la lâche de tuer l'art
dans notre pays et qui y serait parvenue par corruption ou par
violence, s'il ne s'était trouvé çà et là quelques hommes de cœur
pour lui faire échec, vous avez tenu à signaler votre avènement
par une mesure qui fit contraste avec la manière de voir de votre
prédécesseur.
Ces procédés vous honorent, Monsieur le Ministre, mais per-
mettez-moi de vous dire qu'ils ne pouvaient rien changer ni à
mon attitude ni à mes déterminations.
Mes opinions de citoyen s'opposent à ce que j'accepte une dis-
tinction qui relève essentiellement de l'ordre monarchique. Cette
décoration de la Légion d'honneur que vous avez stipulée en
mon absence et pour moi, mes principes la repoussent.
En aucun temps, en aucun cas, pour aucune raison, je ne l'eusse
iu'ccptée. Bien moins le ferais-je aujourd'hui que les trahisons se
muliiplieni de toutes parts et que la conscience humaine s'attriste
de tant de palinodies intéressées. L'honneur n'est ni dans un
titre ni dans un ruban, il est dans les actes et dans le mobile des
actes. Le respect de soi-même et de ses idées en constitue la
mnjeure part. Je m'honore en restant fidèle aux principes de toute
ma vie ; si je les désertais, je quitterais l'honneur pour en prendre
le signe.
Mon sentiment d'artiste ne s'oppose pas moins à ce que j'ac-
cepte une récompense qui m'est octroyée par la main de l'État.
L'État est incompétent en. matière d'art. Quand il entreprend de
récompenser, il usurpe sur le goût public. Son intervention est toute
démoralisante, funeste à l'artiste, qu'elle abuse sur sa propre
valeur, funeste à l'art qu'elle enferme dans les convenances offi-
cielles £t qu'elle condamne à la plus stérile médiocrité; la sagesse
pour lui serait de s'abstenir. Le jour où il nous aura laissés
libres, il aura rempli vis-à-vis de nous un devoir.
Souffrez donc, Monsieur le Ministre, que je décline l'honneur
que vous avez cru me faire. J'ai cinquante ans et j'ai toujours
vécu libre; laissez-moi terminer mon existence libre; quand je
serai mort, il faudra qu'on dise de moi : Celui-là n'a jamais
appartenu à aucune école, à aucune église, à aucune académie,
surtout à aucun régime, si ce n'est le régime de la liberté.
(1) Voir aussi un article, Art Moderne, 1881, p. 99 : Les artistes
et les décorations.
Veuillez agréer. Monsieur le Ministre, avec l'expression des
sentiments que je viens de vous faire connaître, ma considération
la plus distinguée.
Gustave Courbet.
LA QUESTION DES MUSEES
Les Responsabilités.
La campagne contre la Commission ayant abouti, et une
enquête étant décidée, enquête qu'on affirme devoir être sérieuse,
il serait intéressant de décider quelles seront les responsabilités
si les faits dénoncés par VArtmoderne sont exacts.
Certes, il s'est glissé quelques erreurs dans nos renseigne-
ments. C'était inévitable. Les agissements des commissions gou-
vernementales se font dans l'ombre : on cache à qui l'on fait les
commandes, on ne publie pas les prix qu'on a payés et il est très
difficile à un simple citoyen, qui n'est d'aucune commission, de
se rendre compte de la façon dont sont gérés les deniers publics.
Ainsi, par exemple, même dans les rapports officiels, on n'a pas
dit quels sculpteurs ont fait les statuettes de la place du Sablon.
D'un autre côté, un haut fonctionnaire a déclaré à quelqu'un de
nos amis que le prix qu'on payait pour les tableaux ne regardait
pas le public! Certains conservateurs finissent par s'imaginer que
les objets confiés à leur garde leur appartiennent, qu'ils se mon-
trent bien généreux en voulant les exhiber aux visiteurs; et à ce
point de vue, l'idée des tourniquets qu'un correspondant nous a
communiquée en notre numéro du 29 novembre dernier, éviterait
des rapports quelquefois difficiles et faciliterait la vue des estam-
pes et des photographies de notre bibliothèque. Jadis, à l'ancien
Musée, il y avait des vitrines où l'on exposait des photographies
de vieux tableaux, qu'on renouvelait de temps en temps; on a
évidemment supprimé cet usage parce qu'il était bon. Mais, géné-
ralement, l'esprit du fonctionnaire belge est détestable : dans
toutes ses manifestations, et il ne veut pas qu'on se môle de ses
affaires, qu'il gère pourtant d'habitude avec une notoire maladresse.
Aussi — revenons à notre question du début — des erreurs se
sont glissées dans notre campagne, mais en somme très peu.
Ainsi, par exemple, le Gallail a coûté 105,000 et non 180, 000 fr.,
ce qui laisse encore notre grief debout. D'un autre côté, on con-
teste notre chiffre de 80,000 francs pour le délogement du
Musée. Puis on assure que les Têtes de Nègres sont anciennes,
sans toutefois qu'on affirme qu'elles soient de Rubens et nous
nous serions trompés de tableau en parlant du nettoyage d'un
Melsys. Ce sont les seuls points qu'aient contestés les journaux
dévoués aux commissions et les amis d'icelles.
Eh bien, alors, quelles seront les responsabilités?
Pour l'avenir, on prendra des précautions plus grandes et on
s'entourera d'autres lumières que de celles qui éclairent les achats
actuels, on réorganisera de fond en comble les commissions et on
choisira des gens plus sérieux et plus compétents, c'est évident.
Mais pour le passé? Pour les faits accomplis? Passera-t-on
l'éponge sur les fautes commises avec la facilité habituelle qu'on a
ici d'étendre à tous les fonctionnaires l'irresponsabilité des juges?
Cela ne se peut.
Nous avons dit, par exemple, que tels et tels tableaux n'étaient
pas authentiques. Cela ne fait de doute pour personne, et tous les
experts sérieux et les vrais amateurs le constatent avec nous.
La fausseté des attributions étant reconnue, il faut que le mar-
chand reprenne l'œuvre el rcmetle l'argenl reçu, cl, si l'acliat a
été fait sans la garantie d'aulhenlicité, les commissions ont com-
mis une faute lourde dont elles sont personnellement respon-
sables.
Il y a vingt-cinq ans environ, le Musée de la Porte de Hal
acquit pour 20,000 francs le Dyptichon Leodiense. Il fut plus lard
reconnu faux cl l'aclial fut annulé. La même chose doit se faire
pour les tableaux non aulbcnliques.
Nous ne pouvons laisser bénévolement des œuvres douteuses h
la rampe de nos musées et nous n'irons pas, sans nous plaindre,
les laisser remiser dans les greniers!
Quant à la commission, spécialement : Les achats doivent élrc
approuvés par un expert qui n'est que moralement responsable.
Cette approbation couvre complètement la Commission. Or, il
paraît qu'on a achelé certaines œuvres sans consulter l'expert, et
celle négligence établit de nettes el indiscutables responsabilités.
NOTRE CllTURE INTELIECTUEILE
Conférence donnée au Cercle Artistique et Littéraire, le 4 décembre
1891, par M. A. Prins. Bruxelles, Weissenbruch, grandin-S», 24 p.
Il y a quelques semaines, M. Prins choisissait le Cercle Artis-
tique et Littéraire de Bruxelles pour y donner une conférence sur
notre Culture intellectuelle.
Les hautes pensées développées par le conférencier avec une
éloquence qui prend sa source dans le cœur non moins que dans
l'esprit n'ont pas été sans porter droit.
Quelle est la culture d'un temps indécis et tout de transition
comme le nôtre? Quel est le rôle que doivent jouer dans la for-
mation des esprits el les grandes universités et les lettres et les
arts? Notre enseignement doit-il être classique, c'esi-à-dirc doit-
il continuer à demander aux anciens le fond el la forme de toutes
manifestations intellectuelles, ou peul-il se contenter d'être
moderne, s'inspirant de littératures conlemporaines, cultivant
les sentiments créés par nos poètes et nos romanciers h nous,
donnant enfin la science positive comme base à toutes nos
assises intellectuelles.
Tels, quelques-uns des -problèmes, qu'en quelques quarts
d'heure, a successivenient passés en revue le conférencier.
M. Prins vient de publier en brochure la conférence qu'il a
donnée au Cercle el nous avons pu y retrouver, dans leur texte,
quelques-uns des beaux développements que déjà nous avions
admirés à l'audition : c'est bien substantiel, bien neuf el peu con-
forme.
Qu'il nous soit permis, en ce journal spécialement consacré à
l'Art, de citer la fin de cette conférence, fin à la vérité peu
attendue de maints de ses auditeurs.
Mettre en doute l'utilité de l'éducation littéraire du grec et du
latin passe encore, mais conclure, après réfutation en règle de
toute la kyrielle des anciens arguments en leur faveur, que c'est à
notre littérature nationale qu'il faut consacrer une partie du temps
donné b ces antiquailles, voilà ce qui a été particulièrement désa-
gréable à admettre par quelques défenseurs attitrés du Beau
ancien et absolu. Les applaudissements à ce passage s'en sont
ressentis.
« Nous assistons, en ce moment à l'éclosion d'une littérature
nationale. Ce qu'elle a de meilleur ne lui vient-il pas de la race,
des traditions, du sol? N'est-ce pas à nos traditions arlisti(iues
que nos poètes, nos littéraleurs doivent d'être surtout des pein-
tres, des descriptifs? Je ne voudrais pas citer de noms; mais
enfin, pour donner des preuves, est-ce que l'auteur de la Prin-
cesse Moleine ne rappelle pas la grâce mystique des vierges pilles,
mélancoliques el résignées de Van Eyck et de Memling, comme
l'auteur des Flamandes et l'auteur des Kermesses rappollonl
l'exubérance réaliste de Jordaens ou de Teniers, comme nos
charmants conteurs wallons, l'auleur de la Closière, celui des
Charneux, ou celui des Contes de mon village rappellent la saine
cl robuste fraîcheur qui semble émaner de la Meuse ou de
l'Ardenne?
Je n'ai pas l'intention de prolonger ici une étude de ce genre ;
je désire seulement montrer que nous pouvons puiser en nous-
mêmes la source de l'inspiration.
11 y a un proverbe arabe qui dit : « Ce n'est jamais en vain
qu'on a erré sous les palmiers ». Eli bien, chez nous aussi, ce
n'est jamais en vain qu'on erre aux bords de la Meuse "ou de
l'Escaut, ce n'est jamais en vain qu'on erre dans nos campagnes.
Quand, au printemps, on chemine dans les grasses prairies
brabançonnes, par exemple entre Dry Torcn, où Teniers avait
sa maison de campagne, et Ellewyl, où Rubens résidait souvent;
quand on parcourt les sentiers qu'ils ont sans doute foulés l'un el
l'autre ; quand à travers le rideau des peupliers on voit se dresser
les fermes séculaires avec leurs toits à pignons el leurs fenêtres à
meneaux; quand la neige des vergers resplendit sur la verdure
renaissante, et que dans la lumière intense des grandVoutes, les
vieux arbres, les vieilles fermes el les vieilles gens (jÉ|Muêmcs
semblent redevenir plus jeunes; il semble aussi ^ê l'âme
rajeunie du passé surgisse à l'horizon, et avec elle le souvenir des
générations d'artistes, de savants, d'écrivains, de penseurs qui ont
brillé aux époques illustres de notre histoire.
On songe alors que dans les milliards d'êtres qui viennent, p:is-
senl et disparaissent, pour ne plus revenir, conune des flollanis
atomes, il en est qui appartiennent à ce petit coin de terre, y ont
puisé leur individualité el nous l'ont transmise, pour qu'à noire
tour nous la transmeltions à nos descendants.
Et l'on a la conscience d'aimer son pays d'un amour en
quelque sorte physique; et on le sent bien, ce n'est pas une pure
illusion que le lien qui, dans le tourbillon tumultueux de l'uni-
vers, dans l'agitation perpétuelle des choses, ratlache l'homme au
sol natal el lui donne un point d'appui!
El de même, ce n'est pas une pure illusion qu'une culture
nationale, un art national, une liitérature nationale.
C'est, au contraire, la plus forte des réalités ; c'est à cela que
tout doit aboutir, c'est la loi suprême des peuples dignes de
vivre.
C'est pour cela que nos écrivains ont raison de relever le dra-
peau d'un. art national; c'est pour cela qu'ils doivent à leur pays
d'être de plus en plus eux-mêmes, de fortifier en eux les qualités
qui leur viennent des grands ancêtres.
El c'est pour cela que nous, Mesdames et Messieurs, nous
avons à les saluer avec joie et que nous leur devons noire protec-
tion, noire appui el noire sympathie! »
'O
i:art moderne
29
UNE STATISTIQUE
f.a table des matières de la Jeune fie/jù/He compte vingt-sept
('■crivains belges qui y ont collaboré celte année.
Ce sont MM. Albert Arnay, Jean Boels, Hector Chainaye, Eugène
Demolder, Maurice Desombiaux, Georges Désirée, Georges
Kckhoud, André Fontainas, Georges Garnir, Ivvan Gilkin, Valère
Gillc, Albert Giraud, Arnold Goflln, Auguste Jenarl, Hubert
Krains, Grégoire Le Roy, Maurice Maeterlinck, Henry Maubel,
Joseph NèvG, Gustave Ralilcnbeck, Fernand Roussel, Fernand
Sevcrin, Gustave Stevens, Charles Van Lerberghe, Emile Ver-
liaeren, Ernest Vcriant, Auguste Vierset.
Ce nombre est déjà considérable. Mais en dehors de lui, il y a
encore dans le jeune mouvement d'autres écrivains qui ne sont
pas dans la table des matières de la Jeune Belgique, soit parce
qu'ils n'y ont pas collaboré celle année, soit parce qu'ils colla-
borent à d'autres revues. Ainsi : MM. Camille Lemonnicr, Edmond
Picard, Octave Maus , Louis Delatlre, Jules Destrée, Arthur
James, Fernand Brouez, James Vandrunen, Emile Van Arenbcrgh,
Albert Mockcl, P. -M. Olin, Raymond Nyst, Hubert Stiernel,
Georges Rodenbach, Francis Nautet, Georges Khnopff, Franz
Mahulte, Henri Nizet, Maurice Si ville, Léopold Courouble, Henry
Carton de Wiarl, Paul Ollct, Céleslin Demblon, Maurice Sulz-
berger, Eugène De Groole, Georges Keller, Jules Frédéric, et
d'autres.
Nous en avons cité cinquante-quatre, et en avons encore sans
doute oubliés. Tous — h l'exception de deux ou do trois — ont
débuté depuis moins de dix ans. Tous, en dehors de l'œuvre du
journaliste, ont fait des œuvres d'arl et de litlémlure. Il en est,
dans cette énumération, qui possèdent du talent, beaucoup de
talent; d'autres en ont moins : mais tous ont pris pour but
l'Art.
Avant ces dix ans, — remontez un siècle en arrière, deux siècles
si vous voulez, et passez par les cinquante années si célébrées de
prospérité nationale, — vous ne trouverez pas quinze artistes de
la plume. Leur nombre actuel, dans un petit pays, dénote sans
conteste un mouvement d'une intensité des plus extraordinaires.
11 est inutile d'emprunter la « longue vue » de M. Mirbeau pour
s'en apercevoir.
LAWN-TENNIS
par Gabriel Mourey. — Paris, Tresse et|^Stock.
Sous ce litre d'apparence inoffensive, évoquant les claires
journées estivales, et la pelouse ras fauchée, éployée en tapis
d'émeraude au pied des arbres séculaires, et les flanelles claires
égayant l'austérité des ombrages — un drame terrible : l'amour
lesbien audacieusement mis en scène, sans rélicences, sans sous-
entendus, tout nu dans son liorreur tragique, et finissant dans
du sang.
L'acte de M. Gabriel Mourey avait été offert au Théûtrc Libre, cl
accepté. Les rôles en étaient distribués, lorsque survint cet inci-
dent inattendu ; les comédiens, effrayés de l'impudeur du sujel,
hésitèrent à se charger de le représenter. M. Antoine écrivit à
l'auteur la lettre ci-après, qui détermina M. Mourey à retirer
galamment sa pièce :
Mon cher Mourey,
Ainsi Jque vous avez pu en juger vous-même aujourd'hui
pendant la lecture de votre acte, Lnwn-tennis, aux interprètes
que nous avions choisis, il se produit un incident curieux et dont
je ne connais pas d'exemple. C'est-à-dire que votre pièce, possible
à la représentation entre intimes, n'est pas jouable devant un
public.
Vous avez vu vos comédiens eux-mêmes tout interloqués de la
hardiesse et de la violence de votre conception. Je ne pense pas,
après celle épreuve, qu'une salle de douze cents personnes puisse
accepter avec sang-froid une situation aussi singulièremeiit anor-
male et passionnée. Rappelez-vous la première tle la Fin de
Lucie Pellegrin.
J'avais éprouvé, je ne vous l'ai pas caché, du reste, à la lecture
de votre manuscrit, une 1res forle sensation d'arl et je m'étais
laissé séduire par la grûce, l'élégance et la littérature de Lawn-
tennis. J'ai reçu voire pièce et elle sera représentée sur le
Théâtre Libre si vous l'exigez.
L'exigcrez-vous?
Si oui, nous courrons simplement le danger de faire fermer le
Théâtre Libre sur un gros scandale qui sera bien vite exploité
par qui vous savez et que vous ne recherchiez en somme pas
plus que nous.
Avons-nous le droit de sacrifier les intérêts littéraires, les
espoirs groupés autour de la maison, et ne scrail-ce pas une
grave responsabilité pour vous aussi bien que pour moi? Ne
croyez-vous pas aussi que l'ère des violences et des soi-disant
coups de pistolet est close désormais? Votre acte, d'une origina-
lité si puissante et si étrange, ne se trouve-t-il pas vraiment trop
au-dessus des conventions courantes? Entendez bien que je ne
prétends aucunement vous dire que Laivn-tennis n'est pas une
pièce; c'en est une, au contraire, et fort bien faite; mais, lorsqjie
j'écris ce mot de convention que nous détestons tous, je veux
parler de celle hypocrisie toute britannique spéciale aux gens
assemblés qui, individuellement, commettent un tas de saletés
sans la moindre vergogne et qui rechignent aux vérités trop
nettes apparues à la lueur des quinquels!
Je vous fais juge et vous resterez le maître de la situation. Si
vous le voulez, tentons l'aventure, mais réfléchissez bien aux
risques que pourrait courir une maison dont tous vos amis ont
besoin et envers lesquels je suis comptable.
Vous m'aviez parlé d'un acte en collaboration avec M. Jules
Bois. Je vous offre de le jouer à la place de Lawti- tennis . Vous
ne perdriez rien à celle combinaison et elle apporterait an
Théâtre Libre un nom que nous serions heureux de voir figurer
sur nos programmes.
Bien vôtre A. Antoine.
Exposition universelle de la Musique et du Théâtre
Nous avons parlé déjà de l'Exposition musicale qui s'ouvrira à
Vienne le 7 mai 1892. Le comité, présidé par le marquis Palla-
vicini, invite tous les collectionneurs à y prendre part. Tout ce
qui se rapporte à la musique et au théâtre sera reçu à condition
d'offrir de l'intérêt ou une valeur intrinsèque suffisante. L'txpo-
sition musicale se divisera en deux sections : la première sera
consacrée à une exposition rétrospective et technique, la seconde
à une exposition induslriellc spéciale où seront exhibés les insiru-
S.
30
l:art moderne
menls modernes el leurs accessoires, les décors el costumes de
llx^ûtre, la liltéralure musicale conlemporaine, elc.
Il n'y a pas moins de soixante-quatorze classes distinctes,
réparties en douze groupes. La commission (Esclienbach Gasse \ \ ,
Vienne I) reçoit les demandes d'inscription. Les envois devront
èlre fiaits du \" mars au 21 avril. Le programme, le règlement et
des demandes d'admission sont, dans nos bureaux, à la disposi-
tion de nos abonnés.
A Vienne, on travaille fiévreusement à l'organisation de celle
exposition. On construit une scène spéciale, qui réalisera tous les
prrfectionnements modernes. Les théâtres de Vienne y joueront
pendant les mois de mai et de septembre, trois tliéâlres de Berlin
au mois de juillet. On est en pourparlers avec l'Opéra de Milan,
iuec des tliéâlres hongrois, tchèques el polonais.
A la Tonhalle, immense salle de musique, on organisera une
vingtaine de grands concerts, dirigés par les plus célèbres compo-
siteurs el chefs d'orchestre. Hans Richter. Biilow, Verdi ont déjà
promis leur concours. Il est probable qu'on obtiendra également
relui de Mascagni. L'Exposition contiendra tout ce qui se rapporte,
de près ou de loin, à la musique et au théâtre.
11 y aura des souvenii-s des grands compositeurs. Le prince
Lichnowski exposera le beau piano surlequel Beethoven aimait à
jouer; le comte Esterhazy prêtera ses souvenirs de Haydn; le baron
N. Rothschild sa magnifique collection d'instruments de musique.
Touies les grandes familles de la monarchie mellronl leurs
archives, leurs galeries, leurs collections artistiques à la disposi-
tion du comité. On arrivera â reconstruire les cabinets de travail
de Gœthe, de Richard Wagner, de Beethoven, de Schubert, elc.
Enfin, ce sera une exppsition des plus complètes, des plus
originales el qui promet d'attirer toute l'Europe artistique dans la
vieille cité impériale.
Il y aura plus de trois mille six cents autographes de maîtres
célèbres de tous les pays el de tous les temps, douze cents
portraits de compositeurs, libretiisies, artistes célèbres. L'archi-
duc Ferdinand a mis à la disposition du comité sa collection
d'instruments anciens; le prince de Schwarzenberg, sa collection
(le manuscrits ; l'éditeur Artaria, sa collection de manuscrits de
Beethoven, parmi lesquels l'autographe de la IX^ symphonie et
de la messe en ré; M'"^ Viardol le manuscrit de Don Juan de
Mozart. Ce maître aura, d'ailleurs, un pavillon spécial, où l'on
trouvera quantité de reliques, de gravures, de manuscrits, de
lettres, etc., qui se rapportent à sa personne et à son œuvre.
■pHRONIQUE JUDICIAIRE DE? ART?
La Madeleine de 'V^an Dyck (?).
Acheter un Van Dyck 6,000 francs n'est vraiment pas une mau-
vaise-affaire. Alléché par la modicité du prix, un collectionneur
de tableaux, M. Valenlin Roussel, acquit, en 4889, uncMadeleine
que le vendeur, M. Manteau, lui affirmait être du maître peintre,
l-a joie de l'amaleur fui éphémère. Des amis auxquels fui exhibée
la merveille insinuèrent dans l'âme du collectionneur le serpent
rongeur du doute. Des traces de tripatouillage existaient, incon-
testablement, sur la toile. Aussi M. Roussel n'hésita-l-il pas à
assigner son vendeur en résiliation du marché, en restitution du
prix et en dommages-intérêts. Le tribunal de commerce de
Bruxelles, auquel fut déférée la cause, nomma des experts qui
déclarèrent, à l'unanimité, que « l'œuvre pouvait très ruisonna-
hloment être attribuée à Van Dyck ».
Les juges consulaires décidèrent que celle formule un peu
vague devait donner à l'acheteur toute satisfaction et déboulèrenl
celui-ci de son action.
iWais la Cour d'appel ne fui pas de cet avis, cl sur la plaidoirie
de M" Albert Simon, réforma, le 8 janvier, le jugement du tribu-
nal.
« Quelque sérieux que puissent être les motifs déterminants
d'une attribution, dil en substance l'arrêt, celle-ci n'en est pas
moins une conjoncture incertaine qui no peut remplacer la
garantie d'authenticité promise. »
Eu conséquence, la vente esl résiliée, M. Manteau est con-
damné ë remboursera l'appelant la somme de 6,000 francs, prix
du tableau, avec les intérêts légaux depuis la date du paiement
(19 mai 1889) el à lui payer on outre 100 francs à litre de dom^
mages-intérêts. *--
Petite chro^^ique
Indépendamment des artistes invités dont nous avons publié la
liste, cxpos'vont cette année au Salon des XX : M"« A. Boch,
MM. Ensor, W.-A. Finch, F. Khnopff,G. Lemmen, D. de Regoyos,
P. Signac, J. Toorop, H. Van de Velde, Van Rysselberghe, Van
Sirydonck, Vogels, peintres; G. Charlier, P. Dubois et G. Minne,
sculpteurs.
On lit dans le Peuple et dans divers journaux :
« On sait que la place de direcleur des Beaux-Arts est vacante
et que M. de Haulleville, ancien rédacteur en chef du Journal de
Bruxelles, postule celte place. Mais M. Woesie, qui a une haine
très forte contre M. de Haulleville, fait en ce moment tout ce qu'il
peut pour faire échouer ce candidat, ol aussi; tout autre qui, de
près on de loin, a des rapports avec le jeune mouvement littéraire
el artistique de notre pays. On assure que c'est M. Charles Tar-
dieu, rédacteur en chef de l'Indépendance, qui serait le candidat
qui a le plus de chances, d'autant plus qu'il a MM. Woeste ol
Beernaeri pour parrains. Curieux, n'est-ce pas? »
Nous ignorons ce qu'il y a de vrai dans l'outrecuidance qu'on
prêle à M. Tardieu, ce sous-Frédérix. Nous le saurons d'ici à
dimanche prochain, et dans le cas où il aurait eu la malheureuse
idée de tenter celte chance, lui le réprouvé qui récemment encore
a élé mis au ban de l'armée artistique, nous lui réglerons son
compte.
Quant à M. Woesie qui se mêle d'une matière pour laquelle il a
autant d'aptitude qu'un hareng saur pour le vélocipède, nous
nous chargerons aussi de lui démontrer que dans un temps où le
seul art qui compte est l'art neuf, il n'y a aucune place ni droit
de parler pour lui qui représente en toutes choses l'école du
sabot-sous-la-rouc destiné à empêcher les diligences de descendre
trop rondement les côtes.
Au dernier moment on nous assure que lorsqu'on demande à
M. Tardieu s'il pose sa candidature, il répond : Non; mais que
si on lui demande l'autorisation de le dire, il répond encore : Non.
Est-ce que ce masuiresque personnage userait de diplomatie l'i
serait d'avis que le meilleur moyen de ne pas être escarboté avant
d'arriver au but esl de s'y diriger dans les ténèbres. Mais gare ;hi
tir de nuit. La guerre est aujourd'hui si perfectionnée.
Nous avons annoncé dans notre dernier numéro qu'une sous-
cription venait d'être ouverte pour élever un monument sur li
tombe de Henry Litolff, l'auteur des Templiers, du Chant dès
Guelfes, des Girondins, du Chant des Belges, du Dernier jour
de la Terreur, des cinq Concertos symphoniques pour piano el
orchestre, d'Héloïse et Abélard, etc., etc.
Le comité, dans lequel figurent MM. Ambroise Thomas Masse-
net, Gounod, Chabrier, Guiraud, Gevacrl, A. Silveslre,'Camille
i:art moderne
31
Doucft, Armand Gouzion, Edg;. Troimaux, etc., fait un pres-
sant appel aux amis et aux admirateurs du maître en Belgique.
Les adhésions peuvent être adressées à nos bureaux ou directe-
ment à M. Victor Souchon, trésorier du comité, rue du Faubourg
Montmartre, 17, Paris.
M. Gustave Sainienoy, l'un de nos meilleurs architectes, vient
de mourir. Il allait atteindre la soixantaine. M. Saintenoy a con-
struit le théâtre de Bruges, le château des Amerois, le palais de
Lomlc de Flandre et plusieurs écoles à Bruxelles, parmi lesquelles
les cours d'éducation de la rue de la Paille, les plans de l'hôtel
du gouvernement provincial à Hasselt en cours d'exécution, etc.
Nous adressons à son fils, M. Paul Saintenoy, architecte et
archéologue, nos sympathiques condoléances.
M. François Riga, compositeur de musique, est mort inopiné-
ment à Bruxelles, lo 18 courant, dans sa Gi""" année. Il laisse un
grand nombre de morceaux de musique religieuse, toutes œuvres
de bonne facture et bien écrites pour les voix. M. Riga professait
la musique avec une réelle autorité. Sa mort sera vivement
regrettée.
Cours SUPÉRIEURS pour Dames. — Lundi 2^ janvier, à 2 heures.
M. H. Pergameni : Les races et l'histoire de la Sibérie. —
Lundi 25, à 3 heures. M""^ A. Chaplin : Dickens. — Mardi 26,
h 2 heures. M. E. Verhaeren: La peinture gothique flamande. —
Mercredi 27, à 2 heures. M. H. Pergameni : La Prusse sous
Frédéric IL — Mercredi 27, à .3 heures. Conférence de
M. G. Frédérix: Victor Hugo. (Les personnes étrangères aux
cours peuvent se procurer des cartes chez le concierge du Palais
des Académies au prix de deux francs (1). — Jeudi 28, à 2 heures.
M. H. LoNCHAY : Le gouvernement de Charles de Lorraine. —
Jeudi 28, à 3 heures. M"« J. Tordeos : Diction, lecture
d'auteurs modernes.
Le Cercle des Z/// d'Anvers ouvrira cette année son exposi-
tion annuelle le 7 février prochain, dans l'ancien Musée de pein-
ture à Anvers. Participeront à cette exposition outre MM. L. Abry,
Em. Claus, Ed. De Jans, H. Desmeth, Edg. Farasyn, Fr. Hens,
R. Looymans, H. Luylen, Ch. Merlens, A. Struys, L. Van Acken,
L. Engelen, Th. Versiraete, membres du cercle, les artistes sui-
vants qui ont accepté l'invitation qui leur a été adressée : De
Belgique • MM. J. De Greef, Om. Dierickx, Alex. Marcelte,
Xav. Mellery, J. Horenbaut, J. Rosseels, C. Trémerie, J. Stob-
baerts, E. Van Gcider, Is. Verheyden, Alf. Verwée, G. Charlier,
De Grool, De Ruddcr, Devigne, Dillens, J. Lambeaux, Mignon,
C. Meunier, Van der Stappen et Th. Vinçotte. — De France :
MM. Besnard, Billolte, Carrière, Costeau, Courtois, Jeanniol, Mue-
nier et Roll. — De Hollande : MM. Breitner, Israëls et Neuhuijs.
— D'Allemagne : MM. Herreniann, Kuehl et Von Uhde. —
D'Angleterre ; MM. H. Moore et J. Guthrie. — De Suède et
Nonvège ; Fr. Thaulow et Allan Osterlind.
M. Claude Monet expose en ce moment à Paris, chez Boussod
et Valadon, une intéressante série d'études exécutées par lui l'été
dernier, à Giverny.Ces éludes représentent des Peupliers au bord
de l'eau, vus à des heures ditTérenies du jour et sous des étals de
ciel variés.
Une revue nouvelle paraît b Anvers, De Vlaamsche School,
publiée par M. J.-E. Buschmann, en livraisons de 16 pages, grand
in4°, illustrées de pliototypies, avec des planches hors texte
gravées à l'eau forte. La première livraison est, en majeure partie,
consacrée à la 25'= exposition de VAls ik kan. (Bureaux : Rijn-
poortvest, lo, Anvers.)
Une nouvelle revue littéraire est annoncée à Bruxelles pour le
8 février. Titre : Le Mouvement littéraire, fondé par MM. Fernand
Roussel, R. Nyst et M. Donnay. Parmi les collaborateurs figurent
MM. Maurice Barres, Albert Giraud, Camille Lemonnier,F. Vielé-
Griffin, Emile Verhaeren, etc.
(1) Nous insistons sur les avantages économiques que présente la
conférence de M. Frédérix (liquidation forcée).
Nous saluons avec joie la résurrection d'Art et Critique, l'ex-
cellente revue parisienne qui suspendit sa publication, voici tout
juste un an, après quelques années de luttes vaillantes et de bel
enthousiasme littéraire.
Art et Critique reparaît avec son ancienne rédaction presque au
complet : MM. Jean Juilien, Henry Céard, André Corneau, Alfred
Ernst, Gustave Geftroy, Georges Lecomte, Edmond Couslurier,
Gaston Salandri, Georges Roussel, Georges Vanor, etc.
Les Lettres, les Arts plastiques et la Musique y seront, comme
précédemment, étudiés de près. « Telle vous l'avez laissée, telle
vous la retrouverez, étrangère aux cabales, aux rivalités d'écoles
et de personnes, faisant bon accueil à toutes les tentatives sincères
et désintéressées, s'associant à toutes les protestations fondées,
ouvrant ses colonnes à tous les artistes. »
La rédaction est maintenue rue des Canettes, 7; l'administra-
tion est transportée quai de Jemmapes, 72. Espérons que, cette
fois, rien ne viendra interrompre la brillante carrière de la «revue
aux rubans verts.»
Portrait instantané du OU Blas ;
Vincent d'Indy. — Quarante ans. Grand, mince, distingué, avec
des yeux noirs où couve comme une flamme intérieure, une mous-
tache soignée, semble plutôt un dileitanle qui s'occupe d'art à ses
heures perdues qu'un professionnel fanatique de son métier. D'un
abord affable et doux avec une vague morbidesse, comme disent
les Italiens, dans ses allures et dans ses gestes. Très riche el cepen-
dant, à l'exemple de son vieux maître si regretté. César Franck,
s'est donné presque tout entier à l'enseignement des formules
nouvelles. L'auteur applaudi de cet admirable et mystique Chant
de la Cloche, que couronna la Ville de Paris, et d'un Wallenstein,
oîi il affirma si vigoureusement sa personnalité. Un convaincu et
un artiste de combat qui a bien gagné son bout de ruban rouge.
On annonce la vente à Paris, chez Georges Petit, de l'impor-
tante collection Daupias, de Lisbonne, dont nous avons fait
naguère la description (1).
Le Musée Richard Wagner, à Vienne, vient de s'enrichir d'une
foule de documents relatifs aux représentations de Lohengrin à
l'Opéra de Paris : affiches, articles de journaux, caricatures, etc.
Nous apprenons avec plaisir que M™* Marthe Duvivier, dont on
a conservé le meilleur souvenir à Bruxelles, a obtenu à l'Opéra
français de la Nouvelle-Orléans un très grand succès. L'excellenic
cantatrice a débuté dans le Trouvère et dans la Favorite. Les
journaux sont unanimes à vanter la voix, le jeu et l'excellente
méthode de la cantatrice.
M"" Duvivier a retrouvé à la Nouvelle-Orléans un artiste connu
de nos compatriotes, le ténor Verhees, qui a été également fort
bien accueilli dans les Huguenots et les autres ouvrages du
répertoire.
Le dernier numéro des HommesxTaujourd'hui (Vanier, éditeur),
donne la biographie, par Paul Verlaine, du poète Albert Méral,
avec un portrait-charge par F. A. Cazals.
Nous rappelons à nos lecteurs que le concert de la Société de
musique de Tournai consacré aux œuvres de M. Peter Benoit aura
lieu aujourd'hui dimanche, à 7 heures du soir, el qu'il sera terminé
à 9 h. 15.
(1) V. l'Art moderne, 1890, p. 155.
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Pour tous renseignements s'adresser à la Direction de l Eorploitation des Chemins de fer de l'utat, à Bruxelles; à V Agence générale des
Malles-Postes de l'Èlal-Belge, Montagne de la Cour, 90*, à Bruxelles ou Qracechurch-Street, n» 53, à Londres; à l'Agence des Chemins de
fer de Vn-tat Belge, à Douvres (voii' plus haut); à M. Arthur Vranchen, Domkicster, n» 1, à Cologne; à M. Siepennann, 07, Unter den
Linden, à Berlin ; à M. Rnnmelmann, 15, GuioUett strasse, à Francfort a/m ; à M. Scheiikcr, Scliotlenring, 3^ à Vienne; àA/'i'e Schroekl,
9. Kolowratring, à Vienne; à M. Rudolf Meycr, à Carlsbad; à M. Schcnkcr, Hôtel OberpoUinger, à Munich; à M.'DetoUcnacrc, i2,
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Douzième année. — N* 5
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 31 Janvier 1892.
L'ART MODÉRÉ
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
5 ■
Comité de rédaction « Octave MAUS — Edmond PICARD — Émilk VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. — ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser toutes les communications à
l'administration générale de l'Art Moderne, rue de l'Industrie, 32, Bruxelles.
Sommaire
La Direction dks Beaux-Arts. — Thulk des Bkumes. — Un
interview. — eciianok uk 1.ivbk.s. — tliebmldok. — u.n iianquet a
M"' Beernakrt. — Acccsiis i>k récei'Tion. — Correspondance. —
Chronique judiciaire des arts. — Petite chronique.
LA DIRECTION DES BEAUX-ARTS
Un plumiphage qui pâture sur les plants de choux
du journalisme bruxellois a jugé à propos, pour tenter
de nous faire taire, d'insinuer que VArt itioderne avait
un candidat pour la Direction des Beaux-Arts.
Il setrompe, ce plumiverge.
VArt moderne ne patronne et n'a jamais patronné
personne pour ces hautes dignités inutiles. Si l'un des
siens y vise, c'est pour son compte et au risque de
s'entendre, ici-même, décocher les vérités essentielles.
UArt moderne a la dent dure, ô plumirostre plus
méchant qu'offensif, et n'est pas de ceux qui vendent
leur indépendance pour un plat de fèves. Loin de toute
discipline, libre de toute chiourme journalistique, û
plumiserve, il va te montrer comment, mépriseur de
tes menaces, il entend traiter la question qu'il te plai-
rait à toi et aux tiens de mettre à l'étouffoir.
Et ce prélude joué, voici la valse.
La mort du placide et très discret Jean Rousseau
date déjà, et la place de directeur des Beaux-Arts qu'il
remplissait si peu est encore vide. Des candidats ont
défilé, sans se faire engager, car le nouveau Ministre
s'avise de ne pas se contenter d'un à peu près de bonne
volonté. Il rêve, fièrement, ce chasseur d'idéal admi-
nistratif, d'une direction des Beaux-Arts qui dirigerait
les arts. Et voici qu'il est pris dans les mailles de diffi-
cultés infinies. Au lieu de marier cette héritière au
premier prétendant venu, convenable, aimable et pré-
sentable, il veut pour elle un épouseur de choix,
capable de lui faire honneur, et, avec amertume, il
n'en voit pas.
Résigné, il attendait et laissait lever les avoines.
Alors M. Charles Tardieu, nouvelliste kV Indépendance,
s'est avancé.
Il s'est avancé sur la pointe des pieds, avec des gestes
recommandant le silence, car il a peur, on ne sait pour-
quoi, des renseignements qu'on pourrait fournir sur
son compte. Il voudrait être admis sans tapage, sauf à
en faire un de tous les diables dès que l'union secrète
qu'il rêve aurait été irrévocablement nouée.
Il a fait sa demande, mais on le sait à peine. La bande
de ses bons camarades de la presse forment autour de
lui un cercle qui masque sa manœuvre. Car c'est éton-
nant et édifiant l'entente de ces bruyants reporters,
même pour se taire, lorsqu'il s'agit de ceux qui sont de
■ T^'* ■■ ^> 'v-'ffv ^'-î' -''.V^ -v^Tf:, y^;»-"-"
■;^ 51. ■■ -. ■ ,■»,-
^, . ,,;,,,.^,,^.^ : î':^ •
34
L'A/?r MODERNE
leur bâtiment. Eux qui n'hésitent pas devant les indis-
crétions les plus cruelles et les plus méchantes quand il
s'agit des profanes, se feraient piler et passer au tamis
en pâté de Bruxelles, plutôt que de parler du projet
qu'allaite leur copain Tardieu. Et c'est la presse hebdo-
madaire, la presse qui se vante de ne pas faire partie
du journalisme enrégimenté, qu'on force à révéler au
public qu'un nouveau candidat à la fameuse Direction
est né !
Cette demande tardive (oh ! qu'il est loin de nous de
faire un de ces jeux de mots auxquels ne résiste pas
M. Tardieu) suscite quelque analyse. Il nous eût été
superflu d'y procéder si les journaux s'étaient mis à
attraper ce solliciteur avec l'entrain, la courtoisie et la
bonne foi exemplaire qu'ils ont manifestés pour d'autres.
Mais puisque la consigne de ces joyeux francs-maçons
est d'avoir Tair de ne pas avoir l'air, nous allons acquit-
ter la lettre de change signée dimanche dernier dans
l'Art moderne quand le premier murmure de cette sin-
gulière nouvelle rasait encore le sol.
Ce n'est pas que nous pensions qu'une direction
des Beaux- Arts soit indispensable. Elle n'existait pas
jadis en Belgique, et certes l'incolore Jean Rousseau n'a
pas démontré qu'elle puisse servir à autre chose qu'aux
satisfactions diverses de celui qui en a le titre. Mais si
on juge à propos d'en continuer la tradition, encore
est-il séant qu'on en investisse une personnalité en état
de diriger et qui ne suscite pas en l'esprit ce mordant
souvenir d'un sarcasme de Beaumarchais : Il fallait un
mathématicien, ce fut un danseur qu'on choisit.
L'Art est présentement chez nous dans un état de
crise. Il se débat pour briser les vieux liens et les vieilles
formules. Irrésistiblement entraîné vers le neuf, il
hurle de rage chaque fois qu'on tente de le remmaillo-
ter. Pris d'une fureur de liberté, à chaque instant il
échappe aux duègnes et aux vénérables valets de
chambre qui voudraient maintenir ce robuste jeune
prince dans les préceptes de l'étiquette académique et
du cérémonial, et il va, sautant par-dessus les murs,
courir les champs et les carrefours. Il lui faudrait un
précepteur que n'épouvanteraient pas ses incartades,
qui n'essaierait pas de mater ses belles ardeurs, mais de
les employer noblement et de les pousser vers les œuvres
héroïques. Pas un timide, pas un raccorni, pas un malin,
plr un rancunier surtout, pas un complaisant de
coterie.
Or, M. Charles Tardieu, nouvelliste à V Indépen-
dance, concentre-t-il ces qualités nécessaires ? échappe-
t-il à ces rédhibitoires défauts?
Quel malheur que ses camarades du journalisme,
muets par point d'honneur professionnel, ne s'expli-
quent pas là-dessus. Vraisemblablement ils tireraient
un horoscope lumineux et satisfactoire qui nous dis-
penserait de les suppléer dans pette délicate besogne.
M. Charles Tardieu a passé la cinquantaine, notable-
ment. Il fut, en sa lointaine jeunesse, une très belle
espérance : la vive petite lampe de son esprit délié,
fertile en amusantes saillies, donnait à ses amis l'illu-
sion que sa maturité serait, autant que celle des meil-
leurs de son temps, éclairante et réchauflante. Mais
une malechance semble avoir stérilisé ses dons et ses
efï'orts. Il est resté voué à la médiocrité dans la vie.
Les voies qui mènent loin et haut se sont, pour lui,
fermées en impasses. Il est demeuré à mi-route, tou-
jours dans la vague attitude d'un raté et le méconten-
tement d'un officier en demi-solde, avec l'irascibilité, la
nervosité, la mauvaise humeur, les impatiences et pres-
que les vapeurs de quelqu'un à qui la vie intellectuelle
n'a jamais payé qu'un traitement d'attente.
Circonstances néfastes, mauvais sort, alors qu'il sem-
blait apte aux destinées de choix, il s'est englué dans le
journalisme et s'est mis à tourner le moulin à café de la
copie, faisant tout ce qui concerne son monotone état.
Pendant quelques années il a été à Paris à la tète
d'une publication artistique qui, apparemment, s'étale
comme son principal titre dans la requête qu'il a adressée
au Ministre. Mais il y fut le prédestiné aux insuffisants
succès qu'on l'a vu partout et toujours, et prit sa
retraite en ne laissant pour souvenir qu'impuissance.
Revenu en Belgique, il prit service à cette Indépen-
dance dont il ne quitta plus la maison, et qui synthé-
tise si curieusement et dans un si typique assemblage,
le snobisme de la bourgeoisie hichelifïeuse, la politique
doctrinaire, les aspirations de la juiverie et les combi-
naisons stériles de la finance.
Il y prit service et y a été bon serviteur. Non pas qu'il
y ait révélé ces qualités d'écrivain que semblait annon-
cer, en des temps plus heureux, sa spirituelle causerie
d'étudiant. Il n'existe pas de lui un seul morceau litté-
raire, même un petit morceau. C'est lui, croyons-nous,
qui, en un laborieux quotidiennat, évacue les articles
de politique intérieure qui ont pour caractéristique de
finir par un douteux calembour après avoir passé par
une série de calembredaines. Il fait désormais de l'esprit
comme un ténor réformé fait du chant. Bon serviteur !
il l'a été en ce sens qu'il a épousé sans hésitationcomme
sans dégoût tous les préjugés, toutes les manies, toutes
les querelles du journal où il est hébergé. Ce cerveau,
très fin jadis, a été snob avec entrain, politiquailleur
avec entêtement, sémite avec dévotion, financier avec
dévouement.
Et c'est au moment où, par l'âge et la longue duré«,
ces habitudes domestiques se sont indurées enluijusqu'/i
l'inconscience et la bonne foi, qu'il rêve d'en apporter la
pratique et les effets dans le domaine où il fa,ut le plus
d'indépendance, de fermeté fière, d'impartialité irréduc-
tible, de dignité absolue, dans le domaine de l'Art. Ah !
le stage a été bien mauvais.
V
A
. fC -,,. "V ^f- .
y '^"^^^wm^
L'ART MODERNE
35
On se figure difficilement notre art vivant et turbulent
administré par un tel directeur, accoutumé à rendre
hommage aux régents de salon, aux femmes du bel-air
infectées de prétentions mesquines, aux hommes d'Etat
ou aux diplomates arriérés et desséchés, aux financiers
insolents. Mais c'est le doctrinarisme, l'argent, la jui-
verie, la basse mondanité qui siégeront en sa personne
et nous serons ramenés au plus vulgaire mécénisme. Le
cabinet de la direction sera une succursale de r Indépen-
dance, laquelle est elle-même le miroir de la partie la
plus encroûtée et la plus odieusement J infatuée de la
société belge.
M. Charles Tardieu, d'après le bruit public, règle le
supplément littéraire de son journal, et agrémente de
réflexions le bordereau d'extraits qui y paraît sous le
titre : Journal des Journaux. Il y donne, sans s'en
dbuter peut-être, la mesure de sa compétence et de sa
bienveillance. Il y révèle, à l'égal de M. Gustave Fré-
dérix, son mauvais vouloir pour tout ce qui marque
dans notre jeune littérature. Il a autant que son contu-
bernal la manie fielleuse, le talent d'enrober de la
coloquinte dans du sucre, et de vous introduire à
rebours entre la manche et la peau ces épis d'éloges
qui chatouillent au premier moment, mais qui, remon-
j tant, vous mettent à la chair le feu de Saint-Laurent.
Il louange en gouaillant./l avoue ne pas comprendre
les jeunes ce qui ne l'empêche pas de les débiner, sui-
vant la bonne formule doctrinaire : Ce que je n'entends
pas doit être mauvais. Toute tentative d'en avant n'a
réussi qu'en bousculant ces deux gardiens du sérail, et
récemment encore il a fallu une polémique impitoyable
en sa brutalité pour avoir raison des politesses sour-
noises avec lesquelles ils essayaient d'étrangler ceux
qu'ils n'aiment pas.
Le bruit court que le candidat a pour appui M . Woeste !
D'autres y ajoutent M. Montefiore-Levy. Pourquoi ne
pas y joindre M. Frère-Orban? La triple alliance serait
complète. Comme au sénat futur, tous les grrrrands
intérêts conservateurs et irréductiblement stagnants
seraient représentés. L'étrange présence de M. "Woeste
en cette algarade expliquerait le mutisme des jour-
naux cléricaux. Mais on se demande quelles garan-
ties un tel collège de protecteurs, tous si nettement
titrés dans leurs goûts et leurs préoccupations per-
sonnelles, peuvent donner au nouveau Ministre, qui
semble être homme à ne pas se laisser payer en compli-
ments et en balivernes? Qu'est-ce que l'Art a à espérer
de tels messieurs et de leurs idées? Mettre un des leurs
dans la place, très soumis et très bien dressé, ajouter
cette force nouvelle à celles qu'ils fourrent partout où il
y a quelque influence à exercer, avoir ainsi ce gouver-
nement invisible dont Disraeli disait que c'est le vrai,
voilà le despotisme qui est à redouter.
Nommer M. Charles Tardieu serait un défi. Il ne
faut pas avoir un grand don de prophétie pour annoncer
que le jour même où il obtiendrait cette aubaine pour
sa carrière finissante, la guerre artistique serait
déclarée. Or l'art jeune, l'art neuf peut aujourd'hui
parler, avec n'importe qui, de puissance à puissance. Il
a appris à connaître sa force par les campagnes, toutes
triomphantes, qu'il a menées depuis douze ans C'est
lui seul qui possède les armes d'Achille, celles qui
abattent et qui tuent, celles auxquelles rien ne résiste.
Si on méconnaît ses aspirations et ses volontés, qu'il
entend faire respecter parce qu'elles sont l'Avenir,
patrimoine commun et sacré, il mènera sa bataille et
gare à l'ennemi, gare aux vaincus !
Sur ce, plumigère dont le ramage vaut le plumage,
on te salue !
THULÉ DES BRUMES
par A. Retté, Paris. — Bibliothèque artistique et littéraire.
« Écoule : 11 est une Ile si perdue au fond de la mer boréale
qu'il faut être nous pour la connaître. La proue de nul navire n'a
violé son unique plage; Vierge fière que drape une tunique en
genêts d'or, en sapins gémissants, nimbée d'après-midi aux lièdes
caresses d'un soleil sobre, ceinturée de ses falaises nacreuses où
les cavalcades cabrées des flots s'encolèrenl de brandir en vain et
en vain des étendards d'algues, légendaire enfin et nostalgique aux
bons poètes, elle est Thulé des Brumes.
Parsifal y adore le Saint-Graal; James le Mélancolique prend à
témoin de sa rancœur les arbres de la forêt des Ardennes et moque
le cor d'Obéron implorant Titania fuyeuse; Ligeia enseigne la
métaphysique à l'étudiant Nalhanaël ; accoudée à unbalustre que
du lierre enguirlande, Mélusine effeuille des camélias dont
Aslolphe, descendu de son hippogriffe, recueille dévotement les
pétales; Sylvie avec Aurélia s'asseyent à la Table-Ronde pour
mieux ouïr un oracle de l'enchanteur Merlin ; et Pierrot ingénu
médite une pagode cosmique où logerait la Lune. Môme, l'Oi-
seau couleur du temps flûte des choses très fines dans les bran-
ches: Caliban, s'il ne ronfle et rêve d'outrés pleines, fait danser
Atia-Troll; et Peter Schlemil a retrouvé son ombre....
Ah! lu le sais comme moi, c'est bien là noire Ile. Tu te
rappelles : tant de rêveries perdues sous les colonnades sifiQantes
des sapins aux senteurs robustes, tant d'errances en l'or onduléux
des genêts! Le soleil faible baisait sans l'offenser la soie ambrée
de ton épiderme, et les yeux — divins jardins changeants —
défiaient les vagues pareilles de la mer lamentante — et puis
grandissaient et signifiaient cet Océan, mon Esprit où s'engloutis-
sent les orgueils. Tu élais la reine, j'étais le roi ; afin de me plaire,
tu chantais le poème de la Feuille de Saule ou le lai de la Belle
qui cassa son miroir; et pat* le dédale viridant des sentes, nous
allions en une gloire estivale épanouie sur les âges, 6 Reine, à
Roi que saluaient les cantilènes susurrées à peine des génies
d'après-midi, dans celle Ile heureuse, noire royaume : Thulé des
Brumes... »
C'est élire bellement et doucement quoique despoliquement
son milieu intellectuel et de rêve. Celle page persage le livre, qui
A
csl, comme tel perspicace examinaleur l'a sans doute devint?, un
rêve écril, où passent l'amour, l'espoir, le doule, le deuil el les
philosophies écioses en celte période d'élcrnité que nous traver-
sons, nous les poètes de ce crépuscule de siècle.
M. Relié subit parfois l'influence laforgienne, bien qu'il s'in-
carne lui-même en ce livre. A cette heure de volume publié, sa
conception de vie semble se réorienter vers de nouvelles issues :
Mon âme d'autrefois sommeille en son tombeau.
Et riche d'infini et vêtu d'innocence.
Je vais, comme un enfant, par des chemins nouveaux.
UN INTERVIEW
Dans son interview, notre collaborateur Eugène Demoldcr a
défini avec beaucoup de finesse un des éléments de noire litté-
rature nationale :
« Il y a, dans la littérature jeune, un côté pictural qui carac-
lérise davantage encore ce phénomène des livres conlinuanl
l'œuvre des toiles. Tous nous l'avons — même certains Wallons
du Hainauut (la province de Liège est un peu pûlotte et incolore
|)Ourcps manifestations vigoureuses qu'elle ne comprend pas) —
à des degrés différents ; c'est un des caractères de notre école,
ou plutôt de notre groupe. Il a déjà été mis en lumière.
Mais il en est un autre. C'est une attache intime au passé qu'on
n'a jamais assez signalée, je pense. L'art belge de notre siècle est
fortement imprégné du jadis, d'un jadis glorieux ou mystique. Les
artistes gothiques el ceux de la Renaissance nous prodiguent tou-
jours les legs les plus précieux. En peinture, il y a ce prodige :
Leys, et puis de Braekeleer, au sujet duquel Iwan Gilkin, en un
sonnet intitulé le Sonneur de Cor, énonçait poétiquement ces
idées :
Des choses d'autrefois, c'est l'âme qui murmure
Des choses d'autrefois et des anciens châteaux,
Et des aïeux lointains qui dorment dans nos os.
Ce phénomène existe dans les lettres. Albert Giraud est-il assez
imprégné des prestiges de la Renaissance, qu'il a regrettée dans
des vers empourprés? On a souvent comparé Giraud à Banville,
à cause de Pierrot Narcisse. Mais dans Hors du Siècle, les vieux
cuirs de Cordoue el les reîtrcs sont incontestablement inspirés
par une Renaissance flamande — el je vous citerai tel personnage
des Dernières Fêtes digne de figurer, par sa couleur et son
allure, dans un gothique. Maeterlinck? On l'a comparé à Shake-
speare ; on a mieux fait, depuis, en le comparant à Memling; —
ces comparaisons sont d'ailleurs toutes malheureuses el elles prê-
tent aux cancres des moyens faciles de moquerie — et je ne signale
Memling que comme un des ancêtres spirituels (nous en avons
tous, rame est comme le corps, en cela) du poète gantois. Il y
a dans son œuvre un lointain étrange de mysticité el de douleur.
Georges Eekhoud est pris de grandes nostalgies de ferveurs pas-
sées, d'attaches à une glèbe patriaie. Et ce litre d'un livre de
Grégoire Le Roy : Mon Cœur pleure d'autrefois? El Hors du
Siècle, de Giraud ? Et les Flamandes, el les Moines, àc Verhaeren,
ne sont-ils des poèmes remplis d'un jadis fabuleux el héroïque?
El la tendre religiosité de Severin? Et prenez les initiateurs du
mouvement -, Camille Lemonnier, dont le lyrisme rubénien ouvre
ses plus belles ailes au-dessus de nos cités mortes. Et Charles
De Coster? A-l-il assez aimé les vieux clochers des Flandres et les
légendes qu'ils clament de leurs superbes voix ? Félicien Rops
lui-même, ce moderniste aigu, n'a pas échappé, en certaines
œuvres, h ces souvenirs d'intimité, de gloire, de couleur, qui
nous font les nostalgiques d'où ne sait quel pays de rêve et de
fable. Je pourrais vous en citer d'autres, mais je ne veux pas
trop exécuter une revue devant vous et distribuer des médailles.
Non pas que je craigne qu'on me reproche d'officier dans notre
petite chapelle, qui devient cathédrale — je suis prêt à y chanter
un Te Deutn, tant j'ai de mépris pour les plaisanteries faciles de
nos ennemis — mais je crois avoir démontré ce que je voulais
démontrer. »
ÉCHANGE DE LIVRES
Une convention du mois d'août dernier, intervenue entre la
France et la Belgique assure l'échange des documents officiels par-
lementaires el administratifs qui sont livrés à la publicité dans le
lieu d'origine. Un bureau d'échange est établi à celle fin dans
chacun des états contractants.
Celle convention assure aussi l'échange dos publications entre
corps savants, sociétés littéraires et scientifiques, mais à titre offi-
cieux seulement, sans prendre l'initiative d'établir des relations
entre ces sociétés. ^»
L'art. 3 ajoute : « PôùiTont toutefois être échangés dans de cer-
taines limites, les ouvrages exécutés aux frais du gouvernement)'.
Nous pourrions rappeler à ce propos qu'il existe aux Étals-Unis
une vaste et puissante société, la Smilsonian Association, qui dis-
pose de centaines de mille francs et dont le but unique est de faci-
liter les échanges de livres entre bibliothèques et entre particu-
liers. Les services rendus annuellement par cette association sont
immenses. Les bibliothèques s'enrichissent sans grands frais, les
doubles trouvent leur emploi, cl la force vive incluse dans tout
livre va bien là où elle sera le mieux utilisée.
Ce que l'initiative privée à créé au delà de l'Atlantique mais ce
qu'elle n'a jamais tenté chez nous, pourquoi, dans de certaines
limites, le gouvernement ne s'en chargcrail-il pas? Nous avons
plusieurs fois réclamé contre la loi qui, en supprimant le dépôt
légal, a du même coup privé nos bibliothèques de tous les ouvrages
nationaux. 11 y a urgence a décréter un petit bout de loi obligeant
tout auteur qui publie en Belgique de déposer à la Bibliothèque
royale au moins deux exemplaires de son ouvrage, sous peine de
contravention. Mais pourquoi notre administration n'organiserait-
elle pas un service régulier d'échange de livres entre la Bel-
gique et d'autres pays? Chez nous, le gouvernement favoriserait
la publication des études scientifiques et travaux littéraires en
souscrivant â un certain nombre d'exemplaires qui serviraient
ensuite à se procurer des livres français, allemands ou anglais
pour nos bibliothèques. Ce serait faire d'une pierre deux coups.
Il existe un bureau d'échange embryonnaire à la Bibliothèque
royale. Mais il ne répond cerles pas à ce que l'on est en droit
d'attendre de lui.
L'Art Moderne a eu l'occasion, l'an dernier, de développer
l'idée très pratique d'une librairie belge à Paris(l). Lors de la der-
nière discussion du budget de l'agriculture il a été sérieusement
question de fonder un restaurant belge à Londres, aux fins d'y
faire apprécier les produits de nos jardins légumiers. Pourquoi
désespérer dès lors de voir notre gouvernement s'occuper un peu
plus de la diffusion de notre littérature à l'étranger?
(1) Voir notre numéro du 18 octobre 1891.
THERMIDOR
Superbe arlicio de Victor Arnould, dans la Nation, sur la
icntalive do faire acclamer, par le snobisme bruxellois, la pileuse
tenlalive de M. Sardou contre la Rdvolulion française : un chien
qui lève la palle contre un monumonl.
Donnons la fin vengeresse de celle élude de haut vol qui nous
fait dire une fois de plus : Voilà un des plus hauts el des plus
brillants écrivains de Belgique !
« Hier, dans celle salle de la Monnaie bondée jusqu'aux frises
d'un public élégant et bourgeois, on oubliait le vaudeville cha-
rantonnesque, pour n'écouter que les tirades violenles, les invec-
tives haineuses et féroces, et ce réquisitoire forcené contre la
Révolution, qui n'apparaissait derrière cette bouffonnerie que
comme une immense orgie de sang inutilement versé, par pure
criiaulé et caprice, et dont la grandeur tragique était comme
insultée et bafouée plus platement par celle intrigue béte el
vulgaire sur laquelle M. Sardou avait osé inscrire ce nom formi-
dable de Thermidor, évocaleur de l'épouvantable et sanglant
déchirement d'eniraillcs d'où sortit tout le monde moderne,
accouché par le fer.
Et c'était hier, cl après un siècle, un grand public de bour-
geois riches, calés dans leurs fauteuils, étalés dans leurs loges,
qui applaudissait avec d'aulanl plus d'ardeur que les invectives
étaient plus dures, les accusations plus venimeuses et les tirades
plus emphatiquement vides, poussant îi la charge informe ce vau-
deville sinistre.
Mais, braves bourgeois que vous êtes, si cette révolution n'avait
pas été faite telle qu'elle a été faite, avec son sang et ses larmes;
;ivec ses figures monstrueuses de Titans apparaissant dans les
lueurs de fournaise et d'incendie et frappant ces coups redou-
tables dont le retentissement n'est pas éteint; avec les millions
d'hommes se heurtant à toutes les frontières contre l'assaut de
mondes séculaires et couvrant l'Europe comme une marée formi-
dable cl furieuse, do la délivrance et de l'égalité; avec cette
Terreur elle-même, fonctionnant jour et nuit en plein Paris el
maintenant', coûte que coûte, l'épouvante sans bornes dans
l'âme des ennemis de l'intérieur, en même temps qu'elle
bandait jusqu'à la surhumaine énergie virile toutes les forces
d'un peuple affamé, aigri, soupçonneux et souffrant; s'il n'y avait
pas eu ces colosses Danton, Saini-Just, Robespierre, sur leurs
épaules acceptant cette charge effrayante d'être le salut et l'op-
probre d'un monde et inhumains pour sauver l'Humanité; mais
au lieu d'être épanouis glorieux dans vos fauteuils, d'avoir pu
vous goberger pendant tout un siècle el de dominer aujourd'hui
l'univers de votre arrogance et de votre luxe, vous seriez au par-
terre, debout avec la canaille, et si, en sortant du théâtre, vous
frôliez le carrosse d'un noble, vous seriez bâtonnés par ses gens.
Ah! sans doute, il y a eu des choses atroces, mais elles étaient le
revers de choses formidables el grandioses, et l'histoire esl ainsi
faite que l'un ne va pas sans l'autre, et que l'Eglise a l'Inquisition,
comme la Révolution la Terreur.
Certes, l'histoire peut juger tout cela, el vous-mêmes parce que
voijs devez tout à la Révolution, n'avez pas pour obligation d'ab-
soudre ses crimes, mais ces crimes eux-mêmes ne peuvent être
jugés que dans l'horizon qui leur appartient et dans les lignes
puissantes el le milieu géant dont ils font partie intégrante et
inséparable.
El lorsqu'un paillasse comme ce Sardou essaie de faire une
bamboche de celle époque génératrice d'un monde el de mettre
la Convention nationale dans l'ombre de Scapin, nous-mêmes,
bourgeois, par respect pour nos origines, nous ne pouvons pas
permettre une pareille souillure, à moins que nous ne soyons
tombés nous-mêmes à la caricature de ce qu'étaient nos grands-
pères et redevenus propres au bâton.
Qu'on juge la Révolution, qu'on la condamne, qu'on cherche
encore à la vaincre, car loul ce qu'elle a conquis reste encore dis-
puté, soil! Mais que ce clown vienne faire sur elle ses gambades
el que nous acclamions le clown, non ! »
UN BANQUET A M"^ BEERNAERT
Dimanche passé quelques artfsles el critiques d'an bruxellois
ont reçu l'étrange lettre suivante; cette lettre fut également
envoyée à plusieurs des candidats à la Direction des Beaux-Arts
acluellemenl vacante :
Bruxelles, le 23 janvier 1892.
Monsieur,
Un comité esl en voie de formation afin d'offrir un banquet à
M"" Beernaerl, à l'occasion de sa nomination d'officier de l'ordre
de Léopold.
Nous serions heureux de vous compter parmi les membres de
ce comité, qui se réunira hindi 25 courant, à 4 heures, à la
Taverne Guillaume, place du Musée, aa deuxième.
Recevez, Monsieur, l'assurance de notre considération distin-
guée.
(Signé) Paul de Vigne, Franz Courtens, Jef Lambeaux,
Bi,anc-Garin, Alphonse Van Ryn.
En cas d'empêchement, prière d'envoyer l'adhésion paf écrit à
M. Alph. Van Ryn, 271, rue du Progrès.
Le lundi, différents artistes se trouvèrent au rendez-vous;
citons-en quelques-uns : MM. Alb. De Vriendt, Clays, J. Verhas,
Courtens, Blanc-Garin, Van der Stappen, P. De Vigne, Brocr-
man, etc. Jef Lambeaux, bien que signataire de la convocation,
avait jugé à propos de ne pas paraître.
MM. Van der Stappen, J. Verhas el Franz Courtens, ce dernier
bien que signataire de l'invitation, protestèrent contre la propo-
sition d'offrir un banquet à Mii« Beernaerl seule parmi les
nouveaux artistes officiers de l'ordre de Léopold. Celle proposition
fut vivement défendue d'autre part par M. Alb. De Vriendl.
La discussion fut telle que plusieurs artistes refusèrent de la
manière la plus absolue de se prêter à l'acte qu'on leur deman-
dait.
Après la réunion, MM. Alb. De Vriendt et Van Ryn se rendirent
chez M"" Beernaerl, qui, en personne de goût, déclara très sensé-
ment qu'elle se refusait à accepter loule manifestation semblable.
Pour moi, je m'élonne qu'une idée aussi absurde que celle mise
en avant ail pu germer dans le cerveau des signataires de la
convocation que j'ai toujours considérés comme gens d'esprit.
Je suis ennemi des honneurs à accorder aux artistes, parce
que chaque fois qu'une marque honorifique esl accordée a un
homme, elle esl accompagnée d'injustices. Nous en avons eu une
^lam
preuve lors de la dernière distribution des croix de l'ordre
de Léopold.
Mais ce n'est lli qu'une opinion qui peut ne pas être partagée
par tous. Si ceux qui ne la partagent pas ont voulu, par une
manifestation publique, féliciter M"« Beernaert, serait-ce parce
qu'ils eslimenl que M"« Beernaert est le seul peintre qui mérite
la distinction accordée par le gouvernement, ou bien est-ce dans
un autre intérêt?
Quand donc les artistes comprendront-ils que, s'ils veulent être
respectés, ils doivent avant tout respecter leur art et se respecter
eux-mêmes.
Louis Delmer.
^CCUpÉ? DE RÉCEPTION
HUdhyllia, par Jules Sauvenière; frontispice de M. A. Don-
nay; interprétations de MM. J. Porlacls, A. Donnay et J. Rulot.
Paris, L. Vanier. — Les odeurs, démonstrations pratiques avec
l'olfactomèlre et le pèse-vapeur, par Charités Henry (conférence
du 14 mars 1891). Paris, librairie scientifique A. Hermann, rue
do la Sorbonne, 8. — Les Parias de l'Art, par Louis Delmer
(conférence du 29 novembre 1891). Bruxelles, V* Monnom.
jjORREgPONDANCE
MONSIEUR LE Directeur de l'A ri Moderne.
Pardon, Monsieur! El Léon Frédéric? Ne serait-il pas parmi
ceux qu'on a, injustement et stupidement, omis de décorer?
L'avez-vous oublié, ou est-ce parce que cet artiste, si pénétrant,
si convaincu, d'une probité artistique si intransigeante et si rare,
ne fait point partie des XX que vous avez exclu son nom de votre
article, absolument juste du reste?
Serait-il .indiscret de solliciter un mot de réponse?
Un VIEIL abonné.
Cher correspondant, nous admirons Léon Frédéric et l'avons
dit souvent. D'autre part, vous êtes très injuste en insinuant que
nous n'admirons que les XX. Faites-nous l'amitié de mieux nous
lire et de ne pas prêter, à la belge, de bas mobiles à nos actes.
Nous n'avons cité que Félicien Rops et Camille Lemonnier,
deux chefs de file. Cela suffisait comme exemples, n'est-ce pas?
En était-il de plus typiques de la niaiserie qui préside aux distri-
butions de croix? Puis, nous n'aimons pas les énumérations.
Léon Frédéric, Terlinden, Théo Van Rysselberghe, dix autres,
vingt autres, eussent assurément donné un lest sérieux à la liste
des vingt-sept, si joyeusement émaillée d'incapacités méconnues.
Chronique judiciaire de? art?
La Madeleine de Van Dyck (?) (1).
Monsieur le Directeur de VArt moderne,
Je lis dans le numéro de votre journal paru dimanche une
chronique judiciaire qui fait connaître l'arrêt rendu dans le pro-
cès relatif k la Madeleine de Van Dyck. Celle chronique, mal-
veillante à mon égard, — je ne sais pourquoi — rapporte incom-
plètement et inexactement les éléments du procès.
(1) Voir notre dernier numéro.
Il est constant que : 1° le tableau (sur panneau et non sur
toile), n'était pas signé; 2» il avait été vendu comme uatithcntique
sauf quelques retouches »; 3» M. Valcntin Roussel avait eu en
mains l'avis écrit de feu Arthur Stevens, le plus compétent, je
pense, des experts, affirmant que le tableau « est une œuvre fort
remarquable, à laquelle on ne peut reprocher que quelques
relouches qui ne déparept pas cependant le sujet principal » et
A" cet acquéreur payait 6,000 francs une œuvre qui, sans les
retouches, en eût valu 60,000, au dire des experts désignés par
le Tribunal de commerce. Voici, d'ailleurs, le jugement du
23 février 1891, qui expose les faits :
« Attendu que quand l'authenticité du tableau a été garantie par
le vendeur, elle constitue une qualité essentielle de l'objet vendu,
car le nom de l'auteur d'un tableau fait partie de la chose et
appartient à sa substance lorsqu'il a formé la condition de la
vente ;
Attendu que l'erreur sur la substance de la chose vendue ([ui
vicie le consentement de l'acheteur est plus aisément appréciable
lorsque le tableau vendu est signé du nom du peintre qui l'a
l'ait;
Attendu que les experts sont unanimement d'avis que l'œuvre
peut être, réserves faites des nombreuses restaurations, très
raisonnablement attribuée à Van Dyck ;
Attendu que le tableau a subi des nettoyages maladroits et des
restaurations importantes, dénaturant presque entièrement
l'œuvre;
Attendu que le demandeur, qui est un amateur habile, a pu
apprécier ces restaurations, avant de traiter avec le défendeur;
Attendu que l'œuvre, si elle était intacte, aurait une valeur au
moins décuple do la somme payée, et le prix de 6,000 francs ne
s'explique que par la connaissance et l'appréciation des dégâts
subis;
Attendu que le tableau litigieux a une valeur marchande
reconnue et appréciable, en rapport avec le prix payé, et qu'il doit
suffire au demandeur d'avoir la déclaration unanime des experts
que le tableau peut être attribué à Van Dyck,
Par ces motifs :
Le Tribunal déclare le demandeur mal fondé dans son action,
l'en déboute et le condamne aux dépens. »
Je n'incrimine pas l'arrêt quia réformé ce jugement; mais il
slatue sans rencontrer les motifs invoqués par les magistrats
consulaires.
Je comprends même que la question placée par M. Valentin
Roussel exclusivement sur le terrain de la distinction à faire entre
l'attribution et l'aulhenticité ait dû étfe jugée en sa faveur. Mais
dans la chronique que vous consacriez à l'affaire, tous les éléments
étaient importants et ils ne permettaient pas, je crois, de repré-
senter simplement le vendeur comme ayant livré un tableau
« portant des traces de tripatouillages» et l'acheteur comme un
collectionneur qui aurait été trompé. 11 n'y a ni tripatouillages ni
amateur trompé.
Veuillez agréer. Monsieur le Directeur, mes salutations dis-
tinguées.
Ch. Manteau.
Rue Royale, 220.
Nous ne connaissons pas M. Manteau. Notre article, faut-il le
dire? n'avait aucune intention malveillante à son éfard. Qu'on
veuille bien lire le texte de l'arrêt qui réforme le jugement cité
VART MODERNE
39
par nalre correspondant. On verra que noire article se bornait à
le résumer sans comnnenlaires.
Cour d'appei, de Bruxelles (5« cb.).
Présidence de M. Fauqucl. — 8 janvier 1892.
Droit artistique. — Tableau. — "Vente. — Garantie d'au-
thenticité. — Expertise. — Attribution. — Coiviecture
incertaine. — Résiliation. — Dommages-intérêts.
Lorsque des experts désignés pour apprécier l'aulhenlicilé
d'un tableau déclarent que l'œuvre peut très raisonnablement
être attribuée à tel maître (dans l'espèce à Van Dyck), cette attri-
bution est une conjecture incertaine qui ne peut remplacer la
garantie promise de rautlienlicilé.
En conséquence, la vente doit être résiliée avec dommages-
intérêts.
Vai.entin Roussel g. Manteau.
Attendu qu'il est constant au procès, et non méconnu, que l'in-
timé, en présentant en vente à l'appelant le tableau objet du litige,
œuvre de Van Dyck, disait-il, lui en a garanti l'authenticité, ajou-
tant que le propriétaire du tableau donnerait la même garantie;
qu'en recevant le prix, l'inlimé a confirmé de nouveau son obli-
gation de garantie;
Attendu que l'inlimé reconnaît qu'il ne peut fournir à l'appe-
lant la garantie du propriétaire, celui-ci refusant à la' donner;
qu'en ce qui concerne la sienne, il ne verse pas au procès la preuve
de l'authenticité qu'il s'est obligé à fournir;
Attendu, en effet, que les experts appelés à prononcer si, réel-
lement, le tableau litigieux est l'œuvre de Van Dyck, déclarent, à
l'unanimilé, qu'à leur avis, et sous réserve des nombreuses res-
taurations, « l'œuvre peut très raisonnablement élre attribuée à
Van Dyck »;
Attendu que, quelque sérieux que puissent être les motifs déter-
minants d'une attribution, celle-ci n'en est pas moins une conjec-
ture incertaine, qui dans l'espèce, ne peut remplacer la garantie
promise de rauthipnticilé;
Attendu qu'il y a lieu de fixer les dommages-intérêts, ex œqtio
et bono, à la somme allouée ci-dessous ;
Attendu que les parties ne concluent pas à une nouvelle exper-
tise; que l'intimé se borne à déclarer qu'il ne s'y oppose pas;
Paj' ces motifs, la Cour met à néant le jugement dont appel,
émandant, déclare résiliée la convention verbale avenue entre
parties, relativement à, la vente d'un tableau de Van Dyck, repré-
sentant la Madeleine; condamne l'intimé h rembourser à l'appelant
la somme de 6,000 francs payée le 19 mai 4889, plus les intérêts
légaux, depuis celte date, et à payer à l'appelant une somme de
iOO francs à litre de dommages-intérêts; le condamne, en outre,
aux intérêts judiciaires et aux dépens des deux instances.
Plaidants : MM«» A. Simon c. Parisel.
Petite chro)mique
C'est samedi prochain, à 2 heures, que s'ouvrira, au Musée
moderne, le Salon des XX. Comme les années précédentes, le
jour de l'ouverture sera réservé aux artistes personnellement
invités et aux porteurs de cartes permanentes.
A partir du lendemain, le public sera admis tous les jours à
l'exposition, de 10 à 5 heures. Le prix d'entrée est de 50 cen-
times.
Les XX donneront cinq matinées : deux conférences et trois
concerts, ces derniers consacrés à l'audition d'œuvres modernes
des écoles belge, française et russe, parmi lesquelles : La Mer,
esquisses symphoniques de M. Paul Gilson d'après un poème de
M. Eddy LeVIS, Pâle étoile du soir, chaut ossianiquc pour soprano
et chœur de voix de femmes, par M. Franz Servais, le Quatuor
d'A. de Castillon pour piano et instrumenis à cordes, le Concert
pour piano, violon et qualuor de M. Ernest Chausson, le Con-
certo pour piano et orchestre de Rimsky-Korsakoff, des chœurs de
César Franck, Julien Tibrsot, etc., toutes œ.uvres exécutées pour
la première fois à Bruxelles et, pour la plupart, inédites.
Les cartes permancnles b të francs donnent droit à une place
réservée aux conférences cl aux concerts des XX. S'adresser par
écrit au secrélariat, rue du Berger, Î7, Bruxelles.
Depuis hier sont exposées à la Galerie moderne des œuvres de
l'eu M. Guillaume Van der Hecht. Celle exposition restera ouverte
jusqu'au 20 février.
MM. David et Pierre Oyens exposeront quelques-unes de leurs
œuvres au Cercle artistique, du 1" au 10 février prochain.
L'Association des professeurs d'instruments h vent donnera
aujourd'hui dimanche, à 2 heures, dans la grande salle du Con-
servatoire, sa deuxième séance de musique de chambre pour
instruments à vent et piano. /
MM. Storck et Sevenanis, pianistes, prêteront leur concours à
celle séance. Ils feront enlendre la Fantaisie pour deux pianos
de Ch. Sinding et les Variations de Saint-Saëns sur un thème de
Beethoven. M. Guidé, l'excellent professeur au Conservatoire,
interprétera deux pièces pour hauibois avec accompagnement de
piano par M. Joseph Jacob. ' .
M. Paul Gilson a fait entendre dernièrement, chez un de nos
amis, en une soirée intime, ses deux plus récenles compositions :
Le Démon, drame lyrique en deux actes, écrit par M. de (îasem-
broot d'après un conlc de Zermonioflf, el la Mer, poème sympho-
nique en deux parties, inspiré au compositeur par un poème de
M. E. Levis.
L'exécution du Démon, confiée à M"« Smil et à M. Baize, pia-
nistes, à M"« Van Emelen, à MM. De Knop, Verboom et Coryn, a
donné une idée irès satisfaisante de l'œuvre, dans laquelle sWir-
ment les qualités exceptionnelles du musicien : senliment drama-
tique, originalité de distinction des thèmes, science peu commune
des développements.
Un choral, composé d'élèves du Conservatoire et dirigé par
M. Couteaux, a fort bien interprété les ensembles de la partition.
La Mer, déclamée par M. Van den Plas et jouée par M"" Smil
et M. De Boeck, a reçu, comme le Démon, un accueil enthou-
siaste.
Nous n'en dirons pas davantage aujourd'hui, ces deux œuvres
devant êlre prochainement présentées au public, la Mer aux
concerts des XX, et le Démon aux Concerts populaires.
De jolies mélodies de MM. De Boeck el Frémolle, fort bien
chantées par M. Rosscels et par M'"' Van Hove, complétaient cet
intéressant programme.
M. Henri Heuschling donnera son concert annuel le samedi
20 février, h 8 h. 1/2, à la Galerie moderne qui réunit de plus en
plus tous les suffrages des artistes.
M"' Michaux, cantatrice, et M. Van Dooren, pianiste, prêteront
leur concours à cette artistique séance, dont le programme porte,
entre autres, les Wanderlieder de M. G. Huberli.
11 est question de célébrer à Anvers par de grandes fêtes musi-
cales le 25^ anniversaire de l'École de musique que dirige avec
tant d'autorité M. Peler BenoiL
Cours Supérieurs pour dames. — 4" février, à 2 heures,
M. Pergameni : L'histoire et la colonisation de la Sibérie ; à
3 heures. M™* Chaplin : Dickens — 2 février, à 2 heures, M. E. Ver-
HAEREN : Ecoles chrétiennes de peinture flamande. — 3 février, à
2 heures, M. H. Pergameni : La Russie sous Pierre le Grand. —
4 février, 'a 2 heures, M. H. Lonchay : Charles de Lorraine; à
3 heures, M"« J. Tordeus : Diction et lecture d'auteurs modernes.
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DOUZIEME ANNÉE
L'ART MODERNE s'est acquis par l'autorité et l'indépendance de sa critique, par la variété do ses
informations et les soins donnés à sa rédaction une place prépondérante. Aucune manifestation de l'Art ne
lui est étrangère -. il s'occupe de littérature, de peinture, de sculpture, de gravure, do musique,
d'architecture, etc. Consacré principalement au mouvement artistique belge, il renseigne néanmoins ses
lecteurs sur tous les événements artistiques de l'étranger qu'il importe de connaître.
Chaque numéro de L'ART MODERNE s'ouvre par une étude approfondie sur une question^ artistique
ou littéraire dont l'événement de la semaine fournit l'actualité. Les expositions, les livres nouvemioo, les
premières représentations d'œuvros dramatiques ou musicales, les conférences littéraires, les concerts, les
ventes dCobjets (Part, font tous les dimanches l'objet de chroniques détaillées.
L'ART MODERNE relate aussi la législation et la jurisprudence artistiques. Il rend compte des
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artistes trouvent toutes les semaines dans son Mémento la nomenclature complète des expositions et
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Douzième année. — N" 0.
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 7 Février 1892.
L'ART MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Comité de rédaction t Octave MA.US — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
'i '■
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. •— ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser toutes les communications à
l'administration générale de TArt Moderne, rue de Plndustrie, 32, Bruxelles.
^OMMAIRE
Ouverture du Salon des XX. L'instaiiratcur du néo-impression-
nisme : Georges Seural. — Un jjanquet a M"" Beernaert. — Panta-
lonnade. — M. Charles Tardieu jugé par la presse de province.
— Correspondance. — Petite chronique.
OUVERTURE DU SALON DES XX
L'INSTAURATEUR DU NÉO-IMPRESSIONNISME
Georges-Pierre Seurat.
Mourir! Finir très humblement, même pour les plus
forts, cette agitation vitale brodée de misères avec les
fleurs de quelques rares joies, en laquelle à certaines
heures on se croit ou si grand ou si tendre. Mourir,
qu'est-ce, et pour soi et pour les survivants, quand on a
poussé à bout le semblant de destinée que vous a départi
le Sort? On s'en va alors avec le salut, et parfois la lassi-
tude, de l'acteur applaudi, quand tombe le rideau. Et
vraiment quand la vie commence à devenir longue, il
vient, furtif, comme une très douce pensée, ce pressen-
timent que bientôt, demain, tantôt peut-être, l'Obscur
soufflera la petite flamme vacillante qu'on est.
Mais mourir avant l'heure! Mourir quand on a édifié
les fondations seulement d'un monument révélateur;
quand on a en soi, quand on sent en soi le dépôt sacré
de vérités nouvelles encore ténébreuses (j^ui, dans la
Science, dans l'Art, marqueront une rénovation ! Mou-
rir, lorsque le sarcasme des imbéciles dont on dérange
les habitudes d'œil ou d'oreille bat encore ses cimbales
et fait entendre ses huées ! Mourir, en pensant qu'on ne
aissera de soi et de son œuvre que d'imparfaits sym-
boles qui, en apparence au moins, justifieront les ineptes
propos des gouailleurs; en craignant, peut-être, d'avoir
fait trop pour qu'on se taise, et trop peu pour que l'idée
triomphe ! Ah ! c'est un sort cruel pour celui qui résorbe
l'inconnu, c'est une inquiétude amère pour ceux qui
espéraient en lui et demeurent devant l'œuvre inter-
rompue !
Songeur et infiniment triste, je rythmais ces mélan-
colies, hier, devant les vingt-neuf toiles et dessins de
Seurat, funérairement exposés au Salon des XX, les
toiles pâles et inachevées de Georges Seurat, l'instau-
rateur du Néo-Impressionnisme.
Comme elles sont élégiaquement douces et affligeantes
dans leur étonnant eflbrt vers le neuf et la lumière, si
puissamment différentes de leur temps, pareilles à l'au-
rore d'un jour qui ne s'était jamais levé encore et qui
promettait un si suave épanouissement de clarté sereine !
Et comme elles font pleurer l'âme par leur imperfection
fragile d'adolescence encore maladroite ef frêle, roinpue
et vbrisée sur sa tige avant l'épanouissement superbe
des fleurs dont déjà s'enflaient les boutons!
Car c'est ainsi qu'il faut juger, et sentir, l'art que ce
mort patiemment dépliait, imperturbable dans les
méthodiques et quasi-mathématiques opérations par les-
quelles il l'engrenait en réalités de plus en plus solides
et pénétrantes. C'était un peintre. Et pourtant, à le
voir procéder si lentement, de déduction en déduction,
méticuleux et infinitésimal, on eût dit un géomètre. Il
tenait son âme comme un oiseau palpitant dans la main,
et ne lui permettait ni le vol, ni les battements d'aile.
Il comptait sur la vie, ce fort, ce contenu, et moritait
sans hâte, quoique toujours actif, mettant un pied
devant l'autre, sans enjambée. Il avait peur d'aller vite.
La hâte l'inquiétait. Il y voyait la matrice du superfi-
ciel dans l'oeuvfe, et îe superffciïîrtal leiïflSiaît indigïie
de l'art.
Écoutez-la raisonner, cette voix d'outre-tombe, avec
la voix de fantôme qui vient parler en rêve à ceux qui
l'ont curieusement aimé, qui voyaient en lui la plus
robuste espérance de l'art neuf en peinture, pour qui il
reste le Maître, l'Instaurateur , le Dépositaire des
secrets et des magiques théories qui devaient mener
aux paradis pressentis dont la Mort a fermé les che-
mins que Lui connaissait et dont il eût fait la Révéla-
tion.
« L'Art c'est l'Harmonie. — L'Harmonie! c'est
l'analogie des Contraires et l'analogie des Semblables.
— Des contraires, des semblables de Ton, de Teinte, de
Ligne. — Le ton, c'est le Clair et le Sombre. — La
teinte, c'est le Rouge et sa complémentaire le Vert,
l'Orangé et sa complémentaire le Bleu, le Jaune et sa
compléiiientaire le Violet.. — La ligne, ce sont les
Directions sur l'HpHzontale. — Ces harmonies sont
combinées en Calmes, Gaies et Tristes. — La gaieté de
ton, c'est la Dominante Lumineuse; de teinte, la
Dominante Chaude; dé ligne, les lignes Montantes.
— Le calme de ton, c'est l'Égalité du Sombre et du
Clair, du Chaud et du Froid pour la teinte; et l'Hori-
zontale pour la ligne. — Le triste de ton, c'est la domi-
nante Sombre; déteinte, la dominante Froide ; de ligne,
les directiojis Alai^sée^— , Le Mom d'Expression^ de
cette technique, c'est le mièlange Optique des tons, des
teintes et de leurs réactions les ombres, suivait des
lois fixes. — Enfin, le Cadré, doi'l être opposé aux
tons, aux teintes, aux lignes. «• .
Oh ! en apparence, le sec et géôhaétrique langage, le
scolastiqueet rigide programme. Et pourtant net comme
une prophétie, comme un ordre du jour, comme une loi
inflexible. Et, dans la pratique, amenant ces œuvres
extraordinaires, frustes encore, mais chargées d'espé-
rances, dont vingt-neuf sont là, aux murs des XX, pleu-
rant la disparition du Maître qui les avait ébauchées et
pour qui elles n'étaient encore que des bégaiements, en
attendant le chant prestigieux par lequel elles devaient
triompher. Comme elles dateront ! Comme l'avenir rat-
tachera à elles toute cette école de la Lumière qui mar-
quera d'un ineffable sceau la réforme de l'art pictural à
la fin du xix< siècle !
Vous, les incrédules et les goguenards qui les regardez
sans comprendre, oubliant que les belles œuvres sont
semblables aux princesses royales et qu'il faut attendre
qu'elles vous parlent, souhaitez que vos yeux malades
se dessillent devant ces toiles qui sont là comme des
dalles funèbres, et que, sensibles enfin à la grandeur et
aux mystères de l'Art, vous ayez enfin le sentiment de
ce que cet Admirable fût devenu, tenace et divinement
doué, si la Mort, vandale odieuse, n'avait pas brisé son
incomparable instrument.
Voici la liste des œuvres de Seurat exposées au Salon
des XX ;
1. Douze esquisses.
2. La Seine à Gourbevoie.
Appartient à M. P. S.
3. La rade de Grandcamp.
4. Le bec du Hoc.
Appartient à M. C, Laurent.
5. Coin d'un bassin (Honfleur).
6; L'hospice et le phare d'Honfleur.
Appartiennent à M. E. Verhaeren.
7. Entrée du port d'Honfleur.
8. Embouchure de la Seine (Honfleur). Soir.
Appartient à M. G. Kahn.
0. La " Maria » (Honfleur).
10. Parade de cirque.
Appartient à M*' Seurat. ,
11. Les Poseuses.
Appartient à M. G. Kahn.
12. Port-eiï-Bessin ; l'avant-porte, marée haute.
Appartient à M" Seurat.
13. Port-en-Bessin ; l'avant-port, marée basse.
, , , ^ ; Appartient à M. G, de la Hault.
14. Jeune femme se poudrant.
45^ Printemps à la Grande Jatte.
16. Le Crotôy (aval).
Appartient à M. E. Picard.
17. Le chenal de Gravelines ; un soir.
Appartient- à M" Monnom.
18. Le chenal de Gravelines ; direction de la mer. »
.„ -„. Appartient à M. Alex. Braun.
49. Cirque.
.;*%■ ;;.^ -_ - jJ^ppartienjJ.èM"' Seurat.
■r-' ■ ; - ; '. • DESSINS ; •
20. Dineur.
21. Lecture.
Appartiennent à M-' Seurut.
22. Paul Signac.
Appartient à M. P. S.
23. Ecuyère.
Appartient à M"' Seurat,
24. Café-concert.
Appartient à M. E. Verliaeien.
2.5. Etude pour la Parade.
Appartient à M"- Kahn.
26. id. la Baignade.
„, ,' , , „. Appartient à M. G, Kahn.
27. Etude pour le Chahut.
28. id, la Parade.
29. Clair de Lune.
Appartiennent à M. G. Lemmen.
2&V^fî.^e
L'ART MODERNE
43
Georges SEURAT
1859 — 1891
44
UART MODERNE
UN BANQUET A M"'^ BEERNAERT
2" article.
La lettre suivnnle a été adressée h l'Art vwderne. Sa publica-
tion offre un cerlain intérêt, allendu que ce factiim confirme, ou
tout au moins me permet de confirmer ce que j'ai déclaré pré-
cédemment :
Bruxelles, le 1''' février 1892.
Monsieur l'Administrateur df VArt moderne.
L'article de H. Louis Delmer : Un banquet à M"^ Beernaert,
paru dans le n" 5 du 31 janvier de votre publication, renferme des
erreurs qu'il est de notre devoir de rectifier :
1» II est inexact que la lettre citée ait été envoyée îi plusieurs
candidats à la Direction des Beaux-Arts ;
S" 11 est inexact que l'absence b la réunion de Jef Lambeaux,
le promoteur de la mnnifestntion, soit un acte de désapprobation,
comme l'article semble l'insinuer ;
3" 11 est inexact que MM. Van dcr Slappen et Courtens aient pro-
testé contre la proposition d'offrir un banqueta M"« Beernaerl;
4" 11 est inexact que plusieurs artistes refusèrent de la manière
la plus absolue de se prêter à l'acte qu'on leur demandait ; tous
ceux présents, sauf deux, y ont adhéré avec enthousiasme;
5" 11 est inexact que MM. Julien De Vriendi (et non Albert) et
Van Ryn se soient rendus chez M"" Beernaert et, par conséquent,
inexacts aussi les propos qu'on attribue à cette dernière.
A part ces cinq... contre-vérités. Inversion de M. Louis Delmer
est exacte.
Nous attendons de votre impartialité l'insertion de cette lettre
dans votre n" 6 de dimanche prochain, 7 courant, et nous vous
présentons, Monsieur, l'assurance de notre parfaite considération.
Jef Lambeaux, E. Blanc-Garin, P.-J. Clays, Paul
De Vigne, Ch. Van der Slappen, Franz
Courtens, Juliaan De Vriendt, Alphonse
Van Ryn, secrétaire.
Comme on le voit, on m'adresse cinq démentis. Les signataires
de îa lettre ont-ils lu <;e qu'on leur a fait signer? Pas tous évi-
demment. J'ai trop de confiance dans la loyauté et le bon sens de
plusieurs d'entre eux pour croire un seul instant qu'ils aient pu
accepter sciemment la responsabilité d'une semblable palinodie,
alors que :
l» La lettre a été envoyée, entre autres personnes, à
M. Charles Tardieu, qui est et qui reste, croyez-moi, candidat à la
Direction des Beaux-Arts.
2o Jef Lambeaux n'a pas assisté à la réunion, nous sommes
d'accord. Tous ceux qui, comme moi, connaissent Lambeaux,
comprennent quels peuvent être les motifs de cette absence.
3° Van der Stappen et Courtens ont refusé d'êtres membres du
Comité organisateur.
4« Deux artistes au moins, parmi ceux qui assistaient à la
réunion, ont refusé de participer à l'organisation et au banquet.
Nous sommes encore d'accord, absolument.
5" Ici on joue sur les mots. Quanta moi, j'affirme et d'autres
pourront l'affirmer avec moi, que dans le principe M"« Beernaerl
a refusé l'idée d'un banquet. Si aujourd'hui elle agit autrement,
c'est son affaire, mais le principe de mon affirmation n'en reste
pas moins vrai.
Des cinq démentis il ne reste rien, si ce n'est la dérision dont
se couvre l'auteur de la lettre vis-à-vis du public et de ses cosigna-
taires.
Au moment où VArt moderne recevait la lettre ci-dessus, de
mon côté j'en décachetais une de M. Van Ryn, candidat, dit-on,
h l'Inspection des Roaux-Arls et secrétaire du banquet offert à la
s(i)ur du chef du cabinet.
Cette dernière lettre, je no veux pas la publier entièrement, bien
que j'en ai manifesté publiquement l'intention h son signataire,
qui m'y a autorisé.
Je me borne à la citation que voici :
« Il n'y a pas d'autre nom (espion) b donner à celui qui se hâte
de divulguer les secrets d'une réunion où il a été appelé en frère
et qui ne se fait aucun scrupule de divulguer (sic) le contenu d'une
lettre qui lui a été adre.'Jséo Vous me forcez de vous donner
un démenti sur toute la ligne; c'est vous seul, par conséquent,
qui supporterez les suites, puisque vous n'avez pas hésité à signer
de votre nom les mensonges du rapporteur qui, lui, garde l'ano-
nyme, car je ne suppose pas qu'il aura le courage de se faire con-
naître pour vous tirer d'embarras. »
M. Van Ryn y lient; il compte sans doute sur la reconnaissance
du... pardon, de l'estomac. Dans sa situation spéciale, cela se com-
prend. M"" Beernaert cl M. de Burlel auront eux le bon esprit
de ne pas le comprendre. Il est naïf, M. Van Ryn! Croit-il donc
qu'on traite la sœur d'un ministre comme les marchands de vin
traitent le public?
Et quant à nous, ils nous rasent ! Chassez le naturel il revient
au galop ! M. Van Ryn a dû être coiffeur jadis !
Les démentis de M. Van Ryn, je viens de montrer ce qu'ils
valent, c'est-à-dire de la fausse monnaie dans le porte-monnaie
d'un débiteur.
Quant à la circulaire manuscrite qui, à ma demande, m'a été
communiquée et que l'on a vu circuler dans toutes les mains, je
suis autorisé à nommer celui qui me l'a confiée. Toutefois
j'informe très charitablement celui qui viendra me demandercenom
qu'il recevra pour première réponse une paire de gifles telles,
qu'à côté d'elles la correction infligée par Constans à Laur ne
sera qu'une vulgaire chiquenaude.
Louis Delmer.
P. S. J'ai toutes raisons de croire que MM. L. Abry, Blanc-
Garin, P. Clays, Canneel, Coosemans, A. Dael, Paul De Vigne,
comte de Lalaing, Juliaan De Vriendt, Albrecht De Vriendt,
Drion, Ed. Fétis, Pierre Koch, Lamorinière, Jef Lambeaux, Franiz
MeertSgCt E. Slingeneyer, qui avec M. Van Ryn font partie du
comité organisateur du banquet offert à M"" Beernaert seront pro-
chainement nommés commandeurs ou grands cordons de l'ordre
de Léopold !
Ils l'auront bien mérité.
Recevrai-je un nouveau démenti?
L. D.
On nous communique, au sujet de ce banquet, la lettre suivante :
Mademoiselle,
J'ai toujours admiré en vous l'artiste vaillante, opiniiîlre, con-
sciencieuse. J'ai applaudi à toutes les distinctions que vous avez
obtenues. J'aurais volontiers participé à la manifestation qui se
prépare en votre honneur pour célébrer cette exception : une
femme qui, dédaigneuse des joies ordinaires de la vie, s'est
exclusivement consacrée à l'Art comme d'autres se consacrent à
Dieu.
Mais vous êtes. Mademoiselle, la sœur, influente et aimée, de
l'homme remarquable qui est chez nous à la tête du Gouverne-
ment; celle situation est inséparable de vos mérites et dès lors.
LART MODERNE
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mallicurcusement, loul lémoignagc public et solennel h voue gloire
s'expose inévitablemcnl àèire laxô de courlisancrie cl il devienl
difliciie de discerner où linil la sympatliic pour vous el où com-
mence la basse préoccupation des intérôls personnels.
Souffrez donc, Mademoiselle, vous qui joignez la délicatesse de
la fer»'mc à la vaillance d'un cœur viril, que je m'abstienne de
paraître h celle fôle où vous-même ne saurez pas discerner ceux
qui vous aiment de ceux qui vous flallenl et dont les applaudis-
sements ne seront qu'un placemcnl de capitaux.
Respectueusement h vous,
X...
PANTALONNADE
Pour M. Jules de Burlet.
On remarque, malicieusement, (juc depuis le jour où M. Charles
Tardicu s'est avisé de solliciter de M. le Ministre de l'inlérieur la
place de Directeur des Beaux-Arts, la naïve el ingénue Indépen-
dance belge est d'une exemplaire sobriété dans ses appréciations
sur la politique du Gouvernement. En vain la question de la
Revision mel-elle en branle les vacillantes cei velles do tous nos
journalistes. La prudente Indépendance, d'ordinaire si prolixe
el si calembrcdainisante, risque à peine quelques timides rensei-
gnements. Elle prali(iue avec une sereineté déconcertante la
consigne : Ayons l'air de ne pas avoir i.'air, donnée à tout ce
journalisme bruxellois qui fait notre gloire el qu'il a acceptée sur
ce sujet avec une docilité qui consacrera mémorablemcnt son
esprit de camaradisme.
Soit ! mais alors comment expliquer décemment ce que celle
même Indépendance belge (oh ! combien indépendante!) publiait
le 4 mars 1891,- il n'y a pas un an, au sujet de ce même Ministre
des Beaux-Arts devant lequel le très digne M. Charles Tardieu,
élevé dans les correctes régions du Bel-Air, ce royaume de la
Gentry, est allé gravement accomplir les salamaleks d'usage, se
courbant très bas en humble solliciteur et parfait courtisan,
tendant la sébille au bout de la patte, et proférant les compli-
ments nécessaires.
Il venait de paraître au Moniteur un arrêté, en date du 2 mars,
nommant M. Jules de Burlet, Ministre. Là-dessus M. Charles
Tardicu s'explique en ces termes édifiants, dignes en tojs points,
du reste, de l'abominable polémique que précédemment le même
journal sémitique avait mené contre M. Beernaert et contre
M. Le Jeune, au sujet de l'incident Pourbaix.
« A première vue, la nomination du nouveau ministre appa-
raît COMME UNE SIMPLE PANTALONNADE.
Ancien député et bourgmestre de Nivelles, M. Jlles de Burlet
s'est taillé une TMPOPUIgARITÉ NOTABLE DANS LA VILLE QU'iL ADMI-
NISTRAIT el dans l'arrondissement qui l'a écarté en juin 1888,
jugeant que c'était assez d'avoir été représenté par lui pendant
quatre ans.
A la Chambre même, où il se donnait volontiers des airs de
SOUS-LEADER, IL AMUSAIT LA GAUCHE PAR l'iNFATUATION d'uNE
IMPORTANCE QUI NE PARVENAIT A MASQUER NI LE VIDE DE SON ESPRIT,
NI LA MÉDIOCRITÉ DE SON TALENT ; ET IL AVAIT FINI PAR DEVENIR
ABSOLUMENT ANTIPATHIQUE A LA DROITE,
On ne voit donc pas très bien, tout d'abord, de quelle utilité
M. Jules de Burlet pourra être au gouvernement, el quelle force
il apporte au cabinet dans la situation politique assez compliquée
qui lui est faite en ce moment.
Mais un peu de rétlexion fait mieux juger du choix 'proposé à
la Couronne par M. Beernaert.
M. Jules de Burlet est aussi résolument protectionniste que son
prédécesseur, et sur la question des céréales ( t de l'impôt du pain
il ne transige pas.
Or, M. Beernaert est libre-échangiste, el s'il a été mou quand
M. Dumonla demandé un droit d'entrée sur le bétail et les viandes,
le chef du cabinet s'est prononcé à plusieurs reprises et très caté-
goriquement conire le rétablissement du droit d'entrée sur les
céréales, aboli par M. Malou alors que cet impôt, simple droit de
balance, avait un caractère purement fiscal.
Donc M. Beernaert s'annexe M. Jules de Burlet.
Si le syllogisme vous paraît baroque, dites-vous que la logique
cléricale a ses originalités. Songez d'ailleurs à i'embarrasdu chef
du cabinet, préoccupé de ménager dans son parti les adversaires
de sa politique économique. Considérez enfin que M. Jules de
Burlet, ministre sans mandat électoral, aura le mérite de ne
pas voter, et que, s'il parle, il fera plus de mal que de bien au
protectionnisme. ))
Monsieur Charles Tardieu jugé 'par la presse de province.
Il est peut-être cruel d'insister au sujet de la candidature, dès
h présenl condamnée, de ce pauvre M. Charles Tardieu. Mais il est
des personnalités qu'on ne saurait trop mettre à leur point. Elles
ont, en effet, d'imprévus retours offensifs, doués qu'ejles sont
d'une ténacité égale à celle de l'eczéma, cl on regrette alors de rw
pas avoir mené la euro à point.
Si les reporters, chroniqueurs et autres plumigères bruxellois
continuent à rester muets comme des éperlans frits, l'Impartial
de Gand a publié le suggestif article que voici, qui fera dire
apparemment à ce brave homme de M. Gustave Frédérix : « Vrai-
ment, depuis que Tardicu a posé sa candidature, M ?7 moderne ne
garde plus de mesure ; on le dit partout ». Partout, ce sont les
onze salons du Bel-Air où M. Frédérix épanclîc les spirituelles
pToduclions de sa belle et toujours fraîche intelligence.
(.(. La place est vacante — depuis de longues semaines — de
directeur général des Beaux-Arts et Belles-Lettres. /
Différentes candidatures ont surgi, dont celle de M. le baron de
Haulleville semblait agréer le plus aux artistes et aux littérateurs:
c'est un éclectique que M. de Haulleville, indépendant de toute
école et par conséquent également juste pour toutes.
La nomination de M. de Haulleville semblait assiN^e, lorsqu'on
a appris qu'un nouveau candidat se levait, M. Charles Tardieu,
dire(;L8Ur de l'Indépendance belge.
Même affirmait-on — et ceci évidemment est une fable — que
M. Woesle recommandait et poussait Tardieu.
C'est joli — comme gageure !
Néanmoins, les artistes el liitérateurs se sont émus ; je laisse à
mon ami A. D. le soin de vous dire les appréhensions des artis-
tes, et me contente de justifier les craintes des littérateurs.
*
M. Charles Tardieu dirigeet véé\%e l'Indépendance belge, orspine
politique el littéraire.
Que M. Tardieu, après avoir mené dans son journal, à propos
de l'affaire Pourbaix, une campagne particulièrement odieuse
conire le Ministère de M. Beernaert, aille quémander une place
bien rétribuée de sous-ordre ministériel, cela peut paraître peu
fier à lout le monde, sauf à lui-même.
Que MM. Beernaert elde Burlet ouvrent les portes du ministère
à leur insulteur, cela paraîtra naïf à tous, même à Tardieu.
Mais tout cela importe assez peu aux artistes et aux Icllrés : ce
46
VART MODERNE
qui les effraye, c'est que la nomination de M. Charles Tardieu
livrera l'arl e^ le» lettres belges au bon vouloir d'un publiciste
dont les sympathies artistiques et littéraires sont d'un cosmopoli-
tisme sarcasliquement dédaigneux des œuvres et des hommes de
son propre pays. , , r. •
' L'Indépendatm est fort goûtée sur les boulevards de Pans.
Rien d'élonnanl. car si elle est belge en politique, elle est fran-
çaise en littérature,
Nous ne le lui reprocherions pas, si son systémalique cnlliou-
■ siasme pour toul oe qui vient des « grands Français », n'était
accompagné d'un systématique débinage de tout ce qui vient des
« petits Belges »...
M. Tardieu cl M. Frédérix — son iruchemenl! — font payer
en humiliations aux auteurs belges, tout l'encens qu'ils brûlent
aux écrivains français.
' Ces messieurs ont fait maintes fois les honneurs de leur jour-
nal aux marchands do cassonade littéraire du calibre de Georges
Ohnel, — alors que, gouailleurs el blagueurs, ils ignoraient ou rail-
laient les efforts constants el désintéressés, fails depuis dix ans,
par de purs el laborieux artistes, pour donner à la Belgique une
littérature propre cl personnelle.
Si l'originel et arllslique génie de notre race refleurit aujour-
d'hui en lant d'œuvrcs puissantes el fortes, ce n'est pas la faute
de M. Tardieu; a-t-il fait assez d'espril malveillanl el jaloux sur
le compte de ceux de sesxompatriolesqui s'avisaient d'écrire?
Tous ces écrivains qui, à force de travail persévérant ci ingrat,
conquièrent lenlement à leur patrie une pLccdans les lettres con-
temporaines —onl, comme des galons d'honneur, quelques rica-
nants calembours de M. Tardieu à leur passif...
El c'est à ce contempteur cosmopolite de toul effort littéraire
belge qu'on voudrait livrer les destinées de l'art et des lettres en
notre pays?
Mais crubUe-l-on donc que la principale mission d'une direction
des Beaux-Arts el Belles-Lettres, c'est d'encourager les débuts
pénibles, laborieux, infructueux des grands artistes el des grands
écrivains futurs?
Pronostiquer l'avenir, reconnaître en un pauvre et obscur com-
mençant le maître de demain — voilà une mission pour laquelle
vraiment n'est pas de laille et n'a plus autorité et compétence en
son pays, celui qui n'adora jamais, et par delà les frontières, que
les soleils levés — el dorés ! »
Correspondance
M0NSIKV& I.E Directeur de l'Art moderne,
Vous aimez donc le talent de Léon Frédéric? Bravo !
Seulement, si vous l'avez dit, el je le crois, vous ne l'avez écrit
jamais^
Le nom même de Léon Frédéric n'était pas cité dans le compte
rendu que l'Art moderne a fait du Salon d'Anvers — de néfaste
mémoire !
Peut-être eependanl, si discutable qu'elle fût en certaines par-
lies, son œuvre ne mériiait-elle pas d'être confondue dans un
même analhëme avec celles de Van der Ouderaa el autres Cap
et Col.
Comment voulez-vous que le public — belge ou aulre — ne
fasse pas de réflexions désobligeantes, el injustes peul-élre; el je
le crois.
Le vieil abonné.
RÉPONSE
Si le « vieil abonné» (?) avail pris la peine de lire l'An
moderne moins superficiellement, il aurait pu s'éviter la peine de
nous écrire. Il saurait que dès le premier numéro de la première
année (1881) de noire journal, nous avons signalé M. Frédéric,
en termes élogieux, h nos lecteurs (en parlait-on ailleurs à celte
époque reculée?); qu'il a été question du même artiste, en termes
également louangeurs, et indépendamment des nombreuses cita-
tions qui parsèment la collection de l'Art moderne, en 188"2,
pp. 145 el 238; en 1883, pp. 11 et 35 ; en 1884, p. 12 ; en 1886,
p. 11 ; en 1889, p. 171, où un article toul entier : L'Exposition
Frédéric lui est consacré et où l'on examine avec la plus grande
attention ses scènes rustiques. Le hic. Le lin. Faut-il poursuivre
plus loin ces recherches, assez fastidieuses ? Nous pensons que
ces quelques indications sufliront îi convaincre notre « vieil
abonné » (?).
Petite CHRO^llQUE
Le Salon dos XX, qui s'est ouvert hier pour les artistes, sera
accessible au public à partir d'aujourd'hui dimanche, de 10 à
.T heures.
La première matinée aura lieu jeudi prochain, 11 courant, îi
2 heures. M. Georges Lecomte, l'auteur de la Meule et de
Mirage, fera une conférence sur Les tendances de la peinture
moderne.
La deuxième séance de musique de chambre pour instruments
à vent el piano a affirmé une fois de plu^e scrupule d'art des
organisateurs de ces auditions de choix. Le divertissement de
Mozart (n" 3) pour dix instruments îi vent a été interprété avec
une correction parfaite. On a beaucoup applaudi aussi deux jolies
pièces pour hautbois {Idylle ; A travers champs) de M. Joseph
jncob, jouées avec un sentiment pénétrant par M, Guillaume
Guiflé. MM. Slorck et Sevenanls, deux brillants élèves de M. De
Greef. ont complété ce programme en jouant les Variations de
Saint-Saéns sur iin thème de Beethoven et une fantaisie de Chris-
tian Sinding.
La maison Choudens fils, éditeurs de musique, boulevard dos
Capucines, à Paris, ayant appris qu'il se vendait en Belgique des
partitions AnFaust de Gounod, de provenance française, croit
devoir prévenir le public qu'elle a cédé, en toute propriété, dès le
21 mai 1859, le dit opéra de Faust, ainsi que tous arrangements
des divers auteurs qui paraîtraient de cet ouvraere, à la maison
Veuve Léon Muraille, éditeur de musique, rue del'Universilé, 43, h
Liège, représentée par M. Henri Dabin, lequel se trouve, par
suite, avoir seul le droit de vente de cet ouvrage en Belgique.
Ln Comité composé de MM. Charles Dumercy, Max Elskamp,
Georges Morren, Georges Sérigiers el Henry Van de Velde, à
Anvers, vient de distribuer la circulaire suivante:
« Autorisé par un respect des choses de l'art, qu'il veut au delà
de l'intérêt, des coteries et de l'école, un Comité s'est fondé.
Il se vouera, argumentant d'expositions d'art, de confércncesel
d'auditions musicales, à la défense des idées et des vouloirs des
plus récents artistes.
Désireux de réaliser, à Anvers, une Association où toutes les
manifestations de l'art se puissent produire librement, nous atten-
dons de votre patronal. Monsieur, l'accomplissement de l'œuvre
projetée. »
M. Bui.s n'écoutera point, n'est-ce pas, les crétins, amoureux
contre nature de l'alignement, qui crient pour qu'on élargisse la
rue aux Laines en incorporant à la voie publique, lors de la
reconstitution du vieil hôtel d'Egmonl récemment dévasté par
l'incendie, la romantique allée de vieux tilleuls qui pendent si
joyeusement au printemps, si mélancoliquement à l'automne leurs
panaches de feuilles au-dessus du mur antique du jardin d'Arcn-
berg. Il faut que cette rêveuse et charmante rue soit conservée avec
son pittoresque et ses souvenirs. Il faut que la famille d'Aren-
berg, sous peine de justifier les misérables sifflets qui déshono-
rèrent le mariage récent d'une de ses filles, rebâtisse en sa res-
pectable intégrité la demeure d'Egmonl, gloire de l'admirable
place du Sablon.
4
VAR"^ MODERNE
Al
Il ploul, il gréie des revues lilléraires. Toutes les semaines, en
clairs carillons, elles sonnent à toutes volées les matines de l'art
neuf. Signalons spécialemeni, parmi les plus réccnles :
Psyché, revue mensuelle d'art cl de lilléralurc. Rédacteur en
chef : Emile Michei.et. Secrétaire de la rédaction : Augustin
Chaboseau. Bureaux : Paris, rue de Vaugirard, 12 et rue de
Trévise, 29. Abonnements : 3 francs pour la France; fr. 3,50 pour
l'étranger. Le numéro : 2S conlimes.
La Croisade, revue d'art et de littérature, paraissant le 2o de
chaque mois. Directeur : Emile Foubert. Rédacteur en chef :
I). UE Venancourt. Bureaux : l,e Havre, rue de Mexico, 19.
Abonnements : 6 francs par an. Le numéro : 50 centimes.
Le Sainl-Graal. Rédacteur en chef : Emmanuel Signoret.
Secrétaires : J. Lanugère et !.. Le Cardonnel. Paraît le 5 et le 20
de chaque mois (suite du Réveil catholique). Bureaux : rue du
£herclio-Midi, 42, Paris. Abonneinenis : 5 francs par an. I>e
numéro : 25 conlimes.
Floréal, revue mensu<lle de littérature et d'art. Directeur :
Paul Gérardy. Rédacteur : Ch. Delchevalerie. Bureaux : rue
Saint-Rcmy, 22, et rue de la Bovcrie, 7, Liège. Abonnements:
5 francs l'an pour la Belgique (6 francs à l'étranger).
Le Chasseur de chevelures, « Moniteur du possible », revue un
peu mystérieuse, slriclemenl anonyme, très littéraire et non
moins batailleuse. « Le Chasseur de chevelures! Ce déroulement
de syllabes n'est-il pas pareil au déroulement d'une opulente et
glorieuse toison ? El ^elle évocation aussi, d'un romantisme
bariolé, sauvage, hérissé de plumes multicolores! » En ces mots,
le chasseur justifie son litre. Direction : rue Vézelay, 15, Paris.
Abonnements : un an, 3 francs. Dix ans (!) 28 francs.
A toutes nos jeunes sœurs, nous .souhaitons longue vie et
joyeuse humeur.
Une revue nouvelle : L'Echo des Jeunes, paraît au Canada. Au
sommaire : P. Verlaine, G. Vicaire, Catulle Mendès^ el même
Emile Zola, el même Gustave Droz. Mais les Canadiens sont plus
rares et moins connus. Nous n'en souhaitons pas moins la bien-
venue à notre consœur. (Direction: A.Gerbee, Sainle-Cunégondc,
P. Q. Canada.)
Jacqueline de Bavière, l'oratorio historique de M. Jean Vanden
Eeden qui obtint à Mons un grand succès, sera exécuté le
14 février prochain, à Louvain, par l'École de musique dont le
personnel sera augmenté, pour la circonstance, d'un nombreux
choral fourni par les dames de la ville.
La Libre Critique fera paraître le 11 février un numéro
spécial contenant une phoiotypie hors texte, sur papier de luxe,
d'après une aquarelle d'Uytierschaut, el une mélodie pour chant
et piano d'Arthur De Greef. — Texte de MM. Edg. Baes, E. Bone-
bill, A. Desogne, Eug. Georges, i. Herpain, W. Hugot, N. Outer,
F. Roussel, etc. lllustraiions de MM. Ch. Ecreyisse, E. Laermans,
H. Meunier, H. Otlevaere, N. Oulcr, H. Thys, L. Tilz, etc.
Le prix liabituel du numéro ("20 centimes) ne sera pas majoré
pour les 1,000 premiers souscripteurs.
La vente de la collection de tableaux et d'objets d'art du
D' Lequime, que nous avons annoncée\^mme prochaine, est
définitivement fixée aux 4 el 5 avril, à ^ heures. L'exposition
particulière aura lieu rue Travcrsière, 11, les 29 cl 30 mars.
L'exposition publique, les 2 el 3 avril, dans la salle de M. Cla-
rembeaux, sous la direction duquel la vente sera faite par le
ministère de M. le notaire Lecocq.
Cette collection, formée en 25 années par un amateur dont nous
avons eu l'occasion de vanter le goûlel la compétence artistique,
comprendra environ 90 numéros: il y aura 70 tableaux, esquisses,
études à l'huile, plus une vingtaine de bronzes, aquarelles, des-
sins, parmi lesquels trois dessins à la plume de Félicien Rops.
Ce sera l'une des ventes les plus intéressantes de l'année.
M. Frans Melchers expose en ce moment quelques-unes de ses
œuvres au local du Cercle des Arts et delà Presse, rue Royale, 35.
Un comité composé d'amis d'Ephralm Mikhael, morl le 5 mai
1890, se propose d'élever h sa mémoire un moaumcnl de pieuse
admiration. Il fait appel h tous ceux qui aimèrent l'homme et le
poète; à ceux qui estiment qu'il a réuni en lui plusieurs xies plus
nobles dons, particuliers à la jeune génération. Il sied qu'une
image de marbre, sur sa tombe, rappelle ce que fut le pur poète
qui repose là. L'exécution du monument a été confiées M.Michel
Malherbe. Les souscriptions sont recueillies par M. Gaston Dan-
villi', trésorier, 191, faubourg Sainl-Honoré, el par chacun des
membres du Comité.
Le Comité : Jean Ajalbert, Camille Bloch, Marcel Collière,
Gaston Danville, Rodolphe Darzcns, Ferdinand Hérold, Henry
Lapauzc, Bernard Lazare, Grégoire Le Roy, Charles Van Ler-
berghe, Mooris Maeterlinck, Sluarl Merril, Emile Michelel, Albert
Mockel, Pierre Quillard, Henri de Régnier, Saint-Pol Roux,
Alexandre Tausserat.
Cours supérieurs pour dames. — 8 février, à 2 heures,
M. H. Pergameni : Géographie du Pamir; à 3 heures, M'"^ A.
Chaplin : Thakeray. — 9 février, h 2 heures, M. E. Verhaeren :
L'Art néo-chrétien allemand. — 10 février, à i heures, M. H. Per-
gameni : La Russie sous Catherine IL — 11 février, à 2 heures,
M. LoNCHAY : Charles de Lorraine (suite); à 3 heures. M"' J.
TouDEUS : Diction el lecture d'auteurs modernes.
La Société royale l'Orphéon de Bruxelles fêlera cette année,
par un grand concours international de chant d'ensemble, le
vingt-cinquième anniversaire de sa fondation et en même temps
celui de son directeur-fondateur, M. Edouard Bauwens, lesympa-
Ihique professeur au Conservatoire royal de musique.
Ce concours, qui est organisé sous les auspices du gouverne-
ment et de l'administration communale, aura lieu en juillet pro-
chain, à l'époque des fêtes nationales. Il comprendra trois
divisions el des divisions d'excellence et d'honneur, plus un con-
cours de lecture à vue, facultatif.
Le programme détaillé et le règlement de ce concours seront
adressés très prochainement aux sociétés.
Indépendamment de diplômes et de médailles, des primes
importantes, on espèces, seront attribuées comme prix aux diffé-
rentes divisions.
Camille Pissarro, d'après le OU Blas :
Soixante ans. Le crâne dénudé avec quelques rares mèches gri-
sonnantes au-dessous des tempes. Des yeux d'une acuité étrange
qu'ombrent de broussailleux sourcils. La pesu collée aux os, un
nez vaguement hébraïque et une longue barbe blanche. Semble
un vieil hcrmile qui a quitté son désert ou sa forêt pour venir
assister à quelque pieux concile. Fut le précurseur de l'impres-
sionnisme, le premier qui lenta de rendre le charme et les vibra-
tions de la lumière, qui mit dans ses tableaux la douceur
divine des printemps en fleurs, la joie des ciels ensoleillés. Est
toujours resté intact et fidèle à son réveel a affronté sans faiblir,
avec la fierlé des grands artistes de jadis, les moqueries du vul-
gaire, les injustices el la pauvreté. Habile la campagne et comme
Claude Monei fuit dédaigneusement la grande ville et ses petites
chapelles. Signe particulier : Ne peint qu'en plein air el offre cet
étrange spectacle d'une main — la main gauche si souvent rivée à
la palette — toute blanche avec un pouce rouge comme de la
terre de sienne. — R.
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Douzième année. — N" 7.
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 14 Février 18^.
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DBS ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Comité de rédaction » Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00 — ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser toutes les communications à
l'administration générale de TArt Moderne, rue de Plndustrie, 32, Bruxelles.
Sommaire
Salon des XX. Conférence de M. Georges Lecomte. — L'album
DU Salon des XX. — M. Gustavr Frédérix bt nos bcbivains. —
Exposition sb MM. David et Pierke Oybns au Cercle artistique.
— La direction des Beaux-Arts. — Ironie. — Au Conservatoire.
— Deuxième représentation du Théâtre d'Art. — Exposition Ca-
mille Pissarro. — Petit Théâtre des Marionnettes. — Petite
chronique.
Salon des XX
CONFÉRENCE DE M. GEORGES LECOMTE.
Des tendances de la peinture moderne.
A certains moments de révolution artistique, on sent
le besoin de la préciser. On veut en délimiter les ten-
dances, en définir le caractère. Aisée, quand il s'agit
des siècles échus, la tâche devient périlleuse si l'on
veut examiner les temps qui viennent à peine de s'ac-
complir.
Pour le passé, le recul de la durée permet les visions
synthétiques; la sérénité de l'histoire fait les jugements
impartiaux : on a l'impassible quiétude qui clarifie l'in-
tuition et afline le sens critique.
Alors, les simples éminences, que les contemporains
ont pu croire des cimes, n'ont aucun relief en l'immense
étendue des époques et les fortuits amoncellements de
sable, qui peut-être ont donné l'illusion de l'Éternel,
s'affaissent. Seuls, les grands mouvements, les primor-
diales ossatures surgissent, dessinés nettement, allégés
de toute contingence et des momentané! tés. On voit la
chaîne ininterrompue dont logiquement ils proviennent
et dans quel avenir, nécessairement, ils se sont résolus.
Des ensembles caractéristiques apparaissent en des
atmosphères de limpidité.
L'accablante et mystérieuse grandeur des édifications
védiques, l'art chaldéen analytique et minutieux, la
colossale sculpture assyrienne en ses formidables créa-
tions de terreur, la statuaire égyptienne, souple, gra-
cieuse, synthétique, d'une si troublante idéalité, l'eu-
rythmie des Grecs, la mysticité flamande, hiératique
puis exubérante, la primitive peinture religieuse d'Italie,
d'une beauté toute païenne, l'art gothique, le renais-
sant, celui des maîtres hollandais, le siècle de Louis XIV,
le règne de Louis XV peuvent être aperçus en leurs véri-
diques aspects.
Mais déjà les esprits sincères perdent leur certitude
quand il s'agit d'apprécier le sens de ce mouvement
artistique, si proche de nous, qui correspond à l'Empire
premier et aux révolutions complémentaires des méta-
morphoses de 1789.
On comprendra combien ardu est l'efibrt de celui qui,
sans attendre la mise en valeur des ans, veut suppléer
par la réflexion à la juste perspective que donne la
durée, qui pense remplacer par l'impartialité de sa
raison l'atmosphère imperturbée de l'histoire, pour
préciser les tendances caractéristiques de l'art con-
temporain, issu du mouvement romantique et de
l'école du plein air.
Tout d'abord, il faut abstraire d'une telle enquête les
individuelles tentatives qu'on prévoit sans lendemain,
les mouvements brusquement dessinés et arrêtés court,
les caprices particuliers ou unanimes, les bizarreries
de la mode qui se renouvelle en art avec tant de
prestesse. La mode, qui trop souvent discipline les
talents à ses fluctuations fortuites, aussi bien pour la
conception de l'œuvre que pour le choix des motifs et
le procédé d'expression, est en dehors de la notion du
Beau et ne peut qu'en obscurcir les conditions éter-
nelles. Elle constitue même un danger pour les artistes
qui assujettissent à ses exigences leur tempérament,
susceptible de s'affirmer plus personnel et vivace, s*il
exprimait librement ses émotions.
Ne pensera-t-on pas aussi qu'il sied d'éliminer ou tout
au moins de^-reistreindre à leurs légitimes proportions
les questions de technique, de pur métier, qui ne sau-
raient prétendre à constituer la physionomie spéciale
d'une époque de l'art : les fresques de Botticelli, les
vierges du Titien, les femmes d'Ingres et l'Olympia
sont belles, si divers qu'en soient les procédés
d'exécution. En architecture, le style est indépendant
des matériaux employés. En peinture et dans la sta-
tuaire, il ne dépend pas des nuances d'une technique
plus ou moins efficace. Le métier, s'il est rationnel
et savant, étaye la vision, mais ne la remplace pas. Les
artistes du passé qui furent des maîtres, ceux d'aujour-
d'hui qui nous paraissent grands, ne sont point tels en
raison des procédés qu'ils adoptèrent : c'est qu'ils
eurent des émotions vives, que leur âme vibra aux
rythmes de la nature, que leur vision les perçut et les
assembla. Grands, ils l'eussent été avec des techniques
différentes. Les méthodes que les uns et les autres se
sont appropriées, pour un rendu plus parfait de leurs
perceptions, parce qu'ils les jugeaient adéquats à leurs
tempéraments, ont simplement favorisé par leurs res-
sources la totale expression de la personnalité de ces
peintres.
Pourtant, à notre époque, la technique acquiert une
importance inaccoutumée, puisqu'un procédé de répar-
tition des couleurs juxtaposant, en vue d'une commu-
nion sur la rétine, tous les éléments constitutifs d'une
impression visuelle, a permis à certains peintres d'illu-
miner leurs toiles de plus limpides et plus ardentes
clartés. C'est grâce à cette méthode qui laisse noter
avec plus de vérité et avec l'importance qu'elles ont
dans la nature l'influence respective des couleurs voi-
sines, l'action du soleil sur la tonalité des objets, que
des artistes, doués de la plus délicate vision, parvinrent
à envelopper les sites agrestes, les amas de maisons
d'atmosphères blondes et translucides, qu'ils teintèrent
doucement leur? ombres, que l'air circula entre les
frondaisons, autour des gens et des bêtes et que les
horizons lointains s'estompèrent de subtiles brumes de
soleil.
La division du ton pour des clartés plus blondes, ou
mieux, (afin de nous élever au-dessus des questions de
technique), ce souci de luminosité peut raisonnablement
sembler caractéristique des tendances de l'art moderne.
Pendant longtemps, nous l'avons cru. Mais des examens
plus réfléchis ont ébranlé cette opinion : ces recherches
de lumière nous apparaissent, non comme un résultat
définitif, non comme un sommet atteint, mais plutôt
comme un moyen propice à la réalisation de plus incon-
testables tendances : permettant de restituer les com-
plexes éléments des harmonies naturelles, elles per-
mettent ainsi d'en mieux rendre la magnificence
décorative.
Et c'est précisément ce souci de beauté décorative
qui nous paraît, en dehors de toute préoccupation secon-
daire, devoir être la mar^îue distinctive de notre
ÉPOQUE DANS l'hISTOIRE GÉNÉRALE DE l'ArT.
Sans doute, les maîtres de tous les temps ont com-
posé leurs tableaux selon des ensembles de lignes qui
intéressent, en dehors de toute signification précise : les
tons sont associés en captivantes harmonies qui |com-
plètent l'ornementation linéaire. Et nous n'avons pas
le souvenir d'une œuvre vraiment haute qui ne soit pas
simultanément caractéristique et décorative. Il ne serait
donc point neuf de constater cette recherche d'orne-
mentation dans l'efforispécial de tel ou tel peintre con-
temporain, puisque cette recherche est commune aux
talents forts de tous les siècles. Mais ce qui est bien par-
ticulier à notre époque, c'est le systématique et le géné-
ral de cette tendance. Tous les artistes novateurs (si
divers et si efficaces parfois que puissent être leurs
moyens d'exécution), tâchent à dégager de l'accessoire
et du superflu les permanents caractères du Beau natu-
rel, en vue d'atteindre à des réalisations décoratives.
L'unanimité de ce souci témoigne d'ailleurs d'une
très haute compréhension de l'art et relève les écoles
contemporaines du discrédit dans lequel trop de gens
injustement les tiennent. Elle prouve l'abandon de l'im-
médiate copie de la nature, une intellectualité plus
haute, un idéal plastique plus compliqué, puisque par
système préconçu et réfléchi, on cherche à atteindre ce
que tous les maîtres ont volontairement ou inconsciem-
ment donné.
D'ailleurs toutes les œuvres grandes, en dehors même
des arts plastiques, n'apparaissent-elles pas revêtues
d'une spéciale beauté, comme décorative ? Les allitéra-
tions de syllabes dans un vers, les évolutions et les
UART MODERNE
51
rappels de certains vers dans une strophe, pour com-
pléter la pensée et le rythme, la répétition de strophes
dans un poème, constituent des astragales et des den-
telles qui dessinent leurs arabesques sur la trame
colorée des mots, créent par leurs circuits d'un si gra-
cieux dessin des harmonies d'ensemble et relient les
divers aspects de l'idée. Les poèmes en prose dont l'écri-
ture est artistique valent également, par des retours
d'idées et de phrases qui dessinent, dans la pensée et le
texte, de très souples contourneraents d'un grand carac-
tère ornemental. Mais c'est surtout en musique que
l'arrangement décoratif est évident. Des motifs sont
développés, quittés un instant et repris : ils alternent,
s'enchaînent; non seulement ils décrivent explicitement
des états d'âme, en plus ils sont alliés pour une har-
monie d'ensemble. Ces successions de motifs dans une
symphonie sont animées d'un mouvement qui orne-
mente le logique développement du thème.
Surtout les grands aspects de la nature, si l'œil peut
en abstraire les détails momentanés et insignifiants, ne
sont-ils pas empreints, aussi bien par les couleurs que
par les lignes, de la plus majestueuse beauté décorative ?
La ligne d'horizon sur les flots, les courbes des fleuves,
les lentes montées de terrain et les volutes des arbo-
rescences associent leurs formes à la somptuosité des
divers tons qui constituent le décor naturel, créent des
spectacles d'une grandiose séduction ornementale.
Si tous les synthétiques aspects de la nature nous
séduisent par leurs harmonieux ensembles de formes et
de couleurs et si, d'autre part, les grandes œuvres de
l'art humain, quelque divers que soient les modes d'ex-
pression (poésie, musique, éloquence), nous paraissent
conçues selon une délinéation décorative, il n'est point
surprenant que les maîtres de la peinture et de la sta-
tuaire, de toutes les écoles et de tous les temps, aient
interprété dans ce sens les réalités extérieures.
{La suite prochainement).
liALBUAi DU SALOI\ DES XX
On nous communique la lelire suivante, adressée au secrétaire
des XX :
Bruxelles, le 8 février 1892.
Monsieur le Secrétaire,
On sort de l'Exposition des XX en regrettant de ne pouvoir con-
server de cette vivifiante manifestation d'art qu'un catalogue aux
mentions laconiques, chargé d'annotations crayonnées en marge.
Alors que dans les musées (étrangers) et aux vitrines des mar-
chands s'étalent, innombrables, gravures et photographies, aux
XX rien de semblable. Je pense que c'est un tort. La réputation
dom jouissent certains maîtres anciens, ils la doivent beaucoup à
la diffusion de leur œuvre dans le public, et à la facilité qu'on
a de la revoir à loisir dans son ensemble. Et si certains noms
modernes sont connus de la foule, c'est parce que leurs tableaux.
sitôt achevés sont reproduits par la photographie et publiés ensuite
dans des recueils spéciaux ou môme dans des journaux illustrés,
tirés à très grand nombre. Inutile, je pense, de citer des noms
propres.
Au contraire, une fois closes les portes de l'Exposition, oti
trouver trace des suggestives figures de Khnopff, toutes rayon-
nantes d'idées? Où vivifier l'expression reçue, mais sujette à
s'effacer? Nulle part. Et je me disais qu'il faudrait faire pour
les XX, comme pour les salons français et allemands, un album
commémoralif et illustré.
Nulles mieux que les œuvres de Khnopff, de Mellery, de Pissarro,
de Mary Cassait ne s'y prêtent. Et quelle inépuisable source de
jouissances esthétiques que de faire repasser à volonté devant ses
yeux le Silence, la Ville morte, les Etudes et les délicieux Pro-
fils à la sanguine, que l'on n'a eu que le temps d'entrevoir.
Les constants progrès de la technique ont d'ailleurs rendu pos-
sible la photographie en couleurs; je ne vous citerai à l'appui de
mon dire que les compositions, si curieusement byzantines, dont
Grasset a illustré le fantastique conte de Richepin paru dans le
dernier Figaro-Noël, et qui s'allient si bien k cette prose étrange.
Nous avons en Belgique d'excellents typographes et d'habiles
artistes, capables d'entreprendre ce qu'ont fait Bous.sod et Vala-
don à Paris, Bruckmann et Angerer à Munich.
Nous avons aussi, et en très grand nombre, des amateurs
d'art. Annoncez hardiment la publication du neuvième salon
des XX, lancez les bulletins de souscription et, pourvu que le
prix soit abordable (quelque chose comme le Figaro dont nous
parlions tout à l'heure) vous pouvez être certains du succès.
Agréez, Monsieur le Secrétaire, l'assurance de ma parfaite con-
sidération.
Un Amateur.
L'idée est bonne. Souhaitons qu'un éditeur intelligent la réalise.
r.
M. GUSTAVE FREDBRIX ET NOS ECRIVAINS
M. Gustave Frédérix est persuadé de l'impartialité de sa
Critique. Il va le clamant à tous les vents. Illusion d'une belle
âme où jamais ne péntra la rancune. Il convient de lui présenter
parfois un miroir où il peut se contempler soi-même, au risque
de ne pas se reconnaître et de reculer d'effroi.
Voici à une semaine d'intervalle deux échantillons comparatifs
de sa manière. Il s'agit, d'une part, de Coquelin, qui. entre deux
halles d'une tournée théâtrale, se risque à jouer à l'écrivain, —
et d'autre part, de notre compatriote Emile Verhaeren, le poète
des Soirs, des Débâcles, des Flambeaux noirs, des Apparus
DANS mes chemins. Entre les deux, M. Gustave Frédérix se dresse,
affublé du masque de Janus, souriant à l'un, grimaçant à l'autre,
brandissant pour celui-ci la caressante houpelte à poudre de
riz, pour celui-là le knout à sept lanières, poussant à droite de
petits cris joyeux, grinçant des dents à gauche et étouffant mal ses
rugissements.
Le Parisien.
Indépendance du 29 janvier.
Entre ses deux triomphantes
créations de la Mégère appri-
voisée et de Thermidor, M. Co-
quelin s'est fait entendre comme
conférencier au Cercle artistique.
Il a lu, mercredi soir, une étude
sur Don Juan. Quoiqu'il lise
simplement, sans y porter toutes
ses variétés de diction, en se pri-
vant naturellement de dramatiser
ses réflexions Itttéraires sur
l'œuvre de Molière et les autres
Le Belge.
Indépendance du 6 février.
Jeudi soir , conférence de
M. Emile Verhaeren, poète,
avocat, professeur au cours supé-
rieur pour dames, critique litté-
raire et artistique; sujet : les
Esthétiques littéraires modernes,
la Critique; public très clairsemé,
où quelques frères et amis et
quelques bons prudhommes, am-
bitieux de paraître des passagers
du dernier bateau, ont, applaudi
spécialement les violences tradi-
incarnations plus ou moins poé-
tiques du grand type de Bon
Juan, sa voix et son articulation
gardent, dans là lecture, leur
belle sonorité et leur netteté ab-
solue. Il s'est échauffé aux bons
moments, et ce morceau d'his-
toire et de critique, d'érudition
et d'analyses curieuses, a inté-
ressé comme si le maître artiste
avait joué une grande scène ingé-
nieuse savamment.
M Goquelin a fait une revue
détaillée des don Juans succes-
sifs, de tous ceux du moins qui
ont marqué, et il les a caractéri-
sés en quelques mots précis et
Ans. On pense bien que le princi-
pal de son étude était consacré à
Molière qui a écrit la pièce la plus
originale et la plus forte, selon sa
coutume, quand il a repris des
sujets traités par d'autres. M Go-
quelin a très bien dégagé le sens
et les profondeurs de l'œuvre de
Molière, et il l'a résumée par un
mot du poète lui-même, qui a
nommé Don Juan : un grand
seigneur méchant homme.
Le Don Juan, tel que Molière
l'a conçu, avec ses corruptions
tranquilles, élégant, souriant,
tout à ses plaisirs et à ses convoi-
tises, n'ayant pas de cruautés
inutiles, mais prêt à tout, même
à l'hypocrisie, pour venir à ses
(fins et gagner sa partie, a été très
curieusement analysé par M. Go-
quelin. L'étude est vivante, et a
bien mis en relief tous les signes
caractéristiques. Et M. Goquelin
a suivi arec sagacité ce Don Juan,
jusqu'en ses reproductions ac-
tuelles. Gar si le grand seigneur
méchant homme n'est plus de
notre temps, n'a plus qualité, pour
se mettre au-dessus des lois, les
imitateurs d'un tel patron n'ont
pas disparu.
L'éclatant personnage de Mo-
lière, et les différentes épreuves
qu'on a pu tirer d'un tel portrait,
M. Goquelin a décrit tout cela
ingénieusement, avec des vues de
bon critique et des mérites d'ob-
servation. Ses pages sur la phi-
losophie de Molière nous on (paru
moins nettes; il nous semble
préoccupé d'y établir que l'auteur
de Tartuffe n'a pas été un néga-
teur de parti pris, et qu'au lieu
d'être un philosophe résigné de
la nature, il reconnaît en elle
quelque chose de divin. Mais
philosopher sur cette matière,
c'est se condamner aux conjec-
tures.
La conclusion de la conférence
a été plus vivante, plus précise
et d'une belle chaleur. La géné-
reuse humanité de Molière y
était bien marquée par l'évidente
signification de ses œuvres les
plus profondes. Et voici quelques
lignes qui expriment délicate-
ment, par des raisons tirées du
Malade imaginaire, comment
le poète, quoi qu'on en ait dit, a
aimé la nature humaine. « Môme
tionnelles, les naïves et lourdes
invectives aux critiques.
On a entendu deux ou trois
fois, au Cercle, des conférenciers,
au lieu de traiter un sujet de
' littérature et d'apprendre quel-
que chose au public, exposer les
récriminations personnelles des
impatients de la notoriété, et
comment leurs petites opérations
et associations ne sont pas assez
servies par des critiques indociles.
M. Verhaeren n'a pas manqué à
ces doléances plus ou moins
véhémentes qui ont été le mor-
ceau un peu animé de sa lecture.
41 avait expliqué d'abord que
toutes les écoles littéraires nou-
velles sont contenues dans le
romantisme; que toutes les
réclamations, pour la liberté et
la réalité, faites par les écrivains
actuels, se trouvent dans les
manifestes, préfaces et poésies
de Victor Hugo; que Victor
Hugo, Balzac Flaubert, Zola ont
été fort attaqués et injuriés à
leurs débuts.
On ne l'ignorait pas. Mais,
tout en ayant de justes considé-
. rations sur l'œuvre du roman-
tisme, et en rattachant ingénieu-
sement à ses audaces fécondes les
audaces nouvelles, M. Verhaeren
n'est pas parvenu à intéresser ses
auditeurs à cette leçon littéraire.
M. Verhaeren a le malheur d'être
très ennuyeux quand il a raison,
et de faire de l'histoire et de la
critique sans une vérité neuve,
sans un paradoxe brillant. On n'a
pas été convaincu non plus que
déjeunes écrivains, dont le talent
n'est pas assez proclamé présen-
tement, doivent être des Victor
Hugo, puisque Victor Hugo a vu
autrefois son talent contesté.
Quand même on dirait à des vio-
lents ou à des maniérés mala-
droits du style, exactement ce
qui a été dit à Victor Hugo par
les classiques révoltés, ce ne
serait pas une garantie suffisante
que ces débutants, à qui on rend
le service de les critiquer, écri-
ront de nouvelles Légendes des
Siècles.
Le seul moment un peu vif de
la lecture de M. Verhaeren a été
celui où il dénonçait, d'une voix
nasillarde mais indignée, les in-
jures, la mauvaise foi, les insultes
de la critique. Il est tout à fait
plaisant que M. Verhaeren, qui
appartient à un groupe de chou-
nneurs de l'écritoire, jouant heb-
domadairement au jeu du mas-
sacre, vienne dénoncer sans rire
les prétendus outrages de criti-
ques, ayant toujours dédaigné les
gros mots, comme trop faciles.
Ceux qui lisent certaines publica-
tions hebdomadaires ou men-
suelles savent quelles plumes,
exaspérées de n'être pas assez
louées, crachent abondamment
l'injure personnelle. Il est vrai que
ces lecteurs sont rares, et que les
associés de l'invective pour la
notoriété en somt réduits à se lire
entre eux. Mais cela n'empêche
à la fin de sa carrière, abreuvé de
soucis, malade, désenchanté,
trahi, voyez quelles aimables
figures il oppose à l'hypocrite
Béline, à l'égoisto et marmiteux
Arganl G'est cette grouillante
Toinette, si brave d'esprit, si
compatissante de cœur j cette
charmante Angélique, si fine, si
ferme et si tendre à la fois ; et
cette petite Louison toute pleine
du charme délicieux de l'enfance.
Il semble qu'au moment de cesser
de battre, le cœur de Molière se
soit voulu ouvrir à ce que la
nature, sa déesse, a de plus
douces émotions ; et dans ce
malade, si plein de nos misères,
ou son rire intrépide fait réson-
ner de telles profondeurs, il s'est
complu à faire" passer comme un
rayon nouveau de fraîcheur et de
grâce. »
On a fort applaudi la conclu-
sion vibrante et les fins morceaux
de cette étude copieuse. Naturel-
lement, le public était très nom-
breux. Et cette conférence, très
gracieusement offerte par l'ex-
cellent comédien au Gercle artis-
tique, cette conférence qui s'est
trouvée de la critique littéraire
distinguée, a eu un très vif succès.
pas que les « paquets de linge
sale », dont M. Verhaeren a parlé
délicatement — c'était le mot spi-
rituel de sa conférence — soient
exclusivement déballés dans les
sous-sols littéraires, où travaillent
quelques jeunes auteurs.
De quel critique, ayant un
nom, peut-on citer une phrase
outrageante? Tandis qu'on a vu
dans le volume de M. Huret,
Enquête sur l'évolution litté-
raire, les mépris frénétiques de
poètos et romanciers nouveaux
pour les illustres, les devanciers,
et aussi pour les nouveaux com-
battants de la publicité, pour la
concurrence, la boutique d'en
face. Ah! tous ces paons qui
s'arrachaient les plumes en fai-
sant la roue, a dit justement un
des interrogés de M. Huret.
Ne blâmons pas cependant cette
péroraison surprenante de la con-
férence de M. Verhaeren. Il aurait
été ennuyeux, malgré d'ingé-
nieuses explications littéraires,
sans ce morceau final, qui est
arrivé à être amusant, sans une
trouvaille spirituelle, sans un
trait fin, et même sans un mot
pittoresque.
Voilà assurément un édifiant parallèle. Cela sue d'un côté la
courtisanerie, de l'autre l'irrémissible rancune. M. Gustave
Frédérix ne peut pardonner à la jeune école d'avoir bafoué sa
dignité de grand chambellan de la critique et d'avoir inspiré au
petit cénacle où il pontifie des doutes sur sa divinité littéraire.
Vraiment sa colère^està la fois si visible et si enfantine qu'elle
fait chanter en noire mémoire ce populaire refrain d'une ronde
toulousaine :
Tu bisques, tu rages,
tu manges du fromage
potirri I
El voyez à quels écarts inconsciemment se laisse aller le haut
plumitif du Bel-Air. Parlant à la*canionade, mais de lui : « De
quel critique, ayant un nom, peut-on, inlerjecte-l-il, citer une
phrase outrageante? Il a toujours dédaigné les gros mois,
comme trop faciles, ajoule-l-il, et il risque cet éloge personnel
dans un article qui n'est qu'une selle copieuse d'injures, évacuée
dans un accès où il n'a pu se contenir, accompagnée de mots
pétaradant parlant en plein nez de ses adversaires : Chourineurs
DE l'Ecritoire! Vraimenlil faudra bientôt le pourvoir d'un de ces
frères Céliles, résignés à loiil, qui gardent et soignent les incon-
tinents.
M. Gustave Frédérix essaiedegrossirl'importancedujournalfinan-
cier où il écrit en l'opposanl à « certaines publications hebdoma-
daire (f'^rf moierhé).o\x mensuelle {la Jeune Belgique) dont les
rédacteurs sont réduits à se lire entre eux ». Il affecte, en sa sénile
irritation, d'ignorer que ce sonl ces publications qui l'ont mis par
terre, et qui l'empêcheront de se relever, et qu'elles sont assez
puissantes pour faire échec sur les questions d'art à la grosse
galioie dans laquelle il a le mal de mer. L'Art moderne peut se
flatter de n'avoir jamais impunément ni défendu une idée, ni
attaqué une incapacité méconnue. M. Frédérix, s'il se croit un
lion, devrait se souvenir de la fable du moucheron ; s'il se croit un
VkRT MODERNE
53
Goliath, il devrait se souvenir (cela sera facile là où il est) de la
légende hébraïque de David.
Mais « attendons la fin », confinne dit le Fahuliste. Les temps
sont proches où tout ce vieux personnel ne trouvera plus
d'emploi.
Exposition de MM. David et Pierre Oyens
AU CERCLE ARTISTIQUE
Avant tout, deux coloristes, sanguins et bien portants, taisant,
sur des fonds d'un noir gras ou saucés de brun, éclater quelque
jaune savoureux comme un épi d'or, quelque ' rouge fanfarant
comme un coquelicot, quelque bleu sonore de bleuet, qui réveil-
lent leurs toiles. Cette peinture est savoureuse et plantureuse. Un
peu « bon garçon », elle plaît par son sans-gêne, son allure
simple et sans façon. Elle est d'une joyeuscté bien brabançonne^
et on la sent heureuse de s'épanouir. Son défaut, quand on voit
un grand nombre de toiles ainsi réunies, c'est d'être un peu
monotone et de se contenter, sans recherche neuve, de la vieille
lumière d'atelier et de s'empâter dans des procédés un peu
passés. Et puis, la pipe et le cabaret, ainsi que le divan, ont été
déjà trop célébrés dans cette gamme, — que MM. Oyens, répétons
le, exécutent d'ailleurs avec talent.
A côté de qualités de coloristes, on rencontre encore chez eux
de réelles tendances d'observateurs, — d'une observation fla-
mande, sans piment, mais spirituelle et croquant avec finesse des
types de modèles, de servantes, de peintres, de bohèmes, de
buveurs, — tous fleuris d'une bonne vie saine et rubiconde. Ce
sont des intimistes, charnus et robustes, d'existences cordiales,
simples et honnêtes.
LA DIRECTION DES BEAUX-ARTS
Quelques-uns de nos journaux n'ont pas osé persister dans l'in-
décence de leur mutisme au sujet de la candidature Tardieu. Ils
se sont aventurés en quelques explications plus ou moins saugre-
nues, les plus forts se risquant à proclamer que les chances de
l'impétrant ont augmenté depuis que l'Art moderne s'est mis à
éplucher son compte. Ce qui perce, c'est le mécontentement très vif
de voir mise en discussion publique une personnalité qu'on espé-
rait faire réussir sournoisement en en parlant le moins possible;
Puisque certains gâte-sauces de la presse quotidienne s'occupent
enfin de la question, y a-t-il de l'indiscrétion à les prier d'expli-
quer comment leur protégé concilie son attitude.actuelle vis-à-vis
de M. de Burlet avec les propos qu'il a imprimés à son sujet et
que nous répétons ici dans toute leur criante injustice et leur
insolence :
« A première vue, la nomination du nouveau ministre apparaît
COMME UNE SIMPLE PANTALONNADE (1).
e< Ancien député et bourgmestre de Nivelles, M. Jules de
Burlet s'est taillé une impopularité notable dans la ville
qu'il administrait et dans l'arrondissement qui l'a écarté en
(1) Délicate allusion à la fable des pantalons que M.Jules de Burlet
aurait imposés aux écuyères d'un cirque à Nivelles, fable cent fois
démentie et que l'aimable M. Tardieu s'obstine à tenir pour vérité.
juin 1888, jugeant que c'était assez d'avoir été représenté par
lui pendant quatre ans.
« A la Chambre même, où il se donnait volontiers des airs de
sous-leader, il amusait la gauche par l'infatuation d'une
importance qui ne parvenait a masquer ni le vide de son esprit,
NI LA médiocrité DE SON TALENT; ET IL AVAIT FIN! PAR DEVENIR
ABSOLUMENT ANTIPATHIQUE A LA DROITE. »
C'est bien le moins que le candidat à la direction des Beaux-
Arts n'apparaisse pas comme un très plat palinodard. Quelle
garantie offrirait un fonctionnaire qui a imprimé de son futur
supérieur que son infatitation ne parvient à masquer ni le vide
de son esprit ni la médiocrité de son talent? Et comment M. Tar-
dieu lui-même,[à moins de passer un valet de chambre de lettres,
consentirait-il à subir la direction et les impressions d'un homme
représenté comme un fat et un sot.
Eceo il problema! Nous le livrons aux illustrâtes de la presse
qui souhaiteraient (ô vainement, ne vous inquiétez pas. Madame)
voir aux Beaux-Arts un des membres du groupe intéressant qui,
lors de l'incident Pourbaix, dépeignait journellement M. Beernaert
comme un abominable chenapan ayant tenté dans un intérêt poli-
tique de faire condamner un innocent.
IRONIE
A titre de curiosité, voici un extrait d'une amusante circulaire
donnée en supplément par la Revue flamanéU de Littérature et
d'An.
C'est un chef-d'œuvre de moquerie. Il serait difficile de se
gausser plus spirituellement dans la forme et en même temps
plus sérieusement au fond, du candidat à prédilections fran-
çaises, du journaliste de coterie sur le retour, invariablement
gouailleur, pris subitement de la fantaisie de faire une fin en
s'essayant à diriger les Beaux-Arts sous les ordres du jeune et
vaillant Ministre « à cervelle vide », selon son expression, qu'il
nomme irrévérencieusement dans l'intimité : Pantalon!
« M. Charles Tardieu vient, dit la presse quotidienne, de poser
sa candidature. Nous en sommes étonnés et ravis. Etonnés,
parce qu'il veut quitter une situation de journaliste de premier
ordre, dans laquelle il ne peut que faire honneur à notre pays;
ravis, parce que si sa nomination se réalise, toutes les opinions
d'art seront sauvegardées.
« Et, en effet, membre correspondant de notre Académie, il
possède l'estime de ce corps savant, dont on ne peut pas mécon-
naître les préférences.
« Comme directeur de l'Indépendance belge, ii laquelle il adonné
une largeur de vue littéraire qu'aucun organe français de celte
importance ne possède, il s'est toujours montré bienveillant,
favorable, serviable à toutes les manifestations d'art, quel que fut
leur caractère.
« Rien ne l'obligeait, cetr homme, de donner aux œuvres des
auteurs belges une publicité et une sanction qu'aucun autre
organe de presse, en Belgique, n'eût pu leur donner. Et il n'est
pas un de nos écrivains nationaux, qui n'ait joui de cette large,
féconde et généreuse publicité
« Nous croyons donc que la nomination de M. Tardieu s'impose.
« Il sera le right man in the right place.
« Politiquement cette nomination ne sera pas combattue.
/
54
VAUT MODERNE
« Dans le monde de l'Art, des Sciences el des Lellres, c'est celle
qui divise le moins.
« Adminislralivemenl, c'est lui qui poi/rm appliquer la plus
grande somme d'idées nouvelles.
« Palrioliquemenl, le pays aura honoré un journaliste dont nous
pouvons tous élro fiers. »
La Revue flamande de Lillérature el d'Art.
AU CONSERVATOIRE
!«' Concert.
M. Gevaerl, qu'une douloureuse circonstance avait empêché de
donner jusqu'ici son premier concert, a dirigé dimanche dernier
Texéculion d'un Concerto grosso de Haendel el de fragments de
la Canfaté de iVoè'i de J. -S. Bach. Ce retard a été extrêmement
favorable à l'interprétation, qui a été miraculeusement belle.
L'orchestre s'est surpassé dans ces deux œuvres. 11 a eu les
honneurs du bis pour sa délicate exécution du final de la
symphonie de Haendel, joué avec un si prestigieux ensemble
qu'on eût pu croire qu'il n'y avait à chaque pupitre qu'un seul
instrumentiste. Le directeur accompagnait au clavecin le concerto
«comme du temps de Haendel », disait malicieusement le pro-
gramme. M. Gevaert paraît n'avoir qu'une confiance limitée dans
l'érudition de ses auditeurs.
C'est M. Lafarge qui avait été chargé du rôle du ténor dans
l'oratorio. Ce rôle, difficile el considérable, il l'a chanté en
artiste consommé, pour qui les difficultés de style de la musique
ancienne sont aussi aisées à surmonter que les périls d'intonation
des drames lyriques modernes. On n'imagine pas la musique de
Bach chantée avec plus de goût el de sobriété, ni d'une voix plus
harmonieuse. Aussi son succès a-l-il été énorme. A côté de lui,
M"«» Flamcnt et Hasselmans et M. Danlée se sont fait une place
nécessairement un peu effacée, mais néanmoins honorable ;
M"° Flamenl surtout, dont le contralto puissant et d'une grande
étendue s'épanouit largement dans les magnificences des récits
du vieux maître.
A signaler, enfin, le joli timbre des hautbois d'amour et des
cors anglais employés dans la pastorale « Veillée », l'un des
joyaux de ce merveilleux écrin.
Deuxième Représentation du Théâtre d'Art.
{Correspoiidance particulière de l'Art moderne.)
La tragique histoire du Docteur Faust, drame de Christophe
Marlôwe (irad. F. de Nion el C. Stryenski). — C'est un public
d'enfants, un théâtre guignol el des marionnettes qu'il fallait à
ce Faust représenté le 5 février. Au moins, avec de tels éléments,
la direction du Théâtre d'Art eûl été apte à composer une mise
en scène suffisante, à contenter des spectateurs friands de
diableries el de trucs variés. Celle opinion de toute sagesse dut
être primitivement celle des traducteurs qui firent ramper leurs
vers fort au-dessous du texte original ; aussi les blâmera-l-on
surtout d'avair abandonné leur idée première et passé avec leur
imprésario, malgré la menace d'un échec sûr, un pgreil pacte....
d'ingénuité.
Qu'un lecteur de Gœthe se passionne pour Faust au point de
sentir sourdre en lui, comme conséquence d'émolions esthétiques,
une curiosité avide d'anecdotes sur les exploits aulliontiqucs et
légendaires du tragique Docteur, rien que d'excusable : après
l'adoration, le culte. On peut donc lire avec les FausV des
Widmann, Muller, von SoJen, Schink, etc., celui de Marlowe, y
sentir, par places, le levain des idées religieuses en faveur,
b l'éciosion du p rotes tî^^ntisme, s'atlarder à des variantes, se
plaire à doux où trois scènes parfaites ; mais était-il intéressant
de révéler à la scène un jeune auteur de trois cent vingt-neuf ans,
pour choisir dans son bagage littéraire une œuvre surpassée
depuis p.ir l'Allemand, qui sut y mêler à du génie tous les
acquêts de doux siècles de philosophie et de science ? Non, c'est
par Gœthe, ou par une version contemporaine (là un échec serait
plus excusable), qu'il faut connaître Faust. Mais pourquoi
remonter aux balbutiements ? Si des fresques, en d'admirables
poèmes de lignes el de couleurs, me révèlent, par exemple, les
phases d'une existence de héros, m'ingénierai-je à apprécier des
inlerprélalions de mémos motifs sur des images d'Epinal ou des
foulards pour cols de rustres ?
Les Flaireurs de Charles Van Lerberghc ont porté dans l'âme
de chaque spectateur tout l'écho de ce qu'ils signifient. C'esl une
fort belle synthèse des attitudes humaines devant ces gestes de la
Mort approchante, désespérées, pour qui voit après Elle les tour-
ments éternelles de la désolation, les sombres baies du néant ;
confiantes, au contraire, el d'une confiance impérieuse, pour qui
pressent, au delà des portes sépulcrales, la vie, la vie glorieuse,
libérée des douleurs humaines, la vie sous la lulelle d'âmes
infiniment bonnes, la vie sublimée el douce comme serait une
éternelle défaillance de joie....
M. Abel Duteil d'Ozanne a composé d'après le texte de M. Van
Lcrberghe des variations musicales qui prolongent avec bonheur
les sanglots de désespérance el les râles de désir qui secouent sur
la scène les deux Averties — de bonnes interprètes.
Dans les colonnes du programme de cette soirée, M. Maurice
Maeterlinck salue en Charles Van Lerberghe, son maître, son
initiateur, el après avoir allégué la filiation de V Intruse el des
Flaireurs, assigne à cette dernière pièce la première place, en
date el en mérite. Cette abnégation est digne d'un âge reculé el
des plus méritoires, mais faul-il dire, après avoir accepté la
question de compétition, que nous ne la respectons que dans la
mesure où elle nous permet d'obtenir l'alteslation de M. Van
Lerberghe pour remettre tout de môme au premier rang celle
merveilleuse Intruse ?
. Quant au Bateau ivre d'Arthur Rimbaud, n'avail-il pas été
classé fort judicieusement par Fénéon entre les œuvres hors
littérature de ce poêle et à priori interdites au talent odéonesque
d'un comédien ?
Ed. C.
EXPOSITION CAMILLE PISSARRO
Paris, Galeries Durand-Ruel. — Clôture : le 20 février.
[Correspondance particulière de l'Art moderne.)
Pour la sincérité de leur observation, leur intelligence des
valeurs, la décision de leurs effets, les premières œuvres de
M. Camille Pissarro furent séduisantes. Puis il rompt ses coU -
râlions et, plus lard, c'est en éléments prismatiques qu'il les
décompose : les ombres sont teintées el limpides, l'aicduréole les
?
\
i:art moderne
55
objets en ses paysages poudroyants d'ambre et de lupuline ou
frais de clartés lustrales. La mémoire riche de tous les phéno-
mènes d'une Réalité si fervemment épiée heures, saisons et pano-
ramas, il cesse de peindre en plein air, traite la Nature en réper-
toire de motifs décoratifs, la libère de l'accidentel, pacifie
l'antagonisme de ces deux caractères : énergie et douceur, — et
atteint à de hautes symbolisations inconscientes. Alors voici i,a
Gardeuse d'oies, de 1890 : et son mouvement héroïque et étonné
vers le mystère de l'eau infinie ; les Paysannes plantant des
RAMES, de 1891 : en guirlande de gestes et de couleurs pour de
vernales fêtes bottirelliennes; ei, de 1892, la Paysanne assise,
les Deux Jeunes paysannes, — et la Vachère : étonnante péron-
nelle, un jouet, une espèce de jouet qui, animé soudain, respi-
rerait pour la première fois et viendrait de découvrir la vie; elle
tient, d'une longe qui serpente, une vache vue de face, bipède, le
cou camelin, le mufle en reptation dans l'herbe. Et si Durand-
Ruel s'étonne de celte vache imprévue des photographes, le bon
vieillard Pissarro dira : « Mais ce n'est pas une vache, c'est yn
ornement », Certes, en peintre probe, qui connaît ses devoirs, il
ne lâche à faire que des « ornements », et il peut décliner toute
responsabilité quand, d'aventure, un de ses tableaux restitue un
Univers virginal et, pour une minute, infuse aux contemporains
de la Môme Cataplasme une ûmede primitifs. C'est ce M. Pissaro-
là, le très récent, qu'il faut qu'on célèbre : enfin maître' des
formes, il les investit d'une atmosphère à jamais translucide,
puis éternise, en l'hiératisme souriant et souple qu'il inaugure,
leur enirelac exalté. F.
Petite chroj^jque
PETIT THÉÂTRE DES MARIONNETTES
La Légende de sainte Cécile.
{Correspondance particulière de l'Art Moderne.)
M. Maurice Boucher, le poète applaudi de Tobie et de Noël,
vient de faire représenter au petit Théâtre des Marionnettes de la
galerie Vivienne une nouvelle pièce en trois actes et en vers, La
Légende de sainte Cécile. M. Ernest Chausson, qui avait déjà
composé la musique de scène de la Tempête, jouée l'année der-
nière au concert des XX, a écrit pour la Légende de sainte
Cécile une partition charmante. Nous voulons surtout citer un
prélude en mi majeur, où est exposée la phrase si pénétrante et si
douce qui caractérise sainte Cécile; un trio de voix d'anges :
« Entends nos voix, Valérien ». Le cantique de sainte Cécile à la
Vierge, si virginal dans sa simplicité un peu voulue mais tou-
chante avec son prélude de violoncelle solo, où :
Cécile dont les mains restent libres d'entraves,
Caresse de l'archet la viole aurons graves.
J'aime moins le prélude du troisième acte, mais l'impression
dure peu car il conclut sur le retour de la phrase de Cécile. La
pièce la plus importante de l'œuvre est la scène finale accompa-
gnant l'Assomption de sainte Cécile dans un délicieux décor de
M. Lerolle.
Nous ne saurions rendre l'harmonieux ensemble de cette appa-
rition où aux violons, harpe et célesta viennent se joindre les
voix de Cécile et des anges.
Cette nouvelle œuvre de M. Chausson est vraiment digne de
l'auteur de Viviane, de la Tempêteei de la remarquable 6'ymp/tonie
exécutée l'an dernier à la Société nationale.
La partition de Sainte-Cécile a paru chez l'éditeur Maquet
(ancienne maison Brandus).
Le premier concert d'œuvres modernes organisé par les XX
aura lieu jeudi prochain, à 2 heures, dans la grande salle de leur
exposition. On y entendra, en première audition, le Concertopour
piano et orchestre do Rimsky-Korsakoff sous la direction de
M. G. Guidé (soliste : M. Litta); un fragment de V Aiidromède de
G. Lekeu pour soprano et orchestre d'instruments à cordes, sous
la direction de l'auteur (soliste : M"* J. De Haenc); VElégie, pour
violoncelle, de Glazounow (soliste : M. H. Gillei); la Mer,
esquisses symphoniques en deux parties, de P. Gilson, d'après un
poème d'E. Levis (les vers seront dits par M. Ë. Garuier; pia-
nistes : M"^ S. Smit, M. De Bocck), et un chœur pour voix de
femmes, avec soprano solo, écrit par F. Servais sur la poésie
ossianique d'Alfred de Musset : Pâle étoile du soir... (soliste :
M"» J. De Haene).
L'entrée aux matinées musicales et littéraires des lAT.Y reste
fixée a 2 francs.
Le prochain concert du Conservatoire est fixé au dimanche
6 mars. On y exécutera YArmide de Gluck avec M™"deNuovina,
M. Lafarge, etc. Acheminement, peut-être, vers une exécution
intégrale sur la scène de la Monnaie? Espérons-le.
C'est le samedi 27 février que sera exécutée, à Louvain, sous la
direction de l'auteur, par l'orchesire et les chœurs de l'École de
musique, l'oratorio historique Jacqueline de Bavière de M. Jean
Van den Eeden. Les études de cette œuvre marchent bon train et
tout promet une fort belle interprétation.
La nouvelle revue fondée par nos confrères F. Roussel, R. Nysl
et M. Donnay, le Mouvement littéraire, a paru la semaine passée.
Huit pages de texte, format de l'Art Moderne, proses et vers.
Excellent numéro de début, plein de promesses. Au sommaire :
des lettres de MM. Edmond Picard et Maurice Barrés, une poésie
de M. Emile Verhaeren, un fragment def roman de M. Camille
Lemonnier, des vers de MM. Vielé-Griffin, J.^Lemaltre, de Oliveira-
Soarès, etc. Mais pourquoi, citant l'Art moderne, la Jeune
Belgique et la Revue de^Belgique parmi les publications qui ont
propagé dans notre pays l'amour des lettres, notre jeune consœur
oublie-t-elle de mentionner Ui Société nouvelle, la Wallonie et
aussi la Revue générale, ses aînées, dont l'influence a été consi-
dérable? Il y a là une omission injuste que nous nous permettons
de lui signaler.
Partout les réformes des biblioihèques publiques sont à l'ordre
du jour. Voici la Bibliothèque nationale de Paris pour laquelle le
gouvernement français vient de décider une dépense de six mil-
lions. Et qu'on veuille le remarquer, cette somme énorme est uni-
quement destinée à augmenter les services rendus aux travailleurs.
La Bibliothèque va être agrandie, la salle de lecture transférée au
centre même de l'immense bâtiment, de telle sorte que les livres
pourront être fournis, dans le moins de temps possible. D'autre
part, l'éclairage électrique de la salle de lecture a été décidé.
Depuis longtemps cet éclairage existe II la Bibliothèque du Bri-
lish Muséum à Londres.
Cours supérieurs pour bames. — 15 février, à 2 heures,
M. H. Pergameni : Les races et population du Turkestan; k
3 heures, M. et M™» A. Chaplin : Thakeray. — 16 février, à
2 heures, M. E. Verhaeren : Préraphaélitisme anglais. —
17 février, à 2 heures, M. H. Pergameni: Le règne de CatherinelL
— 18 février, à 2 heures, M. II. Lonchay : Joseph JI; à 3 heures,
M"« J. ToRDEUS ; Diction, lecture.
A partir de cette semaine, les dames peuvent s'inscrire pour
le demi-cours.
Les dernières livraisons parues de la Kunstkroniek, journal
d'art publié par M. Sijthof à Leyde, contiennent quelques belles
planches, en phototypie, d'après des tableaux de MM. J. Janssen,
W. Verschuur, A.-M. Gorters, H. Van Melle, Mesdag, E.-J. Boks,
A. Van den Berg, P.-J.-C. Gabriel et des reproductions d'œuvres
de M™« H. Ronner.
x^^j^TtrD :M:oiDEi?/3srE
DOUZIÈME ANNEE
L'ART MODERNE s'est acquis par l'autorité et l'indépondance de sa critique, par la variété de ses
informations et les soins donnés à sa rédaction une place prépondérante. Aucune manifestation de l'Art ne
lui est étrangère : il s'occupe de littérature, de peinture, de sculpture, de gravure, de musique,
d'architecture, etc. Consacré principalement au mouvement artistique belge, il renseigne néanmoins ses
lecteurs sur tous les événements artistiques de l'étranger qu'il importe de connaître.
Chaque numéro de L'ART MODERNE s'ouvre par une étude approfondie sur une question artistique
ou littéraire dont l'événement de la semaine fournit l'actualité. Les expositions, les livres nouveaux, les
premières représentations d'œuvres dramatiques ou musicales, les conférences littéraires, les concerts, les
ventes d'objets d'art, font tous les dimanches l'objet de chroniques détaillées.
L'ART MODERNE relate aussi la législation et la jurisprudence artistiques. Il rend compte des
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artistes trouvent toutes les semaines dans son Mémento la nomenclature complète des expositions et
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Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 21 Février 1892.
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Comité de rédaction . Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
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Adresser toutes les communications à
l'administration générale de l'Art Moderne, rue de Tlndustrie, 32, Bruxelles.
^OMMAIRE
Salon des XX. Conférence de M. Georges Lecomte (suite). —
Le banquet a M"'= Beernaert. — Théâtre Libre. — Aux XX.
Premier concet^t. — Exposition de M. Melchers. — Exposition de
MM. Franck, Dardenne et Samuel au Cercle artistique —
Conférence de M. Emile Sigogne. — Mémento des expositions. —
Petite chronique.
Salon des XX
CONFÉRENCE DE M. GEORGES LECOMTE (1).
Des tendances de la peinture moderne.
Il serait aisé de choisir des exemples dans les
cycles de l'art périmé. Mais je ne veux point mésuser,
pour des recherches historiques, de la si gracieuse
attention que vous voulez bien m'accorder. Toutefois,
si vous consentez à ce que nous remontions à Delacroix,
si proche de nous par les tendances et dont l'œuvre con-
tient en germé les innovations et les recherches des
écoles contemporaines, nous pouvons constater que ses
toiles les plus unanimement appréciées sont conçues et
les leit-motivs ordonnés suivant une arabesque d'une
rare beauté ornementale. Toutes- les lignes secondaires
participent harmonieusement à ce rythme central. Les
(1) Suite. — Voir notre dernier numéro.
accords de tons, magnifiquement associés en valeurs
très justes, .complètent l'ornementation par les lignes.
La tonalité est une, mais la ligne est une aussi. Elle a sa
signification et sa beauté propres qui émeuvent en
dehors du caractère et de la vérité descriptive Tout
œil un peu éduqué dégage aisément des compositions
du maître l'arabesque primordiale qui est comme l'oâsa-
ture de l'œuvre. Est-ce par pur instinct ou intention-
nellement, par une réflexion consciente, que Delacroix
répartissait ainsi son décor, ses personnages et réglait
leur gesticulation selon ce thème central ? Si l'on admet
que le simple instinct le guidait, il faut reconnaître que
cet instinct-là, seuls les grands peintres l'ont manifesté
et qu'un tel instinct est le génie.
Le souci de l'ornementation par les lignes est tout
aussi évident chez Corot. Mais contrairement à Dela-
croix, qui concevait chacune de ses toiles suivant une
délinéation initiale particulière, Corot ne renouvelle
pas pour chaque tableau le dessin de l'arabesque primi-
tive. Cette arabesque revêt deux ou trois formes, à peu
près invariables, qui sont dans la tradition manifeste de
Claude Lorrain. C'est surtout par des accords de cou-
leurs que Corot réalise ses harmonies : Deux ou trois
valeurs, très justes, exquisément rapprochées et douces,
largement synthétiques, font du tableau, indépendam-
ment de sa signification idéale ou réelle, une délicieuse
décoration.
58
VART MODERNE
Il ne faut donc point s'étonner que les maîtres d'à
présent, éduqués à cette double influence, aient visé à
des interprétations ornementales des aspects de la
nature.
Les peintres du plein air qu'on est convenu d'appeler
« impressionnistes », cherchèrent la beauté décorative
d'abord uniquement par les accords de tons, rigoureu-
sement mis en valeur dans la lumière. Et cette préoc-
cupation exclusive apparaît très rationnelle, si l'on
songe que ces peintres s'inquiétaient avant tout d'épan-
dre en leurs toiles des clartés plus radieuses et de
rendre, en son intensité harmonique, la magnificence des
colorations naturelles. Ce qui surtout les avait séduits
da^s l'œuvre de Delacroix, c'était la science du coloris,
l'imprévu de certaines répartitions de tons pour réaliser
des colorations plus vives et de plus significatives har-
monies totales. A la vérité, leur souci de décoration
par la couleur était, au début, bien instinctif. Ils cher-
chaient surtout à rendre dans leur vérité et leur carac-
tère lès sites, les atmosphères, les enveloppements de
clartés. Et c'est parce qu'ils se rapprochaient davantage
des authentiques colorations naturelles que leurs études
acquirent une beauté décorative. Plus tard seulement,
quand ils constatèrent le résultat atteint à force de fidélité
dans le rendu du naturel décor, ils songèrent à ordonner
la répartition de leurs couleurs non seulement en vue
de l'exacte description de l'efiTet, dans des luminosités
suflSsantes, mais aussi en vue des harmonies totales.
'Encore ne modifi^aient-ils point aussi délibérément
qu'aujourd'hui les aspects extérieurs des choses, n'éla-
guaient-ils point, par un travail d'élimination synthé-
tique, le superflu et le momentané. Le site naturel était
loin d'être le leit-motiv essentiel, prétexte à l'interpré-
tation décorative. Simplement, entre vingt aspects de
la nature, ils élisaient, pour en traduire la physionomie,
celui que leur œil de peintre voyait tout ensemble
significatif et harmonieux. Mais ils ne cessent de tra-
vailler en face de la nature et sont encore trop sous son
influence immédiate pour en déformer les indications,
afin d'accroître le sens et la beauté ornementale de
l'œuvre.
Peu à peu, ils s'abstrayent de la réalité. Ils s'en
inspirent toujours scrupuleusement, mais sur les don-
nées exactes qu'ils en recueillent, ils édifient des com-
positions belles tout à la fois par le caractère et par la
décoration : ils assemblent des lignes, règlent des
gesticulations, accordent la direction des mouvements
dn sol avec celle des attitudes de l'être humain qui s'y
agite; ils composent, loin de la nature, pour réaliser
une harmonie totale. En même temps que le dessin
devient plus large, plus sommaire et plus caracté-
ristique, la couleur tend à se simplifier. Le relatif du
trait et du ton disparaît. Le peintre qui, le premier, avec
M. Cézanne, s'émancipa d'une trop stricte communion
avec, la nature, notre maître et notre ami, M. Camille
Pissarro, envers lequel Paris vient enfin d'être juste et
envers lequel, depuis longtemps, votre antique cité d'art
l'avait été, fit voguer dans ses ciels limpides des nuages
gracieusement arabesques, compléta par l'incurvation
de la croupe des bêtes ou par l'inflexion du dos de ses
paysannes la courbe décrite par le tronc d'un^arbre,
associa aux ondulations du sol les jolies volutes
des ramures et des frondaisons. M. Renoir, conquis par
la beauté linéaire et le modelé de l'anatomie humaine,
ordonne les attitudes, les gestes du corps et les mobi-
lités de la physionomie selon un ensemble très savam-
ment décoratif. Enfin, le vigoui-eux talent de M. Claude
Monet qui, plus longtemps, se borna, mais avec quelle
puissance d'évocation ! à rendre en leur intensité
fugace les rapides effets naturels, semble de plus en
plus abstraire des complexes apparences le caractère
durable des choses, en accentuer, par un rendu plus
synthétique et plus réfléchi, la signification et la beauté
décorative.
C'est surtout M. Cézanne qui fut l'un des premiers
annonciateurs des tendances nouvelles et dont l'effort
exerça une influence notable sur l'évolution impression-
niste : son métier sobre, ses synthèses et ses simplifica-
tions de couleurs si surprenantes à une époque où l'on
était particulièrement épris de réalité et d'analyse, ses
valeurs très rapprochées, très douces, dont le jeu savant
crée de si subtiles et impeccables harmonies, contiennent
et révèlent tout le mouvement contemporain; elles
furent pour tous un profitable enseignement.
{La fin prochainement.)
LE BANQUET A M"' BEERNAERT
Le banquel offert à M"» Beernaert, à l'occasion de sa promolion
au grade d'officier de l'ordre de Léopold, a en lieu lundi dans la
salle des fêtes de Thôlel Mengelle. Très nombreux habits noirs
émaillés (charmante surprise) des toilettes d'un grand nombre de
peinlresses.
La présidence avait été dévolue à M. Slingeneyer, qui doit à sa
parfaite affabilité, à son inépuisable obligeance, au tact cordial
avec lequel il accepte son rôle d'artiste arrivé qui fait place à
ceux qui lui succèdent, d'être admis chaque jour davantage
comme le doyen honoré de l'art belge. Ses judicieux discours à'ia
Chambre, dont nous avons à diverses reprises loué le bon sens et
l'élévation, ont largement contribué à cette position très enviable et
lui ont conquis de vives sympathies dans tous les clans artistiques.
C'est lui qui, dès le début du banquet, aux huîtres, a pris la
parole pour rendre hommage à M"^ Beernaert, Voici en substance
les pensées qu'il a exprimées et la réponse de l'artiste qu'on
fêtait :
« C'est pouf moi un ^rand honneur, Mademoiselle, d'avoir
reçu la mission de vous exprimer les sentiments de ces artistes,
de ces amis, de ces admirateurs de votre vie si simple, si labo-
LART MODERNE
59
rieuse et par cela môme si noble, consacrée par la haute faveur
dont Sa Majesté le Roi vous a si justement gratifiée.
« Je. ne saurai le faire qu'imparfaitement : un peintre peut
avouer qu'il se sent plus de cœur que d'éloquence. Certes l'art
est danâ tout, même dans les choses en apparence les plus insi-
gnifiantes: un simple ruban jeté sur l'herbe chante l'amour; mais
encore faut-il le métier : vous daignerez accueillir mes brèves et
sincères paroles moins pour ce qu'elles valent que pour ce
qu'elles veulent dire.
« C'est la Femme et l'Artiste que nous honorons en vous. Ces
deux beaux titres qui résument de si aimables qualités et de si
grands devoirs, vous les avez portés sans faiblir. On le disait
récemment dans une forme heureuse : Vous vous êtes consacrée
à l'Art comme d'autres femmes se consacrent h Dieu. L'isole-
ment, les sacrifices, le dédain des mesquines jouissances que
l'art impose k ses fidèles, vous les avez acceptés fièrement et sans
discuter. Vous vous êtes, en quelque sorte, cloîtrée dans le but
élevé que vous aviez choisi ; c'est là que vous avez fait votre
entrée dans le monde et recherché vos succès. Vous n'avez pas
voulu d'autre union que l'union mystique de l'art, d'autre famille
que celle des artistes, d'autre descendance que vos œuvres.
a Pour cette famille artistique, à laquelle appartiennent tous
ceux qui sont ici, vous avez été la plus fraternelle des sœurs,
douce, aimable, encourageante, exprimant là aussi votre ûme
féminine imprégnée de Bonté et de Charité. Ce n'est pas seule-
ment le peintre de talent que ndus voyons en vous, c'est l'twcel-
lenle camarade, l'amie dévouée, et ces titres de tendresse vous
sont, j'en suis siir, aussi précieuxque vos titres de gloire. (^pp/aM-
dissements prolongés.)
« Vous n'avez qu'un défaut, bien involontaire : Vous êtes la
sœ,ur d'un ministre! ce qui vous fait presque un personnage offi-
ciel. On est gêné alors pour vous faire des compliments, quelque
vrais et sincères qu'ils soient. La fierté, et la fierté la plus ombra-
i^euse, fait partie du patrimoine de l'arlisle et le rend hésitant dès
qu'il peut être soupçonné de faire sa cour aux puissances. Acceptez
cet inconvénient de ce que vous êtes et mettez sur le compte de la
timidité qu'il me cause, ce que pourrait avoir d'insuffisant l'hom-
mage que je viens de vous rendre. » {Longues acclamations et
vivais.)
En proie à une visible émotion. M"» Beernaerl a répondu aus-
sitôt qu'a été apaisée l'ovation très eniraînanle qu'on lui faisait.
« Monsieur le Président, le cœur, yous venez de le montrer,
donne plus d'éloquence que toute la rhétorique. Je compte, moi
aussi, sur cette grâce d'état pour répondre, ainsi qu'il convient, à
tant de galanterie et à tant d'indulgence.
(i Je suis et j'ai toujours été très heureuse d'être artiste. Les
joies et les biens que j'ai sacrifiés ont été largement compensés
par les belles et profondes jouissances de l'Art. Qui oserait dire
que j'ai perdu au change? Qui affirmera que la réalité vaut mieux
que l'idéal? Il y a ici d'autres femmes qui ont fait le même che-
min que moi, qui sont épouses de l'Art et mères de leurs œuvres;
je suis certaine que si elles avaient à recommencer leur vie,
comme moi elles ne changeraient rien à la voie qu'elles ont
suivie. Un couvent, tant que vous voudrez, mais un couvent im-
mense et où voltigent les choses sublimes. Heureuses celles qui
y prononcent leurs vœux.
a Merci pour ce qu'il vous a plu dire de la gloire que j'au-
rais acquise. Vous avez montré, en me parlant ainsi, que la bonté
des hommes sait égaler la bonté féminine.
« Mais merci surtout pour ce que vous avez dit de mon cœur.
C'est en cela que vous avez louché ce qu'il y a de plus sensible
en moi. On craint toujours, dans cette vie contemporaine de que-
relles et de combats, n'avoir pas assez montré qu'au fond ce qui
domine, c'est la tendresse et la fraternité. On craint d'apparaître
sèche et empreinte de morgue, alors qu'on désire obstinément,
quand on est femme, être universellement tenue pour aimable.
Vous venez de me donner mon brevet d'officier à cet égard; il
m'est aussi précieux que l'autre. {Applaudissements.)
« Quant à la sœur du ministre, oublions cette officielle per-
sonne. En quoi pourrait-elle vous servir et qu'espèrc-t-on d'elle?
Qu'elle recommande pour qu'on ait des commandes? Ah ! chassons
ces dessous misérables qui corrompent, dès qu'on y pense, les
plus belles manifestations. L'artiste, plus que jamais, doit être très
fier, très désintéressé, ne pensant qu'à son art, résolu à faire, dans
une indépendance absolue, tout ce qu'il pense. Une préoccupation
d'argent, une préoccupation de plaire est une entrave, et l'art
entravé n'est plus l'art, comme un roi enchaîné n'est plus un roi.
Aussi veux-je une fois pour toutes vous tranquilliser sur ces scru-
pules et faire taire c<^ux qui pensent que lorsqu'on me fête on
place des capitaux à intérêt, comme l'écrivait l'auteur de la lettre
à laquelle noire cher président empruntait tantôt une autre
parole. J'atteste que désormais aucun de ceux qui sont ici ne
pourra compter sur mon intervention pour n'importe quelle
démarche, pour n'importe quelle faveur. Désormais pour ceux-là
ma porte est fermée et mes oreilles aussi. Cet engagement d'hon-
neur est digne de vous tous, comme je le crois digne de moi, car
il restitue à cette réunion la pureté et la noblesse d'intention sans
lesquelles elle mériterait le nom de courtisanerie qui a été pro-
noncé ailleurs à son sujet. » {Rumeurs en sens divers, bientôt
couvertes par des applaudissements frénétiques.)
En résumé, grâce à ces déclarations si cordiales et si fières, ce
banquet qui avait fait surgir des suspicions, apparaît comme une
très décisive manifestation artistique, et nous en félicitons sans
réserve les deux personnalités qui ont su, grâce à leur magnanime
à-propos, lui donner celte grande allure.
La presse est restée muette sur l'événement. C'est bizarre ce
silence chaque fois que la force immanente des choses contrarie
les tendances ou les espoirs de certaines gens. Nous voudrions
pourtant être édifiés un jour ou l'autre sur le point de savoir si
nos journaux ne sont plus que des instruments au service des
intérêts plus ou moins avouables de certains groupes où seuls les
plus étroits intérêts personnels comptent encore.
THEATRE LIBRE
{Correspondance particulière de l'Art moderne;)
1. Blanchette, trois actes, en prose, de M. Eugène Brieux.
On a ft^ousseté la collection des documents « vie paysanne ».
On a extirpé du phonographe ihéâtral les tirades, connues, sur la
prostitution et sur les dangers d'une éducation illogique. La col-
lection étant en bon état, à peine quelques étiquettes décollées,
et le phonographe, un peu bègue peut-être, un peu nasillard,
fonctionnait bien.
2. L'Envers d'une Sainte, trois actes, en prose,
de M. François de Curel.
Jadis un certain Henri Laval, que mille promesses liaient à
Julie Renaudin, a épousé Jeanne. Sept mois après le mariage,
celle Jeanne est victime d'un accident provoqué par Julie, d'un
accident qui ne la tue pas, mais hâte son accouchement : et
Julie prend le voile. Depuis dix-neuf ans elle est au Sacré-Cœur
de Rennes quand Laval meurt. Elle obtient la résiliation de ses
voeux, reparaît dans la vie et la pièce commence.
Julie est entrée au cloître sans vocation. Elle y a gardé le sou-
venir de son amour d'adolescence, en le cultivant de prières; elle
est restée impénétrable à toute nouvelle notion, encore que sa
piété fût presque célèbre. Sous l'influence d'un événement quel-
conque qui la désengourdisse, la Julie d'aujourd'hui se montrera
telle que la Julie d'alors.
Henri l'avail-il oubliée? a-l-il parlé d'elle avant demourrir?
cela elle voudrait le savoir. Et voici que Jeanne, la veuve de
Laval, et Christine, leur fille, lui vouent une amitié ardente. Elle
veut les éloigner: elle a pris au cloître le goût de la solitude,
elle désire mener dans le siècle une vie conventuelle, et, d'ailleurs,
sien la croit bonne, on se trompe. Mais ces arguments ne rebutent
pas les deux femmes, et bientôt Jeanne va répondre à ses ques-
tions tantôt violentes et tantôt insidieuses, et lui faire des confi-
dences.
JULIE
... Ainsi, votre union n'a pas été troublée un seul jour ?
JEANNE
Presque pas... Un peu, cependant, et si vous saviez par quil C'est
une confidence étrange à faire... justement à vous... Mais n'est-ce pas
donner la plus belle marque d'estime qui soit en mon pouvoir que de
vous traiter en personne supérieure à nos passions... en femme qui
n'a jamais connu Henri.
JULIE
C'est cela!... je vous le demande en grâce... Les années de cloître
ont complètement nivelé mon âme...
JEANNE
Je vous avouerai donc qu'à un certain moment votre image est
venue se placer entre Henri et moi... C'était vers l'époque de la pre-
mière communion de Christine... Mon mari n'était plus le même...
Il songeait à vous, j'en ai eu la preuve...
JULIE.
Je ne crois guère aux affections qui ressuscitent.
JEANNE
Moi, non plus, parce qu'une véritable affection ne semble jamais
éteinte... Jugez sij'.étais inquiète... La froideur d'Henri s'accentuait
de jour en jour... Tout de suite, j'ai soupçonné qu'il pensait encore à
vous... Mais ce n'était pas une certitude, car je le savais très contra-
rié de n'avoir pas de lils, et depuis mon... accident, il m'était impos-
sible d'espérer une nouvelle grossesse.
JULIE
Mon ouvrage !
Allez, c'est bien oublié.
y avoir de doute.
JEANNE
Rien qu'à ma façon d'en parler, il ne peut
JULIE
Puis-je oublier, moi, devant les conséquences?...
JEANNE
Soyez sans scrupule... S'il y avait des conséquences, vous m'avez
servi à les effacer...
JULIE
Ah?
JEANNE
J'ai fini par m'eipliquer avec Henri... Je lui ai dit que quelque
chose d'indéfinissable, mais de réel me peinait beaucoup dans sa façon
d'être et que je l'attribuais au regret de ne pas avoir de fils... lia
répondu avec bonté que je n'étais pas responsable d'un malheur...
Qu'à la suite d'une chute faite en me promenant avec v.ous, un accou-
chement prématuré m'avait condamnée à ne plus avoir d'enfants...
Cela ne l'empêchait pas de m'être très attaché. . Puis je l'entends
encore ajoutant avec un soupir : •< Vous devez être heureuse... S'il y a
une punition du ciel, qu'elle retombe sur moi ! « Moi qui savais ce
que cela signifiait, j'ai vu que vous étiez bien réellement entre nous,
et aussitôt ma résolution a été prise. J'ai tout raconté à Henri... N'ai-
je pas bien agi?... Je vous avais ten^u la main dès le premier instant,
sans l'ombre de ressentiment, mais avais-je le droit de sacrifier ma
dignité d'épouse? Non, n'est-ce pas?
JULIE
Non... je n'ai pas un reproche à vous adresser... Qu'a dit Henri?...
JEANNE
Rien... Un trouble profond qui a duré plusieurs jours... Puis il est
revenu à moi, et je n'ai plus cessé d'être une très heureuse femme.
Ainsi cette réclusion interminable, pendant quoi l'avait soutenue
l'idée qu'Henri conservait d'elle un souvenir pur, n'avait été que
duperie. Il avait dû la haïr, la maudire. Elle avait sacrifié imbé-
cilementsa jeunesse, sa beauté, son cœur, son intelligence; et
cette Jeanne lui révélait ces choses affreuses avec placidité.
Fanatiser Christine, rompre son mariage projeté, la faire entrer
au couvent, c'est-à-dire ruiner à jamais le bonheur de Jeanne,
ce plan de représailles doit réussir. Vainement Jeanne s'ingénie
à contrebalancer l'influence grandissante de Julie : c'est une
étrangère, et elle nous hait, et lu as plus de confiance en elle
qu'en ta mère qui t'aime, pourquoi? El Christine de raconter que
son père, agonisant, lui ordonna de devenir l'amie d'une femme
envers laquelle il avait eu des torts graves, d'une femme noble
et bonne, de Julie. Julie est à genoux : elle n'avait pas été
oubliée, pas été haïe ! Elle s'accuse, elle demande pardon, elle
rend Christine à sa mère et à son fiancé. Puis reste seule, prostrée.
On entre. Quelqu'un apporte du jardin un pelil oiseau. Julie
prend l'oiseau que la cage attend, l'écrase à plein poing cl le
jette dans la cheminée. Et, souriante, à sa famille ahurie : je
rentre au couvent.
Ce beau drame, nuancé, passionné, harmonieux et lent, eût
gagné à éliminer tous autres personnages que Julie, Jeanne et
Christine. Mais M. de Curel avait peur de n'être pas compris : il
a multiplié les explications, et Ja tante Noémie est une confidente
de tragédie. Il a crainl que sa pièce parût monotone, et c'est pour
ce seul motif que le fiancé de' Christine a quitté Paris. Ces lares
et aussi certains placages de notations de la vie dévote et pro-
vinciale, on sent bien que le public en est responsable plus que
l'auteur. F.
Aux XX
PREMIER CONCERT
Nous empruntons à la Réfwme le compte rendu fait par M. Ferdi-
nand Labarre du premier concert des,X^, notre collaborateur musi-
cal ayant pris une part trop directe à l'exécution pour en parler avec
toute l'impartialité qui convient.
Salle comble. Les auditions musicales des XX, comme la
peinture vingtiste, sont devenues une ailraction mondaine irré-
sistible. Tout le monde veut en être. D'ailleurs, le choix toujours
artistique des programmes justifie cet empressement. ♦■
Ce premier concert élall consacré àTa-udilion d'œuvres. belges
inédites, d'une élégie de Glazounow et du concerto pour piano de
Rimsky-Korsakoff, le ciief de l'école russe contemporaine depuis
la mort du grand Borodinc.
Le concerto a pu élre exécuté grâce à l'appoint précieux fourni
par un orchestre d'une quarantaine d'artistes choisis. Il est dédié
à la mémoire de F. Liszt, ce qui excuse les difficultés pianisliques
qui s'y rencontrent, et plaît par sa variété de tlièmes ayant leur
couleur et leur accent personnels et son orchestration extrêmement
fouillée.
La partie de piano était tenue par M. Lilta, qui a triomphé de
tous les obstacles, un peu nerveusement, mais avec une grande
correction.
L'orchestre était dirigé par M. Guidé.
Le fragment d'Andromède pour soprano, instruments à cordes
et piano, est l'œuvre d'un jeune compositeur belge, M. Lekeu,
dont le nom apparaît pour la première fois dans un concert à
Bruxelles.
M. Lekeu est un compositeur de talent, qui procède de la jeune
école française; son Andromède est bien écrite pour les instru-
ments et dramatique en plus d'un passage. Quelques restrictions
à faire, que l'on doit nécessairement mellre sur le compte de
l'inexpérience, mais qui ne diminuent en rien la valeur de l'ar-
liste; le fragment d'^Jidrom^de a semblé trop long et un peu
indécis. On dirait que l'auteur abandonne avec peine sa mélodie
qu'il a. menée à travers une série de modulations et qu'il conclut
comme à regret.
M'i^ De Haene chantait la partie de .soprano.
La Mer, esquisse symphonique inédite d'après une poésie de
M. E. Lévis, par M. P. Gilson, est d'aune écriture plus ferme, plus
décidée. M. Gilson est très maître de lui et son œuvre a une
saveur particulière que l'on n'a pu bien apprécier; une réduction
au piano, quelque bien faite qu'elle soit, ne réussissant jamais à
donner l'impression d'une composition aussi polyphonique.
L'exécution était confiée à M"" Smit et Parcus qui, malgré
leurs qualités, ont manqué d'autorité.
Les vers étaient dits par M. Garnier d'une façon au moins
bizarre : un étrange mélange de déclamation mi-conservatoire,
mi-café concert.
L'Elégie pour Violoncelle, de Glazounow, a été jouée avec
beaucoup d'expressiorF par M. Gillei, accompagné au piano par
M. Octave Mans, et le concert s'est terminé par l'exécution de
Pâle Etoile du Soir, poésie ossianique d'Alfred de Musset, mise
en musique pour soprano solo et chœur de voix de femmes, par
M. Servais.
L'œuvre inédite de M. F. Servais est d'un sentiment très pur et
très élevé, bien pensée et orchestrée avec beaucoup de distinc-
tion.
Les chœurs, dirigés par M. Maus, ont une sonorité charmante
et une grande fraîcheur, mais trop de timidité, ce qui est d'ail-
leurs inévitable chez des amateurs.
Le solo était chanté par M'" De Haene, à qui l'on eût souhaité
aussi un peu moins de réserve. Pianiste, M"» Smit.
Au prochain concert on entendra des fragtnenls du Chant de
la Cloche de Vincent d'indy.
EXPOSITION DE M. MELCHERS
AU CERCLE DES ARTS ET DE LA PRESSE
Très désertée, cette exposition, et bien mal éclairée dans une
mauvaise salle du Cercle, peu faite pour donner de la lumière à
des tableaux. L'impression est désagréable, doublement, car cette
exhibition est réellement très belle et il est triste, vraiment, de la
voir ainsi négligée.
M. Melcliers s'affirme un chercheur et un poète. Ah! qu'on est
loin, en ces toiles : Là-bas, Solitude, Promenade, Nocturne, des
habituels paysages que nous servent lès gAcheurs d'huile! Ce sont
des jardins de fée, avec des fleurs paradisiaques, des bocages de
mystère, qu'on devine gazouillant d'oiseaux étranges, et des
ruisseaux où des sylphides et des gais farfadets ont certainement
rafraîchi leurs petites ômes. Puis, des soirs étranges et morbides,
avec des serres qui miroitent dans des ténèbres chargées de l'ex-
halaison de plantes exotiques, des jets d'eau et des colonnades
qui surgissent dans la nuit tombante, des castels lointains, de
vagues sons d'angelus, et le long de ruisselels.des vcsprées chan-
tantes d'on ne sait quelle tentation d'amour : des décors, vrai-
ment, pour la Princesse Maleine. La Province est d'un sentiment
profond de petite ville hollandaise, avec trois petites maisons de
boutiquiers, et près de la lune qui monte, une tour d'église : un
décor, celui-ci, qu'on révérait â certains contes d'Hoffmann. Le
Blanc et j'owx montre une anglaise à bizarres cheveux roux qu'on
dirait cousine de celles de Willy Schlobach, et le Locus Veneris
est symbolique de quelles amours noires et de quelle passion
vénéneuse et sombre !
La Marée basse est d'un attrait bizarre avec la proue de la
barque noire qui masque, comme un grand fantôme, la mer et la
plage : sous elle tourne une ronde de petites Zélandaises, de
toutes petites Zélandaises, pareilles à des poupées chantantes,
trop petites, en comparaison de la grande barque, mais pour ce,
plus mystérieuses encore, petits lutins vivants et charmants d'un
coin baigné de mer du Nord, d'un coin de pécheurs, — avec une
sorte de spiritisme dans leur apparition tournante blanche et
noire — et qu'attrayantes !
London — une aquarelle fine et belle — montre des vendeuses
de fleurs londonniennes, les minables vendeuses, une plume
flétrie leur tombant du chapeau sur l'épaule, la figure hâve cl
tirée, blanches de misère, noires d'habillement. Elles sont vues
nerveusement, intensément, avec pénéirance cl croquées par
quelque jeune Rops de l'aquarelle.
Quelques délicats portraits, de savants dessins complètent celle
exposition très curieuse et très personnelle. C'est d'un poète et
d'un vrai coloriste. Et puis, voyez quel métier, solide et serré,
quelle science du dessin se trouvent auservice de cet esprit Ima-
ginatif et inventif!
Parmi les expositions particulières que Bruxelles verra cette
année, celle-ci aura été certainement une des plus belles, et
hélas! en a-t-on peu parlé! Le moindre étal au Cercle artistique
de quelques paquets de croûtes, déliait mille fois plus les langues
des amateurs et faisait trimer davantage les plumes des quo-
tidiens!
62
L'ART MODERNE
Exposition de MM. Franlc, Dardenne et Samuel,
au Cercle artistique.
Dans leurs paysages, MM. Frank et Dardenne se rcsseaiblenl
très fort. Ce sont les derniers fidèles de Tervueren, ce nom tant
évocateur de bois, de prairies et de ciel ! M. Dardenne a pourlant
souvent plus d'esprit et de légèreté ([ue M. Frank. Celui-ci est sec;
ses toiles ont soif d'air, les eaux de ses élangs sont épaisses et
lourdes. Parmi son envoi, /'"^r;7 est le plus vibrant; la Lisière
du parc est assez sonore; le Coin d'étang montre un bel effet d'or
d'automne ; le Printemps est assez délicat et la Rue à Vossemc?,\.
d'un cbarmant sentiment mélancoli([ue. Nous n'aimons guère les
vingt-deux autres tableaux.
Le Village de M. Dardenne est plus savoureux, et son Effet de
neige est curieux d'effet vert et blanc. Après la pluie montre des
qualités de coloriste, le Coin intime est très poétique et très senti
el d'une couleur (jui charme, et il y a beaucoup de légèreté et de
délicatesse dans le Printemps à Duijsbourg.
Dans ce salonnet, M. Samuel apporte l'élément sculptural. Le
bas-relief les Raisins est exécuté d'une patte chaude et savante.
.M. Samuel est d'ailleurs un sculpteur habile et connaissant toutes
les ressources du métier. Tout son envoi le prouve Le Prélude
est inspiré par les œuvreltes faites en ce genre par Julien Dillens,
( t les deux bustes, surtout celui de M""* S., sont réellement exé-
cutés avec goût et avec un profond sentiment delà vie des modèles.
Le buste de M""" S. est certainement la meilleure œuvre que
.M. Samuel ait exécutée jusqu'ici.
Conférence de M. Emile Sigogne.
Par la science el par la littérature, noire conception actuelle
du monde va changer.
Nous allons refaire notre histoire et l'antiquité apparaîtra tout
autre. L'idée d'une vaste synthèse embrassant toutes les sciences
et tous les arts, s'affirme et s'impose. Nous allons empiéter fran-
chement sui" le domaine de l'invisible ; étendre les frontières de
l'intelligible jusque dans le mystère. Nous ferons cette immense
besogne à travers beaucoup d'erreurs, mais nous la ferons.
il y a dans les souches sociales une sourde fermentation. A
ces lâlonnements, à ces efforts vers un art nouveau, qui n'est
peut-être que la résurrection d'un art très ancien, auquel vous
assistez, correspondent de mêmes lâtonnemenlsel de mêmes efforts
dans le domaine scientifique. Une lente el sûre évolution se fait.
Derrière ce monde qui s'amuse, qui a l'air de prendre tant de
place elqui, en réalité, compte si peu, le monde intellectuel tra-
vaille et la pensée monte et prendra sa place au grand soleil. Fin
de siècle, dil-on, fin de beaucoup de choses, sans doute, fin d'er-
reurs, qui vont disparaître et accroissement de vie el de lumière.
Oui, l'heure actuelle est trouble, agitée et chaotique parce qu'elle
est un enfantement.
L'humanité sent un monde nouveau en ses flancs tressaillir.
Ceux qui souffrent crient, ceux qui travaillent espèrent, ceux
qui pensenl se préparent. Toutes les forces de la vie sont utilisées,
l'an et la science. L'arl lui-même, cru aristocratique par excel-
lence, va au peuple, dans lequel se forme une nouvelle sélection
qui dominera l'avenir. Prenez garde, vous qui êtes ce qu'on
njmme « des dirigeants », si vous voulez garder la suprématie
de la richesse, efforcez-vous de garder la suprématie du savoir.
L'avenir ne sera ni au plus fort, ni au plus rusé, ni au plus
riche : il sera au plus savant el toutes ces vieilles frfîTîies qui
tombent, tous ces lambeaux qu'on déchire, parce que l'humanité
se renouvelle en de perpétuels rajeunissements, vous fonl crier :
Décadence. Oui, décadence, en effet, parce que vous regardez en
arrière, mais regardez devant vous, c'est une aurore!
Mémento des Expositions
Amiens. — Exposition des Amis des Arts, W juin-!;) juillet.
Délai d'envoi : \() mai (nnticcs \" mai). Hcnscignemcnis : M. le
Président de In Société des Amis des Arts, Musée de Picardie,
Amiens.
Cordeaux. — XL*^ ex|#)sition de la Société des A)nis des Arts.
7 mars. -- Renseignemcnis : E.-H. Brown, secrétaire.
Chicago. — Section des Beaux-Arts de l'Exposition universelle.
{"" mai-30 octobre 189;-{ (voir l'Art moderne du 1 1 octobre 1891).
Liège. — Exposition des I3eaux-Arls. i'^' mai-13 juin. Délais
d'envoi : notices, 13 mars; œuvres, 26 mars-8 avril. — Uen-
seiguements : M. de Mnthelin, secrétaire.
.Madrid. — Exposition historique européenne. l'2 septembre-
31 décembre. (Sculptures sur pierre, sur bois, sur métal et
sur ivoire; — Tableaux peints à l'huile, à la gouache et î> la
détrempe sur toute matière; — Miniatures; — Dessins; — Gra-
vui'es; — Mosaïques; — Pièces d'orfèvrerie, de joaillerie el de
toute sorte de métaux; — Panoplies; — Vêtements de toute
nature; — Tapis, tapisseries et étoffes; — Reliures artisti(|ues;
— Manuscrits rares; — Mobilier; — Céramique; — Verrerie; —
Carrosserie; — Matériel des arts cl métiers). — Délais d'envoi :
\"-'ÀQ avril. — Renseignements : Comte de Casa Miranda,
sous-secrétaire d'Etat à In présidence du Conseil des ministres,
Mndrid.
Munich. — Exposition internationale des Beaux-Arts. 1'''' juin-
fin octobre. Délais d'envoi: notices, \i^ mai; œijvres, l'-''-20 mai.
Renseignements : M. Ch.A.Baur, secrétaire du Comité central.
— Envoi collectif par M. W. de Haas et C'«.
Nantes. — Société des Amis des Arts. i''-31 mars 1892.
Délai expiré. — Renseignements : M. John Flornoy, secrétaire-
général, place du Commerce, 12, Nantes.
Paris. — Salon de 1892 (Champs-Elysées), 1" mai-30 juin.
Délais d'envoi : peinture, li-20 mars; dessins, aquarelles, jiastels,
miniatures, porcelaines, émaux, carions de vitraux, 14-16 mars;
sculpture, 31 mars-5 avril ; gravure el lithographie, 2-o avril ;
architecture, 2-6 avril. — Renseignements : M. F. de VuHlefroij,
secrétaire, palais de l'Industrie, Champs-Elysées.
— Société nationule des Beaux-Arts (Salon du Champ de
Mars). 7 mai-30 juin. Envois : peinture, gravure, 20-25 mars;
sculpture, lS-18 avril.
— 8" exposition des Artistes indépendants, (l'avillon de la
Ville de Paris.) Ouverture : 19 mars. Envoi : 6, 7, 8 mars (maxi-
nmm : 10 œuvres par exposant).
— Exposition de Blanc et Noir, l»^'' avril-lo juin. Dépôt :
l-.T mars. — Rens.-ignements : M. Bernnrd, directeur.
^ — Salon de l'Association de l'Ordre du Temple de la Rose f
Croix (Galeries Durand-Ruel), 10 mars. — Renseignemenls :
AL Joséphin Péladan, rue Pigalle, 24, ou comte Antoine de
la Rochefoucauld, rue d'Offémont, 19.
Toulouse. — VHP exposition de {'Union artistique. 15 mars.
Délai : 22 février. —Renseignements : M. O.Merson, boulevard
Saint- Michel, 117, Paris.
fETlTE CHROf^IQUE
Correspondance.— A Messieurs N. O.S. L. Ecieurs, llbique.—
Nous regrettons de n'avoir pu vous donner le texte oflicielf Mais
qu'importe? Si cela n'a pas été dit, cela aurait dû rétrc. C'est
Pascal qui a fait observer que, dans la mémoire des hommes, ce
qui eût dû arriver est jilus vrai que ce qui est arrivé.
■ n,^r-,r..f
i:art moderne
63
Sai.on des XX. — Nous nuirons tr^s parliculiôromcnl l'altenlion
dos visiioiirs do l'Exposilion dos XX, sur la bollo œuvre do
Constantin Meuniku : Le Retour de rEvfnut prodigue. De peliie
ditiionsion, elle pourrait passor iniipcrçuc, l'œil allant plus faci-
lement aux vives couleurs des tableaux, qu'à la simplicité des
sculptures. Cotte nouvelle cx|)rossion do tendresse douloureuse,
de joie après les humaines et quotidiennes misères, est une des
plus poignantes et des plus artistiques qui soient sorties du cœur
iort et souffrant do notre compalrioie.
Parmi les jeunes, Georges Minne, avec son admirable dessin,
si profond, si achevé, si fantasii(iuemenl mélancolique, rend à
son tour ce côté touchant et déchiré de nosûmes.
Le deuxième concert d'œuvres modernes organisé par les XX
dans les locaux de leur exposition aura lieu mardi prochain,
23 courant, b 2 heures. On y entendra notamment le deuxième
tableau du Clia}il de la Cloche (orchestre et soli) de M. Vincent
d'Indy, sous la direction de l'auieur; \e Quatuor d'A. de Castil-
lon inierprélé par MM. V. d'Indy, E. Ysaye, Van Hout et Jacob,
des chœurs inédits de C. Franck et de L. de Serres, les Paysages
tristes de Paul Verlaine, mis en musique par Ch. Bordes, etc.;
toutes œuvres exécutées pour la première fois à Bruxelles.
Les chanteurs solistes sont M""" Flon-Bolman el M. Cheyrâl.
Samedi prochain, 27 courant, à 2 heures, matinée littéraire;
lecture de pièces inédiles de M. Camim,e Lemonnier par
M""" Rolland, rexcellentc interprète de Germaine dans Un Mâle.
M. Vincent d'Indy, qui est en ce moment h Bruxelles pour
surveiller les répétitions d'orchestre du fragment du Chant de la
cloche qui sera exécuté mardi prochain au Salon des XX, vient
de diriger sucCossivemunt des festivals de ses œuvres à Nantes, à
Angers, au Havre, etc. Partout il a été accueilli avec un chaleu-
reux enthousiasme.
Les Flaireurs à Paris (Théâtre d'Art). — M. Charles Van
Lerberghe, nous affirme un spectateur, a obtenu au Théâtre d'Art
un grand succès, lors de la représentation des Flaireurs.
Le drame Faust, par Marlowe, venait de finir. Il était deux
heures du malin. Le public était houleux et fatigué. C'est en de
telles mauvaises conditions que le rideau se leva. Il s'est abaissé
sur des bravos unanimes.
Au reste, le très froid et glacial Journal des Débats constate
lui-même la victoire, que ne ternissent en rien les radotages d'un
quelconque Fôuquier en des articles incompréhensifs et hostiles.
La Mer de P. Gilson, dont les deux premiers tableaux ont été
applaudis jeudi aux X^, sera exécutée intégralement à l'orchestre
au prochain Concert populaire, fixé au 20 mars. Au programme de
ce concert figurera également le Camp de Wallenstein de Vincent
d'Indy.
Quatre jeunes artistes, MM. Crickboom et Kefer, violonistes, Sar-
toni, altiste, et Gillet, violoncelliste, répondant à un désir de
beaucoup de dileltanli bruxellois, ont résolu de donnerdes séances
de quatuor en faisant connaître la musique classique des maîtres
tels que Schumann, Beethoven, Mozart, Schubert, etc. La musique
moderne tiendra aussi une place importante dans leurs pro-
grammes.
La première séance aura lieu samedi prochain, 27 février, à la
Oalerie moderne. On y enlendra le Quintotle de C. Franck, un
quatuor de Mozart, V Adagio appassionata de Max Bruch et la
Fée d'amour de Raff, pour violon. M. Jean Sauvage, qui interpré-
tera la partie de piano du Quintette de Franck, jouera en outre
une Polonaise de Chopin el VAllegro de la sonate en sol mineur
de Schumann.
Cette séance, on le voit, présentera un réel intérêt artistique.
Le violoniste Laonreux donnera un cQnccrt le jeudi 3 mars avec
le concours de M"" Dyna Beumer et de MM. Storck cl Sevenants,
pianistes.
Le 29 mar^ prochain, l'Ecole de musique de Vervicrs, dirigée
par M. Louis Kéfor, oxécutora V Andromède de M. Guillaume
Lckeu, dont uu fragment a été interprété avec succès au premier
concert des XX.
Cours supérieurs pour dames. — 22 février, à 2 heures,
M. H. Pergameni : Les établissements russes dans le Turkestan;
h 3 heures. M""* A. Chaplin : Thakeray. ^ 23 février, à 2 heures,
M. Ë. Verhaeren : La peinture néo-gothique allemande,. —
24 février, à 2 hourcs, M. H. Pergameni : Le règne de Marie-
Thérèse. — 25 février, b 2 heures, M. H. Lonciiay : Joseph II
(suite); b 3 heures, M"' J. Tordeus : Lecture d'auteurs modernes.
•VILLE IDE BI^XJX:ELLES
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Douzième année. — N° 9.
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 28 Février 1892*.
/^/'i
L'ART MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Comité de rédaction i Octave MAUS — Edmond PICARD — Émilb VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00 — ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser toutes les communications à
l'administration générale de TArt Moderne, rue de Tlndustrie, 32, Bruxelles.
^OMMAIRE
Salon des XX. Conférence de M. Georges Lecomte (suite et fin).
— Gayalleria ROSTicAîfA. — Aux XX. Deuxième concert. —
Epilogue du banquet de M"" Bebrnaert. — Salon des XIII. —
Petite chronique.
Salon des XX
CONFÉRENCE DE M. GEORGES LECOMTE (1).
Des tendances de la peinture moderne.
Enfin, ces peintres si curieux en leurs tentatives,
d'un tempérament si personnel, malgré l'identité appa-
rente de leurs techniques, en faveur desquels un des
critiques d'art les plus fins et les plus renseignés,
M. Félix Fénéon, créa l'appellation de « néo-impres-
sionnistes ", n'ont-ils pas très efficacement continué cet
eflbrt vers des interprétations ornementales, tant par
la couleur que par les lignes? Plus qu'on ne le fit
jamais, ils élaguent des aspects naturels tous les
détails, d'une existence contingente et relatifs par la
durée, qui eu obstrueraient la signification. Ils sacri-
fient le pittoresque à l'harmonie, ils développent, avec
(1) Suite et fin. — Voir nos deux derniers numéros.
un très haut souci d'art, l'ornemental des choses. Ils
interprètent et magnifient. Ils procèdent par synthèses
de lignes et de couleurs. Plus rigoureusement encore
que leurs aînés, dont ils fécondent si intelligemment
l'héritage, ils s'en tiennent aux tons purs et répudient
les mélanges, sur la palette, incapables de rendre la
splendeur du décor naturel. D'autre part, si, par une
méthodique division des tons, ils veulent restituer les
plus minimes influences des couleurs entre elles et
l'action de l'astre sur la tonalité des objets extérieurs,
ce n'est pas seulement pour obtenir une luminosité
plus grande, c'est surtout pour atteindre la magnifi-
cence des harmonies naturelles, en relatant avec sin-
cérité tous les éléments constitutifs de ces harmonies :
c'est pour réaliser une décoration plus radieuse.
Toutes les lignes et tous les tons concourent à la
parfaite expression de l'œuvre, en même temps qu'ils
participent à l'ornementation et le très regretté Seurat,
dont vous avez si unanimement compris le haut eifort
d'art, qui résuma avec netteté la technique savante
dont ses amis et lui furent les initiateurs, avait raison
de dire : « L'Art c'est l'Harmonie. — L'Harmonie!
c'est l'analogie des Contraires et l'analogie des Sem-
blables, de Ton, de Teinte, de Ligne. — Le ton, c'est le
Clair et le Sombre. — La teinte, c'est le Rouge et sa
complémentaire le Vert, l'Orangé et sa complémentaire
le Bleu, le Jaune et sa complémentaire le Violet. —
66
VA RT MODERNE
La ligne, ce sont les Directions sur l'Horizontale. —
Ces harmonies sont combinées en Calmes, Gaies et
Tristes. — La gaieté de ton, c'est la Dominante Luini-
neuse; de teinte, la Dominante Chaude; de ligne, les
lignes Montantes, — Le calme de ton, c'est l'Égalité du
Sombre et du Clair, du Chaud et du Froid pour la
teinte ; et l'Horizontale pour la ligne. — Le triste de
ton, c'est la dominante Sombre; de teinte, la dominante
, Froide; de ligne, les directions Abaissées. -
On peut voir, ici même, dans ce Salon, à quelles
expressives et magnifiques œuvres ornementales par-
vinrent quelques-uns des peintres dont la technique se
formule ainsi. La signification d'une scène de la cam-
pagne, de la mer ou de la vie, le sentiment d'un éclai-
rage, l'éloquence spéciale du motif interprété sont rendus
Idans leur intensité et dans leur caractère et surtout en
des harmonies merveilleusement décoratives.
Naturellement, la joie d'une ornementation exquise
ne sera éprouvée que si cette recherche d'ornementa-
tion n'est pas trop évidente et n'a pas été obtenue au
détriment du caractère des choses. De même, la sensa-
tion que le peintre veut évoquer sera donnée d'une façon
d'autant plus puissante que le spectateur ne sera pas
trop vite conscient des procédés de structure et de la
méthodique réalisation d'une théorie. Le schéma primi-
tif, d'où proviennent tout décor et toute expression, ne
doit être perçu qu'au cours d'un minutieux examen
ultérieur, alors que le spectateur, après avoir été vive-
ment ému par l'œuvre, veut analyser son émotion. Sans
cela, l'identité systématique et apparente des directions
de lignes, le choix trop évidemment intentionnel du ton
et de la teinte atténueraient notre émotion, en préci-
sant sa cause.
Beaucoup des œuvres réalisées selon cette technique
si réfléchie, nous émeuvent par leur beauté ornemen-
tale et leur ample signification, sans que nous soyions
frappés par la trop manifeste application des procédés
théoriques. Nous avons, par elle, des joies d'artistes
vivement impressionnés par l'harmonie et le caractère
d'une composition, non point des contentements d'es-
thètes qui reconnaissent la profitable mise en pratique
d'une théorie.
Dans ces œuvres, le descriptif des êtres et des choses
n'est jamais sacrifié à la préoccupation décorative et à
l'amplification du caractère. Elles sont belles de la seule
beauté plastique, par la science des arrangements, les
accords de lignes et de tons, en dehors de toute inten-
tion, sans qu'aucune des qualités plastiques essentielles
dans une œuvre peinte soit éludée.
Et pourtant, l'intellectualité d'un tel art est évidente.
Ces splendides évocations de nature dépassent de beau-
coup la réalité et la pure ornementation extérieure.
Elles sont aussi suggestives que représentatives. De leurs
limpides harmonies se dégage la pensée, s'essore le rêve.
Le grand mystère de la nature est par elles rendu^. Cette
peinture satisfait l'âme autant qu'elle enchante les
yeux.
Depuis ces tentatives, qui déjà sont concluantes, de
nouveaux peintres, personnels aussi, très cérébraux et
généralement bien doués, se sont affirmé protagonistes
d'un art plus exclusivement mystique, symbolique et
décoratif. Des manifestations d'ensemble ont permis d'ap-
précier leur effort initial qui doit requérir toute notre
attention, car il est réfléchi et paraît sincère. Sans nous
laisser arrêter par des principes d'art et des intentions
dominatrices, dont nous pouvons discuter la trop rigou
reuse outrance, nous avons i'econnu des tempéraments
fort savamment éduqués, dont nous pouvons attendre de
très intéressantes réalisations.
L'examen attentif que nous avons fait de cette renais-
sance idéaliste me fait craindre que ces artistes, guidés
par ce très haut souci de synthèse et de décoration, n'en
viennent à annuler, pour l'atteindre, la réalité des appa-
rences et le caractère. La mobilité humaine, les atti-
tudes, la silhouette des êtres, l'aspect physiognomonique
des choses sont exagérément déformés jusqu'à manquer
de vraisemblance et à être méconnaissables. Or, en pein-
ture, le décoratif n'est acceptable que comme le prolon-
gement, le développement logique du vrai. Il faut
que, sous l'interprétation, le vrai subsiste et soit appa-
rent. Si l'œil est ému par les volutes d'un branchage,
par l'arabesque que décrit une silhouette humaine, par
la noble montée d'un pli de terrain, par le dessin sim-
plifié d'une croupe de bête ou d'un amas de maisons, il
faut encore qu'il retrouve, dans ces délinéations orne-
mentales, le caractéristique aspect de l'arbre, du vallon-
nement, de l'homme, de la bête, des maisons. Il serait
injuste de prétendre que tous les peintres idéistes —
c'est ainsi que les classifia un très éloquent critique
poursuivent tous, à ce point extrême, l'ornementation,
au détriment du vrai. Tout au contraire, quelques
talents s'affirment dont vous pouvez ici même saluer
l'aurore, — qui, pondérés et logiques, réalisent, selon
leur technique particulière, de belles ornementations
en respectant les authentiques aspects de la nature.
Mais dans maints tableaux qu'il nous fut donné récem-
ment d'étudier, nous avons vu le descriptif et le carac-
tère des choses compromis. Ce ne sont plus des simpli-
fications de formes, mais bien des ablations de formes.
Or, de telles synthèses, destructives du vrai, de telles
interprétations si distantes de la réalité, ne peuvent plus
séduire plastiquement, même si elles aboutissent à des
ensembles harmoniques. D'ailleurs, le plus souvent,
est-ce à la beauté décorative que l'on parvient? On ne
dépasse guère une sorte de déformation pittoresque.
Ce qui est vrai pour le dessin, l'est plus encore rela-
tivement à la couleur. Sous prétexte de synthèse et de
décoration, on couvre les toiles de teintes plates qui ne
restituent point les lumineuses limpidités de l'atmo-
sphère, ne donnent point l'enveloppement des choses,
la profondeur, la perspective aérienne. Les valeurs sont
si rapprochées (puissent-elles toujours être en de rigou-
reux accords) que tous les points d'un tableau semblent
être dans un plan identique. On arrive à une confuse
image qui ne rappelle en rien l'harmonie, précise et
suggestive à la fois, du décor naturel. Les protago-
nistes de cet art un peu déconcertant se réclament des
interprétations synthétiques, expressives de M. Paul
Cézanne. Sans doute ses simplifications de couleurs
étaient extrêmes et ses valeurs infiniment proches les
unes des autres, mais le plus souvent les perspectives
et les plans apparaissent dûment établis. Les champs
et les villes gardent leur caractère, s'enveloppent des
limpidités d'une atmosphère immatérielle et se pro-
longent en des horizons lointains d'une profondeur
évidente. La nature et l'homme, le ciel et l'eau sont
interprétés en douces harmonies d'ensemble, mais tous
les éléments de ces compositions gardent leur authen-
ticité essentielle.
Ces toiles, dénuées de beauté ornementale et de
caractère, qu'on prétend légitimer par les réalisations
de M. Cézanne, en apparaissent comme l'incompré-
hensive caricature.
La constante invocation de ce nom tutélaire nous
ferait croire volontiers que ce qui les séduit dans
l'œuvre de Cézanne, ce ne sont pas les toiles belles par
la logique ordonnance et la très saine harmonie des
tons, qui prouvent le rare instinct et la vision si per-
sonnelle de ce grand peintre, mais bien d'incomplètes
compositions que chacun s'accorde, avec l'assentiment
de M. Cézanne lui-même, à juger inférieures, en raison de
leur arrangement déséquilibré et d'un coloris vraiment
trop confus. Jadis, aux temps héroïques du natura-
lisme, on se plaisait à exalter la bizarrerie, la fortuite
construction de certaines toiles de ce peintre. On admi-
rait ainsi, sans y prendre garde, l'une des tares trop
fréquentes de son talent. Aujourd'hui ce sont des
défectuosités de couleurs qu'on admire, au nom d'autres
principes. Il faut que la réputation de M. Cézanne soit
solidement assise pour résister à de si malencontreuses
glorifications. Ce que nous devons retenir de son art
sincère, si simplificateur, c'est la synthèse de lignes et
de tons en vue de l'ornementation, son respect des
valeurs, son dessin caractéristique.
Mais pour beaucoup de peintres aujourd'hui, s'agit-il
bien de valeurs, de dessin savant, d'harmonies de lignes
et de tons, de lumière? Les essentielles qualités plas-
tiques semblent tomber en désuétude dans les Arts
plastiques. — On semble se soucier avant tout d'expri-
mer des idées, de réaliser des théories. C'est l'intention
qui prédomine. La peinture devient littéraire et philoso-
phique. La science et les dons du peintre sont secon-
daires : ce qui importe, c'est le degré de symbole, de
mystère et de foi. On oublie vraiment que dans les arts
de représentation, l'idée doit être subordonnée à la
pure beauté plastique et se dégager d'elle par surcroît.
Nul plus que nous n'est épris d'intellectualité, de
haute expression idéale. Ce nous est une joie quaad une
scène ou un aspect de la vie caractéristiquement rendu,
décorativement interprété, nous révèle sa philosophie
et traduit un peu le troublant mystère dont toujours les
choses de la nature sont enveloppées. Mais nous aimons
que cette signification idéale soit atteinte, sans qu'il
en coûte rien à la beauté plastique. — Ou, si l'idée est
prédominante, complexe et veut de tels sacrifices, elle
doit être rendue par les modes d'expression littéraires.
Actuellement, des peintres bien intentionnés, trop
intentionnés, qui réaliseraient d'une manière bien plus
féconde leur vision intéressante, s'ils étaient un peu
plus peintres et moins littérateurs, se préoccupent tout
d'abord de pensée, de mystère, de suggestion psychique.
Ils n'assemblent pas des lignes et des tons, ils ne rendent
pas le caractère des choses, ils expriment des idées ! Et
nous avons l'étonnant spectacle de critiques s'excla-
raant à la vue d'une de ces œuvres, à égalt distance de
la littérature et de la peinture : « Voilà de la philoso-
phie et de l'idéalité. Voilà une expression synthétique
et générale » . Mais nous préférerions savoir les raisons
d'ordre plastique pour lesquels nos critiques ont été si
favorablement émus.
En développant ces tendances trop littéraires, on se
créera une esthétique complètement en dehors des con-
ditions du Beau. Jadis, nous nous accordions tous à
railler les gens au goût peu éduqué qui, sans s'inquiéter
des qualités picturales d'une œuvre, la trouvaient belle à
cause de son sujet gracieux. Le critérium trop idéal
que nous tendons à avoir, pour être un peu plus haut
et témoigner de plus nobles préoccupations, n'en est
pas moins improbant et nous devrions totalement nous
en dégager. •
Si nous n'en avons cure, — il faut que le souci de
notre réputation posthume nous rende vigilants; les
arrière-neveux se gaussent si volontiers des erreurs
ancestrales ! — nous arriverons à cette très bizarre
esthétique, philosophique, religieuse, voire même poli-
tique, selon laquelle les œuvres picturales se répar-
tissent en deux classes : celles " qui représentent des
sujets nobles ; celles qui restituent des vulgarités.
Laissons ces principes d'art aux Sars qui, si joyeu-
sement, les manifestent. Que notre conscience du Beau
nous sauve de la magie, si gracieuâement plaisante
quand elle édifie ses systèmes subtils, mais vraiment
dénuée de drôlerie lorsqu'elle codifie ses maximes d'art.
Que la crainte des bouffonnes attitudes nous rende, par
réaction, plus que jamais épris en peinture de la beauté
plastique. Et que les peintres, susceptibles d'embellir
T"
68
L'ART MODERNE
si magnifiquement le décor de notre vie, nous laissent
le morne ennui d'être littérateur, remueurs d'idées et
abstracteurs de quintessence
CAVALLERIA RUSTICANA
Nous sommes mal placés pour juger, en toute liberté d'esprit,
une œuvre du genre de cette Cavalleria Riisiicatia, qm emprunte
5 sa lerrei d'origine, au soleil d'Italie, au caractère méridional,
à des influences locales qui nous échappent, la grosse part du
succès qui l'accueillit à ses débuts.
A l'apprécier sous l'angle habituel de notre critique, la parti-
tion est nulle. Si elle avait été écrite par quelque musicien belge,
fût-ce par l'auteur de la Nuit de Noël lui-même, on eût arrêté
net la représentation par une bordée de sifflets. Il est difficile
'd'imaginer enfilade plus hétéroclite de trivialités et de rémi-
niscences. Gounod y coudoie Bizel, Verdi y tend sournoisement la
main à Massenel, et le raccord est fait à coup de grossières
inventions qui feraient merveille dans des marches militaires,
mais qui semblent singulièrement déplacées dans ce que pom-
peusement les affiches intitulent un a drame lyriqiie ».
Quand, au défilé de ces platitudes, on songe que c'est au
Théâtre de la Monnaie et non dans la salle de la Scala qu'on
exécute cette parade musicale, quand on se rappelle que le chef
d'orchestre qui conduit cette bamboche dirigeait hier Lohengrin,
que ce sont les musiciens qui ont joué les Maîtres-Chanteurs,
la Valkyrie et Siegfried à qui incombe le douloureux devoir de
faire valoir les tripotages mélodiques de M. Pietro Mascagni, et
que les solistes qui dépensent un réel talent à masquer les vides
de cette bizarre élucubration sont M"" de Nuovina, M"» Wolf,
M. Seguin, M. Dupeyron, l'envie naît de se fâcher contre l'énor-
mité de cette atteinte au goût et au respect des choses artistiques,
la fièvre de casser quelque chose, de crier, de faire du scandale,
saisit impérieusement.
En Italie, où l'unique préoccupation de se distraire remplit les
salles de spectacle, où l'impression d'art est confondue avec les
sensations violentes que fait éprouver un gros drame populaire,
un tableau aux colorations criardes, un feuilleton plein d'horreurs,
l'accueil fait à Cavalleria Ruslicana peut se justifier. La musique
tient un rôle accessoire, et la nouvelle de Verga, concise et
brutale, mise en scène en un acte précipité, a « emporté le
morceau ».
On connaît le sujet de ce petit drame. La maîtresse du bersa-
gliere Turridu apprend que son amant la trompe avec une femme
qu'il a aiméeiadisel quis'est mariée pendant qu'il était au service.
Elle révèle sa trahison au mari, qui provoque le soldat et le tue.
Le tout se passe avec une rapidité foudroyante, dans le décor
ensoleillé d'un village sicilien, entre l'église et le cabaret, les
cloches sonnant les offices du saint jour de Pâques.
Il y a, dans la nouvelle de Verga, qui nous était connue grâce à
la traduction qu'en a publiée M. Georges Eekhoud, des détails
savoureux, des scènes de mœurs, de la vie et de la passion. Au
théâtre, ainsi qu'il arrive habituellement, on a remplacé les
nuances par des harmonies brutales et les jolies scènes décrites
par le romancier dégénèrent en chansons â boire, en « brindisis »
en duos traditionnels, en chœurs orphéoniques.
La charpente seule du drame apparaît, taillée à coups de hache.
C'est, k noire point de vue, insuffisant. Ce qui demeure, c'est le
mouvement, un mouvement endiablé, accentué par la mimique
italienne auxquels se livrent avec prodigalité les acteurs.
Ces gestes, ces courses folles à travers la scène, ces exclama-
tions, ces poings levés, ces couteaux brandis, ces à-bras-le-corps,
une oreille mordue, des cris^ c'est la plus nette impression qui
subsiste dans la mémoire de l'histoire méridionale mise en
musique par M. Mascagni, et que décidément, avec notre tempé-
rament et nos idées artistiques, nous ne sommes pas aptes â
apprécier.
Deuxième Concm't.
Le Chant de la Cloche, donl^ on a pu exécuter mardi dernier
un fragment, grâce à la confraternité artistique dos cinquante
musiciens qui ont gracieusement (le fait est peut-être unique
dans les annales de l'Orchestre!) prêté h M. Vincent d'indy leur
précieux concours, a remporté, en 1885, le prix de la Ville de
Paris. L'œuvre, qui comprend sept tableaux et un prologue (soli,
orchestre et chœurs), a été exécutée intégralement au début de
l'année suivante, et à deux reprises, par M. Lamourcux, avec
M. Ernest Van Dyck et M"'« Brunet-Lalleur dans les rôles de
Wilhelm et de Lénore. L'impression a été telle que son auteur a
été, d'emblée, classé parmi les premiers musiciens de l'époque.
On sait que ses compositions récentes (nous citerons entre autres
la Symphonie pour orchestre et piano sur un chant montagnard
français, le trio pour piano, clarinette et violoncelle, le quatuor
pour piano et cordes et le quatuor d'archets, qui ont toutes figuré,
en première audition, aux programmes des expositions musicales
vingtistcs) ont confirmé la réputation artistique que s'était acquise
l'auteur de la Cloche et de Wallenstein.'Sa personnalité s'est net-
tement accusée. Elle est aujourd'hui entièrement dégagée des
influences wagnériennes que subit inévitablement, à notre époque,
tout musicien soucieux d'échapper aux banalités des formules
traditionnelles. Son art s'est précisé en des tournures mélodiques
d'une distinction suprême, soutenues par des harmonies neuves
et rares, portées par une instrumentation d'une richesse et d'une
variété inégalées. A son tour, il fait école, et il n'est guère, dans
la jeune et enthousiaste génération des musiciens français con-
temporains, de compositeurs qui ne lui soumettent, avant de la
terminer et de la produire, l'œuvre en gestation. Les conseils et
les encouragements, il les donne généreusement, attentif aux
efforts des nouveaux venus, heureux et fier de l'essor que prend,
autour de lui, l'art musical qu'il aime avec passion et dont il a
étudié toutes les manifestations depuis ses plus lointaines ori-
gines.
M. d'indy travaille actuellement à la composition d'un drame
lyrique dont il a, ainsi que le faisait Wagner, écrit lui-même le
sujet. A ce propos, M. Hugues Imbert a écrit :
« L'avenir dira si ce compositeur qui, parmi les jeunes, est
l'une des organisations les plus surprenantes et dont les premières
œuvres révèlent déjà, en tant que symphoniste, un talent plein
d'originalité et de vigueur, ne deviendra pas en France l'un des
représentants du Drame musical tel que l'ont rêvé ou réalisé en
toutes parties Gluck, Weber, Berlioz, Rêver, Wagner, qui
entraîne la disparition des formes nrianiérées, des vieux moules
légués par le passé et comporte les transformations, les innova-
tions qui ne sont en réalité que la loi de la nature (1). »
(1) Profils de musiciens. Paris, Fischbacher, 1888.
f
Ê:<*-i
LART MODERNE
69
Ceci dit, cl noire désir réalisé d'éclairer ceux qui pouiniienl
ignorer la personnalité de premier ordre que les XX onl eu
l'honneur de présenter au public desconcerts, passons rapidemenl
en revue les œuvres inlerprélées à la deuxième audition desA'T,
œuvres inconnues à Bruxelles, bien que quelques-unes d'enlro
elles dalenl déjà de quelques années.
Tel est le cas du Quatuor pour piano, violon, allô et violon-
celle d"Alexis de Casiillon, qui ouvrait la séance. Caslillon, l'un des
disciples de César Franck qui, avec Gabriel Fauré et Vincent
d'Indy, régénéra en France la musique de chambre, est mort en
4 873, à l'ûgedeSS ans, laissant un grand nombre de compositions
de sérieuse valeur dont plusieurs sont restées inédites. L(s XX
ont fait connaître l'année dernière son trio pour piano, violon et
violoncelle. On se rappelle le succès que remporta celle œuvre,
aussi distinguée d'idées que de facture.
On retrouve les mêmes qualités dans le Quatuor (op. 7), mer-
veilleusement joué, mardi dernier, par MM. Vincent d'Indy, E.
Ysaye, Van Houl et J. Jacob. Castillon possédait l'art de dévelop-
per une mélodie et de la conduire à travers les enchevêtrements
polyphoniques jusqu'à son épanouissement avec une remarqua-
ble aisance d'écriture. Son style, où se retrouve parfois l'intluence
de Schumann, a une rare noblesse. On ne conçoit pas qu'il ait
fallu vingt années pour qu'on connût à Bruxelles un musicien
dont la place est marquée à côté des maîtres de la musique de
chambre.
Cette belle œuvre formait, avec le deuxième tableau du Chant
ile la Cloche, l'a pièce de résistance du concert.
Le succès du Chant de la Cloche a été énorme. On a rappelé
avec enthousiasme l'auteur et les interprèles. M™« FIon-Botman,
dont la voix vibrante a été très appréciée dans le rôle de
Lénore, et M. Cheyrat, dont l'organe harmonieux rappelle, dans
un registre plus élevé, celui de M. Seguin, M. Geyaerl, qui
assistait à la séance, a vivement félicité le compositeur et les
exécutants et exprimé le désir que l'œuvre fût montée aux
Concerts populaires. En attendant, ceux qui voudront entendre la
légende dramatique de M. d'Indy, pourront assister, le 30 mars,
à Amsterdam, à une exécution complète sous la direction de
M. Violta, qui dispose d'un orchestre excellent et de quatre
cents choristes.
Citons, pour finir, les pièces de moindre envergure de ce pro-
gramme de choix : les Paysages tristes de Verlaine, très littérai-
rement mis en musique par M. Charles Bordes, le jeune maître de
chapelle de St-Gervais, chantés avec un sentiment juste par
M™^ Flon-6otman; le Jour des Morts, impressionnante et péné-
trante composition pour chœur de voix de femmes et soli, pleine
d'effets vocaux ingénieux, de M. Louis de Serres (solistes : M"'* de
Serres et Miss Salter), un chœur extrait de Hulda, le drame
lyrique inédit de César Franck, et la Joyeuse marche de Chabrier,
exécutée dans sa version originale, c'est-à-dire au piano, à quatre
mains. On ignore généralement que celte spirituelle fantaisie, qui
décèle la verve exubérante et ironique de Chabrier, forme le
second volet d'un dyptique musical dont le premier, '/,«me?îto,
est resté inédit. L'auteur a orchestré plus lard sa Joyeuse marche,
qui a été jouée à maintes reprises par M. Lamoureux. Elle a eu,
sous celle forme, l'été passé, une exécution au Waux-Hall de
Bruxelles, mais l'interprétation défectueuse n'a pas permis d'ap-
précier à sa valeur cette composition railleuse, imprévue de
forme et d'effets.
Une séance complémentaire de musique française, avec les
noms de MM. Chcvillard, Chausson, G. Fauré, P, do Bréville,
A, Magnard, au programme, clôturera, vendredi prochain, le
cycle des concerts des XX. La présence de MM, Chevillard et
Chausson, la collaboration du quatuor Ysaye, le choix des
solistes : M"« Cécile Thévenet, M. Cheyrat, M. Pierret, permeltenl
d'espérer que celte troisième séance aura le même intérêt ariis-
lique que les précédentes.
Épilogue du banquet à M'^'' Beernaert.
» J'atteste que désormais aucun de ceux
(jui sont ici ne pourra compter sur mon
intervention pour n'importe quelle démar-
che, pour n'importe quelle faveur. Désormais
pour ceux-là ma porte est fermée et mes
oreilles aussi. Cet engagement d'honneur est
digne de vous tous, comme je le crois digne
de moi, car il restitue k cette réunion la
pureté et la noblesse d'ii.tention sans les-
quelles elle méritei ait le nom de courtisa-
nerie qui a été prononcé ailleurs à son
sujet. ••
Paroles pro>io)u:ées' au ba)U}uel du 2S février .
Voici les noms des artistes qui ont participé au serment du Jeu
de paume, dont M"* Beernaert a été le Bailly, en énonçant la
fière formule reproduite ci-dessus en épigraphe. Honneur! trois
fois honneur à ces vaillants et à ces purs ! Combien nous regret-
ions de ne pas nous être trouvés parmi eux. On se retrempe parmi
les héros. Mais l'excès de scrupule induit en ces maladresses.
Chacun de nous en fait humblement son confitcor. Pour une fois
l'Art moderne a manqué de flair. \
M. Abry, M"« Ardrighetli, MM. H. Arden, A. Asselbergs, Baert-
soen. Baron, Bayart, Bekaert, H. Bayaert, Blanchaert, Blanc-Garin,
Biot, Blomme, L. Bonet, Bourlard, Broerman, Breydel, Ganneel,
L. Gardon, Carpentier, Gériez, Charlier, Glaus, P. Clays, Cluyse-
naer, Félix Gogeu, Alph. Cogen, Coosemans, Copman, Crabbeels,
M"« Gornette, M. Gourteas, M"« Gusseueers, MM. Dael, A. Dandoy,
M"e' de Bièvre, S. de BourtzofT, N. de Bourtzoff, M. De Groot,
M"® De Hem, baron de Haulleville, comte de Lalaing, MM. Del-
gouffre, DeirÀcqua, Delpérée, Demanez, Den Duyts, De Mathelin,
de Pierpont, de Saint-Cyr, Desenfans, de Taeye, de Tombay, J. de
Vriendt, A. de Vriendt, M"« Dielman, MM. P. de Vigne, Dieltjens,
J. Dillens, M"" Bonnet- Puraye, MM. Drion, Ed. Fétis, Fraikin,
Gislain, Guffens, M"" Mary Guillou, MM. Hambresin, Helbig,
Hennebicq, Impens, Jacobs, H. Janlet, E. Janlet, Janssens, P. Koch,
Jef Lambeaux, Lamorinière, Le Mayeur, Hen. Le Roy, H. Le Roy,
Malfait, M"* Marcotte, MM. Massaux, Franz Meerts, X. Mellery,
G. Meunier, J.-B. Meunier, M"® Meunier, MM, l. Meyers, Michotte,
Middeleer, Mignon, Montald, Montigny, Moonens, Musin, Namur,
Portaels, Quinaux, RofiBaen, Rosseels, Rosier, Rotthier, Seghers,
Slingeneyer, Smekens, Soil, Stroobant, Trulin, Tschaggeny,
T'Scharner, Tuipinck, Tytgadt, Ubaghs, Uyllerschaut, van Aise, van
Damme, van den Bussche, van den Eycken, van der Ouderaa, van der
Stappen, van Eeckhout, vau Hamnhée, van Havermaet, van Hove,
van Kuyck, F. van Leemputten, G. van Leemputten, M"* van Mulders-
Triest, MM. van Overbeek, van Ryn, van Severdonck, M™« B. van
Tilt, MM. van Ysendyck, Verheyden, Verstraete, Wytsman,
M™« Wytsman.
A notre grand étonnement nous avons lu dans la Fédération
artistique un toast de M. Slingeneyer et une réponse à M"* Beer-
naert, fort différents de ceux que nous avons publiés dimanche
dernier.
Il est singulier qu'un journal d'ordinaire si bien informé et
dirigé par des hommes d'une si rare pénétration, se soit laissé
mystifier à ce point.
La Chronique (dont la finesse est, il est vrai, proverbiale) na
pas été prise à cette grosse plaisanterie. Elle nous a fait l'honneur
de reproduire la partie essentielle du discours de Mi'« Beernaert.
Nous la remercions vivement de celte preuve d'intelligence et de
celte marque de haute confralernil(5, justifiée, du icste, par In
sympathie que nous n'avons cessé de montrer pour sa polémique
invariablement impartiale et d'un ton si élevé.
Nous remercions aussi la Fédémlion artislique de la paternelle
leçon qu'elle a bien voulu nous donner dimanche dernier, en ce
qui concerne la sottise que nous avons faite en publiant la lettre
où M. Louis Dei-mer promettait des claques b divers très honora-
bles citoyens s'ils se permettaient de lui demander compte de la
façon dont il avait appris les détails pittoresques de la réunion
préparatoire au banquet. Nous croyons que jusqu'ici personne no
s'est présenté pour les encaisser. Cette prudence mérite les plus
grands éloges. Pour notre part nous serons reconnaissants li
l'éminent directeur de !'« Organe hebdomadaire des intérêts artis-
tiques, littéraires et scientifiques», s'il daigne encore, dans toutes
les conjonctures critiques, nous aider des conseils de son impec-
cable compétence eiï*loutes matières et de sa vieille expérience.
SALON DES XIII
{Correspondance particulière de l'Art moderne.)
Aessaycr une hautaine et pure Critique, on regagne vite en
férocité juste et tranquille ce qu'on y perd en camaraderies. Au
bout d'un rien de temps on aboutit à l'imperturbable sourire, là
où avant cet •«rdu volontariat, on se fût désordonnément
indigné.
Quelques mains qui se retirent — et les plus sales les pre-
mières ! — quelques léies qui se détournent — combien peu
regrettées ! — quelques liens d'amitié — combien fragile et peu
sincère ! — qui se rompent, haussent assez vite à un détache-
ment absolu, b une indifférence totale des conséquences !
[| s'opère, par son fait, autour de soi un enviable nettoyage,
car je ne crois pas qu'on puisse y perdre une seule précieuse et
réelle amitié.
La susceptibilité d'aucuns émeut plus — quoiqu'il n'y paraisse
plus — que les menaces d'autres, qui ne sont dangereuses que
pour ceux qui les profèrent, puisque la peur enhardit les timides
— comme nous! En tous points, les XIII ont tort de s'imaginer
poursuivis, de le clamer. Les pompeux éloges de la presse
doivent les avoir édifiés. Et quant à notre appréciation, ne sied-il,
pour la plupart d'entre eux, de la craindre ni d'en avoir cure. La
garantie qu'ils ont que nous ne nuirons en rien à leur intérêt,
ni k l'écoulement de leurs marchandises, les aurait. dû rassurer
pourtant !
L'altitude hostile et peu confraternelle des XIII ne s'explique
donc pas vis-à-vis de nous, si elle peut s'expliquer vis-à-vis des
autres cercles avec lesquels il»- rentrent en lutte.
La lutte pour la vente ! — lors, plus qu'il n'y paraît même, les
XUl sont un cercle de combat. Ils sont à môme de défier la
concurrence et ruineront, c'est notre avis, à bref délai les exploi-
tations analogues existantes.
Nous ne dissimulons pas une très réelle curiosité pour l'issue
de celte lutte, où pas mal des pires ennemis des tentatives nova-
trices d'an s'entre-dévoreront. Nous avons foi en les estomacs
en l'appétit des XIII.
Le combat se restreindra, d'ailleurs, et bientôt !
L'Als ik kan se suicide, en dispersant ses meilleures forces
un peu partout. Le Cerc.le artistique croulera ; la vieille bâtisse
est à la merci du premier venu qui lèvera un peu haut la jambe
contre les piliers de son vestibule humide; reste la très puissante
et très riche Société }wur l'encouragement des Beaux-Arts.
Mais cette vieille fille-mère, qu'une régulière et triennale mise
bas — depuis conVbien de temps ! — usait assez, s'est sentie
piquée, à la suite de son dernier et mémorable Salon, par les
critiques d'une presse peu galante. El depuis, elle prend des airs
froissés. Blottie sous le molédredon de sérénité et d'inaction, où
elle se la coulait douce pendant trois longpes années, elle conser-
vait quelque chance de grossir conséquemment. Aifjourd'hui, elle
se découvre, rentre dans la mêlée et pas mal forte en gueule et
rêve., comme une vraie jeune femme, de faire son jeune tous les
ans.
II sera assez burlesque de voir comment la vieille courbaturée
fi'ra, pour relever le gant que lui ont lancé les divers jeunes
cercles.
Ceux qui espèrent de cette succession de Salons, de cette
rivalité de cercles un relèvement du niveau d'art à Anvers se
trompent. On ne peut greffer sur un arbre mort.
D'ailleurs, plus « ça » se suit, plus « ça » se ressemble ; et le
Salon des XIII donne l'illusion d'une salle du dernier ou du
prochain salon triennal, dans laquelle on aurait rassemblé le
dessus du panier.
L'esprit, la tendance d'art sont identiques. Tous les membres
(les XIII exposent aux Beaux-Arts, tous leurs invités y furent ou y
seraient les bienvenus. Tout au plus, cette exposition actuelle
donne-t-elle aux jurys officiels une leçon de sélection qu'ils
feront bien de méditer.
Toutes innovations, toute hardiesse soigneusement bannies !
— el le seul artiste du groupe qu'elles séduisent, s'est relégué si
près de la porte, qu'il n'a qu'un pas à faire pour être dehors. —
Leurs invitations s'arrêtent, pour la France à Roll, à de très sages
lîesnard, à Carrière ; en Hollande à Israéls, en Angleterre à
James Gulhrie, Henry Moore, en Norwège à Thaulow. Au
surplus, tous des puissants — par eux-mêmes ou par ceux qui
les protègent — auprès desquels les bénéfices de la courlisanerie
ne sont pas perdus.
Car voilà la véritable atmosphère de ce Salon : on y flatte les
invités, on y flatte tous les goûts du public, on s'y flatte soi-même
en ses œuvres, qu'on a eu soin de faire valoir par un truc pano-
ramique — l'immense vélum — et qui s'offrent mensongères de
clartés qu'elles n'ont pas, vibrantes, pour la plupart, d'une lumi-
nosité d'emprunt el d'une fraîcheur qu'elles ne retrouveront pas
au changement d'étal.
Une dame a pu dire, qui avait assisté la veille à l'ouverture des
XX : «Je sens derrière les œuvres des XX quelque chose qui me
captive, mais que je ne comprends pas et que je ne retrouve pas
ici, aux XIII !»
Ce « quelque chose » n'est rien autre que le sens artistique et
la dignité de l'artiste! — Que les XIII ne s'étonnent de trouver
notés, ici, un choix de noms, d'œuvres ! Nous sommes trop las
pour un repêchage de choses méritantes, trop navrés du contact
et des souillures que ceux que nous y aimons s'infligent, trop
intimement convaincus de l'inutilité pour l'Art de leur associa-
lion, pour nous attarder plus.
V.
L'ART MODERNE
71
"Petite chroj^ique
M"" Marguerite Rolland, du Théâlre du Parc, a lu hier, au
Salon dos XX, devant un auditoire très attentif d'artistes et de
jolies femmes, quatre pièces de Camille Lemonnier : L'instiiit-
Irice, A la peunioii, la Jeune fdle à la fenêlre et le Corps du
Christ. Ces quatre proses, judicieusement choisies et variées de
sentimonl, l'artiste les adiies avec une grande finesse et avec une
parfaite justesse d'expression.
Elle a donné b chacune d'elles la vie de l'action. Aussi son
succès a-t-il été 1res vif.
L'intérêt de cette matinée consistait ailssi dans celle tentative
nouvelle : maintenir l'atieniion et l'impression artistique d'une
assemblée, par le seul prestige de pièces d'un même auteur, de
morceaux littéraires au sens absolu du mot, dégagées de toute
concession faite pour amuser l'auditeur. A cet égard, l'expérience
a été concluante. La sincérité d'accent des nouvelles de Camille
Lemonnier, la grandeur lyrique qui marque spécialement la Mort
du Clirisl, et c^tte pièce charmante de demi-caractère, In Jeune
fille à la fenêtre, ont fait sur le public une profonde impression.
Le troisième et dernier concert d'œuvrcs modernes organisé
par les XX, dans les locaux de leur Exposition, est fixé à
VENDREDI prochain, 4 mars, à 2 h. 1/2.
On y entendra, en première audition, des œuvres instrumen-
tales inédites de MM. E. Chausson et C. Chevillard, interprétées
par MM. E. Ysaye, Crickboom, Biermasz, Van Hout, Jacob et par
M. Pierret, pianiste; des œuvres vocales de MM. Fauré, P. de Bré-
ville, A. Magnard et J. Tiersot, chantées par M"" Cécile Thévenel,
M. Cheyrat et les chœurs.
La clôture de l'Exposition est irrévocablement fixée au dimanche
6 mars.
ï,e prix d'entrée, aux concerts des XX, reste fixé à 2 francs.
Parce que certains journaux anglais — vieux système —
avaient rogné de remarques absurdes l'Intruse, certains journa-
listes belges s'étaient déjà réjouis et, accentuant ce qu'une partie
du public avait blâmé à Londres, en avaient tiré la conclusion —
une conclusion qui est chère à leur mesquinerie et à leur nullité
— que décidément V Intruse était ce qu'ils avaient pensé : une
fumisterie.
A Copenhague, où l'Intruse vient d'obtenir un incontestable
accueil admiràlif, elle avait bien des chances contre elle. Le
public était, dit l'Indépendance, fort peu préparé. En outre, il est
à croire que là-bas, comme ici à Bruxelles, tout un clan de moisis
littérateurs ont crié contre la pièce, précisément parce qu'elle
était originale.
Si elle a vaincu, c'est que vraiment elle est, non pas ce que les
compatriotes journalistiques de M. Maeterlinck affirment, mais
une œuvre de portée générale et profonde. Le pressentiment, le
mystère, l'angoisse la marquent d'une psychologie spéciale,
très de notre temps et surtout très septentrionale. Que l'art de
M. Maeterlinck ne ressemble pas à Shakespeare, tant mieux. Au
lieu de lui en faire un grief comme certains journaux anglais, il
faudrait lui en savoir gré.
En Danemark, où la préoccupation de comparer M. Maeterlinck
à Shakespeare n'existait pas, on ne s'est point départi de l'atti-
tude que tout public doit garder en face d'une œuvre, c'est-à-dire
la juger en elle-même et d'après sa signification intime, et les
applaudissements ont été unanimes.
Cours supéhieurs pour dames. — 29 février, à 2 heures,
M.H. Pergameni : Les établissements anglais dans l' Inde; à 3 h.,
M™' A. Chaplin : George Eliot. — Il n'y a pas cours les ^" et 2
mars. — 3 mars, à 2 heures, M.H. Lonchay : Révolution braban-
çonne; à 3 heures, M"« J. Tordeus : Diction. Lecture d'auteurs
modernes.
Voici un échantillon de la littérature que M. Tardieu sert dans
son supplément aux abonnés de l'Indépendance. Ce sont des vers
et il s'agit d'un dialogue entre une étoile et un ange qui a le
spleen. L'ange dit :
Que me sert de ronger ici ma puberté
Et d'essuyer mon aile à la voûte céleste f
Mais l'étoile va lui répondre :
Benjamin de l'éther, sublime fanfaron
Qui dédaignes de Dieu le chaste biberon I
Et le poète, lui, prend aussi la parole :
L'amour lançait partout ses flèches irritées ;
Les mères appelaient leurs, filles emportées
Et le crime dans l'ombre ourdissait son complot.
Est-ce là le genre de poésie que veulent voir régner en
Belgique les deux complices de l' Indépendance! C'est pour
allumer pareille littérature, qui rappelle les plus joyeuses
cantates d'Hymans ou les vers les plus ridicules de Potvin, que ces
deux éteignoirs vert-de- grisés cherchent à étoufffr notre jeune
poésie, si originale et si vivante !
M. Emile Sigogne fera le 4 mars, à 2 heures. Salle Vander-
meerschen, 3, rue Bodenbroeck, deux conférences sur les poètes
belges ; la première, sur le mouvement littéraire en Belgique, la
seconde : lecture de la Princesse Maleine.
M. Georges Rodenbach publie dans le Figaro .- Bruges la morte.
On sait la spécialité littéraire du poète. Tout le Règne du Silence
l'affirme et l'actuel roman en cours de feuilleton l'accentue.
« Bruges la morte, dit M. André Maurel, c'est la prise de pos-
session d'un homme malheureux par le silence et la mort. Et
cette possession devient telle que peu à, peu l'identification se fait
complète entre la ville morte et celle que l'homme regrette et
pleure. La morte n'est plus elle, elle est Bruges. Bruges n'est plus
la ville de Memling, elle est la morte L'àme de la vieille cité
flamande et l'âme de l'aimée disparue ne font plus qu'une âme et
la morte revit enfin dans ces murs encore debout et sa voix
retentit avec chaque heure du beffroi.
Si vous admettez ces impressions fines de repos et de paix de
tombeau, vous aimerez Georges Rodenbach ; à cause d'elles en
tous cas il sera estimé, comme tout esprit original et sincère. Ce
poète, autrefois turbulent hydropathe, comprit qu'il ne devait
point ainsi être rebelle à sa race, que seulement dans sa ville
natale il trouverait les impressions réelles qui donnent le talent.»
On sait qu'il y aura à Bayreuth vingt représentations, du
21 juillet au 21 août, et que quatre ouvrages formeront le
répertoire : Parsifal, Tristan, Tannhâuser et les Maîtres
Chanteurs.
Les dates ayant subi quelques modifications, nous croyons
devoir les donner telles qu'elles sont définitivement fixées :
Parsifal aura huit représentations, les 21 et 28 juillet, les
!•', 4, 8, 11, 15 et 21 aoili ; Tristan et Iseull aura quatre repré-
sentations, les 22 et 29 juillet, 5 et 20 août; les Maîtres Chan-
teurs auront quatre représentations, les 2S et 31 juillet et les 14
et 18 août; enfin, il y aura quatre représentations de Tann-
hâuser, le 24 juillet et les 7, 12 et! 7 août.
Pour la distribution, sauf M. Van Dyck dans Parsifal et les
Maîtres Chanteurs dont il interprêtera pour la première fois le
rôle de Waltor, rien n'est encoi-e arrêté.
A propos de Bayreuth. des journaux français et allemands ont
reproduit un bruit d'après lequel M™* Cosima Wagner aurait tou-
ché des droits d'auteur considérables sur les dernières représen-
tations.
Celle information est inexacte.
1» Il n'y a pas eu, l'année dernière, un bénéfice énorme,
comme on l'a dit. Les recettes ont été considérables, mais elles
ont été entièrement affectées à payer la mise en scène de Tanti-
hâuser, dont les frais ont été entièrement couverts, ce qui est déjà
un résultat magnifique.
2« M"* Wagner n'a jusqu'ici prélevé aucun tantième sur les
recettes du Théâtre de Bayreuth, ce théâtre étant considéré pa<-
elle non comme une entreprise industrielle, mais comme une
œuvre exclusivement artistique. Quand une année laisse un béné
fice, ce bénéfice est mis en réserve, afin d'assurer l'exploilalior
l'année suivante et de couvrir les frais d'amélioration et de renou-
vellement du matériel, ainsi que l'entretien du théâtre^
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Douzième année. — N° 10.
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche G Mars 1892.
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L'ART MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Comité de rédaction « Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, un au, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00 — ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser toutes les communications à
l'administration générale se TArt moderne, rue de l'Industrie. 32, Bruxelles.
Sommaire
L'Ame de la Flandre. A propos des Contes d' Ypcrdamme . — Les
REPRÉSENTATIONS DU Théatrf Libre. — Aux XX. Troisième concert.
— Coups de plume, par Firmin Vandeii Bosch. — Accusés de
RÉCEPTION, — Expositions courantes. — A MM. G. Frédkrix,
Ch. Tardieu, et tutti quanti. — Concert de l'Ecole de musique
DE LOUVAIN. — MaURITS BaUER. — PETITE CHRONIQUE.
L'Ame de la Flandre
A propos des Contes d'Yperdamme, par Eugène Demolder
Elle se réveille, une fois encore, cette âme héroïque-
ment rêveuse, tendrement, pieuse, tissée de la superbe
et naïve broderie des légendes évangilaires sur le fort
canevas des réalités patriales; elle se réveille plus
profonde, plus émue, plus séduisante qu'en aucun
temps, dans les admirables récits d'un de ces Belges
d'aujourd'hui, nM-rateurs, trouvères, poètes, jeunes
gloires d'un pays qui s'opiniâtre à les méconnaître,
sans ouïe pour leurs chansons mélancoliques et enchan-
teresses, sans odorat pour le parfum de ces floraisons
littéraires en éclosion partout autour de nous sur cette
terre maternelle brusquement et si étonnamment
féconde.
Avez-vous lu les Contes d'Yperdamme d'Eugène
Demolder?
Ncfti, certes non.
Avez-vous lu dans la dernière livraison de cette
revue, honneur de la Belgique, la Société nouvelle,
vaillante, infatigable, radieuse, deux nouveaux contes,
merveilleux prolongements de la série première?
Non, certes non.
Pourquoi, dans la morose indifférence qui pèse sur
nous comme un ciel bas et lourd, eussiez-vous dérogé à
la coutume de dédain ou d'oubli pour les nôtres qui est
chez nous la honte et presque le crime? Comme au jour
où parut LA Princesse Maleine, il sied que vous appa-
raissiez insensibles; il sied que l'habituelle critique vous
détourne de cette œuvre comme un mauvais guide du
bon chemin; il sied q-je rien ne dérange l'universelle
harmonie de vos goûts médiocres et de vos injustices.
Et pourtant si vous aviez lu la Ville d'Or! si vous
aviez lu le Soù' de la Nativité : « Et le soleil tombe
magnifiquement, pareil à un tournesol au déclin du
~jour, d-ans le jardin blanc du paysage d'hiver On avait
patiné toute la journée. La nuit venue, une étoile
étrange s'est montrée! Les femmes de Nazareth, aux
aguets des miracles, chuchottent à leurs portes par
cette belle vesprée de Noël qui couronne d'or, de roses,
de jasmins, un jour clair comme une âme Les
lumières qui lèvent leurs paupières aux fenêtres de
Nazareth sont pures sur la neige ainsi que des osten-
soirs parmi des nappes d'autel. Les traînes que laisse
74
V ART MODERNE
le crépuscule à l'horizon semblent des ailes d'anges
plongeant leur chevelure de vermeil dans un ciel imma-
culé de neige, et les villages lointains ont l'air de planer
d^ns une lumière de roses. La ville et le pays se sont
vêtus d'une robe candide, donnée par le firmament où
s'allument les étoiles et où les anges aussi reçoivent
leurs toges flottantes. Les corbeaux, aujourd'hui, ne
viennent pas voler près des tours que la neige ourle
d'hermine : ce sont des colombes qui passent et le soir
caresse leur poitrine aérienne. Noël! Noël! Noël ! Ainsi
les enfants chantent en rond autour de feux, sur le
sol blanchi Les petites voix enfantines bondissent
dans le gel comme des carillons de grelots d'argent. "
Noël ! Noël ! Nazareth ! Est-ce en Palestine que s'érige
ce miraculeux paysage d'hivernal crépuscule?
Oh! non, non! qu'elle est loin cette asiatique Judée
incompréhensible pour l'âme flamande! C'est en Flandre
que nous sommes, c'est en Flandre que cette magique et
imprévue Nazareth groupe au clair de lune ses maisons
basses de paysans « au pied du beffroi, qui laisse
tomber sur elles les sons des heures adoucies par son
épais manteau d'hermine; le long des pierres
solennelles de la cathédrale glissent des cascades de
blanche nuitée, pareilles à de grands voiles de fiancées
ténébreuses promises aux géants des vieux contes;
et l'on voit des pauvres qui reviennent de la forêt
avec des sapins entiers sur l'épaule ».
Nazareth en Flandre! Une Nazareth où « Monsei-
gneur de Bruges va dire la messe ». Et, près de là,
Bethléem I Bethléem où Jésus vient de naître ! Bethléem
vers qui, en cette nuit fatidique inoubliable, du pays
flamand tout entier, dans le rêve du poète, marchent
les populations rustiques tourmentées d'une inquiète
espérance, allant machinalement, somnambuliquement,
vers retable du Sauveur : « Des vachers en sabots
c, piétinaient la neige à côté de laboureurs dont l'échiné
était courbée comme un soc hors d'usage. De solides
gars aussi qui venaient du Veurne-Ambacht et qui fai-
saient ballotter leurs lampes au bout de leur bâton.
Tous les fermiers et les censiers de Dixmude arrivaient
par une grand'route dont les hêtres s'enorgueillissaient
d'un blanc halo de ténèbres. Des meuniers s'avançaient
sur des ânes, laissant leurs moulins seuls sous les
étoiles et ils avouaient à voix basse : — Mon moulin
était cette nuit comme une poitrine; j'y ai entendu
battre un cœur » ,
Nazareth en Flandre ! Oui, toute la Bible en Flandre,
la Bible en son Nouveau Testament, la Bible aryenne de
Jésus ; pas la vieille, la sombre, la barbare, la cruelle,
la sémitique, si antagoniste à notre âme. La douce et
déchirante histoire de l'aryen Jésus, égaré au pays des
Juifs et par eux mis à mort, tant son âme, surprenante
et suprême expression de la nôtre, son âme à divine
blondeur, exquise en son fraternel amour, heurtait et
irritait la foule dévorante où elle était tombée comme
une antilope dans une fosse aux lions.
L'Evangile en Flandre, et ses touchantes légendes!
Ainsi, il apparaît dans les anciens tableaux des maîtres
gothiques, qui peignaient co^ime on prie. Ces maîtres
gothiques qui ont montré le massacre des Innocents
dans un hameau proche des dunes de la mer du Nord,
et ont vêtu les massacreurs de morions et d'armures,
avec, à la pointe des lances, le double aigle des armes
d'Autriche. Les vieux maîtres, qui ont mis l'étable de la
Nativité" au bout d'une prairie.sur une colline, la faisant
pareille à une chapelle. Les murs vont tomber en ruines
et, par leurs lézardes, ils laissent -filtfer une lumière
surnaturelle. La prairie est immense. Et sur son sein
blanchi tous ceux qui tantôt pèlerinaient dans la plaine
sont agenouillés. Ils ont déposé leurs lanternes à côté
d'eux et prient. Les forestiers égrènent des chapelets
faits de marrons sauvages et d'une croix taillée dans le
chêne. Les pêcheurs de Coxyde, descendus de leurs che-
vaux, baisent avec ferveur leurs scapulaires où l'on voit
Notre-Dame de Bon-Secours. Ils font, sous l'astre sym-
bolique planant au-dessus d'eux, des groupes obscurs
sur le sol, jusqu'au loin, le long des murs des jardins
du village, sous les saulées, près des rangées de peupliers
Jbornant la prairie.... Plus loin des troupeaux se sont ar-
rêtés, au clair des étoiles, sur les versants d'une côte
chargée de perches à houblon en faisceau pour l'hiver,
et au-dessus de laquelle un moulin décrit, du signe de ses
ailes, une croix hallucinante de frimas et de nuit... Près
de la colline s'empressent des esclaves pareils à ceux
qu'on voit au marché de Bruges, les jours où s'amar-
rent des bateaux venus d'Orient ; il y a aussi des droma-
daires et des chameaux autour desquels viennent rôder,
d'un air de méfiance, les chiens des pâtres » .
0 peintres gothiques! ô vieux maîtres ! Et toi, notre
contemporain, écrivain magicien, descripteur poète !
Qui vous a inspiré cet entremêlement de la Palestine et
de la Flandre, ce naïf et suggestif niélange de psycho-
logies antipodiques. Vous étiez proches pourtant, vous
les ancêtres, du temps prodigieux des Croisades et ceux
qui étaient revenus des grandes guerres, presque des
1 ressuscites, avaient empli les mémoires et enfabulé les
traditions de récits racontant l'Orient. Néanmoins,
obéissant à un instinct irrésistible, vous avez transporté
chez vous, et fait vivre dans vos paysages familiers, ce
passé chrétien, merveilleux et pieux, accomplissant le
plus étonnant, et semblait-il, le plus absurde des ana-
chronismes, ne voulant pas, ne voulant pas, pour expri-
mer les élans de vos âmes croyantes, ni de cet Orient
asiatique, ni des foules sémitiques dont vous sentiez, ô
grands inspirés, le formidable désaccord et l'irréduc-
tible antipathie pour les actes, les épisodes, les sublimes
et simples enseignements du Christianisme naissant.
Vous avez, d'un coup de génie, rétabli l'équation, vous
UART MODERNE
75
avez rapatrié tout le drame qui marqua la dernière puis-
sante évolution des aspirations religieuses de notre race.
Vous l'avez rétabli dans cette Europe, dans ce Nord,
dans cette Flandre où il s'harmonise avec la Nature,
tout entier., sauf la hideuse et sublime tragédie finale
du Calvaire, la crucifixion ninivite, digne, elle, des
férocités phéniciennes et bien placée sur l'aride Golgotha
au milieu des vociférations des anciens adorateurs du
Moloch dévorateur.
Ah ! ce n'était pas une Juive, consanguine des noires
Judith et des impitoyables Salomé, c'était une fille de
notre sang et faite pour être représentée en Flamande,
« cette Vierge, radieuse de joie, assise derrière la
crèche, une main près de la paille, comme si elle eût
béni l'enfant. Elle avait l'air bonne et tendre; ses yeux
restaient fixés vers son fils et ses cheveux l uisaient de
blonds reflets d'épis. Ah ! mes frères ! Vous qui avez vu
des Joyeuses Entrées dans votre cité, qui avez entendu
des trompes sonner au-dessus de votre beffroi et con-
templé le vol césarien des oriflammes, — vous n'imagi-
nez pas la gloire qui me prit alors sur ses ailes et
m'emporta j usqu'aux cieux! »
Touchante philosophie de ces œuvres, mais surtout
profonde, allant aux souterrains mystères des plus
nobles problèmes historiques. Au resplendissant éclat
de l'art, elles ajoutent l'altière beauté des pensées
magistrales. Elles charment les yeux, elles résolvent les
obscurités. Leurs téméraires invraisemblances sont de
triomphants coups d'épée brisant l'écorce qui envelop-
pait les vérités surgissant tout à coup très hautes,
pareilles aux flèches des antiques, églises. Elles mon-
trent, avec une invincible logique de sentiment, la dérai-
son de ce hasard de l'Histoire qui fit naître et vivre le
Christ, l'aryen-type, le sublime védique, au pays de
Judas. Ah ! comme elles le font apparaître mieux en son
nimbe divin dans cette Flandre incurablement chré-
tienne, dont l'obstination pieuse étonne et scandalise
les modernes incrédules. C'est d'elle qu'on peut dire :
" Allez ! Jésus est né ici dans une étabèe ! La plaine de
votre province est semée de lumières, car un Dieu y a
choisi l'emplacement du ciel ! Allez ! »
Et si, devant l'étrange de ces affirmations que nous
clamons en enthousiaste et en convaincu, vous doutez,
lisez la Ville d'or, lisez le Soir de la Nativité, lisez
les Contes d'Yperdamme surtout, lisez, lisez, lisez!
Si jamais vous avez vécu sur la terre flamande, si en vous
palpite une âme flamande, oh ! que promptement vous
serez séduits. Comme en vos intimes et imparcourues
profondeurs vous sentirez vite le tressaillement des plus
mélodieuses harmonies psychiques, infiniment cares-
santes et séductrices, éveillant les rêves ancestraux, les
alanguissantes douceurs des lointains ataviques, éva-
nouis, mais dont les reflets font encore une lumière
cendrée sur les horizons nocturnes de la conscience.
Par le prestige de l'art interprétateur, révélateur des
visibles mystères de la Nature et de l'Histoire, si près
de nous et pourtant si fermés jusqu'au jour où, soit un
pinceau magique, soit une plume féerique en fait saillir
et jaillir les essentielles beautés, les essentielles vérités,
vous trouverez plus vraie que la vraie cette Nazareth
mystique érigée dans un paysage introuvable des envi-
rons de Bruges, ce Bethléem voisin des champs où fut
livrée la bataille des Eperons d'or, proche d'un Jourdain
fjabulèux que les Rois Mages trouvent gelé : « Les
bateaux de pêche étaient bloqués dans les glaces et les
arbres des rives, couverts de givre, avaient l'air plongés
dans le rêve immobile des hérons ». Lisez, lisez et
admirez ! N'attendez pas qu'un nouveau Mirbeau vienne
vous dessiller les yeux.
LES REPRESENTATIONS DU THEATRE LIBRE <
M. Antoine commencera jeudi prochain dans la salle du Parc
la série de représenlalions du Théâtre Libre. En voici le pro-
gramme :
1*' SPECTACLE : La Dupe, pièce en cinq actes de Georges Ancey.
Un beau soir, un acte en vers de M. Maurice Vaucaire.
2" SPECTACLE : U Envers d'une sainte, pièce en trois actes de
M. François de Cucel.
Seul, deux actes d'Albert Guinon, l'auteur des Jobards.
3e SPECTACLE : Blanchette, trois actes d'Eugène Brieux.
L'abbé Pierre, un acte de Marcel Prévost. ^
DaJis le Rêve, un acte de M. Louis Muliem.
4» SPECTACLE : Le Canard sauvage, cinq actes d'Ibsen, traduc-
tion de MM. Armand Ephraïm et Lindenlaub.
5* SPECTACLE : L'Ecole des veufs, trois a^tes d'Ancey, rede-
mandés, ,, _ .
L'Etoile rouge, trois actes d'Henry Fèvre.
Comme on le voit, pas une seule pièce d'auteurs beiges. Nous
nous en étonnons. Nous savons, en effet, que M. Antoine avait
sollicité et obtenu de Maurice Maeterlinck l'autorisation de jouer
la Princesse Maleine, et de Camille Lemonnier Madame Lupar.
Nous savons aussi que celte dernière œuvre devait être mise en
répétition et que M"" Defrènes, qui créa à Bruxelles le rôle de la
femme de Tabarin et qui avait eu chez nous un si légitime succès
dans le Pain du péché, avait.accepté le rôle de Madame Lupar.
Nous ne voulons pas ej^aminer de trop près les motifs qui ont
décidé M. Anloineà supprimer de son programme ces deux œuvres.
Ils ne peuvent être que d'ordre secondaire, étant données la
notoriété et la haute valeur des artistes qui les ont écrites.
M. Antoine a joué et nous annonce des pièces dont certaines,
assurément, ne valent pas celles de nos compatriotes. Exclure
celles-ci après les avoir recherchées nous paraît singulier et mal
explicable, nous paraît aussi assez ingrat vis-à-vis de la jeune
école belge qui l'a si énergiquement et si opiniâtrement soutenu
dès l'origine et qui, nous osons le dire, a largement contribué à
faire admettre son entreprise.
M. Antoine a joué des pièces russes, des pièces norwégiennes.
Nous prétendons avoir droit au même honneur. Il nous semble
illégitime de voir disparaître Camille Lemonnier du programme
76
VART MODERNE
du Thdâlre Libre, alors que le Mâle a éié joué b Paris avoc grand
succès au Tliéaire de l'Avenir drannalique, el M;iurice Maeterlinck,
alors que l' Intruse sl é\é]owéQ à Paris, à Londres el à Copen-
hague en suscitant l'upiverselle attention.
Nous ne méconnaissons pas les services que M. Antoine a rendus
à l'an neuf, mais nous souffrons de voir nos écrivains, surtout
quand ils ont un tel mérite, ne pas être traités sur une scène belge
avec les mêmes égards que les écrivains étrangers, et nous tenons
à dire à M. An'oine, comme avertissement cordial, qu'il ne sau-
rait, en agissant ainsi, conserver intactes les sympathies que nous
lui avons témoignées jusqu'ici. Qu'il se souvienne que dans les
circonstances difficiles, le désir de soutenir la tentutive hardie à
laquelle il s'est voué nous a toujours mis au premier rang de
ses défenseurs. Celle bienveillance risquerait de disparaître ou de
s'atténuer si nous constations chez lui un parti pris défavorable à
noire an national el une altitude imméritée vis-à-vis d'arlislcs
que nous aimons el dont nous sommes très fiers.
^ XJ X x x
Troisième concert.
L'expérience malicieusement tentée par M. Ysaye et ses colla-
borateurs en vue de juger la compréhension du public qui, depuis
cinq années, s'initie à l'évolution de la musique nouvelle, a eu
un résultat excellenl. En présentant, en première audition, au
public des XX un Quintette inédit de M. C. Chevillard,
honorablement écrit selon les formules consacrées mais d'un
intérêt secondaire, les organisateurs n'ont pu avoir d'autre but
que de s'assurer si les auditeurs les suivent dans leur oeuvre de
propagande el sont à même d'apprécier les compositions de haute
valeur qui forment le répertoire habituel des expositions musicales
vingiisics.
L'accueil réservé fait au Quintette, opposé à l'enthousiasme qui
a salué chacune des quatre parties du Concert de M. E. Chausson,
a été tout b l'honneur du public, en prouvant péremptoirement
son intelligence artistique.
Ce Concert, lout fraîchement écrit pour piano, trois violons,
alto el violoncelle par l'autour de la Tempête ei de /« Li'gende
de sainte Cécile, classe définitivement M. Chausson parmi les
maîires de la jeune école française. Le public a compris, dès le
premier morceau, qu'il s'agissait d'une œuvre vraiment forte et
profonde, d'un sentiment élevé elpénéirant, aussi ailachantc par
la beauté harmonieuse des lignes que par l'élégance du détail,
finement ouvragé. Et cette impression s'est acceniuée jusqu'à la
fin, couronnée par une ovation chaleureuse à l'auteur.
Les quatre parties qui composent l'œuvre (I Décidé. H iSi'n-
lienne. 111 Grave. IV Tiès anime') ont, chose rare, même uniié
de style ei s'enchaineni logiquement jusqu'à lépanouissement
final. Quelques simplifications d'écriture donneraient plus de
grandeur aux développements du dernier morceau, lout en en
rendant l'inierprélalion moins vétilleuse. Celle critique de délai!
faite, il n'y a vraiment que des éloges à adresser à M. Chausson
pour la distinction des idées qu'il met en œuvre el pour l'art avec
lequel il les développe en dessins mélodiques exiiuis soutenus
par des harmonies neuves el d'un charme lout spécial.
C'est av( c le Quintette et le Quatuor de César Franck et le
Quatuor à cordes de Vincent d'Indy l'œuvre la plus parfaite de
fond el de forme qui ail été produite aux Concerts des Z.Y depuis
leur fondation.
Faut-il ajouter qu'elle a été supérieurement exécutée par
MM. Ysaye, Crickboom, Biermasz, Van Hout cl Jacob el par un
jeune pianiste parisien, M. Auguste Pierrot, élève de M. Diémer,
qui, en quelques jours, sa l'est assimilée au point d'en donner,
malgré des difficultés techniques qui paraissent insurmontables,
une inicrpréiaiion correcte, nuancée, respectueuse des moindres
intentions de l'auteur.
Un poème en musique de M. A. Magnard, Invocation, d'un
joli sentiment, el les exquises mélodies lout récemment écrites, à
Venise, par M. G. Fauré, sur des poésies de M. P. Verlaine, for-
maient,avec des chœurs à deux et à trois voix de MM. G. Fauré et
J. Tiersot, la panie vocale du concert.
La voix fraîche, harmonieusemenl timbrée de M"» Cécile Thé-
venet a donné du charme el de l'accent aux mélodies de Fauré el
de Magnard, et en a fait vivement ressortir le charme délicat et
subiil. Son succès a été unanime.
A ciler spécialement: Mandoline, En Sourdvie, C'est l'Extase,
de Fauré, vrais joyaux d'une valeur artistique très précieusQ.
f OUP? DE pLUME
par FiRMiN Vandbn Bosch. — Louvain, Aug. Fonteyn, 1892, 26 p.
« Lisez les modernes, el quelle que soit la forme dans laquelle
« ils ont coulé leurs pensées, ne refusez pas votre adhésion
« enthousiaste au fier, jeune et neuf idéal auquel ils vous con-
« vient...
« — Mais je suis catholique?
« — Tant mieux, et moi aussi... La solennelle formule de je
« ne sais quel confectionneur de préceples : « Vous serez clas-
« sique ou vous ne serez pas catholique » ne doit plus avoir le
« don de nous émouvoir. Nous sommes catholiques tous deux
(( — el de toutes les énergies de notre ûmc!
a Mais après cela, qu'on nous laisse tranquilles. »
Bravo! Voilà ce qu'il faut dire, redire et clamer à toutes les
oreilles qui ne veulent pas entendre •: Que l'art et ses formes
multiples sont au-dessus des idées, des principes el des phiLo-
sophies; qu'il est un moule oii peut se couler toute vie, el la
réelle, el l'idéale, et la spirilualisie, et la panthéiste et toute
autre.
M. Firmin Vanden Boseh est de ceux qui n'ont pas « froid aux
yeux » en matière de critique. Dans le milieu aux idées étroites
où les occasions de la vie l'onl conduit parfois, il a su montrer
les belles audaces de la jeunesse et crier sus à tous les pontifards
Orthodoxes pour qui le salut littéraire n'existe pas en dehors des
humanités comprises à leur façon.
Et voilà que déjà la campagne menée par le petit noyau des
jeunes catholiques a porté quelques fruits. Après les chaleureuses
discussions du récent Congrès de Matines, — où il a été prouvé,
à des gens qui ne s'en doutaient guère, qu'on pouvait faire du
très grand art en dehors du gothique el des écoles Saint-Luc de
la littérature, — la section des lettres a émis le vœu suivant :
« Il esl à souhaiter que, dans l'enseignement moyen ou supérieur,
l'élève soii dirigé au point de vue de l'étude de la littérature
mod( rue et contemporaine el plus spécialement que la lillératurc
postérieure à 1830 soit étudiée dans un cours libre des uni-
versités ».
^
Dans la pelitn plaqucltc qu'il nous onvoio/c'esl b la réhabiliia-
tion des vrais clussiiiiics et au gitliigo des poncifs Louis XIV îquc
M. Vaiiden Bosch se livre en ses cliapilros « Contre le Télétiiaqiie »
et « Plaidoyer pour le Bonhomme ». Puis, après l'exhumalion
de quelques vieux souvenirs Icstemenl narrc^s, il fait son procès
à l'enseignement moderne. A notre avis, il n'en dit pas encore
assez. Il n'y a pas de pays où l'élude de la littérature soit plus
absurdemenl enseignée qu'en Belgique, l'n rhéloricien ne sait
rien de rien et sort du collège, lu télé bourrée de préjugés le plus
souvent iniléracinablcs. - Le temps donné à la litiéralurc est
presque nul et les mélhoilcs d'enseignement remonlenl aux lemps
paléi'liiliiques. C'es-t ainsi dans la capitale. On a peur de penser
au spectacle que doit présenter la province.
Encore quelques coups de plume, confrère, cl en avant pour
l'art jeune, véridique ei libre. Oui, « l'irrévérence en littérature,
c'est toujours délicieux — et parfois utile... _»
^CCU^É? DE RÉCEPTION
Automnales, par Carlos du Fay; Gand, Van Melle. — Les
chansons naïves, par Paul Gérardy ; Liège, VaillaaV-Carmannc.—
L'habit d'arlequin, lablcauiins par le B"" Arnold de VVoelmont;
Bruxelles, Société belge de Librairie. — En Vucnnces, Notes et
impressions, par le B»"de Haulleville ; Bruxelles, P. Lacomblez.
EXPOSITIONS GOURANTES
Œuvres de Ros&Leigh, Gharlier, Pion, Van Strydonck,
Th. Verstraete.
S'il est un pays qui eût dû pousser à la luminosité M. Van
Slrydonck, c'est certes les Indes. Aux XX, cette année, le peintre ne
présente que trois portraits où le souci de lumière est peu appa-
rent.
Les œuvres représentatives de paysages et d'intérieurs indiens
sont dans la mémo note. C'est curieux, mais pas élincelant du
tout. Certains éléphants aux trompes monstrueuses, aux pattçs
malhémaliquement carrées, aux cornacs d'identique coloration,
sont d'un effet peu décoratif et, nous semble-t-il, peu véridique.
De Pion, des portraits très habilement étudiés, une léle de
paysan surtout. Mais portraits bourgeois, à l'attitude et au regard
très peu intellectuel.
M"'' Rosa Lèigh présente dos toiles plus séduisantes : fraîches
vues d'Irlande, à la mer émeraude, aux rochers sincèrement
rendus et d'une tonalité générale qui ne déroute pas les idées
préconçues que l'on possède sur ce pays.
M. André Colin réussit mieux la figure que le paysage. M. Théo-
dore Verstraete n'expose qu'une toile. En l'espèce, c'est peu pour
porter un jugement.
Quant à M. Charlier, nous le trouvons remarquable en certaines
sculptures. Le groupe A/w^/r (enfant agenouillée près du matelas
où gît sa mère mourante), Cï-t d'une vérité vécue. Telle œuvre de
Meunier à peut-être suggéré l'idée de celle-ci, mais ce n'a été
que pour encourager l'artiste à faire grand et naturel. Signalons
aussi un bas-relief à la cire : Pêcheurs à la Minque. Atiroupe-
ment d'hommes et de femmes, pris sur le vif. Les bas-reliefs des-
tinés au monument de Gallail sont d'une conception moins
foreuse.
De MM. Victor Uytterschaut, Henry Stacqaet et
baron J. Goethals Au Cercle artistique.
M. Uytterschaut est reconnu, depuis longtemps, comme un
aquarelliste savant, à la belle louche, à la robuste couleur.
Parfois le tentent quelque mare, quelque étang, quelque coin de
village, — mais où il excelle, c'est dans la représentation des
barques, où il obiienl des effets d'une délicatesse charmante et
pleine de saveur, il y en a plusieurs ainsi, à l'exposition actuelle,
des échouées, noires et solides sur le sable des dunes et le gris
salin de la mer du Nord.
M. Stacquel est plus mièvre. Il est fin ; son aquarelle ravit
comme un joli nœud prestement posé sur la poitrine d'une affrio-
lante femme. C'est presque un peintre d'éventails; ses prairies sont
légères comme des fils de la vierge, ses villages sont de petits
sourires, ses marines sont comme un peu de folle écume sur le
Whalman.
M. Goethals expose 28 tableaux à l'huile, dont quelques-uns
sont bien faibles et bieti fatigués, d'autant plus qu'ils sont tués
net par son ancien déjà et beau Nieuporl, au ciel d'aurore si
chantant, aux dunes pleines de caractère, ayec, dans le fond, la
ville profilée sur du soleil.
A MM. 6. Frédèrix, Ch. Tardieu, et tutti quanti.
Des étudiants de Gand avaient demandé la collaboration de
M. Ernest Lavisse, professeur en Sorbonne, pour l'Almanach de
leur Université de cette année.
M. Lavisse leur a envoyé un morceau, excellent quoique un peu
professoral et déclamatoire, dont parlent tous nos journaux et
auquel l'Indépendance fait les honneurs de son supplément litté-
raire d'aujourd'hui.
Ce morceau est un panégyrique de la Belgique et de sa Jeunesse.
On ne peut le lire sans émotion et sans reconnaissance. Il a
d'autant plus de portée que son auteur a conquis à Paris la situa-
tion privilégiée d'un savant, dans toute la force d'une belle matu-
rité, apparaissant comme le chef et l'inspirateur des nouvelles
générations studieuses, d'un homme enthousiaste, d'un fervent
du progrès vers qui elles se tournent et en qui elles espèrent.
Nos bons et impartiaux journalistes qui éreinlenl systématique-
ment notre jeunesse artistique et littéraire se pâment devant ce
qu'ils nomment « une lettre remarquable » ; ils louent et exaltent
sans réserve « cet universitaire s'occupant de la Belgique avec une
réelle compétence »; ils s'émeuvent « devant cet écrivain qui
parle sans préjugés, ni erreurs^, etc., etc., etc. : ils y vont bon jeu,
bon argent, émerveillés et touchés des compliments ainsi envoyés
par-dessus la frontière; ils les trouvent justes, encourageants,
méritoires.
Mais ils ne s'aperçoivent pas, ces mannequins, que l'acte de
M. Lavisse qui les met en ce rut, est la plus véhémenie critique de
leurhabituelle attitude de dénigrement et de gouaillage, d'insolence
et de dédain pour leurs compatriotes.
Une remarque très simple suffit à le démontrer : Imaginez
M. GustiiVé Frédèrix, M. Charles Tardieu ou tel autre qui, par sa
systématique et méchante critique est descendu au rang de plu-
mitif méprisé des jeunes, imaginez l'un de ces bonshommes ayant
eu l'heureuse inspiration de parler des vaillances de notre jeunesse
comme vient de le faire cet étranger. Quelle situation il eût
conquise chez nous ! Quelle justice il eût faite aux nôtres ! Quel
78
VART MODERNE
changement radical de tous les facteurs de notre mouvement
contemporain! Quelle paix reconquise, quel encouragement pour
la marche en avanl !
Imaginez M. Gusiavc Frédérix, M. Charles Tardieu ou tel
autre de ces chevaliers du style au poignet, s'avisant, au lieu
d'exalter le troupeau des médiocres dans la basse inleniion de
diminuer ceux qui marchent et qui osent, de parler des misérables
résidus doctrinaires comme M. Lavisse l'a fait en cette phrase
fatidique :
« Deux problèmes s'imposent à noire civilisation, qui doit les
résoudre ou périr : le problème de la justice sociale et le pro-
blème de la justice internationale. Et les jeunes gens qui font
dans les écoles la veillée d'armes de la vie sont de pauvres
petits garçons aveugles, s'ils s'enferment dans la préparation b
dos métiers, et ne pensent pas même à chercher le mot des deux
grandes énigmes. Le sphinx n'attendra plus longtemps. »
Ah! le rôle était beau et la gloire eût été immense! Mais pour
saisir les hautes résolutions il faut de grands cœurs. Les crilicules
auxquels nous avons à faire sont de la race des dégénérés et des
appauvris. Ils ne se doutent môme pas, ces essoufflés et ces
éreinlés, de la contradiction amusante qu'il y a entre ce qu'ils
vanlent 'chez M. Lavisse et ce qu'ils font chez nous. Alors qu'ils
trouvent admirable qu'un étranger proclame « la Grandeur de la
Patrie Belge », exécute « les pauvres petils garçons aveugles qui
se renferment dans la préparation à des métiers », et dirige tout
l'éclat du feu de ses phrases sur « ceux qui pensent à chercher le
mot des grandes énigmes », eux vilipendent leurs compatriotes,
et pratiquent à leur égard les commandements doctrinaires :
Affamer ou diffamer, — déshonorer ou destituer, — corrompre
ou écraser.
Allez-y, Critiques et Universitaires, lescoupsdepied et les gifles
pleuvent depuis quelque temps sur vous, mes mignons, en
giboulées. Vous avez du plomb dans l'aile, mes petits pigeons;
la place se nettoie; vous en disparaîtrez prochainement et serez
désormais libérés du souci d'accomplir vos quotidiennes sottises.
CONCERT DE L'ECOLE DÉ MUSIQUE DE LOUVÀIN
Jacqueline de Bavière
Oratorio historique de J. Van den Eeden.
{Correspondance particulière rfe l'Art moderne.)
M. Emile Mathieu a offert, samedi dernier, un savoureux régal
aux gourmets de musique. Ce concert ronlinuc la série des suc-
cès auxquels le vaillant directeur de l'Ecole de musique de Lou-
vain nous a habitués. Grâce à d'incessants efforts, à cet opiniâtre
labeur, qui, selon l'adage latin, vainc tout, il a réussi à grouper
autour de lui une phalange artistique digne de lui-même. Pour
préparer celle remarquable audition de Jacqueline de Bavière,
l'épopée musicale de J. Van den Eeden, pour élever orcheslre.eî
chœurs à la hauteur de l'œuvre, il ne fallait pas moins que l'auteur
de Richilde : c'était un maître interprétant un maître.
Jacqueline de Bavière, oratorio historique (1430), composé sur
l'adaptation française que G. Aniheunis fit du poème d'Emm. Hiel,
fut exécutée à Anvers en 1876, à Mons en 1879 et à Namuren 1889!
L'œuvre, ancienne déjà, comme on voit, a néanmoins conservé sa
fraîcheur : elle a la vie toujours jeune de l'art.
Elle s'ouvre par une symphonie descriptive d'une radieuse
poésie.
L'aurore se lève sur l'Eseaut. Soudain l'Orient éclate en fanfares
vermeilles. Sur le fleuve illuminé se bercent les barques dans la
caresse des rayons et des brises. Des chœurs de femmes, sur la
rive, répondent aux chants d'amour des pécheurs. Et, dans la
lumière neuve du jour, toute celte mélodie de tendresse heureuse
monte comme une aube ineffable de volupté vers François de
Borselen, attendant, prisonnier dans une tour, l'heure do son
supplice. Tandis que le soleil d'été s'élance de plus en plus dans
une triomphale explosion de lumière, répandant partout l'ivresse de
la vie, le captif se sent envahir parles ténèbres de la mort; ces
chants qui se mêlent à ses funèbres lamentations, semblent venir
vers lui du lointain des jours heureux et évoquent, en son cœur,
la douce vision de son ainaute, Jac(iueline de Bavière. Tout à
coup stride une sonnerie de irompelles, une flolte s'avance et voici
qu'apparaît Jacqueline, la bien-ainiée, pour la délivrance du bon
chevalier.
Telle est la première partie du poème musical qui a été exécuté
h Louvain. Jean Van den Eeden s'y hausse h la taille de Peter
Benoit: il est h la fois musicien, poète, peintre. Il a la science
et l'inspiration; toute son âme vibre à iravers-l'ingénieux travail
de l'orchestre. Son œuvre, dans ses parties descriptives, poé-
tiques et dramati()ues, a tour, à tour la couleur, la suavité et
Témolion; la progression y est parfaitement conduite jusqu'au
final qui^ dans un crescendo de lumière, de joie cl de puissance,
éclate av'ec une ampleur majestueuse.
Elle a été excclieuimenl interprétée par l'orchestre et les
chœurs composés en grande partie d'amateurs des deux sexes
dont la ténacité d'Emile Mathieu, maintient compacte la phalange
depuis plusieurs années, par une sorte de miracle; surtout et
hors pair par M. Achille Tondeur, baryton, professeur â l'Ecole
(le musique de Louvain, qui a rappelé le puissant souvenir du
regretté Emile Blauwaert.
Dans la première partie du concert, M""Delhaze, pianiste, el
M"" J. Vranckx, cantatrice, ont mérité les plus vifs applaudis-
sements.
MAURITS BAUER
La légende de saint Julien l'Hospitalier. — 10 litho-
graphies, d'après Gustave Flaubert, tirées à 20 exemplaires numé-
rotés, dont cinq de remarque signés par l'artiste. — La Haye, 1891.
D'un article du Nieuws Gids, d'Amsterdam et sous la signature
de Jan Veti! :
Bauer : un délicat artiste et dessinateur par excellence.
Dessinateur — non à la façon de ceux qu'on intitule ainsi, el
qui, sans autre souci de beauté, en deçà de toute élévation, en
dehors de toute préoccupation, profilent, plus ou moins correcte-
ment, mais surtout avec une prestigieuse facilité, des silhouettes
ou puériles ou conventionnelles; mais un artiste plus spécialement
dessinateur excellent, puisqu'il n'a nul besoin des plus riches
matières et moyens picturaux pour réaliser ses aspirations, et
qu'au moyen de l'unique pointe de craie il fouille ses figures jus-
qu'aux plus imperceptibles nuances.
Le talent de Bauer ne se résume pas à. sa si originale belle écri-
ture. La grandeur de conception de lu plupart de ces planches
leur donne le caractère d'illustrations-paraphrases el le lexte
qu'elles commentent sonne comme un accompagnement de mots
rythmiques montant d'un horizon crépusculaire : un Calife, un
Château, au milieu du bois, sur la pente de la colline, lise com-
posa une armée, Il combattit les Scandinaves.
La frénésie chasseresse de Julien aurait inspiré deux planches
d'un chaleur d'imagination inattendue cl tout à fait déconcer-
tante : Elles tournaient autour de lui.
L'album clôt sur celte : Il s'en alla, mendiant sa vie par le
monde.
Cel album de lithographies, la meilleure œuvre que Bauer fit
voir, est, à notre avis, unique en art!
C'est l'art d'un dessinateur doué d'une miraculeuse intuition,
qui aurait erré par d'étranges pays, les yeux rayonnants du feu
de l'Illusion; .;'esl l'art d'un qui vit énormément de choses, se
repliant sur des pensées avides de la délicatesse des contes bleus,
.<f^»?^"iT>i
LART MODERNE
79
clos formidables alliludcs des rlievalicrs, de la struclurc imposante
des moiuimcnts, de forais infinies où les arbres moment et s'éten-
dent comme de somptueux fantômes el se reculent aussi, de
pensées éprises du faste orientai.
C'est l'art d'un aventurier visionnaire, que quatre grands
artistes de l'art contemporain : Delacroix, Doré, Monticcll.i et
Tbijs Maris aura'*^"' '<^"U sur les fonts baptismaux.
L'art d'un fa""J''''ste rêveur qui improvise mollement, mais
brillamment av^c ""c très riche faculté de mise en sc^n&, d'iieu-
reuses trouvailles f'c raffinée délicatesse. C'est le poétique et sug-
gestif décor, tissé d'un encbovétrcment de lignes grises, d'un conte
ensorcelant el somptueux.
Fata morgana d'un admirable monde légendaire, plein de la
grandeur dos aventures de mis moyen-ftgeux, resplendissant de
sainteté, étourdissant du bniit des échos des combats!
«Petite c;HR0f4iquE
La clôture du Salon des XX aura lieu irrévocablement
aujourd'hui, dimanche, à S heures, certaines des œuvres exposées
devant ôlrc expédiées aux expositions de Paris et de Londres.
Le pianiste Arthur Van Dooren donnera un concert, le iO mars,
à la Galerie moderne, rue Royale, 180, avec le concours de
M"* Van Dooren, pianiste, de MM. Heuschling, baryton, et
Crickhoom, violoniste.
La Sociélé de Musique de Tournai annonce pour le dimanche
20 mars courant, une audition musicale consacrée aux oeuvres de
M. Gabriel Picrné. M. Pierné jouera sa Fantaisie- Ballet pour
piano et orchestre ; les chœurs interpréteront Pandore, avec solo
de soprano el déclamation, et les Elfes, pour quatuor, solo et
chœurs. L'orchestre fera entendre sa Marche de l'Exposition, sa
Sérénade, la Pantomime, la Veillée de l'Ange gardien el la
Marche des petits Soldats de plomb.
Les solistes sont M. Chômé, M"" Guilliaume el Vlicx, MM. Ver-
boom et Coryn. ^
Paraîtra à la fin de ce mois l'œ-uvre nouvelle de M. Georges
Eekhoud : le Cycle Patibulaire; V« Monnom, imprimeur; Kisie-
Tïiaecker, éditeur. Tirage à petit nombre. Prix : 5 francs l'exem-
plaire sur vélin ; 10 francs celui sur Hollande.
Cours supérieurs pour dames. — 7 mars, à 2 heures,
M. H. Pergameni : Les races et les peuples de l'Inde; à 3 heures,
M™» A. Chaplin : Gecrge Eliot (suite). — 8 mars, à 2 heures,
M. E. Verhaeren : La peinture néo-golhique allemande. —
9 mars, à 2 heures, M. H. Pergameni : Les réformes de Marie-
Thérèse et de Joseph IL — iO mars, à 2 heures, M. H. Lonchay :
La révolution brabançonne; à 3 heures, M"« J. Tordeès : Lecture :
Richepin : Par le glaive. "
Programme du prochain festival rhénan (à Cologne) :
Première journée : Ouverture à'Euryanthe, Psaume 114 de
Mendélssohn; Svmphonie n» IV de Schumann; fragments du
Crépuscule des dieux de Wagner; 9« Symphonie de Beethoven.
Deuxième journée : Ouverture à'Anacréon de Chérubini ;
Requiem de Verdi ; symphonie de Roméo et Juliette de Berlioz.
Troisième journée : Ouverture de Léonore de Beethoven ;
Kaisermarsch de Wagner ; Schôn Ellen, cantate de Max Bruch ;
Psaume 13 de Liszt.
De la Légende de sainte Cécile, l'œuvre nouvelle de MM. Bou-
cher et Chausson, dont notre correspondant de Paris a fait iin
vif éloge (1), le Guide musical donne le compte-rendu suivant :
Le Théâtre des Marionnettes de la rue Vivienne, qui nous a
procuré, depuis trois ans, de si délicieuses soirées, vient de
rouvrir ses portes à la grande joie des amateurs. La Tempête,
les Oiseaux, Tobie cl la Nativité du Christ ont laissé des sou-
venirs qui ne s'effaceront point. Jamais on ne vil actrices aussi
(i) Voir notre numéro du 1^ février dernier.
simples el aussi spirituelles que ces petites poupées, el si elles
n'étaient naturellement modestes, l'impatience de leur public à
les revoir pourrait griser un peu leurs petites cervelles el troubler
leurs bons rapports avec leur directeur.
L'an dernier, M. Bouchor nous avait donné Noël, l'éclosion
radieuse des mystères chrétiens ; cette année, nous assistons,
avec la Légende de sainte Cécile, aux lutlos de la primitive
Église. Elle est bien simple, cotte histoire, el tout le monde la
connaît du reste.
Sainte Cécile est prisonnière du roi, qui la veut épouser. Elle
s'y refuse, car d'abord elle est chrétienne, el, ensuite, le jeune
Valérien a quelque pou fait battre son cœur. Lorsqu'il apprend
les motifs du refus que la jolie vierge oppose à ses projets
matrimoniaux, le roi décide de faire iijourir cl Valérien el sainte
Cécile dans les supplices les plus affreux. Ils mourront, en effet,
sainte Cécile au moins; mais, auparavant, l'intervention divine
fait tomber le méchant roi au fond d'un abîme qui s'ouvre entre
les deux jeunes gens.
11 y a aussi dans la pièce, — car c'est une pièce, — plusieurs
personnages épisodiques, qui. ont obtenu un gai succès : Gaymas,
notamment, l'intendant du roi, dont le rôle étail récité dans la
coulisse par M. Raoul Ponchon. M. Bouchor lui-même récitait le
rôle de Valérien; M""» Eugénie Nau, celui de sainte Cécile.
Les vers de M. Maurice Bouchor sont, comme on les allendail,
suaves et forts, harmonieux et pleins, simples el riches à la fois.
L'inspiration en est aussi heureuse que celle de son Noël; il y a
mis, en outre, celte fois, du pathétique et du poignant.
M. Ernest Chausson a composé, pourcettc légende, une partition
importante, qui a largement partagé, avec les vers de son poète,
les honneurs de la soirée. Cette partition est une petite merveille
qui s'adapte admirablement au sujet ; c'est le plus bel éloge
qu'on en puisse faire. Chaste, céleste quand c'est sainle Cécile,
vraiment angélique quand ce sont les chœurs d'anges invisibles
qui l'inlerprètcnl, celte musique a ravi l'auditoire.
La toile de fond du dernier tableau, l'apparilion de sainle
Cécile, qui est l'œuvre de M. Henri Lerolle, complète un ensemble
délicieux.
Des artistes hollandais, au nombre d'une cinquantaine, ont pris
l'initiative d'une manifestation nationale de sympathie en l'hon-
neur de deux peintres qni atteignent leur soixante-dixième année :
31M. W. Roelofs et J.-A.-B. Strocbel. Le Comité se propose
d'offrir au Musée de La Haye les portraits des deux peintres. Les
souscriptions sont reçues par M. P. -S. Van derBurgh, secrétaire,
Parksiraat 89, La Haye.
Vient de paraître : Floréal, revue mensuelle de littérature et
d'art. — Collaborateurs : Charles Bronne, Charles Delchevalerie,
Céleslin Demblon, Auguste Donnay, Germaine Franck, Paul
Gérardy, Aug.-M. Henroiay, Albert Mockel, Pierre-M. Olin, Léon
Paschal, Pierre Quillard, Edmond Rassenfosse, Henri De Régnier,
Fernand Severin, Albert Thonnar, Emile Verhaeren, Gaston
Vyttall, etc., etc.
Abonnements : 5 francs l'an. Direction ; 22, rue Sainl-Remy;
rédaction : 7, rue de la Boverie, à Liège.
Lors de la dicussion du budget, M. De Bruyn, ministre des
l'agriculture, de l'industrie et des travaux publics, a fait savoir à
la Chambre que sur le refus du gouvernement d'instituer la Com-
mission des sites, M. Jules Carlier, député de Mons, avec quelques
personnes de bonne volonté a constitué lui-même une Commission
libre, qui poursuivra le but de faire respecter les sites les plus
remarquables de Belgique.
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Le numéro : 26 centimes;
Dimanche 13 Mars 1892.
L'ART
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Comité de rédaction i Octave MAtJS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00 — ANNONCES : On traite â forfait.
Adresser toutes les communications à
l'admnistration générale de l'Art Moderne, rue de rindustrie, 32, Bruxelles.
Sommaire
Clôture du Salon des XX. — Le Théatrk Libre a Bruxelles.
- Conférence de M. Fernand Khnopff. — Auguste Delaherche,
- Au Conservatoire. Deuxième concert, — Petite chronique.
Clôture du Salon des XX
Close l'Exposition, récapitulons. On compte les coups
de bouton après l'assaut.
Ceux que d'inoubliables volées maintiennent dans une
pitoyable exaspération à l'égard d'un groupe d'artistes
dont le succès s'affirme, triomphant, aux yeux des moins
clairvoyants, ont donné, comme de coutume, la preuve
de leur parfaite ignorance et de leur nette incapacité.
Il y a belle lurette que le public, de plus en plus initié
aux idées nouvelles, a crevé les vessies que très impu-
demment de soi-disant critiques d'art, érigés tels par
leur propre vouloir, s'efforçaient de faire prendre pour
des lanternes allumées. Cette fois, leur déchéance est
définitive. Isolés, réduits, bafoués par le rire grandis-
sant, ils s'en vont clamant et protestant, sans que leur
voix dépasse un cercle restreint de familiers. Leur ges-
ticulatioi) est si funèbrement comique qu'on est tenté
de les plaindre, loin de songer à se fâcher. C'est l'abo-
lition d'un règne facile, la chute irrémissible d'un pou-
voir usurpé. La révolution accomplie, c'est le peuple
qui juge ceux qui ont trop longtemps voulu le diriger.
N'eussent-elles eu que cette conséquence, les neuf
campagnes entreprises par une poignée d'audacieux
dans tous les domaines de l'art, — peinture, sculpture,
musique, littérature, — mériteraient louanges et res-
pect. Libérée d'édits absurdes, de lois surannées, de pro-
hibitions plantées en poteaux comminatoires aux carre-
fours des voies nouvelles, la foule a reconquis son
indépendance. Elle franchit toutes les clôtures, elle s'en-
gage dans les avenues qu'on s'efforçait de lui interdire,
■elle pénètre au plus profond des fourrés réputés dange-
reux et impraticables.
C'est, pour elle, une délivrance. Pour les artistes, un
essor de créations, une envolée vers des régions inexplo-
rées.
L'empressement qu'on a mis à visiter le Salon des XX,
à acquérir telles œuvres qui y étaient exposées, le
succès qui a accueilli les compositions musicales pré-
sentées en première audition, — les plus intransigeantes
ont été le plus chaleureusement applaudies, — ne sont-
ils pas un témoignage manifeste du revirement décisif
de l'opinion ?
Et comment s'arrêter encore aux déclamations
baroques des critiques hostiles à l'évolution de l'art ?
Chaque année importe une moisson nouvelle au bêtisier
que fournissent leurs vitupérations.
82
UART MODERNE
L'un des bonzes de ce reporto-bavardage n'a-t-il pas
classé, cette fois. Van Strydonck, dont les portraits
n'ont certes rien d'anarchiste, parmi les « pointilleurs "
qui ont « renchéri en fait d'excentricités sur l'œuvre de
feu Georges Seurat, le protagoniste de cette ataxie
picturale » ! {Etoile belge du 8 février.) Ce sont, pour
lui, « rébus insolubles ". Le chroniqueur compare déli-
cieusement tels peintres à « des gens qui s'aviseraient,
pour se rapprocher des antipodes (?), de marcher sur
les mains. On en rirait d'abord. Puis bientôt l'amuse-'
ment tournerait à l'agacement. »
Pour ce « critique (?) » Ensor, Regoyos, Vogels sont
tous des « pointilleurs »•. C'est invraisemblable, mais si
vous ne le croyez pas, lisez V Étoile. Vous y apprendrez
aussi que la technique néo-impressionniste est « démentie
par la nature elle-même lorsqu'elle se reflète et se repro-
duit sur une plaque sensibilisée - (!!!).
...Un autre cite parmi les choses notables du Salon les
projets de vitraux de Besnard, " qui appartiennent,
dit-il, au genre décoratif le meilleur. » {Impartial à\x
9 février.) L'observation Serait juste, sans doute, si on
avait pu voir les dits cartons. Mais ceux-ci appartien-
nent à l'État français, et l'autorisation de les exposer
étant arrivée après l'ouverture du Salon, force a été de
remettre à l'an prochain l'occasion d'éviter à un criti-
que une gaffe d'ailleurs traditionnelle.
M. Constantin Meunier aura dû être, de même,
enchanté de l'appréciation portée par la Gazette
(14 février) sur ses Panthères, « crânement tortillées
dans la cire (!) ». Or, les dites Panthères, encore en
voie d'exécution, n'ont pas quitté l'atelier de l'artiste, à
Louvain.
M. Ensor, lui aussi, a pu voir citer avec éloge un Christ
qui n'a jamais figuré qu'au catalogue et une Jeune
fille à l'église qui n'est autre qu'une bonne dame tra-
vaillant au microscope. {Gazette,! février).
Comme tout cela donne une haute idée de la critique
de ces messieurs et de la conscience qu'ils apportent à
leur mission! Mais ce sont là menus péchés, si fré-
quents qu'on se lasse de les signaler. Ils apportent dans
la campagne toujours haineuse, bien que faiblissante,
qu'on tente de mener contre les manifestations de l'art
nouveau, une note drôle qui n'est pas pour déplaire.
Avec les pantalonnades des cabrioiis qui procèdent à
coups de calembours et les exaspérations des ratés du
pinceau ou de l'ébauchoir devenus les ratés de la plume,
elle complète le cycle des commentaires comiques ou
malveillants dont le bon sens a fait justice.
Qu'on ne s'étonne pas de l'insistance que nous avons
mise, en toute occasion, à arracher les masques, à
mettre à nu ces misères. Si nous avons contribué à
remettre à leur place quelques seigneurs sans impor-
tance qui avaient usurpé les premiers rôles, nous nous
en félicitons et nous avons la conscience d'avoir accom-
I
pli de bonne besogne. Le Salon des XX et son pério-
dique remue-ménage d'idées est une occasion favorable
pour marquer les coups et délimiter le terrain conquis,
A cet égard, le résultat acquis cette année est con-
sidérable. Aux amitiés sans cesse croissantes qui
réchauffent les tentatives libératrices se sont jointes
des sympathies nouvelles. On comprend que l'art est
dans la vie, dans le mouvement, dans l'affirmation
d'une originalité et non dans de stagnantes formules
académiques. Ceux-là même qu'étonnent certaines
audaces ont pour les novateurs qui les déploient le
respect ou tout au moins la déférence qu'ils méritent.
Les œuvres qu'on achète? Ce sont celles pour lesquelles
il n'y avait, au début, pas assez d'invectives et de sar-
casmes : lesKhnopff, les Vogels, les Ensor, lesToorop.
Ce sont celles, aussi, des néo-impressionnistes, dont la
technique victorieuse s'impose malgré l'obstination
imbécile de certains ; les Seurat, les Van Rysselberghe,
les Signac. Plus timidement, il est vrai, et c'est le fait
d'amateurs raffinés et prescients. Dans cinq ans, on se
jettera avidement sur ces toiles claires et pimpantes,
après les avoir conspuées, tout comme on enlève aujour-
d'hui les œuvres des impressionnistes « à la tache ».
C'est l'éternelle histoire, celle des Millet hier, des
Claude Monet aujourd'hui, des Pissarro demain.
Le fait de vendre ou de ne pas vendre une toile n'est
certes pas un critérium de la valeur artistique de
celle-ci. Constatons néanmoins que la peinture nouvelle
entre dans les collections des amateurs, ne fût-ce que
pour détruire ce propos complaisamment colporté :
« Personne ne vend aux XX. M. Vogels offre parfois un '
paysage à M. Ensor, qui répond à sa politesse en lui
faisant hommage de quelques masques. Cela fait deux
tableaux acquis ».
Un grand nombre d'œuvres avaient été vendues anté-
rieurement au Salon. En voici la nomenclature :
Œuvres acquises avant l'Exposition.
P. Du Bois. Portraits (bustes et bas-reliefs).
L. Gausson. Soleil couchant {}i\. g. Y>.d\\Ti). — Soir radieux {\di.)
F. Khnopff. Portraits.
G. MiNNE. Dessin : Don de majorité {VI . R. Picard).
G. Seurat. Lebec du Hoc (M. C. Laurent). — Coin d'un bas-
sin {Hon(leur){^\. E. VcThacrcn).— L'Hospice et le
Phare d' Hou fleur {id.) — Embouchure de la Seine à
Houfleur{n. G.Kahn). —Soir (id.) — Les Poseuses (id.)
— Porten-Bessin ; Vavant-port, marée basse (M. G. de
la Hauit). — Le Crotoy, aval (M. E. Picard). — Le
Chenal de Gravelines; un soir (M""" Monnom). — Le
Chenal de Gravelines ; direction de la mer (M. A. Braun).
Dessins: Café-Concert (M. £. Verhaeren). — Etude
pour la Parade{iL G. Kalin). — Etude pour la Bai-
gnade (id.) — Etude pour le Chahut (M. G. Lemmen).
Etude pour la Parade (id.) — Clair de lutte (id.)
J. TooROP. Homme et femme du village {M. Th. De Bock).
H. DE Toulouse-Lautrec. Portrait.
\
VART MODERNE
83
Th. Van Rysselberche. Portraits.
G. -S. Van Strydonck. Portraits.
G. VoGELS. Feuilles mortes; novembre (M. Loeyensohn). —
Fleurs (id.) — Soir d'hiver.{\d.)
Quant à celles qui ont trouvé acquéreur au cours du
Salon, en voici la liste :
Œuvres acquises pendant l'Exposition.
A. Delaherche. Vase et plat; grès flambés (M. 0. Ghysbrecht).
J. Ensor. L'Intrigue (M. E. Rousseau). — Le Domaine
d'ArnhemiM. E. Verhaeren). — L'Auto-da-fé (Vl. F.
Fuchs). — Les musiciens terribles (id.) — La musique
dans une rue d'OstenUe (M. Bivorl). — Les bons Juges
(M. C. Laurent). — Fruits (M. J. Cordeweener). —
Les Choux (M. Edm. Labarre).
F. Khnopff. Etude pour «!<?ie sphinge» (M. Ch. Demeure).
X. Mellery. Bruges; triptyque (M. Alf. B...). — Le
Dyver (id.)
D. DE Regoyos. Servantes de Marie (M. E. Clarembaux).
G. Seurat. Douze études (M. J. De Greef). — Le Printemps à
la Grande-Jatte (M"« A. Boch).
P. SiGNAC. Scherzo, op. 218 (M. J. De Greef). — Presto, op.
222 (M™« Monnom).
J. TooROP. — Les vieux Songeurs crédules (M. Fournier). —
Le Cimetière (id.) — La Mariée (M. J. Cordeweener).
H. Van deVelde. Faucheur {M. E. Ysaye),
G. VoGELS. Les Dunes; Nieuport- Bains (M. Loevensohn). —
A Fumes (id.) — Pleine lune (M. H. Labarre). —
Brouillard (M. Renard).
Pour compléter ces notes documentaires, voici le
tableau des recettes. Nous le publions, comme de
coutume, en souhaitant qu'on fasse connaître les
recettes de toutes les expositions bruxelloises. On ver-
rait ainsi exactement où vont les sympathies du public.
Cartes permanentes fr. 630.00
Entrées îi 50 centimes . 1,910.00
Entrées à 2 francs 728.00
Vente du catalogue 546.00,
^ Total . - . fr. 3,814.00
En ajoutant au nombre des billets vendus les 500 invi-
tations adressées aux artistes pour l'inauguration du
Salon, les cartes de presse et les invitations spéciales
pour les concerts et les conférences, on atteint le total
de 6,000 entrées, chiffre assurément respectable et
démonstratif.
Ceci suffit à établir l'intérêt qu'excite une manifesta-
tion d'art indépendante et fière qui célébrera l'an pro-
chain son DIXIÈME ANNIVERSAIRE malgré les croasse-
ments des oiseaux de mauvais augure qui annoncent
avec persistance, depuis la première campagne, sa fin
prochaine.
■ LE THÉÂTRE LIBRE A BRUXELLES
La Dupe
Comédie en cinq actes, par Georoks Ancey
C'est une forte et redoutable œuvre que la nouvelle comédie de
l'auteur de l'Ecole des veufs; supérieure à celle-ci, incontesta-
blement d'après nous, plus âpre, plus concentrée, plus tragique,
plu? scarifiante dans la volonté de mettre à nu et de déchirer la
méprisable bourgeoisie parasite qui en est à ne plus avoir de
digniié que par les apparences. Quand, par les hasards elles ini-
quités de la naissance, on est membre de cette classe croulante,
actuellement battue par tous les flots de la justice et du mépris,
on sort d'une telle représentation humilié, effrayé, malade au
profond de la conscience et de la vie morale, avec le découra-
gement triste d'une plaie incurable, avec le pressentiment de la
fin prochaine de ce misérable organisme. Heureusement avec
l'espérance aussi des rénovations!
Car on a beau faire : le côté purement artistique d'une oeuvre
pareille change de coloration par la poussée du côté social. Dès
les premières scènes les tons clairs de la question littérature sont
pénétrés et noircis par les dessous sombres qui montent et détrui-
sent chimiquement la surface. On va là avec son air de critique,
et on se sent muer, disparaître, pour ne plus être qu'un homme
mis en cause comme cent, deux cents spectateurs autour de vous
que gagne et possède bientôt complètement l'inquiétude d'assister
à l'impitoyable vivisection de la classe en laquelle on est englué !
Il fallait voir ce public de la première au Théâtre du Parc, venu
là avec ses louables allures de gens attentifs , sérieux ,
voulant se rendre compte ; si différents par ces qualités des spec-
tateurs parisiens incurablement frivoles et goguenards. Vainement
ils s'efforçaient à ne rester que curieux. Ils se sont sentis tout de
suite sur la sellette. Ils ont compris que c'était un grand miroir
où ils se voyaient eux-mêmes qu'on dressait sur la scène, miroir
de sorcier, arrachant la peau aux apparences pour dévoiler les
ignominieux mystères des mœurs bourgeoises au temps présent.
Et une inquiétude, un malaise a commencé à régner dans la
salle. La substance tragique et cruelle de l'impitoyable pièce
s'est fait tâtpr sous l'étoffe de comédie dont elle était revêtue.
On est devenu grave et mécontent sans pourtant échapper à
l'intérêt profond de l'œuvre et à l'admiration. Quelques-uns se
sont impatienté et irrité de cette opiniâtre enfilée d'allusions aux
misères des intérieurs gros bourgeois, et ont essayé de protester.
Mais la majorité a voulu subir l'opération jusqu'au bout, é(jputer
sinon toujours applaudir, se laisser faire, éprouvant une jouis-
sance acre à se sentir charcuter et dépecer par ce chirurgien
brutal, cynique en son plaisir de mettre les vêtements en
lambeaux, de découvrir les ulcères de la peau, les tumeurs et
les caries internes.
Poignant phénomène de l'Art qui, malgré ses proclamations,
malgré ses répugnances, malgré ses résistances, malgré tout,
s'engage dans la tourmente sociale, chassé là par. un irrésistible
destin. Ils sont plusieurs déjà qui, conscients ou non, faisant de
l'Art font, en réalité, de la Révolution, plus puissants et plus
corrosifs pour détruire que tous les politiciens. Ah! la vieille
devise du Théâtre : Castigat mores reprend sa dignité, s'ampli-
fiant jusqu'à devenir l'expression d'une force dévastatrice. Il ne
s'agit plus de corriger simplement les mœurs, il s'agit de détruire
un ordre de choses. Et ces redoutables démolisseurs qui ont écrit
/
84
L'ART MODERNE
Pot-Bouille et la Dupe y vont d'une sape infatigable. En désho-
norant la classe jouisseuse et dirigeante par la divulgation de ses
hontes, en la déshonorant non seulement vis-à-vis des autres,
mais surtout vis-à-vis d'elle-même, ils travaillent en révolution-
naires plus et mieux que des pétroleurs et des barricadiers.
Il est difficile de démêler ses sentiments quand on sort d'une
représentation comme celle de la Dupe. La plupart ne sachant
descendre aux profondeurs de ce point de vue social, meUent leur
mécontentement sur le compte de l'imperfection artistique. Ils
comparent mentalement ces œuvres où se déroule le terrible
drame des vies bourgeoises faites de mesquines horreurs et de
vicieuses misères avec les pièces du bon temps de M. Dumas fils
et de M. Augieroii leurs mœurs gâtées n'étaient décrites que dans
leur élégance et leur hypocrisie, ils regrettent cette période de
caresses et de mensonges complimenteurs. Il n'est pas artiste,
pour eux, celui qui ne continue pas cet aimable régime ofi l'on
ne retournait pas les housses cachant les meubles troués, où l'on
n'arrachait pas les draperies masquant la lèpre des murs.
Mais, en vérité, l'Art n'est pour rien dans cette instinctive
répulsion. S'il fallait juger d'après lui, le théâtre de Georges
Ancey mériterait d'être mis aux meilleurs rangs, il a, en effet,
les qualités essentielles : description nette des faits, concentra-
tion étonnante des éléments caractéristiques, développement serré
et rapide d'une situation, traits profonds et d'un naturel saisis-
sant, comique sans cesse doublé de tragique, intérêt soutenu,
gradation dans un imprévu tournant en engrenage, langue courte,
solide, appropriée, ne puant jamais la recherche de l'effet.
Et aussi la devination d'un esprit supérieur, le don essentiel.
Car cette vie déroulée en cinq actes de la famille Viot, marchands
enrichis, ignoblement égoïstes et préoccupés du « comme il faut »
pour le dehors, raconte les décisifs et secrets épisodes, la psycho-
logie d'actes, de pensées et de mots qui s'éparpillent d'ordinaire
dans des ménages multiples et que le dramaturge a ici concen-
trés. Nous en pouvons parler nous qui, n'étant journaliste que
par fantaisie, pour tenter de réaliser en notre coin cette indépen-
dance de la presse au milieu de l'universel asservissement aux
entrepreneurs de publicité qui embauchent et qui paient, et
qui étant professionnellement du Barreau, avons pu juger au
Palais, dans le déroulement des procès en divorce, si cynique-
ment révélateurs, ce qu'est l'existence intime du ménage de nos
riches. Mais où donc Georges Ancey eût-il pu, lui, se renseigner
sur ces détails multiples et significatifs qui forment le tissu métal-
lique de son œuvre, si ce n'est dans son génie?
11 est un exemple saisissant de l'aptitude de l'artiste de haute
race à comprendre d'instinct la vie de son temps, à décrire plus
exactement qu'un procès-verbal les choses qu'il n'a pas vues, qu'il
n'a pas entendues, aptitude qui stupéfie le vulgaire et lui fait
croire que l'écrivain, avant de décrire un milieu, va y faire un
long séjour. C'est ce vulgaire qui pense que Balzac fréquentait les
salons du grand monde, qu'il était un familier de la comtesse
de Beauséant ou de la duchesse de Langeai ; que Zola est allé
passer toute une vacance dans les charbonnages du Nord et
Lemonnier dans le laminoir de Happe-Chair. Il ne se rend pas
compte des privilèges intellectuels des grands hommes et notam-
ment de celle prestigieuse seconde vue, hypnose de l'écrivain, qui
lui fait voir l'inconnu et entendre le silence par des forces mysté-
rieuses hyperestésiant ses sens pour tousjes événements contem-
porains.
Dans sa série d'œuvres dramatiques destinées à mettre au grand
jour les secrets des intérieurs bourgeois de ce siècle finissant,
Georges Ancey est de ceux-là. Il a commencé par l'Ecole des
veufs, il a continué par la Dupe, il poursuivra apparemment par
d'autres chapitres cette épopée descriptive des vices et des avi-
lissements moyens, tette mission de sa vie littéraire est plus
visible dans son côté social que dans son côté artistique. C'est
elle qui frappe et émotionne. C'est el'e qui est le secret de la
grandeur de ses œuvres. C'est elle qui explique l'aversion des
repus qui vont disparaître, qui explique aussi la sympathie admi-
rative de ceux qui croient et espèrent en voyant ces plumes,
transfigurées en épées, frapper le vieux monde chancelant.
Conférence de M. Fernand Khnopff
au Cercle des Arts et de la Presse, à propos de l'Exposition de
photographies de HoUyer, d'après G. -F. Watts, F.-M. Brown,
D.-G. Rossetti et E. Burne-Jones.
Le conférencier, dont c'était le début, a commencé par l'étude
des caractères distinctifs de l'art anglais contemporain, qu'il
place en tête du mouvement artistique actuel. Il en apprécie le
côté aristocratique et intellectuel, dont il indique quelques causes
sociales ou climatériques. « On y pourrait ajouter, dit-il, voyant
les choses de très haut, que dans le grand mouvement de civilisa-
lion venu du sud-est, de l'Inde, et se dirigeant vers le nord-ouest,
après avoir passé par l'Asie-Mineure, la Grèce, l'Italie et la France,
l'heure est arrivée pour les Anglais d'être les plus forts.
11 y a aussi h remarquer qu'en Angleterre, le gouvernement
s'occupe fort peu des artistes pour les former (ou défbrmer) et les
entretenir. L'art qui y existe a ainsi sa raison d'être et ne souffre
pas de cette plaie de l'école française, le tableau de musée, cette
chose bâtarde, inutile, encombrante, qui se fait dans l'intention
unique de remplir, au Salon, tel grand panneau du Palais de
l'Industrie, et que l'Etat, responsable en définitive de son exécu-
tion, se croit obligé d'acheter pour en couvrir les murs de quelque
musée de province, construit lui-môme d'ailleurs pour abriter les
manifestations de cet art monumental en chambre. »
«
Puis, à propos d'une visite chez Watts, après avoir fait un cro-
quis de dimanche à Londres, il a exprimé toute son admiration
pour l'auteur de ces chefs-d'œuvre : L'Amour et la vie, L'Amour
et la mort. « Ce qui constitue le trait caractéristique de l'art de
Watts, dit-il, c'est un effort continu vers l'idéal, une recherche
anxieuse d'exprimer dignement un sentiment élevé, » et cela sans
négliger le charme pictural : la grandeur de la ligne et la richesse
de la couleur.
Ensuite, après une courte histoire du mouvement préraphaélite,
le conférencier en a expliqué les recherches d'exactitude, si diffé-
rentes cependant du réalisme français, à cause d'un esprit presque
religieux.
Il a parlé de Ford-Madox Brown comme initiateur du mouve-
ment, de la fondation du P. R. B. et du Germ, son journal, dont
il a cité un extrait d'une étude de M. F. Stcphens : « L'objet que
nous nous sommes proposé en écrivant sur l'art, c'est un effort
pour encourager et stimuler une adhésion complète à la simpli-
cité naturelle; et aussi, comme moyen auxiliaire, de diriger l'at-
tention sur les œuvres relativement peu nombreuses que l'art
actuel produit dans cet esprit. On a dit qu'il y a, dans ce mouve-
ment de l'école moderne, présomption, manque de déférence aux
autorités établies, abandon des anciennes traditions du pays. A
VAUT MODERNE
85
V.
cela on pcul répondre qu'il n'y a rien de plus humble que la pré-
tention à l'observaiion des laits souiement et que l'essai de les
rendre dans leur vérité ».
Alors est venue la partie la plus intéressante,' peut-être, de la
conférence : la vie de Rossetli, sa rencontre avec Elisabeth Siddal;
la mort de celle femme qu'il adorait cl l'enterrement avec elle de
ses manuscrits, suivi, sept ans après, de l'exhumation si drama-
tique.
Les poèmes et les tableaux de Rossetli ont été étudiés, après
cela, dans leurs ressemblances d'inspiration el leurs différences
de technique.
L'analyse de l'œuvre de E. Burnc-Joncs a suivi ; elle était plu-
tôt générale, à part la description de deux tableaux : Le Chant
d'amour et Le Roi Cophedia et la Mendiante.
Le conférencier-peintre a terminé son étude en reprochant à
une certaine école de critique déjuger toutes les œuvres d'art,
de quelque tendance qu'elles soient, d'après quelques mêmes
« principes», et il a cité, pour conclure, une phrase d'un critique
anglais, M. Waller Pater : « La lutte ne doit pas être des écoles
ou des tendances d'art entre elles; mais de toutes les écoles
contre la stupidité, qui est morte pour l'esprit, el contre la vulga-
rité, qui est morte pour la forme ».
AUGUSTE DELAHERCHE
(1)
Ce fut au palais du Champ-de-Mars, lors de l'Exposition de 4889,
directement vers la droite, îi l'entrée de la section française céra-
mique cl sur un emplacement relativement restreint, qu'Auguste
Delaberche se fit connaître des amateurs.
Il n'est pas un artiste ou un curieux épris des choses de coût
pas un amoureux des formes el des belles matières qui ne se
souvienne encore de la vive sensation admiralive éprouvée à la
vue de cette exposition de grès incomparables, fioles, buires,
vases, jarres, crucheites, amphores et cratères, dont les beaux
profils cl les galbes superbes se dessinaient noblement dans la
lumière de la frisante nef et sur les flancs ou contours desquels
l'action du grand feu avail fait couler en larges larmes ruisse-
lantes les colorations les plus exquises, les plus riches el les
plus fondantes, les émaux les plus rares du monde.
Je ne puis oublier mon enthousiasme à ce premier contact
avec les vases précieux de Delaherche, qui écrasaient sous le
poids de leur beauté sobre les faïenceries vulgaires, criardes et pré-
tentieuses dont l'exposilion de ce maître potier était entourée. —
Avec Chaplel el ses flammés aussi transparents q|Ue des joyaux,
avec Emile Galle de Nancy, le maître décorateur et le surprenant
verrier, avec Clément Massier, le céramiste du golfe Juan, qui
semble avoir retrouvé sinon dépassé l'art des reflets métalliques
porté jadis si haut par les Maures d'Espagne, Auguste Delaherche
fut un des principaux triomphateurs do notre dernière Exposition,
un triomphateur discret, dont l'action ne pouvait se répandre au
delà d'un cercle restreint de connaisseurs. Dès les premiers jours
(1) L'excellente étude consacrée à ce maître-potier par notre ériulit
confrère Octave Uzanne vient de paraître dans la nouvelle revue L'Art
et l'Idée (2" livraison; 20 lévrier), que nous recommandons spéciale-
ment à no.s lecteurs comme la plus belle et la plus complète publica-
tion consacrée à l'art, à la curiefsité, an dilettantisme littéraire. Le
grand succès obtenu par M. Delaherche au Salon des A'A', où il exposa
seize spécimens de ses vases et de ses i)lals en grès flambés, donne à
la reproduction de cet article un intérêt particulier.
de l'Exposition, je m'étais bien promis de chercher l'occasion de
dire, sur ce maître qui se révélail avec tant d'éclat, quelques mois
en reconnaissance pour rartistiquc vibration que son œuvre
m'avait causée j c'est donc la raison pour laquelle, aiî début de
l'Art et ridée, il me plaît de venir ici simplement lui payer ma
dette.
La fabrication des grès mats et émaillés el flammés d'Auguste
Delaherche est assez récente. Natif de Beauvais, ancien élève de
l'École des arts décoratifs, le jeune maître potier par vocation fil
ses premiers essais aux environs de sa ville natale, en employant
les lerres dont se servaient les anciens potiers de l'Oise, et parti-
culièrement ceux de Savignies. Dans un four de hasard el fort
dépourvu des matériaux et qualités essentielles, il obtint cepen-
dant, dès l'origine, quelques vases aux formes bossuées el capri-
cieuses, aux silhouettes archaïques, aussi rapprochés que possible
par la matière cl la cuisson des plus remarquables produits de
Beauvais. — Ce n'est que plus lard, ayant déjà opéré de grandes
recherches et découvert des procédés bien personnels, qu'il devint
possesseur de la petite fabrique établie par M. Chaplel, rue BIo-
met, à Vaugirard. — Définitivement installé, Delaherche put se
recueillir et constituer sa manière individuelle, qu'il n'a point,
quoiqu'on le puisse dire, empruntée à la facture de son prédé-
cesseur. Ses formes, ses colorations, ses émaux, son art, ses
dessins el ses enlevés à la main lui sont bien personnels.
Très justement en extase devant les grès prodigieux des Japo-
nais, il chercha à obtenir les effets de coulure et de glaçure de
ces derniers par l'emploi d'englobés fusiblesjjouvant cuire à un
feu plus doux que le grès lui-même et qui, par conséquent, se
déplacent au grand feu et produisent ces ruissellements presque
réguliers qui sont d'un aspect si exquis pour l'amateur.
Quant aux couleurs, Delaherche, sachant qu'on les obtient
différemment selon qu'elles sont soumises à un feu réducteur ou
à un feu oxydant, établit son four de telle manière que le haut
d'une pièce peut demeurer dans une atmosphère oxydante, tandis
que le bas subit les effets de réduction. C'est à ce procédé de
cuisson qu'il faut attribuer les superbes vêtements d'émail de ses
grands vases dont la coloration demeure intense au col, puis
tombe comme une nappe de pierreries en fusion el va se dégra-
dant de ion el de valeur d'émail jusqu'au soubasemenl même du
grès.
Ses formes sont toutes heureuses, d'une simplicité primitive, el
rarement tourmentées. Le maître potier s'est inspiré pour sa
plasmaliose de la potiche orientale ou des cylindres parfaits; ses
cruches sont d'aspect rustique et d'allure bourguignonne, ses
amphores ont des renflements de vases grecs, ses petites urnes
ont des lèvres bien ourlées el grasses sur lesquelles frémil encore
parfois le coup de pouce voulu -<ftnpreinl dans la glaise; ses
grandes poteries arrondissent souvei^l leurs ventres comme des
bedaines monastiques, à l'exemple de ces dames-jeannes du vieux
temps aux hanches dodues el au col solide à l'attaque.
Comme décorateur, le talent suprême de M. Delaherche est
dans la sobriété des ornements qu'il sait placer à souhait sur Icg
courbures, les arêtes, les couronnements, les anses ou les oreilles
de ses pots; lorsqu'il n'incise pas d'un trait dégagé sur l'englobe
du vase une légère arabesque rappelant un feuillage dentelé
comme le lierre ou le chardon, il grave des fleurs en réserve, des
guirlandes délicates qui font des ceintures parallèles aux deux
renflements de la poterie; parfois il groupe des plumes de paon
à l'œil irisé que la coloration de l'émail rendra éblouissantes, ou
86
L'ART MODERNE
bien il ajListc à l'épaulemenl de ses grandes pièces de larges col-
lercllcs de glaise, largement ouvragées au pouce, dans les replis
desquelles la cuisson fera issir de larges coulées de matière jaspée
qui flueront aux flancs de la jarre comme autant de gerbes d'une
fontaine lumineuse.
Enfin, par de simples mais habiles frottis sur l'émail cru et
qui laissent parailre en cerlains endroits le mat de la terre, il
sait produire des résultats saisissants qui déconcertent l'œil. par
le primitif procédé de la facture.
Dernièrement, désireuîc d'innover encore, ce curieux et ce
chercheur s'est avisé d'emprunter à la forme, aux aréles, à la
conlexture de certaines fleurs des motifs décoratifs pour silhouette
de nouveaux vases; la marguerite, le dahlia, la rose montée en
boutons dans sa griffe de verdure lui ont fourni des modèles.
Delaherche a jusqu'ici laissé voir un goiil et un tact de décora-
teur impeccable; il pouvait, pour plaire à la masse, chercher des
effets faciles, afficher des ornemcnlalions orientales, user des
fleurs de lotus, essayer du bizarre et de l'obscur, modeler des
bas-reliefs, quesais-jc? — Dans le domaine du banal et de la
poudre aux yeux, où s'arrôterait-on? — Il n'a point succombé à la
tentation; il est resté artiste et grand artiste, car l'art du feu
maîtrisé à de si hautes températures est aussi digne du succès et
de l'estime des amateurs que le plus bel art de la gravure à l'eau-
forte ou sur bois.
Aujourd'hui, dans sa petite officine de la rue Halévy, devant l;i
vitrine de laquelle ne s'arrêtent en extase que les compréhensifs
qui savent admirer, jusqu'à l'envie, un joli vase à l'égal d'un beau
livre, Delaherche ne reçoit guère que des admirateurs qui pour
lui deviennent bientôt des amis; les indifférents passent aveugles
et inconscients de la magnificence et de l'élégance des matières
qui sont exposées.
Cependant quel éblouissement, quelle gaîté, quelle lumière dans
cette vitrine de céramiste! Ces grès flambés incendient encore le
rayon visuel du ruissellement de leurs couleurs vitrifiées! Ces
couleurs obtenues par l'oxydation des métaux ont des tons qui
ravissent, des gammes qui émerveillent, des dégradations qui
charment. Ici, c'est l'émail d'étain ou la couverte feidspalhique
qui a répandu sur les courbes de cette buire un habillage d'agate
qui semble encore en fusion ; là, sur ce grès robuste, à forme
trapue, le cuivre a fourni dans une coulée torrentielle ou plutôt
volcanique des nuances changeantes, comme les veines du jaspe,
des rouges rubis, des verts fauves, des bleus d'océans féeriques,
selon les degrés d'oxydation du métal, et tout cela apparaît dans
un bouillonnement d'émaux cependant refroidis, mais qu'on sent
avoir été retirés en pleine magie du feu, car ils portent des ondu-
lations, des moirages, des marbrures sataniques.
On voit que la flamme a collaboré à ces prismes de couleurs
faits de matières volatilisées et qu'aucune palette ne pourrait repro-
duire; ces rouges haricot, sang de bœuf, foie de mulet, ces
violets aubergine, ces mouchetures aventurine, ces mariages
subits de tonalités amoureuses, qui donc serait susceptible d'en
donner l'équivalent avec l'emploi de nos misérables vessies de
peintures minérales ou végétales ! Il y a dans ces grès flambés
pour qui sait les voir, des poésies alchimiquées, des visions fan-
tastiques, imprévues, je dirai presque aussi des chansons susur-
rantes de feu grésillant... des musiques de damnés.
Selon l'épaisseur de la couverte, les larmes de ces infernales
poteries ont coulé plus ou moins abondamment sur le ventre des
amphores, fusant jusqu'aux pieds ou s'arrétant en grosses goutte-
lettes à jamais figées. Sur quehjues sveltes aiguières à long cou,.,
ce sont des chevelures de sirènes^' des toisons de lapis qui,
semblent se dérouler ou s'épandre éperdues sous le baiser de la
flamme qui les a dénouées. — Ah! Je comprends que cet art du
feu possède jusqu'à la fièvre et à la griserie ceux qui s'y sont
livrés par vocation; j'envie~ ces maîtres céramisles, surtout les
jours où, après l'alicnle d'une longue cuisson, ils défoitrneut une
à une toutes les pièces soumises- à l'action des hautes atmo-
sphères. — Quel émoi! Quelle curiosité! Quel envoûtement de
pensée dans la résultante de l'œuvre ! — Les effets sont souvent
imprévus : tel vase qui devait sortir moulé dans un justaucor.ps
blanc, apparaît curieusement moucheté de givre ou saupoudré
(l'une neige floconneuse qui s'est attaché^' de préférence aux
reliefs, telle autre petite fiole vouée à la famille verte des émaux
lisses est retirée diaboliquement déformée, curieuse, couverte de
pustules crapaudiiiières el faite à plaisir pour l'amateur d'étran-
gelés, pour l'ami des mirifiques accidents du feu.
J'avoue que je me range parmi ces derniers, et les malvenus
(le la céramique d'art, les malchanceux de la cuisson, les ratés
de l'émaillage ont souvent, à mon goûl, des mérites incompa-
rables; j'aime ces turgescences imprévues, ces bulles d'émail
éclatées, ces craquelures incohérentes, ces frissons de vagues de
la matière vitrifiée sur la terre mate, ces feux d'artifice des cou-
leurs soudainement révoltées, enfin ces soudures de vases faits
siamois, indivisibles, sur une même plaque d'enfournage. —
Auguste Delaherche répudie sans pitié tous ces insoumis à ses
lois, car il prétend, par sa maîtrise, dominer l'imprévu delà
cuisson. La cour de sa fabrique de Vaugirard est remplie de ces
vases mis au rebut, qui, chargés sur un chariot, s'en vont
emplir les tranchées du côté desforlifs. — Un jour, peut-être, nos
petits-neveux, en les déterrant, feront un mémoire très savant
sur les poteries romaines découvertes à Paris. L'histoire est
pleine de faits semblables.
i^lais il y a une chance pour qu'ils ne se trompent pas, car les
vases et plats d'Auguste Delaherche seront appréciés et connus
au XX® siècle mieux encore qu'ils ne le sont aujourd'hui; et,
outre qu'ils sont signés par le jeune maître, leurs tonnes amples
et gracieuses, leur décor sommaire les désign^onl encore à
l'allention, des derniers amateui'S d'art susce|HiBles de s'émer-
veiller devant l'éclat de ces émaux polychromeV^qui ne se terni-
ront point.
Delaherche expose en ce moment avec les peintres d'avant-
garde, à l'Exposîlion des XX, de Bruxelles, avec un succès
considérable; au prochain sa'lon du Champ-de-Mars, il aura accès
également parmi les artistes exposants, car on ne saurait refuser
à ses œuvres l'invention et la. couleur qui consacrent les répu-
tations des peintres. •
Octave Uzanne.
AU CONSERVATOIRE
Deuxième concert.
La très belle interprétation donnée, dimanche dernier, au
Conservatoire, sous la direction de M. Gevaert, de la Symphonie
inachevée de Schubert et de la Symphoiiie écossaise de Men-
delssohn, encadrées dans les ouvertures romantiques de Genoveva
et d'Euryanthe, a montré l'excellence d'un orchestre discipliné
et souple, apte à saisir et à exprimer les nuances les plus délicates
de la pensée des maîtres. On sentait, vraiment, dans cet extraor-
i:art moderne
87
dinaire ensemble, ballre à l'unisson des cœurs d'arlislcs élroile-
mcnl unis dans une parfaite communion iniellecluellc. Impression
profonde et forle, rarement allcinte.h ce degré d'intensité.
Le programme avait dû être modifié par le mauvais vouloir des
directeurs de la Monnaie, trop stricts sur l'exécution d'un article,
inscrit dans les engagements, qui interdit aux artistes du théâtre
de se faire entendre ailleurs que sur la scène à laquelle ils sont
« attachés ». El l'impossibililé de donner les rôles A'Armide à
M*"' de Nuovina, à MM. Lafarge et Seguin a contraint le directeur
du Conservatoire de renvoyer aux calendes helléniques l'exécution
de la grande oeuvre promise.
•fETITE CHROJMIQUE
Georges Ancey, l'auteur de la Dupe cl de l'Ecole des Veufs,
photographié par OU Blas ;
Parisien de Paris. Râblé, noueux, robuste. La charpenliC d'un
homme de combat. Le teint comme recuit, d'un ton jaunâtre de
vieux portrait. La figure énergique, maladive, avec le contraste de
clairs yeux bleus qui s'enfoncent sous l'arcade sourcilière comme
en une voûte d'ombre. Toute la barbe. A peine trente ans. Un
convaincu qui a la chance d'avoir des rentes el. de pouvoir
travailler tranquillement û ses heures, qui vit dans son coin, en
plein bonheur. N'a que la passion du théâtre el s'y donne avec
tout son cerveau el son cœur. L'un des jeunes qui se sont révélés
au Théâtre Libre, qui ont emboîté fièrement le pas de Becque el
dépasseront quoique jour "leur maître dans la bataille. Signe
particulier : Peine comme un manœuvre quand il échafaude une
pièce. ' „
Le prochain concert populaire, qui aura lieu dimanche pro-
chain, 20 mars, sera des plus intéressants. On y entendra la
première exécution b l'orchestre de La Mer, esquisses sympho-
niques de -M. Paul Gilson, d'après un poème de M. Eddy Levis,
flonl des fragments ont été interprétés au premier concert
des XX. Le poème sera déclamé par M. Le Bargy, sociétaire de
la Comédie Française. L'œuvre comporte quatre parties : i" Le
lever du jour; 2° La ronde du gabier; 3» Crépuscule; A° La
tempête.
Outre cette œuvre inédite, qui remplira la seconde partie du
concert, on entendra le Camp de Wallenstein de Vincent d'Indy
et une fantaisie pour piano el orchestre de M. Widor, exécutée
par M. 1. Philipp.
Le concorl sera clôturé par l'Entrée des Dieux dans le Walhalla
{Reingolïfde Wagner.
La Société nouvelle publie quelques pages d'une nouvelle
œuvre de Camille Lcmonnicr, la Fin des Bourgeois. Elles sont
d'une allure superbe et révèlent une nouvelle poussée en avanl
du grand écrivain. Souhaitons que la publication complète ne se
fasse pas attendre.
La première séance du quatuor Crickboom, Kefer, Sarloni et
Gillel a été un vif succès. Ces quatre jeunes artistes ont, dit le
Ouide musical auquel nous empruntons ce compte rendu, un
mpêcliemenl ne nous ayaul pas permis d'assister au concert,
exécuté l\ ravir le quatuor en ré de Mozart; puis, avec M. Sau-
vage, le troublant quintelle de César Franck; cette dernière
œuvre, qui avait spécialement excité la curiosité des auditeurs,
a obtenu un vif succès dont une bonne pari doit élre attribuée à
la profondeur cl à l'intelligence de l'interprétation.
M. Sauvage, un pianiste i)arisien, s'est fait entendre dans la
première partie (allegro) de la sonate en sol mineur de Schumann
et dans la polonaise en la bémol de Chopin. M. Sauvage, un loul
jeune homme encore, a fait prouve, dans ces deux œuvres, non
seulement d'une virtuosité brillante et -sûre, mais encore el sur-
tout d'une énergie el d'une fougue extraordinaires ; cependanl,
l'allégro de Schumann était légèrement superficiel.
C'est à M. Crickboom qu'est allé le grand succès de la séance,
el c'est justice. A un rare sang-froid, M. Crickboom unit loulesles
qualités que l'on peut requérir d'un virtuose; ces qualités onl élé
merveilleusement mises en lumière dans les deux œuvres choisies
par l'excellent artiste, l' Adagio appassionalo de Max Bruch a élé
dit avec une largeur, un sentiment, une noblesse extrêmes, un
siyle on ne peut plus élevé; dans /a Fée d'amour Ag Raff, — une
machine interminable dont la désespérante monotonie n'a d'autre
excuse que l'assemblage des plus épineuses difTicultés qu'elle
offre au virtuose, — M. Crickboom a fait preuve d'un mécanisme
étourdissant, que n'altèrent aucune fatigue, aucun énervement
visible; du commencement à la fin, le son a gardé la même
pureté, avec une certaine distinction, un raffmement délicat dont
M. Ysaye, le professeur de M. Crickboom, semble posséder le
secret. Le public a fail un véritable triomphe à M. Crickboom,
auquel un triple rappel, plus que mérité, a été décerné.
Le président de la Société française de bienfaisance de Char-
loroi, M. Valère Mabille, organise dans les nouveaux locaux de la
Société et pour l'inauguration de ceux-ci une exposition artis-
tique dont il a confié la direction b un comité de dames composé
de M"« Becrnaert, M"« A. Boch, M-"* Collard, M'i« L. Héger,
M™" H. Ronner.
Celte exposition s'ouvrira le 16 avril prochain.
VUnion des femmes peintres ouvrira le 20 mai au Musée sa
troisième exposition annuelle.
Tel en songe, le nouveau volume de vers de M. Henri de
Régnier, paraîtra vers le 45 avril, à la librairie de l'An indépen-
dant, à Paris.
Une intéressante exposition de l'Art photographique anglais
s'ouvrira au Cercle artistique vers le 25 courant. Elle esl orga-
nisée par VAssocialion belge de photographie qui a désigné pour
faire partie du comité MM. Maes, Puitemans, Alexandre el Colard.
Elle sera faite par invitations el ne comprendra que des œuvres
d'un caractère purement artistique.
Un catalogue de luxe reproduira par la pholocollographie une
œuvre de chaque exposant et contiendra des noliccs dechacun des
invités sur la pratique de l'arl photographique.
Le but principal des promoteurs de celle exposition esl de
prouver au public que la photographie a le droit d'être considérée
comme un [art, au même litre que les autres moyens d^expres-
sion artistique. Les épreuves qui seront exposées sont, paraît-il,
de nature à convaincre les incrédules.
A propos de photographie, signalons l'intéressante lecture faite
à y Association belge de photographie par M. Hector Colard sur
« la Vérité dans l'an plio'.ographique ». Celte élude, qui décèle un
espril artiste, un érudii el un écrivain subtil, vienl de paraître
chez Lefèvrc, en une brochure de vingt pages. L'auteur y défend
chaleureusement el ingénieusement la thèse que la photographie
esl un art, et non une trempette, comme il le dit drôlement,
« d'où ne peuvent sortir que des doigts brunis par lès produits
cl un résultat absolument mécanique».
Cours supérieurs pour dames. — 14 mars, à 2 heures,
M. H. Pergameni : Les races et les peuples de l'Inde ; à 3 heures,
M"" A. Chaplin : George Eliot (suite). — 15 mars, à 2 heures,
M. E. Verhaeren : Le néo-gothique flamand. — 16 mars, k
2 heures, M. H. Pergameni : La fondation des Etats-Unis. —
17 mars, à 2 heures, M. H. Lonchay : Fin de la domination
autrichienne en Belgique; à 3 heures, M'" J. Tordeus : Diction et
lecture d'auteurs modernes.'
Elude du nclaire LE COCO, rw d'.lrlon, IC, à hcllcs le/,-Bruxdles.
Par le ministère do M<' Lk Coc.q, notaire, à IxellesBruxolles, et
sons In direction de M.. Emile Çi.ahembalx, il .sera procédé les lundi
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Bruxelles, de 10 heures du matin à 6 heures du soir, les samedi 2 et
dimanche 3 avril 1892.
On peut se procurer des catalogues à l'étude du notaire Le Cocq,
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Dimanche 20 Mars 1892.
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PARAISSANT LE DIMANCHE
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Comité de rédaction i Octave M AU S — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, un au, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00 —ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser toutes les, communications à
l'administration générale de TArt Moderne, rue de Plndustrie, 32, Bruxelles.
JOMMAIRE
Les fresques de Louis Delbeke. — Au Mu ■ ^derne. —
Albeniz et Arbo.«. — Antoi.ne. — Le Théâtre L a Paius» —
Camille Le.monnier et le Théâtre Libre. — Livb .nouveaux. —
AcCUSlis DE RÉCEPTION. — Nos ARBRES. — NoV JAUX CONCERTS
Liégeois. — Petite chronique.
LES FRESQUES DE LOUIS DELBEKE
' « Faisant partie du groupe d'artistes de Bruxelles
qui a pris à cœur d'éveiller l'attention du gouvernement
et de l'autorité communale d'Ypres sur la valeur d'un
artiste méconnu jusqu'à ce jour, je suis heureux de
pouvoir me joindre à mes collègues pour saluer l'œuvre
que nous avons été appelés à examiner récemment dans
votre ville.
« Les deux panneaux de peinture murale dont l'exé-
cution fut confiée à titre d'épreuve au peintre Louis
Delbeke constituent, à mon avis, la tentative la plus
heureuse de peinture monumentale qui ait été faite dans
notre pays.
" Par le caractère, l'harmonie et les moyens sobres
d'exécution, ces productions se rattachent aux grandes
époques d'art où une entente parfaite régnait entre
l'architecture et la peinture et dont les traditions sont
perdues depuis la Renaissance.
« Il serait à souhaiter que l'administration commu-
nale d'Ypres, au sein de laquelle Delbqke a rencontré
de si nobles protecteurs, pût continuer à prêter son
appui intelligent à cet artiste, sans se laisser émouvoir
par la critique inconsciente qui s'acharnera longtemps
encore sur une œuvre conçue absolument en dehors de
la routine.
" Que la liberté la plus complète soit laissée à Del-
beke dans l'exécution de son programme ; qu'a^ucune
pression administrative n'agisse sur lui, et un .four la
ville d'Ypres possédera une œuvre d'art monumental
que le pays entier lui enviera. »
Cette chaude recommandation, c'est F'aul Devigne
qui la formulait en 1886, au nom d'une délégation
d'artistes qui se composait, outre le signatai^'e, des
peintres Camille Van Camp, Jan Verhas, Charles
Hermans, Joseph Stallaert, Markelbach et Serrure.
On se rappelle la guerre que cet écrit alluma. Les
Bouvard, les Pécuchet, les innombrables Tribulat Bon-
homet de la vieille cité flamande poussèrent des cris
d'orfraie. Ils avaient espéré tordre le cou silencieuse-
ment, d'un vote sournois et preste, à l'artiste original
qui avait l'audace de ne pas suivre, dans la décoration
des Halles, les vénérables traditions de la très docte
Académie. Et voici que surgissaient des peintres, des
sculpteurs, gens notoires, bien calés dans l'opinion,
d'une indiscutable compétence et d'un éclectisme cer-
)
tain, qui voulaient leur arracher les boules noires dos
mains et les leur jeter à la tigure.
Ce fut, on s'en souvient, une belle bataille, dont nous
rapportâmes, en leur temps, tous les épisodes, et dans
laquelle nous finies le coup de feu, suivant notre cou-
tume, en francs-tireurs non eni'égimentés, prêts à se
porter partout où pleuvent les coups (1).
On nomma des commissions, on élit un jury pour
contrôler les décisions de celles-ci, et finalement la
municipalité jproise mit les pouces. Delbeke fut " auto-
risé " à doter sa ville d'adoptibn d'une admirable déco-
ration, si harmonieusement adaptée au style du monu-
ment que l'architecte des Halles, s'il eût été consulté,
n'eût pas, au dire de Jujes Breton, rapporteur d'une des
commissions, choisi d'autre peintre (2).
Les artistes donnèrent, en cette occasion, un bel
exemple de confraternité et de désintéressement. Au-
jourd'hui, Delbeke mort, les survivants du groupe ont
eu l'idée pieuse de réunir son œuvre. Aux esquisses des
fresques d'Ypres, exécutées à l'aquarelle, ils ont joint
des tableaux, des dessins, des études, des projets, des
copies exécutées dans les musées d'Italie qui montrent,
dans les inégalités et les tâtonnements d'un artiste
inquiet et chercheur, une nature d'exception, absorbée
par de très hautes préoccupations d'art, obsédée par
une philosophie esthétique particulière que le peintre
tenta de formuler en de nombreux écrits illustrés de
shémas et de figures emblématiques, et trouvant tout à
coup l'essor de son génie dans l'énorme labeur des
peintures à l'encaustique qui font actuellement la gloire
de l'antique cité.
La modernisation de tels sujets bibliques le hantait.
Et c'est en de contemporaines anecdotes, flegmatiques
comme de gravures anglaises, naïves parfois comme
des primitifs, que Delbeke raconte la légende de Joseph
vendu par ses frèi-es. En de très mauvaises peintures
à l'huile, gauches et 'oaroques, perce constamment un
besoin de synthèse, de symbolisme discret insinué dans
(1) Les documcnls de cot(c mémorable attrapade sont consignés daiK
V Art tnoderne des, 19 décembre 1886,9 janvier, 6 février, 17 avril 1887
et 29 septembre 1889.
(2) Nous avons cité plus haut les noms des artistes qui prirent
l'initiative de proposer la commande et qui défendirent énergiquement
Louis Delbeke contre les bonzes du Conseil communal yprois.
La seconde délégation était composée de M"o E. Beernaert, de
MM. Jules Breton, Slingeneyer, De VriendI, de Haas, C. Meunier,
X. Mcllery, E, Smits et Samain. Celte commission fut, comme la
première, unanime k approuver le travail de l'artiste.
La municipalité d'Ypres nomma, pour ■« s'éclairer »• (1) davantage,
MM. N. Dekeyser, ancien directeur do l'Académie d'Anvers, Vcrlat,
directeur de cette académie, A. Robert, vice-président de l'Académie
royale do Belgique, Cluysenaer, Waulers, peintres, et V. de Stuers,
directeur des Beaux Arts en Hollande.
MM. Dckeyser, Verlat et Wauters déclinèrent l'hoimeur déjuger
en dernier ressort. L'avis des trois autres jures fut absolument favo-
rable à Louis Delbeke,
tels épisodes de la vie^ courante. Technique nulle, d'ail-
leurs, ])einlnre laborieuse, faite par léchages minus-
cules, physionomie plutôt comique des personnages,
emprisonnement dans des moyens d'exécution dont ne
pouvait évidemment s'accommoder le tempérament de
l'artiste.
L'émotion des couleurs, l'imprévu de la mise en
pages, la ligne caractéristique de la composition, Del-
JDeke semble les avoir découvertes dans les monuments
de l'art assyrien dont il t^t, pour une loge maçonnique,
de curieux pastiches. Et c'est, là, sans doute, le point de
départ de sa dernière expression d'art, celle qui demeu-
rera. T
En dix-sept panneaux ingénieusement reliés les uns
aux autres, séparés par les saillies du monument dont
l'architecture est habilement employée dans la compo-
sition, faisant corps avec elle et servant néanmoins à
délimiter les tableaux qui se déroulent à perte de vue,
chatoyants et gais à l'œil, l'artiste a décrit les splen-
deurs et les luttes d'Ypres, depuis ses lointaines origines
jusqu'à une époque relativement rapprochée de nous : le
dernier groupe de panneaux est consacré au pimpant
cortège d'un mariage sous Louis XV. La mort de l'ar-
tiste en a arrêté l'exécution. Mais rien n'empêcherait
qu'on utilisât les documents réunis pour terminer la
tâche interrompue.
L'intérêt principal de ces compositions naïves et
impressionnantes réside surtout. dans l'élément intellec-
tuel qui les domine. Il ne s'agit nullement d'une série de ^
scènes historiques laborieusement reconstruites, d'un
déploiement d'érudition archéologique. Les pinceaux de
Delbeke — nousle rappelions lors d'une visite aux Halles
— faisaient le récit de l'histoire morale de la vieille cité.
L'artiste voulait symboliser, non pas la brutalité pué-
rile des faits d'armes, mais la grandeur civilisatrice des
idées. S'élevant instinctivement aux hauts étages de
l'art, il ne pensait pas aux réalités visibles mais aux
immatérielles vérités qui sont plus réelles que les réa-
lités, et surtout plus saisissantes. Et d'autre part, avec
un goût suprême, répugnant à subordonner le noble
édifice à sa peinture, résolu à ne ftvire de celle-ci qu'un
complément et un vêtement à cette ossature de bois et
de pierre, il harmonisa les tons à ceux de ce support
formidable.
C'est ce que la petite ville ne comprit pas. Ce symbo-
lisme, archaïque et profond lui sembla grotesque. Ces
teintes fermées, discrètement harmonieuses, furent pour
elle de l'impuissance. Il y avait des points de compa-
raison : de lourdes toiles, à personnages de théâtre, à
couleurs violentes, réalisant l'idéal académique des
amateurs de province. Un professeur quelconque en
avait abîmé les salles contiguës. Ce furent les massues
dont on commença à assommer l'artiste. Heureusement,
l'émotion provoquée par cette injuste hostilité eut l'ai-
V
son du mauvais vouloir et de l'ignorauce départemen-
tales. Ypres possède aujourd'hui une œuvre d'art de
haute valeur.
Il est malaisé de juger celle-ci d'après les cartons
exposés à la Galerie inoderne. Il faut l'avoir vue pour
en apprécier le charme pénétrant. Néanmoins, ces
esquisses, d'un travail délicat et achevé, sont, pour
l'histoire d.e l'art décoratif belge, un document précieux
que le gouvernement ne peut se passer d'acquérir II
faut que le souvenir du grand artiste que fut Louis
Delbeke demeure dans les collections publiques de
l'Etat.
AU MUSÉE MODERNE
Une salle nouvelle vient de s'ouvrir au Musée moderne. On y
entre curieux, on en sort dégoûu^. Les nouveaux Géricaull —
le^s de M. de Villeneuve — semblent des morceaux coupés en
des toiles plus grandes; le Boulanger est de qualité moyeiine ;
le Marché aux chiens de Stevens est connu.
Restent des paysages de Crabbeels cl une scène villageoise de
Van LcempuUen. Après?
Vraiment, c'est h se demander quel rossignol, soigné depuis
dix ans dans les greniers du Musée, ne pourra, à la suite de la
Fête de sainl Joseph et des Derniers moments de la fille de
Grétnj, exhibés pour la première fois, ne point se percher à la
cymaise. Ces deux toiles-là reculent de cinquante mètres la
borne de gafferie légendaire qui clôturait jusqu'aujourd'hui le
champ d'opérations de la commission des musées royaux. Désor-
mais pour cette commission il n'y a plus de points extrêmes. Sa
bêtise va à l'infini.
Jadis on remarquait cette petite loque, cartouchée Paysage et
signée Marcette; aussi cette vieille lavasse de Marine paraphée
Musin; encore les Anes de De Praeiere. A cette heure il y a mieux.
Oh! ces Derniers moments de la fille de Grétryl Une femme en
blanc meurt en présence de quatre messieurs confortablement
assis, à l'exception, toutefois, de celui qui Iripote une vieille
épinette. Ces gens semblent tous avoir mal avalé leur remords
d'être aussi bêtement peints et songent à le rendre. Us s'affir-
ment comiques; l'un d'eux semble, en plus, grSce à une écaillure
dans la pâte, être opéré de la cataracte. Il boude l'oculiste, tout
en assistant par devoir et uniquement pour faire plaisir à Gréiry
aux derniers moments de sa fille.
Grâce h une telle croûte, les plus fades, les plus nuls, les plus
à tout jamais crétins de peintres ont trouvé leur chef. Et puisque
celui-ci — dont je ne retiens pas le nom — trône, marqué à
l'épaule du sceau officiel, dans ce que les gens graves appellent
les sanctuaires de l'art, eh bien, qu'ils y viennent maintenant
les Herbo, les Portielje, les Cap, les Plumot, les Col, les Vandon
Bussclie, toute la fournée des pinceurs de tubes glaireux et des
frotteurs de vomis.
Leur moment de se faire consacrer est venu. II leur reste encore
quelques coins de salle ci et là, dont le papier de fond fait l'orne-
ment. Courage! Le goût public doit s'encroûter davantage. S'il
y a au Musée un Delacroix, deux Henri De Braekcleer, trois
Dubois, deux De Knyfî, quatre Degroux, deux Fourmois, cinq
Leys, quelques Stevens, qu'on les enlève. Us corrompent l'art de
ceux que l'on veut instruire et former d'après les Derniers
moments de la fille de Grétry !
La fête de saint Joseph n'est pas moins suave. Une vieille
servante, ailoronée d'un bonnet campinois, apporte une tourte où
s'étale un « Vive saint Josejjh » d'une idiote écriture en sucre.
Derrière, sur une table, quelques bouteilles de Champagne et des
ilcurs. Cette mise en scène renseigne sur le personnage que l'on
va fêter : quelque vieux' calarrlieux-en panloutles dont les
crachats, sans doute, ont alimenté la palette de son peintre. Cela
est traité, comme un marchand de bonnets grecs confectionne
ses coiffures. Cela est tellement grotesque que pour le qualifier
le dictionnaire recule effaré, n'ayant point eu à prévoir toute
la profondeur de stupidité que sanctionnerait une commission
administrative beige.
Mais nous qui sommes les passants quand même attentifs de ces
foires perpétuelles de la burlesquerie et qui pfitissons dans nos
yeux d'ariisles h chaque horreur proférée à la rampe, nous ne
pouvons nous empêcher de crier, quand pai^des acquisitions et des
étalages tels que les Derniers moments de la fille de Grétry et
la Fête de saint Joseph, Qn nous outrage, tout en oubliant la
pudeur — oui, la pudeur — qu'une commission, fût-elle mille
fois plus nulle et décorée que la nôtre, est tenue malgré tout de
garder vis-à-vis du public.
Albeniz et Arbos
Il y a une quinzaine d'années débarquèrent du pays des casta-
gnettes deux jeunes artistes qui avaient apporté dans les plis de
leur capn tant d'enthousiasme, d'entrain, de joyeuse humeur et de
folle gaîté qu'au dire des voyageurs l'Espagne, depuis leur départ,
était devenue morose. Us disparurent après quatre ann^ de fête
durant lesquelles Bruxelles et la province retentirent de s^h^nades
et d'aubades, de chansons et de rires égrenés sans interruption
depuis la Circoncision jusqu'à la Saint-Sylvestre.
Us disparurent comme ils étaient venus, en oiseaux migrateurs
qui se posent un moment et reprennent leur vol. On n'eut d'eux,
en dix ans, que des nouvelles vagues. Us avaient tous deux enlevé
brillamment les premiers prix du Conservatoire, l'un dans la
classe de piano de Louis Brassin, l'autre dans la classe de violon
de Henri, Vieuxtemps.
Les voici revenus, ce qui justifie peut-être cette Espagne noire
que si douloureusement nous a présentée tout récemment le
peintre Dario de Regoyos.
L'ibéric est redevenue morose. Sa gaîté s'est éteinte depuis
qu'Albeniz et Arbos, les inséparables de jadis, ont quitté Barce-
lone et Madrid pour faire leur nid à Londres (en attendant qu'ils
le bâtissent à Pétersbourg ou à San Francisco!).
L'intérêt de ce récit, c'est que nos deux joyeux amis sont
devenus, l'un et l'autre, de très grands ariistes, justifiant et
dépassant les prévisions les plus optimistes de ceux qui leur
présageaient paternellement un « bel avenir».
Albeniz a un mécanisme foudroyant. 11 manipule le piano —
un admirable Steinway, de New-York, qu'il a fait venir pour
régaler ses amis de quehjues soirées de haute saveur ^—
comme un orchestre. 11 en joue avec une puissance, une préci-
sion, une sûreté, une délicatessse de loucher découccrlanles.
Durant des heures, avec une mémoire im|)eccabie, et sans
une apparence de fatigue, il évoque tous les maîtres de la littéra-
92
VART MODERNE
.turc du piano, -depuis Jcan-Sébaslicn jusqu'au nommé Albeni/,
compositeur h ses heures (le catalogue de ses œuvres renseigne
environ deux cents morceaux édités!), en passant par Beethoven,
Wcber, Chopin, Schumann et Liszt.
S'il fallait faire un classement dans les œuvres que jouQ, ce
prodigieux virtuose, on pourrait dire que Scarlatti convient
surtout à sa dextérité, Chopin et les autres musiciens de l'ûge
romantique à son emportement fougueux, ses propres composi-
tions, parmi lesquelles il en est de fort joliment écrites, b sa
.nature primo-sautiôre et joyeuse.
Arbos a même facilité, même exubérance unies 5 une technique
éblouissante qui a enthousiasmé les gens du métier, lljohglcavec
les difficultés, fuse les sons harmoniques avec une justesse par-
faite, exécute avec la plus grande impassibilité les traits les plus
périlleux, comme une chose toute naturelle, élémentaire pour un
violoniste, ce qui n'exclut pas chez lui, de même que chez
Albeniz, le respect scrupuleux de la pensée des maîtres qu'il
interprète. 11 est servi par un Stradivarius merveilleux qui lui
vient de Joachim, et dont les quatre cordes sont d'une égalité
remarquable. Les sonorités que le virtuose tire de cet instrument
ont une richesse et une ampleur superbes. Comme répertoire :
tout ce qui a été écrit pour le violon depuis Bach jusqu'à
Sarasalc et Arbos, interprété de mémoire, sans défaillance, avec
une vigueur, un élan, un bel enthousiasme de jeunesse et de vie
qui réjouit.
Voici, au surplus, les programmes de deux récitals donnés
cette semaine, dans l'inlimilé d'un salon ami, par ces éminents
artistes :
Y. Albeniz
1. Prélude et Fugue en la mineur. — Bach-Liszt.
2. n) Pastorale, b) Sonate, c) Capriccio. d) Capriccio. e) Toccata,
f) Sonate. — Scarlatti.
3. Sonata quasi Fantasia (ut dièse mineur), op. 27, n» 2. — Beet-
hoven.
4. a) Impromptu, b) Berceuse, c) Polonaise [la bémol). — Chopin.
5. Sonate (si bémol )7iincu7'), op. 35. — Chopin.
6. a) Menuet du Coq (de la 'S» Sonate), b) Sérénade espagnole.'
c) Sevillanas. d), Sclierziuo. e) Etude Impromptu, f ) Valse (de la
collection « Cotillon «). — Albeniz. -
7. Invitation à la Valse. — Weber-Tausig.
Fernandez Arbos.
1. a) Adagio et Fugue en sol mineur, b) Prélude en mi majeur.
c) Chaconne (poiir violon seul). — J.-S. Bach.
2. a) Polonaise eu ré, H. Wieniawsky. b) Romance, Sweud.sen.
c) Zigeuncrweiscn. — Sarasate.
3. a) Boléro, b) Seguidillas (danses espagnoles pour piano, violon
et violoncelle), Fernandez Arbos — MM. Albeniz, Arbos et Gillet.
4. Concerto en ré mineur. — Max Bruch.
5. a) Sérénade mélancolique, Tschaïkowsky. b) Mazurka, Zarzicky.
c) Nocturne, Cliopin. d) Am Springbrunnen (la Cascade), Schumann.
e) Jota Aragonesa et Habanera. — Sarasate.
ANTOINE
Emile Verhaoren apprécie Jrcs justement en ces termes,
dans la Nalion,M. Antoine dont les représentations au Parc don-
nent, en ce moment, un haut intérêt à la fin de la saison
théâtrale :
« Que M. Antoine soit un comédien d'universalité, on ne le peut
affirmer aussi longtemps qu'il ne s'est point prouvé tel en les
grands rAles, qui consacrent. Il est certains types dramatiques
qui expriment l'homme d'une manière complète et profonde, et
que tous ceux dont les noms restent au théAlre ont incarnés. Jus-
qu'à ce jour. H. Antoine n'a pas même essayé. Il s'en est tenu aux
rôles bourgeois, aux rôles que j'appellerais d'actualité pour les
opposer aux rôles séculaires et permanents. Ni Bacine, ni Cor-
neille, ni Hugo, ni même Molière ou Beaumarchais ou Musset ne
l'ont, je crois, tenté. Les plus hauts maîtres qu'il ait joués sont
Ibsen et Tolstoï. Il est vrai qu'en les interprétant il a été parfait.
Mais ceux-ci ■ — et surtout Ibsen — restent encore dans la réalité
bourgeoise, tout en élevant les faits jusqu'à l'étage des idées et
des senliments généraux. Ils sont de nôtre temps; on les joue en
redingote ou en fourrure. On n'a pas même besoin de cette élé-
mentaire et indispensable grandeur d'allure et d'attitude, exigée
immédiatement de tout acteur, qui endosse une cuirasse ou s'hii-
billo d'une toge.
Acteur bourgeois, de comédie ou de drame bourgeois, mais non
de comédie, ni surtout de drame universels, tel se prouve donc
M. Antoine.
ie miracle, pour un tel comédien, c'est de réaliser la vie. Or,
personne ne la réalise comme lui. Il est au delà de tous.
Jusqu'à lui, les plus audacieux de réalité sacrifiaient encore,
tant par le ion que par les gestes, à l'atlention que l'acteur est
sensé devoir témoigner au public. Ils se tournaient vers lui, tou-
jours, élevaient la voix trop uniformément; ils insistaient trop sur
certains effets de peur de n'être point compris; ils faisaient des
réflections plus pour les spectateurs que pour eux-mêmes ou leurs
partenaires; ils donnaient h la pièce une signification telle qu'on
la sentait moins jouée pour elle-même que pour l'applaudisse-
ment; ils n'établissaient pas un lien assez étroit entre le décor et
eux, entre les meubles et eux; surtout ils ne travaillaient point
assez le physique de leur personnage, ses allures, ses façons do
marcher, de s'asseoir, et ses fiiçons de se vêtir. On ne sort pas de
la vie en écoulant M. Antoine; an contraire, on s'y enfonce plus
profondément. 11 abolit celte superstition scénique qui pousse à
croire qu'au delà do la rangée éclatante des becs de gaz, l'air,
l'atmosphère, les objets représentés, les murs, les portes,' les
lapis, les fenêtres et les gens sont autres, et doivent être autres,
fatalement.
Ainsi, dans Seul, n'a-t-il pas donné l'illusion de soufl'rir vrai-
ment et d'être réellement le goutteux, précautionneux et minu-
tieux de son mal, égoïste de son mal, acariâtre? Cette jambe qu'il
manœuvrait, à laquelle il donnait l'importance d'un personnage,
qu'il consultait sans cesse, qui semblait lui dire oui ou non, et
dont le soin le préo.ccupait plus que son honneur, ne supprimait-
elle point toute illusion pour instaurer la crue réalité? El, l'an
dernier, quand, dans le Mailre de Sean Jullicn, il jouait l'agonie,
ne déiruisait-il point tout doute sur son réel état de souifrancc?
Et hier, dans V Abbé Pierre, n'était-il pas un prêtre pour devrai,
comme dans/rt Dupe, une authentique fripouille? Jouer ou plutôt
vivre la vie multiple, être le sang, les muscles et le cerveau d'une
cinquantaine de personnages, n'être soi que pour'^^étre les autres,
voilà le miracle que réalise, plus que n'importe quel autre, et à
un degré plus extrême qu'on ne le fil jumais avant lui, M. Antoine.
Il faudrait, pour faire saisir ceci davantage, analyser ses différents
rôles et-surlout SCS différents costumes qui, tous, sont des svn-
thèsesjnous n'avons pu quccolliger des observations générales. »
LE THÉÂTRE LIBRE A PARIS
{Correspondance parlicidière7::de-~i^i{T moderne.)
1. M. Henry Fkvre. L'Etoile rouge, Irois actes. — 2. M. Albert
GuiNON. Seul, deux actes.
i.
Une lerrasso dVié où (1rs hommes, dos femmes passent, parirnt
sous lo ciel en étoiles. Lîi s'exaMe le rêve familier de Vauxoiine.
• — Mars nous aura signifie quelque apjid, il y a des millénaires,
ou simplement avant f.alilée, — et nous n'avons rien vu. Peul-
êlro nous appel le- l-il encore. Volcans? réflexions de rayons
solaires? cxpliqueraieni mal. les |)oints brillants que llardinç;,
Messier, Sclirœler ont vtis sur son disque. Et ces lic^nes droites,
ces courbes définies qui le raient n'indiquent-elles pas l'action
d'êlres iutellitrenis, maîtres de forces immenses? Mars nous fait
signe, on doit répoudre.
En bulle l\ l'iioslilité de la science oflicielle et sans que rien le
décourage, Vauxonne s'évertue à ce devoir d'urbanilé. Coût : sa
fortune et celle de sa fille. Une lunette astronomique est en train
de digérer leurs ultimes sommes. Mais, sur la terrasse nocturne,
il catéchise un éventuel bailleur de fonds, un jeune clubman,
rédacteur h V Endcliors et au Père Peinard, qui allait consacrer
d'héréditaires millions à une pro|)agande anarchiste capable,
enfin! de troubler mieux que le portier de l'hôtel de Sagan. Il lui
promet des sciences imprévues, des arts réconfortants et que le
mol de plusieurs énigmes nous tombera des nuesTil l'halluciné
îi d'interplanétaires colonisations d'idées; arrive un télégramme
de Schiaparelli annonçant la duplication des canaux martiens :
décidément, c'est vers les astres qu'André de Suvigny dérivera
son ennui. Quel coup pour l'Anarchie!
Or, cet astronome avait une fille, une belle petite étoile domes-
tique, toute îi SCS grosses sœurs lointaines, — et de Suvigny
l'épouse.
F>a jalousie que suscitent en elle les préoccupations de son
mari, sa crainte pour lui d'une existence terrible aiguillée vers
la ruine, sa tenace passion d'enfance pour les équatoriaux, son
amour filial, comment, sous l'ironique clignotis de l'Univers, ces
éléments complices on anlagonistes s'agrégeront et se comballront
avant de résoudre leur concurrence, c'était sans doute toute la
pièce. L'auteur ne nous montre que le résultat. Berthe s'est
dcsinicresséc des cliimôres paternelles; elle a désenvoiité son
mari. De l'argent? pas encore, dans deux ans, dit de Suvigny.
— Mais, dans deux ans, je serai mort, moi! Cet argent, tout de
suite, ou vous ne me le donnerez jamais. — Eh bien, soit,
jamais, conclut Herlhe. Le vieillard tombe mort, aux misérables
lumières d'un salon en fêle. ■
L'inconscient égoïsmc de Vauxonne est marqué en traits éner-
giques; l'aveu d'amour des jeunes gens parmi les aventureux
tubes braqués sur les ténèbres énicul de simplicité et de justesse.
— Hors cela, quoi? „
Ce fut maladroit à Vauxonne de se présenter sur les planches
selon l'aspect de l'astronome classique et vaudevillesque, —
cheveux qui flottent, gestes d'hurluberlu, pantalon défaillant.
Quant h ses ratiocinations, elles sont dans le commerce. Dès lors,
comment voir en cette pièce autre chose qu'une entreprise vulga-
risairice? Il fallait donc, il fallait que la Science figurût là sous
une forme nouvelle, imaginer quelque hypothèse intacte. Et,
même en l'état, Gros était à démarquer j)lutôt que Flammarion,
si jocrisse. Ces discours : la triste phraséologie, le fleur de cabi-
nets de lecture municipaux! Si l'on songe aux spéculalions d'un
Clacs, celles de Vauxonne Sont par trop veules. Du moins reslenl
h l'actif de M. Fèvre le courage d'avoir mis Vauxonne cl ses
théories an premier plan, l'improbation du public et un beau
titre, don de M. Isaac Pavlowsky.
2.
Alors pour ragaillardir le peuple, on lui joua sa pièce habi-
tuelle, dont le principal personnage semble être, celle fois, une
jambe arthritique que se disputent des masseurs.
—i.^ F.
CAMILLE LEMONNIER ET LE THEATRE LIBRE
L'incidcnl Lemonnier-Antoine a préoccupé celle semaine
not»re monde littéraire (nous entendons par ces mots la partie
active qui mène le mouvement et le progrès, et non les sénilcs
papotards, fournisseurs de dragées purgatives pour les cervelles
du Bel-Air).
La Nation a fait interviewer les deux parties cl son reporter
est revenu tout chargé de renseignements. Certaines lettres
reçues par Camille Lemonnier, entre autres, éclairent la situation.
il en résulte, d'après nous, que M. Antoine n'a pas mis, en cette
affaire, toute la bonne volonté désirable el il est difiicile de se
défendre de celte impression que si Camille Lemonnier n'avait
pas laissé jouer le Mâle \)ar une troupe concurrente (avec un très
grand succès, on s'en souvient; nous l'avons constaté ici même
à difTércntes reprises), Madame Lupat eût été représentée au
Théâtre Libre.
Il esl regrettable que ce différend nous ait privé pour le rôle
de M. Lupar d'un interprète aussi parfait que M. Antoine, dont
les extraordinaires mérites viennent d'apparaître encore dans
Seul et dans Blanchcttc. Un homme comme lui devrait se mettre
au-dessus des petits mobiles auxquels il semble avoir obéi.
La modération avec laquelle nous parlons de l'incidenl vient
surtout du souvenir que nous gardons des grands services rendus
par M. Antoine h l'art neuf. D'autres n'ont pas eu la même
réserve el traitent fort durement l'artiste qui s'est laissé aller à ne
pas montrer à un écrivain tel qae Camille Lemonnier les égards
qui lui sont dus. Nul ne s'en étonnera en réfléchissant h la haute
situation conquise chez nous par l'auteur de la Belgique et de
Happe-Chair.
LIVRES NOUVEAUX
"Vamireh, roman des temps primitifs, par J.-H. Rosny (1) . —
Kolb, Paris.
Vamireh esl l'artiste premier, l'homme qui avant tout autrejus-
lifia l'émerveillement el força le resi)ecl de ses contemporains par
l'éclosion d'une intelligence devançante, par de naissants désirs
allruistes que secondaient, comme cela s'imposait au temps pré-
historique, une vigueur exceptionnelle, un courage toujours pré-
médité.
L'auteur nous dit les premières ébauches d'art de ce primitif,
puériles gravures en pierre, et nous fait suivre les péripéties de
(1) Depuis Daniel Valgraive, cette signature est devenue une rai-
gOn sociiile littéraire qui .sous-entend la collaboration fraternelle de
MM. Joseph-Henri Rosny et Justin Rosny.
son dmigralion à l'Orienl, paraii lesTcHes-Courtes auxciutls l'occi-
tlental ravil une jeune femme. La fabulation du roman est inslalléo
iMV ce rapl qui oblige les hommes dépossédés à de dures repré-
sailles, mais laisse Vamireh déiinilivemenl possesseur de sa
conquête.
M. Rosny possède une dynamiciite surprenante de l'évocation,
un esprit généralisatcur et organisateur d'un rare équilibre. La
documenlalion qui lui suggéra le plan de son œuvre ne portail
que sur les rares vestiges de l'époque paléolittiique découverts il
y a quelque trente ans, et cela, uni à certaines données sur les
sciences naturelles, a sufli à l'auteur pour lui permettre la recon-
stitution, avec un ma.ximum de vraisemblimce, de tout un âge de
l'Humanité inconnu à l'Ilistoiie : l'époque imprécise, antérieure à
rage néolili4ue et au concept divin, l'époque où vivent encore
les derniers anthropoïdes qui engendrèrent les lardigrades d'où
sortirent enfin les races asiaiiiiues.
M. Rosny retrace sans embarras les luttes exterminatrices de
l'homme contre l'homme, de la bêle contre la bêie, de ceux-là
contre celles-ci, et non sans enthousiasme, car M.. Rosny a pour
la Nature des tendresses exquises, quasi paternelles, et il en
célèbre l'immarcescible beauté en cueillant aux confins de l'ex-
primable toute la magnificence verbale capable d'embellir sa
pensée.
^ Ed. C.
"Vitraux, par Laurent Tailhade. — Paris, Léon Vanier, éditeur,
1891. Tirage à 500 exemplaires numérotés sur papier de Hollande,
51 pages.
Toute la poésie des mots, des descriptifs et des qualificatifs pour
faire comprendre en la traduisant celte grande et belle chose
d'inlimilé religieuse: les vitraux. Ceux qui magnifient la Vierge,
d'abord, puis ceux qui éternisent l'éphémère des fleurs « les fleurs
d'Ophélie », les « funerei flores », toutes les fleurs.
Quinze poèmes, extraits d'un volume eu préparation: Sur
champ d'or. Un amour du religieux, du pieux, du byzantin, du
gothique. Telles pièces, trop surchargées peut-être d'épithètes et
d'adjectifs, rappellent ces cantiques de traduction latine chantés en
plain-chant aux saluls du soir, ou tel dimanche, au moment des
très saintes bénédictions. « Inii^oïi, Sonnet liturgique, Hortus
conclusus », autant de transpositions des litanies peintes sur les
grands vitraux et qui ont inspiré te poèle^ès liturgiques, ces
poèmes, mais participant à la fois au profane et au sacré. L'idéal
se fait bien matériel et à force de se préciser dans ses contours il
emprunte au réel tant de traits descriptifs qu'on oublie le lieu
saint qu'est l'église. Peut-être parce que l'âme manque un peu k
ces jolis vers.
^CCU^É? DE RÉCEPTION
Le Miroir des légetides, par Bernard Lazare (Paris, A. Lemerre).
— Grisailles, recueil de poésies, par Ch. Droupy (Bruxelles,
Islace). — Examen critique de la loi du 22 mars 1886 sur lé
dr4)il d'auteur, par J. de Brauwere (Ixelles-Bruxelles, Imprimerie
Générale). — Quand les violons sont partis, par Edouard Dubus
(Paris, Bibliothèque artistique el littéraire).
NOS ARBRES
Nous avons souvent fait campagne pour cmpé.'her le bi-ulal et
inintelligent ébranchago des arbres de nos promenades piiblitiues.
Nous avons réussi à Bruxelles, grùce îi M. Buis qui a, lui aussi,
l'amour de la belle verdure. Nos boulevards y sont devenus
magnifi(|ues depuis (jue les basses branches ont été sauvées,
Quelciues villes de province ont aussi compris ce qu'il y a do stu-
pide dans le fait d'appliquer aux plnnlations d'agréuKMil, les pro-
cédés destinés à « donner beaucoup de bois » qui ne sont appro-
priés qu'aux plantations de rapport. Partout où la réforme a eu
lieu on ne voit [tins, là où il faudrait de l'ombre, d'immenses
Iroiics déj)Quillés ou gardant de feuillage qu'une cime inutile pour
le promeneur.
Mais ailleurs l'idiote habitude persiste. Allez notamment avenue
Brugman; vous y verrez en lilcs interminables de malheureux
platanes el maronniers presque tous mutilés, contusionnés, défi-
gurés, présenianl un lamentable speclacle; ces jours derniers
encore un vandale a coupé partout de belles basses branches et
l'on voit partout des cicatrices. On n'a pas riiabituelle excuse du
tramway que les branches gênaient ; c'est des deux côtés, et horri-
blement. ■
On nous assure ((ue l'on accorde à des bûcherons le droit d'éla-
guer moyennant l'enlèvement des bois [)0ur tout salaire. Ce beau
système a pour résultai d'encourager la cognée de ces brutes.
Quand donc sera-t-on convaincu que la meilleuce façon de trai-
ter un arbre c'est de le laisser pousser à sa guise, dans sa grûce cl
sa force naturelles el (lue toute branche coupée esl une blessure
qui lui nuit. Celte manie d'arrangement el de jardinage est le plus
sûr moyen de déshonorer peu î> peu les plus, belles plantations.
NOUVEAUX CONCERTS LIEGEOIS
3« concert.
{Correspondance particulière de l'Art moderne.)
Il faut dire encore les soins, le sentiment réellement artistique
que M". Sylvain Dupuis apporte dans la direction des Nouveaux
Concerts. Les programmes sont d'un artiste qui a compris sa
tache, les exécutions sont presque parfaites.
Ainsi la troisième symphonie de Brahms, quoique très difficile
à exécuter, a élé bien jouée. Peui-ôire <'n certains passages aurait-
on désiré que le dessin mélodi(|ue se dégageât davantage. Maison
modérant l'ardeur de ses musiciens, en les obligeant k de la
retenue et de.la discrétion, M. Dupuis a imprimé à l'œuvre son
caractère d'austérité un peu grise. Admirable, cette troisième
symphonie d'un sentiment si profond, si contenu. Quel dédain de
l'effet et que sous cette apparence de simplicité l'écriture est
savante! C'est d'une haute conception d'arl.
Plus encore cette œuvre nous apparut grande d'émotion
intime, de solide pensée, lorsque suivirent les violences de cou-
leurs et de contrastes de la musique du Don Juan de Richard
Strauss. Cette exubérance de sonorités riches, cette recherche de
imances nous ont semblé cacher fragilité de pensée et insuflisance
d'inspiration. Musique travaillée, fatigante, elle intéresse, elle
étonne, mais elle ne remue pas.
Ce titre : Don Juan, évoque l'idée d'une analyse d'états d'âme
très complexes, d'une psychologie curieuse et profonde. Il sem-
blerait que le poème symphonique de Strauss dût être tout
LART MODERNE
95
■iniprno. Il osi au contraire loiil en surface, tout en dehors. C'est
une suite de tableaux vivement nu tièdement enluminés, mais
toujours enluminés.
M. Jose|)li von Slivinski est un étonnant virtuose du piano; il se
joue avec une rcmarqualile aisance des plus sérieuses diflicullés.
Il charme, il ne persuade pas, et quoiqu'il ait du nerf, ilhous
a paru dépourvu de puissance. Dans le Concerto de Tschaïkowsky,
— concerto bien pauvre et bien ennuyeux, — qu'il détaille îi la per-
fection, il a fait montre de sa superbe technique. Aussi dans une
Bnrrarollr ûo. Rubinstein et dans la Tarentelle Vcnezia et Najwli
de I.iszt. Il a fait valoir à merveille la Filcuse de Mondeissohn et
joué de charmante manière, sans plus, le Nocturne en fa dièze de
Chopin.
"Petite chroj^iique
Pour rappel, aujourd'hui h i h. 1/2, troisième concert popu-
laire. "
I,es répétitions du poème symphonique de M. Paul Gilson, La
Mer, promettent une exécution excellente. L'œuvre, qui est d'une
couleur sujierbe, a fait une grande impression. Elle a été acclamée
hier à la répétition générale. Nul doute que le public d'aujour-
d'hui ratifie ce succès et classe définitivement son auteur au rang
qu'il a droit d'occuper.
Le pocirie de M. Levis sera dit par M. Le Bargy, de la Comédie-
Française.
Lés trois derniers spectaclesTlu Théâtre Libre :
iJimanche : L'Ecole des veufs, comédie en 5 actes de M. Georges
AnCiW et Dlanchelle, il actes, de M. Kugènè Brieux.
Lundi : Le Canard sauvage, pièce en 5 actes, de M. Henrik
Ibsen, traduction de MM. Armand E|ihraïm et Th. Lindenlaub.
Mardi, pour les adieux du Théâtre Libre : Tante Léonline,
3 actes de MM. Maurice IJouiface et Edouard Bodin cl VEcole des
veufs.
La troupe du Théâtre du Parc donnera mercredi la première
représentation des Jobards, trois actes de MM. Guinon et Denier.
L'Ilitruse de Maeterlinck passera immédialetnent après les
Jobards. - -
Le concert organisé par la Société de Musique de Tournai et
consacré aux œuvres de M. Gabriel Pierné aura lieu aujourd'hui
dimanche, b 5 heures du soir, au local de la Halle aux Draps.
C'est dimanche prochain, 27 courant, que sera exécutée à
Verviers, par l'orchestre et les chœurs de l'Ecole de musique,
sous la direction de M. L. Kefer, V Andromède de G. Lekeu, dont
un fragment a été applaudi dernièrement aux XX. Les solistes
sont M"' Lamboray et M. S. Byrom.
Au même concert, on entendra, sous la direction de l'auteur,
Saugcfleurie et le Lied pour violoncelle et orchestre de Vincent
dlndy (soliste : M. Henri Gillei).
Au Cercle artistique et littéraire de Gand (rempart Saint-Jean,
4?) s'ouvrira dimanche prochain, une exposition de « Noir et
Blanc », organisée par \ Els-Club de La Haye.
Au nombre des exposants figurent MM. J. Toorop, "W. Wilsen,
Ph. Ziicken, Veih, Mauriis Bauer. Ce dernier exposera les dix
liihngrai)hies pour la Légende de saint Julien V Hospitalier de
Flaubert dont nous avons parlé dernièrement (4).
L'exposition est ouverte librement pour les personnes étran-
gères à la ville, chaque jour de 40 à 4 heures, à l'exception des
mardis, jeudis et samedis, où elle clôt ses portes à 1 heure de
relevée. .
Le quatuor Ysaye (MM. E. Ysaye, Crickboom, Van Hout et
Jacob), qui ne s'était fait entendre jusqu'ici qu'aux Concerts des
(1) N» du 6 mars.
XX, partira au commencement de mai pour Paris, où il donnei'a
quatre auditions b la salle Pleyel.
Ces séances sont fixées aux 9, 41, 43 et 46 mai, à 4 heures.
Voici les programmes très artisliq^ies de ces concerts de haute
attraction :
Première séance. — Césau Franck. Quatuor pour deux
violons, alto et violoncelle. — Quintette pour piano et instru-
ments h cordes.
Deuxième séance. — Vincent d'Lndy. Quatuor pour deux
violons, alto et violoncelle. — Quatuor pour piano et instru-
ments h cordes.
Troisième séance. — Gabriei, Fai'ré. Quatuor en sol pour
piano et'cordcs. — Quatuor en /// pour piano et cordes.
Quatrième séance. — A. df, Castii.i.on. Quatuor pour deux
violons, alto et violoncelle. — E, Chausson. Concert pour piano,
trois violons, alto et violoncelle.
Le pianiste sera vraiseml)lablemenl M. Auguste Pierret, le
jeune et très distingué élève de Diémer qui a obienu, au dernier
concert des XX, un succès si vif et si mérité.
i.a deuxième séance du quatuOr Crickboom, Sartoni, Kéfer,
Gillel aura lieu le 22 avril, avec le concours de M"' Irm^ Sôthe, qui
se fera entendre pour la première fois dans un concert bruxellois.
Au programme :-te concerto de Bach pour deux violons, un
quatuor de Beethoven et le quatuor de Vincent d'Indy pour piano
et cordes.
Une, nouvelle très intéressante et appelée à faire du brufi nous
arrive de Paris. M. Sainl-Pol Roux, l'un des écrivains les plus en
vue de la nouvelle génération, sollicite la direction actuellement
vacante de l'Odéon. 11 aurait comme assesseurs le peintre Georges
Rochegrosse etle compositeur Gustave Charpentier.
M. Saint-Pol Roux a présenté au ministre un programme com-
plet dans lequel figurent Villiers de l'isle Adam, 'Théodore de
Banville, Ibsen, Maeterlinck et les jeunes poètes, repoussés jus-
qu'ici des scènes subventionnées. Un appel serait adressé aux
artistes des écoles nouvelles pour la confection des décors, pour
la composition de la musique de scène, etc. Bref, ce serait un
renouveau complet, un courant d'air frais pénétrant dans le
vélusle bâtiment de la rive gauche.
Le Quartier est en rumeur, comme bien on pense et sitôt la
(louvelle connue dans les bureaux de rédaction, il y aura de
formidables levées de piques.
Nous approuvons fort l'audacieuse tentative de M. Saint-Pol
Roux et de ses amis, et souhaitons vivement que le ministre lui
fasse accueil. Quoiqu'il arrive, elle aura montré que la jeunesse
litléralre est organisée pour le combat de la rampe et qif il s'agit
désormais de compter avec elle.
Les escarmouches du Théâtre d'art, du Théâtre d'application,
du Théâtre de l'avenir dramatique qui ont vaillamment combattu
aux côtés de leur^lnéja Théâtre Libre, auront préparé la victoire
définitive.
Cours supérieurs pour
M. H. Pergameni : Organ
anglaise ; à 3 heures, M""' A
— 22 mars, à 2 heures,
flamand (suite) ; à 3 heures
seignement de la femme. -
MENi : La Constitution des
M. H. Lonchay : Le Prince
Lecture {Anatole France).
dames. — 24 mars, à 2 heures,
isation politique et sociale de l'Inde
Chaplin : Lectun; d'auteurs anglais.
M. E. Verhaeren : Le néo-gothique
: Causerie par M'i^V. Potvin surl'en-
- 23 mars, à 2 heures, M. H. Perga-
htati-Unis. — 24 mars, à 2 heures,
de Ligne; à 3 heures, M"' J. Tordeus :
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Linden, à Berlin; à M. Ri^nmehnann, 15, Guiollett strasse, à Francfort a/.m; à M. Schenkcr, Schottenring, 3, à Vienne; à A/™" Schroehl,
9, Kolowratring, à Vienne; à M. Rudolf Meyer, à Garlsbad; à M. Schenker, Hôtel OberpoUinger, à Munich; à M. Detollenacre, 12,
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Douzième année, — N" 13.
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 27 Mars 1892.
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Comité de rédaction i Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHABREN
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00 — ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser toutes les communications à
l'administration générale de TArt Moderne, rue de l'Industrie, 32, Bruxelles.
Sommaire
Le Canard sauvaob. Représentation du drame d'Ibsen au Théâtre
du Parc. — Concerts populaires. — Expositions courantes. Léon
Frédéric. '■ — Exposition de l'art photographique anglais. — La
COLLECTION DU DOCTEUR LeQUIME. — Au CeRCLE ARTISTIQUE d'AnVERS.
Exposition Farazijn. — J.-M.-N. Whistler. — Documents a
CONSERVER. — PETITE CHRONIQUE.
LE CANARD SAUVAGE
(1)
Représentation du drame d'Ibsen au Thé&tre du Parc
Les Profondeurs de la Mer ! Mystérieuse et sonore
euphonie de mots qui marque, comme d'un talisman
contre l'oubli, la scène la plus tendrement vibrante, la
plus poétiquement déchirante de ce drame d'Ibsen,
aussi fouilleur dans l'âme, aussi bouleversant que les
tragédies antiques, — de ce drame à titre bizarre, mais
d'un si prodigieux vol dans le lointain et l'inconnu.
Les profondeurs de la mer! symbolique formule qui
palpite sur les lèvres inquiètes et ingénues d'une enfant
norwégienne, enlisée dans les ténèbres de la vie, dans les
ténèbres de la puberté germante, ne sachant rien encore
du mystère qui, à si courte distance, enveloppe nos
(i) Voir le compte rendu du Canard sauvage par notre correspon-
dant de Paris dans l'Art moderne du 3 mai 1892. — Voir aussi,
pour les Revenants, année 1891, p. 8G.
humaines existences, mais dont le sang Scandinave,
mêlé par les fatalités des mêmes septentrionales lati-
tudes au sang russe, parcourt ses veinules et ses asté-
rioles de fillette rêveuse, chargé des globules étranges
qui là-bas font lever dans les cœurs tourmentés et altérés
d'héroïsme, dans les cœui's malades, le besoin du sacri-
fice, le besoin de justice, le besoin de montrer par
la mort! à ceux qu'on aime cpmme on les aime!
Oh! l'adorable, et poignante, et naïve association
d'images, résumant l'enfance et la terre immense, la vie
triste et l'essor vers le rêve, que cette Hedwige et ce
Canard sauvage ! La petite ,âme féminine de l'enfant
norwégienne qui regarde la vie, comme l'oiseau encore
blotti dans le nid l'horizon brumeux et indéfini, et qui
s'élance, qui part, cpmme l'oiseau, frappée bientôt par
un coup de feu sorti du Hasard, et plongeant alors dans
« les Profondeurs de la Mer !»
Cette mystique du drame d'Ibsen, si émouvante,
n'espérez pas que l'habituel public puisse en avoir même
l'idée. Il faut, pour en être immédiatement saisi et
troublé, cette onde d'humanité gémissante qui ne baigne
pas les cœurs vulgaires. Il faut cette double vue du
Slave et de son germain le Scandinave, qui, dépassant
la quotidienne anecdote de l'existence bourgeoise,
découvre, sans y voir clair, mais en en pressentant les
fantômes et le vague sinistre, les sombres retraites où
les imprévus du Destin sont tapis en leur silence. Il
98
L'ART MODERNE
faut la croyance que nous sommes le jouet des ombres,
le jouet des « lois invisibles que rien ne peut fléchir et
que rien n'attendrit «. Il faut avoir appris par la vie
que rien n'arrive comme on l'avait pensé, qu'incessam-
ment des mains d'anges ou de démons dérangent nos
résolutions et nos espoirs, que quiconque vit, tâtonne et
divague, que l'homme est un moucheron bourdonnant
et virant en zig-zag dans un tourbillon qui l'emporte
et que l'incertain dirige.
Oh ! la déroute idiote de ces spectateurs impuissants
à démêler le fll de cette pièce étrange, faite en apparence,
et pour eux, de niaiseries quotidiennes, se déroulant
pendant quatre actes dans la même mansarde de
pauvres gens vaquant aux puériles opérations d'un
ménage de photographes, avec un aïeul faisant des
copies, un voisin qui se saoule, un médecin raté qui
disserte et un fils de banquier absurde au point de se
faire nihiliste ! Ces spectateurs! ne se doutant pas que le
drame résulte de l'invisible qui enserre cette quotidien-
neté misérable, qui se lève du dessous des réalités
tangibles, et monte, monte, lent et inexorable, — qui
vient des lointains insondables, et approche, approche,
lent et inexorable, de plus en plus près, inflexible en sa
fatalité, — et qui donne, par le tragique de cette venue,
non vue mais sentie, aux plus petits événements, aux
plus insignifiantes paroles de ces êtres, fantoches ou
marionnettes marqués pour les catastrophes et ne s'en
doutant pas, et déjà dans la gueule qui va se fermer
sur eux et les broyer, une portée d'émotion effrayante.
Non, ils riaient ces spectateurs, ne voyant que l'exté-
rieur puéril, et dès lors inévitablement incohérent, des '
actes et des personnages.
A quoi de leur psychologie à parois étroites pouvait
répondre cet extraordinaire grenier, où des lapins,
des poules.... et ce Canard sauvage! vivent prison-
niers entre quelques arbres de Noël desséchés et des
bahuts pleins de vieux livres de marine oubliés par
un capitaine de navire cousin de celui qui commandait
le Vaisseau- Fantôme? Ce grenier étonnant, où l'aïeul
et le fils vont en promenade comme s'il s'agissait d'une
forêt Scandinave là-bas sur le haut des monts couron-
nant de verdure les Çords, où l'aïeul qui jadis a tué des
ours, fait la chasse aux lapins avec un vieux pistolet?
Tout l'idéal étrange de ce déconcertant grenier a
échappé au public. Il n'y a vu qu'une fantaisie baroque.
Son énorme et délicieux mensonge de vie en plein air,
sous les grands bois parcourus par les fauves, aux cimes
habitées par les oiseaux de proie, avec au-dessus, dans
l'éther, les migrations des » Canards sauvages ",
l'énorme et délicieux mensonge des étapes et des
chasses dans les solitudes silvestres des montagnes, il
ne l'a pas compris Ce grenier bizarre! qui, dans la
projection psychique des habitants de la mansarde qu'il
avoisine, est un monde plein de joies et de rêves, où, en
?
esprit, ils voyagent par delà les Atlantiques jusqu'aux
Amériques d'or, il ne l'a pas compris..., si ce n'est
peut-être vaguement, vers la fin de la représentation,
par une intuition enfin commençante du vrai sens, pro-
fond et touchant, de ce mirage, quand la fillette va
chercher la Mort dans ce beau pays imaginaire
qu'abrite et limite le toit enchevêtré de poutres de la
vieille maison en sa ville innommée.
De toutes les forces mal définies qu'Ibsen fait agir
dans cette œuvre caractéristique de son art énigma-
tique, il eu est deux seulement auxquelles il donne assez
de relief pour qu'elles ne soient plus d'impalpables
nuages se confondant avec l'obscurité même de la vie
universelle : l'Hérédité et la Folie. Déjà lors des Reve-
nants,}o\xë^ ici par la même troupe d'Antoine et sur le
même théâtre, nous en faisions la remarque. Il semble
que le dramaturge a une prédilection pour ces deux
moteurs en lesquels il dédouble si curieusement la
grande et unique Fatalité antique d'Eschyle, d'Euripide,
de Sophocle, cette fatalité angoisseuse et cruelle qui n'a
nulle place dans Shakespeare et donne au théâtre anglais
une sérénité, même dans les catastrophes, qui le sépare
si nettement des écrasants déroutements de l'insondable
Destin. De temps à autre, dans la sombre et minutieuse
évolution de l'œuvre ibsénienne, un mot, une phrase,
d'un fugitif éclat de morceau de vitre atteint par la
lumière, éclaire négligemment cette tendance quasi
scientifique que le dramaturge laisse tout de suite pour
en revenir à l'écoulement froid et en apparence mono-
tone des incidents terribles de son histoire. Même en
cela, quand on va frôler l'explicable, la logique, la trame
raisonnée de son art bizarre, il aime à refaire vite le
mystère sur les ressorts un instant aperçus et c'est par
soi-même qu'il faut compléter cet entrevu si tôt fermé,
avec l'hésitation et l'angoisse d'une solution possible,
mais quand même incertaine. Est-il vraiment fou, ce
Gregers, brûlé d'un séraphique désir de vérité, rongé
par une fièvre cC honnêteté, t^v\s des périodiques accès
à'un délire admiratif, qui ne comprend le bonheur
que si l'illusion, le mensonge vital est détruit, et qui,
avec une opiniâtreté d'insensé, mais avec la foi d'un
saint, veut qu'on construise sa vie, sans lâcheté et sans
marchandage, avec les inévitables malheurs dont la
pauvre humanité est la proie et qu'elle déguise sans
cesse pour échapper à la douleur d'exister. Il ondule,
le personnage, entre ces deux formes flottantes, tantôt
concentré en précise figure héroïque, tantôt s'élargis"
sant en fantastique figure d'aliéné. Et c'est vraiment
du théâtre antique ! Tel le devait comprendre un
artiste moderne. C'est de l'Euripide dans une mansarde.
Nommez ce Gregers Oreste et cette Hedwige Hennione
et saisissante apparaîtra l'analogie du grand souille des
mystères.
L'indécis, l'indéchiffrable, les déserts, les solitudes,
les bruits vagues, les grands espaces fantomatiques de
l'âme, les curiosités grimaçantes, les surprises lugubres
des événements, l'ensemble à la fois comique, tragique,
mais toujours secret et finalement dérisoire de la vie, se
reprenant après chaque mort pour recommencer le
même bouillonnement stérile, s'achevant par les mêmes
bulles de vapeur crevant à petit bruit à la surface, cette
subcession de douloureuses et misérables misères appa-
raissant dans la grandeur dé leur cruauté, de leur inu-
tilité, de leur perpétuité, t«l se révèle le théâtre d'Ibsen
en son eff'roi et son -irrésistible émotion. Quiconque ne
saisit pas cet ésotérisme ne peut trouver son art que
puéril et grotesque. Et certes nos excellents critiques
de taverne n'y ont pas manqué.
CONCERTS POPULAIRES
La Mer, de Paul Gilson.
.Lorsqu'on oxécula au Conservatoire YElégie de Paul Gilson,
qui ne parvint pas à dégeler les auditeurs glacés de la rue de la
Régence, nous écrivîmes que le jeune compositeur prenait rang
parmi les premiers symphonistes de l'époque.
La Mer a trouvé aux Concerts populaires un public plus
compréhensif, qui a fait à l'auteur — aux auteurs, car M. Eddy
Levis, le poète de la Mer, en a eu sa part — un accueil triomphal.
La nationalité de M. Gilson, Brabançon bon teint, n'a pas nui,
chose étonnante, au succès considérable qu'on lui a unanimement
décerné et dont la répercussion fait vibrer actuellement toutes les
gazelles du pays. Se souvient-on du temps où il fallait, indispen-
sablenjent, pour avoir du talent, être Tchèque, ou Hongrois, ou
Norwégien ?
Nous enregistrons avec joie celle victoire, qui est tout à l'hon-
neur de notre public bruxellois. Il était aisé de discerner dès la
première audition de la Mer, bien que l'exécution fragmentaire
au piano qu'en offrirent les XX n'en pût donner qu'une idée
imparfaite, le grand intérêt que présente cette partition, écrite
d'un jel, avec une facilité rare, par un musicien qui connaît à
fond son mélier, qui possède la variété des rythmes, la science
des développements, l'art de conduire polyphoniquemenl ses
thèmes.
L'œuvre n'avait que deux parties alors : Le Lever du jour,
tableau maritime bâti sur trois notes, et la Ronde du gabier,
morceau pittoresque et charmant, plein d'entrain et de vie, dans
lequel le rythme canaille de la gigue alterne avec un chant de
matelots caractéristique, bien rythmé et net d'allures.
L'auteur y a ajouté un andante qui peint la chute du jour et
une terrible tempête éclatant, formidable, sur le thème initial de
la Mer et ballottant de façon émouvante les matelots dont le
chant retentit par intervalles dans le déchaînement de toutes les
forces instrumentales de l'orchestre.
Ces deux parties, les meilleures, à notre avis, de celle sym-
phonie (Esquisses symphoniques esi un litre bien modeste pour
une œuvre de cette envergure) couronnent triomphalement la
partition. Le dialogue de flûte et de cor anglais qui ouvre la
troisième partie et qui ftiènejusqu'au bout l'ajirfaji/e est délicieux,
bien qu'on puisse lui reprocher d'être quelque peu inspiré des
compositeurs russes, el spécialement de Borodine. 11 se prolonge
peut-être trop, ou plutôt est repris, sans utilité apparente, avec
trop de persistance vers la fin du morceau. 11 y aurait
à pratiquer dans celte partie une coupure qui allégerait l'œuvre,
un peu languissante en cet endroit malgré l'intérôi d'une instru-
mentation séduisante et d'une harmonisation délicate.
Ecrire une Tempête après tant de musiciens cl trouver du
neuf n'était pas une tâche aisée. M. Gilson s'est fort heureusement
tiré de cet épineux labeur. La quatrième partie de la Mer a une
grandeur et une puiss9ncc vraiment impressionnantes. Il y a tout
autre chose que la banale imitation des bruits de la nature dans
ce morceau tragique et de haute envolée. L'auteur y combine
avec -art tous les motifs de sa partition, en variant de façon
imprévue les rythmes el les harmonies. Par une gradation cons-
tante, il arrive, vers la fin, à un maximum d'effet qui a fait sur
l'auditoire une impression profonde. C'est, grandement pensé,
largement écrit, d'une écriture ferme, égale, qui décèle une main
sûre et un cerveau équilibré.
L'intérêt principal du Concert résidait dans la Mer. Nous
n'avons que peu de chose à dire des autres œuvres inscrites au
programme. Le Camp de Wallenstei7i, de Vincent d'Indy, et
l'Entrée des dieux dans le Walhalla sont connus, et leur exécu-
tion n'a pas été irréprochable. On a entendu aussi une Fantaisie
quelconque de M. Wiclor pour piano el orchestre, fort bien jouée
par M. Philipp.
EXPOSITIONS GOURANTES
LÉON FRÉDÉRIC
M. Léon Frédéric vient d'exposer au Cercle artistique une loile
nouvelle : Le mouchoir de sainte Véronique.
Deux anges passent à travers une plaine, portant le mouchoir
sacré où l'on voit la figure du Christ. L'œuvre est saisissante et
d'une poésie profonde el émue — et certes, depuis les Marchands
de craie, c'est ce que le jeune artiste a produit de meilleur. On a
souvent reproché à M. Frédéric sa couleur parfois aigre el avare,
el, dans ses essais de symbolisme, des côtés vulgaires et étriqués,
ici, tous ces reproches tombent, el il ne reste à signaler qu'une
belle victoire d'art, enfin remportée.
Les deux anges sont adorables. Ce sont deux enfants de pau-
vres, nus sous un transparent voile noir, avec des cheveux cou-
leur de chanvre et des traits paysans ; mais leur physionomie est
sublimée par une mystique impression — celui qui regarde au
ciel, surtout, est merveilleux de sentiment — et, ce qui le ratta-
che encore définitivement au paradis, ce sont des ailes superbes,
de belles el grandes ailes d'anges, orgueilleuses comme des roues
de paons et qui donnent aux pauvrets transfigurés une magnifi-
cence céleste. Ils s'avancent ainsi, tenant le mouchoir ouvert
entre eux, et, à l'aide de fleurs doucement brandies, ils écartent
de leur chemise les épines et les serpents, tandis que derrière eux
la voie parcourue se couvre de roses et se change en une belle
rivière de parfums, de joie cl de tendresse. Dans le fond, un
paysage recueilli, avec des pâtres auxquels la miraculeuse prome-
nade verse de la ferveur.
Nous aimons moins la figure du Christ, Certes, M. Frédéric.a
bien exécuté ce qu'il a voulu faire, el cette face du Jésus char-
pentier, celte face sanglante est rendue avec une réelle pénétra-
tion de douleur el de martyre, mais nous l'aurions voulue plus
aérienne et plus rayonnante. Sur le mouchoir doit simplement
i
rester un reflet du visage ^i Christ, un peu de souffrance essuyée,
un regard d'espérance et de résignation, et M. Frédéric a trop
insisté, nous semble-t-il, sur le rendu de cette physionomie qui
saigne au milieu de son tableau.
Celle œuvre est destinée à une église de village. Et nous nous
la figurons bien belle, bien saisissnnte, dans le milieu qu'elle
occupera. Elle est si parfumée d'une poésie à la fois tendre et hau-
taine — et nombre de croyants viendront rêver devant ces tou-
chantes physionomies d'anges, si humaines et si célestes, où ils
trouveront également la grûce naïve de leurs enfants et le radic-
ment qu'on prêle aux chérubins.
***
Des natures mortes de M™* Triesl-Van Mulders, des marines de
M. Arden, des paysages de M. Goemans tapissaient les murs du
Cercle durant l'exposition Frédéric.
Rien à dire, vraiment, de ces toiles, si ce n'est que M. Goemans,
qui expose pour la première fois, bien que vétéran, est un
consciencieux et un chercheur. 11 a été des premiers à peindre en
plein air, à s'efforcer d'exprimer la nature sous son jour vrai. Son
œil ne manque pas de délicatesse et sa palette d'harmonie. On
peut le classer dans le voisinage de Bacrlsoen, son concitoyen,
et peut-être son compagnon de travail?
***
Parmi les enfantins coloriages de ïï. Franz Van Luppen et les
sous-Stobbaerderies signées Adolphe Jacobs qui ont succédé à ces
toiles, un jeune peintre, Jef Leempoels, aligne en bataille une
vingtaine de toiierà intentions philosophiques, de valeur inégale,
mais qu'on ne peut passer sous silence : un nom nouveau qui pour-
rail, s'il est orienté comme il convient, marquer. Le temps et la
place nous faisant défaut aujourd'hui, nous remettons à dimanche
prochain l'appréciation de ses œuvres.
*** .
L'exposition générale du Cercle artistique s'ouvrira le 23 avril.
f
EXPOSITION DE L'ART PHOTOGRAPHIQUE ANGLAIS
Il y eut, paraît-il, en Angleterre, de rudes polémiques entre
« flouisles » et « neltîstes », c'est-à-dire, en argot photogra-
phique, entre les partisans des clichés librement exécutés par des
artistes soucieux d'assimiler leurs épreuves à des aquarelles, à des
fusains, à des sépias, et les défenseurs de la précision impec-
cable, de là minutie que réalise une rigoureuse mise au point.
Ou s'attrapa ferme, et la discussion, menée à coups d'articles, de
conférences, d'exemples présentés, aux expositions, par les deux
écoles, est loin d'être épuisée.
L'Association belge de photographie a pensé qu'il serait inté-
ressant d'initier le public bruxellois à ces luttes qui passionnent
les fervents de la chambre noire. Et le Cercle artistique abrite en
ce moment un choix d'épreuves dues à vingt-six photographes
anglais (parmi lesquels il n'y a ^ue deux professionnels) où les
« flouistes » dominent et triomphent, bien que les « nettistes »
aient quelques représentants de valeur.
Le but des organisateurs est, en outre, de faire trancher affir-
mativement par l'opinion cette question souvent posée, jamais
résolue : La photographie est-elle un art?
L'intéressante causerie faite récemment à l'Association de pho-
tographie par M. Hector Colard, et dont nous avons parlé, était
un plaidoyer éloquent. Les spécimens de photographies anglaises
présentement exposées complètent sa démonstration. Tels résul-
tats acquis par des tirages successifs sur des papiers grenus et
rugueux sont vraiment déconcertants. Us élèvent brusquement la
photographie au-dessus de toutes les expressions connues, justi-
fiant cet axiome d'un des exposants, M. Adam Diston : « 11 me
semble que la position que doit occuper la photographie parmi
les arts est une place intermédiaire entre celle occupée par le
peintre et celle prise par le graveur ». Le procédé mécanique qui
assigne à la photographie .un rang inférieur disparaît, en effet,
presque complètement dans bon nombre de ces belles planches.
La personnalité de l'artiste, son lourde main, — oui, la « patte »
du photographe — y apparaissent . Gageons qu'un homme du métier
discernera sans hésitation un Oavison d'un Keene, un Hinlon d'un
Robinson, bien que tous appartiennent au groupe des« flouisles »,
de ceux qu'en peinture on nommerait les « plein-airistes ». Dès
lors, n'est-ce point partie gagnée?
Si tout n'est pas d'égale qualité et d'intérêt constant dans ce
premier «Salon » — les organisateurs ont dû se montrer éclecti-
ques— il faut reconnaître qu'il y a beaucoup d'œuvres superbes.
En première ligne, les compositions et portraits de feu .M™" Julia
MargarclCameron, l'une des premières qui désembourba la photo-
graphie et l'orienta vers l'expression artistique. On lira avec intérêt
le récit qu'elle fait dans les Annales de mon atelier, reproduites
dans le très élégant catalogue de l'exposition, de ses premiers
essais, de ses déconvenues, des joies qu'excila chez elle la réus-
site. Puis encore les deux paysages sur Whatman de E. Calland,
le magnifique portrait de Tennyson par H. -H. Cameron, les six
paysages de H. Hinton qui paraissent lavés à l'encre de Chine, le
Pont et l'Ecluse de L. Clark, le Moulin à vent de R. Robinson,
au ciel tragique rapporté, les éludes faites au vieux manoir de
Moreton par R. Keene, les dix-neuf planches de George Davison, le
plus artiste de tous les «flouistes», qui àansson Champ d'oignons et
dans ses Dunes atteint une sorte de maîtrise, les éludes d'animaux
de Gambier Bolton, qui rendent à miracle la vérité d'attitude et de
mouvement des modèles choisis, les portraits de magistrats de
W. Crooke, la très charmante Invitation à souper de Vander
Weyden, les marines de A.-R. Dresser, les études de J. Gale, sans
oublier l'un des patriarches du groupe, H. -P. Robinson, l'un des
plus énergiques défenseurs de l'école moderniste, dont les compo-
sitions sentent un peu la romance, mais qui a rendu aux nouveaux
venus tant de services qu'on lui pardonne aisément ce que son
art peut avoir de rococo et de verboeckhovenien.
En voilà long sur une exposition de photographie. Il nous a
paru intéressant de signaler d'une manière spéciale celle pre-
mière tentative « d'art photographique » qui s'écarte des rou-
tines. On verra, en visilant l'exposition du Cercle, que l'idée est
heureuse et mérite tous éloges.
LA COLLECTION DU DOCTEUR LEQUIME
La collection Lequime, que les enchères vont disperser les 4 et
5 avril, est celle d'un amateur de goût qui, lentement, amoureu-,
sèment, durant vingt-cinq années de patientes recherches, a
groupé une sélection d'œuvres dont aucune n'est banale, dont
plusieurs sont de premier ordre, et qui forme un tout homogène.
A parcourir la galerie et les salons du docteur, on reconnaît
immédialemqnl que l'homme modeste et éclairé qui en fait les
i»Km^>^S7w''r:'l^'
honneurs n'a eu d'aulre bul que de se donner une salisfaclion de
haut goûl en s"enlourant de ses maîtres de prédilection.
On pourrait la nommer la colieclion de l'Art libre. Elle appar-
tient presque tout enliôre à cetle période de rajeunissement qui
s'étend de 1860 à 1880, précédant et préparant le renouveau qui,
depuis dix ans, fait bourgeonner et fleurir les greffes nouvelles.
Le docteur Lequimea vécu parmi les peintres de celte généra-
tion. Il les a connus et aimés. Il a discerné, alors que les masuirs
de l'époque les conspuaient avec l'acharnement que mettent ceux
d'aujourd'hui à combattre les«pointilleurs»,les«cloisonnistcs»ct
les «littéraires», ce qu'ils apporiaientde neuf àrédifice arlisiique:
la sincérité, l'amour de la vérilé, l'expression juste, le dédain
des formules, le libre choix des sujels. Il a acheté des Courbet.
{La Baigneuse endormie, l'un des plus beaux morceaux de la
galerie; la Source du Lizoïi; le Lac; le^ Miroir de la Loue; la
Plage à Saint- Aubin; Source et Roches en Dauphiné ; ■portrait
de M. Vnn Lntthem) à une époque où on eût colloque le témé-
raire qui eût osé insinuer que ce déboulonneur de colonnes entre-
rait un jour au Louvre autrement que pour le faire sauter.
Il a audacieusement introduit dans sa collection huit œuvres
d'Hippolyle Boulenger, parmi lesquelles cette tragique Inonda-
tion, lorsque le malheureux artiste en était réduit à brosser des
enseignes pour payer son écôt. Il a colligé les Artan, les Dubois,
les De Groux, les Smits, les Van Camp, les Verwée, les Verhey-
den, les Van der Hecht, les Agneessens, lesChabry, les Rops, les
Meunier, les De Knyff, les De Braekelecr (parmi lesquels ces
Roses blanches, exposées aux XX avec le Dévideur, en 1888,
et un merveilleux tableau d'accessoires). Il a poussé la témérité
jusquà offrir au Musée, dans un but de propagande artistique, cet
attachant tableau de Gustave De Jonghe, les Pèlerins, daté
de 1854, qui est considéré par les artistes comme le point de
départ de l'évolution réaliste en Belgique, et devant lequel les
bonzes de la grande Commission firent une grimace si caractéris-
tique que le docteur garda sa toile.
Les œuvres belges le sollicitèrent avant tout. Il acquit néan-
moins quelques tableaux d'artistes français, parmi lesquels, indé-
pendamment des sept Courbet déjà cités, deux Daubigny, une
plage de Boudin, trois paysages d'Henri Harpignies (l'un d'eux,
le Chemin creux, dans la première manière du peintre, reflète
curieusement la personnalité de Corot), un dessin de Diaz qui
avait été commencé par Eugène Smits, etc.
Parmi les œuvres que se disputeront les amateurs, il faut citer
surtout le Chien à la tortue, le Chien du saltimbanque, le Griffon,
la Forge àChampigny, de Joseph Stevcns et, d'Alfred Stevens,
Jeune femme assise, leSphynx parisien et Miss Elfried.
Des bronzes signés P. De Vigne et Van der Sjappen, des aqua-
relles, des dessins, parmi lesquels une superbe étude de De Groux
pour son Benedidte, complètent cette collection spécialiste dans
une période d'art, et par là même d'un intérêt particulier.
Les artistes verront à regret la dispersion de la galerie Lequime.
lisse sentaient bien chez eux dans cetle maison où jamais une
œuvre n'est entrée pour satisfaire une mesquine vanité. C'est,
semble-t-il, un lien qui se dénoue, une vieille et chaude intimité
rompue.
^U pEF^CLE ARTISTIQUE D'^NYEH?
Exposition Faraz^n
{Correspondance particulière de i/Aut moderne.)
M. Edgard Farazijn expose en ce moment, au Cercle artistique
d'Anvers, quarante-six toiles.
Un très acharné et modeste travailleur, adonné avec passion à
une scrupuleuse observation de la nature, très satisfait des moyens
que lui fournit l'école de ces plein-airistes, — que nous jugeons
par trop usés, aujourd'hui, — mais parfaitement savant et hon-
nête, s'?tleste en chacune d'elles.
M. Edgard Farazijn a uniquement souci de « faire des tableaux »,
c'est-à-dire limiter en différents cadres différents sujets et épi-
sodes. Dès lors, il ne peut venir à l'espril de personne d'attendre
de notre part une explosion d'enthousiasme.
.... Nous tenons à établir pourtant que, malgré le divorce absolu
entre le but du peintre et notre conception d'une œuvre picturale,
ces œuvres, si d'aucunes parmi elles, n" 30, l'Idylle: n» iO, Soleil
couchant, promettent un sensible et progressif nettoyage de l'œil,
proclament assez de science acquise, assez de dédain pour les
commandements de l'enseignement académique, pour en imposer
à noire sympathie et à noire respect, sinon à noire complète
admiration.
J.-M.-N. WHISTLER
MM. Boussod et Valadon préparent une exposition des œuvres
de Whisller qui comprendra les spécimens les plus beaux et les
plus variés de l'art du mai'trc américain.
Le gouvernement a acquis de lui, on le sait^ le Portrait de ma
mère pour le Musée du Luxembourg, où il vient d'être installé.
Rappelons à ce propos le joli salut de bienvenue adressé par le
OU Blas au peintre au sujet de ce tableau :
A M. Whistç^er, grand peintre.
Monsieur, vous avez fait beaucoup de belles choses, mais
dans ce momeni, chez Goupil, vous exposez un chef-d'œuvre : le
portrait de votre mère. 11 est simplement et sans barguigner
digne des plus beaux portraits qui existent et au Iteu de le voir
dans l'entresol d'un marchand de tableaux, je le voudrais accroché
à une place d'honneur dans l'un de nos musées. Je l'avais déjà
vu, ce simple et suggestif chef-d'œuvre, il y a quelques mois, à
Londres, dans une exposition de portraits, et au milieu de vos
compatriotes qui avaient accroché dans Piccadily des morceaux
de toiles avec de la couleur dessus. Oh ! les belles dames bien
léchées de sir... Leighlon. (R. A. s'il vous plaît). Votre portrait
dans ses noirs si tristes et ses gris si simples donnait le grand
coup dans l'estomac, procurait l'émotion saine que l'on ne ressent
que devant les chefs-d'œuvre. Jamais simplicité si parfaite n'a
produit si grand effet. Monsieur, vous êtes un grand artiste — je
tiens à vous le dire et si par hasard yous Vous offusquiez de quel-
ques jugements stupides portés sur vous, chez nous, n'oubliez
pas que nulle part on ne vous critique autant que dans voire
patrie, où les misses de tout âge ont de fâcheuses tendances à
confondre l'art avec la chromolithographie. J.
De son côté V Indépendance fait cet aveu :
« La galerie Goupil de Londres expose depuis quelques jours
toutes les toiles de M. Whistler. Et devant cette œuvre du célèbre
102
VART MODERNE
impressionniste, naguère si vilipendée, si raillée, le public s'ar-
rôle aujourd'hui en exlasc, la critique se pâme cl prononce les
noms de Velasquez ou de Rcmbran^i avec un respect amoindri.
On avait jusqu'à présent traité en fumisteries de r<ipin ces harmo-
nies en noir et blanc, ou eu bleu ot or, où M. Whisller a lixé les
fugitives impressions que laisse sur la rétine le vol d'une fusée
dans les ténèbres ou la grisaille d'une fumée de bateau dans le
joup indécis d'une mer qui s'éveille.
Aujourd'hui, on s'exclame devant l'eslbétique du grand artiste
occupé toute sa vie à saisir l'éclair qui passe, à l'emprisonner
dans sa main, à le jeter tout palpitant et fulgurant sur son carré
de canevas. Il est vrai q le depuis- 1& temps où ces géniales fantai-
sies étaient qualifiées de « pots de couleur jetés à la face du
public », l'Etal français a achQlé un Whisller pour le Luxem-
bourg, d'abord et évcnluellemenl pour le Louvre. Mais il faut
bien une explication à tout ».
C'est parlait.
Mais \efiquanl est que la brave Indépendunce en est encore a
qualifier de fumisteries des œuvres que le temps mettra a côté de
celles de Whisller.
ÇoCUMZNTg A CONSERVER
Nos lecteurs savent que nous collectionnons sous ce litre,
entre autres les gaffes de la gent critique qui, avec une malchance
invariable, attaque bêtement les belles œuvres et les grands
artistes, saufà se voir très lionleusement contredite après quelques
années par les événements. Les cas sont innombrables. Ou a
remarqué que pour Wagner, par exemple, pas un seul critique
on titre, mais pas un seul! n'a compris son génie à l'époque des
lultc!, ni prévu que l'yoîverselle justice lui donnerait enfin la
royauté qu'il occupe aujourd'hui.
Voici quelques extraits, sans prix, d'une chronique théâtrale
parue mercn'di dernier dans la liéforme, ce journal avancé :
comme le gibier, avons-nous déjà dit. C'est à propos de la repré-
sentation du Canard sauvage au Théâtre du Parc :
« On pourrait prétendre que le Canard sauvage, et la Maison
de Poupée et Ut Revenants, et Hedla Gabier et tout ce que
MM. Prozor cl Durzens cl Ephraïm el Lindenlaub et Vander-
kindere et quelques autres nous ont révélé d'Ibsen, est non
seulement beaucoup nioins limpide qu'un vaudeville de MM. Blum
el Toché, ipais encore beaucoup plus obscur que n'importe quel
cauchemar
Quand ia foule bâille el s'endort, il y a une sorte de dandysme
assez puéril mais fort reluisant à paraître éprouver des joies ineffa-
bles,.. Pour une foule de braves gens de noire bourgeoisie, ce dan-
dysme csldevenu une fureur. C'a commencé avec Wagner, et ce
grand musicien aurait sans doute été un peu humilié, malgré ses
belles robes de chambre de velours lumineux, s'il avait pu prévoir le
misérable sport et le cabotinage de petits salons auxquels ses plus
bruyants admirateurs allaient faire servir son haut génie , etc.
Le grand théâtre français traverse une crise d'improduction
qui fait, hélas, de MM. Blum et Toché, les rois de la scène à
Paris. Le nécessiteux théâtre allemand en profite pour faire avec
le nom d'un septentrional bafouilleur beawoup de tapage, la foule
s'amasse, les malins se serrent autour du phénomène, ils l'expli-
quent, le, commentent, l'exaltent, ce sont eux qui l'ont inventé!
et les gens demandent : « Qu'est-ce qu'il chante, votre grand
trouvère? ......
Il faut pourtant que je dise quelques mots de la bouteille à
l'encre qu'on a renversée hier sur ia scène du Parc...
Il parait que le nommé Hcnrik Ibsen avait écrit déjà nombre de
pièces où il réclamait pour l'homme, contre la société — el ce
avec un amphigouri de termes tout à fait excessif — le droit à la
sincérité, le droit de vivre sa vie libre comme il la voulait, sans
être forcé de mentir à des conventions factices cl superflues
Sans ce petit guide familier à travers la pièce d'hier, je vous
défie absolument de comprendre un chien de mot au clief-
dœuvre...
Il y a, au 5" acte, une explication entre un docteur accessoire
et Grcgcrs Wcrie, le protagoniste des Revendications idéales, qui
pourrait vous faire entrevoir l'amer sarcasme qu'Ibsen a voulu
mettre dans son œuvre; mais celle explication arrive si lard el
elle est si mal attachée à l'œuvre elle-même qu'on l'écoute avec
ahurissement et sans trop s'apercevoir qu'elle peut servir à expli-
quer celte pièce inexplicable. Le drame a l'air d'une charade sans
mot ; l'explication semble un inot sans charale. l'.e n'est que péni-
blement, à la réflexion, el par un labeur qui ne se rebute pas,
qu'on parvient à établir un rapport acceptable entre les deux...
Des fantoches, des êtres de raison sans vie normale vraisem-
blable, avec deux personnages humains pris dans la vérité : Gina,
qu'on devine plus qu'on ne l'entend, cl Hialmar, qui est tiré de
Fromont jeune et Risler aîné el qui, avant ce déplacement
pilaire, s'appelait Delobelle. Vous savez bien, Delobelle, le vieux
cabol égoïste.
El pour le style, tout le temps, des choses comme celle-ci, que
je prends textuellement ; « Oui, les impressions sont différentes;
les choses ont un autre aspect le matin que le so:r; quand il pleul
que quand il l'ail beau.
Oui, rions doucement cl reprenons avec tranquillité notre vieux
refrain : Le théâtre, voyez-vous.
C'est un oiseau qui vient de Fran-an-ce! »
Est-ce assez surextrait de gagaïsme? Est-ce que ce sérail le
même suave personnage qui, parlant de l'auteur de la Princesse
ATa/ÉiH*, l'appelait, toujours dans in Réforme, ui} gaillard affamé
de réclame?
Ce malbcureux paranoïJe croit que le Canard sauvage est une
pièce nouvelle et qu'elle est postérieure à Fiomont jeune et Risler
aîné. Or on impute précisément à Daudet de s'être inspiré d'Hialmar
pour son Delobelle : M. Antoine nous le disait encore ces jours-ci.
11 est singulier que de canard domestique à canard sauvage
il n'y ait pas plus de sympathie.
Et dire que même M. Gustave Frédérix avait parlé de l'œuvre
dans V Indépendance non sans admiration el avec respect!-
Mais la signature, direz-vous? Le nommé Georges Renory.
Pseudonyme. Par charilé, taisons le vrai nom de ce Masuir.
Nota. — Au moment de mettre sous presse^ on nous assure
qu'un autre Masuir a fait mieux encore dans la Gazette. Nous
aîlons voir ça. '
f*ETlTE CHROf^JIQUE
Le prochain concert du Conservatoire, fixé au 40 avril, sera en
partie consacré à R. Wagner. On y entendra les ouvertures de
Tannhâuser el des' Maîlres-Chanieurs et la Siegfried-Idyll. Le
programme porte, en outre, la symphonie L'Eté de Raff cl la
première partie de l'Enfance du Christ de Berlioz.
Le Cercle artistique d'Anvers fera exécuter lefl avril prochain,
soi^ la (liroclion de M. Jan Blockx, la Chevauchée du Cid de
Vinc(Mit d'Indy pour baryton, orclu'slre el clnKiirs, œuvre qui fui,
on s'en souvient, inlorpréiéo, il y a qui'lfiiies anjiées, par
M. So£!;uin et les clioeurs aux concerts des XX.
Une panlomime de M. Eddy Lcvis, musique de M. Emile
Agnicz, Pierrot Irnhi, vient d'être jouée avec succès au Tliéûire
des Galeries.
» Partition et panlomime ont également réussi, dit le Guide
musicnl. I,e scénario de M. i.cvis est adroitement conçu; il est
simple et facile, et ne manque ni de mouvompniTni de gaîlé. I.a
musique de M. Agnifz est excellente : elle s'adaple avec adresse
cl justesse d'accent b l'aclion qu'elle commente et exfiiique. I,e
premier acte tout entier est cliarmani, avec dos détails fins, de la
verve, une grAce mélo.diiiuo 1res séduisante, de jolies modulations.
Au second acte, on a vivement applaudi une fort jolie romance
pour hautbois et harpe, et l'on a ri d'une petite fugue comique
d'un 1res plaisant effet. l!ref, celte petite partition vivement
troussée en (iuel((ues semaines n'est ni sans agrément ni sans
valeur, il faut savoir gré à iH. Durteux d'avoir monté sans hésita-
tion et avec beaucoup de soin celte œuvrclte de deux auteurs
beiges. >'
M. Alboniz, dont nous parlions dimanche dernier, n'a pas eu
moins de succès à Bcrii», dans les concerts qu'il a donnés ù la
Philharmonie cl h la Sing-Akndemie, qu'à- Bruxelles, où il ne
s'est fail enlendreque dans des réunions intimes.
Les journaux conslatenl avec unanimité la virtuosité exce))-
tionnelle du pianiste:
«M. Albeniz, entendu dernièrement h la Pldlharmonie, dit la
National Zrilinuj, nous a révélé un puissant pianiste. Au concert
de la Sinçj-Akadenne, nous lui avons découvert de nouvelles et
précieuses qualités. Il com|irend Beethoven et Chopin d'une
façon fort impressionnante et il a fait preuve d'une technique
impeccable. La douceur et l'élégance, les qualités saillanlcs de
son talent, n'excluent pas, au moment voulu, une grande puis-
sance, » etc.
El les Néiieste Nachrichten ajoutent :
« m. Albeniz suit les traces de son compalriolc Sarasate, le sor-
cier du violon; il a les mêmes qualités el ne peut certainement
pas se plaindre du chaleureux accueil que le public berlinois lui
a fail à la Sivg-Akadewie. Outre son talent d'exécutant, il nous a
fait entendre quelques morceaux de sa composition pleins de
mélodie et de grAce et qui ont ser\i merveilleusement à faire
valoir sa virluosilé. Dans VInvit/ilion à la valse de Weber-Tausig,
il a prouvé qu'il n'a plus rien l\ vaincre dans la technique de son
'art de pianiste. »
Alexandre Dumas vend sa galerie d'objets d'art. La vente com-
mencera le 9 mai, à l'hôtel Drouol.
Dans ia collection figurent : 21 Tassaert, 1*2 Mcissonier,
10 Vollon, des Delacroix, J. Dupré, Corot, Troyon, Prud'hon,
Fromentin, etc.
M. Charles Henry, maître de conférences h l'Ecole praiique^des*
hautes études, a ouvert à la Sorbonne, vendredi dernier, un cours
sur la physiologie générale des sensations.
Le vingtiste Paul ^ignac, photographié par Gil Dlas : Un
jeune de "vingt-huit ans, qui débutait en 1884, h la première réu-
nion (les Indépendants, où il bataille dejjuis celle époque avec des
toil(>s néo-impressionnistes, des paysages vibrants de lumière
intense et comme exaspérée, des marines blondes el laiteuses, de
la plus harmonieuse douceur. Un fidèle de la division des tons, un
pratiquant du pointillé, un fanatique du cadre blanc, mourra dans
l'im|)éiiilencc finale. D'ailleurs eiUêlé comme un Breton du Finis-
tère, dont il mène l'élé l'existence de pèche et de cabotage. Sous
le suroît et le ciré, l'air d'un patron de sardinier — en semaine,
— el le dimanche en parfait skipper, court les régates el raile
toutes les médailles, de Brest à Lorient, sur sonyachi « Olympia».
Signe particulier : Numérote ses loilcs cl ses bateaux ; en est à
son 227" tableau cl à son 9» cotre.
L'Ait et /'/(/e'c consacre, par la plume de son directeur Octave
llzanne, un article de fond h « quekfues plaisants croquis faits
en sa prime manière par Maître Félicien Rops ».
De nombreux croquis illuslrenl celte intéress-ante étude, que
complète une planche en quatre couleurs: l'Amour régnant sur le
inonde, restée; jusqu'ici inédite. « il n'y a plus aujourd'hui que les
béotiens d'esprit et les myopes delà seconde vue, dit entre autres
M. Uzanne, i)our considérer Rops comme un simple fresqucur
d'oliscénités ou un illustrateur des Cythères de la Décadence;
tous les artistes non superficiels sentent que dans son œuvre il
a démasqué la comédie humaine, la comédie delà chair, et que son
lalenl ou mieux son génie souple et dramatique est, comme on a
pu ledire, Tragi- Phallique, maisass(z rarement érolo-romique...
l-es quelques rares amateurs qui possô<ient la plus grande partie
des œuvres inutiles et nuisibles de ce créateur extraordinaire sa-
vent (juc l'art contemporain ne | ossède pas un maître qui se soit
afiirmé aussi profondément que celui-ci par une plus large uni-
versalité de sujets et de procéilés de facture. »
Quchpics extraits des journaux niçois intéressant deux artistes
qui, paraît-il, feront partie de la troupe de la Monnaie pour l'année
prochaine :
w Nous avons gardé pour la bonne bouche M. et M"'^ Cossira
auxquels revient la [>lus grosse part du triomphe. Très en voix et
tout h fail en beauté, M""" Cossira a interprété avec une sûreté cl
un brio extraordinaire le splendide tluo de Satnson et Dnlila, cl
elle noiis a donné un avant-goût des jouissanci-s artistiques que
nous ménage la première représenlalioii à l'Opéra du grand
ouvrage de Saint-Sacns. M. Cossira, dont l'éloge n'est plus à faire,
outre le duo de Samson et Dalila, a chanté superbement le grand
air de Sigurd qui a terminé de la façon la plus brillante la partie
vocale de ce beau concert. » {Le Journal des Etrangers.)
« Le Cid était M. Cossira. On ne (louvait désirer mieux. Notre
ténor s'est, en effet, lire avec bonheur d'un rôle écrasant qu'il a
joué en comédien parfait. Il est successivement passé avec une égale
facilité du pathétique au tragique, du tragique au tendre, émo-
lionnant, intéressant la salle entière, qui paraissait ressentir les
sentiments divers qui se heurtent dans lecœur du jeune chevalier.
Bien en voix, sûr de lui, il a charmé son auditoire... Aussi peut-
on dire qu'il a remporté son plus beau succès de la saison. Après
Lohengrin, pourtant, cela semblait difficile. » {L'Eclaireur du
18 mars 1892, rendant compte de la représentation du Cid de
Massenet.)
M. Bussac, directeur du Théâtre Royal de Liège, donnera la
première représentation de Sardanapale, de MM. Alphonse
Duvernoy el Pierre Berton, le mercredi 30 mars.
La presse parisienne et bruxelloise est convoquée à cette solen-
nité, dont le produit sera affecté aux victimes de la catastrophe
d'Anderlues.
Cours supérieurs pour dames. — 28 mars, à 2 heures,
M. H. Pergameni : Les religions de l'Inde; à 3 heures,
M""" A. Chaplin : George Meredith. — 29 mars, à 2 heures,
M. E. Verhaeren : Le néo-gothique flamand (suite). — 30 mars,
à 2 heures, M., H. Pergameni : Le mouvement colonial et écono-
mique au X VI II" siècle. — 31 mars, à 2 heures, M. H. Lonchay:
Le prince de Ligne (suite); à 3 heures. M"" J. Tordeus : Diction,
lecture.
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Poppcr, sir F. Bcncdict, Leschetilzky, Naprainik.Joh. Selmei', Joh.
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. i-i ■ ■ - V
Docteur JUIVES I^EQUIME
Celte collei,lion comprend :
1° 89 tableaux, aquarelles et dessins signés notamment :
Agueessens, Artan, Boulenger, Courbet, Daubigny (père). De Brae-
keleer, Degroux, Diaz, Fourmois, Harpignies, Jongkind, Rops,
Smits, Alfred et Joseph Slevens, Vervée, Waulers, etc.
2» Les bronzes, meubles et livres rares.
Exposition particulière en l'hôtel du D^ Lequimk, 11, rue Tra-
versière, de 10 heures du matin à 4 heures du soir, les mardi 29 et
mercredi 30 mars 1892.
Exposition publique : Galei'ie du Congrès, 5, rue du Congrès,
Bruxelles, de 10 heures du matin à 6 heures du soir, les samedi 2 et
dimanche 3 avril 1892.
On peut se procurer des catalogues à l'étude du notah'e Le Cocq,
rue d'Arlon, IG, ou à la Galerie du Congrès, rue du Congrès, 5, à
Bruxelles,
JOURNAL DES TRIBUNAUX
paraissant le jeudi et le dimanche.
Faits et débats Judiciaires. — Jurisprudence.
— Bibliographie. —Législation. —Notariat.
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formant la collection de
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directeur honoraire de la trésorerie et de la dette publique.
Experts : MM. J. et A Lp] ROY frères, 12, place du Musée, à
Bruxelles.
Expositions : particulière, mardi 19 avril; publique, mercredi
20 avril, de 10 à 4 heures. .
Catalogues en l'étude du notain; et chez MM. Le Roy frères.
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Bureaux : 3», ruG de Tlndustrie
Bruxelles. — Imp. VMonnom, 32, rue de l'Industrie.
Douzième année. — N" 14.
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 3 Avril 1892.
L'ART MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Gomitévde rédaction t Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. — ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser toutes les communications à
l'administration générale de l'Art Moderne, rué de Plndustrie, 32, Bruxelles.
Sommaire
L'Intruse. — « Le CThant de la cloche •» a Amsterdam. — Notes
sur la critique néerlandaise. — livres et brochures. — l'école
DE MUSIQUE DE VeRVIERS. — La CRITIQUE BELGE. — MeMENTO DES
EXPOSITIONS. — Petite chronique.
L'Intruse
Enfin ! Après la France, après l'Angleterre, après le
Danemark, la Belgique a vu jouer une pièce de Mau-
rice Maeterlinck. Cela n'a pas été sans peine. La vieille
terre ingrate — le bon vieux pays du bon .sens et des
gens pratiques — a dû voir consacrer les œuvres de son
poète à l'étranger avant de les admettre ici. Il y a
longtemps qu'on eût dû jouer à Bruxelles V Intruse et
les Aveugles, et même la Princesse Maleine ; et il est
honteux pour les Belges de s'être laissé devancer par
les nations voisines.
Mais enfin ! enfin ! on a joué du Maeterlinck ! La salle
était houleuse, au Théâtre du Parc, vendredi soir. Il y
avait de la bataille dans l'air, et tous les jeunes étaient
là, décidés à faire le bon coup de feu pour l'art. On était
anxieux. Les acteurs seraient-ils capables déjouer cette
pièce mystérieuse, aux nuances subtiles et profondes?
Et le public? Le public du « Parc », ce public de snobs
et de gommeux, ce public habitué aux platitudes
théâtrales chères au cœur de Georges Rénory, de quelle
façon allait-il accueillir une pièce si peu façonnée pour
sa cervelle? N'était-ce pas, un peu, jeter margaritas
anteporcos?
Ces deux appréhensions n'étaient que trop justes. Les
acteurs ont eu beaucoup, beaucoup de bonne volonté.
Mais comment faire représenter des choses aussi nou-
velles,- aussi étranges, d'une spiritualité aussi péné-
trante, d'un sentiment aussi inédit, par des personnages
de conservatoire habitués au répertoire « Palais-Royal »
du Théâtre du Parc? M. Candeilh a fait son devoir et
sa troupe a donné bravement tout ce qu'elle a pu donner.
Mais que le jeu était froid, monotone, sans accent, sans
reflet aucun de cet au delà terrible qui plane dans les
ténébreuses conceptions du poète gantois. Le souffle
d'eflroi n'a pas été saisi et les phrases profondes, belles
comme des joyaux noirs, qui illuminent çà et là le dia-
logue, n'ont pas reçu leur signification et n'ont pas été
mises en due valeur. Il y avait, dans cet acte, à faire
pressentir bien davantage des dessous d'horreur et de
mystère; il y avait à faire passer sur les physionomies
et dans les gestes un bien autre reflet de ce spectre qui
entre, invisible, faisant s'effeuiller les roses du jardin
et porteur de cette faulx symbolique et cruelle qu'on
entend au dehors s'aiguiser impitoyablement. Et nous
eussions voulu, aussi, une autre atmosphère, un autre
106
U ART MODERNE
décor. Pour une telle œuvre, tout importe. Ah ! ce n'est
pas ainsi que nous nous figurions les personnages de
V Intruse !
Nous eussions rêvé une atmosphère de vieille, vieille
campagne; nous eussions voulu, dans une chambre aux
meubles démodés, des bourgeois d'une petite ville, —
oui, de ces bourgeois tels qu'on en rencontre dans quel-
que Furnes, dans quelque Ypres, confits en religiosité,
avec des airs moins civilisés, des allures moins citadines,
moins « grande ville », et, en place de trois jeunes filles
qui font penser aux préraphaélites, il nous eût plu de
voir simplement trois de ces jeunes provinciales, vêtues
de noir, pareilles à des congréganistes et qui vivent,
là-bas, simplement, sous les carillons des Flandres, au
fond de somnolentes et monotones bourgeoisies. Le
débit des acteurs a d'ailleurs été entaché de trop de
psalmodie — surtout dans le rôle d'Ursule — et le vieil
aveugle « posait » un peu, et s'était fait une tête clas-
sique de vieux savant telle qu'on en a "vu dans mille
gravures, dans mille tableaux, qui n'ont aucune parenté
avec l'art de V Intruse. Le milieu, l'allure des acteurs,
ont donc été, à notre avis, mal compris. Et il y avait un
tout autre caractère à donnera cette représentation.
Quant au public, — le public éduqué par M. Frédérix
et par ses disciples qui aspirent aux mêmes éreinte-
ments et au même sceptre ridicule — il est arrivé gogue-
nard, disposé à se moquer d'une œuvre belge, inepte et
bête comme toujours, de la sottise plein la cervelle, de
l'étroite et basse méchanceté au cœur, une vague imper-
tinence de snob mal élevé à la bouche. La chose qui
entend le plus de bêtises est un tableau, ont dit les Gon-
court. Eh bien, l'Intruse (avantage qu'elle partage
d'ailleurs avec le Canard sauvage] aura, cette semaine,
été aussi riche en moisson de ce genre que la toile la
plus stupidement critiquée. Toute la gomme s'est mon-
trée des plus poisseuses, vendredi soir. Tous les jeunes
masuirs avaient arboré, en même temps que leurs plas-
trons blancs, leur habituelle imbécillité. Ils eussent,
tous, volontiers, sali une œuvre belle et noble — et il
en était qui se sont vantés d'être venus au théâtre avec
un sifflet dans leur poche, — alors qu'ils n'avaient jamais
lu une seule ligne de Maeterlinck ! ! !
Eh bien ! — ils ont été maintenus. Ils ont dû ravaler
leurs sifflets. D'abord, parce que, bien qu'insuffisamment
rendue, la pièce s'est imposée, empoignante, et il y a
eu des instants oti l'on a senti la salle, la salle entière
prise de cette émotion étrange que prodigue le Beau.
Et puis parce qu'il y avait là des artistes, beaucoup
d'artistes, qui comprenaient, eux, et qui étaient
décidés â énergiquement fermer la bouche aux siffleurs
du high life ou aux tapageurs de la jeune doctrine
venus là pour s'amuser. Au baisser du rideau une
ovation nourrie a salué le nom de Maurice Maeterlinck.
Une ovation cordiale, des bravos d'artistes, de sonores
et purs applaudisçsements, qui, eux, n'ont jamais
tapage enl'honneur de plats vaudevilles, et qui se réser-
vent pour les seules manifestations de l'Art. La bataille
a été gagnée ; la jeune école belge compte une victoire
encore. Et cette ovation enthousiaste, bruyante,
emportée, nous a paru comme une belle marée de soleil
arrachant encore quelques vieux pilotis des anciennes
et pourrissantes bâtisses, rejetant encore au loin quel-
ques débris gâteux dans l'aurore du renouveau qui
se lève. Ceux qui ont applaudi l'hitruse, ce sont les
artistes, les seuls qui ont le droit de juger. Le reste du
public, c'était la camelote « copurchique « ou le gana-
chisme sénile.
Ils ont été écrasés. Et maintenant, attendons les cri-
tiques des plumitifs quotidiens reconnus et sacrés pour
leur incompréhension, et régalons-nous surtout des mets
étranges et troubles que sert cet incomparable oiseleur
de la Réforme qui ne veut écouter que le chant des
oiseaux qui viennent de France !
« 1^ CHANT DE LA CLOCHE » A AHISTERDAItl
La Société Excelsior jy donné mercredi dernier, sous la direc-
tion de M. H. Viotta,une excellente interprétation du Chanl delà
Cloche, l'œuvre de Vincent d'Indy à laquelle a été décerné, en
4885, le prix de la ville de Paris. Tandis que vainement nous
réclamons ici, depuis des années, une audition de celte magis-
trale composition et que seul le deuxième tableau a pu être exé-
cuté, grftce à l'enthousiasme artistique d'un groupe de musiciens
qui ont prêté aux XX leur concours, nos voisins les Hollandais ont
tranquillement réuni deux cent cinquante chanteurs, cent musi-
ciens d'orchestre, ils ont engagé des solistes, parmi lesquels le
ténor Lafarge, et voici l'œuvreacclamée, triomphalement accueillie
là-bas, au bord de l'Y, avant d'être connue dans une ville qui se
pique d'être « dans le mouvement » et de « donner le ton » dans
le domaine musical.
Dût notre amour-propre national en souffrir quelque peu,
disons qu'il serait d'ailleurs impossible, dans l'état actuel des
choses, d'obtenir à Bruxelles une interprétation aussi remar-
quable que celle à laquelle nous avons assisté à Amsterdam.
L' Excelsior, dont les débuts modestes étaient limités à l'exécu-
tion d'œuvres chorales prises au répertoire de la musique sacrée,
a agrandi son cadre sous l'énergique impulsion de son excellent
directeur M. Viotta, qui a troqué la robe et la toque d'avocat
contre le bâton de chef d'orchestre, et qui lé manie en maître.
Cette société, cxiclusivement composée d'amateurs, met en ligne
des forces considérables, merveilleusement disciplinées. Avec
l'orchestre du Concertgebouw, habituellement dirigé par M. Kes,
un ancien élève du Conservatoire de Bruxelles, — mais conduit par
M. Viotta lorsqu'il est réuni aux chœurs d'Excelsior, elle a fait
connaître à Amsterdam des œuvres telles que le Requiem de
Brahms, la Damnation de Faust et Roméo et Juliette de Berlioz.
Et après avoir donné une magnifique audition du Chant de la
Cloche, elle songe à faire entendre les Béatitudes de César Franck !
Tout ceci dans une salle qui peut contenir deux mille personnes,
et qui,' mercredi dernier, était absolument remplie.
<^
La société hollandaise donne là un remarquable exemple de
goûl et d'inlelligence artistiques. L'attention scrupuleuse avec
laquelle le public suit ces auditions de clioix, les applaudissements
dont il souligne les passages les plus beaux dénotent une rare
compréhension musicale. Le succès fait à Vincent d'Indy a
été énorme. Après le troisième tableau, la Fête, la salle tout
entière a appelé le compositeur sur l'estrade et l'a longuement
acclamé. A partir de ce moment le succès a été croissant jusqu'au
dernier tableau, le Triomphe, couronné par une nouvelle et
unanime ovation.
Les solistes ont eu leur part dans les applaudissements de cette
triomphante soirée. M. Lafarge a chanté avec un charme commu-
nicatif et en musicien consommé le rôle du maître-fondeur,
Wilhelm. M"" Kempecs, l'interprète deLénore, possède un soprano
d'une grande étendue qu'elle manie agréablement, bien qu'elle
n'ait pas encore toute l'expérience nécessaire. Les personnages
épisodiques de la mère, cies Esprits du rêve, de Dietrich Leer-
schwulst, etc., étaient confiés à M''« Wilson, à M'"''» Spoor et
Meerum Tervogt, à M. Orelio, qui en onfdonné une interpréta-
tion très satisfaisante.
Tous ont contribué à mettre en vive lumière cette œuvre impres-
sionnante, qui demeurera, malgré les influences vvagnériennes
qui planent par instants sur la partition et que devaient fatale-
ment amener certaines analogies de sujet avec les Maîtres-Chan-
teurs, l'une des compositions les plus séduisantes et les plus
fortes de Vincent d'Indy.
Tout y est merveilleusement proportionné et harmonieux.
L'inspiration est constamment élevée et soutenue, depuis le court
prologue, si sobre et si puissant, jusqu'aux grandes scènes finales,
l'Incendie, la Mort, le Triomphe, qui réalisent une grandeur
tragique et une intensité d'expression vraiment extraordinaires.
L'Incendie est peut-être, de toutes les parties de l'œuvre, la
plus émouvante, La terreur des bourgeois affolés, les exhortations
du maître-fondeur qui ramène la confiance dans les cœurs,
l'enthousiasme du peuple massé autour de son héros forment
un tableau mouvementé, vivant, d'une richesse de coloris incom-
parable.La Vision, avec la poésie pénétranl^des voix du Clocher,
avec son symbolisme discret, ses effets charmants de chœurs à
bouches fermées, et celte tragique apparition de Lénore (\m
termine la scène, est également une page admirable, d'une origi-
nalité rare. Elle décèle, en même .iemps qu'une « patte » de
premier ordre, une nature artistique d'exception.
L'instrumentation du Chant de la Cloche est parfaite et l'on ne
peut se lasser d'admirer la variété des timbres, la clarté de la
polyphonie, la sonorité et l'éclat des passages de force, la douceur
des morceaux de tendresse comme la Scène d'amour, qui garde
jusqu'au bout une fraîcheur et une intensité exquises.
Cette belle audition restera dans notre mémoire, à jamais fixée
dans un décor de prairies éclairées par le miroir étincelant des
canaux, tandis que tournent, tournent sous la lente chevauchée
des nuages les moulins vêtus de planches, vêtus de briques
vernissées, vêtus de pelisses de chaume, avec l'horizon de la mer
pour toile de fond et des voiles paresseuses pour accessoires.
Aux organisateurs de cette fêle d'art, si belle et si complète, à
MM. Viotla, chef d'orchestre, Ankorsmit, président d'Excelsior,
Goldberg, Drosl, qui ont reçu avec les plus délicates attentions les
excursionnistes venus de Paris et de Bruxelles, nous adressons ici
nos félicitations les plus^ vives et l'expression de notre reconnais-
sant souvenir.
NOTES SUR LA CRITIQUE NÉERLANDAISE
Les manifestants d'Art Nouveau ont si allègrement, et tant mis
en lumière — les documenlanl ainsi définitivement — de mauyais
vouloirs, de déclamations ignorantes, de haines stupides, ils ont
si soigneusement glané ce vaste champ d'injures et de mépris
qu'ils ont foulé que la simple bienveillance des uns, que le cou-
rageux dévouement d'autres qui font cortège à leurs innovatives
audaces s'en alarmeraient à la longue. ^—^
il faudrait que l'un de nous gratte au fronton du monument
qui s'achève: une contemporaine Renaissance d'Art, le nom de
tous ceux-là qui ont généreusement plaidé pour sa place au soleil,
bataillé près du dépôt de matériaux que de juvéniles et constants
efforts amenaient à pied d'œuvre en vue de celle mémorable érec-
tion. Mais le peut-on faire, ici, dans ce journal, sans aller au
devant de la maligne insinuation — des plus impénitents flagor-
neurs, d'abord — de faire une plate cour à Ceux mêmes de la
maison?
Pour l'heure, bornons nous à signaler le commencement de
conquête de ceux qu'en raison de cinquante raisons rele-
vant du tempérament national même — les critiques et les littéra-
teurs flamands — il était le plus difficile de nous attacher.
La conversion de quelques-uns d'entre eux est un fait consé-
quent et ce n'est pas à l'heure où' ces convertis nous arrivent si
inattendument, qu'il convient de leur faire un grief d'avoir
attendu si longtemps.
Ne pas oublier qu'une robustesse quasi brutale, une logique
sans faiblesse, une digestion facile, les seules vertus d'Art
proclamées par les auteurs de langue flamande, semblaient devoir
les éloigner, sans jamais un rapprochement possible, des récentes
manifestations d'Art, d'art pictural en particulier.
L'altirance, d'ailleurs, ne remonte pas à bien haut et n'était-ce
pas devancer le fait accompli que de clamer en août dernier, sur
les bords de l'Amstel, la « Consécration » de l'Art Jeune ?
Delang le fit pourtant en un article paru dans le Nietiwe
Gids, d'un beau ion d'allégresse el bellement et curieusement -
stylé conrtme il peut le faire, el si réellement l'Art Jeune élait
« consacré » en Néerlande, des critiques de la valeur et de la
dignité de Jan Veth pouvaient revendiquer une large part de
'honneur.
Et la gratitude doit être en rapport de l'énormilé qu'il y a à
sortir de la « conformité » en ce beau pays sur lequel le protes-
tantisme a promené son rabot -de similitude compassée el ren-
fermée.
A l'hedre où on le conspuait assez unanimement en son pays,
Veth ainsi pr(is<^îTtail un des nôtres : Jan Toorop — et je cite
d'autant plus largement que son tout récenl triomphe au salon
des XX ramène l'altenlion sur des œuvres plus anciennes : « Un
peintre sans repos, tendant le col vers un art nouveau, un cher-
cheur s'identifiani, avec une rare habileté, avec différents procé-
dés : un moderne s'adonnanl pendant un laps de temps el s'assi-
milant avec une remarquable vitesse les nouvelles théories, pui-
sant dans les données primitives ou nouvelles ce qui lui peut
convenir, pour ainsi, après mûres réflexions, atteindre cet art
vibrant, osé, suggestif el jeune ! »
S'attardant ensuite en une présentation, un peu gênée, de la
pratique de la division du Ion et à la description des œuvres de
Toorop parues à la rampe des XX antérieurement à cette exposi-
\>
108
UART MODERNE
lion (i'UlreclU qu'il commcnlo, Veth décril celle Mélancolie que
personne capable de belle émoiion n'aura oublidc : « Mais le
plus personnel quelque chose se r(?vèle on un morceau de pein-
ture qui en lanl que concrplionj^se rapproche de cette IdijUe
. exposée lors de cette exhibiiion d'œuvres des \X au Panorama
d'Amslerdam. : — C'est un moment de soir gris indigo ; sur le
seuil d'une chaumière humble, d'aspect hiéraliquemenl simple,
une femme de pécheur se lient iiccoudée — vue de face en toute
largeur de laille et de jupes, un bras qui se repose de Iricolcr le
long du corps — elle rêvasse ; sous le léger bonnet des yeux dar-
dent fixement dans celte tête voulue, exagorémenl élroile. Mais
de colé, par delà une haie, un horizon de paysage fanlaslique-
ment éloigné, comme évoqué par le rcve. Par delà la haie que
dépasse ornomenlalement un narrant tournesol, paît dans un
rayonnement vert un inquiet chevreau, délicaiemcnl placé là,
parlant gros de choses sous la symétrique rangée de frênes et
sous la floconneuse ligne d'horizon de dunes grises et arrondies.
11 est plein du mystère de voix ce lointain dont la pûtc colorée,
balafrée de hachures au crayon, semble tissée de fils, une brode-
rie éraillée.
Et s'apparentent à souhait — de gris — et correspondent de
scntimenl — les deux parties de l'œuvre — la femme chue h pen-
ser, — le paysage d'irrésistible médilation vague. I.e tout : un
monolone conte chuchoté, un peu brilanniquement nuancé; se
rehaussant d'un rien de parfums, de condiments exotiques : un
conte de séduisante et exquise mélancolie »
Si ce mode de transposition quand même de tout l'indéfini d'une
œuvre picturale en ces tout précis alignements de mots nous
paraît suranné un peu, et si la jeune critique hollandaise en raffole
toujours, il importe moins, cette fois, de signaler son procédé
que de vanter le ton qu'elle prend pour parler des productions de
l'Art le plus récent. Elle décidera un jour de l'opinion des jour-
naux quotidiens. Une voix de-ci de-là sonnera un appel en faveur
de l'Art dolé.de Neuf: entre antres celle-ci nous réjouit qui dans
un numéro (6 mars derniei) du Nieinve Rctterdamsche Courant
signale en une analyse élogieuse, savante et mordante l'exposition
des œuvres de feu Vincent van Gogh (1).
En Belgique, parmi ces littérateurs flamands qui nous repro-
chent un peu légèrement de puiser nos inspirations, de copier
nos manières de procéder sur celles de nos voisins du midi et
qui se mettent eux-mêmes si docilement au diapason de leurs voi-
sins du nord auxquels ils devraient bien faire les reproches qu'ils
nous font à nous, PoL DE Mont fut le premier, je crois, à s'en-
thousiasmer.
Et l'intention est vraiment généreuse qui lui inspira, en prévi-
sion du prochain Salon des XX, en Pays-Bas, ce fouillé compte
rendu paru en feuilleton dans le numéro du 27 mars du Alge-
meen Handelsblad d'Amsterdam.
El voici que, dans le dernier numéro de la Vlaamsche School,
Vermulen publie une profonde et crâne étude sur Constantin
Meunier, que P. B (lisez Paul Buschmann) se révèle bien inten-
tionné et respectueux du vouloir des XX!
Quand on en sera à mentionner les victoires on se souviendra
de celle trouée en pays, si pas hoslile, tout au moins difficile à
conquérir.
V.
(1) Suivatî* l'exemple de M. Oldenzeel, de Rotterdam, le « Kunst-
kring « de La Haye ouvrira à la fin de ce mois une exposition impor-
tante d'œuvres de V. van Gogh.
LIVRES ET BROCHURES
Des méthodes qui permettent d'attendre le développe-
ment préhistorique des Religions, par le comte Goblet
d'Ai.viella, professeur à l'Université de Bruxelles. — Bruxelles,
Weissenbruch, 1891, 3i pages.
La Religion est de tous les temps. Par l'extension même de ce
vocable et son peu de précision, il finit y voir plus une disposition
de l'être pensant et sentant qu'une synilièsc précise et définitive
de dogmes et de rites.
La croyance mystérieuse à l'invisible, à l'exislence d'êtres sur-
humains qui interviennent d'une façon mystérieuse dans la destinée
de l'homme et dans le cours de la nature; des tentatives tantôt
pour se rapprocher de ces êtres ou pour les écarter, tantôt pour
prévoir l'objet et la forme de leur intervention,' tantôt pour
influencer cette intervention, soit par la propilialion, soit par la
violence; le recours à l'entremise de cerlaiiis hommes regardés
comme spécialement aptes à réussir dans ces tentatives; enfin
la mise de certaines coutumes sous la sanction des puissances
surhumaines, c'est là le résidu de tontes les religions connues
Comme tous les produits du développement humain, celles-ci ont
passé par tous les stades du devenir. Il y a eu, au plus haut de
l'histoire des religions organisées, élaboration sacerdotale d'après
le triage des croyances du passé : un véritable polydémonisme
chez les Sémites, une sorcellerie organisée chez les Egyptiens
une physiolâtrie universelle en cours de transformation polythéiste
chez les Indo-Européens. Mais avant, plus haut encore dans les
temps, il y a eu d'autres formes et d'autres manifestations de
sentiment, d'inspiration plus naïve, et qui ont servi à tout ce
développement ultérieur.
Ce sont ces toutes premières origines que la science d'au-
jourd'hui a essayé d'éclairer.
Par quelles méthodes? M. Goblet nous l'apprend dans l'intro-
duction aux leçons qu'il a professées l'hiver dernier, à Londres,
sur l'invitation des administrateurs de la fondation Hibbert.
Toutes les sciences ont été mises à conlribution : la psychologie,
la linguistique comparée, l'archéologie préhistorique, le folklore.
Elles ont montré partout le lien parfois bien ténu qui unissait le
présent au passé, et par des inductions minutieuses et subtiles
sont parvenues à reconstituer quelque chose de l'état mental de
nos arrière-ancêtres et des coutumes bizarres par lesquelles ils le
manifeslaientx Déjà du temps des cavernes, à l'âge du mammouth
l'être humain possédait en embryon des scnliments religieux. On
trouve, de cette lointaine époque, la trace de repas funéraires
organisés dans la croyance que l'esprit du défunt se nourrit de
l'esprit renfermé dans l'offrande. Les dolmens, dont la destination
funéraire n'est plus contestée, présentent dans une de leurs parois
un trou qui ne dépasse guère le volume d'une tête humaine, et
qu'il est légitime de considérer comme le passage destiné à per-
mettre la sortie de l'âme. Dans le même esprit était pratiquée
alors la trépanation crânienne réservée, pense-t-on, aux individus
regardés, à raison de leur rang, de leur savoir et de leur tempé-
rament, comme en possession d'ane nature supérieure on comme
en communication directe avec le monde surhumain.
• Comme preuve supplémentaire de l'idolâtrie pratiquée par
l'homme des cités lacustres, M. Goblet rappelle l'ébauche d'une
figure féminine retrouvée toujours sur la paroi gauche de l'anti-
grolte, — preuve d'une disposition bien intentionnelle, — et
VART MODERNE
109
associée à l'image d'une haclie en silex, sorte de marteau à deux
têtes, parfois fii,'uré avec un manciie. Faut-il bien voir ,en ces
dessins une personnification de la nature et de la force humaine,
et croire que des ôtres primitifs aient pu s'élever jusqu'à la figu-
ration de quelque myllie de l'union entre le ciel et la terre? Cela
nous paraît douteux.
A la vérité — et ceci est une simple réflexion soumise à la
compétence de 1\1. Gobici — la hache et le marteau nous semblent
avoir symbolisé tout autre chose aux époques postérieures. On
s'en est servi pour représenler la virilité )?t la fécondité. Toute
l'anliquité a professé un véritable culte pour les sources de la
génération. Les anciens Indiens et les premiers Egyptiens ado-
raient publiquement les |)1ki!Ius et les faisaient servir de motifs
d'ornementation à leurs temples et à leurs monuments. Pour
certains auteurs, les formes équivoques de telles tours, élevées
par les architectes du moyen ûge, sont directement inspirées de
ces mômes idées, dont il est bien difficile de retrouver l'équivalent
autour de nous. Il ne serait donc pas tout à fait déraisonnable
d'expliquer autrement que ne le fait M. Ooblet la rencontre tou-
jours simultanée, sur les parois des grottes, de la figure de femme
et de la hache en forme de marteau.
Quoi qu'il en soit, les autres faits cités par l'auteur sont bien
intéressants et bien probants en faveur de la toute primitivité et
de l'origine naturelle des idées religieuses élémentaires. Si la
physiologie et la psycliophysiologie, d'une part, nous renseignent
déjà fort minutieusement sur la formation de notre moi, sur l'ori-
gine de nos sensations et de notre activité volontaire, d'autre part,
il faut reconnaître que l'histoire et la science des religions ont
fait, en ce siècle, des progrès si gigantesques dans l'explication
de nos concepts et de nos croyances, en montrant clairement
leur filiation et leur haute antiquité, que le souhait du penseur
grec est bien près de sa réalisation : rvwrtçsavTov.
Grisailles, recueil de poésies, par Ch. Droupy. Bruxelles,
librairie Istace, 1892, 106 pages.
Des souvenirs, des pochades, des descriptions. De-ci de-là un
peu de pessimisme, du spleen, des rancœurs. Ailleurs et le plus
souvent de la bonne humeur, le mot drôfe et heureux. Le poète
aime les enfants et le dit très gcntimerit. Il a des idées, mais elles
ne sont pas pour effrayer par leur nouveauté. La forme s'abstient
■ avec soin de s'engager dans la voie des dernières réformes litté-
raires.
A sa façon pourtant ce petit volume présente de réelles qualités.
De lui, détachons cette piécette :
POCHADE
Un ivrogne achevé, promenant son liquide
Comme une outre emmanchée à deux grêles fuseaux,
S'avance, titubant en éclîassier timide.
Le long du canal vert qui roule au loin ses eaux.
Voyant les flots danser en caressant la vague,
Où son corps ballonné fait la ronde avec eux,
Il sourit au miroir, puis, d'un pas qui divague,
Tente, nouveau saint Pierre, un trajet hasardeux.
Mais le Seigneur, dit- on, qui fit bien toutes choses,
Préparant un pendant aux noces de Cana,
Où plus d'un nez rougi d'aise s'illumina,
Pour s'égayer au fond de ses palais moroses.
Fit culbuter le mâle, ô caprice di-vin I
Et pour l'éternité mit de l'eau dans son vin.
Jî'-ÎJgOLE de MUgIQUE DE ?^ERV1EI^?
Grâce à l'intelligente initiative et à la persévérante activité de
M. Louis Kefer, Verviers possède actuellement un foyer d'art
dont le rayonnement s'étend do plus en plus, franchit les limites
du pays wallon, éclaire des coins d'Allemagne et de France. Cette
petite ville industrielle, jadis vouée à l'exclusif souci des fabri-
cats et du commerce, s'éprend d'art, organise des auditions de
choix. Elle a une école de musique en pleine prospérité, d'où sor-
tent des élèves distingués, compositeurs et virtuoses. C'est dans la
classe du professeur di^ violoncelle, M. Massau, que s'est formé
le jeune Gérardy, qui est en voie d'acquérir à l'étranger la renom-
mée des Servais et des Hollman. Un jeune pianiste, M. Sauvage,
vient de remporter à Paris et à Bruxelles de sérieux succès. Faui-
il rappeler le mérite de MM. Crickboom, Gillet, Laoureux, qui
tous ont fait h l'école de Verviers leurs premières armes ?
M. Guillaume Lekeu, sorti de la même école, s'est vu décerner
d'emblée le second grand prix au dernier concours de Rome.
Et déjà des séances de quatuors ont popularisé dans la petite cité
les noms de César Franck, de Vincent d'Indy, de tous ceux qui
marchent dans les voies inexplorées.
Il a fallu, pour arriver aussi rapidement à ce résultat haute-
ment louable, une foi artistique, un esprit d'apostolat peu ordi-
naires. Ainsi que le constatait dimanche dernier, à la distribution
des prix, le secrétaire de l'école, M. J. Soubre, qui s'est dévoué
avec M. Kefer au développement intellectuel de Verviers, c'est
avec des ressources insignifiantes que l'éiablissemenl s'est élevé
au rang qu'il occupe. Le budget n'est que de 21,500 francs, ce
qui n'empêche pas que 750 élèves reçoivent à l'école une instruc-
tion musicale complète, qui comprend 33 cours dirigés par
16 professeurs. Nulle part, a affirmé M. Soubre, l'enseignement
musical ne coûte aussi peu en 4)roduisanl d'aussi appréciables
résultats.
Ce budget minime permet néanmoins à M. Kefer de donner
chaque année un concert vraiment artistique, digne d'un conser-
vatoire important, jouissant de ressources considérables. Il y a
dans l'orchestre et dans les chœurs une flamme, un enthousiasme
qui lui permet d'aborder l'étude d'œuvres de grande envergure et
de mener à bonne fin des entreprises qui paraîtraient téméraires
à de moins résolus.
C'est ainsi que l'Ecole de musique a exécuté en entier, dimanche
dernier, Y Andromède de M. Guillaume Lekeu dont un fragment
avait été entendu aux XX cette année.
L'œuvre, très distinguée et vraiment intéressante du jeune
compositeur, promet un musicien de talent, personnel et puis-
sant, ayant, au plus haut degré, l'instinct dramatique. Ce sera, à
n'en pas douter, un homme de théâtre. La manière dont il écha-
faude son travail sur quelques thèmes caractéristiques, bien
rythmés (nous citerons spécialement le motif de la Malédiction,
exposé au début, et qui traverse toute l'œuvre, reliant entre eux
les divers épisodes), est d'un miîsicien consciencieux et probe,
pénétré des formes nouvelles de l'art. L'œuvre a, en quelques-
unes de ses parties, une réelle grandeur. Le final du premier aç.ie,
où les supplications d'Andromède sont coupées par les rapides
répliques des prêtres d'Ammon et des chœurs d'Ethiopiens, est
vraiment très beau de mouvement et d'allure. Avec plus d'expé-
rience, M. Lekeu simplifiera son écriture. II y a dans Andromède
tels passages trop chargés, trop touft'us, inutilement broussail-
110
L'ART MODERNE
Icux, d'où les motifs 'conducteurs, iiccumulés les uns sur les
autres, ont peine à se dt''gager. Celle confusion, jointe à quelque
giiucliericdans l'instrumentalion, est le dc^faut contre lequel nous
mêlions en garde le jeune musicien. Il paraît d'ailleurs trop
intelligent cl trop artiste pour n'avoir pas remarqué lui-même ce
que celte première œuvre renferme d'inexpériences.
Ajoutons que rinicrprétation, confiée, pour les soli, à M"* Lambo-
ray, à MM. A. dcThier et S. Byrom, a été remarquable.
Dans la seconde partie, après la distribution des prix aux élèves,
un peu puérilement agrémentée de petits airs dansants saluant de
flon-flons imprévus l'émotion des lauréats, l'orchestre a exécuté,
sous la direction de l'auteur, Sniigefleiine, le Lied pour violon-
celle et orchestre (soliste M. Gillet), la Symplwnie pour orchestre
et piano sur un chant montagnard français (soliste M. Duyzings)
de Vincent d'indy, et le succès du Maître, après l'Élève, a pris des
proportions inusilées, s'est affirmé en ovations, en rappels, en
discours, en hommages fleuris...
Jknlionnons aussi la voix agréable de M. de Thier, coupant de
deux romances assez inutiles le programme symphonique, et,
pour finir, la très intéressante soirée musicale offerte ensuite par
le directeur de l'Ecole aux notabilités verviétoises el aux artistes
étrangers que la solennité avait attirés. On y a entendu, entre
autres, le Quintette de Franck el le Quatuor pour piano et cordes
de Vincent d'indv.
LA CRITIQUE BELGE
On nous reproche parfois de trop triquer certains « chiens
d'enfer » de la critique des quotidiens belges. Nous ne le faisons
pas assez et devant certaines manifestations nous nous prenons à
nous croire trop inatlenlifs el trop paliouts.
Ainsi M. Max Sulzberger, le joyeux critique bien connu par
ses gaffes et célèbre pour ce dans le monde artiste, disait derniè-
rement, dans l'Etoile belge, en un compte rendu du Salon des
Aquarellistes, qui vient de nous tomber sous les yeux et auquel
la récente exposition des XX donne de l'actualité, ces phrases
de vieux prud'homme eu colère qu'on a bousculé :
« En matière d'art, un cercle fermé m'a toujours paru une
hérésie. Je disais volontiers : Aussi longtemps qu'il reste un petit
coin disponible, ouvrez toutes^ larges les portes du Salon aux
œuvres de loule provenance, de toute école, de toute tendance.
Je n'ai pas changé d'avis, seulement j'y mets une seule réserve :
|)roscrire le poinijlkgc, le phylloxéra de la peinture. Les pointil-
leurs ne font pas |jp partie des peintres que les joueurs d'orgue
de barbarie des musiciens. Lk où ils se présentent, qu'on les prie
d'aller pointiller ailleurs. »
.11 faut prendre des lorgnettes, M. Sulzberger, vous finirez
peul-étre par voir plus clair el par vous apercevoir du mérite
très grand des pointillcurs. On ne pointillait pas à l'époque
où vous avez cherché à devenir un peintre; ce n'est ni de voire
temps ni de votre compétence. Mais vos tables de proscription
nous étonnent, ô vieux Sylla du Bulletin politique! Vous devez
savoir en quelle estime nous tenons vos radotages — et pourtant
nous ne demandons pis qu'on vous mette à la porte de voire
journal el qu'on vous prie d'aller gaffer ailleurs.
Dans la même Etoile, le vieux gaffeur se vantail d'avoir
pressenti le symbolisme depuis longtemps. Nous sommes charmés
de l'apprendre. Mais ce que la critique du ganachisme devient
immodeste! Dernièrement un de nos bonzes les plus précieux se
|)arait comiquemcnt des plumes de Sainte-Beuve (hormis celle
avec laquelle Sainte-Beuve écrivait). Aujourd'hui M. Max se pose
en devin du symbolisme! Pauvres gens! Ils sont obligés de se
tlatler eux-mêmes, les autres dédaignant leur rendre ce service.
Mémento des Expositions
Amiens. — Exposition des Amis des Arts, .*> juin-lo juillet.
Délai d'envoi : -10 mai (notices i"' mai). Renscignemcnis : M. le
Président de la Société des Amis des Arts, Musée de Picardie,
Amiens.
Anvers. — Société royale d'encouragement des Beaux-Arts.
Exposition d'aquarelles, pastels, carions, dessins, gravures,
médailles, etc. 24 avril-dS mai. Délai d'envoi : 18 avril. — Ren-
seigncmenls : M. G. Caroly, secrétaire.
Charueroi. — Exposition de la Société française de bienfait
sance. 16 avril-8 mai (limitée aux invités). Délai d'envoi :
l"-8 avril. — Comilé-direcleur : M"'"* E. Becrnacrl, A. Boch.
M. CpUarl, L. Héger, H. Ronner.
Chicago. — Section des Beaux-Arts de l'Exposition universelle.
1"' inai-30 octobre 1893 (voir l'Art moderne du 11 octobre 1891).
Dijon. — Société des Amis des Arts. 1«'' juin-15 juillet.
Délai d'envoi : 1*^'' mai. Renseignemcnls : Président des Amis
des Arts, Dijon.
Liège. — Exposition des Beaux-Arts. \<" mai-13 juin. Délai
d'envoi : 8 avril. — Renseignements : M. de Mathelin, secrétaire.
LitJ.E. — Exposition des Industries d'art moderne appliquées
à l'habitation. 1" niai-1'-''' août. Renseignements : Secrélarial de
l'Union artistique du Nord, rue Négrier, 36'*', Lille.
Madrid. — Exposition historique européenne. 12 septembre-
31 dé^cembre. — Délais d'envoi : l'-'''-30 avril. — Renseignements :
Comte de Casa Miranda, sous-secrétaipe d'Etat à la présidence
du Conseil des ministres, Madrid.
Munich. — Exposition Ltïtérnïïïïonale des Beaux-Arts. 1" juin-
fin octobre. Délais d'envoi: notices, l.ï mai; œuvres, l"-20 mai.
Renseignements : M. Cli\A.Baur, secrétaire du Comité centrât.
— Envoi collectif par M. W. de Haas el C'"=.
Paris. — Salon de 1892 (Champs-Elysées), 1" mai-30 juin.
Délais d'envoi : peinture, \dessins, aquarelles, pastels, etc.,
expirés; sculpture, 31 mars-5 avril; gravure et lithographie,
2-5 avril; architecture, 2-6 aVril. — Renseignements : M. F. de
Vuillefroy, secrétaire, palais mA'Induslrie, Champs-Elysées.
— Société nationale des Beattk:Arts (Champ de Mars). 7 mai-
30 juin. Envois : peinture, gravure, cxiiirés; sculpture, 15-18 avril.
— Exposition de Blanc et Noir. l''\avril-15 juin. Délai expiré.
— Renseignements -.M. Bernard, directeur.
— Exposition des Ans de la femme). Envois : l"avril-l" mai.
Rensei|;nemenis : M. Marius Vachon, directeur de V Exposition,
Palais de l'Industrie, porte VII, Paris. -
Prague. — Exposition des Beaux-Arts, l" mai-30 juin. Délai
d'envoi : 10 avril. Renseignements : Secrétariat de la Société des
Beaux- Arts de Bohême, Rodolphinum, Prague (Autriche).
Roubaix. — Exposition de tapisseries, broderies, tissus artis-
tiques et décoratifs. 17 avril-^"'' juin. Délai d'envoi : 7 avril.
Renseignements : Secrétariat de la Société artistique de Roubaix-
Tourcoing, rue de l'Espérance, 68, à Roubaix.
fETlTE CHRO.JMIQUE
Mardi prochain s'ouvrira à la Galerie Moderne, au profit de
l'Hospitalité de nuit, une exposition de cinquante chefs-d'œuvre
de l'école française, provenant- des plus belles collections de
Bruxelles.
Lic^ge vienl d'nvoir doux rcprésenlations du Théûlre libre.
M. Antoine a fait entendre : Blanchelle, l'Ecole des veufs,
Tavle Léouline et Leurs Filles. Le succi^s a dlé spontané, consi-
-dérablo. Pas de proleslalion. Certes le lendemain il en est qui se
récriaient, semblaient regretter leur acquiescement de la veille.
11 n'empôclie que les applaudissements parlaient de toutes parts,
et vivement. Plusieurs fois on a rappelé les anisles.
Kt les personnes qui étaient de la première représentation se
retrouvaient S la seconde.
La maîtrise de l'artiste qu'est M. Antoine s'est imposée.
Anvers-Bruxelles. — Tel est le tilrc de l'exposition qui s'ou-
vrira le 30 avril prochain au Musée moderne. A celte exposition
prendront part un grand nombre de peintres et sculpleurs anver-
sois et bruxellois.
Concours de i.'AcADÉMtE royale de Belgique. — Peinture, l.a
Classe met au concours le sujet suivant : Grand panneau pour une
Cour d'assises. Les cartons devront avoir 1™10 sur 0'"45. Prix :
1,000 francs.
Gravure en médailles. Une médaille commémorative de la
mort de S. A. R. le prince Baudouin. L'avers est réservé à l'effigie
du prince; le revers représentera un sujet allégorique. Les modèles
en cire ou en plâtre devront avoir 0"'30 de diamètre. Prix :
600 francs.
Les cartons et les projets de médaille devront être remis au
secrétariat de l'Académie avant le f octobre 1893.
L'Académie n'accepte que les travaux complètement terminés;
les cartons (sur châssis) et les modèles (en plûtre et en cire)
devront être soigneusement achevés.
Les auteurs couronnes sont tenus de donner upe reproduction
photographique de leur œuvre, pour être conservée dans les
archives de l'Académie.
Les auteurs, ne mettront point leur nom h leur travail; ils n'y
inscriront qu'une devise, qu'ils reproduiront dans un billet cacheté
renfermant leur nom et leur adresse. Faute, par eux, de satisfaire
à cette formalité, le prix ne pourra leur être accordé.
Les travaux remis après le terme prescrit, ou ceux dont les
auteurs se feront connaître, de quelque manière que ce soit, seront
exclus du concours.
Liszt a dit : «< Faire de l'art, et même en bien faire, n'est cepen-
dani pas encore posséder le don suprême de créer. Créer, c'est
tirer du néant; c'est donner une forme nouvelle à un sentiment
nouveau, une expression nouvelle à un sentiment connu, un
aspect encore inconnu à une expression fréquente. Faire de l'art,
c'est varier la tonalité des sentiments déjà exprimés, là con-
texlure des formes déjà existantes, la modulation des nuances
déjà là. Le génie chante en vertu d'une inspiration personnelle,
dans les modes qu'elle lui dicte et lui enseigne ; le talent remanie
ce que d'autres ont dit avant lui. Le talent peut être extraordi-
naire, il ne sera jamais initiateur. Entre créer et innover, il y a
la différence du génie au talent : de Bach à Mendelssohn, de
Beethoven à Meyerbeer. »
Le plus grand succès de librairie qui ait jamais existé aux
Etats-Unis, c'est les Mémoires du Général Granl.
Les héritiers du général ont touché jusqu'à présent 414,855 dol-
lars, soit deux millions soixante-quatorze mille deux cent soixante-
quinze francs de droits d'auteur! {L'Art et l'Idée.)
Dans la nouvelle salle du Musée moderne. Les derniers
moments de la fille de Grétry attirent, paraît-il, de nombreux
amateurs d'agonie. Les huissiers sont sur les dents.. Ils espèrent
qu'elle sera bientôt morte.
Cours supérieurs pour dames. — 4 avril, à 2 heures,
M. H. Pergameni : L Indo- Chine et le Tonkin ; à 3 heures,
M""" A. Chaplin : Modem writers. — 5 avril, à 2 heures, M. E.
Verhaeren : Qietlques 'peintres modernes : Chasseriau et Puvis
de Chavanncs. — 6 avril, à 2 heures, M. H. Pergameni : Les
arts et les sciences nu XVI 11^ siècle. — 7 avril, à 2 heures,
M. H. LoNciiAY : La révolution française et les Pays-Bas; à
3 heures, M"' J. Toudeus : Diction.
De F. Fénéon, cette description d'un Chéret : -
A la sortie, sur les murs, -^ consolatrice, une très lumineuse
affiche de Chéret, le Tiepolo du double colombier. Elle est tirée en
quatre couleurs, un bleu, un autre bleu, un jaune, un rouge, dont
les poudroyants mélanges suscitent d'activés autres teintes, et elle
s'isole, dans la série, par la dispersion de sa mise en page. Au
premier plan. Pierrot suit d'un d'il douloureux le manège avec
Colombine d'une Félicia Mallei nu long torse, aux seins implantés
bas, à l'ample bassin, aux jambes de garçonne, une Mallet stric-
tement close dans un costume losange vert et rose qui tantôt colle
aux formes et tantôt s'étoffe. Et vers le haut, entre la double file
des lettres indicairices (Scaramolche, Nouveau Théâtre) circule
épisodique un cortège bouffon ot matamoresque (1).
(1) L'Endehors.
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Le notaire BAUWENS-VAN HOOGHTEN, résidant à Bruxelles,
place du Petit-Sablon, a° 14. vendra publiquement, le Jeudi
28 avril 1892, à 2 heures précises de relevée, en la Galerie
Saint-Luc, n» 10, rue des Finances, à Bruxelles :
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DES ÉCOLES BELGE, HOLLANDAISE ET FRANÇAISE
dépendant de la succession de
M. Henri Li^MOERT
On remarque les oeuvres des maîtres suivants : Artan (Louis),
Bossuet (François), Calame (Alexandre), Col (David), Courbet (Gus-
tave), Daubigny (Charles-FrarjÇbîs), De Braekeleer (Henri), De Haas
(J.-H.-L.), Dell'Acqua (César), De Schampheleer (E.), Dubois (Louis),
Dupré (Jules), Durand- Brager, Madou (J.-B.), Roybet (François),
Stevens (Joseph), Stevens (Alfred), Smits (Eugène), Troyon (Constant),
Verschuur (W.), Verwée (Alfred), Willems (Florent), etc., etc.
Experts : M. Henri LE ROY, 11, rue Marie-Thérèse, et MM. J. et
A. LE ROY, 12, place du Musée.
Expositions : particulière, le mardi 26 avril; publique, le mercredi
27 avril, de 10 heures du matin à 4 heures de relevée.
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Le catalogue se distribuera en l'étude du notaire Bauwens-Van
HooGHTEN et chez les experts, à partir du 6 avril prochain.
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Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 10 Avril 1892.
L'ART MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DBS ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Comité de rédaction » Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00 — ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser toutes les communications à
l'administration générale de TArt Moderne, rue de Tlndustrie, 32, Bruxelles.
Sommaire
AGIOTAGE ARTISTIQUE. — LeS MaRTINETTI. VENTE DE LA COLLEC-
TION Lequime. — Vente de la collection Saulnier. — Les " Papiers
IGNORÉS " ET LES " PUBLICATIONS SOURDES ». JÉRUSALEM. AcCUSÉS
DE RÉCEPTION. CONSERVATOIRE DE LlÉOE. ,— TROISIÈME REPRÉSENTA-
TION DU Théâtre d'Art. — Bibliographie musicale. — Petite chro-
nique.
Agiotage artistique
La fortuite coïncidence de l'exposition « de cinquante
chefs-d'œuvre de l'école française " et de la vente de la
collection Lequime, composée presque exclusivement
d'œuvres belges, nous incjte à quelques réflexions. L'oc-
casion est bonne de mettre en lumière certains griefs
trop longtemps contenus et de prémunir les amateurs
contre les coups de bourse auxquels se livrent les mar-
chands, pour qui les tableaux de maîtres ne sont que
des valeurs négociables par lesquelles ils établissent,
suivant leur intérêt, et avec une égale désinvolture, la
hausse et la baisse.
La sincère admiration que nous professons pour la
brillante école qui a rénové le paysage en France nous
met à l'abri du reproche de vouloir dénigrer au profit
de nos artistes nationaux les œuvres des peintres de
Fontainebleau, d'Ornans et de Ville-d'Avray. Et en ce
qui concerne l'exposition de la Galerie moderne,
empressons-nous de constater que si son titre nous
paraît trop prétentieux, elle renferme, parmi les toiles
de second ordre qui en constituent ie fond, quelques
morceaux de réelle saveur qu'il était intéressant d'ex-
traire des collections particulières pour les montrer au
public. Les deux pastels émouvants de Millet '.Novem-
bre et Mon puits, la Plage de Courbet, tels paysages
de Corot, et ce très curieux tableau deGarbet, la Foire
de Saint-Germain, le seul, paraît-il, qu'ait produit ce
grand artiste, relégué jusqu'à «a mort en un obscur
bureau de gratte-papier par les exigences impitoyables
du Couvert et du Terme, justifieraient à eux seuls l'eit-
position.
Ce que nous contestons, c'est la fabuleuse supériorité
attribuée par les collectionneurs, guidés par des mar-
chands intéressés, à toute œuvre de l'école française sur
les productions de l'école belge, dans laquelle s'élèvent
très haut, aux yeux de ceux que n'aveugle pas un parti-
pris coupable, des personnalités de premier ordre, des
artistes originaux et sincères, que l'avenir classera à
côté — et peut-être au-dessus — de ceux qui font
aujourd'hui la gloire des musées. Oui, si la France
revendique avec fierté les Millet, les Troyon, les Cour-
bet, les Daubigny, les Corot, les Rousseau (après les
avoir, d'ailleurs, unanimement méconnus et repoussés
avec ensemble), nous avons, nous, le droit de nous enor-
N
gueillir des Leys, des Henri De Braekeleer, des Charles
De Groux, des Louis Dubois, des Hippolyte Boulenger,
des Artan, des Agneessens, pour ne citer que les morts,
auxquels on applique encore, dans certains milieux,
l'odieux boycottage'qu'on leur a fait subir de leur vivant.
Nous n'en voulons pour preuve que ce fait : la col-
lection Lequime, qui renfermait un bon nombre d'œu-
vres de ces artistes, a produit dans son ensemble im
peu moins que le prix payé à la vente Seciétan pour
UN SEUL (et d'ailleurs médiocre) tableau de Fromentin,
les Gorges de Chiffa, actuellement exposé parmi les
cinquante « chefs-d'œuvre " de la Galerie moderne. —
Quatre-vingt-cinq mille francs, oui, Monsieur!
Et tel a été, en ces dernières années, l'engouement
des acheteurs pour quelques signatures haut cotées sur
le marché artistique, que le directeur de la galerie,
M. de Saint-Cyr, a dû faire assurer les oeuvres qui
tapissent présentement sa jolie salle pour la bagatelle
d'wn million cent soixante-quinze mille francs!
Comparez les marines de J. Dupré à celles d'Artan,
les paysages de Rousseau à ceux de Boulenger, les
Courbet aux Louis Dubois. Cherchez, dans tçute l'école
française de 1860, l'équivalent de Leys, de Henri de
Braekeleer, de Charles De Groux, d'Edouard Agnees-
. sens. Et dites-vous sincèrement si l'injustice et la sottise
des acheteurs n'est pas faite pour révolter un cœur
d'artiste ?
La responsabilité n'incombe pas uniquement'aux col-
lectionneurs. On sait que ceux-ci suivent généralement
les avis d'un officieux qui a pour spécialité de « former
des galeries >» , qui a un pied dans le monde des tra-
fiquauts et l'autre dans celui des amateurs, qui s'em-
presse, conseille, déconseille, arrive à se faire recon-
naître comme l'auxiliaire indispensable des amateurs,
à dicter la loi de l'offre et de la demande.
Or, en Belgique, ce rôle a été joué autrefois par un
homme qui joignait à de très sérieux mérites un exclu-
sivisme fâcheux à l'égard des œuvres belges. Arthur
Stevens avait été un des premiers à vanter Millet, à le
défendre énergiquement contre l'injuste hostilité dont
il était victime de la part de ses compatriotes . L'école
française tout entière avait trouvé en lui un champion
résolu. Et son très louable amour fraternel lui avait,
en outre, inspiré pour Alfred et Joseph Stevens une
préférence d'ailleurs justifiée par la haute valeur de
ces deux artistes. Nous avons dit de lui, lorsque la
mort a enlevé cette intéressante personnalité : x Rous-
seau, Corot, Delacroix et les autres devront a Arthur
Stevens d'être arrivés à la gloire cent ans plus tôt qu'il
ne le fallait en observant les étapes de la bêtise
humaine. Millet, oh! miracle, faillit être célèbie dé son
vivant. Toutes les grandes ventes de Paris, depuis
vingt ans, s'alimentent des œuvres qu'Arthur Stevens
a taillés en éclatantes facettes.
Tout ce qu'on dit devant les toiles fameuses du
groupe si longtemps méprisé, il l'a dit « de sa voix
profonde, en prenant une attitude scénique, dessinant
des gestes enveloppeurs ». Et on continuera à le dire
de la même façon, lui" donnant ainsi une vie posthume
et fantomatique.
C'est là son honneur, son grand honneur. Son tort,
c'est d'avoir méconnu quelques grands peintres, ses
compatriotes. Etait-ce jalousie fraternelle? Serait-ce
préférence pour cette France, dont il avait beaucoup
en lui malgré son nom flamand? Peu importe. Il ne
comprit guère Hippolyte Boulenger, guère Louis
Dubois. Et qui pire est, « il les débinait ». Il fut pour
quelque chose dans ce dédain belge qui stérilisa partiel-
lement ces beaux tempéraments. S'il a daigné parfois
s'occuper des œuvres d'Artan, d'Alfred Verwée, de
quelques autres, c'était en sous-ordr-e et sans convic-
tion. "
Arthur Stevens avait été si perspicace dans la décou-
verte qu'il fit de quelques peintres de génie qu'on lui
pardonna sans peine le parti-pris dans lequel il se can-
tonna. Mais voici que d'autres reprennent , nous
dit-on, en sous-ordre, la mission que s'était attribuée le
marchand-diplomate. Avec la même « voix profonde ",
la même « attitude scénique ", les mêmes « gestes enve-
loppeurs ", ils vantent, ils exaltent la pléiade française,
ce qui nous serait indifférent s'ils ne le faisaient au
détriment de l'école belge, dont aucun représentant
n'est digne, d'après eux, d'entrer dans les grandes
coUectiotis. Et devant les « cinquante chefs-d'œuvre »,
ils ahurissent le bourgeois bénévole par des boniments
de circonstance, ils détachent à nos artistes des bottes
secrètes, ils accréditent ce bruit stupide que seuls les
tableaux français conserveront dans l'avenir une valeur
marchande. Que ceux qui se livrent à ces manœuvres
prennent garde. Dans l'hypothèse même où elles
seraient désintéressées, elles sont injustes et condam-
nables. Il y a trop longtemps que dure en Belgique un
malentendu né d'une complaisance trop grande à l'égard
de quelques noms cités à tout propos. Il est temps de
rappeler que nous possédons une école nationale dont
l'originalité et le talent n'ont rien à envier à personne.
On le sait à l'étranger. On le proclame. Et les succès
remportés à toutes les expositions de l'Europe le
démontrent victorieusement. Ce qui empêche les œuvres
produites par cette école d'être classées pécuniairement
aux mêmes taux que les toiles de mérite analogue sur
lesquelles luit une signature étrangère, c'est le mauvais
vouloir de ceux qui établissent la cote des tableaux, des
marchands et de leurs alliés, les sous-Stevens attelés à
une basse besogne de débinage systématique. Les
amateurs hésitent encore à faire entrer dans leur
galerie telle œuvre belge, quelle que soit sa valeur
artistique Ils en sont détournés par de malveillants
UART MODERNE
115
conseillers, visiblement intéressés à soutenir les cours.
Les prix payés, ces derniers temps, pour des œuvres
de Millet, de Meissonier, de Corot, ne correspondent,
il faut le reconnaître, à aucune réalité. La vanité de
quelque bourgeois affolé de réclame, le besoin qu'éprouve
un financier de se procurer un crédit expliquent seuls
telles enchères, dont le chiffre a étonné l'Europe.
Il est temps qu'on s'élève contre ces extravagances et.
qu'on ramène les prix à la norme économique.
Quand le public se sera débarrassé des mouches qui
voltigent autour du coche artistique, qu'il aura pris la
résolution de choisir lui-même les œuvres qu'il juge
dignes d'être acquises, les valeurs conventionnelles
attribuéesaux œuvres d'art s'évanouiront en brouillards.
On achètera alors non des signatures, mais des^ œuvres.
Et tels tableaux belges, méprisés aujourd'hui, pren-
dront rang à côté des plus belles toiles étrangères.
Et pour hâter l'avènement de cette ère impatiemment
attendue, qu'on organise, après l'exposition des cin-
quante chefs-d'œuvre français, celle de CINQUANTE ÇHEFS-
d'œuvre belges. Les collections et les ateliers de notre
pays sont heureusement assez riches pour suppléer à
.l'indigence de nos musées et pour fournir sans peine le
contingent voulu. Il y aura, le jour de l'ouverture, nous
le garantissons, des surprises et des admirations impré-
vues. Et, dès lors, ce ne seront plus seuls les modestes et
sérieux amateurs comme le docteur Lequime qui se
feront un honneur d'acquérir des collections nationales.
LIÎS MARTINETTl(^)
L'apparilion des Marlinelli à l'.Vicazar ouvre la réflexion sur
cel an si alliranl cl moderne : la pantomime. A noire sens, la
pantomime est k reeréer. Si l'on excepte certaines tenlaiives, —
par exemple celles des frères dont nous allons parler,— ce ge,nre
de comédie el de drame mimé n'a point encore subi les transfor-
mations que ce siècle a imprimées à l'arl tout entier. Les types
n'ont point été suffisamment renouvelés ou métamorpliosés et
qui dit aujourd'hui : pantomime, semble immédialcmenl évoquer
encore : Arlequin, Pierrot, Colombine et Cassandre.
Or, ces personnages auxquels on a donné certes depuis quelque
dix ans d'autres costumes et d'autres allures, sont néanmoins
couverts d'un tel passé, qu'ils ne parviennent pas à en secouer
toute la poussière. Ils sont vieillots, surannés el quand on les
modernise, on les dénature le plus souvent.
Notre, âge a créé de plus étranges personnages de la farce, de
plus spéciaux protagonistes du rire, de plus aciuels types popu-
laires, jusqu'à ce jour non ou peu employés — el qui, mêlés en
une action scénique, feraient d'excellents ingrédients pour une
salade pantomimique.
Us expriment, il est vrai, dos iilées moins bleues el roses, niais
ils expriment nos idées. Quand Pierrot se couvre de sa c;ilotle el
(1) A rapproclier de l'article que nous avon.s consacré aux Martinelli
lorsqu'ils jouèrent i)our la première fois à Bru.xelles (Tliéàtre de la
Bourse). V. VArt moderne, 1886, p. 20().
s'habille de sombre, quand il s'improvise croque-mort et broyeur
de noir macabre, il usurpe la place de Uibi-la-Gaité de l'Assom-
moir; lorsque Cassandre devient grave et digne comme une bêle,
il ne songe pas que M. Prud'homme a été mis au monde pour rem-
plir mieux ce rôle.
Bien plus, d'autres inventions littéraires, non point une série
(le «variétés» pour rajeuncr les types démodés, mais de vraies
créations originales font irruption d'entre les coulisses el ce
sont : le bossu Mayeux el Vireloquc, Macaire et Bertrand, Jean
Hirouxcl Vautrin, Gavroche et Coupeau, Nana et le baron Hulot,
Perriclion el Tribulal Bonhomel, Tarlarin, etc..
Avec eux la pantomime devient nôtre, l'atmosphère change, le
drame s'élargit, la farce s'ensinistre cl se date : dix-neuvième
siècle.
Un tel art, nouveau dans le fond el universel lui aussi, pourrait
certes tenir les planches, demain.. On laisserait la comédie italienne
en paix, elle serait une belle archéologie cl Walteau ne serait plus
appelé à la rescousse pour la galvaniser. Pierrot aurait une belle
tombe dallée de lune cl Colombine continuerait à faire la coquelle
dans le miroir d'une étoile disparue de notre horizon.
A ce titre, Robert Macaire, joué à l'Alcazar par les frères Mar-
tinelli, apparaît en éclaireur.
Cette pièce est de reste fort belle el complexe. Elle fait songer
à telles œuvres séculaires de large portée humaine. Quand Bertrand
se bal contre la défroque du gendarme, qui ne rêve à Don Quichotte
el ses moulins, et quand Macaire commande cl bride son élève,
qui ne se souvient de Vautrin el de Lucien de Rubempré?
Dans Macaire tout le romantisme se distille et dans Bertrand
toute la bohème. Ils sont des représenlanis d'une époque; ils
tiennent en main une heure inoubliable du siècle.
Les belles canailles, l'une grandiose, l'autre naïve! L'une s'af-
firmant par ses airs grand seigneur, ses filouteries au delà de
louie habileté ordinaire, sa domination sûre et hautaine, son
audace non pas étourdie maisréfléchie,sa décision el son courage,
sa politesse méprisante et calculée, son étalage de maîtrise incon-
testable; l'autre, par ses impatiences, ses bouderies, ses lâchetés,
ses mesquineries, ses inexpérichcésjson sans-sOlïCi;scsTages el-
ses résignalions soudaines, son obéissance aveugle, ses ironies el
ses gaietés, sa fidélité de chien, son sentimentalisme^ sa gaminerie
cl, somme toute, sa belle ûme.
Le caractère de Bertrand est une mer vieillede vérité et de pro-
fondeur. D'apparence, c'est amusant; de réalité, c'esl tragique.
Il faudniil analyser chaque scène pour y surprendre le jeu pro-
digieusement inventif et explicite de Paul Marlinelli. Aussi : ses
gammes d'expressions physionomiques, ses effarements, ses ter-
reurs, ses implorations, ses joies, ses colères, ses fureurs, son
désespoir, sa haine, et enfin sa douleur, d'un frémissement si
vrai el si implorant el si profond." Le dénouement devient, grâce
à lui, d'une poignancc inouïe. A telle minute il profère une telle
tendresse qu'elle acquiert je ne sais quoi de maternel. C'esl
l'aulhentique émotion pleuréo, gémie, râlée, jusqu'à ce qu'elle
devienne rage et représailles, pour se finir en ironie, grâce à ce
dernier el lriom|)lianl saut de carpe à la barbe de la société
et de .son gendarme. Cela est très haut el très fort. Cela est
(rhumaniié criante cl sanglotanie. Cela crève l'enveloppe de la
farce pour atteindre le chef-d'œuvre. On songe aux très rares grands
artistes qui, mourant sur les planches, atterrent toute une salle
du terrible frisson propagé. El Paul Martinelli, sans déchoir,
n'sisle aux comparaisons les plus périlleuses.
116
UART MODERNE
Quant à Roberl,nous croyons qu'on ne le hisse pas au rartgqui
lui est dû. Certes, son frère rdclipse, mais il n'en resie pas moins
un maître acteur. Il a grande allure, beau sarcasme, geste
superbe, marche impérieuse et regard de proie. Il se carre en
son rôle comme en des frusques bien faites à sa taille et ce n'est
point un miry:e éloge que d'affirmer qu'il le vitei le dirige, sans
jamais le fausser en quoi que ce soit.
Au total, pour synthétiser l'interprétalion de Robert Macaire
par les Maninetli, on pourrait imprimer qu'ils le jouent d'une
MANIÈRE HÉROÏQUE. Leur personnage se présente à eux comme une
caractéristique exagération humaine, comme la personnification
d'une catégorie d'êtres, qui tous se sont fondus en une enlilé
poussant à l'extrême l'individualité de chacun Le jeu doit donc
évidemment se développer et se généraliser jusqu'à rendre vivante
la légende. Et, sans dévier, les Martinetli y réussissent.
M. Luc Malperluis, en offrant au public la fêle quotidienne de
celle représentation, devine-t-il que loin d'être un genre mort,
la pantomime va, probablement, plus que jamais entrer dans les
préoccupations artistes et conséquemmeni, d'ici à peu de temps,
dans le goût public? Déjà il est évident pour plusieurs que dans
le domaine émotionnel on parvient à s'exprimer plus éloquem-
ment par le geste que par les paroles stéréotypées et moulées en
les toujours mêmes exclamations monosyllabiques. En outre, plus
un spectateur met du sien dans une situation dramatique exposée
devant lui, plus il.s'inléresse et s'abandonne à l'illusion scénique.
Or, par son vague et son écriture sommaire des choses, la panto-
mime, plus que n'importe quelle tragédie ou vaudeville, satisfait à ce
postulat littéraire. Elle est un précieux canevas à rêves, à inter-
prétations individuelles et spécialisations. Elle correspond donc
exactement à une évolution contemporaine de notre art, où les
contours trop arrêtés, les clartés trop crues, les explications trop
positives ne sont plus exclusivement recherchées. Evoquer valant
mieux que définir, la pantomime apparaît : l'art choisi de cette
hetire.
Remercions, en terminant, la direction jeune et heureuse de
PAkazar, de gratifier le public d'aussi intéressantes soirées que
les présentes. Au public à répondre par une assidue et nom-
breuse présence.
VENTE DE LA COLLECTION LEQUIME
La vente de la collection du docteur Lequime a produit
84,500 francs. C'est peu, quand on songe aux prix étourdissants
qu'ont alleinl, depuis quelque temps, telles galeries réputées.
C'est beaucoup pour une collection qui ne se composait, k qrffel-
ques exceptions près, que d'œuvres belges, à l'égard desquelles
MM. les marchands de tableaux, MM. les experts officiels et
MM. les conseilleurs attitrés d'achats k faire professent la plus
parfaite indifférence.
Il y avait trois ou quatre œuvres que l'Etal eût dû saisir avec
empressement l'occasion d'acquérir. En première ligne, la Con-
valescente d'Agneessens, la Messe de Saint-Hubert d'HippoIyte
Boulenger, le Mirage et la Baigneuse de Courbet. Mais l'Etat
n'avait pas jugé à propos de se faire représenter ^ la vente. Les
membres de la Commission des Beaux-Arts se reposaient, sans
doute, des fatigues que leur occasionna l'inslallaiion de la nou-
velle salle du Musée.
Le docteur Lequime s'est vengé spiriluellemenl de celle
abstention en faisant hommage au gouvernement du tableau de
Gustave De Jonghe {les Pèlerins) dont nous avons parlé dans
notre dernier numéro et qui marque la première étape de l'Art
libre auquel était principalement consacrée la collection aujour-
d'hui dispersée.
Une lutte assez vive s'est élevée entre le Musée d'Anvers et un
amateur bruxellois au sujet d'un paysage d'HippoIyte Boulenger,
/« Petite Faune, qui, finalement, a été adjugé au prix de
9,000 franrs à M. H. Van Cuiscm, aux applaudissements de l'as-
semblée. C'est le chiffre le plus élevé atteint par la vente. Voici
d'ailleurs, eu suivant l'ordre du catalogue, les principales
enchères de celte vente, qui a été presque un événement artis-
tique :
N"» 1. Agneessens. La Convalescente, 2,800 fr. (M. De Buck).
3. , Id. Tête d'étude, 200 fr. (M. A. Braun).
i. Artan. Côtes de la mer du Nord, 1,100 fr. (M. Deru).
5. Id. Canal à Flessingue, l,ioO fr. {M. Wimenei).
8. Boulenger. La Petite vanne, 9,000 fr. (M. Van Cutsem).
10. Id. La Messe de Saint - Hubert, 3,700 fr.
(M. P. Errera).
11. Id. Vue de Dinaut, 1,250 fr. (M. F. Vander-
siraeten.)
12. , Id. Inondation, 1,000 fr. (M. Toussaint).
15. Chabry. Verger le soir, 450 fr. (M™* Keymolen).
16. CoijRBET. Baigneuse endormie, 1,300 fr. (M. Clarembaux).
17. Id. La Source du Lizon, 2,000 fr. (M. Vander-
kelen).
18. Id. Le Lac, 1,800 fr. (M. Brame).
19. Id. Le Mirage, 7,600 fr. (M. Bareel).
21. Id. Source et Roches, 2,000 fr. (M. Hèle).
22. Id. Portrait d'homme, 500 fr. (M. Vanderkelen).
23. Daubigny. Bords de l'Oise, 4,100 fr. (M. Brame).
25. H. De Braekeleer. Le Dévideur, 650 fr. (M. Marcot).
26. Id. Accessoires, 400 fr. (M. Bivori).
27. Id. Cabaret flamand, l?>OfT {M. a. BrzMTÎ).
29. Id. Paysage, 425 fr. (M. Degheres).
30. Ch. Degroux. Les Mendiants, 900 fr. (M. Marlier).
31. G. DE Jonche. Les Pèlerins, donné au Musée de l'Etat.
33. L. Dubois. L'Eté, 460 fr. (M. Léon Lequime).
34. Id. La Meuse le soir, 625 fr. (M. Michiel»).
39. FouRMOTS. Paysage, 1,350 fr. (M"» Delplancq).
40. J. GoETHALS. Lei)er de soleil à Nieuport, 800 fr. (M. Ter-
lioden).
41. Harpignies. Chemin creux, 1,200 fr. (M. Duioicl).
43. . Idw Eglis*d'Hérisson,lQO h. {M. Brame).
47. Jongkind. Intérieur de taverne, 775 fr. (M. Gosier).
49. Meunieiu Lt Ttrn, 525 fr. (M. Deru).
50. Id. Le Forgeron, 375 fr. (M. Willems).
53. Smits. L' Eventail, 410 fr. (M. De Buck).
57. Id. Femme à k/orlue, 475 fr. (M. Keymolen).
58. Alfred Stevens. Jeune femme assise, 1 ,550 fr. (M. De Buck).
59. Id. Sphyiix parisien, 1,400 fr. (M. Duloicl).
60. Joseph Stevens. Chien à la tortue, 4,000 fr. (M. Vimenet).
61. Id. Le Griffon, 2,000 fr. (M. Duloicl).
62. Id. Chien du Saltimbanque, 2,000 fr. (M. Cla-
rembaux).^^"
. 63. Id. Forge à Champigny, 1,900 fr. (M. Mar-
lier).
69. Alf. Verwée. L'Etalon, 5,100 fr. (M. Devis).
70. Id. Vaches en prairie, 2,500 fr. (M. Vimenet).
n
r
VART MODERNE
117
DESSINS, ETC.
74. Ch. Degroux. Pèlerinage d'Anderlechl, 450 fr. (M. Van
Hoorde).
75. Id. Eludede femme {pour le Bénédicité), i5<)îr.
(M. A. Braun).
79. X. Mellery. Lijsje en Trientje, 130 fr. (M, Broucz).
80. Rops. Les Laveuses à WaulsoH, 280 fr. (M. De Buck).
82. Id. Le Botaniste, 375 fr. (W. P. Errera).
85. Alf. Stevens. Miss Elfried, pastel, 510 fr. (M. S. Wiener).
88. Wauters. La Religieuse, 190 fr. (M. P. Errera).
89. Henriquef.-Du Pont. Gravure d'après la fresque de
P. Delaroclie, 200 fr. (M. Vimenet).
91. P. De Vigne. Tête de romaine, bronze, 600 fr.
/ (M. De Grecf).
^2. Vanderstappen. La Tragédie, bronie, 600 fr. (M. Cla-
rembaux).
Vente de la collection Saulnier.
Il est intéressant de rapprocher les résultats de la vente
Lequime des prix atlcinls par douze tableaux de maîtres français,
vendus il y a quinze jours chez M. Sedelmeyer à Paris. Ces
tableaux, qui avaient fait partie de la galerie de M. J. Saulnier,
à Bordeaux, avaient été racheiés à l'hôtel Drouol, en 1886, par la
veuve de cet amateur, qui les avait payés 75,660 fr. Ils viennent
d'atteindre 137,305 fr., réalisant ainsi, en six ans, une plus-value
de61,645fr. !
Voici le détail des enchères. Le premier chiffre est celui de
la vente du 5 juin 1886, le second celui de la' vente du 25 mars
1892 ;
I. Corot. Paysage aux environs de Paris. (2,550 fr.) —
4,300 fr. Plus-value : 1,750 fr.
' 2. Corot. Souvenirs de Lariccia, (7.300 fr.) — 16,000 fr.
Plus-value : 8,700 fr.
3. Corot. Jeune fille costumée en Grecque. (1,100 fr.) —
4,500 fr. Plus-value : 3,400 fr.
4. Corot. Souvenirs d^Italie. (3,300 fr.) — 17,300 fr. Plus-
value : 14,000 fr.
5. CovmET. Effet de neige. (900 fr.) — 1,520 fr. Plus-value :
620 fr.
6. Courbet. Taureau et Génisse. (4,000 fr.) — 4,100 fr.
Plus-value : 100 fr.
7. Daubigny. Plage à marée basse. (2,900 fr.) — 4,700 fr.
Plus-value : 1,800 fr.
8. Delacroix. Jésus endormi dans la barque pendant la
tempête. (14,000 fr.) — 26,000 fr. Plus-value : 12,000 fr.
9. JoNGKiND. Dans le port de Rotterdam. (2,100 fr.) —
4,100 fr. Plus-value : 2,000 fr.
10. Millet. La Baigneuse. (29,100 fr.) — 48,000 fr. Plus-
value : 18,900 fr.
II. Th. Rousseau. La Forêt de Fontainebleau, esquisse.
(7,100 fr.) — 6,400 fr. Perte : 700 fr.
12. Tassaert. Portrait du docteur X... (1,310 fr.)— 385 fr.
Perte : 925 fr.
Les « Papiers ignorés » et les « Publications sourdes ».
Nous lisons dans V Indépendance, à propos de la première de
l'Intruse ;
« Il parait que le génie de M. Maeterlinck fut reconnu, six
mois avant que M. Mirbeau ne s'en avisât, par des personnes
écrivant dans des papiers ignorés. Leur généreuse initiative n'e il
aucun cffi'i. C'est ainsi qu'on fait grand tapage, dans des
publications sourdes, de gloires nouvelles et de terribles exécu-
tions, dont aucun écho n'arrive jusqu'au public.»
Ces publications sourdes, — où opèrent les chourineurs de
l'écrituire, une expression trouvée par M. Frédérix, — sont
évidemment l'Art moderne, la Jeune Belgique, [a Société nou-
velle. C'est là que le cornac ariislique joufflu, juché sur Téléphan-
tesque Indépendance, a été jcié, aux applaudissements des
artistes, en bas de son palanquin d'opérette et abîmé dans le
ridicule. C'est là qu'on a coupé les ficelles du Coquelin belge et
qu'on a vertement reproché à cet orphelin de Sainte Beuve son
incompréhension totale de la lilléraure de son pays.
Aujourd'hui qu'on lui a arraché de la tête toutes les plumes de
paon que lui ont prêtées S:iinie-Beuve, Lemaîlre et le lourd
Sarcey, et que sa critique est devenue aussi nue et aussi rase que
son menton, imité de celui de Sainte-Beuve ou de Coquelin, le
pauvre homme cherche 5 étciftdre les lumières qui ont éelairé ses
incapacités, ses prétentions et ses pastiches. Mais Son souffle est
devenu impuissant et sa manie d'étcignoir commence à rude-^
ment faiblir. En vérité, il rend les armes.
Oui, Monsieur, il rend les armes. Il déclare : « On peut
répéter à M. Maeterlinck ce que Victor Hugo disait à Baudelaire :
Vous avez doté l'art d'un frisson nouveau. » Qui lui a donc
donné cette clairvoyance ? Qui lui a donc mis un peu de com-
préhension dans sa cervelle routinière ? Qui a rallumé un peu de
vie intellectuelle nouvelle sous ce crâne, à qui ne manquait que
la perruque ? C'est nous, les papiers ignorés, c'est nous, les
publications sourdes qui avons opéré cette transformation, au
sujet de laquelle nous envoyons au critique de l' Iiidépendance
nos félicitations les plus chaudes. Mais l'ingrat nous en veut pour
les bienfaits dont nous l'avons comblé. Il raille ceux qui l'ont
rajeuni et cherche à mettre à l'ombre ceux qui ont fait son
éducation artistique. C'est très humain, cela, et il fallait s'y
attendre.
Mais, croyez-vous bien que les terribles exécutions n'arrivent
pas jusqu'au public? Les publications sourdes ne sont ni politi-
ques, ni commerciales, ni financières. Elles ne sont qu'artistiques
et les exécutions font grand tapage dans le monde qui s'occupe
des choses d'art. Ce public est le seul qui importe, d'ailleurs.
La Jeune Belgique n'a pas démoli la Maison G. F. C. T. pour
amuser des boursiers, ou pour faire rigoler le tailleur de .M. Fré-
dérix ou le chapelier de M. Tardieu.'^Et d'ailleurs, M. Frédérix,
allez donc voir au Cercle Artistique, chez vous, où vous prenez
vos airs supérieurs, quels sont les journaux les plus lus ? Ce sont
ceux précisément qui vous exécuti'nl et qui vous fessent. On se les
dispute. A la fin de la semaine, ils ont été tellement manipulés
qu'ils ne tiennent plus ensemble.
Assurément, Monsieur, les papiers ignorés arrivent au
public bien plus que vous ne le pensez. Ils ont fait réfléchir,
ainsi que vous, les Renory et autres qui s'ébaudissaient dans leur
incompréhension des œuvres jeunes; et si on n'en parle pas dans
118
L'ART MODERNE
votre monde, quand vous ôlcs préscnl, c'est par pure politesse,
sans doute, et aussi par respect pour un ancien, qu'on ne doit
éreintcr que lorsque l'Art le commande, ou qu'il carre son
sexagénairisme à l'cnconire du bataillon des jeunes.
JERUSALEM
La Réforme, grâce au destin, n'a pas que des Georges Renory.
Voici en quels termes humoristiques et d'art jeune elle rend
compte de la première représentation do Jérusalem .-
« Ceci est l'un des joyaux les plus parfaits du répertoire qui a
fait la fortune des fabricants d'orgues de barbarie et d'orcliestrions.
On n'imagine pas l'effet de carnavalesque gaîlé qu'a produit
l'exhumation peu justifiée de cette vieille machine, avec ses cor-
tèges, avec ses pas redoublés où les cuivres font dominer la note
canaille et platement vulgaire, avec ses fanfaresques ballets et ses
ensembles tumullueux. El cette Polonaise, chaulée en Palestine,
dans le désert brûlant, au milieu de pèlerins affanriés et mourant
de soif, est assez joyeuse, et tous ces taratata et ces Zin'g'laboum
bien sentis.
Ce qui ajoute encore à la drôlerie de ces choses-là, c'est que
tout se passe devant la rampe, que les chanteurs, presque cons-
tamment les bras levés au ciel, les yeux écarquillés, la bouche
démesurément ouverte, hurlent les absurdités du livret en grima-
çant comme des gens qui souffrent véritablement.
Que d'études de mûchoires en une soirée!
Le public spécial qui aime ces opéras, qui lient b ce que les
artistes crient comme des sourds ce qu'ils pourraient se borner à
chanter, el qui d'habitude mesure son enthousiasme aux efforts
dangereux que font les malheureux interprètes pour donner le
plus de force possible à leurs cris aussi aigus qu'inarticulés, le
public cruel a beaucoup applaudi M"« Chrétien qui a rempli son
rôle avec toute la vigueur de poumons dont elle est capable sans
faillir; M. Dinard, qui de basse chantante qu'il élail, s'est impro-
visé basse ^fôrôndêTnonlans' succès; M. DupèyrôiïTIôhT là Vôîx
est toujours résistante; MM. Seguin, Sentein, Isouard et
M"« Corroy.
Quelle belle soirée et quelle belle fôte pour l'esprit!
Si après cela tous nos Beckmesser, ces descendants dégénérés
de l'antique race des Masuirs, ne sont pas dans un étal de béati-
tude complète, il sera bien difficile de les satisfaire.
Lundi, pendant que la musique digoslive et peu inquiétante de
Jérusalem charmait les vieux habitués, le Tannhmser élail
représenté pour la première fois au Théâtre de Lyon. F. L. »
^CCUpÉg DE RÉCEPTION
Dominical, par Max Elskamp, lire li 3 ex. sur Japon, 100 sur
Hollande, tous numérotés, orné d'un dessin de H. Van de Vclde ;
Anvers, J.-E. Buschmann. — Histoires Bourgeoises, par
Gustave VANZVPii; Bruxelles, Fcru. Iloton. — Ln Dupe, comédie
en cinq actes par Georges Ancey, représentée au Théâtre Libre ;
Paris, Tresse et Stock. — Œuvres de F.-W. Goethe : Faust
(deuxième partie), traduction nouvelle par Ca.mii,i,e Benoit; Paris
A. Lemcrre. — Le Jardin de l'âme, par Fernand Rolssef. ;
Malines, Godonuc. — L'idée de Dieu d'après l'anthropologie et
l'histoire, conférences faites en Angleterre par le comte Gobi.et
d'Ai.viem.a ; Bruxelles, librairie européenne Muquardt. «(La
brochure que nous avons analysée dans notre dernier numéro :
Des méthodes qui permettent d'atteindre le développement pré-
historique des religions, forme le premier chapitre de celte
importante élude.)
CONSERVATOIRE DE LIÈGE
(Troisième concerl)
Seul M. Radoux dispose à Liège de ressources et d'éléments suf-
fisants pour monter des œuvres qui nécessitent le déploiement de
' l'orchestre el de voix nombreuses, chœurs bien fournis el solistes.
Sa tâche est de nous faire connaître de pareilles œuvres. Il l'a
compris, nous lui en savons gré.
Au concerl dernier il avait donné une suffisante exécution de
V Oratorio à sainte Cécile de ttaenâd.
Celle fois nous écoutions le Requiem de Brahms.
De haute envergure, ce Requiem qui se développe lentement,
austère, uniformément, sans que nulle partie soit dramatisée.
11 est pénétré d'un sentiment religieux profond, intense. L'in-
spiration sévère ne faiblit pas. Pas de sensibleries dans la dévo-
tion, pas de faciles attendrissements ni de fades prières, rien de
banal, rien d'artificiel; une pensée solide qui s'élève très haut,
sereinq souvent, puissante toujours.
C'est l'œuvre d'une âme forte qui ne conçoit qu'une religion
très pure el très grande.
Peu l'auront goûtée : Brahms n'est pas de ceux qui flattent le
public.
L'exécution élail bonne, je dirai excellente presque, n'étaient les
pileux solistes qu'il nous a fallu écouter. 11 eût mieux valu faire
chanter les soli par les élèves.
L'orchestre el les choeurs ont bien marché; ils ont eu de l'ho-
mogénéité el même de l'ampleur.
En raison de l'exécution du Requiem, nous pardonnerons à
M. Radoux la seconde partie du concert.
TROISIÈME REPRÉSENTATION DU THÉÂTRE D'ART A PARIS
[Correspondance particulière de i/Art moderne.)
11 est certain qu'au théâtre les fautes contre l'harmonie parti-
cipent de la rudesse constitutive du genre art dramatique cl de
la perspective exagérée de toute mise en scène, pour n'en appa-
raître que plus choquantes. Cependant, on peut dire que généra-
lement les directeurs les évitent, M. Paul Fort cxccplé. Aussi, h
cette représentation du Théâtre d'AVt, le rire, toujours causé par
un manque quelconque d'harmonie, le rire secoua l'assemblée
des spectateurs. On reconnut que la scène du Théâtre d'Applica-
tion, k peine suftisante pour encadrer Yvette Guilbert, ne pouvait
contenir tout l'Olympe, — et l'on rit. Au numéro 3, Interprétation
du premier chanl lie l'Iliade, les acteurs apparurent pour la
plupart avec des barbes de carnaval, des costumes à l'avenant;
l'un d'eux joua trois rôles différents sous les mêmes oripeaux ;
Jupiter tonna en pourpoint Louis .XIII, — et l'on rit.
Au numéro 2, Scènes tirées du Vcrcingélorix de M. Edouard
Schuré, le pitoyable grand chef des cent (êtes fit un son funeste
à tous les R des vers qu'il débitait, el, pour celle fois, l'inierpré-
talion fut au niveau de l'œuvre.
Par bonheur, la pièce ésotérique de M. Jules Bois (numéro 1),
, Kçnrjî^^W^.JJi
i;art moderne
119
Les Noces de Sathan, n'eul pas à subir, au poinl de vue de la
mise en scène, d'aulre anicroche qu'un rclard assez fréquent,
causé par une machination un peu primitive dans les change-
ments de décors ; aussi fut-elle écoutée. L'idée mèro de ce drame :
la rédemption du Mal (Saihan) par l'Amour (Psyché), ne semble
pas développée dans un but scénique, et la pièce, assez littéraire,
gagne à la lecture.
En dépit d'un public de joyeux, recrutés on ne sait où pour
garnir la salle, on a pu prendre plaisir à certains vers de
MM. Meinolte et Méry, adaptateurs de VIliade, et une soirée sur
deux (1) à la musique de M. Fabre, teintée d'archaïsme et adé-
quate aux passions héroïques magnifiées par Homère.
^^_^^ Ed. C.
ipiBLIOQRAPHlE MUSICALE
Les éditeurs Novello, Ewer et C* (Londres et New-York)
viennent de faire paraître une suite de six morceaux pour violon-
celle, avec accompagnement de piano, par J. Holi.man, le virtuose
réputé. Ces œuvres nouvelles, où s'allie à la connaissance parfaite
de l'instrument un joli sentiment mélodique, varieront agréa-
blement le réperioire des violoncellistes, que Popper absorbe trop
exclusivement. Légende, Pizùcali, Aubade, Atidante, Petite
Valse, Tarentelle, tels sont les litres des six compositions de
M. HoLLMAN, qui toutes sont intéressantes et bien écrites.
Petite chro^iique
Nous rappelons à nos correspondants que nous ne pouvons
donner suite aux communications et demandes de renseignements
non signées.
Deux représentations exira ordinaires seront données au Théâtre
du Parc, jeudi et samedi prochains, par M. Mounei-Sully,
M"* A. Dudiay, sociétaires, ei les autres inierprètes du Théâtre-
Français.
Les spectacles, pris au répertoire chissiqui', se composeront
le premier soir A' Andromaque, le second soir de Pulyencte.
Chaque spectacle sera préi'éilé d'une conférence de M. Larrou-
met, membre de ITusiitul. La première sera consacrée à Racine,
la seconde à Corneilli!. ,
La deuxième séance musicale de MM. Crickbonm, K<'fer, Sar-
toni et Gi'Ieiesl fixée au lundi 25 avril, b 8 1/2 heures., à la Salle
Marugg. Elle aura lieu avec le couc-ours d(! M"» Irma Sclhe, vio-
lonisie, et de M. Auguste Picrret, le jeune pi.l^i^le parivien qui a
si heureusemcni débuié feue année aux CMicirs des X.
Au programme :1e qu;itui>r pour f)i:iiio ei iiisirunieiiis h cordes
de Vincent d'iiidy, le qu Muor en jn mineur (op. 95) d.- Beetho-
ven, k; coucerio de Bach pour deux violons, la soniiie de Haendel
pour violon, etc. >
Le quairième et dernier concert populaire aur.i lieu, sous la
direclion de M. Joseph Duponi. le miirdi 3 imii, len leinain de la
fermeture du Théâtre cle la .Mnntiaic. On y eiit''nilni //( Mer de
M. Gilson (redemiindé) et le troisième acte de Pnrsiffil (>oli,
chœurs et orchestre).
M. Ad. Samuel, directeur ihi Conservatoire île Garni, qui a con-
sacré hier à la musicjue belge (p. Lebrun, J. J.i.-oh, ['. Servais,
E. Mathieu el A. SiadlVll) smi dciixiènie cnn -i-rl. se |irii|in-e
d'ouvrir la saison procli;iiiii' par un t'es iv.il Vnieent d'Imiy. snns
la direction de l'auteur. Il fi'iiil entendre Wullfuslivi, \.\Sijiii-
(1) A la répétition générale, les musiciens s'esquivèrent avant
l'heure.
plionie pour orchestre et piano, le Lied pour
orchestre el un tableau du Chant de la Cloche.
violoncelle et
A PROPOS DU Canard sauvage. — Voici comment Ibsen donne
lui-même le secret de son art étrange : « Vivre, c'est combattre
avec les êtres fantastiques qui naissent dans les chambres
secrètes de notre âme et de notre cerveau ».
On sait comment l' Indépendance s'efforce de maltraiter l'art
jeune. Tout nouveau-venu dans l'art est pour elle un monstre.
Régulièrement, il est vrai, l'événement démontre à celte vieille
prophétpsse ce que valent ses pronostics.
Mais ce qui est curieux, c'est qu'elle-même conteste invariable-
ment, en termes émus, l'injustice des anathèmes imbéciles qui
accueillent les apparences de neuf.
En voici encore un exemple emprunté à ses colonnes :
« Un souvenir curieux à propos du grand poète américain Walt
Whitman, dont nous avons annoncé hier la mort
Delà première édition Ac Leaves of Grass, œuvre dont la
puissante originalité est aujourd'hui universellement reconnue,
pas un seul exemplaire ne se vendit. Les journaux en parlèrent,
mais en des termes si méprisants qu'ils en dégoûtèrent le public
acheteur. Seul le grand écrivain Emerson, auquel l'auteur avait
envoyé un exemplaire, en comprit immédiatement la beauté et
écrivit à Walt Whitman une lettre déclarant qu'il n'avait jamais lu
d'aussi incomparables choses écrites de façon aussi incomparable,
et prédisant, pour terminer, au poète : « un illustre avenir ».
Mais c'est ta propre histoire, ô Indépendance ingénue, que lu
nous racontes là! Cela va l'arriver pour Ibsen, Maeterlinck,
Seurat, et vingt autres.
M. Maurice Desombiaux a donné dernièrement au Cercle artis-
tique et littéraire de Gand une conférence sur les Lettres belges
contemporaines.
Après avoir fait le bilan des sottises, largement rétribuées, de
nos bardes officiels, el constaté l'indigence et la méchanceté de la
critique des pontifes de la presse quotidienne, le conférencier a,
par des exemples tirés de prosateurs et de poètes de la généra-
lion nouvelle, montré le caractère exclusivement national des
écrivains belges.
il a fait l'historique de ce magnifique mouvement littéraire qui
s'est produit chez nous depuis quelques années el montré les
résultats déjà glorieux de celte renaissance. Ce n'a pas été sans
un certain éionnement que le public du Cercle artistique et litté-
raire (le Gand a entendu parler de nos jeunes artistes, lui que
M, Frédérix enirelenait récemment de Georges Sand !
Les journaux gantois constatent le succès obtenu par M. Maurice
Desombiaux.
Nous félicitons le conférencier d'avoir porté la bonne parole
dans celle ville qui n'a jamais eu l'air de se douter de l'existence
d'artistes lels que MM. Maurice Maeterlinck el Charles Van Ler-
berghe, des Gantois.
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2 heures, M. H. Pergameni : Les Français au Tonkin; à
3 heures, M"'^ A. Chaplin : Modem writers. — 12 avril,
à 2 heures, M. E. Verhaeren : Gustave Moreau. Résumé du
cours. — 13 avril, à 2 heures, M. H. Pergameni : La Société au
XVIII" siècle. — 14 avril, à 2 heures, M. H. Lonchay ; Résumé
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Faits et débats judiciaires. -^ ghKiriapnuIenee.
— Bibliographie. — LégislaUoii. — Notariat.
Dixième année.
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Administration et rédaction : Rue des Minimes, 10, Bruxellet.
Bruxelles. — Imp. V« Monhom, 32, rue de l'Industrie.
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Douzième année. — N" 16.
Le numéro : 25 c^-ntimes.
Dimanche 17 Avril 1892.
/^.
L'ART MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Comité de rédaction i Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, un an. fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00 —ANNONCES ; On traite à forfait.
Adresser toutes les communications à
l'administration générale de TArt Moderne, rue de rindustrie, 32, Bruxelles.
POMMAIRE
Cycle patibulairk, par Georges Eekhoud. - — Exposition de cin-
quante chefs-d'œuvre belges. — Collection Van Branteghem. —
Emile Garbet. — Dames de Volupté, par Camille Lemonnier. —
Accusés de réception. — Au Conservatoire. — Au Conservatoire
DE Gand. — Nouveaux concerts liégeois. — A Namur. Erposition
Th. Baron. — Bibliographie musicale. — Petite chronique.
Cycle patibulaire
PAR Georges EEKHOUD
Dans l'œuvre, déjà si considérable, de Georges
Eekhoud, ce dernier livre : Cycle patibulaire, appa-
raît le plus passionnel.
Deux éléments essentiels caractérisent l'art d'Eek-
houd : une nostalgie intense et angoissée de sa terre
patriale et un amour ardent des humbles et des parias.
Sa terre patriale, c'est une plaine fruste du pays cam-
pinois et du pays des polders. Elle apparaît avec ses
landes, ses bois mystiques de sapins, ses pacages bour-
beux, ses garigues, ses sablons tachés de genêts d'or,
ses nappes de bruyères vineuses, avec ses- villages
pauvres et sauvages et ses marais aux tragiques ves-
prées.. Une sorte de pays maudit et désolé, où l'on ne
rencontre jamais de prairies aux gras tapis tachés de
fleurs et plantés de rouges pommiers, et où les moulins
à vent juchés sur les sables semblent broyer l'âpre et
noire malchance de la contrée.
Ses humbles, ses parias, ce sont d'abord les paysans
de ces pays, lès patauds sans urbanité, les ruraux
pétris de ces terres avares et de ces sablons mélanco-
liques, et leurs femmes, leurs compagnes de charroi :
des « trayeuses sans préjugé »>. Puis, c'est toute la race
de ces « las-d'aller » déjà célébrés en un «onte des
Nouvelles Kermesses, les pensionnaires d'Hoogstraeten
et de Merxplas, les va-nu-pieds des routes avec leurs
" beaux yeux de violateurs et de vagabonds, des yeux
fugaces et chatoyants comme le vent, l'onde et les
nuages, de ces yeux où se mire la poésie héroïque des
grands chemins ».
Dans le nouveau livre, cet amour d'une région natale
fait jeter à l'écrivain des cris fervents d'angoisse : « S'il
n'existe point de mal comparable à la nostalgie, qu'on
se représente ce supplice : endurer l'exil dans son propre
pays. Cette peine, que ne connaîtront jamais les incon-
scients bâtards et les papillons cosmopolites, ronge et
dévore, comme une consomption morale, beaucoup
d'altières et nobles âmes, seuls enfants légitimes de la
patrie -.
Et plus loin la voilà dite encore en beau lyrisme, cette
passion maîtresse et d'une pureté si cordiale : "■ ... 0! le
trop ineffable moment où l'odeur des brûlés me surprit,
y
apportée par la brise matinale! Je dus ni'arrèter. ma
respiration s'embarrassait, je chancelai éperdu, enivré,
oui, litéralement saoul. Et plus je liumais l'incompa-
rable arôme, plus ma poitrine se gonflait, plus mes
oreilles bourdonnaient, plus je me sentais défaillir.
M'étant engagé dans le premier bois de sapins, ce fut
une autre béatitude. Je tombai iKgenoux comme ;i
l'église, je remerciai Dieu à haute voix* — j'ai dû crier
comme un fou — de m'avoir accordé cette gn\ce sans
pareille : retrouver mon beau pays. Et le rouge soleil
levant parut s'avancer vers moi pour me commu-
nier!. . "
Ces phrases sont d'une charmante idylle : Commu-
nion nostalgique. Mais la Campine est contée plus
véhémentement. Le Jardin — cette histoire, haute en
ton, d'un amour robuste et calme, éclos comme une
plante maraîchère, sainement germée dans les plates-
bandes d'un Mes de village, et charnellement épanouie,
sans heurt, sans secousse — est, lui, une idylle aussi,
une idylle rouge, d'un rouge brutal, peut-être, mais qui
amène la paix et qui est comme cet amour même là
conté : « Qui me définira ta beauté copieuse et tes
charmes si bien ordonnés, jardin élu des rêves? Du
jour où tu connus le jeu d'amour, mon aimée, tu le
jouas avec la conscience que tu apportais à ce beau tra-
vail profitable, aux fonctions saines et rémunératrices
de la vie rurale ». Et Partialité est une nouvelle
inquiète, remplie d'un malaise morbide, où sourd un
feu étrange, attisé par le souffle " des faces mystérieuses,
délicieusement énigmatiques, des braves bagaudes cam-
pinois, de ces faux apathiques, aux félins et inquiétants
sourires, aux poses languides, aux lents regards
capons », et aussi par un ciel d'orage, à « l'horizon
plombé, opaque tout d'une teinte, traversé d'obliques
éclairs et de fallacieux coups de soleil ! . . "
Mais où la passion brûlante de l'artiste s'exacerbe et
s'irrite, c'est lorsqu'il fait surgir dans des décors frustes
les dépenaillés de la vie, les irréguliers, les pas-de-
chance. Alors son amour des humbles ouvre de grandes
ailes de douleur, de miséricorde, de grandes ailes qui
se tordent et qui saignent dans un ciel « patibulaire ".
Il reporte son ardente sympathie pour sa glèbe rèche,
mélancolique et sauvage sur ces. parias, qui eux aussi,
comme le pays des garigues, sont râpés, eff'arés, souf-
frants et dont " les teints basanés sont ragoûtants
comme le pain de seigle ". De même qu'il a exalté sa
terre, ainsi il magnifie les souffre-douleur, et comme il
regrette les landes où croissent les genêts avares, il
professe une sorte de nostalgie du grabat des humbles
et des soupentes de tapis-franc.
Ces misérables, ces anonymes des prisons et des
pénitenciers, Eekhoud les fait se dresser pantelants
d'une vie hors la loi, haletants de révolte, ces sombres
corvéables de l'existence, qui sont comme les fauves de
riiunuinité, oui, des fauves, tels sont Ici^ principaux
acteurs de ce.«^ nouvelles fulgurantes. Ils ont les yeux
câlins ou furieux des bêtes de proie, leur souplesse, leur
soif de liberté et d'air, leur grâce primitive et leur agilo
élégance. C'est tels que d'un doigté fervent l'artiste
modèle leurs corps lurons, et c'est ainsi qu'il les analyse :
" Je goûte les plis et la patine dont les guenilles bou-
canent ton corps; elles lui font un fauve et croustilleux
pelage, leur couleur saurette s'harmonise avec ta per-
sonne errante et galopée, ces haillons sont trop impré-
gnés de toi pour que j'en évite le frôlement et que je
répugne à leur fumet sauvage! Mais écarte pour cette
fois l'inséparable et plastique défroque, car d'autant
plus douce à ton égard que tu as été flétrie et foulée, ô
victime, je veux oindre à mes papilles les meurtrissures
des menottes, des pouçettes, des ceps et des camisoles
de force que t'infligèrent les policiers et la chiourme ; te
venger, à force de samaritaines caresses, de leurs
infâmes et outrageantes mensurations, du joug abomi-
nable de la toise, do leurs attouchements cyniques et
glacés, de leurs rudes et crispantes manipulations ; épe-
1er aux accidents de ta chair les tatouages, hiéroglyphes
de tes stupres, et les déclarations, plus eff'rénées encore,
dont te lardèrent, à coups de couteau, des partenaires
exigeants et jaloux!. . Viens, je serai ta femelle expia-
toire, ton instrument de représailles, ton amour rédemp-
teur, ton extrême-onction ! «
Dans les dernières nouvelles du livre : Croix proces-
sionnaires,le Moulin- Horloge, Blanchelive... Blan-
chelivette, le Quadrille du Lancier, la chair du gibier
des geôles et des pénitenciers, la viande des gueux est
ainsi prônée en une sorte de panthéisme bizarre, vio-
lent, acide, pétant de picrate, strié d'éclairs troublants
et suffoquants; et l'artiste, nerveusement, d'un doigt de
feu, touclfe au fond de ces âmes à la dérive et décrit
magnifiquement, d'une envolée diabolique, les amours
étranges et équivoques de ces colonies de mendiants et
de frelampiers : " L'atmosphère y régnait plus suffo-
quante que l'ozone et plus délétère que la mofette. De
livides désirs crépitaient à fleur de peau comme les feux
follets sur la tourbière. Ici, le feu de l'enfer prévalait
contre le feu du ciel, car nulle part ailleurs les sala-
mandres des ardeurs maudites et des lacs asphaltides ne
se traînaient et se mêlaient avec autant d'effronterie... ••
Alors une pitié sublime saisit le poète pour toutes cos
ardeurs de la chair; les souff'rances et les tortures do
ces héros des routes, des ruisseaux, des banlieues, des
cellules flagellent son propre cœur. Le Moulin-Horloge ,
« broyant aux infâmes le pain de l'expiation » le poigne
par sa damnation, l'enivre par sa dissolvante atmo-
sphère : " Depuis ma confrontation avec ce mirifique
phénomène du moulin-horloge, mon pain a contracté
une amertume indélébile •>. Et enfin, l'épique dénoue-
ment du Quadrille du Lancier achève cette apothéose
■f^^,-. '^ wjjsgf î^^g);"
L'ART MODERNE
123
d'un panthéisme de la chair, par quelques pages, certes,
malgré leur infernale audace, aussi pures que le mar-
tyre d'un saint Sébastien signé d'un nom gothique. La
beauté sereine — voire surhumaine — de la mort de cet
éphèbe nu devenu la proie de harpies de banlieue, clôt
le livre par un signe de croix étrange, par une sorte de
crucifiement rédempteur à la fois et damné. C'est l'art,
en sa toute-puissance, en sa sublime générosité, relevant
un ange déchu et le protégeant par la blanche excuse
de sa magie, qui fait surgir des chairs les plus coupables
et les plus maudites des rayons de lumière. C'est la Chair
faite Verbe, et le Verbe transfigure, sanctifie et épure.
C'est la Poésie qui sème dans les champs proscrits et
morbides et en recueille d'indicibles et précieuses mois-i
sons.
Exposition de cinquante chefs-d'œuvre belges.
Nous avons reçu, à propos de notre article sur l'Agiotage artis-
tic/ue (1), plusieurs lettres de collectionneurs et d'artistes, qui, tous,
approuvent nos conclusions et nous demandent instamment de donner
suite à l'idée que nous avons émise au sujet d'une exposition publique
de Cinquante chefs-d'œuvre d'artistes belges. Plusieurs collection-
neurs ont mis à notre disposition les tableaux qu'ils possèdent. Nous
remercions nos correspondants et publions la plus intéressante des
communications qui nous ont été adressées.
Monsieur le Dircclcur de l'Art moderne,
Excellente idée que celle émise dans votre dernier numéro :
Une exposition de cinquante chefs-d'œuvre d'artistes belges con-
temporains, faisant pendant h cdlc des cinquante chefs-d'œuvre
d'artistes français, dont vraiment l'inlenlion dénigranlc à l'égard
de nos compatriotes est trop visible, qu'cUesoilconsciente ou non.
— ~V"OttS"UVPZ"Pais(Mi do-diro qu'il importe de couper court tout de
suite à une manœuvre qui semble destinée h conlinuer le système
si fâcheux et si injuste pour noire art national, qu'avait inauguré
Arthur Slevens, sans en comprendre les effets funestes. On peut
dire qu'il à, par sa manie de ne trouver bons que les peintres
français qu'il avait si intelligemmMl découverts, en y ajoutant à
peine quelques noms de chez nouH ralenti notre art, fait dévoyer
la bonne volonté des amateurs cl découragé de grands artistes qui
eussent été plus admirables encore s'ils n'avaient scnli le poids
du dédain et de l'oubli qui furent ainsi suscités.
Je crois pouvoir dire que vous serez assuré des sympathies et
du concours de toute notre école de peinture, si variée^ si coura-
geuse, si brillante, et de nos amateurs éclairés (qui ne se laissent
plus endoctriner par le boniment de marchands ou de faiseurs)
dans la campagne qui écrasera dans l'œuf la nouvelle tentative
(|ui paraît se préparer. Il y aura, il faudra qu'il y ait une violente
poussée pour mettre dehors et faire taire les malins ou les envieux
(|iii voudraient continuer ces traditions déplorables.
Le point de départ doit être colle exposition des cinquante
. ilicfs-d'œuvre belges. Que M. Saiut-Cyr qui a inslalh; une salle
dont la lumière en fait assurément la meilleure de Bruxelles, s'en-
lendc avec vôIre collaborateur, M. Oclavc Maus, qui a des quali-
ii's très remarquées d'organisateur. Que pourélablir le parallèle
(1) Voir notre dernier numéro.
dans des conditions de parfaite égalité, on s'arrête au même
nombre d'œuvres d'un même nombre d'arlislcs, de mêmes dinnen-
sions autant que possible. Je ne doute pas que la comparaison
montrera que notre école contemporaine vaut n'importe quelle
autre et qu'elle contient des originalités qui tueront le stupide
préjugé que nos meilleurs peintres n'auraient élé que des imita-
teurs lourds et maladroits de leurs contemporains français.
Soyez assuré que les deux organisateurs recevront des ama-
teurs et des artistes le meilleur accueil. Mais hâtez-vous, car les
vacances et les élections sont proches. Je serais fort étonné si
cette manifestation n'avait pas le plus grand succès et le plus salu-
taire effet. N'est-il pas monstrueux que, grâce aux malices des mar-
chands et de leurs affidés, n'imporlc quel tableau de la série res-
treinte à laquelle s'appliquent leurs manœuvres de hausse,
atteigne des prix souvent ridiculement exorbitants, tandis que
des toiles d'une égale valeur artistique sont cotéesà des prix misé-
rables, uniquement parce que ces messieurs ne les ont pas
admises sur leur liste.
Arthur Slevens est mort. Il faut qu'il n'ait pas de successeur.
Gare à celui qui s'avisera de recommencer son jeu. Si on s'est tu
longtemps, désormais on criera très fort.
Bruxelles, le 16 avril 1892,
Un de vos ABONNÉS.
Le Soir, qui a bien voulu reproduire, avec une glose approba-
tive, la plus grande partie de notre article, ajoute à son commen-
taire celle réflexion :
« Dans les expositions — de même que dans les concerts, en
matière musicale, — on a trop souvent, aux dépens de l'art belge,
déclaré chefs-d'œuvre et génies des œuvres et des artistes étran-
gers parfaitement médiocres, voire inconnus dans leur propre
pays. Nous voulons parler notamment des XX qui, à côté de
grands services, en ont rendu quelques mauvais à cet égard.
Espérons qu'ils vont être les premiers à réagir contre cet entraî-
nement, si éloquemmenl flétri par VA ri moderne. » ' 4,
Il serait injuste de considérer les XX comme les promoteurs
d'un mouvement étranger, opposé aux intérêts artistiques des
peintres et des musiciens belges. Qu'on veuille bien parcourir la
liste des artistes qui ont, soit comme membres.de l'association,
soit comme invités, collaboré, depuis l'origine, aux Salons ving-
listes. On y verra figurer, en nombre à peu près égal, d'une part,
des artistes nationaux, d'autre part, les Français, les Anglais, les^
Hollandais, etc., qui ont donné aux expositions leur caractère
spécial et leur originalité, le but des XX ayant toujours élé d'i'nt-
lier le public à l'évolution de l'Art jeune dans tous les pays.
Les peintres, sculpteurs et graveurs belges qui ont exposé aux
XX, et dont plusieurs doivent à cette circonslanco leur noloriété,
sont : L. Arlan, A. et E. Boch, A. Chainaye, F. Charlet,G. Char-
lic^, A. Danse, H. De Braekelecr, H. De Groux, i. Delviii, P. De
Vigne, L.-H. Dcvillcz, P. Du Bois, J. Ensor, A.-W. Finch, Ch.
Goethais, Ch. Herinans, A.-J. lioymans, F. Khnoplf, J. Lambeaux,
G. Lemmen, L. Le Nain, X. Mellcry, G. Minnc, G. Meunier, l\.
Picard, F. Rops, W. Sclilobacli, F. Simons, E. Smits, L. Spec-
kaert, J. Slobbaerts, F. Ter Linden, G. Vanaise, Ch. V;ui der
Stappen, H. Van de Velde, Th. Van Ryssclberghc, G.-S7 Van
Strydortck.A. Vcrhaeren, P. Verhacrt, Th. Verslracle, l. Verhcy-
ccn, G. Vogels, R. Wylsman.
El qu'on veuille bien se rappeler aussi que si les Concerts des
-YA' ont fait connaître h Bruxelles les compositions les plus
^
remarquables de la jouiic école do musique française, de la jeune
école russe, etc., bon nombre de musiciens belges ont figuré sur
les programmes de ces auditions de choix avec des œuvres iné-
dites ou inconnues. Citons notamment P. Benoit, J. Blockx,
A. De Greef, A. Dupont, P. Gilson, G. Huberti, L Jnurel, G. cl
L. Kèfer, G. Lckeu, E. Mathieu, Franz Servais, L. Soubre, etc.
Le reproche du Soir ne nous paraît donc pas justifié. Souhai-
tons qu'il veuille le reconnaître. .
Collection Van Branteghem
Jeudi a eu lieu au Musée des Echanges et d'Art décoratif l'ou-
verture de l'exposilion de celle superbe collection.
Un nombreux public d'arlislcs et de lollrés y assistait et cela a
été une vraie fête d'art.
L'avis unanime de tous les artistes était qu'on ne pouvait laisser
sortir de la Belgique une aussi précieuse réunion d'objets rares
, cl môme uniques : vases grecs, coupes, statuettes de Tanagra, etc.
C'est réellement merveilleux et, en ce genre, c'est peut-être la
plus exquise collection qui soit au monde. Nous lui consiicrerons
un article dimanche prochain.
M. Van Branteghem — un savant doublé d'un artiste des plus
délicats — a expliqué, avec un bel enthousiasme d'helléniste
curieux, loules les braulés de sa collection à ses invités.
Une chose s'impose, évidemment : l'Etat doit acquérir celle
collection. Nous attirons sur elle l'attention du minislrc des
Beaux-Arts. Ce-serail un vrai crime de la laisser se disperser au
feu des enchères, chez Drouol. N'oublions pas qu'elle a été réunie
, par un Belge et les efforts inouïs qui ont été faits pour réunir
tant d'œuvres magnifiques, malgré la concurrence redoutable des
grands musées de l'étranger.
L'exposition durera trois semaines.
EMILE GARBET
L'exposition des « cinquante chefs-d'œuvre de l'école fran-
çaise » (voir notre numéro du 10 avril) a ramené l'attention sur un
nom mystérieux de l'arl français : Emile Garbet.
On ne connaît généralement de lui que la Fête d'une commune
près Paris, appartenant à M. Goothals, petit chef-d'œuvre vrai-
ment digne du pinceau d'un maître hollandais cl en même temps
très caractéristique du temps oi!i il a été peint. El aussi générale-
ment on ne sait rien de sa vie ni de sa personnalité.
En 4890, M. A. Bouvenne a publié dans l'Ar liste une élude
sur Garbet, et dès lors quelque lumière s'est faite autour du nom
de ce peintre.
La Fête d'une'commune près Paris a figuré au Salon de 1837.
Puis elle réapparut en 1883 à « l'Exposition des cent chefs-
d'œuvre » ouverte en la galerie de la rue de Sèze. M. Paul
Mantz signala alors dans le Temps la haute valeur de cette toile et
l'obscurité complète qui existait autour de son auteur.
M. Bouvenne est parvenu à retrouver, quelques anciens amis et
parents de Garbet et à reconstituer quelque peu l'hisloire de sa
vie. Le peintre Charles Jacque, entr'autrcs, a dit à M. Bouvenne :
« Garbet était un homme timide, peu commuuicatif, bien élevé;
j'ai vu de lui de nombreux croquis : plusieurs scènes intimes de
sa jeunesse y étaient retracées en forme de souvenirs de prome-
nades dans les bois, dé repas en léte à léte, etc. Garbol faisait
beaucoup de petits croquis îi la plume, au crayon, souvent
rehaussés d'aquarelle ou de peinture à l'huile; il p;ir;iissail
affectionner particulièrement les scènes populaires, qu'il reiidail
en véritable artiste, en doux philosophe. Ces petits croquis, qui
ne mesuraient parfois pas plus d'un centimètre, étaient accompa-
gnés d'observations tristes ou comiques. L'artiste les vendait soii-
veni pour un prix fort minime ».
M. Bouvenne nous apprend aussi que les dispositions de
Garbet, jeune, lo portaient vers la peinture. Mais le manque de
fortune l'obligea bieniôl h renoncer à se livrer exclusivement it
sesgoitts artistiques. Profilant d'un véritable talent de calligraphc
qu'il possédait, il fit, pour vivre cl pour faire vivre sa mère, avec
laquelle il habitait, des copies d'actes.
Il continua néanmoins à peindre pendant ses loisirs. Il travailla
dans l'atelier de Boulon, un peintre d'intérieurs. Là, il s'essaya à
bien des genres: liihograpliie, dessins pour boîtes à bonbons
illustrées; il fit, à l'usage des confiseurs, des vignettes pour les
« papillotes « qui, k cette époque, étaient b la mode et renfer-
maient, en même temps que des dessins, des vers empruntés aux
poètes les plus en renom : Lamartine, Victor Hugo, Alfred de
Musset, etc. Quelques petites gravures à l'oau-forte et au fusain,
signées d"Emilc Garbet et qui se trouvent à la Bibliothèque natio-
nale, datent du même temps; ce sont les portraits de Louis-Phi-
lippe, du duc d'Orléans, du duc de Nemours et du prince de
Joinville. M. Bouvenne les décrit dans l'ArtiUe, ainsi qu'une
eau-forte : Le Bossu patriote, qui a pour légende :
Si l'on menaçait la France,
Je le jure, foi de bossu.
Je combattrais pour sa défense.
L'ennemi ne verrait pas mon c...
Mais Garbet redevint malheureux. Il avait obtenu un emploi de
huit cents francs à la Compagnie des ponts d'Asnières et d'Argen-
teuil.
Des changements dans l'administration le firent congédier.
Lors de la Révolution de 1848, on croit que Garbet quitta la
France. On l'y a revu en 1871. C'est tout ce qu'on sait de lui. On
ignore s'il est mort el Où il serait mort.
Son œuvre?
En 1833 les auteurs de V Examen critique du Salon, Ancl et
Triaven, font l'éloge d'une Fue d'un parc de Garbet « où l'on
remarque des effets de lumière et d'ombre bien accusés ».
Dans le catalogue d'une exposition qui eut lieu à Douai,
en 1835, on trouve la description d'Une Chaumière, « remar-
quable par sa composition simple el originale, par une grande
lumiènc répandue partout sans nuire à leffel général ».
Au Salon de 1836, Garbet obtint une médaille d'argent avec
un Déjeuner d'enfants. L'année suivante il exposa deux tableaux.
On ne le retrouve qu'au Salon de 1846 avec le Carnaval, En
somme, Garbel exposa dix tableaux aux Salons de Paris, de 183S
à 1847. Détail curieux : ce Carnaval dont Th. Thoré, critique
partial, disait : « Il est |icinl en mosaïque », servit d'enseigne ii
un cabaret rue du Faubourg du Temple, n" '25 : A la descente de
la Courtille: Ensuite, il servit d'enseigne à un cabaret de la place
Mauberi. On a perdu ses traces.
Les œuvres qui restent d'Emile Garbel? D'abord cette superbe
Fête d'une commune près Paris. M. Goethals possède en outre un
petit tableau représentant des cavaliers, el, croyons-nous, La
Musique, exposée en 1835. M. Lambert a dans ses collections uii
petit tableau représentant. Emile Garbel peignant d'après nature à
VART MODERNE
125
Montmartre; chez M. Jules Devaux se trouve une magnifique
esquisse d'une vue des Champs-Elysées vers 183S; chez M. le
marquis de Chennevières, une aquarelle où le peintre s'est repré-
senté lui-même devant son thevalet ; chez M. Achard, une aqua-
relle qu'on dit fort intércssanle.
Où sont les autres tableaux? Peut-être détruits! En tout cas,
M. Bouvenne a démontré pourquoi ce grand artiste a produit si
peu : c'est la misère qui a empoché l'essor de ce sérieux talent.
Dames de Volupté, par Camille Lemonnier.
Albert Savine, éditeur.
Nous ne faisons aujourd'hui que signaler l'apparition de ce
beau volume, haut en couleur et en lyrisme, — recueil de nou-
velles dont quelques-unes : A la pension, le Corps du Christ,
ont été lues aux XX par M"« Marguerite Rolland.
On se rappelle ce sombre et fanatique Corps du Christ, qui
donne une si profonde impression du Vendredi-Saint chez des
rustres, et qui louche aux fibres les plus cachées de l'âme rusti-
que et dévote des manants. Cette superbe nouvelle, sobre à la
fois et puissante, requiert par sa dramatique couleur — une cou-
leur à la Charles De Groux — et par sa pensée poignante. C'est
comme une synthèse passionnelle de la foi farouche des cam-
pagnards. El, dans .cette noie, le Gâteau des âmes, noir d'étrange
superstiiion, ouvre aussi sur les âmes des champs des portes
ignorées par où sort le vent ténébreux des croyances et des sau-
vages .préjugés.
A côté de ces morceaux, d'autres ; ainsi la Belle Impéria,
font surgir, en un style chatoyant et impérial, de florentines et
païennes visions, tandis que les Trois Rois offrent un pittores-
que et légendaire tableau, croustillant et saurct de ton comme un
tableau de vieux Flamand, d'une originalité puissante, prime-
sautière et imprévue. Cela fait songer à un allégorique Jordaens
dans lequel des gueux de grand'routes joueraient naïvement le
mystère de la Sainte-Nativité. C'est là un maître conte.
Mais nous n'insisterons pas sur ces œuvres mainlenani, car
nous publierons prochainement, à l'occasion de l'apparition im-
minente de la Fin des Bourgeois, utie étude complète sur les
plus récentes publications de notre grand compalriote.
Vient de paraître, chez A. Lamerre, la traduction du Faust de
Gœthe (première et deuxième parties), par .M. Camille Benoît à
qui nous devions déjà les Souvenirs de R. Wagner et les extraits
d'ouvrages théoriques du même maître publiés sous le titre de
Musiciens, poètes et philosophes. Cette traduction de l'œuvre
capitale de Gœthe, à laquelle M. Benoît a travaillé de longues
années, est ccriainomeni, de celles parues jusqu'ici, celle qui
serre de plus près le texte et en illumine le plus avant les
étranges profondeurs. Toute pénétrée du souffle mystérieux de ce
vaste poème, d'une langue à la fois riche et sobre, dont la
fermeté sait toujours se plier aux mille sub'.ilités de l'original, la
version de M. Camille Benoît s'impose à l'atlenlion des lettrés et
des artistes parmi lesquels elle éveillera, par sa haute saveur, le
plus vif intérêt. Ajoutons que cette traduction est précédée d'une
très spirituelle préface de M. Anatole France.
«AcCUpÉg DE RÉCEPTION
Daisy, par Max Wai.i.er (Bruxelles, Lacomblez). — L'anar-
chie littéraire, par Anatole Baju (Paris, L. Vanicr). — Cyilc
patibulaire, par Georges Eekhoud (Bruxelles, Kistemaeckers).
AU CONSERVATOIRE
Troisième concert.
Raff, Berlioz et Wagner faisaient les frais du dernier concert du
Conservatoire, — Raff avec sa filandreuse symphonie /'fi"/^, dont la
première pariie seule présente quelque attrait, dont les trois aulics
sont mortellement longues et d'intérêt nul, Berlioz avec la
deuxième partie de l'Enfance du C/uw/, Wagner avec la Siegfried-
Idyll, avec les ouvertures des Maîtres-Chanteurs et de Tann-
hâuser. Programme copieux, on le voit, et varié. Exécution
remarquable, bien que M. Gévaerl conduise un peu froidement les
œuvres de Wagner. Nous excepterons l'ouverture de Tannhâuser,
k laquelle l'orchestre a donné, snussa direction, une ampleur, un
coloris, une magnificence extraordinaires. Des frissons d'enlhou-
siasme avaient mis en communication les interprètes et les audi-
teurs. Et le dernier accord du Chant des Pèlerins n'avait pus
retenti, que déjà toute la salle acclamait d'une voix unanime
l'orchestre et son cht f.
C'a élé la grande, la profonde impression du concert, don! le
fragment de la trilogie sacrée de Berlioz avait donné la note
intime et recueillie. La simplicité archaïque du prélude instru-
mental, le caractère religieux du chœur, le dessin naïf du récit
ont été particulièrement goûtés. Cette Fuite en Egypte a les déli-
catesses et les grâces primitives de telles compositions de J.-S.
Bach. Elle est, dans l'œuvre tourmenté de Berlioz, d'un charme
inattendu et révèle, à côté du symphoniste et du musicien drama-
tique, un écrivain sacré sinon très pénétré, du moins épris de
mysticité et trouvant un plaisir d'artiste à en réaliser l'expression.
M. Cheyral, le jeune ténor qui débuia aux XX dans le Chant de
la Cloche de Vincent d'Indy, a chanté avec goût et d'une jolie voix
le rôle du ténor.
AU CONSERVATOIRE DE G AND
{Correspondance particulière de l'Art moderne.)
L'n concert consacré entièrement à des œuvres d'auteurs
belges, cela se voit rarement... en Belgique. Le Conservatoire de
Gand en a tenté l'aventure, et, ma foi, s'en est très bien trouvé.
Le programme de son dernier concert ne portail que des œuvres
de nos compositeurs; et, — de laveu des nombreux auditeurs
entassés dans le long et étroit grenier qui, à Gand, sert de
salle (?!) de concert pour une institution de l'Etal, — celte séance
a élé l'une des plus brillaiiles et des mieux réussies données dans
cet étrange local.
Très applaudie, une symphonie de Paul Lebrun, récemment
couronnée par l'Académie de Belgique et surtout remarquable
par de solides qualités de facture et une instrumentation très
colorée, 1res vivante, bien qu'un peu massive. Succès marqué
pour de gracieux el piquants fragments du ballei Lydia, de Jacob,
le sympathique violoncelliste du Théâtre de la Monnaie el des
Concerts Populaires ; succès de surprise pour l'ouverture
tVHamlel, (l'Alexandre Suullt'i'kl, qui; l'on n'avait jamais cnlen-
<lueà Gand.qni d.iic do plus de quarante ans et qui a semblé écrilo
d'hier, tant elle a encore de fraiclicur, de jeunesse et d'élan.
Mais le grand succès de la soirée a été au F/'Cj/Zii'e d'Emile
Mathieu, dont on a entendu les deux premières parties. On con-
naît à Bruxelles l'œuvre poétique et touclianlc du brillant auteur
de Richilde. A Gand, une exécution irès soignée et très artiste,
conduite d'ailleurs par l'auteur lui-même et préparée par de
minutieuses études préliminaires, en a mis en lumière les fines et
délicates beautés cl l'art du jeune maîlre belge à faire mouvoir
les masses chorales.
MatUjeii, très acclamé, fêlé, rappelé avec un réel enthousiasme,
s'est modestement dérobé aux ovations du public.
Un seul numéro du programme déparait un peu — môme
beaucoup — ce très inléressant concert : le Concerto militaire de
Servais, qui aujourd'hui est de\enu par trop préhistorique, a été
asisez proprement et tranquillement joué par M. Lampcns, un
jeune violoncelliste gantois qu'on dit appelé à recueillir la dan-
gereuse succession du célèbre virtuose-compositeur belge, Jules
Deswerl.
NOUVEAUX CONCERTS LIÉGEOIS
{Correspondance particulière de l'Art moderne.)
Pour son dernier concert annuel, M. Sylvain Dupuis a repris
Wallenstein, la trilogie de Vincent d'Indy (1) et Tod und Ver-
klârung de Richard Strauss (2).
Il a dignement clôturé l'année par de bonnes exécutions de
deux œuvres fortes.
Le grand succès a été pour Wallenstein. M. Vincent d'Indy,
de passage à Liège, se trouvait dans la salle. 11 a été reconnu,
chaleureusement et longuement ovationné.
On souhaitait réentendre l'œuvre vivante, colorée, vigoureuse,
_lrès applaudie déjà à la première audition. Elle est bien person-
nelle, la musique de M. d'Indy, et d'une rare distinction.
Dans Wallensteiii, l'inspiration vibrante, continue, et toujours
soutenue par une forte orchestration, vous empoigne. La descrip-
tion pittoresque du camp de Wallenstein, la délicieuse phrase
d'amour de Max et Thécla, l'intense expression de l'âme tumul-
tueuse du héros sont d'inoubliables pages.
Un pianiste précédé d'une grande réputation, M. Morilz Rosen-
ihal, a joué un concerto en mi mineur de Chopin, la fantaisie sur
Don Juan de Liszt et quantité d'aulres morceaux. Tout cela est
exécuté d'un toucher délicat, avec beaucoup de souplesse.
M. Rosenlhal fait montre d'un mécanisme que l'on qualifie de
vertigineux et qui rappelle des exercices acrobatiques. C'est très
fort, mais aussi très ennuyeux. De la virtuosité, soit, elle est
nécessaire; mais rien que de la virtuosité et plus de musique, c'est
vraiment peu.
^ %
Exposition Th. Baron.
Théodore Baron, un des vétérans de l'Art libre, un des pavsa-
gistes les plus brillants de la pléiade qui amena et facilita l'évolu-
tion contemporaine do la peinture, vient de faire à Namur, où il
(1) Voir l'Art moderne, 1890, n" .5.
(2) Voir l'Art moderne, 1892, n" 3.
s'est retiré depuis (jnelqucs années, une exposition d'œuvres
récentes.
Celle exposition a été fort intéressante et élogieusemonl
appréciée.
Voici le compte rendu' que lui consacre un criti([ue namurois,
M.J. Chalon:
« Th. Baron, professeur à notre Académie de peinture et chef de
la jeune école namuroise, — elle fera parler d'elle, je vous le
promets, — a été pendant quelque temps oublié. Mais il s'est
réveillé, fièrement, il a prouvé une vitalité peu commune et il se
maintient parmi les premiers paysagistes belges.
Le nombre des œuvres exposées, cinquante et davantage,
représentait une énorme somme de travail, dans les genres les
plus divers. Le paysage dominait, ceci va de soi, coupé çà et là
par quelques tableaux d'accessoires ; mais dans le paysage, que
de factures différentes, quelles étapes parcourues, depuis un quart
de siècle !
En première ligne, les paysages pris l'été dernier à llouft'alize.
La petite cascade sur la lisière d'un bois, le ruisseau au premier
plan, le grand rideau des arbres s'élcvant de suite et coupant
l'au delà, c'est une toile de grand maître; les feuillages se détail-
lent en fine dentelle, l'eau calmée après les bouillonnements de la
chute s'approfondit, miroite; les effets de lumière, d'un soleil qui
brille derrière ces grandes branches, caressent les éclaircies de la
futaie; les feuilles des saules s'argentcnt...
Juste en face, une énorme roche noire s'enlève avec une
incroyable vigueur dans un air clair. Les radiations du plein air
se transportent ici par un art réellement merveilleux. Quelle
illusion parfaite de nos grands horizons ardennais, de leurs
lointains bleuâtres, de leurs atmosphères estivales, si transpa-
rentes !
Un marais sous un ciel clair donne cette mémo impression de
plein air. Au bord, quelques vaches, dans le ciel quelques
oiseaux peuplent l'immense plaine, qui s'enfonce, s'étale, loin,
1res loin, jusqu'à l'horizon qui se relève en dunes. Beau,
absolument beau, le maximum du talent.
Une marine, toile de large envergure, ne pourrait guère se
placer que dans une galerie spéciale à cause de ses dimensions,
comme le Vnarais d'ailleurs. Notre mer jaune et sableuse déferle
sur un • brisKklïies ; ciel gris; paysage triste. A noter sur le fond
blanc d'une écuîïteyje bonnet plus blanc d'une ramassouse
d'épaves, et bien à sa place, bien dans l'air.»
La route de Saint-Servais, les collines, le ruisseau, sous une
épaisse couche de neige. Ciel blanc, terrains blancs ; les arbres
gris ou bruns, des maisons rouges, une diligence jaune.
Des pommiers en fleurs — une des plus délicieuses et printa-
nières choses de notre trop souvent maussade Belgique — se
montrent cxciuis, vraiment, et d'une fraîcheur de Ion ravissante.
El je voudrais encore parler d'un autre llouft'alize, des vaches
couchées dans leur écurie, d'une immense toile représentant un
site de n^s environs dans la lumière blonde et la buée bleue du
printemps, d'une grande gerbe de rhrysanlhèmcs — et do dix
autres.
Je n(! saurais cependant décrire tout et donner ici toutes mes
impressions éprouvées dans une triple visite à celle étonnante
exposition. Mais l'art est long et la vie courlc... Je termine comme
j'ai commencé, t\rrt/>rwp/o ».
L'Ahr
MODERNE
127
BIBLIOGRAPHIE MUSICALE
LY-dilt'ur Veuve Muraille, à Mégi;, a f^iit paiailrc la pai'lilion'
réduite pour piano el chant, de Cour d'Ognon, l'amusanle opé-
rclle de M. Sylvain Dupuis sur des paroles de M. Henri Simon,
jouée |)our la première fois au Tlié.'iire du (lymnase en 1888, ei
qui, depuis lors, est deveime populaire en pays wallon.
On lira avec plaisir cette suite de morceaux de belle humeur,
écrits sans aucune prétention par un musicien de talent qui a
assoupli sa plume aux exigences naturalistes du livret.
Petite chroj-iique
l/exposilion d'Anvers- Bruxelles, h laquelle prendront pnrl des
peintres de VAls ik Knn, de VEssor, du Voorwanrls, etc., s'ou-
vrira, comme nous l'avons annoncé, le 30 avril au Musée moderne.
De même qu'au Salon des XX, il y aura, pendant l'exposition,
des conférences el des concerts.
colleclion pendant les huit Jniir-; ijrt'crd.nt la vente chez
M. Dumoiit, ex|)erl, rue l.aHiile, "27.
Nous apprenons avec plaisir que l'Riat vient d'actiuérir, au
prix do 8,000 francs, pour le Musée des Arls décoraHfs, les car-
tons des fresques de Louis Delbeke récemment exposés à la
Galerie moderne. Nous avions, on s'en souvient, vivement préco-
nisé cet achat.
Charles Vander Stappen est sur le point d'achever cette gran-
diose composition d'Ômpdrailles qui est depuis si longtemps sous
les voiles dans son atelier. C'est une œuvre d'une superbe allure,
digne du talent si varié de notre compatriote,
M. Charles Dumercy a fait, le I" avril, an Jeune Barreau anver-
çois, une causerie sur la poésie française à Anvers, depuis Chris-
tophe Plantin jusqu'à nos jours. L'impression qui se dégage de
l'étude qu'il a faite, c'est que, sauf peut-être le sonnet di>'piantin
sur le Bonheur de ce monde, ce n'est qu'en ces derniers temps
que des œuvres vraiment artistes ont été créées dans la métropole
commerciale. Faut-il ajouter que M. Dumercy a donné beaucoup
d'intérêt à sa conférence, coupée de citations et de lectures?
La Libre critique fera paraître le i" mai un second numéro
exceptionnel illustré contenant deux phototypies hors texte de
MM. Fug. Smits et Ev. Larock, et un morceau de musique de
M. F. Agniez. — Rédaction : rue Souveraine, 37, à firuxellcs.
On nous écrit de La Haye (7 avril) .
Une bien remaniuablc soirée d'an a eu lieu hier au cercle
Pulchri Studio l\ La Haye. Cinq tableaux vivants créés par les
peintres Bauer el van der Maarel, d'après des passages de l'his-
toire des Juifs dans l'Ancien-Testament (Rébecca, Samson, Salo-
mon. Moïse, Marloche) d'un ensemble artistique, d'une couleur
admirable, précédés de vers composés pour la circonstance cl.
dits par l'exquis poêle Alb. Vervveij, vers sonores,, profonds cl
subtils, paraphrasanl les versets de la Bible qui servaient de lilre
aux tableaux.
Plusieurs soirées identiques : salle comble, public méfiant,
parfois moqueur, hi'ureusement assez poli en général pour ne pas
manifester trop bruyamment son désappointement devant un
spectacle d'art pur, qui exige une attention suivie et des aptitudes
peu communes.
La salle joliment décorée en style assyrien servait harmonieusc-
menl de cadre à cet ensemble admirable en tous points, el, répé-
tons-le, d'un intérêt artistique de premier ordre.
Signalons aux collectionneurs la belle vente d'eaux-fortes
"anciennes et modernes, d'estampes el de lilhographies, qui auVa
lieu lés 21 et 22 avril à l'hôtel Drouot, à Paris. On peut visiter la
L'Opéra de Paris vient de donner la cinquantième représentation
de Lohengrin, six mois el qnelipies jours après la première
représentation, datant du 1(1 septembre -1891. Pendant ces cin-
quante représentations, le tliéiVre a encaissé près d'un million, h
moyenne de chaque représentai ion étaiu supérieure à 19,000 fr.
Il y a quelques jours, la qiuu'ante-huitièmo donnait une recette de
49,2S0 francs, la plus ibrie cpii ail élé encaissée depuis la nouvelle
direction de .M. Bertrand. C(! succès, le plus grand el le plus suivi
(|u'ait jamais obtenu l'Opéra, expli(|uc bien la résistance acharnée
de certaines personnalités intéressées à empêcher la production
de ce chef-d'œuvre sur la première scène française. Il ne serait
pas impossible (pie prochainement le rôle d'Eisa soit confié à
M""'Melba,si les répétitions de 6'rt/rt»iwWabsorbaientMrrp spécia-
lement M""' Caion. {Guide musical.)
QneUiues prix de la vente Roudillon, ïi Paris, qui a produit
irirj, 800 francs :
Courbet, Marine, 1,700 fr. — I.sabei/, Cérémonie, 2,600 fr. —
Jongkiml,- Canal, 2,205 fr. - Id., Vue, 2,2.^r) fr. — Raffaelli,
Boulevard, 830 fr. — 77t. Rousseau, Forêt, H,000 fr. — A.Sle-
vens. Marine, 1,010 fr. — E. Mei.f.wnier, Dragon, 2,000 fr.
Puis, une suite de quatre tapisseries de Bruxelles du xvrl" siècle,
exécutées d'après David Teniers, 17,000 francs; une belle tapis-
serie, les Marchands de poissons , 14,000 francs; deux tapisseries,
la Bonne aventure, S,600 francs, et le Chasseur, 6,150 francs;
un baromètre en bois sculpté et doré de l'époque de Louis XVf,
-i,000 francs; une pendule Louis XV!, en forme de portique ï>
colonnes, en marbre blanc et marbre noir, 3,300 francs.
Le programme des concerts symphoniques (jue Hans Richter
dirigera àLondres pendant la prochaine season vient de paraître.
Ils seront au nombre de six. Le premier est fixé au 30 mai; le
dernier aura lieu le i juillet. Le premier concert porte la iSj/w/j/io-
nie héroïque, le Kaisermarsch, le prélude et le finale de 2'rislan,
le prélude du troisième acte des Maîtres Chanteurs cl la Che-
vauchée des Walkyries.
Deuxième concert (4 juin) : Première scène du Rheingold,
ouvertures de Faust, de Rienzi et des Maîtres Chanteurs,
Adieux de Wotan el première scène du troisième acte du Cré-
puscule des Dieux.
Troisième concerl (13 juin) : Première symphonie de Brahms,
nuvcriure (ïHusitska de Dvorak, scène de la Reine de Saba de
Goldmarck el Clianl de concours do Walther des Maîtres Chan-
teurs.
Quatrième concerb (20 juin) : Ouverture d'opéra comique de
Snietana; suite de Peer Gi/ni deGrlc^; duo d'amour de la Wal-
kyrie; scène finale du Crépuscule des Dieux; quatrième sym-
phonie de Beethoven.
Cinquième concerl (27 juin): Chant du Destin de Brahms;
finale du premier acte du Parsifnl ; symphonie pastorale de
Beethoven.
Sixième concerl (4 juillet) : Finale du premier acte de Sieg-
fried ; ouverture de Tannhâuser-, Symphonie jantastique de
Berlioz.
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Bruxelles. — Imp. , V Mpn.Ne.M, 32, rue de l'Industrie.
y\
Douzième année. — N" 17.
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 24 Avril 1892.
W^:
L'ART MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTERATURE
(^
Comité de rédaction i Octave MAI , — Edmond PICARD — Émilb VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, uu an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00 —ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser toutes les communications à
l'administration générale de TArt Moderne, rue de Tlndustrie, 32, Bruxelles.
Sommaire
La collection Van Branteghem. — Exposition de cinquante
chefs-d'œuvre belges. — L' » ExcELSioR " d'Amsterdam. — En
VACANCES. — Le Jardin de l'Ame. — Accusés de réception. —
Gyptis. — Expositions courantes. J. Lcempoels. — Concerts
PARISIENS. — Bibliographie musicale. — Petite chronique.
U COLLECTION VAN BRANTEGHEM
Jadis — il y a quelque quarante ans — on savait
peu de la Grèce. On l'envisageait à travers l'histoire de
Rome, et l'Apollon du Belvédère — cette statue dont
Taine s'est si acerbement moqué — semblait le chef-
d'œuvre de l'antiquité sculpturale
Aujourd'hui des lumières nouvelles ont lui. Des temps
lointains se sont éclairés — jusqu'aux époques homé-
riques — et plus loin, bien plus loin encore, dans des
passés qui semblaient avoir sombré entièrement à tra-
vers une nuit éternelle.
On a retrouvé dans des limons séculaires de l'huma-
nité primitive de superbes vases d'or, des bijoux, des
poteries et c'est là qu'on découvre les vraies origines
de l'art grec, qui a grandi, par ces études et ces fouilles,
jusqu'à devenir, sans conteste, l'art le plus pur et le
plus noble qui ait été et, en tout cas, le seul art
antique qui ait compris et aimé la Nature.
Cet amour de la Nature se retrouve dès les œuvres
premières, et nous voyons ici, dans cette collection,
trois vases à décor géométrique, au ix" siècle, qui mon-
trent, par la façon de rendre les plantes et les animaux,
un sentiinent de la réalité très net, et qui, par leur
forme pure et leur dessin harmonieux, contiennent déjà
l'essence même de toute la patrie grecque à une période
qu'on devine encore pastorale.
Plus tard, au vii^ siècle, on trouve bien dans l'art
grec des influences orientales (sirènes assyriennes, arbre
sacré des Assyriens), causées par le commerce des étoffes
que pratiquaient les Phéniciens (ainsi, ce vase repré-
sentant Achille blessé, d'un primitif exquis, évoquant
l'idée de Giotto), mais au fond, c'est l'art grec plus
vivace qui domine l'hiératisme oriental des Assyriens,
des Égyptiens, des Phéniciens, et les Grecs n'ont pas
pris davantage à l'Orient que Rubans, par exemple,
resté essentiellement Flamand, n'a emprunté à l'art
italien.
Car bientôt l'art grec se débarrasse de ces influences
d'Orient, ou plutôt, il les apure au feu sublime de son
génie et il se les approprie : et voyez, dans leur beauté
définitive, les vases atliques de la collection.
Le plus ancien connu est ici. Il date du milieu du
vii^ siècle et son auteur paraît si content de son œuvre
qu'il la signe deux fois : Cest Oikopheles qui m'a fait,
c'est Oikopheles qui m'a peint. Et voici, dans le siècle
qui suit, des potiers de génie, aux beaux noms harnao-
niques : Hermaïos, Skyes, Xenotimos, Hegesiboulos,
Pylon, Timokles, Nicosthenês, Douris, Euphronios,
Hieron, Snykros, Pystoxenos.
Les coupes et les vases sont sublimes de proportions,
de noblesse, de magnifique simplicité. Ce sont bien les
vases conçus par ceux qui édifièrent l'Acropole, et les
scènes qui sont peintes sur les parois de ces amphores
ou de ces lécythes, ont la haute allure des statues du
Parthénon.
Partout la grâce de la forme humaine, l'élégance des
corps nus, de ces corps équilibrés de Grecs athlétiques
formés pour les jeux des Olympiades, sont décrits en
traits rythmiques. Yoilà les guerriers d'Egine, le bou-
clier au poing, voilà les Athéniens au profil de médaille,
et bouclés de cheveux noirs touffus! Voilà les Thé-
baines, au long corps effilé, d'une prodigieuse gracilité,
aux tétons fermes et durs sous leurs robes, dont les
plis sculpturaux enferment leur captivante et aristo-
cratique beauté. Là, des satyres iexultent, dans l'ivresse
de danses couronnées par Eros. Plus loin, sur un
lécythe, voici des scènes funèbres, des pleureuses, des
morts. Dans le fond d'une coupe, signée Douris, Zéphyr
enlève Hyacinthe : et l'enlèvement plane aussi lyrique
qu'une ode de Pindare; Zéphyr est comme un ange
païen, à l'éphébique et idéale beauté, et ses ailes ont la
splendeur de celles qui rayonnent au-dessus des plus
superbes Mètsys ou Memling. Tout près dé là, une
Victoire assise sur un promontoire, attend, une palme
à la main, l'issue d'un combat naval, et toute la gran-
deur de la bataille se reflète sur son visage attentif.
D'Euphronios, une coupe magnifique attire par sa
force et ses lignes sans pareilles : un paysan danse,
d'une danse caractéristique, tournant autour d'un bâton
sur lequel tf s^appuye, tandis qu'un autre, auprès de
lui, joue de la fiùte. On disait un jour à Burne Jones
qu'Euphronios était le Raphaël des potiers grecs. « N'in-
sultez pas Euphronios », dit le grand peintre anglais !
Et vraiment, devant des œuvres aussi belles, on com-
prend de tels enthousiasmes.
"D'Hieron, voici un magistral Titenos enlevé par l'Au-
rore ; voici encore un rare Snykros ; et un vase pan-
athénaïque où l'on voit d'un côté une Minerve — une
Valkyrie grecque — et de l'autre une course de ces
chevaux antiques, — ces pur-sang de l'époque des
Périclès, — aux pattes nerveuses et vibrantes et à la
crinière ras coupée. Ces beaux et grands vases panathé-
naïques servaient de prix aux jeux Olympiques, et
beaucoup de vainqueurs se sont fait ensevelir avec ces
trophées, où leur gloire était racontée.
D'ailleurs, l'art du potier était tenu en haute estime
dans cette Grèce esthétique, qui savait rendre aux
artistes le culte qu'on doit professer envers eux. Les
potiers dédiaient leurs œuvres aux jeunes gens leis plus
nobles et les plus élégants d'Athènes, et on autorisait
ces faiseurs d'amphores, d'hydries et de coupes à doter
l'Acropole de stèles dédicatoires où s'inscrivaient leurs
noms. C'est ainsi que la fameuse statue d'Anthénor fut
donnée par le potier Néarque.
Bien des choses seraient à dire à propos de ces vases,
mais il faut nous borner à signaler encore, à côté des
lécythes, ces exquis vases à fond blanc, uniques, déli-
cats comme ces porcelaines qu'on dénomme «' coquilles
d'œufs » et dont l'un, représentant le Jardin des Hespé-
rides, offre une délicieuse et savante merveille de dessin
— aussi piquante qu'un croquis de Rops ou de Forain-,
A côté de la collection des vases, une magnifique
collection de statuettes de Tanagna. Depuis les six gro-
tesques trouvés à Smyrne et qui ont un peu « la touche »
d'ivoires japonais, jusqu'à cette superbe Niké en peplos
bleu à bordure d'or, quelle gamme délicate et forte ces
statuaires ont fait résonner! N'est-ce pas là, avec tout
son héroïsme et avec toute sa grâce, toute la statuaire
grecque? La priapique idylle que celle de ce Silène et
de cette Nymphe! Le gaillard attire sur son corps nu,
solidement armé, la jeune pucelle, sur le visage de
laquelle s'épand le trouble exquis de l'innocence qui va
s'eff'euiller sous les coups ardents du satyre ! Près d'eux
un Eros adolescent plane, avec cette allure étrange
d'androgyne que les Grecs ont inventée. Là une jeune
fille converse avec une marchande de fruits, et l'on
dirait une petite Vénus de Milo agenouillée. Et voici
une chose charmante : deux jeunes Grecques, assises
sur un de ces sarcophages qui bordaient les grand' -
routes, causent, d'un air d'abandon adorable, l'une sai-
sissante de vie, avecle poing sur la hanche ; c'est exquis
de jeunesse, de poésie printauière, d'imprévu,, et l'on
entend, sous le ciel vibrant de l'Attique, non loin du
fronton d'or des temples, dans le champ peuplé de
statues rayonnant au soleil de gréfnds siècles, — comme
deux fauvettes gazouillant sous des colonnades, — les
deux filles au corps svelte dans leur tunique harmo-
nieuse, parler des guerriers aux casques étincelants ou
des élégants aux lèvres parfumées...
Telle est — et combien avons-nous oublié d'objets! —
cette précieuse et unique collection. Il faut qu'elle ne
sorte pas de la Belgique ! Elle est connue et hautement
appréciée dans tous les pays — et la garder ici, ne
serait-ce pas un élément réalisé en vue de ce rêve :
faire de la Belgique une patrie d'art, au milieu de
l'Europe? Ce serait un crime de laisser s'éparpiller ces
belles et blanches et antiques colombes, attirées, avec
de si grandes peines, chez nous par ce Flamand, habile
oiseleur hellénique, qui s'appelle Van Branteghem.
Exposition de cinquante chefs-d'œuvre de l'École belge (*).
L'avis ci-après vicnl d'élrc communiqué aux journaux :
« Les organisateurs de l'exposition de tableaux au bénéfice de
l'Hospilalilé de Bruxelles, encouragés par le succès, poursuivent
l'œuvre de charité qu'ils ont entreprise. Ils avaient, dès le début,
décidé d'organiser successivement des expositions de cinquante
chefs-d'œuvre de l'école française, de cinquante chefs-d'œuvre
d'artistes décédés ayant appartenu à l'école belge, et ensuite, dans
les limites du possible, de cinquante chefs-d'œuvre des écoles
hollandaise, anglaise, suédoise, etc.
« De môme que pour l'exposition actuelle des chefs-d'œuvre de
l'école française, ils s'efforceront pour les deux autres expositions
de réunir des œuvres d'art non seulement d'un ordre tout à fait
supérieur, mais encore de nature à exciter l'intérêt par leur
caractère, leur origine ou leur rareté.
« Ce sera vers le i" mai que s'ouvrira, en la Galerie moderne,
au bénéfice de l'Hospitalité, la deuxième exposition formée de
cinquante chefs-d'œuvre d'artistes décédés ayant appartenu à
l'école belge. »
L'idée que nous avons émi-^e il y a quinze jours, et qui fut si
favorablement accueillie, est donc adoptée. On jijoule que dès le
début (le début de quoi?) cette exposition était décidée. Celte
petite malice vise évidemment nos réclamations réitérées en
faveur des artistes belges, contre lesquels l'exposition des « cin-
quante chefs-d'œuvre français », venant si étrangement comme
pour faire diversion au sujet de la vente Jules Lequime, paraissait
dirigée. Il est assez singulier que ce projet, arrêté dè«/ede6w/, n'ait
vu le jour qu'après nos deux sommations consécutives, formulées
à huit jours d'intervalle, et qu'aucune mention n'en aitété faite pré-
cédemment ni sur les affiches, ni dans les journaux. Il est étrange
que la série qu'on nous annonce inopinément aujourd'hui n'ait
pas commencé par une exposition nationale. Mais passons. La
seule chose qui importe, c'est que l'exposition ait lieu, et qu'elle
ail lieu sans retard.
Il est acquis désormais, et c'est ce que nous avons tenu à établir,
que l'école belge a le droit d'être trailée avec les mêmes égards que
les écoles étrangères. Il esl acquis que le sol préjugé qui consis-
tait à dénigrer les productions nationales au profit d'une çat(^goric
reslreiiiie de toiles françaises a pris fin. Il csl acquis qu'on ne
verra plus certaines personnalités se donner la triste mission de
dénigrer systémaliquement nos artistes nationaux et de les repré-
senter comme de maladroits imitateurs de l'école française. Nous
en prenons acte, et nous attendons avec confiance le résultat de
l'épreuve.
Mais nous exigeons que pour l'exposition des « cinquante
chefs-d'œuvre belges » le choix soit fait avec discernement et
avec loyauté. Il sérail trop aisé de donner hypocrilemcnl un
croc-cn-jambe à notre école en réunissant cinquante œuvres
médiocres, même signées de noms connus. Tout aussi aisé, d'ail-
leurs, que de composer, avec des Mille!, des Rousseau, des
Courbet, des Troyon de second ordre, une exposition quel-
conque, qui, loin de faire valoir ces maîtres, les éreinicrait.
Il existe dans les collections bruxelloises assez de toiles belges
de valeur pour former une sélection dont l'ensemble ne le cédera
en rien, nous l'affirmons, à un groupement comprenant un même
(1) Voir l'Art Moderne des 10 et 17 avril.
nombre d'œuvres étrangères, dues à un môme nombre d'arlisles
et de dimensions analogues. Déjà, en raison des sollicitations
pressantes dont nous étions l'objet et du silence que gardaient,
malgré nos instances, les organisateurs du Salon des « cinquante
chefs-d'œuvre », nous avions dressé une liste, dans laquelle
seuls les artistes belges décédés avaient pris rang. Nous avions
pointé minutieusement les œuvres, choisies exclusivement dans
les galeries particulières de Bruxelles, en pouSsant le scrupule,
afin de rendre la démonstration irréfutable, jusqu'à aligner, en
nombre égal, un même chiffre de tableaux peints par chacun des
vingt artistes belges dont nous opposions les œuvres aux vingt
artistes français choisis par les organisateurs.
Il faut que l'expérience soit faite dans des conditions d'absolue
égalité, et nous veillerons de près à ce que ce concours, dont
l'importance est considérable, soit strictement impartial. A cet
égard encore, il importe que les commentaires laudatifs dont un
imprésario plein de bonne volonté et de faconde documenlail
assidûment les « cinquante chefs-d'œuvre de l'école française »
trouvent leur équivalent à l'cxpàsilion des « cinquante chefs-
d'œuvre de l'école belge ». On sait le poids de ces appréciations,
adroitement lancées dans le public docile. Arthur Stevens vous
avait une façon de passer devant un tableau belge, avec un coup
de langue, un haussement d'épaules et un regard decAté qui exé-
cutait l'œuvi-e. C'est, en grande partie, grâce au magnétisme de
discours « débités d'une voix profonde, avec des gestes enve-
loppeurs », qu'il a pu, durant trente années, provoquer une
hausse non interrompue sur les productions de tels artistes
qu'il avait pris sous son protectorat. Ce sont les mêmes effets
vocaux qui ont tué chez les collectionneurs le désir d'ac-
quérir des œuvres non cotées à la Bourse des arts, qui ont
propagé le plus injuste parti pris contre toute toile éplose au
soleil des Flandres, qui ont fermé les portes des galeries aux
De Braekeleer, aux De Groux, aux Artan, aux Dubois, aux Bou-
lenger, aux Agneessens, pour n'y laisser pénétrer qu'un cortège,
toujours idenlique, de signatures-banknoles, tarifées comme des
filles, que les déconfitures financières successives font passer de
main en main avec les bijoux et l'argenterie.
Ce temps est révolu, — l'exposition annoncée nous en donne
l'espoir. Arthur Stevens mon, il ne se trouvera personne pour
reprendre sou rôle mi-mondain, mi-commercial. El si quelque
imprudent s'avisait de singer les gestes et la voix du défunt pour
répéter, dans le môme esprit de propagande intéressée, les con-
férences qu'une longue habitude et de réels mérites personnels
avaient fait tolérer chez le « patron », le « stagiaire » serait
promplemenl remis au pas et énergiquemenl rappelé à l'ordre.
Jj'« '^XCELplOF^ » D'^MgTERDAM
Le Chant de la Cloche.
M. Albéric Magnard consacre dans le Figaro un élogieux
article à l'exécution du Chant de la Cloche de Vincent d'Indy, à
laquelle nous avons assisté à Amsterdam et dont nous avons
rendu compte (I). L'élude contient sur l'organisation de l'impor-
tante société chorale hollandaise des détails intéressants qu'il nous
paraît utile de reproduire. Puissent-ils inspirer aux amateurs bru-
xellois le désir de se réunir comme le font ceux d'Amstcdam et
(1) Voir l'Art moderne du 3 avril.
d'arriver ainsi à l'exécution des|[randes œuvres chorales modernes
que, faute de ressources suffisantes, aucun directeur de concerts
ne peut tenter. Ne se trouvera-t-il pas un musicien dévoué et
intelligent pour reconstituer" l'ancienne Société de musique de
Bruxelles qui nous donna, voici vingt ans, quelques belles audi-
tions ?
Ceci dit, voici l'appréciation de M. Magnard, qui confirme
en tous points celle que nous avons émise :
« La Société Excelsior d'Amsterdam a consacré son second con-
cert annuel au Chant de la Cloche de Vincent d'Indy. Couronnée
au concours de la Ville de Paris, cette superbe .symphonie avec
chœurs fut jouée en i886 aux concerts Lamoureux et à Angers,
grâce à l'arlistiquc inilialive de M. Bordier. Depuis, la partition
d'orchestre était restée dans les carions d'un compositeur por trop
modeste et là partition de piano dans ceux d'un éditeur par trop
inintelligent. Aux Hollandais l'honneur d'avoir remis en lumière
une des grandes œuvres de la musique contemporaine.
Nos critiques ne sont pas ingambes. J'ai rencontré aussi peu de
Français à Amsterdam qu'à Karlsruhe il y a dix-huit mois, lors de
l'exécution des Troyens. Plusieurs musicographes belges avaient
annoncé leur venue. Seul, M. Octave Maus, le solide champion de
l'art moderne à Bruxelles, a tenu sa promesse. Le voyage de
Hollande n'est cependant ni long, ni pénible, et d'admirables
musées de peinture, des paysages enchanteurs, un accueil cordial
valent bien quelques heures de chemin de fer.
La Société Excelsior est une société chorale d'amateurs.
J'avais peine à le croire en écoulant la répétition générale : les
voix sont belles et, pour la franchise des attaques, la justesse des
intonations, la fmesse des nuances, ces dilettantes n'ont rien à
envier aux meilleurs chœurs des théAtres français, bavarois ou
saxons. C'est qu'en Hollande (comme en beaucoup de contrées du
Nord) le goût de la musique vocale est très répandu. Les hommes
aussi bien que les femmes de la meilleure société travaillent assi-
dûment le solfège et ne laissent pas échapper une occasion de se
réunir pour chanter; on vocalise en ce pays comme chez nous
l'on joue du piano, mais avec une gravité, une conscience, un
respect de l'art qui manquent à nos amateurs.
M. L..., éiudianl à Utrecht, fait toutes les semaines le voyage
d'Amsterdam pour assister à la répétition d'ensemble. M. D..., un
des grands négociants de la njélropole, me confie que son plus
vif plaisir est d'organiser chez lui des quatuors vocaux; sa femme
et sa "fille chantent les dessus; lui-même ténorise; et l'on invile
quelque ami dont la voix de basse puisse soutenir le trio fami^
liai. Celte passion explique le nombre considérable des sociétés
chorales. Celle dont il s'agit ici a une dizaine d'années d'exis-
tence. Ses membres (âOO environ) paient chaque saison une coti-
sation de 10 florins (20 francs); avec le concours de quelques
abonnés, ils n'ont pas de peine à couvrir les frais d'un orchestre
et donnent annuellement deux grands concerts. Au premier de
cette saison fut exécutée la messe de Requiem de Berlioz. On voit
quelle place la société Excelsior fait dans ses programmes à la
musique française.
400 choristes et instrumentistes ont concouru à l'exécution du
Chant de la Cloche, sous la direction de M. Viotia, docteur en
droit. Je ne doute pas de la science juridique de M. Violla, mais
j'ai la certitude qu'il est un excellent chef d'orchestre,comparable,
' pour le sang-froid et l'intelligence de l'interprétation, à nos
célébrités parisiennes. Je ne lui reprocherai que l'exagération de
quelques mouvements lents; encore faut-il lui tenir compte des dif-
férences de race ; «adagio» n'a pas le même sens pour un Hollan-
dais que pour un Français. M. Viotta a conduit l'œuvre d'un bout à
l'autre avec une aisance et une sûreté d'autant plus admirables que,
la veille au soir, pendant la répétition, on avait assassiné sa ser-
vante, puis défoncé son coffre-fort, et qu'il avait dû passer une
nuit blanche en conversations inutiles avec des agents de police.
Les crimes, il est vrai, sont si rares en Hollande que la peine de
mort y est abolie depuis nombre d'années.
Le succès a dépassé toute espérance. La fin de la délicieuse
scène d'amour a provoqué un frisson communicatif d'admiration;
après le tableau de la Fêle, c'a été un enthousiasme grandissant;
l'Incendie et la Mort, ces deux pages magistrales, ont valu à
leur auteur une ovation sans fin. Le chef de la jeune école fran-
çaise se souviendra longtemps de cet hommage spontané, sincère,
d'un public pur de toute claque, et ses quelques amis présents de
la joie qu'ils en ont ressentie.
Il me faut dire un mot du banquet qui a terminé la soirée.
Jusqu'au dessert, il m'avait paru ressembler à tant d'autres agapes
du même genre, animé cependant d'une cordialité plus franche.
A ce moment, le président de la société se lève et glorifie l'auteur
delà Cloche et la musique française. M. V. d'Indy répond en
termes émus et, dans une heureuse inspiration, boit aux dames
absentes, b qui revient en si grande part le succès de son œuvre.
A peine a-t-il terminé que tous nos hôtes se dressent le verre en
main et, avec une sûreté extraordinaire, entonnent un « hoch »
mouvementé suivi d'une large, sonore cadence parfaite. Rien de
plus émouvant que cet applaudissement en musique, entièrement
nouveau pour nous. Les toasts et les réponses se succèdent dès
lors, ponctués de bravos en chœur, de chants populaires, de
thèmes wagnériens auxquels nous finissons par nous mêler. Quel-
ques heures durant, nous avons la sensaiion nette, intense, d'as-
sister à un de ces banquets qu'immortalisa le pinceau d'un Franz
Hais ou d'un van der Helst.
On se sépare avec l'espérance de se revoir l'an prochain à une
exécution des Béatitudes de César Franck, le maître méconnu.»
EN VACANCES
par le baron de Haullevillb. — Bruxelles, Lacomblez. ~-
Ouvrez le volume de M. de Haulleville, lisez-en un chapitre, et
essayez donc de ne pas dévorer, jusqu'à la dernière, les 350 pages
du livre. Les 10,000 francs de M. Mouligneau à qui résistera à la
tentation !
L'auteur, en effet, voit avec des yeux si pénétrants et raconte
avec tant de charme et de bonhomie ce qu'il a vu qu'on n'imagine
pas, dans la visite des lieux qu'il décrit, de meilleur compagnon
de voyage ni de guide plus expert. Il ne s'arrête pas au décor,
ne se contente pas du chatoiement des costumes. La description
des sites tient peu de place dans ses « notes », et ses « impres-
sions » sont colles d'un esprit sagace, observateur, qui cherche
dans le fait contingent l'universalité, dans l'individu l'humanité,
et auquel une culture approfondie donne un attrait particulier.
M. de Haulleville nous promène à l'aventure, au gré des insou-
ciantes excursions que lui ont permises, en ces dernières années,
ses loisirs de journaliste.
Les côtes d'Angleterre, la Campine limbourgeoise, les Ardennes
belges, l'Ecosse, le Luxembourg et Trêves, une visite h M"* Adam
en son abbaye de Gif, une réception chez le duc d'Aumale à
Chantilly sont autant de prétextes aux boitons rompus d'une cau-
serie spirituelle dans laquelle s'encliftssent les souvenirs person-
nels, les anecdoies, l'évocation de telle scène historique, dételle
figure légendaire. Nulle pose, nulle raideur en ces pages ainnablcs,
aussi éloignées des platitudes d'un Bacdecker que de la prétention
doctorale d'un aperçu ethnographique. N'empêche que plusieurs
d'entre elles deviendront documents d'histoire.
C'est l'art de M. de Haulleville, — et il le possède à miracle, —
de tout dire sans offusquer personne, de donner paisiblement son ^
avis sur les hommes et sur les choses sans égraligner d'épiderme.
En Vacances, c'est comme les mémoires d'un diplomate. Des
détails curieux, des particularités piquantes y sont épingles
parmi les feuillets destinés à d'exacts renseignements topogm-
graphiques ou statistiques. L'auteur a fait ample moisson de
menus faits et d'observaliQns. El depuis les million chops dont
rabondance4e met en émoi dès son arrivée à Douvres jusqu'à la
« monotonie de piété intense et expressive » des pèlerins ras-
semblés à Trêves pour loucher la robe du Christ, il note minu-
tieusement tout ce qui provoque en lui une, impression, fugitive
ou durable. Cela constitue un kaléidoscope amusant et varié, dans
lequel l'art, la politique, l'histoire, l'amour des beautés naturelles
s'unissent et se fondent en figures multicolores, relevées d'une
pointe d'humour qui les fait élinceler davantage.
M. H. Van Doorsiaer, que sa spécialité d'homme de mer dési-
gnait expressément, a écrit pour ce livre quelques pages sur la
flotte embossée à Portsmouth, qu'il a visitée avec M. de Haulle-
ville. Celui-ci'déclare ce paragraphe le meilleur de son ouvrage.
On n'est ni plus modeste ni meilleur compagnon de roule.
Le Jardin de l'Ame, par Fermand Roussel.
Matines, L. et A. Godenne. Un vol. in-18, 76 pages.
Voici un livre un, tout d'une même tonalité, tristesse résignée,
remords et regrets étouffés, admis à la longue des temps et devenus
comme une indispensable atmosphère d'Sme.
' Sous le pensif ennui de la mélancolie,
J'erre dans un jardin ombragé de lys noirs
Frissonnants, convulsifs sous l'étreinte des soirs,
D'une blême et lointaine et très lente agonie.
Les eaux lourdes du Styx le contournent neuf fois
— 0 ce jardin troublant des ombres suppliantes
Qui vont, penchant le front, en pâles pénitentes.
Prier des vœux d'oublis de leurs funèbres voix.
J'ai dit pour ces morts qui expirent leurs peines
Des mots silencieux, pleins dé frêle douleur,
Et leurs cœurs en mon âme ont reconnu leur sœur.
Et la Mémoire, assise en son trône d'ébène
A souri — la syrène 1 — ;\ ces âmes d'autan
Qui chantaient doucement à leurs rêves d'enfant !
Ce jardin troublant, c'est le jardin de l'ûme, où les lumières et
les ombres, les fleurs de printemps, comme les tiges mortes d'au-
tomne vivent, d'une même vie présente de souvenirs gais atté-
nués de ressouvenirs tristes : les amours de jadis qui ont fait de
tel coin de l'âme le désolant rendez-vous des regrets et des torts;
le rêve d'enfance qui y meurt dans tel autre, sur un tremblant
échafaud, laissant avec lui « dans le panier fatal aux mailles de
silence, s'amonceler ses funèbres désirs d'ombres et de terreurs
sombremenl étoiles ». El de partout s'élèvent les lentes sympho-
nies pour l'éternel repos des passions d'anlan. Se succèdent en de
telles visions fanées, les modalités très douces de celle ûme
musicale. "
Livre très doux, en demi-teinte, à relire aux demi-clarlés d'un
soir de cathédrale; sorte de confession, épanchée à voix basse,
el dont la terreur, s'il se pouvait, amortie encore par le dire.
El comme l'imprécision ici est vénérable qualité et comme
immatérielles bien toutes les pensées, — si peu liées à leurs
terrestres vocables que malgré ceux-ci, ailleurs el au delà, dans
l'impalpable, l'invisible, l'indicible, en est spontanément recher-
ché le sens et l'idée. Tout mot s'auréole d'un autre, plus mental,
plus parfaitement adéquat à la vie intérieure, toute expression se
nimbe de quelque mystique symbole.
Tels n'apparaissent-ils pas ces vers des Veux fanés :
Je suis le faible amant des yeux fanés de larmes,
Qui jamais satisfait et toujours plus blessé.
De ces yeux résignés, étrange fiancé,
Adore en se signant la douleur de leurs charmes.
O frères maladifs des automnes sanglants 1
Comme à des sphinx couchés sous un dais de tristesse
J'effeuillerai pour vous mon culte de tendresse
En des plains-chants d'amour ténébreux et troublants.
Je calmerai vos yeux de ma douleur aimante :
Ils se croiront bercés d'une plainte chantante,
Entendue au lointain d'un horizon profond.
Oh 1 je suis le martyr de Vos aimes prunelles.
Le martyr murmurant des paroles si frêles
Que des neiges de paix en elles brilleront!
Vers d'une douceur, d'une élégance, d'une profondeur intenses.
Technique savante au service d'un sentiment eld'un goûl délicat.
Verbe assoupli à toutes les exigences musicales de noire oreille
déjà presque blasée par les modernes chefs-d'œuvre du Rythme el
de l'Assonnance.
^CCUpÉp DE F^ÉCEPTIO]^
Le Mouvement social, revue socialiste bi-mensuelle (économie
politique, littérature, beaux-arts). Rédaction : Maison du Peuple,
Bruxelles. Abonnements : 5 francs par an. Collaborateurs : G. Eek-
houd, G. Lemonnier, E. Verhùeren, E. Vander Velde, C. Demblon,
A.-J. Waulers, D' Charbonnier, J. Volders, V. Arnould, etc. —
/)% ' social, '"vue mensuelle. Paris, impasse de Béarn, 5.
(M. ij&.jrici ui là'&àWe.)
GYPTIS
Pourquoi on a joué à la Monnaie cette Gyplis inconnue, d'iutt
rêl contestable, alors que les directeurs se montrent si chichesde
nouveautés? Voici : La maison Durand, propriétaire exclusive de
la traduction française de Lohengrin, a imposé le petit opéra de
M. Noël Desjoyeaux comme condition sine qua non de l'aulorisa-
tion qui lui était demandée relativement aux représentations de
Wagner. L'usage s'établit, chez les éditeurs, de forcer les direc-
tions lliéûtrales à exhiber un ours pour compenser le bénéfice que
doit leur procurer tel ouvrage appelé à un succès certain. C'est
ainsi que pour obtenir le droit de représenter Miss Helyetl,
M. Durieux, directeur des Galeries, dut s'engager à monter
rOncle Célestin.
Les éditeurs ont toujours en magasin un lot de partitions qui,
sans cette combinaison, ne verraient point la lumière.
Pourtant il s'est trouvé que Gyplis a été un ours bien léché, un
ours de bonne compagnie, dont l'apparition fut assez favorable-
ment accueillie. Le sujet n'est pas fait pour révolutionner l'art
134
L'ART MODERNE
dramatique. 11 pivote sur une discussion courloise entre un jeune
Phocéen qui chante la concorde, l'amour, la gloire des poêles, el
iin chef de Ligures, pour qui les combats sanglants sont seuls
dignes d'enflammer un cœur viril. Gyplis, la princesse mélanco-
lique,sommée par la volonté paternelle de choisir entre les deux
héros, tend au Phocéen, après une invocation aux dieux, la
coupe sacrée qui liera sa vie à celle de l'élii. Et c'est Euxenos, le
messager de paix, qui l'emporte sur le conquérant. Grâce au dis-
cernement delà douce fiancée, l'ère des massacres est close. Sur
les rives de la mer azurée s'élèvera Marseille, où une civilisation
raffinée remplacera la barbarie.
Sur je canevas ténu, les librettistes ont brodé deux actes un
p2u longuets que M. Noël Desjoyeaux a habilement mis en musique
en s'inspirant des maîtres en vogue : Reyer, dont Sigtird paraît
avoir, en maints passages, hanté le jeune compositeur; Lalo, — le
Lalodu Roi d'Fs, — Masscncl, enfin, le prototype du musicien
abondant, expert en l'art d'accomoder gracieusement la banalité
de ses conceptions.
L'œuvre est bien écrite, assez dramatique pour donner l'espoir
d'un tempérament qui se révélera quelque jour quand il sera
débarrassé des souvenirs qui l'obsôdent. Plusieurs scènes ont été
applaudies avec bienveillance. Nous citerons spécialement, au
premier acte, le duo de Gyplis et d'Euxenos, au second la danse
grecque et l'hymne martial du héros Ligure.
La première représentation, donnée la veille de Pâques, alors
que Polyeucte au Parc et Rip aux Galeries drainaient une
partie du public habituel des premières, n'avait réuni qu'un
auditoire clairsemé. On a vanté unanimement l'interprétaiion,
qui a été remarquable. M"« Guy, une nouvelle venue, a chanté
avec une irréprochable justesse et avec un seniimenl dramatique
acrusé le rôle principal. M"" de^Déridcz, MM. L^presire, Badiali
et Dinard lui ont fort bien donné la réplique. Tous ont été rappe-
lés au baisser du rideau. ^ ,
, r
EXPOSITIONS COURANTES
J. Leempoels
Il y avait, en ces toiles àjnlcntions philosophiques, de bonnes
choses, de mauvaise;?, si de pires: les inégalités, les tâtonnements,
les réussites çl Ics naufrages d'un esprit inquiet, à la recherche
d'ex.pfessions nouvelles, plus raisonneur que peintre, mais non
'ijanal. Quelques portraits durement exécutés dans dos tonalités
y" triviales ne donneraient des efforts du joune artiste qu'une idée
inexacte. Mieux inspiré dans les compositions où il vante l'amour
familial, il demeure néanmoins arrêté par la contingence trop
immédiate des réalités, el ses allégoriques figures demeurent, —
mise à part l'étrquetle explicative, — d'assez médiocre peinture
documentaire, empêtrée dans les recettes, figée en de convention-
nelles attitudes. Parfois s'élève inopinément un morceau de
choix, dont la distinction contraste avec la vulgarité ambiante. Tel :
ce très joli groupe où l'artiste s'est représenté, avec les siens, en
des nuances pâlies de fresque. Le sommeil, une toile aux tons de
colle-forte, de nicotine, de sauce anglaise, évoquant on ne sait
quels lointains Wappers et quels malencontreux Dekeyser, con-
stitue néanmoins, malgré le déplaisant ensemble et l'invraisem-
blable vieux jeu de la composition, une curieuse étude d'expres-
sions. Vue isolément, la léle de l'enfant devant lequel passent.
trop matérialisés, les vices menaçants, est fort heureusement com-
prise el d'une remarquable intensité.
En de vastes el vides — malgré le nombre des personnages —
compositions amphigouriques , M. Leempoels vise la satire. H
déroule des banderoles explicatives, commente son catalogue
de gloses variées où il esl question des travers de l'humanité, de
la soif de l'or, de la légèreté des femmes et de vingt autres bana-
lités. M. Leempoels souhaite-t-il avoir quelque jour un quel-
conque Triomphe de la Lumière ér'i^é sur une citadelle?
Le souvenir deWierlz naît tout naturellement devant ces toiles
compliquées où la peinture ne serl que de prétexte à des argu-
mentations théoriques. Mais ce qui a fait la demi-célébrité du
peintre dinantais: la fougue de ses improvisations, l'emportement
de son pinceau el cette souvent très originale conception de la
vie, manque à M. Leempoels. Sa peinture chiche n'a rien d'atti-
rant. Ses pamphlets sont des rébus qui n'ont ni l'excuse de la
belle ligne, ni celle des harmonieuses relations de couleurs. Et la
vulgarité des types choisis, — à part certains, — n'est pas faite
pour séduire davantage. L'ensemble est curieux, mais laisse
indifférent, avec le regret du temps et du talent employés à des
besognes inutiles. "
CONCERTS PARISIENS
Le mois d'avril a été copieusement rempli : on a pu entendre
un peu de bonne et beaucoup de mauvaise musique. D'abord,
pour accompagner la Passion de M. E. Haraucourt, quelques
accords plaqués fort ordinaires, et des improvisations quelcon-
ques sur des thèmes fadasses; cela s'intitule pompeusement :
MusiQt'E DE M. Francis Thomé.
Pendant ce temps, M. Lipacher joue la sienne au Théâtre
Moderne pour le Christ de Grandmougin, et elle est plus médiocre
encore, car il y en a davantage. Ah ! cette rage des compositeurs
de traduire cet infini sentiment chrétien, tant intense que nous en
vivons tous encore, en boudoirisme langoureux, et de nous pré-
senter ainsi à tout instant des petits Jésus en sucre ou à l'eau de
rose!...
Pour nous cous-ole^, S la Salle Erard, un splendide concert :
c'est la Société nationale, qui toujours va, sous la puissante
impulsion du maître Vincent d'indy, évoluant en son absolument
remarquable effort d'art. Entendu un Hymne à Vénus pour
chœur de femmes avec accompagnement de quatuor d'instru- .
menls à vent en boïs el de harpe de M. P. de Bréville : musi-
que extrêmement curieuse de conception et de facture, d'une
recherche d'aspocl et d'impression bizarres. Puis les cinq mélo-
dies de M. Gabriel Fauré sur des poésies de P. Verlaine donl
vous avez eu la primeur aux XX et qui prouvent combien large-
ment s'est trompé le poète : avoir cru mettre soi-même déjà des
musiques suffisantes en ses vers.
La Musique de scène de M. Paul Bergon n'a point le même
charme ni la saveur particulière de bon goût qui se dégagent des
œuvres franckistes.
Vincent d'indy dirigeait avec sa ferme volonté el sa suggestion
irrésistible une magistrale interprétation des fragments du Sam-
son de Haendel : le grand intérêt de la soirée.
Puis des musiques de MM. Chausson el Paul Vidal, d'une impec-
cable écriture, d'une polyphonie toujours admirable... mais un
peu loin encore des œuvres de Franck el de d'indy.
M. Charles Lamoureux, quelques jours après, organisait dans
les salons de la Rose-Croix une délicate soirée consacrée à Wagner
{Venusberg, Chevauchée el final du Rheingold, réductions à huit
mains par Chevillard ; chœur des Fileuses él final deParsifal avec
Engel, qui .aussi a superbement dir Arrêtez-vous et enfin
\3l Siegfried- Idyll). Puis, le vendredi-saint, Lamoureux donnait son
dernier concert avec Ernest Van Dyck. Soirée triomphale, cl
qui n'eut d'égale, pour le chef d'orchestre parisien, que sa glo-
rieuse interprétation de la Neuvième symphonie, véritable leçon
pourleConservatoireroutinier et M. Colonne, gâcheur. M. Colonne
adonné et redonnera DamnalioiiAç. Berlioz : mieux vautn'en point
parler. Et le Conservatoire, du Saint-Saëns.
E. S.
I —i
PlBLIOQRAPHIE MUglCALE
Les compositeurs de la Jeune Russie excellent à présenter un
thème musical sous des rythmes divers, à lui faire subir des trans-
formations imprévues, à en élargir ou à en précipiter l'allure
selon le sens de la phrase dans laquelle ils l'introduisent. Exem-
ple : cette très curieuse suite de six morceaux pour piano com-
posée par Tschaïkowsky et publiée par les éditeurs Mackar et
Noël,, propriétaires exclusifs, en France et en Belgique, des œuvres
du maître. Un thème unique, exposé dans un Prélude de deux
pages, est développé en. forme de Fugue à quatre parties, puis,
réduit en triolets, il passe dans un Impromptu, devient ensuite
Marche funèbre, se mue en Mazourque et s'épanouit en un joyeux
Scherzo. Ce sont là jeux, de musicien habile, auxquels le choix
des tonalités, l'art des développements polyphoniques et d'une
harmonisation raffinée donnent une saveur exquise.
Les mêmes éditeurs mettent en venie une Marche pour piano
de M. Ch. Lefebvre et la transcription, par M. A. Lavignac, pro-
fesseur au Conservatoire de Paris, de trois fragments {Chœur du
Peuple, Chœur des Disciples, Air de Jésus) du drame sacré de
M. Henri Maréchal : Le Miracle de Naïm.
^ETITE CHROf><iqUE
La troisième séance de musique de chambre pour instruments
à vent et piano aura lieu aujourd'hui, à 2 heures, au Conserva-
toire. On y entendra un trio de Mozart pour piano, clarinette el
alto, la sonate en fn do Beethoven pour piano et cor el le Nonetto
de Naumann. M. Clieyrat, ténor, complétera ce programme par un
intermède vocal.
C'est aujourd'hui à 2 heures que s'ouvre, à Anvers, la première
exposition d'aquarellistes organisée par la Société royale des
Beaux-Arts.
L'exposilion de Charicroi, due à l'inilialivc de M. Valère Mabilie,
s'est ouverte le dimanche de Pâques avec un grand succès. Elle
comprend plus de deux cents œuvres d'art, parmi lesquelles il en
esl beaucoup d'intéressantes. A dimanche le compte rendu.
L'Anlwerpsch Mannenkoor donnera demain soir, à l'ancienne
Ecole de musique d'Anvers, son premier concert national sous la
direction de M. Gerril A. -A. Wagner. Des œuvres de MM. E. Antoine,
L. Morielmans, G. Huberli, P. Benoit, J. Blockx et L. Kefor
composent le programme.
C'est à ne p;is y croire! M. Georges Rénory, le Rénory de In
Réforme, le tombeur d'Ibsen et de Maeterlinck, insinue dans sa
dernière chronique théâtrale celte phrase certes inattendue :
« En vérité, je vous lé dis, les temps sont proches. Voici que
des comédies neuves, audacieuses, nettes, franches, mais parfois
imparfaites encore, ont rendues (1) impossibles les sucreries qui
étaient les derniers résidus de la comédie romanesque ; encore un
peu de patience el nous verrons surgir la fière floraison des pièces
(1) Il vaudrait mieux écrire rendw, niais à cela près.....
'f
t
véridiques, fortes et saines qui doivent coïncider avec la prépa-
ration de la société nouvelle et qui sont dans la logique de nos
besoins intellectuels de demain. La place est vide déjà, sur la
scène française, vide et nettoyée ; le plus fort est fait. »
Serait-ce un cas de conversion foudroyante, une sorte de rava-
cholite intellectuelle ?
Le Maandhlad voor Muziek, l'importante revue wagnérienne
dirigée par M. H. Viotta, consacre son numéro de mars tout
entier au Chant de la Cloche. M. Viotta fait de l'œuvre une ana-
lyse détaillée, en intercalantdans son étude les thèmes principaux
de l'ouvrage, soigneusement gravés. C'est faire œuvre de propa-
gande intelligente et utile.
Le Salon et les soirées de la Rose + Croix n'ont pas été une
bonne affaire financière. Les dépenses se sont élevées à plus de
30.000 francs, les recettes à peine à treize mille.
C'est donc un déficit de i7,000 francs que M. le comte Antoine
de La Rot hefoucauld va avoir à combler.
Le Théâtre d'Art donnera prochainement, dans la salle du
Select Théâtre, 42, rue Roohechouarl, une conférence sur les
peintres idéalisles ou mystiques : Odilon Redon, Charles Filiger,
Paul Gauguin, Maurice Denis, Emile Bernard, Paul Séruzier, Paul
Ranson, Pierre Bonnard, etc., et sur l'histoire de la décadence et
du symbolisme.
Une suite à peu près complète des gravures à l'eau-fortc de
Whistler, comprenant environ 350 pièces différentes (collection
J.-H. Hutchinson) a été vendue le mois dernier à Londres. Elle a
atteint le joli chiffre de 27,900 francs, ce qui donne une moyenne
de 80 francs par épreuve.
Quelques numéros ont atteint un prix beaucoup plus élevé.
Citons entre autres :
Portrait de M. J.-M.-N. Whistler (épreuve d'essai), 372 fr.;
Finette (premier état), 380 francs; Fanny Leyland (épreuve
d'essai), 38b francs; L. R. Leyland, 310 francs; M"^^ Leyland
mère, 325 francs; M. Mann, 300 francs ; Lassitude (premier
état), 290 francs; Pierrot, 325 francs; chacune des vues d'Am-
sterdam {Le Pont, The Steps, Le petit pont tournant, Zaandam,
The Long house, etc.), 250 francs.
L'Art et Vidée (livraison d'avril)consacreun important article,
signé de M. Octave Uzanne, à Louis Morin, illuslratenr el écri-
vain, « évocateur de la comédie italienne, peintre de la vie rus-
tique », qui a débuté, à la Caricature, par de jolies histoires
illustrées, dans lesquelles « on trouvait à la fois la gueuserie
pittoresque de Calloi, la grâce un peu mièvre d'unGravelot cro-
quiste, le féminisme d'un Walteau, et aussi — surprenant mélange,
comme si, par gaminerie voulue, il eût fait un pied de nez de
zutiste à ces maîtres, — une naïveté de facture dans le détail qui
rappelait aussitôt l'étonnant humoriste munichois, W. Busch, le
véritable créateur du |;enre actuel d'illustrations à la Caran d'Ache
et des abracadabrantes fantaisies du journal Le Chat noir. »
M. Louis Morin a collaboré avec M. Maurice Vaucaire à cet
exquis Carnaval vénitien qui, réccr^itient, triompha au Chat. Il
va diriger au Musée Grévin un Jli/âlre d'ombres qui sera, d'ici à
quelques jours, une des curiosités et des grandes attractions
parisiennes.
L'inauguration de l'Exposition du théâtre et de la musique à
Vienne est fixée définitivement au 7 mai. L'inauguration se fera,
dans la grande sajle des fêles, par un concert monstre. Le soir, il
y aura dans le ihéâlre de l'Exposition une représentation d'un acte
de circonstance, intitulé Théâtre Viennois, h laquelle prendront
part les artistes de toutes 1rs scènes de la capitale autrichienne.
Dès le lendemain commenceront des représentations de la troupe
du Tli°éûtre-Aliemand de Berlin. Il y aura ensuite des représenta-
tions de la troupe ordinaire du Burgthealer, et l'on annonce
notamment une exécution intégrale de Bamlet, tel que Shake-
speare l'a écrit, avec la mise en scène reconstituée de l'époque.
Suivront : les représentations des artistes du Théâtre Français,
du Théâtre Tchèque de Prague, et d'une troupe italienne formée
par M. Sonzogno, avec M. Pietro Mascagni pour chef d'orchestre.
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Le numéro : 25 centimes.
Dimanche l*' Mai 1892.
L'ART
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Comité de. rédaction « Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. — ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser toutes les communications à
l'administration générale de l'Art Moderne, rue de Tlndustrie, 32, Bruxelles.
Sommaire
Dominical, par Max Elskamp. — Nos Musées. — Les Giiarneux,
par George Garnir. — L'Exposition dé Charleroi. — Le <• Neder-
LANDSCHE EtSCLUB ", A ANVERS. EnCORE A PROPOS DES JURYS.
Un Musicien fin de siècle. — Bibliographie .musicale. — Petite
chronique.
DOMINIOA-L
Par Max ELSKAMP
Un poème qui serait plusieurs jours fondus en un. Et
ce jour? Un dimanche. D'où le titre. Et comme toute
journée — mais surtout le dimanche — est en quelque
sorte une action, ayant son prologue au matin, son
nœud de passion à midi et son dénouement le soir,
Dominical, parallèlement à ce drame de l'heure,
développe un drame passionnel, très simple, très naïf,
très discret, comme s'il procédait plus du rêve que de la
réalité. Il est dit à mi-voix, en une langue quelquefois
de chanson triste ; il est de couleur frêle et misselienne;
il profère le dessin naïf des gravures sur bois et parait
dans l'ensemble une chose d'antan qui serait restée
moderne.
Ce qui tout d'abord séduit, c'est voir : combien le
drame émotionnel influence le milieu où il se déroule.
Aussi longtemps que l'âme de l'artiste est en attente de
sa joie et qu'elle s'ouvre à l'inconnu qui va sourire, la
ville dressée en décor pour le rêve lui est fête de pierre,
de rues, de places et d'églises. Elle s'offre au souhait dans
sa robe blanche des matins,- avec des fleurs dans ses
irisations de lumières et des alléluias dans ses caril-
lons.
Dans les rues et les ruelles
Où sonnent, fraîches, les chapelles,
Les femmes en robes nouvelles
S'éplorent de se trouver belles.
Un dimanche est dans mon cœur,
Pauvre pêcheur,
Maintenant et à l'heure de ce dimanche,
Ainsi soit-ii.
Voilà la prime aurore d'enfance en ce dimanche ; puis
viennent les vagues désirs, les troubles brefs, quelques
haines, l'indéfinissable malaise d'adolescence. Mais le
dimanche, somme toute, reste beau pour s'épanouir
jusqu'à l'heure de l'après-midi de la Visitation.
Car les grands parents sont venus de par delà les
mers, avec '« la bien-aimée » vers laquelle le poète
s'exprime ainsi :
Mais j'ai construit une petite maison.
Dans les lointains dimanches, où je fus seul,
Mais j'ai^ construit une petite maison.
Et j'ai voulu qu'il n'y fût d'autres au seuil,
Que vous et votre tête et vos belles mains,
Et vos yeus qui semblent des ronds dans l'eau,
Et j'ai choisi pour unique musique,
Voire voix qui me dira comme de l'eau,
Aux dimanclies où sera votre musique.
Et j'ai trouvé de très étranges parfums,
Oui deviendront votre chair et votre robe,
En chemin de senteur vers vos cheveux bruns.
Et j'ai construit une petite maison,
Dans les lointains dimanches où je fus seul,
Mais j'ai construit en vous ma seule maison.
La maison pourtant ne sera point occupée, peut-être
à cause d'un brusque départ, peut-être à eau se même de
la conception spéciale qu'aurait dû personnifier celle
venue des loins exotiques de la mer vers une demeure
d'âme trop parfaite. Et aussitôt :
Mais joie morte est bien plus morte dimanche,
C'est la fin d'année car vous partez
Et jeux, c'est la mer devenue blanche
Des mouchoirs d'adieux.
On devine api es cela quel sera le soir du poème et
l'atmosphère de la ville : -
Le dimanche n pris un mal de langueur,
Le dimanche est bas d'une maladie.
Et les mcdocins venus l'abandonnent.
Le vieux dimanche, puisqu'il doit mourir,
Et les médecins venus l'abandonnent.
Alors, dans le salissement de l'heure et les tristesses
et les souvenirs morts, les troubles brefs de l'adolescence
reviennent pour perdurer
Au dimanche ivre d'eau-de-vie/
Dans les rues pleines de soldats.
Alors on écoute ces strophes :
Anges, des mauvaises maisons
Dans le noir et mes yeux voyagent.
Anges de velours, anges bons,
Mes yeux en sont à des images
Où mes lèvres cherchent la place
Au baiser la plus harmonique.
Et ma bouche berce, en musique,
Entre les seins nus des trois Grâces.
Et encore : '^
C'est la fin venue de mes fêtes
Et puis la vieillesse aussi de ma tête.
Rentrez les drapeaux dans l'humidité
De la nuit, mes drapeaux de vanité.
Tout est fini, les dimanches sont morts,
• Mes pauvres petits dimanches sont morts.
Voilà, bref et sommaire, le dessin du poème entier,
avec ses courbes de vers naïfs et doux et ses lignes
gravées autour de ses heures d'aube, de midi et de soir.
Il représente certes tout autre chose qu'un épisode, il
représente une vie d'âme. Car « la bienaimée » attendue
n'est pas seulement une simple présence de femme s'im-
plantant en une existence de poète, c'est n'importe quel
idéal, n'importe quelle correspondance à un désir,
ii^importe quelle somme de joie apparue tout à coup et
^u'il ne nous est, point même donné de compter. Et de
même le décor n'est pas simplement des maisons, des
églises, des carrefours, mais c'est la pensée elle-même,
émue,, changeante, ardente, c'est la pénétration de
l'imagination et de l'âme à travers les objets pour se
retrouver elles-mêmes, ornées. M. Elskamp, comme tout
artiste à fond, se crée son monde au fur et à mesure
qu'il songe et se passionne. En décrivant il ne fait que
s'extérioriser et voilà pourquoi l'Anvers qu'il profère
en son livre^ l'Anvers avec ses madones au coin des rues,
ses places h carrousels, ses bars et son port, ses trafi-
quants et ses juifs, revêt une atmosphère aussi particu-
lière et nouvelle. ""
Dominical nous paraît non pas un très beau livre
irréprochable, mais, ce qui vaut infiniment mieux, un
livre différent de tout autre et qui a une existence par
lui-même, individuelle, alors que tant d'autres ne profè-
rent.qu'une vie collective et sont à tous avant d'être à
celui qui les signa.
Presque au^ mêmes dates que Dominical ont paru
les Chansons ndives de Gérardy et le Jardin de Vâme
de F.. Roussel. Trois noms nouveaux s'inscrivent donc,
dès le début de cette année, sur quelque marbre du
Parnasse belge.
Et cela donne ardeur pour la défense de ce mouve-
ment littéraire, d'étape en étape plus compact et plus
violent. Et cela réduit aussi de plus en plus à néant
l'hostilité kilogrammatique des vieux critiques, de ces
pantoufles littéraires qui auraient voulu s'apesantir,
pour les écraser, sur toutes tentatives allant au delà
de leurs proses gazetières et de leur esthétique de
joueurs aux dominos.
NOS MUSÉES
Combien à fuire dans nos musées, et combien peu de fait! 11
semble vraiment,, pour certains, que l'adminislralion d'un musée
soil chose allant de soi, toujours la même, n'exigeant ni science
ni expérience, ni voyages; que les collections de la fin de ce siècle
ne doivent pas être classées, complétées, éiiquelées auirement
qu'il y a soixante ans, alors qu'on concevait à peine ce que
pouvaient être de grandes collections publiques.
C'est l'amour du perfcclionnemenl, le souci du détail, la ferme
volonté de faire entrer nos collections en lice avec les premières
d'Europe, qui manquent à nos administrateurs. De là celte impres-
sion d'un laisser aller général, d'un certain « c'est assez bon
comme cola pour le public ». Les musées ne sont pas assez la
chose de quelqu'un, qui les soignerait comme ses propres
trésors, qui en serait fier el assidûment occupé. Voyez, par
exemple, ce Musée du Cinquantenaire qui renferme lant d'objets
de toute première valeur. Les bibelots se présentent h l'œil dans
le plus beau désordre. Pour la plus grande partie des collections,
le visiteur ne peut se procurer de catalogue. Les objets manquent
d'étiquettes, les notices explicatives y sont inconnues. Quel pro-
cédé a-t-on suivi dans le classement? Le public l'ignore. D'où
viennent les objets, à qfiels artistes sont-il dus .' Points d'interro-
gation sans réponse.
C'est, dit le litre officiel, un Musée des ans industriels. Au lieu
de faire concourir, comme on le fait ailleurs, les arts du présent
LART MODERNE
139
avec ceux du passé pour mellre quelque peu le contenanl en con-
cordance avec le conlenu, on ne s'esl pas préoccupé le moins du
monde chez nous du choix dos balusl rades, des vitrines, des
encadremenls. C'est pitié de voir entourer telles reproductions de
chefs-d'œuvre de cadres l quelques ceniinfies le mètre courant,
voir placer des photographies sur fond de chêne rehaussé de
baguettes noires, et déposer telle coupe ciselée Renaissance sur
un pied gothique flambant neuf. Les rampes et les balustrades ont
un cachet de lourdeur qui fait faire de piteuses réflexions sur le
goût de ceux qui ont présidé à leur placement. Le jour enfin est
cru et fatigant, alors que rien ne serait plus simple quelle tami-
ser la lumière au moyen d'un vélum peu coûteux.
***
On oublie trop que nos collections publiques ont un double
but : conserver des précieux documents à l'Art et à la Science, mais
aussi contribuer à l'enseignement populaire. Quelles merveilles
réalisées à ce point de vue dans les musées allemands pur
exemple. Pas de collection sans classement méthodique, en vue de
présenter les objets dans l'ordre logique où ils doivent se pré-
senter à l'esprit. Dans les salles, sur de petits pupitres spéciaux,
des catalogues détaillés, suffisamment défendus par une chaînette
contre toute tentative de vol, et ainsi mis à la disposition de
quiconque n'a pas trois ou quatre marks à donner pour être
renseigné. Dans chaque salle aussi, appendu au mur, le plan de
la salle, avec l'indication d'emplacement des œuvres principales.
S'il s'agit de tableaux, chaque toile porte la dénominaiion du
sujet. Si le tableau est historique et comporte de nombreux per-
sonnages, une petite esquisse à la plume, placée sur le cadre
même, porte le nom dé chacun d'eux. Le peuple qui est intéressé
par l'image tout d'abord, et qui ne perçoit les qualités esthétiques
d'une œuvre que longtemps après, quand il a appris le chemin
des musées, s'initie peu k peu aux grands faits de l'histoire et
s'halîîtue insensiblement au plaisir de voir des œuvres dont on
lui a facilité la compréhension.
Sans doute, de jour en jour deviennent plus nombreux les
gens qui s'intéressent â nos musées. Mais le gros public est encore
bien ignorant de nos chefs-d'œuvre. C'est en le conviant à venir
voir les acquisitions nouvelles, en piquant sa curiosité par l'at-
trait du neuf, qu'on peut espérer attirer plus de monde auprès
de nos collections.
Mais connaît-on aujourd'hui les acquisitions récentes? Peut-on
aisément les retrouver au milieu des anciennes?
Dans certaines villes étrangères on a pris la bonne habitude de
réserver dans chaque musée une salle aux acquisitions du
semestre ou do l'année. On s'en trouve très bien. Avant de trou-
ver leur place définitive, les œuvres passent sous les yeux de tout
le monde. Le public peut suivre déplus près les achats de l'admi-
nistration et ce contrôle est précieux îi plus d'un égard.
Nous aimerions aussi voir déposer à la soi'lie de tout musée,
sous la garde d'un huissier, un registre destiné aux observations
des visiteurs. Les fonctionnaires de l'Etat n'ont pas la science
infuse. Biendespiècessontexposéesdans les vitrines sous défausses
indications ; bien des toiles ne sont pas signées. Comment arri-
ver à plus de vérité, à plus de renseignements, sinon en les compa-
rant aux objets et aux tableaux exposés ailleurs, à l'étranger ou
dails telles collections particulières? A ce point de vue il faudrait
utiliser les connaissances de tous, des étrangers et des nationaux,
et donner à chacun un moyen facile de contribuer par ses propres
lumières à la détermination exacte des œuvres. Qui n'a été frappé,
par exemple, au retour d'un voyage en France ou en Italie, de la
ressemblance entre telles scènes peintes vues au Louvre ou aux
Uffizi et dont l'homologue se retrouve dans un de nos musées
nationaux sous une autre signature, ou classée dans une autre
école?
Il n'y a de meilleur moyen de solliciter des dons au profit des
collections publiques que de rendre l'organisation de celles-ci
irréprochable. C'est un sentiments! naturel chez le collectionneur
d'assurer l'avcnii* de précieux objets qu'il a péniblement recueillis,
dont il connaît la valeur, mais dont après sa mort, il craint soit le
retour à des indifférents pleins d'ignorance, soit la dispersion au
hasard des ventes publiques. Bien plus souvent qu'on ne le dit, le
collectionneur a un grain de patriotisme bien compris. Il veut
pour son pays les collections les plus riches et les plus com-
plètes, car il sait tout ce qu'il en retirera de gloire auç yeux des
étrangers.
D'ailleurs, à quelles profondes transformations n'assislons-nous
pas de ce sentiment de la propriété jalouse et exclusive ! Les hom-
mes de notre temps ont de moins en moins la préoccupation
d'accumuler pour accumuler. On veut la richesse en vue des
jouissances qu'elle donne ei non plus pour la basse satisfaction
de compter ses rouleaux d'or ou de détacher régulièrement les
coupons de ses litres. Ce sentiment nouveau se révèle surtout à
propos des collections : un irrésistible besoin de communiquer à
d'autres ses merveilles, de les leur expliquer, de les admirer
avec eux. Comme l'essence des œuvres de l'esprit est de ne pas
exiger une possession exclusive de la part de qui veut jouir de
tout ce qu'elles peuvent donner, il s'en suit tout naturellement
que l'instinct primitif de la propriété perd ici son ancien empire.
Un pas de plus, et l'on jouira autant d'une œuvre placée dans un
musée que de celle réservée pour son cabinet ou sa galerie,
œuvre qui, malheureusement, est toujours la même et que l'on
se lasse de regarder.
L'administration des musées devrait aider à cette profonde
transformation sociale qui pousse au collectivisme des biens de
l'esprit, plus irrésistiblement encore qu'au collectivisme des
autres biens.
Comment? En imitant ce qui se fait ailleurs, si la crainte est
si grande chez elle d'innover en cette matière.
A côté de salles desliuéeA.aujf œuvres achetées par l'Etat, nos
musées devraient en avoir pour les œuvres frétées à l'Etal. Au
Metropolitan Muséum de New-York, beaucoup de toiles, et non
des moins précieuses, sont déposées par leurs propriétaires. De
même à Berlin, tout le troisième étage de la Galerie moderne est
occupé par la collection qu'a prêtée le comte Raczinsky. Mille
circonstances peuvent se présenter où de tels dépôts sont rendus
faciles et môme agréables aux détenteurs des objets : le désir
de faire connaître au public un achat important; la crainte, dans
l'éventualité d'infortune à venir, de faire de son vivant don irré-
vocable d'œuvres de grand prix; une absence prolongée, etc.
Qu'on en soit persuadé, les œuvres qui ont une fois connu le che-
min d'un musée sont bien près d'y retourner et celle fois pour
tout de bon. D'ailleurs, certaines collections privées entraînent des
frais d'entretien et de conservation qui sont souvent une raison
suffisante pour s'en décharger sur des administrations publiques
outillées à cet effet.
* *
Puissent ces quelques réflexions tomber sous les yeux d'hom-
mes de bonne volonté.
LES CHARNEUX
par M. George GAnNiR.— Bruxelles, Kistemacckcrs.
M. George Garnir aurait pu mettre, comme Montaigne, en tête
des Charneux : « C'est icy un livre de bonne foy ». Il est, en
effet, un de nos jeunes auteurs qui se désintéressent le plus de
l'évolution littéraire; il ne songe pas h détruire ni à innover; il se
tient en dehors des luttes et des polémiques que suscitent les
recherches fiévreuses et les tentatives audacieuses des artistes
contemporains. Son esprit va doucement où ses rêves l'attirent,
sans qu'il pense h le discipliner. Tel il s'£st manifesté dans quel-
ques charmantes pièces de vers éparpillées dans différentes revues,
tel nous le retrouvons dans le roman qu'il vient de publier : un
poète sensible et délicat, plus curieux de ce qui se passe dans
le cœur de l'homme que dans son esprit; un psychologue perspi-
cace et doux qui choisit de préférence ses sujets parmi ces natures
calmes et quelque peu effacées dont aucun signe visible ne trahit
les agitations ni les souffrances intérieures.
Dans les Charneux, les principaux personnages ne sontpas des
paysans frustes ou violents, des êtres à moitié instinctifs chez qui
les passions, lorsqu'elles se développent, grondent et rugissent,
mais des campagnards légèrement idéalisés ; léTejetoji d'une race
de gentilshommes, Olivier Charneux, que les vicissitudes du sort
ont forcé à exploiter lui-môme ses terres; Jeanne Vallier, une
grande dame, rêveuse et maladive, sorte de M""" Bovary, qui se
consume inutilement d'amour dans son cottage; leurs enfants
ensuite, le fils d'Olivier et la fille de Jeanne, qui ont hérité des
rêveries et du sentimentalisme de leurs parents cl qui, dès leur
première rencontre, ont compris qu'ils étaient faits l'un pour
l'autre, et sont allés l'un à l'autre, fatalement, poussés par cette
même loi mystérieuse qui avait conduit Olivier et Jeanne dans
l'adultère. Seule, Henriette, la femme d'Olivier Charneux, la vigi-
lante fermière, apparaît comme une personne volontaire, capable
de raisonner ses actes et de diriger ses passions. Mais l'auteur n
nous la montre guère que de profil, il ne met en relief que so
stoïcisme et sa résistance têtue, il en fait seulement une force
passive qui s'interpose entre Gaston et Adrienne, pour contraPier
leurs amours. Entre ces personnages de démit-teintes, le dramiî se
déroule, sans explosions, sans éclats, désagrégeant les cœurs,
usant les vies, ignoré même des gens qui sont intimement' mêlés
à l'existence des héros. M. Garnir y a fait preuve de beaucoup
d'habileté et d'une grande science de composition ; rien ne détonne
dans le récit, nulle longueur, les descriptions elles-mêmes sont
sobrement traitées et n'accaparent pas l'attention aux dépens de
l'action. Ajoutez à cela un style simple, sans prétention, de temps
en temps savoureux — mais quelquefois aussi négligé — et vous
aurez une idée à peu près exacte du caractère des Charneux.
M. Garnir a intitulé son livre « roman de mœurs wallonnes ».
Cette qualification nous parait risquée. Les principaux héros
représentent-ils des personnages wallons? Non, n'^est ce pas. D'un
autre côté, le drame non plus n'emprunte au milieu où il se
passe riend'assez caractéristique pour le spécialiser. Partout où
deux cœurs jeunes et passionnés seront attirés l'un vers l'autre et
rencontreront un obstacle, les scènes décrites dans les Charneux
se produiront avec de légères variantes. Quant aux comparses,
valets de ferme, docteur, paysans, ils ne sont qu'effleurés ; nous
les voyons à travers un poudroiement de soleil, nous n'en avons
qu'une vision superficielle et fugace. Leurs formes, leur allure,
leurs gestes sont toujours exactement silhouettés, mais leur âme
reste dans l'ombre. Et ici nous reprocherons à M. Garnir de mettre
trop souvent dans la bouche des héros en qui il veut personnifier
une race, de ces conversations banales où la réflexion n'a aucune
part, sous lesquelles le paysan dissimule son vrai caractère, et qui
ressemblent à ces lieux communs que les gens du monde échangent
entre eux quand ils se connaissent mal et qu'ils se croient tenus
de parler par politesse. Ce sont les paroles essentielles qu'il faut
choisir, celles qui nous éclairent sur la condition des person-
nages, sur leurs joies, sur leurs souffrances, sur leurs préoccupa-
tions, sur leurs espérances.
Ce qu'il y a de plus wallon dans les Charneux, c'est le milieu
et l'esprit de l'auteur. JL Garnir semble imprégné de celte mélan-
colie grave que les vieux manoirs en ruine, perchés sur les mon-
tagnes ardcnnaises, répandent sur la terre wallonne, et il a très
heureusement fixé cette atmosphère-là autour de son œuvre; il a
également peint avec beaucoup d'amour et de délicatesse, en cou-
leurs claires et tendres, des coins délicieux de la Wallonie.
Les Charneux ont été couronnés par V Union littéraire belge.
Il faut en féliciter cette vénérable société. Elle avait, ce jour-lb,
récuré ses besicles et elle n'a pas trop mal jugé. M. Garnir n'a
toutefois obtenu qu'une demi-couronne.- Une femme — l'auteur
du Troisième sexe — avait écrit, pour la circonstance, une nou-
velle idyllique, et elle a emporté l'autre moitié sur son front
innocent.
L'EXPOSITION DE CHARLEROI '
{Correspondance particulière de l'Art moderne.)
Une Exposition des Beaux-Arts à Charicroi?
— Parfaitement. L'événement est sans doute peu vraisemblable,
-mais il est acquis. El ce qui est plus paradoxal encore que celle
inattendue réunion de sculptures el de tableaux en celte ville
d'affaires cl d'industrie, c'est que celte audacieuse tentative a si
pleinement réussi que l'on parle déjà, comme de choses possibles ;
et normales, d'exli|b)itions annuelles.
Il a fallu, pour cette réalisation imprévue, l'inauguration de la
Bourse, d'un passage couvert, d'une nouvelle salle de fêtes, spa-
cieuse et charmante, où la distribution de la lumière est excel-
lente. Mais il a fallu surtout un organisateur intrépide, faisant fi
des prédictions pessimistes el fort d'unanimes sympathies:.
M. Valère Mabille, le président dé la Société française de bienfai-
sance de Charleroi. C'est à lui qu'on doit le succès à peine espé-
rable de celte Exposition qui, dans son ensemble, est très coquette
et très intéressante.
Cette éclectique assemblée est vraiment curieuse. Peut-être
apprendrail-elle peu de chose aux Bruxellois, car la plupart des
œuvres exposées ont déjà été vues en des occasions diverses, mais
elle est hautement instructive pour les Carolorégiens. Les artistes
les plus différents et de tendances les plus opposées y sont repré-
sentés par des envois généralement bien choisis ; et pris en bloc,
ce salonnet est plaisant à l'œil et de mélange agréable.
\
L'ART MODERNE
141
D'emblée, l'enlliousiasme csl allé à loxposilion, fort iinporlanlc
d'ailleurs, de r.onslanlin Meunier. H a deux grands tableaux : des
Hiercheuses Irislcs, regardant Ic^toits rouges d'un village borain
et des Mineurs sortant d'un cliarbonnage dont ils semblent fuir,
avec une sorte de liAtc épouvantée, l'écrasiint labeur; — des des-
sins inédits : des Lutteurs, un Echafaudage, un Coin de village,
absolument remarquables et plusieurs de ses sculptures qui célè-
brent si noblement la beauté du travail industriel. Son épique
Marteleur émcv^c fièrement, dressant sa silhouette chevaleresque
et à le voir, le désir est venu à oeaucoup, ces jours derniers, de
le revoir encore, éternisé dans le bronze, sur une place publique,
dans un square de la cité industrieuse. La ville de Charleroi,
pauvre en grands' hommes, ne pourrait vraiment rien faire de
mieux que d'élever cette statue d'anonyme, symbolisant si super-
bement l'Ouvrier, le Travail au(iuel elle doit sa fortune et sa pros-
périté.
■ D'autres sculpteurs et non des moindres \ Vander Slappcn, Jef
Lambeaux, Du Bois, Dillons et Mignon exposent en même temps
que Meunier et les ligues aimables de leurs envois : plûlres,
bronzes et marbres, contribuent largement \\ la bonne tenue du
Salon."
L'entreprise esthétique s'est tentée sous le patronage de
M™''".E. Been)acrl,_A. Jlflcli,JJ.Xollart, L. Hégcr et Ronncr. SaufL
M"'' Boch ([ui n'est pas représentée comme il conviendrait, elles
ont toutes des œuvres qui caractérisent heureusement leur talent ;
M"" Iléger surtout a un paysage de songe, très délicat : Uu Malin
en Campiiie. Un tel patronage devait amener nécessairement de
nombreuses adhésions féminines : M"'" Louise Dnnse, Jules Dés-
irée, de BourlsofT, de Vigne, de Villermoul, Dumoni, Jamar, Mas-
bin, Georgettc Meunier, Triest, Wytsman, Donncl-Dufraye, Dupré,
Godart, Maeterlinck, Piret, Perrignon, Van Bomberglicm, Van
Butsele ont répondu h l'appel du comité. Citons encore, de
M"" B. Art, un savoureux et rav'ssant pastel : Chrysanthèmes.
Quelques portraits, sans mérite décisif. Le meilleur est celui de
M. Valère Mabille par Théo Van Rysselbergli*, qui s'y montre infi-
dèle au procédé pointilliste. Il y revient dans un véhément paysage :
Roscojf, et dans un gracieux dessin : Jeune fille.
De très nombreux paysages : un romantique et superbe Cou-
chant de Gilsoul, ôcs Dunes lumineuses et grasses de Verheyden,
cl d'intéressants tableaux de Wyisman, Khnopff, Marcetle, Assel-
bergs, Claus, Finch, Heymans.
Des œuvres d'Alfred Stevens, DeVriendl, Slingeneyer, Porlaels,
Vcrhas, Hermans, Smils, Verwée, Stobbiierls, Hcnnebicq, même
un curieux petit Joseph Stevens soutiennent convenablement la
réputation de leurs auteurs : trahit -sua quimqucvoluplas.
Xavier Mellery a envoyé son tableau exposé récemment aux XX :
le Béguinage à Bruges, et trois grands dessins de toute beauté.
L'un d'eux surtout, de robustes Flamandes attablées, compte
parmi les meilleures productions de ce pur et grand artiste, dont
la sincérité un peu hautaine l'éloigné des effets faciles et le con-
fine dans un art austère ot grave, profondément impressionnant.
L'aquarelle a ses habituels adeptes : M. Slar4uet en tête. Il y
a là des preuves nouvelles de talents appréciés : Binjé, Cassiers,
Hagemans, Uytterschaut, etc., et de deux nouveaux venus :
MM. Thémon cl de Burlet. - •
La gravure est exclusivement représentée par M. Danse et ses
deux filles, M"^ Louise Danse et M"'^ Jules Désirée. De tous trois
des eaux-fortes dénotant de réels progrès : Danse' n'a rien fait de
mieux que ses deux pointes sèches d'après Rubens et Devos.
^CCU^Ég DE RÉCEPTION
La décadence du capitalisme, conférence donnée au Jeune Bar-
reau de Bruxelles, le 7 avril 1899,, par Emile Vandervf.i.de
(extrait de la Revue de Belgique); Bruxelles, Weissembruch. —
Tel qu'en songe, par Henri de Régnier ; Paris, librairie de l'An
indépendant. ^
LE « NEDERLANDSCHE ETSCLUB » A ANVERS
{Correspondance particulière de l'Art moderne.)
Au Cercle artistique !
Si l'un de? membres du Etsclub de La Haye s'csl dérangé pour
voir le Salon, il aura amèrement regretlé l'endroit choisi cl le
manque de circonspoclion que ses confrères avaient bien dii
mettre îi accepter telle peu engageante hospitalité qui, pour n'avoir
pas b élregracicuseunesecondefois, souille sa plus belle salle du
vomissement de quelques siens tab'eaux et abandonne ses invités
h l'obscurité presque absolue d'une salle de concert, à une instal-
lation d'arrière-boutique de bouquiniste.
Et i)Our;ani, p^rmi ces artistes hollandais si gaillardement exé-
cutés : Toorop, Maurilz Bauer, Jan Velh, Floris Versler, Israols,
M"<= Van Houten !
De toute spéciale valeur : férocement buriné — dirait-on — et
d'un noir cruel, parliculièroment acide, — le noir de loutcs les
douleurs broyées, — ce Vieux jardin des Souffrances. Toorop
n'a peut-être jamais, malgré le manque d'unité dans l'Jdéc et le
déséquilibre du dessin qui s'en suit, atteint h autant d'impression,
h autant d'exotisme, — ce qui constitue pour lui un retour à sa
nature vraie, — à autant de rareté ornementale; le silence nous
hante depuis et l'effroi de ce maudit jardin. Lcsjithographies de
Bauer pour la Légende 'de saint Julien l' Hospitalier : on peut
relire l'appréciation de Veth, que nous avons traduite dernière-
ment, et y croire et s'extasier comme il y convie. El, très curieu-
sement voulus, au tracé net et condensé, à la façon des dessins
de Holbein ou plus exactement des dessins de Renoir, ces « por-
traits » que Jau Veth consacra aux célébrités hollandaises.
D'au(res choses sera'ient b signaler : la planche où M"« Van
Houten gratlc la Descente de Croix, une esqui.«se de Delacroix,
qui constitue bien certainement une des plus prodigieuses et
totales transcriptions — parmi ces deux -cents numéros, mais
qu'une trop commune facilité, une trop constante et exclusive
virtuosité expédient comme de la besogne courante. On dirait ■
toutes eaux-fortes de Zilcken ; toutes sont évidemment de lui, ou
le pourraient être. El le « cachet artiste » qu'il affectionne se dilue
en elles à la façon des préparations homœopathiques. Le pra-
ticien ajoute du « cachet » toujours, mais la plus subtile analyse
n'y trouverait plus trace d'Art.
V.
ENCORE A PROPOS DES JURYS
En mai 1883 — b l'occasion du banquet Lcmonnier — parut,
sous l'égide de la Jeune Belgique, une brochure rouge où l'on
attaquait violemment le jury qui avait refusé le prix quinquennal
à l'auteur du Mort et du Mâle. Ce lemps-lb est comme le pré-
curseur du moment actuel où ki lutte est si vive, el il est curieux
142
VA.RT MODERNE
(le rappeler Tallure de la polémique d'alors : ncul' ans sont passés
déjà depuis ce banquet !
Voici quelques extraits de la brochure rouge :
« Donc, ces deux membres (MM. Rivier et de Monge) s'abstien-
nent : pourquoi? de quel droit? On ne leur demande pas s'il y a
un bon li\re, mais quel est le meilleur livre publié. Us s'abstien-
nent; c'est qu'ils ne savent pas en décider. Alors qu'est-ce qu'ils
font dans le jury et comment ne se sont-ils pas récusés d'abord,
au lieu de s'exécuter eux-mômes après? »
Voici qui est plus drôle : Connaissez-vous M. Slappaerls?
« Nous avons eu beau feuilleter les almanachs royaux et
autres, interroger les cochers de fiacre, faire crier son nom dans
les rues comme pour un chien perdu, remuer les catalogues de
toutes les bibliothèques, nous n'avons pas encore pu savoir ce
qu'il vaut, ce qu'il a faii, ce qu'il a publié, ni même s'il existe.
« D'aucuns nous ont affirmé qu'il n'est autre que l'auteur du
Cadavre récalcitranl, et que c'est lui le barde dont la modestie
se cache sous le pseudonyme de Joseph Caslelcyn.
«' Quoi qu'il en soit, M. Slappaerls ne s'est pas abstenu ; il a
voté avec M. Féiis, celle vieille perruque, — au propre et au
figuré, — dont la spéciiilité es! de n'en pas avoir, qui fait partie
de toutes les commissions, comme le sel fait partie de toutes les
sauces. Un homme à tout fairo, quoi! — comme une servante!
Dont on peut dire enfin ce qu'on dit d'un des personnages dans
le Monde ou l'on s'ennuie : « C'est ce savant dont le père avait
tarit de latent ! »
« Or, savez-vous pour qui ces deux compères ont voté —
comme un seul homme? — Pour M. Vaulier, l'auteur parfaite-
ment obscur de quelques espèces de romans-feuilletons, sans
aucun mérite littéraire, à l'usage des conducteurs d'omnibus
vides — comme eux!
« C'est étrange, c'est fou, c'est inexplicable, car l'auteur est
inconnu, ses romans n'existent pas et sa situation littéraire est
toujours h l'état de foetus. Et cependant c'est très simple, comme
un tour de prestidigitateur.
« L'urne de vole est à double fond : dans un compartiment
M. Vaulier, le directeur de la Gazelle, romancier énigmatique
qu'on propos«|> pour le prix quinquennal; dans l'autre, M. Fétis
fils, attaché au même journal.
« El voilà ! et le bruit court partout de cette véritable « escro-
querie morale », comme au temps de la Révolution le bruit de la
grande trahison du comte de Mirabeau. »
On le voit : dès le début de l'école littéraire be'ge, il y a lutte.
Cette lutte a gardé depuis le même caractère ; ce sont encore les
mômes ganaches qu'on attaque, auxquelles sont venues se joindre
quelques autres médiocrités séniles et quelques jeunes qui sem-
blent se montrer jaloux des horions prodigués aux « perruques ».
Cesjeunes sont d'ailleurs les rari nantes de la liquéfaction spiri-
tuelle de la génération qui s'en va, après avoir déposé on sait
quels produits! Car la vraie jeunesse, qui a du cœur^t de l'art
au venlre, n'hésite pas et se range du côté où l'on trouve de la
générosité, de l'élan et de la vaillance. La poignée qui combattait
il y a dix ans est devenue régiment : elle deviendra armée.
De leur côté, les officiels belges, les plus hideux du monde, se
sentent battus. Ils lancent leurs flèches de Parthes, mais ils visent
toujours de la même manière. Tenez: en 1883 on parlait de l'urne
à double fond de M. Fétis ; en 1891 nous avons signalé le rapport
à double. tond de M. Gustave Frédérix.
Un musicien fin-de-siècle.
Oti donc s'arrêteront les bizarreries et les curiosités?
Paris possède actuellement un pélomane. Avez-vous bien lu?
Un pélomane... Ce nom me dispense d'insister sur la nature d'har-
monie dont il s'agit, et sur celle de l'instrument qui, loin d'être,
comme le larynx, par exemple, un instrument à cordes, esl, au
contraire, un instrument à \cnt dans toute l'expression du mot.
Cet étrange phénomème, donl le talent fin-de-siècle a, paraîl-il,
fait courir tout le Midi, vient d'être engagé au Moulin-Rouge, où il
a débuté devant un public composé de charmantes demi-mon-
daines, de gens de lettres, d'artistes et de joyeux clubmen. Le
succès a été énorme! On a ri aux larmes, car malgré l'incon-
venance du spectacle, M. P. J... l'a présenté d'une façon si ori-
ginale et si comiquo, qu'il était impossible de s'en formaliser.
Très grand, assez joli garçon, vêtu à la dernière mode, le pélo-
mane a triomphé des difticullcs que comportait son programme
— ce qui n'est pas peu dire.
C'^st à l'âge de treize ans que le phénomène en question s'est
aperçu des avantages naturels dont la nature l'avait doté. Au
collège de Marseille, il émerveillait déjà ses jeunes camarades de
cinquième par un « talent » vraiment surprenant. Je dis lalenl,
car plusieurs Facultés de médecine ont constaté, dans des rap-
ports qui ont été publiés, que le sujet était admirablement cons-
titué et que son truc consistait simplement en une facilité d'aspi-
ration anale tout à fait curieuse.
M. P. J... ne se contente pas, en effet, d'exécuter avec son...
instrument tous les morceaux de musique actuellement en vogue,
des imitations exquises de violon, d'alto, de trombone à coulisse
et de contrebasse : Amant alterna camœnœ. Il peut aspirer six
litres d'eau et les projeter à une distance d'au moins dix mètres!
Avouez que ce pclit talent de société n'est pas à la portée de tout
le monde.
M. le docteur Jacobson, qui a examiné le joyeux pélomane,
nous disait en souriant :
— Ce qui permettra surtout d'exhiber ce phénomène d'un nou-
veau genre, c'est que chez lui l'expiration anale se fait... — com-
ment dirais-je?... — sans que l'appendice nasal du spectateur en
soit incommodé.
J'ignore si le pétomane trouvera chez le public parisien le'
même accueil qu'à Bordeaux et à Marseille. Les uns trouveront
probablement le spectable un peu trop fin-de-siècle; quant aux
autres, -ils iront carrément entendre le seul artiste qui, par son
originalité, ne paie pas de droiis à la Société des auteurs et com-
positeurs.
C'est déjà quelque chose.
Paul Royer. {G il Blas.)
BIBLIOGRAPHIE MUSICALE
M. F. DE LA ToMBELLE, qui remporta en 1887 le prix Pleyel
avec une fantaisie pour piano et orchestre jouée à la Société
Nationale, vient de publier chez MM. Richault et C" un cycle de
mélodies distinguées de facture, bien écrites pour la voix et exac-
tement prosodiées. Citons, parmi les plus agréablement tournées,
le Sonnet d'Estienne. de la Boétie, dont la saveur arx;haïque est
piquante, les Papillons et Promenade nocturne (Th; Gautier),
Noël (H. Mériot), le Cavalier Mongol (M. de Lihus), cette der-
VART MODERNE
143
nière pour voix de baryton. Ces mélodies font partie d'un recueil
inlilulé : Vingt chansons et rêveries.
Ind(5pend:immenl de celles-ci, MM. Richnull el C'" ont édité, du
même auteur : Elle est loin (P. Barbier) et le Livre de In vie
(Lamartine), dont l'inspiration rappelle lointainement tels lieds de
Schubert. Enfin, une mélodie de M. E. Ratez: Sais-tu (F. Rataille),
cl un cbani de Nocl : Jésus petit enfant, paroles el musique de
M. P. FOIRVIKRES.
fETlTE CHROf^IQUE
Nous parlerons, dimanche prochain, des deux expositions :
celle du Cercle artistique el celle de YAls ik kan ouvertes depuis
hier li Bruxelles.
F.c Gil Blns a commencé la semaine dernière la publicaiion
en feuilleton de Claudine LnmoHr,\}n nouveau roman de Camille
Lemonnier, dans lequel le miiîlre-écrivain éiudie, dans son milieu
spécial, la clianleuse de café-concert, ou plutôt une chanteuse de
café-concert, — celle dont tout Paris s'est engoué el dont le suc-
cès efface celui des étoiles du chant. Les quelques feuilletons
parus permettent d'apprécier, dès h présent, l'inlérél el la haute
valeur littéraire du livre.
MM. Anthoni, guidé de leurs collègues des classes d'instru-
ments h vent, ont donné, dimanche dernier, au Conservatoire, avec
le concours de M. Degrcef el de MM. Marchol, Biermasz, Van Hoiit,
Jacob et EckhauUe, une intéressante séance de musique de
chambre. An programme : le Novetto, de Naumann, un trio de
Mozart el la sonate de Beethoven pour piano el cor.
On altendail M. Cheyral, qui devait chanter des mélodies res-
tées mystérieusement indiquées au programme pardes astérisques.
Mais M. Cheyrat était malheureusement indisposé, ce qui a valu
au public l'inlermède d'un petit discours de M. Gevaert et l'audi-
tion de cinq pièces pour piano, jouées par M. Degrcef, avec une
précision de doigté, une dextérité et une joliesse de nuances qui
lui ont valu d'unanimes applaudissements.
Le quatuor Crickboom, Kefer, Sartoni et Gillet a donné, lundi
dernier, une excellente interprétation du Quatuor en fa mineur
de Beethoven et du Quatuor avec piano de Vincent d'indy. On
sent dans les quatre exécutants une foi artistique vivace el le
respect de smaîtres. El, bien que tout récemment formé, le jeune
quatuor est déjb d'aplomb, les parties s'équilibrent et se fondent
harmonieusement.
Des soli étaient encadrés dans les deux grandes œuvres du con-
cert : du Haendel, du Bach, du Fauré, arlistemcnt joués par
M"* Irma Sellie, dont la sûreté d'archet et la nature exception-
nelle ont vivement impressionné l'auditoire, par MM. Crickboom
el Gillet, très applaudis et vraiment très remarquables dans leur
sobre et délicate interprétation.
M. Auguste Pierrel a joué avec beaucoup de talent la partie de
piano du quatuor de Vincent d'indy.
Un écrivain de mérite, M. Elslander, a été traduit devant les
Assises du Brabant pour avoir « oulragé les mœurs » en son
volume Rage Charnelle et en une nouvelle intitulée : Le Cadavre.
Les jurés ont, par un verdict d'acquiltemenl, fait comprendre au
parquet que la patience publique est lasse de ces poursuites réi-
térées contre des hommes de lettres à propos d'écrits dans
lesquels ils foui œuvre d'art.
M. Elslander était défendu par MM" Robert el Frick, qui ont
donné aux débats beaucoup d'intérêt et d'élévation. Plusieurs
hommes de lettres avaient été cités comme témoins. Ils se sont
tous prononcés nettement sur le caractère purement artistique des
œuvres de l'accusé.
A l'occasion de l'Exposition des Beaux-arts, M. Valèrc Mabille
a r.éuni dimanche dernier à Charleroi, en un lunch cordial,
l'administration communale de Charleroi et la plupart des artistes
exposants. • •
La petite fêle a été pleine d'enirain. Dans un toast spirituel,
M. Valère Mabille a engagé la ville de Charleroi à couvrir la
nudité indécente des murs de l'hôtel de ville. M. le bourgmestre
Audenl a promis de faire tous ses efforts pour faire pénétrer à
Charleroi le goût des Beaux-arts.
Demain lundi, à 2 heures, s'ouvrira à la Galerie moderne,
l'exposition des « Cinquante chefs-d'œuvre belges » organisée au
profit de l'Hospitalité de nuit, line grande partie de ces tableaux
proviennent des mêmes collectionneurs qui ont bien voulu prêter
leurs toiles pour l'exposition française organisée au bénéfice de
la même couvre.
C'est dimanche prot bain, à midi, que s'ouvrira, à Liège, l'ix-
position organisée sous le patronage de l'administration commu-
nale par r.Às^ocialion pour l'encouragement des Beaux-aris.
M. Ernest Closson fait cette observa'.ion dans son intéressante
élude sur Edward Grieg :
« Uu fail qu'on ne manquera pas de remarq\ier, c'est la sollici-
tude el rinlellig>'nce avec lesquelles les gouvernements de la
Suède-Noivvège el du Danemark protègent ceux de leurs composi-
teurs nationaux dans lesquels ils reconnaissent un véritable laleni,
capable de faire honneur à son pays, leur facilitent leurs éludes,
leur accordent des subventions pour des voyages, elc.
Gade reçoit un subside pour un voyage en Italie, el plus lard
une pension viagère considérable; Svendsen obtient une boursc-
lui permeltant un séjour prolongé à Lei|)zig, puis, ainsi (|ue
Grieg, est gratifié d'une pension viagère. Tout ceci témoigne hau-
leme'nl en' faveur d'un gouvernement soucieux d'honorer >es
gloires nationales, d'aplanir les obs'acles pécuniaires qui pour-
raient entraver l'essor du génie de ses artistes, el, une fois par-
venus au faîte, d'écarter d'eux les iri.^'tes préoccupations de la
gêne el du besoin. »
C'esl, ma foi, à donner envie de se l'aire naturaliser Norwégii'n !
Les surintendants des théâtres de Berlin ont décidé que
dorénavant, les portes des dits théâtres seront closes au commen-
cement du spectacle, el qu'on ne les rouvrirait que le rideau
baissé.
Voilà une mesure qu'on pourrait bien adopter dans nos théâtres
pour corriger le sans-gêne de certains spectateurs qui enlrenl el
sortent pendant la durée des actes.
La Chambre des représentants de France 'a voté sur
les instances de MM. Antonin Proust et Georges Berger, le projet
de loi tendant à la reconstruction d'un palais pourle Musée des
Arts décoratifs, sur le terrain de la Cour des Comptes, au quai
d'Orsay. <^
D'après ce pfojel, le Musée construit aux frais de la Société de
l'Union centrale deviendra au bout de quinze ans, avec toutes ses
collections, la propriété de l'Étal.
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Douzième année. — N" 19.
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 8 Mai 1892.
L'ART MODERIE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE ORITIQÏÏE DBS ARTS ET- DE LA LITTÉRATURE
: ■ ' m
Comité de rédaction : Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
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Adresser toutes lés communications à
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30MMA1RE
Pelléas et Mélisande, par Maurice Maeterlinck. — L'Exposition
DKS « CINQUANTE CHEFS-d'œUVRE BELGES ". — LiVRES ET BROCHURES. —
Exposition DU Cercle artistique. — Exposition de l'>' Als ik kan >>.
— La question des Musées. — Les dons aux Musées. — Concerts
parisiens. — Bibliographie musicale. — Petite chronique.
PELLÉAS ET MÊLISANDE
(1)
Drame en 5 actes, par Maurice Maeterlinck.
Après .cette funèbre trilogie de la mort : l'Intruse,
les Aveugles, les Sept Princesses, qui passent comme
trois bannières largement noires dans la procession de
ses œuvres, Maurice Maeterlinck semble s'inquiéter de
certains frissons tragiques dans les drapeaux de la vie.
Les passions violentes, l'amour entier, la jalousie bru-
tale, l'espionnage, le mensonge, le meurtre sont proférés
sur la scène et s'y rencontrent pour s'entremêler en une
action et une catastrophe.
Seulement, de combien proche de la mort se dessine
encore cette vie-là !
Il ne faut point, pour rester vrai, s'imaginer dans le
talent de M. Maeterlinck aucune" volte-face, aucune
(1) Bruxelles, Lacomblez.
bifurcation. Pelléas et Mélisande vivent, tout autant
que ses précédents drames, de la même atmosphère de
supraterrestre angoisse. Le mystère, le même mystère
descend dessus comme une brume traversée soudaine-
ment d'extraordinaires lueurs.
Les personnages rappellent des protagonistes déjà
montrés. Mélisande, « petit être si tranquille, si timide,
si silencieux, » est sœur de Maleine et le vieux Arkel
fait songer, soit au roi des Sept Princesses, soit aussi à
l'aïeul de l'Intruse. De mêmes impressions de silence
ferment leurs ailes sur ce drame. Dans l'Intruse,
Ursule remarque : « Il fait un tel silence qu'on enten-
drait marcher un ange ". Dans Pelléas et Mélisande,
une servante note : « On entendrait marcher des
mouches sur les portes, « ou encore : « On entendrait
dormir l'eau ». Dans l'Intruse, l'acte total se passe
autour d'une chambre où l'on ne pénètre pas; dans
Pelléas et Mélisande, Arkel, au troisième acte,
l'épond à Mélisande : « Depuis ta venue, on n'a vécu
ici qu'en chuchotant autour d'une chambre fermée, »
Le présent poème dramatique est donc bien de
même souche que les autres ; il s'y rattache intime-
ment, il est surgi du même sol. Plus peut-être en lui
que dans les autres, les mots « étrange », « extraordi-
naire », « mystérieux » se prononcent.
L'action est simple. Golaud, petit-fils du roi Arkel,
perdu à la chasse, rencontre Mélisande, également
perdue. Il l'admire, l'aime, l'épouse 11 a un fr^ro,
Pelléas, tout jeune, alors que lui déjA blanchit Méli-
sande et Pelléas, deux enfants, s'aimeront. Golaud
tuera Pelléas, se frappera, frappera Mélisande.» Au
cinquième acte, alors que Pelléas, assassiné, dort dans
la foQtaine des aveugles, Mélisande agonise. Golaud
qui \a mourir aussi, pardonne, tout en interrogeant sa
femme sur son amour pour Pelléas. Mélisande dit ce
qui a eu lieu, ce qui devaitjavoir eu lieu. Golaud no la
croit pas. Mélisande meurt.
Le drame, il se distribue en yn château, ceinturé de
forêts, au bord de la mer. Quatre générations s'y
succèdent, comme dans les Burgraves : Arkel, le
vieux roi; puis le père malade de Golaud ; puis Golaud
et Pelléas ; enfin Yniold, fils de Golaud.
Pelléas et Mélisande sont la jeunesse, la naïveté
même; ils s'aiment sans se demander pourquoi, sans
qu'ils se soient analysés, ni examinés, ni interrogés. Il
n'y a en eux aucun élément pervers : ils s'enivrent l'un
de l'autre, simplement, ardemment. A leurs mutuelles
questions ils répondent « je ne sais pas », « je ne sais
plus » ;■ ils sont des formes de vie primitive et char-
mante. Ils ne savent qu'une chose, c'est que Golaud les
guette et qu'il les tuera. Aussi, dès qu'il les surprend,
puisent-ils dans la force seule de leur amour la
ferveur suprême contre lui et l'extase qui est déjà leur
au-delà de la mort.
Golaud tue et se repent. Pour surprendre les amants,
il a recours aux moyens les moins pi'opres. Lui aussi
agit d'impulsion ; il ne se demande pas un instant s'il fait
bien ou mal en se servant de son propre enfant comme
espion. Après qu'il a tué, son amour lui revient et c'est
lui l'implorateur et le vaincu.
Quant à Arkcl, face tournée vers les destinées non
plus spéciales, mais générales, il vaticine ce qu'il
exhausse, non pas de son raisonnement ou de son expé-
rience, mais uniquement de son cœur, resté lui aussi
un cœur d'enfant.
Cette persistante et uniforme façon de concevoir et
de peindre ses personnages, classe M. Maeterlinck — et
c'est là sa profonde originalité — parmi les poètes pri-
moi'diaux, traducteurs des éveils instinctifs des hommes
et de leurs rêves sur les choses. On dirait que ne tenant
pas compte de tout le développement cérébral obtenu à
travers temps, il ne se penche, attentif, que sur le cœur
premier de l'humanité et que c'est en ses battements
naissants qu'il cherche la vraie vérité humaine. Et
comme plus encore que certains êtres de choix, les
êtres les plus humbles et les plus frustes i'afïérmisscnt
en cette croyance, il attribue à ces derniers la lucidité la
plus extraordinaire. Telles, par exemple, les servantes.
Elles semblent des prophétesses manœuvrant en chœur
à travers Pelléas et Mélisande. Au premier acte, dès
la première scène, quand il s'agit d'ouvrir et de laver
la grande porte du château, tout le drame qui va s'éta-
ler et dont on ne pourra effacer le sang, est comme
présagé par elles. Et de même, au cinquième, dans la
dernière, ce sont elles qui, arrivant vers le lit de Méli-
sande, sans rien se dire, sans avertir personne, ont
deviné l'exacte heure de la Mort, alors que ni le méde-
cin, ni même le vieux Arkel ne l'avaient sentie être là.
Personnages d'instinct mis en rapports avec des
événements mystérieux que quelques-uns d'entre (îux,
plus près que les autres de la nature toute primitive,
interprètent et indiquent, voilà tout le théâtre de
Maurice Maeterlinck.
A un tel théâtre, il fallait nécessairement de nouveaux
moyens. Son atmosphère étant le mystère et le sik*nce
et le crépuscule, les discours y seront rares et tout ce
qui pourra s'y faire comprendre par un autre signe
que le mot, se fera entendre ainsi.
D'oii la fréquente introduction de scènes que j'appel-
lerais emblématiques. Il y en a deux superbes dans Pel-
léas et Mélisande. La première suggère que Mélisande
n'aime pas son mari et qu'elle s'éprendra de Pelléas
Au lieu de plusieurs rencontres où par des dires
et des sous-entendus cette situation deviendrait, aux
yeux du lecteur ou du spectateur, patente, Maurice
Maeterlinck imagine simplement la scène de la bague ;
Pei.m'as. — Avpc quoi jouez-vous ?
Méusande. -— Avec l'anneau qu'il ma donné.
Peu.éas. — Prenez ççardc; vous allez le j)er(lic.
MÉijsANnE, — ^on, non; je suis sûre de mes mains.
Pem.éas. — Ne jouez pas ainsi, au-dessus d'une eau si pro-
fonde. ^ -,
Mémsande. — Mes mains ne tremblent pas.-
Pei-léas. — Comme il brille au soleil ; ne le jetez pas si haut
vers le ciel. ' . • -
Mélisande. — Oh!
Pelléas. — H est tombé?
Mélisande. -7 II est tombé dans l'eau.
Pelléas. — Où esi-il? où est-il? .^
Mélisande. — Je ne le vois pas descendre.
Pelléas. — Je crois que je la vois briller.
Mélisande. — Ma haguc?
Pelléas. — Oui, oui; là-bas.
Mélisande. — Oh! oh! Elle est si loin de nous! Non! non!
ce n'est pas elle... ce n'est pas elle. Elle est perdue... perdue...
11 n'y a plus qu'un £;;rand cercle dans l'eau... Qu'allons-nous faire ?
Qu'allons-nous faire maintenant?...
Lautre scène est celle de la chevelure, dont Pelléas
s'entoure, qu'il baise, qui l'inonde, dont il s'affolle et qui
n'est que la figuration de la prise de possession de son
être par l'être de Mélisande.
A CCS préoccupations d'emblématiser les situations,
les états d'âme, le passé et l'avenir, le pressentiment!
la crainte, se rattachent, dans ce présent drame : la
double intervention des troupeaux, la chute de cheval
de Golaud à midi, lafontaine des aveugles, le départ du
navire qui amena Mélisande, et enfin, cette phrase
soudaine qui résume la pièce : " les cygnes se battent
contre les chiens " .
Grâce à ces moyens spéciaux qui contribuent admira-
blement, d'ailleurs, à reliefer le fond d'idées que profère
Maurice Maeterlinck, l'histoire passionnelle qu'il a
traitée dans Pelléas et Mélisande est douée de la même
vie extraordinaire que ses autres œuvres. » Je ne sais
pas ce que je dis, je ne sais pas ce que je fais " semblent
souvent, pour ses personnages, les seuls mobiles de
conduite. Autour de ce fondamental mystère l'auteur
fait briller des lumières magnifiques, des phrases de
devination profonde, de tendresse claire et ardente, de
splendeur allumée d'âme et de rêve. La scène entre
Pelléas et Mélisande est passionnée comme une poésie
de Rosse tti et la dernière — celle des servantes — fait
songer aux Grecs. Le poète se dégage de tout l'acciden-
tel et de tout enjolivement circonstantiel. Il est un pri-
mitif en retard... ou en avance, puisqu'il retourne aux
sources du sentiment humain et que les choses exté-
rieures lui apparaissent comme si jamais, avant lui, un
œil ne les avait vues. Lui aussi, au milieu de nous,
comme ses personnages dans ses drames, est étrange et
extraordinaire.
L'Exposition des « Cinquante chefs-d'œuvre belges »
Klle csl bien, celle exposition, mais elle eûl pu être mieux
encore. Elle ouvre sur l'art belge de 1860 une échappée, sans
artirmeravcc assez de netteté la haute valeur de nos maîtres con-
temporains.
Lescauseg? Placement contestable, choix contrarié par la hâte
(le l'organisation, présence fûcheuse de tels peintres — Verboeck-
hoven, entre autres — dont it^5t~fflahrisé, malgré leur renommée,
de qualifier les toiles :. chefs-d'œuvre.
Puis il y eut des tiraillements, certaines rivalités mesquines
entre collectionneurs. Un amateur n'ouvrit sa galerie qu'à la con-
dition d'exposer seul les tableaux de tel artiste. D'autres refusè-
rent leur concours sous des prétextes discutables. On perd trop
de vue que lorsqu'un grand intérêt national est en jeu, les
individualités s'eftacent. Celui qui délient une portion de la
gloire d'un artiste n'a pas le droit d'en jouir en égoïste. Les pro-
priétaires d'œuvres d'art doivent être des dépositaires, des con-
servateurs attenlifs et soigneux. Quant au génie, on ne peut le
monnayer. Il appartient au pays.
Malgré tout, l'exposition esl atlachanie. Si quelques-uns de nos
peintres ne sont pas représentés comme il convient, plusieurs
toiles de premier ordre proclament la maîtrise, désormais incon-
testable, de Henri Leys, de Henri de Braekeleer, de Charles
De Groux, Irinité glorieuse que la poslérilé unira dans une même
apothéose.
Du premier : une esquisse superbe, La Ronde, quatre figures
pensives : Philippe le Bon, Marie de Bourgogne, Philippe
le Beau, Antoine de Brabant (sail-on que celle dernière esl le
portrait, à vingt ans, de Henri de Braekeleçr ?), un merveilleux
Saint Luc qui fait songer aux calmes évocations des primitifs, et
cette très captivante petite toile : « Qui donne aux pauvres prêle
à Dieu ».
Du deuxième : le Graveur en taille douce, le Peintre-Copiste,
la Liseuse, vus récemment.
Du troisième, le mieux traité des trois, et, de tous les maîtres
choisis, celui dont l'exposition s'impose avec le plus d'autorité,
une série de toiles admirables : Le Pèlerinage de Dieghem, le
Banc des Pauvres, le Jeudi saint, le Viatique, le Départ du
Conscrit, le Carnaval, etc. L'Art contenu, replié sur lui-même,
tout en aftlictions et en pilié, du grand artiste et du penseur que
fut Charles De Groux, éclate dans ces compositions de premic^r
ordre, sur lesquelles, déjà, le temps a mis sa patine d'or. Elles .
sont dignes des plus grands maîtres et justifieraient, à elles seules,
les observations que nous faisions récemment sur l'originalité et
la force de notre école moderne de peinture.
Mais d'autres noms nous requièrent. Voici Edouard Agneessens
avec sa Convalescente, acquise ces jours-ci à la vente Lequime,
avec son Portrait de Louis Claes, avec sa mystérieuse et trou-
blante Féline, avec son Torse d'éphèbe, l'une de ses plus belles
toiles. Voici De Winne, donl le Portrait du procureur général
Leclercq se dresse au centre de la salle. Voici, avec deux portraits
connus, le peintre Navez, à propos duquel Eugène Demoldcr
faisait dernièrement cette juste observation :
« Ses tableaux, éparpillés dans plusieurs musées de Belgique,
sont de grandes compositions froides, académiques, sans couleur
et sans vie. On dirait des tragédies de Racine immobilisées sur
des panneaux glacés. C'est d'une archéologie lourde et savan-
lasse, et ces toiles sont, en somme, à celles de David, dont elles
procèdent, ce que celles des Floris et des Coxcie étaient aux
œuvres de Michel-Ange el de Raphaël. Celte comparaison faite
toutes proportions gardées, c'est entendu. Car les maîtres du
XVI» siècle formaient une autre pléiade que celle de Navez et ses
quelques disciples; cl, malgré son immense valeur, David ne
s'oppose pas à Michel-Ange. Néanmoins cette comparaison pour-
rait se continuer à un autre point de vue bien caractéristique. Au
XVI' siècle, les peintres qui copiaient paiement les maîtres italiens
en délaissant pour une ombre étrangère le sain coloris et la
vigueur picturale de leur race flamande, faisaient cependant de
superbes portraits, où se retrouvait la' marque nationale. De
même, si les tableaux de Navez sont condamnables, maint de ses
portraits est très beau. On dirait vraiment, à voir cette ténacité
du bon portrait chez des peintres belges détournés, par des
influences étrangères, de la riche voie tracée par l'art de leur
pays, que la terre qui a produit tant de grands el bons teneurs
de paletle, ne veut pas lâcher tout à fait ses fils égarés, el par
une dernière générosité envers ses enfants prodigues, leur réserve
de belles qualités de « pourlraictureurs ».
Le paysage, la marine, la peinture d'accessoires onl leurs
spécialistes. La messe de saint Hubert, les Etangs gm à La Hulpe,
l'Etang de Tervueren, un Verger, et surtout une Lisière de bois,
où s'épuisent toutes les richesses d'une palette merveilleuse,
décèlent en Hippolïte Boulenger un paysagiste de race, apte à
saisir el à exprimer les fugaces impressions de la nature, à en
vanter, dans sa langue harmonieuse el forte, les rusticités. L'art
de Boulenger, si énergiquement discuté jadis, el dans lequel on
ne voulut voir longtemps que la violence d'ébauches rudimen-
taires (ô celle épiihète de « réaliste », crachée jadis comme une
injure!) apparaît aujourd'hui définitif. C'est lui qui ouvrit la voie
aux expressions nouvelles de la peinture documentaire dans
lesquelles les soucis de rornementation se sont joints aux
recherclies obstinées des lucidités de l'air, dos décompositions de
la lumière. Le réalisme est devenu pour nous 1res classique.
Mais qui contestera la grande pari qu'il a prise h TévoUilion de
l'art contemporaio ?
Louis Artan a même mérite qu'Hippolylc Boulenger. 11 fut
des premiers à peindre la mer l'ace à face, à camper son atelier
parmi les embruns, dans le déferlement cfes vagues, et k faire
passer ainsi, dircctemeni, les frissons du large dans ses toiles.
Voyez l'Estacade, son œuvre maîtresse. Voyez aussi la désolation
de VEscaut, enseveli dans les linceuls de l'hiver. Et demandoz-
vous s'il est en France ou ailleurs un marinistc qui ait compris
et rendu la profondeur de l'horizon, la fluidité des eaux, Ips
vastes espaces du ciel d'une façon plus saisissante et plus belle ?
Et ce prodigieux Louis Dubois, qui fut \\ la t'ois porlrailistc,
marinisle, paysagiste, peintre de genre, peintre d'accessoires, cl
par-dessus le marché écrivain humoriste, critique acerbe et
pamphlélaire cinglant ! Son Eve, ragoût de couleurs magnifique,
un Chevreuil mort, malheureusement fort mal placé, une Nature
morte, un Paysage exquis ne donnent de[,lui qu'une idée incom-
plète. Telle qu'elle est, son exposition le place néanmoins parmi
les grands peintres contemporains. L'harmonie et l'éclat de ses
colorations n'ont, pensons-nous, jamais élé dépassés.
On le voil, malgré ses défauts, l'Exposition mérite respect. Si
le résultat n'est pas complètement atteint, du moins faut-il louer
les organisateurs d'avoir tenté un effort. L'œuvre est|digne d'en-
couragements. Nul doute qu'elle porte ses fruits.
LIVRES ET BROCHURES
Histoires bourgeoises, par Gustave Vanzype.
Bruxelles, Fernand Hoton, éditeur, 1892, petit in-18, i~i2 pages.
Quelques histoires : La Çanie, la Julie, Jette, Anniversaire,
Joie cruelle, etc., contes de vingt à cinquante pages, qui ont du
souffle et de rcnlraîncment. C'est , de l'observation réaliste, avec
quelques notes de psychologie. Histoires bourgeoises, peinture de
milieux bourgeois, sans la crainte de mettre en scène, pour nous
y intéresser, tel paysage national, tel centre de grande ou petite
ville. Récits intéressants, émouvants parfois, comme V Idylle dou-
louloureuse et la Grand'mère.
Le style de M. Vanzype est simple mais alerte, quoique peu
Imaginatif et dénué de toute surprise.
Roses d'automne, par Jules Sothaux. Charleroi, Tourneur-
Schmitz, libraire-éditeur, 1892, in-S», 136 pages. > •
Un petit vdiume de poésies, pour quelques-unes desquelles le
poète a tenté l'épreuve des jeux floraux de Toulouse et de l'Aca-
démie Lamartine et en est revenu heureux vainqueur. Impressions
simples, dites simplement, àme naturellement mélancolique cl
tendre qui se plaîl à mettre en rime les impressions de prime
jeunesse, les tristes ou gaies visions du hasard des rencontres.
Cœur qui a pitié des tout petits enfants que le ciel enlève un soir
de croup pour s'en faire une cour de petits anges, et qui se plaîl
à redire à sa façon quelques-unes des chansons du pays natal.
Rimes et Raisons (œuvne posthume), par Febdinand Gra vu and.
Verviers, Gilon, éditeur, 1892, in-18, 168 pages.
Pourquoi donc attacher tant de prix à là rime? La rime appelle
le mot, le mot sollicite l'idée. C'est vrai, mais par quel intime
mauvais procédé? En imitant les lois de l'écho qui sont ici celles
du ressouvenir. Sollicitations de clichés, de phrases toutes faites,
désormais illustres par des chevilles célèbres. Pourquoi écrire si
c'est pour redire?
Ceci tout à fait en général et sans vouloir morigéner l'auteur de
Rimes et Raisons qui n'est plus là pour nous répondre.
Mais la sévérité s'explique envers unç.,œuvre, fût-elle posthume,
quand avec un peu de réflexion l'auteur aurait pu cultiver un
très passable fond.
Rimes et Raisons? lue collection de poésies dont le lien
échappe, tableautins, fablettes,, poulets, introductions pour
l'album de miss X, guirlande pour l'éventail de M"'" Z. Mais si les
rimes donnent prise à critique, les raisons parfois ne paraissent
pas mauvaises du tout et convainquent.
Un litre curieux : A Mademoiselle ***, en lui envoyant un
Traité de Nomenclature géométriquk, écrit à son intention :
Voici la saisou où les fraises
Rougissent dans le fond des bois ; —
Fleurissez, carrés et trapèzes,
Angles aigus, obtus et droits,
etc.
Non moins amusant le po'èle quand, pleurant l'absence de son
amie, il se compare depuis qu'il a vu Suzon à un jeune ^veau
mis en sevrage. L'image est hardie.
Pour clore le volume, une très prestement dialoguée pelile
comédie en trois scènes : Titus. Il s'agit du pauvre André qui
s'est coupé les longs cheveux pour plaire h sa Rose et, devenu
franchement laid après l'opération, est impitoyablement chassé
par sa maîtresse.
Annuaire du Caveau verviétois (Société littéraire.) —
Onzième année, 1889-1890. Verviers, imprimerie Féquenne, 1891.
In-18 de 345 pages.
Quelle place de plus en plus grande est en voie de conquérir
la bibliographie belge. Toutes lés semaines une revue nouvelle,
tous les jours un livre dédié aux lettres. Le mouvement est intense.
Déjà on ne peut plus le suivre dans son entièrelé. De nouveaux
noms s'ajoutent sans cesse aux anciens.
Les écoles se multiplient ou, plus exactement, il n'y a plus
d'école, chacun cherchant, sinon toujours avec succès, à rester
ce que, bon ou mauvais, il est de par sa nature.
Décentralisation sur toute la ligne. Des écoles, mais aussi des
foyers littéraires. Littérature belge, c'était une-épithètc bien osée
pour nos amis de France. Or, voilà que le mouvement ne se con-
centre plus uniquement dans les grandes villes. La province suit
l'exemple, et, eatôle, certes, Verviers, où toujours se sont trouvés
des hommes de talent et de cœur pour entretenir le culte de l'an
et du beau sous toutes ses formes. Cî, le onzième Annuaire du
Caveau verviétois, non moins riche en poésies, en chansons et en
nouvelles que ses prédécesseurs. Cent vingt-sept pièces en tout,
les unes en français, les autres en wallon, ces dernières témoignani
d'un bel amour du parler maternel. Et c'est bien. Car toujours se
diront en la langue primiliveles impressions intimesel complexes,
celles auxquelles on reconnaît l'inaltérable suc du terroir.
; Les titres des pièces remarquées? Nous ne sommes pas jury,
nous ne distribuons pas de prix. C'est au Caveau verviélois tout
entier que nous envoyons notre salut cordial et nos encourage-
ments à continuer une œuvre si bien commencée.
X
L'ART MODERNE
149
EXPOSITION DU CERCLE ARTISTIQUE
Ce Salon s'avculil de plus en plus, chaque année. Il constilue
un des plus beaux exemples de la plaliludo à laquelle parvient à
descendre certaine race de peintres. C'est dégoûtant de vulgarité,
de médiocrité, d'insignitiance, el l'on se désole de voir gûclior
tant d'huile et de toile! D'ailleurs, Léon Hcrbo est ici îi Une place
d'honneur, on paraît le considérer comme le joyau de l'exhi-
bition : c'est significatif! En revanche, les tenlatives neuves —
ainsi les tableaux signés Coppens? ou les fines fleurs de M""-' Wyis-
man, ou les délictits paysages de M. Wytsman -^ sont reléguées
dans des coins, parmi les œuvreltes des amateurs, ou lancées à
la rangée supérieure.
Certes, çà et là, un nom : Abry, Claus, Binjé, Dardenno, Dcn
Duyls, Gilsoul, Oyéns, L'yllerschaul, Verhcyden, Veriiacrcn
(celui-ci avec des Accessoires d'une chaude richesse). Mais peu
d'imprévu ; chacun donne ici un exemplaire de sa note liabiluelle,
et ces noms cités sont loin de représenter tout le jeune an.
A part : MM. Frédéric et Heymans. Le Soir do M. Frédéric —
trois fillettes en blanc, les yeux bleus baissés vers des fleurs
tandis que leurs mains esquissent de doux gestes de bénédiction
— a beaucoup de poésie el d'émotion. Le geste des petites est
d'un fervent adorable. Le portrait de M"" W. est un peu criard do
couleur : rose sur vert.
Quant à M. Heymans, son envoi émerveille. Ses deux tableaux
sont toute une splendeur d'aurore cl de lumière matinale.
On y entend gazouiller les oiseaux qui se réveillent et qui
égratignetit le ciel pur de leur vol et de leurs cris. Les arbres
frissonnent sous les premiers rayons de l'aube, pénétrés de quelle
belle lumière rédemptrice, de quelle prodigalité de lueurs argen-
tines ! La douce communion, toute blanche, de la terre et du ciel,
au moment où le soleil se lève, est chantée ici en harmonies
d'une blondeur pûle de rayon passant à travers les rosées. Voilà
l'œuvre d'un poète! Les vaches se rendent à leur pâture, réveil-
lées par les alouettes, au milieu de clairs étangs aux étranges
mirages de cieux flamblant'clair, et les arbres s'auréolent, ainsi
que dos faisceaux de lances brûlantes, d'un nimbe de rayons. Et
la peinture? Fine, délicate, légère, aérienne. Allant droit dans les
chemins nouveaux, ivre de clarté, drapée de dentelle empruntée
aux légères buées qui s'élèvenl, comme des sylphes, des ondes
aurorales.
EXPOSITION DE L'« ALS IK KAN "
Il est inutile de réunir à nouveau des œuvres qui ont déjà élé
vues à Bruxelles. Celte observation s'adresse à une grande partie
des choses exposées à VAls ik kan. Nous connaissions la grande
toile de M. Abry; les tableaux de W. Henry De Groux onl été
exposés à son atelier, il y a deux ans; les Rops sont anciens et
l'un d'eux a servi de frontispice aux Notes d'un touriste de Jean
d'Ardcnne; les Mellery viennent d'être exposés aux XX ou au
Aquarellistes; presque toutes les „toilçs de M. Melchers ont élé
vues, il y a deux mois, au Cercle des Arts el de la Presse. 11 est
inutile de renouveler la critique \x leur sujet. Notons pourtant,-dc
M. Melchers, un A Vêpres, d'une intimité étrange et piquante,
frais de couleur, et d'un sentiment hollandais très subtil. En un
autre dessin M. Melchers se laisse un peu trop influencer par
(Icorgcs Minne.
En général, les paysagistes de VAls ik kan 5ont trop matériels,
trop lourds, Iruellant, mastiquant. Ainsi M. Deisaux. El malgré
leur matérialité, ces œuvres ont l'aspect sec; c'est crayeux.
M. Deisaux paraît le plus intéressant, avec M. Morrcn, dont la
Prairie indique de claires tendances vers le neuf, Il en est de
mémo des œuvres de M. Claus, un luministe dont la palette s'affme
de plus en plus. La belle note de lumière caressant l'automne
d'or des arbres! M. Baseleer a la peinture un peu criarde, mais
il révèle de bonnes tentatives. M. Florrnl Crabeels fait songer au
peintre Jacquc en ^9. Rentrée tardive. Citons encore M, Verheydcn,
un invité, dont le Fannl donne une impression de nuit ténébreuse,
au fond d'une mer furieuse : on senl l'ouragan s'acharner contre
les pilotis de l'estacade, sous un ciel frissonnant que pique l'œil
sanglant du fanal ; Gilsoul, qui donne la sensation rapide et assez
savoureuse de ton d'un train passant au sommet d'un talus,
derrière la baraque d'un garde-barrière; Marcelle, donl l'envoi
est bon et dénote du travail, el enfin Vervvée, toujours vigoureu-
sement brossant des vaches dans les grasses prairies, les polders
el les dunes des Flandres.
M. Laermans ajoute une page de belle mélancolie : Un dimanche
matin au village, à son étrange poème de la vie des rustauds que
nous avons analysé dernièrement à l'occasion de l'exposition
dj^ Voorwaarts.
De M. Eugène Smils une fine el colorée Convalescente; de
M. Vanaise une Etude assez chaude; de M. Amédée Lynen une
Serveuse, d'une observation pittoresque, et d'os éludes et croquis
serrés el nerveux de M. Lemmen, el parmi eux, surtout, une tête
de vieille femme.
M. Hannotiau, qui s'inspire de De Groux et de Mellery, expose
un Refuge des affligés assez mélancolique. D'ailtres s'essayent au
symbolisme : ainsi MM. Ciamberlani et Delville, sans grand
charme, toutefois, el sans captivante nouveauté. Ce sont les
grandiloquents de la nouvelle peinture. Jusqu'ici leurs tenlatives
onl toujours sonné assez creux.
Citons encore parmi les peintres : MM. Speeckaert, Hermans,
Uylterschaul, Francis Nys et, parmi les sculpteurs, MM. Char-
lier. Lambeaux, et surtout l'élégante sculpture de M. Ch. Van der
Stappen, le «« coq » de la présente exposition.
Tel est le bilan d'Anvers-Bruxelles-Exposition. Son but? En
invitant quelques habitués des XX et de feu l'Essor, cette mani-
festation a-l-elle voulu prouver la prédominance de Bruxelles
jeune sur Anvers jeune?
Nous ne voyon^ pas d'autre moiif à une semblable réunion
d'œuvres^. C'est un enfoncement de portes ouvertes.
LA QUESTION DES MUSEES
Au Musée de Lille.
Le Nouvelliste du Nord et du Pas-de-Calais, par la plume de
M. Jules Duthil, entreprend une campagrie contre le Musée de
Lille cl les faux tableaux qu'il prétend y reconnaître.
D'après lui, il existerait à Paris une oftîcine confectionnant de
faux tableaux de vieux maîlros, officine dirigée par un Belge. La
commission lilloise aurait été viclimedecelte fabrication. D'ailleurs,
dit le chroniqueur, « ce n'est pas la première fois que les histoires
de faux tableaux saisissent l'opinion. Il y a quelques années, on'
signalait k Francfort une officine analogue à colle qui émeut
aujourd'hui l'opinion cl dont la spécialité élail de faire des pcliis
maîires flamands ».
Parmi les tableaux douteux, le Nouvellùle signale notamment
un Gérard David (payé 25,000 fr.), un Jordaens et un Bouts. ■
Le Nouvelliste conclut : «' 11 importe que la commission dise
ce qu'elle sait sur les tableaux qu'elle a récemment achetés,
qu'elle fournisse leurs, papiers ou leur histoire, ou si elle a été
victime d'une escroquerie, qu'elle avoue et surtout qu'elle mette
au rancart des pastiches qui n'auraient pas leur place dans nos
collections. » Il ajoute plus loin : « Il faut donc que la lumière
se fasse, qu'elle soit entière et complète. La réputation de notre
musée est en jeu. Nous ne douions pas que, dans les circonstances
présentes, la commission fasse son devoir tout entier, et qu'en
raison de la publicité donnée b des bruits de nature à décon-
sidérer nos collcclions, elle assure à ses éclaircissements une
publicité non moins grande ».
Les mêmes phrases pourraient être adressées aux gardiens-
muets de- notre p'ace du Musée, dont une enquête prochaine et
sévère déliera, espérons-le, les langues immobiles; mais à Lille
la comnission a répondu tout de suite aux attaques de la presse,
— bien anodines, pourtant, en comparaison de celles dirigées
ici contre les personnages officie Is. Dans une note adressée à
l'Agence Dalziel, la commission affirme que le musée de Lille
ne conlicul pas de faux tableaux. Pour l'établir, elle déclare que
tous les achats ont été faiis ou bien à des ventes après décès ou
bien à des spécialistes tels que MM. Gauchez et Bourgeois. Nous
ne savons si le Noitvellisle seconlentera de ces explications.
LES DONS AUX MUSÉES
Nous lisons dans le Guide de l'amateur de dimanche dernier
une observation qui corrobore 1» s idées que nous développions
nous-mêmes dans notre dernier numéro :
« Les dons au Musée du Louvre deviennent de plus en plus
fréquents. M. Gerspach, directeur des Gobelins, vient d'off'rir à la
section du moyen-âge une mosaïque vénitienne du xii' siècle : les
objets de celle époque conservés dans les collections sont très
rares.
Les amateurs français n'onl pas encore pris l'habitude, fré-
, qucnte en Angleterre, de remettre des objets d'art dans les
musées à litre de àéç6\, mais il suffit dans notre pays de fournir
roccasion d'une générosité pour voiries dons arriver. En province,
par exemple, on ouvre un musée; que le conseil municipal vote
une faible subvention annuelle de 2,000 francs el aussitôt les
donateurs apparaissent; les uns ont suffisamment joui de la vue
d'un tableau, d'autres sont tlaltés de voir leur nom sur un car-
touche; il en est qui n'ont pas d'héritiers ou qui en ayant ne les
aimeDi pas ; d'autres enfin onl le désir de contribuer au dévelop-
pement du goûl el de rinsiruclion d'art de leurs concitoyens.
Evidemment tout dans ces dons n'esl pas d'ordre supérieur, mais
le conservateur doil prendre ce qui est acceptable. Plus tard,
lorsque le musée sera bien pourvu, il mettra les objets secon-
daires dans les places les moins favorables. »
CONCERTS PARISIENS
Au Théâtre d'Application, M"'« Samary organise de fort
iulrayantes séances hobdomaelaires sous ce titre allirant : Une
heure de musique nouvelle. Des conférenciers renommés cherchent
l\ plus intimement faire connaître et aimer les compositions des
jeunes, racontant les existences el moalrant les idées. La série
avait commencé par le maître, par Vincent el'lndy. Les dernières
matinées en étaient arrivées à MM. Hille'macher, puis enfin h
M. Ë. Chabrier pour finir bientôt par W. Wormser,
M. André Maurel a présenté les frères llillemacher avec l'en-
thousiasme d'un admiraleur : il a expliqué el parfaitement
démontré la le^gilime possibilité, selon lui, de celte association
de deux individualiiés — sans même une monstruosité arlislique
d'exception — par la presque idenlilé d'être des deux frères.
Mais après la conférence, audition des œuvres : parfaites cepen-
dant de facture, délicieuses et délicates d'impres-sion, d'un
bon goût extrême qui les font d'un très bel arl, voici que l'on
n'est plus du tout de l'avis de M. Maurel : il manque un rien, un
rien .qui est tout, pour émouvoir enlièremenl. L'eeuvre d'art,
L'closc en une conception où elle est perçue presque complète
dans sa généralité et dans ses moindres délails, sort synthétisée
du sentimeni; l'identité d'un seniiment avec un sentiment, d'où
l'identité absolue de deux conce plions, ralionnellemenl est impos-
sible. L'un des frères Hillemacher cisèle les impressions d'aulrui :
il en résulte en ces musiques un manque de lien complet el sublil
entre l'unité el les infinies parties — enlre le sentiment et la forme.
Les œuvres de M. Chabrier, malgré la brillante causerie de
M. Catulle Mendès et leur succès auprès d'un. public mondain, ne »
nous causèrent pas l'impression que nous attendions. Dans celles
de^s compositions qu'on nous fit entendre, l'émotign d'art est secon-
daire, el la facture seule vigoureuse, voire brutale d'exubérance.
La Ballade des gros dindons et la Pastorale des cochons roses,
dites par M.Fugère, furent d'ailleurs bissées, trissécs, acclamées.
M. Catulle Mendès en triomphales paroles a glorifié le mon :
Ephraïm Mikacl, et il l'en faul grandement remercier.
En pleine salle du Conservatoire, le samedi 30 avril, l'Art jeune
est venu s'implanter gloriensement: c'est la Société nationale qui
y organisa un splendide concert supplémentaire avec chœur et
orchestre. Le programme —cependant composé d'œuvresde'^jà con-
nues el entendues — simplement exquis : la belle symphonie en si
ft^moi /Hfl/eH>'d'Ërnest Chausson; de Fauré.uniH/adrigfO^à quatre voix
chanté délicieusement par M"" Lépine, M""" Joussen, MM. Warm-
brodl et Dimilri ; un Clair de lune (de Verlaine), par M. Warm-
brodl et une ravissante Pavane interprétée par les chœurs el l'or-
chestre, sous l'admirable tlireclion de M. d'Indy. Puis la Sainte
rose de Lima de P. de Bréville, extrêmement jolie, quoique d'un
mysticisme un peu mondain. Enfin Y Eleison de Camille Benoit et
Dansons la Gigue de Charles Bordes.
El pour finir, cette joie d'entendre à Paris un fragment du
resplendissant poème le Chant de la Cloche. C'est le 5" tableau,
« l'Incendie ». Le tocsin sonne lugubre et les voix montent eff'a-
rées, puis grandissent splendidement en un cri d'affolement
terrible, arrêté soudain par le calme victorieux de Wilhelm ;
c'est absolument superbe.
Bornons-nous à transposer l'émotion du public et à noter les^
acclamations qui onl glorifié Vincent d'Indy. Mais quand, à Paris
ou à Bruxelles, monlera-l-on enfin le Chant de la Cloche en entier?
E. S. .
i:art moderne
151
BIBLIOGRAPHIE MUSICALE
MM. llicliaull Cl C'« vicnnonl de publier, en une excellenlc édi-
tion populaire à 5 francs, un nouveau Gradns ad Parnassum
résumé, comprenant un clioix de trente-six éludes soigneusement
revues, corrigées et doigtées à l'usage des. Conservatoires par
W. I. Phimi'I', \\ qui le public des conceris populaires bruxellois
a l'ail récemment un si sympalliique accueil. On sait quele Oradas
de démenti est, de tous les recueils spéciaux, l'ouvrage le plus
favorable au développement ra|)ide du mécanisme des pianistes.
C'est le volume classique par excellence, le ra)?i/)fi)(rf(H)H liabituel
des virtuoses. L'édilion nouvelle qui vient d'en paraître esl-
appelée à un succès ccrlain.
Signalons, chez les mômes éditeurs, une transcription pour
piano seul de l'Amour (solo de violoncelle), œuvre poslliume de
Louis Lacombe, ci une série de petites pièces pour piano dans le
genre ancien, sortes de pastiches fort à la mode^^-n ce moment,
signées Gachiki, RIauie, F. IUfaletti, E. Lévéque:
A lire les mélodies de T.sohaïko\vsky qu'ont publiées
MM. Mackar cl Noël, propriétaires exclusifs des œuvres du
maître en France el en Belgique, on s'étonne que ces jolies
inspirations, qui rappellenl les plus beaux lieds de Scliumann,
ne soieiil i)as connues davantage. L'une d'elles : Ali] qui brûla
d'amour, a fait, il est vrai, son tour d'Europe. Mais les autres ?
Les programmes de nos concerts n'ont point renseigné encore,
pensons-nous, les œuvres suivantes : N'accuse pas mon cœur
(poésie de Tolstoï), Pourquoi tant de plaintes, (Plestclieew),
O douce souffrance (M""' Roslopcliine), qui viennent de nous par-
venir, el qui, toutes trois, ont un réel intérêt artistique.
MM. Mackar el Noël mettent également en vente un recueil de
six mélodies, chant et piano, de M. Georges Baudouin, sur des
poésies de Th. Gautier, de L. Bouilhet et de M. Dyohis Ordinaire.
Dp mérite inégal, les unes semblent être détachées de quelque
opéra comique, les autres empruntent la forme du lied et
cliarmenl par la fraîcheur d'une inspiration claire, de bon aloi.
Les pièces les plus remarquables à cet égard sont : ^fo«ice el
Mon cœur s'affole, écrites avec un art délicat.
Petite chroj^ique
L'Indilpendanre consacre deux colonnes à Pelléas el Méti-
samle, le nouveau drame de Maeterlitick, dont elle reproduit
quelques fragments et qu'elle analyse avec le soin et le respect que
mérite l'œuvre d'un artiste.
Voilà qui est bien. ISous félicitons iindepsndance d'avoir osé
rompre avec ses traditions fâcheuses et de s'exécuter aussi g:ilam-
menl. El nous constatons avec satisfaction que les polémiques
ont tôt ou tard un résultai utile.
M. Franz Servais est en ce moment It Paris, où il est sérieuse-
ment question de monter son Apollonide îi l'Opéra.
Des auditions fragmentaires en ont été données dans des
réunions privées. Elles ont produit un excellent etfel sur les
auditeurs. M. Bertrand, directeur de l'Opéra, prendra connaissanc
c,om|)lèle de l'œuvre aussitôt après la première de Salammbô.
Nous souhaitons vivement que les négociations aboutissent. Indé-
pendamment du mérite incontestable de la partition, il y a, semble-
l-il. pour la France, dont les compositeurs l'cçoivent en Belgique
un accueil si sympathique, une question de courtoisie en jeu. Il
n'est pas douteux que celte considération rallie au projet de
M. Bertrand tous les suffrages.
La quatrième el dernière séance de musique de chambre pour
instruments à vent el piano, donnée par MM. Anthoni, Guidé,
Poncelel, Merckx, Neumans el De Greef, aura lic.u aujourd'hui
dimanche, à 2 iieures. M. E. Latarge a bien voulu prolonger son
séjour afin de prêter son concours aux organisateurs do cette
belle séance, qui sera complètement consacrée aux œuvres de
Sainl-Saëns.
C'est ce soir, dimanche, que l'orclieslre de la Monnaie inaugu-
rera au Waux-llall la série de ses concerts d'été sous la direction
de MM. Flon el Dubois. M. Guidé a été nommé président du con-
seil d'administration. Avec de tels éléments, nous aurons certai-
nement des programmes jnléressanis et des exé;utîons soignées.
On a vendu la semaine dernière îi la Galerie Moderne une
cinquanlaino d'études, d'esquisses, de panneaulins de Lfluis
Artan.
La vente a atteint 11^), 000 francs, chiffre considérabliî qui a
cerics dépassé l'espoir des vendeurs, étant donné que la vente ne
contenait guère que de petites toiles insignifi.inies, inachevées,
non signées. Esl-ce ([ue les amaieurs commenceraient à revenir di'
leur injuste prévention à l'égard des maîires belges? Quelques
prix semblent le faire esfiérer.
■ Une. élude, 6' ros temps, la plus importante de la colleciion,a été
adjugée 1,500 francs à M. J. De Gi'eef.— Le Phare de Nieupvrt,
750. — Barque échouée, 750. — Canal de Fumes, 640. —
Clair de Lune, 000. — Dernières loueurs, 600. — Mon Atelier
(La Panne), 510. — Marée montante, -iSO. — La Minque à la
Panne, 420. — Ln flèche de la Crevette, 410. — Les au'res
toiles ont été vendues de 50 à 250 francs. La p'uparl, répétons-
le, n'étaient que des croquetons, des taches, des essais embryon-
naires que le peintre n'eût sans doute jamais laissé sortir de'son
atelier.
Ixellcs aura, comme l'an passé Schaerbeck, son exposiiicfn
locale. Elle sera actuelle et réirospeclive. Un comité d'artistes
réunit en ce momi>nl des œuvres de tous les peintres né.s îi
Ixelles ou qui ont habité cette commune, parmi lesquels il faut
citer Ch. De Groux, Wierlz, Fourmois, Joseph Sievens, etc.
L'exposition s'ouvrira le!" juin. Plusieurs conférences seront
failes au cours du Salon, entre autres par MM. G. E"klioud e-
Ch. Poivin.
Le Salon triennal de Gand s'ouvrira le 21 août. La clôture en
est fixée au 10 octobre. Les envois doivent élre annoncés avant le
15 juillet, par une lettre adressée à Ja commission directrice, au
Casino. Les ouvrages doivent être déposés au plus tard le 20 juillet.
La série des fêtes organisées k Charleroi à l'occasion de l'Ex-
position des Beaux-Arts continue de brillante façon. Dimanche
passé, un concert donné par la musique des Guides, sous la direc-
tion de M. Simar, et la Société chorale les XXV, de Gilly, a
obtenu un succès sans précédent. Plus de dix-huit cents auditeurs
~se pressaient dans les lo-iaux de l'Exposition. Quant au Salon lui-
même, il reçoil toujours de nombreux visiteurs et préoccupe tous
les esprits. La presse locale lui a fait le plus bienveillant accueil ;
de nombreux articles, notamment dans le Journal de Charleroi,
onl analysé les œuvres exposées. On attend avec impatience la
réalisation des promesses de l'adminisiraiiolK communale. L'idée
que nous avons préconisée — de dresser surtine place le Marte-
leur de Meunier — esl unanimement approuvée. M. Valère
Mabille, l'infatigable promoteur de ces réjouissinces, a demandé
l'auj^orisation de prolonger de quinze jours l'exposition qui devait
se clore le 8 mai.
Entendu au Select-Théalre notre confrère M. Camille .Mauclair
dans une très substanlielle el très lucide conférence &ur le
Théâtre de Maurice Maeterlinck. Le conférencier a fait partager
h son public son enthousiasme pour le maiire belge. La séance
s'est terminée par de vifs applaudissem nls. (Gil Élas.)
O
DOUZIÈME ANNÉE
L'ART MODERNE s'est acquis par l'autorité et l'indépendance de sa critique, par la variété de ses
informations et les soins donnés à sa rédaction une place prépoiidérantc. Aucune manifestation do l'Art no
lui est étrangère : il s'occupe de littérature, de peinture, de sculpture, de gravure, do musique,
d'architecture, etc. Consacré principalement au mouvement artistique belge, il renseigne néanmoins ses
lecteurs sur tous les événements artistiques de l'étranger qu'il importe de connaitre.
Chaque iiuméro do L'ART MODERNE s'ouvre par une étude approfondie sur une question artistique
ou littéraire dont l'événement de la semaine fournit l'actualité. Les expositions, les livres nouveaîix, les-
premières représentations d'œuvres dramatiques ou musicales, les conférences . littéraires, les concerts, les
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Lk numéro : 25 centimes.
Dimanche 15 Mai 1892.
L'ART
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DBS ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Comité de rédaction t Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00 — ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser toutes les communications à
l'administration générale de TArt Moderne, rue de l'Industrie, 32, Bruxelles.
?
OMMAIR£
Les Maîtres imprkssionistes. — Aux Concerts populaires. —
L'Ode a la Joie. — Le Char de la Paix. — Histoire des lettres
beloes d'expression française, par Francis Nautet. — '■ Accusés de
réception. — Nécrologie. — Correspondance. — Mémento des
expositions. — Petite chronique.
Les Maîtres impressionnistes
Par ces temps où l'on songe plus à la conquête du
pain qu'à la conquête du sol, où les engins destinés à
celle-ci sont utilisés pour celle-là, où l'on ne s'occupe à
détruire qrie pour instruire, la lutte pour les idées se
mène parallèlenjent dans tous les districts de la con-
naissance, et des révolutions esthétiques s'accom-
plissent. Si ces agitations ne font pas naître l'art,
lequel, écrivit judicieusement Whistler, - a lieu par
hasard », du moins elles permettent aux artistes qui
jeunes semèrent pour l'avenir, de récolter avant leur
mort. Voici pourquoi les peintres, aujourd'hui sexagé-
naires, qu'on baptisa d'abord réalistes parce qu'ils
observaient plus sainement la nature que leurs devan-
ciers et qu'on traita par suite de « communards » à une
époque où l'épi thète pouvait passer pour l'injure
suprême, sont maintenant honorés comme des maîtres,
et peuvent rencontrer telles de leurs œuvres jadis con-
spuées dans les galeries célèbres, les musées d'Etat,
dans le commerce.
L'école impressionniste — on lui a conservé cette
étiquette appliquée jadis par la critique en manière
d'épigramme — naquit d'un besoin de réagir contre
une époque où la peinture à sujets historiques ou pitto-
resques passionnait l'élite, et où le bitume, a dit Fro-
mentin, semblait la couleur auxiliaire de l'idéal. On se
mit à peindre et à « terminer » en plein air, avec un
nombre fort restreint de couleurs. Alors, devant le
motif, chaque artiste se préoccupait beaucoup plus de
l'effet que de l'arrangement ; la vibration de la lumière
baignant les formes, l'ondoiement des reflets sous la
fugacité des ciels, les phénomènes jusqu'à ce jour inex-
ploités pour eux-mêmes : givre, brouillard, gelée
blanche, midi caniculaire, brume, brune, etc., moti-
vèrent cette peinture un peu météorique mais presti-
gieusement subtile, riche en colorations, éloquente de
vérité. Abordaient-ils la figure, les débutants de l'école
du plein air s'inquiétaient de ce que valaient leurs
modèles par rapport à l'ambiance de la note que cha-
cun donnait dans un décor réel et de l'authenticité des
attitudes plutôt que de la restitution psychologique par
une étude patiente du caractère facial ainsi que le vou-
laient les vieux maîtres plutôt que de faire intervenir
ces figures pour satisfaire des tendances à l'ornementa-
tion, à la composition.
^
" Pendant le long séjour que je fis en Italie au début
de ma carrière, disait Corot au peintre X"*, j'aurais
voulu arrêter un instant les jolis nuages que je vo}ais
fuir sous le vent dans le bleu du ciel, afin de les pouvoir
copier; mais aujourd'hui, ajoutait le grand et bon
homme, je préfère qu'ils marchent. " Eh bien, les pre-
miers adeptes de la peinture nouvelle ont voulu réaliser
ces préoccupations anciennes de Corot et instantanéiser
la nature, des coins de nature; aussi leurs œuvres, en
général, sont-elles plutôt des études que des tableaux.
Aujourd'hui et depuis plusieurs années une heureuse
évolution s'est accomplie chez les maîtres de l'impres-
sionnisme; ils ont compris en artistes qu'ils furent
toujours, mais en artistes plus, réfléchis et plus com-
plets, que la nature ne s'arrange pas constamment en
œuvre d'art, et qu'une des qualités fondamentales d'un
tableau doit être qu'on n'en puisse isoler fictivement ou
effectivement un fragment sans compromettre la partie
restante. Appliquez cette opération à une étude, elle
pourrait y gagner, un tableau y perdra toujours.
L'harmonie d'une peinture se prévaut autant d'une
savante combinaison de lignes que de l'observation des
valeurs; aussi l'artiste en mal de composition doit-il se
dire que ce mouvement de terrain, cette branche d'ar-
bre, ce bras, cette robe, doivent se trouver rigoureuse-
ment à tels et tels points précis de la toile pour satis-
faire à la beauté de l'ensemble, tant pis si dans son trajet
une ligne s'écarte de la réalité pour atteindre à son but.
Un critique du temps des premières armes a pu dire
'des peintres impressionnistes qu'ils n'admettaient que la
moitié des vérités nécessaires et qu'il s'en fallait à la fois
de très peu et de beaucoup qu'ils n'eussent strictement
raison. Aujourd'hui, en présence des toiles les plus
récentes des maîtres de l'école du plein air, si curieuses
à examiner au point de vue de leur caractère orne-
mental, cet écrivain reviendrait sur un jugement un
peu exagéré en son temps, quoique non sans un fond de
vérité. En effet, dans les arts plastiques et surtout en
peinture, il faut si bien compter sur l'inconscient, que
certaines œuvres des moins méditées sont souvent des
plus parfaites. Aussi n'avons-nous songé qu'à établir
une distinction entre les préoccupations en faveur parmi
les impressionnistes à des époques distantes, et non à
condamner. Les toiles que M. Durand-Ruel a recueil-
lies pour sa collection privée, pendant sa, longue car-
rière d'expert, toutes anciennes, sont toutes de premier
ordre. Georges Lecomte vient justement de tresser en
leur honneur des phrases polychromes et belles comme
des fleurs en guirlandes (1); jamais, croyons-nous, cri-
tique d'art ne puisa dans le vocabulaire de quoi faire
vibrer son enthousiasme avec plus de richesse et de
(1) VArt impressionniste, 1 fort vol. in-4o orné de nombreuses
eaux-fortes et pointes-sèches, d'en- têtes et de culs de- lampe, par
Lauzet. ^^
sûreté ; jamais Tpeinture ne reçut pareil hommage
d'écrivain.
Après avoir relaté nettement l'exégèse impressionniste,
puis dénombré les éléments constitutifs du tempérament
dechacun, l'auteur passe à l'examen des toiles de Renoir,
Manet, Degas, Mary Cassatt, Berthe Morisot, Monet, Pis-
sarro, Sisley, Lewis Brown, etc., qui illustrent l'appar-
tement de M. Durand. Ce sont le Déjeuner à Boii-
gival, la Femme à la terrasse, la Femme au chat, de
Renoir ; la Vj^ni^e, les Danseurs espagnols, de Manet;
des Chevaux et Ae& Danseuses, de Degas; des 3/«rmes
et des Panneaux décoratifs, de Monet ; une Vue de
Rouen, un Retour des champs, de Camille Pissarro;
de Sisley, une Seine à Moret, un Paysage à Loiwe-
ciennes, etc., etc., œuvres dont s'enorgueillissent encore
leurs signataires. La plupart sont reproduites à l'eau-
forte par un graveur intelligent, M. Lauzet, déjà fort
apprécié pour son interprétation lithographique des
œuvres de Monticelli.
L'Art impressionniste constitue un volume de haut
goût littéraire et artistique. L'ancienne école du plein
air, qui aux moments difficiles trouva ses défenseurs
parmi nos meilleurs écrivains, poursuit cette heureuse
fortune maintenant qu'il s'agit de la consécration.
Edmond Cousturier.
AUX Cqj^CEF^Tp POPULAIRE^
Le quatrième et dernier concert populaire a démontré, en
même temps que la belle vaillance artistique de Joseph Dupont
çt son zôle d'initiateur, l'impossibilité de détacher d'un drame de
Wagner, sans en détruire le caractère essentiel, la partie musi-
cale. Malgré l'intérêt de cette tentative, il faut reconnaître que
faire chanter le troisième acte de Parsifal en habit noir, c'est
méconnaître radicalement les intentions du maître, si attentif au
■"cShcours parfait de la musique avec l'action, si pénétré du
prestige des décors et de la mise en scène. Si tels fragments
symphoniques : la Chevauchée des Valkyries, la Marche funèbre
de Siegfried, ou même tels fragments scéniques : les Adieux de
Wolan, la Mort d'IseuU, peuvent, à la rigueur, — et encore
est-ce avec répugnance que nous faisons cette concession, — pas-
ser du Théâtre au Concert, il n'est vraiment pas admissible qu'on
transforme en « numéro » de programme musical un ouvrage
lyri'que dont la valeur esthétique réside précisément dans la
fusion intime de tous les éléments qui concourent à provoquer
une impression artistique. Ce qu'on présente ainsi, c'est la char-
pente d'une maison, c'est le squelette d'un corps, et si la gloire
de Wagner n'était désormais inébranlablcment assise, on risque-
rail de compromettre gravement son œuvre en l'exposant, ainsi
dépouillée et réduite, à l'incompréhension de la foule.
Ceux qui ont entendu Parsifal à Bayreulh ont pu, samedi soir,
évoquer par un effort de mémoire les scènes admirables auxquelles
la musique entendue sert de trame. Mais pour les autres, quelles
longueurs, quelles redites, quelle diffusion dans les développe-
ments ! Malgré toute la bonne volonté des chanteurs, malgré l'in-
telligence du chef d'orchestre, malgré le soin avec lequel les
musiciens se sont efforcés d'exprimer loules les nuances de ce
prodigieux déroulement de sonorités, comment faire passer dans
l'âme des auditeurs la vision d'un drame dont on ne leur expose
que l'accompagnement musical ? Ajoutons que la partition de
Parsifal, spécialnnent écrite pour le Théâtre de IJayreuth où
les éclats de l'orchestre se perdent et se fondent harmonieuse-
ment sous la voûle qui dissimule les interprètes, couvre fréquem-
ment la voix des chanteurs quand on place sur une même estrade
acteurs et musiciens. Les plus belles parties de l'œuvre sont
restées confuses, et MM. Lafarge, Seguin et Badiali, chargés res-
pectivement d'interpréter les rôles de Parsifal, de Gurnemanz et
d'Amfortas, ont eu nécessairement, dans leur lutte continuelle
contre les forces musicales déchaînées, un débit monotone peu
propre à mettre en lumière les superbes récits de l'ouvrage.
Nul n'est responsable de ces fautes. Malgré le petit nombre de
répétitions que peut s'accorder le directeur des Concerts popu-
laires et les difficultés vétilleuses de la partition, l'interprétation
orchestrale a été ferme, colorée, les chœurs ont été chantés avec
ensemble. Néanmoins, et nous avons dit pourquoi, l'impression
est demeurée en-dessous de ce qu'on atlendait. Les pèlerins de
Bayreuth ont pleuré leur Parsifal ainsi diminué, et ceux qui
n'ont pas assisté aux représentations du Théâtre modèle n'ont pu
se faire une idée exacte de la splendeur de l'œuvre.
Le concert débutait par une nouvelle audition de la Mer, le
très beau, poème symphonique de M. Gilson sur des vers de
M. Eddy Levis. Nous en avons vanté, lors de la première exécu-
tion, la haute valeur artistique, consacrée, cette fois encore, par
l'approbation unanime de tous les auditeurs, qui ont décerné au
musicien et au poète dc$ ovations et des acclamations sans fin.
L'oeuvre, dont la partie déclamée a eu pour interprète, comme
la première fois, M. Le Bargy, sociétaire de la Comédie-Française,
a été exécutée telle que l'auteur l'avait écrite primitivement, c'est
à dire avec une courte partie de chœurs dans la « Tempête ». Il ne
nous a pas paru que ces quelques interjections vocales ajoutas-
sent beaucoup à l'effet de l'orchestre.
L'ODE A LA JOIE
M. Victor Wilder vient de remanier à sa façon la traduction de
VOde à la joie de Schiller, et M. Lamoureux a laissé adapter cette
tradijction à la neuvième symphonie de Beethoven.
Je crois que si le public avait à la fois sous les yeux la traduc-
tion littérale de l'Ode à la joie et la vulgaire ode suisse â la
liberté avec son explication, fournies par M. Wilder, il serait abon-
damment «éclairé» sur les intentions de Schiller et de Beet-
hoven, ^- et sur les facultés compréhensives de M.' Wilder.
Où celui-ci a-t-il pris que la liberté, chose passive en soi,
simple négation ou haine de l'entrave, fût un sentiment plus
fort qup la joie, — la joie, instinct de la plénitude de Vie, — la
chose la plus positive, la plus active qui soit? A-t-il confondu;oie
et réjouissance, l'épanouissement de l'être avec les fêtes, bals et
carrousels ?
On le dirait. — Il a bien confondu héros avec guerrier (pour-
quoi pas militaire ou garde civique?) et héroïsme avec bataille
rangée. — Et cette division de la poésie? «Invocation à la
liberté», «lyrisme sacré», cet hymne à tout ce qui est et rend
joyeux: vin, femme; amitié ? Départ des... pompiers (i Za co?i-
quête de l'indépendance ^ celle comparaison de la joie héroïque ser-
vant d'exhortation à l'action persévérante ?
Non, cher Monsieur, Schiller écrivait avant 1787 et Beethoven
vers 1818; ils étaient loin des bavardages sonores et des
« effets » en papier mâché que nos pères priretit longtemps pour la
poésie des « idées avancées ». Non, je vous en prie, ne con-
fondez pas ces Grands avec des bourgeois du temps du roman-
tisme.
Quant aux « susceptibilités ombrageuses de la censure », Schil-
ler ne semble pas s'en être démesurément inquiété.
A la page même où se trouve VOde à la joie, je lis dans la
fière poésie de la « Dignité virile » : «Mon talisman hait les
tyrans et les anéantira dans la poussière ». Kœrner, Kiickert,
sous le même patriarcal despotisme d'un Frédéric-Guillaume,
furent autrement audacieux; ils coururent joyeusement le danger
de recevoir un coup de cravache du roi de Prusse en fureur, ou
de mériter quelques glorieux mois de forteresse. Schiller n'était
pas homme à s'arrêter pour si peu, et surtout à tronquer le sens
d'une œuvre pour le plaisir de la publier.
Beethoven semble encore avoir choisi dans YOde à la joie les
paroles les plus douces, les plus joyeuses ; — et le premier réci-
tatif, ajouté par lui : « Amis, point de ces accords ! entonnons
plus agréablement et plus joyeusement », ne fait pas pressentir
des dispositions combatives.
M. Wilder a eu la louable intention d'initier à la compréhen-
sion d'un chef-d'œuvre « la majorité du public ». Honnête ten-
tative quand on respecte le chef-d'œuvre; mais l'amoindrir pour
le faire passer par les portes basses des cervelles ordinaires, c'est
desservir l'art. Soyons donc philosophes, une bonne fois ! Ces
gens là, — ou leurs descendants que je ne rêve pas beaucoup
plus intuitifs, — finiront par être obligés d'admettre, sinon de
comprendre, le beau que nous admirons depuis longtemps. En
attendant, disons-nous avec Berlioz « qu'il serait bien dommage
que certaines gens comprissent certaines choses ». Montrons le
beau dans sa nudité, le temps se chargera de le faine comprendre.
Et laissons chanter la joie ! Si nous sentons Sur nos épaules
une chape trop lourde, nous aurons toujours assez de mauvaise
humeur pour conquérir la liberté en la secouant. Mais ce qui
manque à nos vieilles races qui essaient de se rajeunir au contact
des idées nouvelles, c'est la jeune joie qui ne s'énerve pas à
mesurer grondeusement et pué.nlement les distances, les diver-
gences, les inégalités ; la joie qui tend la main, confiante en elle-
même, en tout ce qui contient un peu d'affirmation, un peu de
bonne volonté, un peu d'amour, un peu de fierté joyeuse et
vibrante comme elle. Laissons chanter la joie, car nous avons
besoin de toutes nos forces vives. I. Will.
ODE A liA JOIB
(Traduction d'après Schiller.)
Joie, belle étincelle divine, fille de l'Elysée, nous pénétrons,
ivres de feu, dans ton sanctuaire. Tes enchantements réunissent
ceux que les conventions ont séparés; tous les hommes devien-
nent frères là où s'attarde ton aile douce.
Choeur. — Millions d'êtres, soyez enlacés dans ce baiser du
monde entier !
Frères, au-dessus de la voûte étoilée doit habiter un bon père.
Que celui à qui a été donné le grand bonheur d'être l'ami d'un
ami, que celui qui a su conquérir une femme aimante, mêle sa
jubilation à la nôtre. Oui, ne pût-il appeler sienne qu'une seule
âme sur la lei-re entière! Et que celui qui n'eut jamais ce bon-
heur, se sauve en pleurant de notre groupe.
r.
156
U ART MODERNE
Choedr. — Que lout ce qu'enserre ce grand cercle rende
hommage à la Sympathie ! Elle conduit aux étoiles oh trône
l'Inconnu.
Tous les êtres boivent la joie aux mamelles de la Nature; tous
les bons, tous les mauvais suivent sa trace parfumée. Elle nous
a donné le baiser et la vigne, l'ami, fidèle jusqu'à la mort. Elle
a donné au ver la volupté, au chérubin, Dieu.
Choeur. — Vous êtes renversés, millions d'êlres? Monde,
pressens-tu le Créateur? Cherche-le au-dessus de la voûte étoilée,
pius haut que les étoiles il doit régner.
La Joie est le fort ressort de l'éternelle Nature; la joie, la
joie conduit les aiguilles de la grande horloge du monde. Elle
persuade aux boutons de devenir fleurs, aux soleils d'apparaître
au firmament, elle fait rouler les sphères dans l'espace, des
sphères que l'œil ne cortnail pas.
Chœur. — Aussi joyeux que les soleils qui volent h travers le
plan splendide du ciel, suivez, frères, votre chemin, joyeusement,
comme uii héros qui vole à la victoire.
Du miroir de feu de la vérité, elle sourit à l'investigateur. Elle
conduit le cortège des résignés, sur la colline abrupte de la
vertu. Sur la montagne ensoleillée de la foi on voit flotter son
étendard; à travers les fentes du cercueil enlr'ouvert on la voit
au milieu idu chœur des anges.
Ch(Eur. — Souffrez courageusement, millions d'êtres; souf-
frez, pour un monde meilleur. Là-haut, au-dessus de la voûte
étoilée, un grand Dieu récompensera.
On ne peut pas récompenser les dieux; jl est beau de leur
ressembler. Que le Chagrin et la Pauvreté.demandent à se réjouir
avec les joyeux.
Que les plaintes et la Vengeance soient oubliées, que notre
ennemi mortel soit pardonné. Qu'aucune larme ne l'oppresse,
qu'aucun remords ne le ronge !
Chœur. — Que notre livre de dettes soit anéanti ; que le
monde entier se réconcilie. Frères, au-dessus de la voûte étoiléd
Dieu nous juge comme nous aurons jugé.
La Joie pétille dans les bouteilles. Dans le sang d'or de la vigne
les cannibales boivent la douceur, et les désespérés l'héroïsme.
Frères, volez de vos sièges quand le verre plein circule, que
l'écume en jaillisse jusqu'au ciel : (Buvons) ce verre au Bon
Esprit!
Choeur. — A celui que loue le tourbillon des étoiles, à celui
que chante l'hymne des séraphins, ce verre au bon esprit, au-
dessus de la voûte étoilée, là-haut !
(Par le) courage ferme dans la lourde peine, par l'appui à
l'innocence qui pleure, par les serments éternels, par la vérité
dite malgré ami ou ennemi, par la dignité virile devant le trône
des rois, — Frères, dût-il en coûter les biens et la vie, rendons
au mérite sa couronne, anéantissons la race de mensonge !
Choeur. — Resserrez le cercle sacré. Jurez par ce vin d'or
d'être fidèle à votre serment, jurez-le par le Juge des Etoiles.
ODE A LA LIBERTÉ
Final de la IX* 'symphonie. — Paroles françaises d'après Schiller,
par M. Victor Wilder.
Mes frères, cessons nos plaintes,
Trêve aux larmes, trêve aux craintes !
Qu'un cri joyeux élève aux cieux
Nos chants de fête et nos accords pieux !
Frères,
Que la liberté descende
De son radieux palais,
Que sa main sur nous répande
• La concorde avec la paix ;
Que son souffle nous enflamme.
Nous embrase tour à tour,
Et nous verse au fond de l'âme.
Un.ardent et chaste amour.
Tous les peuples sous son aile,
Se tendront un jour la main,
Une étreinte fraternelle .
Unira le genre humain ;
Plus de haines, plus de guerres,
Grâce à\son pouvoir vainqueur
Tous les nommes sont des frères
Et n'ont plus qu'un même cœur.
L'âme ouverte. aux rêves roses.
Que ne troublent point les pleurs,
Nous suivrons, parmi les roses.
Des sentiers semés de fleurs.
Et voyant pâlir le doute
Sous l'éclat du ciel en feu,
Noiis suivrons chacun sa route,
Librement, sous l'œil de Dieu 1
'Va, guerrier, et prends tes armes,
Pars sans crainte et sans alarmes.
C'est pour Dieu qUe tu combats !
Jeune cœur épris de gloire,
• Marche, vole à la victoire.
Jette les tyrans à bas I
L'âge d'or reprend naissance,
Tous les cœurs, ô saint transport 1
Frères, par un tendre accord.
Sont ouverts à la clémence.
Tout un peuple, peuple immense,
Qui n'a plus qu'un maître : Dieu,
Sôus son ciel limpide et bleu,
Prie et chante sa puissance 1
NOTICE DU PROGRAMME
Notre nouvelle version française du texte littéraire allemand
dont Beethoven a fait usage pour écrire le finale de la neuvième
symphonie diffère essentiellement de toutes les, traductions qui
ont été faites jusqu'à ce jour.
A la vérité cette divergence ne résulte que d'un seul mot. Mais
ce mot est capital, il éclaire d'une lumière subite la pensée de
Schiller,rauleurdesversallemands,il illumine d'un éclat inattendu
la conception de Beethoven, restée jusqu'à présent dans une
ombre défavorable pour la majorité des auditeurs.
Ce mol qui donne la clef d'une énigme longtemps cherchée, ce
verbe révélateur et décisif, c'est le mot liberté mis à la place de
joie.
Il né faudrait pas croire que c'est par un acte de pure failTtaisie
que nous nous sommes permis cette substitution. Notre interpré-
tation repose, au contraire, sur une étude attentive du texte de
Schiller, sur un examen approfondi des raisons qui ont déterminé
Beethoven à choisir l'ode du poète allemand pour en faire le
couronnement dé son œuvre immortelle.
'■^yjWwm
L'ART MODERNE
157
Il esicerlain que Schiller avait d'abord voulu clianlcrla libcrlé
et c'est pour ne pas tomber sous le coup de la censure qu'il sub-
stitua dans ses vers au mot de Freiheii (liberté) celui de Freude
(joie) qui, en allemand, a la même valeur prosodiqtie.
Malheureusement, cette substitution enlève à l'ode de Schiller
son véritable sens cl sa haute portée pour ceux du moins qui ne
sont pas dans le secret du poète. Ce secret, Beethoven le connais-
sait. Il se flatta que ses contemporains ne seraient pas moins
clairvoyants que lui et c'est pourquoi, voulant chanter la liberté,
il s'empara de l'ode de Schiller, persuadé qu'on lirait Freiheit
partout où l'ombragetise susceptibilité de la censure le forçait à
écTiïn Freude.
Que Beethoven ait voulu, dans son œuvre capitale, célébrer le
bien qu'il estimait le plus au monde, cela n'a rien de surprenant.
On connaît le libéralisme de ses idées et les ardeurs de sa foi
républicaine.
Après avoir voué une admiration enthousiaste à Bonaparte, il ne
cacha pas sa haine pour Napoléon I"" cl, dans l'emportement de
sa colère, il arracha le nom de l'empereur du fronton de la
Symphonie héroïque, écrite en l'honneur du premier consul.
Brutus était un des héros de Beethoven, et jusqu'à son dernier
jour il garda sur sa table de travail la statuette de ce martyr de la
liberté.
Maintenant, qu'on veuille bien relire le texte dont Beethoven s'est
servi pour la partie vocale de sa neuvième symphonie et l'on
verra que son plan prend des clartés imprévues.
La première partie est une invocation à la liberté, pleine d'un
lyrisme sacré et d'une saijite allégresse.
La seconde nous montre le départ iles guerriers marchant à la
conquête de l'Indépendance.
La troisième est un hymne religieux, retenlissanl de la joie du
triomphe.
La quatrième, enfin, est l'explosion de l'enthousiasme popu-
laire célébrant l'affranchissemenl des esprits et la fraternité des
peuples.
Quelle est la valeur réelle de ces idées humanitaires, c'est ici ce
qui nous importe le moins.
Nous ne faisons ni de la politique ni de la sociologie, mais tout
simplement de l'art.
L'essentiel pour nous c'est de pénétrer la pensée de Beethoven
et nous osons nous flatter qu'après ces explications, personne ne
doutera plus que le maître, dans sa neuvième symphonie, n'ait
voulu célébrer la liberté; c'est pourquoi, et puisque l'occasion
s'en présentait, nous avons voulu restituer à son œuvre son sens
véritable et sa signification réelle.
{Note du traducteur.)
LE CHAR DE LA PAIX
L'avenue du Bois de la Cambre s'éjouissait des Chevaux de
M. Vinçotte. Il lui faut maintenant la voiture. On assure que des
démarches sont faites auprès du Gouvernemenl et de la Ville pour
qu'on fixe à jamais, parmi les rhododendrons el les araucarias,
le Char de la paix de M. Dillens qui figura à une récente caval-
cade bruxelloise.
L'idée de déposer cet objet encombrant au milieu de la plus
belle promenade de Bruxelles ne serait que baroque si le carrosse
en question était coté au prix d'une voiture ordinaire, avec la
dorure en plus. Mais il paraît qu'on en demande trois cent cin-
quante mille frana. Ceci nous donne le droit de prolester el de
trouver la pilule amèrc, bien que dorée.
Dans le cortège pour lequel il a été construit, le Char de la
Paix faisait bon effet. On l'a admiré, on l'a loué, el c'était jus-
tice. Le couler en bronze serait niais. Sommes-nous donc si indi-
gents d'idées artistiques, si mal lotis d'inspirations, qu'il faille se
servir des pièces d'une cavalcade pour en faire des monuments
publics? Et si l'on tient à faire une commande à M. Dillens, sta-
tuaire de talent qui a heureus3ment prouvé son savoir-faire autre-
ment que par des chars de procession el par des statues de neige,
ne peut-on lui confier d'autre besogne que celle-là?
Le chariot doré qu'on a traîné par les rues a rempli sa mission
de même que les landaus cl les breaks du Lonchamps fleuri.
Qu'on n'inflige pas à l'avenue Louise l'obligation de lui faire ser-
vir éternellement de remise. Et si l'on a vraiment tant d'argent à
consacrer aux arts, qu'on se souvienne qu'il y a en ce monieni
une acijuisilion admirable à faire, de nature à assurer à noire
Musée d'art décoratif l'un des premiers rangs parmi les grands
musées de l'Europe : colle de la collection Van Branleghem, qui
a en même temps la plus précieuse valeur artistique cl la plus
haute portée d'enseignement.
Histoire des lettres belges d'expression française, par
Francis Nautet (tome I}. Bruxelles, Rozez (Bibliothèque belge des
connaissances modernes). 143 p.
« Les lettres sont comparables à certains crus; il en est dont
la saveur ne résiste pas au temps cl que les années corrompent ;
d'autres, acres au début, ne gagnent leur bouquet qu'avec l'âge.
Aussi, pour compenser le manque de recul, nous avons autant
que possible évité les jugements absolus dans nos sympathies
comme dans nos antipathies, en n'oubliant jamais la philosophie
esthétique que notre sentiment préfère.
Malgré les imperfections inévitables, peut-être aurons-fious
préparé le terrain au futur historien critique qui écrira dans l'ave-,
nir l'histoire littéraire de la Belgique. »
Celle note, insérée dans la préface dé l'Histoire des lettres
belges, résume les deux qualités essentielles de l'auteur : l'iinpar-
lialité et la modestie.
Nous ne pensons pas qu'un « futur historien critique » s'avise
de promener le soc dans le champ si profondément labouré par
M. Francis Nautet. A en juger par le premier volume, qui vient
de paraître dans la Bibliothèque belge des connaissances modernes,
la besogne est faite, et bien faite. Avec une pénétration remar-
quable et un souci minutieux des détails, guidé par un sens cri-
tique très sûr déjà signalé à propos des Notes sur la littérature
moderne qu'il publia en 4885 el en 1889, M. Nautet a dressé le
tableau complet de nos Icllrcs, depuis l'éclosion des premiers
bourgeons que fit apparaître la sève féconde du romantisme jus-
qu'au radieux épanouissement auquel nous assistons aujourd'hui,
avec quelle joie !
' Son étude, bien qu'exactement documentée, n'a aucune aridité.
Elle suit le développement de la pensée littéraire en Belgique sans
s'astreindre rigoureusement à la chronologie des faits. Quelques
grandes classifications: romanciers, poètes, auteurs dramatiques,
spécialistes de genres divers, servent de point de repère el déli-
mitent les territoires, sur chacun desquels l'auteur élève à la
gloire des écrivains, morts et viVants^ des monuments durables.
C'est à Charles De Cosler qu'est principalement consacrée la
première partie de sa revue des romanciers. El c'esl par ces lignes
d'une navranle amertume qu'il termine le chapitre :
« Le 9 mai 1879, Charles De Coster fut enterré au cimetière
d'ixelles.
N'y cherchez point sa tombe. Aucune pierre lumulaire consa-
crant sa dépouille mortelle ne révèle son nom. Bientôt même oh
lui disputera la misérable retraite de terre où il est enseveli; et
les fleurettes du gazon ne souriront plus à ses restes anonymes.
On lassera, on les enfoncera davantage; car, nous disait textuel-
lement, il va quelques jours, le fossoyeur (avril 1892): « La con-
cession n'ayant pas été demandée, je vais enterrer dessus ».
L'isolement du romancier sera donc aussi profond après la
mort qu'il le fût pendant les jours de sa vie triste.
Son Ulenspiegel n'existe plus en librairie depuis longtemps.
La Bibliothèque royale ne pos.sède môme pas ses œuvres com-
plètes.
Aucune place, aucune rue, aucun monument public ne fixe son
souvenir.
Ainsi est honoré, en son pays, la mémoire du premier écrivain-
artiste belge qui, il y a vingt ans, lutta désespérément, seul, sans
escorte et sans appui — contre tous. »
L'état littéraire actuel eut pour gonèse la création des revues
littéraires qui, depuis 1875, se multiplièrent en Belgique avec
prodigiiliié. Et c'est une des parties les plus attrayantes du
livre de M. Nautet que le récit animé de celte eftlorescence
extraordinaire, de cette explosion d'enthousiasme qui réunit
dans une même foi toute la jeunesse inteliectyelle de notre
patrie. Quels souvenirs, déjà, pour tous coox qui ont fait le coup
de feu, et combien ce mouvement d'art, si décrié à l'origine,
apparaît désormais comme l'expansion nécessaire d'une vitalité
irop longtemps comprimée. C'esl avec émotion que nous avons
relu l'exposé de ces batailles littéraires, marquées par tant d'épi-
sodes charmants ou douloureux, par des amitiés solidement nouées
el aussi par des deuils cruels.
Le recul dont parle M. Nautet se fait, invinciblement. La
période agitée qui a enfanté la magnifique évolution artistique
d'aujourd'liui est entrée dans l'histoire.
^CCU?É^ D£ F(ÉCEPTIOJ^
Les Vergers illusoires, par André Fontainas; Paris, librairie
de « l'Art indépendant ». — Evocations, poésies par Eugène
Landoy; Bruxelles, Lacomblcz. — Pastel et Pastellistes, notes
d'art par Albert Dutry; Gand, Siffer. — Les Secrets de Rubens,
étude par Léon Lequime; BruxellosV V* Monnom. — L'Ile
d'Occident, par Emile Vandervelde (extrait du Bulletin de la
« Société royale belge de géographie »); Bruxelles, J. Vanderau-
wera. — Histoire des Lettres belges d'expression française, par
Francis Nautet (!«' volume); Bruxelles, Rozez (Bibliothèque
belge des connaissances modernes). — In morte di Virginia
Zanardelli da Macerata, Irecento sonelti di Tito Zanardelli;
Bnisselles, J. .Morel.
NÉCROLOGIE
Edouard Lalo. — Ernest Guiraud.
L'école musicale française vient d'être cruellement frappée
dans deux 4e ses membres les plus connus et les plus distingués :
Edouard Lalo el Ernest Guiraud, morts lous deux subitement,
l'un d'une attaque d'apoplexie foudroyante, l'autre de la rupture
d'un anévrisme.
Edouard Lalo était né à Lille, le 17 janvier 18iî3. 11 se rendit à
Paris en 185S cl débuta par des œuvres de musique de chambre,
sonates, trios el quatuors, el par des mélodies vocales d'un tour
original et d'une sou|)le écriture. 11 présenta un grand opéra, La
Conjuration de Ficsque, au xoncours ouvert en 1867 par le
Théâtre Lyrique, et fut classe troisième. Celte œuvre, dont
l'ouverlurc el le ballet ont été joués partout, ne fut jamais repré-
sentée, bien que le rapport du jury lui eût décerné cet éloge :
« La partition "contient de superbes scènes; elle est traitée de
main de maître et d'une grande hauteur d'idées ».
Le Concerto pour violon et orchestre dédié à Sarasate, puis la
Symphonie espagnole, avec une partie de violon principale,
valurent, en 1874 el 1875, à Edouard Lalo ses premiers grands
succès. Il écrivit ensuite un Concerto pour violoncelle, une
Rhapsodie norwégienne, le ballet Namoujia, le Roi d'Ys, dont le
succès considérable vengea le compositeur de l'injuste et inexpli-
cable hostilité qui avait accueilli son ballet à l'Opéra. Il travaillait
à un opéra nouveau, La Jacquerie, quand la tnort l'a frappé.
C'est avec le plus profond regret que les artistes oui appris la
mort d'Edouard Lalo, musicien sincère, homme charmant, qui n'a
joui que pendant peu de temps de la gloire enfin conquise.
M. Ernest Guiraud n'eut pas h soutenir les mômes luttes que
Lalo, cl la fortune lui fut infiniment plus accueillante. Né à la
Nouvelle-Orléans en 1837, il fit jouer, à l'ûge de quinze ans, un
opéra de sa composition : Le Roi David. Élève d'Halévy au Con-
servatoire de Paris, il remporta, en 1859, le grand prix de Rome
pour sa cantate Éajazet le Joueur de flûte. Il donna en 1864
un acte, Sylvie, h l'Opéra-Comique, puis, en 1870, le Kobold, et,
en 1876, Piccolino, son plus grand succès. Galante Aventure, le
dernier de ses opéras comiques, joué en 1882, n'eul pas grand
retentissement. Un ballet d'Ernest Guiraud, Le Forgeron de
Gretna-Oreen, fut représenté à l'Opéra en 1873.
Il étail professeur au Conservatoire, membre de l'Inslilut, etc.
Correspondance
En terminant le compte rendu de les Charneux paru dans
l'Art moderne du 1" mai, vous imputez à l'Union littéraire belge
d'avoir, pour couronner cette œuvre, récuré ses besicles. Ne vops
semble-l-il pas plutôt qu'elle en ail remplaçéles \:crres?
' Le jury était composé, en effet, de (fllMT Greyson, Nizet,
Rahlenbeck, Maurice Siville, Van Camp.
Agréez, Monsieur, l'expression de mes sentiments distingués.
Un abonné.
Mémento des Expositions \
Amiens. — Exposition des Amis des Arts, 5 juin-lo juillet.
Délai d'envoi expiré. Renseignements : M. le Président de la
Société des Amis des Arts, Musée de Picardie, Amiens.
Chicago. — Section des Beaux-Arts de l'Exposition universelle.
i"' mai-30 octobre 1893 (voir l'Art moderne du 11 octobre 1891).
Dijon. — Société des Amis des Arts, i" juin-15 juillet.
Délai d'envoi expiré. Renseignements : Président des Amis
des Arts, Dijon.
Gand. — Salon triennal : 21 aoiit-10 octobre. Délai d'envoi :
20 juillet. Renseignements : M. F. Van der Haeghen, secrétaire
de la Commission directrice, au Casino, Gand.
Grenoble. — Exposition internationale de peinture alpine
(tableaux, pastels, aquarelles, dessins relatifs à la montagne
spécialement aux Alpes françaises). 16 juillet-31 août. Délai
d'envoi : 20 juin. Renseignements : Commissaire générale du
Congrès du Club Alpin, Musée de Grenoble (Isère).
Namur. — VIII* exposition internationale, 19 juin-17 juillet
•Trois œuvres par exposant. Délai d'envoi : 28 mai-6 juin!
?
Notices avnnl le 26 mai. Renseignemenls : Secrétaire delà Com-
mission directrice, rue Pépin, Nnmur.
Madrid. — Exposition historique européenne. 12 soplcmbre-
31 décembre. — Délai d'envoi expiré. — Renseignements :
Comte de Ctisa Mirandn, soiis-secrétnire d'Etat à la présidence
du Conseil des ministres, Madrid.
Munich. — Exposition internationale des Beaux-Arts. 1" juin-
fin octobre. Délai d'envoi : 20 mai. Renseignemenis :
M. Cil. A. Baur, secrétaire du Comité central.
Petite chroj^ique
K
Mardi dernier, conférence de M. Jules Destrée à la Maison du
Peuple. Pendant deux heures et demie, attention d'une pari et
vaillante parole de l'autre. Le conférencier innove, croyons-nous,
en rapprochant tels procédés zolistes de certaines manières de
présenter les personnages adoptées déjà par les Grecs, par
exemple Homère. Ses remarques, à ce sujet, nous ont semblé
inédites.
[.es autres ont concerné Zola, écrivain démocratique; Zola,
écrivain naturaliste. Puis l'histoire du Naturalisme cl parm| la
vingtaine de romans l'analyse d'un seul : La faute de l'abbé
Mouret. Quel dommage que ce poème n'ait point pour titre ; Le
Paî'rtdoji, au lieu d'un entête de faits-divers.
M. Destrée a recueilli des applaudissements nombreux,
Du 21 au 29 mai, une compagnie anglaise viendra représenter
au Théâtre de l'Alhambra une parodie de Carmen qui a fait
fureur à Londres pendant plus d'un an, h Gaiety-Theatre.
Le litre anglais, Carmen up to date, littéralement « Carmen
mis à jour » *a été traduit ici par Carmen-fin-de-siècle. La pièce
qui procède de ce burlesque caraclérisiique qui provoque au delà
de la Manche des enthousiasmes épiieptiques, n'a pas la légèreté
que semble indiquer son titre suggestif, ce qui permettra à Miss
Helyell d'accompagner son clergyman de père aux représentations
de l'Alhambra.
Le clou esl le refrain insensé Ta-ra-ra-boum-de-ay qu\ révolu-
tionne toute l'Angleterre en ce moment et que viennent à leur
tour de faire connaître aux Parisiens, les cafés-concerts des
Champs-Elysées.
La troupe comprend les plus jolies artistes des théâtres bouffes
et- la mise en scène est conçue avec celte somptuosité propre
aux Empire et aux Alhambra londônniens.
Le premier conccrl extraordinaire du Waux-Hall a eu lieu jeudi,
et ce qu'il y a eu de réellement extraordinaire, c'est qiïe la soirée
a été superbe. On a entendu de bonne musique, jouée avec soin :
la Kaisermarsch, le ballet de Feramors, la Danse macabre
(violon solo : M. Laoureux), l'ouverture de Robespierre, èl deux
composrtions inédiles de M. Léon Dubois : Aspiration, pour
orchestre d'instruments à cordes, déjà entendue, el une nou-
veauté, Marche funèbre d'un hanneton, piquante esquisse sym-
phonique sur le thème puéril bien connu : « Vole, vole, vole...».
On a fait à l'auteur, qui dirigeait, un joli succès, très mérité.
L'association des professeurs d'instruments à vent au Conser-
vatoire a clôturé dimanche dernier, par une attrayante séance
consacrée à Saint-Saëns, la série de ses auditions. Le Caprice sur
des airs danois et russes, déjà entendu, la belle Sonate pour piano
et violon, jouée par MM. Degreef el Lerminiaux, et, pour finir, le
Septuor de la Trompette, d'allures décidées et de sonorités savou-
reuses, composaient le programme, interprété avec précision el
avec goût.
M. Lafarge a merveilleusement chanté trois mélodies: Sabre en
main, l'Enlèvement et Au Cimetière, dans lequel il a mis un
charme, une délicatesse de nuances et d'expression qui lui ont
valu un succès décisif. On a rappelé et bissé l'excellent artiste,
auquel le public a adressé un adieu ému.
La Fin des bourgeois, par Camille Lemonnier, a paru vendredi
aux étalages des librairies parisiennes.
L'éditeur Dentu, qui public le livre, met aussi en vente, dans la
collection des Maîtres du roman, le Mort et le Mâle.
D'autre part, les premiers tirages de Dames de volupté oni été
épuisés en quelques jours de vente. L'éditeur Savinc mettra en
vente, la semaine prochaine, la quatrième édition du livre.
Pour paraître en août chez Dentu : Claudine Lamour, encours
de publication dans le Gil Blas.
Voici quel a été le réperloirc de la Monnaie pendftnl la saison
qui vienl de finir, avec le nombre de représentations de chaque
ouvrage : -
Lohengrin (27), Le Rêve (21), Robert le Diable (19), Faust
(19), La Flûte enchantée (14), Smylis (14), Cavateria Rusti-
cana (13), Joli Gilles (13), Mireille (12). La Basoche (10),
Lakmé (9), Les Huguenots (9), Coppélia (9), Le Barbier de
Séville (7), Carmen (7), Roméo et Juliette (6), Don Juan (6). Le
Toréador (5), Rigolello (4), Si j'étais Roi (3), Barberine (3), Les
Noces de Jeannette (3), Gyptis (3) Salammbô (2) Le Chalet (1).
Les ouvraetes nouveaux sont, dans celle nomenclatnre, au
nombre de cinq : Le Rêve, Cavalleria Rusticana, Barberine,
Gyptis et le ballet Smylis.
M. Léon Dubois esl engagé pour la saison prochaine en qualité
de premier chef d'orchestre au Théâtre royal de Liège.
M. Cheyral, qui s'est fait ^ntendrc aux concerts du Conservatoire
et des XX, est engagé comme fort ténor au Grand Théâtre de
Gand que dirigera M. Bayard.
On a représenté le mois dernier à Paris, chez M'"« Oit, Les Sept
Princesses de Maurice Maeterlinck. Les rôles étaient confiés
à des marionnettes el la musique de scène avail été écrite par
M. Duleil d'Ozanne, dont la partition suit très exactement les
péripéties du drame. Grand succès, nous écrit-on, pour l'œuvre,
pour le compositeur et pour les interprèles, parmi lesquels on a
spécialement distingué M""^ Chevillard, qui a dit avec beaucoup
de charme le rôle de la reine.
La Revue de l'évolution publie, dans sa livraison de mai, un
curieux dialogue inédit de Villiers de l'Isle Adam.
Une nouvelle revue littéraire, artistique et mondaine, paraît à
Paris, sous le titre : Simple revue. Rédacteur en chef : Georges
Régnai. Administration : boulevard Haussmann, 41. Abonne-
ments : 10 francs l'an.
Une communication officielle des FestspieleAeBayre\il\i annonce
que la salle est dès à présent complètement louée pour les repré-
sentations suivantes : Parsifal, 21 juillet; Tristan et Iseult,
22 juillet; TajiH/iâMsgrj 24 juillet; les Maîtres Chanteurs, 23 juil-
let; Parsifal, 28 juillet; Maîtres Chanteurs, 31 juillet; Maîtres
Chanteurs, 18 août; Tristan et Iseult, 20 août et Parsifal, 21
août. Des places sont encore disponibles, mais en petit nombre,
, pour les représentations du l*' aoûi, Parsifal ; 4 août, Parsifal ;
5 août, Tristan et IseuU; 7 août, Taunhàuser; 8 août, Parsifal;
11 août, Parsifal; 12 août, Tannhâuser ; 14 août, Maîtres
Chanteurs; 15 août, Parsifal, et le 17 août. Tannhâuser.
J.-F. Raffaelu — Une figure de volonté, dans une barbe bien
taillée, une barbe de fleuve correct. Jadis, le peintre de la vie
exlra-muros, des paysages verl-de-gris el vert-de-plaie, des
arbres dégingandés crispés sur des horizons de fumée, sur des
ciels de suie, sur des lointains de misère et de labeur, le révéla-
teur des êtres el des choses de la Banlieue dont il a su rendre la
grâce singulière, les heures désolées el poignantes.. Aujourd'hui,
bien que revenant souvent à ses premières amours hors barrière,
après des étés à Jersey, flirte avec les élégances britanniques et
parisiennes, s'amenuise à porlraicturer de frêles filetles, se fémi-
nise parmi les dentelles el les fleurs, s'arislocraiise dans la hau-
taine silhouette de M. de Concourt. Triomphe au Champ-de-Mars
en maître qui ne s'endort pas dans le succès. Signe particulier :
écrit, parle et chante, a conférencié en Belgique, publié des bro-
chures d'art, collaboré au Figaro el joua à l'ancien Thé^llre-
Lyrique aux heures noires de la jeunesse. {Gil Blas.)
L'-A^K/T J^CDJD:HlTt3<T
DOUZIÈME ANNEE
L'ART MODERNE s'est acquis par l'autorité et l'indépendance do sa critique, par la variété do ses
informations et les soins donnés à sa rédaction une place prépondérante. Aucune manifestation de l'Art ne
lui est étrangère : il s'occupe de littérature, de peinture, do Sculpture, de gravure, de musique,
d'architecture, etc. Consacré principalement au mouvement artistique belge, il renseigne néanmoins ses
lecteurs sur tous les événements artistiques de l'étranger qu'il importe de connaître.
Chaque numéro do L'ART MODERNE s'ouvre par une étude approfondie sur une question artistique
ou littéraire dont Tévéneraent de la somain^^- fournit l'actualité. Les ej'positions, les livres nouveaux, les
premières représentations d'c'euvres dramatiques ou musicales, les conférences littéraires, les concerts, les
ventes d'objets d'art, font tous les dimanches l'objet de chroniques détaillées.
L'ART MODERNE relate aussi la législation et la jurisprudence artistiques. Il rend compte des
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artistes trouvent toutes les semaines dans son Mémento la nomenclature complète des expositions et
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Douzième année. — N" 21.
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 22 Mai 1892.
L'ART MODERHE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTERATURE
Comité de rédaction i Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00 — ANNONCES : On traite â forfait.
Adresser toutes les communications à
l'administration générale de TArt Moderne, rue de l^Industrle, 32, Bruxelles.
?
OMMAIRE
La fin des bourgeois, par Camille Lenaonnier. — L'œuvre de
pBTER Benoit. — Les plantations urbaines et lés reconstructions
A Bruges. — Gonc|:rts parisiens. — Épaves. — Le Musée Grétry.
— Nécrologie. — Petite cbronique.
U FIN DES BOURGEOIS
par Camille Lemonnier. — Dentu, éditeur, Paris.
L'œuvre de Camille Lemonnier, dans la littérature
belge — ce pays neuf où l'on a bâti tant de superbes
monuments, tant de villes, déjà, tant de villages, et où
se sont développés tant de paysages magiques et pro-
fonds — apparaît comme un fleuve prolifique et large,
aux puissants remous, aux flots sans cesse renouvelés,
reflétant le ciel et la plaine, les cathédrales et les palais,
la plèbe et les seigneurs.
Son apanage, c'est la Fécondité. Le soleil l'inonde, le
magnifle, et lui verse cette lumière qui auréole les
verbes sonores de son cours. C'est le soleil des Jordaens,
et les œuvres naissent plantureuses et vivaces, variées
comme une flore grasse, pareilles à de grands nénuphars
plaquant le fleuve de leur magnificence — tantôt rouge
tantôt noire — mais toujours bien venus du même
limon charnu et généreux.
L'intense aqua-fortiste des Charniers est devenu l'in-
timiste conteur des Contes flamands, ou le lyrique
poète de mainte fresque rubénienne, ou le rustique
romancier du Mâle ou du Mort, ou le moderniste de
Madame Lupar, ou le chantre plébéien de Happe-
Chair Tantôt c'est le critique qui verse aux œuvres
picturales de sagaces et énergiques proses, d'autres
fois les Dames de volupté cueillent dans le jardin du
poète des fleurs pittoresques à la haute et flambante
couleur. "^
Mille facettes brillent ainsi dans le talent souple et
fertile de Camille Lemonnier. C'est un hautain et magni-
fique réflecteur tournant avec des opulences de lumière
au cœur de notre pays et y reflétant, en attirant les
alouettes de sa poésie, ses paysages tantôt riches, tan-
tôt mélancoliques, et ses gens, avec les stigmates et les
signes, les tares ou les beautés de leur race.
Aussi devait-il écrire la Fin des Bourgeois. C'était
dire, n'est-ce pas? l'état de notre pays. Depuis cinquante
ans, — après de très longues torpeurs, succédant^à de
lointains soleils éteints et à des apothéoses historiques,
— un lourd bonheur matériel a pris, sur nos terres, son
essor, de ses pesantes ailes opulentes et bourgeoises.
Les classes qui dirigent se sont endormies sur l'oreiller
gonflé de richesse des spéculations, des agiotages, des
sinécures, et, comme la goutte au pied des buveurs de
vin de Bourgogne, la corruption s'est attaquée aux
membres d'une société composée non de « las d'aller » ,
mais de « las de jouir », et une décadence physique et
morale a fondu, comme un vautour de vengeance, sur
la classe des repus.
Au bas, comme des esclaves colères autour d'un ban-
quet où l'on se gorge de vins somptueux, le 'peuple
négligé hurle, menaçant, prêt à faire crouler la" table
luxueuse, prêt à casser les vaisselles trop magnifiques,
prêt à démolir de trop injuriantes salles de fête. Des
mains tragiques s'accrochent mystérieusement aux
nappes tachées du festin des maîtres, des mains noires
et vengeresses — et les festoyeurs continuent, le long
des tables qu'ils se sont dressées, à flatter leurs esto-
macs et leurs vices, peu inquiets encore des présages
qui frôlent leurs lambris. On croirait voir des gens
assemblés en une dernière fête, dans une ville qu'on
assiège et au-dessus de laquelle déjà vole le feu des pre-
mières bombes.
C'est cette bourgeoisie que Camille Lemonnier a
décrite dans la Fin des Bourgeois.
Une bourgeoisie spéculatrice, âpre à une curée de
richesses — une bourgeoisie de banquiers et d'hommes
d'affaires, le front préoccupé du chiflfr-e et des chan-
ces des entreprises; — une bourgeoisie qui a pour cer-
velle des liasses de banknotes et pour cœur un lingot
d'or ; une bourgeoisie composée de ces Akar, fondateurs
« d'une agence de prêts qui draine le petit bourgeois et
l'ouvrier ", de ce Rabattu, «le drouillard entrepreneur,
ancien maçon parvenu à là force des poignets, devenu
l'un des hommes-liges du nouveau régime pour lequel il
saccageait les carrières et en extrayait les moellon'^e
ses édifications d'écoles». C'est le féodalisme de l'arg'ént,
l'omnipotence de la banque! « Le régime, d'ailleurs,
était mauvais. La pourriture montait, gagnait les
essences pures. Sixt là-haut, comme un ménétrier,
menait le branle, présidait à la grande débâcle. L'hon-
nêteté elle-même n'était plus qu'une circonscription
sans limites, graduellement empiétée par les lâchetés
d'une société régie par l'intérêt. »
Et tout cela « parmi les fleurs et les vins de la
noce! » Car ces cervelles absorbées par les calculs de
la spéculation se détendent dans des bâfreinents et des
godailles de lupanar : « Comme minuit sonnait, il émit
une proposition. Une maison de filles venait de s'ouvrir
quelque part, une cargaison de viandes exotiques et
neuves, tout à fait recommandable.
T- Si nous allions leur tanner les bifsteaks, hein !
Des luxures d'hommes mariés, de pères de famille
honorables crépitèrent à cette évocation d'une bou-
cherie rose et d'un joyeux massacre d'alcoves. La cuisine
et les vins, attisés par l'espoir du stupre, flambèrent aux
vieux chaudrons de leur salauderie. Chacun sentit
gronder l'éveil du carnassier, de la bête aux ruts
comme des meurtres , aux faims éprouvées pour de
rouges curées. La femme se leva dans leur regoulas
comme une venaison tiède et faisandée dont ils reni-
flaient à l'avance le diligent fumet. »
Au delà de leurs agiotages et de leurs noces, le
monde se ferme pour ces bourgeois, et' si on les plante
en un beau décor nocturne, sous un magique ciel des
bords de la Meuse, « nulle de leurs paroles, du fond de
leur cuisine à millions, ne monte vers le miracle des
soirs ".
C'ost dans ce milieu, où elle arrive par la noire
échelle des fosses à charbon, que se développe et que
s'éteint la famille Rassenfosse.
Le fondateur de la dynastie c'est Jean-Chrétien
Rassenfosse qui apparaît héroïque et superbe, tel qu'un
personnage de l'âge du silex.
Misère, la fosse, au début du siècle, paraissait
épuisée. C'est Jean-Chrétien I'"" qui, par un persévérant
piochement dans les entrailles du sol, par un renonce-
ment sublime à la lueur du soleil, parvint à retrouver
le filon charbonnier. Et de là la richesse de la famille.
Cette histoire, contée épiquement, avec des allures de
légende, est comme l'aurore du roman. Un fils de Jean-
Chrétien I", Jean-Chrétien V, continue la dynastie.
On lui donne pour femme Barbe Huret, un grand
type de plébéienne qui, au cours de l'embourgeoise-
ment de ses descendants, reste implacablement probe
et religieuse, — comme une rigide statue du Devoir
dressée au-dessus de la lâche débandade des derniers
Rassenfosse.
Ses enfants, c'est Jean-Eloi, un homme d'aff'aires,
Jean -Honoré, un avocat, et une fille, Marie-Barbe-
Chrétienne, qu'elle maria « à l'une des grosses fortunes
de la Hesbaye, Pierre-Jérôme Quadrant, de telle sorte
qu'un homme de la glèbe complétât le triumvirat par
lequel, étant la Loi, la Banque, la Terre, ils enfon-
çaient leurs racines à travers l'agglomérat social. »
Jean-Chrétien V était resté encore une pure figure
d'ouvrier et il mourut broyé dans la fosse et « ses mor-
ceaux, comme pour perpétuer la communauté de peines
et d'origines, s'étaient confondus aux liquides débris des
quatre autres, de simples mineurs. ».
Mais ses enfants et ses petits-enfants deviennent des
bourgeois. Leur origine noire s'eftace peu à peu au
frottement de l'or. Seule, la vieille Barbe la leur rap-
pelle parfois et alors « sa parole tombe comme d'un
siècle ». "
- Et la tourmente du monde bourgeois, la tourmente
des chiffres, le vent des coulisses de la Bourse, l'anxiété
des entreprises et de la politique les prend, et leurs
enfants, cette maladive Simone, ou Régnier le bossu, qui
finit par « mener par les villes un cortège de prostituées,
s'entourant des plus misérables et leur prodiguant l'iro-
nie et la charité de son évangile, comme un christ véné-
neux et doux, infiniment homicide et tendre, leur disant
î""v'i3r?v^nf':'"^^î^Ç5?^^
L'ART MODERNE
163
la sainteté du stupre et les gloires du péché, les avertis-
sant d'être les ouvrières de la désagrégation, les sangsues
de la pléthore des races ", ces enfants sont les conçus en
des moments de préoccupations irritantes qui influent
mystérieusement sur les travaux physiologiques de l'héré-
dité des races. Ce sont des types de décadents. Mais en
d'autres : tels Arnold et Ghislaine, le sang primordial
reprend sa vigueur. Arnold est le chasseur, le dresseur
de chevaux, le robuste et lé sauvage qui porte en lui
comme les forces des ancêtres perdues dans les raines.
Ghislaine a l'entêtement des vieux mineurs ; il y a dans
son caractère une dijreté opiniâtre et belle, et c'est elle
qui, en couchant avec un solide valet, va réinvigorer
la race. » C'est le bâtard qui régénérera la famille! -
Antoine Quadrant, un autre descendant encore du vieux
Jean-Chrétien I«% le rude besogneùr, passe sa vie à se
gaver apoplectiquement de mets, qu'il immerge sous
une inondation de liquides, et meurt étouffé dans sa
graisse. « Il fallut précipiter l'inhumation : l'énorme
viande tout de suite s'était décomposée ; pendant une
semaine une féteur empesta les chambres, que les
aromates et le phénol ne purent combattre. »
Ainsi tous, ils s'en vont, frappés par leurs vices, par
une sorte de fatalité qui ronge la famille; c'est une
déroute, et il ne reste, enfin, que la vieille Barbe et
Régnier : « Sur les ruines des Rassenfosse, en atten-
dant les rédemptions, il n'y eut plus que le trépignement
du gamin vieilli, de la mouche funeste, et, droite, ses
mains de morne idole sur l'os des genoux. Barbe la cen-
tenaire, reléguée dans son culte des mémoires méprisées
et regardant, du fond de ses caves orbites, les postérités
s'éteindre à ses jpieds, où le froid de la mort tardait à
monter. "
. Tel ce roman nouveau, — toujours écrit de ce large
et beau style qu'un critique naguère appelait protéeti;
— roman auquel l'auteur eût pu donner comme épi-
graphe ce mot qu'il fait lancer par l'avocat Réty : " Les
bourgeois s'en vont ! "
L'ŒUVRE DE PETER BENOIT
Voici la troisième partie, la dernière, de la conférence faite
récemment, par Georges Eekhoud, à l'exposition d'Anvers-Bni'xelles :
L'oralorio, d'essence cailinlique et iialieniieà i'ori£;ine, allcinl
sa forme définilive, son apog(^c en pays allemand et protostant. Il
est austère, solennel, affranchi de toute allache charnelle, de tout
lien profane.
Il est l'expression musicale des idt^es de la Rt^forme et la
sublime et patriarcale p'>rsonnalilé de Jean-ScM)aslien Bach en
apparaît le formidable Luther.
Mais la Réforme naquit à côté de la Renaissance. Au xvi" siècle,
les deux principes, les deux civilisations, les deux états d'ûme se
coudoient.
Mettez en regard les portraits du temps et vous apercevrez d'un
coup d'œil la Renaissance et la Reforme :
« D'un côté — le parallèle est d'Hippolyle Taine — quelque
condottiere demi-nu, en costume romain, quelque cardinal dans sa
simarre, amplement drapé sur un riche fauteuil sculpté cl orné
de têtes de lions, de feuillages, de faunes dansants, lui-même iro-
nique et voluptueux, avec le fin el dangereux regard du politique
et de l'homme du monde, cauleleusemenl courbé el en arrél; de
l'autre côté quelque braVe docteur en lhéol(^ie, homme simple,
mal peigné, roide comme un pieu dans sa robe unie de bure
noire, avec de gros livres de doctrine à fermoirs solides, travail-
leur convaincu, père de famille exemplaire. »
Maintenant, imaginez-vous, avant que — pour me «ervir de
l'expression de Stendhal — l'Europe occidentale soit devenue
biblique et que psaumes et chorals, motifs types du protestantisme,
aient enfanté l'oratorio de Bach el deHœndel, imaginez-vous, dis-
je, la musique qui eût scandalisé le bon docteur en théologie et
ravi son voisin le cardinal ou le condottiere, une musique colorée,
étoffée, parfois caressante et familière, parfois brûlante el
farouche, une musique parlant aux nerfs el aux sens; une
musique 1res sanguine, très sensuelle, plus impulsive que céré-
brale, écrite souvent comme à coups de masse d'armes et d'autres
fois gravée, griffée h la pointe d'un stylet, une musique ultradé-
corative, pétrie en pleine pâte, tangible, aux reliefs accusés, aux
rondes formes musculaires, aussi peu spiritualiste mais aussi
panthéiste que possible, en un mol, représentez-vous l'oratorio
d'avant Sébastien Bach et Luther, l'oratorio païen ou catholique
(à l'époque de Léon X les deux mots sont synonymes), l'oratorio
de la Renaissance.
— Mais cet oratorio n'existe pas! me direz-vous.
— Dites plutôt qu'il n'est pas venu b son heure. Le compositeur
est né trois siècles après ses génies congénères : les poètes, les
peintres et les princes magnifiques du xvi« siècle, el il s'appelle
Peler Benoit.
Pareils exemples d'artistes rétrospectifs ne. sont pas rares. Le
baron Leys ne continue-t-il pas les gothiques el les ^primitifs?
Mais dans le cas de Benoit il ne s'agit pas seulement d'une assi-
milation, d'une tradition reprise pour son compte. Ce Flamand du
xix" siècle crée tout d'une pièce la musique qui manquait à
l'époque, de notre splendeur'communale. Elle eût rehaussé les
fêles données par les ducs de Bourgogne et Churles-Quint ; elle
eût illustré, en Angleterre, sinon les féeries délicieuses do Shake-
speare, trop fines, trop subtiles pour ces accompagnements cossus
et un peu ma'^sifs, du moins ces masques de Ben Jonson repré-
sentées devant Jiicques l" el dans lesquelles reines et pniresses
réalisaient, en tableaux vivants les plus sensuelles allégories dont
Rubens décorail la Galerie de Médicis.
Fermez les yeux en écoulant un de ces oratorios ou une de ces
grandes cantates. En vf^lre imaginalion surgissent des décors
inouïs, entassés, muliipliés par le compositeur : forums antiques,
palazzi à l'italienne, rades encombrées de navires, armées rangées
en bataille, massacres ou kermesses, champs de foire ou champs
de supplice, tonnelles de guinguettes ou portiques de sanciuaires,
fanlasmagories de démons el d'archanges, lourds ébats de kobolds
ou chevauchée aérienne d'espriis élémentaires; toutes ces visions
alternent, se fondent graduellement ou contrastent en violente
aniilhèse, s'amalgament en une symphonie discrète comme un
brouillard crépusculaire ou se dévorent l'une l'autre, s'embrasent
el fulminent comme des nuées orageuses.
Dans VOoiiog, les guérets couverts de meules dorées, aux-
quelles s'adossent sous le ciel de midi les moissonneurs au repos,
•"evôlenl une apparence graduellemeni tragique ; sous le bâion du
chef d'orchestre comme sous la baguette du magicien les radieuses
embiavures, théâtre d'une sieste idyllique, se transforment, peu
i peu, en un camp de soldats surpris par l'ennemi; à présent les
meules de blé figurent des tentes enflammées; les moissonneurs
sommeillant dans des poses abandonnées et placides représentenl,
raidis et convulsés, des cadavres de soldais, et les coquelicots
sont devenus des flaques de sang!...
Un peu plus loin, dans ce même Oorlog, une des œuvres
capitales du maître, l'orchestre et le chœur se dédoublent et,
simultanément, on entend jubiler et exulter les Te Detm dans
les basiliques et râler les moribonds, et les veuves et les mères
se répandre en plaintes et en imprécations!
* «
D'autres fois, ce sont de grandioses déploiements festifs le long
des voies jonchées de fleurs, sous les arcs de triomphe, entre les
colonnades érigées par des maîtres et payées par l'émulation des
ghildes opulentes. C'est une joyeuse entrée de souverain dans sa
bonne ville. Simple badaud, piété sur le bord du trottoir, on
assiste au défilé. La tête du cortège débouche sur la place.
D'abord, les hérauts d'armes levant et tournant vers le ciel leurs
trompes et leurs buccins auxquels s'appendent des étendards
héraldiques. Les pavillons des cuivres, béants comme des gueules,
crachent des appels impérieusement discords. Piquiers, trabans,
dépoitraillés, arquebusiers fumeux déambulent d'un pas martial
et pesant. Les vierges et les prêtresses, de tendres éphèbes aux
voix grêles, égrènent des rosaires ou bien effeuillent des roses.
Des chars dépassant les pignons des maisons de bois cahotent,
trébuchent, comme ivres de leur importance, et promènent, à
travers les ruelles tortueuses, les dépouilles des parcs et des
jardins, et aussi les trésors des sacristies, des entrepôts entiers
d'étoffes et de joyaux, tels des cathédrales ambulantes ou des
forêts vagabondes, des trônes, des reposoirs peuplés de figurants
aussi plastiques que les effigies des anciens dieux.
Les cloches sonnent dans les beffrois, les tambours battent aux
champs, sur la basse continue du brouhaha populaire éclatent des
noëls et des vivats stridents. Tout au bout, des prélats en habit
pontifical chevauchent sous des baldaquins portés par une escorte
de pages. El c'est sur tout le parcours une bousculade ou un
grouillis, soudainement figé, de badauds massés de droite et de
gauche, accrochés à des saillies de façade, collés aux fenêtres, nn
pullulement de curieux qui s'agenouille tant bien que mal au
passage des ostensoirs el des châsses, qui se relève pour acclamer
le tribun, saluer le prince, huer le bouffon. De loin en loin, sur
des estrades richement tapissées, se prélassent les notables
matrones, les filles des doyens de corporations, parées k l'égal
des reines, plus épanouies el plus saines que les baronnes au
front sourcilleux qui les dévisagent furtivement en pressant
l'allure de leurs haquenées.
***
Sans être écrites pour le théâtre, ces partitions : La Muse de
l'Histoire, VOorlog, le Lucifer, Y Escaut el tant d'autres encore,
sont éminemment théâtrales. Benoit en soigne la mise en scène, —
c'est le mot, — comme s'il s'agissait d'un drame lyrique. L'exé-
cution d'une de ces œuvres exige un persomîe), une figuration
aussi nombreuse qu'une pièce à grand spectacle ou qu'un omme-
gang. Le compositeur ordonne ses diverses phalanges orches-
trales comme un décorateur do la belle époque, un génial bros-
scur de fresques composait ses cartons.
Amoureux de la foule, la comprenant, la sentant au point d'en
devenir l'âme, Benoit recherche pour son instrumentation tous les
timbres, tous les agents de sonorité capables de traduire les cla-
meurs de fête, de deuil, de triomphe, de carnage et d'adoration.
Son œuvre célèbre la vie collective. Elle est optimiste comme
la multitude, comme la grande humanité, ou mieux comme la
nature infinie. Dans VOorlog la tuerie s'empâte d'une couleur el
d'un contour tellement admirables que c'est un régal de l'entendre.
Ainsi, les martyrs et les supplices de Rubens flattent les yeux, les
mettent en appétit; ainsi l'aspect d'une boucherie bien tenue
réjouit l'estomac. La magnificence et le ragoftt de la facture l'em-
portent sur la terreur ou la cruauté du sujet.
De ces orntopios se dégage une impression de robustesse,
d'ampleur, de consistance. Les thèmes fondamentaux, longuement
développés, font songer au cours majestueux d'un fleuve. Et ce
n'est pas sans raison que Benoit a chanté l'Escaut, le Rhin et
même, avec plus d'intimité, la Lys, la blonde rivière natale.
La trame mélodique principale se déroule à travers des har-
monies grasses et copieuses, comme les pâturages des polders
flamands. De lieue en lieue les motifs épisodiques, autant d'af-
fluents du thème fondamental, accourent pour lui payer tribut et
se fondre en lui. Lorsqu'il arrosait des contrées plus accidentées,
le fleuve précipitait son cours car, encaissé entre les roches, il lui
lardait de gagner les plaines du Nord et de s'étaler, sous le dais
d'un ciel infini, dans le lit spacieux offert à la pléthore de ses
flots. II méprise la course désordonnée et la vaine pétulance des tor-
rents; ses colères à lui ne s'épuisent pas en bonds puérils et en
cascalelles fugaces,^ plutôt mousseuses qu'écumantcs, mais les
siennes ameutent el amoncellent des vagues houleuses comme
celles de l'océan, et au lieu de s'acharner à polir des cailloux,
elles supportent et balancent des navires géants.
Ainsi l'oratorio de Benoilrépugnc aux fièvres superficielles el aux
agitations stériles, et lorsqu'il déchaîne ses orages symphoniques,
ses tourmentes chorales, lc§ rylhmesen gardent toujours l'allure
pesante et pataude des anciens klauwnerts, glaneurs, d*éperons
d'or, moissonneurs de lis d'argent!
A côté du Benoit majestueux et épanoui, à côté du musicien
d'apparat festoyant une ville-, un peuple entier, se révèle un
Benoit intime, évocatcur de scènes mièvres et de visions séra-
phiques, et la même patte qui édifie les grands oratorios Lucifer,
VOorlog, le Schelde, tracera les linéaments délicats et tendres de
la Kinder cantate.
Impossible en écoulant cette dernière partition de ne pas songer
aux chers petiols de Flandre et de Brabant, aux jolies têtes
blondes et roses avivées de ces' grands yeux d'un bleu barbeau,
de ce bleu des plais de faïence ornant les manteaux de cheminée
dans les fermes qui les abritent; — à ces bambins et bambines
accroupis au seuil des chaumes ou pelotonnés, ébourifl'és au
soleil, comme des poussins dans le sable des routes !
***
El quelle autre noie encore que celle donnée par Benoit dans
ses deux grands drames lyriques, La Pacification de Gand el
Charlotte Corday. C'est comme de l'histoire en musique. Les
caractéristiques de Guillaume d'Orange, de Marat, sont des por-
traits d'une allure étonnante et d'une vérité presque psycho-
logique. El quelle peinture que celle de la révolution dans les
rues de Paris ou que celle de la terreur espagnole et de l'inqui-
sition dans les Pays-Bas.
Ici l'art de Benoit acquiert une intensité d'expression bien
/■
supérieure encore à celle qu'on admire dans ses oralorios. Sa
conception s'agrandit, sa facture se spirilualife. 11 n'esl plus
seulement un coloriste vigoureux, un pompeux régisseur d'apo-
théoses et de triomphes, un doux contemplatif, butinant les
idylles, amoureux ou paternel, il s'élève à la taille des grands
penseurs, dos voyants de l'au-delà, des confesseurs du passé, des
devins de l'avenir. Rubcns s'est rapprocjié de Michel-Ange et du
Vinci.
Mais ce qui persiste dans tout l'œuvre de Benoit, dans ses
compositions gracieuses autant que dans ses pages épiques et
poignantes, c'est l'indéfinissable sentiment d'une race, d'un
milieu, d'un terroir spécial. Celte musique est adéquate à la con-
trée, au climat, à l'ûmc invisible de la pairie. On y entend
chuchoter des voix mystérieuses et sourdre des larmes dé ten-
dresse. C'est comme si les doigts mêmes de la Pairie se posaient
câlins et miséricordieux sur la lêle de l'enfant oublieux de ses
origines.
Oui, Benoit est un de ces puissants médiums qui condensent
en leur art les effluves d'une contrée; il rend tangible le symbole
patrial ; il suscite en nous des pressentiments et des nostalgies
héroïques ou des ferveurs ji 'une intimité délicieuse jusqu'au
navremcnt. /
En écoutant ces harmonies corrélatives de la lumière, de
l'aromc, de la moelle, du fluide local, nous espérons, oui nous
formulons cet acte d'espérance, qu'à l'heure de leur dispersion
nos atomes et nos forces ne s'éparpillent point au delà des fron-
tières aimées, que tout ce qui fut nous alimente le giron natal ou
s'exhale dans l'atmosphère du souverain pays, que notre souffle
se mêle à celui de la Flandre dans un éternel excclsior pan-
théiste!
Georges Eekhoud.
LES PLANTATIONS URBAINES
et les reconstructions à Bruges.
Le 9 mai dernier, nous étions à Bruges pour le cortège de
la procession du Saint-Sang, qui vraThienl celle année a été
renouvelé et rufiaîchi avec une grande splendeur.
D'ordinaire, (juiind on va voir une procession, c'est une décep-
tion que l'on resscnl par la monotonie dos choses exhibées et le
criard des couleurs.
Celte fois, une grande impression artistique se dégageait de la
solennité el révélait qu'une direction unique et intelligenle avait
organisé l'ensemble.
Ce qui frappait aussi, c'était le côté purement flamand de la
cérémonie, réponse saisissante à ceux qui croient que loul est
factice dans col instinct qui pousse aux revendications de la
langue maternelle par les habitants des Flandres.
A celle occasion, nous avons re\u l'admirable ville.
De plus en plus elle reprend conscience de ce qui fait sa beauté,
et l'on ne voit plus s'y élever dos maisons bourgeoises dans le
style plat el symétrique qui, pendant tant d'années, avail paru
l'idéal du goùl, déplorable manie qui a fait disparaître tant de
charmants échaniillons de l'archiloelure des siècles passés. L'au-
lorilé communale subsidie les propriétaires qui rélablissent les
façades dans le beau siyle brugcois, si élégant el si pilloresquc,
et peiil à pclil le nombre des constructions en style ancien
augmente. Mais il nous a semblé que la même préoccupalion
n'existait pas pour 1rs maisons ouvrières ; plusieurs, en bataillon
carré, déparent les quartiers éloignés et cQQtraslent avec les
charmants échantillons des petites maisons anciennes, composées
d'un rez-de-chaussée et d'une grande fe,Dâ!re en mansarde se
détachant sur les toits aigus en grandes tuiles plates.
Il y a lieu d'attirer l'attention sur ces fautes qui vraisembla-
blement pourraient être évitées.
Nous ne doutons pas que M. de Lacenserie, — l'éminenl
architecte qui préside à ces rénovations et qui, pour ne citer que
le dernier et peut-être le plus beau de ses travaux, est l'auteur des
plans de l'hôtel provincial qui fait un si bel effet sur la place du
Beffroi, — et M. Ronse, échevin des travaux publics, qui s'est,
nous a-l-on assuré, particulièrement occupé des boulevards qui
forment une si admit able promenade sur les anciens remparts,
sauront tenir compte de celle observation.
Une remarque en ce qui concerne ces boulevards :
Du côté du Minnewater nous avons vu des tilleuls odieusement
ébranchés; il a passé là récemment des bûcherons barbares qui,
sous prétexte de bonne arboriculture, nous le supposons, ont
taillé les basses branches, mutilant et dénaturant.
Nous avons déjà à différentes reprises, dans VArt moderne,
signalé ce qu'il y avait d'irrationnel darts le fait de traiter les
arbres de promenade comme des arbres de rapport. Pour ceux-ci
il faut autant que possible augmenter le poids du tronc, afin d'y
trouver de bonnes planches ou de bons matériaux de chauffage;
mais quand il s'agit d'avoir de l'ombre el de la verdure, c'est le
procédé contraire qu'il faut employer, et si l'on eharge de celle
besogne des forestiers qui nfe pensent qu'au profit, ils aboutiront
à détruire au lieu d'améliorer.
M. l'échevin Ronse passe pour avoir l'orgueil des promenades
de la ville dont il est un des administrateurs.
Nous ne douions pas qu'il suffira de lui signaler ce qui précède.
Dans d'autres villes, nos réclamations à ce sujet ont été écou-
lées; on laisse désormais pousser les arbres comme ils veulent.
A Bruxelles, notamment, M. Buis a obtenu ainsi des boulevards
incomparables.
Il est à désirer que celte règle de bon sens soit observée partout
et fasse disparailreMa routine on vertu de laquelle tous les ans
de prétendus jardiniers, qui ne sont que des vandales, se donnent
un mal considérable pour déshonorer les plantations urbaines.
CONCERTS PARISIENS
{Correspondance pnrliculière de l'Art Moderne.)
Triomphalement l'admirable quatuor Ysaye vient de passer par
Paris, y redonnant les quatre séances dont, aux XX, vous avez eu
la primeur. Ah ! quel éblouissant spectacle — pour ainsi parler
— que ce cycle surprenant d'œuvres puissantes se déroulant
comme un rêve inimaginable, semblerait-il, tant remarquables de
réalité; d'abord les deux quatuors (op. 3 et op. 7) d'Alexis de
Castillon elle Concert en r^ d'Ernest Chausson; puis les deux
impeccables chefs-d'œuvre, le quatuor en ré et le quatuor en la
de Vincent d'Indy ; et aussi les deux quatuors (op. 15 et op. 45)
d'un sentiment plus intime, de Gabriel Fauré; et pour finir, ces
deux merveilles ; le quatuor en ré et le quintette en fa du grand
créateur César Franck. Monuments superbes, d'une diversité
d'aspects et de personnalités absolue, mais tous d'un même art
166
L'ART MODERNE
néanmoins, arl bien moderne cl bien Iradilionnel à la fois, fait
surlout d'auslérilé el de profond respect.
Mais celle joie aussi vous fut d'enlendre ces œuvres, ces
œuvres exécutées par Ysaye magistralement, secondé par
MM. Crickboom, Van Houl, J. Jacob, Marchol et le brillant
élève de Diémer, Auguste Pierret. Ici, joie plus vive el plus
entière, étant plus rare; el celle surprise : le très beau Concert
de Chausson enlendù déjà à la Nationale, nous est seulement
aujourd'hui complôlemcnl révélé.
Ce qui consliiue l'exceplionnelie valeur du quatuor Isaye, n'est
poinl seulement la si complète homogéoéilé de sonorité et de
senliment, mais surtout la puissance émotionnelle et intellec-
luelle el l'intensité de compréhension, des tant remarquables inler-
prèies. Ce sonl — sous l'artistique impulsion d'Ysaye — des maîtres
eux-mêmes. El nous songions à cette contradiction, sans la pou-
voir expliquer : Si la grande éclosion actuelle des plus admirables
compositeurs s'esl produite parmi les Français, les plus incompa-
rables inlerprèlcs naquirent en Belgique, el c'est là une constata-
lion dont votre pays peut el doil se glorifier.
Lo public — tout particulier par sa spontanéité de sensation el
sa compréhension très immédiate — de la Société nationale, aug-
menté encore considérablement de tous les amants d'art, a forle-
menl marqué sa reconnaissance aux grands el glorieux artistes,
en de chaudes el vibrantes acclamations, en des rappels fréné-
tiques. Rarement il nous fui donné d'assister à pareille explosion '
d'enibousiasmc, éclatant sponlanémenl el répercutée dans le tout
Paris artiste. El parmi les compairiotcs.audiicurs aperçus: Joseph
Dupont, Octave Maus, Guidé el d'autres encore.
^^^^ E. S.
ÉPAVES (1842-1890)
'Poésies par Edouard Vander Plassche. Bruxelles, imprimerie
Lefèvre, 1892. 232 pages.
Le reedeil dos poésies de M. Vander Plassohoévoque les paysages
de Foiirmois. On leur préfère les Boulenger déjà si ailenlifs à satis-
faire nos goiits de compositions el de couleurs, discrets et impré-
cis. Mais pour leur temps, de quelle incontosiahle valeur font
montre ces Fnurmois! M. Vander Plassche est de la vieille roche : •
il écrivait en 1842, à celle époque déjà lointaine oîi le terme de
piMe était presque une expression de mépris chez nous, époque
où il était si difficile de faire admeUre par des contemporains,
tout d'une pièce eux, que l'on pouvait être un parfait honnête
homme, un Iravailleur consciencieux et pourlanl cultiver des
goûis artistes.
« 11 y a, dit l'auleur dans sa préface, des domaines cl non des
moins importants qui sonl élrangiMs à l'hisioire générale et qui,
p.ir contre, inléressenl considérabiemenl l'histoire des individus.
Les sentiments d'affection, qu'ils s'appi>llenl amour, amitié, ten-
dresse paternelle ou iiiaternellc, piiié fî'iale, n'ont aucune place
à occuper dans l'hisioire pnlilicpie ou sociale ; ils ont, au contraire,
les premières places dans les histoires individuelles. »
Telle justification, préeédaiit des poésies sans poriéo générale,
n'est plus nécessaire de nos jours, mais elle est certes révélatrice
d'un temps où seule élail honorée une liliéraiure hislorieo-poli-
lique, époque où nos gouvernants réunissaient des moralistes,
des philosophes el des archivistes en une dncte assemblée qu'ils
décoraient pom])euseiiienl du tilre d'Académie des kt/res de
Belgique.
Aussi chaque page de ce livre oblige à un retour vers le passé,
chacune de ses six parties : Légendes, Lyrique, Iiiiime, Fragment
d'un poème inédit, Faulaisie et, certes la plus intéressante de
toutes en la crise que nous traversons : Politique, dédiée à Paul
idnson (jiistum ac /enaccin...).
On aime, dil piaisammeul quclcjuc pari le poète,
On aime à ressembler au marbre de Carrare.
Quand on a du pouvoir goûté l'enivrement.
Nous avons goûté, nous, l'enivrement des formes plus modernes,
des sentiments nouveaux poéti({uemcnt exprimés en une langue
adéquateii«ous-méme. El nous sommes aussi un peu marbre de
iHarrare quand on nous vient parler d'Oiseaux, de Premier amour
el de Cloche du soir. Pourquoi? Le faute n'en est ni aux senliménls
ni à leur forme. L'alexandrin de 1848 avait parfois une ampleur
cl une élévation qu'il n'a plus guère sous notre souftle blasé. La
famille, la pairie, la liberté, ei tous ces symboles de nos impres-
sions profondes, l'ange gardien, le sourire d'une mère, les ruines,
la haine des tyrans, raffranchissemcnl des peuples, sont toujours,
dans leur fond, des choses vénérables el saintes. Mais on les a
redites comme les airs du Trouvère sur ces toujours mêmes-
orgues de Barbarie qui en arrivaient à faire détester par Verdi
lui-même sa propre musique.
On availen ces lemps-là une façon abstraite d'exprimer les sen-
liménls les plus délicats. On parlait des choses du' cœur en termes
nobles. Il semblait que la philosophie présidât même aux épan-
chemcnls intimes el (|ue le Senliment n' était aulrequ'une troisième
faculié de l'ûme, comme la Volonté et la Raison. Certes, cela avait
parfois grande allure. "Citons, à l'appui, cette pièce, les Mystères
de l'âme, d'une bonne facture et de facile comparaison, grûce
au sujet, avec des productions plus modernes :
Semblables aux volcans dont on voit les sommets
Mais dont aucun regard ne sonda les cratères,
Nous avons tous en nous des goutTres de mystères
Où nul œil étranger ne pénétra Jamais.
Un jour vient où lo cœur jette, comme une lave,
Toutes les passions qui bouillonnaient eu lui,
Il n'était pas hier ce qu'il est aujourd'hui,
L'esclave devient roi : le roi devient esclave.
Le vice étale alors sa sombre uutlité;
La vertu brille en paix; le passé u'est qu'un songe;
Les nuages épais, qui masquaient le mensonge,
Se dissipent soudain devant la vérité.
La partie poliii(iue du recueil do M. Vander Plassche est
curieuse à lire. Telle, pièce, datée de 1842,, s'exalte en un beau
romantisme révolutionnaire en faveur de la liberté. Telle autre,
de iSiS, le Soleil de la Paix, n'est (|u'une acerbe vitupération
contre les classes dirigeantes :
Le peuple marche ; il renverse, il écrase
Les vieux débris d'un trône détesté.
Des préjufiés il a sapé la base;
A sa hauteur il est enfin monté.
Esprits ingrats, à qui la Providence
A confié le Sort du genre humain,
Que faites-vous de la noljle semence
Qu'un sol (értilé attenfl de voire main?
Faux serviteurs, rendez la graine an maître
Que votre orgueil ne reconnut jamais!
Qu'il la ré|)autle, et la moisson va naître .
Sous les rayons du soleil de la paix.
Les sentiments exprimés par ces vers n'ont guère vieilli. Tant il
est vrai que par un jusie reionr des idées et des opinions, nous
en soyons arrivés îi vouloir plus d'idéal ismo, jibis d'envolée,
mêitie'on politique. Pluiôi eniore'aujounriuii qu'on ces lemps-là
on peut ainsi faire parler le Progros el la \ieille Doctrine :
Le PROGRiis.
Marchons ! autour de nous tout est vie et réveil.
La Doctrine.
Pourquoi marcherons-nous? Nous sommes le soleil.
« Ce distique, dil en noie l'auteur, fut composé pendant une
« conférence do M. Adolphe D.'ineur sur l'extension du droit de
« sufl'rage, donnée au local de l'Association libérale, du temps
« do la Société des iiieeiings libéraux et qui, d'ailhnirs, avait
« fourni, pour la dite coidi'nnce, non seulement l'orateur mais
« encore le public. » Ceci devait se |)asser dans les environs de
1870.
Mais avec la marche des temps, les eiithonsiasmos décroissent.
VART MODERNE
167
Les idées déserlenl la poliliqiie : IVcœiiremenl saisit les rêveurs
d'autrefois. Une pièce do 4877, adressée aux Electeurs, en fait
foi. Le poêle prend en tel dégoût le bourbier infect où pataugent
les partis que, pour les encourager à aller aux urnes sans défail-
lances, il ne craint pas de conseiller ainsi les ciloyeDS :
... A la vertu civique
Mêlez l'acide phénique.
Ces éléments combinés,
Vous sauvant de toute atteinte,
Vous pouvez sortir sans crainte
Et sans vous boucher le nez I
M. Vander Plassclie a inliliilé Epaves, ce recueil de vieux
souvenirs. Le tilrc a quelque chose de triste dont on ne retrouve
guère l'équivalent b la lecture. C'est une histoire individuelle qui
raconte des événements intérieurs écoulés en quarante-huit ans
de vie d'homme. L'auteur est sincère, il est humain. C'est ce
qui, avant tout, fait prendre un vif intérêt à le lire. Mais pour-
quoi n'a-t-il publié plus tôt toiles pièces qui eussent certes été
remarouées à leur heure?
Le Musée Grétry.
On a fêlé dernièremeni à Liège le 450^ anniversaire de la nais-
sance de Grétry. Une conférence de M. Arthur Pougin, l'exécution
de Richard Cœur de Lion, de plusieurs fragments des œuvres
du maître et d'une Ode composée pour la circonstance par
M. Sylvain Dupuis sur des paroles de M. Albert Lambert, tel a
été le bilan de celte fort belle soirée jubilaire, qui a clôturé la
saison ihéûlrale (1).
Ce petit événement attire l'ailenlion sur le Musée que M. Radoux
vient de fonder au Conservatoire et dans lequel il a rassemblé
une foule de souvenirs du musicien liégeois.
C'est une réunion d'aulographes, de porlraits, de partitions
manuscrites et autres, de documents divers soigneusement dis-,
posés sous les glaces de plusieurs viirines. El il se dégage de ces
épîtres jaunies, dit le Journal de Liège, comme une atmosphère
de jadis au milieu de laquelle, vaguement, semble se ranimer
la figure du grand musicien liégeois, la silhouette du chantre
glorieux qui fil les be:iux jours do la Cour de Louis XVI et du
Dauphin, qui alimenta de ses œuvres la Comédie italienne et fut
pendant une suite d'imnées l'enfant gSlé do Paris.
Il y a d'abord les portrails.
Plusieurs, donnés par M. Terme, sont autant d'œnvres d'art,
entre autres une miniature sur ivoire représentant Grétry à l'âge
de dix-huit ans. Celle miniature doit être reproduite dans' l]^uvro
du compositeur édiiée à Bruxelles. Les portraits gravés, en grand
nombre, sont pour la plupart fort beaux.
Parmi les nombreux autographes, une série de lettres écrites
par Grétry à M. Dumoni, notaire b Liège.
On y lit un passage ayant trait au désir manifesté par le grand
musicien de léguer son cœur b la ville de Liège, désir dont la
réalisation amena celte suite de procès célèbres entre nos édiles
et Flamand Grétry, neveu du compositeur, lequel avait placé
la précieuse relique dans le jardin de sa propriété de Montmo-
rency, celte même propriété qui fut habitée par Grétry, après
avoir été l'Ermitage de J.-J. Rousseau.
Trois autres lettres, offories par M. Dclhasse, donnèrent lieu,
il n'y a pas longtemps, b une polémique. Dans le ton de ces
épîtres adressées b M"'« 0..., Fétis avait voulu découvrir une pas-
sion tardive dans le cœur de Grétry déjb âgé, une sorte d'amour
sénile qui ternissait malheureusement la mémoire du grand
(1) Voici le programme coniplet de l'intéressantconcert qui a précédé
l'exécution de Richard Cœur de Lion : Ouverture de l'Embarras
des richesses (1782); quatuor de Lucile (1769); ariette du Tableau
parlant (1769); air de Zémire et Azor (1771); ariette de la Fausse
Magie (1775); sérénade de V Amant jaloux {\.11?>) ; chanson bachique
d'^ nacr^on (1797); danses villageoises et choeur des Deux Avares
(177C). — Hymne à Grétry (S. Dupuis).
ment). .
homme. Cette inierprélalion fut judicieusement réfutée, dans le
(7î/jdemu5iCfl/, parM. Delhasse.
Quantité de brochures et de librellos d'opéras et de partitions
ont été offerts par des collectionneurs.
Dix partitions d'orchestre ont été données par le gouvernement,
auquel le musée doit un de ses documents les plus précieux : la
partition manuscrite et autographe de l'opéra Le Prisonnier
anglais.
Des affiches annonçant la représentation d'ouvrages de Grétry,
b Liège, en 1808, émanant de la collection de M. Martiny, l'un des
principaux donateurs.
Citons encore la tabatière de Grétry, pourvue des atlribuls de la
musique, don de M. Delhasse; le portrait du fameux Remacle, le
messager qui conduisit Grétry à Rome, don de feu J. Davreux; des
programmes de concerts datés de 1793 et 94, contenant des com-
positions du maître (don de M. de Saegher); des lettres encore,
des brochures et jusqu'une vénérable mèche de cheveux fixée b
un papier jauni sur lequel le neveu du musicien, Flamand Grétry,
a tracé quelques lignes qui répondent de l'aulhenticilé de l'envoi.
NECROLOGIE
•Ferdinand Poise.
Encore un deuil dans l'école musicale française. Ferdinand
Poise, l'auteur de Joli Gilles, de l'Amour médecin, des Surprises
de l Amour, des Charmeurs, de Bonsoir Voisin, fantaisies
charmantes et fines qui ressuscitaient en musique les délicates
inspirations de Marivaux, avec leur mièvrerie et leur allure
Régence, est mort la semaine passée à Paris, âgé de 64 ans. Il
était né b Nîmes en 1828, avait remporté en 185"2 le second
grand prix de Rome et travaillé au Conservatoire sous la direc-
tion d'Adam. C'était une figure bien à part dans révolution
musicale contemporaine, un petit mallre qui ne fit que des
œuvrettes, mais qui les cisela avec un art parfait.
Petite CHRO^iquE
La Bibliothèque Littéraire et A rtistique, collection d'art éditée
par La Plume (31, rue Bonaparte, Paris), vient, après Dédicaces
de Paul Verlaine, Albert do Louis Dumur, les Cornes du Faune
d'Ernest Raynaud et Tourmentes de F. Clergel, de s'enrichir d'un
nouveau volume, : Thulé des Brumes, légende modorne, en
prose, par Adolpîie Relté (3 fr. frando). Ce livre, écrit par un
mallre artiste, est une œuvre pleine d'intérêt, étrangement sug-
gestive, et un grand succès pour la collection dont il est un pré-
cieux exemplaire.
« Quiconque aime les choses de l'Art aime la Belgique. C'est
un merveilleux pays où l'on voisine entre cités toutes riches de
chefs-d'œuvre. C'est une collection de musées dont le chemin est
toujours facile. Lb seulement on connaît les Primitifs, les vrais
ancêtres de noire Puvis de Chavanncs et de notre Gustave Morrau.
C'est la terre même de la peinture. C'est de son soleil que fut
faite l'admirable palette de Rubens.
« C'est aussi un pays vaillamment littéraire, aujourd'hui, du
moins, et possédant actuellement une jeune Ecole où de bons
prosateurs et de vrais poétesse peuvent donner la main, où notre
langue française est passionnément défendue cl aimée.
tt El ils chantent, là-bas, eu prose comme en vers. »
C'est Armand Silveslre qui commençait en ces termes l'une de
ses chroniques de l'Echo de Paris. Il est intéressant de constater
qu'il y a b Paris des écrivains disposés b contredire l'imbécillité
du reportage national.
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Douzième année. — N° 22.
Le numéro : S 5 centimes.
Dimanche 29 Mai 1892.
L'ART MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Comité de rédaction » Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00 — ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser toutes les communications à
LADAflNisTRATioN GÉNÉRALE DE TArt Modemo, Tuo do Plndustiie, 32, Bruxelles.
30MMAIRE
Le Quatuor Ysaye a Paris. — Une lettre de M. Alfred
Stevens. — LivRKS ET BROCHURES : Lcs Poésies d'André WaUer.
L'Ile de l'Occident. Les Secrets de liubens. Pastels et Pastellisles,
— Accusés dk réception. — Ventes récentes. — Bibliographie
MUSICALE. — Chronique judiciaire des arts. — Petiï-e chronique.
Le Quatuor Ysaye à Paris.
Il importe d'insister sur révénement artistique dont
notre correspondant musical de Paris nous a signalé le
retentissant succès : les matinées triomphales dans les-
quelles Ysaye et ses partenaires ont révélé à un public
d'amateurs, que chaque séance attirait plus nombreux
et plus enthousiaste, les œuvres de musique de chambre
de l'école française contemporaine.
C'est, pensons-nous, la première fois qu'un groupe
d'artistes belges s'impose à l'étranger, en dehors de tout
élément de pure virtuosité, avec une pareille autorité.
Le Quatuor Ysaye a réalisé ce miracle de vaincre par
la seule compréhension supérieure de quelques œuvres
d'art, en gardant strictement l'austérité de programmes
exclusifs, sans nulle concession aux habitudes reçues,
aux dilections de la foule pour les hors-d'œuvre, entre-
mets, plats sucrés qui accompagnent d'ordinaire les
pièces de résistance qu'on lui sert de gré ou de force.
Et l'impression finale, vraiment réconfortante pour les
compositeurs, est que s'il y a de nos jours des artistes
assez désintéressés pour négliger le succès personnel en
se vouant à des interprétations d'ensemble de premier
ordre, il existe aussi un public pour les comprendre.
C'est par le théâtre seul qu'un musicien arrive, en
général, à communiquer avec les masses, à faire con-,
naître son nom, à atteindre soit la renommée, soit la
fortune. Et la fascination de la scène est telle que de
bons musiciens, aptes à écrire des œuvres excellentes,
usent leur jeunesse dans l'ingrat labeur d'un opéra ou
d'un drame musical qui ne sera jamais représenté ou
qui ne sortira des cabinets directoriaux que lorsque
l'auteur (faut-il citer des exemples? Ils sont dans la
mémoire de tous) aura vu ses cheveux blanchir et
s'éteindre l'inspiration.
Les concerts symphoniques eux-mêmes n'ont plus le
pouvoir d'attirer et de retenir la foule, si on n'en corse
l'intérêt par l'attrait d'un virtuose extraordinaire, par
l'adjonction de masses chorales, par l'appât d'un nom
réputé, clamé par les journaux
La musique pure, la musique réduite à son charme
ingénu, aux délicatesses des impressions qu'elle pro-
voque sur les âmes réceptives, a perdu le prestige
qu'elle exerçait jadis. Mais si le public ne fait point cas
d'un musicien qui se consacre exclusivement aux inti-
mités de^ musique de chambre, n'est-ce point parce
170
UART MODERNE
V
qu'on ne lui en fait pas suffisamment connaître le
charme discret? Où donc entend-on, si ce n'est dans
quelques très rares réunions d'amateurs et dans des
séances de choix, en nombre infiniment restreint, des
quatuors classiques interprétés avec le respect et
l'art qu'ils exigent ? Et les œuvres modernes, avec quelle
désinvolture sont-elles exécutées, avec quelle indiflé-
rence écoutées?
L'initiation entreprise par Ysaye aux XX, puis ù
Paris, aura des conséquences énormes. Pour la pre-
mière fois, les musiciens de la Jeune France, ces
artistes laborieux et tenaces en même temps qu'inspirés
etinstruits.ontvuleurscompositionsprésentéesau public
telles qu'ils les ont conçues. Les concerts bruxellois,
commencés il y a cinq ans, avaient raffermi les espoirs,
et le retentissement qu'ils avaient eu dans la jeunesse
françaiseavaitexercél'infiuencelaplusheureuse.Lasérie
d'auditions donnée à Paris a été le couronnement de
cette œuvre de généreuse propagande. Les noms de
Vincent d'Indy, de Gabriel Fauré, d'Ernest Chausson
et des deux grands artistes morts : César Franck,
Alexis de Castillon, sont désormais classés parmi ceux
des musiciens illustres. Aucune erreur n'est admissible :
l'archet d'Ysaye et de ses collaborateurs leur a donné
la consécration définitive.
Et il s'est produit ce phénomène que ces composi-
teurs, dont aucun n'a été joué au théâtre (exception
faite de la musique de scène écrite par Gabriel Fauré
pour Caligula et pour Shylock, d'un opéra comique :
Attendez-moi sous Forme, de Vincent d'Indy, et de la
petite partition de Karadec qui accompagna, la
semaine dernière, au Théâtre Moderne, un drame
bizarre de M. Alexandre), sont désormais aussi connus
en France — tout au moins de ceux qui portent intérêt
aux choses de l'art — que les auteurs le plus fréquem-
ment écoutés.
^„ Telle a été la haute portée des séances Ysaye. Il est
aiséde prévoir l'essor que ce notable événement donnera
à la musique de chambre, qui a repris du coup le ran"-
qu'elle a le droit d'occuper. Qui sait si, plus que la
musique dramatique dont les récentes manifestations
laissent la critique indécise, elle ne constituera pas la
véritable gloire de la France artistique moderne? A
entendre les œuvres admirables qui ont fourni les quatre
programmes du Quatuor Ysaye, on serait tenté de
l'affirmer dès aujourd'hui. Où donc, en quel pays trou-
ver pareille envolée?
Les plus sceptiques ont été convaincus. Le Figaro a
proclamé, en deux articles considérables, l'éclatant suc-
cès de ces séances. Et les soirées intimes "données par le
Quatuor dans des salons amis, — chez M. Vincent
d'Indy, chez M. Ernest Chausson, chez la très îirtiste
M"* Winnaretta Singer, — ont confirmé et fortifié l'im-
pression des auditions publiques. Ce fait encore, à
l'appui de notre assertion : le luthier Gand-Hernardel a
fait hommage à Ysaye, au moment où il quittait Paris,
d'un violon de choix, honneur qui n'avait été décerné
jusqu'ici qu'à Joachim et à Sarasate.
Mais ce n'est pas au virtuose seul que s'adressait ce
témoignage d'admiration. Avec une rare délicatesse,
Ysaye avait eu le continuel souci de s'effacer et de ne
se produire à Paris que comme chef du quatuor qu'il
a fondé A côté de lui MM. Crickboom, Van Hout et
Joseph Jacob se sont fait une réputation .solidement
assise de quartettistes impeccables. Dans l'opinion géné-
rale, c'est le Quatuor Ysaye, et non Ysaye seul qui a
rerai)orté la victoire. Et désormais le Quatuor belge
prend rang, dans l'appréciation des artistes, à côté du
fameux et universellement réputé Quatuor Joachim.
Ce que ce dernier a fait pour la musique ancienne,
l'autre l'a réalisé pour les œuvres de l'école française
contemporaine. Chacun dans son domaine» l'un et
l'autre ont rendu à l'art un service inoubliable.
UNE LETTRE DE M. ALFRED STEVENS
Nous recevons de M. Alfred Stcvens, au sujet de nos itrlicles
sur l'Exposition des Cinquante chefs-d'œuvre belges (n"* des 10,
17 et 24 avril), la lettre ci-après.
Nous faisons naturellement nos réserves sur l'appréciation
qu'elle contient de plusieurs de nos artistes nationaux. M. Alfred
Stevens habite Paris depuis lougleuips, et c'est sans doute à celle
circonstance qu'est due l'opinion quil exprime.
Cher Monsieur,
Je viens de lire votre article dans VArl moderne.
Tout en vous remerciant de ce que vous dites d'aimable sur
mon cher frère Arthur, ne mettez pas, je vous prie, celle petite
réponse sur l'afifection (jue je conserve du plus profond de mon
cœur à ce frère qui n'est plus.
Mou frère a peut-être trop parlé avec enthousiasme dii lalem
de ses deux frèros, je suis le premier à le reconnaître et à ne pou-
voir lui en vouloir. Il avait lamour des siens.
il avait le haut goût de l'art et il n'a ces-sé de défendre ce qu'il
admirait, ce qu'il comprenait, sans s'occuper de nationalité, pen-
sant qu'un grand arlisic appariicnl ii tous les pays, que le plus
grand danger, la mode dans l'an, il fallait la combaitrc. Il n'a
jamais suivi le goût du public, il est mort sans forlune. En
défendant des maîtres français comme Delacroix, Corot, Millet
Ingres, Th. Housseau, etc., ii a rendu à son p;iys, qu'il n'a cessé
d'adorer, le plus grand des services, car aujourd'hui les artistes
belges, ceux qui ont du talent, s'inspirent de l'art français.
Trois peintres flamands seulement ne doivent rien à l'art fran-
çais : !• Leys, très grand artiste, ne s'est inspiré (jue des maîires
aucieus,depuis OslaiJe.HembranJi, Jusque Grauck; 2» H. de Brac-
keleer, grand talent aussi; son élève, faisjnt des sujeis modernes
avec l'œil de Leys; 3» Joseph Sli'Vcns, itwn Irére, excusez-moi,
est resté entièrement flamaïul, |)eigaant avec le seulimeut de sa
nalure en ne s'occupant de personne.
Non, mon frère Arthur n'aurait pu admettre que Dubois avait
\
i:aht moderne
171
la valpurde Coiirbcl. Sans (>)url»ei, Dubois n'cxislail pas. Il avait
été, je pense, (!'lèvo de roulure. Non, Roul(;ngor, paysagiste de
grand lalenl, il n'aurait pu le comparer à Th. Rousseau. C'eùlélé
comparer du strass \\ du diamant.
Maintenant, ciier Monsieur, voulez-vous me permettre do vous
lionncr mon avis sur ce qui s(> passe aujourd'hui, aussi bien en
France qu'en Belgique, qu'à l'fMraiiger?
- Je pense que bientôt le Louvre deviendra le Salon des refust's,
^\\\i le pli\llo.\era l'ait de bien grands ravages dans ce bel art de
la peinture; que Uiibcns, Velasquez, Vandermeer de Delt'l, Van
Eyck, etc., se sont exprimés d'une façon diflférenle, mais (|u'ils
ont vu de la mCMue manière, et ((u'ils eussent éié étonnés
d'apprendre que les troncs d'arbres étaient bleu de Prusse, ainsi
que les parquets d'apparioments.
Un tableau doit éire vu à sa dislance voulue, mais il doit nous
donner le droit de pouvoir l'admirer de près. 11 n'y a pas de pcin-
lurc là où le bel ouvrier n'existe pas.
Pardonnez-moi, cher Monsieur, devons donner ainsi mon avis,
cela prouve combien j'aime à causer peinture avec vous, et croyez
ù mes sentiments les meilleurs et les plus distingués.
Alfred Sïevens.
LIVRES ET BROCHURES
Les Poésies d'André "Walter. (Œuvre posthume.)
Il a dû les écrire pour lui-même, comme un journal, ces vers
intimes qu'il n'a pas eu le temps, qu'il n'a pcul-ôlre jamais eu la
volonté de corriger. Il a cherché, la vie lui a paru obscure, il a
douté, et la pensée est venue. Ce devait être un vrai poète.
Dans les heures d'attente, d'incertitude, de recherches fati-
gantes, et stériles, ses vers tombent sans rhylhme, sans allure,
presque sans forme. Dès qu'une pensée, qu'une clarté se fait jour
dans son esprit, le vers se redresse, s'équilibre ol s'affirme,
simple, naturel, complet.
Lisez le paragraphe qui commence ainsi :
Nous sommes deux pauvres petites âmes
Que ne réchauffe j)lus le bonheur.
Nous sommes deux pauvres âmes
Qui ne savons plus être heureuses.
II se demande tristement, confusément, ce qui lui manque et
peu lui chaut que ses rimes soient accouplées et que les pieds de
ses vers soient comptés. Mais une lueur se fait, la pensée trouve
son rhythme. Celle-là, il se lest répétée tout haut; celle-là, il
;^urait voulu la rendre moins mortelle que lui :
Tu m'as dit : I^coute, je crois
Nos âmes très mystérieu.ses ;
Peut être qu'elles sont heureuses
Et que nous ne le savons pas.
El encore :
Où sont donc allés tous les autres?
Ils ont dû suivre quelque apôtre,
Qui les aura guidés sans doute
A travers les tournants des routes.
Ils auront retrouvé les normales paroles
Qu'on nous avait dites, un .soir.
Mais que nos cervelles folles
Ont laissé négligemment choir.
Puis, quand après avoir erré longtemps et chei^hé une vie
plus forte, ils veulent rentrer dans l'Eglise aperçue au loin, la
porte en est fermée; ils sont encore dans la nuit avec leurs
peittcs lumières éteintes, et dans un mauvais rêve d'êtres aban-
donnés. Alors résonnent ces mots symboliques qu'on oublie diffi-
cilement par ces temps où grandit la compréhension de la pcr-
sonnaliié :
Tu m'as dit :
Je crois que nous vivons dans le rêve d'uiî autre
Et c'est pour cela que nous sommes si soumis.
El la tristesse, l'impuissance à percer celte nuit qui l'cnloure
le reprenant, il laisse lourdement, brutalement tomber ces der-
niers vers :
Je crois que ce que nous avons de mieux à faire
Ce serait de tâcher de nou& endormir.
Comme tant d'autres de son siècle, il a cherché, il n'a p-is
trouvé et le sommeil l'a pris, le vrai sommeil où l'on ne se fait
plus de questions.
L W.
L'Ile de l'Occident, par I^mile Vandervelde. Bruxelles,
J. Vanderauwera, 23 p.
M. EMILE Vandervelde a fait, à la Société de géographie de
Druxclles, à la suite de quelques mois de vacances en Mauritanie,
la conférence très intéressante qui nous est donnée aujourd'hui
en plaquclte.
L'Ile de l'Occident, c'est, selon l'appellation arabe, le quadri-
latère formé par la Tunisie, l'Algérie et le Maroc, et qui constitue
un massif complètement isolé du reste de l'Afrique.
Celle situation a fait que celle terre n'a jamais élé occupée
exclusivement par un seul courant de civilisation. Les divers
peuples, d'un développement très inégal qui l'ont habitée suc-
cessivement, y ont conservé leurs parts d'influence, et l'on y voit
coexister les moeurs, les formes sociales, les organisations écono-
miques les plus dissemblables.
Ces survivances s'expliquent par la conformation physique du
Moghreb, divisé dans toute sa longueur en trois larges zones paral-
lèles : les vallées et les monlagnes de la côle médilerranéennc,
les hauts plateaux de l'intérieur el le long chapelet d'oasis qui
borde le Sahara.
La fangeuse rivière de Gabès sépare les oasis en deux régions
d'aspect diamétralement opposé : d'un côté, des steppes, arides
se confondant avec le Sahara, où l'on ne rencontre qu'une race
dure, famélique el âpre, véritable race de Caïn ; de l'autre, des
oasis nombreuses el fraîches,, habitées par un peuple servile et
doux. '
Sur les hauts plateaux, l'habitaril trouve des champs de par-
cours, des pâturages pour ses béies et de quoi voler et piller de
temps en temps, genre de vie qu'il ne voudrait à aucun prix
échanger contre l'assujettissement au travail.
La côle enfin est la région des villes, coin du moyen-âge cou-
ronné par la stagnation ambiante el rappelant, par d'étonnantes
ressemblances, nos communes du xin« el du xiv« siècle. C'est là
seulement que se fait sentir déjà forlemenl l'influence indus-
trielle de l'Europe. Comme le disait à l'auteur un riche Tunisien :
« Nous autres, nous ne ferons jamais grand'chose, parce que
« nous ne sommes pas assez malins pour employer des ma-
M chines ».
M. Vandervelde décrit ce beau pays d'une façon saisissante,
originale, en un siyle coloré qui nous le fait voir à travers un
mirage de soleil. 11 entremêle d'exemples pris sur le vif les données
économiques qu'il développe, ce qui donne une grande autorité à
sa démons^alion.
Les Secrets de Rubens, par Léon Lequime. Bruxelles, veuve
Monnom, in S», 43 p.
Les socrcis par lesquels Rnbcns atteiiïnit la maîtrise sont,
d'après M. Lequime, sa corrcclion réelle, contraire à lacorroclion
académique, mais d'accord avec les lois du mouvemeul; l'ondoie-
ment de ses contours, conforme îi l'observation de la nature; ses
relations de tons, c'csl-h-dire les résonnances des colorations et
des valeurs et leurs influences réciproques.
L'auicur développe avec art ces trois points cl insiste parti-
culièrement sur le troisième, sur lequel il attire instamment l'at-
lention des peintres qui entendent perpétuer les traditions de la
peinture flamande.
On rechorclie trop, selon M. Lequime, la couleur locale isolée,
débarrassée des influences générales qui \ii modifient.
« Aussi, dit-il en une comparaison' pittoresque, chez la plu-
part des peintres, quand la cloche céleste sonne à toute volée
dans un ton, les elocheties terrestres vibrent dans un autre. »
Eh! mais, n'est-ce pas précisément l'étude attentive des rela-
tions de teintes et de leurs réactions, des influences générales sur
les Ions locaux, des modifications nécessaires que subissent
ceux-ci en raison de la loi des complémentaires, qui tient une
place prépondérante dans les préoccupations des nouvelles écoles
de peinture?
En reprochant aux artistes contemporains de négliger ces
recherches, l'auteur ignore-i-il la révolution accomplie en ces
dernières années par les néo-impressionnistes?
On lira avec intérêt cette brochure, écrite avec sincérité par un
critique convaincu et corftpéteni, qui a le tort de se tenir trop à
l'écart des luttes <Ians lesquelles il rompit jadis, — et l'An
moderne n'a pas oublié la collaboration qu'il lui donna au début,
voici quelque dix ans, — des lances pour la cause du Neuf contre
l'Académisme et la Stagnation.
L'étude de M. I.equimc f.iit partie d'un travail importnnl dans
lequel il se propose d'établir la supériorité de l'ait flamand.
D'après lui, les tendances littéraires de l'art d'aujourd'hui sont
dangereuses. C'est aux seuls éléments de la peinture proprement
dite, à la magie des couleurs, aux splendeurs de la l'orme, qu'il
faut revenir.
Ces propositions sont contestables. A côté de l'art ornemental,
de l'art plastique, de l'art documeniaiie, il y a place, selon nous,
pour un art de pure intelletlualiié, tel ([ùe le poursuivent, avec
des fortunes diverses mais souvent liés heureuses, touie une
pl^'iadedc j -unes ariisles. Les Sillons des XX ont fourni quel(|ues
spcHhneus remarquables de ces expressions nouvelles, nées d'une
cérél>riiliié insoupçonuéo des peintres de la seule belle « tache de
couleurs n. Mais attendons, pour rencontrer les conclusions de
M. Lequime, que le travail annoncé ail été publié.
Pastel et Pastellistes, notes d'art, par Albert Dutry. —
Gand, Siffer. 26 p. ■ '
11 parait que Diderot fut assez di'daigneux du pastel :
« Sou.iens-loi que lu n^es que poussière, pnslellisle, et que lu
retourneras en poussière... », di-il h La Tour.
Celle prédiction pcssin.isie n'enipêeha pas le procédé charmant
du pastel (qui a, selon un poè;c plus galanl, volé au papillon le
velours de son aile, à la lose le pollen de ^a Heur) de coi)(|uérir
droit do cilé parmi les iiioiles d'expression artistiques. Im;igiué
presque en môme temps, au sièchs dernier, par ia Rosalba en
Italie et par La Tour en France, le pastel, après des vicissitudes
diverses, est aujourd'hui fort en honneur parmi les peintres.
Depuis i88S, une exposition périodique réunit annuellement, à
Paris, tous ceux qui se consacrent à cette technique délicate. On
cite parmi eux Cazin, Lhermitie, Chéret, Gervex, J.-E. Blanche,
Duez, Uéraud, W""» M. Lcmaire, Monlenard, Emile Lévy et vingt
autres. Dans les Salons de peinture, en France, en Belgique, en
Angleterre, en Allemagne, le nombre des pastellistes exposants
croit d'année en année.
Il est pcud'arlistescontemporains qui n'aient tfité du crayon de
couleur : quelques-uns en tirent des, effets charmants. Mais, ici
encore, le procédé est peu de chose, et qu'on poigne à l'huile, b
l'aquarelle, îi la cire ou ou pastel, c'est l'œuvre qui vaut, et non le
mode d'expression.
Dans une intéressante brochure, M. Albert Dutuy, avocat au
Barreau de Gand, chroniqueur artistique h l'Imparlial, résume les
notions générales de la peinture au pastel et passe en revue les
artistes qui, depuis l'origioe, s'y sont spécialement consacrés.
^CCUgég DE F^ÉCEPTIOJV
Nobles et noblesse, par H de Nimai. ; Paris, A. Savine. — La
Vie sans liille, par Jean Jui.uen ; Paris, Bibliothèque artistique et
littéraire (sous le p;itronage de La Plume), rue Bonaparte, 31.
— ^gyplincqm-lXj' vol. des « Rôvcs vé(^us et vies rêvées »), par
Wii-UAM Ritter; Paris, A. Savine, — Voyage au mont Araral,
par Jules Leclercq; Paris, E. Pion, Nourrit et C'».
VENTES RÉCENTES-
Des éludes et esquisses d'Eugène Delacroix ont été vendues
dernièrement à l'hôtel Drouot, en mémo temps que des toiles
d'Andrieu. Elles n'ont, chose étrange, atteint que des prix insigni-
fiants. L'enchère la plus importante a été obtenue par une étude
de jiiguar, (jui a été payée 700 francs par M. Faure. Voici quelques
firix : Angélique el Roger, 200 francs; Lion dévorant un croco-
dile, 343 francs; Guerrier blessé, 433' francs; quairc éludes:
Saint Jérôme, Orphée, la Muse d'Arislote, Cicéron, 200 francs
les quatre; Attila, esquisse pour la Chambre des députés,
100 francs.
A celle même vente, l'Etat a acquis le portrait de Delacroix par
Géricault au prix. minime de 1,420 francs. Ce portrait est destiné
au Musée du Louvre.
* *
La collecl'wn de tableaux de M. Alexandre Dumas, en revanche,
a été 1res bien vendue.
Le peintre au chevalet de Meissonier, qu'Alexandre Dumas
avait payé 15,000 friincs environ li la vente Henri Didier, a été
poussé h 60,000 francs cl a été acheté pour l'Amérique. Les
Corot ont obienu des enchères 1res élevées : Paysan à travers la
campagne, 40,000 francs; Solitude, 8,500 francs; Crépuscule,
19,500 francs; Au bord de Venu, 5,100 francs; La Rochelle,
3,450 fnmcs; La Mtul'lriue, 500 francs.
Le succès de celle vente a été pour Vollon. Les prix obtenus
p;ir les œuvres de col artiste auront leur cnnlre-coup sur l;i valeur
des tableaux de cet artiste : le Casgue du roi Henri 1 1 , 7,400 fr.;
Lé Tréport, 9,900 fnmcs; les Cuivres, 8,200 francs; le Dessert,
11,050 francs; les Œufs, 4,000 francs; Lfieppe, 3,750 francs.
Les Tassncrt se sont dgalcnrKMil bion vendus : In Tenlnlion de
saivt Hilnrion, 11,600 francs; Bncchus el Erigone, 2.500 fiancs;
la Trnnsfignraliou de la Mndelnne expirante, 6,500 francs; In
Femme nu traversi7i, 6,500 francs; signalons encore Pâturage,
élude par Troyon, 1 1,500 francs; Femme nue, do Jules l.el'ebvre,
25,000 francs; Marie-Madeleine, id., 9,900 francs; Centaures
et Cenlauresses, par Eugène Fronicnlin, 17;500 francs; Sentinelle
arabe, i)ar Forluny, 4,500 francs; Coucher de soleil, par Jules
Duprd, 11,500 francs; Crépuscule, id., 6,900 francs.
***
Principales adjudicUlîons de la vente Hulol ;
Eugène Delacroix : Opltélie, 49,000 francs. — Moissonier ;
l'Amateur d'estampes, 40,000. — Troyon : la Rentrée du trou-
peau, 33,500. — IJouclier : l'Intérieur d'un artiste, .'i^MO. —
Walti-au : le Concert, 22,500. — lîoiily : l'Exposition du tableau
du sacre, 13,000. — Jules Oupré : la i/rt»T, 11,250. — Cliardin :
l'Ecolier, 11,000. — Reynolds : Poriroit de jeune femme, 8,000.
— Diaz : Scène d'incantation, 6,900. — llobhéma : le Vivier,
15,000. — Quenlin Ulclsys : le Calvaire, 11,300. — Ruysdael :
le Château de Brederode, 12,400. — Jan Slreii : Moïse frappant
le rocher, 7,400. — Toniers : la Galerie de l'nrchiduc Albert à
Bruxelles, 18,000. — Du- même : le Château de Teniers, 7,100.
— Terburg (atlribué à) : le Verre de limonade, 7,100. — Wolil-
gemuih : la Vierge aux anges, 10,000.
Un paslel de La Tour, Madame de Pômpadour, a élé vendu
6,250 francs.
Le total de la vente s'élève à 506,140 francs.
***
On a vendu ces jour.s-ci, à Paris, le Panorama de la bataille
de Champigvy de M .M. Alphonse de Neuville et Edouard Delaille.
La Compagnie belge qui avait acquis en dernier lieu la pro-
priéié du panorama, Irouvant le succès épuisé, avait fait découper
la loile, sur les indications de M. Détaille, en quaranic-deux mor-
ceaux, dont trenie-irois épisodes de la ba'aille et neuf pay.sages.
La vente a produit an lolal 149,000 francs.
te Les deux morceaux les plus importants étaient le Combat de la
Plâtrière et le Four à chaux, l'un et l'autre do M. de Neuville.
Les enchères ont éié poussées aciivement : la Direclion des
musées naiinnaux s'est assuré, pdur leMusée de Versailles, /e Com-
bat de la Plâtrière.
Le représonlant d'un grand musée étranger tenait tête au
représenianl des musées français.
Quand le commissaire-priseur eut adjugé, au prix de 30,000 fr.,
le tableau, et qu'ilcut répété tout haut l'indication : « Adjugé aux
musées nationaux! » des applaudissements fort nourris éclatè-
rent.
L'émotion n'était point calmée, quand le Four à chaux fut mis
-. en vente. On s'étonna de voir muet le représenianl des musées
nationaux; on interrogea : on apprit queues ressources etaieiil
épuisées.
A ce moment un amateur bien connu, M. Emile Monlcaux,
s'écria ;
— Si nous faisions le capital? Je m'inscris pour 2,000 francs.
Immédiatement, le peintre Munkacsy, qui se trouvait dans la
salle, ajouta : « Je fais 1,000 francs ! »
Un troisième s'inscrivit pour cinq louis, un quatrième el un
. cinquième suivirent, cl l'appariieur lui-môme, eniraîné, lança ce
mot : « Je ne suis pas riche, mais je donne 40 francs! »
L'idée de la souscription se propageait ; tous les assistants vou-
laient y contribuer. Mais le commissairc-priseur ne pouvait
attendre, el le Four à chaux fut adjugé à un marchand parisien
pour 39,300 francs.
La souscription, du coup, en resta là.
**«
La collection Bellino, vendue la semaine dernière à Paris chez
Georges Petit, a produit SSi^.SOO francs.
Le prix le plus élevé, 100,000 francs, a été alleint par le Parc
à moutons, de Millet. Le Petit pont, de Théodore Rousseau, vient
ensuite; il s'est payé 34,000 francs; puis deux tableaux de Dela-
croix, une Mort de Sardanapale, de dimensions très réduites,
exécutée après le grand tal)leau, el un Tigre assis ont été vendus,
le premier 25,500 francs, le second 23,000.
Les Carrières, de Corot, ont été adjugées à 23,000 francs
égnlement ; une Forêt de Fontainebleau, de Diaz, à 19,200 francs;
un Daubigny, le Soir, îi 16,500 francs ; un Troyon, Avant l'orage,
h 13,000 francs; un Ruysdael, îi 11, .500 francs; une Nymphe,
de Diaz, à 11,000 francs; un Isabey, la Peste à Marseille, un
de Nittis, Courses à Longchamp, un Ziem, Embarguemcnl d'émi-
grés, A 6,000 francs chacun.
Les Bonvin, dont on attendait bcaucouf», n'ont guère dépassé,
[lour les peintures, 2,500 francs; pour les dessins, 400, 600 et
700 francs; les aquarelles de Daumier, de Decamps, de Lami el
de Henri Mnnnier ont varié entre 1,900 cl 300 francs. Un paslel
de Degas, Danseuses, a atteint 8,800 francs.
Le parallèle entre les prix auxquels M. Bellino a acquis, il y a
dix ou douze ans, les principales œuvres de sa collection el les
prix -atteints vendredi dernier, est assez curieux et intéressant.
Ainsi, pour n'en citer que quelques-uns : Millet, Parc à moulons,
acheté 20,000 francs, adjugé à 100,000 francs; Rousseau, le
Petit pont, 17,000 francs,, adjugé b 34,000 francs; Corot, les
Carrières, 5,000 francs, adjugé à 22,500 francs; Diaz, Forêt de
Fontainebleau, 12,000 francs, adjugé h 19,500 francs; du même.
Nymphe et Amours, 7,000 francs, adjugé b 11,000 francs;
Deg;is, Danseuses, 2,000 francs, adjugé îi 8,800 francs.
***
La vente des chefs-d'œuvre qui composaient la collection di;
comte Daupias a produit un total de 1,234,160 francs, ce qui
dispense de tous commentaires sur la valeur de celle belle collec-
tion, que nous avons jadis décrite en détail, lors d'un voyage h
Lisbonne (1). Les honneurs ont été pour la célèbre toile de Corol,
l'Entrée en forêt, qui est montée à 101,000 francs, cl pour un
Troyon, l'Approche de ron/je, 100,000 francs. Parmi les enchères
les plus brillantes, citons : le Lac, de Corol, 85,000 francs; En
reconnaissance, de Détaille, 28,000 francs; un Fromentin a atteint
le chiffre de 26,000 francs; Vaches et chèvres, de V:iu Markc.
27,000 francs; ensuite les tableaux de Baslien-Lepage, Baudry,
Donnai, Delacroix, Diaz, Isabey ont été les plus disputés el ont
été adjugés à des prix variant de 12,000 à 18,000 francs. — A
la seconde vacation, une Tète de jeune fille, de Greuze, a atteint
34,000 fnincs; un Poitrail de deux dames, de sir Th. Lawrence,
33,500 fra?ics; Madame Adclmde, princesse d'Otléans, de Rey-
nolds. 25,500 francs; le Portrait de Madame Antony et ses
enfants, de Prud lien, 25,000 francs; le R>>vvil de In nation, de
Fiagonard, 20,000 fanes; un Portrait i\c Naltier, 24,100 francs;
le Bal, do Watieau, 20,000 francs.
(1) Voir l'Art Moderne, 1890, p. 155.
\
k-
174
L'ART MODERNE
Pour aclievtT ceUf iioiuciicliiUiro dos vciiios loceiilcs, citons
encore celle d'une ('(illeciion de mblenux apparleiiMiil îi V Ameri-
can Art Associalion, (8 avril, New-York), CenI cinqu;uUe-six
loiles ont produit 1,344, 8"2î> francs.
Quelques prix :
Troyon, Passage du twis, 35,000 francs; id., Parc aux Imiis,
60,000 francs; E. Delacroix, C/irt.M<? «m /wis, 6o,000 francs; id..
Cavalier arabe attaqué par un lion, 31,700 francs; Slillel, Paysage
d'Auvergne, 60,000 francs; Rembrandt, L'homme d'armes,
43,000 francs; Housseau, Forci en hiver, coucher de soleil,
4S.000 francs; id.. Forêt de Compièijue, 38,000 francs; id.,
Plaine eu Berri, 37,000 francs ; .Meissonier, Joueur di: guitare,
33,000 francs; Cazin, Halte de voyageurs, 30,000 francs.
ÇlBLlOQRAPHlE MUSICALE
Il est beaucoup question, dans les dernières mélodies que
publient MM. Richaull et C", de tourterelles, d'étoiles, de rosée,
de nids, de papillons et autres accessoires oblii^és de la romance
de salon. Ces choses aimables et banales sont signées Ai,oys
Claussman, Emile Renaud, et s'appellent, comme de juste.
Chanson davril. Idylle matinale, Rêve, mignonnel le Soir, etc.,
texte de MM. Mauduil, A. des Essaris, E. de Lyden.
Il y a aussi, pour le piano, des correspondances adéquates
qui ont reçu de leurs auteurs, MM. F. Lavainne, II. Vaillaho, etc.,
de jolis noms de baptême: Le Départ des hirondelles, les Regrets,
l' Angélus^ Sous le masque, loiilcs œuvres appelées à lernir l'éclat
des légendaires Prière d'une Vierge et Trot du cavalier.
Pour se faire pardonner cette eflloresccnce printanière de
morceaux à l'usage des pensionnats, MM, Richaull et C« meltenl
en vente une nouvelle édition pour piano \\ quatre mains de l'ou-
verture héroïque Les Guelfes d'IlENRY I.itoi.pf, dont les mûIes
sonorités ont si souvent retenti h Rruxclles, où le maître a con-
servé tant d'amis. La transcription. Wvc par l'.'uteur, est excel-
lente et donne clairement l'impression de la partition d'orchestre.
On lira ave- 'd^iisir cette œuvre forte et bien conduite, l'une des
pages capili.ics du grand artiste défunt.
La partition de La Mer, esquisses symphoniques de Pall
GiLSON, réduction pour piano à quatre mains par l'auteur,
paraîtra prochainement chez les éditeurs Breiikopf et Martel
(Bruxelles. et Leipzig).
Chronique judiciaire de? art?
Faux tableaux. ^
Dernièrement ont comparu devant le tribunal correctionnel de
Cherbourg le nommé Tesson et ses complices, qui avaient réussi
à écouler depuis deux ans pour environ six mille francs de
tableaux, la plupart signés J -F. Millet, ou donnés comme pro-
venant de Millet.
M. de Tocquevillc avait acheté quaire tableaux pour 1,200 fr. ;
M. Rob.'rt en avait acheté une trentaine pour 5,000 francs.
Tesson ne fabriquait pas seulement des faux Millet, il essaya
aussi des Troyon. Parmi les tableaux saisis comme pièces de
conviction figure une toile représentant un Iroupeau de moutons,
portant la signature de ce peintre. Ce tableau donna même lieu
h un incident curieux. L'iiUermédiairc chargé de le vendre, ne se
rappelant pas ce nom de Tioyon, (|ui lui était peu f;imilier,
donna à l'acquéreur ([uittance pour un Trogno)i.
Le tribunal a condamné Tesson à deux mois de prison et les
autres prévenus à <les peines variant de un mois à quinze j'ours,
sans upplicalion de la loi Rérengêr. . ^
ferilE CHBO^nQUE
^ C'est aujourd'hui que s'ouvre h Anvers, dans les salles de
l'ancien musée de peinture, l'exposilion organisée parla nouvelle
Association pour l'Art dont nous avons annoncé la récenie con-
sliiution.
Le choix des artistes qui argumenteront en cette première
baiaille pour le triomphe des idées d'avant-gnrdc promet une
exhibition du plus haut intérêt. En voici la nomenclature : Angle-
terre, Wallcr Crâne, A.-W. Finch. — Belgique, M"» Anna Boch,
G. Lemmen, G. Minne, G. Morren, H. Van de Velde, Th. Van
Rysselberghe. — France, L, Anqnelin, P. Bonnard, J. Chérel,
A. Delaherche, C. Guys, C. et L. Pissarro, G. Seurat, P. Signac,
H. de Toulouse-Lautrec. — Indes' néerlandaises, Jan Toorop. —
7rtpo«, Hieroshigé. — Pays-Bas, U. Bauer, M"^ .M. Iloleman,
Vincent Van Gogh.
Des auditions d'œuvres musicales nouvelles, des causeries
esthétiques compléteront h démonstration. Ou annonce un con-
cert dévolu à quelques œuvres des écoles russe et française dans
lequel se feront entendre M"'" Friede-Gourévitch, MM. Litta, Gillel
et Demest.
Causerie curieuse, documentée et très attentivement écoutée, le
19 mai, h la conférence du Jeune Barreau de Bruxelles. M. Jules
Destrée y parlait de Naundorf, l'énigmatique horloger.qui se pré-
tendait LouisXVII, avec de sérieuses raisons de vraisemblance. Le
conférencier a terminé le récit de ces étranges aventures par la
lecture du superbe conte de Villiers de l'isle Adam : Le Droit du
Passé.
Petite coitRESPONOANCE. — A M. G. M., Anvers. — L'Art
impressionniste de M. Geouges Lecomte, édité par M. Durand-
Ruel, dont il décrit la collection privée(avec trenie-six eaux-fortes,
pointes sèches et illustrations dans le texte par A. -M. Lauzet), a
été imprimé par MM. Chamerot et Renouard, rue des Saints-
Pères, 19, à Paris. Le prix est deSO francs pour les exemplaires
sur vélin. 11 a été tiré 50 exemplaires numérotés à la presse, dont
20 sur papier des Manufactures impériales du Japon et 23 sur
papier de Hollande. Les eaux-fortes de ces exemplaires de luxe
sont tirées sur Japon. Celles des exemplaires ordinaires sont tirées
sur Hollande.
On nous prie d'annoncer que les sociétés (|ui prendront part au
concours international de chant d'ensemble organisé par X Orphéon
enlreronl en possession des chœurs imposés aujourd'hui
dimanche, à 3 heures, à l'Hôlel-dc-Ville de Bruxelles (entrée par
l'escalier des Lions). Les sociétés devront en même temps faire
remettre par leurs délégués, porteurs d'une procuration spéciale,
une partition du morceau au choix qu'elles comptent exécuter.
L'Association des Artistes-musiciens de Tournai, dirigée par
M. Maurice Leenders, donnera aujourd'hi, d imanchc, à 3 heures,
un grand concert à l'occasion du centième anniversaire delà
\
- ' , v-y;^ïf«s:r^-
V ART MODERNE
175
mon (le Moz;irl. On y cnlendia ciitiv iiiilrcs, sous l.i dircclioii de
l'auleur, une Traucrnmrxch, composée expressémonl pour la
circonstance par M. Arlliur Wilford. Les solistes qui tigiircul dans
la seconde partie dujsrogramme sont M"" C. Painparé, pianiste,
M. Caron, basse clianlaiile, et M. Maurice LeenJcrs, qui inler-
prêlcra sa Fantaisie espagnole pour violon.
L'Exposiiion des beaux-arts d'Ixellcs s'ouvrira mardi prochain,
31 mai, b 1. 1/2 heure, au Musée communal, rue Van Volseni.
Elle comprendra, ainsi que nous l'avons annoncé, une section
rétrospective des plus intéressantes.
C'est le 12 juin, h 8 heures du soir, que commenceront, au
Parc Léopold, les concerts d'été que donnera régulièrement, les
jeudiscl dimanches, la Société de la Grande- Harmonie. Celle-ci
s'est assuré le concours des musiques miliiairos de la garnison,
de l'Harmonie communale, des principales sociétés chorales et
instrumentales du pays, etc. L'orchesire de symphonie de la
société, dirigé par M. Colyns, se fera également entendre b ces
concerts, appelés à rendre Ji l'ancien Jardin zoologiquc l'allrait
cl l'animation de jadis.
L'Exposition annuelle des Beaux-Arts de Spa s'ouvrira le 6 juil-
let dans la salle de la nouvelle Académie, spécialement appropriée
à cet effet. Les envois seront reçus par la Commission directrice
du 6 au 25 juin. Ils doivent être annoncés avant le 15 juin au
plus lard. .
L'Union littéraire belge ouvre un concours de romans. Les
manuscrits (matière de 250 pages format Charpentier) doivent
être envoyés avant le l" novembre au secrétaire, M. F. Descamps,
rue du Pépin, 24, Bruxelles. Le prix est de 500 francs pour
l'ouvrage couronné. Seuls les écrivains belges ou qui font partie
de t'f7?iioH /t/i^rairc sont admis à concourir.
L'exposition des bcaux-aris de Charleroi clôt ses portes aujour-
d'hui.
Le Journal de Charleroi met, comme suit, l'administration
communale en demeure de réaliser ses promesses : « L'exposition»
s'est ouverte sous le patronage de l'administration communale.
C'est elle qui a invité les artistes à venir b Charleroi, qui a mis^
leur disposition les locaux nécessaires. 11 semble que les exigen-
ces les plus élémentaires exigent que ce patronage ne soit pas
platonique. Comme remerciement de l'empressement avec lequel
les arlis'es ont répondu b l'appel des autorités municipales, il
faut autre chose que des paroles. Il n'est pas possible, n'est-ce
pas — Charleroi en serait ridicule — qu'après ces fêles et ces
toasts on recloue purement et simplement les caisses, sans que
cette intéressante tentative laisse parmi nous de souvenir matériel ?
Non, une résolution s'impose : celle que j'ai indiquée depuis le
premier jour : choisir l'œuvre capitale de l'exposition, le Marte-
leur de Consiantin Meunier, et la dresser sur une de nos places
publiques, faire remarquer au gouvernemanl que Charleroi n'a
pas une statue, alors que Mous, Namur, Tournai et Nivelles en
ont plusieurs, et que l'on compte sur son concours pour ériger b
VOuvricr le solennel hommage du bronze, accordé b Roland de
Lattre et b Tinctoris. »
Les Hommes d'aujourd'hui (Vanier, éditeur) donnent dans
leurs dernières livraisons le portrait (dessin de Luque, texte de
Pierre et Paul) d'EusEBto Ci.asco, l'auteur dramatique espagnol
que Vacqiierie a suruoiiimé le Lopi- de Vega moderne, très conn
b Paris où il fut pendant o:ize années correspondant de la Epocn
(collaborateur au Figaro sous le nom de Moudagron), cl celui du
poète et cliaruiant conteur Jacquks MADELEiNE(dessin deBombled,
texte de R. de la Villehei-vé).
La vente Barbedienne, l'une des plus imi)orlanles de la saison,
aura lieu les 2 et 3 juin, chez Durand-Ruel. La collection com-
prend (les œuvres de choix signées Barye, Cogniel, Decamps,
Delacroix, Dupré, Fortuuy, lienner, Jacque, Millet, Pelouse,
Rousseau, Troyon, quarantc-lmil tableaux et dessins de Thomas
Couture, des tableau.x anciens, des gravures, des livres, etc.
Une vente importante de dessins et aquarelles modernes, —
parmi lesquels des œuvres de Bonington, Daumier, Decamps,
Delacroix, Goya, GrandviUe, C. Guys, Gavarui, Rafl'et, Monnier,
Lami, etc., — aura lieu le 1"' juin, à l'hôtel Drouoi, sous la
direction de MM. Deleslre et Dumont.
L'exposition publique en sera laite mardi prochain, de 2 à 6 h.
Petit billet du malin adressé par Marzac, du OU Blas, à
M. William Bouguereau, à propos de l'ouverture du Salon de
Paris :
« Ah ! l'on ne vousappellera jamais le vieux Will delà peinture,
Monsieur, vous qui depuis Irenle ans — quarante ans peut-élrc
— polissez sans cesse et repolissez la Mythologie. C'est toujours,
sous vos ciels passés au bleu, parmi vos paysages peints en vert,
la même nymphe épitée que chatouillent en vain les amours jouf-
flus d'une boite de baptême. Au lieu de l'immobiliser en une
élernelle jeunesse de vcloutine et de miel Rosal, que n'avez-vous
daigné la rendre mère!... Peut-être l'eussions-nous un jour
retrouvée grand'mère en quelque coin du Louvre : le temps aurait
doré son intérieur comme l'exporlalion dore le vôtre et elle serait
entourée de ses petits enfants, toute une nichée de vrais gosses,
beaux et vils comme ceux que Rubens sut faire à sa seconde
femme. Et tenez, Monsieur, vous pouviez encore, pour obéir &
votre tempérament, barbouiller vos rejetons de crème ou de gro-
seille, la postérité ne vous en cûl pas voulu. »
Claudius Popelin, artisle-peinlre, surtout connu comme émail-
leur et auteur de plusieurs ouvrages techniques réputés : L'Email
d'i;s peintres, l'Art de l'émail, les Vieux Arts du feu, vient de
mourir b Paris, ûgé de 67 ans. On lui doit, en outre, une traduc-
tion du traité de Leone Balisia sur la Statuaire et la Peinture,
une traduction du Sauge de Poliphite, du frère Francisco Colonna,
Cinq octaves de sonnets, illustrés de gravures sur bois, et un Livre
de sonnets.
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Douzième année. — N* 23.
Le numéro : 25 centimes.
DniANCHB 5 Juin 1892.
L'ART MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Comité de rédaction i Octave MAUS —"Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, un au, fr. 10.00; Union postalç, fr. 13.00 — ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser toutes les communications à
l'administration générale de l'Art Moderne, rue de l'Industrie. 32. Bruxelles.
Sommaire
L'Association pour l'Art. — Libres musiques. Aux simples
amateurs. — Le théâtre iiELf'.E. ■ — Exposition d'aquarelles fran-
çaises A LA Galehie Moderne. — Exposition de M'"^ Berthe Mor-
kisot. — Littérature vagabonde. — Les plaisirs du chasseur. —
Petite chronique.
L'ASSOCIATION POUR L'ART
Voici la bataille engag«^e à Anvers, la bataille pour
le triomphe de l'Art non f, que depuis dix ans livrent
joyeusement les XX à Bruxelles. C'est l'Association
pour VArt qui soime la chai'ge et agite le drapeau.
L'attaque est nette, soudaine. Elle a belle allure et
"audace fière. Les milices jeunes, parties en bon ordre,
donnent l'assaut avec un entrain qui réjouit, et déjà
les coups pleuvent dru comme grêle.
Plus que partout ailleurs, la lutte sera chaude.
Anvers, cette vieille forteresse du Doctrinarisme artis-
tique, défendue par des Masuirs résolus, opposera une
résistance opiniâtre à l'envahissement des idées nou-
velles. Tant mieux! La victoire en sera d'autant plus
éclatante, et la victoire n'est pas douteuse quand on
voit la belle vaillance des assaillants et l'énergie de
ceux qui les mènent au combat.
En deux vastes salles, bien éclairées, s'aligne, groupé
par panneaux, selon le procédé instauré par lesXX, le
contingent des exposants. La première est spéciale-
ment aff'ectée aux arts décoratifs, aux industries d'art.
On y a disposé sur une longue table, à l'entrée, les
revues d'avant-garde, les journaux de combat, les
livres d'art nouveau. Dans la seconde, tableaux et
dessins sont cimaises en bonne lumière, sur un fond
vert de mer un peu cru dont le soleil aura vite adouci
l'acidité. L'ensemble, est pimpant, harmonieux à l'œil,
donnant clairement l'impression de quelque chose de
neuf et déjeune, d'une aurore d'art succédant à de tra-
giques ténèbres.
A droite, l'étincelant et gai bariolage des affiches de
Chéret (collection Ch. Sainctelette) claironne des fan-
fares d'ouverture. En face, un chbix superbe d'estampes
en couleurs d'Hiroshigé (collections Edm Michotte,
Lemmen, Van Rysselberghe) déploie des magnificences
de colorations harmonieuses. Tout à côté, les images
de Walter Crâne déroulent des théories de princesses
égendaires en de féeriques paysages illuminés de clartés
d'aube
Dans un angle luisent les émaux du maître potier
Delaherche, qui a trouvé l'art de donner à ses vases des
scintillements de béryl, des transparences de jade, des
profondeurs sombres de lapis, d'escarboucle et d'aven-
turine. En un Moulin-Rouge incendié d'aveuglantes
flammes de gaz, la Goulue et Valentin se cabrent et se
178
L'ART MODERNE
cambrent sous l'agile crayon de Lautreo. Et voici,
proche des laques céramiques d'un panneau de W. Finch,
tout un cycle de compositions ornementales et décora-
tives de G. Lemmen, passé maître en l'art d'illustrer de
lignes harmonieuses et de couleurs alléchantes telle
..couverture de livre, telle page d'album. Ses plus
récentes trouvailles, — le titre de la Nouvelle Car-
thage de Georges Eekhoud, les dessins pour le Livre
d'images de Gustave Kahn, — décèlent un goût impec-
cable dans la combinaison des décors.
Aux œuvres de la grande salle maintenant. La plu-
part ont été vues à Bruxelles, où les récentes escar-
mouches des XX les ont fait connaître successivement.
Bornons-nous donc, sauf pour quelques-unes, à une
simple énumération.
Les deux grands courants qui emportent actuellement
l'art sur deux fleuves parallèles, — le néo-impression-
nisme et le symbolisme, — sont représentés largement
à l'Association pour VArt.
Des paysages d'Anna Boch, de "W". Finch, d'Henry
Van de Velde, de Camille ^t de Lucien Pissarro, des
marines de Signac, des portraits de Van Rysselberghe,
un choix d' œuvres du regretté Seurat , parmi lesquelles
les Poseuses, illuminent les murs de claires harmonies.
Les tendances littéraires s'affirment dans les composi-
tions de Jan Toorop, de Louis Anquetin, de Georges
Minne, de Marguerite Holeman (que l'affiche renseigne
à tort comme Hollandaise; revendiquons cette compa-
triote dont l'art étrange s'est révélé depuis peu). Hors
ces deux courants, deux artistes d'une puissante origi-
nalité, mort tous deux, l'un à trente ans, l'autre chargé
d'années, et d'ailleurs aussi méconnus l'un que l'autre .
Vincent Van Gogh et Constantin Guys.
Puis encore : un dessinateur-illustrateur hollandais,
Mauritz Bauer, aperçu aux XX; un nouveau venu aux
Indépendants parisiens : Paul Bonnài-d ; et ce parfait
interprète-lithographe des pastels de Degas : W. Thorn-
ley.
La liste, on le voit, est soigneusement établie pour
donner une nette idée de l'art d'aujourd'hui.
Parmi les œuvres inconnues à Bruxelles, méritent
une mention spéciale -. Hampton-Court, la Gardeuse
d'oies et Effet de neige de Camille Pissarro. La pre-
mière de ces toiles surtout, qui montre, enveloppée de
clartés estivales, une pelouse peuplée de joueurs de
cricket déroulée devant une maison de campagne, est
d'une intensité extraordinaire Elle donne à miracle la
suggestion désola vie anglaise fastueuse et seigneuriale.
Pissarro s'y affirme une fois de plus l'artiste pénétrant
et subtil, apte à saisir, sous le décor, les intimités qu'il
récèle.
Les Enfants dans Hyde-Park, suite des conscien-
cieuses et attachantes recherches de caractère et d'ex-
pression que poursuit Lucien Pissarro à Londres.
Les Vieux songeurs crédules et les Rôdeurs, nouvelle
version, complétée et revisée, des étonnantes composi-
tions que révéla la récente exposition des XX. L'art de
Jan Toorop s'oriente de plus en plus vers un symbolisme
ancré à des formes primitives dans lesquelles trans-
paraît la nature exotique de l'artiste. Les deux dessins
qu'il expose à Anvers sont les plus beaux qu'il ait faits.
On y retrouve les deux vieillards hallucinants qui tra-
versent, chargés de pensées, les dernières œuvres de
Toorop. Mais cette fois, ils sont le pivot sur lequel
tourne tout un monde de figures étranges, évocatives
de peuplades ignorées, d'humanités inconnues : sil-
houettes de rêve, sans contingence de temps ni de lieu,
qu'un dessin précis emprisonne en des incarnations
définitives de douleur ou de joie, de souffrance, d'amour,
de concupiscence. L'artiste paraît devoir s'élever très
haut dans cet art de pure intellectualité. Et mieux
encore que la peinture à l'huile, les procédés du pastel
et de l'aquarelle se prêtent complaisamment à réaliser
ses conceptions.
Dans la même voie marche M"« Marguerite Hole- ,
man, avec, en plus, une tendance vers la satire. Il est
malaisé de débrouiller, dès à présent, l'écheveau com-
pliqué de ce tempérament bizarre, qui, à côté de
puérilités, a des profondeurs troublantes. On ne peut
concevoir que tel des dessins qu'elle expose soit fait par
une jeune fille (|e vingt ans. Plusieurs de ses compo-
sitions affirment une maturité extraordinaire. C'est de
quelqu'un, certes, et de quelqu'un qui marquera.
Puis encore : le Coup de Vent d'Anquetin, très
artiste fantaisie- d'un peintre que sa Tête d'homme
montre en possession d'un métier approfondi : La
Goulue entrant au Moulin-Rouge avec sa sœur,
étude âpre, à coups de scalpel, du monde spécial auquel
s'attache de plus en plus Henri de Toulouse-Lautrec et
dont il exprime avec une véritable maîtrise les perver-
sités. -"^^^^
Reste un Anversois, le seul, avec Henry Van de Velde,
qui expose à l'Association pour l'Art. Deux paysages
envoyés à la médiocre exposition bruxelloise de l'Als ik
Kan ont fait connaître le jeune artiste à Bruxelles. Ici,
c'est tout un déballage de toiles et de dessins, marquant
une hésitation et un point d'arrêt. Sollicité par le néo-
impressionnisme, M. Morren décompose le ton, mais
sans se rendre compte exactement de la technique diffi-
cile instaurée par Georges Seurat. Il paraît ignorer que
les couleurs réagissent l'une sur l'autre et s'influencent
réciproquement. Son Jardin public et son Lawn-
Tennis donnent à l'œil l'illusion de toiles exécutées
avec la logique des lois nouvelles, mais ni l'une ni
l'autre ne résistent à l'examen.
Il en est de même de Midi au Kattendijk, d'une
couleur agréable, mais où le procédé de la division
pigmen taire est appliqué sans discernement. Ou M. Mor-
ren abandonnera cette technique qui exige tout autre
chose que « le petit point » — et ses dessins semblent
le montrer plus apte à d'autres expressions — ou il
devra se renseigner des règles qu'elle implique. L'exem-
ple des Seurat, des Signac, des Van Rysselberghe, des
Pissarro qu'il a sous les yeux pourra lui être utile.
iLiiBi^ES :m:xjsiqtjes
Aux simples amateurs.
Aux énamourés de la musique, à ceux qui l'aiment sans cher-
cher à en vivre et ne font pas de l'arl un mélier, un commerce et
un moyen d'existence; aux simples amateurs, enfin, je viens à
mon tour lancer le cri d'indépendance.
Car, en vérité, la musique a été ignomitiicusemcnl enchaînée et
muselée par les vieux enseigncurs de théories, les seuls enragés
d'ailleurs et muselables. Professeurs et conservateurs d'harmo-
nies, aidés, dans leurs besognes, de physiciens bavards, ont
imposé, sous prétexte de lois, des défenses de toutes sortes :
défense de faire entendre des quintes se suivant; défense de
moduler à plaisir; défense d'écrire des octaves à la queue leu leu,
défense de résoudre les accords d'autres manières que celles pro-
fessées... Combien de défenses encore! En leur nom, sans cesse
devant les yeux des naïfs écoliers épatés, ces scribes de la
musique brandissent le fantôme de la faute d'hahmonie. Fan-
tôme enfantin, loup-garou imposteur, fantoche vide et vain
comme tout fantoche, inventé à ravir pour effrayer les esprits
faibles et les imaginations primitives. Bien fait aussi pour attirer
les admirations slupides des jeunes disciples vers ces impuissants
et ces faibles qu'on appelle des forts : forts, parce qu'après de
laborieux entraînements, ils parviennent à accoupler des notes
hybridement et à produire des monstruosités anliartistiques,
antimusicales, antihumaines. Le tout en vertu de certains prin-
cipes ou règles empiriques qu'ils s'imposent, ce qui ne serait rien,
mais qu'ils veulent aussi imposer aux autres, en aTrêtant les
expansions et les enthousiasmes de leur éternel : Prenez-garde,
prenez-garde à la faute!
Eh bien ! à vous les simples amateurs dont l'esprit et le senti-
ment n'ont pas été faussés encore par les mauvaises leçons, à
vous qui portez à la musique un amour profond et religieux,
mais qui, par timides et inutiles respects, n'aimez que de loin,
sans vous approcher, à vous je le dis : « Ne prenez point garde,
osez ! » La femme chrétienne qui prie appelle en son cœur le
doux Jésus « mon amant ». De môme, dans votre adoration,
faites de la musique votre amante. Mais, comme les femmes, elle
n'est folle et douce maîtresse que pour les audacieux et les irres.
pectueux. Ne craigrfez donc point de l'étreindre de la force de
votre être et de briser toute entrave (1).
Oh ! combien sœurs, combien de même essence sont l'amour et
la musique, et d'identique origine ! Et voyez : Quelles sont les lois
de l'amour? Celles toutes conventionnelles que la société s'im-
(1) <• En d'autres termes, les règles ne sont que des moyens pra-
« tiques d'éviter, en liarmonie, des formes habituellement désa-
• gréables et engendrant presque toujours une indignité, une incerti-
» tude pour l'esprit de l'auditeur », a écrit Alfred Ernst, dans son
admirable livre : Richard Wagner et le drame contemporain, qui
est bien aussi l'ouvrage le plus parfait imprimé en France sur le
maître allemand. Ernst dit encore : « Il n'est rien d'absurde -au
pose à elle-même, et l'on appelle faute toute expansion en
dehors de ces règles, comme, par exemple, en dehjOFs du
mariage. Mais l'amour est toujours grand et chaste, et les amants
qui véritablement aiment ne sont point coupables et ne com-
mettent nul péché.
De même pour la musique, dont les seules lois sont celles toutes
conventionnelles Ae Vharmonie que l'on voudrait lui imposet';
il n'y a aucune règle, il ne doit y avoir aucune loi : que la
musique soit véritablement de la musique sans autre souci, et
quelque forme qu'elle affecte, dans sa grandeur et sa chasteté,
elle sera au-dessus de toute erreur.
Apprenez-le donc, vous les simples et purs amateurs, appre-
nez-le et ne l'oubliez jamais :
Il n'y a pas de faute d'harmonie.
Il n'y a en musique et en art que des faiblesses de volonté, des
négligences de goût... ou alors des non-sens. Et si absolument
vons voulez une loi, écoulez, voici la seule :
« Rien n'étant défendu, tout étant permis, faites ce que vous
voulez, ou ce qui vous plaît : ce qui revient un peu à dire la
même chose, l'homme ne voulant^ jamais que ce qui lui fait
plaisir. »
Eugène Samuel.
LE THÉÂTRE BELGE
Le théâtre belge !
Au début de sa conférence, M. James n'a pas dissimulé que
grand était son embarras, se trouvant dans cette situation singu-
lière de ne pouvoir expliquer exactement la portée des termes :
théâtre belge.
Le théâtre belge comprend du théâtre français, dû théâtre
wallon et du théâtre flamand.
Le célèbre Théâtre des marionnettes du maroUien Toone ne
pourrait-il pas également prétendre que, lui aussi, fait partie du
Théâtre belge?
Sujet vaste, complexe : problème ardu.
Mais laissant aux amateurs de controverses le soin de discuter
cette grave question, M. James a déclaré qu'il se bornerait à
parler de quelques œuvres dramatiques écrites en langue française
en Belgique.
El d'abord, s'est-il demandé, le Belge a-t-il le génie dramatique?
La patrie si riche, si féconde en talents divers, ne pouvait guère,
jusqu'en ces derniers temps, se vanter d'avoir donné le jour à
un Shake.speare ou à un Calderon. Pénurie quasi complète.
Les annales du théâtre belge sont d'autant plus faciles à recon-
stituer.
Est-ce à dire cependant qu'il ne se soit jamais trouvé des
écrivains qui aient été piqués par la tarentule dramatique? Pas
précisément.
Dès les premières années de l'indépendance do la Belgique,
nous rencontrons des hommes audacieux qui rêvent de créer un
théâtre national, qui n'entendent pas que la patrie soit tributaire
de la France.
" monde comme un cours d'harmonie, si ce n'est un traité de contre-
« point » ; puis autre part, en note : •• L'étude de l'harmonie dans les
« partitions de Wagner, à partir de Tristan et Iseult, en apprendra
<• dix fois plus sur ce chapitre que les meilleures explications théo-
« riques. Le deuxième acte de Parst/'a/ me semble devoir être pris
•• comme exemple parfait de ce nouveau style de symphonie drama-
« tique. »
A la léte des jeunes d'alors, l'on voit Louis Schoonen faire
représeniep ses œuvres au Théâtre du Parc : Rubens et Van
Dyckà Savenlhem, en 1845; les Aventures de Mignolet, etc.,
qui furent plus ou moins bien accueillies.
L'hoslililé contre tout ce qui était national se manifestait déjà
alors, et les jeunes artistes étaient durement malmenés par les cri-
tiques impuissants et routiniers.
Une œuvre parvint cependant vers cette époque à obtenir un
vrai succès : M. Dubois ou Nouvelle noblesse, de M. Henri Del-
motte, qui eut trente représentations au Théâtre de la Monnaie.
Chose curieuse, M. Delmottehe parvint plus dans la suite à
trouver un directeur de théâtre quj consentît â monter une de
ses pièces: il s'était révélé homme de talent; cela suffisait pour
qu'on l'écarlât.
La génération de 1848 disparue, la nuit se fait noire, complète.
Rien à signaler. De temps en temps quelques papillons viennent
encore au feu de la rampe se brûler les ailes, mais pour dispa-
raître bientôt.
Après une période de marasme qui dura près d'un quart de
D siècle, un mouvement se produit : de toutes part des talents sur-
gissent ; des poètes, des romanciers, des critiques se révèlent.
C'est l'ère de la rénovation.
Mais parmi les jeunes écrivains qui, dès 1882, menèrent le bon
combat, nous ne trouvons pas d'auteur dramatique.
Max Waller cependant résolut un beau jour d'aborder la scène ;
d'autres le suivirent : Nautet et puis Henry Maubel.
Avec le Mâle de Camille Lemonnier, le théâtre belge entre dans
une phase nouvelle ; le théâtre à tendances fait son apparition. A
propos du théâtre à tendances, il serait injuste de ne pas saluer
le nom d'on vétéran de l'art dramatique national : Louis Claes
qui, Lis de vivre dans son pays où il n'a guère rencontré que des
déboires, s'en est allé se fixer à Paris. Son Jacques Gervais cl les
Microbes, en collaboration avec Jules Guilliaume, peuvent être
classés parmi les meilleures œuvres dramatiques du cru.
On le voit, le théâtre belge prend doucement sa place au soleil
de l'art; mais va-t-il demeurer de nouveau en état de stagnation?
Un beau jour, à Paris, éclate une nouvelle étonnante : il
existe, en Belgique, — oui, Monsieur, en Belgique, — un auteur
dramatique de tout premier ordre, un poète d'un génie puissant,
original, ne relevant que de lui-même : Maurice Maeterlinck.
Maurice Maeterlinck!
Les bons critiques de se tâter? Etait-ce une mystification? Un
bon .tour que voulait leur jouer un boulevardier en délire? Vérifi-
cation faite, ils"durent s'inclinçr devant l'évidence! La piquante
histoire qui demeurera à l'éternelle confusion des vieux bonzes
de la critique des quotidiens!
Longtemps avant qu'Ôètave Mirbeau jouât le rôle de dénicheur
de génies, ^^477 moderne, la Jeune Belgique, la Wallonie avaient
chanté les louanges de Maeterlinck; et la Société nouvelle a\a\l
publié la Princesse Maleine que tous les artistes connaissent par
cœur. "
Depuis, Maeterlinek poursuit sa route triomphalement; de nou-
veaux flrurons viennent s'ajouter à sa riche couronne.
Di^ormais, il existe un théâtre belge.
Tandis que l'étnile de l'art dramatique pâlit légèrement en
France, que l'Angleterre et l'Allemagne vivent presque exclusive-
ment do traductions et d'adaptations, le génie du théâtre se
révèle en Russie, en Norwège, en Belgique.
Dans l'admirable mouvement auquel nous assistons depuis dix
ans, l'art dramatique a chez nous conquis sa place à son tour.
Tous les genres sont abordés avec succès : il n'est pas jusqu'à la
légère pantomime qui n'ait attiré nos artistes.
Une ère nouvelle se di'ssine : d'autres lutteurs viendront qui
compléteront l'œuvre. Maisqu'ils ne s'arrêtent pas! qu'ils marchent
sans prêter l'breille aux criailleries des impuissants et des envieux !
qu'ils marchent en avant, toujours en avant, sous la bannière de
l'Art, de l'Art sincère, libre et éternel !
Tel est le résumé succinct de l'intéressante causerie faite par
M. Arthur James, l'un des directeurs de la Société nouvelle,
devant un auditoire nombreux et attentif, à l'Exposition d'Anvers-
Bruxelles.
EXPOSITION D'AQUARELLES FRANÇAISES
à la Galerie moderne
C'est une réunion mondaine d'aquarelles, à l'aspect simplement
joli, mais où vous ne rencontrez rien qui marque ou qui s'origi-
nalise. La qualité de ces œuvrettes provient non pas de l'âme de
l'artiste', mais de l'habileié de son pinceau. C'est là le caractère
de ces aquarelles françaises, démontré net par un cadre de ce
peintre que le chauvinisme d'outre-Valenciennes a hissé au génie :
Meissonier. On peut constater ici ,1a néfaste influence que cet
adroit manieur du pinceau a eue sur l'école française. Et vraiment,
on se croirait au milieu d'un salon orné par de très bons amateurs.
Détaille n'est qu'un habile non plus — et tant d'autres! On dirait
à voir ces cotillons peints à l'eau, ces scènes de chasse high-
lifeuses, ces Venises fades, — celles de Clairin, par exemple —
ces romances au lavis, ces dessus de bonbonnières ou ces
paysages fignolés, ou ces scènes militaires bêtement patriotiques,
que tout cet art-là ne cherche qu'à flatter le bourgeois. Quelques
aquarelles signées Paul Lecomle aiiirenl par une fine robustesse.
Boulet de Monvel amuse par ses images enfantines : c'est comme
du Kate Greenaway traduit en français. Il est délicat et charmant.
Deux ancêtres : Daumier et Henri Monnier, sont les vieux « coqs »
du salonnet; Daumier, en une élude sauvage et profonde de bour-
geois durant un entr'acte, dans une selle de spectacle; Monnier,
en diverses études de mœurs d'un pittoresque fort et saisissant.
Exposition de W^" Berthe Morisot
Une exposition de peintures, pastels, aquarelles et dessins de
M™* Berthe Morisot est ouverte en ce moment à Paris, chez
MM. Boussod, Valadon et C'».
Très exactement M. Gustave Geffroyen constate en ces termes,
dans une étude qui sert de préambule au catalogue, le sérieux
intérêt artistique :
« Dès l'entrée dans ces doux petites salles où l'on a essayé de
résumer par quelques œuvres l'art de M""» Berthe Morisot, il est
impossible que l'esprit du visiteur ne soit pas averti par une sen-
sation très partieulière. C'est brusquement, en dehors de toute la
peinture habituellement visitée, une atmosphère spéciale qui
émane des surfnces coloriées, une installalion légère d'un monde
nouveau, un décor de silence et de lumière qui se déploie aux
murailles, une discrète apothéose de formes qui surgissent dans
une clarté qui tremble.
On ne pense pas toul d'abord à la matérialité de ces évocations,
on ne s'enqUiert pas de la trouvaille heureuse, de la recherche
appliquée cl du métior savant. Pour tout dire d'un mol, on ne
s'avise pas immédialement que l'on a devant soi do la peinture.
La surprise des yeux et la satisfaction de l'esprit viennent plutôt
d'un effet comparable h l'effet théâtral subit d'un rideau qui se
lève sur de l'inattendu, sur une tendre luminosité, sur une grâce
de gcsie et de sourire.
Ici, la lumière solaire a été analysée et transformée p^r un
vouloir et des mains de magicienne, elle a été conduite jusqu'à
ces réalisations par une série d'opérations où il y a le charme
et la douceur d'un prestige. C'est une lumière qui a erré sous
j)ois, qui a été pénétrée toute par la subtile absinthe qui tombe
des feuilles goutte à goutte et se dissout dans le bleu de l'éther
cl l'or de l'astre. Toute la forêt se verse et se conrcentre dans ce
rayon qui la traverse, qui passe en dansant de tous ses atomes au
plus épais du feuillage, qui s'illumine des gouttes diamanlées
de la pluie et des éclairs en pierres précieuses des vols d'in-
sectes. El que cette lumière suive un ruisselet, s'en aille vers le
lac el vers la rivière, la voici encore, assombrie et glauque dans
la transpqrence, si mystérieusement mélangée h cette masse à la
fois compacte el fluide de l'élément qui stationne ou qui s'enfuit.
C'est cette clarté de nature, modifiée par des réfractions aux
feuilles, descendue aux profondeurs de l'eau, qui s'est installée en
souveraine dans ces pastels, ces aquarelles et ces toiles, et qui a
subi là une transformation dernière. Il semble — tout au moins
dans les chambres ou M"** Berlhe Morisot a vu ses modèles — que
la lumière ait dû pénétrer par effraction, à travers un cristal
limpide comme un bloc de glace. Elle a conservé sa douceur
bleue et sa cendre verte, el elle a pris un éclat fragile, elle se
propiigo en palpitations nouvelles qui frémissent etélincellenl.
Que toutes les influences qui dominent la production de l'ar-
tiste se trouvent représentées sous les espèces tangibles, comme
dans celle loile où l'enfant aux cheveux blonds est accoudé auprès
de fleurs qui s'évaporent, de la carafe en spirale qui brille, en
avant de la viirc claire où s'inscrit le verdoyant paysage, el ce
sera une féie de peinture qui ne ressemblera à aucune autre. Sous
celte cliiire vénmda, l'atmosphère est légère, colorée, harmo-
nieusement diffuse, faile de lueur verte et de poussière bleuâtre
brillantées par la transparence du verre. La main et le visage de
l'enfatil vivent d'une vre tendre el rose au milieu de la verdure.
C'est un frisson de cbnir sous une caresse atmosphérique. — Une
impression semblable vient de ce tableau où la petite fille en jupe
courte erre dans la chambre du déjeuner, entre la table blanche
el la fenêtre par laquelle on aperçoit de l'eau cl dés bateaux :
louie la toilç est phosphorescente de la grande clarté marine du
dehors.
Celle mixture mystérieuse, cette clarté qui traverse les murs,
qui harmonise les couleurs, qui anime les formes vagues d'une
vie éirarige, elle sera retrouvée partout où M"" Berlhe Morisot a
mis sa marque personnelle, 1res colorée dans celle chambre bleue
où la jeune fille est deboul, appuyée au lit défait, — pâlie d'une
pâleur de linge el de chair blonde autour de la léte et de la gorge
de celle femme au repos sur l'oreiller, — finement égayée des
guirlandes de fleurs cl de la robe rougeoyante de cette jeune fille
de ferme dessin, d'une si jolie inflexion de la nuque et de la ligne
commençnnle du dos... Que ce soit une figure dressée el vivante
en plein air, l'exaltaiion lumineuse sortira de tous lés entours de
verdure, du sol d'herbe ponctuée de fleurs : la petite fille qui
porte une jalto de lait est vêtue de lumière verte, enveloppée par
les reflets et les arômes des bleuets et des boulons d'or allumés
autour d'elle, elle jaillit du sol, elle est une émanation de P
prairie fleurie.
Les mêmes sensations sont éprouvées devant tant d'autres
paysages, de molles rivières, de barbares cactus emplis de vio-
lente sève, de jardins muliicolores, d'eaux lumineuses où
voguent les cygnes blancs el, bleus, — toutes ces visions du
dehors, d'allures si rapides, d'apparences si légères, où les
choses, pourtant, ont leur juste importance, leur vrai poids, où
l'eau a sa densité, le feuillage sa masse, la terre sa solidité, les
personnages leur mouvement. C'est alors qu'on aperçoit le sens
pictural de M"** Morisot, la sûreté de ses indications, si visible
dans ses aquarelles, son goût de la belle arabesque des corps
jeunes, si présent dans la fillette coiffée d'un grand chapeau an
voile tombant cachant les yeux, toute celte évolution enfin, qui
s'affirme depuis les recherches sincères, si jolies et si différentes,
la femme en noir, le paysage de dômes et de clochers, jusqu'aux
réalisations dernières. M™* Berlhe Morisot, qui a écouté el com^
pris la belle leçon de peinture donnée en ce temps-ci par Edouard
Manel, est arrivée tout naturellement, par son amour des choses,
au développement du don qui était en elle. Et voici que s'affirme
un art de délicieuse hallucination, d'une vériié vaguement faur
taslique, qui évoque des ombres claires dans celle lumière de la
forél, du fond de l'eau, du cristal pur où se plaît cette femme qui
est une rare artiste el qui accomplit une chose rare entre toutes :
une peinture de réalité observée et vivante, une peinture délicate,
effleurée et présente, — qui est une peinture féminine. »
LITTERATURE VAGABONDE
Promenade en Espagne, par E. Minnaert. — (Extrait de la
Bévue de Belgique.) Bruxelles, Weissenbruch ; plaquette de 18 p.
Viva la Espana !
Avec M. Minnaert nous partons de Gibraltar, poussons une
pointe jusqu'à Tanger, revenons par Gibraltar à Malaga et par
Bobadillas à Granâda. Tout ce p-ircours.en 18 pages, alors que
les bateaux et chemins de fer espagnols ne mentent pas à leur
légendaire répulaiion de lenteur. C'est voir l'Espagne avec une
rapidité qui lui convient peu : à peine parti avec notre voyageur,
il faut revenir. On n'a pas eu le temps d'interroger les indigènes,
de constater les mœurs du pays, de s'imprégner de l'atmosphère
ambiante, de composition pourtant si spéciale. C'est la part d'im-
prévu laissée peut-êire pour un second voyage.
N^ni Novgorod, par Hyppolite Giraud.
Très vivanies « noies d'album ».
A chaque ligne un lahleau ou un détail qui fait tableau. Le lout,
animé, concis, photographié, mais par un appareil qui pense, et
qui, d'un coup, vous met dans l'œil et dans l'esprii la barbarie
civilisée des Busses, la crasseuse indolence des Orientaux, la
routine sans réveil des supersi liions slaves.
Je me vois à cette brillante, celle étonnante foire de Nijni, où
il se fait en un mois pour un demi-milliard d'affaires. Peu de
réflexions ou de considérations générales, rien que quelques
coups de pinceau justes, qui foui surgir lout un monde et qui
dressent devant nous ces deux unités, lOrient et l'Occident, un
moment rapproehés par leur intérêt.
Déductions économiques, ruine probable de la foire de Nijni
par les nouveaux moyens de transport et surtout par le Transsi-
bérien, Irafic el orgies mélanl sans les confondre tant de races
accidenlellement réunies, tout cela tient dans vingt pages oïl il y
a plus de nourriture pour l'imagination que dans maint gros
bouquin.
La Thessalle. Excvrsion aux Météores. — Conférence donnée à
la Société de Géographie par M. Ch. Buls, bourgmestre de
Bruxelles.
Que je voudrais donc aller voir ces vieux moines perchés au
haut des aiguilles des Météores, dans des monastères presque
inaccessibles et vingt fois trop grands pour eux, maintenant;
je leur demanderais ce qu'ils peuvent bien étudier, quelle
mystérieuse cuisine ils font avec les idées que contiennent leurs
manuscrits du xiv^ siècle, les souvenirs batailleurs ou savants de
leurs prédécesseurs, et leur vague désir de se fuir eux-mêmes
pour trouver la paix'! Ces crânes-là doivent être autrement faits
que les nôtres, el aussi étranges, en dedans, que la demeure anti-
humaine qui les abrite l'est au dehors. Dans ces nids d'aigles,
créés peut-être par des élres trop grands pour leur siècle, et dont
la forte volonté a failli éterniser la pensée, qu'esl-il resté?
Avec les os de tant de pauvres gens, qui furent ermites pour
avoir eu peur d'être des hommes, a-t-on conservé une étincelle,
un reflet de ces penseurs entêtés et prophétiques qui s'étaient
éloignés des humains pour mieux les devancer?
M. Buis n'en parle guère, hélas! ahuri, comme il le dit lui-
môme, par le singulier, le romanesque procédé d'escalade qu'il
lui faut subir pour arriver à l'un de ces monastères. Etre emporté
dans les mailles d'un filet à une hauteur de 75 mètres, c'en est
assez pour secouer un malheureux civilisé et ne plus lui laisser
dans la tête que ses souvenirs de mythologie el d'histoire, solide-
ment vissés là du temps de sa jeunesse.
De Jupiterà Pompée et d'Athènes à la Thessalie, nous repassons
avec M. Buis ces notions de l'antiquiié, el je ne sais pourquoi.
Mark Twain, avec ses malicieux mélanges de descriptions histo-
riques et de détails profanes, nous revient à la mémoire.
I. W.
LES PLAISIRS DU CHASSEUR
Recueil de fanfares belges, avec paroles, composées etrecueillies
par Hubert Lechien. — Gand, G. Van Gysel.
Ceci est une très curieuse œuvrelte qui réjouira les amateurs
du bel el simple instrument, le cor, la trompe, que j'aimerais
d'un si sentimental amour d'artiste s'il ne signifiait pas poursuite
à mort, dans le martyre haletant des chasses, d.uns le déploiement
féroce et disproportionné de chevaux, de chiens, d'armes et
d'hommes, contre cet ennemi gracieux et fragile ; un chevreuil,
un daim, un cerf.
Oh! la profanation de la beauté artistique employée aux
cruautés barbares
L'auteur, dans sa préface, parle en ces termes excellents,
résumant son cahier de fanfares éclatâmes ou rêveuses, de
vcrsiculets sans prétention :
« Il existe de nos jours en grand nombre des méthodes variées
de Irompe de chasse el de recueils de fanfares. El, à vrai dire,
chez nos éditeurs de musique, on n'a que l'embarras du choix.
Mais je me permets de le dire, parmi ces méthodes el recueils, il
n'en est pas qui reproduise fidèlement les fanfares àédiées aux
maîtres d'équipage ou aux principaux veneurs de noire pays.
L'espoir de combler cette lacune m'a engagé à offrir ce recueil
au public.
« J'ai cru faire œuvre utile, en rassemblant dans ce livre un
choix de fanfares qui, sans être classiques, me paraissent avoir
un certain mérite et parlant dignes d'être soigneusement conser-
vées. Transmettre aux Nemrod de l'avenir les joyeux souvenirs
des chasses seigneuriales contemporaines est l'idée qui m'a dicté
ce travail. Aussi saurai-je m'eslimer heureux, si mes efforts
accomplissent la réalisation de cette idée à laquelle je me plais à
borner mon ambition, mais dans laquelle aussi se résument
tous mes souhaits.
« Parmi les fanfares que renferme ce recueil, il en est qui ont
une origine déjà ancienne. Beaucoup ont un cachet local, c'est-
à-dire qu'elles se ratlachonl à d'anciennes maisons où il y avait un
équipage de chasse. Plus d'une de ces vieilles fanfares sont
demeurées l'air cynégétique de leur lieu d'origine et à plus d'un
chasseur elles rappellent avec plaisir les exploits de ses ancêtres.
C'est pourquoi j'ai recueilli, avec un soin scrupuleux, tous ces
vieux airs. A plusieurs j'ai adapté de» paroles : celles-ci rappellent, '
en les retraçant, les lieux d'origine de ces airs.
« En Belgique, depuis quelques années, le goût de cet instru-
ment se propage avec une rapidité vraiment remarquable. C'est
ainsi qu'en 1878 nous n'avions qu'une seule société de sonneurs.
Aujourd'hui il en existe quatre à Bruxelles et deux à Anvers. Et
dans tous nos districts de chasse à courre, dans un certain
nombre de châteaux, à côté des piqueurs, nous trouvons encore
beaucoup d'amateurs dignes de se faire entendre. Ce grand
accroissement, nous le devons en grande partie h la Société
royale Saint-Hubert, société qui doit à la sollicitude éclairée ^e
son ancien président, M. le comte de Beaufori, ainsi qu'à l'aclivilé
de son éminent comité présidé par M. le baron W. del Marmol,
la réputation toujours croissante dont elle jouit en Europe. C'est
à elle en effet que revient l'idée forl heureuse d'avoir organisé,
en même temps que de nombreuses expositions de race canine,
plusieurs beaux concours de Irompe de chasse. El ici, nous
devons rendre hommage à M. le baron Auguste du Sarl-de-
ISouiand, pour la bonne organisation qu'il sût donner à ces
cours.
« Normand compare le bruit strident de la trompe à la voix
du génie des forêts et de la chasse.
« Tellier la met, par ses qualités de son, au rang des plus beaux
instruments à vent. Et Rossini, en nous laissant un souvenir de
son génie, regrette que la gamme n'en soit pas plus étendue.
E. Blacc dit que pas une harmonie au monde ne plati à l'oreille
du vrai chasseur autant que le son^du cor au bois.
« Les chevaux et les chiens sonl sensibles au son de la trompe;
ils s'animent au bruit d'une fanfare; leurs mouvements,' leurs
regards témoignent de la salisfaclion qu'ils éprouvent. Non
seulement cette musique les rend joyeux, mais elle guide dans
leurs démarches leurs allures et on les voit aller el venir, selon
que le piqueur sonne un bien-alleou une requête. En dehors de
la chasse, c'est surtout le soir, quant l'atmosphère est calme, à
proximité d'un écho complaisant, que le son du cor est agréable.
Pour jouir de tout son charme, il est nécessaire qu'une certaine
distance sépare l'auditeur du sonneur. Alors surtout on peut
apprécier tout ce qu'il y a d'harmonieux, de majestueux, dans ces
sons vibrants et beaucoup d'auditeurs se laissent gagner par
l'émotion au bruit d'une fanfare hardimeril sonnée. »
11 est des sonneurs de cor qui s'y adonnent pour le seul plaisir
des belles résonnances, des lointains et suggestifs échos emplis-
sant l'atmosphère des soirs. Peu d'instruments ont au même
degré la puissance de faire vibrer nos âmes, simples malgré tout
el si faciles à émouvoir. Le cahier de M. Lechien aidera à
populariser chez nous cet art primitif des forestiers el des veneurs
el à le délivrer ainsi des fêtes sanglantes en si complet désaccord
avec sa haule sentimentalité.
Petite chro|^ique
La Nation a cessé de paraître depuis hier. M. Victor Arnould
se retire provisoirement du journalisme.
Nous le regrettons vivement. La campagne qu'il a menée depuis
■*■•" '• '^;> '■'*'>■■ "î^^jîwffs^^!^
LART MODERNE
183
quatre ans comme rédacteur en chef de ce journal avait été
exceptionnellement brillante, non pas que nous voulions l'appré-
cier ici au point de vue de la politique, matière étrangère à VArl
moderne; mais, comme artistes, nous croyons pouvoir affirmer
que nul périodique en Belgique, et même en France, n'a publié
des articles dé fond d'une hauteur de vue, d'une ampleur et d'une
élégance de style, d'une âpreté pamphlétaire égales. Ce fut
souvent de tout premier ordre, et si parfois une trop grande
abondance de paroles a pu faire exception, l'admirable talent de
ce grand écrivain a produit dans la Nation des thefs-d'œuvre
glorieux pour noire école littéraire.
Nous avons tenu i saluer le penseur et l'artiste au moment de
sa retraite momentanée. Indifférents à tout hormis l'Art, nous ne
voulons pas imiter la presse politique qui a annoncé celte
nouvelle avec la sécheresse et la rancune d'adversaires que
M. Victor Arnould a souvent exécutés de main de maître.
Nous souhaitons qu'il emploie les loisirs qu'il vient de se faire
à réunir les articles les plus remarquables dus à sa plume de
vaillant capitaine. Un tel recueil serait un des beaux fleurons de
notre Littérature.
L'Exposition communale d'ixelles s'est ouverte mardi der-
nier, avec un cérémonial de circonstance : visite du Roi, de
la Reine et de, la princesse Clémentine, convocation de la garde
civique un peu désorganisée par une pluie d'orage tombée en
hallebardes au moment précis où les plumets flottaient par les
rues, réception par les autorités municipales, chœurs, mâts, guir-
landes, affluence de peuple pour voir défiler les voitures.
^ L'Exposition, installée dans l'ancien abattoir converti en
Musée, et fort bien aménagé, est intéressante et variée. Elle
contient entre autres de fort belles toiles de Ch. De Groux,
Agneessens, Boulenger, De Winne, Billoin, Fourmois, Van
Camp, Sacré parmi les morts, et, dans la section moderne, des
œuvres de F. Rops, J. Slevens, C, Meunier, Marie CoUard, De
Rudder, J. Dillens, F. Dubois, L. Lcnain, D. Oyens, Ch. Samuel,
Storm de Gravesande, etc. Jamais on ne se fût douté que la com-
mune dixcllos fût si riche en artistes. Nous reviendrons sur cette
exposition, que le brouhaha de l'ouverture ne nous a permis de
visiter que superficiellement et qui mérite un examen plus
attentif.
Les Femmes-peinlres ouvriront mercredi prochain, 8 juin,
leur exposition annuelle dans les locaux de l'ancien Musée.
Parmi les exposantes, on cite M"" Louise de Hem, Eugénie-Beau-
yois, Faustine Keym, de Bourlzoff, A. Evans, Maréchalle, Mary
Gasparoli, Berlhe Van Tilt (sculptures), etc. Bien que tardive,
cette exposition ne manquera pas d'intérêt.
Le gouvernement français vient d'acquérir au Champ-de-Mars,
pour le Musée du Luxembourg, la Olèbe de notre compatriote
Constantin Meunier. C'est, on le sait, le deuxième achat que fait
au grand artiste belge le minisire des Beaux-Arts de France.
Ce dernier vient d'acquérir pour le même Musée un tableau,--
actuellement exposé au Champ-de-Mars, de M. J.-F. Raffaëlli) L'ar-
lisle a, en outre, vendu cette année une de ses œuvres au Musée
de Glasgow et une autre au Musée de Stockholm. Il est intéressant
de rapprocher celle consécration officielle du dédain qui accueillit
à ses débuts les toiles si personnelles et si « caracléristes » du
peinire des Types de Paris.
M. Raffaëlli, qui liabilail Asnières, vient de s'installer à Paris
dans un superbe atelier qu'il a fail construire rue de Courcelles
el qu'il a décoré lui-même avec autant d'originalité que de goût.
C'est là que, tous les samedis, il reçoit cordialement à sa table les
amis de la première heure. La semaine passée, nous y avons ren-
contré M. Écimoiid de Goncourt, M. Antoiiin Proust, M. V^'illiam
Dannat, M. Jean-Louis Forain el sa jeune femme, née Jeanne
Bosc, qui expose au Salon un curieux pastel, M. Paul Galli-
mard, etc. Rien de plus charmant que quelques heures de causerie
dans ce milieu essentiellement artiste, dont M""= Raffaëlli et sa
fille font les honneurs, avec une bonne grûce exquise.
L'exposition de la Rose f Croix a valu au peintre Fernand
Khnopff deux commandes : le portrait de M™* J. Ricard, femme
de l'homme de lettres bien connu, et celui de M"* de Greffulhe,
/ille de M™» la comtesse de Greffulhe, née de Caraman-Chimay,
Nous recevons de Paris le catalogue, dressé par M. W. Froehner,
ancien conservateur du Louvre, des vases peints et terres cuites
antiques composant la collection Van Branteghem, actuellement
exposée au Musée d'Art décoratif de Bruxelles. La vente, qui se
fera à l'hôtel Drouol par le ministère de M* Delestre, commis-
saire-priseur, assisté de MM. Rollin et Feuardent, experts, est
fixée aux 16, M et 18 juin. Il est vraiment regrettable, nous
l'avons dit déjà, que le gouvernement belge laisse échapper l'oc-
casion d'enrichir notre Musée d'une admirable collection réunie
avec tant de goût et de patientes recherches par un de nos com-
patriotes. Espérons que d'ici à la date fatale une décision favo-
rable sera prise. C'est le vœu des artistes el des amateurs.
Parlant, dans notre numéro du 22 mai, des constructions qu'on
élève à Bruges, nous avons attribué à M. De la Censerie les plans
du magnifique hôtel provincial en voie d'achèvement. 11 est juste
d'ajouter à ce nom celui de M. l'architecte R. Buyck, qui est l'au-
teur, concurremment avec M. De la Censerie, des plans en ques-
tion.
Nous avons cité dernièrement, lors de l'exposition dline toile
importante d'Emile Garbet aux « Cinquante chefs-d'œuvre fran-
çais (1) », l'intéressant article que consacra à ce maflre méconnu
M. A. BouvENNE dans le journal l'Artiste. Les lecteurs curieux
de pénétrer la personnalité de Garbet peuvent se procurer, chez
le libraire Sagoi, 18, rue Gyénégaud, à Paris, un tiré-k-parl de
l'article susdit (à 50 exemplaires), avec la reproduction d'un
tableau et une eau-forte d'après des croquis de l'artiste, faits spé-
cialement pour celle étude.
Le gouvernement vient d'ordonner l'achèvement de la décora-
tion extérieure du Palais des Beaux-Arts. L'exécution des bas-
reliefs et figures qui compléteront, sur les indications de M. Balai,
l'ornemenlalion de la façade donnant sur la place du Musée a été
confiée à MM. Paul Du Bois, G. Charlier, J. Dillens et De Tombay.
L'un de ces artistes, M. Du Bois, vient d'achever le buste du
regretté professeur Auguste Dupont, érigé par ses anciens élèves.
M. Gevaert, directeur du Conservatoire, a, ces jours-ci, visité le
buste, dont il a beaucoup vanté la ressemblance el le caractère
artistique.
Le concert donné dimanche dernier à Tournai par V Association
des artistes-musiciens de celte ville a brillamment réussi. On a
fait fête à l'Union orphéoniquede' LWle, à M"* Céleste Painparé, à
MM. Tousarl elCaron, et spécialement à M. Leenders, l'excellent
violoniste, chef d'orchestre de l'Association et directeur de
l'Académie de musique.
La présence des orphéonistes lillois a donné lieu à de nom-
breuses manifestations patriotiques, à des Marseillaises et des
Brabançoimes de circonstance.
Un grand concours de déclamation, mcwiologues, dialogues,
récits dramatiques, etc., aura lieu à Dunkerke le 27 juin. Des
médailles en vermeil, en argent et en bronze et des primes en
espèces sont offertes par la municipalité aux lauréats.
Dans le concours spécial des artistes étrangers, le morceau
imposé est, pour les hommes, Lucie d'Alfred de Musset, et pour
les dames, Pour les pauvres de Victor Hugo.
S'adresser pour le programme détaillé à M. A. Coutelier, pré-
sident de l'Union chorale] 35, rue du Sud, à Dunkerke.
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gravures, etc. •
Jeudi 16 juin, à 9 heures du matin, exposition des livres; à 3 heures
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Vendredi 17 juin, de 10 à 5 heures, exposition de la collection de
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!- .'.^ ;'.1V7- iï'^«;..'-*.*if
Douzième année. — N° 24.
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 12 Juin 1892.
MODEANE
PARAISSANT LB DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Comité de rédaction i Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
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Sommaire _2IT
Les Salons. — Festival rhénan. — Au Cercle artistique. —
Ckbcle des femmes-peintres. — Rembrandt als Erzieher. — L'Art
IMPRESSIONNISTE. ARCHITECTURE. CoilRESPONDANCE. — A BaY-
REUTH. — Bibliographie musicale. — Nécrolooie. — > Petite
CHRONIQUE. . "
Les Salons
Les Salons parisiens?
Et d'abord, pourquoi ce mot « salon » donné à ce
déballage pour ventes, sous des toits de verre, dans des
halles où l'on s'attend à voir des locomotives paraître?
Ah ! si l'une d'elles pouvait manœuvrer parmi la sculp-
ture des Champs-Ely.sées! Celle, par exemple, qui tam-
ponna à Saint-Mandé et qui doit être, à cette heure,
remise sur roues. Que d'intelligente et dévastatrice
besogne elle ferait!
A voir tous ces bras, jambes, torses de plâtre, à
compter ces statues de craie, on est effrayé par la bana-
lité que leur troupeau profère. Même, au Champ-de-
Mars, si l'on en excepte Meunier, Bartholomé et Car-
riés, l'impression est identique. Ce ne sont que poses
connues, nus pillés à droite et à gauche, attitudes
trouvées en des livres à reproductions grecques ou assy-
riennes, lignes copiées en des musées. Parfois, quelque
groupe excentrique dresse, en un coin, son « épate «
dans l'air. : —
Puis, l'interminable série des bustes, les terre-cui-
teux échantillons humains, les messieurs rendus laids
ou quelconques pour la postérité, les personnages ornés
de rosettes en pain à cacheter, les matrones avec
leur poitrine en croupe de cheval, tout le défilé annuel,
prévu, inévitable de la quelconquerie faite bouche,
oreille, nez, cheveux, menton, yeux et qui s'aligne en
témoignage de la bêtise, par à travers les temps et les
époques, indéfiniment recommençante.
Il est admis que les Champs-Elysées et le Champ-de-
Mars se font la guerre, que l'une exhibition représente
la tradition, l'autre la recherche et la vie, que l'une est
vieux jeu, l'autre pas. On part de là pour se faire
une opinion suivant ses préférences et son âge et l'un
des deux Salons est déclaré infect, l'autre remarquable.
Nous ne voyons, quant à nous, aucune diff'érence
bien tranchée entre le Champ-de-Mars et les Champs-
Elysées. Le malheur est qu'ici et là il y a encombre-
ment de médiocrités et cela déshonore également les
deux armées de peintres. L'imitation y sévit à même
puissance. On peint par familles. Il y a au Champ-de-
Mars la famille Carrière, la famille Puvis, la famille
Monet (bien que le père n'y soit pas représenté), la
famille Cazin, de même qu'il y a aux Champs-Elysées
la famille Bouguereau, la famille Constant et la famille
Bastien-Lepage (ancêtre décédé). Que l'un groupe de
chefs soit supérieur à l'autre, certes ; mais que les ten-
dances de l'ensemble le soient, non. Il manque, ici aussi
bien que là, la sincérité, la probité,' la personnalité, la
force. Le point n'est pas de faire de la peinture claire
ou brune : c'est de s'exprimer et de se prouver;
c'est d'avoir la puissance de se taire quand on n'a rien
à dire ; c'est de voir devant soi et non à côté; c'est de ne
pas rêver le chef-d'œuvre d'après des recettes de cuisi-
nière, ni le succès d'après l'idée courante, mais d'aller,
s'il le faut, en sens inverse, pour se maintenir spécial
et pur d'influences. On apprend trop, on ne sent pas
assez. Au lieu de s'enfermer en seul à seul avec soi-
même, on écoute à la porte de l'âme du voisin, on
regarde, par le trou de la serrure, comment il prépare
ses toiles et ses couleurs, comment il fait sa palette,
comment il campe son modèle, comment il réalise sa
lumière, comment il pose la touche, comment il ébauche,
comment il achève. Si la loi ne poursuivait les faux eu
écritures, on signerait comme lui. On crie contre les
académies où l'on peint des formules et l'on se met à
peindre le goût du jour, la mode, le tableau demandé,
l'argent. On avait, jadis, pour deux sous de sincérité,
on les a troqués contre la fausse monnaie de l'habileté
— cette monnaie de singe — et l'on jongle avec les
cobalts, les véronèses, les blancs d'argent, on emprisma-
tise sa toile, on éclaire sa pâte, on travaille de chic et
l'on s'empanache d'impressionnisme, parce que décidé-
ment c'est vers lui que souffle le bon vent. Le Champ-
de-Mars est un bazar impressionniste, comme les
Champs-Elysées sont un bSzar académique. Des deux
côtés on ramasse, au long des rampes, le dégoût et l'im-
patience, car on enrage de remarquer tant de peintres,
qui, en signant leur envoi, paraphent, publiquement,
leur propre hêtise et restent impunis tout en se désho-
norant aux yeux de tous. Il y a des attentats moins
graves que l'on cofTre.
Le calme et l'espoir ne vous reviennent qu'après une
visite chez Le Barc de Bouteville, où, dans une salle
quelconque, au hasard, misérablement presque, exposent
quelques intransigeants, dont la haine des compromis
et le culte suraigu de la personnalité se maintiennent
debout, à travers tout. Ce sont : Anquetin, Lautrec,
Bernard, feu Van Gogh, Angrand, Filiger, Gausson,
Denis, Signac, Guilloux, Ranson, Luce, Seruzier.
Revenons au Champ-de-Mars. Whistler y regarde
Carolus Duran, le premier toujours exquis, subtil,
affiné; l'autre, tapageur et vulgaire. Aman Jean, délicat,
discret, atténué; Ménard, idyllique et littéraire; Raf-
faëlli, noueux et câblé de dessin; Picard, qui s'acharne
à préciser une tête de modèle étrange et impérieuse ;
Sargent, tout en allure; Sisley, tout en lumière; Puvis
de Chavannes, dont VHiver ne donne guère, quoique
synthétique, l'impression déneige et de froid; Cazin,
mélancolique et terne ; Burne Jones, aux dessins précis
et ornementés ; Helleu, dont les traits bouclés originali-
sent les eaux-fortes. Reste dominateur Carrière.
Devant sa toile — Une Mère embrassant son enfant
— l'impression est violente et soudaine. L'intensité de
la vie? triomphale. Cela va au delà de tout métier, de
tout procédé, de toute technique. On né se demande
pas comment cela est peint, on est trop directement
conquis.
L'œuvre est ici, comme toute œuvre éternelle, pro-
fondément et despotiquement humaine. C'est un cri,
mais combien il retentit à travers toute l'âme esthéti-
quement attentive ! Le pinceau n'est point d'un virtuose,
mais d'un émotionné, qui se sert d'un art trouvé en
lui, d'un art choisi entre mille pour donner expression
personnelle à une pensée personnelle. Le spasme, la
passion, l'ardeur sont là réalisés dans ce cou tendu de la
mère, dans cette tendresse immesurée, dans cette folie.
Le tout avec l'exagération nécessaire, avec l'emporte-
ment et le feu, si bien que la femme et l'enfant dispa-
raissant, ce n'est plus que le baiser que l'on voit.
Ce tableau est l'excuse du Champ-de-Mars.
FESTIVAL RHENAN
Cologne, 5, 6, 7 juin.
Les temps. changent, les temps changent! Pendant que quel-
ques-uns, le nez en l'air, attendent le coup de théâtre qui annon-
cera l'horizon nouveau, nous arrivons à un tournant rapi'le;
plusieurs sentent qu'ils tournent ; la grande masse ne l'apprendra
qu'après. Nous tournons vile : la neuvième symphonie, d'année
en année, nous fait moins d'effet. Jusqu'ici elle était restée impo-
sante et mystérieuse comme tout ce qui nous domine. Aujourd'hui
elle nous est devenue limpide, nous la comprenons comme on
comprend son semblable, nous avons grandi jusqu'à elle. Encore
un peu de temps et elle sera ce qu'ont été pour nous nos géants
du siècle dernier, — la forte et géniale impulsion qui nous a
poussés où nous sommes, et dont l'action est désormais inutile.
Depuis trois quarts de siècle que nous vivons de la neuvième,
elle est devenue nolreinoelle, nous l'aimons comme nous-mêmes,
mais elle ne nous bouleverse plus.
Cologne a voulu nous donner cette année une idée générale de
la musique du xix« siècle.
Parmi ceux qui vivent à l'ombre de Beethoven et de Wagner
Berlioz est, certes, le plus personnel, le plus génial. Avec sa
symphonie dramatique Roméo et Juliette, il faisait une tache
lumineuse sur l'ensemble aux grandes lignes sévères, aux ten-
dances élevées de l'art allemand. Berlioz est plus près de nous.
Je m'étais donné des peines pour retrouver en moi tout ce que
mes ancêtres avaient pu me léguer d'instincts teutons ; je m'iden-
tifiais avec celle confiante et forte race. J'avais joui de ce sonore
et brillant Mendeissohn dans le Psaume 114 (chœur et orchestre);
des pastels si doux, si fins, de Schumann, irop pâles pour le
genre épique auquel il s'essaie parfois, comme dans le final
impuissant de sa quatrième symphonie; du Triumphlied de
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UART MODERNE
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Brahms, bruil vide et fatigant, imitation de Haendel, indigne d'un
artiste personnel (Triumph-lied accueilli, chose remarquable,
par un silence complet).
J'avais joui de Beethoven dans la neuvième symphonie, exécutée
et comprise comme l'a comprise Wagner, avec la grande simpli-
cité qui la rend si majestueuse ; et surtout j'avais joui du gigan-
tesque final du Crépuscule des dieux, où une femme à elle seule
devient plus imposante que la masse des cinq cents chanteurs qui
nous redisaient YOde à la Joie.
Je me croyais si transformé que je ne me réjouissais guère
d'entendre, le second jour, la musique italienne et française. La
fine, légère ouverture d'Anacréon de ce grognard de Chérubini
et le Requiem de Verdi où je sentais que quelqu'un d'autre pour-
rait, devrait être ému, — mais moi pas, — me persuadaient que
les Latins étaient loin et que tous mes grands-pères teutons
m'avaient repris.
Quand vinrent Berlioz et Roméo. Le serpent ! Comme celte
passion, ces couleurs, cette variété, cette vibration intense et
toujours juste me firent souvenir que je n'étais qu'un Latin sec,
inflammable, et aimant la poésie de la réalité plutôt que les spé-
culations de l'idéal! Je n'en suis ni fier ni honteux : je constate
le fait.
La nouvelle école allemande était bien représenlée le troisième
jour par une ballade de ÎJax Bruch et par le poème symphonique
Tod und Verklârung de Richard Strauss, entendu à Liège. Une
première fois j'ai fait la bêtise de suivre le texte qui sert de
programme à cette symphonie et j'ai trouvé que la splendide
robe dont le recouvrait la musique était trop ajustée.
La seconde et la troisième fois j'ai essayé d'oublier le pro-
gramme et n'y suis pas parvenu. Je n'ai pas encore eu le temps
de grimper au nid de mes hiboux pour voir de loin si c'est un
bien ou un mal. La musique était neuve, dramatique, puissante,
à la hauteur du sujet, mais pas plus haut; elle n'y ajoutait ni un
frisson ni un horizon nouveau. — Autour de ces quelques grandes
choses s'agitait tout le fracas des solistes mâles et femelles;
parmi ces dernières il faut ranger Pablo de Sarasate, toujours
ravissant, sucré et parfait, d'une perfection qui ignore grandeur,
style et force.
Et houi-rah ! pour le bon, le sympathique WûUner, toujours
vert et droit ou se redressant, toujours enthousiaste, grandissant
toujours sans s'arrêter, sans se laisser stabiliser par l'âge, impri-
mant à tout ce long festival sa conception artistique, élevée,
simple et ferme.
L W.
^U f ERCLE AI^TIgTiqUE
Les Cavaliers de rApocaljrpse de M. Alfred Cluysenaar.
Une immense toile où se cabrent, en des attitudes académiques,
les chevaux mystérieux de l'Apocalypse. Voilà, montés sur leurs
coursiers, j Guerre, la Mort, la Famine et la Pesle! M. Cluyse-
naar, un bon peintre qui a fait en sa vie la Vocation du Musée
moderne, et quelques portraits de mérite, ne paraissait pas désigné
pour s'emballer sur d'aussi fantastique cavalerie. Il fallait, pour
enfourcher ces bizarres Pégases, un rêveur mystique (rappelez-
vous le Sai7it Jean de Memling, à Bruges), ou bien un Odilon
Redon, apte à ces conceptions étranges, ou bien un macabre
Goya. M. Cluysenaar n'a fait qu'une œuvre de prix de Rome, sans
accent, sans nouveauté, aussi impersonnelle que son Canossa.
Toute cette scène terrible de légende apocalyptique pue le modèle
d'atelier. Ce sont les figures d'expression qu'on a rencontrées
dans tous les concours, les bustes et les gestes qui ont figuré dans
toutes les officines d'académie. Toute celte composition est froide
et la nappe de lumière que le peintre fait descendre en un des
coins du tableau apparaît comme un glacial suaire. Beaucoup
d'artistes qui excellent à peindre tel morceau ou tel portrait, à
modeler tel groupe de satyres ou -tel buste, se perdent en des bas-
reliefs à prétentions michel-angelesques ou en des toiles étalées
en pompeux mètres carrés sur les murailles des salles.
CERCLE DES FEMMES-PEINTRES
Troisième exposition annuelle.
Avec un zèle infatigable et une persévérance rare, M"« Mary
Gasparoli, non contente de couvrir de tournesols, de chrysan-
thèmes et même de compositions à intentions allégoriques, où
la mélancolie des immortelles est opposée au pourire des fleurs
des champs, la blanche surface des châssis de toile, s'occupe
chaque année de rassembler dans une même ardeur exhibition-
niste toutes les femmes peintres de sa connaissance, et même les
autres. Si malheureusement Ses démarches, bien qu'instantes,
échouent auprès des artistes que renseignent les catalogues des
Cercles d'avant-garde ou des Salons officiels: les Anna Boch, les
Louise Héger, les Marie Collart, les Euphrosine Beernaerl, les
Mary Cassait, les Berlhe Morisot, les Clara Montalba, les Mar-
guerite Holeman, du moins sa diplomatie n'est-elle pas en défaut
quand elle s'adresse à des personnalités de second plan, que les
expositions annuelles du Cercle des Femmes-peintres font peu à
peu sortir de l'ombre.
Les difficultés ont été d'autant plus grandes, cette fois, que des
confrères installés dans les galeries que guignait l'aimable secré-
taire ont mis en pratique le : « J'y suis, j'y reste » avec plus
d'autorité que de galanterie. 11 a fallu se contenter de la salle des
Conférences, se serrer un peu, accrocher trop haut de jolis petits
vases pleins de géraniums pour lesquels on convoitait lacimaise,
reléguer dans des coins sombres des bouquets de marguerites
qui se fussent joyeusement épanouis en pleine lumière.
Ah ! Delmer, mon ami, je ne vous envie pas ! Quels jolis
espoirs vous avez dû briser! Quelles durables rancunes accu-
muler! Quels furieux coups de bec vous sont quotidiennement
distribués dans la volière ouverte à côté de la cage où vous pré-
sentez vos lionceaux !
Paix ! Mesdames. Votre Exposition n'a point perdu au change.
La salle des Conférences est la mieux éclairée du Musée : c'est
même probablement pour cela qu'on en a fait, au lieu d'une salle
d'exposition, une parlotte, suivant la loi fatale qui régit à contre-
sens, dans notre pays, la destination des locaux comme celle des
monuments. C'est aussi, par ses proportions, la salle qui devait le
mieux vous convenir. Vos cent œuvres, — que ne puis-je écrire
vos cent chefs-d'œuvre! — y couvrent très exactement les quatre
panneaux et se soutiennent mieux l'une l'autre que si on les eût
espacées.
Mon sentiment vrai? C'est que le progrès sur les expositions
précédentes est sérieux. N'était l'instinct d'imitation que décèle en
général toute peinture fémiiiine, — cet instinct qui, dans les œuvres
de M"* Lucie Baldauf évoque^ le souvenir de Mellery, dans les
V,
loiles de M"* Demanet celui de Speckaerl, dans les paysages de
M"« Rosa Leigh la manière de Verslraele, dans les éludes de
M"" de Bourizoff la couleur el les procédés de Slingencyer (mais
oui, pourquoi pas?) — on pourrait déclarer le Cercle des Femmes-
peintres loul aussi intéresssanl que le Cercle artistique dont il est
un succédané.
Ceci établi, à qui la pomme? Il faudrait, pensons-nous, ne pas
imiter cet idiot de Paris et la partager en quatre. A M"» Lucie
Bald.nuf le plus gros quartier. Son portrait de jeune fille est
remarquable : simplicité, sobriété, couleur harmonieuse el ferme,
il réunit un ensemble de qualités peu ordinaires. Son Vestibule,
pour être un trop évident décalque de Mellery, n'en constitue pas
moins un bon dessin, d'une observation juste. La Liseuse, la
Bue sous la neige révèlent, de même, une nature artiste.
Les autres quartiers à M"« Louise De Hem, dont les pastels et
peintures à l'huile dénotent un sentiment délicat; à M"» Henriette
Calais, qui expose un bon portrait do jeune fille; à M"' Andaluzia
Evans, qui affectionne particulièrement les loulous et les peint
avec talent.
On pourrait encore distribuer des mentions honorables à
M"« Madeleine Carpenlier pour sa Tête déjeune fille, à M"« Mar-
guerite Dielman pour ses Fleurs et accessoires, à M"» Pierre Dupré
pour ses Coquelicots, à M"" Elsom, Gasparoli, Van Tilt, Leigh, etc.
Et, ceci fait, engager toutes ces dames à s'efforcer d'originaliser
leur vision.
REMBRANDT ALS ERZIEHER
(I)
Rembrandt éducateur? Traduisons plutôt librement: Rembrandt
symbole.
Voilà un livre qui a fait et qui fait encore beaucoup de bruit en
Allemagne, où il en est à sa quarantième édition. L'auteur?
« Von einem Deulschen, — par un Allemand ». Impossible d'en
apprendre davantage. Si vous écrivez à l'édilcur, afin qu'il vous
fasse obtenir le droit de traduction, il vous répondra : « Je s^uis
lié par mon contrat à ne divulguer le nom de l'auteur à personne
el je ne puis lui communiquer votre demande, car depuis long-
temps j.'ai rompu toutes relations avec lui. «Vous pouvez bien
penser qu'on s'est livré 'a des conjectures. Une publication alle-
mande a même trouvé un nom : M. Langbehn,à Hadcrsleben
mais c'était: une fausse piste. Aussi, on ne cherche plus guère
après s'être cassé la tête depuis le mois de janvier 1890, époque
où a paru la première édition. Au début, le livre n'a pas fait grande
sensation : la presse n'osait ou ne savait que dire. Mais elle avait
compté sans l'excellente organisation des libraires allemands, qui
reçoivent tout ce qui paraît et envoient à option, en ville el à la
campagne, ce qui peut être du goût du client, qu'ils connaissent
à fond. El maintenant le livre est en pleine vogue.
Qu'est-ce? Une critique acerbe, agrémentée d'aphorismes, des
chosies politiques, artistiques, scientifiques, de toute la vie intel-
lectuelle, enfin, de l'Allemagne, avec la conclusion que soûl un
renouveau général, de la racine au sommet, saura régénérer l'Alle-
magne décadente. Par quoi? Par la modestie, le calme, la solitude,
l'individualisme, el par l'art, qui doit devenir le summum do
l'existence intellectuelle, en refoulant à la seconde place la
science devenue encombrante et spécialiste, sèche el ignorante
comme l'érudil de La Bruyère. L'auteur pense que lorsque toute
(1) Un volume chez Hirschfeld, Leipzig.
l'aclivilé nationale, politique comprise, sera devenue artistique,
lorsque le peuple aura reconnu la suprérnalie de l'art, la culture
germanique sera réelle el universelle.
Le symbole auquel s'attache le mystérieux écrivain nous est
présenté magistralement. Le grand mafire hollandais revient à
tout instant dans les 356 pages du volume, et si l'on voulait
réunir les appfécialions brillantes sur le génie de Rembrandt qui
émaillenl le livre, on composerait une des plus belles critiques
d'art qui aient été écrites sur le peintre des Syndics.
Par un jeu d'ingénieux paradoxes, Rembrandt est présenté
i la fois comme l'artiste le plus germanique et le plus individuel
qui soit, le modèle à suivre, le symbole à invoquer dans la lutte
pour la renaissance éthique. Il nous est impossible de suivre les
déductions que ce procédé, appliqué avec un art minutieux,
appuyé de citations, a permis à l'auteur anonyme de présenter au
lecteur.
Rembrandt est un Bas-Allemand, être mieux doué que l'homme
du Midi, et surtout de l'aride Prusse. La Basse-Allemsigne
inlellecluelle commence en Hollande, — avec une Ile pour les
immigrés, les Frisons, qui ne chantent point : Frisin non cnnlat,
— elle s'arrête à la rive de l'Elbe. La factice Berlin n'osl plus
dans le rayon, mais Bismarck, lui, y est né. C'est là et un peu en
amont du Rhin qu'il faut prendre exemple.
Cela est dit dans un style hardi, aux images surprenantes,
parfois déconcertantes, avec un pessimisme souvent justifié.
Il y a eu des ripostes.
a Hoellenbreughel als Erzieher» (Brueghel d'Enfer éducateur),
la première, est une parodie gaie, qui impute, entre autres, à'
Wagner l'extension de l'alcoolisme en Allemagne, avec, pour la
fin, l'apothéose... de la bière. C'est de l'esprit d'outre-Elbe. Le
parodiste — « un autre Allemand », qui n'est autre que M. F. Pfohl
— procède par l'exagération du grotesque.
Une réfutation plus sérieuse a été faite dans un volume qui a
obtenu six éditions: Billige Weisheit (La sagesse à bon maiclié),
antidote contre « Rembrandt als Eiziohcr », par « Ntmlibus ».
Ce volume a paru chez Seemiinn à Leipzig. Citons encore une
autre brochure : « Est! Est! Est! Propler-nimium Est! Eut!
Est! dominus meus vwrtuus est. Est vinum bflnum est ». Mol de
la fin d'une anecdote connue, « von einem niederdeuisehen
Bauern », par un paysan bas-allemand. Enfin : Der hrimliche
Kaiser, brochure anonyme. Le titre est emprunté à l'ouvrage
initial où l'auieur souhaite la venue d'un empereur caché, c'est-
à-dire d'un directeur intellectuel du peuple allemand, puissant el
influent, mais discret, exerçant une action occulte.
Parmi les défenseurs de notre volume, nous ne connaissons
que deux ouvrages : Rembrandt uvd Bismarck, par M. Max
Bcwer, un publiciste brillant, mais peu heureux, adhérent incom-
mode et bruyant de l'ancien chancelier. Ensuite : Fin ernstes
Wort ûber Rembrandt als Erzieher (Paroles sérieuses sur Rem-
brandt-symbole).
Voici, en dernier lieu, le poète Félix Dahn qui intitule :
Moltke als Erzieher (Broslau, chez Scholtiander), un petit
ouvrage, très bien fait, sur le défunl général, dont les œuvres
littéraires, publiées en ce moment, fini à bon droit sensation.
L'auteur, dont la compétence est connue, soutient qu'il csl
inutile de prendre pour modèle un peintre hollandais lorsqu'on a
eu devant soi l'exemple de toutes les v.rlus de Thomme privé, du
soldat modeste et ariisie délicat, autant que savant, du pairiotc
exempt de chauvinisme, mais non d'une communicative chaleur.
.V
qui, après sa mort, apparaît soudain, comme un véritable édu-
cateur el un littérateur classique. Le plaidoyer de M. Félix Dahn
csi séduisant et sera lu avec intérêt même par les adversaires de
l'homme de guerre.
Pour donner une idée du curieux ouvrage dont s'occupe l'Alle-
magne, nous en publierons prochainement quelques pages tra-
duites spécialement pour VArt moderne, el dans lesquelles on
retrouve certaines idées que développe M. Edmond Picard dans
In Synthèse de Vanlisémilisme.
P. M.
L'ART IMPRESSIONNISTE
M. Georges Lecomte, en un précieux volume dont nous avons
rendu compte (1), vient de réunir les oeuvres dominantes des
peintres impressionnistes.
Ce livre est une documentation curieuse el émue parce qu'il
dévoile, à nos yeux habitués aux définitives victoires d'un arl
neuf, l'étrange labeur el l'âpre lutte soutenus dans l'ombre de tout
un âge dédaigneux, dans la ténèbre des misères matérielles et que
consolaient seuls les éclairs de la foi el du génie.
Depuis qu'une rénovation littéraire intense a semé le sol artis-
tique de fleurs de lumière vibrante, et depuis que d'insinuante
manière l'inteliectualiié a filtré dans le domaine pictural — autre-
fois borné par ses diminuantes frontières du convenu et de l'his-
toire académique — l'art impressionniste devait éclore, nécessaire-
ment, faiidiqucment. Car à toute époque littéraire correspond un
équivalent dans les arts voisins, à toute transformation suit une
métamorphose. La peinture comme la musique, l'âme littéraire
subissent d'invisibles lois qui sont les règles instinctives de l'art
en général. Cette loi — ou plutôt cet instinct — s'est manifesté,
cette fois, dans la littérature et je pourrais citer telles œuvres,
dominatrices d'une époque tout entière. C'est là la curieuse impé-
rialilé de la pensée imprimée. La généralité des grands mouve-
ments, synlhèses d'un siècle, ont eu leur cause initiale dans le
cerveau producteur d'œuvres écrites.
Et la peinture, plus spécialement attirée vers la pensée qui se
. sculpte dans les mots en images plates, en ombres Imaginatives,
en reliefs conventionnels, acquérant leur puissance par la vision
qu'on parvient à figer dans la phrase réfléchie, — la peinture est
la traduction colorée de cette môme pensée émise en verbes.
Cette abstraite sculpture intellectuelle, suivaiit les modes histo-
riques traversés, selon les nombreux infinis de l'ambiance, des
instincts, de la nécessité, se métamorphqse, change et se modèle
d'après ces influences qui palpent le cerveau el le façonnent,
et la peinture qui subit l'élernelle magie des caressantes inflexions
tle la pensée adapte ces transpositions idéales, comme de la cire,
sur le chaioiment multiple des couleurs.
Ce n'est pas une servilité que ce magnétisme étrange et capti-
vant. Les grands écrivains ont tous, par l'étonnante prévision d'une
pensée plus tôt mûrie que d'autres, fait planer sur les étroile"S
limites de leur âge les transformations prochaines. Les peintres,
naturellement pénétrés d'un art plus spécial, moins large, n'em-
bpiissant guère la promesse des futures éclosions, se laissent gui-
der et sont suggérés.
Voilà l'hypnose glissée dans un art naguère barré de dogmes
fixes, aujourd'hui plein d'air, de lumière, aux nerfs flexibles,
(1) V. notre numéro du 15 mai dernier.
sujet à toutes les irritations, à toutes les vibrations du cœur et
de l'esprit.
La particulière vision du peintre modifie d'après les particula-
rités de son tempérament cette puissance qu'il ignore, du reste,
soumis seulement à l'occulte force immanente des idées — se sen-
tant envahi p;ir l'obscure influence d'une phalange qui paraît
marcher loin de lui — mais la lumière spirituelle se réverbère
au loin, insinuante et pénétrante el qui conquiert lentement, sûre-
ment son cerveau, sa vision — et sa palette définitive. L'influence
des mêmes principes, argumentes d'idées sincères, commentés
el batailles sans trêve, produit l'ùmpulsion que porte en soi
toute époque.
Rien alors des doctrines maçonnées par des siècles d'inertie et
d'habitude ne peut survivre. Aux houles des idées mûres, les
monuments anciens croulent, laissant onduler au lointain le
prisme doux et consolant des arcs-en-cicl nouveaux, .possibilités
nombreuses d'un arl plus sincère et plus vrai.
El ce phénomène s'est produit chez les impressionnistes; l'in-
tellcctualité a fait vibrer les visions, les phrases colorées. Toute
la sculpture fine des tons, el partout, comme des strophes de cou-
leurs, chantent au travers des luttes noires d'antan, les prévisions
glorieuses d'autres victoires !
ARCHITECTURE
Nous avons souvent rompu des plumes ici en faveur de l'embel-
lissement des gares de chemin de fer, el nous avons maintes lois
réclamé pour qu'on supprime les administratives, banales et
afiligeantes stations qui encombrent de leurs uniformes mines
nos voies ferrées.
On commence maintenant à construire des gares plus gaies à
l'œil des voyageurs. C'est bien. La tendance des dirigeants est
excellente. Mais hélas! quelles désillusions nous donnenl enrore
les architectes! Ainsi, voyez la nouvelle gare d'Audenarde. Que
viennent faire, au-dessus des toits, ces volets de tourelles qui ne
s'ouvriront jamais, et ces tourelles elles-mêmes, dans lesquelles,
d'ailleurs, un chien ne saurait tenir? Il faut, en architecture, que
chaque chose ait sa raison d'être, son humaine raison. Il faut que
tout soit proportionné au corps el aux idées des hommes. Con.
struire des tourelles pour le repos des pigeons, c'est charmant
dans un coin de ferme, mais c'est inepte au-dessus d'une gare.
-C'est le rococo moderne, le superflu bibiche, rornementaiion du
« parvenu », l'illogisme suprême! Cherchez donc de ces décors
sans raison dans rarcliiteclure grecque ou gothique?
Vraiment, au point de vue architectural, nous traversons une
plate époque, sans caractère, cl dont la seule marque est peut-être
de refléter la seule vanité, l'inanité et l'ostentation de mai'vais goût
des bourgeois de nos jours.
pORREgPONDANCE
Cher Monsieur,
Je vous serais très reconnaissant de signaler dans l'Art moderne
celle chose, d'ailleurs nullement étonnante en Belgique :
Ayant été obligé de renoncer à l'organisation d'un concert
d'œuvres belges au Salon Anvcrs-Bruicelles, tant j'avais rencontré
partout de rindiiférencc cl de l'hostilité, j'avais prié la presse
r'
quoiidienne bruxelloise d'annoncer ma décision. Or, sauf la
Chronique qui en a -parlé deux fois, aucun autre journal n'a ou
la politesse d'accueillir ma lettre.
Aussi c'est ^ Paris que je compte donner, en même temps
qu'une exposition de mes œuvres, deux séances de musique,
l'une belge, comprenant des œuvresde MM. Georges Flé,Guillaumc
LcHeu el Eugène Samuel, l'autre consacrée h l'école de Franck el
à deux jeunes compositeurs inconnus en Belgique.
Merci d'avance de tout cœur et agréez mes salutations très
distinguées.
G. Mei.chers.
ABAYflEUTH
La distribution définitive des quatre ouvrages qui seront repré-
sentés cet été à Bayreuth a été arrêtée comme suit :
PARSIFAL
Pârsifal, MM. Van Dyck (Vienne) et Gruning (Hanovre);
Kundry, M""'Mailhac(Carlsruhe)ct Malien (Dresde); Gurnemanz^
MM. Grengg (Vienne) el Frauscher (Barmen); Atufortas,
MM. Kaschmann (Milan) et Sclieidemantel (Dresde); Klingsor,
MM. Liepe (Berlin) el Planck (Carisruhe); Filles- fleur s. M™" Hart-
wig (Dortmund), Hedinger el Welsclike (Breslau), Mitskiner
(Stellin), Muldcrs(Ulrechl)et \Viborg(Schwerin).
TRISTAN ET ISOLDE
Tristan, M. Vogl (Munich); Isolde, M"»» Suclier (Berlin);
Brangœne, M""» Slaudigl (Berlin); le roi Marke, MM. Doering
(Mannheim) etGura (Munich); Kurwetml, M. Planck.
TANNHi€USER
Le Landgrave, M. Doering; Tannhœuser, M. Gruning; Wolf'
ram, M. Scheidemanlel; Walther, M. Gerhauser (Bayreuth);
Bileroll, M. Liepe; Heinrich, M. Zeller (Weimar); Reinmar,
'm. Bûcha (id.); Elisabeth, M"« Wiborg; Véntis, M»« Mailhac.
Le ballet réglé par M"» Zucchi. *
LES MAITRES-CHANTEURS
Hans Sflc/«, M. Gura; Pogner, M. Frauscher; Beckmesser,
M,. Muller (Leipzig): Kolhner, M. Bachmann (Halle); Walther
von Stolzing, M. Anthes (Dresde); David, îi. HoiFmuller (id.); Eva,
M"«» Hartwig et Wiborg; Madeleine, M™» Slaudigl.
Chefs d'orcheslre : MM. Lévy (Munich), Molli (Carisruhe) cl
Han8Richler(Vienne). — Chef des chœurs : M. Kniese (Bayreulh).
BIBLIOGRAPHIE MUSICALE
Albeniz, l'extraordinaire virtiiose du clavier que nous eûmes cel
hiver la bonne fortune d'applaudir à Bruxelles en quelques soi-
rées intimes demeurées inoubliables, est l'auteur d'une foule
de compositions pour piano publiées à Madrid par A. Romero, à
Londres par Joseph Williams, par MM. Stanley, Lucas, Weber
et C'% par MM. Pilt et Hatzfeld, etc. .
La couverture d'un Concierto para dos pianos (op. 78), de
bonne facture mais d'inlérôl musical contestable, renseigne de
très lointaines Variaciones brillantes sobre « // Crociato » accos-
tant une Fantasia sobre Lucia de Lammermoor. Mais de ces tra-
vaux médiocres, indice des jours noirs du début, il ne reste heu-
reusement rien dans l'œuvre actuel du musicien, où s'épanouit sa
nature exubérante cl gaie, servie par une impeccable écriture el
par la connaissance approfondie des ressources du piano.
La musique de M. Albeniz a mômes qualités et aussi mêmes
défauts que celle de Rubinstein : distinction, élégance de facture,
superficialilé, usage fré;juenl d'harmonies vulgariséesel de cadences
connues. La forme «n est toujours soignée, mais dans chacune de
ses œuvres elle apparaît identique : exposition du sujet, dévelop-
l>emenl, exposition et développement de la deuxième idée, reprise
du lUème initial et cadence finale. Le plan varie si peu qu'on
pourrait, presque à coup sûr, avec les deux idées que renferme
chaque morceau, bâtir celui-ci à peu près tel que l'a construit
l'auteur.
Environ deux cents numéros ont été édités. Citons entre autres
deux Valses de Salon, irols Mazurkas, Cuba, Cadiz-Oadilana,
Grenada, Pavane espagnole, Zambra Oranadina, Barcarolle
catalane, Minuetlo, Cotillon- Valse, Impromptu, Romance sans
paroles, Angoisse, On ihe Water, Mallorca, Berceuse, Hcherzino,
Chant d'amour, l'Automne, qui toutes décèlent, sinonune inspi-
ration originale, du moins une main experte et un scnlimcnl
artiste.
Mais où M. Albeniz excelle, c'est dans la transcription et l'adap-
tation des motifs populaires de l'Espagne, auxquels il donne une
saveur rare. Quelques-uns des morceauxjans lesquels il introduit
les rythmes joyeux des danses populaires de sa patrie cl les lentes
mélopées des flamencos sont exquis de charme imprévu el de
pittoresque. Les plus jolis sont : Sevillanas, Sérénade espagnole,
Jota Aragonesa, Tango el Sevilla, publiées par MM. Slanley,
Lucas, Weber et C'«. Signalons aussi le recueil intitulé Espana'
op. 46S (Londres, Pitl el Hatzfeld), qui donne, en 30 pages, une
vision élincelante des danses pimentées de l'Andalousie et de la
Catalogne.
Nous apprenons que M. Albeniz vient d'achever, en collabora-
tion avec M. Fernandez-Arbos, un opéra comique espagnol qu'il
a fait recevoir au Lyric-Theatre. Souhaitons-lui le succès de
Carmen-up-to-data el les jolies interprètes de la Burlesque Com-
pany.
NÉCROLOGIE
M. Théodore GanneeL
M. Théodore Canneel, directeur de l'Académie de dessin, de
peinture et de sculpture de Gand, vient de mourir b la suite d'un
cancer à l'estomac. Il élail né à Gand en 1817. II a élé nommé
directeur de l'Académie en 1852, après son retour de l'Italie où il
avait achevé ses études artistiques.
M. Canneel était inspecteur de l'enseignement du dessin,
membre de la Commission royale des monuments et membre
correspondant de l'Académie royale des sciences, lettres et beaux-
arts, officier de l'ordre de Léopold. Il est l'auteur des peintures
murales des églises Saint-Sauveur el Sainte-Anne à Gand el de
l'église de Bursl près d'Alost.
Simple, modeste et bon, M. Canneel élail très estimé et aimé.
En 1875, ses anciens élèves lui ont rendu un hommage public, en
plaçant son médaillon dans un des murs de l'école qu'il dirigeait.
Le personnel de l'école se préparait à célébrer le 50^ anniversaire
de son entrée en fonctions comme directeur.
M. Pierre-Armand Cattier.
Le statuaire Pierre-Armand Catlier vient de mourir h Bruxelles,
âgé de soixante-deux ans. On lui doit le monument de J.Cockerill,
vliâ..:^^:'
''■':--'-f '■■■'■/ ■'^fi'Ç-^^'^^'^^^^^
élevé sur la place du Luxembourg, les grandes figures allégoriques
qui décorent l'une des portes de l'enceinte extérieure d'Anvers,
une Daphnis acquise par l'État pour le Musée de sculpture, un
grand nombre de bustes, etc. M. Cattier, qui était le père du
critique d'art de la Gazette, était officier de l'ordre de Léopold.
Ses funérailles ont été célébrées mercredi en présence d'un
grand nombre d'amis, d'artistes, d'hommes de lettres, etc.
Petite CHROj^iqup
M. Georges Eekhoud a fait samedi dernier à l'Exposition
communale d'ixelics une 1res belle conférence sur Charles De
Coster, l'un des fondateurs de notre littérature. Il a énergique-
ment revendiqué pour le grand écrivain un monument qui —
M. Nautel le rappelle dans son Histoire des lettres belges —
lui a été refusé jusqu'ici. Nous publierons dans nos prochains
numéros la sténographie complète de cette magistrale étude.
L'Association pour l'Art fera entendre aujourd'hui à Anvers,
dans les locaux de son exposition, une sélection d'œuvres
modernes avec le concours de M™* Soeiens-Flamenl, de MM. Litta
et H. Gillet. Au programme : P. Benoit, V. d'Indy, G. Fauré,
E. Chabrier, N. Rimsky-Korsakow.
M. Camille Lemonnier a tiré, pour lesMartinetli, une pantomime
en trois actes et cinq tableaux de son roman Le Mort. MM. Léon
Du Bois, auteur de la musique, et Paul Martinetti, principal inter-
prète de l'œuvre nouvelle et collaborateur de M. Lemonnier pour
l'adaptation du Mort, viennent de se rendre à Paris où ils ont
pris avec l'auteur les dernières dispositions pour mettre celle-ci au
point.
Le Mort sera représenté sur une scène parisienne au début de
la saison prochaine.
M. Rodolphe Salis et ses amis du Chat noir donneront samedi
prochain une représentation au Théâtre des Galeries. Ils joueront
la Marche à l'Etoile de Fragerolle, Une Affaire d'honneur de
i. Jouy et l'Age d'or de Willette. En intermèdes se feront entendre
les poètes et chansonniers du Chat noir.
Les concours publics du Conservatoire, ouverts hier par l'audi-
tion des classes d'ensemble vocal, auront lieu dans l'ordre sui-
vant :
H juin, à 3 h., ouverture des concours.
13, à 8 h., instruments à embouchure.
\&, instruments à anche et flûte ; à 8 h., saxophone,
basson, clarinette; à 3 h., hautbois, flûte.
18, à 9 h., contrebasse, allo; à 3 h., violoncelle.
21, à 9 h., musique de chambre avec piano.
Vendredi 24, à 3 h., piano (demoiselles); prix Laure Van
Culsem.
Samedi 25, h 3 h., piano (hommes).
. Mardi 28, à 9 h. et à 3 h., violon.
Mercredi 29, à 9 h. et à 3 h., violon.
Samedi 2 juillet, à 10 h., chant théâtral (hommes) ; 3 h.,
chant théâtral (demoiselles); duos de chambre.
Vendredi 15, à 3 h., tragédie et comédie.
Les Concerts du Waux-iïall, favorisés par le temps, attirent la
foule. Samedi dernier, le contrôle a accusé près de 2,000 entrées.
Samedi
Lundi
Jeudi
Samedi
Mardi'
On a fait ^ M. Gilson, qui dirigeait l'exécution de son poème sym-
phonique La Mer, un accueil si enthousiaste qu'il est question de
consacrer au jeune maître, désormais populaire, une nouvelle
séance.
Les programmes sont d'ailleurs fort intéressants cette année.
Plusieurs solistes se sont fait entendre avec succès. Citons spé-
cialement M"«« Goeizet Parenlani, MM. Ganduberl, Guidé, Jacob
et le jeune violoniste F. Hill,
Ce dernier, qui se faisait entendre pour, la première fois en
public, a révélé une technique de premier ordre jointe à un vrai
tempérament. Il a joué en artiste accompli la BarcaroUe du
3'"« concerto de Saint-Saëns et les périlleuses Zigeunerweisen de
Sarasate.
M. James Me. Neill Whistler se fixe définitivement à Paris, où
il vient de louer un atelier et un appartement. Le 6il Blas le
« photographie » en ces termes :
Un des artistes les plus originaux de ce siècle, dont le pinceau
magique a su, en d'inoubliables portraits, traduire l'éternelle
énigme du visage humain jusqu'en ses plus fugitives attitudes,
comme dans ses paysages il a rendu la vie des choses jusqu'aux
confins les plus délicats de la lumière et du visible. Célébré par
Baudelaire, il y a quarante ans, n'en fut pas moins relégué « au
dépotoir » chaque fois qu'il tenta d'exposer au Salon, par ces
mêmes peintres qui lui offrent aujourd'hui des banquets, lui
. abandonnent la cimaise au Champ-de-Mars et applaudissent à
son entrée au Luxembourg. Au physique, un « exceniric » des
plus réussis, ce petit vieux que sa mèche blanche — une touflfc
clownesse dans ses cheveux noirs — et sa haute canne légendaire
distinguent du commun des morlels. N'admet pas d'être discuté.
Fit condamner à 1 franc de dommages et intérêts le critique Rus-
kin, qui l'avait malmené. A confércncié à Londres et publié un
« Ten o'clock tea » (|ue traduisit Mallarmé (1).
La mort d'Ernest Guiraud a laissé vacante, au Conservatoire de
Paris, une place de professeur de composition. Celle-ci a été
offerte à M. Vincent d'Indy, qui ne l'a pas acceptée. Le titulaire
n'est pas désigné jusqu'ici.
•M. Guiraud occupait, en outre, des fondions vivement convoi-
tées, à sa mort, par un grand nombre de musiciens : celles
d'inspecteur de l'enseignement de la musique au Conservatoire,
dans les écoles nationales et les maîtrises.
C'est M. Gabriel Fauré qui vient d'être choisi pour ce posie
par le minisire des Beaux-Arts.
Dans la dernière livraison de l'Art et l'Idée, M. Octave
Uzanne étudie l'art de Joseph Chéret, le statuaire-décorateur dont
les va.scs obtiennent en ce moment un grand succès au Champ-dc-
Mars. La monographie, très intéressahie, contient des reproduc-
tions hors texte des principales œuvres de l'artiste, diverses com-
positions inédiles, un portrait de Joseph Chéret par son frère
Jules, etc. Dans cette même livraison, à Jire un curieux article de
M. de Saint-Heraye intitulé Lw Etapes de la réclame, histoire
sommaire du puffisme à travers les âges.
A signaler dans la Revue de l'Evolution (rue Chauchat 24,
Paris) Tes articles de critique de M. Georges Lecomte : la Renais-
sance idéaliste (n» du 15 mars) et l'Impressionnisme (n" du
1" avril), tous deux exactement documentés et judicieusement
déduits.
A l'exposition dos Beaux-Arts de Glascow, dont nous recevons
le catalogue, figurent quelques artistes français : MM. A. Barlho-
lomé {Petite fille pleurant, sculpture) ; P. Bergeret, P. Damoye,
E. Degas {Chez la modiste, pastel); P. Dubois {La foi, sculpture);
H. Fantin-Lalour, J. Girardet, J. Guillemet, J.-F. Raffaëlli {Deux
anciens), etc. On a exposé en outre des œuvres de Corot, de
Bonvin, d'Isabey.
M. P. De Vigne {Psyché), M"'« H. Ronner et M. A. Ronnerrepré-
senlenl seuls la Belgique.
(i) Publié dans l'Art modet-ne, 1888, pp. 322 et 330.
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Douzième année. — N° 25.
Le numéro : 2B centimes.
Dimanche 19 Juin 1892.
MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Comité de rédaction i Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAERgN
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. — ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser toutes les communications à
l'administration générale de r.^t Moderne, rue de l'Industrie, 32, Bruxelles.
Sommaire
Charles De Coster. — La jeunesse et les Juifs. — Assogiation
POUR l'Art. -^ Ventes récentes. — Concours du Conservatoire.
— Petite chronique.
CHARLES DE COSTER.
Poursuivant l'œuvre de revendication entreprise en
faveur du plos grand de nos écrivains nationaux par
l'Art moderne et par la Jeune Belgique, M. Georges
Eekhoud a, dans une très artiste conférence faite à
Ixelles la semaine dernière, hautement proclamé le
génie de Charles De Çoster et énergiquement réclamé
Férection d'un monument destiné à faire revivre cette
séduisante figure de nos Lettres belges.
L'injuste, l'inqualifiable oubli dans lequel on a laissé
la mémoire de l'auteur d'Uilenspiegel appelait cette
nouvelle attaque, à laquelle la personnalité de M. Eek-
houd, l'un de nos premiers écrivains contemporains,
donne une force et une signification nettes. Souhaitons
que cette fois nous ayons raison des préjugés, de l'hos-
tilité, du mauvais vouloir accumulés contre l'illustre
artiste et qu'enfin justice lui soit rendue.
Ceci dit, nous laissons la pa,role à l'auteur de la Nou-
velle Carthage ;
C'est d'un grand, d'un Irès grand écrivain que je vais vous
entretenir, je dirai même d'un des seuls écrivains arlisles que
puisse revendiquer la Belgique du premier cinquantenaire.
La grande valeur littéraire de Charles De Gosier s'enrichit, de
cette circonstance qu'il fut seul, qu'il fut isolé, qu'il fut un véri-
table précurseur.
Aujourd'hui, la Belgique n'est pas encore une patrie bien géné-
reuse pour le poète, mais, à l'époque de Charles De Coster, elle
se comportait comme la plus odieuse des marâtres.
Alors que le musicien, le peintre, le sculpteur pouvaient
compter, sinon sur une compréhension complète, du moins sur
utie sorte d'estime et de respect, l'homixie de lettres, lui, demeu-
rait absolument ignoré ou méconnu. Pour le public il ne repré-
sentait rien du tout. De nos jours encore, quoiqu'on ail fait du
. chemin chez nous, beaucoup de personnes, et même de celles
appartenant à ce qu'il est convenu d'appeler le monde des arls,
apprécient un tableau, un opéra ou même une symphonie, mais
sont tout à fait insensibles îi la vraie littérature. Cela provient
d'un manque d'éducÎJtion, mais c'est aifssi le résultat de déplo-
rables préjugés cl de très fûcheuses confusions. Comme tout
lettré — dans le sens général du mol — se sert de plume et
d'encre, tout Belge qui a appris à écrire est écrivain ou pourrait
le devenir. Le petit jeune homme qui fait des vers où les amours
riment avec toujours, est un écrivain ; le bas-bleu qui ne jure
que par Noël et Cliapsal et honore Georges Ohnel de ses suffrages
les moins acidulés, est un écrivain; le moindre instituteur 5 qui
le patriotisme officiel inspire de temps en temps une cantate
ou une ode en quatre-vingt-douze couplets, est un écrivain.
Ecrivain encore, le reportaillon qui consigne dans tes jour-
naux le trépas des chiens écrasés; écrivain, le chef de bureau
qui fait à son ministre des rapports sur la dernière épizoolie ;
écrivain, et des plus authentiques, vous dira le snobisme de la
masse, le monsieur qui, dans les mêmes journaux, prodigue la
réclame aux cabotins, aux élèves du Conservaloirc, aux peintres
embryonnaires et aux croque-notes en mal de queue-d'oeuvre.
Oui, aux yeux d'une foule de gens, dont, je regrette de devoir le
constater, beaucoup de peintres et de musiciens, l'écrivain
n'existe que sous forme de jounalisle et tout au plus de libret-
tiste taillable et tripaiouillablc à merci. Il y a mieux encore : de
ce que beaucoup d'écrivains de lalcnt- appartiennent au journa-
lisme, le bon public en a conclu que tous les journalistes sont
(les écrivains, erreur que les écrivassiers de huitième ordre entre-
tiennent d'ailleurs avec le plus grand soin, à ici point qu'il n'est
pas si cuisireux manœuvre de lettres qui ne se croie le confrère
d'un Balzac, d'un Victor Hugo; d'un Charles De Gosier.
Ne croyez point que j'exagère. Le sens littéraire manque encore
à la plupart de nos compatriotes. Les beautés des autres œuvres
d'art soûl accessibles à un grand nombre de Belges, mais, faute
de culture, ils sont légion encore ceux qui ne verront pas de diffé-
rence entre un fait-divers torché par un plumitif quelconque, entre
une chronique signée Saint-Potin ou Madame de Tricotchipie et
une page de YUilenspiegel de Charles De Coster.
Il y a, sous ce rapport, — j'écarte la légion des ratés et des
envieux, sciemment hostile et systématiquement débineuse, —
absence totale ou oblitération du goût littéraire. Et, chose curieuse,
ce n'est pas chez les artistes peintres et les musiciens que les vrais
littérateurs rencontrent toujours le plus de compréhension.
Beaucoup de disciples de saint Luc ou de sainte Cécile, qui ne
confondraient jamais on barbouilleur d'enseignes avec Rubens,ou
le Carnaval de Venue a\ec une sonate de Beethoven, commettent
cependant des confusions aussi monstrueuses en matière de, litté-
rature, et si vous leur parliez des vers de Charles Baudelaire, ils
seraient capables de prôner les alexandrins qu'un gendelettrc
quelconque a chevillés pour un musicien de talent.
Après cette entiée en matière, M. Eekhoud a donné
lecture de quelques pages de haute et définitive critique
consacrées par M. Francis Nautet à la légende d'Uilen-
spiegel dans son premier volume de VHistoire des
lettres belges d'expression française. Ensuite il a
Tacconté succinctement la vie du grand écrivain, çn
mêlant à ces renseignements biographiques quelques
souvenirs personnels : '\
De Coster était un sensitif dans toute l'acception du terme. Il
avait la bonté farouche des vrais cœurs aimants; mille scrupules,
de subtiles délicatesses lui donnaient souvent l'air hésitant et un
peu gauche, qui passe auprès des observateurs superficiels pour de
la morgue ou de la misanthropie. Tous ceux qui l'ont connu de
près, qu'il a honoré de son affection, vantent son caractère char-
manl, l'inaltérable candeur de son esprit, sa naïveté touchante
dans les choses de la vie; Ce grand homme conserva jusqu'à sa
mort le cçeur d'un enfant.
Un jour, cette anecdote a été contée dans la Jeune Belgique,
quelques amis de Charles De Coster, établis à Paris, lui jouèrent
un tour : « Venez ici, lui écrivirent-ils; il y a beaucoup d'argent à
gagner : cent francs par jour en échange de copie. Seulement,
cachez votre voyage, il y va de votre vie. »
De Coster partit pour Paris, enchanté de l'aubaine et peu sou-
cieux du mystère. Arrivé à la grande ville, ses amis, regardant
avec inquiétude autour d'eux, le firent monter dans un fiacre dont
ils baissèrent les rideaux. Pendant de longues heures la voiture
roula pour s'engouffrer enfin dans une cour où elle s'arrêta. On fit
descendre De Coster, puis, par un petit escalier, monter jusqu'à un
grenier oîi l'attendait un repas, une rame de papier et des plumes :
« Restez là, lui dit-on, et sous aucun prétexte ne sortez, nous
vous le répétons, il y va de votre vie. — Bien ! » fil De Coster,
interloqué. On le laissa seul et durant plusieurs jours, il travailla.
On lui apportait ses. repas. La fenêtre de la mansarde donnait sur
une gouttière d'où le reclus pouvait voir dans les profondeurs une
cour où passaient des ouvriers.
Un soir qu'accoudé il regardait les toits au loin, un son monta
jusqu'à lui : la Brabançonne que jouait dans la cour un orgue de
Barbarie. Cet air du pays absent monta comme un hymne, De
Coster pleura silencieusement d'abord, puis jeta sa bourse, et,
n'y pouvant plus tenir, courut embrasser le joueur d'orgue, un
Flamand, et causa avec lui dans sa bonne langue natale.
Aussitôt les farceurs arrivèrent. « Malheureux, qu'avez-vous
fait? » On le remit dans un fiacre, on le reconduisit à la gare du
Nord et il rentra û Bruxelles sans avoir jamais compris.
Ce Irait n'est-il pas exquis? Seuls do tendres et pantelants
C(eurs de poète ont de pareils accès de nostalgie. Seules les
grandes ûmes -d'arliste sont susceptibles d'aimer la patrie avec
celte ferveur filiale et désintéressée. Ah ! De Gosier n'était pas de
ces Belges dénaturés qui, s'élanl expatriés, enchérissent sur le
boulevardisme le plus niais et donnent aux Parisiens écœurés le
spectacle, à la fois grotesque et lugubre, de leur apostasie! Oui,
De Coster aimait la Belgique; il y souffrait et il l'aimait d'autant
plus! Les vrais artistes sont ainsi trempés et la douleur leur est
une religion, un indispensable sacrement. Aussi est-il d'un
artiste, ce mot poignant et si juste de M. Henry Maubel :
« Qu'est-ce qui te fait croire que ce pays est ta patrie? — La tristesse
que j'y ressens ».
Ce ne fut qu'une dizaine d'années avant la mort de Charles Do
Coster que le gouvernement songea à utiliser pour l'enseignement
les ressources intellectuelles de l'écrivain. De Coster fut nommé
professeur de littérature française à l'École de guerre et répéti-
teur du même cours à l'Ecole militaire. C'est à l'Ecole militaire,
rue de Namur, que je l'ai connu pendant les six mois que j'appar-
tins à la « 38* promotion des armes spéciales ». Assez baroque
ce qu'on entendait alors par un cours de littérature française
à l'Ecole militaire. Le- prçfesseur, un monsieur dont j'ai oublié le
nom, nous dictait machinalement, d'une voix dolente, de clas-
siques exemples de syntaxe, de ces exemples qui ont traîné dans
tous les lexiques ei que la plupart des nôtres avaient appris par
cœur dès le collège, même dès l'école primaire, voire dès leurs
mois de nourrice. Charles De Gosier était censé nous interroger
sur les règles archiconnues auxquelles son collègue croyait nous
initier pour la première fois. J'ignore ce qu'il demandait à mes
camarades, mais avec moi les dix minutes d'interrogation se
passaient en une conversation familière. Plus un mot de l'her-
maphrodisme des délices et des orgues ou du machiavélisme des
participes passés. De Coster m'enlretenail des maîtres de la
poésie française, et comme j'admirais autant que lui les vers de
Victor Hugo, de Lamartine et de Musset, il m'accordait chaque
fois le maximum des points. C'était même le seul des répétiteurs
auprès de qui j'obtenais une cote supérieure à la moyenne. Les
autres me faisaient impitoyablement consigner, ou pour employer
l'argot de l'Ecole militaire, m'infligeaient chaque fois une
« brosse »,
A celte époque je courais ma dix-sepiième année et au lieu de
bloquer mes a;, de me vouer exclusivement au culte du calcul
différentiel el de la géométrie descriptive, piqué depuis long-
O'. .--f" *> ",^ ■*f«S.Tr.-«i!>, «-jaiy'
L'ART MODERNE
195
7
temps par la tarentule littéraire, je m'étais remis à faire des vers,
à composer des romans et des tragédies. Je n'ai pas besoin de
vous dire ce qu'étaient ces péchés de jeunesse ! Devant l'intérêt
que me témoignait notre répétiteur de littérature, je m'enhardis
à lui soumettre quelques-unes de mes élucubrations et tout en
m'eii signalant les innombrables faiblesses. De Coster daignait
parfois leur accorder quelque mérite.
J'ignorais complètement quel maître, quel artiste m'aidait alors
de ses précieux conseils. Jamais De Coster ne me parla de ses
propres ouvrages, ou me donna seulement à entendre qu^l fût
écrivain. Instinctivement je respectais et j'aimais ce répétiteur
original et bienveillant. Malgré sa discrétion et sa modestie, quel-
que chose dans sa physionomie me révélait l'être d'une race à
part, le monsieur qui vaut mieux que son emploi.
Je me le suis représenté bien souvent parla suite et j'ai même
souvenir de sa voix vibrante et musicale. Les cheveux abondants
rejetés en arrière dégageaient un large front de penseur. Le nez
légèrement busqué était d'une ligne aristocratique et ferme. Les
yeux brillaient, à la fois spirituels et doux. Il ne portait pas la
barbé, mais une moustache assez épaisse . lui donnait un air
militaire contrastant avec le pli réfléchi et vaguement mélanco-
lique de ses lèvres. Le visage un peu pâle était empreint d'une
souveraine distinction et des manières exquises, une toilette
simple et correcte, rehaussaient ce physique avenant. L'homme
bien né, l'homme d'intelligence et de culture supérieures se révé-
lait dans les moindres paroles, dans les moindres gestes.
. Bien longtemps après seulement j'appris que ce lettré délicat
avec qui j'avais eu de si instructifs échanges d'idées était un
grand, un très grand artiste et alors ma vague inclination pour
l'homme affable et instruit, se doiibla d'une dévotion sans bornes
pour le poète créateur d'Uilenspiegél.
Pardonnez-moi d'avoir évoqué ces souvenirs personnels, en
raison de la figure d'élite qu'ils m'ont permis de vous faire entre-
voir.
Les emplois auxquels l'avait nommé le gouvernement furent
loin de lui apporter l'aisance et le repos. Sa situationétait obérée
au point que le jour où ses créanciers le crurent casé, ils le har-
celèrent sans pitié et le poursuivirent jusqu'au se.uil de la tombe.
F^e jour où il mourut rue Sans-Seuci (rue Saiîs-Souci, quelle iro-
nie!), le 7 mai 1879, il avait connu les dernières affres de-la
misère. Le 9 mai -1879, Charles De Coster fut enterréau cimetière
d'Ixélles.
« N'y cherchez pas sa tombe », dit M. Francis Naulet à la fin
de son admirable^tude. « Aucune pierre tumulaire consacrant sa
dépouille niortelle^^ "révèle son nom. Bientôt même on lui dis-
putera la misérable retraite de terre où il est enseveli, et les fleu-
rettes du gazon ne souriront plus à ses restes anonymes. On tas-
sera, on les enfoncera davantage, car, me disait textuellement en
avril dernier le fossoyeur : « La concession n'ayant pas été
demandée, je vais enterrer dessus ».
L'isolement du romancier sera donc aussi profond après la
mort qu'il le fut |)endanl les jours de sa vie triste. Son Uilenspiegel
n'existe plus en librairie depuis longtemps. La Biblioihèque royale
ne possède même passes œuvres complètes. Aucune place, aucune
rue, aucun monument public ne fixent son souvenir. Ainsi est
honorée, en son pays, la mémoire du premier écrivain-arliste
belge qui, il y a vingt ans, lutta désespérément, seul, sans escorte
et sans appui — contre tous ! »
Ce cri de pitié, ce cri d'indignation, ce cuisant et cinglant
reproche de M. Nautet s'est répercuté et gronde sans doute dans
tous les cœurs qui viennent de l'entendre.
Espérons, n'est-ce pas, que le scandale a été conjuré, que celle
chose impie, celle profanation sacrilège n'a pu s'accomplir! Sinon
cette clameur d'indignation poussée par les artistes deviendrait un
éternel anathème !
Le moins que puisse faire la commune d'Ixélles, aujourd'hui
surtout qu*uri souffle artistique la pénètre, c'est d'accorder à la
dépouille du maître la concession gratuite et perpétuelle des
quelques pieds de terrain où elle repose.
Il faut aussi que se crée un comité de publication qui entre-
prenne une réédition populaire de tout l'œuvre de Charles De
Coster : Les Frères de la bonne trogne, les Légendes flamandes el
wallonnes, les Contes brabançons, toutes radieuses et parfumées
floraisons du terrêiau belge, et surtout cette épopée, cette bible
nationale : La Légende d'Uilenspiegél.
Enfin, nous demandons que le gouvernement fasse ériger sur
la tombe da naaflre, ou mieux encore sur une place publique, un
monument digne de sa mémoire.
Oui, érigeo'Iis au plus tôt ce monument de réparation, ce monu-
ment, expiatoire. A ce prix la postérité consentira peut-être à
pardonner aux contemporains le dénuement el l'obscurité dans
lesquels ils ont laissé périr une des plus nobles gloires de la
Belgique.
Hâtons-nous de démentir les appréhensions sinistres de
M'. Nautet. Peut-être en est-il temps encore.
Il y va de l'honneur du pays. Oh, je n'exagère pas! Entre tous
les morts, en France, en Angleterre, en Allemagne, partout, il
n'en est pas de plus commémorables que les grands artistes. .
Car c'est, sachez-le bien, de leur immortalité que dépend l'im-
mortalité de la Patrie.
La Grèce de Selon, de Périclès, d'Alexandre a pu disparaître,
celle d'Homère el de Phidias vivra jusqu'aii dernier soupir de
l'univers.
Georges Eekhoud.
M JEUNESSE ET LES JUIFS (*)
La renaissance allemande devra commencer son œuvre par le
côté le plus pourri des choses actuelles d'Allemagne : l'influence
des Professeurs el des Juifs. Il est significatif que les uns et les
autres aiment à se rencontrer, intellectuellement et socialement :
les sucs vénéneux confluent. Les professeurs des universités alle-
mandes se repentiront probablement un jour d'avoir fait cause
commune avec les Israélites, car ils deviennent ainsi étrangers
devant le meilleur de leurs compatriotes. D'ailleurs, leur passif est
suffisamment chargé. Le professeur allemand, en possession de
l'autorité extérieure d'un sage et de l'intime conviction qu'il en
est un, est capable de toute sottise.
Un professeur de l'université de Roslock, par exemple, rédigea
après 1870 une dissertation dans laquelle il démontra longuement
que Bismarck n'était absolument pas un homme d'Etal. Un pro-
(1) Voici un premier extrait (traduction inédite et littérale) du
célèbre et singulier livre Rembrandt ah Erzieher dont nous avons
rendu compte dans notre dernier num«'?ro. Il emprunte au procès Dru-
mont-Burdeau et au vent dantiséniitisme qui souffle •< à travers les
montagnes » une vive actualité. Il serait certes à sa place dans les
colonnes les plu,s ardentes de la Libre parole dont le succès grandit
formidablement et qui, vraiment, est un des journaux les mieux Ikits
et les mieux écrits de France.
196
UART MODERNE
k
fesscur de la même université, vçrs la fin du siècle dernier, écri-
vit un mémoire, 1res étendu aussi, pour prouver que les pyrami-
des d'Egypte n'étaient pas des produits de l'art, mais des produits
de la nature : une sorte de cristaux poussés de terre.
Est-il possible de proférer de plus grandes insanités?
Et pourtant toutes deux sont vraies.
Bismarck n'est pas un homme d'Etal, c'est un homme, — si
pour jauger un homme d'Etat on se place au point de vue spé-
cialiste. El les pyramides ne sont point des œuvres d'art, mais
des produits naturels, — si l'on donne à ce dernier terme l'acception
la plus élevée. Car tout travail artistique suit des lois naturelles
intrinsèques, rigoureuses, et ne se présente pas autrement qu'un
appendice ou une subdivision de la vie organique : ce qui permet
effectivement de dire qu'il est « poussé de terre ». Ainsi le pro-
fesseur a raison dans le sens organique, mais non dans le sens
mécanique. El la malédiction du ridicule tombe sur lui parce qu'il
croit avoir raison au point de vue mécanique. 11 n'est pas jusqu'à
un mouton qui ne puisse donner des oracles, pourvu qu'on les
comprenne.
Assez fréquemment les professeurs sont des augures. Mais
vienne le véritable augure, il saura lire dans leurs intestins.
N'importe, il est à désirer que le peuple allemand, pour appro-
cher de la vérité, prenne le droit chemin, non plus le chemin qui
mène par les cervelles bornées. Ce peuple devrait écouter la voix
de son cœur plus que celle de ses professeurs. Ceux-ci recom-
mandent parfois à la jeunesse allemande de suivre Lessing ; si
elle en fait mine, ils se rebiffent des pieds et des mains ou
affectent d'être au-dessus de pareilles aspirations. Voilà qui est
bien pharisien. Si Lessing, précisément, vivait encore, il serait
le plus grand adversaire desJuifs; tant qu'ils étaient les opprimés,
il les prenait sous sa protection; mais à présent qu'ils sont les
oppresseurs, les ennemis de tout ce qui est allemand, il les com-
battrait à mort. Par honneur on commence à comprendre le dan-
ger du pédantismc ; on ne veut pas encore généralement
reconnaître le danger de la jyiverie, encore que celui-ci soit plus
grand que celui-là.
A la tendance des Juifs modernes vers la domination intellec-
tuelle et matérielle, il y a un seul mol à opposer : l'Allemagne
aux Allemands. Aussi peu qu'une prune peut devenir pomme, un
Juif peu devenir Allemand. Une branche de prunier, greffée sur
un pommier, blessera l'œil ; elle sera pernicieuse, si elle apporte
la dégénérescence.
C'est ce que font les Juifs dans l'Allemagne actuelle. Il est vrai
qu'on considère cette opinion comme un préjugé. Pourtant^ les
Juifs se sont montrés trop souvent nuisibles. Ici, l'opinion una-
nime de tous les peuples et de tous les temps tombe dans la
. balance.
Citons quelques exemples seulement :
Dans la Bible, il est dit de l'exode des enfants d'Israël de
l'Egypte : « El ils furent suivis d'une nombreuse populace ».
C'est précisément cette populace, qui a eu le dessus parmi les
Juifs modernes.
Le noble poète persan Saadi pense qu'une maison avoisinéc
par un Juif descend au centième de sa valeur.
Voici l'avertissement de Luther,: « Ne le fie au renard qui dort
matin, ni au Juif prêtant serment ». Parole confirmée par les
banqueroutes juives de nos jours.
Gœthe déclare, quant au mariage entre chrétiens et juifs,
« qu'ils minent tous les sentiments moraux dans les familles,
étant donné que ces sentiments reposent sur les sentiments reli-
gieux ». Et plus d'un mariage de fonctionnaire ou d'officier lui
donne raison.
Bismarck enfin, élanl étudiant, a tenu 1^ rapière pour la pre-
mière fois contre un Juif nommé Wolf. L'attentat de i 866 contre
le même ministre fut commis par un autre Juif, nommé Cohen.
L'évolution normale de la politique intérieure du premier chance-
lier tie l'Empire allemand fui contrariée définitivement, au dire de
Bismarck lui-même, par un Juif nommé Lasker.
Celle antithèse continue du grand héros allemand et des Juifs
n'est pas fortuite. Les Juifs sont, essentiellement comme tels,
adversaires du prince de Bismarck. Ils le sont sciemment et incon-
sciemment, parce qu'il est le Germain typique. Une race qui a
donné naissance au nihilisme russe et à la démocratie socialiste
allemande et les dirige encore aujourd'hui, en grande partie du
moins, est qualifiée à bon droit de odium generis humani.
C'est de ce côté que l'Allemagne doit se montrer le amor generis
humani : la vigueur politique se doit de s'expliquer avec la pour-
riture politique.
Il doit en être en art comme en politique. Le caractère juif, qui
porte volontiers ses sympathies h Zola, est comme celui-ci l'exact
contraire de l'apparition purement germanique d'un Wallher von
dcr Vogelweide, d'un Durer, d'un Mozart, L'Allemand qui veut se
tourner vers l'un doit se détourner de l'autre. Qu'il soit enfant
comme Mozart ou homme comme Bismarck, toujours il sera l'anti-
pode du Juif. C'esl ce fossé rebelle à l'art des pontonniers qui est
la donnée dont on doit attendre un règlement durable des rela-
tions entre les deux races opposées, que ce soit dans un sens
hostile ou dans un sens pacifique.
A la vérité, acluellemenl il ne saurait être guère question quo
d'une solution hostile, vu le niveau moral inférieur do la juiveric
de nos jours. En fait de choses politiques, intellectuelles et autres,
le Juif vulgaire moderne ne se demande pas : Cela est-il bon ou
mauvais? mais bien : Cela esl-il avantageux ou désavantageux
pour moi? C'est le point de vue de Judas, le point de vue qui
trahit d'emblée rintérêt matériel : un point de vue antimoral.
Déjà Schopenhauer avail fustigé le mensonge courant des Juifs :
qu'ils sont un culte et non une race. Le même philosophe
avait désigné l'impudeur comme la caractéristique essentielle du
Juif; il avail certainement en vue les Juifs modernes qu'il con-
naissait d'observation personnelle. Or, un homme impudique ne
doit pas se rencontrer dans une société convenable.
Le Juif moderne ressemble à un noble qui a perdu son honneur
cl qui se trouve ainsi dans une situation piro que s'il n'avail
jamais été noble : il a perdu caste. Il voudrait, à cause de cela,
entraîner la société moderne à son niveau de paria. « Paria, lèche-
moi les bottes », disait Hebbel des Juifs, el à un Juif qui lui était
devenu obséquieux. LesAlIcmands devraient toujours se rappeler
celle parole cl surtout lorsqu'ils touchent à deux côtés de la vie
publique : la presse cl le Ihéûlre.
L'opinion publique et la justice sont toutes deux aveugles. Par
malheur, l'une est privée de balance, surtout lorsqu'il s'agit des
Juifs. Le journaliste devrait être un prêtre de l'opinion publique;
souvent il n'en est que le frocard. Les journaux judaïstes de nos
jours clament contre le fonds des reptiles, tout en vivant souvent
dans la dépendance matérielle outrageante des matadors de la
Bourse. Il serait à désirer qu'on leur enlevât le masque de l'hypo-
crisie, puisqu'il est aussi déshonorant de vendre sa plume à l'Etal
que de la mettre au service d'un particulier. Faire ceci et blâmer
A
cela est lout à fail pharisien. Or, le ptiarisicn est la iransition
entre le Juif et le professeur et tous trois sont anlichréliens.
Tous trois, aussi, sont anliallemands.
Ailleurs il n'en est pas autrement. La vie inlellectuelle alle-
mande," en tant qu'elle est influencée par les plus modernes, les
plus Jeune-Allemagne, peut s'appliquer le mol de Gœlhe : « La
chose sera mangée par les Juifs et les prostituées ». C'est ainsi
que, même le théâtre allemand, lequel se trouve actuellement,
pour la plus grande part, entre les mains des Juifs, en est devenu
infécond, banal et çà et là impudique. Il faudrait plus d'un Lcs-
sing pour le purifier comme pour le vivifier. Il faudrait des
remèdes énergiques.
Au siècle dernier, ministres et favorites se tenaient la main ;
dans le nôtre ce sont les professeurs et les Juifs, et chaque fois
l'union s'est faite au grand dam du peuple allemand. Ce qu'étaient
autrefois Wœllner et la comtesse de Lichlenau sont acluellemenl
Dubois-Reyinond et Paul Lindau : les deux couples agissent en
germe de pourriture, l'un sur le domaine politique, l'autre sur le
domaine intellectuel. Quand donc paraîtra le poète allemand qui
caractérisera les décomposants intellectuels comme Lessing, dans
Emilia GaleoUi et Schiller, dans Cabale et Amour, ont montré le
décomposant politique! Ah! certes, il faudrait pour cela un poète
à côté duquel Ibsen paraîtrait tendre, car il aurait à traverser
toute une mer de poison et de boue pour arriver au but; mais
aussi ce serait peut-être le saint Christophe portant le sauveur sur
ses épaules, qui rapporterait aux Allemands la naïveté. Dans
Schiller aussi, celte dernière prolestait contre une culture sénile.
Que sa statue, érigée à Stuttgart par Thorwaldsen, image à l'ex-
pression sévère d'un juge des morts, soit un symbole pour son
successeur éventuel. De cette bouche d'airain sort le jugement
contre le Juif de notre temps :
Ruse et grande puissance
Forment son armure.
Un mot suffît": il s'évanouit.
(Luther, Chant de la Réforme.)
Que tout vrai Juif ait une antipathie marquée et native contre
le Christ et Schiller, c'est un fail significatif. Dans l'hypothèse la
plus favorable, il les méprise; dans la moins favorable, il les
hait. L'un et l'autre non sans raison, car leur essence intérieure
est le contraire de la sienne. Que Schiller nous revienne donc!
Or, étant donnée la nature intérieurement saine de notre
peuple, on peut espérer que des fruits semblables sortiront
encore une fois de son sein. Tel que le juvénile poète souabe,
le porte-parole de la jeunesse allemande au cœur pur, a dénoncé
le régime des favoris, telle l'honnôle jeunesse allemande de nos
jours, presque entière, a rompu avec la juivcrie. Celte opposition
aussi est justifiée au fond. Les Juifs sont un peuple beaucoup
plus ancien que les Allemands. Dans leur ensemble et tels qu'ils
sont aujourd'hui, les Juifs représentent la phasa d'évolution qui
répond chez l'individu au vieux, au rusé, au mauvais. A ce
caractère individuel répond exactement le caractère de race : il
n'y a pas d'enfanls juifs; lout Juif, aujourd'hui, naît vieillard.
Il esl, au moral, comme son ancêtre Isaac, un produit sénile.
Le Juif moderne n'a ni religion, ni caractère, ni patrie, ni
enfants. C'est un morceau d'humanité tourné à l'aigre, de même
que l'enfer esl un morceau gâté du ciel. L'esprit infantile aryen
réagit contre l'un et l'autre. La jeunesse contre les Juifs !
La partie jeune du jeune peuple allemand — humanité double-
. ment jeune! — ressent et exprime le plus clairement ce senti-
ment. La preuve, c'est que presque toute la jeunesse allemand^
de notre temps aime Bismarck et que presque tous les Juifs
habitant actuellement l'Allemagne sont les ennemis de l'ancien
chancelier : ainsi les uns se sont prononcés pour, les autres
contre le génie national allemand. Facta loquunlur. Une fois
déjà, après 1815, les corporalionsd'étudianls d'autrefois sont entrés
en lice pour les intérêts idéaux de la patrie ; une fois déjà, elles
ont combattu des puissances ennemies de notre culture intellec-
tuelle et préparé ainsi la grande évolution ultérieure de la
nation. Telle est la situation actuelle en Allemagne qu'elle
demande un procédé semblable. Et plus d'un signe indique que
ce sera bientôt. Rappelons que la première association des cor-
porations allemandes, qui tenait haut les cœurs, n'admettait
point les Juifs parmi ses membres ; le corps des officiers alle-
mands en activité et l'ordre des jésuites les excluent encore
aujourd'hui. Voilà un triple précédent très significatif. La Jeunesse,
l'Eglise, l'Armée représentent des intérêts idéaux et sont partout
anti-Juifs. Ce>sont les brise-glace contre la juiverie moderne. On
pensera lout ce qu'on voudra de la Compagnie de Jésus, on ne
lui contestera point une bonne organisation; aux termes de ses
statuts, elle ne peut admettre dans son sein de descendants des
Juifs, même lorsque cinq générations se sont croisées. On pour-
rait recommander l'application de ce principe ou d'un principe
analogue à la vie politique allemande : la preuve des quartiers
d'aryanisme pourrait S3 faire par serment. Notre évolution intel-
lectuelle se rapproche aujourd'hui d'une solution de ce genre.
D'une façon particulière, les opinions dos étudiants allemands
ont été de tout temps le critérium de la volonté du peuple alle-
mand. Les étudiants sont encore indépendants et généralement
sains; ils habitent, pour ainsi dire, dans la vie moderne, un coin
abrité contre le vent et ne se trouvent pas devant la terrible
allernalive : périr, ou bien soutenir pendant une série de lustres
un combat acharné pour l'exisience.
C'est d'eux que peut venir une nouvelle croissance. L'étudiant
allemand n'est pas accessible aux tentations cl aux menaces
juives. « Cultiver les aspirations idéales est resUé la lâche des
corporations d'étudiants au milieu des flols d'uiii(épais matéria-
lisme », a déclaré Emin Pacha en 1890. il faudra, au matéria-
lisme, scepticisme, à la démocratie des Juifs, opposer l'idéalisme,
l'aristocratie, la foi de l'Allemand. Voilà la voie tracée, dans
laquelle la véritable et non la littéraire Jeune-Allemagne pouria
manifester de nouveau son idéalisme natif; c'est un devoir de la
suivre, en idéalisme combatif, et l'on peut dire : Plus cet idéalisme
sera disposé à la lutte, mieux cela vaudra.
Etre supérieur, distingué, n'est point se tenir à l'écart du vul-
gaire, l'ignorer : il faut combattre la vulgarité. Qui ne sait tra-
verser la boue ne peut gagner une bataille. D'où il suit que le
combat d'Allemands aristocratiques contre les Juifs ne peut être
victorieux que si le Germain se place au sommet moral et intel-
lectuel le plus haut, en invoquant la devise : Noble et tranchant.
Soyons chevaleresques, encore que notre ennemi ne l'est point.
Que la jeunesse allemande reste fidèle à ses sentiments; que par
eux elle acquière la virilité. Mais, en attendant, qu'elle aille son
chemin entre les professeurs cl les Juifs, comme le Chevalier de
Durer entre la Mort et le Diable.
198
VART MODERNE
ASSOCIATION POUR L'ART
L' « argumcnlalioii » musicale de V Association pour l'Art a
plcinemenl réussi. Organisé par le secrétaire des XX, le concert
donné dimanche à Anvers, devant un auditoire nombreux et
attentif, était exclusivement voué à la musique moderne.
Ont triomphé : Vincent d'Indy, avec son admirable Poème des
montagnes, fort bien exécuté p;ir M. Lilla, et son très beau Lied^
pour violoncelle, dans lequel M. H. Giilet a révélé de précieuses
qualités de virtuose et de musicien ; Gabriel Fauré, dont l'Elégie
a été, de même, excellemment jouée par M. Gillel; Charrier,
avec ses étourdissantes Valses romantiques à deux pianos; Rimsky-
KoRSAKOW, dont le Concerto pour piano et orchestre, exécuté
pour la première fois aux XX, a trouvé en M. Litta un interprèle
qui joint le sentiment et le style au mécanisme ; P. Benoit, enfin,
le chef de l'école flamande, dont quelques lieders, empreints
d'un charme intime et d'une poésie quasi populaire, ont été
superbement dits par M™" Soetons-Flamenl, un contralto à la voix
chaude, au style impeccable.
Il a été décidé — tant le public paraît s'intéresser à hrlentative
— que d'autres séances seraient offertes, l'hiver, aux membres de
l'Association et à leurs invités.
VENTES RECENTES
La vente Cottier, faite récemment sous la direction de
M. Durand-Ruel, présentait cet intérêt qu'on y voyait, pour la
première fois, une collection importante deMonticelli. Ces toiles,
que l'artiste vendait naguère 50 francs sur les quais de Marseille,
ont été chaudement disputées. La Fêled'Isis a atteint 10,000 fr.,
le Bal, 7,300, V Après-midi d'été, 7,000.
Quelques autres prix : Corot, Orphée, 115,100 francs; Dunes
de Zuydcoot, &^,QQQ; Clair de lune, 67,000; Souvenir d'Italie,
5,000; Courbet, Caverne, 7,000; Automne, 5,100; Daubigny,
Océan, 8,000; Ile de Vaux, 8,100; Diaz,C/iéH«5, 6,000; J. Maris,
Vue d'Amsterdam, 6,000; Mauve, Plage de Scheveningue,! ,"200;
fleure de la traite, 7,000; J.-F. Millet, Agar dans le désert,
&,iQO;K\ho[, Marchande de fleurs, 9, f^OO; le Vendeur, 5,700;
Th. Rousseau, l'Etang, 6,100; Paysage d'Auvergne, 5,000.
***
A la vente d'estampes do la collection Hulol, l'œuvre de Callot,
on 1,450 pièces, a été vendu 2,570 francs.
Les eaux-fortes de Rembrandt ont atteint des prix élevés, ainsi
qu'on en jugera par cette nomenclature :
Présentation au Temple, 600 francs ; Fuite en Egypte, 550 ;
Jésus-Christ disputant avec les doclf.urs, 700; Jésus-Christ gué-
rissant les malades (la pièce aux cent florins), 6,100; Jésus-
Christ présenté au peuple, 580; Jésus-Christ nu tombeau, 920;
Le bon Samaritain, 1,020; Mort de la Vierge, 485; Saint
François à genoux, i ,050 ; La petite Bohémienne espagnole, 785 ;
La Femme aux oignons, 505 ; Lazarus Klap, ou le Muet, 715 ;
Vieux mendiant assis, accompagné de son chien, 620; Le Lit
à la française, 925; L'Espiègle, 1,:^00; La Femme devant
le poêle, 500 ; Femme nu bnin, 603; Femme à la. flèche, 705;
Paysage aux trois arbres, 1,000; L'Homme au lait, 925;
Paysage aux trois chaumières, 1,050; Paysage à la tour, 700.
On a vendu 13,900 fi-ancs V Œuvre de Walteau, 273 planches
en 2 volumes.
Résultats d'une vente de dessins originaux provenant du
Courrier Français.
Heidbrinck : Renouveau, i^O francs ; Juive errante, 200 ; Noël,
150 ; L. Legrand : Elève de Réjane, 205; J'ai peur qu'on nous
voie. — Après! 255; H. Pille : Sortie d'église en Bretagne, 100;
l'Alchimiste, 150; Quinsac : La Farandole passe..., 100; Wil-
ktte : Etude, 175 ; Un Directeur veinard, c'est J. Roques, 100 ;
Ce sera du propre pour vos femmes, quand il n'y aura plus de
filles ! 125 ; Aïe! mon corset!... aïe!... permette!... pas, m'sieu!
415; Flore au square., cl M'sieu!...' permette d'arranger ma
jarretière? "iSÙ.
Total : environ 10,025 francs ; moyenne : 50 francs par dessin.
*** ■ ,
A la vente Barbedienne, les enchères ont été très animées.
Voici les plus hauts prix :
Troyon, Vaches, 33,100 francs; Th. Rousseau, Coucher de
soleil, 20,000; Delacroix, Jésus sur le lac de Tibériade, 27,800;
J. Dupré, Coucher de soleil, 15,600; Ch. îacqno, Clair de Unie,
5,650; J.-F. Millet, La Bouillie, 5,000.
Couture. Enfant prodigue, 5,800 francs; Petit Gille, 4,150;
Oiseleur, 4,100; Juge endormi, 4,100; Dnmoclès, 3,000; Pro-
mises, 3,600; Souper à In Maison-Dorée, 2,050 ; Amour de l'or,
1,900; Pifferaro, 1,580.
Barye. Lion au repos, 9,400 francs; Combat de tigres, 4,300;
Jaguar marchant, 9,000; Tigre couché, 7,100.
***
Enfin, à la vente des collections de MM. Haro, ont atteint :
Le Rêve d'amour, par Chaplin, 15,200 francs; le Ruisseau du
puits noir, par G. Courbet, 39,500 ; une Marine, effet de soleil
couchant, par J. Dupré, 14,300; la Rentrée avant l'orage, Tpar
Ch. Jacqiie, 10,305; la Sortie du pacha à Tanger, par Henri
Regnaull, 29,000 ; la Sybille au rameau d'or, par Eug. Delacroix,
9,700; l'Enfant Jésus devant la Vierge, par le même, 12,000;
l'Eglogue, par Henri Henner, 12,505.
Parmi les tableaux anciens signalons l'Innocence, par Greuze,
40,000 francs; les Amants heureux, par Fragonard, 12,000;
Portrait de -Saskia Ulenburgh, de Leeuwarden, la première
femme de Rembrandt, par Rembrandt, 3Q,^0(f; le Repos pendant
la fuite en Egypte, par le même, 15,000.
CONCOURS DU CONSERVATOIRE
Trompette. — Professeur, M. Gooeyens. 1" prix, M. Favart;
2"' prix, MM. Vanulfelen et Schinck; 1" accessit, MM. Baeyens et
Dralants.
Trombone. — Professeur, M. Seha. 1" prix, MM. Broeckaerl et
Lcfôvrc; rappel du 2» prix, M. Dusch ; 2" prix, M. Blangenois;
1" accessit, MM. Boon et Escagi*.
Cor. — Professeur, M. Merck, l*-'- prix avec distinction,
M. Meeus; 2" prix, MM. Delalte, Dubois et Smodts; !«'• accessit,
MM. Boon et Escaré.
Saxophone. — Professeur : M. Beeckman, l" prix, M. Car-
piaux; 2» prix, MM. Bossaert et Borré; accessit., M. Hublarl.
Basson.— Professeur : M. Neumans. 1" prix avec distinction,
M. Van Dossel; l" prix, M. Mondus; rappel avec distinction du
-'■^W-mpf^iftw^m,
LART MODERNE
199
2* prix, M. Provosl ; 2« prix avec distinction, M. Maréchal ;
2» prix, M. Boogaerts; accessit, M. Riiïlacrl.
Çlarinetle. — Professeur : M. Poncelet. 1"' prijc, MM. Van
Altenhoven elAllard; 2« prix, MM. Desmel, Coessen«, Sohy et
Lardinois; accessit, MM. Duby, Heynen el Meurét.
Hautbois. — Professeur : M. G. Guidé, i"'' prix avec distinction,
M. Cariier; 1" prix, M. De Busscher; 2* prix avec dislinclion,
M. Fonteyn; 2« prix, MM. Rovies et Van Lierde ; accessit,
MM. Verstraeten, Pidrard, Bury et Nachtergaele.
Ftûte. — Professeur : M. Anthoni. i*' prix avec distinction,
M. Nayez; 1" prix, MM. Frémy el Borlée; rappel avec distinction
du 2* prix, M. Goudry ; accessit, MM. Van Hoegarden, Scheers et
Six.
Contrebasse. — Professeur : M. Eekhautte. 1" prix avec dis-
tinction, M. Broeckaerl; 1" prix, M. Van den Eynde.
pETITE CHROJ^iqUE
Dans une conférence faite la semaine passée à l'Exposition
A' Anvers-Bruxelles , M. Louis Delmer a lu d'importants fragments
de la Fin des Bourgeois, l'œuvre nouvelle de Camille Lemonnier,
et fait applaudir comme elle le mérite cette vigoureuse el litté-
raire étude.
Camille Lemonnier occupe précisément beaucoup la presse fran-
çaise. A une attaque imprévue et injustifiable de M. Bernard Lazare
dans l'Evénement, attaque qui môme s'en prend à tout notre mou-
vement littéraire, si intense, si varié, si admirablement national,
répond avec justice et énergie un article de M. Adolphe Tabaranl
dans l'Endehors. L'article de M. Bernard Lazare n'est, au fond,
que la diatribe, non d'un Français, mais d'un Hébreu qui ne sait
Tien de nous, de notre tempérament, de notre art.
Dans un fort bon article de Fernand Roussel, le Mouvement
littéraire, excellente el vaillante revue nouvelle qui, à peine à
son neuvième numéro, a pris place au premier rang, répond à
son tour. Elle dit :
« Si M. Lazare avait fail œuvre absolue de critique, argumen-
tant sincèrement sur M. Camille Lemonnier, nous eussions élé
des premiers à lire avec joie le jugement du poète du Miroir des
Légendes. Malheureusement, séduit parla campagne naguère menée
si petitement par M. P. Adam, Bernard Lazare égare son jugement
en des considérations vraiment mesquines. Accuser, comme il le
fait avec cette extrême violence, de copie un très grand écrivain,
un de ceux les plus intérieurement requis par toutes les curio-
sités de son art, me semble d'une singulière anémie d'idées,
émises par un artiste, et dévoile une étrange colère à l'égard d'une
littérature bien particulière, bien haute, victorieuse !
Et il est triste de voir entrer en lice, armé d'idées maladroites
et préconçues, usant des phrases spécieuses, pour ce méchant
combat, un subtil écrivain. Des polémiques semblables seraient
meilleures pour le marchandage pénible de certaines réputations
qui ne valent, certes, pas la belle el robuste lutle, le constant el
victorien^ effort que soutient depuis plus de vingt ans Camille
Lemonnier. »
La collection originale des aquarelles Tours et tourelles de la
Belgique qui ont valu tant de succès à M. Jean.Baes, leur auteur,
vient d'êirc acquise par M. Grosjean pour servir de décoration à
un lambris dans son nouvel hôtel de la rue Royale. Dans ces con-
ditions l'aquarelle prend rang parmi les éléments décoratifs des
appartements.
M. Baes a reçu en outre la commande de vingt-cinq vues de la
Belgique qui sont destinées à décorer un cabinet de travail dans
le Minnesota (Amérique).
Les concerts du W.aux-Hall présentent celte année un véritable
intérêt artistique.
On y a entendu celle semaine M"« Dyna Beumer, M. Marcel
Lefèvre, M. Florissenne, baryton de l'Opéra d'Amsterdam, qui
lous trois ont reçu l'accueil le plus sympathique.
Mardi prochain, on applaudira M. Isnardon, l'ancien pension-
naire de la Monnaie, qui a laissé à Bruxelles d'excellents souvenirs.
Le concert de jeudi sera consacré aux œuvres de Wagner el de
Peter Benoit. On entendra notamment la transcription de Joseph
Dupont sur les Maîtres-Chanteurs, l'ouvcrlure de Tannhâuser,
le prélude de Lohengrin, h « Chevauchée des Walkyries », l'ou-
verture, l'enir'acle et la valse de Charlotte Corday, etc.
Samedi nous aurons la bonne fortune d'écouter l'un des plus
brillants violonistes français, M. Rivarde, qui interprétera le Con-
certo de Mendelssohn el les Airs russes d'H. Wieniawski,
La direction prépare en outre dès à présent, pour le 2 juillet,
un concert extraordinaire réservé à la jeune école française dont
l'orchestre exécutera pour la première fois une série dé composi-
tions inédiles signées Vincent d'Indy, Gabriel Fauré, Ernest
Chausson, Pierre de Bréville, Emmanuel Chabrier.
M. Gustave Kefer prépare pour la prochaine saison musicale
une série de séances consacrées exclusivement à l'œuvre de
J. Brahms. Il compte faire entendre des sextuors, quintettes,
quatuors, trios el sonates, ainsi que des duos, trios el quatuors
vocaux.
Le local sera choisi en vue de l'intimité à conserver à celle
musique si bien appelée « musique de chambre ».
C'est aujourd'hui dimanche, à midi, que s'ouvre à Namur la
huitième Exposition internationale el triennale des beaux-aris.
La Mer, de Paul Gilson, a été exécutée à Anvers. Accueil aussi
enthousiaste qu'à Bruxelles. Le public des Concerts populaires,
d'ordinaire clairsemé, était accouru en foule. Interprétation très
remarquable sous la direction intelligente de M. G. Lenaeris, un
chef aussi méritant que modeste. Supérieurement chanlé, le dan-
gereux solo de cor anglais de la troisième partie, par M. Rovies,
élève de M. Guidé, l'excellent professeur de hautbois du Conser-
vatoire de Bruxelles. Le poète Pol De Monl a dit les vers d'Eddy
Levis avec beaucoup de charme el de sentiment.
Le Collège de Bradfield, qui garde sévèrement le culte des
tragiques grecs, prépare pour le 23 juin Une représenlatipn
d'Àgamemnon qui sera une fidèle et ariislique restitution du
théâtre antique. La carte d'invitation que nous avons sous les
yeux porte les curieuses recommandations suivantes :
Les spectateurs sont priés de ne pas pénétrer au parterre avant
4 heures, moment où le premier appel de Irompetles retentira
dans les jardins du Collège.
A 4 h. IS, seconde sonnerie au parterre, au moment oïl les
spectateurs sont priés d'occuper leurs places.
A 4 h. 30, troisième sonnerie au parterre pour obtenir le
silence, au moment de la représentation.
On rappelle que les conditions d'une représentation au grand
jour, alors que les acteurs voient chaque mouvement des specta-
teurs aussi distinctement que ceux-ci peuvent suivre les mouve-
ments des premiers, sont de beaucoup plus difficiles que celles des
représentations actuelles où la rampe dérobe aux acteurs la vue
de la salle. En conséquence, les spectateurs sont priés :
1» D'occuper leurs places ponctuellement au second appel des
trompettes, plus spécialement au moment où, selon l'usage antique,
le chœur fera son entrée par les mômes portes que les spectateurs;
2» De ne pas quiilcr leurs places au cours de la représenta-
tion, mais d'attendre la sortie du Chœur.
On fournira des coussins îi tous les spectateurs à l'entrée du
théâtre. On conseille aux danies de se munir d'éventails pour les
garantir du soleil, mais on les prie de ne pas apporter de para-
pluies ni de parasols.
S'il survenait une averse, la représenlalion serait interrompue
pour un certain temps par le chorège.
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r^" \
# V -ti
Douzième année. — N° 26.
Le numéro ^J^C centimes.
Dimanche 26 Juin 1892.
PARAISSANT LE DIMANCHE
1 1 ■', ■ 1
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
~ Comité de rédaction i Octave MAUS ->- Edmond PICARD — Èmilb VERHAERÈN
r-— I — j-
=^a»
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. iO.O^v Union postale, fr. 13.00. — ANNONCES : On traite" à forfait.
,". . Adresser toutes les communications d
i/admenistbation GÉNÉRALE DE TArt Modemo, rue de l'Industrie, 32, Bruxelles.
^Ô M M AI RE
JsAN-Louis Forain. La Comédie ;parisienne: — ^^ndré Fontaxnas.
Les Vergers Uliaoires. — L'Apollonipe. — L'Exposition d'Ixbllbs.
— La Bonne a tout faire. — Correspondance. — Concours du
gonservàîoirb. — bibliographie musicale, — petite chronique.
: JEM-LOinS FORira
-La Comédie parislMUte, 250 dessins. — Qiarpentier
et Fasquelje, édit. Paris.
Non pas que tous ces dessins réunis en un volume
aient conservé la netteté et le charme qui les rendaient
prodigieusement attrayants dans le Courrier français
ou le Fifre t — car lé tirage est parfois obscur et
embrouillé, — mais il est bien amusant de feuilleter
ce Charpentier illustré, à couverture coloriée, et l'on
se rend un compte assez complet de l'œuvre de
J.-L. Forain, jusqu'ici éparpillée en maints journaux.
Forain apparaît un des dessinateurs les plus person-
nels et les plus puissants du siècle. Il fait partie de la
pléiade des Daumier, des Gavarni, des Rops/des Degas.
Certes il n'érige pas des entités symboliques comme
l'auteur àsk Sataniqites; il est moins universel que
Daumier, qui a prodigué de formidables « coups de
gueule n à toutes les classes de la société qui s'offrait à
ses appétits d'ironie; mais il est aussi féroce que lui; et
dans la catégorie des mœurs qu'il fouillé et fouallle, il
est aussi acerbement et amèrement pénétrant.
C'est vers un monde spécial que Forain dresse les
piqués de sè$ crayons malicieux, un monde où'sou.filé
le vent des coulisses et où froufroutent les jupes dé
gaze des danseuses, un monde mordu d'un reflet ardent
des cabinets particuliers, des tabagies louches, des trofc
toirs équivoques, des salles de jeu. On y respire la
graillonneuse odeur des restaurants de nuit, l'indétinis-
sable senteur du théâtre et de ses décors, de ses cou-
loirs, le relent dé lits que le « louis » d'un passant a
jetés dans un hâtif désordre. C'est un monde vicieux,
canaille, et quand l'artiste ouvre quelque jour sur- le
monde bourgeois, 'c'est pour mettre en relief ses tares
les plus cruelles. L'on croirait alors voir et entendre
comme des personnages des comédies d'Anoey, dont
l'art s'apparente singulièrement à celui de Forain.
Ainsi deux « mamans » grassouillettes, dans un salon
boui^eois, l'une caressant un chat qu'elle dorlote sur ses
genoux, parlent de leurs fils :
— Eh bien, votre aîné commence-t-il /à devenir
raisonnable? '
— Nous sommes ravis de sa conduite, il a une
petite femme mariée très comme il faut]
Ou bien la mère erre à SA fille : '
— , VtVe, cache tes^bijoucç.,, voilà ton père:.'
.■^jik
mmmm
J0^f^
202
UART MODERNE
Et le père, montrant une danseuse à son fils, lui
demande :
— Voyons, André, comment la troiives-iu, toi qui
es un homme?
— Idéale, papa!
— Eh bien, c'est pour elle qu'on me fait tant de
misères à la maison .'
Toutes ces légendes inscrites au bas des dessins, tan-
tôt vives, alertes, troussées avec piquant, désinvoltes
ainsi que lep plus coquettes des petites qui cherchent à
« souper », d'autres fois implacables, aiguisées comme
des couteaux, sont les coups de crayon décisifs qui
achèvent les dessins et leur donnent leur dernière signi-
fication. Ce sont aussi les signatures diaboliquement
griffées, froidement impitoyables qui soulignent les sil-
houettes, malignes des croquis.
Mais c'est surtout dans un demi-monde bien parti-
culier et curieux que Forain a taillé ses types de
diiection.
Que de portraits passent ainsi, tracés d'un crayon
nerveux, impatient et moqueur, — avec des traits
rapides, d'une adresse inouïe, spirituels et légers,
dessinés par ce Japonais de la plus subtile essence pari-
sienne!
L'âme de ce monde, c'est la Fille. Celle-ci se détaille
en nuances multiples, depuis cette mineure salace qui,
mi-vêtue, rajuste sa chevelure, tandis que sa mère, une
brosse à la main, exprime sa reconnaissance à un
^nonsieur essoufflé, porteur d'une serviette qui le fait
présumer député : « Ah ! Monsieur le comte, jusqu'à
quelle heure avez-vous gâté notre Nini'i La voilà
qui rate son Conservatoire! » — jusqu'à la franche
« marmite « dépoitraillée de banlieue, boulotte mal
enfermée en un corset ôté dix fois par soir, et devant
laquelle un vigoureux - marlou », à la cravate lâche,
hurle, les poings menaçants : « Qui qu'a encore dit
qu'fétais un' salope? » Il y a aussi la soupeuse : « On
croit qu'elle soupe..... elle déjeune! y — la poseuse :
— Tes parents, est-ce qu'ils savent que tu poses?
— Oui... maman!
V " entretenue «, que sa cuisinière questionne :
— Alors, madamene rentreras dîner? ... Madame
n'oublie pas son tire-bouton ?
ou, encore, la petite noceuse des temps de carnaval
qui, costumée en marmiton, porte hors la chambre les
bottines d'un monsieur apoplectique, chauve, largement
« bretelleux ", pesamment mis à l'aise sur un pouf, et
lui avoue d'un air naïf, le nez retroussé :
— C'qui me plaît dans ta bande, c'est que vous
êtes polis avec les femmes !
Toutes, jusqu'à la nerveuse à laquelle « s'intéresse -
un homme marié, à qui elle lance avec rage, en se rafis-
tolant devant ça lable de toilette : « Si tu y retournais,
chez ta femme! «, jusqu'à la gamine rouée qui cajole
un richard bedonnant : « C'est pas pour te flatter,
mais t'épates maman! », les voilà croquées, les piètres
pauvresses de l'amour, les trayeuses de l'obscénité bour-
geoise, les rongeuses des pièces d'or enlevées aux jeux
de la Bourse, les mangeuses des revenus patriciens, les
sangsues collées aux médiocres et pleutres vices des
classes qui dirigent. Mais celle que Forain se plaît
surtout à dessiner, c'est la danseuse. Elle est le joyau
de son cycle. D'abord la danseuse débutante qui, le
matin, rince les assiettes du ménage de ses parents en
une mansarde, mais brille le soir, épanouie, le maillot
rose dans ses jupes, ainsi que dans une large fleur.
Bientôt elle acquiert une expérience et de l'autorité
et elle commande à quelque gommeux :
— C'est à prendre ou à laisser : fveux que ai
mènes ma mère au Bois.
Et arrive le moment où, « connaisseuse »>, elle glisse à
l'oreille d'une amie, envoyant passer, parmi les coulisses,
un gaillard singulièrement et longuement « favorisé » :
« Rothschild a ! " '
Autour de ces fleurs de vice, voilà leurs jardiniers,
ceux qui les soignent et les cultivent. Au premier plan,
celui qui entretient : le gras monsieur chauve, de blanc
cravaté, aux chairs ballonnées et au dos rond, et qui se
lamente auprès d'une impertinente ballerine :
— Ma petite Marthe, c'est donc bien difficile de
mètre fidèle ?
Puis l'inconnu, cueilli au passage, sous un réverbère
et qui, le col de son habit levé, suit à travers un froid
corridor une <• trimeuse » à l'aspect phtisique, — tous
les deux frileux à la clarté d'un bougeoir et portant en
leur physionomie la triste et pénible banalité des trot-
toirs nocturnes.
C'est encore le gommeux abêti, triste dégénéré d'une
fin de race, piteux sylvain des verts décors allumés au
gaz des coulisses, ou le vieux- général à barbe blanche,
trop friand des petites ndnnes de Robert le Diable ;
— ... Faut attendre encore un an, mon général.
Et tous les comparses : l'ouvreuse et l'habilleuse des
théâtres, ja soubrette des femmes galantes, la mère
qui apprend à sa fille comment on réussit dans le
monde interlope et qui guide ses premiers pas dans la
carrière horizontale, la tireuse de cartes, les garçons
de café, — toute la ruche du vice parisien : les abeilles,
les frelons, les bourdons.
Et derrière, avec un ricanement sinistre, s'iraposant
en maître, le souteneur :
— Xvois bien ça, t'as besoin d'une volée...
Mais on l'aime bien, quoi qu'il soit rosse; on ne
l'oublie pas les soirs de haute noce et on lui envoie en
cachette des bouteilles de vin par le garçon :
— Achille, lu serais bien gentil de porter cela à
mon petit Paul qui m'attetid près du kiosque.
Et quand un « miche sérieux » s'attarde à se reposer
^,^ , j"'Vvjr'"T«(L'*';r'<^t,««^*7'
LART MODERNE
203
trop longuement dans le lit de la « marmite «, elle se
dit :
— Quand j'songe que mon petit Victor m'attend,
ce que j'ai envie de te casser la gueule!.' ■
Les Vergers illusoires
Art fait de couleurs élincelanles et de passion. A quoi me fait-il
penser? A une chose riche, douce, — trop riche, trop douce.
Je sens la bonne crudité de la vie dans quelques pages de passion
(pp. 24 à 28, dédiées à Iwan Gilkin), les plus belles, les plus sen-
ties de tout le recueil; « les plus senties »... n'est pas juste. Tout
est senti dans ces vers, très senti, mais aussi très pensé, trop
pensé.
Je crois que M. Fonlainas, avec beaucoup d'artistes nés à une
époque de transition comme la nôtre, voit dans l'art deux choses :
l'impression et sa forme. Ses beaux vers sont trop souvent la
robe brillante cl non la chair de son rêve, et, dans cette décora-
lion si amoureusement ciselée, je ne retrouve pas la forme néces-
saire de son impression personnelle.
Le mouvement que nous faisons pour secouer les vieilles formes
nous rend fiers et nous trouble malgré nous, et nous nous com-
plaisons tant à relisser nos nouvelles pjumes que nous en oublions
de voler.
Pourquoi je m'arroge le droit de trouver qu'il y a disproportion
entre la forme cl le fond, — que celle-là n'est pas l'émanation,
l'arçlvleclure naturelle de celui-là? Je ne sais pas. Il se peut
que je ne comprenne pas. Nais le manque d'harmonie entre
l'odyssée de cet être ennuyé puis curieux, puis blasé, puis
résigné, et celte jeune forme si chaudement colorée, m'irrite.
J'é suis furieux de trouver dans les Vergers illusoires tant de
choses à admirer. Et malgré moi je relis et je note des trouvailles
lumineuses, comme celte prophétie d'orage faite à ceux qui ne le
voienl pas venir :
Vous avez tant vécu sans l'émoi de la vie I
Dans l'apparente paix de la route suivie.
Vos yeux doux se sont clos aux présages d'horreur.
El ces étranges vers de treize pieds dédiés à M. Maurice Clouel,
— nostalgie et désespoirs :
Nos yeux veulent voir les grands mirages aveuglants.
Hébétés de songe illusoire, nos cœurs dormants
N!osent aspirer le feu des nocturnes haleines.
Et portent, ployés au joug obstiné des tourments.
Toujours l'âpre fardeau «Jes réalités vaines.
Et ceux-ci :
Les fleurs des chairs de femme ont tari leurs parfums
Et tous ces vergers d'or, ces jardins de mes rêves
Où nul fruit doux ne s'offre aux ardeurs de mes lèvres,
Sont clos, mornes tombeaux, sur mes orgueils défunts.
El ce sonore épisode de chasse, — mort, accompagnée de cla-
meurs de joyeux tumulte, de la pauvre bêle traquée.; — et ces
vers sous l'épigraphe : The lady sleeps, el tant d'autres.
Ai-je plus admiré que délesté? Je n'en sais rien moi-même;
el ce doute prouve que je n'avais pas affaire. à un esprit ordi-
naire. ■ ~*
L'APOLLONIDE
Nous avons annoncé qu'il est sérieusement question de repré-
senter à l'Opéra de Paris, avec M. Ernest Van Dyck dans le rôle
principal, l'ApoUonide, de M. Franz Servais. La presse française
se montre très favorable à ce projet, qu'elle considère, indépen-
damment de son grand intérê artistique, comme une politesse
à faire aux artistes belges, en remerciement de l'accueil fait par
nos compatriotes aux compositeurs français. Voici l'important
article que consacre, dans l'Echo de Paris, M. Armand Silvestre
à l'œuvre de MM. Leconte de Lisle et Servais. L'Echo étant
consigné à la frontière, l'étude peut être considérée, en Belgique,
comme inédite.
« La récente reprise, à l'Odéon, des Erynnies, reprise que nous
eussions souhaitée à la Comédie-Française, a fait regretter, de
nouveau, à tous les lettrés, que Leconte de Lisle n'ait donné que
celle seule œuvre à la scène. Ceux-là seulement qui connaissent
ce haut el fier esprit, comprennent aisément qu'il s'accommode
mal de tout ce que les choses de théâtre comportent d'artificiel,
d'arbitraire et de contingent. Nous savions cependant que le grand
poète avait écrit une autre tragédie, el une bonne fortune véri-
table en ayant mis le texte entre nos mains, nous pensons que
notre joie littéraire est bonne à partager avec ceux qui nous font
l'honneur de nous lire, les chefs-d'œuvre étant particulièrement
rares de ce temps. Parmi tant de petits événements où se distrait
la curiosité publique, c'en est un véritable que l'apparition cer-
taine d'un ouvrage destiné à de longues admirations, affirmant
une fois de plus l'immortelle gloire des lettres françaises et la
vitalité d'un des plus nobles génies de ce temps. Et je dirai, un
peu plus loin encore, pourquoi c'est un événement à un double
litre, à un moment où le drame lyrique lente une régénération si
intéressante par une union plus intime entre la pensée écrite el la
pensée chantée, ne faisant plus des sons qu'une expression vivante
de l'âme qui s'exhale dans leur mélancolie ou dans leur gatté,
révolution admirable et dont le plus grand musicien du siècle
donna la formule la plus parfaite en écrivanl, lui-même, les
poèmes de ses opéras.
Mais c'est à la beauté purement littéraire de l'œuvre que je
veux m'atlacher tout d'abord.
L'ApoUonide, — ainsi s'appelle le drame antique de Leconte
de Lisle, — est une adaptation sommaire et magistrale du Idn
d'Euripide, ou, mieux, c'est une œuvre nouvelle inspirée des
mêmes événements. L'âme grecque n'y revit, en effet, que par la
splendeur du mythe et la hauteur constante de l'inspiralion. La
forme esl absolument personnelle à l'auleur, la plus élevée et la
plus sonore que puisse revêtir notre vers français, claire et
vibrante comme le cristal, la langue où se résume toute l'évolu-
tion d'une poésie déjà mûre, peut-être, pour les déclins, en tous
cas une protestation magnifique contre la juvénile insolence des
décadents. Que ceux-ci mesurent l'abime entre cette harmonie
puissante et virile, laquelle est comme le bruit de la mer, et les
subtilités musicales où se complaît leur fantaisie, avant tout mala-
dive el efféminée! (i) Dans l'ApoUonide, au souffle d'Euripide se
mêle, aussi lointain d'ailleurs et aussi glorieusement rajeuni, le
souffle de notre Corneille. Si mon enthousiasme déborde pour
(1) Inutile, n'est-ce pas, de faire nos réserves en ce qui concerne
l'opinion de M. Armand Silvestre sur la poésie contemporaine? On
connaît nos idées.
204
UART MODERNE
celle œuvre superbe, c'est qu'elle affirme, sans reniement, sans ^
défaillance, l'auguste parenté de nos maîtres avec ceux de l'hé-
roïque antiquité.
Le sujet, développé en trois parties, mais comportant cinq
tableaux, est de ceux qu'il suffit de rappeler. Comme tous ceux
des belles tragédies grecques, il ne comporte aucune complica-
tion habile et se peut conter en deux mots. Kréousa, fille
d'Erékhthéc, a eu, d'Apollon lui-même, un fils, lôn, qui lui a
été enlevé et qu'elle croit dévoré par les bêles sauvages. Fidèle à
son ancien amour, elle a néanmoins épousé Xanthos, roi d'At-
lique. Mais tous les deux demeurent sans enfants. Or, le roi, dési-
reux de postérité, s'en vient consulter l'oracle de Delphes qui lui
déclare que lôn, miraculeusement sauvé et élevé dans le temple,
est son fils. Kréousa, qui vient de se trouver face à face avec son
enfant, sans le rr ;nnaîlre, ne peut supporter l'idée que,
tandis que son fils, iC fils d'Apollon, est sans sépulture, un étran-
ger en prenne la place au pied du trône. Elle charge un vieillard,
dévoué à sa famille et dont elle a fait son confident, d'empoison-
ner lôn. Mais le forfait est découvert avant d'êlre accompli et
Kréousa est condamnée à mort. C'est lôn, son propre enfant, que
le Destin désigne pour la frapper. C'est au moment où celui-ci va
obéir qu'une pylhonisse jette, dans les bras l'un de l'autre, la mère
et le fils dans la plus admirable scène de reconnaissance qui soit
au monde. Une apothéose grandiose montre l'Alhènes future sur-
gissant à l'horizon, patrie des Muses et de la Beauté.
Ainsi, dans ce drame poignant, tour à tour les jours du fils
sont menacés par la mère et ceux de la mère par le fils, en une
suite de fatalités merveilleusement logiques, s'imposanl avec un
caractère inouï de réalité, s'appuyanl sur des ressorts purement
humains et passionnels que meut une loi plus haute, celle des
destinées. L'impression religieuse en est indicible et jamais l'ôme
tragique ne s'éleva plus haut dans une conception plus nette et
plus féconde en situations.
Mais c'est surtout par la splendeur de la forme, mieux encore
que par certains détails d'une heureuse invention, que Leconte
de Lisle a fait celte noble fable absolument sienne. On sait de
quel marteau puissant il forge l'alexandrin, mais jamais il n'avait
ciselé la strophe avec une perfection lyrique aussi soutenue et
aussi constante et passé aussi audacieusement du ton de l'épopée
au ton de l'ode, assouplissant les rythmes sans rien ôter, au
mêlai, de sa solidité originelle. Ecoulez plutôt ce que chante
lôn, au début même de l'ouvrage :
STROPHE
O laurier qui verdis dans les jardins célestes
Que l'Aube ambroisienne arrose de ses pleurs I
Laurier, désir illustre ! oubli des jours funestes.
Qui d'un songe immortel sais charmer nos douleurs I
Permets que, par mes mains pieuses, ô bel Arbre,
Ton feuillage mystique effleure le parvis,
Afin que la blancheur vénérable du marbre
Eblouisse les yeux ravis I
ANTISTROPHE
0 sources, qui jamais ne serez épuisées.
Qui fluez et chantez harmonieusement.
Dans les mousses, parmi les lys lourds de rosées,
A la pente du mont solitaire et charmant !
Eaux vives ! Sur le seuil et les marches pythiques
Epanchez le trésor de vos urnes d'azur,
Et puisse aussi le flot de nos jours fatidiques >
V Couler, comme vous, chaste et pur I - •
Quel arôme puissant d'art grec on respire dans ces vers dune
si belle clarlé française !
Ecoulez encore Kréousa contant au vieillard sa faute divine :
STROPHE
De ses ceintures longtemps closes
L'aube faisait pleuvoir des roses
Au ciel étincelant et frais ;
Le vent chantait sur la colline,
Les lys que la rosée incline
Parfumaient d'une odeur divine
L'air léger que je respirais !
ANTrSTROPHE
J'allais, foulant les herbes douces,
Eveillant l'oiseau dans les mousses
Avec mes rires ingénus :
J'entrelaçais en bandelette
X L'hyacinthe et la violette;
Dans l'eau vive qui les reflète
Je baignais mes pieds blancs et nus.
EPODK
Et tu survins alors, ô roi des Piérides,
Ceint du fatidique laurier!
Terrible et beau, pareil au chasseur meurtrier
Qui poursuit les biches timides,
Apollon ! Apollon ! ô ravisseur impur !
Tu m'emportas mourante au fond de l'antre obscur,
Suspendue à tes mains splendides.
Voilà les beautés lyriques qu'on rencontre dans l'Apollonide à
chaque pas.
Certes, de tels vers portent ea eux-mêmes leur musique.
Leconte de Lisle a fait cependant à un musicien l'honneur de le
prendre pour collaborateur et je sais qu'aujourd'hui que l'oeuvre
est terminée il s'applaudit du choix qu'il a fait, l'œuvre du com-
positeur n'ayant pas, un seul inslant, trahi sa pensée.
C'est un prix de Rome, Belge, porteur d'un nom illustre,
M. Franz Servais, qui a conduit et mené à bien, au gré du maître,
cette œuvre difficile. Très imbu des traditions nouvelles du drame
lyrique, ancien familier de Richard Wagner qui en faisait le plus
grand cas, M. Franz Servais a eu toutes les abnégations que com-
mandait le respect d'un tel poème, et toute sa grande science,
tout son tempérament mélodique, bien que puissant par lui-
même, il les a humiliés, pour ainsi parler, dans l'unique souci de
faire revivre la pensée du poêle dans une plus grande intensité
lyrique d'expression. Il a chanté l'immortelle langue que Leconte
de Lisle .avait parlée. De ce concours intelligent, noblement
sacrifié, est résultée une œuvre homogène, complète, d'une
pureté remarquable, un monument singulièrement imposant et
d'un charme majestueux qui s'impose. Tous ceux qui ont entendu
plusieurs fois cette musique en ont été plus profondément péné-
trés. C'est comme une liqueur très intense et très pure dont on
est intérieurement réchauffé et dont la dernière goutte laisse un
arôme très lent à s'évanouir. Le temps est d'ailleurs bien venu
pour cette manifestation d'art pur et, indépendamment de notre
joie, à nous autres poètes, qu'un de nos maîtres les plus admirés
soit applaudi une fois de plus sur notre première scène, ce serait
un honneur, pour l'Opéra français, de l'accueillir et de lui donner
la splendeur de réalisation artistique qu'elle comporte.
Et ce serait une habileté, en même temps.
Sigurd et Salammbô, qui triomphent actuellement à l'Opéra,
n'ont-ils pas dû, comme Hérodiade, le jour à l'hospitalilé belge,
et ne serait-il pas vraiment temps de rendre politesse pour poli-
tesse, en accueillant un de ses compositeurs, à un peuple ami
qui a tant fait pour les nôtres! L'Apollonide a tout ce qu'il faut
pour être l'occasion de cet acle de courtoisie internationale, et
j'imagine que nos voisins, qui tiennent le talent de Franz Servais
-^
> •' '■' ''^- V' /*'*^--î/'*y ■ rr^'Vi'-'^*^^
\
en irès grande estime, y seraient absolument sensibles. L'beuvre
est à demi française, par le grand poôle qui l'a signée. Elle le
deviendrait tout à fait, en prenant parmi nous, — et certainement
par une victoire, — ses lettres de grande naluralisalion. Je suis
un médiocre politique, mais je crois que l'injuste accueil fait,
sous l'Empire, à Tntinhaiiser, n'a pas été, de l'autre côté du Rhin,
un médiocre ferment de haine contre nous. En dépit des appa-
rences, en ce siècle, c'est à sa gloire artistique qu'un peuple tient
le plus, et le plus sensible outrage qu'on lui puisse faire est de
le contester. L'art doit être le grand élément de rapprochement
entre les races, et Orphée devient le grand dompteur de fauves,
dans l'humanité comme dans le reste des espèces. Nous, les
artistes et Jes poètes, qui aimons la Belgique pour y avoir tou-
jours élé merveilleusement reçus, nous serions heureux de voir
noire dette ainsi payée par la réception de VApollonide, et ce
sérail, des deux côtés de la frontière, une large et innombrable
poignée de main, dans l'ombre inutile des forts qui se dressent et
où s'éteindrait, dans un hourrah fraternel, le grondement inquiet
des canons. »
L'EXPOSITION D'IXELLES
Dans les locaux qu'ensanglanta naguère l'abalage des bœufs et
des innocents moutons, l'Exposition d'Ixcllos développe la théo-
rie des peintres et des sculpteurs dont s'iuonore la commune.
Quatre salles, bien éclairées, dont deux sont entièrement occupées
par le legs fait par feu Edmond de Pratere — une centaine de
toiles, animaux, figures, paysages, — et par les rudiments du
Muséeen formation, — bahuts, ferronneries, faïences, objets d'art,
— puis une vaste galerie destinée à servir de salle des fêtes, et
dans laquelle conférenciers et musiciens se succèdent de semaine
en semaine, depuis le début de l'Exposition, au milieu des toiles,
des bronzes, des marbres, décor chatoyant cl charmant que
l'usage consacre de plus en plus.
La section rétrospective renferme bon nombre de tableaux
remarquables. A côté de Wieriz, de Billoin, de Bovie, dcLaulers,
de Fourmois, de Kindermans, d'Henri et d'Adolphe Dillens, de
Louis Robbe, de Van Moer, les vétérans de l'Ecole ixelloise (mais
oui! pourquoi pas?), s'alignent Agnecssens, dont on retrouve avec
émotion quelques œuvres magistrales : Java, la Liseuse, l'An-
glaise; Boulenger, avec un superbe Soleil couchant ; Charles De
Groux, àoniV Enterrement, une toile fort peu connue, révèle une
intention satirique assez inusitée dans l'œuvre du maître; Liévin
De Winne, qui demeure le plus beau portraitiste de notre école na-
tionale; Hubcrti ; Eugène Maus, dont trois beaux paysages, d'une
couleur intense, font regretter la mort prématurée ; Emile Sacré,
qui révéla dans ses Juges et dans le Portrait de sa mère des dons
d'observation peu ordinaires joints à une parfaite siireté de mé-
tier; Van Camp, dont on a exposé deux belles œuvres : un por-
trait et un buste de jeune fille, aux colorations argentées.
Les vivants sont innombrables. C'est à croire que tous les
peintres contemporains habitent la commune d'ixcllcs. Citons
ceux dont les envois dominent.
C'est, d'abord, Joseph Stcvens, qui expose quatre œuvres : La
vieille Lise, le Chien et le singe. Chien et Chat, Chien au canard,
qui ont déjà la patine dorée et veloutée des vieux maîtres. Non
loin, Constantin Meunier érige ses figures de travailleurs qui sont
de l'éloquence coulée en bronze. De superbes dessins, spéciale-
ment des Lutteurs, un Homme allant sa faux, et deux toiles :
Hiercheuses et Mineurs au Borinage, complètent son magistral
envoi. Voici M-"" Marie Collart dont le Paysage d'hiver et le
Paysage à Droogenbosch ont la précision des peintures gothiques ;
Louis Lenain, exact et consciencieux interprète des maîtres d'au-
trefois; l'humoriste David Oyens; Félicien Rops, dont le dessin
rehaussé, Oncle Claes et Tfl?!/e Jo/ianjia, popularisé par l'eau
forte qu'en a gravée l'artiste, compte parmi les plus beaux ;
Ch. Slorm de Gravesande, qui expose d'excellentes pointes sèches
et d'amusantes esquisses; Alfred Verhaeren, Isidore Verheyden,
Charles Hermans, Henri Van der Hecht, Guillaume Vogels, Jules
du Jardin, Maurice Hagemans, les sculpteurs Julien Dillens, De
Ruddcr, Charles Samuel, auteur du projet de monument à
Charles De Coster, que vraisemblablement la commune fera pro-
chainement ériger, Fernand Dubois, les aquarellistes Uylterschaut
et Cassicrs, etc., etc.
L'Exposition, on le voit, pour n'avoir point de tendance déter-
minée, n'en est pas moins intéressante. Elle est surtout extrême-
ment variée. Jamais Ixelles ne s'est trouvé à pareille fête. El c'est
le cas de dire :
Ah ! qu'on est fier d'être Ixellois 1" ■
Quand on contemple le Musée !
LA BONNE A TOUT PAIRE
par MM. Oscar Méténier et Dubut de Laforest.
Dans le roman de M. Dubut de Laforest qui a servi de trame h
la pièce que M. Baron et ses camarades des Variétés ont jouée hier
cl avant-hier, avec un très grand succès, aux Galeries, Félicie est
un personnage redoutable qui précipite les catastrophes dans
l'honnête maison bourgeoise où le hasard l'envoie « en condition ».
Elle est la Mouche d'or qui empoisonne, le venin qui s'insiîiue
dans les artères cl donne la mort. M. William Busnach eût tiré de
celle tragique histoire un sombre drame avec un cinquième acte
Irès mouchoireux.
Supposer que M. Oscar Méténier a orienté son action vers les
cimetières et les convois, serait mal connaître l'auteur de
Monsieur Betsy, de la Casserolle el d'En ménage. Son arme
favorite, le rire, le rire railleur, frondeur et gamin, il la manie
en escrimeur de première force en ces quatre actes de comédie
nerveuse et serrée. L'idée de M. Dubut : décrire les ravages
exercés dans un ménage bourgeois par les Charmes de la bonne
(et l'on conçoit fort bien cette thèse quand c'est M"* Lender qui
incarne Félicie) est complètement retournée. La canaillerie sour-
noise de la bonne amène les résultais les plus heureux. En vir-
tuose de l'ironie, M. Méténier fait de Félicie le génie lutélaire de
la maison. Plus elle est rosse, mieux va le ménage. Elle trompe
tout le monde, on augmente ses gages. Elle entraîne dans une
ancillophilie universelle tous ceux qui l'entourent, le patron, le
polache.filsdu précédent, l'ami de Monsieur, l'amant de Madame,
el cela procure à son Maître la croix de la Légion d'honneur !
C'est extraordinairemcnt comique, mais il y a sous jes éclats
d'une gaîté perpétuelle une cinglanie satire qui donne à la pièce
sa signification et sa valeur. M. Méténier a pris au pied de la
lettre le Castigat- ridendo. C'est par le rire qu'il prend son
public, et quand il le tient, il lui crache à la figure d'effroyables
poignées de vérités, il le fesse jusqu'au sang. Son pessimisme est
d'autant plus amer qu'il est dissimulé. Quand la grimace se
dessine, elle est horrible. •
O
VTSÏ'pïTT"'**. '•■
206
VART MODERNE
Ce procédé classe M. Mélénier à pari parmi les écrivains natu-
ralistes. Dans En ménage, dans la Casserole, il avail étudié les
dessous troubles que les hasards de sa vie accidentée lui avaient
fiiil pénétrer et dont il s'était assimilé à miracle l'argot pittoresque.
Dans Monsieur Betsy, il peignit avec une intensité de coloris
peu commune le ménage à trois, mais prit comme cadre un
milieu d'exception qui atténuait l'eflfet de ses attaques.
La Bonne à tout (aire est plus terrible en ce qu'elle est plus
générale. L'auteur ridiculise avec une verve impitoyable l'hypo-
crisie bourgeoise dans un de ses vices les plus fréquents :
l'ancillarité. Et peut-être est-ce la dose trop forte de vérités que
contient cette étude acerbe qui a valu à M. Mélénier le joli
hourvari soulevé dans la presse à propos de sa nouvelle pièce. Il
est vrai que les 200,000 francs versés en trente représentations
par le public dans la caisse des Variétés ont pu lui suggérer
d'intéressantes réflexions sur l'influence de la critique. El l'on
peut s'attendre dans la comédie qu'il prépare pour l'hiver
prochain, Les Maquignons, à d'amusantes représailles.
Il suffit d'ajouter que la Bonne à tout faire est jouée par le
bataillon sacré des Variétés, par Baron, par Cooper, par M"« Len-
der, pour donner une idée de l'entrain et du talent avec lesquels
les quatre actes de M. Mélénier sont enlevés. Et il convient de
reconnaître que M"*' Lender a trouvé dans le rôle de Félicie l'oc-
casion de prouver au public qu'elle n'esl pas seulement l'exquise
commère des revues dont on a applaudi jusqu'ici les déshabillés
suggestifs, mais une comédienne intelligente et fme, à la diction
nette, au geste prompt et juste.
Correspondance
Mon cher Confrère,
C'est par erreur que vous me reprochez de manquer de
galanterie à l'égard des Femmes-peintres.
M"* Gasparoli et moi nous nous entendons parfaitement bien
et c'est sur sa proposition même que VAls ik /«i». est resté dans
les locaux précédemment occupés par lui, tandis que lé Cercle des
Femmes-peintres a pris possession de la Salle des conférences
où il trouve tout le confortable désirable.
La séparation des talents et des tendances s'imposait plus
encore que la séparation des sexes.
Accusez-moi de tous les défauts, soit, mais laissez au moins
croire que je suis quelque peu galant.
Dans certains journaux on me prétend coulé auprès de tous les
gens sérieux; ne me coulez pas auprès des Femmes-peintres.
Je compte sur votre bonne confraternité pour l'insertion de
celte rectification et vous prie de croire à mes meilleurs
sentiments.
Louis Delmer.
CONCOURS DU CONSERVATOIRE (i)
Alto. — Professeur, M. Firket. 1" prix. M. Férir; 2« prix,
MM. Gietzen etEcrepont; \" accessit, M. Van den Bossche.
Violoncelle. — Professeur, M. Jacobs. 1" prix avec distinc-
tion, M. Goffin; 1" prix, M. Van Tyn ; 2» prix avec distinction,
(1) Suite. Voir notre dernier numéro.
M"'' Chaplin ; 2«= prix, MM. Van Winckel et Hofsleede ; i" accessit,
M"« Kufferalh et M. Treichlcr.
Musique de chambre avec piano. — Professeur, M™' Zarembska.
•I" prix, M'i" Van Eessen el Lcborgne ; 2* prix avec distinction,
M"« Pardon; 2« prix, M"«« De Kock el Albert; 1" accessit,
Hjne» Abbeloos, Huygens et Delesenne.
Piano (jeunes filles). — Professeurs : MM. C. Gurickx et A.
WouTERs. 1" prix avec distinction, M"* Mertens; 2" prix avec
distinction, M""* Voué et Galiot; 1" accessit, M"«» Leclercq, Abra-
ham el Wallon. — Prix LaurE Van Cutsem : M"'' Blés.
!PlBJ.IOqRAPHlE MUgICAI-E
M. P. LiTTA, qui révéla en plusieurs concerts, à Bruxelles cl à
Anvers, un souple talent de pianiste, a fait paraître récemment
diverses compositions qui décèlent, à côté du virtuose, le musicien
s'udieux el épris de son art. Nous avons parlé, lorsqu'elle fut
jouée pour la première fois, de la sonate en sol mineur pour
piano el violon (Scholt frères), très heureux début du jeune
artiste. La Ballade qui forme la première partie de l'œuvre est
parlic4)lièrement bien venue, d'une bonne et claire écriture
musicale. Une Mazurk' Impromptu pour piano (Breiikopf el
Hârlel) et une Sérénade pour orchestre (J.-B. Katto) ont été
publiées depuis. Elles sont, l'une el l'autre, l'indice d'un tempé-
rament non banal, soucieux d'art et plein de promesses. Signa-
lons, à propos de celte dernière œuvre, qu'elle a été gravée à
Bruxelles par M. Ch. Vanderauwera, qui a prouvé que les ateliers
nationaux peuvent rivaliser sans peine avec les plus célèbrei
maisons étrangères.
A Gand, M. Adolphe Samuel, directeur du Conservatoire, a fait
paraître chez M""* Beyer une Petite méthode de piano pour les
tout petits enfants dans laquelle il donne ingénieusement aux
élèves qui n'ont reçu aucune instruction musicale, le moyen pra-
tique d'apprendre rapidement les premiers principes du solfège el
ceux du piano. C'est en quelque sorte un cours préparatoire à
l'apprentissage des musiciens. El comme Iq cours est clair, inté-
ressant et facile, il sera bientôt adoplé partout.
A Liège, M"6 V'« Muraille vient de mettre en vente un Andante
et Presto scherzando pour orchestre de M. Paul Gilson, réduits
pour piano à quatre mains par M. Marcel Remy. Le Presto,
auquel un court Andante sert de prélude et de final, est un
thème populaire brabançon assez trivial que l'auteur rend attrayant
par le choix des harmonies neuves dont il soutient le chant. Si
ce n'est pas du meilleur Gilson, le morceau n'en est pas moins
pittoresque et intéressant. Il complète le cycle des trois pièces
d'orchestre publiées par M™» Muraille el donl les premières sont
la Danse écossaise el la Rapsodie écossaise.
Petite chro^^ique
Le Gouvernement s'est fait représenter par MM. De Groot el
Vermeersch à la vente de la collection Van Branteghem, qui a eu
lieu la semaine dernière à Paris. Ces messieurs ont acquis pour
le Musée plusieurs pièces importantes, choisies parmi les plus
belles delà collection, el qu'ils ont disputées aux délégués des
Musées de Londres et de Berlin. Citons enlre autres le Torse de
jeune fille drapée (n" 272 du catalogue), terre cuiUs qui faisait
i:art moderne
207
partie d'un vase peint à décor plastique, adjugée 5,44b francs;
deux petites coupes à parois minces, l'une de Sotadcs (5,355 fr.),
l'autre d'Hegesiboulos (4,987 fr.); deux lécythes blancs (2,000 fr);
un cantliare doré (1,000 fr.) ; une coupe à reliefs représentant des
scènes de VJphigénie d'Euripide (1,000 fr.); un groupe : Silène
el nymphe, provenant de la vente Casleilani, l'une des pièces les
plus curieuses de la vente (2,500 fr.); une figurine : Jeune fille
rattachant ses sandales (1,020 fr.); Eros adolescent planant dans
l'air (880 fr.), etc.
Les achats du gouvernement ont atteint au total une somme
d'environ 30,000 francs.
Parmi les objets sur lesquels les réprésentants du Musée ont
mis des enchères mais qui ne leur sont pas restés, citons la ma-
gnifique coupe d'Euphronios, qui a atteint 10,500 francs (acquise
par M.J. Marshall) el celle de Sotades représentant la légende de
Glaukos, poussée également jusqu'à 10,500 francs, et adjugée au
Musée Britannique. C'est par erreur que l' Indépendance annonce
que ces deux pièces ont été retirées.
Nous publierons dans notre prochain numéro les résultats
complets, qui nous parviennent au moment de mettre sous presse.
L'Exposition communale dlxelles, dont nous publions ci-des-
sus le compte rendu, a inauguré samedi dernier ses séances musi-
cales. On a applaudi Unanimement M"* Ten Hâve, une jeune pianiste
qui joue avec une sûreté et une aisance remarquables. La façon
dont elle a interprété le trio de Saint-Saëns a été particulièrement
appréciée. M'^* Tcn Hâve avait pour partenaires son frère, un vio-
loniste de talent, et le violoncelliste Henri Merck, qui vient de
rentrer à Bruxelles après un séjour d'une année en Finlaride.
Succès aussi pour les deux mélodies de Gilson et le Meilied de
G. Huberti, bien dits par M™* Davids-Laurent.
F^a pluie a interrompu le cours des concerts artistiques du
Waux-Hall. L'audition de M. Isnardon a dû être remise à une date
indéterminée, el le concert Wagner, qui devait avoir lieu jeudi,
a été fixé à ce soir.
Le programme, que nous avons publié, n'a pas été modifié, il
promet aux amateurs de musique une magnifique soirée.
Les concerts quotidiens de symphonie dirigés par M. Emile
Perler recommencoronl aujourd'hui au Kursaal d'Oslende. La
Bénédiction de la mer aura lieu dimanche prochain, jour de la
kermesse communale. Le 15 juillet, ouverture du théâtre. Le 21,
inauguration des grands concerts symphoniques el vocaux, des
auditions de solistes, etc. Des concerts extraordinaires sont fixés
dès à présent aux 4, 14 el 21 août.
Le Théâtre Libre donnera son huitième et dernier spectacle
demain lundi 27 (série A) et mardi 28 (série B).
Au programme :
Péché d'amour, un acte, en prose, de MM. Michel Carré el
Georges Loiseau ; Les Fenêtres, trois scènes en prose, de
MM. Jules Perrin et Claude Couturier; Mélie, un acte en prose,
tiré de la nouvelle de M. Jean Reibrach,.par M. Georges Docquois.
Mirage, la pièce nouvelle de M. Georges Lecomlc, ne passera
qu'en automne, au début de la prochaine saison théâtrale.
■ A rapprocher des hauts prix récemment payés pour des œuvres
de Corot :
L'illustre peintre fil une vente de 13 de ses tableaux, en 1885
(3 avaient déjà figuré au Salon); elle produisit 13,000 francs!
Soleil couchant (Salon 1857), 4,000 fr.; Un «Soir (Salon 1857),
1,105 fr.; Le CoHcer<(Salon 1857), 1,365 fr.; Le Verger, 180 fr.;
Soleil levant, 1,460 fr.; Souvenir du Limousin, 385 fr.; Eiwi-
rons de Nantes, 525 fr.; Souvenir de Hollande, 315fr.; Moulin
à Boulogne, 315 fr.; Montmorency, 330 fr. ; Limousin, 425 fr.;
Paysage : Bretagne, 315 fr. ; Rotterdam, 500 fr.
L'Association littéraire et artistique internationale ouvrira son
quatorzième congrès annuel à Milan, du 17 au 24 septembre. Le
programme du Congrès comprendra :
1° L'étude complète de la convention de Berne et des modi-
fications à y introduire en vue de la conférence diplomatique qui
se réunira à Paris en 1893; 2" l'examen des rapports existants
entre la protection de la propriété inlellecluelle el le développe-
ment des littératures nationales; 3» un projet de loi sur le contrat
d'éditiojî ; 4* la création d'une statistique iuternationale des œuvres
littéraires.
Des excursions sur le lac de Côme el à la Chartreuse de Pavie,
des concerts, des réceptions diverses seront ofterts aux congres-
sistes durant la session.
La cotisation est fixée à 20 francs pour les membres de l'Asso-
ciation el les délégués des sociétés étrangères, à 30 francs pour
les adhérents présentés.
On a vendu ces jours-ci, à Londres, la collection de M. Ley-
land, pour qui Whisller décora la merveilleuse Salle du Paon,
dont nous avons fait la description (1). Celle collection compre-
nait un grand nombre de tableaux de l'école dite des Préraphaé-
lites, dont Dante-Gabriel Rossctti fut l'âme. La dispersion de la
galerie Leyiand avait excité un grand intérêt parmi les artistes el
amateurs anglais. Les plus hauts prix ont été atteints par deux
œuvres de Burne-Jones, Le Miroir de Vénus, adji'gé 3,570 livres
(89,250 fr.) et Merlin et Viviane, vendu 3,780 livres (94,500 fr.).
Deux autres toiles du même artiste : Night and Morning et The
Wine of Circe, ont été portées à 1,350 livres (33,750 fr.) cha-
cune.
Les œuvres de D.-G. Rossetti ont également été très disputées.
Veronica Veronese Vi é^é acquise 1,050 livres (26,250 fr.), The
blessed Damozel, 980 livres (24,500 fr), The Loving cup,
820 livres (20,500 fr.).
Un tableau de Botticelli, La Vierge, l'enfant Jésus et saint
Jean, a atteint 1,250 livres (31,250 fr.) el la Sainte Agnès, de
Sir J.-E. Millais, 2,205 livres (55,125 fr.). -
Le total de la vente a été de 970,634 francs.
A propos de la première de Salammbô, le Figaro fait de
M. Ernest Reyer 1' « instantané » suivant:
Grand, moustachu, enredingoté, la boutonnière parée de la
rosette rouge, apparaît un jeune général donl fut rapide l'avance-
ment. •
Fui une des premières victimes de ces nouveaux tyrans qui,
avant de s'associer contre les critiques, s'entendaient toujours
contre les auteurs : vous avez nommé les directeurs des théâtres.
Critique musical aux Débats, houspille d'une plume en fer- grin-
çant les œuvretles des bémolistes retardataires; passe inaperçu
aux premières représentations el n'assiste jamais aux meetings
des arbitres du feuilleton. Ne quitterait pas la rue de la Tour-
d'Auvergne pour entendre une opérette dans un théâtre du boule-
vard, mais fit le voyage du Caire pour entendre lâ-bas la première
de VAïda de Verdi.
Signe particulier : a voulu qu'un S fut la lettre initiale de cha-
cun des litres de ses œuvres [la Statue, Sakountala, Sigurd,
Salammbô). ,
Autre signe particulier : Joue au billard el à l'écarté avec pas-
sion. . .
(1) V. Art moderne, 1885, p. 294.
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Administration et rédaction : Rue des Minimes, iO, BruaelU$.
BnixellM. — Imp. V MoniroM, Si, rue de l'Industrie.
i£MX
Douzième année. — N° 27.
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 3 Juillet 1802.
PARAISSANT LE DIALANCHB
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Comité de rédaction t Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, &. 13.00. — ANNONCES : On traite â forfait.
Adresser toutes les communications à
l'administration générale de TArt iSIoderne, rue de l'Industrie, 32, Bruxelles.
Sommaire
Le mysticisme dans l'Art. — Poèmes récents. — Accusés de
RÉCEPTION. — Vente de la collection Van Branteohkm. — Au
Chat. — Théâtre Moderne. — Concours du Conservatoire. —
Mémento des expositions. — Petite chronique.
LE MYSTICISME DANS L'ART
Une des curieuses tendances artistiques d'aujourd'hui
entraîne les littératures vers le mysticisme. Le vague
retour vei's les fois et les religions, autrefois simple-
ment sentimentales et superstitieuses, est l'un des plus
étranges phénomènes ataviques de cette période. Le
mystère aujourd'hui passionne et séduit, peut-être par
la souffrance indéfinie que toute méconnaissance supé-
rieure procure aux âmes sensibilisées de notre époque.
La constatation est irréfragable, dressant l'énigme de
sa cause dans le cerveau.
Si le mysticisme revit aujourd'hui, s'il a rampé obscu-
rément à travers les âges, sur l'âme des multiples géné-
rations artistes, le même mysticisme a subi une trans-
formation essentielle — et de religieusement amoureux
qu'il était naguère, il s'est fait aujourd'hui sensuelle-
ment intellectuel. A défaut d'une croyance, lumineuse
de fastes et de cérémonies chiantantes en l'ombre étoilée
d'or des cathédrales, l'imagination sentimentale s'élève
davantage vers la douce ignorance des mystères célestes,
trop peureuse des légendes précises et des dogmes
inflexibles. L'esprit mystique adore la paresse luxueuse
des choses simplement devinées, d'une beauté paradi-
siaque qui semble revivre dans la mémoire comme un
souvenir atténué après des siècles de sommeil, et les
visions entrevues à peine se dorent heureusement d'une
langue aussi ténue que les teintes de ces rêves lointains.
En un mot, la fatigue du positif et le dégoût net de la
vie dure ont ranimé, par un étrange contre-choc,
l'extase d'autrefois, et l'âme maintenant s'enchante des
fines inflexions d'une existence moins certaine, comme
pénombrée.
Mais aux confins de cette renaissance religieuse dans
l'art, le mysticisme intellectuel se grise d'iin encens
captieux; une nervosité maladive veiné de filets sen-
suels l'œuvre pensée sous l'ombre afi'aiblie des
croyances d'antan et au travers des murmures reli-
gieux filtre doucement, en phrases timides, le troublant
appel des impuretés. Il y a là un bizarre alliage
d'extase et de désir, une intrusion charnelle dans une
divinité chaste, la Vie dans le Rêve ! Cet art qui s'érige,
chantant, à voix basse, la tentation des mystères, la
sympathie des vierges vêtues de silence, et ces enclos
conventuels où palpite obscurément l'âme des vies
mystérieuses, est l'une des sourcojles plus appelantes de
l'intellectualité moderne. Les constatations positives
faiblissant aujourd'hui, et la lumière des veilleuses dans
les chœurs, les ténèbres s'épaississant en frissons dans
la paix des églises sourient de quelles impalpables lèvres
à l'esprit las !
La naïveté des anciens mystiques a donc disparu.
Sous l'influence d'un siècle trop tivant où la splendeur
de l'idée intérieure s'abdique, l'âme nécessairement a dû
suivre les arcanes complexes d'une vie hâtive et ner-
veuse. Dans tout le domaine humain, l'exacerbation
frémit et cette tempête a touché les belles fleurs léguées
par les Primitifs, les a flétries.
Je sais que cette école, doucement surgie, sans bruit,
timide comme une roseur d'amour sur la chair fine
d'une malade, a déchaîné la moquerie des êtres positifs,
à qui rien des féminités idéales ne sourit. Ah ! misère !
Comme si l'impulsion fébrile d'une nature conquise pardes
scènes moins terrestres, ne produisait pas de fertiles évo-
cations, douloureuses et riches comme tout ce qui naît de
la pensée meurtrie et de la souff'rance réfléchie! Comme
si cette intimité, issue d'une âme plus taciturne, ne dé-
roulait pas l'harmonie des cantiques d'art dans la nui-
taie douceur des âmes fraternelles !
Ah I quand la tristesse voilée des Angélus
Adoucira- t-elle les lointaines clameurs delà kermesçeî
disait Oliveira de Soares dans son recueil de vers
magiques (1).
— Illusions morbides, ont clamé quelques-uns; impos-
sibilité à continuer son art, ont aflSrmé d'autres. Comme
si cependant le mysticisme ne s'adaptait pas à la nature
chercheuse de l'artiste et comme si celle-ci ne se renou-
velait pas à chacune de ses productions par la féconda-
tion de la vie usuelle?
Le mysticisme devait éclore au ciel de cette époque
grise. Ses livres, ses œuvres seront les consolantes étoiles
qui brillent encore lointainemrènt, diminuées dans leur v,
éclat sous des nuages hostiles. Car la nature humaine
s'est affirmée là où jadis régnait une espèce d'imperson-
nalité : l'amour suprême absorbait tout. Aujourd'hui
la pensée a modifié l'assomption des cœurs — et le mys-
ticisme intelleetii«l est iié^iierveux, haletant, veiné de
curiosités profanes.
Et cette "voie de clarté se courbant vers les passés,
qui semblaient abolis par la matérialité des âges actuels,
se raidit, allant aux peuples du Nord . Cette renaissance,
à la voir ainsi se généraliser, réveille à jamais la
croyance d'une survie de l'âme, la transmission d'une
idéalité naguère toute-puissante.
Et cette spiritualité bien humaine fleurit dans l'œuvre
du poète portugais A. de Oliveira Soares. Elle fleurit .
mélancolique et captieuse comme des fleurs tendres dont
les parfums évoquent d'étranges caresses d'encens et de
(1) Paraïso Perdido, par, Antonio de Oliveira Soares. —
M. Gomes, Lisboa.
désirs. Les sentiments profanes s'allient à la pascale
ignorance des hosties et les incantations d'amour s'élè-
vent dans l'oubli des cathédrales, s'humilient au seuil
d'illusoires confessionnaux. On dirait que M. Antonio
de Oliveira Soares, tout en éprouvant la peur des vies
brutales, s'y trouve fatalement ramené, amoureux de
ses coups, écoutant ses blessures chanter d'ineffables
tendresses.
O mon èmé, carmélite à qui la règle
Ordonne de voir encore une fois le monde du plaisir,
Avant d'aller faire ses vœux au couvent.
Mais si de secrètes impulsions le poussent vers de
l'ombre pacificatrice, une âme très fine, très strictement
aimante l'initie à l'inattendu de la vie du monde réel, où
sa sensibilité s'ennoblit et souffre. En dehors de l'idée
conductrice de l'œuvre, qui s'aligne nette et droite
comme une barre logique au long des poèmes, toute une
sentimentalité particulière, toute une délicatesse de
sensations presque féminines enrichissent l'œuvre de
joyaux purs, miroitant sous la flamme mince des
cierges ; les plaintes finissent doucement dans l'émotion
comme une prière passionnée, comme la plainte d'une
enfant chagrine dont le cœur gonflé d'amertume s'épan-
che à l'illusoire bonté des saintes.
Toi, dans les soirs du mois de Marie,
Tu laisseras saigner la douce mélancolie
De n'avoir pas fui ce temps immonde...
Et moi, fidèle esclave de mon rêve souillé,
Je continuerai, disant la messe du passé
Dans le chfiteau où passent des revenants.
Une harmonie heureuse dans le choix des mots et
dans la teinte un peu frêle, un peu paie des visions uni-
fient Paraiso Perdido. Rien ne bruit qu'une lamenta-
tion lente et parfois l'on dirait l'âme des vieux chrétiens,
subitement ressuscites, se plaignant au rythme doux
des strophes.
Il faut avouer que ce mariage presque adultère et de
là-même émotionnant comme la réalisation d'un rêve
défendu, est d'une adorable richesse, d'une griserie
presque inconnue aux âmes trop viriles. Les invocations
à voix lasse montent comme une caresse savante du
cœur aux lèvres. C'est un chant de profondes sensations
dans la paix des chapelles perdues, au loiiT de tout
bruit, parmi les appels des solitudes nuitales.
POEMES RECENTS
Les Cygnes, par F. Vielé-Griffin (Vanier). — Tel qu'en songe,
par H. DE RÉONiER (librairie de l'Art indépendant).
Que le livre de M. Vielé-Griffin soit d'un poète, cela est d'évi-
dence parfaite. Aussi l'éloge est-il superflu.
En prélude s'offre une vision blanche de trois cygnes emblé-
matiques dont le dernier « s'engloutit avec une fleur, dans le
soleil ».
Celte fleur, c'est la « fleur de joie interdite et suprême » et
UART MODERNE
211
« c'est d'elle que parlent les poèmes » ici rassemblés sous leur
titre : Les Cygnes. Fleur de joie, ou plutôt fleurs, c'est-à-dire
l'inaccessible de tout désir, l'au-delà de tout effort, le mirage
éblouissant et chimérique de tout rêve. Pour les esprits moyens,
folie; pour le poêle, seule réalité d'art.
Cette joie interdite, il la devine dans la douleur « 'qui pleure
jusqu'à sourire enfin », dans la mort cherchée, avec, au bout, le
ciel; dans l'enfance; dans la solitude et la sauvagerie sylvestres
absorbées par un cœur primitif; dans l'harmonie totale et enfin
dans la beauté surhumaine. Personne ne l'atteint, mais elle appa-
raît despoliquemenl tentatrice ; elle est la volonté de vivre pour
tous ceux qui se sentent l'âme au delà des choses immédiates;
elle est l'unité fondamentale qui rattache entre eux les différents
groupes d'humanité hautaine et choisie, elle est d'essence immor-
telle.
Pour donner vie à celte unique conception et la ramifier en
preuves, M. Vielé-GrifTm a recours à des récils, à des dialogues,
à des personnifications et allégories. A preuve : le Gué, Euryth-
mie, le Tombeau d'Hélène.
La forme prosodique choisie est levers délié, d'une personnelle
musique, d'une marche non fixée par les règles admises. Mieux
que la plupart des poètes actuels, M. Vielé-Griffm a le sens du
rythme. Il comprend que toute pensée étant personnelle, — - bien
mieux, unique — chez un vrai poète, sa forme doit l'être aussi.
De môme que l'idée est inrégentable, l'expression doit l'être et
toute formule est un attentat.
Au reste, à quoi bon insister sur les procédés : il n'en est qu'un
seul, celui qu'on se crée et qu'on modifie. Les autres peuvent
être assimilés aux circulaires commerciales et aux exploits judi-
ciaires. ^"^^
Nous avons analysé précéderhment en Ce journal, alors qu'ils
s'offraient en Diplique, les deux poèmes : Le Porcher el \'Éu'
rythmie que M. Vielé-GriflSn a, très logiquement du reste, en-
castrés en son présent volume.
Au long de son chemin de vers qu'il trace dans la littérature
actuelle, apparaissent non seulementdes ornementations parfaites,
mais des pensées larges el vives, sortes de définitions de senti-
ments el de situations :
Tout souvenir est un tombeau sans Christ...
Pleurer est beau, par-dessus toute chose. . .
J'ai froid à l'âme et faim au cœur et l'esprit ivre
De tout ce qu'on écoute aux croix des grands chemins...
Prends l'heure en tes doux yeui pour me la rayonner...
Dans le mouvement, toujours de rythme sûr et qui jamais ne
sent l'cffori, ces points d'orgueârrôtent un instant, mais les entre-
lacs reprennent, les nœuds aisément se font et se refont et ce qui
chez d'autres apparaîtrait une recherche ou un effet, éclot si
intimement du poème et si aisément à sa surface que c'est mer-
veille. Le ton est personnel el toute déclamation est absente.
Nous n'aimons point à comparer ni à opposer des poètes. El
les parallèles fournissant une transition facile entre deux études
sur deux écrivains, ne nous tentent guère.
Voici l'œuvre de M. de Régnier.
Elle apparaît : un livre de tristesse héraldique el de mélanco-
liques blasons; un livre qui luit, comme une des nombreuses
opales que le poète décrit; un livre de bijoux voilés, dépecés en
deuil et de métaux funèbres.
Monotone certes, mais nécessairement. Représentez-vous cette
suite de poèmes en leur pays esthétique : plus n'y croissent, les
vaillances joyeuses, plus ne s'y rencontre le triomphal amour en
fleurs, plus n'y surgit la passion active et violente, plus n'y
soufflent les tempêtes de la force, ni le tourbillon des ardeurs
dépensées au gré des jours en soleil, plus n'y règne la foi folle,
la confiance aveugle, la volonté, fût-ce à travers la mort, vers les
demains certains. C'est le pays des légendes fanées, couleur
feuille-morte, où la joaillerie exquise de l'art met encore des
gouttes de rosée diamantaire.
Les personnages lents et graves, beaux de la douleur des cou-
chants, fiers de leur angoisse étouffée, mornes, hautement et
presque magnifiquement y soulèvent de grands gestes, qui tou-
jours retombent. Ils essayent ou ont essayé toute la vie; ils
reviennent ou sont revenus des loins de guerre, de tendresse, de
volupté, de jeunesse et d'entrain ; ils connaissent les trois roules,
que définit l'exergue, route des chênes hauts, route des bouleaux
clairs, route des frênes doux el des sables légers, mais ils n'en
ont gardé que la poussière sur leur armure. Us «mit désormais
les marcheurs, le dos vers l'été, les yeux à l'hiver. El le livre —
conclusion prévue — se clôt sur tel vœu :
Que la Nuit séjourne à jamais taciturne,
Muette et pour toujours en deuil du passé noir,
Sans qu'à tout son silence encore ne déroge
Aucun sursaut de la Chimère ou de l'Horloge.
Et sans que puisse rien du repos qu'il se songe
Distraire mon Destin d'avoir l'âge de l'ombre.
L'âge de l'ombre? Oubli, résignation, solitude.
A cause môme du sujet, le vers qu'emploie M. de Régnier
dépend quelquefois des grands épiques modernes : les Hugo,
les Leconte de Lisle et les Mallarmé (Hérodiade). Il est taillé,
ciselé; il éclate en lumière et en sons graves. 11 n'est guère
ductile et souple, sinueux et frêle. Certaines pages surgissent en
trophées, avec leurs rimes en pointes de lances.
Voici pour clore ces notes, un admirable fragment :
Les grands vents venus d'outre-mer
Passent par la ville, l'hiver,
Comme des étrangers amers.
Ils se concentrent graves et pâles
Sur les places, et leurs sandales
Ensablent le marbre des dalles.
Comme de crosses à leurs mains fortes,
Ils heurtent l'auvent et la porte
Derrière qui l'horloge est morte.
Et les adolescents amers
S'en vont avec eux vers la mer!
^CCUgÉ? DE RÉCEPTION
Contes à la Reine, par Robert de BonnIères; Paris, OUen-
dorff. — Rouget de Lisle; son œuvre, sa vie, par Julien Tiersot ;
Paris, Ch. Delagrave. — La Bonne à tout faire, comédie en
quatre actes, en prose (représentée pour la première fois sur le
Théâtre des Variétés, le 20 février 1892), par Oscar Méténier et
DuBUT de Laforest; Paris, Dentu. — Le Chevalier du passé, tra-
gédie moderne (2">b partie de la légende d'Antonia), par Edouard
DuJARDiN ; Paris, Vanier. — L'Adolescent confidentiel, par Michel
Féline; Paris, librairie de l'Art indépendant. — Le Fou raison-
nable, proses lyriques, par Arnold Goffin ; Bruxelles, Ch. Vos.
— La Mer, poème par Eddy Levis (esquisses symphoniques de
Paul Gilson); Bruxelles, Breitkopf et Hârtel.
.^
VENTE DE LA COLLECTION VAN BRANTEGHEM
De mémoire d'amaleur, vente d'antiquilés grecques n'avait
attiré un public aussi nombreux et aussi sélect que celui qui
remplissait la salle n» 3 de l'hôlel Drouot pendant les trois jours
qu'a duré la vente Van Branteghem (1).
Tous les principaux musées se trouvaient représentés. Le
Musée Britannique, le Louvre, les Musées de Berlin, de Saint-
Pétersbourg, de Lyon, de Bruxelles, de Copenhague, de Boston
ont été parmi les principaux acquéreurs.
Au nombre des amateurs, on remarquait le comte Michel Tysz-
kiewicz, sir Edgar Vincent, M. Gréau, M. Somzée, M. Salting,
M. Marshall, M™* Darthès, M™» veuve Casteliani, etc. La plupart
des grands marchands d'antiquités de l'Europe étaient présents.
Les enchères ont été fort animées et ont atteint pour certains
vases des prix presque sans précédents.
En dehors des objets acquis par le gouvernement belge dont
nous avons donné la nomenclature dans notre dernier numéro,
les objets qui ont atteint les plus hauts prix sont les suivants,:
N" 5. — Grande amphore panathénaïque, 2,730 fr. (comtesse
Dzialynska).
N» 26. — Canthare deNikosthènes, i,680 francs.
N" 28. — Coupe d'Hermaïos, 1,181 francs (Musée du Louvre).
N» 29. — Coupe d'Hermaïos, 2,205 francs (Musée Britannique).
N» 47. — Stamnos de Smikros, 1,680 francs (Musée Britan-
nique).
N» S2. — Coupe d'Euphronios, 11,025 francs (M. Marshall).
N» 53. — Coupe portant le nom de Leagros, 1,050 francs
(Louvre),
No 72. — Coupe de Hiéron, 5,250 francs (M. Marshall),
N» 84. — Coupe de Xenotimos, 4,515 francs (comte M. Tysz-
kiewicz).
N» 85. — Coupe de Xenotimos, 3,990 francs (Musée de Berlin).
N» 86, — Grand oxybaphon, 2,047 francs.
N" 91. — Cratère, Persée et Andromède, 2,940 francs (Musée
de Berlin).
No 97. — Ary balle, Aphrodite et Eros, 1,995 francs (M. Sal-
ting).
N» 98. — Grand aryballe doré, la Récolte de Vencens, 5,355 fr.
(Musée de l'Ermitage).
N« 99. — id., plus petit, 5,040 francs (Musée de Berlin),
. N» 164. — Petite coupe à fond blanc de Sotades, Jeune fille
cueillant un fruit, 3,675 francs (Musée Britannique).
N» 165. — Petite coupe k fond blanc de Sotades, 3,360 fr.
(Musée Britannique). •
N» 166. — Petite coupe à fond blanc de Sotades, Olaukos et
Polyeidos, 10,605 francs (Musée Britannique).
N" 231. — Lécythc h couleurs d'applique, Eros androgyne
assis sur un rocher, 3,255 francs (M. L. Somzée).
N» 232. — Péliké, Dionysos et Ariane, 2,310 francs (M. Sal-
ting).
N» 237. — Hydrie chypriote portant le nom de Timokles,
1,260 francs (M. L. Somzée).
N» 334. — Joueuse d'osselets, 2,257 francs.
N" 335. — Joueuse de lyre couchée, 2,130 francs.
(1) V. notre article sur la collection Vpn Branteghem (n» du 24 avril
dernier). ,■
N" 338. — Danseuse voilée, 2,325 francs.
N" 339. — Leçon de lecture, 2,415 francs.
N» 345. — Eros et Pan, 1,470 francs.
N» 346. — Femme assise sur une kliné, 2,625 francs.
N» 351. — Jeune Tanagréenne à demi couchée sur un rocher,
1,575 francs.
N" 355. — Jeune mère montrant le sein à son enfant,
3,885 francs.
N" 357. — Europe sur le taureau, 2,619 francs. '
N» 359. — Ephedrismos, 2,440 francs.
No 360. — Eros discobole, 1,365 francs.
No 377. — Jeune fille assise, 2,992 francs.
No 384. — Joueuse d'osselets debout, 2,570 francs.
N" 389. — Femme assise, 3,150 francs.
N» 391. — Dionysos et le taureau, 8,662 francs.
N» 415. —Niké, 7,875 francs.
N» 416. — Jeune fille versant du vin dans un trépied,
2,882 francs.
N» 417. — Terme d'un personnage barbu, 2,882 francs (Sir
Edgar Vincent).
Un grand nombre d'objets ont réalisé des prix très supérieurs à
leur prix originaire.
C'est ainsi que les neuf petites coupes blanches de Sotades et
d'Hegesiboulos ont produit plus de 32,000 francs, alors qu'elles
n'avaient été payées que 10,000 francs en 1890; la coupe
d'Euphronios avait coûté 2,500 francs et a été vendue 11,025 fr. ;
les deux coupes de Xenotimos, payées 5,000 francs en 1888, ont
réalisé 8,505 francs; les deux grands aryballes d'Apollonia,
payés 4,500 francs, ont dépassé 10,000 francs. Les n»» 335, 346,
348, 351, 355, 357, 377, 389, 402, 411 avaient été achetés en
bloc, en 1887, pour 15,000 francs et ont produit près de 26,000 fr.
Le n''391, payé 6,000 francs, a réalisé 8,662 francs. La Niké
Casteliani a monté de 6,100 à 7,875 francs, etc.
La vente dans son ensemble a donné néanmoins une somme
inférieure à celle à laquelle la collection avait été estimée par
M. Frôhner et par M. Ready, les experts universellement réputés
comme les plus compétents en celte délicate et spéciale matière.
La remise à quinzaine, nécessitée par la lenteur des pourparlers
avec le Gouvernement belge, avait fait naître le bruit que h
collectj^n allait être vendue en bloc et ne paraîtrait pas à la salle
Drouot. Les Musées n'avaient donc pas pressé leurs demandes de
crédits extraordinaires et les limites de leur budget les ont forcés
à restreindre considérablement les acquisitions qu'ils auraient
voulu faire. D'autre part, quelques malveillants ou quelques !
malins avaient adroitement fait courir le bruit que l'authenticité
de certaines pièces était douteuse.
Les quelques objets auxquels les Musées avaient été forcés de
limiter leur ambition ont atteint des prix exceptionnels. Le reste
des merveilles de tous genres s'est vendu au-dessous de sa valeur,
les grands antiquaires de Paris n'ayant guère « soutenu » la vente.
Celle-ci a néanmoins produit, frais compris, plus de 320,000 francs
(sans compter quelques pièces retirées), c'est-à-dire un chiffre
beaucoup plus élevé que ceux réalisés par les collections les plus
célèbres de vases et de terres cuites dispersées durant les dernières
années.
Notre aimable public et notre impartiale presse ont, naturelle-
ment, saisi immédiatement l'occasion du prix global de la vente
inférieur aux prévisions de MM. Frôhner et Ready, et du collec-
tionneur, M. Van Branteghem, pour insinuer ^ue celui-ci avait
lente d'obtenir du Gouvcrnemenl belge une somme supérieure à
la valeur réelle. M. de Haulleville, conservateur du Musée archéo-
logique, mû par un très naturel sentiment de loyauté et d'équité,
a immédiatement prolesté par la lettre suivante au directeur de
la Gaulle :
Bruxelles, le 29 juin 1892.
Mon cher Confrère,
Les renseignements que vous donnez sur la collection Van
Brantegem sont inexacts.
Le conservateur en chef des Musées royaux aurait désiré que
cette splendide collection fût acquise, tout entière, par l'État.
Alors, avec le fond Campana et le fond Meester de Ravestyn,
notre Musée d'arts anciens aurait, pour l'art industriel grec, pu
rivaliser avec les premiers musées du monde.
La proposition d'achat fut faite par le conservateur en chef au
Gouvernement, qui hésita beaucoup. L'acquisition devait être faite
à dire d'experls. M. Van Branteghem avait accepté d'avance
l'expertise des hommes compétents, à choisir par le Gouvernement.
Pour vaincre les hésitations du Gouvernement, le conservateur
en chef proposa ensuite une acquisition à dire d'experls pour
une somme à payer en dix annuités h 4 p. c.
Cette proposition, acceptée par M. Van Branteghem, ayant
été rejelée parce que le Gouvernement doutait de l'approbation
des Chambres, un comité fut formé par les soins du conserva-
teur en chef pour la formation d'une loterie. Le comité se compo-
sait de MM. Gevaert, Willems, Wagener, Potvin, Vinçotte, Slin-
geneyer, J. de Lalaing. Il demanda au Gouvernement l'autorisation
de se procurer, au moyen d'une loterie, le capital nécessaire
pour acquérir, à dire d'experts, toute la collection, qu'il s'enga-
geait h donner gratuitemeut à l'Etat Belge. Le reliquat éventuel
de la somme réunie parce comité devait servir de fonds d'acqui-
sition aux Musées royaux.
Le Gouvernement, après de longues négociations, refusa
d'autoriser la loterie.
Eln attendant, la collection était partie pour Paris. M. le
Ministre des Finances résolut alors d'autoriser l'ouverture d'un
crédit spécial de quarante à cinquante mille francs pour l'achat
éventuel de certaines pièces.
Il est hautement regrettable que toute la collection ne nous sqil
pas restée. Elle a été vendue à Paris dans un moment très défa-
vorable; elle valait très certainement un prix élevé.
J'estime que vous ne sauriez en former une pareille à bref
délai pour un million de francs.
A vous bien, cordialement,
Haulleville.
Le lendemain, dans le même journal, paraissait un article dont
l'auteur persistait à affirmer que jamais il n'avait été question
d'expertise, et dans lequel, à côté d'insinuations perfides pour les
uns, on alignait les éloges puérils pour les autres qu'on comparait,
pour la prudence, aux serpents les mieux qualifiés. S
Or, nous savons de science personnelle que dès le il mai, dans
la proposition au Ministre, l'expertise était posée comme une
condition de l'achat, et qu'il en fut de même textuellement et à
deux reprises dans la demande d'autorisation de loterie faite plus
tard au Gouvernement et signée des noms les plus honorables
qui, sans mériter d'être rangés dans la famille des serpents, sont
gens d'expérience et de bon conseil.
Comme tout cela est bien doctrinaire et bien belge ! Voici un
amateur, d'un goût très sûr et d'une érudition parfaite, qui, au
risque de sa fortune personnelle, se laisse aller à sa passion
artistique pour des curiosités d'une rareté et d'un charme
extrêmes, qu'on ne peut recueillir sans des peines, des démar-
ches, des éludes et des frais devant lesquels le vulgaire, l'ama-
teur de pacotille, le faux érudit reculent. Il y emploie plusieurs
années, des voyages, des recherches et des correspondances
innombrables. Dans les ventes, il entre en lutte avee les concur-
rents célèbres et l'emporte sur eux au prix d'excessifs sacrifices.
Il réussit à constituer un ensemble exceptionnel et admirable,
comparable à celui des plus hautains musées. Il offre alors à son
pays de reprendre cette collection formée avec amour et que des
circonstances privées ne lui permettent pas de conserver- davan-
tage, sort habituel des collectionneurs passionnés jusqu'à la folie,
lia le légitime désir de voir conserver ainsi le résultat de §es
efforts et de ses goûts. Il indique son prix, inspiré peut-être par
les illusions du propriétaire et de l'artiste, mais déclare s'en
remettre à l'expertise par des hommes que choisira l'acheteur.
Il a eu tous les entraînements, toutes les généreuses faiblesses,
toutes les fatigues, tous les chagrins de l'amateur d'élite, lui dont
les pièces principales étaient, il y a peu de temps encore, mises à
Londres à la place d'honneur dans une exposition de tout premier
ordre, et dont le nom était accolé à celui du prince de Galles et
des plus illustres amateurs dans un catalogue, chef-d'œuvre de
typographie et de polychromie, recherche par les bibliophiles
comme une rareté de choix. Mais il arrive pour lui le moment
d'être jugé par les mesquins esprits des envieux, des méchants,
des conteurs de ragots et des puérils, et il est alors traité comme
un trafiquant !
Petit pays, petites idées, petits hommes, petite pres.se, petite
justice !
AU CHAT
A propos des représentations des « gallants compaignons » du
Chat noir à Bruxelles, M. Hector. Van Doorslaer fait l'historique
de la compagnie, désormais célèbre, de messîre Salis, et la rat-
tache historiquement aux Hydropathes :
« On sait que le Chat noir s'est élevé peu à peu à la hauteur
d'une institution. Anliacadémique, par' exemple, el toujours
ouverte à ceux qui y exhibent la patte blanche du talent personnel.
Mais on ne sait généralement pas que les très jeunes pères des
compères d'aujourd'hui furent les Hydropathes, arrière-petits-
neveux parisiens de ïeu les A gathopèdes bruxellois... En somme,
une réunion d'artistes unis dans un but commun, mais absolu-
ment indépendants, se souciant des grandes routes battues, poli-
tiques et académiques, comme M. de Rothschild d'un rondel.
Vous souvenez-vous de cette innovation qui fit fureur et qui se
gâta naturellement au contact profane du beau monde : le mono-
logue? Qui n'a entendu l'Obsession, le Hareng saur, le Bilbo-
quet, etc., etc., dits par les grands et petits Coquelin cadet de
toute envergure? Au temps où leur inventeur, Charles Gros, les
apportait aux hydropathes, on accourait... Charles Gros, un fan-
taisiste sérieux, même triste — Molière ne l'élait-il pas? — cui-
rassé d'un savant. Ce fut lui qui revendiqua officiellement,
en 4877, et non sans apparence de raison, la priorité de la
découverte du phonographe.
Du couloir des hydropathes le Chat noir se pelotonna en l'hos-
tellerie de messire Salis, seigneur de Chatnoirville-en-Vexin, mais
sans aliéner ses coulumières mœurs. La réunion s'agrandissait
simplemenl, dominanl Paris de Monlmartre. Et la vogue vint pour
tous, avec la célébrité pour quelques-uns. Les liydropallies
u'élaiénl connus que d'inlimes. Toul Paris afflua bientôt au Chat
noir.
Disons-le à l'honneur de ces bons compagnons, le vin capiteux
de la fortune ne leur tourna pas trop la léte. Ecume champenoise,
il se borna à les émousliller, les incitant h se maintenir à la hau-
teur de la situation. Apparut alors ce joli truc des ombres
chinoises de zinc découpé et colorié, d'une exécution si artiste, et
qui popularisèrent, entre autres, les noms de Caran d'Ache et de
Rivière... Tous les genres furent mis à contribution, péie-méle,
au hasard de l'inspiration : satires politiques, croquis mililaires,
scènes religieuses, fantaisies païennes, — comme cette résurrec-
tion anacréonlique de Phryné, qui eut 300 représentations con-
sécutives, apologues modernes philosophiques — comme l'Age
d'or, — et tant d'autres.
El tandis que tous les arts concouraient en joyeuses et spiri-
tuelles sorties à assurer le pain el le vin quotidien aux compa-
gnons, dame Poésie ne perdait ni ses droits ni sa belle humeur,
les couvrant tous de son aile protectrice. L'aisance, c'est-à dire
l'opulence, était venue. » /"
THEATRE MODERNE
{Correspondance particulière de l'Art moderne.)
Le Chevalier du passé, par M. Edouard Dujardin, a été repré-
senté l'autre soir, au Théâtre Moderne, à Paris.
Le public, ricaneur au début, a été douché, bien à propos, par
quelques mots nets el justps, proférés à la rampe, pendant une
halte entre dialogues, par M. Dujardin lui-même.
Celte pièce — deuxième partie de la trilogie d'Antonia — met
en scène une Circé moderne, habillée chez Liberty el dont les Flo-
ramyes -^ nom exquis — grâce à leurs soins, font un joujou
d'art. Rosea, Auroa, Gemnea, Siderea, chacune en un langage
approprié à la divine et merveilleuse matière qu'elles incarnent,
habillent Antonia de. la parure de leurs paroles. Leur reine leur
est l'idole et son île est leur temple.
Abordent h un enfant, un homme, un vieillard, à la recherche
d'un but de vie par à travers le monde. Chacun d'eux expose son
désir. Antonia promet de le combler. N'est-elle pas la ntjagicienne
souveraine, l'élernèlle promesse, l'indispensable illusion?
Au deuxième acte surgit le Chevalier du passé, l'ancien amant,
celui qu'elle appelle, qui vienl, qui enlace un instant, mais qu'elle
ne retrouve ni ne peut retrouver.
LcTfoisième acte est le désenchantement de tous, la conclusion
fatale. Anionia-Circé, abandonnée de tous, se renferme dans la
soUlude el le silence de son Ile.
La conception scénique de M. Dujardin nous paraît être : modi-
fier, pour les dramatiser, d'après les heures, — soirs, midis,
nuits, aurores, — quelques larges sentiments primordiaux et uni-
versels de l'humanité passionnelle, en une langue rythmée et avec
le plus de simplicité possible.
D'ailleurs, ce spectacle était fuit pour plaire et rien n'avait été
négligé pour qu'il en fùl ainsi. Un décor peint par M. Maurice
D«*nis charmait par des lignes simples el des couleurs harmo-
nieuses, figurant, avec la mer el des rivages vus au fond par une
fenêtre, une salle d'un eur.hrôme palais où évoluait en sa longue
robe de velours noir M"» Mellet (la Courtisane), suivie de ses
Floramyes et accueillant M. Lugné-Poë (le Chevalier du Passé).
Les acteurs jouaient avec talent et M. Dujardin avail mis, par sur-
croît, dans sa pièce de la poésie, du rythme, de la passion, tout ce
qui constitue quelque chose de non commun" dans le théâtre de
nos jours.
CONCOURS DU CONSERVATOIRE (i)
Piano (hommes). — Professeur, M. De Greef. 1" prix,
M. Baize; 2« prix avec distinction, MM. Roze el Janssens; 2« prix,
M. Delune.
Violon. — Professeurs, MM. Colyns, A. Cornéms el Ysaye.
1" prix avec la plus grande distinction, M. Fonlova (Colyns),
fl|i'« Spilier (Cornélis) el M. Bonzon (Ysave); !«' prix avec distinc-
tion, M"e Ellioll (Cornélrs)et M. Schôrg (Ysaye); [»' prix, MM. du
Domaine (Cornélis), Lambiotlc (Colyns), "Barrachin (Cornélis),
Laurent (id.), Goffin (id.), Barthélémy (Colyns), M"« Nanney (Cor-
nélis), Angenol (Ysaye) ; 2« prix avec distinction. M.VandenHeu-
vel (Colyns), M'i» Smith (Cornélis), MM. Dcni (Ysaye), Meursinge
(Colyns) et Bondi (Ysaye) ; 2" prix, MM. Kéfer (Ysaye), Hans (Cor-
nélis), Somers (Colyns), Lunssens (id.), De Herdl (id.) el Maes
(Cornélis); l" accessit, MM. Dubois (Ysaye), Marchand (Colyns),
Moerenhoul (Ysaye), M'i*» Rueggcr (Colyns) el Heureux (Cornélis),
MM. Macquoid (Colyns) el Pennequin(id.); 2« accessit. M"" Aglen
(Colyns).
Le concours de violon a été particulièrement remarquable celle
année, ainsi que l'atteste le nombre inusité des lauréats. El vrai-
ment, il a révélé quelques natures exceptionnelles : celles, par
exemple, des trois « premiers prix avec la plus grande distinc-
tion», MM. Fonlova, Bonzon el M"« Spiller, les plus jeunes,
semble-l-il,des trente-trois concurrents. Avec sa léte de chérubin,
rayée, le second jour, d'un bandeau noir révélateur d'une fluxion,
avec sa crânerie, le sentiment artiste de son interprétation, le
mécanisme surprenant de ses petits doigs, M. Bonzon a conquis
touH'auditoire, qui l'a longuement acclamé. M. Fonlova a été, lui
aussi, l'objet d'une véritable ovation. Il a un réel tempérament de
virtuose, déjà sûr de son coup d'archet el rompu aux difficultés
techniques les plus ardues. Quant à M»« Spiller, ça été une
exquise apparition de jeune fille jouant avec une grâce charmante,
yeux clos, toute à son rêve d'artiste, el niellant dans son jeu un
sentiment délicat et des nuances d'expression toul à fait adorables.
Le public, très emballé, a unanimement ratifié la haute distinc-
tion échue aux jeunes élèves, unissant au succès de ceux-ci le
nom des trois excellents professeurs qui les ont formés.
Parmi les autres, citons spécialement M. Schôrg, qui vient de
passer une année dans la classe de M. Ysaye après avoir terminé
ses classes en Allemagne, et M. du Domaine, élève de M. Cornélis,
qui méritait mieux que le premier prix simple qu'on lui a
décerné.
Chant monodique (jeunes filles). — Professeurs : M"* Corné-
us-Servais, m. Warnots. l" mention avec distinction, M"«*Gou-
lancourl (Cornélis) el Chabeau (Warnots) ; 1" menlioh, M"«» Gahide,
Schoulen, Callemien (Cornélis), Charlon, Slaquet, Walter el Belle
(Warnots); 2« mention. M"*» Coomans, Van Assche, Daniel, Wil-
met (Cornélis), Delmée, Friedrich el. Friche (Warnots).
Chant théâtral (hommes). — Professeur, M. Warnots. 1" prix,
M. Ceuppens; 2* prix avec distinction, MM. Coryn el Pieltain;
rappel avec distinction du 2« prix, M. Verboom.
Mémento des Expositions
Amsterdam. — Exposition communale. 5 seplembre-lO octobre.
Envois du 4 au 13 août. Six médailles d'or. Renseignements ;
Secrétaire du Comité de l'Exposition communale, Amsterdam.
Chicago. — Section des Beaux-Arls de l'Exposition universelle.
1" mai-30 octobre 1893 (voir l'Art moderne du 11 octobre 1891).
Douai. — Exposition internationale. 10-31 juillet. Délai
d'envoi expiré. Renseignements : Secrétaire de la Société des
Amis des Arts.
Fontainebleau. — l"-30 septembre. Envois du 15 au 20 juillet
au Château de Fontainebleau. — Secrétaire général ; Weber,
notaire.
(1) Suite. Voir nos deux derniers numéros.
Gand. — Salon Iricnnal : 21 août-10 octobre. Délai d'envoi :
20 juillet. Renseignements : M. F. Van der Haeghen, secrétaire
de la Commission directrice, au Casino, Gand.
Grenoble. — Exposition internationale de peinture alpine
(tableaux, pastels, aquarelles, dessins relatifs à la montagne,
spécialement aux Alpes françaises). 16 juillel-31 août. Délai
d'envoi expiré. Renseignements : Commissaire général du Congrès
du Club Alpin, Musée de Grenoble (Isère).
Madriq. — Exposition historique européenne. 12 septembre-
31 décembre. Délai d'envoi expiré. Renseignements : Coiiiie de
Casa Miranda, sous-secrétqire d'Etat à la présidence du Conseil
des ministres, Madrid.
Nice. — Exposition internationale. 10 janvier-30 mars 1893.
Envois : l'"'-25 (décembre. Renseignements : Secrétariat, Palais
du Crédit Lyonnais, Nice.
Paris. — Salon d'été (Palaisdes Arlslibéraux)10juillet-31 août.
Renseignements :' M. E. Bernard, directeur.
Saint-Mandé. — Exposition des Beaux-Arts. 3 juillet-16 août.
Renseignements : M. H. Voisin, président.
Spa. — Exposition annuejle. 3 juillet-30 septembre. Rensei-
gnements : M. Louis Sosset, secrétaire de la Commission direc-
trice, Spa.
Petite chroj^ique
Le Figaro a publié, au sujet de la santé de notre grand artiste
Félicien Rops, un entrefilet qui a été reproduit en Belgique par
toute la presse et qui doit inquiéter ses amis. Nous avons heu-
reusement reçu, ces jours-ci, de Félicien Rops lui-même, une
lettre des plus rassurantes. Il nous écrit entre autres : « Je vis
dans un petit Paraclet, — sans avoir pourtant les raisons d'Abei-
lard ! — duquel je ne suis pas sorti depuis plusieurs mois. Je ne
suis qu'un ermite, cultivant mes roses et arrosant mes géra-
niums, sans penser à mal. J'ai été très malade et en grand danger
de perdre la vue. Comme peintre, ce sont des plaisanteries du
sort qu'il est difficile de supporter avec philosophie, ainsi qu'il le
faudrait, et je me remets seuiemenl de mes démoralisations. Je
ne reçois pas les journaux qui jacassent comme les geais d'Aris-
tophane et empêchent d'entendre la bonne voix maternelle de la
nature, qui vous parle bas et doucement, mais bien mieux que
Jules Simon ou que Hugues le Roux lui-même !
Votre vieil ami à travers les âges
FÉLICIEN Rops,
A la Demi-Lune, Moulin-Galant, Essonnes (Seine-et-Oise). »
Il y a aussi dans la lettre cette jolie réflexion : « Les hommes
qui se sentent réellement sympathiques les uns aux autres, et en
belle communion d'idées, devraient vivre en un Port-Royal quel-
conque, vivre de peu, el passer cette si rapide vie à disserter sous
les beaux ombrages, avec des gestes simples et peu nombreux,
en goûtant tout le cbarme d'échanger de nobles cérébralilés. »
. Les directeurs de la Monnaie viennent d'engager comme ténor
M. Chatillon, qui débutera dans la Juive. C'est par cet ouvrage
que s'ouvrira la prochaine campagne. La première nouveauté
que montera la Monnaie sera Werther de Massenet, avec
M'w Chrétien.
On donnera ensuite le drame lyrique en un acte de M. Albéric
Magnard, Yolande, dont le principal rôle .sera créé par M. Seguin.
Le second concert organisé par M. Huberti à l'exposition com-
munale d'Ixelles a eu, comme le premier, beaucoup de succès.
On a applaudi et rappelé M""* Cornélis-Servais, M"* Merck et les
membres de « l'Association des professeurs d'instruments à vent »
qui prêtèrent leur concours à la séance. Au programme : le
Quintette de Beethoven, le Trio avec cor de Brahms, des mélo-
dies de Beethoven et d'Huberti, un Nocturne pour piano de
Gilson, etc. Le « tout Ixelles » encombrait la salle des fêles du
nouveau Musée, dont l'acoustique ne laisse rien à désirer.
Les beaux jours sont revenus pour le Waux-Hall. On a entendu
cette semaine, outre le superbe concert Wagner de dimanche, le
violoniste Rivarde, l'excellent chanteur Isnardon et M"® Antoinette
Bot, qui tous trois ont remporté un vif et unanime succès. La
voix de M. Isnardon s'est développée, a pris une belle ampleur
qui a fait acclamer d'enthousiasme le brillant artiste. M. Rivarde
a joué avec une très belle sonorité et avec une impeccable justesse
le concerto de Mendclssohn et les difTiciles Airs russes d'H. Wie-
niawski. C'est certes l'un des meilleurs violonistes de la jeune
école. M"" Bol a été, de même, très applaudie pour l'aisance avec
laquelle elle égrène les vocalises les plus vétilleuses.
Un concert extraordinaire, exclusivement consacré à la musique
française moderne, sera donné le 14 courant. On y entendra
notamment le prélude el deux entr'actes de Kqradec, la nouvelle
partition écrite par V. d'Indy pour un dramo breton, VAndante
de la symphonie en ré mineur de G. Fauré, l'entr'acte des
Caprices de Marianne, d'Ernest Chausson, Méditation de P. de
Bréville, toutes œuvres exécutées pour la première fois à
Bruxelles, et, pour finir, la Joyeuse Marche de Clabrier, qui
fut jouée cet hiver aux concerts des XX.
Le Club symphonique de Bruxelles, dirigé par M. Agnie2, don-
nera dimanche prochain à La Louvière un concert de bienfaisance
avec le concours de M"" F. Gillieaux, Céline Blés el Malvina
Schmidl.
Le succès de l'exposition organisée au Musée communal
d'Ixelles a décidé le Comité à remettre la clôture au 10 juillet.
La clôture du Salon du Champ de Mars est remise également
au 10 juillet.
Le nombre de visiteurs du Salon de V Association pour iart,
qui vient de clore ses portes, a été, en trois semaines, de 2,300,
ainsi répartis :
Entrées payantes 800
» des membres souscripteurs .... 700
» au concert (invitations) 200
» le jour de l'ouveriure (invitations) . . 600
Total. . t 2,300
Ce chiffre est très satisfaisant pour un début et montre l'intérêl
avec lequel Anvers a accueilli l'initiative des organisateurs.
Plusieurs œuvres ont été acquises par des amateurs. Citons
entre autres :
A. Delaherche. Trois vases el un plat (grès flambés).
G. MoRREN. Matinée d'Avril; Déclin du jour; Jardin public.
P. SiGNAC. Les barques (Concarneau); op. 221.
W. Thornley. Album de lithographies d'après Degas.
H. Van de Velde Paysage puéril.
Th. Van Rysselberghe. Jeune femme cousant.
Edouard Dujardin, l'auteur du Chevalier du passé, d'après le
Figaro :
Fondateur de la Revue Indépendante el de la Revue Wagné-
rienne. N'a qu'un vague respect pour les règles ordinaires dé la
poésie et terrifie les bookmakers. A renoncé à la littérature mili-
lanle et l'a remplacée par les courses. Se conlenie d'écrire un
drame par an, en des vers très curieux, mais aussi d'un symbo-
lisme féroce. Pioche, le reste du temps, les pedigrees et les han-
dicaps. Ne manquerait pas une seule représentation de Parsifal
îi Bayreuth, mais encore moins les débuts des « deux-ans » dans
une réunion de province. Et de ce mélange de littérature singulière
et de sport à outrance résulte un homme à l'esprit doux, intelli-
gent, spirituel, aimé de ses amis, fidèle' h ses haines, qui se
promène dans la vie en rêvant et en pariant — el qui, habitué au
symbolisme, fait, dit, écrit les choses les plus abracadabrantes
sans avoir l'air de se douter des monstruosités qu'il commet.
Signes particuliers : poète, joue parfois ses drames lui-même;
homme de sport, porte un crayon suspendu à une chaîne d'or.
Le Gil Blas ajoute les curieux détails ci-après :
Est resté légendaire parmi les pèlerins de Bayreuth avec ses
culottes gris-perle et le cor annonciateur où il sonnait de
lamentables fanfares. Stupéfie aujourd'hui les « toute sorte » du
turf par des pardessus extraordinaires. Figure au Champ-de-Mars
dans le Christ du peintre Jacques Blanche. Signe particulier :
A les poches pleines de monocles qu'il laisse continuellement
tomber. et ne ramasse jamais.
ï
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LIGNE D'OSTENDE-DOUVRES
La plus courte et la moins coûteuse des voies extra-rapides entre le Continent et rANCLETERRE
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Douzième année. — N° 28.
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 10 Juillet 1892.
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L'ART MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Comité de rédaction » Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. iO.OO ; Union postale, fr. 13.00 —ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser toutes les communications à
l'administration générale de TArt Moderne, rue de l'Industrie, 32, Bruxelles.
Sommaire
Les Pleureuses. — Léon Donnay, Séi-énité. Tito Zanaudelli, In
morte di Virginia. — Au Palais de justice. '■ — Les Lettres belges
A l'étranger. — L'exposition du théâtre a Paris. — Concoubs
DU Conservatoire. — Bihliographie musicale. — Vente de la
collection Van Brantegiiem. — Lf,s .journaux français interdits.
— Petite chronique.
f
g LES PLEUREUSES
Les larmes sont perles races...
1 Donne-moi toute la parure de tes yeux.
Ad. Willette.
Tour à tour interpellées par ce correct Chevalier du
passé, Louis de Casembroot, les Floramyes s'avançaient
sur l'estrade. Oui, c'était bien Aurea, dans sa robe
couleur de soleil, la tête casquée d'une opulente cheve-
lure sombre; c'était Rosea, rougissante et pudique;
c'étaient Gemrpea et Siderea, aux mouvantes et légères
draperies tanagréennes. Et tandis qu'elles s'offraient,
résignées, aux regards sévères des Voyageurs impassi-
bles, symbole de l'incorruptible aréopage, des larmes
abondantes coulaient de leurs yeux frangés de cils pro-
voquants, et sous la gaze lamée de soie de l'himation,
des sanglots battaient le rythme d'une amère douleur.
C'est qu'on venait de leur rappeler, à ces vierges
timides, que leur chant avait été couronné d'un
deuxième prix l'an passé, et le souvenir de cette légitime
récompense leur semblait une cruelle ironie. On le leur
rappelait « avec distinction ", il est vrai, mais ce
vocable, elles s'en souciaient comme du papier argenté
qui enveloppe les dragées Suchard. Et le Chevalier du
passé avait beau moduler avec les inflexions les plus
caressantes de sa voix timbrée la qualification adoucis-
sante, la blessure n'en était pas moins douloureuse.
Embusquée dans une baignoire d'où elle avait suivi avec
anxiété les péripéties du drame intime, M™*' Manchabalie
montrait le poing au catadème-président. « C'est une
indignité ! C'est une infamie ! Il n'y a plus de justice ! »
hurlait-elle, accentuant ses observations d'épithètes
empruntées à des vocabulaires non renseignés dans
le dictionnaire de l'Académie. Et M. Cardinal, son
voisin, excitait cette généreuse colère par quelques
mots scandés avec autorité : " Je vous l'avais bien dit,
M™® Manchabalie. Votre Caroline a voulu faire sa tête
en refusant de souper avec un membre du jury. Il ne
faut janaais contrarier ces messieurs. — Est-ce sa faute
si Caroline aime son petit ténor et n'a pas voulu lui
faire de peine? — Et votre Rébecca a dit à toutes ses
amies qu'elles étaient bien bêtes de dépenser leur argent
à des leçons particulières. Les professeurs n'aiment pas
cet esprit frondeur. — Ah! ça, croyez-vous, M. Car-
<
218
U ART MODERNE
dinal, que les pièces de douze francs cinquante poussent
entre les carreaux de ma cuisine? Jai dû gratter assez
pour payer à Rébecca une robe crème, des bottines
neuves et pour faire laver ses gants, sans compter une
méthode de chant, des éditions Lemoine et d'autres
instruments de travail ! » .' ■
Et durant ce colloque, le défilé des Pleureuses conti-
nuait, déroulant, aux évocations berçantes du Chevalier
du passé, d'harmonieuses théories de jeunes filles sous
l'œil des diétètes inflexibles. Au dernier nom appelé, ce
fut une explosion de larmes, une rupture de digues, une
inondation, qui souleva l'attendrissement du Chœur lui-
même, quelque habitude qu'il eût de ces attristants
spectacles. Et c'est en proie à la plus vive émotion que
la foule s'écoula lentement, accompagnant de ses
exhortations, de ses condoléances, de petits mots
tendres et même de discrets baisers les fauvettes rete-
nues captives, pour une année encore, dans la cage
frémissante de gazouillements et de soyeux bruits
d'ailes.
Elles pleuraient aussi, celles que l'intègre dicastère
avait proclamé lauréates et devant qui s'écartaient
librement les barreaux. Elles pleuraient sur le malheur
de leurs compagnes, sans doute. Qui oserait supposer
que le dépit de n'avoir pas obtenu la distinction gon-
flait le cœur de celles à qui le premier prix venait d'être
décerné? Et comment croire que les jolies oiselles à qui
de spéciales mentions avaient été libéralement distri-
buées enrageaient de ne s'en être pas vu décerner de
plus hautes encore? La modestie bien connue des
artistes, et des chanteuses en particulier, écarte d'em-
blée tout soupçon.
Cependant, des groupes s'étaient formés où l'on com-
mentait avec animation les décisions de l'incorruptible
jury. Un phonasque justement réputé par l'excellence
de son enseignement semblait. contrarié de l'attribu-
tion qui venait d'être faite à deux débutantes, sorties
d'une classe où il ne professait point, du prix spécial
institué par une très noble dame pour le plus harmo-
nieux mariage de deux voix féminines, — prix consistant
en un joyau dont les jeunes cantatrices se montrent
friandes. « L'Italie nous a vaincus, » disait-il, faisant
allusion à la nationalité du vieil auteur dont l'œuvre
avait triomphé. Aussitôt les langues (les plus mau-
vaises) se délièrent, et l'on insinua, pour consoler le
digne maître, que si l'Italie triomphait, c'était parce que
le Chorège lui-même avait pris soin de transcrire et
d'harmoniser les inspirations du vieil auteur, ce dont
les membres du dicastère s'étaient, comme de juste,
préoccupés dans l'allocation des récompenses.
Un groupe nombreux répliqua que les aristarques
n'avaient tenu aucun compte des combinaisons parti-
culières du Chorège, et que seule les avait charmés la
voix captivante des sirènes victorieuses. Il y eut de
vertes ripostes, et l'on faillit voir, tant la discussion
prit une tournure de débats parlementaires, des sphen-
donés arrachées par des mains brutales et le sakkos
de plus d'une voler ailleurs que par-dessus les habituels
moulins.
Le grave M. Cardinal arrêta net la querelle en disant
à haute voix à M™'' Manchaballe, à qui il avait poliment
offert le bras : «Ce qui dégoûtera nos filles de leurs
rivalités puériles, c'est l'enfantillage de leurs maîtres " .
On se tut. Le phonasque donna ordre qu'on fit avan-
cer un fiacre et disparut, tandis que ses partisans et ses
adversaires se dispersaient dans diverses directions.
• Dans l'entrebâillement d'une porte assiégée par une
foule tumultueuse, des Floramyes éplorées distribuaient
à la volée d'énergiquesembrassades, mouillées de larmes.
M™" Manchaballe avait rattrapé Caroline et Rébecca et
s'appliquait à leur sécher les yeux, tandis que Judith,
l'aînée, sortie des classes depuis trois ans et déjà engagée
à cent francs par mois au théâtre, leur tapotait douce-
ment le dos en disant : « Pleurez plus, petites sœurs.
Au Conservatoire, c'est comme au régiment. On arrive
à son tour de bête ".
M'"*' Manchaballe enveloppa soigneusement ses filles
dans leurs chitons bleu-marine, rajusta leurs ténies et
les poussa vers la rue Watteau, qu'une édilité totale-
ment étrangère aux arts s'obstine à dénommer rue
Watteeu.
Et tout en marchant, la digne femme exposait ses
vues à M. Cardinal. « J'en ai assez de leur sale boîte,
disait-elle. Le Conservatoire ? Vous savez bien que
Judith n'y a rien conservé du tout. Feu M. Mancha-
balle a tenu à ce que ses filles deviennent des artistes,
parce que comme ça, on ne dira pas que ce sont des
cocottes. Les cantatrices, n'est-ce pas, ça peut avoir un
protecteur, même des amants, et personne n'a rien à y
voir. On les reçoit quand même dans le monde, on les
invite à dîner, Les messieurs chics sont tout fiers de se
montrer avec elles, ils entrent dans leur loge au théâtre,
devant tout le monde. Tandis que les autres!... On leur
envoie de loin un petit bonjour impertinent, et puis,
mon cœur!... C'est tout au plus si aux courses on
se risque à leur ofïrir un verre de Champagne et au
Waux-Hall un sherry-cobbler. Encore faut-il qu'elles
se tiennent au fond du jardin, dans l'Arabie, comme
ils appellent ça.
Malheur ! Est-ce qu'elles valent moins que celles qui
gazouillent? Est-ce que les hirondelles ne sont pas des
oiseaux du bon Dieu, comme les mésanges et les rossi-
gnols? Mais enfin, c'est comme ça, il n'y a pas à
rechigner. J'ai donc été de l'avis de M. Manchaballe,
car moi, vous savez, M. Cardinal, je tiens avant tout à
la considération.
— Vous avez raison. M""® Manchaballe.
— Eh bien ! est-ce que ce n'est pas une honte d'em-
V
pêcher mes filles d'exercer honnêtement leur métier?
Qu'est-ce que ça peut leur faire que Caroline mette de
temps en temps un bémol de plus, et que Rébecca ajoute
des fioritures à ses airs? Quand elles entreront au
théâtre, jolies comme elles sont, est-ce qu'on y regardera
de si près ? Ah I le premier prix , quelle blague ! Est-ce
qu'elle a eu le premier prix, cette Delna, qui servait des
bocks il y a six mois et qui affole tout le monde à l'Opéra-
Comique? Et Yvette Guilbért, est-ce qu'elle ne se fiche
pas mal du Conservatoire? Est-ce qu'elle ne s'en est
pas fichu toute sa vie? Aussi, je suis bien décidée.
Je reprends mes filles. Elles feront tout ce qu'elles vou-
dront, et elles réussiront, je vous en donne mon billet.
Elles sont assez intelligentes pour ça, et je les ai bien
élevées. Mais le Conservatoire, nisco! Je n'en ai pas
assez, j'en ai de trop ! C'est bon pour les gobeurs et les
journalistes, cette plaisanterie des distinctions, des rap-
pels, des prix. Pauvres chéries! Ça ne sert qu'à les
faire pleurer, à leur abîmer les yeux.
— Je ne puis pas vous donner tort. M""* Manchaballe.
— Ecoutez-moi, M. Cardinal. Qu'on enseigne le
chant aux jeunes filles, c'est très bien. Qu'elles appren-
nent ça comme la couture, comme le repassage, comme
à faire une addition, je n'y vois pas de mal. Celles qui
ont des dispositions seront vite engagées. Mais qu'on
convoque tout Bruxelles pour leur dire à la figure :
« Vous êtes une oie; retournez chez vous remailler vos
bas ", c'est scandaleux. Est-ce qu'on traité comme ça
les peintres, les agents de change, les architectes, les
négociants, les écrivains? Je voudrais bien qu'on fasse
un concours de journalistes, pour voir ceux qui ne
diraient pas d'âneries !
— Vous oubliez une chose, M""^ Manchaballe. C'est
que les concours d'élèves, ce sont, au fond, des concours
de professeurs. Les élèves, c'est comine les malades dans
les hôpitaux : cela sert aux expériences des internes.
Mais vous voilà chez vous. Bonsoir, M""^ Manchaballe,
au plaisir de vous revoir. » : -
Sérénité.
Sérénilc Irislo, par exemple, irislo mais simple. Si simple
qu'elle nous, louche. En nous conlanl, dans ccUe langue sans
recherche el presque sans adjectifs, un peu de sa vie, le j(>une
poèlc n'a pas pensé à nous; il écrit pour lui-même; il le dit en
commençant, « il se dédie ce livre, très simplement ». Et nous
nous y retrouvons avec tous nos plus grands et nos plus vagues
désirs, exprimés comme il semble que nous le ferions si nous
pouvions rester enfanls et sincères en vieillissant. Je ne peux pas
vous expliquer le charme doux et intime de ce petit livre, où les
impressions sont nolces sans effort apparent et dont la prof m-
deur se mesure à quelque chose qui est en nous.
C'est plein de pitié pour les « humbles, les derniers, les
petits >', de queslion.s angoissées que tout homme se pose el que
beaucoup essaient de résoudre avec leur esprit pour ne plus
entendre le bruit de leur instinct ; elde mots comme cetix-là :
Ijaissey. l'aire la Mort
Quand In Mort a pitié
ou d'ironie, comme dans « Prudence », « Exhortation », « la
Châsse », et de tant d'autres choses vivantes qu'on sent tous les
joûïs et qu'une existence mauditement compliquée vous empoche
d'exprimer.
Comment dire plus simplement que dans « Amitiés » notre
sourde intuition qu'un sentiment plus fort que les autres nous
meltra sur le chemin des secrets cherchés ?
.I';ii clans mon corveau d'homme
D'iii)rcs curiosités.
Chez moi l'œil ment i
A l'osiirit.
Jo voudrais vous luer
Net
D'un coiip de kriss
Ou (le dague.
D'un coup d'arme romanesque
Pour éprouver ce qu'on ressent
A voir couler votre sang,
Râler un ami comme vous
One j'aime plus que la lumière,
Pour qui je donnerais
Tout
Sans compter.
Comme dirait Emerson, je crois que M. Donnay a mis, ainçi
que des choses précieuses, ses pensées dans le plus petit écrin
possible. — Toute une vie, toute une nature se révèle dans cette
silhouette dessinée par les mots sans orgueil de son livre.
Tout art sincère est une révélation de l'homme à l'homme.
Les Donnay. Je n'en connais qu'un et j'ai lu le livre de l'autre,
je n'ai jamais vu deux artistes plus frères. Ils curent le même
père, le sculpteur Donnay. Dans tous deux, Auguste Donnay le
peintre, el Léon Donnay l'écrivain, domine, sans théorie ni appa-
rence de système, cet instinct du simple qui les rend si person-
nels, à notre époque compliquée, ils semblent, comme César
Franck, ne pas avoir passé par le désarroi intellectuel qui a lue nos
vieilles fois.
Pendant que nous sommes tourmentés, anxieux, passionnés, ils .
ont l'âme plus calme, plus Irisie; il y a quelque chose de plus
intime dans leur art, de plus sereinement religieux aussi. — Parce
qu'ils ne veulent pas, en fiers artistes qu'ils sont, faire de l'art un
moulin tourné par ce moteur slupide : la machine cérébrale, ils
se sont instinctivement éloignés de cette hélice pensante qui tra-
vaille péniblement aux évolutions humaines et qui broie, en avan-
çant, tant d'êlres fascinés par elle.
Ils restent où ils sont. Etrangement intuitifs, ils étudient les
retlux de la machine conirale dans ses derniers remous, les petits,
les humbles. On dirait qu'ils sont sur une autre rive que celle où
nous essayons d'atterrir. Est-ce pour cela que leur vision a plus
d'unité, que les panneaux décoratifs d'Auguste et les vers de Léon
ont ces grandes lignes simples?
Leur temps est-il venu de briller? Nous les ignorerons peut-être
encore Imiglemps pour les retrouver quand nous aussi, fatigués
de nos gigantesques lutlcs, nous aurons pris pied pour quelques
séculaires moments sur une terre forme, car toutes les terres
fermes communiquent; les lois qui nous y ramènent sont les
m'êmos que celles qui nous en ont lanl de fois éloignés.
I. VV.
220
L'Art moderne
In morte di Virginia, trécento sonetti di TrTo Zanardelli.
Bruxelles J. Morel, 39 p.
M. Tito Zanardelli, par ses éludes si judicieuses sur nos dia-
lerAes populaires, nous a montré qu'il s'est assimilé les idiomes
de son acluelic résidence ; mais les vers italiens qu'il nous envoie
prouwnt qu'il n'a en rienr perdu l'amour de la belle langue ove il
si suo7ia. Les sonnets qu'il consacre à la mémoire de sa jeune
femme nous dépeignent une douleur qui s'exhale mais ne
s'apaise pas.
« Son ûmc frémissanle insulte au sort cruel! »
L'aima fremenle insulta al reo destina.
AU PALAIS DE JUSTICE
Le concours pour la porte de bronze.
Un conflit assez sérieux vient d'éclater entre les archilccles et
le Ministère des travaux publics au sujet du concours ouvert
récemment par l'administration des Bùlimenls civils pour la com-
position de la grande porte en bronze du Palais de Justice, si
impatiemment attendue depuis dix ans.
La situation actuelle n'est pas sans analogie avec celle dont
nous avons révélé, les premiers, les bizarres détails lors du
concours fameux ouvert par la Ville de Bruxelles pour les mûls
électriques de la Grand'PIace; ici comme là, même gftchis dans la
rédaction du programme et des conditions de la lutte, mêmes pré-
tentions outrecuidantes d'un jury inacceptable par les concur-
rents, même extorsion, à vil prix, de documents d'art dont
l'Administration se réserve la faculté de. tripatouillage... Tout
cela a été mis excellemment en lumière dans une protestation
adressée au minisire De Bruyn par la Société centrale d^architec-
ture, toujours sur la brèche, et que nous nous plaisons à féliciter
derechef de la vaillance bcUemenl hautaine qu'elle déploie dans la
défense des malheureux artistes aux droits iniquement méconnus.
Alors que la porte doit coûter 60,000 francs, les feâliments
civils offrent, comme appât aux architectes, deux primes de
4,000 francs et de bOO francs, et biffent d'emblée les 3,000 francs
d'honoraires qui, pour le concurrent palmé, ne constitueraient
qu'une faible indemnité allouée à une étude spéciale et vétilleuse.
De plus, ils se réservent l'exécution des détails, la direction de la
confection des modèles et maquettes, bref tout le côté technique
d'une œuvre où l'artiste peut faire montre de son goût, de sa
science, indiquer son style, sa manière propre, livrer au public
l'intimilé de son moi, sa personnalité entière toute palpitante de
celte soif de vérité et de modernisme qui en sont le grand
charme. C'est tout cela que l'Administration, en son ignorance,
biffe pour le remplacer par une exécution hâtive, impersonnelle,
où dix mains auront œuvré et dont l'amour-propre et la dignité
seront absentes : pareille prétention est excessive el ne peut,
venant de l'Elal, être tolérée à aucun prix.
Ce qui est encore plus grave, c'est le mépris affiché pour la loi
internationale sur le droit d'auleur dont les principes sont
absolument méconnus dans l'arlicle suivant du programme du
concours :
K Les deux projets primés resteront la propriété de l'Etat qui
« se réserve soit de faire exécuter le projet classé premier, soit
« de le laisser sans suite s'il le juge-convenable {!!!)
« Le gouvernement pourra d'ailleurs utiliser comme il le trou-
« vcra bon les dispositions d'ensemble ou de détail des deux
« projets primés, en les combinant à son gré avec la disposition de
« tel ou tel autre projet (.'.'/) Il se réserve aussi de modifier le
« projet classé premier, etc.. »
On croit rêver en lisant pareilles absurdes conditions, inaccep-
tables pour quiconque a souci de sa dignité Aussi convions-nous,
à la suite de la Société centrale d'architecture, tous les artistes
à pousser de vigoureuses clameurs de protestation, qui décide-
ront le ministre à déchirer le programme et qui lui montreront
le côté ridicule de l'aventure dans laquelle l'ont entraîné ses ingé-
nieurs. Car ce sont les très artistes ingénieurs des Ponts el
chaussées qui ont monté ce joli coup.
N'est-ce pas le cas de rappeler ce mot de Frantz Jourdain :
« Si vous rencontrez un ingénieur, tuez-le! »
En matière d'art, c'est presque un axiome.
LES LETTRES BELGES A L'ETRANGER
Nul écrivain n'est prophète dans le beau pays de Belgique. On
dirait vraiment que le Belge réserve tout son esprit à l'améliora-
tion de la race chevaline, à la culture de la betterave et h la ques-
tion des tramways. Rien n'est accordé aux choses de l'esprit. 11 y
a, certes, dans notre pays, une élite raffinée, un groupe de très
délicats aux nobles et purs enthousiasmes, mais en dehors de ces
eslhètesi c'est le vide absolu, le néant où plus rien ne retentit.
11 est inutile de répéter encore que Camille Lemonnier et Mau-
rice Maeterlinck ont dû être consacrés par là France avant que
leurs compatriotes daignassent s'occuper d'eux.
■ Qu'une œuvre de valeur paraisse ici, on fait l'obscurité autour
d'elle, elle passe au milieu de l'indifférence — et les écrivains sont
des solitaires, ayant depuis longtemps d'ailleurs rompu toute
attache avec la gent politiquailleuse et pratique qui évolue autour
d'eux.
Ainsi, encore, dans /« Société nouvelle, l'excellente revue de
M. Fernand Brouez, a paru une très remarquable et longue élude
de M. Georges Eckhoud : Le Siècle de Shakespeare.
Personne n'en a parlé ici. Evidemment ! Mais plusieurs revues^
françaises ont fait grand éloge de celte œuvre, et la République
française lui consacre un feuilleton de huit colonnes, signé Paul
Ginisly.
« Depuis quelque temps, dit M. Ginisly, nous avions le désir
de parler de l'altachanl et vivant travail de M. Georges Eekhoud
sur l'état du théâtre anglais au moment où arriva Shakespeare.
Le tableau est intéressant par sa couleur pittoresque, cl
M. Eekhoud ressuscite bien le vieux Londres du xvi" siècle, dédale
de rues noires et tortueuses, ville déjà démesurée, aux mœurs
dures el presque farouches, pleine de bouges et de repaires, per-
pétuellement décimée par la peste. Cette peinture avait été magni-
fiquement ébauchée par Hugo dans son William Shakespeare;
M. Eekhoud s'est plu à la précision des détails. »
M. Ginisly analyse ensuite le travail considérable de noire com-
patriote. ■
« Il y aurait encore beaucoup à glaner, dil-il en terminant son
feuilleton, dans ces intéressantes notes, sur un sujet qui, dans
notre langue du moins, est loin d'avoir été épuisé. Rien n'esl
curieux comme de suivre dans ses premiers tâtonnements un art
qui, avec Shakespeare, va tout à coup s'élever ci haut. » ^
LkRT MODERNE
221
L'EXPOSITION DU THEATRE A PARIS
On s'occupe aclivement à Paris d'un curieux projet d'exposition
pour 1893. L'auteur est M. Gailhard, ancien directeur de l'Opéra,
auquel s'est associé M. Bouvard, l'architecte de l'exposition
de 1889.
Voici î» grands traits les principales lignes du programme
soumis par MM. Gailhard et Bouvard. '
Sous la Tour Eiffel, scène en plein air avec représentations de
mystères et de pastorales.
Galerie des Machines, théAtre nautique au milieu d'un décor
représentant Venise avec spectacle des fiançailles du Doge et de
l'Adriatique; l'installation offrant cette particularité que les spec-
tateurs seront en gondoles sur un mè4re d'eau.
Sous le Dôme, grand théâtre d'opéra moderne avec représen-
tations diurnes des principaux chefs-d'œuvre de l'art musical
contemporain par les meilleures troupes italiennes, russes, amé-
ricaines et françaises. Le soir, grands ballets reproduisant l'his-
toire de la danse.
Galerie de trente mètres, installation d'un théâtre de genre
pour les œuvres littéraires, d'oi)éra comique et d'opérette consa-
crées par le succès.
Création d'une salle de concerts symphoniques.
Exposition dans les galeries de tous les inslrumenls de musique,
depuis l'origine la plus éloignée; arts et industries se rattachant
au théâtre, aux costumes et aux décors.
Reconstruction du Théâtre d'Orange, pour représentations de
l'art dramatique grec, et des Arènes d'Arles, où auront lieu des
combats de gladiateurs, courses de chars et jeux gymniques.
Enfin, dans le jardin, reproduction de la foire de Nijni-Nov-
gorod avec salle de bal centrale et reconstitution de l'histoire de
la danse.
11 va sans dire que les principales troupes de l'ancien et du
nouveau conlinenl seraient conviées sur les diverses scènes élevées
à cet effet ; que les meilleurs corps de ballets russes, italiens et
français seraient appelés à se produire, et que Te concours des
plus grands artistes de chant, de drame et de chorégraphie
d'Europe et d'Amérique est -d'ores et déjh assuré aux organisateurs
de cette magnifique exhibition internationale, qui a jusqu'ici
rencontré dans les centres politiques, industriels et artistiques la
faveur la plus marquée. Pour ce que l'amour du théâtre est inné
en France et qu'après Vienne il reste encore beaucoup de choses
intéressantes b daner.
CONCOURS DU CONSERVATOIRE (i)
Chant monodique (hommes). — Professeur : M. Warnots.
If* mention, M. Devaux; 2"'« mention, MM. Bernstiel etGoossens.
Chant théâtral (jeunes filles). — Professeurs : M"'" Cornélis-
Servais, M. Warisots. 1" prix avec distinction, M^'" Hendrickx
(Warnots); 1" prix,M'i«»Thévenel (Cornélis) et Van Hoof(Warnols);
rappel avec distinction du deuxième prix. M"** de Kozoubsky,
Van Langendonck, Vliex et Vranckx (Warnots); S"»* prix avec dis-
tinction, M"«» Kleyn et Marin (Cornélis); a-"* prix. M"» Fréchel
(Warnots).
(1) Suite. Voir nos trois derniers numéros.
Prix de la Reine (duos), M"«^' Thévenet et Kleyn.
C'esi, de toutes les concurrentes, M"» Thévenet qui a été le plus
favorablement accueillie par le public, et nul doute qu'elle eût
obtenu,, outre son premier prix, une « distinction », si elle eût
fait un plus long stage au Conservatoire.
On sait, en effet, que l'assiduité dans la fréquentation des
cours vaut h elle seule un certain nombre de points, La voix de
M"" Thévenet, appréciée l'hiver dernier aux XX, est d'un joli
timbre et l'artiste, dont le physique est charmant, chante avec
goût, en musicienne déjà fort loin des tâtonnements d'une élève.
On a fait aussi, et avec justice, un vrai succès à M"* Van Hoof, qui
a obtenu d'emblée, comme la précédente, son premier prix. La
jeune cantatrice donne de sérieuses espérances. La façon dont
elle a interprété Tair des « Colombes » de Salammbd révèle une
nature personnelle des plus intéressantes.
Enfin M"* Hendrickx, fille du directeur du Théâtre Flamand, a
plu par la belle qualité d'un contralto de choix qui, lorsqu'il sera
plus complètement assoupli, classera la cantatrice parmi les
artistes de marque.
A citer encore la voix agréable de M"* K!eyn,dont l'articulation
est insuffisante, le soprano dramatique de M"" Marin, le soprano
léger de M"" Fréchel, les vocalises aimables de M"" Van Damme,
pour qui le jury s'est montré sévère en lui refusant toute mention.
Il y a eu, à la sortie, et déjà sur l'estrade, dès la proclamation
des résultais, d'attendrissantes scènes de larmes, qui n'étaient,
hélas! pas toutes des larmes de joie et qui ont provoqué dans la
cour du Conservatoire des manifestations diverses, prolongées rue
de "là Régence, dans le brouhaha d'une sortie exceptionnellement
tumultueuse. . .
BIBLIOGRAPHIE MUSICALE
La littératiire du piano, par M. F. Le Couppey (1).
M. Félix Le Couppey, professeur de piano au Conservatoire dçr
Paris, est mort avant d'avoir pu achever l'important ouvrage
auquel il travaillait depuis longtemps et qui devait embrasser, en
un ouvrage didactique et historique, tous les maîtres qui ont
écrit pour le piano, — y compris ceux des époques lointaines où
nos Erard, nos Steinway et nos Gunihcr se présentaient aux vir-
tuoses sous la forme rudimehtaire de la virginale, de l'épinelte et
du clavecin. 11 avait terminé, lorsque la mort vint le surprendre,
la première partie de cette vaste anthologie, et c'est cette première
partie que l'éditeur Uamelle vient de mettre en vente.
C'est, pensons-nous, la série la plus intéressante de notices et
de documents qui nous est ainsi révélée. Parlant des clavecinibtes
du XVI® siècle sur lesquels les renseignements sont rares et incer-
tains : William Byrd, John Bull, Orlando Gibbons, M. Le Couppev
passe en revue tous les maîlresdes xvu« et xviii* siècles, les Lulli, les
Couperin, les Scarlalti, les Rameau, les Marcello, lesPorpora, les
J.-S. Bach, les Hsendel, les Haydn, les Clemcnli, les Mozart, et
non content de citer les plus illustres, il recherche et lire de
l'oubli d'éminenls musiciens qtic l'ignorance ou l'ingratitude de
leurs contemporains n'a pas classés au rang qu'ils méritent
d'occuper.
La Littérature du piano s'arrête à Beethoven, avec une incur-
sion dans la musique contemporaine pour mettre en lumière, s arrs
(1) Un vol. in-fo de 117 pages. Ilamello, éd., Paris. Prix : 15 fr.
222
VART MODERNE
plus larder, la figure de Chopin îi qui l'auleur consacre une
nolice importante et enlhousiaslo, t^piugléc de citations de George
Sand, de Liszt, de Berlioz et du comte Wodzinski. C'est comine
un Panthéon de la musique dans lequel sont édifiés U tous les
maîtres du piano des monumenls amoureusement et arlislement
sculptés. Des exemples tirés des plus belles inspirations des
compositeurs, cités accompagnent les notices lapidaires dans
lesquelles M. Le Couppey résume la Vie êl l'OEuvre de ses héros.
On regrette que celle intéressante publication n'ait pu éire
menée jusqu'aux musiciens contemporains. Les noies réunies
par l'auteur permellronl peut-être, dit l'avanl-propos de M. Mon-
don-Vidailhel, de compléter et de couronner son travail. Quoi qu'il
en soit, la Litlêrature du piano, telle qu'elle vient d'être éditée
par M. Mamelle, rendra de précieux services à l'art en révélant
les œuvres de certains musiciens peu connus, ea vulgarisant
celles des auteurs célèbres, en donnant sur tous des détails bio-
graphiques précis, puisés à bonne source et soigneusemcnl
contrôlés.
VENTE DE LA COLLECTION VAN BRANTEGHEM '
La lettre ci-après a été adressée à la Gazette :
Bruxelles, !'■'• juillet 1892.
Monsieur le Directeur de la Oazette, , ,•-_,
Nous lisons, en lellres italiques, dans votre numéro de ce
matin : « Jamais, ni dans les relations officieuses de cette Com-
« mission avec M. Van Branleghem (qui en était membre du
« reste), ni dans les relations officielles de celte Commission avec
« le gouvernement, il n'a été question d'expertise ».
Permettez-nous de vous dire que vous êtes dans une erreur
complète.
Nous étions parmi les membres du Comité formé pour l'orga-
nisation d'une loterie destinée k acheter la splendide collection
Van Branleghem au profit de nos musées.
Dans notre requête au gouvernement pour obtenir l'autorisa-
■ tion d'ouvrir cette loterie, il était dit textucUemenl, que la collec-
tion ne serait acquise qu'à dire d'experts.
Déjà antérieurement, et spécialement dans une communication
officielle du i7 mai, connue de plusieurs d'entre nous, il avait été
prévu que l'évaluation sérail h vérifier par des experts compé-
tents.
Il est regrettable que vous ayez élé amené, par des renseigne-
ments communiqués à la légère, k contredire les affirmations de
M. de HauUeville. Nous avons cru de notre devoir de relever
immédiatement cette grave insinuation.
Ayez la bonté. Monsieur, de publier ces lignes, cl agréez
l'expression de nos sentiments très distingués.
F. -A. Gevaert, a. Willems, Jacques de Lalainc,
, Th. ViNçoTTE, Ernest Sungeneyer, Ch. Potvin,
Edmond Picard.
N. B. MM. Wagener, Dommartin et Van Diest sont absents.
(1) Voir noS'numéros des 24 avril, 26 juin el 3 juillet.
Les journaux français interdits
Une curiosité de la présente ère pornographique.
On a glissé sous les portes, k Bruxelles (k l'exception, pensons-
nous, de celle du Ministre des chemins de fer), la circulaire sui-
vante :
Service spécial d'abonnements soits enveloppes cachetées.
Le OU Blas. Supplément hebdomadaire illustré en couleurs.
La série de 10 numéros, fr. l.oO. — 6 mois (26 numéros),
fr. 3.7S. — 1 an (52 numéros), fr. 7.50.
La Lanterne. Supplément bi-liebdomadaire. — La série de
10 numéros, fr. 1.50. — Six mois (52 numéros), fr. 7. .50. ■■ —
1 an (104 numéros), 14 francs.
La Gaudriole. Journal bi hebdomadaire, illustré en couleurs.
La série de 10 numéros, fr. 1.50. — 6 mois (52 numéros),
fr. 7.50. — 1 an (104 numéros), 14 francs.
Pai'is la Nuit. Journal hebdomadaire illustré en couleurs. La
série de 10 numéros, fr. 2,50. — 6 mois (26 numéros), fr. 6.25.
1 an (52 numéros), 12 francs.
Fi7i de Siècle. Journal hebdomadaire. La série de 10 numéros,
fr. 2.50. — 6 mois (26 numéros), fr. 0.25. — 1 an (52 numéros),
12 francs.
Le Courrier français, Le Messager français, grands jour-
naux illustrés hebdomadaires. La série de 10 numéros, fr. 7.50.
— 6 mois (26 numéros), 19 francs. — 1 an (52 numéros),
37 francs.
Les Beautés parisiennes, L'Echo des boulevards, grands
journaux illustrés en couleurs avec grand luxe. La série de
10 numéros, fr. 12.50. — 6 mois (26 numéros), 30 francs. —
1 an (52 numéros), 58 francs.
Ces prix sont établis exclusivement pour Bruxelles. Les abonner
ments pour la province sont soumis à un tarif spécial.
Le service est fait sous enveloppes cachetées de façon k éviter
toute indiscrétion.
Le prix des abonnements peut être acquitté en timbres-poste
belges de 10 ou de 25 centimes, ou en mandats.
Les demandes accompagnées du montant doivent être adressées
k M. Paiu. Hameun, libraire, 36, rue du Faiibourg-Poissonnièrc;
Paris.
N. B. On se charge de fournir les numéros complémentaires
de ces journaux, pour les collections incomplètes, aux prix ci-
dessus.
■Petite CHROjNiquf;
La clôture du Salon d'ixelles aura lieu aujourd'hui. Un dernier
concert sera donné,, k 2 heures, parM"« M. Walker, pianiste,avec
le concours de !W"« N. Abraham, de MM. A. Déon, Ph. Fiévez el
F. Bouserez,
Diverses auditions intéressantes ont eu lieu au Waux-Hall celte
semaine. On a chaleureusement applaudi, pour la seconde fois,
M'ioParenlani, cantatrice, et M. J. Jacob, l'excellent violoncelliste
solo de l'orchestre. Aujourd'hui, dimanehe, deuxième audition de
la Mer, esquisses .symphoniques de P. Gilson en quatre parties
sur le poème d'E. Levis.
Jeudi prochain, k l'occasion du 14 juillet, concert exlraoi<di-
naire exclusivement consacré aux compositeurs français contem-
porains, parmi lesquels Vincenl d'Indy, Gubriel Fauré, Ernesl
Chausson, Pierre de Bréville, Emmanuel Ciiabrier. L'orci)eslrc
consacre lous ses soins aux répélilions do ce concert, qui prii-
senlera un intérêt artistique cxceplionnei.
»
M. Edouard Jacobs, professeur au Conservatoire de Bruxelles,
qui prendra part au concert donné aujourd'hui îi La Louvière par
le Club symphonique, se rendra prociiaincmenl en Russie. Il a
signé un brillant engagement d'un mois, prenant cours le l"/i3
août, aux célèbres concerts de Pawlosk dirigés par M. de Galkine;
M. Jacobs se fera entendre trois fois par semaine, soit quatorze
fois en tout.
L'administration communale de Termonde met au concours,
entre tous les artistes belges, le monument à élever à la mémoire
du célèbre poète flamand Prudent Van Duyse. Il se composera
d'une statue en bronze ayant au moins 2"'50 de hauteur, sup-
portée par un piédestal isolé en pierre d'Eeaussincs, et sera
entouré d'un grillage en fer fondu de 0"'60 de hauteur. Il ne
dépassera pas le coût de dix-neuf mille francs.
Les maquettes doivent être adressées, franc de port, au plus lard
le 20 août 1892 à M. le Bourgmestre de Termonde.
Pour le programme détaillé, s'adresser à }l. le Secrétaire
communal Th. Roels.
Le comité des fêtes jubilaires de Peter Benoit organise pour le
24 juillet courant un grand cortège auquel participeront les
sociétés musicales, littéraires et dramatiques du pays.
Un chaleureux appel vient d'être adressé à cet effet à toutes les
sociétés qui s'occupent de l'art dans ses diverses manifestations.
Après le cortège aura lieu une exécution musicale au cours de
laquelle se fera la remise des médailles commémoratives aux
sociétés qui auront participé à la manifestation avec leur bannière
ou leur corps de musique. La journée se terminera par un banquet.
Les adhésions doivent être adressées au secrétaire du comité
organisateur, M. W. Schepmans, rue de l'Offrande, 21, à Anvers.
Des listes de souscription sont mises en circulation ; les sous-
cripteurs versant au moins 10 francs recevront un exemplaire de
la médaille commémoralive, ainsi que le porlrait de Peter Benoit.
Une coliçaiion de 5 francs donnera droit à un porlrait du jubilaire.
Le banquet a lieu également par souscription, au prix de 5 francs.
(Communiqué.)
Dans le dernier catalogue de la librairie Edmond Sagot, 18, rue
Guénégaud, à Paris, où l'on peut se procurer notamment les ad-
mirables affiches de Chéret, on lit les deux articles suivants rela-
tifs à notre illustre compatriote :
« 5543. — RoPS (Félicien). Aspects divers; dessin original au
crayon rehaussé de couleurs, signé du monogramme F. R. In-4»
en hauteur. 300 francs.
Ce joli dessin comprend cinq personnages : deux patineuses et
un patineur font une chute, deux autres patineurs les regardent.
5544. — RoPS (Félicien). On demande une femme de chambre
de Paris; important dessin au crayon signé de son monogramme
.F. R. In-4»en hauteur. 400 francs.
Très beau dessin comprenant trois personnages ; l'exécution en
est parfaite. »
i>e Burlington Fine Arts Club vient d'ouvrir à Londres, dans
son local, Savile Row, 17, une remarquable exposition d'anciens
maîtres flamands. C'est la 2o«annéeque ce Cercle,qui ne comprend
<
exclusivement que des collectionneurs et amateurs d'art, réunit
dans ses locaux un choix d'œuvres rares. Voici la liste des exhi-
bitions qu'il a organisées depuis sa fondation :
1868, Gravures de M. A. Raimondi ; Céramique orientale. —
1869, Gravures d'A. Diirer et de Lucas de Leyde; Art et industrie
de l'Orient. *- 1870, Dessins originaux de Raphaël cl de Michel-
Ange. — 1871, Tableaux de maîtres anciens, aquarelles d'artistes
anglais décédés, nés avant 1800. — 1872, Etudes de Turner ; Des-
sins et esquisses de C'aude; Dessins de W. Muiler; Tableaux de
G. Mason, A. R. A. — 1873, Céramique anglaise et continentale;
Dessins et esquisses de D. Cox et de P. de Wint. — 1874, Manus-
crits enluminés. — 1875, Choix d'œuvres de Wenceslas Hollar ;
OEuvres de Thomas Girlin; Laques du Japon. — 1876, Vitraux
d'art; OEuvres de W. Blake. —1877, L'OEuvre ^ravé de Rem-
brandt; OEuvres de H.-S.Beham et de B. Beham. — 1878, OEu-
vres de J.-S. Raven; Dessins de maîtres hollandais; Objets d'art
du Japon et de la Chine. — 1879, Bronzes et ivoires européens ;
choix d'œuvres de Charles Méryon. — 1880, Aquarelles d'artistes
anglais décédés, nés après 1800. — 1881, Gravures à l'aqua-tinte.
— 1882, Sculptures en bois de l'Ecole allemande desxv* et xvi^
siècles. — 1883, Tableaux et dessins de D.-G, Rosselti; Gravures
de R. Zeeman et de K. Du Jardin. — 1884, Dessins d'architecture
d'artistes anglais décédés. — 1885, Art persan et arabe. — 1886,
OEuvres de J.-Mc. Ardell. — 1887, Poterie hispano-mauresque et
majolique. — 1888, Estampes japonaises ; Art céramique grec ;
Dessins de T. Sell Colman. — 1889, Miniatures. — 1890, Dessins
de Spencer Vincenl. -—1891, Renaissance française de la gravure ;
Reliures.
L'annonce des concerts Rubinstein aux Etats-Unis a suscité une
terrible concurrence parmi les fabricants de pianos. Les impres-
sarii du célèbre artiste ont été assaillis des propositions les plus
fantastiques au sujet du piano dont se servirait le maître. La
victoire est resiée à une maison qui a offert de payer mille dollars
par concert, soit, pour les cinquante concerts, 250,000 francs.
(Vita moderna).
Portrait instantané, par le Gil Bios, de M"» Eugénie Meuris,
la comédienne qui interpréta si parfaitement au Parc le rôle
d'Hedwige du Canard sauvage :
a Immatérielle — des yeux de ciel clair, des cheveux pâles, des
mains pures, une frêle silhonctle de première communion, mince
comme un fil de la Vierge, le geste anguleux elrylhmique, semble,
dans le roide velours de ses robes gothiques, descendre d'un
vitrail, s'échapper d'un missel, évoque l'idée aussi de quelque
enfant-reine, précieuse et compassée un peu, de quelque petite
princesse nostalgique exilée des fjords et des brumes Scandinaves.
Paraissait destinée à incarner des figures de douceur, d'amour, de
légende et de rêve — et joue les ingénues positives du Théâlre-
Libre. Née à Reims, élevée à Bruxelles, qui ne sul pas la garder,
premier prix de comédie au Conservatoire belge, débuta au Parc
dans Geneviève ou la Jalousie paternelle, de Scribe. Vint à
Paris dans le chariot d'Antoine, rencontré en tournée, cl s'esl fait
applaudir dans les Inséparables, le Canard sauvage. Tante
Léonline, enfin dans les Maris de leurs Filles, où elle s'est mon-
trée pleine de charme, d'émolion et de force. Signe particulier :
toujours et toujours accompagnée de sa maman. »
C'
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Bruxelles. — ïmp. V Mo.n.nom, 32, rue de l'Inclusirie.
Douzième année. — N" 29.
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 17 Juillet 1892.
L'ART
\ ■■', / (■> C V ..
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DBS ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Comité de rédaction t Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. —ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser toutes les communications à
l'administration générale de TArt Moderne, rue de rindustrie, 32, Bruxelles.
Sommaire
La Débâcle. —Maurice Barrés. — Une visite a Félicien Rops.
— L'art dramatique en Néerlande. — Quelques livres. — Accusés
DE réception. — Décors en papier. — Concours du Conservatoire.
— Mémento des expositions. — Petite chronique.
La Débâcle
Le maître romancier vient d'apporter le dernier
chapitre à son histoire des Rougon-Macquart. Bon
laboureur, d'un pas sage mesurant quotidiennement la
plaine et profondément creusant son sillon, arrivé au
terme de son œuvre que clôt magistralement cet épique
récit, il peut se retourner et jeter, sur le champ bien
labouré, l'œil satisfait d'un bon ouvrier qui de ses
mains a fait la terre féconde. Devant ces six cents pages
où s'accumulent en prodigieuse quantité les détails,
minutieusement en relief, sans que les grandes lignes
d'ensemble en soient atténuées, que nous sommes loin de
l'ancienne et ordinaire conception du roman. Celui-ci se
hausse à l'histoire. Il sera la véridique et définitive
narration du grand désastre national attestant, par
l'étonnante exactitude des faits reconnue de tous ceux
qui y furent, le merveilleux don de divination du
génie. Toutes les scènes de cette triste et stupide
bataille de Sedan y sont reconstituées avec une fidélité
stupéfiante, quand on songe que le narrateur ne fut pas
un des témoins de l'action, et que ce grand tableau histo-
rique, créé de toutes pièces, se déroulesur le seul champ
de son imagination. C'est plus vrai que la réalité et
aucun des participants au comba^^ n'eût été capable de
le décrire ainsi. L'homme de génie voit les choses sous
un angle éternel de vérité, et dans leur contingence et
leur fugacité saisit l'élément stable.
Récit menu, jour par jour, en toutes situations, de la
vie d'une compagnie, avec deux personnages principaux
qui sont pour l'intrigue les pivots du roman, du régi-
ment dont elle est, du corps d'armée où elle disparaît,
de la masse confuse de l'impériale armée fluctuant à
toutes les hésitations, les indécisions, à tous les contre-
coups d'un commandement en désarroi; le livre nous
fait assister, depuis la surprise de Wissembourg jusqu'à
la reddition de Sedan, à toutes les marches et contre-
marches, aux multiples incidents à peu près toujours
les mêmes, et non monotones cependant, des campe-
ments surpris, des retraites soudaines, des retours
imprévus, des rares engagements où l'on peut combattre,
à l'exécution savante et heureuse du plan stratégique
disposant méthodiquement les troupes allemandes en
un infranchissable cercle qui, formé à Sedan, devra,
en se resserrant, fatalement broyer l'armée française,
très inférieure en nombre, et forcée sur le champ de
bataille d'obéir aux ordres successifs de trois généraux,
dont le dernier arrivait d'Algérie!
Et par intervalles passe la lamentable et affligeante
figure de l'Empereur déjà prisonnier de son armée,
malade, torturé du désastre qui vient et du spectacle
de toutes les horreurs dont la responsabilité l'anéantit,
si pitoyable, si misérable et si tombé, que la répro-
bation expire pour se fondre en apitoiement.
Dans, cette Débâcle, l'agonie d'un grand peuple qui
n'en est pas mort et qui maintenant a refait ses nerfs,
les péripéties de l'intrigue nous semblent presque insi-
gnifiantes et la portée romanesque, les aventures de
Maurice et de Jean, l'héroïsme et la douceur de Sylviné,
l'incident de l'espion, les amours de M™^ Delaherche et
toutes les larmes versées sur des maux particuliers,
s'effacent dans la grandeur impersonnelle de l'oeuvre.
D'ailleurs, c'est par là qu'elle est belle. Elle est un
tableau génial de la bataille de Sedan; les personnages,
accessoires dans la composition, ne sont guère là que
pour la commodité du récit. Le souffle épique qui tra-
verse le livre, les pousse à l'écart et fait éclater une fois
de plus l'incomparable talent de Zola à exprimer, dans
toute sa puissance, la .vie collective des foules. D'une
psychologie bornée, il est l'admirable peintre de la vie
des choses, de l'instinct obscur et de l'âme des animaux.
Témoin cette page :
« La campagne restait claire, d'une clarté louche
d'entre chien et loup. Et Lapoulle courut le premier,
suivi des cinq autres. Il avait pris dans le fossé une
grosse pierre ronde, il se rua sur le cheval, se mit à lui -
défoncer le crâne, de ses deux bras raidis, comme avec
une massue. Mais, dès le second coup, le cheval fit un
effort pour se remettre debout. Chouteau et Loubet
s'étaient jetés en travers de ses jambes, tâchaient de le
maintenir, criaient aux autres de les aider. Il hennissait
d'une voix presque humaine, éperdue et douloureuse/
se débattait, les aurai^î^ssés comme verre, s'il n'avait
pas été déjà à demi mort d'inanition. Cependant, sa tête
"remuait trop, les coups ne portaient plus, Lapoulle ne
pouvait le finir.
— Nom de Dieu ! qu'il a les os dursl... Tenez-le donc,
que je le crève!
Jean et Maurice, glacés, n'entendaient pas les appels
de Chouteau, restaient les bras ballants, sans se décider
à intervenir.
Et Pache, brusquement, dans un élan instinctif de
religieuse pitié, tomba sur la terre à deux genoux, joi-
gnit les mains, se mit à bégayer des prières, comme on
en dit au chevet des agonisants.
— Seigneur, prenez pitié de lui. Une fois encore
Lapoulle frappa à faux, n'enleva qu'une oreille au
misérable cheval, qui se renversa avec un grand cri.
Attends, attends! gronda Chouteau. Il faut en finir,
il nous ferait pincer. Ne le lâche pas, Loubet !
Dans sa poche, il venait de prendre son couteau dont
la lame n'était guère plus longue que le doigt. Et,
vautré sur le corps de la bête, un bras passé à son cou,
il enfonça cette lame, fouilla dans cette chair vivante,
tailla des morceaux jusqu'à cequ'ileût trouvé et tranché
l'artère. D'un bond, il s'était jeté de côté, le sang jaillis-
sait, se dégorgeait comme du canon d'une fontaine,
tandis que les pieds s'agitaient et que de grands frissons
convulsifs couraient sur la peau. Il fallait près de cinq
minutes au cheval pour mourir. Ses grands yeux
élargis, pleins d'une épouvante triste, s'étaient fixés sur
les hommes hagards qui attendaient qu'il fût mort. Ils
se troublèrent et s'éteignirent. »
Et sur ce fond noir de massacre et de guerre surgit
la lueur d'incendie de Bazeilles, le flamboiement de la
résistance héroïque dans le petit village conquis pierre
à pierre, pris et repris; amoncellement de ruines sous
des amoncellements de cadavres qui témoignent de la
folie du courage et de l'inutilité de la bravoure. Et les
souffrances de l'armée prisonnière, affamée dans l'île,
pourrissant sous la pluie, décimée par la dyssenterie,
si dénuée et si malheureuse, en ce «> Camp de la misère " ,
le plus sombre et le plus émouvant passage de ce sombre
livre. Et tous les détails caractéristiques et trop vrais :
ce général qui s'indigne que la Meuse ne soit pas la
Moselle, ces officiers qui ont tous dans la poche une
carte de l'Allemagne et ignorent celle de la France, ces
ponts qu'on oublie de faire sauter et qui livrent passage
à l'ennemi, ces chefs de corps d'arrnée qui se font sur-
prendre parce qu'il n'est pas dans leur système de guerre
de se faire éclairer de postes avancés, ces canons
remontant au premier Empire, chargés par la culasse et
qui tirent à quatre cents mètres ; toutes ces négligences
accumulées et impardonnables que le peuple n'a peut-
être pas tort d'appeler trahison.
La fin du livre se prolongeant par une histoire de la
Commune, est comme un appendice à l'œuvre qui,
esthétiquement, gagnerait à se terminer à Sedan. La
Commune, et certes, elle y prête, eût fait l'objet d'un
ouvrage entier. Elle eût été le dernier chapitre non
écourté. Elle contient assez d'horreurs et elle est assez
riche en réalités dramatiques et épiques pour permettre
à Zola de s'y tailler une maîtresse œuvre. C'est un
regret que nous exprimons en sortant de la lecture de
ces 636 pages, où nous nous sommes enfoncé, nous
pénétrant à mesure que nous avancions d'une infinie
tristesse, attaché malgré les longueurs, les nerfs secoués
par cet incessant défilé de dantesques et non imagi-
naires horreurs, admirant malgré l'abus trop visible du
procédé analytique, la monotonie du style uniforme,
le romantique voulu de l'intrigue, entièrement dominé
par la puissance de l'émotion qui se dégage irrésistible
et qui provient, non comme on le dit, de l'extraordi-
naire grossissement de chaque trait, mais plutôt de
l'extraordinaire précision et minutie de tous les petits
détails juxtaposés avec une telle science et un tel ant
de combinaison que l'impression d'ensemble atteint à
toute l'intensité douloureuse que peut supporter l'âme
humaine.
jugé paï> M. Marcel Fouquier.
Je ne sais pas grand'chose cl mon opinion sur .une foiilo do
gens manque de limites définies. Mais il s'est établi dans ma télé
une petite échelle sur laquelle montent et descendent les gens
que je connais.
Maurice Barres est situé vers le haut de l'échelle et M. Fou-
quier perchait beaucoup plus bas, mais ce dernier, sans se faire
de mal, vient de dégringoler encore un très grand nombre
d'échelons.
Il « étudie » Maurice Barrés (dans la Revue Bleue abrégée par
V Indépendance).
Etudier est un mot prétentieux pour exprimer les petites
remarques faites au vol, en feuilletant plusieurs volumes, jugés
à l'avance d'après les dires d'autrui.
Ou bien M. Fouquier est-il à ce point ciiit dans ses pensées
qu'il soit incapable d'en sortir? Encore aurais-je peine à me
figurer ce que peut élre au juste la couleur des pensées de
M. Fouquier, qui me paraît être un ornylhorinque d'une espèce
plus compliquée encore que celle qu'on connaît.
Pour être du goût de la Revue Bleue, j'imagine, il cite de façon
stupéfiante quelques auteurs qui n'ont d'autre affinité que celle
de n'avoir jamais été compris par M. Fouquier.
Il fait une salade de Spinoza, Renan, Gœthe, Kantet... Anatole
France, pour accuser Barrés d'être leur reflet! S'il avait un seul
jour compris Gœlhe ou Spinoza, il aurait quelque chance de
comprendre Barrés. Mais ces grands-là n'entrent pas dans le
domaine du reportage habituel; et si un jeune, faisant quelque
tapage, les évoque, il s'agit de repêcher quelque vague notion de
ce qu'ils ont dit. ^
Ah ! que Barrés doit rire en voyant tous ces écrivailleurs arrêtés
devant la coquille de ses œuvres sans pouvoir autrement le
deviner!
Mais dites donc que vous n'y comprenez rien, braves gens,
que Barrés vous ennuie et n'est pas fait pour vous.
Vous auriez le mérite de vous hausser jusqu'à la vérité et de
rester sincères..
Comment ont-ils lu ces livres pour y trouver toujours la
même chose ?
Comme des étrangers qui arrivent dans un pays dont ils ne
connaissent pas la langue et qui croient entendre toujours répéter
les mêmes syllabes, probablement?
Trouvez-vous que ça se ressemble, celle étude de l'âme popu-
laire symbolisée par Bérénice (comme Wagner la symbolise par
Eisa), de l'âme populaire qui se dégage ou se révèle, non dans
les individus, mais dans les masses rassemblées, — (vous pourriez
l'observer lous les jours, si vous observiez), — et cette autre
étude de la recherche du moi, le plus grand bienfait que puisse
recevoir aujourd'hui la jeunesse française, toujours en quête de
l'opinion d'autrui?-
Vous trouvez que ça se ressemble, le dehors et le dedans.
l'homme étudié dans ses instincts collectifs, généraux, cl l'individu
avec ses tendances obscure'*, égoïsles, intimes?
Ça manque d'intérêt, la lutte contre celle conformité abruùs-
snnle à laquelle il n'y a qu'un moyen d*é( happer : lâcher de
retrouver au fond de soi son vr^ii soi? Ça manque d'in'érêl,
l'expression du désir confus de toute nue épo(|ue affolée d'incer-
titude?
Nous en sommes revenus au « Coniiîiis-loi, tni-mêmc » ^ue
vous copiû;tes cerlarnement dans des pages de calligraphie au
temps lointain de voire enfance (car je me pnurpense un Fou-
quier vieux, d'âge ou de race). Dans le chaos d'idées qui nous
entoure, nous nous tâtons, comme l'aveugle s'accroche à un
point de dépari, et ce n'est qu'après le reuouvellomenl de ce
périodique retour sur nous-mêmes que nous ferons un pas en
avant. — Il semble que toute recherche nouvelle, toute afifirma-
lion sincère du moi soil une richesse pour l'humanité. — Mais,
comme le moindre séminariste en jupons, M. Fouquier confond
l'élude du moi avec l'amour du moi.
El Barrés, selon Fouquier, aurait blasphémé l'amour, lui qui
en fait la seule chose à laquelle on n'ose pas loucher!
Non, tenez, je ne veux pas essayer de lui expliquer quoi qi^ie
ce soit. Il me forait l'honneur de ne pas me comprendre; et moi
qui n'ai jamais eu la gloire d'être incompris, je sens que ma têle
tournerait à cet hommage dangereux.
I. W.
UNE VISITE A FELICIEN ROPS
L'Echo de Paris vient de publier, sous ce titre, le récit d'un
interview qui complète les renseignements que nous avons donnés
sur la santé du grand artiste et qui, heureusement, est de nature
à rassurer ses amis :
« Rops n'habite pas précisément sur les hauteurs de Mont-
martre; pour le voir et le surprendre en son travail, il faut courir
en province, touj. là-bas, derrière la petite ville de Corbeil où
tournent les grands moulins, sur les bords fleuris qu'arrose la
Seine.
C'est sur la roule à gauche, derrière une haie touffue, que
s'élève la maison. Ni château, ni villa, ni même vide-bouteilles.
Sa construciion défie toute description. Quel architecie a dressé
le plan de cet édifice qui tient du hangar, du couvent et de la
caserne, je ne saurais le dire. Ce que je sais bien, c'est que ce n'est
rien de banal ni de bourgeois. Au milieu, une immense crevasse
ouvre sur l'horizon des perspectives infinies : des maçons qui
travaillent dans les caves, sont en train d'élayer des murailles
branlantes et d'arrêter sur le bord du précipice l'étrange maison
qui semble à la merci du premier coup de vent.
Et tandis que je couiemple, ahuri, cet amas de pierres en équi-
libre, Félicien Rops vient vers moi : le malade, dont on vous don-
nait, l'autre jour, de si mauvaises nouvelles, me secoue vigoureu-
sement la main. Je lui trouve une fière mine, et je n'ai jamais vu
un convalescent aussi robuste. A le voir avec sa barbiche un peu
grise, son teint coloré et son ventre suffisant, on dirait un homme
qui sort de table plutôt que de maladie.
— « Eh bien, me dit-il en riant; vous voyez que je ne suis pas
encore mort; j'ai toujours bon pied, si pour le moment j'ai mau-
vais œil. Une congestion dont j'ai été frappé il y a près d'un mois
s'est portée là, cl j'ai cru un instant que le cerveau sérail louché.
Mais bah ! Ce n'est plus qu'une question de jours et puis je me
remettrai à la besogne inlerrompuç.
« Que dites-vous de mon installation? N'est-ce pas qu'elle es^
de nature à dérouter rarchilecle le plus habile? Que voulez- vous?
J'ai l'horreur des constructions compliquées, des coins où sc
complaît le bourgeois ^ j'aime les pièces vastes, simples,
aérées, et je rôvë, pour y vivretoujours, un hall, où j'aurais mon
lit, ma salle à manger, mon atelier, mes chiens et mon cheval.
Celte construction baroque que vous voyez a une histoire, qui
réhabilite à mes yeux la corporation un peu discréditée des no-
taires. Un jour, il y a six ans de cela, je reçus la visite d'un label-
lion de province, M. Beaupèrè : c'était un homme de goût, un peu
artiste et chez qui la paperasserie n'avait pas oblitéré le sentiment
des belles choses. 11 connaissait certaines de mes œuvres et brû-
lait d'en posséder quelques-unes. Or, précisément à ce moment-là,
j'étais fort gêné : je cherchais de l'argent et avais vainement frappé
à la porte des hommes d'affaires et des notaires voisins. Vous
savez s'ils sont durs h la détente, ces gens-là. Je contai donc mes
ennuis à mon visiteur et lui dis qu'il me fallait la bagatelle de vingt
mille francs. Eh bien, le croirez-vous, ce brave, cet excellent, ce
cher homme me les offrit tout de suite, comme cela, simplement,
sans papier timbré, sans formules solennelles. — « N'ayez nul
souci, cher maître, me dit-il : vous me rembourserez la somme,
à votre fantaisie, à l'aide de quelques-uns de vos dessins. » Et
voilà comment je suis devenu propriétaire de cet immeuble extra-
vagant. Peu à peu, j'ai arrondi mon lopin primitif : à force d'ajou-
ter des hectares aux hectares, je me suis constitué un domaine : je
cultive la vigne et les pommiers. Je fais du cidre, je récolte
même dix pièces de vin dont mes amis ne goûtent pas, car il est
mauvais. J'ai de la volaille et des bestiaux et mon ambition à
présent est d'avoir un cochon phénomène couronné au concours
agricole. »
L'art dramatique en Néerlande.
Prétextant des deux pièces nouvelles : Droomleven, de Me-
vrouw Hanna, Het Goudvischje, de W.-C. van Nouhuys, voici de
copieux articles dans les derniers du Nieuwe Gids. Van der
Horsl se limite pour ce « Droomleven », qui semble mérileV la
plus sérieuse attention et éveille toute notre curiosité; Van der
Goes perd décidément toute mesure — et toujours si dilué, —
dans le démolissage du second drame. Trente pages consacrées
à une œuvre qui vaut bien un haussement d'épaules ! Le fait est
que c'est un usage néerlandais. Intolérable ! Au hasard : quinze
grandes pages pour signaler le récent article paru dans l'alma-
nach du Parti ouvrier 92, de Friedrich Engels, un des fondateurs
de la démocratie sociale allemande; vingt-trois pour rendre
compte de la Conquête du pain du prince P. Kropotkine! ^
La critique qui porte ses coups ainsi à demeure, au trot d'un
piètre cheval de fiacre, manque son but, si elle bourre la revue.
L'article, un porte-pince, court et net comme un coup de fouet
ou un cri d'enthousiasme, produit son effet. Dans \&Nieuiue Gids,
Velh, Holst, van Deijssel le pratiquent.
Van der Goes clôt l'interminable réquisitoire contre la pièce de
Van Nouhuys sur celte pensée qui doit ne lui laisser aucun doute
sur l'utilité d'un si fatigant et impénitent verbiage : « La litté-
rature n'est servie que par l'œuvre d'art et non par la critique! »
Après avoir fait la guerre de trente... pages à un quelconque
drame, l'aveu est la pire des condamnations.
Droomleven, signalé par Van der Horsl : « C'est une chose
extraordinaire que ce début d'un auteur qui se cache sous
le pseudonyme de Mevrouw Hanna. L'apparilion d'une pièce
hollandaise qui n'est pas ennuyeuse est un fait assez extraordi-
naire, assez exceptionnel; mais ici je donne à extraordinaire son
sens strict, celui qu'on appliquerait à une œuvre particulièrement
belle. »
Le public hollandais parait avoir accueilli cet essai d'art drama-
tique nouveau comme le nôtre les productions de notre art
national. Songez donc, une pièce, non conforme et hardie, d'un
auteur néerlandais, et sur une scène néerlandaise !
Une héroïne, Leida Werlens, dont les tourments du cœur — ce
terre-à-terre paraît par irop terre-à-lerre — sont mis en lumière.
Son entourage est bourgeois et inaperçu ; le grand univers
qui s'agite tout autour importe peu, et lui ne s'inquiète pas du
chagrin de Leida Werlens. Mais nous, à qui il est donné d'en-
tendre ses plaintes, nous les écoulons attentivement comme douce
musique lointaine qui nous fait souvenir et retforaïaître nos peines
en les siennes. ,
Et quand apparaîtra la première grande et brutale déception,
quand sa mère ne s'érigera plus en toute pureté dans son imagi-
nation, et quand ses illusions d'amour et d'amour du prochain la
délaisseront tout à coup, alors semble-t-elle se réveiller d'un révc
béat; après cette chute du ciel, plus aucun bonheur ne lui paraît
possible. Der Traum ist ans, allein die Nacht noch nicht.
Et se sera la résurrection pour elle, plus lard, en la persuasion
qu'un seul malheur est à craindre, en somme, trop d'impuissance
ou — trop d'indolence à pouvoir se dévouer totalement à un
immatériel idéal ; en son nom « endurer tous les outrages aux-
quels, elle le pressent bien, son entourage ne pourra jamais rien
comprendre ».
Plus haut il était écrit : « Par la simple raison que Droomleven
est de bonne écriture, l'œuvre marquera une date en notre litté-
rature, d'une haute borne indicatrice la route qui doit conduire
vers le meilleur ». V.
QUELQUES LIVRES
Le traité de Narcisse (théorie du symbole), par ândbe Gide.
Paris, librairie de l'Art indépendant, 28 p.
En une langue claire, concise, qui se soucie avant tout du
développement de la pensée et y subordonne toute phrase, André
Gide nous donne la théorie du symbole exposée ingénieusement
elle-même au moyen d'un symbole. En liminaire, cette déclara-
tion. « Il n'est pas besoin de préface. Je n'écris ça que pour
ceux qui ont déjà compris ». Ce qu'il faut avoir quelque peu
compris, c'est la haute philosophie du génie antique, du grand
Platon, qui formula une fois pour toutes le symbolisme cosmolo-
gique que veulent interpréter poétiquement aujourd'hui les jeunes
pléiades. Les apparences terrestres sont représentatives d'idées
qu'elles manifestent. Et ces idées, les archétypes absolus et par-
faits ont une existence réelle dans le monde des formes, dans le
paradis, eden, le divin jardin de la pensée divine, où elles
sont représentées par des exemplaires uniques pour chacun des
genres el chacune des espèces. «Aussi, les variétés demeurent-elles
derrière les formes-symboles. Tout phénomène est le symbole
d'une vérité. Son seul devoir est qu'il la manifeste, son seul péché
qu'il se préfère. »
VAUT MODERNE
229
Le vieux mythfi de Narcisse explique loiil cela. Narcisse élail
parfaitement beau. Mais Narcisse ne se connaissait pas. Grande
inquiétude. Ali! ne pas savoir si l'on s'aime, ne pas connaître sa
beauté!... Et, ne doutant pas que sa forme ne soit quelque pari,
il se lève cl part à la recherche des contours souhaités pour enve^
loppcr enfin sa g[rande ftme. Il s'en vient près du fleuve et s'y
abandonne aiix visions qui, selon le cours des eaux, ondulent et
que les flots diversifient. Mais il ne sait encore si son âme guidé le
flot ou si c'est le flot qui la guide. Pourtant, ce sont toujours les
mômes choses qui passent, toujours les mêmes formes. « Pourquoi
plusieurs? ou bien pourquoi les mêmes? C'est donc qu'elles sont
imparfaites, puisqu'elles recommencent toujours... et toutes,
pense-t-il, s'efforcent vers quelque chose, vers une forme pre-
mière perdue, paradisiaque cl cristalline. Narcisse rêve au para-
dis. » Puis, spectacle des choses parfaites, ennui de n'y jouer
aucun rôle, inharmonie de son geste qui va engendrer la faute, la
faute qui sera cause de l'inharmonie générale. El le paradis
désormais sera toujours k refaire. Les formes rythmiques étant
perdues, tout dorénavant tendra vers sa forme d'autrefois.
« Le poêle est celui qui regarde. El que voil-il? Le paradis, qui
« est partout. Les apparences sont imparfaites : elles balbutient
« les vérités qu'elles décèlent ; le poète, à demi-mol doit com-
« prendre, puis redire ces vérités. »
La reine Alena, drame çn 1 acte par Oscar Hameluse.
Bruxelles, Lacomblez, 39 p.
Un drame qui n'a rien d'historique, ni de pseudo-historique. Le
roi Torgotius a fait prisonnière l'enfant du roi de Retraine Vin-
dicenius, el l'a fait élever pour en faire sa femme.
Plus lard, guerre entre les deux rois; massacre de Torgotius,
le mari brutal el violent ; reconnaissance du père et de la fille, la
reine Alena. Le barbare est bon père mais répudie l'enfant que
sa fille a eu de son butor de mari. Introduit au chftteau près
d'Alena, après sa victoire sur Torgolius,|Vindicenius lui ordonne de
tuer son enfant, rejeton d'une race maudite qu'il exècre. Alena ne
s'exécute pas, mais donne à son père le moyen d'exercer s^ ven-
gcnce.
Ce trait est invaisemblable en lui-même et l'auteur a peu fait
pour amener logiquement ce dénouement.
Les personnages, d'une psychologie abrégée et fruste, |se meuvent
dans un décor qui n'a rien de consubstanliel à leur être el au
milieu d'événements qui ne se traduisent qu'insuffîsammenl en cris
de passion.
Les Dupourquet. — Mœurs de province, par Eugène Delart.
L'auteur s'est efforcé de justifier son sous-litre, el il nous donne
une certaine quantité d'observations extérieures sur les destinées
d'une famille bourgeoise. Le sujet el les épisodes du roman ne
sonl pas neufs, ce n'est qu'un péché véniel. Mais l'auteur, comme
tous les êtres très jeunes, est poursuivi par les impressions
des autres quand il regarde la nature. Il semble être à cette période
où l'on est honnêtement, sincèrement banal el où trop de per-
sonnalités diverses vous hypnotisent encore pour qu'on débrouille
aisément la sienne.
La jeunesse de demain . Politique et littérature, par Firmin
Van den Bosch. — Gand, typ. A. Siffer. (Brochure extraite du Maga-
sin littéi'aire.)
En province^wallonne, on dirait éncrgiquement que Firmin Van
den Bosch est un vaillant qui « marche sur son courage », ce qui
veut dire que, monté sur toul ce qu'il a de courage, il s'en fait un
trépied, ou mieux, un coursier pour aller plus vileel plus haut.
Courageux, de dire aux siens leurs défauts, leur entêtement à
se cramponner craintivement à « Belle-maman Routine » ; coura-
geux, de demander « de l'air, de l'air neuf, de l'air moderne dans
les antres moisis « de l'enseignement moyen el universitaire, dans
la forme — art ou littérature — des idées de ses amis religieux.
Que j'aime ce vraiment belge accouplement d'ardeur el de per-
spicacité, cette conviction toujours affirmante qui ne se grise pas
de mots, qui veul ses frères forts el n'a pas peur de les gourman-
der!
La tâche scra-t-elle facile, d'amener tous « ces vibrions, les
douteux » en art ou en politique, à une conviction forte, quelle
qu'elle soit ?
Qu'importe! ceux qui y travaillent franchement, ceux qui
auront rajeuni, déliédi, par le froid ou par le chaud, quelques-
uns de nos braves endormis auront bien mérité de la petite
patrie belge. > ■ ^
Balzac socialiate.
M. Bcrnier, dans une brochure extraite delà Revue socialiste,
démontre que malgré ses convictions en apparence monarchiques
et catholiques, Balzac élail bien socialiste. Balzac étudiait les
hommes de trop près el avec une nature trop impressionnable
pour ne pas en arriver forcément à des déductions sociales plus
généreuses que celles qui avaient cours autour de lui. A ceux qui
n'ont lu qu'une partie de ses ouvrages ou qiii ne les ont lus que
superficiellement (si tant est qu'on puisse lire superficiellement
Balzac), M. Bernier rend le grand service de les mettre sur la voie
d'une conception générale de ce grand esprit.
Le génie de Balzac est surtout humanitaire, cl le socialisme,
développement actuel de l'idée humanitaire toujours grandis-
sante, ne pouvait manquer de deviner dans ce croyant les senti-
ments que les disciples de l'idée nouvelle prêchent aujourd'hui.
Ernest Renan peint par lui-même (par l'auteur de Deux
Femmes au xvii» siècle, I. P.) — Liège, Godenne, impr.-éditeur.
J'aime peu les façons tournoyantes et ondulantes de M. Renan.
Mais l'auteur de Deux femmes au xvn« siècle, qui ne les aime pas
non plus, me paraît féru contre lui d'une animosité bien intense
pour être impartiale.
Celle animosité ne serait-elle qu'un antagonisme religieux,
haine de croyant à incroyant?
Dans l'armée des libres penseurs, M. Renan est certes un de
ceux qu'il est le plus facile d'attaquer. Sa richesse d'imagination
l'induit en tentation d'élasticité. Comme Rousseau, il y a eu sur
sa génération une grande influence, due tant aux brillants
défauts de son caractère, — attendrissantes faiblesses, élans sans
péril vers des généralités vagues et flatteuses, — qu'à sa pensée.
Comme Rousseau aussi, il a déchaîné sur les travers de sa per-
sonnalité l'ire des antagonistes de la libre pensée tout entière.
El je crois que le pieux auteur de la brochure signée I. P.
confond cette personnalité ondoyante, diverse... el adroitement
charmeuse, avec le fond difficile à préciser de la pensée de
M. Renan. — Difficile à préciser surtout quand on connaît plus
intimement saint Jérôme, voire peut-être saint Thomas d'Aquin,
que Darwin et tous ces « affreux mécréants » de la science mo-
derne. „
J'ai peur que M. Renan ne se relève assez facilement des minus-
230
LWRT MODERNE
cules coups droits qu'on lui porte, el ne se lave sans peine du
reproche d'avoir beaucoup menti, d'avoir fait descendre l'homme
des singes, ou d'avoir voulu s'enrichir par le scandale.
1. W.
ykcCUpÉp DE F^ÉCEPTIOp^
Ams fidèles au mystère, par Adolphe Frères; Bruxelles,
Lacomblez.-LeC/iet;fl/if/'i^o?-e//e,parXAViERDEhEL'L;.Bruxclles,
A, Lefèvre. — Homère; choix de rnpsodies illustrées d'après l'art
antique et l'archéologie moderne et mises en vers, par Cn. Potvin;
Bruxelles, Hayez {\S9\).—Lcs Tourments, parFERNANDCLERGET;
Paris, Bibliothèque artistique et littéraire (1 89 l).—/^eHr.V^i'^«'''.
par Fernand Clerget; Paris, L. Genonceaux (1891). — Ln Pas-
sante, roman d'une âme, par Adrien Remacle, avec un fronlis-
p'ce d'OoiLCN Redon; Paris, Biblioihèque artistique et littéraire.
— Sur la plage; les airs, la mer et leurs habitants, par Emile
Leclercq; Bruxelles, Bruylanl.
DÉCORS EN PAPIER
La DépêchedeTo\i]ouse donne ne curieux et intéressants rensei-
gnements sur les décors en papier, une spécialité nouvelle, très en
faveur sur les scènes italiennes et qu'ont adoptée déjà plusieurs
théâtres de France et de l'étranger. Bruxelles en a vu pour la
première fois lors des représentations de la Mégère apprivoisée
à la Monnaie. Ce genre de matériel décoratif a le double avantage
de n'être pas encombrant et de rester h très bas prix.
Un décor complet (coulisse et toile de fond), roulé, plié soigneu-
semenl, tiendrait, en effet, dans une petite valise. 1! va sans dire
qu'il le faut rentoiler ensuite pour en garantir la solidité, le fixer
aux châssis, le charpenter, en un mol, selon les plans delà scène;
mais rien n'est plus facile que de le ramènera son formai primitif,
de le remettre à l'étal de menu ballot. C'est le décor portatif, le
décor que l'on peut « faire suivre en voyage », — et M. Coquelin,
par exemple, n'en use pas d'autres en ses tournées.
Quant au prix, il est modique et change évidemment d'après les
dimensions. Pour une scène de grandeur moyenne, le matériel,
par acte, coûte trois cents francs. Il est bien entendu que là ne
sont pas compris les frais de transport, de douane, de mon-
tage, etc. Net, le décor définitivement écjuipé revient à cinq cents
francs.
On estime par là pour combien peu il serait aisé de mettre un
iniporlanl ouvrage très convenablement sur pied, au point de vue
représentatif el sans dépenser beaucoup d'argent. Ces décors
viennent d'Italie.
Certes, ils sont violents de tons ; mais ils sont aussi d'une extrême
habileté de composition, d'exécution, bien disposés en perspec-
tive, — et ils produisent de l'effet.
En présence de l'empêchement où se trouvent les directeurs
provinciaux de consentir d'énormes débours pour monter une
pièce, le décor en papier devient d'un secours véritable, et per-
mettrait de représenter un bien plus grand nombre d'œuvres.
Si tous l'employaient, avec l'autorisalion des administrations
municipales, le matériel des principales villes n'y gagnerait peut-
être pas beaucoup comme constant usage. Mais, à de très rares
exceptions, qu'emmagasinent-clles aujourd'hui, ces pauvres villes,
en décors surioile! Vous le voyez chaque jour, hélas! et de quelle
manière ils sont entretenus et conservés !
Avec le papier, du moins, aurait-on la ressource de pouvoir
renouvciter i proportion le répertoire, — et l'on aurait ainsi tou-
jours de« décors presque neufs à la place des vieilles et misérables
loques coulumièrcs.
CONCOURS DU CONSERVATOIRE (i)
Mimique (à huis clos). — Professeur : M. Vermandele.
1" prix avec distinction. M"" Van Hoof; 1" prix à l'unanimité,
MM. Coryn et Noèl; i" prix. M. Verboom; 2">« prix, M""» Fleury
et Thévenet; 1" accessit, M"" Friedrich.
Déclamation (à huis clos). Classe des jeunes filles. — Profes-
seur: M"« J.Tordei's. V» mention, M'^'^Wallor, Fleury, Guilliaume
et Friedrich.
Classe des jeunes gens. — Professeur : M. ël'G. Monrose.
V mention, M. Bilqùin; 2'"° mention, MM. Soycr, Tilmont et
Piens.
Tragédie et comédie. Classe des jeunes gens. — Protossour :
M. EUG. Monrose. 2"'" prix, MM. Noèl cl Van den Plas.
Classe des jeunes filles. — Professeur : M"" J. Tordeus.
["' prix, M"" Baudoux et Dubrcucq; 2""-' prix avec distinction,
MM""« Bady et Subra; 2"'« prix, M"*^ Loubriat.
Mémento des Expositions
Amsterdam. — Exposition communale. 5 septembre-10 octobre.
Envois du A au 43 août. Six médailles d'or. Renseignements :
Secrétaire du Comité de l'Exposition communale, Amsterdam.
Chicago. — Section des Beaux-Arts de l'Exposition universelle,
l" mai-30 octobre 1893 (voir l'Art moderne du M octobre 1891).
Fontainebleau. — i*"'-30 septembre. Envois du 13 au 20 juillet
iui Château de Fontainebleau. — Secrétaire général : Weber,
notaire.
Gand. — Salon triennal : 21 aoùUlO octobre. Délai d'envoi :
20 juillet. Renseignements : M. F. Van der Haeghen, secrétaire
de la Commission directrice, au Casino, Gand.
Madrid. — Exposition historique européenne. 12 seplembre-
31 décembre. Délai d'envoi expiré. Renseignements : Comte de
Casa Miranda, sous-secrétaire d'Etat à la présidence du Conseil
des ministres, Madrid.
Monaco. — Exposition internationale des Beaux-Arts (limitée
aux invités). 14 novembre 1892-I.t août 1893. Envois du 4 au
12 octobre. Renseignements -.Baron Delort de Gléon, président
du Comité, rue Vézelay, 18, Paris.
Nancy. — XXIX" exposition de là Société lorraine des « Amis
des Arts ». 1" novembro-8 décembre. Transport gratuit pour les
artistes invités. Envois avant le 15 octobre. Renseignements :
M. R. Wiener, trésorier, rue des Dominicains, 53, Nancy.
Nice. — Exposition internationale. 10 janvier-30 mars 1893.
Envois : l«'"-25 décembre. Renseignements : Secrétariat, Palais
du Crédit Lyonnais, Nice.
Catalogue de la librairie E. Deman. Bruxelles, 1892.
Si rien n'est excitant comme un catalogue en général, celui-ci,
pour quiconque n'est pas Irop millionnaire, devient un objet dan-
gereux. Les gens du monde n'ont jamais su mordre aux vrais
livres pour ce qu'il y avait dedans. Ils commencent maintenant,
grâce au ciel — et au raffmemenl du luxe, — à en mordiller un
peu la couverture. El celte fois je bénis la vaste famille des mou-
lons de Panurge dont le nombre' permet des accumulations de
trésors comme ceux de la librairie Deman (car le vrai amateur qui
aime le livre, ë la fois pour le contenu et le contenant, doit être
un animal trop rare pour faire vivre le véritable art du livre).
Je me mets â espérer que chez beaucoup de mes amis actuels
où je m'ennuie si souvent, je rencontrerai un jour ou l'autre
Villon, Rabelais, Pierre Gringoire, Lancelol du Lac ou Banville,
(1) Suite et fin. Voir nos quatre derniers numéros.
i: ART MODERNE
231
plus vivants dans leur vélin, leur papier du temps ou leur robe
épaisse ei douce à l'œil, que les hôtes qui me rccevronl. El peut-
être que la robe lentanle de tous ces sérieux ou joyeux compères
de tous les siècles finira par les faire respecter — sinon aimer.
Petite chrojmique
Camille Lemonnier vient do rentrer en Belgique, après un
séjour de plusieurs ntois à Paris, où son dernier roman, La-Fin
des Bourgeois, a eu un succès de librairie considérable. Dix
éditions ont été vendues jusqu'ici.
Le concert de bienfaisance donné dimanche dernier à La Lou-
vière par le Club symphonique de Bruxelles avait attiré une foule
compacte qui a héroïquement résisté à une température de serre
chaude pour écouler, jusqu'à l'accord final, les nombreux morceaux
d'ensemble et les soli inscrits au programme. On a fait fôle aux
solistes : M"* Ghcrisen, dont la voix a beaucoup gagné en ampleur
et en puissance, et qui est devenue une cantatrice de grand style;
M"* Céline Blés, la jeune violoniste sortie l'an dernier du Conser-
vatoire et qui a déjà l'acquis et l'assurance d'une virtuose ;
M"* Malvina SchmidI, l'une des plus brillantes élèves de
M. Edouard Jacobs, qui a lui-môme paru sur l'estrade pour
accompngner M"" Gherisen de quelques coups d'archet larges et
harmonieux. Le Club symphonique a, sous la direction de
M. Emile Agniez, exécuté avec précision diverses œuvres de
Grieg, de Pierné, de Pessard, etc., et, sous la direction de
M"« Boch, Y Odette de Svendsen.
Fête charmante, à laquelle l'aimable réception faite par le
président d'honneur de la société et les joies d'une journée d'été
merveilleuse ont donné une saveur spéciale. La promenade dans
le parc aux alentours du vaste hall décoré de drapeaux et de
fleurs, le dîner en plein air, les fanfares wagnériennes appelant
les auditeurs, le bal sur la pelouse qui a terminé la fête, tout a
été original et amusant, à la fois intime et des plus élégants.
Le très intéressant concert de musique française moderne, dont
la première partie est consacrée à Bizet, Guiraud, Delibes, Mas-
senet et Sainl-Saëns, la seconde à Vincent d'Indy, Fauré, Chausson,
de Dréville et Chabrier, qui devait avoir lieu au Waux-Hail jeudi
passé, a été remis, à cause du mauvais temps, à mardi prochain.
Ce soir, deuxième audition du chansonnier M. Lefèvre.
Une nouvelle audition de La Mer de Paul Gilson, et deux
solistes qui ont toutes deux été très applaudies. M"" Milcamps et
BuoI, ont fait les frais des concerts extraot-dinaires delà semaine.
La Mer de Paul Gilson sera exécutée à Spa le 25 courant ci
à Ostende le 28.
Biiyreuth a perdu une de ses curiosités : le café Angermann,
que Richard Wagner avait fréquenté de préférence et qui était
devenu une sorte de lieu de pèlerinage qu'aucun visiteur dé Bay-
reuth n'eût voulu ignorer.
On regrettera, pendant les représentations wagnériennes, le
petit café avec ses catacombes ornées de caricatures.
« Tous ceux qui assistèrent à l'inauguration du théâtre, dit
M. Octave Maus dans ses Souvenirs d'un wngnérisle, ont gardé
le souvenir de la petite brasserie voûtée et sombre qui se cache,
à l'entrée de la Canzleistrasse, derrière un rideau de sapins plan-
tés dans les pavés. Là, chez Angermann, se réunissaient tous les
soirs, après le speclacle. Allemands et Français, wagnéristes et
anti-waguérisles. La politique et l'art échauffaient à la fois les
cerveaux. Et tandis que la bière mousseuse coulait à flots dans
les grandes chopes, que le fumet des saucisses rissolant dans la
poêle à frire emplissait les deux salles basses, les discussions
éclataient autour des tables de chêne en un brouhaha indescrip-
tible. A plusieurs reprises on alla jusqu'aux brocs jetés à la tête
de l'adversaire récalcitrant.
Parfois, au fort de la mêlée, un grand silence tendait brusque-
ment les cous : c'était la Materna ou Lili Lchmann, l'adorable
créature, qui entrait, majestueuse, avec d'altiers mouvemenis de
tête, et tous contemplaient avec surprise l'orgueilleuse Brunehilde
ou l'idéale fille du Rhin distribuant des poignées de mains aux
Absalons en chapeau mou attablés dans la fumée des pipes de
porcelaine. »
L'établissement Angermann a été exproprié par l'Etal. Les res-
taurateurs de la ville ont acheté le mobilier, qui avait beaucoup
souffert des déprédations des collectionneurs enthousiastes.
M. Jan Toorop a organisé au Kunstkring de La Haye une fort
intéressante exposiliiu à laquelle ont pris part M"* A. Boch,
MM. Finch, H. de Toulouse-Laulrec, G. Lemmen, L. Pissarro,
0. Redon, Van Rysselberghe,-P. Signac, H. Van de Velde.
Quatre toiles de Georges Seurat complètent ce Salonnct de
choix, pour lequel M. Toorop a dessiné une jolie couverture de
catalogue.
Le dernier numéro des Hommes d'aujourd'hui (Vanier, éd.)
publie un portrait d'André Theuriel, dessin de Luque, texte de
Paul Verlaine.
Le ministre de l'instruction publique et des beaux-arts de
France a constitué une commission chargée d'étudier les modi-
fications h apporter aux règlements du Conservatoire de Paris,
qui sont restés tels qu'ils étaient il y a un siècle.
Cette commission est composée dans un esprit très écleciique. Il
y figure des critiques, des professeurs, des artistes, de» représen-
tants des nouvelles écoles. Eu voici la composition :
Le ministre des beaux arts, président.
Le directeur des beaux arts, vice-président.
Membres : MM. Ambroise Thomas, Réty, Adrien Hébrard, Bar-
doux et Schœlcher, sénateurs; Henry Marel, Pichon, Proust,
députés; Massenet, Vincent d'Indy, Reyer, compositeurs de
musique; Alexandre Dumas, Camille Doucet, Ludovic Halévy,
auteurs dramatiques; Sarcey, Jules Leniaîlre, Victor Wilder,
critiques dramatiques; Gol, Febvre, Faurc, Obin, Taffancl, Jean
Richepin et Marcel.
La commission esl à la veille de terminer ses travaux. Sa
sous-commission vient de lui proposer plusieurs modifications au
règlement. Les unes sont de pure fantaisie; il est douteux, par
exemple, qu'aucun directeur présent ou à venir se laisse imposer
des listes de présentaiion Al- professeurs par uu comité recruté en
dehors de la maison. D'autres sont pratiques : par exemple la
création d'une classe d'alto, d'une classe de saxophone, de deux
classes de contrepoint, de deux classes de cbant. On parle aussi
de punir sévèrement les manquements à tous les cours déclarés
obligatoires.
La sous-commission de la musique a entendu la lecture du rap-
port de M. Marcel, la section dramatique celle du rapport de
M. Bardoux.
Ces deux rapports seront imprimés, pour être distribués aux
membres de la commission, qui en délibéreront dans une séance
pléuière, au mois d'octobre.
Portrait, par le Gil Blas, d'HENRi Rivière, l'auteur des jolis
décors applaudis récemment au Théâtre du Chat Noir.
« Une tête macabre, hirsute, où l'on ne voit d'abord que le nez
démesuré, pareil à un bec et s'allongeanl entre deux larges verres
de lorgnon. Toujours coitfé d'un chapeau mou et enfoui en hiver
comme en été dans une immense macfarlane. Mélomane enragé,
eut pour premier maître le poêle Rollinat. Le décorateur, le
peintre, le machiniste, l'âme du fameux théâtre d'ombres qui fait
courir tout Paris au Chat-Noir. Ajoute à ces multiples fonctions
celle de chef des chœurs et de l'orchestre. L'auteur de deux
merveilleuses œuvres : la Tentation de saint Antoine et la
Marche à l'Etoile. Signe particulier : A été jadis surnommé
Bazouge parce qu'il ressemblait élonnemmenl à un vieux corbeau
apprivoisé qui fit longtemps partie des accessoires de l'inslitul
Salis. »
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K
', ■' • 'f. ., fTM yj<;^
Douzième année. — N° 30.
Le numéro : 26 centimes.
Dimanche 24 Juillet 1892.
1^
--■■."j'/,i.
L'ART MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATUp
Comité de rédaction i Octave MAUS — Edmond PICARD — Émilé VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. —ANNONCES : Ou traite à forfait.
Adresser toutes les communications à
l'administration générale de TArt Moderne, rue de Plndustrie, 32, Bruxelles.
Sommaire
Léon Gladel. — Le Christ aux outrages. — Quelques livres.
— L'Art aux murs. — Restauration des sculptures antiques. —
Petite chronique.
LEON CLADEL
LÉON Cladel, l'admirable auteur des Va-nu-pieds, de
V Homme de la Croioo-aux Bœufs, du Bouscassié, de
la Fête votive de saint Bartholomé-porte- Glaive, est
mort vendredi à Sèvres, prématurément : il n'avait que
cinquante-sept ans.
La littérature française perd en lui un de ses grands
écrivains qui (tel Barbey d'Aurevilly) ne furent jamais
aimés de la foule, mais restent pour les lettrés des
types de cette originalité étrange et puissante, qui est
le charme et la saveur suprêmes de l'art.
Il ressemblait psychiquement à l'un de ces ouvriers
rustiques et frustes du moyen-âge, auteur de ces ré ta-
bles multiples et effrayants, de ces tabernacles compli-
qués et merveilleux, dans lesquels on sent que chaque
personnage, chaque animal, chaque arbre, chaque arceau
a été fouillé., taillé, ciselé avec un amour patient et
acharné de la forme, pour la satisfaction de l'artiste,
sans souci du vulgaire, mais avec la préoccupation ten-
dre et ardente de s'offrir soi-même en holocauste à
l'Idéal, religion popr les uns, art pour les autres.
Dans les œuvres, prodigieusement nombreuses de
Léon Cladel, comme en toute sa vie, aussi naturellement
que la ^stole et la diastole qui faisaient battre son cœur,
la plume, entre ses doigts, a, sans interruption, monté,
descendu, tourné sur les pages dans ses étapes horizon-
tales de gauche à droite, sous l'impulsion de la pensée
chauffant toujours pour chasser la banalité et conquérir
l'ornement de choix, le mot rare, le dessin ingénieux
et séducteur, avec une propension d'homme né très près
de la terre et de sa rusticité odorante, vers le coloris
violent, vers la force rocailleuse et sonore.
Mais au triste jour où la mort l'a touché de sa dextre
destructive, ce serait peut-être amoindrir cette grande
âme que d'insister sur sa gloire d'écrivain et de vanter
longuement les œuvres dont plusieurs le mettront sur
un des piédestaux réservés aux plus illifstres dans le
panthéon des écrivains de ce siècle, — tardivement peut-
être, mais sûrement. Ce qui, à nos yeux, l'immortalise
mieux, c'est l'ineffable beauté de cette âme d'Apôtre qui,
invinciblement, le faisait apparaître dans ie souvenir
de ceux qui l'ont bien connu, sous les traits spirituels,
et dans les derniers temps, par une mystérieuse har-
monie, sous l'aspect physique de Jean le Précurseur.
Il en avait l'abondance de parole, la foi en des transfor-
mations prochaines et divines, l'amour des opprimés.
234
L'ART MODERNE
les cris de justice, les blâmes épouvantants, le besoin
de sacrifice, la résolution de persister jusqu'à la
mort. Il avait aussi, pour les animaux, la tendresse
d'un François d'Assises. Dans son étrange dem^re, les
poules couchaient entre les pattes des chiens, et les
chiens léchaient les plumes des poules. A son lit de
mort, il aura peut-être, comme Titi Foissac IV, un des
doux et des bienfaisants de ses livres, appelé ses bêtes
et les a bénies de ses mains défaillantes : Canes fratres
onei, sorores meœ gallinœ. Pour les intimes de sa vie
formidablement détachée des biens matériels, autour de
lui rajonnait une auréole de bonté et d'universelle pitié
auprès de laquelle la notoriété artistique n'est vraiment
qu'un clair de lune.
Nous le disons par un besoin d'élargir son éloge
funèbre, car de plus en plus, en ces temps de justice et
de fraternité, la gloire d'avoir été un écrivain est deve-
nue trop banale pour tenter seule les grands cœurs. La
vanité y tient trop de place pour qu'ils ne démêlent
pas ce qu'elle a toujours de mesquin sous son éclat. Ils
veulent moins pour eux, plus pour les autres, et alors
peu à peu s'infiltre dans leurs écrits cette chaleur de
pitié et de solidarité qui fait des Va-nu-pieds un des
livres de fraternité sociale les plus poignants et les plus
décisifs.
C'est bien cette noble et maîtresse qualité à laquelle,
hier, Séverine, dans un superbe et touchant article
publié par le Gil Blas (en sous-ordre, soit dit en passant;
la première place a été réservée aux Gaités de la
Semaine par Gros-Claude, car la bêtise ne perdjamais
ses droits), — c'est à cette qualité que Jacqueline-
Séverine, l'amie d'un autre de ces farouches prêcheurs
d'équité, Jules Vallès, s'est invinciblement attachée.
Écoutez comme elle résume et exalte :
Le voici mon, le digne entre les dignes, le fier cnlre les fiers,
le probe entre les probes, l'honneur et l'orgueil de noire métier!
D'autresi parmi nous, sont aussi honnêtes, dans la gravé et
superbe acceptation du mot, — nul ne saurait l'être davantage,
avec plus de sainte candeur, d'inconscience bénie; ne coneevanl
même pas la tentation, ne sachant le mal que par ouï-dire, pour
plaindre qui s'y adonne.
11 fut, il restera un de mes respects en ce monde, l'incarnation
du sage d'après l'yntiquilé, l'image du juste d'après l'Evangile. Et
quand, tout à l'heure, notre camarade Le Roy est venu me dire :
« Ciadel est mon! » il m'a semblé, si l'on peut s'exprimer de la
sorte, que mon cœur devenait tout pâle, que le sang cessait d'y
affluer...
C'est que je l'aimais bien, ce grand anistc b l'ûme pure de
petit enfant!
Non que je le connusse de toujours, ni même de longtemps.
Sept années, pas plus, que. par un mélancolique soir d'automne,
les feuilles rousses de son jardin avaient craqué sous mes pieds;
que la pone hospitalière s'éiait ouverte à larges baUants, et que
j'en avais franchi le seuil, — au bras d'un rayon, détaché des
splendeurs xlu couchant pour porter au poète l'adieu du soleil !
Mais il était do ceux qu'on « retrouve », alors même qu'on ne
les a jamais vus; h qui la confiance, à qui l'amitié se donnent
tout de suite, insiinctivomonl, sans calculs, parce qu'on les devine
hors du soupçon et des mondaines facticilés.
Je le vois encore, tel que je le vis ccjour-lb, mis en valeur par
cette nappe d'or jaune, violente et magnifique, qui, faisant irrup-
tion dans la pièce un peu sombre où causaient les rimcurs, les
.imagiers, tout un jeune peuple d'artisles en pèlerinage dominical,
donnait b cette vision d'inlérieur l'aspect d'un Rembrandt ambré
et lumineux.
Lui-même, Cladol, prêtait b l'illusion, avec son corps émacié
perdu dans les plis d'une très vaste hou|)pelando, d'où émer-
geaient'seulement sa main exsangue et sa lêle de Christ vieilli.
Une gloire semblait nimber ses très longs cheveux, fins autant
que ceux d'une femme, et comme griffés d'argent.
Sous un front d'impeccable dessin, des prunelles vives lui-
saient, avec celle grâce rare du sourire des yeux accompagnant
le sourire des lèvres, une irradiation de flamboyante intelligence
et d'exquise bonté. De la malice, aussi, y élait blottie; s'y révé-
lait par le froncement joyeux, le plissement imperceptible qui
bridait, b de cenaines minutes, l'angle extérieur de la paupière.
Mais une malice tendre, gauloise, ignorante de la haine et dos
mauvais propos, s'égayant seulement des ridicules et se détour-
nant des vices pour n'avoir point b les juger.
Le nez fin, droit, était d'une distinction parfaite, avec son profil
presque arabe, une légère réminiscence aquiline, à peine indi-
quée vers le milieu, qui lui donnait de la noblesse et de la race.
Et, perdue dans une barbe d'apôtre, venait la bouche, — la
suprême beauté, selon moi, de ce biblique visage.
Elle était petite, avec des lèvres à peine visibles, non-minces, ■
ce qui est indice de noirceur, maisrentrées, de par ce démantèle-
ment'qu'amène l'âge et qui donne parfois tant d'enfantine dou-
ceur b des sourires d'aïeules. Une ineffable indulgence y florissail;
l'indignation et la raillerie ne s'y devinaient, sous l'emmêlement
de la toison grise, qu'aux commissures, par un grand pli doulou-
reux comme aux masques de suppliciés ou une rétraction en
fossettes, presque féminine...
El, de cette boucbe s'échappait une voix prenante, poivronnée
d'accent, brisée même lorsqu'elle tonnait, — comme ces clave-
cins b qui il manque des notes, mais qui ont gardé la pédale du
forle, le don du crescendo!...
Pour nous, artistes belges, Léon Ciadel suscite une
reconnaissance particulière. Il a été un des premiers à
signaler la vitalité de notre jeune école littéraire. Il est
venu la juger chez nous à diverses reprises. Nous avons
raconté dans VArt m-oderne, en 1884, l'un de ces séjours
pittoresques et charmants. Rentré en France il a,
avec une opiniâtreté prophétique, annoncé l'avenir des
nôtres qui, aujourd'hui, se réalise si brillant.
Charles Van derStappen a terminé ces temps derniers
le groupe àVmpdrailles , le Tombeau des Lutteurs,
un des héros préférés de Ciadel, et le gouvernement l'a
acquis. Le grand mort aura ainsi chez nous, en terre -
belgique, par une coïncidence singulière, un monument
qui rappellera et sa gloire et ce que nous lui devons.
LE CHRIST AUX OUTRAGES
Le Christ aux outrages, la mngislralc composition du peintre
Henry do Groux que le jury du dernier Salon de Bruxelles ndi'çrua
dans les frises oLque les lîoudlias du Champ-dc-Mars rei'usèrcnl
insolemment, vient d"ôlre acquis pour la cathédrale de Sonlis.
L'œuvre iiallucinantc, au prestigieux coloris, de notre compa-
triole, trouvera dans rarcliitecturc sévère de l'antique monument
un cadre digne d'elle. « 11 faudrait .une basilique pour l'abriler
conforlablemcnt », a dit Léon Bloy. Et voici ce vœu réalisé.
[-es pages fougueuses que lui a consacrées dernièrement, dans
le Saivt-Graal, le grand écrivain, sont h citer tout entières :
Sa Majesté Léopold II, probablement fatiguée du renom de
béotiens dont s'exaspèrent qUelques-uns de ses plus fidèles sujets,
vient d'envoyer gracieusement « franco de port et d'emballage »
à M. Henry de Groux, au bout de Paris, dans le lointain Vaugirard
où cet artiste extraordinaire s'est provisoirement installé, l'irn-
mense tableau de désolation et de colère qui détraqua si profon-
dément les imaginations brabançonnes, quand il fut exposé pour
la première fois, l'an dernier, au Salon triennal de Bruxelles.
L'énormilé de la toile et le poids effroyable d'un tel colis qui
décourageait les camionneurs, avait forcé le peintre errant à
l'abandonner à la sauvegarde de l'Etat Belge, pour un temps indé-
terminé, comme un éléphant immobile.
On peut, en effet, se représenter l'embarras étrange d'un
artiste dénué de tout vestibule princier et condamne à traîner sans
relâche un laissé-pour-comple si colossal qu'il faudrait une basili-
que pour l'abriter confortablement.
Mais enfin, grâce à la munificence du Roi des Belges, le Christ
aux outrages, élargi de sa calacombe de Bruxelles, est visible
désormais — en attendant une exposition publique et retentis-
sante — dans la provinciale rue Alain-Charlier au fond d'un vaste
hangar connu seulement de quelques pigeons, où le soleil le fait
flamboyer chaque matin comme un incendie, pour l'élonnemenl
inexprimable des visiteurs.
Le Christ aux outrages, « rafale immense de déchaînés contre
un pauvre Dieu qui tremble », disait quelqu'un, œuvre presque
intraduisible par l'écriture, tellement elle est douloureuse!...
Il est difficile de savoir exactement ce que les âmes contempo-
raines sont capables de porter. Sans doute, on peut les croire
préparées à la sensation des plus terribles images, après tant d'ex-
périences morales ou d'opérations esthétiques infligées à l'intelli-
gence humaine depuis trente ou quarante ans.
Mais, ici, pourtant, je ne sais plus.
Cette peinture est si épouvantablemenl anormale, si prodigieu-
sement en dehors des traditions ou des procédés connus, si réso-
lument séquestrée dans ses concepts et \' anachronique inspiration
religieuse dont elle est sortie y promène si farouchement ses
luminaires de cruauté, qu'on ne parvient pas à conjecturer de
façon précise l'effet d'une semblable vision sur des êtres peu dis-
posés à partager l'agonie d'un Rédempteur véritablement torturé.
Le célèbre tableau de Munkacsy ne gênait personne. Son « Jésus
devant Pilate » était l'anodin Sauveur préconisé par dçs apôtres
tels que M. Renan et le R. P. Didon, un Christ rassurant et cos-
métique élevé dans les salons et qui savait ce qu'on doit aux gens
du monde. . ' '
L'élégance de ses manières et l'irréprochable correction de son
maintien écartait heureusement l'idée gothique et populacièrc d'un
Seigneur-Dieu ruisselant de sang. *
Entin, c'était un Christ roublard, très milieu do sièc'c, respec-
luoux envers les riches, tout à fait à la hauteur do sa mi-sion et
d'un équilibre surprenant, que les dames les plus exquises pou-
vaionl contempler sans effroi et qui se fût bien gardé de l'incon-
venance d'une rigoureuse douleur. La renommée devait d^nr em-
boucher toutes ses trompettes et crever pour lui tous ses tambours.
Au point de vue de la parfumerie et du savoir vivre, le tableau
d'Henry de Groux est évidemment dans une situation de profonde
et déplorable infériorité. Je crois néanmoins au succès bruyant de
celle œuvre et voici pourquoi>-^
/ • - ***
D'apord, on s'embête forme. Les divertissements se clairsèment
et les émotions se raréfient. On ne se gifle pas tous les jours au
Parlement cl les bousculades ministérielles manquent de carnage ;
les méâlres se lézardent visiblement et le sâr Péladan lui-même,
vexé par la Russie, interrompt ses farces.
D'autre part, un étrange courant nouveau se manifeste et se
précise.
Les intellectuels demandent un Dieu. Beaucoup même ne crai-
gnent pas de demander ouvertement et publiquement Notre Sei-
gneur Jésus-Christ, « des Dieux le plus incontestable », disait
Baudelaire.
C'est une chose infiniment digne d'être observée que cette impul-
sion mystérieuse des jeunes esprits dans le sens d'un renouveau
du christianisme. Evolution jusqu'ici toute littéraire qui parait
avoir commencé aux Fleurs du mal et que Paul Verlaine a mira-
culeusement accélérée dans ces derniers temps.
Celui-ci, le seul grand poète qui ail franchement apporté son
cœur à l'Eglise depuis une demi-douzaine de siècles, -* rajeunis-
sant par un tour de force de génie toutes lés vieilles images que
l'athéisme ou l'accoutumance avait déteintes jusqu'au ridicule, —
glorifia le saint Sacrement et la Prière en des vers si beaux que
l'incroyante jeunesse de la poésie contemporaine fut, forcée de les
admirer avec enthousiasme el.d'en devenir l'écolière.
C'est h tel point qu'aujourd'hui le catholicisme est devenu
comme une espèce d'aristocratie pour la pensée.
Ajoutons que les artistes modernes et surtout les peintres offrent
peu de consolations aux pétitionnaires du sublime.
Une récente exposition trop fameuse n'a servi qu'à démon-
trer une fois de plus l'enfantillage décrépit de ces prétendus
novateurs, pointillistes ou luminaristes, dont Rembrandt n'eût
pas voulu pour broyer son chocolat et qui ne paraissent, en fin de
compte, que d'incultes manouvriers du matérialisme.
Pour toutes ces raisons, j'estime vingt fois assuré le triomphe
du Christ aux outrages, tentative la plus formidable de spiritua-
lisme chrétien qu'on ail accomplie en peinture depuis les prédé-
cesseurs de ce paganisme édulcoré qui s'appela la Renaissance.
***
Remarquez bien qu'il ne s'agit pas du tout d'un sujet que pour-
rait conJ£(é|urer facilement l'imagination des critiques et dont une
exécution plus ou moins divine sauverait la banalité. Cela se
trouve, au contraire, à des distances télescopiques do tous les
lieux communs supposables de l'iconographie religieuse.
C'est la Souffrance du Christ, telle que l'ont racontée les saints
visionnaires dans de&.livres de diamant qui survivront au jugement
dernier des littératures; telle que l'ont certifiée les Témoins qui
se faisaient « égorger » pour obéir à l'ordonnance d'élre « confi-
gurés à sa mort »; telle enfin que l'Eglise, non du nioyen-age,
mais de tous les siècles, l'enseigna dans son effrayante liturgie.
C'est l'ouragan des tortures inimaginables, sans le contrepoids
d'aucune efficace pitié pour l'Agonisant volontaire dont le dernier
soupir éteint le soleil et trouble les constellations.
On a parlé de vitrail et de primitifs, de cauchemar et du sombre
génie des Flandres, on a parlé de Rubens et de Delacroix. De
quoi donc, ô Seigneur! n'a-t-on pas parlé, puisque toute la presse
de Belgique a poussé des mugissements autour de ce monstre de
magnificence dont l'aspect décontenançait la sagesse d'une race
peinlurière immobilisée depuis deux cents ans?
Ah ! c'est pourtant bien simple et cela n'exige vraiment pas tant
d'érudition, puisque c'est précisément ce qu'il faut pour qu'une
vieille poissonnière du pays basque ou de la Flandre occidentale
se prosterne contre terre en exhalant des gémissements de pitié,
comme si on lui plantait devant les yeux quelque triptyque de
Jean de Bruges ou quelque sanguinolent Ecce Homo d'Alonzo
Cano!
Car il est bien inconlestablc, je suppose, que tel doit être l'ob-
jectif suprême de tout travail d'art exclusivement religieux. Une
image pieuse devant laquelle ne pourrait prier aucun Pauvre, ne
semblerait-elle pas ce qu'on peut imaginer de plus identique à une
prévarication sacrilège ? 1_^
* *
Voici donc le tableau d'Henry de Groux, dans sa très puissante
simplicité. L'Homme des douleurs est debout sur le Mont fameux
que la tradition désigne comme le tumulus du premier Désobéis-
sant. .
A sa droite, une impassible et raillarde brute prétorienne sur-
montée d'un panache éclatant et qui pourrait être le berger de ce
bétail militaire, d'un abrutissement si complet, qu'on aperçoit à
i'arrière-plan.
A sa gauche, un individu inexprimable, mélange d'eunuque et
d'équarrisseur, qu'on croirait l'ostensoir vivant ou le reliquaire
de plusieurs mille ans de crapule humaine.
Celui-là, c'est le cornac du lamentable Seigneur qu'on va cru-
cifier, le cicérone indiciblement abject des ignominies, des malé-
dictions et des épouvantes.
Il vocifère en désignant la Victime à la multitude. El tel est lé
sic;nal de la plus démoniaque poussée de canailles qu'un peintre
brûlant sur lui même comme un solfatare, ait jamais eu l'audace
de représenter.
La rage de celte populace aux poings crispés parait avoir, selon
l'esprit des quatre Evangiles, quelque chose de prophétique et de
surhumain. Les petits enfants eux'mémes, — détail panique! —
hurlent à la mort et brandissent leurs faibles bras contre la poi-
trine saccagée de l'Agneau divin.
Clovis et ses Francs sont diablement loin, oui certes! et plus on
regarde, plus on s'aperçoit qu'ils sont loin, indiscernables au delà
des siècles, dans le fourmillement du chaos barbare! .
Jésus est seul, absolument seul et face à face avec ce monde
condamné par lui, qui n'est rien que la balayure de l'antique
Paradis perdu nettoyé par les Chérubins.
Ce Dieu fait homme s'est si complètement dépouillé lui-même
qu'il n'a pas voulu garder seulement l'atome de divinité qui lui
eût été nécessaire pour n'avoir pas peur. 11 souffre et tremble dans
sa chair, ainsi que les faibles d'entre les plus faibles.
Qu'il se soutienne maintenant comme il pourra. Les Anges
môme ont décampé, les Anges brillants descendus des cioux pour
son réconfort. Il est temps que cela finisse, car il ne lui resterait
plus de sang à répandre pour ces possédés sur la pauvre croix
salutaire.
Il saigne, en effet, terriblement, par toutes les piqûres de sa
Couronne et surtout par les innombrables plaies de celte Flagel-
lation miraculeuse que la franciscaine Marie d'Agreda évaluait h
plus de cimi mille coups de lanières plombées. Il est tclle'ment
rouge sous la pourprc.de son haillon qu'on croirait, en vérité, que
c'est lui qui est le bourreau des autres...
Mais ses Mains qui seront percées tout U l'heure, ses mains
exsangues de supplicié, si brù|antes par la douleur qu'on les
devine capables de consumer le firmament, — je les recommande
particulièrement aux explorateurs d'abîmes qui no craignent pas
de se pencher sur la misère infinie!...
***
La très prochaine exposition publique de cette œuvre extraor-
dinaire dont l'intensité surpasse les paroxysmes les plus vantés,
obligera vraisemblablement la critique à modifier un peu ses for-
mules. Quelques-uns comprendront sans doute, non seulement
qu'il sagit d'une toile à laquelle rien ne ressemble dans toute la
peinture contemporaine, mais avant tout qu'on est en présence
d'une force absolue représentée par un étranger à qui l'avenir
appartient.
Mais, est-ce bien un étranger, cet Henry de Groux né h Bru-
xelles, il y a vingt-cinq ans, d'un père français et même breton
d'origine qui fut lui-même un peintre d'un très haut mérite, dont
les musées nationaux s'enorgueillissent là-bas de posséder quelques
tableaux? — car la Belgique est peut-être le premier pays du
mondç pour glorifier les artistes..., quand ils sont morts dans
l'obscurité et que leurs carcasses n'ont plus besoin de personne.
A la réserve de quelques jeunes écrivains dont la Belgique
s'étonne, il semblerait que le roi Léopold fut à peu- près le seul
de son peuple, à deviner la grandcfur de cet adolescent de génie
copieusement insulté par la multitude, hideusement renié par
quelques-uns et contraint de se réfugier à Paris qui est l'éternel
pavillon de ces lapidés sublimes.
C'est donc à Pa>is^ exclusivement à l'intellectuel Paris, où la
juste gloire n'est pas toujours économisée, qu'il appartient désor-
mais de se prévaloir d'un semblable naufragé du cieM
Léon Bloy.
QUELQUES LIVRES
Voyage au mont Ararat, par Jules Leclergq. — Paris, Pion;
un vol. de 328 pages, non compris titres et tables, avec gravure et
cartes.
M. Jules Leci.ercq n'est pas un voyageur ordinaire. Occupé du
1" octobre au 31 juillet à répartir entre les prévenus que le par-
quet fait défiler devant son siège le chiffre de mois d'emprisonne-
ment et d'amendes que le Code pénal, mitigé par la récente loi sur
la condamnation conditionnelle, met à sa disposition, il s'en va
tout d'une haleine, les vacances venues, aux confins de la Perse
pour faire l'ascension du mont Ararat, comme d'autres magistrats
se rendent à Ostcnde pour en escalader le phare. Un voyage en
Arménie lui paraît aussi simple qu'une excursion à Groenendael.
N'a-l-il pas imaginé de faire par terre le voyage de New- York à
Vera-Cruz?N'a-t-il pas promené indifféremment sa fantaisie vaga-
bonde de l'Allantiquo aux Monlagncs-Ftochcuses, de Mogador à
Biskra, sous les ombrages du Parc national de la YcUowslonc et
sur les rives de la mer Caspienne? Il a trempé son mouchoir aux
geyser» de l'Islande, il a tutoyé le pic de Ténériffo. Et le plus fort
de ces aventurcis, c'est qu'on est toujours sftr de voir, le 1'"' octo-
bre, quel que soit le vertigineux trsjet qu'il ait accompli,
M. Lcclercq assis oaisiblemenl en robe noire et toque ronde au
si^ge du tribunal de 1'* instance : «Attendu qu'il est établi que le
prévenu a, dans la nuit du... » — Aurait-il un sosie?
Lors de sa dernière expédition, il faillit, toutefois, ne pas
assister à la séance solennelle de rentrée. Les Kourdes sont gens
de mauvais instincts et mal embouchés : cupides, voleurs, traîtres
à leur parole, et avec cela un peu assassins. Au retour de l'expé-
dition en montagne pour laquelle ils avaient servi de guides, ils
prélexlôrent d'une discussion sur les salaires pour brandir leurs
kindjals affilés et même pour échanger quelques coups de fusil.
La présence d'esprit, la calme intrépidité de l'excellent magistrat
el, sans doute, la puissante intervention de la déesse Thémis, lui
permirent malgré tout d'entendre l'intéressante mercuriale que
nous fit, le i" octobre 1890, M. le procureur général Van Schoor
sur les « vacances judiciaires » et de nourrir l'espoir d'écouter
les autres discours et réquisitoires de l'éminent jurisconsulte.
Nous conseillons toutefois à M. Leclercq, s'il veut n'être pas privé
de ce plaisir, d'exiger la prochaine fois qu'il so rendra en Arménie,
l'escorte militaire que les autorités d'Aralykh lui refusèrent dans
la crainte de voir les bons Cosaques égorgés par les méchants
Kourdes, — ce qui ne donne pas une très haute idée de l'autorité
acquise dans ces régions par S. iM. l'empereur de toutes les
Russies.
Le récit de son différend avec Amou-Ogly, avec Rasto-Rassa-
Ogly et les autres nomades de son escorte forment, dans le récit
de M. Leclercq, un épisode caractéristique. Mais l'auteur n'y
appuie pas trop, n'ayant pas l'insupportable habitude de n'entre-
tenir le lecteur que.de sa personne et de lui narrer chaque jour
le menu de son déjeuner et le nombre de morsures de punaises
qu'il a constatées à son réveil.
Ce qui fait le charme des récits du président de la Société de
Géographie, c'est la sincérité qu'ils manifestent, c'est la bonne
humeur qui s'en dégage, c'est — uni à d'exactes notions scienti-
fiques, sérieusement contrôlées — l'amour réel de la nature qu'ils
profèrent. On suit avec le plus vif intérêt M. Leclercq le long des
rives du lac de Servanga aux ondes d'azur, on l'accompagne dans
les crasseux relais de poste qu'il décrit en quelques phrases inci-
sives, d'une fidélité frappante pour quiconque connaît la civilisa-
tion orientale de la Russie, on pénètre avec lui dans Èrivan-la-
Persane, dont toutes les rues sont horizonnées par un majestueux
plan de montagnes, et l'on subit l'émotion qu'il dut ressentir
quand il aperçut « le soleil qui se levait dans sa gloire, projetant
sa lumière la plus vive sur la cime glacée du Grand-Ararat, sur-
gie dans un prodigieux éloignement, pareille à une banquise des
mers polaires ».
Sa halte à Aralykh, le campement de Sardar-Boulakh, le récit
de l'ascension elle-même, ascension extrêmement pénible, jugée
impraticable jusqu'en 1829, rendue plus douloureuse parl'étatde
fatiguc~e^^e fièvre dans lequel se trouvait le voyageur et qui le
contraigniiTS" quelques centaines de mètres du sommet, d'aban-
donner la partie, — forment une suite de tableaux sobrement
décrits, d'un sérieux attrait.
Un chapitre consacré à l'abbaye d'EtchimaIzin et à l'Arménie
complète ce très intéressant ouvrage, qui s'ajoute à la liste, déjà
longue, de ceux de M. Leclercq et enrichit d'un volume de choix
la littérature des voyages.
Contes & la Reine, par Robert de Bonnières. — Paris,
OUendorf, 208 p, •
Les contes en vers que vient de faire paraître M. Robert de
Bonnières se divisent en trois livres : les Fées, les Saints, les
Rois, et sont flédiés « à la Reine » :
A vous, dont l'âme est comme un arbre en fleurs,
Et plein d'oiseaux de toutes les couleurs,
C'est à vous, Reine, objet de tant d'hommages,
Que j'offre encor ce beau livre d'images.
La Reine, c'est la toute charmante M'"» de Bonnières, et pour
lui plaire, l'auteur fait défiler ses héros, jolis pantins auxquels il
fait parler un langage archaïque et qu'il revêt de costumes de
jeux de cartes.
Les contes ont une naïveté exquise et n'empruntent k personne
leur sujet ni leur moralité. C'est comme une résurrection des très
vieilles chansons du pays de France, artistement écrites. Des trois
livres, le meilleur? Les Rois, pensons-nous. On y trouve des
pièces rapides et bien venues, telles que celle-ci, qui donne une
idée du livre et que pour ce motif nous citons en entier :
LE CINQUIÈME PREUX
ou EN RACONTANT CE QUI ARRIVA A LA FIÈRE OrtRCDE ON ESSAIE DE
CONVAINCRE UNE AMIE CRUELLE.
Un, deux et trois et quatre Preux,
Sous les yeux de la fière Ortrude,
S'étaient déjà, d'un saut si rude,
Abîmés dans le gouffre affreux,
Qu'une autre qu'elle et plus humaine,
Ma mie, écoute ! eût sur ces morts
Pleuré d'amour et de remords,
Si le Remords à l'Amour mène.
« Si vous voulez avoir ma main,
« Beaux chevaliers, leur disait- elle,
M Sautez ce pas : la clause est telle;
« Sinon, passez votre chemin. »
Lorsque la cruelle au Cinquième,
Pourtant, ma mie l eût dit cela.
Elle pâlit et chancela
Comme une fille enfin qui aime.
" Arrêt*, arrête, par pitié I »
Mais que non pas : le saut le tente,
Et, sans plus, en l'horrible attente
Il la laisse et morte à moitié.
En vain, en vain ces pleurs de reine, "^ ■ "
Ces bras tendus; vain ce regard.
Qui maintenant le suit hagard
Jusqu'au gouffre où le saut l'entraîne ;
En vain ce cri, ce cri poussé.
Qui déchire après lui l'espace,
■ D'horreur ensemble quand il passe
Et de joie une fois passé.
Car l'autre, tant était légère
Et sa bête et léger son cœur,
A passé le pas, et, vainqueur.
Passe aussi son chemin — ma chère I
Rouget de Lisle, son œuvre, sa vie, par Julien Tiersot. —
Paris, Ch. Delagrave, édit., un vol. xiI-435 p. in-12, non compris la
table.
« A notre époque envieuse des choses du passé, Rouget de
Lisle est inconnu, ignoré. Pour tout le monde il est l'auteur de la
Marseillaise, mais cela uniquement : comme si, dans la longue
vie qu'il a passée sur terre, — soixanle-seizc années, — rien
n'diail à considérer en dehors de la minute unique qui a rendu
son nom impérissable. »
Ainsi parle, dans sa préface, M. Juuen Tiersot, et avec une
érudition sûre, qui ne se contente pas d'à peu près mais remonte
aux sources cl les contrôle minutieusement, avec une impartialité
d'historien, avec, aussi, un esprit critique qui rend fort attrayante
la lecture de son livre, il fait de Rouget de Lisle une biographie
complète,et mieux qu'une biographie : car son œu^re est une évo-
cation pittoresque des époques troublées qui donnèrent naissance
b l'hymne terrible, — ainsi le fîoTIÎmail un officier prussien. Lo
volume ouvert, il est fort difficile do le refermer sans avoir lu
jusqu'à la dernière les 435 pages qu'il contient, tant les détails
curieux et ignorés, les anecdotes, les souvenirs de tous genres s'y
pressent.
Les archives nationales, les bibliothèques publiques et particu-
lières, les collections d'autographes, les correspondances particu-
lières, loul a été fouillé par l'intrépide chasseur de documents
qu'est M. Tiersot, et l'on peut affirmer que nulle élude ne fut plus
consciencieusement et plus passionnément menée dans la voie de la
vérité et de la justice.
Ce point obscur, sujet à tant de controverses : Rouget de Lisle
est-il bien l'auteur de la Marseillaise? A-l-il composé les paroles
et la musique? est élucidé avec clarté, et affirmativement résolu.
Les nombreuses pièces justificatives produites par M. Tiersot ne
peuvent laisser aucun doule à ce sujet.
En sort singulièrement agrandie l'intéressante figure du capitaine
poète et compositeur, dont une inspiration passagère eut une
influence décisive sur le sort des armées et qui mourut dans la
misère.
L'ART AUX MURS
De l'Endehors ces notes, signées Edmond Cousturier, sur les
maîtres de l'affiche illustrée, J. Chéret et H. dé Toulouse-Lautrec :
« C'est bien à Jules Chérel que nous sommes redevables de la
mode des affiches illustrées. L'ùge romantique en vit naître quel-
ques-unes; Tony Johannotleur infusa son ingénuité, Daumier, sa
robustesse, Granville y adapta ses élucubrations physiognomo-
niques; mais les rares affiches d'alors ne furent à vrai dire que
de grandes illustrations ordinairement imprimées en deux tons,
un bistre pour les clairs et un noir pour les ombres et le trait.
Chéret lui-même (ses débutSTemonlent à l'an 4866) ne trouva
qu'après plusieurs années de tâtonnements l'effet décoratif qu'il
obtient par le groupement de ses figures,. el il ne songea qu'après
une autre série d'années à appliquer, d'ailleurs peu rigoureuse-
ment, les lois et les procédés du contraste simultané que décou-
vrirent ou pratiquèrent Delacroix, Chevreul, Rood, Seurat et les
autres.
« Mais voici que depuis trois ou quatre ans, les affiches de Ché-
rel, où tons, teintes et lignes se marient si prestigieusemenl pour
unç insurpassable dynamique de joie, procurèrent de tels vertiges,
que cent imitateurs ont surgi, qui plaquent au petit bonheur sur
double-colombier le jaune de chrome, le vert-émeraude, le bleu
de Prusse, et avec de telles inaptitudes, que nous en sommes par-
venus à sentir décroître notre enthousiasme pour l'initiateur; le
moment est venu de souhaiter que M. Chéret s'oriente vers des
harmonies nouvelles propres à décourager pour toujours les
useurs de formules. '
« Dans l'expt^clative, on'goùiera acluellcmenl le talent robuste
de M. do Toulouse-Lautrec.
« Comme les Japonais, ce peintre exclut lo modelé el cherche
le dessin dans le contour. Ainsi, l'enroulement et les pans du
cache-nez qui dessinent l'épaule (afliche Druanl). Quant aux
têtes, elles sont réservées dans le blanc du papier, el l'artiste y
écrit on vert-olive (un peu piMe — ne se lit pas à distance) la
démarcation des Irails.
« Les affiches do Chérel feraient volontiers penser h un étalage
de fl(Miristes qui se renouvelle tous les jours à peu près identique;
puis son dessin est lâche et un peu grévinesquc. La palette de
Lautrec, plus restreinte, fascine le regard el le cloue ; son dessin
serre de près la réalité ef contient colle pointe de ce cynisme
esthétique qui originalise les œuvres d'art. Les seules pages de
(iautrec publiées jusqu'ici : Moumn-Rouge, Bruant et Reine-de-
JoiE ont une éloquence qui nous engage fort à applaudir l'inter-
vention d'un talent savoureux dans le domaine de l'affiche syn-
thétique. « ' „
RESTAURATION DES SCULPTURES ANTIQUES
Le Musée royal de Berlin possède une célèbre statue de bronze
connue dans le monde de l'archéologie et de l'art sous le nom
de Jeune garçon en prière. Elle est célèbre par les discussions
qu'elle a soulevées. Existe-t-elle dans sa forme primitive? A-l-ellc
été, comme on l'assure, restaurée au xvni^ siècle par Nicolas
Foucquet? La restauration qui en a été faite est-elle exacte?
Les grandes revues archéologiques allemandes ont publié
là-dessus maints articles qui n'ont tranché d'une façon définitive
et affirmative que le premier de ces problèmes.
M. Van Branleghem, ce fin connaisseur et ce critique si sûr
des choses de l'art grec, a ravivé cette année ces querelles scien-
tifiques en manifestant l'intention de faire fondre le Jeune garçon
en prière. Sa résolution fournissait aux archéologues l'occasion
de les apaiser définitivement : ils la saisirent avec empressement.
Le sculpteur allemand Gomansky résolut, suivant en cela les
conseils de Rudolf Siemering, de restaurer les bras de la statue
autrement que ne l'avait fait le premier artiste. Ils furent redressés
dans une position plus verticale, qui élève les mains jusqu'au-
dessus de la tête. La position générale du corps et le mouvement
des bras furent un peu transformés.
La comparaison de la restauration ancienne et la nouvelle a
tranché définitivement la question : la slatue restaurée par
Gomansky semble une œuvre nouvelle, d'un art plus pur, plus
naturel et plus beau. «Peut-être, dit la fameuse revue allemande
Jahrbuch des Kaiserlichen Deulschen Institut, Band V, 1890,
mitdemBeiblattarchâologischerAnzeiger,S.i&5desi< Beiblatter»,
à laquelle nous empruntons ces détails, la restauration actuelle
n'a-t-eilc point ramené la statue à sa forme originale, mais il
est certain qu'elle l'en rapproche de très près. »
On sait beaucoup de gré en Allemagne à M. Van Branleghem,
plus connu, lui aussi, à l'étranger qu'à Bruxelles, de l'initiative
intelligente et généreuse qui ajoute un chef-d'œuvre aux chefs-
d'œuvre de l'art grec et qui appelle l'attention des artistes et des
archéologues sur les difficultés des restaurations de sculptures
anciennes.
i:art moderne
239
^ETITE CHROJMIQUJE
La pluie a de nouveau contrarié les projets arlisliques du Waux-
Hali. Le conccrl extraordinaire de musique française annoncé
pour mardi a dû élrc remis à la semaine i)rocliaine.
A siiçnaicr les débuis d'une canlatrice, M"*-' Virginie Lepage, qui
s'est fait applaudir samedi dernier dans l'air d'Obéi'on et 1' « Haba-
nera » de Carmen.
MM. Franz Servais et Leconto de Lisie viennent dé passer avec
M. Clioudens, éditeur de musique, un traité par lequel ce dernier
se rend acquéreur pour 36,000 francs de la partition de l'Apol-
lonide; Gel ouvrage sera vraisemblablement ''cpréscnté h l'Opéra
Ihivcr prochain.
A l'Exposition du Ktinstkring de La Haye, qui obtient un vif
succès, M. Henry Van de Vclde a t'ait hier une conférence sur le
Paysan en peinture.
Le statuaire Rodin vient d'être nommé oiïicicr de la Légion
d'honneur.
A ce propos, le Gil Blas fait de lui ce portrait : « Le maître le
plus admiré et le plus conleslé : admiré par nous, la presse, le
public; contesté par ses confrères (pas par tous!) mais pourquoi
en serait-il autrement? Rodin, tout d'un coup, s'avise de nous
restituer l'école de Dijon à une époque où tout le monde croyait
encore à l'Ecole des Dcaux-Arts el à MM. Guillaume, Paul Dubois
et autres directeurs passés ou futurs. On lui commande le groupe
des Bourgeois de Calais, et au lieu de coller selon la formule
plusieurs personnages par le dos ou par le flanc, dans un « arran-
gement » correct et toujours le même, n'a-t-il pas l'idée de faire
des braves gens marchant, isolés les uns des autres, de faire
vivant, de faire vrai?...
On lui décerne, au concours, la commande du monument de
Claude Lorrain, et n'y trouve-t-il pas le sujet d'un chef-d'œuvre?»
Découpé dans le catalogue d'un bouquiniste ce curieux titre
d'un ouvrage devenu rare :
Le Peintre converti/ aux précises et universelles règles de son
art, avec un raisonnement abrégé au sujet des tableaux, bas-
reliefs el autres ornements que l'on peut faire sur les div. super-
ficies des bastimcns (par Abr. Bosse). 1667, in-8°, front, gr., rel.
pleine en v. ant., comp. el fers à fr., tr. dor.
Le Tout-Vienne artisfiquc, dit le- Moniteur des Arts, est en
jubilation. Le nouveau M^séc d'Art est enfin terminé, "ijl l'inaugu-
ration solennelle en a été faite en présence de l'Empereur.
Il est difficile de s'imaginer quelque chose de plus beau que
cet énorme palais où se trouvent réunis sous le même toit tous
les trésors artistiques qui, dans le cours des siècles, se sont
accumulés dans la famille des Habsbourg. « Cela dépasse le
Louvre! » s'écria-l-on de toutes parts le jour de l'inauguralion.
C'est exagéré. Mais ce qui ne souft're pas de doute : le Muséum
de Vienne est dès aujourd'hui le rival le plus sérieux du Musée
du Louvre. La galerie du Belvédère, la collection d'Ambras,
les fameuses collections de la Hofburg (camées, monnaies, la
salière de Benvenulo Cellini, etc.), tout cela s'étale maintenant
au grand jour dans les différents étages du nouveau pjilais. L'em-
pereur y a ajouté un grand nombi-e de tableaux qui ornaient les
appartements de la Hofburg, toute une série de délicieux Cana-
letli, par exemple, et cinq Velasquez ni plus ui moins, que le
imbliç p'a jamais pu voir jusqu'à ce jour.
Par lui-même le Musée est une œuvre d'art de premier ordre.
L'escalier monumenlal, en marbre multicolore, resplendissant
d'ors et de bronzes, orné du Thésée de Canova, peut faire pen-
dant à l'escalier de l'Opéra de Paris. Le plafond est peint par
Munkacsy, un Munkacsy très clair, représentant l'apothéose des
arts plastiques. Tout autour, des peintures, exécutées peu de
temps avant sa mort, par Hans Makarl. Le palais étant expres-
sément construit pour y loger des collections artistiques,
l'installation en est parfaite. Sous ce rapport, c'est aujourd'hui le
premier musée du monde. Il a pour auteur l'archilecte du nou-
veau Burgtheater, le baron Hasenauer.
D'un article de M. Sainl-PolRoux, dans VEndehors :
Quelle admirable fortune ce serait pour l'art nouveau qu'une
critique nouvelle, c'est-à-dire une critique du même âge que cet
art, une critique jeune! Comme on bénirait sa férule experte el
de quel enthousiasme seraient accueillis ses conseils salutaires!
Notre mémoire a gardé l'heureux parfum des pages d'Octave
Mirbeau sur Claude Monet et sur Maeterlinck; hier, au Figaro, le
bon cyrénéen n'apolhéosait-il pas encore le long crucifiement de
Camille Pissarro? Voyez dans le passé Hennequin le Regretté, dans
le présent Gustave Geffroy, Albert Aurier, Séverine, Jean Jullien,
puis tant d'autres!
La Foule, apprenant la valeur vraie de la Jeune Invasion, cul-
tiverait sans doute alors celte prudente paraphrase de La Bruvère
par Ernest Hello : « L'homme qui parle une langue à lui est un
jeune homme pour ses contemporains avant d'être un grand
homme pour la postérité ».
Hélas! il est douteux que la critique officielle soit jamais telle
que nous la souhaitons, car les châtrés de la Routine veillent au
grain, et je ne sache rien de têtu comme un mulet. On mettrait
plutôt la mer entière dans l'urnelte du grave converli des con-
fessions qu'on ne déciderait ces auvergnards bavards à marcher
vers le silence.
Leur prétention à ces surannés serait de dompter nos esprits
novateurs el de les diriger.
Cela, jamais!
Pas très galant, mais bien tapé ce « petit bleu du matin »
adressé dernièrement par Gil Blas a un médecin :
Monsieur, les journaux ne disent pas votre nom, il faut donc
que j'adresse ces remerciements au « médecin qui a défendu à la
reine de Roumanie de continuer à écrire ». Je ne sais pas si lés
sujets de la reine Elisabeth seront 1res peines par la décision que
vous avez prise, mais je sais que les lecteurs de Carmen Sylva
seront enchantés ! Une fois.par hasard, voilà un excellent médecin
et une fois plus par hasard encore, voilà un médicament qui fera
du .bien à tout le monde. Combien de médecins et de médicaments
ne pourraient pas en dire autant. Seulement, mon cher docteur,
j'aurais une proposition à vous faire : Vous devriez bien profiler
du prochain congrès médical pour demander qu'on applique le
même trailemcnl à toutes les femmes qui écrivent. Il y en a aux-
quelles cela ferait le plus grand bien. Vous me direz que toutes
les femmes qui écrivent ne sont pas malades; à deux ou trois
exceptions près, je crois bien que si! Voa»s me direz -que l'on n'a
pas besoin de lire leurs œuvres? ou plutôt vous ne ims, le direz
pas, car vous savez, vous qui avez soigné Carmen Sylva, qu'un
des symptômes les plus dangereux chez la femme qui écrit, c'est
la manie de faire lire ses petites affaires et par ses amis et par ses
connaissances et par les connaissances de ses cbnnaissances.
Ah! moucher docteur, je vous recommande mon idée et. vous
serez béni !
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Bruxellîiu — Imp. V* Momnom, 32, rue de l'Industrie.
l3lU
-: ■• -îipTws^';
Douzième aiwéb. — N° 31.
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 31 Juillet 1892.
L'ART
-- UJ.:).
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Comité de rédaction i Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile YERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. —ANNONCES : On traite à forfait.
■ »î ■
Adresser toutes les communications à
l'administration générale de l*Art Moderne, rue de I^Industrie, 32, Bruxelles.
30MMAIRf:
Notes sur les Primitifs italiens. Pisancllo. — Les funérailles
DE Léon Cladel. — Le mouvement littéraire k\ Belgique. -. —
Livres et hrochubes. — Mémento des expositions. — Petite
chronique.
Notes sur les Primitifs italiens ^^^
PISANELLO
Vasari réunit dans une même étude, sans dire
pourquoi et avec quelque apparente incohérence, la
biographie de Gentile da Fabriano et celle de Vittore
Pisano. Le rapprochement est pourtant judicieux et le
vieux pinacographe aurait pu en donner d'excellentes
raisons.
A peu près du même temps, — en 1400, Gentile avait
trente ans, Pisanello (2] vingt — ces deux grands artistes
(1) Voyez dans l'Art moderne de 1891, n° Al, Giotto ; 49, Masolino
da Panicale ; 51 et 52, Gentile da Fabriano.
(2) On a cru que ce diminutif, demeuré sans doute à cause de son
tintement joli, était une invention de Vasari. Le catalogue de la
National Gallery, rédigé avec tant de goût et de science, remarque que
Pisanello n'a jamais signé ainsi ses tableaux ni ses médailles et que
ses contemporains l'ont toujours appelé Pisano. Cependant, un passe-
port donné au peintre par le pape Eugène IV en 1432 et publié par
YArchivio storico l'appelle dilectus filius noster Pisanellus.
On s'accorde à enseigner qu'il naquit près de Vérone et les érudits
ont beaucoup discuté quels furent ses maîtres.
sont, pendant la première moitié du xv® siècle, les plus
brillants protagonietes de l'Art en Italie. Ils résument
avec éclat l'évolution esthétique de leur époque. Ils
renouvellent et transforment la peinture, l'affranchis-
sent des traditions épuisées, rompent avec les répétitions
stMiles des derniers imitateurs ^e Giotto. Ils retournent
à rîncessante inspiratrice, à cette source première et
féconde : l'observation directe de la .nature, recher-
chent la liberté et l'aisance des mouvements, s'in-
quiètent du paysage, commencent à introduire, dans
des compositions ^religieuses, des portraits contemT
porains, des figures étudiées sur le vif. Mais tous deux
aussi tiennent encore au passé, à la société qui va
disparaissant à ce tournant des âges ; mille souvenirs de
chevalerie et de moyen-âge les obsèdent ; ils ne conçoi-
vent la glorification, par exemple, qu'à la façon des
anciens miniaturistes, par l'abondance des étoffes splen-
dides et ouvragées précieusement, par la profusion des
ornements d'or. Et comme tous deux sont des artistes
de grande race, un équilibre inattendu s'est fait, en leurs
œuvres, entre ces éléments disparates et contradic-
toires ; et il en est résulté un art très spécial, complet
et parfait en lui-même, étape d'un charme pénétrant
entre le grand précui'seur Giotto et les merveilleux
maîtres de la fin du xv® siècle.
Ils furent de leur vivant justement appréciés. Ils pro-
menèrent, parallèlement, leurs existences parfumées de
242
L'ART MODERNE
gloire, au milieu de la faveur des princes et de l'enthou-
siasme des contemporains. L'un après l'autre, peut-être
même ensemble — ces points restent mal éclaircis —
ils furent choisis par la république de Venise pour déco-
rer le Palais des Doges, par le pape Martin V pour
contribuer à la splendeur de Saint- Jean-de-Latran. Les
municipalités fastueuses de l'époque les disputaient au»x
souverains, et de nobles besognes leur furent confiées,,
dont ils s'acquittèrent dignepaent, comblés de présents
et d'honneurs, et célébrés par les poètes.
Et cette similitude de destinées se continua au delà
de la tombe. Une même fatalité s'acharna sur les témoi-
gnages qu'ils avaient voulu laisser d'eux-mêmes à la
postérité. Des incendies, des catastrophes, l'usure
cruelle du temps détruisirent les œuvres dans lesquelles
ils avaient cru s'éterniser. Et les trois siècles de basse,
veule et présomptueuse peinture qui vinrent après
Raphaël les méconnurent et les oublièrent tous deux à
demi. Ce n'est guère que de nos jours, et récem-
ment, qu'ils ont rétrouvé le tribut d'hommages qu'il
convient.
A vrai dire, on est tenté de les confondre dans une
admiration commune. Leurs œuvres subsistantes sont si
rares, les points de repère et de comparaison si incertains
que lorsque l'on veut déterminer la personnalité de cha-
cun, tout devient conjectural. Il est infiniment probable
que l'un des deux a influencé l'autre, mais lequel ? Cet
amour des animaux (chevaux, chiens, etc.), dont si
superbement ils ont compris tous deux les nobles lignes
décoratives, ce goût des vêtements pompeux et bizarres,
j'aime à penser que ce fut le doux mjûtre Gentile qui
l'enseigna à son cadet, alors qu'ils travaillaient ensemble
dans la richissime Venise, reine des mers, où des Orien-
taux en costumes étranges apportaient les trésors asia-
tiques. Mais peut-être aussi fallut-il l'exemple et la jeu-
nesse audacieuse de Pisano pour apprendre au tendre
maître ombrien tout ce qu'il devait ajouter à son art
calme et pieux?
Quoi qu'il en soit, ils sont tous deux d'une même
famille, famille où Pisano serait le frère, Gentile la sœur.
Celui-ci plus timide, celui-là plus hardi ; celui-ci plus
religieux, celui-là plus mondain ; celui-ci plus candide
et plus délicat, celui-là plus vigoureux et plus fort. Il
semble enfin que Pisano soit plus complexe et plus
savant : certains détails de sa fresque, La Légende de
saint Georges, attestent la connaissance des graveurs
d'Allemagne.
Mais ces différences ne sont guère accentuées aussi
longtemps que l'on compare ce qui nous reste de l'œuvre
de chaque peintre, et si on est généralement porté à
préférer Pisanello, à lui reconnaître des qualités plus
robustes et plus hautes, c'est que, plus heureux que
Gentile, il a pu survivre en ses dessins et ses médailles.
On sait que la plupart des grandes collections
publiques, surtout le Louvre, s'enorgueillissent (1) de
posséder des études et des croquis de Pisanello, si abso-
lument admirables qu'il n'y a point de plus significatif
éloge à en faire que de rappeler qu'ils ont été considérés
et vénérés longtemps comme dus à Léonard de Vinci !
On sait encore que Pisano, le prenîier, retrouva l'art
du médailleur, perdu, oublié par le moyen -âge et que
de suite, sans essai, sans effort, avec une inexplicable
maîtrise, il égala les chefs-d'œuvre de la Grèce et de
Rome, rétrécissant la recherche du caractère à l'am-
pleur du style et atteignant du premier coup une per-
fection qui, depuis, ne fut jamais dépassée.
Aussi tristesse, tristesse de songer à l'œuvre disparu :
il n'en reste plus aujourd'hui que deux fresques en des
églises de Vérone, un petit tableau à la National Gallery
et trois ou quatre panneaux autour desquels les gens
compétents discutent : un portrait de Lionel d'Esté,
dans la collection Morelli à Milan, un saint Hubert
dans la galerie Ashburnham à Londres et deux Madones
d'une authenticité justement critiquée, d'inférieure qua-
lité, au Musée de Vérone.
(A suivre). Jules Destrée.
LES FUNÉRAILLES DE LÉON CLADEL
L'inhumalion de Léon Cladel a eu lieu au Père-Lachaise, en
présence d'un millier de personnes appartenant au monde des
lettres, de la presse et de la politique.
Quatre discours ont été prononcés sur la tombe. Nous citerons
ceux de M. Emile Zola, au nom de la Société des gens de lettres,
de M. Paul Ginisly,au nom de l'Association des journalistes répu-
blicains, de M. Henry de Braisne, au nom de la jeune littérature.
Voici les paroles prononcées par M. Paul Ginisty :
« Messieurs,
Je viens, au nom de l'Association syndicale des journalistes
républicains, qui comptait Léon Cladel parmi ses membres, pres-
que depuis sa fondation, lui adresser l'adieu qu'elle lui doit.
Dans la belle vie littéraire de Léon Cladel, le rôle du journaliste
a été considérable. Oh peut dire que cet écrivain si fier, que ce
romancier si puissant n'a, à (^ vérité, jamais quitté le journalisme
où, sous une forme admirable d'art, il restait le lutteur vaillant,
le rude paladin, champion du droit et de la liberté. Car celui-là
ne varia jamais, car avec sa superbe intransigeance, il a défendu
jusqu'au bout, les convietionsqui avaientétécelles de ses vingt ans.
Il y a une mâle beauté dans l'unité forte de son existence, dans
cette fidélité infrangible à sa foi démocratique, sans la moindre
concession, sans le moindre sacrifice à ses intérêts.
Vieilli, fatigué, mais non abattu, Cladel étaii toujours l'homme
(1) Il n'est pas tout à fait exact de dire que le Louvre s'enorgueillit
des dessins de Pisano. Il faut au contraire regretter que ce musée ne
comprenne pas mieux l'incomparable trésor qu'il a le bonheur de pos-
séder. Ces dessins sont dispersés aux murs de diverses salles et sur
des chevalets tournants où on ne peut les voir que de la manière la
plus incommode. Il faut une grande patience et une résignation à
voir des choses dénuées de tout intérêt pour les connaître tous : j'ai
découvert avec peine une feuille prodigieuse avec des têtes d'enfant et
un visage de femme à faire pâlir tous les seigneurs du dessin, de
Diirer à Rops.
qui avait signé les pages enflammées de Pierre Patient, celte
œuvre austère de sa jeunesse.
Quel que fût le journal où on le soliicilait d'écrire, il apporlaii
la même ardeur généreuse, la même franchise, la même piiié. H
était, partout, l'apôire des causes sociales perdues, l'avocat dos
gueux, le grand plébéien dont le cœur tressaillait aux misères
obscures.
Ne relevant que de sa conscience, qu'il avait définie, un jour,
« la mesure de la justice », il n'était pas de considération capable
de lui faire changer un mot à ce qu'il avait tracé. Ainsi, dans des
journaux, même purement littéraires, fit-il entendre, avec sa cou-
lumière audace, les grondements des foules douloureuses et
apporta-l-il la véhémente affirmation de sa tendresse pour elles.
Jamais artiste ne fut moins un impassiblel Ses contes, merveil-
leux de style, — . et il put vraiment les appeler lui-même des
« morceaux de littérature », — sont encore de la polémique. Il y
a dans les Oueux de marque, comme dans les Va-nu-pieds, dans
Urbains et Ruraux comme dansles Petits cahiers, pages publiées
d'abord dans les journaux avant de former des livres fails pour
braver l'avenir, le courage d'opinions inflexibles et des plaidoyers
d'une brûlante éloquence pour les vaincus de la politique et de la
vie, en même temps que des satires implacables contre les indif-
férents et les satisfaits qui n'entendent point les cris de colère et
les sanglots farouches de ceux qui souffrent.
Défendre les mornes déshérités, forcer les autres à réfléchir,
jeter des poignées de vérités, — fussent-elles âpres, — c'est la
plus belle mission du journaliste. A cette mission, Cladel, tnettant
l'art au service de ses idées sociales, ne faillit jamais. Il lui en
coûta, parfois ; il lui en coûta même en d'autres temps que ceux
de l'Empire, ces temps de jeunesse, où, disait-il, on croisait la
plume comme une baïonnette.
Ah ! les épisodes aventureux de la publication de Pierre Patient
dans VEurope, de Francfort, — Pierre Patient (ce roman de
journaliste, encore), qui effraya l'Empire au point qu'il interdit ce
journal à Paris dès le lendemain et qu'il fit une loi particulière
contre les écrivains français qui osaient, même à l'étranger, exalter
la liberté !
Il y avait quelques années, alors que Cladel bataillait déjà
dans ta littérature avec une vaillance de paysan lancé dans la
grande mêlée, — alors que, échappé à la sombre étude d'avoué
où le hasarci l'avait emprisonné, il avait jeté toutes chaudes ses
premières lignes dans le Pirate, une petite feuille éphémère dont,
arrivé à la renommée, il gardait le souvenir attendri.
Il a raconté qu'il se grisait du vacarme de ses lignes tempé-
tueuses, dans la mansarde qu'il habitait, et qu'il les relisait d'une
voix si forte, pour juger de l'eff'et de la chose imprimée, qu'un
voisin frappa à sa porte en- lui demandant s'il assassinait quel-
qu'un.
Il assassinait, à coups de phrases qui étaient tout nerfs et tout
muscles, des abus, des préjugés, des barrières, et c'est ce qu'il fit
toute sa vie. Estimant que bien agir et bien dire sont synonymes,
il prouva toujours en même temps l'énergie de son caractère et la
hauteur de son art.
Tel il apparut dans tous les journaux où ce grand indépendant
continua, en outre de son œuvre de romancier, à pousser dans
son cœur le fort et mâle accent de ses écrits. '
«Qui mentira sombrera », avait-il coutume de dire. II ne mentit
jamais, lui, et il ne disparaîtra pas. Les sacrifices qu'il fit à sa pro-
bité d'artiste grandiront son nom ; et, devant ce cercueil, nous
saluons un des maîtres qui aient fait le plus bel usage de leur
plume et qui aient, par la vigueur généreuse de la pensée, le plua
ennobli leur talent. Adieu, Cladel, adieu!»
M. Léon Bourgeois, ministre de l'instruction publique et des
beaux-arts, a informé la veuve de Léon Cladel que l'Etal prendrait
à sa charge l'éducation de ses enfants. . . — Bon exemple k méditer
chez nous.
LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE EN BELGIQUE
Le Figaro publie dans un de ses récents numéros l'article que
voici. L'auteur, M. François de Nion, qui écrivit cette très essen-
tielle et raffinée page d'humanité, La Peur de la Mort, s'y révèle,
en la presque totalité de ses jugements, critique pénétrant, nota-
teur substantiel des particularités de nos écrivains. C'est la pre-
mière fois que le mouvement littéraire belge est étudié, dans un
quotidien étranger d'une telle envergure, avec une aussi complète
et aussi fine entente des nuancçs, avec un esprit aussi nettement
libéré de toutes les mesquines réserves qui, chez nous-mêmes,
cherchent encore à obscurcir l'éclat de nos lettres. Les magisters
récalcitrants, les cuistreux dispensateurs de férule, les vinaigriers
pour qui demeure non avenue la viabilité de notre art national
reçoivent là, de la part du haut et probe artiste qu'est M. de
Nion, une leçon de convenances et de confraternité.
Nous attendrons, pour la juger dans son ensemble, la publi-
cation de la seconde partie de cette remarquable étude : elle sera
consacrée aux poètes et aux écrivains du théâtre.
Mais que déjà il nous soit permis d'adresser nos remercîmcnts
publics à M Francis Magnard, l'éminent directeur du Figaro,
dont l'esprit indépendant et large s'est attesté en cette occasion.
LES PROSATEURS
Ce serait une étude assurément ingénieuse, d'une curiosité
subtile et délicate, celle par laquelle on tâcherait à relever les
courants, à surprendre les influences étrangères qui, à toutes les
périodes de notre histoire littéraire, apportèrent à notre langue
une orientation, des richesses nouvelles, en firent ce merveilleux
et souple instrument dont la flexibilité infinie, le perpétuel
renouveau afssurent l'élégance et la vitalité.
Aux premiers âges et pendant toute la Renaissance, l'esjtrit
français est hanté de romanisme, de grécité; plus tard, il' s'enno-
blit et s'enfle aux hâbleries espagnoles, s'amenuise et se subtilise
sous la séduction du goût italien ; à la fin du xvin« siècle, il est
touché d'anglicisme, nourri de germanisme durant l'expansion
romanlique ; de nos jours, l'art russe, émané de France, y revient
exercer une action réflexe, violente autant que passagère; enfin,
dans ces derniers temps, un nouvel élément s'insinue, domine
jusqu'à un certain point nos jeunes écoles : la littérature belge
« d'expression française », suivant le mot d'un de ses critiques les
plus perceptifs et les plus avisés, M. F. Nautel. Cet éveil brusque
— presque miraculeux dans ces provinces flamandes, dans ces
pays de « taiseux » — d'un art jeune et combatif, c'est la France
qui le provoque ; mais aussitôt provoqué, il a son action sur nous.
C'est la Belgique qui accueille les plus avancés de nos jeunes
écrivains, les acclame et les consacre, ce sont ses revues qui
luttent pour eux.
* - - -
* *
Les deux initiateurs de ce mouvement littéraire, qui date
de 1870, sont Charles De Coster et Camille Lemonnier.
v/
h
Le premier esl presque un inconnu pour nous ;" l'homme qui a
écrit en un français d'une grâce extrême, archaïque et précieuse
un peu, quoique parfois trouée de modernité nette, ce chef-d'œu-
vre, Thyl Uylenspiegel, éveille, même pour un lettré, la vague no-
lion d'un auteur qui a été traduit... et qu'on n'a pas lu. La fortune
constamment fut cruelle à ce grand artiste qui mourut dans une
misère profonde; il semble même que les inquiétudes de la vie
l'aient poursuivi par delà la mort, et l'autre jour, c'est à peine si
l'un de ses amis, M. Potvin est arrivé à temps pour souslraire sa
tombe temporaire aux brutalités d'une expropriation admi-
nistrative. Ilavait sans doute fait un pacte avec toutes les tristesses,
cejui qui devait dire un jour à une amie ce mol d'une mélancolie
si tendre : « Je ne t'aime pas autant quand je suis gai! »
On peut dire de De Coster qu'il a écrit le testament d'une race,
qu'il a monographie l'âme flamande en sa grande époque, celle de
ses luttes pour la liberté. L'Uylençpiegel de la légende populaire,
c'est le héros farceur et bohème, grand buveur, bon paillard, une
façon de Pantagruel et de Panurge flamand; tout autre, singuliè-
rement grandi, plus tendre et plus grave, chevaleresque nous
apparaît l'Uylenspiegel de De Coster. En lui s'incarne la terre de
Flandres, — cette patrie humide et grise qu'il aimait tant/ — en
lui se personnifie le paysan en révolte contre Philippe d'Espagne,
ce Philippe II que l'écrivain, en une hallucination superbe de
haut visionnaire, nous peint, infant maigre, triste et frileux,
accroupi dans un coin de l'Escurial devant une cheminée où il
fait rôtir vifs des singes.
Ses autres ouvrages, oîi il tenta des études de mœurs, sont infé-
rieurs et moins célèbres. Elevé à 3Iunich dans le palais épiscopal
du copite de Mercy-Argenteau, il est resté Germain par ses ten-
dances, par le caractère de son talent ; par là il demeure plus à
l'écart du mouvement littéraire belge que Camille Lemonnier.
C'est chez celui-ci, dans la petite maison de la chaussée de
Vleurgat, que le mouvement prend forme, se discute en concia-
bules amicaux ; il s'affirme au grand jour en une fête qui a joué
un rôle considérable dans l'histoire de la jeune Belgique : le ban-
quet offert en 4883 à Camille Lemonnier, qui servit de prétexte
au déploiement des forces des nouveaux écrivains et fit un énorme
tapage. C'était, comme le dit à cette occassion l'auteur du Mâle,
bien plutôt la fête de la jeunesse émancipée que celle d'un
homme, la Pâque publique de la Renaissance littéraire .-
Depuis, Lemonnier a conquis sa place chez nous où il figure au
rang des maréchaux dans l'état-major des lettres françaises, mais
il a conservé en Belgique une haute suprématie, une sorte de ma-
gistrature d'art, analogue en quelques points — mais bien moins
contestée — à la dictature littéraire que, avec infiniment moins
de bienveillance d'une part et de sympathie de l'autre, exerça
pendant longtemps parmi nous M. Zola.
Son origine est complexe, comme son talent est complexe de
caractère et de tendances. Requis par toutes les formes de la vie,
renouvelant à chaque livre sa forme et changeant le champ de sa
vision, il est bien Flamand par sa couleur puissante, grasse, vio-
lente, son sens panlhéistique des choses, l'inclinaison vers le sym-
bole ; mais des atavismes, une grand'mère italienne, des ancêtres
espagnols, lui apportent cette aristocratie de forme qui décèle
l'influence de l'art latin.
/ Sur lui Rubens exerce une action intense et jamais, à la vérité,
deux caractères d'artistes, deux figures d'hommes ne se rappelè-
rent et ne se complétèrent d'aussi intéressante façon. Rubens est,
sans contredit, le plus latin, le plus aristocratique des peintres
flamands ; mais cette latinité, cette aristocratie, il les vêt de cou-
leurs chaudes et chatoyantes, en empâte la sécheresse, en huma-
nise la hauteur par des débauches de tons joyeux, fanfarons,
voyants, éclatants ; Baudelaire, dans les notes posthumes qu'il a
laissées sur la Belgique — si sévères et si Injustes — pressent
quelque chose de cette double nature, et, dans son exagération
misanthropique, il définit le peintre de la Descente de croix : un
goujat en habit «de satin». Goujat, non pas, mais robuste et
plantureux gars des polders, affiné par les élégances du grand
seigneur et les délicatesses de l'artiste. Comme lui, Camille
Lemonnier agglomère les deux âmes flamande et wallonne, les
réunit en une seule qui, chez les autres, se fragmente et constitue
deux courants : le courant flamingant, le courant wallon.
Nous les étudierons tout à l'heure; mais il convient de parler
ici d'un homme qui, avec une physionomie moins exclusivement
littéraire que Lemonnier, a eu» lui aussi, une influence considéra-
ble et décisive sur le mouvement actuel : Edmond Picard. Avocat,
orateur, politicien, polémiste ardent et plein de foi, homme de
haute culture et de forte trempe, toujours à l'avant-garde, il
batailla sans trêve pour faire accepter les idées des jeunes. Son
hôtel à Bruxelles, où débarquent tous les Français artistes, fut le
centre, le terrain neutre où se rencontrèrent et se fusionnèrent en
quelque sorte les écoles diverses : « Il couvrit, dit M. F. Nautet,
« tout ce que les premiers écrits pouvaient avoir d'informe, du
« pavillon d'une littérature ferme et pleine de sûreté en publiant
« successivement (dans leurs revues) le Paradoxe sur l'avocat, la
« Forge Roussel, le Juré, l'Amiral. » Styliste concis, net et bril-
lant, gardant dans ses écritures artistes quelque chose de la recti-
tude et de la sobriété du jurisconsulte.
***
Les deux courants flamingant et wallonisant que nous indi-
quions plus haut ont produit chacun des écrivains plus localisés
que ceux dont nous venons de nous occuper; qâelques-uns sont
extrêmement remarquables par leur puissance et leur personnalité
vigoureuse.
Parmi les Flamands — sans vouloir citer Emile Verhaeren qui
a écrit de très curieux contes en prose, non encore publiés, mais
à qui sa gloire de poète suftU — nous trouvons tout de suite deux
esprits bien différents comme conception d'art, mais ayant une
certaine parenté de caractère dans leur façon d'extérioriser leurs
sensations, de matérialiser leur intérieure vision : Georges Eek-
houd, Eugène Demolder.
Si Lemonnier évoque encore le souvenir de Rubens, Eekhoud
rappelle plutôt Jordaens, avec ses couleurs appuyées, ses forces
concentrées, d'une rusticité plébéienne, d'une hautaine grossièreté;
Kees Doorik, sa première œuvre, les Kermesses sont des enlumi-
nures violentes à la manière d'Henri De Groux ; la Nouvelle Car-
thage, d'un bel effet de style, mais d'une observation trop résumée,
reflète surtout le terrien, le « poldérien » qui sont en lui; il y a
en Eekhoud comme un mélange d'Huysmans moins romaniique
et de Souveslre plus acidulé. Son faire cauteleux, sournois, donne
l'impression d'horizons élroils, de ciels bas et mobiles.
Plus sympathique peut-être, d'un art fin et aigu, d'une naïveté
roublarde, d'une simplicité admirablement travaillée, apparaît
Demolder, l'écrivain des Coiiies d'Vperdamme, ces petits Breu-
ghels où il se joue avec la plus piquante désinvolture d'un moyen
assez neuf en littérature, l'anachronisme. Un livre très savoureux,
d'une valeur réelle qui rappelle certains tableaux récents de
LART MODERNE
245
Béraud ou de Jacques Blanche, el dans lequel s'insère un petit
chef-d'œuvre, le Reniement de saint Pierre.
Flamingants aussi, plus par leurs sujets empruntés au terroir
que par leur coloris propre, sont Maurice Desombiaux el Georges
Rodenbach. Les lecteurs du Figaro connaissent l'esprit élégiaque,
un peu Iakiste de ce dernier, son étonnante faculté d'image. C'est
une âme provinciale élégamment raisonneuse, attirée par les vies
silencieuses, les mélancoliques béguinages, les désuétudes de ban-
lieue. Ses œuvres donnent une sensation, pour ainsi dire capil-
laire, de menuité, d'aigu dans le fin de la sensibilité. Flamands
aussi Van Lerberghc et Maeterlinck que nous retrouverons parmi
les poètes.
Arnold Goffîn est un Avallonisant ; il se rattache à Baudelaire
par sa forme dure, marmorisée, aux incrustations micaeées ; son
âme maladive lui fait une psychologie tourmentée, inquiète, qui
se révèle surtout dans les plus importants de ses livres, le Jour-
nal d'André, Dèlsire Moris, et sa dernière plaquette, {« Fou rai-
sonnable, d'une multiplicité singulière et vivante et grouillante
d'idées el de sensations. Wallon, Hector Chainaye, dans l'Ame dei
Choses, aux perceptions intenses, comme fluidiques, de la vie
supra-inlellecluelle; Wallons, Maubel, un sensilif mièvre, névrosé,
auteur d'études à la loupe; Delattre, conteur adroit et avisé;
Georges Garnir, avec les Charneux; Nizet, esprit scientifique,
récemment sorti des formules naturalistes; Mahulle, donl le
Bruxelles vivant a l'éclat, le fringant, l'espril vif el claquant des
merveilleuses chroniques parisiennes, un journaliste d'ailleurs et
de talent; Demblon, F. Baudoux, Paul Hagemans, etc., etc.
Il faut s'arrêter à Raymond Nyst, au saisissement qu'apporte
avec elle son œuvre rude el désordonnée dans laquelle il semble
qu'on entende des paquets de mer s'éclabousser contre des rocs.
Une plaquette sans litre, un récit d'amour mystérieusement ter-
miné .dans le bruit des houles marines, des poèmes en prose,
La Création du Diable, prodigieux entassement d'épilhètes,
d'images, de couleurs horribles, de phrases tordues, révoltées,
en font un écrivain d'un incontestable talent qui rappelle un peu
celui de notre Henri de Régnier, ce grand poète, s'il n'était empri-
sonné dans une école sans issue; beaucoup celui de Félicien
Rops.
***
En dehors de ces classifications, un groupe de métis — il ne
faut pas s'effaroucher du mot, un des leurs a écrit : « L'avenir
en Belgique est à une certaine bâtardise » — participent aux
deux natures; certains écrivains comme Hubert Krains, critique
et conteur; James Van Drunen, en ses notes de voyage, prestes el
chiffonnées, ses notations fragmentées, comme du Sterne coupé
de Concourt; les deux Destrée, Jules el Georges, une réduction
des deux frères français, tous deux aimantés vers le rare, le pré
cieux et le faisandé; J. Van der Brugghe, inclinent vers l'esprit
français donl les flamingants, surtout les poètes — nous revien-
drons sur ce point — sont en train de se séparer complètement
sans le savoir et sans le vouloir peul-élre.
***
Des journaux, des revues surtout contribuèrent, avec des for-
lunes diverses, mais toujours une ardeur, un désintéressement
admirables, au succès de celte littérature naissante. L'Europe,
fondée â Bruxelles par M. E. Francq, un économiste de haute
valeur, ouvrit son supplément aux nouveaux écrivains ; presque
en même leTmps, la Jeune Belgique faisait paraître son premier
numéro. Max Wallcr, figure charmante et gamine, incarnant
deux natures contradictoires, l'étudiant allemand el le boulevar-
dier parisien, lança le périodijque en pleine mêlée, avec les plus
i< en avant » des jeunes : Giraud, Gilkin, Verbaeren, Goffin,
H. Maubel, Demolder, etc., etc.
H en fit l'organe Imaginatif, spiritualiste, impressionniste du
mouvement. L'Art moderne, au contraire, devait; être une feuille
d'^eslhélique et d'analyse; il ne tarda pas à acquérir une autorité
au moins égale. M. Octave Maus, avec la collaboration d'Edmond
Picard, d'Ernest Verlant el de F. Naulet, — ces deux derniers sont
les principaux critiques de la jeune littérature belge, — eut l'ini-
tiative de cette création (1).
La Société nouvelle, lancée par MM. F. Brouez et A. James,
est la ^8 posée, la plus éclectique des revues. Elle a — plus
qu'elle n'affecte — certaines allures de jeune Revue des Deux
A/on(ies. Comme son atnée et sa voisine, elle se préoccupe de
science, de philosophie, de sociologie, se plati aux articles de
fond un peu compacts, froids et bien combinés. Elle constitue,
même en dehors de la Belgique, un des périodiques les plus ren-
seignés et les plus sérieux au point de vue des idées nouvelles,
quelles qu'elles sOienl.
Quand nous aurons cité la Wallonie, petit cénacle francisant,
inféodée aux semblants d'écoles symbolistes françaises, et le Mou-
vement littéraire, toute récente el vaillante publication, très
remarquablement dirigée par MM. F. Roussel, Raymond Nyst el
L. Donnay, nous aurons noté les plus importantes des revues
a jeunes » de Belgique, et nous pourrons nous occuper des poètes
dont l'action ne fut pas moins importante ni décisive que celle
des prosateurs dans cette sorte de Renaissance — ou plutôt — de
naissance d'une littérature.
François de Nion.
LIVRES ET BROCHURES
Le Chevalier Forelle, par Xavier de Reul. — Bruxelles,
A. Lefèvre, 276 p.
Simplehisloire.Une idylle en province, dans les vraies Ardennes.
Scènes de la vie d'officier dans le Luxembourg. — Bernard Forelle,
élevé peu à peu du grade de caporal à celui d'officier supérieur,
son avancement officiel est parallèle à son dégrossissemenl moral :
le lourd paysan se transforme peu à peu el par étapes en parfait
gentleman.
M. de Reul est un très agréable conteur. Les divers romans et
nouvelles qu'il a publiés dans la Revue de Belgique en fonl foi.
Il ne s'est pas rallié aux écoles du roman contemporain. Son style
est sans complication, comme sa pensée. Le sous-titre de son
dernier ouvrage ne ment pas : c'est bien une simple histoire,
mais racontée avec fraîcheur el vérité.
Ames fidèles au mystère, par Adolphe Frères. — Bruxelles,
Lacomblez, 163 p.
De la poésie en prose. De très tendres et délicats sentiments
exprimés en une forme artiste et ciselée. Des paysages où l'auteur
« a tâché d'associer des âmes simples sentant, pensant selon le
ciel el les fleurs, des âmes très impersonnelles qui n'ont point lu
les journaux ».
Les petites âmes que fait vivre M. Frères sont bien petites mais
(1) M. de Nion fait erreur en ce qui concerne ces deux derniers
noms. Les fondateurs de l'Art moderne sont, outre les deux écri-
vains cités en premier lieu, MM. Victor Arnould et Eugène Robert.
^
J
bien poétiques. C'est fin, délicat jusqu'au mièvre. Très promeneur
cependant, pour le jour où l'auteur voudra bien remarquer que
les jolis détails ne suffisent pas pour faire une œuvre, fût-ce un
livre de poésie. H faut à celle-ci une sorte d'inspiration commune,
qui se fasse reconnaître non pas seulement à la mise en ordre des
diverses pièces, mais surtout dans l'expression des idées. Pectus
est quod dissertas facit. Leconle de Lisle n'est plus noire idéal, ni
aucun des parnassiens.
■ La prose de M. Frères ne se dislingue pas nettement de la forme '
versifiée. Nous n'y voyons pas grand Qvantagé; aujourd'hui la
liberté du vers permet tous les rythmes et toutes les complica-
tions. La prose conserve toujours quelque cho^e de lâclie. Elle
prédispose bien plus aux chevilles et aux phrases banales. La
prosodie est encore la meilleure des disciplines pour arriver à la
concision, qualité du style précieuse entre toutes.
Les Salons de 1892, par Louis Gardon. — Paris, Georges
Petit, édit., 81 p. gr. in-8o.
M. Louis Cardon vient de faire paraître en un élégant volume,
imprimé avec luxe, la revue des Salons de Paris en 1892 qu'il a
publiée dans la Nation : les Champs-Elysées, le Champ-de-Mars,
les Pastellistes, l'Exposition de Blanc et Noir, l'Union libérale.
Une dizaine de pages sur la Critique d'art, en léte du volume, décè-
lent la sincérité et l'esprit clairvoyant de l'écrivain.
Sur la Plage : les airs, la mer et leurs habitants, par Emile
Lkclercq. — Bruxelles, Emile Bruylant, édit., 180 p.
Les oisifs que l'été sème, de La Panne à Knocke, sur les bords
de la mer du Nord, trouveront dans le volume que vient de publier
M. Emile Leclercq une description rapide de ce qu'on rencontre
en se promenant sur les plages : oiseaux, coquilles, plantes mari-
nes, tout ce qui vole, tout ce qui se pêche, tout ce qui forme ce
que l'auteur nomme joliment « le jardin des mers ».
Un peu de science, 1res peu ; jus'te ce qu'il faut pour distraire et
intéresser, entre le bain et le concert du Kursaal.
Oxford et la vie universitaire en Angleterre, par le comte
GoBLET d' Alviella. — Bruxelles, Lamertin, édit., 24 p. in-8°.
Très intéressante causerie faite à la Société des étudiants libé-
raux de Bruxelles, dans laquelle M. le comte Goblet d'Alviella,
après avoir donné d'Oxford une description pittoresque, fait
l'historique de la célèbre Université, expose en détail l'organisa-
tion actuelle de celle-ci et termine par le tableau de la carrière
d'un étudiant depuis son inscription sur les rôles jusqu'à l'obten-
. tion de son diplôme.
L'Anarchie littéraire, par Anatole Baju. — Paris, Vanier,
édit, 35 p. in-12.
Ces lignjes de début déterminent la tendance de la brochure de
M. Baju : « A l'époque du Décadent, il y eut, parmi les écrivains
de noire génération, quelque chose comme un syndicat d'efforts
pour faire cesser les enfantillages du père Hugo et de ses imita-
teurs, et pour refoulera l'égout les déjections littérairesde M. Emile
Zola et des Naturalistes... »
M. Anatole Baju est Décadent. Il en veut beaucoup aux pau-
vres Symbolistes, parmi lesquels il range M. Georges Eekhoud,
qui en sera surpris. Il traite aussi avec quelque dédain les Instru-
mentistes, qui n'onl jamais eu, d'après lui, qu'un succès d'hilarité:
et ceci étonnera M. Emile Verhaeren, que l'auteur embrigade
dans « l'Orphéon poétique ». Quant aux Romanistes, ils n'ont de
valeur que par leurs formidables prétentions, tandis que les Magi-
ques disputent aux Instrumentistes la gloire du ridicule. Celte fois
c'est M. Paul Adam qui n'y comprendra rien, pas plus que
M. Octave Mirbeau, classé par M. Baju dans le groupe des écri-
vains Anarchistes « qui ont fait jusqu'à présent plus de bruit avec
des cartouches de dynamite qu'avec leurs œuvres littéraires ».
Il y a aussi une petite revue des Magnifiques, des Socialistes, etc.
et il ne manque vraiment à la série que la secte des Anatolebaji-
ques, qui. ferait une très jolie école littéraire.
^(
ICCU^E^ DE I^ECEPTIOp^
Le Baptême de Jésus ou les quatre degrés du scepticisme, par
T. DE Wyzewa; Paris, Pdrrin et C". — Contes pour les hommes,
par Dbbut de Laforest; Paris, Dentu. — Les Horizons hantés,
par Jean Uelville ; Bruxelles, Lacomblez,
Mémento des Expositions
Amsterdam. — Exposition communale. 5 septembre-10 octobre.
Envois du 4 au 13 août. Six médailles d'or. Renseignements :
Secrétaire du Comité de l'Exposition communale, Amsterdam.
Chicago. — Section des Beaux-Arts de l'Exposition universelle.
1"' mai-30 octobre 1893 (voir l'Art moderne du 11 octobre 1891).
Fontainebleau. — l"-30 septembre. — Secrétaire général :
Weber, notaire.
Gand. — Salon triennal : 21 août-10 octobre. Délai d'envoi
expiré. Renseignements : M. F. Van der Haeghen, secrétaire
de la Commission directrice, au Casino, Oand.
Madrid. — Exposition historique européenne. 12 septembrc-
31 décembre. Délai d'envoi expiré. Renseignements : Comte de
Casa Miranda, sous-secrétaire d'Etat à la présidence du Conseil
des ministres, Madrid.
Monaco. — Exposition internationale des Beaux-Arts (limitée
aux invités). 14 novembre 1892-15 août 1893. Envois du 4 au
12 octobre. Renseignements : Baron Delort de Gléon, président
du Comité, rue Vézelay, 18, Paris.
Nancy. — XXIX« exposition de la Société lorraine des « Amis
des Arts ». 1" novembre-8 décembre. Transport gratuit pour les
artistes invités. Envois avant le 15 octobre. Renseignements :
M. R. Wiener, trésorier, rue des Dominicains, 53, Nancy.
Nice. — Exposition internaticmale. 10 janvier-30 mars 1893.
Envois : l"-25 décembre. Renseignements : Secrétariat, Pajlais
du Crédit Lyonnais, Nice.
Roubaix-Tourcoing. — Exposition annuelle. 15 seplembre-
15 novembre. Délais : notices, 1" septembre; œuvres, 5 septem-
bre. Deux œuvres par exposant. Renseignements : Secrétariat de
la a Société artistique », rue de l'Espérance, Roubaix {Nord).
St-Germain-en-Laye. — Exposition internationale. 14 aoûl-
16 octobre. Renseignements : Secrétariat de l'exposition, rue de
la Salle, 32, St-Oermain-en-Laye. Dépôt à Paris : Guinchard et
Fourniret, rue Blanche, 76.
Petite chroj^ique
Le great event de la semaine (et peut-être de la saison), au
Waux-Hall, a été l'apparition d'une jeune artiste liégeoise, M"» Ju-
liette Folville, jadis enfant prodige, aujourd'hui musicienne accom-
plie et virtuose de sérieux talent.
M"« Folville est pianiste, violoniste et compositeur. Elle se
produit en public sous ce triple avatar. Mais cet américanisme un
-r
/
i:art moderne
247
peu inquiétant n'est que superficiel, et dès son entrée en scène, la
jeune fille conquiert d'emblée l'auditoire parle charme d'une inter-
prétation pleine d'aisance et de sentiment, par l'irréprochable
correction de son jeu, par la sincérité que décèle sa nature d'ar-
tiste exceptionnellement douée.
On a chaleureusement applaudi la pianiste après l'exécution
fragmentaire du ¥ concerto de Lilolff, et la violoniste pour son
excellente interprétation de deux morceaux de la Suite de César
Cui et du Caprice de concert de Musin.
Après quoi M. Léon Du Bois a galamment passé à M"« Folville
son bâton directorial. Et l'on a vu, spectacle assez rare pour être
signalé, une jeune fille conduire l'orchestre de la Monnaie, et le
conduire avec une autorité, une fermeté, une simplicité qui ont
ravi tout le monde, — les musiciens surtout.
Des cinq fragments du drame lyrique Atala que nous a fait
entendre M''» Folville, le Prélude nous a paru pariiculièremenl
bien venu. Les thèmes sont développés avec beaucoup d'art cl
l'écriture musicale ne laisse rien à désirer. M"« Folville a une rare
entente des sonorités. Dans la Marche sacrée, dans la Danse
armée, il y a, U cet égard, des trouvailles charmantes, indices
d'une aptitude très particulière que nous souhaitons voir pro-
chainement appréciée du public des Concerts populaires ou du
théâtre.
Le jardin du Waux-Hall, empli jusqu'aux palissades, a longue-
ment retenti d'unanimes applaudissements.
Parmi les prochaines « attractions » annoncées, citons M. Désiré
Demest, baryton, professeur au Conservatoire de Liège, qui se fera
entendre ce soir, ei M"" Chrétien, qui participera au concert extra-
ordinaire de mardi prochain.
11 est question aussi d'une audition des Disciples de Grétry, la
société chorale victorieuse. Mais ceci est un gros projet que la
direction s'efforce de mûrir.
Nous avons annoncé que l'Etat belge vient d'acquérir le groupe
de M. Ch. Van der Slappen, Ompdrailles, le Tombeau des Lut-
teurs, inspiré par une des plus belles œuvres de Léon Cladel, le
grand écrivain que la mort vient d'abattre. Voici en quels termes
notre ami et collaborateur Camille Lemonnier apprécie dans le
Gil Blas le groupe de M. Van der Slappen :
« Cette œuvre considérable, de proportions colossales, et l'une
des plus puissantes du maître dont le nom reste attaché à de
souples et fières plastiques, honneur de l'école qui succéda à l'art
industriel cl pompier des Geefs, Fraikin et consorts, signale un
retour aux modes héroïques de lagrandestaluaire. Le vieil athlète,
aux musculatures noueuses et câblées, enlèw d'un mouvement
admirable le svelle et noble jeune homme dont le corps expiré,
aux fines élégances fléchies d'un gladiateur antique, contraste avec
sa haute stature violente. Une ordonnance vraiment pathétique
coordonne les lignes et dénote en M. Ch. Van der Slappen un
artiste épris des grandes traditions, mais les renouvelant par un
sentiment très personnel de la forme en action.
« L'œuvre est donc doublement intéressante pour nous, en ce
qu'elle réalise un concept d'art dramatique avec la vigueur d'un
tempérament flamand, aussi en ce qu'elle commémore et glorifie
un des livres les plus plastiquemenl, beaux de noire lilléralure, et
celui que l'écrivain chérissait entre tous. »
VOmpdrailles de M. Van der Slappen figurera au prochain
salon du Champ-de-Mars.
Un comité est en formation à Paris pour élever à la mémoire
de Léon Cladel un buste au Père-Lachaise et une statue à Mon-
tauban, patrie du grand romancier.
Nous avons vu,. ces jours derniers, dags l'atelier de M. Jean
Gaspar, un groupe que le jeune sculpteur se propose d'envoyer au
Salon de Gand. Un adolescent, une jeune fille s'enlacent tendre-
ment. L'œuvre est exquise de sentiment, de chasteté ingénue, de
grâce aristocratique,. C'est la première fois que M. Gaspar expose
depuis qu'il exhiba, voici quelques anné^, un groupe de grandes
dimensions : VEnlèvement. Il semble évoluer vers un art plus
littéraire et plus synthétique. Son œuvre récente, l'une des plus
captivantes que nous ayons vues en ces derniers temps, sera
certainemenl très remarquée et classera le statuaire parmi les
plus sérieuses espérances de l'art belge.
Le correspondant d'Amsterdam du Ouide musical annonce le
départ pour Vienne d'un petit groupe de chanteurs néerlandais
qui, sous la direction de M. «Daniel de Lange, est ailé, â l'Exposi-
tion du Théâtre et de la Musique, faire entendre des compositions
à plusieurs voix d'anciens maîtres néerlandais, depuis Dufay
(1360-1432) jusqu'à Roland de Lattre (1520-1594) et Piete'r
Swelinck (1562-1612).
Les journaux de Vienne ne tarissent pas d'éloges sur ces chan-
teurs néerlandais, et signalent particulièrement le baryton Mets-
schaert^ d'ailleurs l'un des premiers chanteurs néerlandais, le
ténor Rogmans et le soprano M"' Reddinghuis. Les chansons,
madrigaux et hymnes anciens que le petit groupe, dirigé par
M. Daniel de Lange, a fait entendre à Vienne, paraissent avoir
ravi les auditeurs. Les chanteurs néerlandais, à la suite de leur
succès à Vienne, vont probablement entreprendre une tournée en
Allemagne.
Le numéro de juillet du Magazine of Art, la plus intéressante
des revues illustrées anglaises, contient, entre autres, une élude
de M. H. Spielmann sur notre compatriote, le sculpteur Georges
Van der Straeten. L'article est illustré du portrait de l'artiste cl
de sept reproductions de ses œuvres. Dans la même livraison, la
reproduction du tableau de Fernand Khnopff : Y lock my door
iipon myself, un portrait de Walter Crâne, par G.-F. Watts, un
voyage de M. Tristram Eliis à Corfou, une élude sur le sculp-
teur Alfred Slevens et, dans les notes d'art, un compte rendu des
plus élogieux du dernier Salon des XX.
L'origine du blanc costume de Pierrot, d'après une chronique
de l'Echo de Paris : « C'est à celte époque, combien lointaine !
que, dans Ma Mère l'Oie, où on le rôtissait à la broche, Debu-
rau, afin de faciliter et de rendre plus rapides ses changements
de costumes, revêtit pour la première fois celte ample et flollanie
souquenille blanche devenue désormais caractéristique de Pierrot.
Car auparavant, détail que trop de gens ignorent, Pierrot s'en
allait revêtu du justaucorps ajusté des Gilles.
Ainsi tout, peu â peu, se transforme cl les traditions succèdent
aux traditions. »
«faata
PAQUEBOTS-POSTE DE L'ÉTAT-BELGE
LIGNE D'OSTENDE-DOUVRES
La plus courte et la moins coûteuse des voies extra-rapides entre le Continent et rÂNCLETERRE
Bruxelles à Ijondres en 8 heures. — Cologne à Londres en 13 heures. — Berlin à Londres en 22 heures.— Vienne à Londres
en 36 heures. — B&le à Londres en 20 lieures. — Milan à Londres «n 32 heures. — Francfort s/M à Londres en 18 heures,
xitoiis iSE:itviCE:i^ i^Awt «lOCJit
D'Ostende à 4 h. 58 matin, 10 h. 53 matin et 8 h. 03 soir. — De Douvres à 12.00 h. (midi), 7 h. 30 soir et 10 h. 15 soir.
XR/iLVE:iti»ÊE: ^Bi XROiis he:ure:8
Par les nouveaux et splendides paquebots : Princesse Joséphine, Princesse Henriette, Prince Albert, La Flandre et Ville
de Douvres partant journellement d'OSTENDE à 4 h. 58 matm et 10 h. 53 matin ; de DOUVRES à 12.00 (midi) et 7 h. 30 soir. — Salons
luxueux. — Fumoirs. — Ventilation perfectionnée. — Éclairage électrique. — Restaurant. BILLETS DIRECTS (simples
ou aller et retour) entre LONDRlS(, DOUVRES. Birmingham, Dublin, Edimbourg, Glascovtr, Liverpool, Manchester et
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Douzième année. — N° 32.
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Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 7 Août 18^.
L'ART
PARAISSANT LB DIUiANCHB
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Comité de rédaction « Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique* un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00 — ANNONCES : On traite à forfait.
i >_ i - -~:
Adresser toutes les communications à
l'administration générale de TArt Moderne, rue de l'Industrie, 32, Bruxelles.
?
OMMAIRE
Notes sur les Primitifs italiens. Pisanello (Suite). — Joseph
Stevens. — Les origines de la littérature belge. — La ligue
DU droit des femmes. — Quelques livres. — Artistes aveugles.
— Petite chronique.
Notes sur les Primitifs italiens ^^^
IV
PISANELLO
^ Le précieux tableau de Londres a pour sujet : Saint
Antoine et saint Georges (2). Les deux saints sont
debout tous deux, tournés l'un vers l'autre. Saint Georges
est un jeune et beau chevalier derrière lequel s'aperçoi-
vent, coupés par le cadre, deux têtes de chevaux impa-
tients qui secouent nerveusement leurs gourmettes et
leurs mors dorés. Sans doute, en ce désert dé sables et de
rochers, à la lisière de ce sombre bois de pins rabougris,
il aura, tandis qu'il chevauchait à l'aventure, rencontré
(1) Suite; voir notre dernier numéro. Voir aussi dans l'Art mo-
derne de 1891, n» 47, Giotio; 49, Masolino da Panicale; 51 et 52,
G^ntile da Fabriano.
(2) Ce joyau fut offert à la National Qallery par Lady Eastlake, en
souvenir de son mari défunt. Quelle exquise et princière façon de per-
pétuer une mémoire Chère !
le vieil ermite et aura mis pied à terre pour en écouter
la requête. Pour cette promenade, le joli capitaine
n'avait pris de son armure d'argent que les épaulettes
massives, les brassards, les gantelets et les jambières,
remplaçant le casque par une paille fine à larges
bords qui laisse découverte sa figure imberbe et juvénile,
quittant la cuirasse pour un mantelet de fin drap gris
perle, tuyauté, bordé de très pâles fourrures rousses
d'une élégance suprême. L'épée suspendue au côté et
les éperons d'or complétaient ce séduisant équipage de
tournoi et de fête. A ses pieds, le dragon terrassé éten-
dant ses ailes noires et tordant la queue, n'ayant qu'une
valeur d'attribut traditionnel. Martial et doux, le jeune
seigneur regarde avec bonté le vieillard.
Celui-ci s'approche, un peu courbé, tenant dans une
main un bâton court et dans l'autre une clochette dont
probablement il se servit pour attirer l'attention du
passant. Un humble manteau de couleur brune l'enve-
loppe, au-dessus de sa robe de bure d'un brun plus rou-
geâtre et plus sombre. Une mince auréole plane autour
de son capuchon et sa longue barbe blanche descend
sur sa poitrine. A ses pieds, le symbolique, compagnon
de sa solitude avance un groin sauvage.
Et tandis qu'ils causaient de charité et d'amour,
pénétrés de bonnes pensées, n'ont-ils pas vu en leurs
âmes, le bleu du ciel changer, verdir, jaunir, et dans
un tremblement de rayons apparaître, comme un
V
250
LART MODERNE
encouragement et un espoir, la Vierge maternelle et
souriante, tenant dans les plis de son manteau blanc
l'enfant divin!... L'harmonie de ces couleurs simples,
de ces gammes de bruns et de blancs, est enchanteresse.
Dans le cadre sont incluses les effigies de ceux par qui
existe cette exquise action de grâce : Lionel d'Esté qui
la commanda * Pisano, figure intelligente et franche.
Ce petit chef-d'œuvre n'est pourtant que secondaire.
. Quand ma pensée va vers Pisanello, ce sont ses fresques
de Vérone qui se lèvent impérieusement dans mon sou-
venir. Je ne parle pas de celles de l'église San-Fermo-
Maggiore; elles représentaient une Annonciation àowi
Vasari loue fort l'expression des visages, la beauté des
édifices, des oiseaux et des animaux dont la composition
était enrichie. Elles n'existent plus qu'à l'état d'indica-
tion vague et ne permettent plus aucune appréciation
réfléchie.
En revanche, ce qui survit de la Légende de saint
Georges est admirable, et bien caractéristique de la
personnalité de Pisanello. C'est à San-Anastasia, très
haut, au-dessus d'une arcade, dans une détestable
lumière et lamentablement en ruine. Des morceaux
entiers ont disparu, tués par le temps, et malgré tous .
les soins, — il faut espérer qu'on les prodigue à ce dé-
bris splendide — l'efiacement sera complet dans un avenir
prochain.
... C'est l'instant des adieux. Vers le Dragon, peut-être
par la mer (là-bas, une voile se gonfla sur les flots),
saint Georges va partir pour le salut de la princesse de
Trébizonde. Aux portes de la ville, elle a voulu l'accom-
pagner.
Et, près de lui, sans parole, elle demeure droite,
raidie par l'émotion de l'heure décisive. Sa coiff'ure est
bizarre : les cheveux ramenés haut, au-dessus du cou
mince, et très en arrière, découvrant le front lisse et
bombé, sont rassemblés méticuleusement en une sorte
de haute toque par des torsades de velours. Sa robe
aussi est singulière et fastueuse : de brocart fleuri, avec
des manches de même sortant d'un extravagant tissu
miraillé, constellé d'yeux noirs et or dans des plumes de
neige, et sa traîne lourde s'étale sur le sol. Grave et son-
geuse, elle regarde le héros qui, pour l'amour d'elle, va
braver la mort, et qui, un pied déjà dans l'étrier, s'ac-
croche à l'arçon de sa selle pour 'monter sur. un. superbe
et vigoureux cheval blanc, vu de croupe, harnaché de
cuirs précieux et de velours, avec des ornements pareils
à des bijoux. Il est difficile de décider à présent com-
ment était vêtu le jeune guerrier, sans doute d'un pour-
point d'étoffe opulente, à longues manches pendantes,
serré à la taille par une ceinture d'or, mais ses traits
sont plus aisément discernables. Sa face est plus étrange
encore que le profil ambigu de la princesse. Malgré le
ruissellement des cheveux blonds encadrant le frais
visage, malgré la fermeté savoureuse des chairs imber-
bes, malgré les dents jeunes étincelant emmi le sou-
rire, j'y découvre je ne sais quels dessous macabres,
comme la lassitude et le dégoût d'un page vieilli, je pres-
sens une tristesse, le rictus possible d'une tête de mort,
inquiétude encore aggravée par le regard fou.
Auprès de cet épigmatiqué chevalier, deux chiens, un
petit à poils frisés, un autre rappelant le lévrier gris de
V Adoration de Gentile. Derrière, un peu à l'écart : un
groupe de cavaliers (le dessin de la tête de l'un d'eux
existe~au Louvre), serviteurs ou compagnons qui atten-
dent le départ. Ils ont d'âpres figures basanées et éner-
giques, viennent de pays lointains d'où ils rapportèrent
des accoutrements inusités : l'un est frileusement vêtu
d'un chaperon et d'un triple col d'hermine, un autre
porte un turban et une lévite d'une éblouissante blan-
cheur, un troisième présente un type mongol des plus
accentués. Leurs mulets et leurs chevaux secouent fiè-
rement les brides chamarrées, relèvent, abaissent ou
avancent la tête, en des mouvements divers, montrant
leur vie turbulente, leur animation de bêtes vaillantes.
Au dernier plan, vers la gauche, deux pendus, les mains
liées derrière le dos, les chausses arrachées, parlent des
châtiments sévères du souverain. De l'autre côté, près
de la princesse, un chevalier en armure dont le heaume
ne laisse voir que le nez et les yeux, des yeux brillants
en un visage hâlé et féroce, entre les deux oreilles de
son noble cheval, tient, posée sur le sol et droite, une
longue lance ouvragée. Devant lui, au premier plan, un
bélier noir placidement couché. Et des chevaux encore,
toujours, tous différents et tous magnifiques de vie,
d'intelligence, de grandeur, des chevaux comme per-
sonne, en aucun temps, n'en a fait !
A tout cela — jadis sans doute fulgurant d'or et de
chaudes couleurs, — actuellement bien pâli, d'une tonalité
générale bleuâtre, très spéciale et délicate, un premier
fond d'arbustes et de broussailles, comme une haie de
sapins et de noires fougères, puis plus loin, la Ville, une
ville de rêve, toute de marbre blanc, hérissée de tours
carrées, avec loggias en saillie, des mâchicoulis, plu-
sieurs étages de galeries en encorbellement et en retrait,
des clochetons gothiques, des flèches ajourées, d'incer-
taines cathédrales, et des donjons, tout le décor d'une
ville forte du moyen-âge aux hétéroclites architectures.
Les influences de l'art antique, en tout ceci ? Nulles
absolument, non par ignorance, mais par insouci. Dans
l'enchantement de la vie qu'il voyait vivre autour de
lui, Pisanello ne songea point à demander des inspira-
tions dont il n'avait pas besoin aux souvenirs exhumés
d'une civilisation disparue. Son originalité était assez
fière vraiment pour se suffire. L'art grec et son euryth-
mie supérieure et froide était pour lui, bien moins sédui-'*
sant que la variété, la richesse, le pittoresque des villes
d'alors, des cortèges des seigneurs, des animaux de
luxe.
UART MODERNE
251
Comme Gentile, Pisanello a célébré le charme fas-
tueux do son temps et l'éternelle beauté de la Vie. Tels
les derniers rayons, vibrants et splendides, d'un soleil
mourant, tous deux sont les témoins suprêmes d'une
société qui disparaît â ce moment des siècles, après
avoir doûné à l'intellectualité humaine un développe-
ment si intense et si éblouissant — comme seul
, exemple : les cathédrales — que nos pauvres petits
modernes, n'ayant pu encore en retrouver le sens
entier, l'ont appelé « la nuit du moyen-âge » .
Jules Destrée.
JOSEPH STEVENS
Une de nos gloires les plus pures et les moins conteslées,
Joseph Sievens, vient de mourir.
Comme nous l'écrivait en son affliction pour ce deuil qui lui
enlève le dernier de ses frères, — de ces deux frères qu'il véné-
rait et chérissait jusqu'au culte, — Alfred Stevens : « La Bel-
gique perd un de ses plus grands peintres flamands, peut-être le
seul qui ne s'est jamais occupé dans son art que de lui-même ».
Et nous nous souvenions de cet autre mot qu'après sa nomina-
tion de membre d'honneur de l'Académie de Vienne, il lui envoyait
et qui exprimait plus complètement encore sa pensée : « Tu es
depuis plusieurs siècles le seul peintre flamand ».
C'était, dans une formule expressive, la caractéristique de ce
talent si étroitement apparenté au génie d'une race.
Rien, en effet, n'avait pu altérer en Joseph Sievens la rude
allure de l'instinct. Son art a la consistance des grès sur lesquels
passe le temps sans les atteindre, et comme eux il demeure
accroché au sol par d'indestructibles racines. 11 n'est ni compliqué
ni subtil en visées. Mais, pareil à une belle mécanique se mouvant
au moyen de rouages peu nombreux, il fait une besogne régulière
dont les résultats sont impeccables.
Non plus que les Snyders, les Fyt, les Jordaens, cet artiste
franc du collier ne fut tourmenté par l'ambition des effets
alambiqué»; les curiosilt5s qui détournèrent de la peinture saine
tant de modernes et, parmi ceux-ci, le maitre quintessencié auquel,
bien à tort, on l'a comparé quelquefois, Decamps, avaient épargné
sa cervelle; il n'a pas eu le rêve décevant des lumières artifi-
cielles et des cristallisations par lesquelles le métier s'est fait
chez ce dernier l'imitateur des alchimies.
Les plus lointains tableaux de Joseph Stevens conservent leur
fraîche coulée toujours jeune : on pense en les regardant à cette
gravité souriante des vieilles personnes qui, ayant vécu pures,
connaissent à peine l'outrage des rides. Aucune hûte n'en a fatigué
l'élaboration. Visiblement ils ont été faits en des heures de ten-
dresse sérieuse.
Avec Joseph Stevens, du reste, il ne faut pas chercher en dehors
de son œuvre ce qu'il est et ce qu'il pense ; il est du petit nombre
des artistes qui, à l'aise dans leur art et n'étant point troublés par
le désir de faireautre chose que ce qu'ils font, ont, presque sans
effort, et comme s'ils obéissaient à une loi de nature, laissé natu-
rellement la besogne journalière se composer de leurs sensations
et de leurs idées. En aucun point de sa longue carrière, on ne
voit les indécisions de l'esprit qui se cherche, et, si c'est débuter
que d'être dès le commencement soi-même, il se montra pour
ainsi dire en débutant ce qu'il fut depuis, un môle ouvrier décidé
à ne demander à son tempérament que les activités qu'il pouvait
lui donner.
C'est un bel exemple pour les natures maladives, sujettes à
outrepasser les limites deleur production, que ce praticien à
l'œil sain,atrI)on sens natif, à la ferme main, qui ne fut louché par
aucune influence étrangère et se borna à exprimer avec un savoir
personnel les impressions que lui fournissait la nature. Sa manière
simple et sévère, car il semble que l'art ne puisse s'exercer qu'avec
un peu d'austérité, ramène au calme l'esprit inqujété par les tur-
bulences des écoles ; et il n'est préoccupé ni d'en fonder une nou-
velle ni d'en perpétuer une ancienne, mais uniquement de bien
voir et de bien rendre, comme s'il avait le dédain des variations
que chaque époque amène avec elle. On sent que la réalité, après
avoir passé par ses yeux, n'a que faire de se figer dans un système
pour aboutir à l'expression artistique ; elle y arrive toute seule
par l'application à né point paraître autrement qu'elle est, ni plus
fine ni plus brillante, mais franche et nue, avec le bel accord des
tons que produit la lumière et qui est la magie de la peinture.
Camille Lemonnier, qui définissait ainsi, dans une étude publiée
dans la Gazeltedes Beaux- Avis, cet admirable organisme de
peintre, ajoute :
Il vécut dans un coin, content d'une gloire modeste qui eût pu ^
être plus haute, mais n'eût pas été plus pure. Engendré à l'art
sans l'aide des maîtres, il a continué à travailler seul dans une
voie où quelques-uns l'ont suivi, où nul ne l'a égalé. Il n'est, en
effet, le surgeon de personne. La tache des bestiaux aux champs,
la robe luisante des bêles à la ville le font rêver ; il n'a presque
pas d'autre éducation. Petit à petit, son esprit s'assimile les rap-
ports des tons, sa main les coordonne, un premier tableau paraît :
ce n'est encore qu'une copie, mais elle a déjà la touche grasse à
laquelle on pressent l'ouvrier. J'ai parlé dans une étude sur Alfred
Stevens de ce Clair de lune imité de Camille Roqueplan. Bientôt
le novice improvise pour son propre compte: La Lice et sa com-
pagne est comme un lever de rideau sur la comédie dont il détail-
lera si finement les multiples personnages. Et successivement il
termine ce groupe fraternel et pathétique du Savoyard et du petîl
singe étendus côte à côte dans la heige {Plus fidèle qu'heureux) ;
cette piteuse silhouette de roquet réfugié contre un mur, la patte
levée {Un temps de chien) ; le Protecteur, \ia dogue superbe abri-
tant entre ses pattes un confrère souffreteux ; le Chien qui porte
à son cou le dîner de son maître, de la collection du prince Gort-
schakoff; le Métier de chien du Musée de Rouen; le Supplice
de Tantale du Luxembourg; Bruxelles au matin du Musée de
Bruxelles, et du même musée VEpisode du marché aux chiens,
qui mettait en joie Courbet; puis cet autre Métier de chien, une
merveille au palais du roi à Bruxelles ; le Chien de la douairière,
de la collection Van Praet ; la Protection, qui appartient au comte
de Flandre et valut au peintre le grand prix lors du concours
ouvert à Londres en 1 874 entre toutes les écoles et tous les
genres ; puis encore cet étonnant Philosophe sa7is le savoir, ron-
geant son os, dans une quiétude profonde, où il y a un peu de la
malice du grand Rabelais; l'Intérieur du Saltimbanque, qui fut
loué, en prose dithyrambique, par Baudelaire; le Chien à la
mouche, de la collection Ravené ; le Chien à la glace, de la col-
lection Crabbe ; les Chiens courants en forêt, de la collection Car-
don; les Solliciteurs, etc., etc.
Stimulée par le succès, sa production chaque année s'accrois-
\
ui
252
UART MODERNE
sait : il peignait le chien, le singe, le cheval, les bétes aumailics.
La Surprise, chez lord Melvil, à Londres, met aux prises un
énorme taureau furieux et un molosse. Dans les Martyrs du bois
de Boulogne, collection Silzer, également à Londres, il montre
les pauvres vieux ânes et leurs compagnons d'infortune, les
pauvres vieux chevaux, immobiles et songeurs sous les loques
d'un abri. Et, un autre jour, il peint les mélancolies comiques de
la Première pipe chez un petit singe à la frimousse presque
humaine.
Rien ne faisait prévoir dans l'école cette forte palette de peintre
et ce jeu tout nouveau des colorations pleines, appuyées sur une
science extraordinaire dès valeurs de ton. -On était conquis à la
fois par la franchise de l'exécution et l'esprit dé la composition.
Caniches, é|)agi)?iMM ^bfM'^^ et mâtins étaient ici des acleurs
naïfs qiii s('tgfi9t^Qf^.-^( ne faisaient pas la bête; leur béiise,
transmise dQ||i^l^L^ LiuitrQ comme un héritage, consolait de notre
finesse qui n'aboutit souvent qu'à nous rendre ingrats et pervers.
El ils avaienli'jS*wsii)§j)riibonté native, cette éternelle beauté des
larmes à laquelle le cœur ne résiste pas.
tt Jechantei ]^^^\^fi^s calamiteux », s'écrie Baudelaire dans un
poème en prosqjécrUwen l'honneur du peintre, et il rappelle le
royal cadeau ,^g|iet « d'une couleur à la fois riche et fanée, qui
fait penser aux SQleils d'automne, à la beauté des femmes mûres
et aux étés de la Saint-Martin », de ce gilet dont le peintre se
dépouilla avec pétulance en faveur de l'écrivain, dans la taverne
bruxelloise de la rué Villa-Hermosa, où allèrent aussi Bancel,
Proudhon et Dickens. Tout le dandysme de Joseph Sievens éclate
dans le prix qu'il attachait à ce don d'une étoffe rare, et il l'aban-
donne d'un geste candide, comme un pan de pourpre ou quelque
précieuse merveille dont le poète lui semblait digne d'appréciqr,
la riche fantaisie. i^,.
C'est que lui aussi, et bien avant l'étincelant lexicologue, ava^^
chanté la tristesse des bétes. Surprise profonde, ce gentleman tiicéi
à quatre épingles qui a poussé si loin la passion de la belle tenui^;;
devait être en peinture l'ami des humbles qui ne font pas toileHÇw
Il n'a pas courtisé les chenils princiers, et la prétentieuse sottis^.
des king-charles, des levrettes, des carlins n'a que passagèrement,
sollicité son pinceau. Hé! n'y a-t-il pas, chez les chiens, la même
hiérarchie qu'il y a chez les hommes? Tout en haut, fleuris,
musqué^ portant leur toison comme une gloire, ronflent et
digèrenj; en une quiète indolence que ne troublent point les
mortelles inquiétudes de la vie, les parasites superbes du financier
et des vieilles douairières. Les autres n'entrevoient qu'en révc les
maternelles sollicitudes qui président à ces belles destinées de
quadrupèdes heureux et pimpants. C'est, à cette extrémité de
l'échelle, un fourmillement noir de détresses et de résignations
plus horribles que la douleur. De maigres échines ravinées où les
gales mettent, sous les touffes rares du poil, des taches semblables
à de la moisissure, des queues jadis ébouriffées comme des pana-
ches et qui, petit k petit déplumées, finissent par n'être plus que
de vagues pinceaux ébarbés, des charpentes évidées de squelettes,
disent bien l'effroyable aventure de ces prédestinés de l'abattoir.
Hâves, érénés, rouvieux, les yeux emplis de chassies, les naseaux
fendus par le gel, sordides et funèbres, ils vont par les rues,
comme des âmes en peine. Çâ et là ils fouillent les tas, grattent les
boues, disputent au crochet du chiffonnier des os aussi maigres
qu'eux; et ces rebuts sont encore des festins pour leurs ventres
aboyant de faim.
Eh bien! c'est à ceux-là qu'est allé le beau peintre; tilles a
peints avec leurs pustules et leurs sanies, tels que bien souvent il
les vit les soirs où, pénétré de pitié pour le désastre de leurs exis-
tences, il les suivait par les ruelles le long des ruisseaux fangeux,
sous les pluies d'hiver qui font pleurer les gargouilles.
Il savait, bien, le judicieux Flamand, qu'il trouverait là des
sujets de peinture autrement dignes de son attention que le spec-
tacle de la banalité bourgeoise qui, chez la gent canine aussi bien
que chez les hommes, est la négation de toute poésie ; son sûr
instinct l'avertissait de ne chercher l'originalité que dans cette
canaille où la lutte, la misère, le vice sont plus près de l'état de
nature; et celte prédilection a fait de lui un humoriste sen-
sible, j'allais dire un peintre humanitaire. Il n'est personne
qui, arrêté un peu longtemps devant ce chef-d'œuvre, Bruxelles
au matin, ne sente jaillir ses larmes et ne se promette d'être
secourable envers les chiens malheureux.
Sans en avoir le dédain, Joseph Stevens a eu l'indifférence des
honneurs ; et cependant, les honneurs sont venus trouver chez lui,
on pourrait dire à son chevalet, ce brave homme qui a su garder
la droiture et la simplicité du caractère. Médaillé à Paris, à
Vienne, à Londres, il appartenait aux Académies royales des
beaux-arts d'Anvers et de Vienne, ei portait à sa boutonnière le
ruban de la Légion d'honneur et la rosette de l'ordre de Léopold.
Paris, qu'il habita longtemps et dont il fut, sous l'Empire,
un des hôtes les plus fêtés, lui avait laissé l'éblouissemcnt d'un
voyage en express à travers une fournaise. Bruxelles, au
contraire, toujours gardait pour lui le charme des choses
aimées dès le berceau ; et peut-être n'a-t-il été heureux que lors-
qu'il a été rendu à la terre natale.
Avec émotion nous nous rappelons la touchante dédicace
qil'en.lui offrant aSi Kyrielle de chiens, Léon Cladel, cet autre
merveilleux artiste, ce disparu d'hier qui restera vivant à travers
la^i Lettres, inscrivit au fronton de ce livre secourable aux
humbles et méprisées racailles canines :
^,,«;,^, je n'ai pas, eu effet, l'honneur de vous connaître, Mon-
slc^r« ;Murinait-il, je connais du moins vos oeuvres et me rappelle
çocoiFC . le frisson à la fois amer et doux que j'éprouvai devant
Q^rlait^es de vos toiles, au Musée national de Bruxelles. Vous
êlps un de ces rares et sévères ouvriers qui, sacrifiant leur vie
entière à l'étude de quelques types spéciaux, s'y bornent afin de
mieux surprendre en eux une ligne, un point qui distingue leur
structure à peu près semblable.;. »
Il nous plailde rappeler l'hommage qu'avec Baudelaire, l'homme
de haute race, le suprême aristocrate, rendit, en la personne du
maître tout à la fois plébéien et gentilhomme, ce rude écrivain,
fraternel aux souffrants! L'un et l'autre communièrent en la bonne
charité, en les miséricordes fraternelles aussi qui sensibilisèrent
l'art de Joseph Stevens.
Les origines de la littérature belge
A propos de l'apparition du livre de M. Francis Nautet : His-
toire des lettres belges d'expression française, M. Ernest Verlant,
un de nos jeunes critiques de marque, publie dans la Revue géné-
rale un article des plus remarquables et des plus pénétrants,
excessivemÊntcurieux,surla nouvelle littérature belge. Extrayons-
en ce très subtil passage :
« La race flamande', la race belge si l'on veut, où l'élément ger-
manique prédomine, vil maintenant dans un siècle surtout lilté-
••■,n.ii'?;r
raire. Bien que le bilan du siècle ne soil pas fail et qu'il doive y
avoir imnnanquablemenl beaucoup de rebut au Iriage, il esl diffi-
cile de conlesler que ce siècle léguera de grands noms liuéraircs
à la postérité. En tous pays, le talent s'est rencontré fréquemment;
des génies littéraires dé premier ordre ont surgi de divers côtés,
en plus grand nombre qu'à aucune époque. En même temps, le
domaine de la littérature s'est élargi. La littérature qui ne faisait
que raconter ou exprimer les sentiments esl devenue une force
universelle et encyclopédique. Comparez ce qu'il y a dans un
roman de Balzac à ce qu'il y a dans /a Princesse de Clèves. Rien
de ce qui peut émouvoir l'homme dans ses sens ou dans les mul-
tiples régions de sOn âme n'est étrangère l'art d'écrire. La litté-
rature dévore tout; clic voudrait presque absorber en elle la
musique et la peinture.
„ Son union avec la musique s'est accomplie en Wagner et la
musique en esl sortie renouvelée. Elle a débordé pareillement sur
le terrain de la peinture et la peinture s'est modifiée sous son
influence. Un élément littéraire, inconnu aux anciens Flamands et
Hollandais, s'y est introduit. Bon nombre de peintres ou de dessi-
nateurs des plus originaux sont nourris et sont rongés de littérature.
Pensez à Delacroix, à PuvisdeChavannes, à Gustave Moreau, à Rops,
à Rossetti, à Burnc Jones et voyez derrière chacun de ces noms
vingt noms se lever. Les talents qui se sont manifestés le plus
récemment subissent cette direction et vont vers un certain sym-
bolisme. Même chez nous, où elle est si forte, la tradition réaliste
s'atténue. Même chez les peintres qu'on croit ou qui se croient
exclusivement réalistes, l'élément littéraire s'affirme à leur insu
dans le choix des sujets. Ainsi le paysage qui n'est que décoratif
et pittoresque autrefois, sauf chez de grands isolés de génie,
comme Rembrandt et Ruysdacl, est devenu poétique chez Corot,
chez Rousseau : ce n'est plus seulement de la bell^ peinture, à là
façon de Hobbema, mais comme une source de rêves, un claii^
miroir pour les âmes. V .jti
Il y a eu chez nous une persistance et un retenir de péfnlfes
assez purs de mélange : les Artan, les Boulenger,; les Sïeveiis,
les Dubois, les Verwée, les Leys, les De BraekeleeK les AgftèêS^'
sens et autres, tous beaux peintres, bien dans la iraditi^tp
flamande, car l'instinct, l'habitude, l'éducation deila racé et le'
prestige des anciens exemples ne disparaissent pak en un jout^;
mais cette lignée va s'amincissant et les disparus ne semblent pas
devoir être remplacés. /
C'est la littérature qui prédomine aujourd'hui, en même temps
que la musique qui vient d'avoir son âge. d'or. Fatalement, nous
devions être entraînés dans le courant général. La culture crois-
sante a répandu la compréhension et l'admiratiQn des grandes
oeuvres littéraires, et l'admiration entraîne le désir d'égaler.
Voilà peut-être pourquoi, sous l'infltfence de causes générales qui
déterminent la physionomie du siècle tout entier, ce moment-ci
de notre civilisation s'étant trouvé favorable à l'expansion artisti-
~ que longtemps comprimée, c'est en littérature plutôt que sur un
autre terrain que s'est produit le soulèvement. Ainsi en Italie la
sève artistique a passé de la peinture à la musique et le dévelop-
pement de là musique et des arts plastiques ne sont pas contem-
porains, mais successifs.
-N'importe : l'instinct primordial persiste, avivé d'ailleurs par
la contemplation et l'amour des chefs-d'œuvre nationaux. Si nous
avons des peintres qui sont des littérateurs, nous avons des litté-
rateurs en lesquels, comme par un retour atavique vers la grande
époque de la race, les anciens peintres endormis semblent revenir
avec, en plus, une soi-te de tristesse nostalgique d'être ainsi
bannis de leur siècle natif et de leur naissance superbe. Il en est
ainsi principalementdeMM. Camille Lemonnier, Georges Eekhoud,
Emile Verhaeren, Albert Giraud, Eugène Demolder, où l'on peut
trouver cet élément pictural transmis d'une manière occulte par
les anciens âges et diversement mêlé à une foule d'autr«s élé-
ments dans le vaste alambic du siècle nouveau. »
LA LIGUE DU DROIT DES FEMMES -
Nows avons reçu, d'une femme qui garde slriclomenl l'anonyme,
la curieuse lettre que voici : j ' mIi .'inî c;
«. Est-ce que l'Art moderne, h propoi^Éfs fti^Mési^Hi écrivent,
ne pourrait pas houspiller un peu celle bï-a'fë^tiîgtfé du droit des
femmes, — qui a le don de m'exaspénet*;'''^ é?u¥lOùl,' probable-
ment, parce qu'il y a du bon dedans? ''uOf; jnnAi.'i! ;-
Je suppose que ce que veulent les prohfiWëlii^je^csl'développer,
élever nos mstimis féminins. ntio-i 'A :<Hi,-\'r
Ce siècle a eu un respect trop exclusif pëôV'Piintfelligence.
Nous commençons à peine à lui reconnaîlW'èd' place légitime
de travail matériel et on vient essayer d'eriïibi-iï'Hr les pauvres
femmes ! Je réclame, je proteste, je hurle : laisWz-nous tran-
quilles ! ^ de toutes mes forces.
On s'apitoie sur les malheureuses qui se détruisent dans les
fabriques et les ateliers et on voudrait nous apppplatir en nnus
faisant passer par les mômes éludes que vous ! Encore, si ces
études vous rendaient toujours malins. Qu'on sépare donc une
bonne fois l'idée d'éducation, d'élévation, d'appropriation d'un
être à son but, de l'idée de culture de l'intelligence. Allons un peu
esbaubir nos esperits animaux à Boston, où le « hard labour »
de l'esprit fait maigrir les intellectuelles damoisèlles, et dans
tt)Ut le nord des Etals-Unis, où le culte de l'intelligence a si bien
fait les Américaines plates comme des cleusettes, — pour parler
wallon, — qu'on ne sait plus où trouver des nourrices. (Je liens
le fait de la directrice d'un établissement de maternité.) — On
nourrit les mioches au lait condensé, parce qtie leurs mères
ont condensé leurs forces ailleurs.
Je sais bien que nous sommes bêtes de profession et que nous
n'avons pour le quart d'heure aucune générosité haute, aucun
véritable intérêt universel. Mais ce n'est jamais par la tête qu'ils
nous entreront. De plus, on a atrophié notre faculté d'aimer, —
comment, je n'en sais rien ; mais la participation à vos études ne
raccommodera pas cela. Nous pourrions si bien arriver à com-
prendre les hommes, à ne plus les rapetisser et les matérialiser
comme nous le faisons, en prenant un autre chemin qu'eux. Les
sciences sont des impertinences par tous les côtes où elles ne
nous intéressent pas, et elles viennent absorber toutes les forces
que nous pourrions donner à ce qui nous passionne réellement.
Combien de temps et de mémoire on m'a fait user à apprendre
ces rois de France dont on ne disait ni bien ni mal, tandis que
tout ce que j'en ai retenu a été puisé dans l'Histoire des Reines
de France, par un^moyeur quelconque. Il me semble que cette
Ligue — à part quelques excellentes et justes réclamations civiles,
nécessaires surtout pour la classe des travailleurs, — remonte le
salutaire courant de la division du travail.
Et j'aurais envie de faire une contre-ligue, si je n'aimais mieux
la ligue des hommes et des femmes, où chacun,j30ur mieux s'en-
tendre, garde de plus en plus son mélier.
254
VART MODERNE
■ Qu'on nous donne une hygiène qui nous fasse belles, qu'on
nous montre ce qui esl beau, pour nous rendre bonnes, qu'on
louche à noire inlelligence en étudiant profondément nos instincts
pour ne pas les fausser, et on verra les imprévues conséquences,
les soudains bouleversements dans les choses sociales, que nous
amènerons, nous, les bêles de femmes. Miracle si on allait nous
aider à découvrir au fond de nous-mémc la force el l'orgueil, et
l'intelligence de savoir aimer avec suite el dévouement !
Au moyen-âge, les femmes étaient mieux dans leur rôle. Elles
apprenaient un peu de théologie el discutaient l'art dlaimer (celles
qui ne végétaient pas); ces deux -choses les intéressaient. i^iUil
Que ne nous laisse-l-on encore nous enrichir d'une éducation
dont celle-là peut passer pour le symbole! Touchons aux choses
par leur côté universel, religieux pour ainsi dire, et amoureux :
je promets que ça nous fera aller loin!
, Votre toute dévouée,
M. M. )»
Quelque? livre?
Le Chevalier du Passé (1), par Edouard Dujardin.
(Paris, Vanier, éditeur.)
Impressionnée par les questions nombreuses que notre époque
glorieusement ei douloureusement remue, ma pensée qui cherche
à se définir entrevoit parfois une réalisation partielle des problèmes
que le temps lui a posés.
Peut-être est elle prompte, celle pensée, à se croire, même
partiellement, renfermée en un symbole. — Je demande à ceux
qui pensent sans en être fatigués de pardonner ce désir d'un
repos, môme si ce repos est illusoire, — et je dirai l'unité que
j'ai cru voir dans le Chevalier du Passé.
J'ai cru y voir celle même chose qui m'a toujours tant attristé
dans Don Juan : l'être, — homme ou femme, — cherchant aulour
de lui, sans la rencontrer, utie espèce de divinité incarnée à
laquelle il puisse se donner tout entier, et n'y arrivant jamais;
l'être pleurant de n'avoir pu réaliser un dieu, le cherchant dans
les autres êtres, sentant vaguement qu'en eux est le seul moyen
de s'en rapprocher — et marchant de déception en déception.
Au temps où Don Juan fut écrit, peu de questions pouvaient
rester sans réponse. Elles devaient toutes trouver leur solution
dans ce qui s'imposait alors comme la solution universelle, la
réponse à tous les problèmes. Et pour avoir questionné le destin
en dehors des lois établies, don Juan devenait dans tous les sens
un réprouvé.
M. E. Dujardin, porté par l'esprit de son temps, fait un pas de
plus.
A la pauvre fatiguée qui pleure « la dispersion de son âme,
« dans le cauchemar d'une affreuse, affreuse, affreuse prostitu-
« lion », il dit, illuminé par une pitié de voyant :
O douloureuse créature, cherche et tu trouveras
Le chemin, le dur et le divin chemin
Par où ta vie aura son lendemain.
Au milieu du sort qui t'envoûte
Cherche! et tu trouveras la route;
Elle peut refleurir un jour, ton âme aksoute...
Femme 1... ô prédestinée!... élue et pariai...
Toi qu'un si haut destin sanctifia...
Toi que l'amour glorifia...
(1) Voir dans l'Avt moderne du i3 juillet le compte rendu de la
représentation qui a été donnée de cet ouvrage à Paris.
El la lemme s'en va, éclairée par le souvenir d'un bonheur
entier, chercher par des chemins inconnus ce qu'il est dans notre
destin de placer toujours plus haut que notre atteinte.
Et sous les ténèbres où les chemins s'égarent
Je pars,
Par où les fatalités me mènent,
Par où loriginelle erreur m'entraîne,
Vers- l'inconnu,
l^rs l'absolu,
Plus loin, toujours plus loin
Dans le destin.
Cet art est fait de pitié, de pitié haute. Je voudrais mieux le
définir, parler des pages où l'aïeul plaint la pauvre femme qui
l'a consolé, de celte adorable scène où paraît le Chevalier du
passé, du symbolisme fascinant qui vous transporte à la fois
dans le rêve et dans la vie. Mais je crois que j'ai trop senti pour
pouvoir définir :
Ceux-là sont mes poètes de prédilection qui m'émeuvent direc-
tement, en humiliant mon inutile cerveau.
L W.
Tête d'Or. — Imprimerie de l'Art indépendant, Paris, 1890.
Un livre, qui plus est un drame, symbolique. Pas de nom d'au-
teur, pas de sous-litre, pas même de pagination. Aucune indica-
tion préliminaire du nom ni de la qualité des personnages. Le
thème? Informe et confus comme des nuages. Ceux-ci, de-ci de-là,
présentent des architectures savantes, des palettes élincelantes,
des déchirures radieuses de luminosité. Telle aussi cette donnée,
exprimée en vers qu'on aimerait à qualifier de licencieux el
d'anarchistes au sens propre : licence, qui abuse delà liberté;
anarchie, qui ne reconnaît "plus aucune loi.
Ça commence ainsi :
Cébès :
Me voici,
Imbécile, ignorant,
Homme nouveau devant les choses inconnues,
Et je tourne la face vers l'Année et l'arche pluvieuse
J'ai plein mon coeur d'ennui !
Je ne sais rien et je ne veux rien. Que dire? A
quoi bon emploierai-je ces mains qui pendent î ces
pieds qui m'emmènent comme les songes?
Tout ce qu'on a dit, et la raison des sages m'a instruit
Avec la sagesse du tambour : les livres sont ivres.
Et il n'y a rien que moi qui regarde, et il me semble
Que tout, l'air brumeux, les labours frais
Et les arbres et les nuées aériennes
Me parlent avec un langage plus vague que le
la 1 ia I de la mer disant : ,
0 être jeune, nouveau 1 Qui es-tu? que fais-tu? __
Qui attends-tu, hôte de ces heures qui ne sont ni
jour ni ombre,
Ni bœuf qui hume le sommeil, ni laboureur attardé
à notre bord gris ?
ARTISTES AVEUGLES
Vidal, le sculpteur aveugle (de son vrai nom Louis Navatel),
qui eut pour maîtres Rouillard et Barye et remporta des médailles
aux Salons de 1861 et de 1863, est mort dernièrement à l'hôpital
des Quinze- Vingts, où il était entré au mois de novembre dernier.
A ce propos, la Curiosité universelle publie d'intéressants
détails sur un autre sculpteur aveugle, John Marchant Mundy, de
Tarrytown (Etals-Unis), qui vient d'achever une statue de Washing-
ton Irving. Noire confrère publie la traduction d'une interview
dans lequel l'artislc donne de curieux détails sur sa façon de tra-
vailler :
« J'ai travaillé à cette statue jour et nuit, depuis dix-huit mois »,
dil John Marchant Mundy, en caressant de la main le modèle en
plâtre. « Je dis nuit, parce que la nuit est comme le jour pour
moi. J'ai vécu si longtemps avec mon ouvrage que je connais cha-
cune de ses formes, cl toute imperfection ressort plus fortement
devant les yeux de mon esprit pendant la nuit que le jour; car la
lueur obscure du jour distrait mon attention.
« Vous mje demandez comment je travaille. J'ai d'abord modelé
le buste, puis le fauteuil sur lequel la figure est assise. Restait à
déterminer à quelle hauteur du plancher devait être élevée la
tête.
« Je vais maintenant vous montrer comment je m'y suis pris
pour modeler une seule pièce do la statue. Asseyez-vous et mettez
une jambe par-dessus l'autre, de façon h former des plis sur votre
pantalon. Vous remarquerez que je passe ma main sur ces plis.
J'ai maintenant mon idée. Avec cela je vais directement à ma
statue et passe ma main sur les plis que j'ai modelés. S'il y a
quelque imperfection dans mon modèle, je suis à même de recti-
fier à l'instant. Peu importe la petitesse de la différence, elle ne
m'échappe pas, ni même aucune rugosité sur la surface du plaire.
Naturellement, ce travail m'est aussi facile dans la nuit que dans
le jour.
M Peut-être vous inlércsse-t-il de savoir comment je fis le plas-
tron plissé de chemise que M. Irving affectait tant. Je me procu-
rai une chemise semblable à celle que je voulais reproduire et je
retendis sur un oreiller. Puis je passai soigneusement mes mains
sur les plis; je pris alors de très flexibles bandes de plomb desti-
nées à représenter les plisseurs sur le modèle. Je les posai sur le
plastron de la chemise à représenter, puis je répandis dessus une
couche épaisse de plâtre que je grattai et modelai ensuite avec des
outils.
« Ce fut un travail d'amour pour moi », dit en finissant le
sculpteur aveugle. « Sachant que cette œuvre doit terminer ma
carrière d'artiste, j'y ai apporté toute mon attention, jour et nuit.
Je l'ai toujours eue présente à l'idée pendant les heures de tra-
vail, f t pendant la nuit elle était dans mes songes. »
pETITE CHROJ^IQUE
L'audition d'œuvres musicales françaises, remise deux fois, a
été donnée samedi dernier au Waux-Hall en présence d'un audi-
toire nombreux qui a très sympalhiquement accueilli l'intéressant
programme composé par la direction. L'exécution a été excellente
et fait honneur au chef d'orchestre, M. Léon Du Bois. Une place
importante avait été faite, on le sait, à là jeune école. C'était
presque un concert des XX, que cette soirée exceptionnelle où
l'on présentait, en première audition, des œuvres nouvelles de
Vincent d'indy, de Gabriel Fauré, d'Ernest Chausson, de Pierre de
Bréville. Le public n'a point paru trop surpris de l'innovation et
a écoulé avec allenlion — et fort applaudi — les fragments de
Karadec, cette exquise partition bretonne dont Blankenberghe
eut la primeur en Belgique, l'été passé; le très bel andante de la
Symphonie en ré de Fauré; la Mort de Cœlio (enir'acle des
Caprices de Marianne) p^r Ernest Chausson, qui fit, de toutes les
œuvres inscrites au programme, la plus vive impression sur les
auditeurs; une Méditation de Pierre de Bréville, œuvre d'une
grande distinction et d'une écriture raffinée; enfin, la toujours
joyeuse, irrésistible et fantastique Espnna de l'ami Chabrier,
enlevée avec un brio superbe.
Des œuvres déjà connues formaienl la première partie de ce
concerl extraordinaire : Bizcl, Guiraud, Delibes, — les morts;
Massenct cl Sainl-Saëns, les vivants de la génération précédente.
C'est, pensons-nous, ce dernier qui l'a emporté, dans ce petit
tournoi où cliacun distribuait, en son for intérieur, les récom-
penses. Sa Suite algérienne a belle allure et jolie couleur orches-
trale. Elle terminait par un tableau pittoresque, nettement tracé,
la première partie du concert.
Avant de quitter le Waux-Hall, un mol encore de l'audition d'un
chanteur d'avenir, M. Désiré Demesl, qui s'est fail entendre pour
la première foie à Bruxelles dimanche dernier.
M. Demesl a une voix d'une étendue considérable, qui lui
permet, tout en chantant les rôles de baryton, d'atteindre avec
aisance les registres élevés. 11 a superbement dit le récit de
Lohengrin, donl chaque syllabe est parvenue, avec une netteté
parfaite, jusqu'aux extrémités du jardin. Dans la seconde partie,
la sérénade de l'A mant jaloux, — en Liégeois de cœur, M. Demest
; n'a pas oublié Grétry, — et une chanson à boire de M. Léon
Du Bois, extraite de la Revanche de Sganarelle, ont donné au
jeune chanteur l'occasion de faire valoir la souplesse et l'excellente
méthode d'un talent déjà sûr. M. Demesl nous paraît appelé à un
bel avenir d'artiste.
Critique départementale. — Rendant compte de l'Exposition
Alpine de Grenoble, le Courrier deVIsère décoche à un paysagiste
dauphinois les modestes éloges que voici : « M. X.., est un Cha-
teaubriand (le Chateaubriand de Y Itinéraire), revu par Verlaine
(le Verlaine de Jadis et Naguère et de Sagesse), chez lequel se
refléteraient un peu de B. de Saint-Pierre {La Chaumière) et
toute l'âme d'un Virgile moderne.
Quant au tableau exposé, « Le Casque de Néron », il faut
avouer, dit le critique, qu'une toile comme celle-là reste immor-
tellement belle et défie le jugement de l'avenir. C'est un chef-
d'œuvre, et un chef-d'œuvre dans le temps (?) que ce « Casque
de Néron », et pour ma part, j'eusse voulu le voir entouré d'hon-
neurs et d'encens, pareil à ces trésors fabuleux des cathédrales
que le prêtre montre aux fidèles agenouillés, à des jours de solen-
nelle adoration. »
Dommage que le peintre soit mort. On n'est pas toujours à
pareille fêle.
Louis Legrand. — L'n grand gars de Bourgogne qui sent
encore le terroir natal en sa voix traînante, accentuée, en ses
allures un peu lourdes, en sa vigueur que Paris n'a pas encore
émoussée. Met dans son art on ne sait quelle simplesse profonde
et douce, quel sentiment éperdu de la nature et aussi comme des
raffinements suprêmes d'esthète, comme des perversités salani-
ques. Le seul disciple du si admirable Félicien Rops et égale
parfois son maître en des eaux-fortes qui, un jour, n'auront'pas
de prix pour les amateurs de belles choses. Disparaît pendant des
mois entiers, se cloître face à face avec la mer ou la forêt et rap-
porte de ces retraites des études qui fleurent la fraîcheur des
flols et les vertes feuillées. Vient de publier un cours de chahut
où, en des planches étonnantes de réalité se cabre tout le rut des
Bacchantes du Moulin-Rouge. Signe particulier : un doux entêté
qui a mieux aimé tirer de la prison à Sainte-Pélagie que de payer
au fisc l'amende à laquelle les robins l'avaient condamné pour un
de^ssin trop impressionnant.
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Douzième année. — N° 33.
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 14 Août 1892.
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A<'''^-'\t-
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l
L'ART MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHB
REVUE ORIf IQUB DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Comité de rédaction i Octave MAUS — Edmond PICARD — Émilb VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. lO.OO ; Union postale, fi*. 13.00. —ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser toutes les communications à
l'administration générale de TArt Moderne, rue de Plndustrie, 32, Bruxelles.
Sommaire
Félicien Rops. — Renaissance. — Victor Hugo et les symbo-
listes. — L'art aux salons officiels. — Livres kt brochures.
T— Chronique judiciaire des arts. — Petite chronique.
FELICIEN ROPS
(1)
Une collection complète des œuvres de Félicien Rops
est chose rare, car les eaux-fortes et les dessins du
maître ne sont pas éparpillés à profusion dans le public.
« J'ai horreur de la grande Fama, écrivait-il, si facile
pour les « ohnètes gens »»... Je chéris mon obscurité;
j'en ai fait un dilettantisme ; et, par ces temps où les
peintres triquent à la toile comme queues-rouges en
foire, n'être pas su constitue une enviable distinction.
Je n'expose pas, pour ne pas m'exposer à recevoir une
mention honorable... Je ne reconnais à personne le
droit de m'honorer, cette reconnaissance me paraissant
être le comble de l'humilité. Je ne sais si je ferai quel-
que chose qui me plaise ; quant à plaire aux autres, je
m'en moque comme de mes gants de l'an dernier !... Je
n'ai qu'une qualité : un idéal mépris du public. Et
comme on lui demandait à quoi faire il se pei-
(1) Fragment d'une étude d'Eugène Demolder qui paraîtra pro-
chainement. -, " ' I
nait, en un art qui n' estait à la cognaissance que de
peu de gens ; J'en ai besoin de peu, dit-il; —rfen ai
besoin c^'un; —fen ai besoin de pas un ».
Une chose frappe, en une collection de Rops : le sang
flamand de l'artiste et, sous ses apjf)arences latines, le
fond germanique de son art.
Ordinairement, quand on s'occupe de l'auteur de
Pornocratès, on songe, toujours " au Satanique » et on
met en relief la façon dont il a buriné la femme moderne.
Il est sans conteste, d'ailleurs, qu'il l'a déshabillée d'une
griffe maîtresse et qu'il „a imprégné les noirs de son
eau-forte de toute l'animalité tentante, de toute la per-
versité cruelle des filles de nos temps. Il a, comme il le
dit dans une lettre, « fureté dans les boudoirs étranges
pour y découvrir les finesses mystérieuses de la vie de
Paris et les hasards des poses surprises ». Sa vision de
la femme moderne est profonde et aigiie et elle est
plus pénétrante que celle d'Alfred Stevens qui s'est servi
des « modèles » parisiens pour faire de la peinture. Ce
côté de Rops a été naguère mis en lumière par J.-K-
Huysmans dans son livre : Certains.
Au cours de leur Journal, les Goncourt, racontant
une visite que leur a faite Félicien Rops, rapportent
que celui-ci leur a narré l'impression profonde produite
sur lui par cettebizarre créature humaine : laParisienne.
Mais c'était non seulement la femme : tout le monde du
second Empire imprima sa diabolique « fleur de lys »
}
258
L'ART MODERNE
à l'esprit de l'artiste, ainsi que tout ce peuple urbain du
XIX® siècle, qui peine et souffre dans ces cycles d'airain
imaginés par Balzac en la Fille aux yeux d'or ! - Je
n'ai pas encore de talent, écrivait Rops à ses débuts,
j'en aurai peut-être à force de volonté et de patience.
— J'ai encore un autre entêtement, c'est celui de vou-
loir peindre des scènes et des types deçexix' siècle, que
je trouve très curieux et très intéressant ; les femmes y
sont aussi belles qu'à n'importe quelle époque, et les
hommes sont toujours les mêmes : ce n'est pas la per-
ruque de Louis XIV qui fait les comédies de Molière.
De plus, l'amour des jouissances brutales, les préoccu-
pations d'argent, les intérêts mesquins ont collé sur la
plupart des faces de nos contemporains un masque
sinistre où l'instinct de la perversité, dont parle Edgar
Poe, se lit en lettres majuscules; tout cela me semble
assez amusant et assez caractérisé pour que les artistes
de bonne volonté tâchent de rendre la physionomie de
leur temps. "
Cette promesse a été tenue, et qui feuillette l'œuvre
de Rops y tvonveVesprit de notre époque mis à nu avec
l'éhontçment d'une fille qui livre tous ses secrets. Rops
aura dit son siècle aussi intenséipent que Memling,
Diirer ou Jan Steen ont dépeint le leur. Qu'il est pro-
fond, le prestige de ses chairs ardentes et qu'elle est frap-
pante leur signification. Pour retrouver autant de
spiritualité dans les corps, il faut remonter aux primi-
tifs, aux Fra Angelico. A côté des Maudits sortis des
enfers, et des Filles diaboliques, c'est l'antithèse des
christ exsangues, émaciés par les ferveurs et les mar-
tyres, des vierges pures et des anges aux ailes blanches
qui jouent sur des instruments religieux, c'est la pro-
cession des saints benoîts et des saintes extasiées : les
peuples passent leurs jours à chasser de leur corps —
objet de mépris -— l'esprit malin, à force de psaumes
et de litanies; les seigneurs en armes s'agenouillent et
prient dans le silence des chapelles et les dames joignent
leurs mains frêles et cachent sous la chasteté de leurs
longues robes leurs plates poitrines. Car notre temps
forme le pôle opposé des siècles de foi et de candeur.
Et Rops est comme le revers ténébreux et.brûlant de la
séraphique médaille des Van Eyck.
Mais j'ai parlé du caractère flamand de Rops. «« La
goutte de sang flamand que j'ai dans les veines «,
disait-il un jour. Une goutte? Bien davantage. Et le
hasard qui l'a fait naître à Namur ne suffit pas pour
qu'on le considère Comme Wallon. La Wallonie n'a pas
dans ses veines un sang artiste assez fort, elle n'a pas
l'œil assez coloriste pour produire un tel maître. Pate-
nier, Henri Bles, Roger Pastuur, des gothiques, et
Lambert Lombard, un romaniste de deuxième ordre,
ont été ses seuls porteurs de palette. Depuis lOrs, elle a
dû se contenter des gloires médiocres de Flémalle et de
Gérard de Lairesse et elle nous a infligé Louis Gallait.
Pour qu'une race produise un aitiste de la trempe
énergique et sanguine de Rops, il faut des influences
lointaines, une alchimie héréditaire, dont on ne trouve
trace à Liège ou à Namur. En Flandre ou en Brabant, au
contraire, le terrain était florissant en ancêtres, et de
la terre où étaient nés Brueghel et Jérôme Bosch, Rops
aussi pouvait surgir.
D'ailleurs, Félicien Rops est fils de Nicolas-Joseph
Rops, petit-fils de Pierre-Joseph Rops. Celui-ci, dans sa
prestation de serment de bourgeois de Namur, déclare
qu'il est fils de Philippe-Jacques Rops, né à Bruxelles.
Voici l'extrait baptistaire de ce dernier, de la paroisse
de Sainte-Gudule, le 17 juillet 1713 : Philippus Jaco-
bus, filius legitimus Joannis Rops et Catharinœ
Ghoosens conjungum, susceptores Philippus Rops et
Anna Verlaechen.
Ce Jean Rops est-il bourgeois de Bruxelles? On sait
qu'en 1695 le maréchal de Villeroy a bombardé
Bruxelles à boulets rouges et a détruit les archives de
la ville et les registres des bourgeois.
Mais la famille Rops est incontestablement flamande.
On trouve des Rops dans les plus anciens registres
paroissiaux de Bruxelles ; le nom de Rops est cité dans
l'ouvrage de Van Hoorebeke sur les noms patrony-
miques flamands.
Un manuscrit de la bibliothèque Goethals, aux manus-
crits de Bruxelles, n° 746, cite :
" Mathias Rops ou d'Rops,
mort le 15 février 1449, gît
à l'église de Notre-Dame, à
Termonde, sous une lame de
cuivre. » Les armes se blason-
nent d'argent à la fasce de
sable, chargée de trois tours
d'argent maçonnées de sable,
au chef chargé de trois mer-
lettes de sable. Les armes ne
constituent d'ailleurs pas du tout un indice d'origine
chevaleresque en Belgique ; la plupart des familles fen
portaient autrefois.
Un manuscrit du héraut d'armes G.-B. Devos,
registre 272, cite aussi cette tombe et les Rops d'Etter-
beek (Bibliothèque héraldique des affaires étrangères),
et des tombes de Rops sont également signalées à
Malines.
Cependant, laissons ces questions de généalogie,
auxquelles il ne faut attacher trop d'influence prépondé-
rante. Mettons plutôt en relief le singulier attachement
de Rops à la terre de Flandre et la compréhension qu'il
s'est forgée de ce pays ; voyons comme il en a buriné
certains types avec une force égale à celle de ces maîtres
dont il a dit : " Je ne connais pas d'école plus vive, plus
spirituelle, dans toute l'acception du mot, que l'école
flamande, qu'on représenta toujours comme une école
'-ri'
"W'?lp
d'êtres purement matériels, au xvi* et au xvii« siècle".
Voici d'ailleurs — extraite d'une lettre datant de 187 1 ,
et écrite à M. Calmels, critique à la Revue Nouvelle
— les deux parts de l'art de Rops admirablement
indiquées par lui-même : « Si vous aviez vécu à Bruges,
dans cette vieille Venise du Nord, qui n'est plus qu'un
tombeau où les palais gothiques regardent tristement
les nénuphars fleurir dans les bassins où cent navires
venaient s'amarrer à la fois, où les vieilles femmes,
roides et jaunes figures d'Hemling, rampent le long des
quais déserts comme si elles étaient les pleureuses de ce
grand i)assé, vous comprendriez, mon cher Monsieur
Calmels, le profond étonnement qui s'est emparé de moi
lorsque je me suis trouvé face à fepe avec ce produit
formidablement étrange qui s'appelle : une fille pari-
sienne. M. Prudhomme rencontrant au coin du boule-
vard la Vénus hottentote en costume national, serait
moins ébahi que je ne l'ai été devant cet incroyable
composé de carton, de taffetas, de nerfs et de poudre de
riz. Aussi, comme je les aime! J'arrache au hasard deux
ou trois feuillets de mon album pour vous montrer que
je n'ai pas perdu mon temps là-bas. J'ai une centaine de
Rosières du Diable que je compte faire paraître cet
hiver. Ne faites pas, je vous prie, grande attention à
ces croquis, happés au passage et au galop, et dissémi-
nés dans les coins des salles de bal. Je remporte d'ici
près de deux cents études flamandes et hollandaises. Je
dessinerai avec le même bonheur les grands yeux
maquillés des Parisiennes et la chair bénie et plantu-
reuse de mes sœurs de Flandre : je vous ferai voir mes
Zélandaises. De l'alliance de l'Espagne et de Flandre,
de ce mariage de la neige et du soleil est né l'un des plus
beaux produits humains. Rubens le savait bien, lui ! Elles
sont belles, simples, ardentes; elles ont une simplicité de
mouvement d'une grandeur épique; elles vous font venir à
la pensée les paroles de Barbey d'Aurevilly : " L'épique est
possible dans tous les sujets, soit qu'il chante le combat
à coups de bâton d'un bouvier dans un cabaret, ou la
rêverie d'une buandière battant son linge au bord du
lavoir ! Et cela sans avoir besoin de l'histoire, quand
ce bouvier inconnu ne serait pas le Rob-Roy de Walter
Scott, et cette buandière ignorée la Nausicaa du vieil
Homère! »
C'était écrit à Knocke, et la missive débutait ainsi :
« Il y a deux mois que votre lettre me cherchje dans
toute la Zélànde, à travers toutes les bourgal^es du
Zuyderzée, sous le pont des koff's de pêche, et au^beau
milieu des musicos ; — elle vient enfin de me ratti^per
ici dans un hameau perdu de la côte flamande. Il faut
que cette lettre ait un flair de chien de chasse pour
venir me retrouver à Knocke, où jamais, depuis vingt
ans, un post-meester n'a mis les pieds ». ^
Knocke et les bords de la mer du Nord, « un pays
fait pour l'œil des peintres », suivant son expression,
sont les lieux de repos préférés de Rops. Belle et douce
région de dunes pâles, de ciel humide, de grands hori-
zons calmes. C'est là qu'il aime à se délasser d'irritants
travaux. Quel contraste avec Paris où, « quand je me
sens fatigué, écrivait-il, je dégringole de mon ateUer^eje
tombe au boulevard, lequel est magnétisé, électrisé par
les effluves de ces milliers de cervelles en gésine. Au
bout d'une heure j'escaladerais le Mont-Blanc ; j'ai pris
un bain de flamme »>. Ici, c'est une paix blanche et
bleue. Les vaches, au loin, se reposent sur les bruyères
aux- fleurs d'or, les sables s'irisent à l'horizon, piqués
par les toits rouges des maisonnettes, et la mer étend
sur tout son voile de murmure berceur. De rares peu-
pliers, des saules chétifs ferment le paysage. Je me pro-
menais un jour avec Rops sur la pente solitaire de ces
dunes et nous regardions, au loin, les tours de Bruges,
lorsqu'il me dit : « Chaque fois que je suis ici, il me
semble qu'un vieil ancêtre flamand renaît en moi ».
Dans la préface du Catalogue descriptif et analyti-
que de l'œuvre gravé de Félicien Rops, Erastène
Ramiro dit à propos de cette nostalgie des Flandres :
« Puis, qu'un mot, dans la bataille des idées, évoque
tout à coup les longues plages sablonneuses de la
Hollande ou les mers grises du Nord, et une fibre nou-
velle va tressaillir.
« Alors ses souvenirs s'inclinent doucement vers ces
rivages aimés où le sable doré coule, jusqu'à l'infini des
yeux, sa lave douce, toujours unie, toujours égale, dont
l'ombre d'aucun arbre n'a jamais rompu la placide
monotonie, où les dunes mêmes semblent écrasées et
tapies dans les rares herbes maigres, et insensiblement
apparaissent à ses yeux les silencieux paysages septen-
trionaux, et la mer Baltique, et la mer du Nord, ses
délices, couvrent peu à peu de leur flot montant boule-
vards, salons, ateliers, livres, tableaux et le reste ; et,
les yeux perdus dans les horizons doucement éclairés
de ses régions préférées, il remonte aux pêches soli^
taires sur les bords verdoyants des rivières de la Nor-
vège, aux longues navigations dans les barques frustes et
solides des hardis pilotes de ces parages, aux nuits de
relâche dans les huttes rustiques, joies peut-être déjà
lointaines de son adolescence. Et ce n'est pas sans
quelque étonnement que l'on voit cette ardeur vibrante
jusqu'à la douleur, et vigoureuse jusqu'à l'emportement,
s'abandonner aux douceurs des mers opalines et des
soleils d'argent. »
(A continuer.)
RENAISSANCE (D
Lorsque le présent se contemple dans le passé, il se reconnaît
comme l'avenir. L'histoire universelle, jusqu'à présent, a nette-
ment démontré la supériorité physique, intellectuelle et morale de
la race aryenne sur toute autre^ et particulièrement sur la race
sémite. Cette dernière n'a pas, surtout, créé l'idée du mono-
théisme, qui existait, patente chez les Egyptiens cl les Indiens,
latente chez les Grecs et les Germains. De même, le christia-
nisme est par essence plus aryen que sémite : c'est ce qui ressort
de sa propagation locale, c'est ce que démontre peut-être la per-
sonne du Christ elle-même. Car le prétendu arbre généalogique
du Christ contenu dans le Nouveau Testament a été reconnu de
longue date comme une fraude pieuse. Par contre, les investiga-
tions de la science moderne ont prouvé l'existence de nombreux
éléments aryens dans l'ancien Chanaan. On sait aussi que les Juifs
qui ont habité ce pays plus tard se sont fréquemment croisés avec
les habitants primitifs. Il est donc fort possible, d'après les con-
statations historiques, que le Christ était Aryen; ses opinions, du
reste, rendent la chose des plus probables. Une légende juive rap-
porte même textuellement que « l'esprit d'Esaii est entré dans
Jésus ». Or, Esaû est la personnification de la race édomile, qui
n'est point juive et est fortement mélangée d'éléments chananéens.
Dès lors, la tradition indigène elle-même nous renvoie à une ori-
gine étrangère du Christ.
Les exceptions dans le corps d'une nation ne i^ produisent
jamais par accident, qu'elles touchent à l'essence intellectuelle ou
à l'essence physique ; mais souvent elles s'expliquent par une
réaction de race. La figure du Christ a une forte teinte orientale,
partiellement ; c'est qu'il ne pouvait se soustraire à l'influence du
milieu. Mais, au fond, sa vie comme sa mort nous apparaissent
la lutte et la victoire de l'esprit aryen, naïf et désintéressé, sur
l'esprit sémite, intéressé et sénile. L'avarice est la racine de tous
les maux : c'est surtout une caractéristique de la vieillesse et des
sémites. La foi est la source de tout le bien; c'est avant tout une
qualité de la jeunesse et des Aryens. La charité, l'amour peut se
définir par sentiment de l'individualité. L'Aryen possède ce senti-
ment, le Jtiif eh est privé. On a donc eu raison de dire que le
Christ a été le plus grand antisémite. Et comme tel il est un
exemple pour la vie future comme prôur la vie^ssée du peuple
allemand; avec cette différence que ce peuple ne succombera pas
môme en apparence et passagèrement, — comme c'est le cas pour
le présent, — devant ses adversaires Car ce peuple a des tendances
plus actives que le Christ : il a en lui un antidote' contre l'in-
fluence orientale. Cet antidote, c'est la terre allemande. Grâce à
elle, le peuple allemand peut- se regénérer.
Puisque le Christ est le représentant de la plus haute jeunesse
intellectuelle, morale et religieuse, de la véritable enfance divine,
on peut dire que la Renaissance allemande se fera-sous son signe.
Lui-même est le vrai type de la Renaissance, en ce qu'il surgit
d'une race ancienne, comme le représentant des idées, et proba-
blement aussi du sang, d'une race jeune. Orient et Occident, vieil-
lesse et jeunesse de l'humanité, se rencontrent en lui; mais avant
(1) Traduction inédite d'un fragment du curieux ouvrage Rem-
brandt ah Erzieher que nous avons analysé récemment (voir l'Art
Moderne du 12 juin). Cet extrait forme la suite du chapitre intitulé la
Jeunesse et les Juifs dont nous avons publié une traduction dans notre
numéro du 19 juin.
tout il est Aryen et enfant, avant tout il est juvénile. Dans sa
figure radieuse se trouve incorporé l'esprit qui reste la force qui
crée, et parlant la divinité; dans les apparitions brillantes d'un
Rembrandt, d'un Shakespeare, d un Luther, d'un Bismarck s'est
incorporé l'esprit qui change, la force du terroir, et parlant l'hu-
manité. L'un représente l'âme humaine, les autres le caractère
germanique danà sa pureté. Nous ne saurions nous priver ni de
l'un ni des autres; il nous faut une oeuvre faite de l'essence des
deux groupes, il nous faut l'homme allemand. Le soleil et les
planètes doivent être réunis.
Rembrandt est essentiellement individualiste et essentiellement
aristocrate, donc parfaitement aryen. Que si son souffle calme et
puissant se fait valoir de nouveau dans l'originalité germanique,
celle-ci pourra revivre encore; ainsi elle pourra se consolider. Et
l'individualité qui s'est consolidée produit le style. Le résultat ter-
minal d'une pareille éducation, le résultat qu'il faut espérer, c'est
que non seulement l'art allemand, mais aussi la vie allemande
regagne du style. Et le style est exactement le contraire du spécia-
lisme, l'humanité est l'opposé du conventionnel dans l'éducation.
Tout spécialiste a son ressort; il sait ofi reposer sa tête; mais le
« Fils de l'Homme » ne le savait point. Il en était ainsi du temps
du Christ, il en est ainsi encore aujourd'hui, il en sera toujours
ainsi à une époque décadente. Seule une nouvelle floraison intel-
lectuelle, une évolution ascendante de la vie populaire allemande
pourra modifier cette situation. Elle devra se diriger vers les
choses religieuses comme vers les choses combatives, vers l'artis-
tique comme vers ce qui est guerrier, vers l'infantile comme vers
le viril. Plus que les barbarismes de la languQ, il importe de déra-
ciner les barbarismes artistiques de l'Allemagne; il faut surtout
que ce grand barbarisme, qui a dominé l'art allemand durant les
vingt dernières années, soit remplacé par ur^é expression et une
action allemandes : qu'on ne cherche pas la (li Renaissance», mais
le renouveau (Wiedergeburt). La culture allemande doit ressem-
bler à la rose, non à la rosette. La convention doit faire place à la
réalité, la phrase doit céder à la vie.
VICTOR HUGO ET LES SYMBOLISTES
Le bonhomme a du bon...
L'un d'eux.
On a tout reproché aux symbolistes et peu k peu le plus grand
nombre de ces griefs a cessé d'avoir cours, est tombé dans le
discr^it du public mieux avisé.
Aux premières manifestations des poètes de cette école, quel-
ques journalistes prétendirent les avoir rencontrés trop au café
et en induisirent de fâcheuses habitudes d'oisiveté et un manque
de sobriété. Alcooliques et noctambules furent les épithètes favo-
rites. Bientôt on reconnut qu'il n'en était rien et que ce fait de
leur présence occasionnelle dans un de ces lieux inoffensifs n'était
pas un crime; là, en effet, où, comme pour protester d'avance
contre toute liberté de tenue le service est confié à des hommes
entre deux âges qui, outre un cérémonieux habit noir, affectent
des habitudes de visage — favoris aux lèvres rares — chères à
maintes professions libérales, médecine ou magistrature.
Les symbolistes sitôt absous de ce chef d'accusation on s'en prit
à leur prétendue obscurité. On discuta pour savoir s'ils se compre-
naient entre eux ou eux-mêmes, si l'admiration qu'ils avaient
pour leurs œuvres n'était pas stérile et individuelle, si l'incom-
LAUT MODERNE
261
préjiensibilité de leurs livres n'en rendait pas la teneur et l'opinion
favorable qu'on en aurait pu avoir incommunicables. L'anecdote
môme courut d'une lecture qu'entreprirent d'honnêtes gens, un
soir, du Toast Funèbre de Mallarmé, au lieu du loto accoutumé et
où chacun des lecteurs apporta du texte en question une solution
différente, particulière cl qui n'était en somme qu'une constatation
de réciproque et pauvre incompétence.
L'invincible et progressive diffusion parmi tous les esprits
impartiaux de bonne foi des nobles vers du noble écrivain eut
raison de ces légendes et l'audience qu'ont maintenant les œuvres
de M. Stéphane Mallarmé prouve que la malveillance ne leur a
pas nui. Elles sont maintenant dans toutes les mémoires et justice
est rendue à leur pureté classique et à leur haute sagesse de
pensée. 11 en est de môme pour Verlaine et je crois que M. Jules .
Lemaître qui commenta jadis assez maladroitement un sonnet de
l'auteur A' Amour pour les lecteurs de la Revue bleue n'oserait
plus maintenant faire preuve d'un aussi parcimonieux intérêt,
avouer une difficulté à comprendre aussi démodée.
Voici maintenant que M. Ferdinand Brunetière indique une
nouvelle nuance d'opinion. 11 considère les symbolistes comme
les incapables dépositaires de la bonne esthétique, mais il constate
que l'infirmité seule de leur génie les empoche d'illustrer les pré-
ceptes qu'ils affirment. D'autre part M. Zola revendique pour soi
la mise en usage de l'oisif arcane. Dans un article paru au Figaro,
M. Maurice Barrés remarque à son tour une valeur de production
médiocre et ne répondant pas aux exigences de l'admiration. La
plupart des jeunes écrivains ont omis, selon lui, « une formalité »,
celle d'établir leurs prétentions par un chef-d'œuvre.
Mais, à prendre un exemple dans une autre époque, les
romantiques, qui furent d'une aimable précocité plus pleine de
promesses que de fructueux résultats, n'écrivirent point en 1830
leurs plus durables livres. Ce n'est que sur le tard que Vigny
s'illustra à jamais par d'admirables et hautains poèmes. La
Légende des Siècles n'est pas l'œuvre de « l'Enfant sublime » de
la Restauration, mais du morose et visionnaire exilé de Jersey.
Baudelaire enfin et Leconte de Lille ne publièrent pas leurs Fleurs
du Malel leurs Poèmes barbares en sortant du collège et personne
ne tire de là des conclusions défayorables et ne les traite d'esprits
retardataires et inefficaces.
L'opinion qu'on eut des symbolistes a déjà beaucoup varié et
n'est point fixée encore. Il y"°a peu de jours, M. Marcel Prévost pro-
posait à ses lecteurs une façon nouvelle de penser à leur égard.
Il les représentait comme infatués d'assez excessives prétentions,
portés au dénigrement et en proie à une idée d'eux-mêmes si
exagérée qu'elle allait jusqu'à confondre dans un unanime mépris
simplificateur et par une critique qui ne serait qu'une négation
sommaire et imprudente, tous les efforts antérieurs et comtempo-
rains. Sans s'en douter M. Prévost concluait en leur faveur, esti-
mant qu'il valait mieux lire leurs livres qu'en connaître les auteurs,
ce qui, en impliquant les œuvres préférables aux personnes, prou-
vait aussi que ces œuvres ne sont point si obscures qu'il faille
pour les comprendre s'adjoindre à tout prix le secours des
auteurs transformés en glossaleurs de leurs propres textes.
Il résulte de tout ceci que l'irrespect est le vice dominant et
reconnu des symbolistes.
Une défense plus ou moins sophistique de l'irrespect pourrait
distraire le lecteur qui acquiescerait, j'en suis sûr, à ces proposi-
tions :
L'irrespect, au contraire de l'admiration qui est un senti-
ment un peu bas, prouve une certaine liberté d'esprit. Il y a en
lui peut-être, et surtout quand il a pour cause une sorte de viva-
cité juvénile difficultueuse à s'incliner devant ce qui est vénérable
et dont on l'écrase, je ne sais quoi d'un peu présomptueux mais
que compensent des risques inhérents à cette manière de ne se
point déclarer aisément satisfait et qui sont le ridicule d'avoir nié
fût-ce un instant ce qu'on a été loin d'égaler..
Etre irrespectueux des renommées établies est, sans doute,
simplement la conscience d'avoir à leur opposer, au. secret de soi
encore, des gloires tacites dont l'expansion, inévitable, si elles
existent, sera un jour dégagée de cette tendance qui ne fait que
signaler leur présence interne. Ce sentiment d'irrespect pourrait
être considéré comme le fond de toute littérature. Le fait de pro-
duire à son tour, après tant de chefs-d'œuvre amassés par le
labeur des siècles, n'est pas sans infirmer dans sa mesure ce
qu'on croit roconnailre de définitif dans les productions anté-
rieures. On peut envers elles garder le sentiment de leur valeur
en reconnaissant que les satisfactions qu'elles procuraient à leurs '
contemporains pour qui elles étaient une sorte d'absolu au-delà
de qui ils ne rêvaient rien, étaient légitimes mais momentanées et
ne pouvaient correspondre par avance aux besoins d'esprits futurs
et, en accordant à ces œuvres la louange qu'elles méritent à cause
des signes du génie qui sont en elles, leur dénier le caractère de
stabilité éternelle et de satisfaction absolue. Est-il haïssable de
s'autoriser de ce qu'elles succédaient à d'autres œuvres auxquelles
elles se substituaient dans le goût du temps pour ne pas interdire
aux survenants, au nom de leur oppressive beauté, le droit de
réitérer un essai identique du reste aussi par un manque de
durée analogue.
Quelle que pût être la légitimité de l'irrespect ainsi considéré
je crois que la génération présente n'en abusa pas. Pour ce qui
est de son autre forme plus quotidienne et qui consiste à faire
trop peu de cas d'œuvres célèbres et glorieuses par une sorte de
fanfaronnade de dénigrement et par un goût de rabaisser, vile
intérieurement désavoué par une notion du. beau plus forte
qu'une humeur passagère, je ne crois pas non plus qu'elle soit
tant en crédit.
Jamais, au contraire, plus que maintenant un culte vif n'entoura
la. bonne littérature et la haute poésie et ceux qui ont pratiqué
l'une ou l'autre sont sûrs de trouver parmi les jeunes gens une
faveur appréciatrice et toutes les marques de l'admiration. Mais
il importe de ne pas confondre l'admiration désintéressée qu'il
sied d'avoir pour les chefs-d'œuvre avec une nuance du même
sentiment qui pousse ceux qui l'ont en partage à s'approprier ce
qu'ils admirent. Cet excès s'appelle l'imitation et c'est par elle que
les singes témoignent l'estime qu'ils ont des hommes. La parodie
s'y rattache et elle est aussi respectueuse mais d'une façon infé-
rieui'e et animale.
Ce respect même pour la bonne littérature va si loin qu'il se
corrobore d'un désir de justice, d'un besoin d'équité qui voudrait
mettre un peu d'ordre dans les renommées passées et contempo-
raines. Une pareille réforme n'a pas lieu sans criailleries de la
part de ceux qui se sentent menacés d'être fort réduits en leurs
excédantes prérogatives. Cet effort louable d'assigner à chacun le
rang auquel il a droit nécessite un peu de tracasserie et d'être
assez- pointilleux pour distribuer la gloire en sa quotité intégrale.
Les naturalistes ont eu un peu à souffrir de ces scrupules de l'opi-
nion des lettrés émue de la grossière usurpation de ces médiocres
prosateurs et d'un autre côté les choses vont si bien qu'il sera
peut-être inutile en France et môme dangereux d'avoir 6ié un trop
mauvais poète cl qu'il est loisible d'espérer que les quelques
resliiulions au néant les plus immédiatement nécessaires auront
leur cours.
C'est à cette déchéance que par malentendu on a aUribué aux
symbolistes le projet- de réduire Victor Hugo. Certaines marques
de dépréciation curent lieu à l'égard du grand poète, mais elles
émanaient d'univei-sitaircs difticiles qui avaient montré pour la
poésie -une incompétence tournée à la haine et ce serait dommage
que ces irrévérences fussent comptées à faux à des jeunes gens
qui n'ont rien à prétendre au fâcheux lustre de détracteurs de Hugo.
Je crois que la situation de Hugo est celle-ci : norniiale, inévi-
table, glorieuse. H est entré dans ce silence préparatoire où s'éla-
bore mystérieusement l'épuration d'une œuvre léguée aux siècles
par la Mort. Dans la sorte de respectueux oubli où elle semble
être elle se défalque, dans l'ombre, de son surcroît inutile, les
parties caduques succombent mais l'immense ruine ne s'écroule
que de son superflu. Ce sourd travail est le résultat d'une critique
infinitésimale et anonyme. Tout lecteur y coopère à son insu, et
peu à peu, d'elles-mêmes, les assises fondamentales s'exhausse-
ront et le bloc d'antique splendeur écrite, et dans la vieille pierre
se lira maint hiéroglyphe sublime cl se verront, sculptées et
sacrées par le Temps, de fortes et délicates figures.
L'œuvre sortira de ce silence conforme à une sorte d'assenti-
ment général qui l'acceptera alors sous un aspect vrai et monu-
mental et chacun y saluera, outre ce qu'il y préfère, la manifes-
tation d'un génial éclat poétique, car chacun est intéressé à voir
respecter ce dont il croit posséder en soi une parcelle aussi pour
laquelle il aura le droit d'espérer de l'avenir le même traitement.
H. DE Régnier. {Entretiens •politiques et littéraires.)
L'ART AUX SALONS OFFICIELS
A propos du Salon de Gand qui va s'ouvrir, citons une amu-
sante « Causerie artistique » de M. Georges Kaiser sur le Salon
d'Anvers, publiée dans la Revue générale. Elle trouve son appli-
cation à toutes les expositions officielles.
Cette constatation, d'abord :
« ... Quant aux jeunes, ceux qui veulent être de leur temps et
cherchent autre chose que ce que d'autres ont trouvé, il y a belle
lurette qu'ils ont fui les salons officiels où ils étaient impitoyable-
ment refusés, à moins qu'ils ne se résignassent à sacrifier leur
curiosité à l'observation scrupuleuse des règles admises à l'école.
Groupes par groupes, un à un, ils s'en sont allés, organisant
des expositions spéciales où ils sont les maîtres et où viennent
avec confiance ceux que tentent, en d'autres pays, la poursuite
du neuf. Ei nous avons eu ainsi des exhibitions exubérantes où
l'originalité coudoie le tape à l'œil, où il y a de la vaillance et de
l'outrecuidance, -de la sincérité et de l'esbrouffe, des hardiesses et
des folies, mais où il y a incontestablement de la vie, de la jeu-
nesse, du mouvement et où l'on professe un superbe et louable
dédain des faveurs de l'amateur ignorant d'art, faveurs que l'in-
contestable habileté de la plupart des exposants rendrait pourtant
immédiatement accessibles s'ils consentaient à se mettre au ser-
vice de la convention et de la platitude.
C'est là, dans ces expositions spéciales, que s'est réfugié tout
l'intérêt des salons officiels. »
Parlant de la bizarrerie des sujets traités dans les expositions
officielles, M. Kaiser cueille dans le catalogue ces titres extra-
ordinaires :
« Les chats valent bien les lapins. — Esait et Jacob. —
Charles V après Vélude. — Le jugement de Midas. — Eurydice.
— Tentation de saint Antoine. — Aci§ et Oalathée. — La
chute de Prométliée. — Pommes de terre a l'étouffée ! »
Et cetle drôlerie : e .
« Voici enfin un tableau de M. Van den Bussche •: Charlotte
Corday chez Marat. M. Van den Bussche écrit au catalogue : Le
13 juillet il9i, Charlotte Corday, jeune fille aussi bien élevée
qu'elle était belle personne {!!!), se présente-à la porte de Marat.
M. Van den Bussche peint comme il écrit. »
Autre constatation plaisante ù propos des hommes qui font
peindre leur portrait :
« Un de leurs désirs les plus fréquents et réjouissants consiste
à faire étalage de la pelisse qu'ils possèdent. Une belle pelisse,
ça classe. C'est une marque authentique de fortune. Aux heures
de pose, en été ou en hiver dans l'atelier bien chauffé, il doit
étouffer, le pauvre modèle. Il étouffe en effet mais il est stoïque :
« Mon ami X... s'est fait peindre en pelisse, il ne sera pas dit que
« je passerai h mes descendants vêtu d'une simple redingote ».
11 y a pourtant des hommes qui n'endossent pas leur pelisse :
ce sont ceux qui possèdent des décorations. En effet, une pelisse,
c'est bien, mais une décoration, c'est mieux. Et jusqu'à présent,
c'est encore moins porté.
Un peintre (j'aurai la discrétion de taire les noms) expose le
portrait de son père. Le père est posé sur un petit tapis qui fait
sur le beau plancher en bois une tache d'un mètre carré
environ; il porte l'inévitable pelisse, est melonné d'un chapeau
jaune et croise les bras en une altitude de défi. Il esl adossé à la
muraille, mais pour qu'il ne macule point ses beaux effets, on a
pris soin de pendre à un clou fiché dans le mur une descente de
lit contre laquelle il s'appuie.
Un autre monsieur s'est fait peindre assis. Lui aussi possède
une pelisse, mais comme il fait évidemment trop chaud dans
l'atelier, il l'a ôlée et l'a jetée négligemment sur le bras de son
fauteuil. De cette façon, on la voit loul de même, la pelisse.
Cependant le monsieur a l'air mécontent et dans son regard
attristé apparaît cetle préoccupalipn : Pourvu qu'on ne croie pas
qu'elle appartient au peintre et fait partie des accessoires de
l'atelier.
Un consul a posé, couvert de décorations. A côté de lui, sur
une table, est placée une sphère terrestre et sur cette sphère
une marque indiquant l'endroit où le consul a exercé ses fonc-
tions!
Un baryton peintau jus de groseille est exhibé en habit noir,
une page de musique dans les mains jointes, prêt à chanter, la
jambe droite légèrement posée sur la pointe du pied, le corps
reposant sur la jambe gauche. »
LIVRES ET BROCHURES
L'invisible, par J. de Tallknay, avec un frontispice
par Georges Morrkn. — Bruxelles, Lacomblez.
^ Un célibataire, relativement riche, meurt. Son âme est forcée
d'assister, invisible, à toutes les conséquences des fautes qu'il a
commises.
Système d'expiation très moral et plus doux que les façons
fourchues des diables d'antan. J'avoue que bien prouvé et démon-
VART MODERNE
263
iré par quelque savant, — n'en fûl-il mémo qu'à moilié sûr, —
le procédé me tenlerail.
Tout le livre témoigne, du reste, d'un ardent désir de concilier
la notion de l'immorlalilé de l'âme avec la science moderne, et
je connais toute une catégorie d'esprits honnêtes auxquels cela
fera grand plaisir.
Le livre sort de traduction à un frontispice symbolisant de
façon si profonde l'impression que M"'^ de Tallenay a voulu
rendre, qu'on se demande leiqucl des deux, du livre ou de
l'image, a été fait pour l'autre. I. W-
r
L'organisation de la Sectioii archéologique du Palais
du Peuple de Bruxelles. — Rapports présentés à la Société
d'archéologie de Bruxelles par Paul Saintknoy et le baron Alfred
DE LoË (Extrait àes Annales de la Société d'Archéologie de Briacellet,
vol. V, 1891). Bruxelles, A. Vromant et C'«, 30 p.
Chargée de présenter un projet de section archéologique pour
le Palais du Peuple que le gouvernement se propose d'ériger au
Parc du Cinquantenaire, la Société d'Archéologie de Bruxelles a
délégué deux de ses membres, MM. Paul Saintenoy et le baron
A. de Loô pour faire rapport sur l'organisation de cette section.
Deux rapports, l'un sur les Conditions du travail dans les temps
anciens, l'autre sur la Vie sociale attx grandes époques de l'his-
toire, ont paru. Les rapporteurs s'y/uéclarent partisans de la créa-
lion d'une série de salles consacrées chacune à une époque diffé-
rente et formant par leur réunion l'histoire complète de l'industrie
humaine. Dans ces salles, des mannequins habillés de costumes
exécutés d'après les données de la science historique sembleraient
manier des instruments copiés sur ceux que nous onl légués les
siècles et seraient placés dans un décor constitué mi-partie en
nature, mi-partie en diorama. Ce projet, qu'il est question d'adop-
ter au Musée des Arts décoratifs de Paris, est développé et com-
plètement exposé par les rapporteurs.
Lies bottes de Pieter Capperman, par Hector
Van Doorslaer. Société belge de Librairie, Bruxelles, 1892, 16 p.
Signé Hector Van Doorslaer, un conte de Noël, tiré à part après
avoir paru dans la Revue générale de janvier. Un conte du vieil
Escaut : Les Bottes de Pieler Capperman, assez anxieusement
narré et qui satisfera à la fois chasseurs, pêcheurs et yachlmen,
puisqu'il y est dit comment Capperman faillit périr par le flot du
vieux Schelde pour avoir péché dans l'île de Saeftingen, y avoir
abattu force gibier à l'affût et n'avoir pas regagné à temps son
duivelander.
Récit qui a toutes les qualités du genre et qui joint à celles-ci la
nationalité: évocation de ce coin de terre aimé encore plus aujour-
d'hui qu'autrefois : le Bas-Escaut.
Causerie littéraire semestrielle (février-mars-avril), par
Eugène Gilbert. (Extrait de la Revue générale, mai 1892.) Bruxelles,
Société belge de librairie; une plaquette de 30 pages.
Le jeune secrétaire de la Revue générale a repris depuis quel-
que temps dans cet intéressant périodique la lâche qu'y remplis-
sait M. Francis Nautet. Il faut féliciter M. Gilbert du maintien de
certaines traditions de son prédécesseur. Il sait faire la place
grande aux auteurs nationaux. Dans chacune de ses revues litté-
raires trimestrielles, les lettres belges ont le pas sur les lettres
françaises.
Entre autres livres analysés dans le numéro du mois de mai,
citons le volume deM.de Haulleville, En f^acnnces; le roman de
M. de Rcul, Le Chevalier Forelle; les Ames fidèles au mystère,
de M. Adolphe Frères, et Z,c yardin de l'Ame, de F. Roussel.
Appréciations variées, sans parti-pris et parfois de bon conseil.
pHRONiqUE JUDICIAIRE DE? ^RTp
Appointements des artistes. — Caractère alimentaire.. —
Pouvoir appréciateur du tribunal.
Dans un différend survertu entre MM. Idrac, ténor, et Voïlus
Van Hammc, directeur du Grand Théâtre de Gand, le Tribunal
civil de la Seine a rendu une décision intéressante en matière de
saisie-arrêt.
M. Idrac s'était engagé à Gand pour six mois (saison de 1890-91)
en qualité de second ténor, avec stipulation d'un dédit de
3,600 francs. Quelques jours après, l'artiste écrivait à son direc-
teur : « ... Je viens de' prendre le parti de renoncer au théâtre;
je suis employé dans une maison de commerce, où je n'aurai pas
les ennuis ni les tourments que l'on a dans un théâtre,.. » En
même temps, il signait un engagement de dix-huit mois à l'Opéra
de Paris.
M. Voïtus Van Hamme, trouvant le procédé un peu cavalier,
agit avec la même désinvolture et fil opposition sur les appointe-
ments de l'artiste pour avoir paiement du dédit stipulé.
On plaida. M. Idrac souleva une fin de non-recevoir tirée de ce
que M. Voltus Van,Hamme, qui était en état de liquidation judi-
ciaire au moment de la saisie-arrêt, avait procédé sans l'assis-
tance de son liquidateur. Mais le directeur établit qu'il avait
obtenu antérieurement un concordai, dûment homologué, et le
tribunal repoussa le moyen.
Au fond, M. Idrac soutint que son traitement (300 francs par
mois) était à peine suffisant pour ses besoins et ceux de sa famille,
qu'il avait donc un caractère alimentaire et devait être affranchi
des effets de la saisie.
Le jugement décide qu'il appartient aux tribunaux d'apprécier
si les traitements des employés des particuliers peuvent être
considérés comme alimentaires et affianchis à ce litre dans une.
certaine proportion des effets de la saisie;
(Jue, d'après les renseignements versés aux débats, il y a lieu
de reconnaître au traitement d'Idrac le caractère alimentaire
jusqu'à concurrence de moitié, soit 150 francs par mois, et de
ne faire porter les effets de la saisie que sur l'autre moitié;
Par ces motifs.
Condamne l'drac à payer à Voïtus Van Hamme la somme de
3,600 francs pour les causes sufénoncées, avec intérêts de droit ;
Valide la saisie-arrêt, avec ses conséquences de droit;
Dit, toutefois, que les effets en sont réduits à la moitié des
appointements, l'autre moitié en étant affranchie comme ayant un
caractère alimentaire;
Condamne Idrac aux dépens.
fETITE CHROJ^IQUE
Le jury chargé de décerner les récompenses aux artistes qui ont
participé à l'Exposition internationale des Beaux-Arts de Munich,
a attribué une médaille d'or de 1'* classe à MM. Claus et Constantin
Meunier.
La médaille d'or de 2» classe a été décernée à MM. Rosier,
Burnin, Verheyden, Paul Dubois et Baes. , .
M"^ E. Beernaerl et MM. Abry,«Clays, Jef Lambeaux, Lamori-
nière, Portaels, Frans Vart Leempulten et Van Havermaet étaient
placés hors concours.
La Belgique a d'autant plus à se féliciter de ce brillant succès,
qu'elle a obtenu le même nombre de dislinctions que l'Allemagne
et la France. {Communiqué.)
Du Gil Blns, ce vivant portrait de Puvis de Chavannes :
L'allure distinguée, sérieuse d'un médecin chic, — ceux qu'on
appelle monsieur le professeur. Grand, le dos un peu voûté, le
visage affable et pensif avec la barbe presque blanche et les
cheveux coupés court. Parle peu. S'emballe rarement. Poursuit
son rêve d'art avec l'entêtement doux, le dédain de la foule qui
est la caractéristique des maîtres. Un primitif égaré dans cette fin
de siècle. Eût jadis décoré de fresques mystiques quelque campo-
santo et des nefs de cathédrale. Païen épris de la forme, de l'argile
idéale dont parle le poète. Lutta longtemps contre les quolibets
des sots et des faiseurs de mots. S'en consolait en travaillant pour
la gloire. Calme, ayant de |a race jusqu'au bout de ses mains
nerveuses et fines. Etait fait pour les présidences. A créé toute
une école d'imitateurs et semble dans l'art moderne quelque béat
extasié qui se cl oïl re hors de la vie, qui prêche uniquement le
culte éternel, immuable du Beau. .
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Douzième année. — N° 34.
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 21 Août 1892.
L'ART
PARAISSANT LB DIMANCHE
REVDE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Comité de rédaction i Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr, 13.00. —ANNONCES : On traite A forfait.
Adresser toutes les communications à
l'administration générale de l^Art Moderne, rue de rindustrie, 32, Bruxelles.
30MMAIRE
Félicien Rops (Suite). — Le poète. Essai par R.-W. Emerson.
— CoNSTASTi.s Meunier. — Musiciens d'orchestre. — Chronique
JUDICIAIRE des arts. PETITE CHRONIQUE.
FELICIEN ROPS
(1)
Certes, ponrrais-je encore donner d'autres preuves de
l'attachement de Rops au sol flamand. Celles- là suffisent.
Et ce mal d'un pays est bien un signe de race. C'est le
« vieil ancêtre " qui insuffle de^ostalgies au plus pro-
fond des os. « Mes bons sables de Flandre sont pour moi
de nécessité morale », écrivait Rops en octobre dernier.
Cette nostalgie s'est évidemment manifestée dans son
art et le sang de sa race a dû lui prodiguer ses patriales
qualités.
Mais qu'est l'art flamand aujourd'hui et comment s'est-
il démontré?
Certes, il ne faudrait songer à reconstituer la mystique
école de Bruges ni la pléiade rubénienne. Tous ceux qui
ont voulu rallumer les flambées .jordaenesques n'ont fait
que des feux de joie et une plate imitation de Mejnling
a suscité une sotte et vile bande de détestables peintres.
(1) Suite. Voir notre dernier numéro.
D'autre part, ce n'est pas en empâtant un tableau
d'huiles et dé bitumes qu'on retrouve la solidité des
maîtres de jadis et il ne suffit d'imaginer des sujets com-
muns pour ressusciter les beuveries de Brouwer ou les
kermesses de Vinksboom.
On constate dans l'art flamand actuel, qu'il soit pro-
duit par le pinceau d'un De Braekeleer ou qu'il s'empoé-
tise dans les légendes d'un Maeterlinck ou dans les vers
d'un Verhaeren, une profonde et étrange mélancolie.
C'est comme un reflet d'un passé puissant qui surgit tout
à coup. M. Ernest Verlant disait récemment, à ce pro-
pos, dans la Revue générale, que chez certains artistes
de notre pays, « comme par un retour atavique vers la
grande époque de la race, les anciens peintres endormis
semblaient revenir, avec, en plus, une sorte de tristesse
nostialgique d'être ainsi bannis de leur siècle natif et de
leur renaissance superbe ". Ou dirait le « chant du
cygne « d'un peuple qui sort sa dernière flore, une flore
atteinte déjà des premières beautés de la mort, et même
lorsqu'un Eekhoud exalte les mœurs rustiques, il ne se
débarrasse d'une angoissante nostalgie et ne se dévêt de
morbidité.
Certes, Rops, bien qu'il ait illustré les livres de Charles
De Coster, a bien peu sacrifié à ce sentiment, assez
récent; d'ailleurs. Mais parmi les legs faits par les vieux
peintres aux artistes d'aujourd'hui, on trouve encore la
robuste manière de peindre de Leys, de Joseph Stevens,
266
L'ART MODERNE
de De Braekeleer. Là s'avèrent le côté sanguin du passé
et la vigueur ancestrale. Là se trouve l'origine de cette
pléiade de porte-pinceaux, qui, bien que notablement
réveillée par Gustave Courbet, lui-même imitateur des
Fyt ou des Snyders, a constitué une |très glorieuse et
assez nombreuse école belge de peinture dont on ne
trouve plus de trace aujourd'hui qu'en deux ou trois
très rares peintres, tels que Xavier Mellery, Henry De
Groux, Théo Van Rysselberghe ou James Ensor. Une
renaissance picturale s'était faite, il y a quelque trente
ans, et dans les provinces flamandes on a pu constater
alors une force incontestable et une puissance latente.
C'est cette robustesse qui caractérise le Rops fla-
mand. Il a été, dans sa jeunesse, fortement inspiré par
Gavarni. Comparez pourtant les dessins du journal
YUlenspiegel avec ceux des Lorettes. L'artiste belge,
peut-être inférieur alors en prestesse et en finesse, se
distingue d'emblée par un « faire » plus solide et plus
« peintre », en des recherches de noirs gras, des équi-
libres d'ombres, des blancs lumineux : le crayon s'écrase
en pinceau sur le papier. Cette qualité foncière, Rops
ne la doit au pays de Wiertz, mais bien à la souche qui
a produit Hais et Craesbeek.
Ce sentiment s'étend à l'œuvre entier, comme les
veines qui s'infiltrent dans un corps. Cette force native
et patrimoniale s'applique au symbole' de c hoses éter-
nelles et plus vastes que les manifestations d'un art
autochtone, car Rops est de ceux qui, par leur génie,
appartiennent plus au monde qu'à une contrée.
Mais lorsque ce don de vigueur sert à effigier une
figure des Flandres, combien Rops se révèle descen-
dant des anciens maîtres de cette terre, avec un<î force
placide et un charnu extraordinaires! Voyez cette
planche maltresse : L'Experte en dentelles. L'imagi-
nation aussitôt évoque un coin de bourgade, dans ce
pays, au delà de l'Escaut, où les femmes portent au
front des plaques d'or. L'experte est assise dans un fau-
teuil. Sur ses genoux, une loupe, des dentelles. Un
bonnet hollandais aux ailes transparentes la coiffe;
sur sa solide poitrine se croise un grand fichu. Belle
et tranquille figure, aux lèvres volontaires, dans un
visage massif, puissamment modelé et troué d'yeux
ardents et gris, qui dénotent une sœur de ces pêcheurs
dont les barques s'aperçoivent par une fenêtre à guil-
lotine. De la lumière tombe par les vitres dans l'appar-
tement, couvrant le bonnet dé la femme, ses épaules,
ranimant dans leur pénombre les boucles d'argent de sa
ceinture, jetant un rai à la loupe, un baiser aux mains,
qui tâtent d'un geste habituel un entre-deux déroulé.
Au dehors, dorment les quais, avec les bateaux au repos ,
sous le ciel brumeux. Dans la chambre basse, à l'atmo-
sphère cossue, fleurie de cyclamens sur le rébord de la
fenêtre, la Hollandaise passe sa vie à contempler ces
barques et ces dentelles; et cette quiétude lui a donné
ce masque de paix puissante et réfléchie. Il y a de l'âme
tout plein, qui imprègne la chair bien frappée de ce
visage. L'eau-forte est aussi brûlante de vie, malgré la
physionomie paisible du sujet, que lorsque Rops égra-
tigne le cuivre pour en faire jaillir quelque regard sadique
de fille parisienne. Et quelle harmonie d'une pénombre
riche en noirs savamment gammés, tombant jusqu'au
bas de la planche en torrent somptueux, et réveillés par
les mises en lumière des poignets, des mains, du bonnet,
qui allument comme des diamants de lueur savoureuse
sur le velours opulent du coloris!
A côté de cette femme saine et honnête, voici la Vieille
gouge, riant du rire d'une femme de Jan Steen, dans
cette petite eau-forte d'un noir sanguin, où s'élargissent,
épaisses, ses lèvres de faunesse, qui ont dû faire l'or-
gueil lascif de maint cabaret. Sous son bonnet, pointent
à ses tempes deux boutons d'or. « On dirait un Frantz
Hais! » s'écrie Erastène Ramiro.
Elle est parente aussi de cette Anversoise, ébauchée
à larges traits, une main dans la poche de son tablier
de marchande de crevettes, — et surtout de cette
« saoulée » de Dimanche, croquée à Heyst, et qui dort
près d'un pot et d'un verre, les bras nus allongés sur
une table d'estaminet, ses sabots passant sous ses cottes ;
ses seins jaillissent insolemment de son corsage délacé,
tandis que son bonnet chiff'onné couvre comme une
fleur de capucine le sommeil de ses cils noirs et de sa
bouche goulue.
Voici une eau-forte exquise : La laitière anversoise.
C'est une paysanne vue de profil, le front bas, le nez épais,
la lèvre supérieure retroussée et fraîche, avec une chair
de buveuse de lait. Coiff'ée à la vierge, elle porte ses
cheveux noirs lisses sous un grand chapeau de paille de
Campinoise, orné, à la nuque, d'un carré de soierie. La
jeune rustaude ^st vêtue d'une longue robe sans nul
colifichet, d'un tablier, et elle porte sur les épaules le
large foulard rustique àes Flamandes. Devant elle, à
hauteur de la taille, elle tient une grande cruche en
cuivre. Le sentiment du profil est d'une chaste déli-
catesse de ligne qui ferait presque songer aux gothiques
et l'étofl'e du châle est quasiment traitée à la Terburg.
Mais les ans viennent, qui mangent les chairs blondes
et jaunissent le sang. Les dos vigoureux se courbent
sur les croupes lasses et les ardentes payses, hélas !
devant l'efféuillement de leur fraîcheur, vieillissent au
coin de leur âtre. Alors c'est Oude Kate, la pelouse de
pommes de terre, au masque édenté. C'est le Vieux Claés
et la tante Johanna penchant sur le bout d'un poêle de
Louvain leurs profils caducs d'amateurs de café, en
écoutant chantonner la bouilloire. C'est la Vieille Fla-
mande couverte d'un mouchoir à bordure, ou l'antique
Smetse Smée, besognant, à la lueur d'une chandelle,
une bonne mixture qui la guérisse de son catarrhe. Et
revoilà Ma tante Johanna, seule, cette fois, sous son-
LART MODERNE
267
grand chapeau de Campine, et sise en sa cuisine, près
d'une rangée d'assiettes alignées sur un dressoir, son-
geant au vieux Claës que les bons anges mangeurs de
pape au riz dorée sont venus prendre en une nuit bien
triste.
Que nous sommes loin, ici, sous ce ciel plantureux,
Ae Xdi Buveuse d' absinthe ! Là-bas la fille mordue par
le " poison vert " appuyé son échine vannée sur une
colonne de Bal Mabille et il semble que la faulx de la
Mors syphilitica va couper le fil ravagé de sa vie Ici, la
vieille gouge a encore le rire aux lèvres, l'œillade vigou-
reuse et la main preste; elle est bien portante, malgré
des beuveries et des ribauderies, et elle finira à regret
par " se ranger " près de son " coquemar ", quand
elle ne pourra plus servir à boire aux joueurs de quilles
qui lui pincent la taille. Nous sommes en un pays de
pulpe florissante et la névrose n'a guère prise sur ces
tempéraments pléthoriques et équilibrés.
C'est sans doute au même foyer aussi que Rops a
puisé son amour de la chair. Certes, on rencontre, en
des coins sinistres de son œuvre, de ces macabres mai-
greurs où se devine comme un spectre sous des cheveux
ornés de roses, ou au fond d'yeux approfondis par les
fascinations du vice, et l'on dirait parfois que le squelette
qui pousse à la charrue du laboureur d'Holbein soit
revenu se vêtir de la défroque d'une fille.
Mais où est le type préféré de la femme ropsique ?
Grande, appétissante et riche en charmes, telle est la
mye au grand chapeau Rubens cachant mal un bonnet
de folie, et qui, porteuse d'une tête de mort renversée
d'où jaillissent de l'avoine et des fleurettes, doit servir
de frontispice aux œuvres du maître. C'est sa muse,
semble-t-il, pour laquelle il burine ses imaginations les
plus gracieuses, car il se confesse à elle : « Vère, ma
mye, ne sont en ma paouvré" cervelle que hannetons
voletants, flourettës primererdières et folles avènes. Ce
qui est grand'pitié p^r yceux qui moyennant force
patards, laborent es académyes, le gésier tout aorné et
paulmé d'or et enchargié de mesdailles avec un chief
vilainement catarrheux^ branlant et besicleux »», ou bien
il lui avoue : « Ainsi vais-je, dolent ou joyeux, ma mye;
ne portant comme le sage Byas que bras ballants, et en
mon escarcelle qu'une penne d'aronde pour te pourc-
traire par les chemyns. Et cela doucettement en grande
paour des gens d'armes et des grands bailHfs, lesquels
n'aiment moult les affranchis faisant mestier de folie ».
Sa muse — ou sa mye — n'est donc pas que coquette et
éveillée, comme serait celle de Gavarni ; elle n'est non
plus hiératique, ainsi qu'on se figurerait la déesse au
lotus présentant à Gustave Moreau l'écrin bizarre où il
choisit ses pierreries. Elle n'est, comme les gamines de
Forain, salace, maigrichonne, insolente et roublarde :
elle est vivante, belle en chair et doit faire un délicieux
régal pour un goulu d'amour.
Dans la Tentation de saint Antoine, c'est un « mer-
veilleux corps féminin, pareil à de la lumière incarnée «
ainsi que dit Camille Lemonnier, — qui dresse à la
place du Jésus en bois vert et vermoulu qui s'écroule,
le triomphal incendie de son torse impudique, de son
ardent visage, de sa flambante chevelure de soleil. Voilà,
à travers les âges, une sœur des femmes de Rubens, aussi
altière en santé, aussi rayonnante, mais séduisamment
viciée par un air canaille de catin de Bas-Empire qui
versé à ce corps épanoui la capiteuse essence des volup-
tés d'un siècle de décadence.
La figure de Pornocratès est aussi solide et bien bâtie
dans sa nudité vigoureuse : elle a été plantée d'un jet
robuste sur cette cormche où des anges pleurent ironi-
quement la mort des arts.
Partout s'élèvent des cariatides superbes soutenant
l'œuvre noire et macabre, et jusque dans la plus angois-
sante eau-forte elles font protester le charme de la chair,
comme des roses prêtes à se perdre dans un sombre
marais malicieux.
LE POÈTE
(Traduction inédite.)
Un fantasque enfant, follement .sage,
Suivait le jeu de ses yeux joyeux, \
Qui, comme des météores; choisissaient leur voie
Et fendaient la nuit de leur rayonnement intime :
Ils dépassaient les bornes de l'horizon
Qu'ils fouillaient par le privilège d'Apollon ;
A travers l'homme, la femme, la mer et l'étoile.
Ils voyaient au loin la danse de la nature dans l'avenir ; —
A travers les mondes, les races, les mots et les temps,
Ils voyaient l'ordre musical et les rimes accouplées.
Bardes olympiens qui chantèrent
Les idées divines ici-bas,
Qui nous trouvent toujours Jeunes
Et nous gardent toujours tels!
Ceux qu'on prend pour les arbitres du goût sont souvent des
gens qui ont acquis une certaine connaissance des peintures ou
sculptures célèbres et qui ont un penchant pour tout ce qui est
élégant ; mais si votis demandez si ce sont de belles âmes, et si
leurs actes sont comme de belles œuvres d'art, vous apprenez
qu'ils sont égoïstes et sensuels. Leur éducation est partielle, et,
comme cette bûche qui, frottée contre une autre, ne peut produire
d'étincelle que sur un seul point, leur être entier est incapable de
s'enflammer.
Leur connaissance des beaux-aris consiste dans l'étude de quel-
ques règles et de quelques particularités, ou dans un jugement
limité des couleurs ou des formes, exercé par délassement ou par
vanité. Une preuve de la mesquinerie de là doctrine du beau dans
l'esprit de nos amateurs, c'est qu'ils semblent avoir perdu cette
perception : que la forme dépend étroitement de l'âme. 11 n'y a
pas de doctrine de la forme dans la philosophie actuelle. Elle
semble croire que nous avons été jetés dans nos corps, comme le
feu qu'on jelte dans un récipient pour le transporter ; qu'il n'y a
encore en nous aucune adaptation bien exacte de l'organe à l'es-
prit, — et, généralement du moins, que l'organe est encore bien
moins la floraison, la germination de l'esprit. De même, à propos
d'autres formes, des hommes intelligents ne croient pas que le
monde matériel dépende de la pensée ou de la voliiion.Dcs théo-
logiens trouvent que la signification symbolique d'un vaisseau,
d'un nuage, d'une cité ou d'un contrat est une métaphore très
décorative ; mais ils préfèrent en revenir au terrain solide de l'évi-
dence historique ; les poètes eux-mêmes se contentent de vivre
d'une manière bourgeoise et conforme à celle de li'urs voisins, et
ils confectionnent volontiers leur poème d'après leur imagination,
à une salutaire distance de leur propre expérience. Mais les esprits
les plus élevés de ce monde n'ont jamais cessé d'explorer pareux-
jnômes la double signification, — que dis-je? la quadruple, la
centuple signification de tout fait sensationnel : témoins Orphée,
Empédocle, Heraclite, Platon, Plutarque, Dante, Swedenborg et
tous les maîtres de la sculpture, de la peinture, de la poésie. Car
nous nc-sommos pas des véhicules du feu, ni même des porte-
flambeaux, mais bien des enfants du feu, faits de sa substance;
nous avons élé créés par lui, nous sommes cette divinité même,
nous n'en sommes éloignés que de deux ou trois degrés peut-être,
au moment où nous y pensons le moins. Et celte vérité cachée,
— que les sources d'où coulent le temps et toutes ses créatures
sont intrinsèquement idéales et belles, — nous conduit à consi-
dérer la nature et les fonctions du Poète, — ou l'homme du Beau,
— les moyens et les matériaux dont il se sert et l'aspect général
de l'art à notre époque.
Le problème est vaste, car le poète est un représentant. Parmi
d'autres hommes incomplets, il est l'homme complet et ne nous
renseigne pas seulement sur sa propre richesse, mais sur la
richesse commune. Le jeune homme vénère les hommes degénie,
parce que, à dire vrai, ils sont davantage lui, qu'il ne l'est lui-
même.
Ils participent de l'ftme universelle comme lui, mais plus que
lui. Aux hommes aimants, la Nature paraît plus belle quand ils
croient qu'un poète en jouit en méme.:ternps qu'eux. Le poète est
isolé au milieu de sesconlemporains par la vérité et par son art,
mais il peut se consoler en pensant que cet art attirera les hommes
tôt ou tard. Car tous les hommes vivent de vérité et éprouvent le
besoin de s'exprimer. Dans l'amour, dans l'art, dnns l'avarice,
dans la politique, dansle travail, dahs le jeu, nous nous efforçons
d'articuler notre pénible secret. L'homme n'est qu'une moitié de
lui-même. L'autre moitié est son expression.
• Malgré ce besoin d'être publiée, l'expression exacte est rare. Je
ne sais comment il se fait que nous ayons besoin d'un interprète;
mais on dirait que la grande majorité des hommes se compose de
mineurs qui ne sont pas encore en possession de leur avoir, ou
de muets qui ne peuvent rendre compte de leur conversation avec
la nature. Il n'y a pas d'homme qui ne s'attende à découvrir au
soleil, aux étoiles, à la terre, à l'eau, une utilité surnaturelle. Il
semble que ces choses vont lui rendre un service particulier. Mais
une obstruction quelconque, quelque excès de phlegme dans notre
constitution les empêche de produire leur effet. Les impressions
de la nature nous touchent trop peu pour faire de nous des artistes.
Chaque coup devrait nous faire vibrer. Tout homme devrait être
assez artiste pour rendre par sa conversation ce qui lui est arrivé.
Et cependant notre expérience nous prouve que des rayons qui
ont une force suffisante pour arriver jusqu'à nos sens, n'en ont
pas assez pour nous toucher au vif et nous forcer h les reproduire
par la parole.
Le poète est celui on qui ces facultés sontéquilibrées, l'homme
qu'aucune faiblesse ou infirmité n'empêche d'arriver à s'exprimer,
qui voit et manie les choses dont d'autres ne font que rêver, qui
traverse toute l'échelle de l'expérience, qui représente l'homme
entier, parce qu'il possède le plus gi'and pouvoir de recevoir et
de rendre.
Car rUnivrrs a trois enfants, nés le même jour, qui réapparais-
sent sous différents noms dans tout système de pensée, — qu'on
les appelle cause, opération, effet, ou plus poétiquement Jupiter,
Platon, Neptune, ou théologiquemenl, le Père, le Fils et le saint
Esprit; mais que nous appellerons ici, celui qui sait, celui qui
agit, celui qui dit. Ils représentent respectivement l'amour du
vrai, l'amour du bien, l'amour du beau. Ces trois choses sont
égales. Chacune d'elles est ce qu'elle est, de par son essence, de
sorte qu'on ne peut ni la dépasser ni l'analyser, et chacune de ces
trois choses contient d'une façon latente le pouvoir des deux
autres et sa propre affirmation.
Le poète est celui qui dit, celui qui nomme et représente le
beau. Il est souverain, il occupe un centre. Car le monde n'a pas
été peint ni orné, il était beau dès le commencement. Et Dieu n'a
pas créé plusieurs choses belles, mais la beauté a été créatrice de
l'univers. De sorte que le poète n'est pas un potentat constitution-
nel, il est empereur, de par son propre droit. La critique est
infestée d'un jargon de matérialisme qui semble affirmer que
l'adresse et l'activité manuelles sont les plus grands mérites de
tous les hommes et de chacun en particulier, et elle méprise ceux
qui n'ont pas cette adresse et qui ne font rien; elle ignore le fait
que certains hommes — les poètes — sont naturellement des
diseurs, envoyés dans le monde dans un but d'expression; elle les
confond avec ceux dont le rôle était l'action, mais qui l'ont aban-
donnée pour imiter les diseurs. Mais à Homère, les paroles
d'Homère semblent aussi précieuses, aussi admirables que les
victoires d'Agamemnon le sont pourAgamemnon. Le poète n'attend
pas pour écrire qu''il ait vu le héros et le sage, màï^ ainsi qu'ils
agissent et pensent d'après leur premier instinct, lui, écrit selon
son premier instinct ce'qui veut être écrit, ce qui doit être écrit;
estimant que l'instinct des autres, quoique premier et spontané
aussi, n'est, par rapport à lui, que secondaire et accessoire; il
les considère comme des modèles dans l'atelier d'un peintre ou
comme des aides apportant des matériaux de construction h un
architecte.
Car toute poésie a été écrite avant que le temps existât et quand
l'un de nous est assez bien organisé pour pénétrer dans ces
régions où l'air est musique, il entend et comprend ces gazouille-
ments primitifs, il essaie de les rendre; mais il perd çà et là un
mot ou un vers, il y substitue quelque chose de son cru, et le
poème est faussé, gâté. Ceux qui ont l'oreille plus fine écrivent
ces cadences plus fidèlement, — et ces transcriptions, quoique
imparfaites, deviennent les chants des nations. — Car la nature
est aussi belle qu'elle est bonne ou qu'elle est pondérée, et elle
doit paraître — être vue et admirée — autant qu'elle est connue
et qu'elle est « agie » ou mise en action. Les faits et les
paroles sont indifféremment les modes d'action de l'énergie
divine. Les paroles sont aussi des actions et les actions sont des
espèces de paroles.
{A continuer.)
^
' : T-'n
CONSTANTIN MEUNIER W
Tous les soirs, jusqu'à l'âge de quinze ans, il a pleuré, me
disait une de ses parentes. Il grandissait chétif — corps malingre,
léle énorme — cl, certes, il était « comme le Jérémie de la
famille ».
' Ceux qui le connaissent trouveront qu'au début de ces notes,
il est opportun de consigner ce souvenir. Meunier est resté le
mélancolique qu'il était aux années d'enfance. Il apparaît aujour-
d'hui malingre encore, la télé forte, l'œil doux mais indéfiniment
triste, et son art lui aussi est un art de souffrance. A voir ses types
et ses personnages bossues de muscles, taillés en violence, âpres
de force, on songe volontiers à quelque Flamand du temps de
Collins ou desQiiclin. Ce n'est là pourtant qu'une ressemblance
toute en dehors. Meunier n'est point apparenté à ceux de la
Renaissance; s'il lui fallait des ancêtres, il les faudrait chercher
parmi les gothiques. Son art fruste est d'inspiration profonde,
humaine et pathétique. Les images de christs qu'on rencontre en
Flandre, au coin des routes, sont peut-être celles qu'il préfère
et leurs sculpteurs sauvages ceux qu'il admire par-dessus tout.
Vers l'âme de ces inconnus, certes, la sienne est aimentée. Elle
est, comme la leur, primitive, baignée d'enfance, pitoyable infini-
ment, sérieuse et grave et contemplative et sincère.
Elle est savante, elle est servie par des inains plus habiles,
mais ne le laisse point voir au détriment des qualités foncières.
C'est par celles-ci que Meunier émeut. C'est à cause d'elles qu'on
subit ses œuvres, qu'on les aime et qu'on se sent en dehors de ce
cercle de banalité, dont la plupart des académies et des poncifs,
aeluellcmenl exposés au Champ-de-Mars ou aux Champs-Elysées,
s'entourent comme d'une rampe invisible.
*
* * ■
Dès l'âge de seize ou dix-sept ans. Meunier sculpta. Fraikin, le
médiocre et officiel statuaire belge, l'employa dans ses ateliers.
Jusque vingt-six ans, il subit ce professeur. Puis, un jour, dégoûté
sans doute des marbres veules qu'on lui imposait comme chefs-
d'œuvre, il s'improvisa peintre. Il n'est retourné vers son art de
début qu'à cinquante ans.
Son maître en peinture .fut le père Degroux. Celui-ci, autant
que son élève, se proférait un silencieux et un pensif. Leurs
ardeurs et leurs vouloirs furent les mêmes : crier en art des cris
d'humanité; se rapprocherdes pauvres, des humbles, des ployés;
réaliser en des plastiques magisiralcs les grandes attitudes du
travailleur et de l'ouvrier; surprendre des lignes nouvelles,
créer une forme moderne, grâce aux gestes, aux allures, aux
démarches, aux équilibres, aux mouvements des hommes du
peuple. Le bourgeois n'a pu fournir une vie assez expressive pour
que l'art, le vrai art, l'incarnât. Ceux qui l'ont peint et ceux qui
l'ont décrit ne l'ont jamais glorifié par un chef-d'œuvre; il ne sert
qu'à la satire et à la caricature.
(1) Cette étude, -— la plus complète, pensons-nous, qui ait été écrite
jusqu'ici sur le maître sculpteur belge, — a paru le 12 juin dernier
dans l'Endehors, l'un des plus. curieux périodiques de ce temps, où
l'on trouve, — à côté d'articles politi(iue8 d'une violence extrême qui
ont valu au journal, en un an, sept années et quatre mois de prison
et treize mille cent cinquante francs d'amende, — des morceaux litté-
raires et des critiques d'art signés H. de Réonier, Emile Verhaeren,
F. Viélé-Qriffin, A.-F. Hérold, P. Quillard, Saint- Pol-Roux,
F. Fénéon, J. Christophe, Edm. Cousturier, Octave Mirbeau,
L. Dbscaves, etc., etc.
Cette élémentaire vérité fut comprise en France par Millet. En
Belgique, par Degroux et Meunier. A côté de l'ouvrier et du
travailleur, ce dernier, parfois, regarda le moine. Je me souviens
d'une toile, V Enterrement diin Trappiste, actuellement au Musée
de Courirai, où cette attention du peintre s'atteste. La composition
est sévère et simple. L'ascétisme de Lcsueur est aisément surpassé.
Encore le Martyre de saint Etienne, cymaise au Musée de Gand,
prouve mêmes tendances. Le caractère religieux se complique ici
d'une impression tragique. La Guerre des Paysans, du Musée de
Bruxelles, aussi le tableau (même lilre) en possession de M. Van
Overloop, sont à noter. Ces pages assignent à Meunier une place
nette dans l'école picturale belge.
*
Pourlant, combien ses longues années d'efforts et même de
succès furent reléguées et avec raison négligées, le jour où le
Marieleur et le Puddleur apparurent, voici dix ans, au Salon
triennal belge. Déjà au Cercle Artistique un tableau, la Descente
dans la mine, avait indiqué l'orientation nouvelle de l'artiste. Le
pays noir apparut tout entier en celte scène banale et quotidienne.
Pour la première fois le type du borain fut dessiné. Le souvenir
de l'Homme à la houe de Millet plana sur la toile, non tant pour
la déprécier que pour la comparer à quelque œuvre connue. Elle
était l'afTirmalion d'une force nouvelle, d'une conquête à tenter,
d'un monde nouveau à galvaniser, esthétiquement. Par une coïn-
cidence curieuse, ce fut également vers celte époque que les
questions ouvrières tombèrent comme des feux grégeois dans les
discussions publiques et que le parti populaire se prouva, actif,
à Bruxelles. A côté des orateurs et des protagonistes du mouve-
ment s'inscrivit, immédiatement, l'artisle.
Non pas que Meunier soit esprit à programmes, ni que sa sculp-
ture soit sortie des livres. Elle ne revendique rien et si l'on veut,
elle ne prouve rien. Elle est tout uniment l'expression de l'heure
où elle naîl; elle indique que telles idées sont dans l'air, que ceux
qui respirent plus par le cerveau que par les poumons les absor-
bent pour les définir, les unes en problèmes ou en doctrines, les
autres en œuvres d'art. Ceux-ci presque inconsciemment et peut-
être, à cause de cela, plus hautement et plus humainement.
Pourlant, si de par la volonté nette de leur signataire ces bron-
zes admirés ne sont ni révolutionnaires, ni subversifs, — car,
somme toute, il n'y a ni art aristocratique, ni art démocratique,
il y a l'arl, — du moins pour ceux qui les regardent, profèrent- ils
une signification soudaine. Dressant en une forme superbe et nou-
velle ces ouvriers armés de leurs marteaux qui battront l'effigie de
l'avenir, les montrant mornes et forts, quelques-uns — à preuve
le Calvaire — avec des allures de fauves, d'autres rêveurs et souf-
frants, assis au coin des portes et appuyés aux comptoirs des ca-
barets. Meunier sème l'anxieuse préoccupation du demain, non pas
avec des phrases, mais de façon bien plus immédiate, bien plus
nette, bien plus crue. Le Iravailleur, grâceàlui, n'est plusl'homme
lointain et vague dont on parle à l'occasion de certaines catastro-
phes, il est entré dans la ville, il s'est campé dans des salons d'art,
il a pris place dans les musées, il est venu desloins de l'horizon,
pour s'affirmer réel, vivant, tragique et c'est bien quelqu'un —
regardez-le — avec lequel des comptes séculaires seront à régler,
bientôt.
Le premier parmi les artistes modernes. Meunier a suscité ce
monde. Alors que les autres étaient diversement attirés vers le
passé, lui seul est allé vers l'inconnu. Ses premières œuvres, tout
ï
270
VART MODERNE
b coup, sans prévenir, ont éclalé comme de la ilynamile el l'ex-
plosion, d'année en année, conlinue.
La lislc en est longue, tant pour la peinture que pour la sla-
luairc. Deux fois, au Cercle artistique de Bruxelles, à la Galerie
moderne, des expositions imporlanies onl eu lieu. On y numéro-
tait : le Puddleur, le Porion, Dans la Miiie,k Grisou, le Souf-
fleur, la Hiercheuse, le Débardeur, l'Etude de cheval, ainsi que
des toiles où des sites borains élaient rendus : villages el ruelles
dévalantes, terris fumeux, processions de mineurs dans la nuit,
wagonnets à la file et à la chaîne reliant charbonnage à charbon-
nage, vues panoramiques de toits et d'usines, paysages damnés,
terrains stériles, ciels de cataclysmes et de fin de monde.
Jugeant la double expression d'art que Meunier a donnée à sa
pensée, on affirmerait, je crois,' avec exactitude, que sa peinture
fixe le milieu et l'atmosphère de sa sculpture. A les voir réunies,
cette impression se dégage nette.
***
Fixer les caractéristiques non plus sociales mais esthétiques de
cet art, paraît simple. A causer avec Meunier, on est surpris d'en-
tendre toujours le mol « caraclère » remplacer le mot « beauté ».
La forme doit être avant tout intense. Elle n'est réglemenlable par
aucun principe fixe, par aucune préoccupation de correction
froide ni de perfection absolue. Elle est inductive et non déduc-
tive. Elle atteint le type à travers l'individu; elle n'aboutit à la
synlhèse que lentement, par élimination prudente. Elle ne fait
point descendre, par déduction, toute . statue de femme d'une
idéale Vénus de Milo, ni toute statue d'homme d'un Apollon quel-
conque. Pétrir l'exagération pour réaliser plus vivement l'idée,
ne doit jamais être redouté. C'est en suivant une telle règle que
Meunier est arrivé à son but : donner l'expression esthétique du
travailleur nioderne, de même que les Grecs ont donné celle du
lutteur et du gymnaste. Eux aussi se sont guidés par des études
serrées, d'après nature et d'après la vie, bien plus que d'après le
modèle el d'après la pose.
L'émotion, non pas théâtrale, mais silencieuse el profonde, ré-
sulte fatalement d'une telle consciencieuse et patiente conception
d'an. Elle saisit devant chaque œuvre de Meunier. A preuve la
Glèbe et le Grisou. A preuve surloul le Christ. 0 la lamentable
loque de chair de souffrance.
Un autre sculpteur flamand, Georges Minne, peut revendiquer,
lui aussi, comme siens, de semblables sentiments de pitié el de
détresse. Mais tandis qu'il les incarne en des personnages de rêve,
en des êtres primitifs ou à natlre quelque part, là-bas, en dehors
de notre réalité, avec une telle puissance qu'il semble créer un
monde pour lui seul dont il donne la vision prodigieuse à quel-
ques-uns, Meunier se maintienl toujours, inébranlablemcnl, dans
la vie qu'on respire, qu'on subit et qu'on souffre. Il est celui qui
sculpte de vrais dos ployés, d'authentiques bras travaillant, de sin-
cères visages de drame et de misère. Ses personnages, il les con-
çoit et les profère d'ensemble, négligeant les détails, voyant leur
masse et la dressant, vivante. 11 a 60 ans el je ne sache aucun art
plus robuste et jeune que le sien.
E. \^^U
MUSICIENS D'ORCHESTRE
On sait qu'il n'est pas toujours aisé de conduire — au propre
cl au figuré — ces messieurs de l'orchestre. Un conflit s'est même
élevé, récemment, à l'Opéra de Paris, où la représentation d'une
œuvre nouvelle de M. Charpentier, la Vie d'un Poète, exigeait la
présence sur la scène d'une partie de l'orchestre. La direction eut
toutes les peines du monde à obtenir de ses musiciens qu'ils con-
senlissenl à quitter pour un soir ce que Wagner nommait « l'abîme
mystique », el il fallut que l'auteur intervînt personnellement el
leur adressai les plus instantes exhortations pour les décider à ce
sacrifice.
A ce propos, M. Georges Duval a publié, dans la Libre parole,
une amusante lettre au Ministre des Beaux-Arts, dans laquelle il
raille spirituellement les prétentions de ces messieurs. Comme ses
observations finement ironiques onl une portée générale, nous
croyons intéressant de la reproduire :
Monsieur le Ministre,
Il a été beaucoup question de nous, à propos de l'audition que
M. Bertrand a cru devoir donner, à l'Opéra, de la Vie d'un Poète,
de M. Charpentier. On nous reproche, en ce moment, d'avoir
protesté contre un supplément de besogne, contre la nécessité où
nous étions de jouer sur la scène, contre beaucoup de choses
encore; bref, d'y avoir mis toule la mauvaise volonté possible.
Ces reproches demandent des explications; ce sont elles que
nous venons vous fournir.
Monsieur le Minisire, on ignore généralement ce que c'est qu'un
musicien de l'orchestre, à l'Académie nationale de musique.
D'après une tradition, que nous avons à cœur de conserver, un
musicien de l'orchestre, qu'il frotte les cordes d'un violon, qu'il
souffle dans une flûte, qu'il élernue dans un ophycléide, qu'il
soupii"e dans un cor ou qu'il tape sur une timbale, est un homme
qui, en dehors des Huguenots, de Faust ou d'Hamlet, a le droit
de s'opposer à toute entreprise nouvelle.
Depuis quelque temps on nous a mis à une rude épreuve. Il a
fallu étudier LoftcH^nu, alors que nous avions tous /rt Favorite
au bout des doigts ou au boul des lèvres. Il a fallu apprendre la
partition de Tamara, quand il était si simple — si le directeur
avait soif de nouveauté — de remonter le Comte Ory. Il a fallu
piocher Salammbô, au lieu de faire une reprise de Si j'étais Roi,
par exemple, qui n'a jamais vu le feu de la rampe à l'Opéra, et
que nous exécuterions tous les yeux fermés. Bref, on nous con-
damne à des œuvres nouvelles dont nous ne connaissons pas la
première noie, el qu'il nous faut par conséquent apprendre. C'est
fatigant, c'est abusif, c'est insoutenable.
Nous devions, par semaine, trois fois quatre heures de musique
— de quatre heures, à quatre heures cinq — quatre heures dix,
les jours exceptionnels. On a inventé les soirées populaires.
Comme si ce supplément de fatigue n'était pas suffisanl, voilà
qu'on nous déloge de l'orchestre pour nous faire monter sur la
scène. Nous voulons bien qu'il ne soit pas humiliant de jouer sur
, des planches, mais ça dérange nos habitudes. Tel alto met sa laba-
'ijère à une place depuis dix-sept ans; tel trombone crache à une
aktre depuis quatorze; tel hautbois trouve son embouchure au
même endroit, depuis vingt-deux... Ça change, ça déroule, ça
confond, ça tue!
En présence de pareils faits, nous croyons devoir, Monsieui' le
Ministre, vous siipulor les conditions dans lesquelles nous enten-
dons jouer à J'avcnir, si vous ne voulez pas vous heurter à une
grève :
1» Nous ne jouerons que le lundi, le mercredi et le vendredi,
à moins que l'un de nous ail un dîner, un rendez-vous ou une
soirée, un de ces trois jours-Ib. En ce cas, on ferait un relâche
motivé;
2» Nous n'inlerprélcrpnsque des œuvrps du répertoire. M. Ber-
trand insislanl-, nous condescendrons peut-élr'e à nous attaquer
à de l'inédit, si toutefois il est facile à lire el n'exige pas plus
d'une répéiilion;
3" Si M. Bertrand veut al)so!umenl donner une seconde audi-
tion de la Vie d'un Poète, nous y assisterons, non comme musi-
ciens, mais comme auditeurs. Entre chaque partie on nous distri-
buera dos "rafraîchissements el des rubans violets. Après la
représentation, si l'on rappelle, c'est alors que nous monterons
peut-être sur la scène, pour saluer.
Tel est. Monsieur le Minisire, notre dernier mot.
Nous vous l'envoyons avec l'assurance de notre dévouement
à l'arL
L'Orchestre de l'Opéra..
Pour copie conforme :
Georges Duval.
j!]1hronique judiciaire de? ^RT?
Les biscuits Olibet et M»« Bonnet.
Le tribunal de commerce de la Seine a été saisi dernièrement
d'une affaire assez curieuse relativement au droit que chacun pos-
sède d'empêcher qu'on expose ses traits, son visage, sans en avoi
sollicité l'iiulorisalion.
La Soiiélé des biscuits Olibet avait reproduit sur des annonces
et sur des cartes-réclames, le portrait de M"« Emma Bonnet,
une fort jolie actrice du Théâtre du Palais-Royal, d'après une
photographie de Nadar. Le dessinateur avait placé dans la main
de M"* Bonnet un biscuit Olibet qu'elle paraissait présenter au
public, pour l'invitera y goûter.
M"* Bonnet, qui n'avait pas autorisé celte exhibition, a assigné
la Société des biscuits Olibet en paiement de cinquante mïlle
francs de dommages-intérêts, remboursement des frais exposés
par elle pour obtenir saisie du dessin incriminé el insertion du
jugement à intervenir dalis cinq journaux à son choix.
Le jugement, adoptant le princjpe que le portrait d'une per-
sonne ne peut être reproduit el exposé sans son consentement,
donne gain de cause b la bcl!e comédienne, mais il restreint, par
des considérants malicieusement motivés, aux frais du procès et à
la publication de la décision dans Iroisjournaux de Paris (à cin-
quante francs Tinseriion, et non pas à mille, comme dans l'affaire
Drumoni) la réparation allouée à la demanderesse.
La bonne foi du directeur de la Société Olibet, qui ne. connais-
sait pas M"" Bonnet et avait mis en circulation une composition
qu'il croyait c< idéale el neuve », est le motif principal d'atténuation
admis par les juges consulaires. El, d'autre part, ce fait que « les
conditions d'art el de milieu dans lesquelles s'est opérée celle
diffusion ne sauraient avoir causé préjudice à M"* Bonnet, faisant
profession de se soumettre sur la scène à l'appréciation du public
et, dès lors, point ennemie d'une intelligente réclame ».
Eh! mais, plus n'est besoin de faire venir des juges de Berlin,
comme on le propose dans la Chambre à deux lits .'
Petite chro|<iique
L'Etat vient d'acheter au peintre Jef Leempoeis son tableau
Vimn d'un enfant, qui a figuré à l'exposition particulière de ses
œuvres.
On annonce la prochaine apparition de : Le Drapeau, revue
littéraire el artistique dos jeunes catholiques.
Rédacteur en chef : Firmin Van den Bosch. Collaborateurs-fon-
dateurs : Maurice Bekaçrt, Edgnrd Bonnehill, Henry Carton de
Wiarl, Victor Denyn, Maurice Dullaert, Albert Dutry, PaulGérardy.
Voici le programme de celte nouvelle revue :
« Le Drapeau a l'ambition d'êlrc une revue catholique el
moderne.
Son programme est celui défendu au Congrès de Matines par le
groupe de ses fondateurs : allier aurespect du dogme et de la
morale, un très large éclectisme de formes littéraires et artisliqueù.
Los rédacteurs du Drapeau, sans méconnaître les conquêtes
artistiques du passé, ne dissimulent point leur admiration enthou-
siaste et franche pour les formes d'art de ce temps ; ils ont la fierté
des choses et des hommes de leur siècle!
Le Drapeau est avant tout un journal de combat : c'est dire
que la polémique littéraire el la critique artistique y occuperont
une grande place; les choses d'imagination, poésies el nouvelles,
ne soroni pas négligées; el chaque numéro, à côté d'un bulletin
bibliographique très soigné, contiendra des Chroniques universi-
taires, suivant de près le mouvement litiéraire et artistique parmi
les différents groupements d'étudiants belges.
Fondé par dos jeunes ol pour des jeunes, le Drapeau sera
accueillant à tous les débutants de la plume.
C'est à eux — ceux des générations nouvelles de plus en plus
libérées des routines séculaires — que nous confions le succès et
l'avenir de notre œuvre.
Parmi les anciens nous comptons, pour nous soutenir el nous
appuyer, sur tous ceux qui esliment que le devoir de la jeunesse
caiho.ique est de se mêler de vaillance et d'aulorité, aux luttes
d'art de son temps — de ne pas s'attacher à marquer le pas devant
les vieilles citadelles qui s'effritent, mais de marcher hardiment
vers les aurores nouvelles !
Les articles du Drapeau seront signés el n'engageront que la
responsabilité individuelle de leur auteur.
Le Drapeau paraîtra mensuellement — à partir du l" novem-
bre prochain.
^ L'abonnement est de quatre francs par an. Ceux qui dé.sirent
s'abonner son priés de nous envoyer leur adhésion Je plus tôt
possible.
Le montant de l'abonnement ne sera réclamé qu'après l'appa-
rition du premier numéro.
Tout ce qui regarde la rédaction doit être adressé rue Guinard,
2,àGand. _^_ G^^WJ
Instantané d'HENRi Lavedan, que le récent succès du Prince
d'A urec au Vaudeville a mis en évidence :
Des joues pleines, peu colorées, qui se perdent en une barbe
soigneusement taillée. La figure ronde, placide d'un homme qui
lient à passer inaperçu, qui écoute et regarde les choses de la vie
en s'y mêlant le moins qu'il le peut. Les yeux gris au regard aigu,
furelëurs, où par instants pétille on ne sait quelle gouaille nar-
quoise. La bouche plissée, souriante, toujours prêle h décocher
quelque phrase qui emporte le morceau. Soigne sa tenue et ses
cravates autant que son style. A l'allure menue, la voix onctueuse
coupée des saccades d'un rire artificiel, les gestes enveloppants
du collectionneur qui poursuit sans cesse son enquête, épingle
dos souvenirs et des documents dans son cerveau, travaille en
ayant l'apparence de badauder. Quoique n'ayant guère dépassé la
trentaine, s'est fait déjà une place entre les meilleures dans la
littérature. Tient à la fois de Meilhac dont il a le parisianisme
el la verve cinglante, de Maupassant dont il possède la forme pré-
cise et claire, le dialogue qui va droit au but et qui sent la vérité.
L'auteur de petits romans d'une exquise ironie et d'une pénétrante
émotion amoureuse, et de livres où l'on revoit comme en des
Guignols toutes les marionnettes de la Comédie d'aujourd'hui.
Signe particulier : Met un véritable diletlanlismè à prouver qu'en
littérature les fils ne s'orientent pas toujours sur leurs pères.
[GilBlas.)
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Douzième année. — N° 35.
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 28 Août 189^.
L'ART MODEÉÉ
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Comité de rédaction t Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00 —ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser toutes les communications à
l'administration générale de TArt Moderne, rue de Plndustrie, 32, Bruxelles.
^OMMAIRE
Ta-ra-ra-boom-de-ay ! — Conférence de M. Henry van de Velde.
— Le poète, Essai par R.-W. Emerson (Suite). — Littérature
REPORTIÈRE. — AcCUSÉS DK RÉCEPTION. — PETITE CHRONIQUE.
TA-RA-RA^BOOM-DE-AY !
A Miss Lottie Collins.
P
Ilfracombe (Devonshire), 18 août 1892.
Vous ne vous doutiez pas; Mademoiselle, quand, en
robe très souple couleur de feu, coiffée du traditionnel
Gainsborough, chaussée de bas verts et de menus escar-
pins vernis, vous lançâtes, en ce modeste Music Hall
d'Islington, votre joyeux Ta-ra-ra-hoom-de-ay , que
les six millions d'Anglais qui peuplent Londres, et
après eux tous les Anglais de toute l'Angleterre, et les
Anglais des colonies, et les innombrables Anglais qui
remplissent les cinq parties du monde répéteraient le
refrain en chœur jusqu'à en affoler l'univers.
Savez-vous bien qiie vous avez désem morose votre
patrie? Que le spleen, le clî^ssique spleen qui, l'hiver,
chasse vos compatriotes vers les plages de la Méditerranée
et l'été vers les clairs lacs de la Suisse, s'en est allé, tué
par le rythme sautillant que vous avez insinué, de gré
ou de force, dans la mémoire de tous? Il fait très gai on
Angleterre, grâce à vous, Mad^moiselle,,.et les Salva-
tionnistes eux-mêmes, dont la fanfare trouble seule la
quiétude du dimanche anglais, ont renforcé leur réper-
toire de motife plus entraînants que ceux que M. Rosny
leur fit jouer dans Néll Horn au Théâtre-Libre.
Déjà les gens tristes commencent à passer la Manche
pour aller se divertir parmi les électeurs de M. Glad-
stone. Bref, Mademoiselle, vous avez mérité qu'on vous
élève, sur une colonne, à côté de celle de l'amiral
Nelson, en plein Trafalgar Square, une belle statue de
bronze. Puisqu'on songe, de l'autre côté du détroit,, à
béatifier la Pucelle pour avoir donné jadis du fil à
retordre à vos compatriotes, il n'est que juste qu'on
honore de ce côté la Jeanne d'Arc qui dota son pays de
cette qualité prise à la France : la gaîté.
En attendant, votre Ta-ra-rahoom est en train de
détrôner l'austère God save the Qiceen, et d'innom-
brables Julien Tiersot préparent dès à présent l'histoire
détaillée, avec documents à l'appui, de ce nouveau chant
national infiniment plus amusant que l'autre, d'ailleurs,
et qui bouleverse le caractère, les mœurs, l'esprit et
jusqu'à l'esthétique des Anglais.
Je m'en suis aperçu dès que j'eus posé le pied sur ce
morceau d'Angleterre qui est le bateau de Calais à
Douvres. Vous avez dû faire la traversée de la Manche,
i-
r\
274
VART MODERNE
Mademoiselle, et remarquer que les passagers sont
généralement muets, mélancoliques, résignés aux
caprices du tangage et du roulis. Or, le l" août der-
nier, j'avais à peine eu le temps d'installer ma valise
sur le pont du steamboat et d'allumer la cigarette des
gens crânes, étrangers aux horreurs du mal de mer (ce
qui donne tout de suite une bonne opinion de soi aux
compagnons que lé hasard vous octroie), que je constatai
la bonne humeur inaccoutumée qui régnait à bord. Une
belle fille brune, les yeux fendus en amande, les lèvres
un peu trop rouges pour être dénuées de tout artifice et
qui montrait volontiers l'émail de ses denfs, chantait à
pleine voix, renversée dans un rocking-chair, l'air que
vous avez mis à la mode, Mademoiselle, et que 'murmu-
raient avec elle, en sourdine, les passagers, le capitaine,
et jusqu'au stewart. Les éclats de rire de la jolie fille,
l'incident d'un chapeau envolé par-dessus les bastingages
coupèrent le motif, mais bientôt après le Ta-ra-ra
reprit, à l'avant, gazouillé en chœur par cinq ou six
jeunes femmes qui revenaient d'une tournée théâtrale
sur le continent, les malles pleines des prodigieux cos-
tumes d'un Carmen up-to-data. C'était charmant,
quoique le refrain me parût répété avec beaucoup
d'insistance.
Entre Douvres et Londres, j'eus quelque répit, occa-
sionné par ce fait que la London Chatham and Dover
Railway Company}, ayec l'extrême courtoisie qu'elle
témoigne aux pressmen, m'avait réservé un comparti-
ment (et je remercie ici spécialement l'aimable représen-
tant de la Compagnie, M. DeRuette, et [eright honorable
secrétaire, M. John Morgan, des multiples attentions
dont j'ai été l'objet de leur part).
Je pus donc, en toute quiétude, voir fuir les verts
paysages du comté de Kent et suivre, sans obsession,
l'itinéraire intéressant qu'a publié de ce voyage M. De
Ruette. Mais j'étais à peine débarqué à Victoria que le
Ta-ra-ra-hoom s'insinuait, pleuré très doucement par
un orgue lointain, dans le handsomeoùj'avais pris place.
^ Sous les fenêtres du Private Hôtel où j'ai coutume
de descendre, dans une rue paisible dont rien ne trouble
d'habitude le silence, un piano mécanique égrenait le
carillon de votre mélodie. Mademoiselle, et les gamins du
voisinage lui faisaient un très joyeux accompagnement.
Le soir, à l'Alhambra, où l'on donnait deux ballets,
Don Juan et On the ice, représentés avec le luxe extra-
ordinaire de costumes et de décors dont les Anglais ont
le monopole, j'écoutai de la musique gaie qui me fit
oublier votre chanson. L'entrée en scène d'une compa-
gnie de quakers et de quakeresses armés de bibles et
vêtus de longs vêtements sombres me fit craindre un
moment que l'orchestre retombât dans les tonalités dont
heureusement vous l'avez fait sortir. Ah! bien ouil
Savez-vous ce que j'entendis, hurlé par les trombones,
mugi par les clarinettes, sifflé avec rage par les haut-
bois et les flûtes, tandis que la grosse caisse et les cym-
bales scandaient le chahut soudain des quakers et des
quakeresses? Ta-ra-ra-boom-de-ay ! Ta-ra-rabooni-
de-ayl Et la salle, transportée, bissa le morceau !
Au Crystal- Palace, je me drus débarrassé de votre
souvenir, infiniment agréable, mais qui tournait à la
hantise. J'avais vu des éléphants manger dans des
assiettes, la serviette au cou, comme des personnes bien
élevées, j'avais entendu une fugue de Bach et un air
varié de Haehdel joués sur le grand orgue aux 4,500
tuyaux, lorsqu'une détonation annonça le commencement
du feu d'artifice. Rien n'est plus beau que les feux d'arti-
fice de Sydenham, et Whistler, on le sait, s'en est inspiré
dans quelques-uns de ses prestigieux " nocturnes - . La
silhouette du peintre des Hat^monies commençait à se
dessiner nettement dans ma mémoire, tandis que je sui-
vais béatement, avec l'émerveillement d'un stiob, les fu-
sées sifflantes épanouies en myriades d'étoiles couleur
d'améthyste, d'émeraude, d'aigue-marine, et les bombes
éclairant subitement tout un pan du ciel, et l'embrase-
ment des gigantesques pièces d'artifice simulant des abor-
dages de navires ou le portrait de la reine Victoria,
lorsqu'un crépitement soudain mit le feu à une figure
de grandes dimensions que je reconnus bien vite. Elle
avait une robe couleur de feu, — celle que vous portiez
à Islington, — et des bas vert Nil, — vos bas, miss
Lottie, — et un Gainsborough empanaché de plumes
blanches, — celui que vous avez rendu populaire. Et
tandis qu'un mécanisme ingénieux mettait la figure en
mouvement, lui faisait lever la jambe et renverser le
buste, une fanfare dissimulée dans les bosquets des
féeriques jardins entonnait l'inévitable Ta-ra-ra-boom-
de-ay, salué par lés hourras de dix mille spectateurs.
Partout, à l'Olympia où des mandolinistes italiens
fredonnent votre chanson sur les ponts d'une Venise en
carton et en toile, dans le va-et-vient des gondoles
glissant sur de vrais canaux sous l'œil paternel de pla-
cides carabinieri, à l'Exposition d'horticulture où les
musiciens des grenadiers de la garde ajoutent à Téblouis-
sement des illuminations la note écarlate de leurs uni-
formes, à l'hippodrome d'Earl's Court où Buff'alo Bill
déchaîne les fantasias de ses peaux-rouges, de ses cosa-
ques et de ses cow-boys, aux concerts du Pavillon et de
TTivoli, c'est vous qui triomphez, Mademoiselle, et votre
refrain bourdonne aux oreilles tandis que votre photo-
graphie, tirée à des milliers d'exemplaires, arrête les
regards à toutes les vitrines.
Je vous avoue que malgré tout le plaisir que j'éprouvai
à entendre la mélodie que vous avez rendu célèbre,
celle-ci devenait pour moi une sorte de cauchemar dont
je ressentais le pressant besoin de fuir l'épouvante.
J'essayai d'une cure aux bains de mer. Hélas ! à Rams-
gate, tous les pianos des villas envoyaient aux passants,
par les fenêtres ouvertes, en effluves fatales : Ta-ra-
/
ra-boom-de-ay ! Tarara-boom-de-ayl A Margate,
une musique militaire installée sur la plage, dans le
désordre des cabines, rythmait la farandole des bambins
à la cadence du nouveau chant patriotique. A West-
gate même; en cette villégiature aristocratique et calme,
n'ai-je pas entendu les jeunes misses çfui revenaient dé-
votement de l'office, le livre saint au bras, susurrer
d'une voix flûtée : A smart and stylish girl you
see..., tandis que l'harmonium de la chapelle du Sau-
veur exhalait ses dernières plaintes, mêlées à'Ja voix de
la mer?
Il fallait trouver autre chose, ou nî'exiler. Une invi-
tation à assister, dans le Somerset, à l'ouverture des
chasses à courre me parut une diversion salutaire.
Et le Flying Dutchman, l'admirable express du Great
Western Railway, qui est bien, je pense, le train
le plus rapide et le plus agréable du monde, m'em-
porta à Dulverton, dans la fraîcheur des bois, au con-
fluent de la Barle et de l'Exe, deux cours d'eau rapides
et glacés, aimés des loutres. Ce fut, durant quelques
jours, un repos délicieux. Il y avait peu de monde à
l'auberge du Red Lion, et l'on n'y faisait point de
musique. D'un antique piano en forme de scriban, ou-
vert par précaution, s'échappèrent des sons si cassés, si
vagissants, si lamentables, que ce me fut une joie de pen-
ser qu'aucune miss ne pourrait extraire de l'instrument
— qu'eût-elle joué d'autre? — votre Ta-ra-ra-hoom-
de-ay.
Au meeting de Cloutsham, parmi les bruyères d'Ex-
moor déroulées à l'infini jusqu'à la baie de Porlock et
qui font de cette partie du Somerset la contrée préférée
des stag huniers, il y eut un déploiement superbe de che-
vaux, de piqueurs, de chiens tricolores. Trois à quatre
cents cavaliers d'une correction impeccable, une foule
d'amazones en habit de cheval écourté, en bottes jaunes,
un militer de curieux accourus de vingt milles à la
ronde en coach, en dog-car, en char-à-bancs. Un pic-
nic monstre, éclairé par un soleil radieux qui faisait
scintiller la mer et onduler en vagues d'or les champs
de colza. On mena la bête bon train, par les vais, par
les monts, sur les plateaux dénudés et dans les forêts
de chênes qui lui servent de remise. Et j'étais bien loin
de songer à vous, miss Collins, lorsqu'au retour, —
fatalité! — sur la route d'Exford à Dulverton, tandis
que dévalait au petit trot le long cortège des voitures,
des chevaux de chasse, de la meute, des veneurs en
habit rouge, des four-in-hands, un imprudent sifflotta,
oh ! très innocemment, comme un gazouillement de fau-
vette, les premières notes de l'air que vous savez. Cela
gagna de proche en proche, sauta de voiture en voiture,
et bientôt le rythme infernal se vrilla dans les oreilles
pour n'en plus sortir.
Le charme étant rompu, je m'enfuis jusqu'à l'extré-
mité àxjiOreat Western, dans les rochers géants d'Ilfra^
combe, gloire du North Devonshire, d'où les coaches et
les steamers emmènent les touristes sur des plages déli-
cieuses, à Barnstaple sur la Taw, à Bideford sur la
Torridge, à Corabemartin, à Lynton, à Lynmouth, à
Clovelly , à Westward-Ho. On voit dans des villages jolis
comme des jouets des églises gothiques drapées de lierre,
des cottages tapissés de roses et de clématites, de mi-
gnonnes auberges où l'on •voudrait passer sa vie. On
côtoie, au galop des quatre chevaux du coach, des pré-
cipices affreux au fond desquels les vagues déferlent en
panaches éblouissants. On descend dans des criques sau-
vages, accessibles à marée basse seulement, où l'on pé-
nètre dans des grottes creusées par les flots, emplies
d'algues et de coquilles. Et ce sont partout des falaises
de six cents pieds, des vallées de rochers menaçants,
des vallons boisés traversés par un torrent qui roule des
pierres moussues et se jette avec fracas dans la mer.
Mais... mais à Ilfracombe, comme à Lynton, comme
à Bideford, comme partout, on entend chanter dans les
rues, aux carrefours, sur les routes, dans les maisons,
sur les rochers, au haut des coaches et sur le pont des
bateaux votre Ta-ra-ra-boom-de-ay!...
Il faut en prendre son parti et renoncer à échapper
au monstre. A Clovelly, cette curieuse échelle de pierre
taillée dans une anfractuosité du roc et dont chaque
degré porte, hélas ! au moins une water-colouriste et
un photographe, votre air. Mademoiselle, est chanté
devant les auberges, avec accompagnement de harpe et
de guitare, par des musiciens qui n'ont pas honte de
transformer en guinguette ce joli coin de nature qu'on
eût dû, comme certaine partie de la forêt de Fontaine-
bleau, réserver aux artistes.
Pourtant j'ai découvert une parcelle du territoire
britannique où le Ta-ra-ra-boom paraît inconnu, où, du
moins, il ne sévit pas à l'é^taigu. C'est l'Ile de Lundy,
un bout de terre dont la superficie ne dépasse guère
trois ou quati'e milles dans sa plus grande étendue, et
qui porte, défendus par une ceinture de rochers aux
silhouettes hargneuses, un phare, un sémaphore, une
chapelle- en zinc cannelé et -quelques maisonnettes de
cultivateurs. Des pâturages continuellement balayés par
le vent du large, de petits champs clôturés de murs en
pierres sèches, un semblant de rivage où, de temps à
autre, un steamer débarque quelques touristes qui se
hâtent de remonter à bord pour fuir cette grève désolée,
et c'est tout.
Dans cette île, Mademoiselle, j'ai vécu tout un jour
sans entendre chanter A smart and stylish girl. En-
core ne suis-je pas bien certain de n'avoir pas perçu,
dans la grosse voix de la mer, qui battait les falaises à
intervalles inégaux, les premières mesures de votre
chant de victoire. Mais ce ne pouvait être qu'une
illusion. J'ai béni l'Ile de Lundy pour la trêve qu'elle
m'a accordée, et me voici prêt à réécouter, claironné
par les trompes des coachmen ou gratté sur les banjos
des minstrels, le triomphant pas-redoublé qui a secoué
l'Angleterre d'un frisson de joie et qui vous a valu,
Mademoiselle, une célébrité dont l'éclat ternit irrévo-
cablement celle du grand Paulus et de la plus fêtée
des Yvette.
Quand leLondoti-Chatham-Dover m'aura transporté
au delà du détroit et remis en terre française, je regret-
terai peut-être de ne plus avoir, pour bercer mes
pensées, votre rythme populaire et la nostalgie du Ta-
ra-ra-boom me ramènera quelque jour par ici. Pourvu
qu'alors votre gloire ne se soit pas évanouie. Mademoi-
selle, comme toutes les gloires trop rapidement acquises,
et que la prude Angleterre ne soit retombée à la sévérité
des cantiques, à l'austérité pompeuse des oratorios.
CONFÉRENCE DE M. HENRY VAN DE VELDE
M. Henry van de Velde, membre des XX, a donné loul récem-
menl, au Kunslkring de La Haye, une conférence sur « le paysan
en peinlure ». Quelques mois sur celte intéressante conférence,
— contenions-nous d'esquisser la suite des idées.
Après les naïfs et immaculés gothiques, les toujours inappréciés
primitifs aux sereines paroles de foi, après cet art dont le style
exprimait les plus pures et les plus blanches pensées célestes, on
a peint le paysan, — modèle de scandaleuse ivrognerie, celui de
Pierre Breughel ; la farce soûle, après le chaste monde enfantin
des légendes de septième ciel, — Breughel, aax paysans carrés
et pesants, déformés, de largèF et plates létes enfoncées entre des
épaules tnal équarries. Naguère, il est vrai, étaient arrivées
d'Allemagne de petites gravures de Uaps Sebald Beham, licen-
cieuses images regardées en secret, qui pourtant seraient les
germes de la transformation picturale. Nais l'art de Breughel fut
le premier éclat de rire après la grande époque d'austérité sainte,
l'odeur de fumier après l'encens, la victoire des brutalités nues,
la réalité après la pensée, l'épopée de la joie animale après les
calmes litanies.
Et après lui, Steen, Teniers, Ostade : après un art de joyeuse
observation, la tendance maintenant à ridicaliser; le paysan non
plus comme bon vivant de primitive lourdeur, mais sa caricature,
le trapu et maladroit et difforme compère. Le grand Breughel,
qui le premier prit la réalité comme prétexte direct d'art; qui le
premier voulut ce contrepoids devenu nécessaire, maintenant
que les penchants religieux n'étaient plus aussi intenses ni aussi
élevés, réduits en peinture à une simple convention, faible sillage
des hauts songes de pureté; Pierre Breughel, avec toute sa pléiade
de disciples : Droogsloot, Bloot, Teniers et beaucoup d'autres,
petits et grands, mais n'alleighant point sa grandeur à lui. Tous
ont été la cause inconsciente de cet art risiblemenl faux, où
le paysan n'est plus que quelque figé morceau de sentimentalité,
se mouvant en des paysages de dessus de boîte à chocolat, à
l'odeur de renfermé et de savonnade.
Les peintres du xvm« siècle avaient vu les tableaux de leurs
prédécesseurs, en leur cerveau s'était formée celle conception que
le sort du paysan était un don du ciel, sa vie une longue roule
de plaisirs d'une kermesse à l'autre', un tourbillon de folies, de
jeux et d'ivresses, de la paresse et la possession de nombreuses
femmes. ,
El Watteau et Boucher et Fragonard, ils ne connaissaient pas
les paysans, mais l'idée qu'ils s'en étaient faite d'après les peintres
antérieurs, ils l'avaient parée de leurs propres habitudes, et se les
figuraient comme de tendres bellSlres, paissant, en des prés d'un
vert léger, de coquettes brebis, — tels d'innocents petits ballots
d'ouate fine, — el les bergers et les bergères, assis ensemble
comme de fragiles joujoux d'étagère, ^s'enseignaient à jouer de la
flùte. Nouveau monde de paysans fixé sur la toile par des courti-
sans parfumés.
Mais les paysans que Steen avait figuré en leur ivrognerie, et
qui rêvaient en le paradis de Watteau, se réveillèrent, et ce fut Mil-
let qui derechef les vit comme de grandes silhouettes debout en
d'infinis labourages, travaillant le sol revêche, depuis le matin
froid jusqu'aux heures tardives et harassées du soir.
Millet a fait du paysan l'homme de la terre, vivant de la terre,
le front comme un champ labouré, les babils couleur de terre, —
le pacanl robuste el fauve, avec beaucoup de superstition dans la
léte, parce que vivant journellement avec du grandiose que son
esprit ne peut embrasser, — le paysan redevenu avec Millet le
peineur, la brute.
Mais ce que Millet — sorte d'incarnation divine du paysan,
paysan lui-même, mais intellectuellement et artistiquement
beaucoup plus haut placé — ce que Millel avait produit de si
merveilleusement sincère el largement compris, de si simple et
nouveau, servit de modèle à d'aulres.
Baslien-Lepage, une édition mondaine de Millet, vil le paysan
à travers des lunettes de citadin, pholographiquement exact,
avant tout non rebutant, el un peu sentimental, — tout
comme ces autres, les Breton et les L'Hermitte, confectionnèrent
une vie paysanne tout juste à la mesure de ceux qui n'ont jamais
lu Balzac el se signent au seul nom de Zola.
El après eux, à notre époque, Camille Pissarro, qui a rendu
l'existence du paysan moderne, débarrassée des dramatisations
épiques de Millet, Pissarro qui a figuré les occupations des terriens
en leur simplicité et leur humilité, Pissarro que Van de Velde
estime le plus grand.
De Breughel & Pissarro, tout ce trajet pas à pas suivi, avec des
détails beaux et émus ; émue surtout l'admiration de van de
Velde pour Millet, qu'un immédiat parallèle avec Camille Pissarro
semblerait contredire pourtant.
Millet n'était pas un impressionniste en ce sens qu'il rendait la
nature avec des détails psychologiques et documentaires, car il
poursuivait moins la réalité que l'harmonie. Il était plutôt poète.
Il n'y a entre lui el Pissarro aucune comparaison possible, et l'on
peut imputer aux préoccupations actuelles de van de Velde lui-
même la supériorité qu'il allribup à Pissarro sur Millet. C'est là un
caprice. Van de Velde est néo-impressionniste; on comprendra donc
qu'il prise surtout le rendu le plus pur et le plus intense d'une
impression de nature.
Mais son admiration pour l'art symbolique pourrait bien — en
un temps très proche — le faire changer d'idée, le pousser à ne
plus considérer comme seule expression d'art le Réalisme; la
grande admiration que je lui connais pour les gothiques, en est
une garantie.
« Les folles chevelures de chaume de jadis sont les belles tuiles
de sang d'aujourd'hui ; elles recuisent au soleil leur belle couleur
rouge qui éclaie et qui crie si fort qu'elle peut crier, tenaillt^e par
son complément le vert, le vert qui exulte, qui l'attendait moro-
sément depuis toujours comme une fiancée promise. »
Nous comprenons que celui qui a écrit celte phrase, trouve
Pissarro très grand, car ses vœux sont de même nuance.
Mais qu'importe cette comparaison qntre Millet et Pissaro ; repro-
cher à Millet son côté romantique? Non; nous voulons reconnaître
grands et Millet et Pissarro; nous sommes heureux qu'ils aient été
ainsi, aussi différents, nous donnant deux expressions d'art élevé.
Mais il n'importe que l'on aille maintenant retourner en tous sens
.ces deux artistes si hautement honorés, pour savoir lequel des
deux a le plus lourd biceps, alors que l'un n'a jamais fait tout ce
qu'il pouvait pour avoir un lourd biceps.
«
Henry van de Velde a fait œuvre excellente en nous don-
nant cette lecture ; car, outre l'intérêt de pareille conférence,
elle a prouvé que des peintres parfois peuvent bien faire autre
chose que peindre, ce qui précisément n'est pas mauvais à celle
époque où l'on trouve fort drôle — ici, en Hollande — qu'ils
veuillent aussi amplement que possible « argumenter pour l'art ».
Et cela, puisque l'art de l'avenir sera avant tout : un art soli-
dement basé sur un large développement intellectuel ; que les
artistes seront des philosophes et des hommes de science, et que
celte base intellectuelle, grâce à leur sensation artistique plus
intense, sera la féconde terre nourricière ofi fleurira la prestigieuse
fleur de notre Art jeune.
Roland Holst
LE POÈTE
(1)
(Traduction inédite.)
Le signe auquel on reconnaît le poète est celui-ci : il annonce
ce que personne n'a prédit avant lui.*Il est le seul vrai savant; il
sait, il dit; lui seul nous apprend du nouveau, car il était seul
présent aux manifestations intimes des choses qu'il décrit. C'est
un contemplateur d'idées ; il énonce les choses qui existent de
toute nécessité comme les x|ioses éventuelles. Car je ne parle pas
ici des hommes qui ont un talent poétique ou qui ont une cer-
taine adresse pour assembler les rimes, mais bien du véritable
poêle. J'ai pris part dernièrement à une conversation sur l'nuteur
de certaines poésies lyriques contemporaines; homme à l'esprit
subtil, dont la tète semble être une boîte à musique pleine de
rythmes et de sons charmants et délicats; nous ne pouvions assez
louer sa maîtrise de la langue. Mais quand il fallut décider s'il
était non seulement un lyrique mais encore un poète, nous
fûmes obligés de confesser que cet homme durerait quelques
jours, que ce n'était pas un homme éternel 11 ne dépasse pas la
limite ordinaire de noire horizon. Ce n'est pas un mont gigan-
tesque dont les pieds sonl couverts d'une flore tropicale et que
tous les climats du globe enlourcnl successivement de leur végé-
tation, faisant à ses flancs rugueux une ceinture d'herbes de
toutes les latitudes; non, son génie est le jardin ou le parc d'une
maison moderne, orné de fontaines et de statues, et rempli de
(1) Suite. Voir notre dernier numéro.
gens bien élevés. Nous discernons, sous l'harmonie de celle
musique variée, le Ion dominant de la vie conventionnelle. Nos
poètes sonl des hommes de talent qui chantent, ils iic sont pas
les enfants de la musique. Pour eux la pensée est chose secon-
daire, le fini; la ciselure des vers est le principal.
Car ce ne sont pas les rylhmes, mais la pensée, créatrice du
rythme, qui fait le poème ; une pensée si passionnée, si vivante,
que, comme l'esprit d'une plante ou d'un animal, elle a une
architecture qui lui est propre, elle orne la nature d'une chose
nouvelle. Dans l'ordre du temps, la pensée et sa forme sont égaies,
dans l'ordre génésique, la pensée a précédé la forme. Le poète a
une pensée neuve; il a une nouvelle expérience à développer; il
nous dira quels chemins il a parcourus et il enrichira les hommes
de ses découvertes. Car chaque période nouvelle demande une
nouvelle confession, un autre mode d'expression et le monde
semble toujours attendre son poète. Je me souviens de l'émoiion
que j'ai eue étant jeune, en entendant dire que le génie avait ins-
piré mon voisin de table, un jeune homme. Il avait quitté son
, ouvrage et s'en était allé, errant, nul ne savait où; il avait écrit
des centaines de lignes, mais il ne pouvait pas dire si elles expri-
maient ce qui était en lui; il ne pouvait rien dire, sinon que tout
était changé, homme, bote, ciel, terre et mer. Que nous étions
heureux de l'écouler! Que nous étions crédules! il nous sem-
blait que la Société était désormais comprise. Nous voyions l'au-
rore d'un astre qui allait éteindre toutes les étoiles. Boston nous
paraissait deux fois plus loin de nous qu'il rie le paraissait le jour
précédent; bien plus loin encore qu'était Rome? Pluiarque et
Shakespeare étaient parmi les feuilles mortes, et on n'entendait
plus jamais parler d'Homère. C'est une grande chose de penser
que de la yraie poésie a été écrite aujourd'hui, près de vous, sous
votre toit. Comment ! cet esprit merveilleux de la poésie n'est pas
mort! Ces moments qui nous paraissaient pétrifiés depuis si
longtemps sont au contraire animés et étincelanls ! Je croyais que
tous les oracles étaient devenus à jamais silencieux, mais la
nature répand ses feux et voyez! toute la nuit ces belles aurores
ont jailli de tous ses pores. Tout le monde est quelque peu inté-
ressé à l'avènement d'un poêle et nul né sait comijren il peut en
profiler. Nous savons que le secret du monde est profond ; mais
quel homme, quelleKchose sera notre interprète, nous ne le savons
pas. Une promenade dans la montagne, un nouveau type de
figure, une personne encore inconnue peuvent nous donner la
clef cherchée. Il va sans dire que la valeur qu'un génie a pour
nous, gît dans la sincérité de ses interprétations. Le talent peut
folâtrer et jongler; le génie réalise et ajoute. L'humanité pensante
est arrivée à ce point de connaissance d'elle-même, que l'éclai-
reur le plus avancé annonce ce qu'il a découvert.
Il dit la parole la plus vraie — entre toutes les paroles qui ont
été prononcées — et sa phrase sera la plus opportune, la plus
musicale, la plus infaillible des voix de la terre à ce moment.
' Tout ce que nous appelons de l'histoire sainte atteste que la
naissance d'un poète est le principal événement de la chronologie.
L'homme, si souvent déçu pourtant, attend toujours l'arrivée d'un
Frère qui puisse l'attacher à une vérité et l'y maintenir jusqu'à ce
qu'il se la soit appropriée. Avec quellejoie je commence un poème
où j'espère trouver de l'inspiration !
Mes chaînes vont se briser; je monterai plus haut que ces
nuages, que cet air opaque dans lequel je vis, — opaque bien
qu'il semble transparent, — et du haut du ciel de la vérité, je
verrai, je comprendrai tout ce qui m'entoure, tout ce qui se rat-
^
J'
lâche à moi. Cela me réconciliera avec la vie, cela renouvellera
ma nialurc, de voir lous ces rions animés par une tendance," el de
savoir ce que je fais. La vie ne sera plus un vain bruit; doréna-
vant je reconnaîtrai les vrais hommes, les vraies femmes, je sau-
rai par quels signes je puis les distinguer des fous el des
méchants. Ce jour vaudra mieux que celui de ma naissance : alors
je devins un animal ; aujourd'hui je suis invité- b goûter de I?
science du réel. — Tel est du moins mon espoir, mais que de
fois la réalisation en est postposée !
Il arrive le plus souvent que cet esprit ailé qui voudrait m'en-
Iraîner jusqu'aux cieux, m'entraîne dans le brouillard et saute
avec moi d'un nuage sur l'autre, affirmant toujours qu'il se dirige
vers le ciel ; el moi étant encore novice, je suis lent à m'aperce-
voir qu'il ne le connaît pas, ce chemin du ciel, et qu'il s'attache
seulemenl à m'exhiber son adresse à s'élever dans les airs, tout
comme un- oison ou un poisson volant, fier de s'élever un peu
au-dessus de lerre; mais cet homme n'habitera jamais l'air
transparent, translucide et nourrissant du ciel. Je retombe bientôt
dans mes vieilles manies, je mène comme par [e passé une vie
remplie d'exagérations, et j'ai perdu ma foi dans la possibilité
de trouver un guide pour me conduire où je voudrais être.
{A continuer.)
LITTÉRATURE REPORTIÈRE
Savoureux ce morceau de style journalistique. Oh! cette mer
qui devient un vaisseau qui se change en champ de bataille!
LE THÉÂTRE EN GESTATION
Les répétitions.
Au silence léthargique suspendu aux rayons d'or qui percent
comme des traits la pénombre mystérieuse du théâtre déserté a
succédé soudain la fièvre des préparatifs.
Dans l'embrasement des herses greffées le long de la rampe a
surgi la passerelle des répétitions amarrée dans l'orchestre.
Lu lumière orange du gaz déchirant les brumes argentines qui
planent dans la salle, nimbe les vagues symétriques formées par
la toile mastic tendue d'un bout à l'autre des fauteuils.
El ceUe mer dont l'horizon va n^ourir au pied des falaises
gigantesques figurées par les draperies terreuses qui cascadenl
de bourrelet en bourrelet, répercute les vocalises et tes accords
martelés du piano.
C'est le réveil du théâtre. A ce signal il semble que la nuit qui
emplissait le vaisseau de la Monnaie se soit envolée par l'éblouis-
sanlc écoulille du lustre, large ouverte sur le ciel.
Les artistes, qui répètent en costume de ville, dessinent leur
mordante silhouette dans l'embrasement de la tribune du chef
d'orchestre. ^-"x
Au fond de la scène, vaste charnp de bataille où le gaz el le
soleil déversé par les croisées latérales se livrent un aveuglant
combat, un groupe de chanteurs plongés dans leur partition
attendent le moment d'entrer en ligne...
Le joyeux Max Sulzberger — l'homme à la gaffe — baragouine,
dans le volaptik mi-sémile el mi-germain qui remplace chez lui
la langue française, ses insanités habituellest à propos du Salon
de Gand. Voici ce que raconte cet ignare critique :
« Qu'esl-ce que l'impressionnisme («te), sinon l'arldes igno-
rants, incapables de sentir et de fixer la forme caracléristique, ou
des impuissants donl l'indigence de sève et de savoir s'affuble du
masque novateur? Imagine-t-on un compositeur qui ne connaî-
trait pas son solfège? »
iNon, Mossieu ! Mais on imagine plus facilement un critique
qui ne connaît pas son métier.
M. Sulzberger salue une réaction contre le luminisme moderne
par un prétendu retour au clair-obscur de Rembrandt. Comme si
on pouvait recommencer un art passé, regrimper un sommet où
Rembrandt a planté son phare ! C'est insensé, Monsieur ! Vous
jetez du ridicule sur un peintre de talent ! \
Plus loin, le gai plumitif ûnonne :
« Croire en soi-même constitue pour l'artiste un bouclier aussi
bien contre les séductions de la mode que contre les tentations
de suivre les cassé-cou à la recherche aventureuse du nouveau.
Il en faut certes (??). Ce sont les pionniers. Ils ouvrent la voie.
Mais pour marcher à leur suite, il faut au moins de la foi dans
cet art nouveau. Si je dis nouveau, c'esl par simple condescen-
dance. 11 n'y a en réalité qu'un art, le vrai. »
Vous comprenez? Quel gâchis et quel étalage de vague igno-
rance! Plus loin, le chauve Juif nous apprend que« M. Louis
Moreels paraît avoir hérité de l'œil de Meissonier ».
Le Musée de Cluny possédait bien déjà la mâchoire de Molière.
Nos compliments à M. Moreels !
Continuons :
« La nature morte donne aussi ses grandes satisfactions. »
La nature réclame certainement, Mossieu, de grandes et de petites
satisfactions, mais il faut qu'elle ne soit pas morte pour cela.
Tout l'article pullule ainsi de non-sens et de phrases ridicules.
C'est un parterre de gaffes. M. Sulzberger reproche à M. Victor
Van Dyck de porter le nom d'un grand peintre. On ne reprochera
jamais à un Sulzberger de porter le nom d'un grand critique.
^CCUpÉ^ DE F(ÉCEPTIOJS ^
Ballaè^ russes, par l'abbé Hector Hoornaert, avec deux
eaux-fortes par Daniel De Haene ; Gand, A. Siffer. — L'Envol des
Rêves, par Arthur Dupont ; Bruxelles, P. Lacomblçz. — Bois
ton SflHfli, par Pierre Dévoluy, avec une préface par Albert
LxvTOitiE; Viris, librairie de l'Art i7idépendaiit.
fETlT^ CHROf^IQUE
Les nouveautés que donnera celle année la direction de la
Monnaie sont, outre Yolande, drame lyrique en un acte, de
M. Albéric Magnard, un acte de M. Jan Blockx, Maître Martin,
un acte de M. Jeno Hubay, Le Luthier de Crémone, et le Werther
de Massenet. On annonce aussi une reprise de Lohengrin avec
M. Muralet, qui vient d'être engagé.
Un charmant homme très connu des artistes et qui comptait en
Belgique beaucoup d'amis, M. Armand Gouzien, inspecteur du
Gouvernement français près les théâtres subventionnés, vient de
mourir à Gucrnesey, dans la maison jadis habitée par Victor Hugo.
Armand Gouzien a été, à la fin de l'Empire el depuis dix ans,
l'une des personnalités en vue du monde artistique de Paris.
Né à Brest, il était venu de 1res bonne heure à Paris, où il
avait noué, dans le monde artistique et littéraire, entre autres
dans la maison do Victor Hugo, nombre d'amiliés qui lui sonl
restées fidèles,
Journaliste de talent, musicien aimable, il a marqué dans l'une
et l'autre de ces deux .carrières. Les articles qu'il publia dans
divers journaux, et surtout dans le Rappel, décelaient un esprit
pénétrant et fin. Comme compositeur, on lui doit nombre de
chansons, dont quelques-unes obtinrent une vogue considérable,
entre autres. Rendez-moi ina Guadeloupe, interprétée par la
créole Kadoudjé.
Il est aussi l'auteur de la fameuse Légende de saint Nicolas,
sur des paroles de Gérard de Nerval. Précurseur de nos chan-
sonniers actuels, Gouzien la chantait lui-même dans les salons de
la façon la plus charmante et avec de prodigieux succès. Mais
ces succès le laissèrent assez calme : « Il y a tant de belles choses
faites par d'autres, disait-il; ce n'est pas la peine de s'y mettre.
J'aime mieux les écouter ».
En septembre 1873, il avait épousé M"® Marie Régnier dont la
famille était, comme lui, très liée à la famille Hugo.
Armand Gouzien n'élait âgé que de 52 ans. D'un caractère
très loyal, très franc, très gai, causeur plein d'esprit et de
charme, scrviable à tous, sa mort aura causé de vifs regrets \i
tou."» ceux qui l'ont connu.
On annonce aussi de Paris la mort du compositeur belge
Limnander, auteur d'un opéra comique, Les Monténégrins, qui
eut vers 1850 un très grand succès. M. Limnander, qui avait
78 ans, vivait depuis longtemps en Seine-et-Oise, dans sa propriété
de Moignanville.
La dernière livraison parue de l'Art et l'Idée contient, illustrée
de croquis de M. P. Vidal, une intéressante étude de M. Octave
Uzanne sur l'hôtel DrouoI, dont l'auteur critique vivement l'orga-
nisation défectueuse; des notes et souvenirs sur Charles Monselel,
avec plusieurs portraits inédits; la critique des livres du mois, etc.
cpmplète la livraison de cette jolie revue.
On lira avec intérél, dans la Jeune Belgique de ce mois, le
beau conte de M. Georges Eekhoud, L'honneur de Luttéralh.
M. Charles Tardieu n'est plus rédacteur en chef de l'Indépen-
dance belge. U est remplacé par M. Gérard Harry. On se rappelle
que M. Harry n'a, lui, pas hésité à reconnaître dans Maurice Mae-
terlinck un écrivain de grand talent. Son avènement à la « rédac-
tion en chef » de l'Indépendance semble donc promettre dans
l'allure du journal une évolution favorable à la jeunesse littéraire
belge. Nous espérons bien que la morgue jusqu'ici étalée par les
Frédérix et les Tardieu à l'égard des jeunes cessera. La nomination
du nouveau rédacteur en chef marquera peut-être la fin du régime
de basse rancune et de sotte envie que les plumitifs arriérés et
haineux qui cuisinaient la littérature de l'Indépendance ont fait
régner jusqu'ici dans les colonnes de leur gazette. Nous atten-
dons. ^
M. Eugène Demolder fera paraître à la fin d'octobre un nouveau
livre ; Les Récits de Nazareth.
Beau concours de musique de chambre, à l'Ecole de musique de
Vervicrs. Fragments, pour archets.des quatuors deHaydn, Mozart,
Beethoven, Mcndeissohh; et, pour piano et archets, du trio en ut
mineur de Beethoven, du quatuor de Sehumann, du 1" trio de
Franck et du quintette de Caslillon.
Professeur de la classe d'ensemble, M. L. Kefer, directeur. —
M'" Eva Lacroix, pianiste (1" prix avec la plus grande distinc-
tion), M. Paulus, 1" violon (1" prix), M. Gaillard, très bon vio-
loncelle (1" prix), M. Nestor Lejeunc, alto, bon 2" prix.
Occasion de plus pour constater, toujours avec la même stu-
peur, combien César Franck écrase tout ce qui l'entoure. Chose
étrange, ce public, composé de parents venus pour entendre leur
progéniture, et pas du tout pour entendre les maîtres anciens ou
nouveaux, ce public a été emballé par le trio du père Franck.
Les jeunes gens qui le jouaient, ces mêmes natures d'enfants
qui venaient de nous donner, sans paraître le sentir, du classique
plus ou moins ancien, se sont trouvés emportés malgré eux par
cette fougue, par ce dessin si puissant et si simple. L'œuvre avait
grandi les interprètes.
Et ainsi monte petit à petit l'Ecole de.Verviers, formant des
musiciens solides et consciencieux, les années où la terre ne lui a
pas fourni de vraies natures de virtuoses à polir; et, par tous les
moyens, réveillant dans les exécutants et dans le public quelque
chose de la passion d'art qui commence à agiter notre pays.
, . I. W.
Du poêle. Francis Vielé-Griffin, — dans les Entretiens politiques
et littéraires, — ces réflexions, en résumé sympathiques, sur la
littérature belge, vue, en partie, d'assez loin :
« De nouvelles escarmouches ont lieu autour de M. Lemonnier,
qu'on (axe de plagiat ici, d'écrittJre nationale Ib-bas. Je serais mal
à mon aise pour critiquer l'auteur de tant de livres que (M. Loti
me justifie) je n'ai pas lus avec soin, mais vraiment heureux de
calmer quelques susceptibilités et de blâmer quelques erreurs.
Il est incontestable que, l'atavisme aidant, il existe des écrivains
belges, mais tous les Belges ne sont pas écrivains et parmi ceux
qui écrivent tous ne sont pas des écrivains belges. Si MM. Ver-
haeren et Maeterlinck incarnent pour nous les Flandres, si
M.Mockel exprime l'ûme wallonne, si M. Rodenbach, ààn% Bruges
la morte, bien qu'il se contente avec raison à noire sens du titre
d'écrivain français, sem^ble avoir quintessencié l'intime et filial
amour du clocher, MM. Giraud et Gilkin d'un autre côté, quel
que soit leur talent, ne se différencient pas de nos parnassiens
de Paris et d'ailleurs.
Que signifie dès lors cette « concentration devant l'étranger »?
et ne serait-on pas en droit de la trouver 'moins logique que
celle des félibres qui s'essaient, eux, h ressusciter une languei,
leur patrimoine légitime? Les Belges se gardent bien d'écrire en
flamand, estimant, avec raison sans doute, la langue française
plus belle. Dès lors, que ne se contenleraient-ils d'être littéra-
teurs français?
Si, en préconisant une littérature belge, ils se livrent simplement
à une manœuvre locale pourdésarçonner les gâteux extraordinaires
qu'ils nous dépeignent, rien de mieux; s'ils entendent que l'âme
flamande peut et doit s'exprimer, c'est encore bien : MM. Maeter-
linck et Verhaeren (nous l'avons dit) et M. Demolder, ont senti
et victorieusement prouvé cette vérité. Mais s'il est question vrai-
ment d'un nouvel essai de particularisme, nous les engagerions à
réfléchir. La lutte même en Belgique est entre vieux et jeunes ;
mais il y a même en Belgique des jeunes dépourvus de tout talent
et nécessairement en contradiction esthétique avec jcs jeunes
talents, leurs contemporains. L'allure de la jeunesse littéraire
belge me semble devoir gagner ni en franchise ni en intérêt par
la concentration devant l'étranger. Car il n'y a pas de trêve
durable entre poètes et versificateurs, Balxô^thmeurs et sylla-
bisants, entre le bien et le mal esthétiques.
Puissent nos amis du Nord qui savent l'estime où nous les
tenons et dont l'un nous écrivait il y a peu : « nous sommes
internationalistes », percevoir le ridicule de tout ceci et recon-
naître l'impartialité logique de nos sentiments. »
V
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Le numéro : 85 centimes.
Dimanche 4 Septembre 1892.
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L'ART
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Comité de rédaction i Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr, 13.00. — ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser toutes les communications d
l'administbation générale de TArt Moderne, rue de rindnstrie, 32, Bruxelles.
Sommaire
Respect aux arbres. — Le mouvement littéraire en Belgi-
que. Les Poètes. — A La Haye. Exposition d'œuvrcs de quelques
membres des XX et de TAssociation pour l'Art. — Les artistes
Et LES MAUCUANDS. — CHRONIQUE JUDICIAIRE DES ARTS. — ^ PETITE
CHRONIQUE.
RESPECT AUX ARBRES
A. M. De Bruyn, Ministre de l'Agriculture.
C'est à votre Département, n'est-ce pas, Monsieur le
Ministre, que rassortissent la plantation et l'aménage-
ment des arbres le long des grandes routes, leur élagage,
et éventuellement le crime de leur mutilation ou de leur
suppression. Je m'excuse de n'en pas être certain : c'est
parfois si bizai-re la distribution des matières adminis-
tratives. Je n'ai de guide à cet égard que le souvenir des
sottes querelles que notre journalisme de gentilshommes
vous fait périodiquement à propos de questions cham-
pêtres. Vous partagez, à cet égard, le sort tracassé de
M. Van den Peereboora, à qui l'on endosse les fautes du
'moindre aiguilleur, et même les calamités fortuites de
cet aiguilleur sinistre de nos vies, le Destin. Vous avez
pour subir ces taquineries un flegme aussi souriant que
celui de votre collègue est dédaigneux. Tous deux vous
réussissez à faire enrager comiquement les moustiques
journalistiques. Mais aujourd'hui, c'est très sérieuse-
ment et pour une bonne cause, je crois, que je m'arme
de la plume à piqûres. Si je m'adresse mal, daignez
passer cette épitre à celui de vos co-souffre-douleur
ministériels que la chose concerne. On vous sait tous
accueillants et aimables, quoi qu'en disent les gazettes,
chantant leurs airs imposés, dans les concours de polé-
mique.
Voici que les vacances m'ont ramené aux champs et
aux promenades et que, fidèle aux prédilections natales,
je me cache en un coin, nouveau pour moi, de cette
Belgique variée, paisible et charmante où, pour le coeur
et les jeux, reposent tant de douces solitudes. En Cam-
pine limbourgeoise, cette fois encore, mais non plus
dans le montagneux désert de la Dorsale, là où elle
domine la riante et large vallée mosane. Plus au nqrd
et à l'est de la tranquille province, en un oasis de prai-
ries, verdoyantes malgré l'affreuse sécheresse, sur les
rives mollement en pente des filets d'eau qui suintent
des plateaux de la ligne de faîte, partagés par celle-ci
comme une longue chevelure par sa raie centrale, minces
et presque ^ns cours, rougis par l'oxyde de fer, laissant
voir par plaques le blanc silice ailleurs amassé en mon-
ticules moirés par les vents et tachés par les bouquets
améthystes de la bruyère dont la divine floraison, bour-
donnante d'abeilles, s'épanouit depuis huit jours. Oasis
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L'ART MODERNE
bouqueté de chênes séculaires, de châtaigniers véné-
rables, de platanes aux feuilles claires vernissées, venus
là, autour d'une vieille demeure à tourelles, entourée du
quadrilatère fossé aux eaux dormantes dont jadis "on
protégeait les grosses habitations campinoises, qui
devenaient ainsi, pour le voisinage, aux jours de trouble
et de rumeur, un refuge, un Schanz suivant le mot
traditionnel. Oasis sévère, dite le Dool, le -coin perdu.
Oasis étranglé entre des landes maculées de marais,
des landes aux noms évocateurs, et si lointains dans
l'origine de l'événement, de l'aspect, du malheur qui
les a fixés. Ici, la bruyère du Soleil, Sonnische Ileide;
là, la bruyère brûlée, Verhrnnde Heide; plus loin le
Donderschlagsche Heide, la bruyère du coup de ton-
nerre. Avec de bas horizons de dunes, ramassées en tas
par les ouragans du sud-ouest, à quarante lieues de la
mer, les Witienbergen, les Kraenenbergen, les Olnien
et \q& Beukenbergen. <^
Une route de l'Etat, large, plane, droite, jadis à relais
et à roulage, maintenant inefïàblement muette, et vei*^
dissante aux commissures des lourds pavés dont les
chariots hoquetants ne tourmentent plus les cabochons,
traverse du sud au nord cette sommeillante contrée :
celle de Liège à Bois-le-Duc. Entre Helchteren et Hech-
tel elle franchit la ligne de partage des eaux de la Meuse
et de l'Escaut, à peine sensible, tant cette Campine apla-
nit nonchalamment son vaste plateau sous le soleil. A
l'ouest va, va, monotone et grandiose, la bruyère du camp
de Beverloo, elle aussi désormais moins tourmentée du
piétinement des hommes et du sabotement des chevaux,
depuis que les manœuvres en terrain varié ont mis fin
aux classiques petites guerres d'autrefois, toujours me-
nées suivant le même programme, pièces militaires à
grand spectacle, où invariablement on forçait, vers Lom-
mel, le passage de la Grande-Nèthe défendu par les
marais de Moog, ou, vers Coursel, le défilé sablonneux
du Spikel-Spaede.
Ce pays est beau. Monsieur le Ministre; à la nature
il ajoute les souvenirs. L'œil y regarde et le cerveau y
pense. A l'ouest, quadrangulaire et massive, à soixante
mètres au-dessus des cultures et des sables, très sem-
blable à sa sœur du littoral la tour de Lisseweghe, se
dresse la tour, en briques dartreuses, de Peer, aperçue
de partout ici en sa colossale silhouette, construction
expiatoire, élevée parErard de laMarck, le Sanglier des
Ardeûnes; venu en bête fauve sortie des bois, ravager
le pays, et craignant l'enfer. A Beeringen, vers le midi,
a résidé Voltaire, avec sa grande dame femme de
charge, la marquise du Châtelet, la classique Emilie :
des lettres, dans sa correspondance imprimée, en sont
datées. Près de là, près de Pael — à la bonne bière —
il y a un Venusberg. A Zonhoven, Heliopelis en Cam-
pine, eurent lieu en 1833 les préliminaires entre les
Hollandais et les Belges pour la première fois considérés
autrement que des rebelles et des révoltés par leurs
frères ennemis du Nord, et c'est au château de Vogel-
zaîig sous Zolder que fut alors signée la convention
militaire qui régla le pî^age en Belgique des troupes
de la garnison de Maestricht.
Epfin, et surtout, c'est sur un tronçon de cette route
aujourd'hui si silencieuse qu'en 1831, pendant deux
journées du mois d'aofit, fut livré le plus dur combat
de la campagne offensive arrêtée après la bataille de
Louvain par l'arrivée du maréchal Gérard, que les Hol-
landais menèrent pour reconquérir cette Belgique qui,
si malheureusement, si héroïquement et, si naïvement,
se séparait d'elle.
Le général Daine, qui commandait notre petite armée
de la Meuse, aussitôt qu'il avait appris la marche en
avant des Hollandais, avait réuni toutes ses troupes dis-
ponibles, sept mille hommes, sur un plateau qui coupe
la route entre Zonhoven qu'il avait derrière lui, et le
village de Houtliaelen qui était à son front de bandière.
Au pied de sa position, coulait le Laembeek, qui fait
encore mouvoir un des plus pittoresques moulins bran-
lants de la Campine, celui de Haagendoren, presque au
sortii- des marais du Donderslagh. A dix kilomètres en
avant, à Hechtel, il avait envoyé des avant-postes. C'est
à ceux-ci que se heurta la division ennemie du général
Cort-Heiligers, qui envahissait le pays par Lommel.
Les volontaires belges défendirent pied à pied le ter-
rain avec un dévouement admirable. Disséminés sur les
deux côtés de la route, ils firent un retranchement de
chaque buisson de sapin, de chaque stèle de genévrier, de
chaque monticule de sable, des maisons rustiques aux
murs jaunes en glaise tapissés de vignes, des grands til-
leuls odorants qui les ombragent. Aujourd'hui, après
soixante années, les paysans racontent encore les vail-
lances de ces héroïques maladroits qui combattaient
pour la destruction de ce bel ensemble des Pays-Bas,
source d'inépuisables regrets.
C'était le 5 août. A sept heures du soir seulement, les
Hollandais occupèrent le village de Houthaelea, à portée
de canon du plateau où campait Daine.
Le lendemain, le combat recommença. "Vingt-cinq
cuirassiei's belges, traversant au point du jour les bords
marécageux du Laembeek, enlevèrent la grand'garde
ennemie. Le village fut enlevé par les voltigeurs et les
Hollandais reculèrent jusqu'à Hechtel dont ils étaient
partis la veille
Or, Monsieur le Ministre, c'est sur ce tronçon histo-
rique de la grande route de Liège à Bois-le-Duc qu'il se
passe présentement des choses abominables. Elle est
bordée d'arbres, selon l'usage : des mélèzes, des chênes
blancs du pays, des hêtres, parfois un marronnier ou un
châtaignier, et de-ci de-là un chêne vert d'Amérique
introduit en ces dernières années. Vous souhaiteriez
assurément que ces ombrages fussent dignes de tels sou-
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venirs, et que par la fierté des troncs et l'ampleur des
rameaux le site apparût noble et sacré. On voudrait
là une allée monumentale et sombre telle qu'on en obtient
si aisément quand on laisse l'arbre à la libre circulation
de la bonne sève naturelle et à la belle fantaisie de sa
pousse en branches.
Or, un sauvage, un fonctionnaire qu'on devrait
mettre en croix, a mis en pratique les règles 4ites de
la culture forestière rationnelle, qui n'ont qu'un but,
faire produire à l'arbre le plus de bois possible pour les
fagots ou les planches. Les frondaisons touffues, la beauté
ogivale des longues avenues respectées, la fraîcheur des
abondants feuillages, les sentiments que ces splendeurs
éveillent dans l'âme même la plus rustique et la plus
inconsciente, sont par lui sacrifiés indignement. Il tra-
vaille pour faire pousser tout en balais, en chandelles,
en brosses à nettoyer les verres de quinquets, mutilant
les troncs, les dépouillant de leurs basses branches, les
déshonorant par des cicatrices effroyables, coupant
presque à ras de la tige principale les plus nobl^s
rameaux, soulevant la colère du passant qui marche la
bouche pleine d'exécrations et d'anathèmes.
Le spectacle est hideux. C'est une chirurgie d'ambu-
lance sur un champ de bataille. Ces arbres martyrs font
surgir dans la mémoire ces vers des Odes funambu-
lesques où Théodore de Banville décrivant d'autres
arbres ainsi violés, disait qu'ils étalaient, pour l'œil
pleurant du promeneur,
Tant de gibbosités, do goitres et de ventres
Qu'en les aurait tous pris pour d'anciens barytons!
Monsieur le Ministre, faites cesser cela. C'est du van-
dalisme! Ce n'est pas la première fois que pareilles pro-
testations s'élèvent. LArt moderne a signalé, entre
autres, le crime commis sur la route de Westcapelle à
l'Ecluse où les incomparables peupliers du Canada, éche-
velés par les souffles marins, tous penchés vers le même
horizon, racontaient héroïquement les tempêtes d'hiver
aux touristes de Blankenberghe et d'Heyst, ont été bar-
bareraent abattus comme au temps des invasions sémi-
tiques en Espagne. Juste depuis la borne frontière on a
tout rasé en Belgique, tandis que la Zélande arbore
encore cette gloire forestière et nous fait honte.
Les rustiques campinaires donnent ici une leçon aux
étranges préposés qui représentent votre administration,
Autour de leurs chaumines ils ont des arbres, des til-
leuls surtout : ils n'y touchent jamais. Aussi quelles
somptueuses couronnes, à côté de leurs frères rachiti- .
ques de la route gouvernementale, glorifient leur? ferme-
lettes accroupies sous les grands toits de chaume roux
rapiécé de tuiles du rouge éclatant qui se fiance si bien
au vert.
On m'a raconté au camp de Beverloo, où à côté des
superbes verdures du Parc et du Faux-Parc, il y a des
avenues dontS les chênes sont flétris par les mêmes
mutilations , que c'était un de vos prédécesseurs ,
M. Malou, qui, visitant notre cité militaire et y voyant
ces jeunes arbres pousser joyeusement et artistement à
leur fantaisie, avait trouvé que c'était un mauvais
moyen de les faire produire et avait conseillé le gro-
tesque ébranchage qui eux aussi les défigure.
Si c'est vrai, que la mémoire de ce noir millionnaire
soit vouée aux malédictions !
Et si vous aussi, contraii'ement à mon. espoir, ne
prenez pas d'immédiates mesures pour laisser à celles
de nos grandes routes qu'on n'a pas encore souillées et
dégradées les belles frondaisons -qui les rendaient à
l'étranger célèbres, si vous croyez que les produits
divers du domaine public consistent en recettes mon-
nayées et ne comportent pas les jouissances artistiques,
soyez à votreHeur conspué et maudit ! Que Termonde,
votre cité natale, ville flamande aux prairies d'éme-
raude et splendide par la verdure, vous traite en fils
dénaturé! Que messieurs les reporters, même dans
l'autre monde, vous pourchassent de leurs éreintements !
LE MOUVEMENT LITTERAIRE EN BELGIQUE
(1)
Voici le second article que, dans le Figaro, avec un remar-
quable talent de pénétration et une sympathie si éclairée, a publié
M. François de Nion sur notre mouvement littéraire. Il nous
revient que l'auteur projette de développer en une élude plus
complète et définitive qui paraîtra dans une des grandes revues
de France, les éléments de son travail actuel.
LES POÈTES
Le mouvement poétique en Belgique fut incontestablement plus
développé, plus fourni, souvent d'une originalité plus complète et
plus nationale que le mouvement prosateur. Peut-être pour-
rait-on attribuer celte prééminence à ce fait, ingénieusement
relevé dans un récent et excellent article de M. Ernest Verlant,
que les plus anciens monumenis de la littérature germanique sont
des odes, tandis que ceux de la langue celtique sont surtout des
récits. Celte observation conlribucl'ait alors à préciser le caractère
germano-flamand de la poésie-belge.
IN'esl-ce pas d'ailleurs dans l'histoire des peuples une règle
constante que le rythme ait précédé la prose. Celte supériorité
des poètes sur les prosateurs, à l'éclosion d'une littérature, serait
ainsi un exemple assez piquant, k notre époque, d'une applica-
tion dérivée de celte loi. Mais ici, à rencontre de l'ordre habituel
des choses, ce n'est pas en naïveté, on simplicité fruste, que se
manifostc celte poésie : jaillie toute formée du cerveau d'une
nation, elle apparaît tout de suite subtile et raffinée, compliquée
d'expression et de pensée, maladive et violente, comme un enfant
Iroj) précoco, aux fanlaissics, aux sensations de vieillard.
i.a plupart des poètes belges, en utilisant l'outil français, s'en
servent pour exprimer des sensations h eux à travers une origi-
nalité d'ânic et de conception qui est bien leur palrimoine. Ce
n'est plus la darlé unie, la mesure, le dosage parfait, les délica-
(1) ^"oir l'Art inoihfiic (\[} 31 juillet dernier.
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VART MODERNE
tosses, les grûoes de l'espril frunçais, ni la finesse dans l'enlumi-
nure où s'allôre si souvent le sens du coloris chez nous. Eux sont
des coloristes ardents, ils subissent la prédestination d'éiro sur-
tout des peintres. Leurs écoles littéraires se rallacliont aux préoc-
cupations de leurs antérieures écoles d'art. Tels des leurs ont la
fougue, la spontanéité, qui sont comme dos transpositions des
polycliromies rutilantes de Rubens ou de Jordaens; tels autres
ont le charme fort, les liarmonios icposées et solides de Van
Djck; même dans le groupe de Van Lerberghc et do Maeterlinck,
qui se plaît aux imaginations frêles, recherçlie les spiritualités
déliées, c'est encore un souvenir d'art qui se lève, l'adorable et
fleurie école brugeoise, les musiques exquises des clavecins de
Memling.
Mais remarquez l'influence divergente des races; même chez
ceux-là, pour ces esprits enclins au mysticisme, aux songeries du
mystère, la délicatesse n'est pas. ce qu'ollc est sous les doigts
d'un Verlaine : clic insiste sur les nuances, garde une chaleur
de Ion, un relief qui accusent encore la prédominance de l'élé-
ment peintre. L'idée, si abstraite soit-cllc, se présente b eux vêtue
de couleurs. Ils voient, ils pensent une autre langue que celle
dont ils se servent, et c'est pourquoi, si souvent, ils nous décon-
certent, nous apparaissent comme traduits dans leurs manifos-
lations les plus franches et les plus spontanées. C'est là peut-
être comme la formation embryonnaire d'un langage idiolique,
nettement particulariste, analogue en certains points, par rapport
à nous, à ce que le grec moderne est pour le grec ancien.
Le mouvement, d'ailleurs, suit dans ses manifostalions les
grandes subdivisions des lettres françaises. Son initiateur,
Camille Lemonnicr, décèle en ses premiers livres les truculences
du romantisme ; il ne fait que passer par celte école, mais elle
laisse son sillon dans l'ensemble. Plus tard, quand les poètes ten-
teront de se réunir en un groupe collectif, ils appelleront ce
groupe le Parnasse de la Jeune Belgique. Ce ne sont point dos
parnassiens cepcndani ; ils conservent pleinement leur idiosyn-
crasie d'art et leur âme si particulière, mais l'influonce subsiste.
Les premiers vers de Giraud ont la pétulance., Tacrobatio, le bruit
de castagnettes de ceux de Banville; Emile* Van Aronbergb, dans
les quelques sonnets qui constituent son œuvre, fait miroiter les
joailleries d'un Hérédia; Rodonbai;h incline versle Coppée des
Intimités. Dans ces derniers temps, quand l'essai symboliste aura
tenté en France son vague effort, c'est en Belgique qu'il se
révélera et se continuera sous sa forme la plus sérieuse et la plus
tangible.
Le premier en date, c'est Th.Jlannon, en ses Rimes de joie,
que J.-K. Huysmans signala jadis comme un volume d'exquise
misère morale, de préciosité désolante et délicieuse, dans la
Bibliothèque perverse de son des Esseintcs. D'allures japoni-
santes, de forme délicate ei mièvre, leur grâce -est vicieuse,
maquillée, avoue comme un faisandage d'ûme d'un effet étrange
el pénétrant.
Une âme évangélique et tendre au contraire se révèle chez
Rodenbach, apparu à peu près vers le môme temps. On à remar-
qué que les premiers poètes du mouvement sortirent de l'Aima
Mater de Louvain, la grande Université catholique, où récem-
ment M. de Mun alla porter sa haute parole.
La poésie, sous celte influence, se christianisa avec Gilkin, Vpn
Arenbergh, Waller, Rodenbach. Celui-ci est un intimiste, un
•rêveur demeuré sous l'impression des sensations enfantines; il vit
encore dans l'atmosphère ogivale, liiiale, pascale des premières
communions, dans l'ardeur des chapelles braisillantes de cierges,
les flammes blanches des cires ennu^igées d'encens. Le Coffnt,
qui le fit connaître, donne bien la note mélanfoliquc d'émotion
douce et familiale do ses premiers livres. Il est bien un Flamand,
son art est bien caractérisé par ces tendances rêveuses venues
d'Allemagne, rehaussées de ces tons gras et solides qui donnent
un corps aux plus nuageuses conceptions, — mélange qui est
bien dans le tempérament national, — mais il est francisé; son
vers, sa syntaxe sont d'un Latin. C'est un barbare, au contraire,
qui apparaît dans Verhacren, le plus original, le plus particula-
•rislc et le plus grand peut-êirc de toute la pléiade.
La moustJche blonde el tombant'% les yeux bleus, d'une
douceur rêveuse el cruelle, tels duront apparaître aux Romains
de la décadence les premiers guerriers roux qui allaient leur
ravir le monde; tels aux grammairiens, aux rhéteurs, aux ali-
gnours de phrases mathématiques durent se manifester les chants
rauques des nouveaux venus, lour parler rocailleux, aux formes
brusques, coupées, laissant entrevoir des infinis d'idées sous dos
écroulements de brumes. "
Malgré son vorbe français, il est bien un Septentrional; sa
rythmique, le mode de sa pensée, ses idiotismes sont d'un vieux
Germain, mais visionné de modernisme énorme : le fer, los
gigantesques ferronneries dos ports, des digues, des ponts métal-
liques traversant les brouillards le hantent; des quais s'allongent,
des départs de steam-boats trépident, des crachements de fumée
se déroulent dans ses vers. Avec cola une sympathie pour les car-
nages, les tueries rouges, pour la mort blême et cavalcadante;
son spleen anglais s'accuse de plus en plus, accru par sa préoc-
cupation des paysages londonniens, obscurci par les vapeurs
noires des fantastiques Tamises. Et pourtant, fidèle à sa race, ses
premiers regards furent sollioiiés par les grasses kermesses, los frai-
ries à la Toniers. Un volume de vers, Les Flamandes, datent de cette
période de son talent; mais bientôt il scseptentrionalise -.les Flam-
beaux noirs, les Apparus dans mes chemins, son prochain livre,
encore innommé, sont, h ce point de vue, significatifs.
Presque à la même époque débutent Gilkin, Albert Giraud, Van
Arenbergh. Gilkin est un nostalgique qu'étroinl fébrilement
l'idée du mal: d'où un macabrisme à la Baudelaire. 11 affectionne
les venins, se délecte h «avourer leurs mortelles pliarmacopées, à
manier des joailleries noires, -à faire luire de rouges métaux; les
occuliisles les rangeraient parmi les saturniens. Sa forme, très
pure, le met un peu îi |xirt; il est, par excellence, le type d'expres-
sion française du n.ouvemcnt. Van Arenbergh et Albert Giraud
cadencèrcnl tous deux de larges métaphores h la Hérédia, adoptant
son rythme fastueux, sa strophe résonnante et nombreuse, mais
en y mêlant, le premier, une singulière intensité do sentiment
religieux, le second, Giraud, une imagination plus païenne et plus
galante : celui-ci est un Wattean, mais qui a passé par le Paris
du \\\'' siècle; il procède pu- petits tableaux d'une grûce
enlevée, colorée, avec une mélancolie vcrvcuse et pailloléc d'un
charme extrême. Son récent volume, Les Dernières Fêtes, appa-
raît comme l'œuvre d'un enlumineur patient de missel.
Ce groupe a conservé le respect de la forme; son vers régulier,
aux suspensions normales, aux rimos observées, est plein, solide,
harmonieux; ceux qui les suivent, au coniraire, renoncent réso-
lument aux modes parnassiens; avec eux, le vers se rompt, biise
les formes anciennes du mètre, devient souple, flottant, a los
incertitudes et les vagues de la musique. Ceux-lii viennent de
Gand, la ville aux lents tanaux, aux eaux figées; c'est elle dont le
^
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VART MODERNE
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charme gris façonne Maeterlinck el Van Lerberghe, ces mystiques,
qu'une fraternité de cerveaux, fortifiée d'une belle et rare amitié,
d'homme, unit en des œuvres dislinclcs, mais correspondantes.
Plus encore que la poésie, c'est le théâtre qui donnera la synthèse
de ces esprits étranges, d'un art si haut, si considérable. Notre
cadre trop étroit nous interdit d'en aborder ici l'étude, mais les
Serres chaudes do Maeterlinck, des poèmes de Van Lcrbérglie
épars à travers les feuillets des revues suffisent à les classer au
premier rang parmi les poètes de leur pays ; il faut leur adjoindre
Grégoire Le Roy, moins célèbre, mais dont le talent archaïque,
d'une tristesse fine, mérite d'être signalé.
En Georges Khnopfï, le frère du peintre, se révèle un disciple
immédiat de Verlaine, avec des candeurs, des fraîcheurs dans les
nuances qui rappellent le Lélio des Fêtes galantes el celui de
Sagesse. Il a produit peu et s'est tourné vers la musique. Car,
peu à peu, à mesure qu'ils se par;icularisenl, leur art évolue vers
la musique; Chez Albert Mockel, la préoccupation musicale est
telle qu'il a cru devoir, en son livre, Chantefable un peu naïve,
noter en tétc le thème symphoniquc sur lequel il le jugeait déve-
loppé. Aussi le mièvre, le frêle, le nuancé, se fondent-ils dans
son œuvre en tons vogue», indécis, pleins de charme et d'onction.
Il est nettement symboliste. Plus récent encore, un modulateur
analogue.de la nuance est Max Elskamp, avec un chiffonné, un
tortillé de la forme souvent un peu bien vagues et pénibles pour
nous autres Latins.
A part, au milieu de ces groupes, un racinicn, FernandSéverin;
A. Fontainas et Valèrc Gille jouant de petits airs jolis, modulés
délicatement ; Fernand Roussel, dont le dernier îi>re, Le Jardin de
rame, est d'un grand charme; sa tristesse discrète et résignée, la
désespérance voilée, l'inacclimalion de cette ûme en notre époque
sont exprimées avec une dignité sobre, une pointe de hauteur qui
sont pour plaire. Livre calme et las qui promet un large avenir.
A citer encore Ad. Frères, Gérardy, Delchevaiirrie, Léon Donnay,
qui, dans Sérénité, révèle, un sentiment profond, allant parfois
jusqu'au tragique de la modernité; ses vers ont l'air de courles
maximes acco'.ées les unes aux autres, sans rythme, sans rime,
sans césure apparentes; ils donnent cependant une impression de
poésie très haute.
En somme, le mouvement dont nous avons tenté d'esquisser ici
en raccourci l'historique el le caractère, est symptomatique d'une
impulsion d'esprit singulièrement neuve et robuste. Les Flandres,
ces Marches françaises tant que dura la domination des princes
bo'tirguignons, n'ont durant cette période d'autres épanouissements
d'art que leurs admirables écoles de peinture; plus tard, après
l'épopée révolutionnaire de la lutte contre l'Espagne, pendant la
soumission indocile à la maison d'Autriche, un grand silence
s'étend sur les dix-sept provinces; elles agglomèrent lentement
leur sentiment universitaire, transforment leur patriotisme de clo-
cher, rélèvent, tendent à se former en nationalité. Mais cette na-
tionalité ne possède pas ce qui constitue la personnalité d'un
' -petrple:unc langue particulière; elle se débat h travers les «loca-
lismes », le flamand, ce patois tudesque, le wallon ou le rouchi,
ce jargon français.
C'est dès 1830, ia séparation d'avec les Pays-Bas obligeant le
nouveau peuple belge à affirmer par tous les moyens sa nationa-
lité, que les intelligences se mettent à travailler, dans le calme
enfin conquis, que les caractères se fondent et se pénètrent. Le
résultat de cette sorte de gestation ne tarde pas b se faire sentir;
aux styles officiels, aux lourds écrivains, le style audacieux, libre,
effréné, les prosateurs et les poètes de 1870 succèdent. Tous ont
h leur disposition cette langue la plus souple dn monde, le fran-
çais ; ils en usent, mais on sent en même temps leur impatience
de cet instrument, leur recherche hésitante encore d'un idiome
nouveau, qui s'adapte à leur caractère et à leur tempérament.
Cette recherche sera-t-e!le utile? Réussiront-ils à constituer une
langue nouvelle dérivée d'une autre encore vivante? C'est ce qu'il
est impossible de prévoir aujourd'hui. Précurseurs belges ou
novateurs français, ils n'en auront pas moins apporté dans la Lit-
térature une note nouvelle et quelques œuvres de tout premier
ordre.
François de Nion.
A LA HAYE
Exposition d'œuvres de quelques membres des XX et
de l'Association pour l'art.
Pour autant que se mesurerait l'intelligenre d'un public à une
décence déconcertante, — h l'attention inquiétée tout d'abord par
un débit en langue étrangère et de forme plus tourmentée, un
peu, que conversation de highlifardée h va!et de pied et désahurie
aussitôt; très sympaihiquement ramenée et maintenue dans un
effort cons'ant — serait infiniment supérieur et plus trailable que
le nôtre, le public de La Haye. Le contact de cpnférrncirr à
public permet un diagnostic assez sûr; la force d'intimidation
dont il aura fallu user marque, en sens inverse, le degré de com-
préhension, — la bienveillance seule se lassant ; ssez vile ; or,
conférence, pour notre part, de fatigue nulle, comme cette der-
nière au Kuvstkring de La Haye, vérifie ce degré de culture intel-
lectuelle qu'on n'est en droit, pourtant, d'attendre d'aucun public.
Mais il advient au Kunstkring ce qui fait la force des XX,
fera celle de ['Association pour l'Art, de tous cercles similaires,
fussent-ils d'inégaux vouloirs révclutionnaires. Pourvu que sortis
de l'orïMAre, un choix d'intelligences artistes, esthètes ou ama-
teurs tout cburt, se détachera de gros inculte et leur fera cortège.
Aussi, s'e8t\i'ès rapidement évanouie l'appréhension que nous
avions d'avoir aViéfiuir le rôle du Paysan en Peinture, devant un
auditoire de Çeme artistique.
. Le nom prétait h l'équivoque; on sait ce que veutdire en Bel-
gique cercle artistique : incrustation féroce sur le banc des sacrés
principes routiniers et salutaires, grognement^ asthmatiques et
perpétuels contre toute claire chanson jeune, frousse à l'état
chronique k chaque essai d'affranchissement ou de révolie, et l'on
connaît suffisamment le dégoût que proclament pour nolr^»
enthousiasme d'hommes jeunes encore, de foi robuste en l'art tous
ces inutiles podagres qui traînent après eux une odeur de char
morte cl ne produisent plus que de la fumée et dos crachats.
El l'installation du Kunstkring agravail cette in(iuiéliide. Un
cercle ayant pignon sur rue,^ — el quelle rue! -— suite de spacieux
salons, aux deux étages, aménagés pour expositions, salle de lec-
ture, salle de billard. En ce moment, tandis que s'installait, au
second, un choix d'œuvres de quelques membres des XX, on
peut voir, au premier, une riche réunion d'objets d'art hér.ildiquc.
La création de pareille société entrant en lutte avec roftiriellc
existante patronnée de sonores omnipotentes influences : hs,Mes-
dngh, les Maris; la mettre si luxueusement dans ses meubles me
parait un prodigieux lourde force et toute r;.clivilé, toutle bon
goût — j'ai découvert en lui le plus aimable et instruit rollcclion-
c
iieur de vieilles faïences el d'eslampes — loul l'espril d'initialivc
qu'appideicnt si fort les camarades du jeune président, M. de
Block, ne seront pas de trop pour mainlcnircel avanl-posle.
. L'impulsion semble donnée en Hollande el le mouvemenl d'aï t
promet d'y élre intense. Le vaillant Nieiiwe Gids clairounail
depuis longtemps l'appel, signalait courageusement les escar-
mouches isolées et voici (lue le gros du bataillon, venu de l'étran-
ger, a doniié.
L'esprit novateur et la touchante générosité de Jan Toorop qui
ne manquait aucune occasion d'attirer l'attention de ses compa-
triotes sur l'œuvre de ses camarades des XX et de France, ayait
facilité la route et prédisposé à l'acctieil d'aujourd'hui, enthou-
siaste chez d'aucuns, à l'attention recueillie des autres, la dis-
cussion courtoise, l'étude raisonnée, la curiosité digne de tous.
El le parallèle qu'on pourrait établir entre la morgue particuliè-
rement zwanseuse de notre public belge el l'altitude des visiteurs
néerlandais contraste singulièrement à l'avantage de ces derniers.
Notre confraternité artistique aussi y reçoit la plus vigoureuse
el méritée leçon. L'hospitalité que le Kunstkring — dont les
membres ne sont pourtant pas liés d'art aussi avancé que les XX,
VAssocialmi pour Varl — nous offre si généreusement est un fait
si unique, d'esprit si large, de mœurs si hautement estimables
qu'aucun de nous qui y exposons en ce moment ne devra oublier
la dette de reconnaissance que l'art neuf tout entier y a contractée.
En accordant ses salles et sa sympathie à Seural, à ses disciples
en division du ton, à Redon, à Laulrec, \e Kunstkring camou-
flèie-t-il vertement lePulchri Studio, l'officiel cercle de La Haye,
dont les dignitaires, pas mal férus d'eux-mêmes, ce semble, haus-
sèrent si dédaigneusement les épaules quand des amis soucieux
de conquérir de la renommée à feu Vincent van Gogh se propo-
sèrent d'y ouvrir un salon de choix de ses œuvres. Pulchri se
rend-il compte aujourd'hui que pour avoir tenlé d'écraser la gloire
imminente de van Gogh, il a décidé la révolte tout au plus et que
là où il craignait ce seul cnnemij une vingtaine a surgi, consciente
du danger el se serrant les coudes. La riposte doit lui sembler
dure !
Celle poussée vers des contrées neuves est significaii^vc d'une
vitalité superbe, prometteuse de ralliement partout où des forces
luttent séparément. Et que n'useraient à la suite de Toorop les
Bauer, les Thorn-Pricker, — un inconnu qui se signalera bruyam-
ment à la première occasion, — les Roland Holst, les Jan Velh
des cordiales avances du Kunstkring et en lui réaliseraient le
vivace faisceau d'avanl-garde.
Tel quel, le Salon actuel de La Haye remémore assez exacte-
ment — le luxe en plus — les premières sorties impressionnistes
de la rue Laffille. Je désiste aujourd'hui de plus amples apprécia-
lions; des œuvres si pieusement accrochées une seconde fois sur
celte exquise — s'atténuanl aujourd'hui — tenture verte d'Anvers
qui semble promise dorénavant à toute sortie d'audace et d'arl^ le
prochain du Nieuiue Gids apportera critique étendue, signée Velh,
et lors la traduirons ici. Mais il se pourrait que n'ayant mêmes rai-
sons que nous, Veth n'y mentionne pas le regret que nous avons,
nous, de n'y voir aucune œuvre de cet exquis ami que nous avons
là-bas, Toorop, l'organisateur au dévouement si simple el si iné-
puisable.
Par-delà ce banquet bruyant, où de si aimables choses furent
dites, de si réels regrets exprimés de n'y voir qu'un seul des ex-
posants ; par-delà ces éclats de joie franche, si jeune et si récon-
fortante; par-delà tous ces serrements de mains si vigoureux que
nous lutterons mieux dans la suite; par-delà tant de sourires de
femmes belles et étrangères et le ton si simplement affectueux de
ces maîtresses de maison; par-delà tout l'infmi de l'eau et du
sable par où il a fallu pérégriner pour se retrouvcr^ujourd'hui,
très seul, devant le travail, nous nous souvenons.
H. v. d. V.
LES ARTISTES ET LES MARCHANDS
La Gazette de V Amateur a publié dernièrement une lettre de
M.Alfred Stevcns qui contient d'intéressantes observations sur les
relations entre artistes et marchands de tableaux ;
Monsieur Henri Garnier,
Je viens de lire votre article : Le Syndicat des peintres.
Je ne crois pas qu'un artiste de valeur pense plus à l'argent
qu'à son art. S'il y en a quelques-uns, c'est qu'ils y sont forcés
par les diffiqjltés de la vie. A tout péché miséricorde.
Mais je suis tout à fait de votre avis contre l'idée d'un Syndicat
des peintres. ^
Pour moi, les expositions sont la mort de l'art. Il y en a trop.
Les Anglais disent :« Tout lableau accroché n'est plus vendable».
Le marchand de tableaux, loin d'êlrc nuisible aux peintres, leur
esl utile. Qu'il gagne de l'argent, tant mieux! puisqu'il fail monter
les prix du peintre dont il s'occupe. Ce sont eux qui forment gé-
néralement de nouveaux amateurs, qui savent défendre la valeur
d'un artiste qui n'oserait le faire lui-même. Ils sont donc le trait
d'union nécessaire entre l'amateur et le peintre. Ils permettent aux
artistes de travailler plus tranquillement, n'étant pas obligés de
s'occuper de la vente de leurs œuvres.
Ils défendent les prix de ceux qu'ils achètent dans les ventes
publiques.
Ce sont les marchands qui onl fait monter les prix des Corot,
Millet, Delacroix, Rousseau, Daubigny, etc. QuPdonca le droit de
s'en plaindre?
Et, encore aujourd'hui, ce sont eux qui font monter les prix de
Ribot, de Jongkind, etc. Si vous supprimiez les marchands de
tableaux, au bout de quelques années, il resterait bien peu de
véritables amateurs.
S'ils s'enrichissent, non sans peine, croyCz-le bien, ils jettent,
en général, de la poudre d'or sur les peintres. Si je vends un de
mes tableaux dix mille francs à un marchand et s'il arrive à le
vendre cinquante mille francs, je lui en suis reconnaissant au lieu
de lui en vouloir. Il a fail monter mes prix.
Je ne dis pas que tous les marchands de tableaux soient des
gens adorables el charmants, il y en a même de bien ignorants,
mais il y en a aussi d'excellents. Il y a toujours quelques mauvais
prêtres, quelques mauvais soldats.
Je vous félicite donc. Monsieur, de votre article el vous prie de
croire à mes sentiments distingués.
Alfred Stevens.
JIhRONIQUE JUDICI.AIRE DE3 ^RTp
Les distractions d'un imprésario.
M""= Fouquel, dite de Fonlanges, engagée en qualité de grande
coquette dans la troujie de Sarah Bernhardt pour une tournée
artistique en France, avait" oublié de payer à ses couturiers.
VART MODERNE
287
MM. Loyvaslro ol C''', une noie do 4,7Î}3 francs. Ceux-ci eurent le
mauvais f;oûl de réclamei' le paiement de leur facture el do
former entre les mains du directeur de la tournée, M. Maurice
,1*.,
Grau, une saisie-arrêt sur les appointements de l'artisle.
M. Grau ne fit pas plus de cas de l'exploit ministériel que d'un
prospectus de marchand do vin. Assigné en déclaration affirmative
devant le Tribunal civil de la Seine, il soutint que personnellemenl
il n'avait jamais rien dû h jM"" Fouqucl; que ce n'était pas lui,
mais la soriété new-yorkaise Abbey et Grau qui avait organisé la
tournée, engagé les artistes, fait actes de directeur. Malheureuse-
ment, i'I lui fut impossible de. produire à la barre rengagement
de M"'' Foiiquet, qu'il déclara avoir laissé en Amérique.
Cotte nouvelle distraction lui valut une condamnation, comme
débiteur pur et simple des causes do la saisie-arrél, au paiement
des 4,7f)3 francs réclamés, avec les intérêts de droit el les dépens.
M. Grnu interjeta appel, oublia cette fois de se faire représenter
à l'audience, et le jugement fut confirmé par défaut. Restait
l'opposition. Le directeur en usa, mais sans succès. Il avait, il
;estvrai, retrouvé dans l'intervalle le contrat de M''" Fouquct-de
Fonlanges et le présenta à la Cour.
Celle-ci a rendu l'arrêt suivant :
« l.a Cour;
Adoptant les motifs des premiers juges;
El considérant que l'association du sieur Abbey cl de Maurice
Grau avait pour objet unique l'exploitation dos représentations,
on Amérique, de la dame Sarah Bernhardt; que cette participa-
tion ne constituait pas une personnalité morale distincte de celle
des deux coinlérossés;
Que l'acte d'engagement, en date, à Paris, du 19 mars 1886,
aujourd'hui produit, a été contracté par la demoiselle Fouquet,
dite de Foniangi's, avec le sieur Abbey et Maurice Grau; qu'il a
été fait entre les. trois parties en triple original; que Grau s'y est,
comme le sieur Abboy, obligé personnellement au payement
des appointemenls stipulés air profil de ladite demoiselle de
Fontanges; . "
Par ces mol ifs,
Confirme avec amende cl dépens. »
<< Il m'aime un peu, beaucoup »
M. Riudaux, auteur de diverses compositions popularisées par
la gravure, a exposé dernièrement un petit tableau intitulé : « Il
m'aimo un peu, beaucoup... » On devine le sujet !
Il a gravé îi l'eau-forle, d'après cette composition, une planche
qui fui. vendue à M. Lévy. Ce dernier l'a transmise, à son tour, à
M. Minot.
M. Minol ayant voulu utiliser celte composition pour en faire
des chromolithographies, M. Rudaux vit dans ces reproductions
enluminées une atteinte à si propriété, puisqu'il n'avait vendu la
planche gravée que pour être reproduite comme gravure à l'eau-
forte.
Il fil donc saisir les éprouves coloriées de M. Minol, et assigna
conjointement et solidairement ce dernier, avec M. Lévy, en dom-
mages-inlérols, pour le préjudice qui lui était ainsi causé.
M. Minot a assigné, ï son tour, M. Lévy en garantie.
Le tribunal de la Seine a fort justemoni jugé en droit que le
droit conféré par l'arliste de reproduire son œuvre par la gravure
est purcmenl limitatif el n'autorise pas le cessionnaire à la repro-
duire par d'autres procédés, et notamment par la chromolitho-
graphie.
En conséquence, les défendeurs sont condamnés aux dépens
envers M. Rudaux, Lévy doit payera Minol 50Q francs, montant
du prix do la session, el doit lui payer en outre SOO francs pour
le préjudice causé par l'éviction.
Petite chrojmique
M. Cossira el M"" È. Cossira sont, depuis quelques jours,
revenus du Mont-d'Or, où ils ont passé une partie de notre été
africain. Nous savons que depuis son retour, l'excellenl ténor de
l'Opéra a été vivement sollicité par MM. Grau el Abbey, directeurs
du Metropolitan de New-York, de signer un engagement pour la
prochaine saison en Amérique.
Mais, en dépil des propositions superbes qui lui ont été faites,
Cossira a rompu toutes les négociations. Il élail, en effet, anlé-
riourement engagé pour Nice el s'est absolument refusé à tenter
auprès de son directeur une démarche tendant à la résiliation
possible de son contrat. Cossira estime, avec juste raison, qu'il se
doit aux Niçois qui, l'année dernière, lui onl fait si grande fête
dans son réperloirc el notamment dans Lohengrin. C'est qu'en
réalité quelques billets de mille francs de plus ou de moins sont
peu de chose pour un artiste véritablement digne de ce nom el
pèsent bien peu dans la balance auprès des applaudissemenls
d'un public fidèle et cnlhousiasle.
Les Niçois auront donc, celte année encore, le plaisir d'applau-
dir le grand artiste el lui sauront gré d'avoir tenu à eux jusqu'au
sacrifice pécuniaire inclusivement... Ce qui n'est pas banal!
{Kcho de Paris.)
Du Guide musical : ^
Il est décidé dès à présent qu'il n'y aura pas à Bayrcutli de
représentations en 1893 et peut-être même en 1894. On se réserve
pour préparer quelque chose de nouveau. On sait que, depuis
longtemps, il est question d'une reprise dosNiebeliingeii, qui n'ont
plus été donnés depuis 1876 au Théâ're Wagner. Mais rien n'est
encore décidé à ce sujet. M™^ Cosima Wagner paraît surtout pré-
occupée de former de nouveaux artistes. Le fait est que les créa-
teurs des derniers drames wagnériens,.ceux qui onl reçu les indi-
cations du maître lui-même, commencent à se faire de plus en
plus rares el quiltenl l'un après l'autre la scène, il importe donc,
pour maintenir la tradition pure, d'initier des forces plus jeunes
au style et aux exigences du Théâtre do Bayreuth. C'est k ce travail
préparatoire que seront vraisemblablement consacrées les deux
années pendant lesquelles le théâtre sera fermé au publie. Le
produit dos représentations de célto année; qui laisseront un
énorme bénéfice, sera loul entier consacré à la formation du
nouveau personnel chantant.
11 a été beaucoup question ces jonrs-ci de M""" Séverine à
propos de son interview avec le Pape. Voici le portrait instantané
que lui consacre le 6il Blas :
Avec sa jolie tête moqueuse où les cheveux s'envolent en bou-
clettes révoltées, son nez retroussé à la diable, ses grands yeux
très doux mais où passent parfois au fort d'une discussion comme
des éclairs d'orage, sa bouche sensuelle, eût été charmante sous
le bonichon de dentelles d'une de ces clubisles qui n'étaienl
farouches qu'à la tribune des Cordeliers. Grande, vigoureuse sans
que l'élégance des lignes en soil altérée, a bien l'apparence exté-
rieure de la femme d'action, do combat^do charité, de la Pari-
sienne mâtinée de Lorraine qu'elle est. Tout jeune, fut l'Anligone
dévote el aimante de Vallès el apprit à écrire en apprivoisant ce
révolutionnaire bourru où couvait une âme de bourgeois. Prit la
succession de son maître et l'élargit. Aujourd'hui l'un des jour-
nalistes qui savent le mieux toucher le public au bon endroit, qui
onl le don d'émouvoir, d'ouvrir les bourses, qui claironnent les
dianes les plus réveilleuses, les plus crânes. Signe particulier :
Aime les pauvres bêtes autant que les pauvi'os gens el a fail de
son logis comme un asile où les chiens faméliques doivent se
"\roire au Paradis.
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Douzième année. — N» 37.
Le NUMÉRO : 25 centimes.
Dimanche 11 Septembre 1892.
L'A R T
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Comité de rédaction t Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00 — ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser toutes les communications à
l'administration générale de TArt Moderne, rue de Tlndustrie, 32, Bruxelles.
^OMMAIRE
Les granits bretons. — Libres mcsiques. Aux simples ama-
teurs. — Le monument de Charles De Goster. — Le poète.
Essai par li.-W. Emerson (Suite). — M. Henri Becque et la
juiverie. — Correspondance.
LES GRANITS BRETONS
Sut* les plages, en face des têtes de Méduse de la tem-
pête, ils semblent — rocs, pics, promontoires et caps,
— des restes de monuments énormes, voués, par des
peuples disparus, au culte des vents et de l'espace. Autour
d'eux, sans doute, ont dû se célébrer les premiers mys-
tères et les premiers sacrifices. En face des domaines
illimitées de la peur, devant la mort, chaque soir, des
soleils sanglants, au bord même des gouffres, ils s'af-
firment, protecteurs. Si un Dieu secourable existait,
quoi de plus naturel que de l'adorer sur leur sommet et
de même, pour conjurer les hostilités des génies de la
tempête, quoi de mieux que de les apaiser du haut de
ces énormes tables d'offrande. Le mont pour les divi-
nités du ciel, la falaise pour les divinités de la mer ont
donc été, ont dû être les premiers temples. Nulle part
cette évidence jaillit aux yeux aussi dominatrice qu'en
Bretagne. Le granit, depuis que des peuples ont, sur
cet antique sol, rêvé d'inconnu, n'a cessé de donner
corps et d'aider à leurs pensées religieuses.
Les monuments mégalithiques de Plouharnel, les
pierres de Kermario et de Kerlescan apparaissent des
falaises et des écueils réalisés au milieu des plaines.
Indubitablement sont-ils l'expression de cette même
religion, dont les monuments, jadis uniquement debout
sur les côtes, se sont mis eh marche vers l'intérieur. Le
Finistère et le Morbihan en sont peuplés. Si l'on pouvait
déchiffrer les hiéroglyphes qui ornent les pierres de cer-
tains dolmens, peut-être y lirait-on qu'ils furent cons-
truits sur le modèle de telle grotte du bord de la mer et
que tels menhirs furent disposés d'après le plan de tels
écueils ou de tel promontoire. Certes, l'architecture en
est plus régulière et la symétrie dans la construction s'y
révèle. Les hommes de Locmariaker sont déjà des cal-
culateurs ; ils ont à leur disposition des instruments et
des outils puissants, ils savent remuer des images colos-
sales, bâtir de formidables galeries ; ceux de Carnac élè-
vent des monolythes tragiques, imposent l'équilibre à de
formidables blocs debout comme des tours.
Que ce soient des alignements ou des cromlechs, une
pensée d'art s'y manifeste — la même qui domina
l'Egypte de Mènes, — qui ne sépare point l'idée de
beauté et de grandeur de l'idée de masse et de volume.
Monstrueuses, telles pierres kermaroniennes, à l'heure
d'or des couchants, quand elles projettent leurs ombres
290
L'ART MODERNE
para travers le champ voisin, jusqu'aux murs des fermes
proches. L'homme ne compte plus à côté d'elles; il est
l'humble et l'écrasé par sa propre œuvre que se sont
adjugée ses dieux.
Tout comme au bord de la mer, le granit est ici dédié
au mystère : on comprend sa force et ses ténèbres, sa
taciturnité de pierre profonde et sombre, sa rébellion et
son indestructibilité en face du temps et de la mort, sa
signification d'éternité. Il convient aux cultes des nords
sauvages et tristes, qui n'ont que faire de la joie et de la
clarté banales des marbres. Il est, par excellence, le dur
et noir témoin de la ténacité humaine contre le sort
pendant la vie et la dalle sûre et protectrice pour les os
défunts qui attendent.
Au cours des âges, il est devenu chrétien, se diversi-
fiant d'après les styles roman, gothique et renaissance.
A travers tout il est resté breton, avec des marques
particularistes de rudesse, de naïveté et de force.
A Dinan, le porche de la cathédrale est fruste, mal
dégrossi, taciturne; à Morlaix et à Saint-Brieuc, les
colonnes gothiques sont étonnamment lourdes et bar-
bares avec je ne sais quoi de militaire ; à Roscof, le
porche et les ossuaires renaissance témoignent d'une
barbarie splendide. A Cainac, un dais du xvii^ ou du
xviii^ siècle définit par son dessin sauvagement con-
tourné la persistance des qualités d'art natives. Les styles
chrétiens de Bretagne s'apparentent aux constructions
primitives des âges antérieurs ; comme elles, ils sortent
du sol, continuent à former bloc avec lui, semblent un
jaillissement, une poussée soudaine de ses profondeurs.
Croix de granit, tombes de granit, sanctuaires et églises
de granit, calvaires de granit, le menhir et le dolmen
les ont engendré tous.
Spécialement les calvaires et les croix . Celles-ci, debout
dans la campagne ou sur des pointes en éperon vers
la mer. Ceux-là, à Plebins et à Plougastel-Daoulas,
réalisant on dirait un énorme monolithe creusé, troué,
ouvragé, les pieds écartés aux quatre coins, le sommet
aiguisé d'une crucifixion. Ce qui les distingue : une tou-
chante enfance d'art, une conviction et une croyance
féroce, une tendresse nue et profonde. C'est à pleurer
devant, tellement les scènes de la passion y sont croyantes
de souff'rance et pénétrées de douceur. Les poses, les
gestes, les attitudes, les groupements, les dispositions,
les mouvements n'ont de signification que transposées
dans l'atmosphère de la légende et de la foi.
Mais sitôt qu'on parvient à les voir, non plus en cu-
rieux mais, en croyant, de quelle inefïabilité ne rem-
plissent-ils point l'esprit. Dites, les soldats, la main
contre la joue, endormis au bord du tombeau, d'où jail-
lit le Christ droit comme une affirmation divine, dites,
l'âne pataud de l'entrée à Jérusalem, dites, le couronne-
ment d'épines auquel on travaille comme des matelots
tournant au cabestan, dites, la scène suprême et les
larmes de Marie et là-haut les trois croix avec un ange,
comme une petite poupée, agenouillé sur chacun de leurs
bras. Œuvre d'émotion, toute taillée dans la pitié, tout
ardente de simplicité et de bonne foi, tout immense de
force persuasive. Certes, trinqueballante, va comme je
te pousse, avec des maladresses terribles et des- inexpé-
riences scandaleuses. Mais qu'importe.
Quand on songe que c'est au village, pendant les soirs
d'hiver, pour détourner du pays les pestes et les lèpres,
qu'un tailleur d'images par son génie a témoigné de ce
chef-d'œuvre, puis s'est perdu dans l'anonymat, on se
sent pris de quelque pitié pour ce que les critiques appel-
lent : avoir un talent correct et reconnu.
La force simple et rude, qui dans la matière même
trouve son exemple, exalte donc tout l'art breton.
Aujourd'hui encore les pierres noires et grises sont em-
ployées pour des manifestations esthétiques. Mais com-
bien un bloc granitique moderne, rencontré à Brest,
dans une église, et représentant un évêque à genoux, est
d'expression piteuse et combien la récente basilique
construite en l'honneur de sainte Anne d'Auray fatigue
de son luxe de marbrç et de sa bonne tenue en or et en
argent! Décidément, le granit est trop fort et trop
puissamment ténébreux pour notre foi pâlotte et propre,
que la chromolithographie et les objets pieux en biscuit
ou en papier mâché seuls traduisent adéqpatepient.
I_.IBrî,ES l^XJSIQXJES
Aux simples amateurs.
Article deuxième (1).
L'enseignement — dans les Conservatoires — de la Composi-
tion appliquée aux divers genres de^ musique {musique vocale et
instrumentale) {11.) est irrémédiablement funeste pour les malheu-
reux qui y sont innocemment livres et martyrisés : cela se sait,
cela se dit, cela court les rues et se colporte; et — en petits
comités — c'est même devenu une banalité, un lieu commun
d'en constater les fûcheux et déplorables résultais.
Les jeunes apprentis musiciens, après les nombreuses et péni-
bles années d'arides labeurs et après s'être laissé enlever igno-
minieusement — s'il y a lieu ! — tout principe d'individualité,
parviennent enfin à péniblement décrocher un piteux prix de
Rome, le summum de leur gloriole, leur plus forte fierté : avoir
pondu une monstrueuse et béquillante cantate officielle quel-
conque sur un poème de Casembroot ou une traduction de Guil-
laume..., après quoi ils vont s'enterrer dans quelque Irou de
province; d'où parfois l'un ou l'aulre sort encore, fantôme sur-
gissant de sa moisissure. Mais pendant ces temps de lent enfouis-
sement et avant la rouillure complète, l'éparpillement final en
poussière, que produisirent-ils, ces pauvres? Hélas!... Ah! ces
joyeux prix de Rome.
Connaissez-vous Buschoop? Eli bien, il vit toujours! Se sou-
vient-on encore des Demol?. . . et il y en a deux ; il y a Pierre et il y
(1) V. rArt moderne, n» 23, du 5 juin 1892.
(2) Textuel : règlement organique, art. 2.
\
LART MODERNE
291
avait Guillaume ! El qu'ont donc laissé Soubre, Sladfeld, Wacipul,
Heckers? A peine une ouvcrlure tVHamlet à eux quatre! El
Dubois?... Ah! non, celui-ci, je crois, n'est pas mort. Mais parmi
les autres vivants, quelles œuvres d'art ont donné Gevaert, en
dehors de ses livres de très belle science, Lassen, en dehors
de quelques romances, Radoux, Huberli, Van den Ecden, etc.,
«n dehors de rien du tout? El môme Benoit, qu'admirent surtout
les liltéraieurs, et qui n'est parvenu qu'à brosser largement, 1res
largement, il est vrai, de forts beaux décors, niais décors!
Demandez aux musiciens eux-mêmes, à ses collègues, ce qu'ils
pensent de lui; à ce que vous en entendrez, vous pourriez
môme croire, un instant, que Benoit est extraordinaire. La vérité
est que son écriture est très faible, cl j'ajouterai que le goût l'est
tout autant. Et Joseph Dupont, qui a prouvé par ses admirables
interprétations aux Concerts populaires et à la Monnaie, combien
artiste impeccable et pur il est cependant? Tiuel au moins est
intéressant, et Franz Servais semble conslituer la seule exceplion ;
on ne connaît guère de lui, et son Apollônide est impatiemment
attendue : Servais n'ayant eu d'autre maître que lui-même, ainsi
qu'il faut, l'espoir en lui est grand. Par exemple, quand on songe
à ce que sont devenus tous ceux qui restèrent accrochés simple-
ment à un second prix! Le seul qui promcttail, c'est Florimond
Van Duyse; mais, malheureusement, celui-là s'est fait auditeur
militaire.
Faut-il insister aussi sur les mièvres et pâles quatuors et trios,
sur les symphonies lymphatiques ou poitrinaires, couronnées aux
Académies ; couronnées à la façon des chevaux tombés?
Voilà les résultats des écoles décomposition; et pourtant —
constatation curieuse — peu d'écrivains, jusqu'ici, attaquèrent ou-
vertement ce pernicieux enseignement : en Belgique, il me sou-
vient vaguement d'une très énergique et violente campagne me-
née hardiment au Guide musical par Maurice KufFerath, si je ne
fais erreur. En France, avec Alfred Ernsl, dans la Revue blanche,
Y Art et Critique, le Gaulois, ainsi qu'Henri Gaulhier-Villars, qui'
tous deux vaillamment bataillent, je ne vois qu'Arsène Alexandre,
le plus audacieux des critiques d'art de la presse quotidienne pa-
risienne, le seul pour la peinture, celui qui surtout, au Paris et à
l'Eclair, s'est fait le rude champion de tous jeunes apportant une
forniule d'art nouvelle; sa brillante chronique, V Anti-Conserva-
toire, fit, entre autres, fort sensation.
Il n'est donc pas inutile de faire voir aux simples et sincères
amateurs qui, jeunes encore, se sentent grouiller de vagries be-
soins d'art, tout le danger et l'influence fatale des écoles officielles,
— d'ailleurs autant, pour la peinture ou la sculpture, que pour la
musique.
La raison directe de cette néfaste influence" me sera facile à
analyser; il suffira de montrer l'abîme profond qui sépare les prin-
cipes premiers d'où l'art tire son origine, de l'esprit mesquin et
l'élroilesse d'idées avec lesquels ce môme art est envisagé. Tou-
jours maîtresses sont restées la compréhension restreinte et les
petitesses de vue de Félis; de Fétis, celui-là môme qui corrigeait
les fautes de Beethoven, prenant les géniales audaces du maître
pour... des distractions — n'est-ce pas délicieux? — ; du père
Fétis enfin ; de Yabgestumfter greiss de Wagner : et c'est encore
réternellc façon de mal regarder, de ne pas voir; les erreurs, pour un
peu moins profondes peut-être, n'en sont pas moins restées iden-
tiques. Et je ne me rappelle plus où, mais, je crois, dans la pré-
face de son Traité d'instrumàitation, Gevaert écrit que le prin-
cipe de la création est simplement de la réminiscence.
Ce serait donc affirmer, selon lui, que les dessins mélodiques
et les couleurs harmoniques s'imprégnant en nos cerveaux, ces
mômes dessins et ces m.êmcs couleurs en ressorti raient modifiés
plus ou moins et sous d'autres apparences, formant ainsi des mu-
siques nouvelles, des créations! Or, dans ce faux principe n'est
envisagé que l'extériorité de l'œuvre d'art, la forme, la matière
presque; c'est, comme le dit si bien Hegel : « ...une succession
« complète en soi de combinaisons el demodulations.d'opposilions
« et d'harmonies qui appartiennent au. domaine purement musical
« des sons. Mais alors la musique reste vide, inexpressive; et
« comme le côté principal de tous les ans, le côté intellectuel ou
« de l'expression lui manque, elle ne mérite pas encore à pro-
« prement parler ce nom (1) ». C'est néanmoins sur ce point de
départ erroné de Gevaert, exprimé encore en d'autres endroits et
en d'autres termes, qu'est échafaudé tout l'enseignement de la
musique actuel, combiné avec cette autre erreur, qu'il faut acqué-
rir, avant tout, une sorte de mécanisme indépendant de l'art, com-
muniqué par des règles et des préceptes, et pompeusement inti-
tulé : technie. L'on astreint les jeunes — qui le veulent bien —
au dur exercice de l'emploi en soi de mélodies cl d'harmonies,
abstraction faite de toute préoccupation ou besoin d'œuvre; cela,
jusqu'à la parfaite elliabile imitation, non pas des œuvres d'au-
trui môme, mais de leur facture seule. Celte espèce de virtuosité
en quelque sorte, est appelée alors : connaître son métier. C'est
aussi ce qui se passe dans les écoles de peinture, par exemple,
où l'on habitue à tracer des ligues, à employer des couleurs, en
dehors de tonte émotion.
Je trouve la plus nette condamnation de ce système dans le
fameux article de Wagner (à la Nouvelle Gazette musicale) : Du
Judaïsme dans la musique ; à propos de l'incapacité du juif, il dit :
« Peu importe ce qu'il crée, pourvu qu'il force l'attention; il n'a
« qu'un souci : celui de la forme ». On devrait ajouter à ce sujet
qu'il y a beaucoup de juifs de nos jours.
L'on pourrait, il est vrai, prétendre qu'à l'école il n'est nulle-
ment question de créer des œuvres, mais d'enseigner, de fournir
les moyens d'en produire : Or, ceci est faux encore; en faisant des
œuvres, seul on apprend à en faire, et non pas eu s'appliquant à
autre chose; c'est précisément à vouloir exercer les jeunes à
séparer la forme, l'exlériorité de ce qui fait le fond de l'œuvre
d'art, c'est à leur vouloir donner celte habitude de monstruosité
anti-nalure, qu'on les empêche à jamais de pouvoir créer quoi
que ce soit.
Car, loin d'être une réminiscence, comme le dit Gevaerl.l'œuvre
est une création toute spontanée ; s'adressanl à la sensibilité des
hommes, elle sort complètement du principe sensible. Chez l'ar-
tiste, ce principe de la sensation se développe, se raffinise, se sen-
sibilise, devrais-je dire, et s'intellectualise : cet acheminement vers
un constant perfectionnement provient du contact émotionnel et
conscient des objets qui sont la nature el des œuvres qui sont
l'humanité. Les sensations fortes extérieures, à la suite d'un tra-
vail de gestation dans le « Moi », peu à peu dégagent en l'artiste
des sensations intérieures individuelles. C'esj en celle genèse que
précisément consiste la création artistique ; el pour êlre essen-
tiellement du domaine d^ l'activilé, de la volonté htimàine, elle est
éminemment naturelle. Et je veux ciler encore ici Hegel :
ce Le véritable artiste a un pencha,nl naturel et un besoin immé-
« diat de donner une forme à lout ce qu'il éprouve, à tout ce 4ue
(1) Hegel, Cours d'esthétique, troisième partie, chap. II.
292
VkRT MODERNE
« son imagination lui représente... Ce çion de représenler, l'ar-
« liste ne le possède pas seulement comme faculté purement spé-
«c culative d'imaginer et de sentir, mais encore comme disposi-
« lion pratique, comme talent naturel d'exécution. Ces deux
« choses sont réunies dans le véritable artiste. Ce qui vit dans
« son imagination lui vient ainsi en quelque sorte dans les doigts,
M cotnme il nous vient à la bouche de dire ce que nous pensons,
« ou comme nos pensées les plus intimes, nos idées et nos senti-
ce ments apparaissent immédiatement sur notre physionomie,
« dans le maintien, les gestes, les attitudes du corps. Dès lors, le
« véritable génie a bientôt fait de se rendre facile la partie exlé-
« rieure de l'exécution technique (1). » Et plus loin encore :
« Cette disposition naturelle que l'artiste trouve en lui-même, il
« doit sans doute la développer par la pratique pour arriver à une
« habileté parfaite : cependant, la faculté immédiate d'exécution
« ne doit pas moins être chez lui un don naturel, sans quoi l'habi-
te leté simplement ne peut aller jusqu'à produire un art réelle-
« ment vivant. Ainsi, conformément à l'idée même de l'art, les
« deux parties intégrantes de la composition, la production et la
« réalisation, se donnent la main et sont inséparables. » Enfin,
dans le résumé, on lit encore : « Ce n'est pas par un travail méca-
« nique, dirigé par des règles apprises, que l'artiste exécute ses
« œuvres. »
Si l'on a bien pu comprendre, par ces brèves notes, combien
la forme d'art — qui est la réalisation d'une conception —
est intimement liée au sentiment, l'on se rendra compte aussi de
rimportance de l'éducation, du développement homogène artis-
tique et intellectuel : autant il est néfaste à l'artiste d'être arrêté
dans son œuvre par un manque de technique, autant il est dan-
gereux pour la création d'avoir poussé celte technique plus
avant que la sensibilité, malgré ce qu'en dit Gevaert (2). On verra
aussi quelle est l'influence des milieux sur le principe sensible ;
vous vous souvenez du Neveu de Rameau, lorsque Diderot lui
fait dire : « Mais le moyen de sentir, de s'élever, de penser, de
« peindre fiirlement, en fréquentant des gens tels que ceux qu'il
« faut voir pour vivro? »
A pilus forte raison, que peut faire l'élève, après avoir reçu,
pendant quatre ou cinq «ns, sans relâche, toujours, toujours,
sans cesser jamais, des impressions vides de toute expansion
artistique, purement matérielles, contraires à tout principe d'art,
impressions qui développeront son sentiment dans de mauvaises
voies et lui porteront une déformation irrémédiable; quelque
chose comme une lésion, inguérissable autant que celles du
cerveau.
Voici, je_ pense, des principes que ne pourront admettre les
musiciens; je ne m'en étonnerai nullement et songerai à ce que
dit Hegel encore : « Le talent musical peut se développer dans
« une extrême jeunesse et s'allier à une grande médiocrité d'es-
€( prit et à la faiblesse de caractère ». Et ceci est le cas très géné-
ralement répandu, parmi les jeunes surtout, même ceux-là qui
apprirent seuls : ils apprirent mal, laissant de côté toute intellec-
lualilé. Le fait de ne point aller au Conservatoire n'implique nul-
lement le pouvoir de créer des œuvres d'art, et je pourrais citer
telle musiqjie dont le seul but est de reproduire le bruit que font
les vagues'de la mer, ou le vent dans les cordages, ou encore
l'imitation d'une danse de marins, à la façon de Gilson.
(1) Hegel, Cours d'esthétique, première partie, chap. III.
(2) Annwxirt du Conservatoire de BruxelUa, iill, p. 148.
Oh! combien autrement et véritablement œuvres d'art sont les
Chants de la Mer et des Grèves, de Georges Fié! Avec, pour
simples matériaux, de naïves mélopées populaires, sans accom-
pagnements, Fié nous fait éprouver de nouveau les sensations .
intenses et de violente intimité ressenties en la Vie tout entière de
la Mer. Ce n'est plus le bruit des vagues, cette fois, qui est repro-
duit ; mais l'âme de la Mer vibre en ces très purs chants ; ce sont
ses joies, ses tristesses, ses deuils et ses espoirs qui se retrouvent
en des expressions d'êtres qui l'aiment, la sentent, la subissent,
la vivent de toute leur vie.
Voyez-vous, il ne suffit pas d'annoter dans une formule quel-
conque les aspects des choses extérieures, pour donner la sensa-
tion que produisent ces mômes choses, en l'âme et en l'intellec-
tuel d'un artiste. Et ceci s'enseigne-t-il? Parfaitement. Dans les
Paradis fermés du Rêve, où seuls purent jamais pénétrer les
Vrais.
Eugène Samuel
LE MONUMENT DE CHARLES DE OOSTBR
Nous publions la lettre par laquelle Charles Potvin, un des
meilleurs et des plus pieusement fidèles amis de Charles De Coster,
raconte à l'un de nous l'exhumation récente des restes du grand
écrivain. Avec quelle simplicité et quelle émotion ! Il est récon-
fortant, après l'indifférence cruelle et bêle dans laquelle on a laissé,
en Belgique, vivre et mourir le grand écrivain, l'auteur illustre
de Tiel Uylenspiegel, de sentir le profond et touchant souvenir
qu'il a laissé dans l'âme généreuse du frère d'armes qui l'a si
bien connu et tant aimé.
Au nom de tous, Z'.4r/ moderwe le remercié.
Jeudi, 1er septembre 1892.-
MoN CHER Picard,
Nous avons fait hier soir une chose décisive pour De Coster.
Après des délais pour lever quelques difficultés, l'administra- »
lion communale s'est arrêtée à l'idée de remplacer le caveau oCr-^
repose sa mère, dans l'ancien cimetière, par un caveau spécial,
plus large et mieux situé, au nouveau cimetière d'Ixelles. Le
mari de la sœur de notre ami en a été informé ; on le priait de
"venir â Bruxelles au plus tôt, pour certains détails ; il y est venu
mardi, lui, Hector Denis et moi.
Nous nous sommes réunis dans le bureau de l'état civil, et là
séance tenante, il a été décidé que le plus sûr était d'enlever l'af-
faire le lendemain même. Donc, hier soir, à 6 1/2 h., nous nous
sommes rendus au cimetière, avons vérifié les registres très bien
tenus, et trouvé la fosse ouverte. Le cercueil n'existait plus; mais
le numéro sur plomb a été trouvé à la place indiquée dans le re-
gistre. Cela constaté, on a procédé, os par os, au transport des
restes de notre ami dans un cercueil de chêne plombé. Puis,
comme dçmière certitude, on a retrouvé, à la hauteur de la poi-
trine, un cadre avec sa glace intacte que M. Eug. Dandoy, son
beau-frère, a reconuu comme ayant contenu le daguerréotype de
sa mère, que sa sœur se souvient avoir déposé dans son cercueil.
Nous avons donc l'assurance d'avoir soustrait à la dispersion
complète les restes du poète. Le cercueil a été scellé, puis déposé,
couvert d'une grande couronne de lierre, dans une salle d'attente,
d'où il sera transporté dans cinq ou six semaines, solennellement
dans le caveau définitif. D'ici là, le transport des restes de sa mère
K
-^
J
LART MODERNE
293
aura élé fait et nous laisserons notre ami reposer auprès d'elle.
Quant à la cérémonie officielle, nous nous entendrons pour en
fixer le jour et le programme. En attendant, je vous mets au
courant de ce premier résultat.
Ma main tremble etje griffonne. C'est que ce fut assez cruel à voir.
Passez ma lettre à Lemonnier.
Tout à vous,
— - Ch. Pqtvin.
LE POÈTE
(1)
(Traduction inédite.)
Mais abandonnons ces victimes de la vanité ; observons avec
un nouvel espoir comment la nature, par des impulsions plus
fortes et meilleures, a assuré la fidélité du poète à son rôle de
prophète et d'affirmateur; elle assure sa sincérité en l'entourant
de beauté, d'une beauté qui s'ennoblit par l'expression.
La nature lui offre toutes, ses créatures comme images de sa lan-
gue. L'objet employé comme type acquiert une seconde et mer-
veilleuse valeur, bien supérieure à sa valeur primitive; ainsi la
corde tendue du menuisier caressée par la brise donne
un son musical si vous en rapprochez voire oreille. « Des choses
plus excellentes que toutes les images, dit Jamblichus, sont
exprimées par des images. »
Les choses peuvent être prises comme symboles parce que la
nature elle-même est un symbole, dans sa totalité et dans chacune
de ses parties.
Chaque ligne que nous traçons sur le sable a son expression et
il n'est personne qui n'ait son esprit ou son génie propre. Toute
forme est l'un des effets du caractère d'une chose ; toute condition,
un effet de la manière de vivre; toute harmonie, un effet de santé
(et pour celle raison la perception du Beau serait sensible aux
seuls bons). Le Be^ repose sur les bases du Nécessaire (2).
L'ftmeïait le corps, comme dit le vieux Spenser :
« Plus tout esprit est pur, plus il contient de divine lumière,
plus il embellit le corps qu'il habite, et le remplit de charmes. Car
le corps prend la forme de l'âme, car l'âme est forme, et façonne
le corps. »
Nous voici arrivés tout d'un coup, non à une spéculation de
l'esprit, mais à un endroit sacré, où on doit marcher lentement et
avec respect. Nous nous trouvons devant le secret du Monde, là
oîi l'Être devient Apparence, et l'Unité, Variété.
L'Univers est « l'externisation » de l'Ame. Partout où il y a
Vie, ce fait éclate dans les apparences qui l'entourent. Notre science
est sensuelle et, partant, superficielle. Nous traitons d'une façon
sensuelle la terre, les corps célestes, la physique, la chimie,
comme si ces choses existaient par elles-mêmes ; mais ces choses
sont la continuation de l'Être que nous avons. « Le grand ciel,
dit Proclus, montre, par ses transfigurations, de claires images
de la splendeur des perceptions intellectuelles ; car il se meut en
conjonction avec les périodes invisibles des natures intellec-
tuelles. » C'est pourquoi la science marche toujours de pair avec
(1) Suite. Voir les n<>' des 21 et 28 août 1892.
(2) Le Beau est la purgation de toute super^ité
Miohbl-Anob.
l'élévation de l'homme, marchant du même pas que la religion et
la métaphysique; ou, si vous voulez, l'état de la science indique
noire degré de connaissance de nous-mêmes. Puisque tout dans
la nature répond à un pouvoir moral, si quelque phénomène reste
brutal et obscur c'est parce que, dans l'observateur, la faculté qui
correspond à ce phénomène n'est pas encore active.
Il n'est pas étonnant, dès lors, puisque ces eaux sont si pro-
fondes, que nous les observions avec une si respectueuse héiîita-
tion.La beauté delà fable prouve l'importance de sa. signification;
elle le prouve au poète et à tous les autres; ou si vous préférez,
tout homme est assez poète pour être sensible à ces enchante-
ments de la nature ; car tous les hommes ont en eux les pensées
dont l'uAivers est la célébration. Je trouve que la fascination ré-
side dans le symbole : Qui aime la nature? ou plutôt, qui ne
l'aime pas? Les poètes, les hommes de loisir et d'éducation raf-
finée qui vivent avec elle sont- ils seuls à l'aimer? Non, les chas-
seurs, les fermiers, les charretiers, les bouchers l'aiment aussi,
quoiqu'ils expriment leur affection par le choix de leur état et
non par le choix de leurs mots. L'écrivain se demande ce que le
chasseur ou le cocher apprécie dans l'équitation, les chevaux et
les chiens. Ce ne sont pas des qualités superficielles. Si vous
causez avec lui, il les évaluera à un taux aussi insignifiant que
vous le feriez. Son culte est tout de sympathie; il n'a aucune
définition, mais il est impérieusement attiré par la nature, par le
pouvoir vivant qu'il sent présent dans ces choses. Aucune imita-
tion, aucune représentation de ces choses ne le satisfera. 11 aime
la sérieuse réalité du vent du nord, de la pluie, de la pierre, du
bois el du fer. Une beauté qu'on ne peut expliquer nous est plus
chère qu'une beauté dont nous connaissons la définition. C'est la
nalure-symbole, la nature affirmant le surnaturel, — corps sub-
mergé de vie, — qu'il adore par des rites grossiers, mais sincères.
L'intimité et le sens mystérieux de ce goût pour la nature pous-
sent les hommes de toute classe à se servir d'emblèmes. Les écoles
de philosophie et les poètes ne sont pas plus entichés de leurs
symboles que le peuple ne l'est des siens. Voyez le pouvoir d'ex-
pression des emblèmes nationaux !
Quelques étoiles, des lys, des léopards, un croissant, un lion,
un aigle ou tout autre signe adopté Dieu sait pourquoi, imprimé
sur un vieux chififon floflanl à tous les vents sur un fort, à l'autre
bout du monde, fera bouillir dans ses veines le sang de l'homme
le plus grossier ou le plus conventionnel. Ces gens s'imaginent
qu'ils détestent la poésie et ils sont tous des poètes et des mys-.
tiques!
Après avoir constaté cette universalité du langage symbolique,
nous sommes forcés de reconnaître ce qu'il y a de divin dans cette
interprétation supérieure des choses, qui fait du monde un temple
d'emblèmes, d'images el de commandements de la divinité ; nous
y sommes forcés par le fait qu'il n'y a aucune chose dans la nature
qui ne porte avec elle, en elle, le sens de la nature entière; el les
distinctions que nous appliquons aux événements el aux afiaires
en les traitant de choses élevées ou dégradantes, honnêtes ou dés-
honnêies, disparaissent quand nous prenons la nature pour sym-
bole. La pensée se sert de tout. Le vocabulaire d'un homme qui
saurait tout comprendrait des mots el des images qui sont bannis
de la conversation polie.
^ Ce qui semblerait bas ou même obscène à des esprits obscènes,
devient grand et illustre si on en fait l'objet d'une pensée nouvelle.
La piété des poètes hébreux fait oublier leur grossièreté. La cir-
concision est un exemple du pouvoir que possède la poésie pour
294
VAUT MODERNE
élever des choses grossières ou honteuses. Des choses pelites ou
triviales servent autant que de grands symboles. Plus est vil le
terme qui lypific cl exprime une loi, plus il a de force cl plus il
dure dans la mémoire des hommes, tout à fait comme si nous
choisissions la plus petite boîte ou case dans laquelle puisse se
porter un ustensile nécessaire. Il suffit parfois d'une siii>ple liste
de mots pour exciter un esprit fertile et doué d'imagination, et
l'on dit de lord Chatam qu'il se mettait à lire le dictionnaire de
Bailey avant de prononcer ses discours au Parlement. La mémoire
la plus pauvre suffit, d'autre part, quand il s'agit de donner corps
à une pensée. Pourquoi envier et désirer la connaissance de nou-
veaux faits.' Le jour, la nuit, la maison, le jardin, quelques livres,
quelques actions pcuvcnl nous servir aussi bien que tout autre
spectacle. Nous sommes loin d'avoir épuisé la signification du peu
de symboles dont nous nous servons. Nous pourrions arriver à
nous en servir avec une terrible simplicité. Un poème n'a pas
besoin d'être long. Chaque mol fut jadis un poème. Chaque géné-
ralisation, chaque relation nouvelle des choses entre elles crée un
nouveau mol. Nous nous servons même des défauts et des diffor-
mités pour des usages sacrés, exprimant ainsi notre sentiment
intime qui nous dit que les défauts n'apparaissent tels qu'à l'œil
défectueux.
On observe que dans la vieille mythologie certains défauts sont
attribués aux dieux, conrime la cécité à Cupidon, un pied boiteux
à Vulcain, pour signifier l'exubérance de ces choses.
Car, comme c'est une dislocation, une séparation d'avec la vie
divine qui fait les choses laides, le poète qui rattache tout U la
nature et à l'ensemble, — rattachant même les choses artificielles
et les violations des lois aux lois elles-mêmes, par une vue plus
profonde, — le poète dispose 1res facilement des faits les plus
désagréables. Des lecteurs de poésies voient les fabriques et les
chemins de fer envahir la campagne, et ils se figurent que la
poésie du paysage champêtre en est détruite parce que ces tra-
vaux d'art ne sonl pas encore consacrés par les auteurs qu'ils
lisent. Mais le poète voit que ces choses rentrent dans le grand
ordre, tout autant que la ruche des abeilles ou la toile géométri-
que de l'araignée. La Nature a bientôt fait d'adopter ces choses
cl de les faire entrer dans ses cercles vivants, et elle aime celte
glissante traînée de chars comrtie s'ils lui appartenaient. De plus,
pour un esprit centralisé, le'nombre des machines ou leur raffine-
ment ne signifie rien. Le fait de la mécanique reste toujours le
même, il est inaltérable sous ses milliers d'applications. \a fait
spirituel est là, et la hauteur d'aucune montagne ne peut changer
la courbe de la sphère. Un intelligent petit paysan vient à. la ville
pour la première fois et vexe le complaisant citadin par son peu
d'enthousiasme. Ce n'est pas que l'enfant dédaigne ces belles mai-
sons, il sait qu'il n'en a jamais vu de semblables, mais il en dis-
pose dans son esprit avec autant de facilité que le poète dispose
du chemin de fer. La plus grande valeur d'un fait nouveau c'est
d'illustrer et de faire ressortir ce grand fait constant de la vie,
auprès duquel toute circonstance, quelle qu'elle soil, est bien rape-
tissée, et auprès duquel la ceinture du sauvage et le commerce
de l'Amérique entière sont des choses à peu près égales.
{A continuer.)
M. HENRI BEOQUE ET LA JUIVBRIE
Le succès du journal d'Edmond Drumont, La Libre Parole,
même en Belgique, est remarquable.
C'est „ à Tongres que nous avons lu le numéro dont nous
extrayons le curieux article que voici, intéressant un des meil-
leurs écrivains de la jeune école dramatique, M. Henri Becque,
dont l'Art moderne a signalé maintes fois les œuvres ingénieuses
et fortes. Il paraît qu'en cette cité reculée de Tongres, la Libre
Parole écoule trente numéros par jour.
LES SUITES D'UNE SOUPE AUX CHOUX
M. Henri Bccquc, dans sa jeunesse, se lia d'amitié avec
M. Abraham Dreyfus au point de consentir à manger chez ce der-
nier, de temps en temps, la soupe aux choux. Ils aimaient cette
soup.e l'un et l'autre cl ils étaient auteurs dramatiques tous les
deux.
tu. Abraham Dreyfus a le souffle dramatique assez court;
M. Henri Becque l'affirme, et on n'a qu'à lire ses pièces pour s'en
convaincre.
Mais M. Abraham Dreyfus est Juif. Il a les qualités naturelles de
sa race;. il est doué surtout de cette faculté prodigieuse d'assimi-
lation, qui est une des grandes forces de ceux de sa nation, qu'il
s'agisse de s'assimiler notre argent ou nos idées.
El M. Abraham Dreyfus s'est assimilé parfois les idées de
M. Becque, quoiqu'il s'en défende. M. Becque l'affirme, il n'y a
aucune raison de douter des affirmations de M. Becque.
M. Dreyfus avait présenté à l'Odéon une pièce, LInstitution
Sainte-Catherine, qui ne marchait pas très bien aux répéti-
tions.
11 vint trouver M. Becque, qui venait de remettre au Théâtre-
Français les Corbeaux; quelques exemplaires avaient été tirés
chez l'éditeur Tresse.
— Oh ! que vous seriez gentil, dit M. Dreyfus à M. Becque, de'
me laisser lire votre pièce ; j'ai une si grande envie de la con-
naître !
— Très volontiers, répondit Becque.
Et il lui en remit un exemplaire.
A la première représentation de i Institution Sainle-Cathurine,
M.' Becque et M. Lavoix, le lecteur du Théâtre-Français, $9 ren-
contrèrent. M. Lavoix connaissait to Corbeaux.
M. Becque ne se souvient pas si c'était au second ou au troi-
sième acte, mais il se rappelle très bien qu'à une scène de la
pièce, Lavoix et lui, du même coup, par une même impulsion,
se pencbèrenl l'un vers l'autre en se regardant.
Lavoix fit à Becque un geste qui voulait dire :
— « Mais ce sonl les Corbeaux. »
Et Becque répondit par un autre geste qui voulait dire :
— « 11 me semble bien que ce sonl les Corbeaux. »
Et le rideau baissé, Lavoix vint reprocher à Becque d'avoir
communiqué sa pièce à Dreyfus et lui recommanda de ne jamais
recommencer. Sa pièce appartenait au Théâtre-Français; il ne
devait la montrer à personne.
Becque, à ce momeril-là, n'osa rien dire à Dreyfus. Il se souve-
nait de la soupe aux choux.
Aujourd'hui, M. Abraham Dreyfus est brouillé avec M. Henri
Becque. Il se défend d'en avoir jamais reçu quoi que ce soit, pas
la plus petite idée, pas la moindre scène. A peine avoue-l-il trois
mois insignifianls que Becquc lui aurait prêles pour lé~Kleplite,
mais qu'il veut lui resliluer, parce qu'en effet ces trois mois n'ont
aucune valeur.
Pour ce Klephle, M, Becque prétend bien qu'il a aidé M. Drey-
fus à le débrouiller. MM. Koning et Meilhac, qui l'avaient lu avant
qu'il fût porté à l'Odéon, l'avaient trouvé embourbé, diffus et
long. Quand il eut passé pa-r les mains de Becque, il avait une
allure pimpante, une clarté dont celui-ci avait eu jusqu'ici la
discrétion de ne pas réclamer pour lui tout le mérite.
Mais M. Dreyfus a cru pouvoir renier les bons services de
Becque. Et il n'y a plus de soupe aux choux qui tienne. M. Becque
s'est décidé \x manger le morceau.
Nous n'avons pas à prendre parti dans cette querelle littéraire
qui ne va pas manquer d'égayer le boulevard.
Cependant, si M. Henri Becque affirme que M. Abraham Dreyfus
lui a emprunté son concours pour une de ses pièces et certaines
scènes pour une autre, il n'y a guère de doute possible; les
emprunts doivent être réels.
Les gens qui nous accusent de violence et de parti pris contre
les Juifs, tout en nous abandonnant d'assez bonne grâce les Juifs
de la Bourse et de l'agio, nous demandent d'excepter de nos accu-
sations les Juifs de l'Art et de la Littérature.
L'aventure de M. Dreyfus semble bien établir cependant que
les Juifs ont la même aptitude aux razzias littéraires qu'aux raz-
zias financières.
M. Henri Becque ne s'en doutait pas. Il le sait aujourd'hui. Il
déplore d'avoir si mal placé son amitié. Mais voilà... Il aimait tant
la soupe aux choux !
Félicien Pascal
pORREgPONDANCE
M. Henri Van de Velde ayant donné une conférence au Knnst-
kring de La Haye et inséré dans les colonnes de l'Art moderne
ses réflexions de voyage, M. Zilckcn lui envoie en réponse les
lignes qui suivent.
, Nous insérons sans hésiter la réponse courtoise de M. Ziicken.
Cher Monsieur,
Je n'ai malheureusement pas eu le plaisir de faire votre con-
naissance au itunstkring, pprès avoir écoulé volre^auseric sur le
paysan dans l'art, et je le regrette vivement, depuis que dans
votre compte rendu de l'exposition de quelques membres des
XXf h La Haye, vous avez commis quelques erreurs très regret-
tables au point de vue de la bonne compréhension du mouve-
ment artistique en celle ville.
Faisant partie moi-même de la direction du cercle Pulchri
Studio, je suis en mesure de dire la vérité, lorsque malheureuse-
ment vous avez été imparfaitement et fautivement renseigné.
Selon vous, il y aurait lutte entre les deux cercles ici ; mais
d'abord, savez-vpus bien que presque tous les membres (tous les
principaux certainement) du Kimslkrvig sonl membres du Pul-
chri? Que Toorop, Prikker, le président, notre ami de Bock (non
pas de BLOck) sont des nôtres, et nous sommes membres du
Kuns tkring, cxposani dans l'une ou l'autre salle,- comme le cœur
nous en dit? Donc, cette barrière d'inimitié n'existe guère, est
impossible; il y a seulement concurrence, slimukition des plus
favorables aux deux sociétés.
Heureusement nous ne connaissons pas ici le chauvin esprit de
clocher si regrettable souvent. La Hollande a toujours été
libérale, véritablement, et aujourd'hui encore, dans le monde des
artistes, J. Maris coudoie Prikker, et Toorop Israëls ou Mesdag.
Heureusement, chez nous, tous ceux qui ont du talent sont
appréciés par ceux qui savent juger, tout comme chez les XX.
La confraternité artistique dont v^us parlez existe cerlainemienl
chez nous, comme vous l'appréciez très justement, mais d'une
façon plus élevée que vous ne le semblez croire. Il y a moins de
chapelles et d'écoles, mais un plus libre et indépendant jugement.
S'il y a « lutte et ralliement de forces », c'est moins chez les
jeunes, très indépendants, que chez quelques vieilles garde». ^
rageuses, inutiles et nuisibles, qui, n'ayant aucune force par^
elles-mêmes, lûchent d'en avoir en se réunissant.
Les manifestations artistiques les plus caractéristiques de
l'année furent l'exposition des membres de Pulchri Studio,
l'hiver dernier, et la soirée artistique de ce printemps. Toutes deux
eurent lieu h PuU{kri.
La direction de ce cercle se compose en majorité de jeunes,
parmi lesquels Bauer, van der Maarel, moi-même, tous bien loin
d'éire rétrogrades ou considérés comme tels.
Aussi cette direction qui, selon vous, « a décidé la révolte ».
a-t-elle eu maille à partir avec les grognards et les éclopés !
Combien l'a-t-on attaquée, vilement, bassement, toute la bande
des roquets déchaînée, parce que, par exemple, Thorn Prikker
était bien placé, h la rampe, parce que la commission de place- .
ment avait choisi les œuvres et les places avec une indépendance
inusitée, mais honnêtement et sincèrement.
Et les admirables soirées d'arl, dont j'ai parlé ici même en
avril, ces soirées inoubliables, véritables innovations en Hollande,
entièrement dues à l'inilialive de la direction de Pulchri, eurent
un succès énorme.
L'exquis Verwey, disant ses merveilleux vers dans la salle de
Pulchri-Studio, très bellement décorée par Bauer, van derMaarel
et Prikker, y fut plus que chaleureusement applaudi par ses .
admirateurs nombreux et sincères, venus de partout pour écouler
et voir, y compris les Velh, les Toorop, les Holst.
D'où sort donc cette accusation injuste et fausse que vous portez
à ce cercle plus vieux de date que le Kimstkring, mais non moins
manisfeslement jeune, si pas plus?
Peut-êlre en Belgique ou ailleurs existe-t-il des cercles où
« d'inutiles podagres traînent après eux une odeur de chair
morte », mais je vous assure que ce n'est pas le cas à La Haye
parmi les artistes.
El vous dites que Pulchri avait « tenté d'écraser la gloire immi-
nente de van Gogh ». Mais, cher Monsieur, savez-vous bien que
lorsqu'il futquestion d'exposer ces œuvres, presque aucune n'avait
de bordure, et que nous jugeâmes mieux pour la gloire de l'ar-
tiste de ne pas les exposer dans des conditions défavorables dans
une salle qui mesure 70 mèlres de rampe et 10 de hauteur? El
que c'est nous-mêmes qui avons communiqué à de Bock la pos-
sibilité d'exposer ces œuvres dans les salles plus petites et meil-
leures celle fois du Kunstkring ?
El pour finir, pardonnez une critique; vous dites « à la suite de
Toorop, Bauer, etc ». Mais nous, qui apprécions 1res haut le
puissant talent de Toorop, et qui connaissons à fond celui tout
différent de Bauer, nous plaçons celui-ci à côté du très intéres-
sant membre des XX, et non pas à la suite.
Ayant comme vous, cher Monsieur, un enthousiasme sincère
pour tout ce qui est art, lumière, vérité, je tenais à rectifier ces
quelques erreurs qui placent la situation artistique à La Haye
dans un jour tout autre que le vrai.
Croyez à ma parfaite considération et à mes meilleurs senti-
ments.
Ph. Zilcken.
M. Van de Velde, auquel nous n'avons pu — faute de temps
— envoyer la lettre de M. Zilckcn, lui répondra, s'il le juge
opportun, dans le numéro prochain de l'Art moderne.
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Douzième année. — N» 38.
Le numéro : 2& centimes.
Dimanche 18 Septembre 1892.
â'^.
L'ART MODERNE
PARAISSANT L£ DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Comité de rédaction t Octave MAUS — Edmond PICARD — ËinLB VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, ù. 13.00. —ANNONCES : , On traite i forfait.
Adresser toutes les communications à
l'administration générale de TArt Moderne, rue de l'Industrie, 32, .Bruxelles.
Sommaire
Notes sur les primitifs italiens. Oriolo. — Georges Eekhoud.
— Le poète. Essai par R.-W. Emerson (Suite). — Ancien compte
A RÉGLER. — Les coulisses de la tableaumânik. — Réponse a
M. Ph. Zilcken. — Petite chronique.
Notes sur les Primitifs italiens ^^^
ORIOLO
Je sais de lui un fier portrait conservé à la National
Gailery, mais rien de plus. J'ai vainement cherché son
nom dans les biographies, les dictionnaires et les his-
toires. Nulle part ailleurs non plus, je n'ai rencontré de
ses œuvres. Le catalogue de l'admirable Musée de
Londres, si érudit et si exactement rédigé, ne donne
guère sur Oriolo que les indications résultant du tableau
lui-même. Celui-ci étant le portrait du marquis Lionel
d'Esté, prince souverain de Ferraré de 1441 à 1450,
on a pu en conclure qu'Orioio devait appartenir à l'école
ferraraise et vivre vers le milieu du xv* siècle. En plus,
(1) Voyez dans l'Art moderne de 1891, n» 47, Giotto; 49, Maso-
lino da Panicale; 51 et 52, Gentile da Fabriano; en 1892, n»» 31
et 32, Pisanello.
le catalogue ajoute qu'il reçut probablement des leçons
de Pisanello et qu'il vivait encore en 1461.
C'est tout. C'est peu pour un tel peintre. Et s'il fal-
lait encore démontrer l'inanité de l'ambition de gloire,
mémo devant la postérité lointaine, on pourrait s'indi-
gner d'avoir sur nombre de médiocrités tant de rensei-
gnements minutieux et précis et de nerrien savoir de la
vie ef des œuvres de celui qui signa ce merveilleux por-
trait.
Tout ce qu*une curiosité exaspérée et patiente m'a
permis de découvrir, c'est dans un ouvrage de Valmigli
sur les artistes de Faënza, l'indication de deux autres
portraits, ceux des filles du seigneur magnifique Astor
de Faënza. Valmigli, en compulsant des archives et
d'anciens poètes locaux, les trouve célébrés en des
vers (1) dont le contexte permet de dater ces portraits
de 1449. Une autre mention, du 20 août 1461, appelle
Oriolo, picior publieus. Et certains documents per-
mettent de croire qiie le peintre appartenait à la famille
Calegari et ne s'est appelé Oriolo que du nom de son
(1) Ad manificum dominum Astorem de pictura filiœ suœ majoris
Elisabethee manu Johannis de Oriolo. Ad prœfatum principem de pic-
tura flliae minoris dominse Barbarse manu praedicti, — par Lapi.
Hanc explere volens pictor tua vota Jo'annes
Màjoris natse efQgiem tibi destinât, Astor
Princeps, grata exenim caro ratus esse parenti
Munera, non illam melius pinzisset Apelles
Non Zeuzis : vocem et sensum si forte dedisset.
298
L'ART MODERNE
village natal, petit bourg de la Romagne, à quelques
kilomètres de Faënza.
Cette fois, c'est bien tout. Que sont devenus ces por-
traits t On l'ignore. Détruits, peut-être ; peut-être aussi
glorieusement attribués à quelque maître?
Il faut renoncer à dissiper cette injuste nuit de mys-
tère et d'inconnu ; et celte impossibilité de savoir aiguisé
encore ma sympathie; cette biographie dédaignée me
semble d'autant plus savoureuse et j'aime à rêver à
l'œuvre perdue que j'imagine à l'aise, opulente et forte,
d'après le chef-d'œuvre resté.
Vraiment, le mot chef-d'œuvre n'a rien d'excessif
pour le tableau de la National Gallery. On peut affir-
mer que ce portrait est surprenant parmi les plus
beaux. La pose en est extrêmement simple : le marquis
Lionel est représenté en grandeur naturelle, la tête
découverte, de profil et regardant vers la gauche, le
bas du cadre coupant le buste un peu au-dessus du
coude. Une blouse d'un rouge vif et chaud vêt son torse
mince et grêle, paraissant plus mince encore par la
retombée, devant, derrière, d'une sorte de surplis noir
qui semble à distance se confondre avec le fond vert
sombre, donnant, de corps maigre, rouge et raide, l'illu-
sion d'une inquiétante fleur bizarre, turgescente et dres-
sée, dont le sommet serait une tête humaine.
Nul autre détail. Point d'accessoire distrayant l'atten-
tion. Et la figure alors, en franche lumière, détaillée
avec une vigueur et une précision incomparables. Ainsi
campé, ce portrait est d'une énergie indicible (pour
des siècles, voici revivre, d'une intense vie, le marquis
Lionel), mais il a surtout une grande allure d'art. Son
style impérieux déconcerte quand on songe que Piero
délia Francesca et Ghirlandajo étaient encore à venir.
D'autres artistes, notamment Pisanello dans plu-
sieurs de ses médailles, nous ont conservé les traits
étranges du prince d'Esté. On connaît pour toujours,
dès qu'on la vit, cette singulière figure, aux cheveux
frisés, au nez osseux continuant presque sans interrup-
tion la ligne du front, au menton glabre et volontaire.
Pisanello, le médailleur attitré de ces fastueuses
petites cours de la première Renaissance, s'était plu
sans doute à flatter son modèle, à l'ennoblir en adou-
cissant la violence de ses traits. Mais je suppose que ce
portrait d'Oriolo, s'il fut commandé par le souverain,
dut être accueilli avec moins de faveur. Car il est, en
vérité, terrible. Dans les deux efligies, même allure
juvénile, même coiff'ure de cheveux bouclés menu,
avançant sur le front ainsi qu'un bonnet et saillant sur
le cou grêle, même soudure du nez au front, même
regard inflexible, mêmes lèvres glabres sans sourire,
mais chez Oriolo, tous ces traits sont accentués vers
une dureté plus grande. Le bas de la figure est beau-
coup plus important et restitue au type son caractère
de tyranneau sauvage et féroce. Ce Lionel-ci est au-
trement complexe et significatif que l'éphèbe chevale-
resque de Pisanello. Nous avons la révélation soudaine
de passions impétueuses, d'appétits carnassiers dont le
graveur ne nous avait rien dit (1).
Tout un dessous de bestialité, avide et sanguinaire, se
dévoile. La bouche surtout est eff'rayante et iinplacable ;
bouche de baisers funestes, évocatrice d'amours para-
doxales tachées de sang et de méchancetés! Et dans
l'œil, il y a le rêve traître et cruel des félins, l'appel
glauque des abîmes de la mer !
Pourtant, hautaine et intelligente, cette image est
bien celle du lettré brillant qui voulut être prince de
par ses sonnets aussi, de l'érudit délicat, du protecteur
sagace de tant d'artistes illustres.
Peu de portraits lèvent en l'esprit tant de songeries.
Ce que fut la vie de ce tyran-poète, et la violence de ses
volontés et de ses émotions dans cette ardente seigneurie
de Ferrare d'où nous sont venus de si extraordinaires
récits de débauche et de crime, on peut se plaire à
l'imaginer d'après cette puissante peinture où tant de
possibilités sont latentes, et encore d'après ceci :
Le père de Lionel, le vieux marquis Niccolo, avait
en ce temps, pour femme, l'exquise Parisina Malatesta.
A côté de la famille légitime, quinze au vingt bâtards
publiquement avoués, vivaient. L'un deux, Hugo,
presque un enfant, d'une invraisemblable beauté de
page, était particulièrement antipathique à sa belle-
mère Parisina, et le marquis, chagrin de ces froisse-
ments, après avoir longtemps essayé de dissiper les
répugnances de Parisina, lui ordonna d'être accom-
pagnée par Hugo en un voyage qu'elle dut faire. Il
advint, comme en la légende de Tristan, que la haine
se résolut en amour et lorsque les jeunes gens rentrèrent
à Ferrare, en apparence toujours hostiles, ils étaient
éperdument épris. Ce furent, par les nuits tièdes d'Italie,
d'enivrantes et incestueuses amours sans cesse épou-
vantées par l'imminent châtiment, et dévoilées un
jour par une camériste en colère, au vieux marquis
Niccolo. La rage de celui-ci fut extrême. Par ses
ordres, en quelques heures, son fils et sa femme furent
incarcérés, jugés^ condamnés, et malgré leurs lamen-
tations désespérées, malgré les supplications agenouil-
lées des courtisans, décapités tous deux, à la lueur des
torches, près de la Tour des Lions. Pendant l'exécution,
Niccolo parcourait fébrilement son palais, rongeant
le pommeau de sa canne, et quand on vint lui dire que
tout était fini, il fondit en larmes en s écriant au milieu
des sanglots : Hugo! Hugo! mon fils! Le lendemain, il
envoyait (superbement aux cours d'Italie.la relation du
massacre et faisait mettre à mort dans Ferrare toutes
les femmes soupçonnées du même crime que Parisina,
(1) Il existe, paraît-il, dans une collection particulière de Milan,
chez M. Morelli, un portrait de Lionel peint par Pisano. Peut-être
est-il plus explicite.
UART MODERNE
299
pou^ ne pas être seul à hurler de douleur !...
N'est-ce pas que cette histoire dont Byron a par trop
atténué, en des vers de romance, la sauvage grandeur,
coinplète bien l'œuvre d'Oriolo et qu'elle nous ouvre des
hypothèses profondes sur ce que dut être la vie de ce
marquis à face de tigre, élevé au milieu de pareilles
tragédies?
Jules Destrée
GEORGES EEKHOUD (D
, Là-bas, cet irréductible? — Georges Eekhoud.
A le voir d'esprit ouvert à la curiosité universellci à le suivre
commentant, traduisant, ressuscitant les poètes anglais, Scandi-
naves, allemands, italiens, on le croirait cosmopolite. Au con-
traire, plus que n'importe qui, dans son art, il est de son sol, de
son pays, bien plus, de son village. Avant d'élre Flamand, il est
Campinois. .^^^
Rien ne mord sur le silex de sa nature fruste et rude. Il demeure
d'une résistance d'enclume, que les marteaux font retentir, mais
qui ne bouge. Son essai sur Shakespeare et son temps prouve
combien les Anglo-Saxons ont sollicité ses goûts. Egalement les
véristes ullramontains, pendant longtemps, furent conquérants de
son attention généreuse. En France, Léon Cladel lui fut cher.
La moelle de son art, c'est la tendresse foncière; l'émotion
passionnée et violente ; l'amour entêté et âpre. Sa sensibilité va
de la douceur et de la naïveté à la sauvagerie et la folie. Indici-
blement claire en tel conte où des couples s'en vont par des
jardins plantés de groseillers et de buis, elle s'aggrave, elle
gonfle et monte et souvent atteint le spasme. Son dernier livre
aime jusqu'à faire crier. Il brûle comme une plaque à blanc.
Si l'on cherche une philosophie dans les œuvres d'Eekhoud, on
y trouve le panthéisme. Cette théorie en est l'universelle reine
comme en toutes celles qui viennent des Nords tristes et ardents.
Elle déborde des êtres sur les choses, les peuplant de notre cœur,
les spiritualisanl de notre âme, les conviant à la vie totale, per-
pétuellement.
Au reste, serait-il possible à un esprit aussi silencieux et en
même temps aussi profond d'être autre chose que spinoziste?
Trop activement adore-t-il ses bruyères et ses plaines et leurs
s)s^irs et leurs nuits, trop pertinemment surprend-il le même lan-
;e chez les plantes et les bois, chez les bétes et les gens, pour
ne/ point conclure à leur identité foncière. La fruste et éloquente
latière, la nature merveilleuse et éternelle, le monde des sens et
itellectualité communient en chacune de ses pensées, se
manifestent en tout son rêve. Si la terre, l'horizon, les pierres,
l'air, les brutltêr, les nuages, la pluie, la lumière n'étaient âmes
attirantes et enveloppantes, comment justifier les lyrismes et les
apothéoses? Le sol patrial, le coin de dilection, le morceau de
cœur qu'est pour Eekhoud la Campine anversoise, n'existent
qu'autant qu'ils lui apparaissent : êtres émotionnels et divins.
Mais qu'on s'entende. Si l'ardeur pour son terroir perdure en
lui, elle s'aiFranchit de toute notion conventionnelle de patrie.
Cette quelconquerie géographique n'ayant aucun caractère sacré
et intime, n'étant l'expression ni de ses souvenirs, ni de ses goûts,
•1) Cette excellente étude de notre collaborateur Emile Verhaeren a
paru dans r£nde/iors du 3 juillet dernier. '
ni de sa race, le laisse dans l'indifférence la plus rigide. C'est une
inlercalationdans la, prière fervente que profèrent ses livres, c'est
une surcharge dans le texte.
Son œuvre est déjà nombreuse. Outre trois volumes de vers
négligés par lui, en voici le catalogue : Kees Doorik, les Ker-
messes, les Milices de saint Françpis, les Nouvelles Kermesses,
la Nouvelle Carthage (Anvers), les Fusillés de Malines^lt Cycle
patibulaire.
Ces livres réalisent une gradation. De volume en volume, la
personnalité s'intensifie, la langue se spécialise, le caractère des
personnages s'aiguise en autochtonilé.
Les premières éludes rustiques s'influençaient de certaines
conceptions déjà émises en des romans célèbres. Le fond était
différent, mais certaines entrées en matière, tels déroulements
d'action, quelques descriptions de sites et de milieu rappelaient
les procédés consacrés. Aussi les phrases, d'où n'étaient point
rejetés encore les mots trouvés sur le terrain d'aulrui, les expres-
sions et les tournures caractéristiques de maîtres admirés, para-
sitaient l'écriture. Un sarclage était indispensable.. Il se fit lente-
ment, mais impitoyablement. Et bientôt, plus d'ivraie. Le froment
pur grandit clair. Une odeur de labour acre monta, une saveur
de bonne et authentique récolte parfuma le livre. Sur les charrois
de sa moisson, Eekhoud pouvait planter le « mai », le sien, avec
des fleurs et des guirlandes, à ses seules couleurs flottantes et
victorieuses. Il se créa une langue violente, rude, gutturale. Il
trouva en français telles combinaisons de vocables qui équivalaient
à des idiotismes flamands; il réussit à donner telle impression si
particulière en le mode d'expression littéraire qu'il s'était choisi,
que la synthèse de certains de ses contes s'incarne bien mieux en
un mot néerlandais qu'en un terme latin. La richesse de son
lexique s'accrut, la nouveauté et l'audace le heurtèrent. La faute
nette et patente fut certes évitée, mais l'assurance que les con-
quêtes totales du soi-même lui donnèrent, l'entraîna vers une
complète émancipation de la correction pimbêche et du style
canonique.
***
Pour saisir en leur vie profonde les protagonistes des Kermesses,
des Milicts et du Cycle, il faut bien se pénétrer de l'histoire des
provinces belges et spécialement du passé de la Campine. Terre
pauvre et tragique, celle-là, terre âpre.et ingrate, non pas le
tablier verdoyant et fleuri des Flandres, mais la loque rêche et
grise des landes stériles, le sablon morne et pâle où poussent des
plantes en paquet de ficelle et des arbres en bois de cercueil. Les
villages rares, les indigènes violents et naïfs, les mœurs lointaines
et touchantes et par au-dessus un vent de fanatisme. On y fit- une
guerre de paysans, jadis, en 92, aussi rageuse qu'en Vendée. On
y mourut simplement, fermement, en héros silencieux. Si bien
que le sang de la Campine semble plus glorieusement rouge que
n'importe quel autre.
C'est au fond de ce pays que se retranchent les résistances les
plus âpres aux illusions modernes de faux progrès et à l'embri-
gadement universel vers l'idéal bourgeois. Là-bas, se lèvent encore
des rustres massifs, des types de volonté immesurable, des ardents
incompressibles, des soucieux de haine profonde, des marcheurs
hors de tout rang, des endurcis de liberté lauve, des farouches
d'eux-mêmes et des autres, des taciturnes couvant la révolte,
sortes d'anarchistes des campagnes, hors la loi depuis des années
et qui rôdent autour des fermes, traqués par les gendarmes et
secourus — soit peur, soil fraternité — par les paysans, mais
plus encore par leurs femmes et leurs filles. Tels sont les person-
nages de Georges Eekhoud.
Autrefois, dans Kees Doorik et les Milices, il les choisissait
parmi les tranquilles et les paisibles. 11 les aimait honnêtes de la
vieille honnêteté de leur race, probes et fiers, ne s'affirmant
terribles que poussés à bout. Certes les carrait-il d'un bloc, en
face de toute vie banale et factice, têtus et foncièrement eux.
Pourtant l'enjeu de leur tendresse ou de leur haine n'était point
d'une témérité très éclatante. Il étudiait les rapports de maîtres à
valets, de nobles à rustres; il inaugurait des études de mœurs
d'une spécialité mitigée. Dans les Kermesses, le ton monte. Dans
les Fusillés de Malines, il s'élargit. Dans le Cycle patibulaire,
le plein crescendo est atteint.
Ce livre marque rouge. En une suite de nouvelles, tous les
misérables du bois et de la plaine, du taillis et de la dune appa-
raissent : voleurs, canailles, pervers, meurtriers, brigands,
rôdeurs, assassins, soudainement grands par l'idée qu'ils ont de
leur révolte. Aucun de leurs vices n'est tu. Une vie fourmillante,
criante de réalité, crue d'audace se manifeste; elle empêèhe
l'étude de s'empanacher d'exagération feuilletonnesque ; elle se
burine sur un fond d'eau-forte, violemment, encre et craie. Les
extrêmes de la violence sont atteints surtout dans ce « Quadrille
du lancier », la dernière nouvelle, où l'apothéose de l'irrégulier,
du dégradé, du rejeté est si audacieusement et magistralement
faite, qu'on s'étonne qu'elle ait été écrite inrtpunément. Heureuse-
ment, en Belgique, le parquet est insouciant du livre.
En face des larrons, des traqués et des fouaillés, qui pour rester
libres mènent une vie d'enfer, Eekhoud a dressé plusieurs types
de femmes admirables dé soumission et de fidélité totales. Telles
figures sont d'une humanité toute de larmes et de bonté. Elles
planent sur les récits comme de belles lumières. Leur psychologie
tout autant que celle des parias auxquels elles ont voué leur âme
se dévoile magistralement ajourée d'analyse. Et c'est Genlilie et
c'est Blanchelive-Blanchelivetle, caractères extrêmes, cœurs de
résignation poignante, chiennes de sacrifice, aussi simples et
accueillantes devant la mort que devant la vie. Le drame obscur
et âpre, tragique et familier de l'existence rebelle et pourchassée,
est enfermé dans la cave de leur pensée pour n'en sortir qu'en
phrases courtes, en actes audacieux et décisifs, en dénouements
terribles et logiques. Le crime et le vice y apparaissent comme
de belles fleurs écarlates..
***
Si Georges Eekhoud est parvenu à réaliser ces durables poèmes
de violence et de sang, c'est qu'il a fait route vers eux entre sa
pitié et sa tendresse. Il a aimé dans les gars d'abord la rusticité
et l'intransigeance, la primitivité et la foi, le silence et le courage
l'âpreté et la colère. Puis leurs passions naïves et sincères, leurs
misères tragiques, leur bonté souterraine, leur honneur spécial.
Enfin la conquête s'est faite tout entière. Il les a trouvés aussi
beaux, plus beaux, peut-être, criminels "qu'innocenis, exaltés oue
calmes, vaguants que sédentaires, traqués que paisibles. Et jamais
il ne les a mieux honorés de sa force et de son prestige de poète.
Peut-être aussi les évidentes fraternités qui lient les écrivains
d'aujourd'hui aux irréguliers l'ont-elles soutenu au point que,
vengeant ceux-ci des mépris, les dressant haut devant l'admiration
et l'inquiétude, il a d'un même coup magnifié ceux-là.
Emile Verhaeren.
LE POËTE
(1)
ESSA.I F-ÀJR R.--VV-. ETMIEieSpiT
(Traduction inédite.)
Le monde étant pour l'esprit comme un amas de verbes et de
noms, le poète est celui qui peut articuler ces verbes et ces noms.
Car, bien que la vie soit grande, qu'elle nous fascine et nous
absorbe, — et bien que tous les hommes comprennent les sym-
boles qui l'expriment, — tous ne peuvent pas d'abord se servir de
ces symboles. Nous sommes des symboles^ et nous habiiotis des
symboles; ouvriers, travaux, outils, mots et choses, naissance et
mort, tout est emblème; mais nous ne voulons sympathiser
qu'avec les symboles et, infatués de l'usage économique ou jour-
nalier des choses, nous ne voyons pas qu'elles sont des pensées.
Le poète, par une perception' intellectuelle supérieure, donne
aux choses un pouvoir qui fait oublier leur ancien usage et donne
des yeux, une langue à chaque objet inanimé et muet. 11 perçoit
l'indépendance de la pensée envers le symbole, la stabilité de la
pensée, la fugacité et la fragilité du symbole. Pareil à Lynceus
dont les yeux perçaient la masse du globe, le poète voit l'univers
comme s'il était transparent et il nous montre les choses dans
leur ordre véritable. Car, grâce à sa perception plus fine, il touche
, les choses de plus près, et il les voit se fondre et se métamor-
phoser; il perçoit que la pensée est multiforme; que dans la forme
de chaque créature il existe une force qui la pousse à s'élever
vers une forme meilleure; et, suivant la vie des yeux, il se sert
des formes qui expriment cette vie qui circule, et son langage
coule du flux de la nature. Tous les faits de l'économie animale,
— sexe, nutrition, gestation, naissance, croissance, — symboli-
sent le passage du monde dans l'âme de l'homme, ils s'y changent
en un fait nouveau et de plus en plus élevé. Le poète prend les
formes pour ce qu'elles contiennent de vie et non pour elles-
mêmes. Voilà la vraie science. Le poète seul connaît l'astronomie,
la chimie, la végétation, l'animation, parce qu'il ne s'arrête pas à
ces faits mais qu'il les emploie comme signes. Il sait pourquoi la
plaine ou la prairie de l'espace fut semée de ces fleurs que nous
appelons soleils, lunes et étoiles; pourquoi l'abîme est orné
d'animaux, d'hommes et de dieux; car à chaque mot qu'il. pro-
nonce il chevauche sur ces choses qui deviennent les coursiers de
la pensée.
En vertu de cette science j le poète est celui qui nomme, le
faiseur de langage, nommant les choses parfois d'après leur appa-
rence, parfois d'après leur essence, et leur donnant à chacune
leur propre nom et non celui d'une autre, réjouissant ainsi l'esprit,
qui aime les définitions, les séparations, les distinctions ou bornes.
Le poète créa tous les mots ; ce qui fait que les langages sont les
archives de l'histoire et, s'il faut le dire, une sorte de tombeau
des muses. Car bien que l'origine de la plupart des mots soit
oubliée, chaque mot fut primitivement un trait de génie et il eut
cours parce que pour le moment il symbolisait le monde (ou une
partie du monde) aux yeux de l'orateur et de son interlocuteur.
L'étymologisle découvre que les mots les plus morts furent
jadis des peintures brillantes. Le langage est la poésie fossilifiée.
Comme la chaux du continent qui consiste en une infinité de
coquilles animales, ainsi le langage est fait d'images, de tropes,
(i) Suite. Voir les n<» des 21 et 28 août et du 11 septembre 1892.
qui dans leur usage secondaire ont cessé depuis longlemps de
nous rappeler leur poétique origine.
Mais le poète nomme Ips choses parce .qu'il les voit, ou qu'il
s'en rapproche d'un pas de plus que les autres. Celte expression
ou action de nommer n'est pas l'art, mais une seconde nature,
sortie de la première comme une feuille sort d'un arbre. Ce que
nous appelons nature est un certain mouvement ou changement
qui se règle lui-même (1); et la nature fait toute chose par ses
propres mains, ne se laissant pas baptiser par les autres, mais se
baptisant elle-même, et cela par de nouvelles métamorphoses. Je
me rappelle qu'un certain poète me la décrivit ainsi :
« Le génie est l'activité qui porte remède à la caducité des
choses, qu'elles soient entièrement ou partiellement d'espèce
matérielle ou finie. »
La nature dans tous ses royaumes s'occupe elle-même de son
« assurance sur la vie »; personne ne daigne semer la pauvre
fougère ; d'une seule de ses feuilles la nature secoue d'innom-
brables capsules remplies d'une quantité de spores qui germeront
aujourd'hui ou demain. Les derniers spores ont une chance
que leurs parents n'eurent jamais. Ils sont transportés quelques
pas plus loin, là où quelques-uns sont à l'abri des accidents qui
détruisirent la plante mère. La nature fait l'homme et quand il
arrive à maturité, pour ne pas risquer en un coup la perte de
cette merveille, elle détache de lui une nouvelle personnalité pour
que l'espèce soit à l'abri des accidents qui peuvent atteindre
l'individu.
Et quand l'âme du poète contient une pensée mûre, il s'en
détache des poèmes, des chants, une progéniture sans peur et
sans repos, immortelle, qui n'est pas exposée aux accidents de ce
fastidieux royaume du temps; rejetons hardis, vivaces, revêtus
d'ailes qui (telle était la force de l'âme dont elles émanèrent) les
portent au loin, rapidement, et qui les fixent irrévocablement dans
le cœur des hommes. Ces ailes sont : la beauté de l'âme du poète.
Les chants, s'envolant immortels loin de leurs mortels parents;
sont poursuivis par un essaim de clameurs moqueuses, qui sont
en bien plus grand nombre que les enfants du poète, et qui
menacent de les dévorer. Mais elles ne sont pas ailées. Après un
petit saut très court, elles retombent lourdement, les âmes dont
elles sortent n'ayant pas eu la force de leur donner des ailes.
Mais les mélodies du poète montent, bondissent et percent les
profondeurs du temps infini. »
Ainsi parla le barde en son libre langage. Mais la nature, 6n
produisant un nouvel individu, a un but supérieur à la conserva-
tion de l'espèce, et ce but c'est l'ascension, ou le passage de l'âme
en des formes plus élevées. J'ai connu un sculpteur, incapable de
dire directement ce qui le rendait heureux ou malheureux, mais
il pouvait l'exprimer merveilleusement d'une façon indirecte. Un
jour que, selon son habitude, il se leva avant l'aurore, il vit
poindre le matin, grand comme l'éternité d'où il sortait; pendant
. bien des jours, il essaya de rendre cette tranquillité, et, voyez!
son ciseau a fait jaillir du marbre la forme de ce bel adolescent,
Phosphore, dont l'aspect est tel qu'on dit que tous ceux qui le
regardem, deviennent silencieux. Le poète, lui aussi, doit se sou-
mettre à sa-spropre manière d'être, et celte pensée qui l'a agile
finira par être exprimée, mais aller idem, d'une façon totalement
neuve.
La nouvelle expression de celte idée est organique, elle est le
(1) Self-regulated change or motion.
nouveau type que les choses prednenl quand elles sont affran-
chies. Comme les objets qui au soleil se peignent sur la rétine de
l'œil, ainsi ces expressions nouvelles, partageant l'aspiration de
l'univers entier, tendent à imprimer sur l'esprit une image plus
délicate de leur essence' La transformation d'une pensée en
poème est semblable à la métamorphose des choses en des
formes organiques supérieures. Au-dessus de chaque chose plane
son démon, ou son âme, et, comme la forme d'une chose est
réfléchie par l'œil, ainsi l'âme de cette chose est réfléchie par le
poème ou la mélodie. La mer, la chaîne de montagnes, le Nia-
gara et les fleurs préexistent ou existent d'une façon supérieure
dans des chants qui n'ont pas encore été proférés et qui planent
dans l'air comme des parfums; si quelqu'un a l'oreille suflîsam-
ment fine, il entend ces significations et il essaie de les noter sans
les changer ni les allonger. Et en ceci consiste la légitimation de
la critique : en cette foi de l'esprit que les poèmes sont une ver-
sion corrompue de quelque texte de la nature avec lequel ils
doivent s'accorder. Les rythmes de nos sonnets ne devraient pas
être moins, plaisants que les reflets continus de la nacre ou que
les ressemblantes différences d'un groupe de fleurs. L'accouple-
ment des oiseaux est une idylle moins ennuyeuse que nos idylles;
une tempête est une ode rude, sans fausseté ni déclamation; un
été avec sa moisson semée, récoltée et emmagasinée est un chant
épique, et avec quel luxe de parties admirablement exécutées !
Pourquoi la symétrie et la vérité qui modèlent ces choses ne
glisseraient- elles pas dans nos esprits et pourquoi ne participe-
rions nous pas aux inventions dq, la nature?
(A continuer.)
ANCIEN COMPTE A RÉGLER
Les mamours un peu gauches que cette vieille coquette, la
Vlaamsche school, fit aux Jeunes, les provocations qu'elle tenta
sur nos imaginations un peu folâtres de ce printemps dernier ne
furent pas en pure perte, pour elle s'entend! 11 nous advint
d'avoir un mot aimable à son adresse. Le nom de O. Vermeijlen
glissé en ses colonnes nous décida; d'autres signatures jeunes
semblaient imminentes.
Mais qui pourra connaître l'âme d'une vieille fille? La Vlaamsche
school entendait-elle après ces avances une cour plus passionnée,
en vieille vicieuse, qu'elle est, des sensations plus inconnues? —
Alors pourquoi maltraiter les plus inflammables des jeunes qui
s'abandonnèrent un instant à elle, au point, qu'ils pourraient
clamer l'horreur des sacrifices et des mutilations qu'elle leur impo-
sait?
Les ardeurs, un peu séniles, delà Vlaamsche school, semblent
mortes avec le printemps, car les cris des corbeaux qui voudraient
bien manger ait cadavre de l'Art Jeune nous annoncent tin hiver
sans fin. Et faudra-t-il se défendre encore contre ce noir vol
rapace.
Lors de la récente création de I'Association pour l'art, à
Anvers, la Vlaamsche school prit un air intermédiaire; la trot-
teuse d'un instant s'était faite garde-couche. Elle semblait vouloir
tenir précieusement l'enfant sur les bras, souriant aux parents
heureux de celte postérité assez bien venue, mais réelleméni,
sous ces dehors faussement douceureux, lui pinçait vigoureuse-
ment dans le derrière. Mal nous en prendrait si nous n'allions pas
donner énergiquement sur les doigts de cette Vlaamsche school,
A l'heure qu'il^est, elle ne parie de rien moins que de nous ravir
//•
302
VART MODERNE
l'enfanl. Faudrait le lui confier à elle. Notre cause est en de mau-
vaises mains! — pardi, ce soal les nôtres.
Et voici la plus soUe de ces successives incarnations : la Vlaam-
sche school s'en ferait la nourricière. Elle seule peut mener ^ bien
des enfants comme les nôtres ! Elle est le berceau et la mamelle !
Je me demande quel lait celle nourrice sèche exprimerait de ses
seins qui sont, tout au plus, des édredons sous lesquels peuvent
se blottir les grandes gloires locales anversoises !
Voici qu'elle nous fait un procès impitoyable pour nous enlever
le poupon bruyant. Elle accuse noire audace en mônie temps
que notre générosité et notre humililé. Elle nie tout court notre
sincérité, dénonce l'inconscience avec laquelle nous exposons la
jeune Association pour l'Art à nos adversaires malveillants et
moqueurs.
Celle sollicitude, assez inquiétante, ne doit pas être entrée
bien avant dans sa pauvre cervelle, ni la tristesse de nous voir
accablés ; puisque aussitôt, elle se rabal elle-même sur les plus tri-
viales plaisanteries, sur les plus faciles amusements de critiques.
Puis elle ergote, la pauvre, — Dieu sait si on sait ergoler en
pays flamand, — la division du ton dont les plus avisés critiques
découvrirent le germe en les œuvres de Turner et de Delacroix,
crèverait les yeux dans les œuvres de Rembrandt, de Hais, de
Rubens, de Leys, voire dans une gravure sur bois représentant
Lazare Carnot.
L'imagination de la Vlaamsche school ne connaît pas plus de
bornes que son aplomb. C'est depuis une quinzaine d'années
qu'elle a découvert chez tous les libraires des albums de Wnlter
Crâne. Elle n'épargne pas de s'accuser elle-même ainsi, qui n'en
a soufflé mol durant ces quinze années !
Plus loin, « d'aucuns poussent si loin les mérites du procédé,
qu'ils se mellent à genoux devant une toile sur laquelle, de plus
ou moins experle façon, sont représentés un coin de maisonnette,
un arbre el rien de plus ! »
Voilà où le bat blesse; il lui en faudrait beaucoup plus à la
Vlaamsche school. Elle a bien d'autres mâchoires! La vorace
revue en a-l-elle avalé des moulons en laine peignée, des arbres
en fer-blanc, des rochers en sucre candi, des clairs de lune à
reflets de sardines à l'huile, un Orient en chocolat, non, en
a-t-elle assez avalé des toiles où tout cela figurait séparément et
d'autres, les plus belles, où il y a de tout cela k la fois! Je pour-
rais, ici, transcrire à' l'intention de la rédaction du périodique fla-
mand, la piécette de Verlaine :
Le ciel est, par-dessus le toit,
Si l)leu, si calme!
Un arbre, par-dessus le toit,
Berce sa palme.
Mais je mesure le juste dédain dont elle toisera ces vers, où il
n'y a rien de plus !
Que pense-l-on, en outre, de celle prudente restriction : « Rien
ne prédit qu'aucun chef-d'œuvre ne pourrait naître ». Il va sans
dire que i'aulorisée revue critique flamande a fermé les yeux
devant les Poseuses, devant le Soir e\. la Plage qui leur faisaient
pendants. Je pourrais citer des critiques néerlandais, qui, en ce
moment, à propos du Salon de La Haye, sont plus clairvoyants.
Mais voici où la joie éclate sans mesure; la Vlaamsche school
nous prend sur le fait.
Les organisateurs de I'Association pour l'Art s'étaient engagés
dans la fameuse circulaire à « n'imposer que le Vouloir des Plus
Récents Artistes ! » Et Hiroshighé et Constantin Guijs I Toute la
séquelle de la Revue nous fit le pied de nez; on s'en tient encore
les côtes.
Tout doux, mes seigneurs, ne serait-ce pas un vouloir h nous,
bien à nous, — les plus Récents Artistes, — qui vous a fait
admettre, non sans quelques grimaces, ce merveilleux art
japonais, qui a exhumé de l'oubli si injuste où vous le mainteniez
si soigneusement, ce pur artiste, C. Guijs?
Nous yous ménagerons d'autres Vouloirs, qui vous gêneront
plus encore, si à l'idée qu'une série d'artistes japonais ont fait
invasion sur la Terre de Gloire ei y conquièrent si splcndides
provinces, vous vous mettiez à trembler pour le pouce de terrain
que notre générosité de critique accède encore à vos idoles
aff'olées!
Battez donc le tambour pour le ralliement des trembleurs,
Vlaamsche school. Hiroshighé et Guijs ont entamé l'admiration
du public plus que vous ne le croyez peut-être; sonnez le rallie-
ment, soulevez les édredons que sont vos mamelles flétries et
couvez tous ceux qu'une lucrative et consciente limidilé aui'ont
si bien conduits. El bercez, bercez amoureusement; il leur en cuira
toujours assez tôt, ,au réveil.
LES COULISSES DE LA TABLEAUMANIB
CHAMBRER LE CLIENT
C'est une opération peu commune que de « chambrer le client »,
attendu qu'elle présente beaucoup de difficultés et qu'elle exige,
de la part de celui qui s'y livre, une dextérité de main jointe à
une absence absolue de scrupules qui ne sont pas précisément
l'apanage du premier venu.
On n'y parvient généralement pas du premier coup et, pour y
réussir, il faut une patience à toute épreuve et, aussi, un con-
cours de circonstances favorables, que l'habileté consiste à savoir
mettre à profil au moment opportun.
Je ne crois pas apprendre rien de nouveau à personne, en
déclarant que la plupart des acheteurs de tableaux, quand ils
débutent dans la carrière de collectionneur, ne sont pas> d'une
force de trente-six chevaux.
Us sont donc obligés de s'en rapporter, à peu près les yeux fer-
més, aux personnes en qui ils ont placé leur confiance et c'est,
d'ailleurs, ce qu'ils ont de mieux k faire, en commençant.
Plus tard, lorsque leur œil s'est formé, que leur goût s'est fait
et qu'ils peuvent voler de leurs propres ailes, ils ne se fient plus
qu'à eux-mêmes et prennent leur bien où ils le trouvent, ce qui est
absolument leur droit.
Mais cela ne fait pas l'affaire du « chambreur » qui voit ainsi
lui échapper une proie qu'il a contracté la douce habitude de con-
sidérer comme sienne, et, pour que cet accident fâcheux ne lui
arrive pas, il n'est pas de moyen qu'il n'emploie pour chambrer
le client et l'empêcher d'entrer en communication avec qui que ce
soit.
Pour arriver à ce résultat, il commence par s'efforcer de le con-
vaincre que lui seul s'y connaît, que tous ses concurrents sont des
ânes qui ne savent pas le premier mol de leur métier. Il ne tarit
pas en anecdotes sur leurs gaffes, vraies ou fausses, et cite mille
exemples démontrant jusqu'à l'évidence leur ignorance ou leur
stupidité. Ceux qui échappent à ce genre de débinage par leur
notoriété deviennent pour lui des intrigants, des canailles, voire
même des scélérats, dont il faut se défier comme de la peste.
¥:-
L'ART MODERNE
303
■ x;
N'entendant que cette cloche, le naïf amateur finit par prendre
tout ce qu'élite lui tinte aux oreilles pour paroles d'Evangile et se per-
suade aisément que, sans son honnête guide, il tomberait dans les
pièges les mieux tendus et dans les embûches les plus téné-
breuses.
A quoi bon risquer une école, un apprentissage, puisque sa
bonne étoile a placé sur sa roule le seul, l'unique, l'impeccable
expert, celui qui n'a jamais trompé personne et qui ne s'est
jamais trompé lui-môme?
Le jour où l'infortuné client a cette conviction, il est déjà à
moitié chambré.
Pour l'achever, son Mentor fait bonne garde autour de lui; il
l'accompagne dans les expositions où il ne le lâche pas d'une
semelle dans la crainte qu'il n'entende un avis différenl du sien,
qui pourrait le troubler ou lui donner à réfléthir. En toute occa-
sion, il fait le bon apôtre et jure sur ses grands dieux que n'ayant
en vue que l'intérêt de son client, d'où qu'elles viennent, il sera le
premier à lui proposer l'achat des œuvres qu'on lui^ proposera et
qui seront dignes de sa collection.
De celle façon, il est certain que celui-ci lui communiquera
toutes les offres qui lui seront faites, et vous comprenez bien
qu'il ne sera pas à court de prétextes pour lui déconseiller l'achat
des œuvres, tant belles soient-elles, dans la vente desquelles 11 ne
sera pas intéressé.
Si l'on organise une Exposition et qu'on sollicite le concotirs du
client chambré, comme il ne faut à aucun prix qu'il ait sous les
yeux des termes de comparaison, qui affaibliraient peut-être sa
confiance dans la supériorité doses propres tableaux, on lui affirme
que ces derniers courent le risque d'être crevés, ou détériorés, ou
placés dans un mauvais jour, ou mal présentés, et on lui conseille
de s'abslenir, ce qu'il fait généralement.
Il existe à Paris une demi-douzaine, fort heureusement pas plus,
d'amateurs tout à fait chambrés, chez lesquels, à part quelques
intimes qui, connaissant la petite faiblesse de leur hôte, se garde-
raient bien de lui ouvrir les yeux, le guide « chambreur » a seul
créance et accès.
Seul aussi leurs héritiers sauront un jour «e qu'il en coûte de
s'être laissé chambrer et d'avoir, de pani pris, dédaigné tout con-
trôle, refusé d'ouvrir les yeux à toute comparaison et d'avoir
accepté, comme argent comptant, les bonnes histoires du cham-
breur qui rit bien dans sa barbe de la crédulité humaine, en
secouant gatmcnt dans ses poches les bons écus qu'elle lui rap-
porte.
Laissez-moi plaindre de tout mon cœur les pauvres amateurs
chambrés.
{Gazelle de r Amateur.) Henri Garnier.
RÉPONSE A M. PH. ZILCKEN^^
Cher Monsieur,
Autant et très sincères regrets de n'avoir pu serrer vos mains,
d'autant plus qu'alors vous me les eussiez tendues plus sponta-
nément que maintenant peut-être. — Ai-je réellement fait procès
au Pulchri Slitdio pour autre fait que celui d'avoir refusé d'orga-
niser l'exposition van Gogh? Je ne le crois pas et ce reproche reste
debout, n'est-ce pas ?
Car le manque de cadres ne paraîtrai à personne, une raison plus^
fondée que l'exacte mesuration de la salle que vous voulez bien
nous communiquer. Et surtout n'y croiront pas Ceux qui se font
gloire d'avoir récemment exposé, à Anvers, une série d'œuvres
de van Gogh dans une salle infiniment plus grande que celle de
Pulchri. Et je puis vous indiquer,cher Monsieur, le moyen assez
simple que notre vif et pieux désir d'exposer quand même des
toiles, expédiées non encadrées, nous a inspiré : nous les avons
fail encadrer nous-mêmes, de simples bordures en bois, pour les-
quelles le Comité de l'Association pour l'Art n'aura pas grevé exa-
gérément son budget d'exposition.
Je m'inclinerais volontiers devant le drapeau d'indépendance et
de manifestations jeunes que vous hissez sur le faîte du Pulchri.
Mais je ne puis m'empêcher de tenir le bâtiment pour suspect. Le
fait d'avoir passé au voisin moins riche l'hôte gênznl elsaiis cadre
ne me paraîtra jamais que l'expression d'une admiration équi-
voque.
La défiance durera-t-elle ? Pas plus longtemps que le Pulchri
ait fait avance aussi généreuse que le Kunstkring à l'Art dernier
venu ! Vous m'assurez des bonnes intentions de vos collègues et
nous y croirons, mais des faits plus probants nous iront plus pro-
fondément au cœur.
Faut-il répondre aux autres reproches?
Vous aurez relu ma correspondance depuis et aurez reconnu
que le désir — que je comprends bien — de ne pas arriver trop
tard pour défendre la société à laquelle vouz vouez vos' soins et
vos affections, vous a poussé à lire trop vite. Mais pourquoi sem-
blez-vous croire que je place Bauer à la suile de Toorop ? Bauer
doit savoir en quelle haute estime je tiens son talent. N'ai-je pas
traduit pour ce journal la description que Veth a donnée de ses litho-
graphies pour la légende de saint Julien l'Hospitalier, et il ne
doit pas avoir oublié — encore — l'insistance que nous avons
mise à assurer son puissant et distingué concours au Salon de l'As-
sociation pour l'Art!
Je tiens à ce que nous relisions ceci ensemble :« Et que^'use-
raient à la suile de Toorop les Bauer, les Thorn-Pricker, les Ro-
land Holsl, les Jan Veth, des cordiales avances du Kunstkring et
en lui réaliserait le vivace faisceau d'avant-garde ».
Où voyez-vous donc que j'assigne place à Bauer dans la suile
de Toorop ?
L'Art moderne a constaté votre courtoisie, cher Monsieur, il
ne me laisse donc plus que le soin de rendre hommage au dévoue-
ment qui vous porte si spontanément à la défense — fût-elle un
peu irréfléchie — de la société qui, en vous confiant une part de
direction, vous charge aussi de la responsabilité de tous les actes
qu'elle pose.
Sympalhiquement,
Henry van de Velde.
pETITE CHROJ^iqUE
A l'occasion du XXV« anniversaire de sa fondation, VŒiiijre
des Soirées populaires de'Verviers organise un grand concours
de littérature entre écrivains belges.
Les intéressés sont priés de s'adresser au président de l'OEuvre,
M. Léon Lobet, à Verviers, pour connaître les conditions de ce
concours.
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Douzième année. — N" 39.
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 25 Septembre 1892.
L'ART
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Comité de rédaction t Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. —ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser toutes les communications à
l'administration générale de TArt Moderne, rue de Plndustrie, 32, Bruxelles.
Sommaire
Olive Schreineb. — A l'Académie royale des Beaux-Arts de
Bruxelles. — Le poète. Essai par R.-W, Emerson (Suite). —
Bibliographie musicale. — Accusés de réception. — Mémento
des expositions. — Petite chronique.
Olive Sçhreiner
0 nos vieilles habitudes, latines d'harmonie, de géné-
ralisation, de vue d'ensemble avant tout, combien elles
nous sont nuisibles parfois, — nous arrêtant devant la
carapace mal arrangée de tant d'œuvres qui contiennent
des trésors ! Pourquoi n'est-elle pas traduite, cette pro-
fonde et poignante histoire à' Une ferme africaine, le
roman le plus suggestif que j'aie lu depuis longtemps?
Je n'ai pas envie de la traduire cependant, mon sang
est trop latin ; je n'aurais pas la patience d'écrire tant
de choses qui ne se rapportent pas à ce que j'aime dans
cette œuvre, et cependant je voudrais que quelqu'un le
fit, pour que soit vulgarisé en notre race ce sens reli-
gieux, mystérieusement aimant et à la fois confiant et
craintif que d'autres races ajoutent aux idées nou-
velles : car si même nous avons encore le droit de nous
croire un centre d'idées, il nous faut renoncer à l'or-
gueil d'être le « cœur de l'univers ". Pendant que la
seule religion qui nous reste et nous grandisse encore,
la religion de l'Humanité, croît lentement p^rmi nous,
pendant que nous nous y raccrochons maladroitement,
en désespérés, des races jeunes s'éveillent en souriant
à une religion plus grande, à un sens troublant, uni-
versel, d'adoration latente, de résignation forte et douce,
de sérénité active.
Ce sens religieux a ses prêtres inconscients, sacrés
par la même impulsion qui affola les premiers poètes
aryens — et Olive Sçhreiner est bien, malgré qiielques
teintes trop civilisées, une druidesse du culte naturel.
Elle n'affirme pas, elle ne prêche pas, — . dieux soient
loués ! — elle cherche, elle cherche en elle-même. La
Ferme africaine est l'histoire intime de deux êtres.
L'un de ces deux êtres suffirait à remplir un roman. Je
voudrais parler quelque jour de sa curieuse évocation
de la femme. Mais la vie et la mort de Waldo m'attirent
plus fortement; ce n'est pas la peinture d'un caractère
d'homme, c'est plutôt une généralisation féminine des
sentiments, des déceptions, des désespoirs et des géné-
reuses confiances que la pensée moderne greffe sur
l'instinct naturel. Ce Waldo, rêveur et doux, c'est le
côté intellectuel de la vie de cette femme. Olive Sçhrei-
ner; on ne peint pas avec cette intimité, avec cette
intensité deux caractères qu'on n'a pas vécus.
La jeune fîUe Lyndall, passionnée, avide de savoir, de
vivre, de connaître l'énigme du monde en la vivant,
rr
306
L'ART MODERNE
' non en la rêvant, c'est la moitié « femme " de cet être
qui se dédouble. Waldo est encore bien jeune quand il
s'aperçoit que ce qu'on lui a dit de Dieu était un men-
songe, que les prières- des bons n'étaient pas mieux
écoutées que celles des méchants, et qu'il ne peut con-
cilier l'idée de Dieu et celle de l'enfer.
« Une nuit, deux ans après, lé gamin était assis,
seul, sur la petite montagne... il se sentait terriblement
seul. Il n'y avait personne d'aussi mauvais que lui dans
le monde entier, il le savait. Il croisa les bras et se mit
à pleurer, pas tout haut, mais ses larmes laissaient
des traces d'écorchures sur sa figure, il ne pouvait pas
prier; il avait prié nuit et jour depuis tant de mois; ce
soir il ne pouvait pas prier. Quand ses larmes s'an-è-
tèrent, il prit sa tète dans ses mains, elle lui faisait mal.
Pauvre, laid petit être! si on avait pu aller à lui,
le toucher doucement et le consoler !... peut-être son
cœur était-il à moitié brisé... Depuis un an tout entier
il avait un secret. Il n'avait jamais osé y penser, il ne
se l'était pas dit à lui-même... : » Je hais Dieu », dit-il,
et le vent emporta ses paroles. Il l'avait dit mainte-
nant!... Il savait qu'il était perdu; mais cela lui était
égal. Si la moitié du monde était destinée à être perdue,
pourquoi ne serait-il pas perdu aussi, lui? Ça valait
mieux ainsi. Il ne demanderait plus grâce en vain.
C'était fini maintenant.
Ça valait mieux!... mais, oh! la solitude, le mortel
chagrin, pour cette nuit et pour les nuits à venir!
L'angoisse qui pèse sur le cœur tout le jour, et qui
s'éveille la nuit pour se nourrir de notre moelle! "
Combien de nous disent au sort : « Frappez-nous de
votre coup le plus rude, mais ne nous faites plus jamais,
jamais souffrir comme lorsque nous étions enfants! »
Waldo rêve et cherche'toute sa vie; pendant sa jeu-
nesse surtout, avec cette Lyndall qui n'a peur de rien,
enfant optimiste que la pensée attire et n'effraie pas.
Elle est la seule vivante certitude, la seule affirmation
qu'il ait rencontrée; ils ont cherché ensemble, dans
leur ignorance d'enfants qu'une vie solitaire a trop tôt
mûris. Après s'être débattu, lui, dans la vie et avoir
rencontré beaucoup d'hommes mauvais et de dieux
sourds, — lot fatal de ceux qui sont dépourvus de cette
divine sérénité animale dont la bonne nature a doué la
plupart de ses enfants, — il veut retrouver cet être qui
le connaissait, qui 4ui rendait sa force. Mais Lyndall •
est morte.
Oh! alors deviennent de vivantes tortures toutes les
recherches, tous les rêves de l'enfant philosophe. Alors
lui est révélé, par son instinct, le secret de nos ancêtres,
ce nirvanah qui tue si doucement, en laissant à l'esprit
la suprême jouissance de se sentir dissous dans la vie
universelle, la joie profonde de sentir une douloureuse
individualité se perdre dans la vie une du Tout.
Et Olive Schreiner dit, avec les vieux brahmes :
" Il est rare que l'ùme de l'homme puisse voir la
nature. Ses passions l'empêchent de la voir. Promenez-
vous seul, le soir, dans la montagne : si votre enfant
favori est malade, si votre amant doit venir demain,
ou si votre cœu^r est rempli d'un projet de fortune, vous
rentrerez comme vous ête.s sorti, vous n'aurez rien vu
Car la nature comme l'antique Dieu des juifs crie :
" Tu n'auras pas d'autres dieux devant moi! " Alors
seulement qu'il se tait un vide dans votre vie, que
l'idole est brisée, quand le vieil espoir est mort, alors
la divine compensation de la Nature se manifeste;
Elle se dévoile; Elle vous attire si près d'elle que le
sang semble couler d'elle à vous, par un lien qui n'est
pas coupé; vous sentez la pulsation de sa vie. Comme
elle vous enveloppe tendrement quand, dans les morts
ni dans les vivants, aucune créature ne vous attire
plus, que la soif de .savoir elle-même est tarie par trop
d'incertitudes! Heureux ceux qui meurent al^rs! car
aussi sûrement que reviendra le printemps, revien-
draient une à une les vieilles passions, et la Nature
reprendrait son voile, dont vous ne pourriez plus lever
le plus petit coin. Heureux ceux qui meurent en la
sentant, en l'aimant! " ' , .
" Waldo était assis, les bras plies autour de ses
genoux, regardant les rayons jaunes du soleil qui
donnaient à tout des reflets de blé mûr, et il était
heureux. Ah! vivre ainsi toujours, dans le présent,
regarder profondément dans le cœur des fleurs et voir
comment le pistil et les étamines nichent h\, amoureu-
sement réunis, voir la semence se nourrir et le petit
embryon croître... Ah! la vie est douce, jdouce,* douce!
Vivre longtemps et voir luire le jour où les hommes ne
seront plus obligés de chercher la solitude parce que la
sympathie leur manque! " Waldo, k travers ses yeux à
demi fermés, voyait autour de lui une nichée de pous-i
sins. Ces petites étincelles d'esprits frères, cherchant,
luttant, s'eflfrayant, que seraient-elles dans quelques
années? Il voulut saisir un des poussins, mais quelque
chose encore le séparait de ces petits êtres, et les pous-
sins s'éloignaient craintivement. Il remit sa tète dans
ses mains en murmurant des choses incompréhensibles.
Un peu après, une jeune fille passa. Les poussins
s'étaient rapprochés; l'un perchait sur l'épaule de
Waldo et frottait sa petite tête contre les boucles
noires de sa chevelure, un autre essayait de se main-
tenir sur les bords de son vieux chapeau; un tout petit,
perché sii»êa main, essayait de chanter; un autre s'était
endort sur sa manche.
\\ dort, dit la jeune fille. Mais les poussins,- eux,
"savaient mieux. »
- . I WiLL
i-^ii''-^-^^ 't *"..'-' «•' fi.:?ï«^
L'ART MODERNE
307
A rAcadémiè royale des Beaux-Arts de Bruxelles.
Ce qui demeure acquis, c'est qu'avec un onseiï;iieiueiil parfait,
le talent chez les ciôves, le don, n'en apparaît ni plus nombreux
ni plus éclatant. Voilà certes un ensemble de professeurs nota-
bles et qui quelques-uns vont jusqu'à la maîtrise. Eh bien, l'évi-
dence dominante, c'est l'application, la bonne tenue, une certaine
industriosité, la tendance au décalque, un labeur propre et ponc-
tuel, mais sans élévation ni ingéniosité personnelles. Nulle naïveté,
nul jaillissement de la sensibilité intime devant le modèle à re-
produire, mais une habileté souvent roublarde, dos adresses ma-
nuelles, la banalisation de l'image vue en ses petits côtés, en sa
ressemblance immédiate, l'aitrapcde la petile bêle, une mécani-
sation des facultés graphiques et optiques.
Un estompage plus soyeux et plus lisse, une exactitude plus
photographique dans le linéament, c'est la différence du meilleur
au pire, b peu près l'unique supériorité du fort en thème" et du
bon élève. On voudrait des incorrections savoureuses, la petite
indication d'une perception qui ne soit pas celle de tout le monde,
le tâtonnement d'un sens d'art non collectif et non appris, le trem-
blement de la main qui ignore la recette, l'inquiétude d'un esprit
en qui s'éveille une vision. El c'est toujours l'image en ses géomé-
iries exactes, la belle calligraphie qui n'est qu'une question de
temps, le poncif d'un travail objectif, assimilé, et qui a peur du
professeur !
Faut-il en déduire la diminution du sentiment artiste chez les
races prochaines? Encore une fois, on ne peut mettre en doute les
mérites d'un corps professoral qui s'honore de ces noms : Por-
taels, Vander Slappen, Vcrdyen, Daes, etc. C'est plutôt la tradi-
tion qu'il faudrait incriminer, et qui dit tradition dit rouline. En
1830. l'art pompier ne procédait pas autrement. Il cultivait l'es-
lompage, propageait le culte dé l'épure, promulguait le linéaire
rigoureux. On conseillait à l'élève justement ce qu'on eût reproché
plus tard à l'artiste : le servilisme et l'impersonnalité devant la
nature. Il ne semble pas que les choses aient beaucoup changé.
Est-ce logique? Est-ce rationnel? L'image sans le sentiment, la
copie mathématique, dénuée de ce qui l'élève vers l'art, — un peu
desubjoctiveié etde vision réfléchie, — ne va-t-ellcpas à rencontre
d'une éducation fructueuse, d'une éducation des facultés artistes
chez le jeune apprenti?
On rétorquera : l'académie, en ses premiers cours, n'est qu'une
primaire, ne vise qu'à former l'œil et la main. Oui, mais à la con-
dition — sinon à quoi bon cl ne viserait-on qu'à fabriquer des
géomètres- arpenteurs? — à la condition de ne pas attenter à ce
principe essentiel, antérieur et supérieur à tous, le seul sur lequel
doive tabler tout enseignement : la nécessité de ne s'en rappor-
ter qu'à sa vision, presbyte ou myope, large ou minutieuse, cari-
caturale ou majestueuse. Toutes se valent si elles se personna-
lisent. Un borgne, à moins qu'on ne lui persuade la conformité,
différera de perception avec tel oculaire usuel. Mais il y a aussi
les aptitudes secrètes, physiologiques, les idiosyncrasiès. Où
s'arrête la caractérisalion humaine? Et c'est cela qu'on voudrait,
même élémcntairement, voir surgir de ces agglomérats qui, au
contraire, tendent à la dépersonnalisatjon. Tous ces élèves ne
visent qu'à la belle main et se regardent l'tm^hSulre par-dessus
l'épaule pour savoir « comme il faut faire ». N'en va-t-il pas ainsi
de tous les enseignements? En scolaire, la première des sottises
est de généraliser l'étude de l'orthographe. Comme si chaque cer-
veau, i)Ossédant un rythme spécial, régi par une économie spé-
ciale, n'orlhographiail pas comme il pense! Comme si ce n'élail
pas à penser, à se^servir pour son usage personnel de l'outil intel-
lectuel, et conséquemment à se différencier du voisin par la con-
ception et l'expression qu'il fallait appliquer les exclusives ver-
tus de l'enseignement! Hors cela, il est oppressif, restrictif,
aitenlatoire au libre arbitre; il lue l'homme chez l'enfant; il façonne
l'esprit à penser en troupeau. ' .
La supériorité des autres Ages sur le'nôlre réside peut-être en
ce que l'homme mécanique n'était pas encore inventé : chacun,
en l'absence des méthodes d'élevage qui assimilent l'enseignement
à des incubations perfectionnées de gallinacées, devait s'élever
soi-même. On aboutissait à cette culture de soi qui sera le prin-
cipe des hautes sociétés futures et qui surtout semble inséparable
de l'art, puisque celui-ci n'est autre chose que la décantation de
la mystérieuse humanité qui nous fut départie.
Ces considérations générales énoncées, il ne nous coûte de
reconnaître l'oxccUence manuelle et professionnelle de l'Académie
bruxelloise. Si le cours de composition historique, sous une direc-
tion trop indolente encore qu'elle soit celle d'un artiste justement
respecté, nous a certifié une fois de plus l'inutilité de cette branche
morle de l'enseignement, — le seul grand peintre d'histoire de
ce siècle est Delacroix, le moins classique des peintres au sens
académique du mol, — les cours de M. Eug. Verdyen {Torse et
lûte antiques), de SI. Moonens {Objets industriels, études de nature
morte et accessoires) attestent le maximum de résultats que, en
tenant compte des errements imposés au professeur, il est permis
. d'attendre d'un système faux. Dans le cours de M. Stallaert
{Composition de'corative),\\ne esqu'isi^e se signale, signée Houvvaert,
et dont le coloris fleuri, accordé, riant, évoque les modes exqui-
semenl symphonisés des Delbeke d'Ypres, — un maître qui peut-
être eût renouvelé l'art décoratif chez nous,' si l'on s'était avisé à
temps de sa maîtrise.
Il faut d'ailleurs )c reconnaître : l'art décoratif, l'art en ses
applications industrielles, a pris, en celle académie encline à
maintes routines, un développement louable. L'honneur en revient
pour une part, croyons-nous, à l'influence d'un des rares artistes
qui aient gardé le sens exact de l'œuvre d'art. Tandis que la cla.s-
sification des genres éternise encore, dans le reste de l'enseigne-
ment, l'idée d'une inégalité enlre les divers concepts d'art, tandis
que la graduation des études semble aboutir à confirmer la supré-
matie des arts réputés grands en opposition avec, les arts subal-
ternes, l'œuvre imposant de M. Ch. Vander Slappen avère la
supériorité d'un maître pour qui l'ouvrage d'art, quelle que soit
sa forme, demeure un et absolu et qui n'a pas cru déroger en
faisant indifféremment de la statuaire et de l'art ornemental.
Celte coriceplion simpliste de l'art et de ses appliç^alions fut
celle des grands ouvriers du passé : on lui doit l'émouvante
splendeur des périodes où l'art pénétrait toute chose, où la vie,
jusqu'en son décor domestique et quotidien (meubles, ustensiles,
etc.) se teintait d'art. Est-ce à dire que M. Vander Slappen
échappe toujours comme professeur au reproche de trop s'en
tenir aux formules consacrées et aux types classiques? Mais il est
des méthodes décrétées, nous ne l'ignorons pas : s'il n'en tenait
qu'à lui, nous en avons pour garants sa probité et son bon sens
d'artiste, peut-être il pousserait davantage ses élèves à la nature,
à l'étude des innombrables formes de la vie, génératrices du
renouvellement des formes dans l'art.
Pour tant de jeunes praticiens capables de modeler un orne-
\
ment classique, combien sauraient, cûmme les faïenciers de
l'ancien Bruxelles, modeler un chou ? Voilà pourtant le seul
enseignement: ne point départager l'observation attentive et dmue
de la vie, et celte observation, l'étendre h tout pour s'assimiler
de nouvelles arabesques et des thèmes inédits. Mais c'est déjà un
beau résultat, la Cheminée pour un hall de chasse, de MM. De
ilaen et Duquel, et la composition de M. Weggers, le symbolique
enroulement de figures autour du miroir qui se propose l'Evolu-
Jion de la vie.
C'est M. Weggers qui vient d'obtenir le gnmd prix de 1,000 tr.
pour le cours de sculpture. Le prix nous semble plus grand
que l'œuvre. N'en déplaise à l'aréopage, nous eussions plutôt
distingué M. Ilemmelrich, qui n'obtint qu'un second prix, mais
avec mention spéciale. Son bonhomme est bautainemcnt campé
et d'un bien autre caractère. L'application encore une t'ois a
prévalu. ^
î^'esl-ce pas elle toujours qui se perçoit dans les divers « grands
prix » de la peinture ressuscites U l'occasion de cette démonstra-
tion publique de l'interiorilé des « méthodes » d'art actuelles?
Pour un seul, daté de 1870 et qui ravive autour de la mémoire
d'Agneessens, les regrets-, il n'est que vulgaires enluminures,
oléagines rancies, mièvres pignocbages. El nous ne parlons pas
d'une grande diablesse d'académie, bien mal peinte, mais du
moins peinte et vue par une non-conforme ei nui, en outre, se
particularise par le sexe de l'auteur, une jeune fille, Ivi"*-' Marcotte.
LE POÈTE
(1)
(Traduction inédite.)
Cette intuition qu'on exprime par le mot d'imagination, est
une manière de voir très élevée ; elle ne s'acquiert pas par l'étude
mais par la transformation, pour ainsi dire, de l'esprit. en cette
chose observée, transformation de l'espril qui suil la marche des
choses à travers les formes et qui les rend par ce moyen translu-
cides pour les autres esprits. Le cours des choses est silencieux.
Souffriront-ailes qu'un être parlant les suive? Elles ne souffriront
pas d'espion; mais un amant, un poète est la transcendance de.
leur propre nature; celui-lû elles le souffriront. La condition pour
le poète de trouver le vrai nom des choses, c'est de se soumettre
à la divine essence qui traverse les formes, et de la suivre.
Toul'homme inlellecluei découvre tôt ou tard ce secret que,
au-dessus dcl'énergie de son esprit, conscient et réfléchi, il pos^
sède une bien plus grande force — comme un esprit qui serait
doublé — en s'abandonnanl à la nature des choses; que, en plus de
son pouvoir individuel, il a en lui un grand pouvoir, pour ainsi
dire public ou universel, sur lequel il peut s'appuyer en ouvrant
(à ses risques el périls) les portes de son être à cette force pour en
laisser le fluxel le reflux le traverser. Alors il est entraîné dans la
vie de l'univers, sa parole est un tonnerre, sa pensée une loi et
ses discours sont aussi intelligibles que les imagos universelles
dts plantes et des animaux. Le poète sait qu'il parle d'une façon
adéquate alors qu'il est un peu sauvage, ou qu'il parle avec « la
fleur de l'esprit » el seulement alors; non quand il se sert de
(1) Suite. Voir les n"» des 21 et 28 août et du 11 et 18 sep-
tembre 1892.
l'esprit actif et chercheur employé comme organe, mais quand il
laisse l'esprit en repos cl l'abandonne au courant divin qui est en
lui ; ou, pour parler comme les anciens, non avec l'intelligence
seule, mais avec l'intelligence éclairée par le nectar. Comme le
voyageur qui a perdu son chemin el qui jette les rênes sur le cou
de son cheval, se fiant à l'instinct de l'animal pour retrouver sa
route, ainsi devons-nous agii" avec le divin animal qui nous porte
h travers le monde. Car si, de quelque façon, nous pouvons sti-
muler cet instinct, de nouveaux passages s'ouvrent devant nous
dans la nature, l'esprit traverse les choses les plus condensées et
les plus élevées et la métamorphose devient possible.
C'est pourquoi les bardes aiment 1e vin, l'hydromel, les narco-
tiques, le café, le thé, l'opium, les fumées du bois de santal eldu
labac, ou tout ce qui procure une exaltation animale. Tous les
hommes recherchent tous les moyens possibles pour ojouiér ce
pouvoir extraordinaire à leur pouvoir normal; c'est pour celte fin
qu'ils prisent la conversation, la musique, la peinture, Ja sculp-
ture, la danse, le théâlre, les voyages, la guerre, les foulesy Jes
incendies, le jeu, la politique ou l'amour, la science ou l'intoxica-
tion animale, — • moyens quasi-mécaniques et plus ou moins raf-
finés pour remplacer le véritable nectar, qui est le ravissement de
l'esprit pénétrant un fait inconnu. Ces choses sont les auxiliaires
de la tendance centrifuge de l'homme, de son passage à l'air libre,
et elles l'aident îi se sauver de la prison de ce corps qui le lient et
de ces relations individuelles qui obstruent son chemin. De là
vient aussj qu'un grand nombre de ceux qui professionnellement
exprimaient le Deau, — peintres, poêles, musiciens, acteurs, —
ont plus souvent que.d'aulres mené une vie de plaisir el de relâ-
chement; on peut môme dire que tous, sauf ceux qui trouvèrent
le vrai nectar, en cherchèrent un autre, artificiel. Chaque fois que
la liberté était atteinte d'une façon détournée, non par l'émanci-
pation de l'esprit du côté du grand jour qui tombe des cieux, mais
par une liberté en des choses plus viles, chaque fois l'avantage
"auisi obtenu était compensé par une dissipation et une détériora-
tion de forces. Mais on ne peut jamais voler un avantage à la na-
ture par un subterfuge. L'esprit du monde, la grande et calme
présence du Créateur, n'est jamais évoquée par les sorcelleries de
l'opium et du vin. La sublime vision se révèle à l'Anie simple et
pure qui habite un corps chaste. Ce que nous devons aux narco -
tiques, ce n'est pas de l'inspiration, mius une excitation et une
furie fausses. Millon dit que le poète lyrique peut boire du vin et
vivre généreusement, mais que le poète épique, celui qui <Joit
chanter les dieux et leur avènement parmi les hommes, doit boire
de l'eau dans une écnellede bois. Car la poésie n'est pas « le vin
du diable » mais le vin de Dieu.
11 en est de ceci comme des joujoux. Nous emplissons les mains
et les chambres de nos enfants avec toutes espèces de poupées,
de tambours et de chevaux, détournant leurs yeux des simples et
suffisants objets dé la nature, soleil, lune, animaux, eau, pierres,
qui devraient être leurs joujoux. Ainsi la manière de vivre du
poète devrait être si simple que les influences les plus ordinaires
le réjouissent. Sa gaîté devrait pouvoir être le fruit d'un rayon de
soleil, l'air devrait suffire pour l'inspirer et l'eau devrait suffire
pour l'enivrer.
Cet esprit, qui suffit aux cœurs paisibles, qui sort pour eux de
chaque touffe d'herbe desséchée, de la moindre pomme de pin,
de la pierre à demi cachée que dore le soleil de mars, cet esprit
se manifeste aux pauvres, aux affamés, à ceux dont les goûts sont
simples. Si tu remplis ton cerveau des bruits de la ville de Bos-
UART MODERNE
309
[
Icn, de New-York, de la mode, de l'envie, si lu stimules les sens
faligués par du vin ou du café, lu ne trouveras plus dans les grands
bois de pins la radieuse sagesse qui se cache dans leur profondeur
déserte.
Si l'imagination exalte le poète, elle n'est pas inactive dans les
autres hommes. Les métamorphoses excilenl chez les spectateurs
une émotion joyeuse. L'usage dos symboles a sur tous le§t,honimes
un certain pouvoir d'émancipation et d'exbilaralion.Noussemblons
être touchés par une baguette qui nous fait sauter et danser
comme des enfants. Nous sommes comme des gens qui sortent
d'une cave et se trouvent en plein air. C'est l'efFcl qu'ont sur nous
les Iropps, les fables. Us oracles et toutes les formes poétiques.
Les poètes sont donc des dieux libérateurs. Les hommes ont réel-
lement acquis un nouveau sens, ils trouvent uii aulre monde dans
Içur mondç, un nid de mondes, car une fois qu'ils ont vu la méta-
morphose, ils devinent qu'elle doit continuer.
Je ne veux pas considérer maintenant comment elle fait le
charme des mathématiques, de l'algèbre, qui ont aussi leurs
tropes ; mais on la sent dans chaque détinilion, comme quand
Aristote dit que l'espace est un vaisseau immobile dans lequel les
"iJioses sont comprises, ou quand Platon dit qu'une ligne est un
point qui vole, ou qu'une « (igiiro»est un faisceau de solides, etc.
Quel joyeux! sens dé liberté nous avons en apprenant que Vitruve,
selon l'anlique opinion des artistes, prononce qu'un architecte ne
peut bien billir une maison s'il ne connaît un peu d'anatoinie; et
encore, quand Socrate, dans Charmides, nous dit que l'âme est
guérie de ses maladies par certaines incanlalions, et que ces in-
cantations sont comme une beauté raisonnée qui engendre la
tempérance; quand Platon appelle le monde un animal, et que
Timœus affirme que les plantes aussi sont des animaux ; ou qu'il
affirme que l'homme est un arbre divin croissant par ses racines,
qui sont sa télé, s'enfonçant du côlé du ciel; quand Orphée parle
des cheveux blancs comme de « la fleur blanche qui marque l'ex-
trême vieillesse »; quand Proclus appelle l'univers «la statue de
l'intelligence «; quand Chaucer, dans son éloge de la noblesse
(Gentilesse), compare le bon sang tombé dans une condition scr-
yile au feu qui, porté dans la maison la plus obscure, n'en éclai-
rerait pas moins ; quand Jean, dans VApocnlypse,\oï\. la ruine du
monde par le mal et voit tomber du ciel des étoiles, comme des
figues trop précoces secouées par le figuier; quand Esope nous
catalogue les relations" de la vie ordinaire sous le masque des '
oiSeaux et des animaux ; alors nous acceptons la joyeuse insinua-
lion de l'immortalité de notre essence, nous comprenons les
gipsies qui disent d'eux-mêmes :« C'est en vain qu'on les pend, ils
ne peuvent pas mourir ! »
Les poètes sont donc des dieux libérateurs. Les anciens bardes
bretons s'intitulaient : ceux qui sont libres dans le monde entier.
Ils sont libres et ils rendent libres. Un livre d'imagination nous
rend beaucoup plus de services au premier moment, quand il
nous stimule par ses figures, que plus tard quand nous démêlons
l'intenlion précise de l'auteur. Je crois que dans lés livres riin
n'a de la valeur si ce n'est le transcendant et l'extraordinaire. Si un
homme est enflammé, emporte par sa pensée au point d'en oublier
les autours et le publie, et qu'il n'écoute que son rêve qui te
prend comme une folie, alors je veux lire ce qu'il écrit et vous
pouvez garder |lbur vous argumonls, histoires et critiques. Toute
la valeur que nous attachons h Pythagore, Paracelse, Cornélius,
Agrippa, Cardan, Kepler, Swedenborg, Schelling, Oken ou à tout
autre qui iniroduisit des faits douteux dans sa cosmogonie, —
anges, diables, magie, astrologie, chiromancie, mesmérisme, etc.,
— toute la valeur que nous attachons îi ces esprits est une preuve
que nous sentons en eux la brèche faite à la routine ; nous
sentons qu'ils sont de nouveaux témoins de notre antipathie pour
elle.
C'est aussi cette magie de liberté qui fait le plus grand charme
d'une conversation ; elle semble mettre le monde, comme une
balle, dans nos mains. Combien alors la liberté elle-même semble
peu de chose! Combien vaine paraît l'élude quand une émotion
a procuré à l'intelligence le pouvoir de saper et de soulever la,
nature! Quelle immense perspective! Les nations, les temps, les
systèmes entrent et disparaissent comme des fds dans une tapis-
serie à grands personnages et à couleurs multiples ; un rêve nous
conduit à un autre et tant que l'Ivresse dure, nous vendrions
noire lit, notre philosophie et notre religion dans notre opu-
lence.
Il y a de bonnes raisons pour que nous appréciions celle déli-
vrance. Le sort du pauvre berger aveuglé et égaré par une raffale
de neige, et qui vient périr à quelques pas de son habitation, e^l
un emblème de l'état de l'homme. Nous mourons misérablemeiit
au bord dos eaux de vie et de vérité. Toule pensée, sauf celle
dans? laquelle nous vivons, nous est étrangement inaccessible. Si
vous en approchez, vous en êtes aussi loin que lorsque vous ne la
cherchiez pas. Toute pensée est aussi une prison, tout Ciel est
aussi une prison; c'est pourquoi nous aimons le poète, l'inven-
teur, qui sous une forme quelconque, par une ode, par une action,
par un regard ou par une manière d'agir, nous a donné une nou-
velle pensée. Il brise nos chaînes et nous ouvre une scène nou-
velle.
Cette émancipation est chère à tous les hommes et comme le
pouvoir de la communiquer doit provenir d'une grande profon-
deur ou capacité de pensée, il est la mesure d'un esprit. Aussi
tous les livres d'imagination qui s'élèvent à celte vérité — la
nature dominant l'écrivain — dureront. Chaque vers ou chaque
phrase qui possède cette vertu d'exprimer la nature prendra soin
de sa propre immortalité. Les religions du monde sont les éjacu-
lations de quelques hommes d'imagination.
Mais la qualité de l'imagination est de couler et non de segeler.
Le poète ne s'est pas arrêté à la forme ni à la couleur, ni même à
leur signification, et les mêmes objets expriment une idée nou-
velle. C'est la différence qui exisie entre le poète et le mystique ;
celui-ci cloue un symbole h une signification, vraie pour un
moment, mais bientôt devenue vieille et fausse. Car tout symbole
est élastique (fluxional) ; tout langage est transitoire et véhiculaire
et sert comme les bateaux et les chevaux pour nous transporter
d'un point à un autre, mais non comme les fermes et les maisons
pour s'y arrêter. Le mysticisme gît dans l'erreur qui fait prendre
un symbole accidentel ou individuel pour un symbole universel.
L'aurore est le phénomène favori de Jacob Behmen, et signifie
pour lui la vérité et la foi; et il croit que cela devrait signifier la
même chose pour chacun de ses lecteurs. Mais le lecteur préfé-
rera tout aussi naturellement le symbole d'une mère avec son
enfant, d'un jardinier el sa plante ou d'un joaillier polissant une
pierre. Chacun de ces symboles et des myriades d'aulres sont tout
aussi bons pour ceux aux yeux desquels ils signifient quelque
chose. Seulement, il faut y tenir légèrement et savoir les échanger
pour des termes équivalents employés par d'aulres. Et il faut dire
sérieusement au mystique: Tout ce que vous dites serait aussi vrai
sans l'agaçant usage que vous faites de ce symbole qui l'accom-
pagne loujours. Ayons un peu d'algèbre au lieu de celle rhéto-
rique triviale, ayons des signes universels au lieu de ces sym-
boles de village, et nous y gagnerons (eus. L'histoire des hiérar-
chies semble prouver que toutes les erreurs religieuses proviennent
d'une trop grande importance et solidité accordée aux symboles,
el, en dernier ressort, d'un abus ou d'une exagération de l'organe
du langage.
A l'époque moderne, Swedenborg représente éminemment les
traducteurs de la natui'c en pensée. Je né connais pas d'homme
dans l'histoire pour qui les mots roprésenlassenl si uniformément
des choses. La métamorphose se joue continuellement devant lui.
Chaque chose où s'arrête son œil obéit b l'impulsion d'une nature
morale. Les figues se changent en raisins pendant qu'il les mange.
Quand l'un de ses anges affirmait une vérité, le laurier qu'il tenait
fleurissait dans sa main aux yeux de Swedenborg. Le bruit qui
lui paraissait de loin être un grincement de dents et des coups de
poing, était la voix de deux individus discutant.
Dans une de ses visions, certains hommes avaient l'air de dra-
gons et paraissaient éire dans l'obscurité; mais l'un U l'autre, ces
hommes paraissaient des hommes, cl quand la lumière du ciel se
fil jour dans leurs cabanons, ils furent aveuglés et demandèrent
à fermer les portes pour pouvoir voir. • ■
11 avait cette perception — qui rend le poète ou le voyant un
objet de terreur — que le mémo homme ou la méiiMj société
d'hommes peuvent avoir un aspect différent pour eux-mêmes que
pour d'autres, pour des intelligences supérieures par exemple.
Certains prêtres conversant doctement ensemble paraissafent à
des enfants, qui jouaient' aux environs, être des chevaux morts.
Instantanément on se demande, en entendant de semblables trans-
formations d'apparence, si le poisson qu'on voit sous le pont, si ce
bœuf qu'on voit dans la prairie sont immuablement des poissons
ou des bœufs et s'ils ne se croient pas autre chose eux-mêmes,
et si soi-même on^pourrail être un homme aux yeux de tous. Les
Brahmanes cl Pythagore se sont posé la même question et si un
poète a été témoin d'une transfqrmation de ce genre, imposée h
son esprit par une vision subite, il l'aura trouvée en harmonie
avec d'autres faits bien connus. Nous avons tous vu des change-
ments considérables dans le blé, dans les chenilles.
Celui-là' est poète et nous attirera à lui par l'amour el par la
terreur, qui discernera l'essence une de la nature sous la robe
flottante des événements,'^ et qui saura la révéler.
{A continuer.)
. . plBLlOQRAPHlE MUSICALE
La maison d'édition Novello, Ewer et C'e, l'une des plus impor-
tantes de Londres, poursuit la publication de ses Ai.bums pour
piano, pour piano et violon, pour piano et chant, publication
vraiment populaire, qui joint 3 l'avantage d'un prix extrêmement
modique le mérite d'une exécution aussi parfaite que les éditions
de luxe. t
Les albums pour piano soûl, publiés sous la direction de
M. Berlhold Tours, coûtent chacun un shilling, c'est-à-dire
fr. 1.25. Il y en a une cinquantaine, formant une sorte d'antho-
logie musicale établie avec soin. Les six premiers renferment, à
raison de vingt ou vingt-quatre morceaux par cahier, une sélection
des œuvres de J.-S. Bach et de Hœndel, puis viennent des cycles
de marches, de gavottes, de menuets empruntés aux répertoires
classique el moderne. Les albums subséquents sont consacrés
chacun à un compositeur déterminé. Après les maîtres, les dei
minores .- Wollcnhaupt, Spindler, Goelz, Rhoinborger, Kjeruif,
Mackenzie, etc. etc.
Lqs dernières livraisons parues sont dévolues aux autours
riisses, à' César Cui, à Liadoff, etc. MM. Novello, Ewer et C""
donnent du premier Hl morceaux de musique, du second 38,
répartis en six albums. H est loin le temps où une bibliothèque
musicale absorbait une petite fortune! Grâce aux "éditions
populaires qui, se sont 'multipliées eu ces derniers temps, aux
publications de M.M. Litoltf, Pecters, Breitkopf et lliii-tel, Novello,
Ewer et C'S il est loisible à tout musicien do se former, sans
frais, un répertoire considérable el d'avoir sous la main les
œuvres les plus intéressantes de la litléraluro musicale.
Les albums pour piano el violon, mis en vente à deux shillings
six ponce (fr.3.12)cliacun,contiennenl un grand nombre d'œuvres
originales et de transcriptions d'autours ancious et contemporains :
Corelli, Mendeissohn, Rafl", Jacoby» Dolmclsch, Gounod, etc.
Citons spécialement, de ce dernier, les transcriptions dos princi-
paux morceaux de Mors el Viia et de Rédemption, faites par
M. Borthold Toiirs.
Les éditions populaires anglaises ne sont pas aussi répandues
en Belgique cl on France q'ue les éditions allemandes. C'est
pourquoi nous croyons utile do faire connaître cl do recommander
la bibliothèquo musicale de MM. Novello, Ewer el C'% qui ne le
cède en rien à celles do Leipzig..
lîne prochaine bibliographie musicale sera consacrée aux
œuvres les plus récemment éditées par ces Messieurs, parmi
lesquelles il en est d'importantes signées par M.M. Mackenzie,
Ilonschel, Dvorak, Gernian, Gadsby el Dyo.
■ 5\CCU?É^ DE F(ÉCEPTIOJ^
,Catlli>e Mendès, PwAj'ei (trois volumes); Paris, Charpentier
el Fasqucllo.— Villiers de l'Islc-Adam, par Stkphane Mallarmé ;
avec portrait gravé par Marccllin Uesboutin; Bruxelles, Lacom-
blez. — Dom'inicul, par Max Elskamp; Bruxelles, Lacomblez. —
Amours mortelles, par Emile Leclercq; Bruxelles, Wcissembruch.
— Manuel de prononciation, par Jeanne Tordeus; Bruxelles,
Lacomblez. -— In vwrle di Virginia Çi'"^ série), par T. Zanardelli ;
Brusselcs, J. Morei."
Mémento des Expositions
Angers. — Exposition des Beaux-Arts et d'Arts industriels, du
12 novembre au 1" janvier 1893. Envois k la Société des Amis
des Arts, place de Lorraine, Angers, du 20 au 25 octobre.
Chicago. — Section des Beaux-Arts de l'Exposilion universelle,
l^f mai-30 octobre 1893 {\o\r l'Art modernedu 11 octobre 1891).
Monaco. — Exposition internationale dos Beaux-Arts (limitée
aux invités). 14 novembre 1892-1.0 août 1893. Envois du 4 au
12 octobre. Renseignements : Baron Dclort de Gléon, président
du Comité, rue Vézelay, 18, Paris.
Nancy. — XXIX* exposition de la Société lorraine des « Amis
des Arts ». 1" novcmbre-8 décembre. Transporl gratuit pour les
artistes invités. Envois avant le 15 octobre. Renseignements" :
M. R. Wie7ier, trésorier, rue des Dominicains, 53, Nancy.
Nantes. — Exposition de la Société des « Amis des Arts », du
!•='■ au 28 février 1893. Envois avant le 8 janvier h M. Descamps
de Lalanne, secrétaire général de la Société des nAmis des Arts »,
12, rue Lekain, Nantes.
Nice. — Exposition internationale. 10 janvier-30 mars 1893.
Envois : l"-25 décembre. Renseignements : Secrétariat, Palais
du Crédit Lyonnais, Nice.
J
J
VART MODERNE
311
Petite chro[>(ique
Noire collaborateur Oclave Mans vient .d'élre frappé dans ses
affcclions par la mort de son père, M. Charles Maus, conseiller
honoraire ^ la Cour d'appel de Bruxelles, l'un des esprits les plus
lettrés el les plus érudits de la génération qui descend peu à peu
dans la tombe.
Intimement lié avec André Van Hasselt, M. Charles Maus fut
mêlé au mouvomenl littéraire de 1830 à 4850 el collabora à cette
époque , à divers périGtliqucs. Il s'occupait encore aclivemenl,
dans ces derniers temps, des travaux scientifiques de plusieurs
sociétés dans lesquelles H joua un rôle imporlanl : la Société des
Bibliophiles belges, la Société de niimismnlique, la Société d'ar-
chéologie, VInstitut archéologique du Luxembourg, etc. Les
Annuaires de ces sociétés contiennent loirs bon nombre de notices
signées (le son nom. Il composa aussi, pour les réunions de ses
collègues, (les chansons humoristiques qu'il aimait à chanter lui-
même au dessert, avec la bonhomie cl la simplicité d'autrefois.
M. Maus était officier de l'ordre de Léopold. Il s'est éleini,
jeudi soir, \\ Druxelles, dans sa 82" année.
Ses funérailles seront célébrées demain, lundi, à il heures, en
l'église paroissiale de Sainl-Bonifacc.
Nous avons appris h regretta mort de Victor Wilder, le critique
musical bien connu cl le traducteur des drames de Wagner, enlevé
presque inopinément la semaine dernière, h l'ôge de 57 ans.
Né h Oand, le 25 août 1835, Jérôme-Albcrl-'Victor Van Wilder,
après avoir obtenu h 1 Université de sa ville natale ses grades
de docteur en philosophie el de docteur en droit, alla se fixer à
Paris vers 1860. ' t
Après quelques articles à la Presse théâtrale, il fit d'innom-
brables traductions de l'italien el de l'allemand. Citons les Duos
el les Mélodies persanes de Rubinslej.n, les Lieder de Mendcls-
sohn, les Mélodies de Franz Abt, ,de Grieg, d'Edouard Lassen,
de Chopin, de Webcr, de Brahms; de Schumann, le Paradis et
la Péri, Manfred, Mignon, In Vie €une Rose,VAnathème du
Chanteur et de nombreuses mélodies; de Ihendel, le Messie, la
Fête d' Alexandre, Judas Macchabée, etc.
Collaborateur assidu de V Evénement, du Ménestrel, de l'Opi-
nion nationale, du Parlement, Victor Wilder publia entre temps
deux livres fort intéressants : La Vie de Mozart el la Vie de
Beethoven. Chercheur infatigable, il découvrait à la bibliothèque
de l'Opéra la musique d'un ballet inconnu de Mozart, Les Petits
Riens, donnait tout dcrnièremenl encore la traduction de chansons
populaires flamandes'. Mais son œuvre maîtresse, celle U laquelle iT
s'attacha avec une conscience nonpareille, fut la traduction inté-
grale de l'œuvre de Wagner : il l'achevait il y a quelques années
à peine et son but était maintenant de voir représenter sur la
scène française ces opéras qui infusèrent une vie nouvelle à l'art
musical.
Le comité d'honneur pour le monument à ériger à Baudelaire
est (iéfinitivcment constitué comme suit :
Président d'honneur : Leconte de Lislc, de l'Académie fran-
çaise.
Membres : Paul Boyrgcl, Jules Ciaretie, François Coppée, Léon
Dierx, Anatole France, Stéphan George, Edmond de Concourt,
J.-M. de Ilercdia, J.-K. Iluysmans, Camille Lemonnier, Maurice
Maeterlinck, Léon Maillard, Stéphane Mallarmé, Henri Mazel,
Louis Ménard, Catulle Mendès, Oclave Mirbeau, Jean Moréas,
Charles Morice, Nadard, prince Alexandre Ourousof, Viltorio Pico,
Edmond Picard, Henri deBégnier, Adolphe Relié, Jean Richepin,
Edouard Rod, G. Rodenbuch, Félicien Rops, Aurélien Scholl,
Emmanuel Signorel, Armand Silveslre, Sluarl Merrill, Sully-
Prudhomme, Swinburne, Laurepl Tailhade, Auguste Vacquerië,
Alfred Vallette, Paul Verlaine, Emile Verhaeren,^F. Vielé-Griffin ,
Emile Zola.
Auguste Rodln sera chargé de l'exécution du monument.
Nous apprenons que MM. Paul Dy Bois, statuaire, et Georges
Lemmcn, peintre, deux des artistes les mieux doués et les plus
remarqués de la génération nouvelle, ouvriront, le 15 octobre
prochain, un cours de sculpture, de peinture et de dessin, qui
se donnera chez Mommen, rue de la Charité, 31, à Bruxelles. Il
y aura deux classes, l'une de jeunes gens, le malin; l'autre de
jeunes filles,» l'après-midi, indépendamment d'un cours spécial,
les jeudi après-midi el dimanche matin, pour les jeunes élèves qui
fréquentent l'école.
M"*" Moriani reprendra ses cours et leçons de chant, le lundi
3 octobre, 17, rue de Trêves.
.M. Emile Sigogne, 74, rue de la Croix, reprendra ses intéres-
sants cours de diction el de littérature à partir du 1" octobre.
La réouverture (les cours de l'Ecole de musique de Sainl-Josse-
ten-Noode-Scbaerbeck, sous la direction de M. Henry Warnots,
aura lieu le lundi 3 octobre. • '
Le programme d'enseignement comprend le solfège élémen-
taire, le solfège approfondi, l'harmonie, le chant individuel et le
chant d'ensemble. Tous les cours sonl gratuits. L'inscription des
élèves aura lieu, h partir du 3 octobre, dans les locaux de l'école,
savoir :
Pour les jeunes filles, le jeudi.après-midi el le dimanche malin,
rue Royale-Sainle-Marie, 152, à Schaerbeek;
Pour les jeunes garçons, le lundi, le mercredi el le vendredi, à
6 heures du soir, rue Travrrsière, 15, à Sainl-Josse-ten-Noode;
Pour les adultes (hommes), le lundi et le jeudi, à 8 heures dtî
soir, rue Traversière, 15.
L'administration du Théâtre Wagrer, de Bayreuth, fait annon-
cer par les journaux la prochaine ouverture, le 10 novembre, de
l'école dramatique qui aura pour mission (ie former des art/stes
pour les représentations futures. L'enseignement comprendra Je
chant propromenl dit, la diction et les éludes de sjcène. L'enseigne-
ment esl gratuit el, le cas échéant, des subventions seront
accordées aux artistes peu fortunés. Seulement, pour être admis,
il faudra subir un examen. Les demandes d'admission accompa-
gnées d'une phoiographie el de certificats fonslalanl l'achèvement
des études dans les conservatoires ou écoles ordinaires, devrorii
être adressées h l'administration des Buhnenfesispiele, h- Bay-
reuth', avant le 15 octobre.
On écrit de Bayreuth que le nombre des speclaleurss'f si élevé,
celte année; à- environ vingt-huit mille, parmi lesquels sept mille
Anglais et quatre mille Français.
L'éditeur C.-M. Van Gogh, à Amsterdam, annonce la publica-
tion d'un ouvrage de luxe destiné à perpétuer le souvenir de
l'exposilion consacrée par le Cercle Artiet Amicitiœ à l'art néer-
landais contemporain. Il renfermera des reproductions d'œuvres
de MM. Breitner, Dysselhof, Karsen, Roland Hoist, Toorop, Jan
Veth, W. Witscn el Ph. Ziicken. Texte par Jan Velh, ornementa-
tion artistique par M. Derkindercn.
Prix (le souscription el justification du tirage : 25 exemplaires
sur japon, avec épreuves de remarque, à 125 florins; 25 exem-
plaires, sur hollande, avec épreuves de remanjue sur chine, à
90 florins; 200 exemplaires sur hollande à 45 florins. Les noms
des souscripteurs seront publiés dans l'ouvrage..
D'autre part, les éditeurs Mouton et C'^ à La Haye, viennent
de metlrc en vente le portefeuille (6" année) de VEtsclub néerlan-
dais. C'est une fort belle publication composée de douze eaux-
fortes de maîtres, tirées avec le plus grand soin sur papier du
Japon, et emboîtées dans un cartonnage élégant. Le mouvement
d'art contemporain de nos voisins de Holljinde esl assez exacte-
ment synthétisé par la réunion des noms que voici, collaborateurs,
chacun, au Poricfeuille de la Société : H.-W. Mesdag, M. Bauer,
M'i" Etha Fies el Van Houten, MM. Karsen, Koster, Floris Versler,
Jan Veth, Ph. Ziicken, W. de Zwart. La persistance de ces noms
revenant à tout propos montre combien esl actif le groupe des
Jeuno-Néerlandc de la peinture.
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Une plaquette in-8° carré avec un dessin de J. Ensor : Mo?'t tnys-
tique d'un théologien. Tirage : 5 exenip. numérotés sur japon impé-
rial, à 12 francs; i15 exemp. numérotés sur hollande Van Gelder,
à 3 francs.
A partir du 4 octobre, M"" Mêlante Lemalre, ex-professeur des
princesses de Belgique, ouvrira un
COURS DE MUSIQUE
dans les
SUONS DE LA MAMiFACTURE ItOVALE l)E PIANOS FRANÇOIS BERDEN
RUE KEYENVELD, 42, à Ixelles
Piano, M"8 M. Lemalre.
Solfège et piano, M"« J. Walraevens, élève de M'i» Lemaire,
Violon et accompagnement, M. F. Plrard, élève de M. Isaye.
Pour les conditions s'adresser rue du Président, 50, à Ixelles, tous
les jours,, de 3 à 4 heures. -
Bruxelles. — Imp. V'Monnom, 32, rue de l'Industrie.
Douzième année. — N" 40.
Le numéro : 26 centimes.
Dimanche 2 Octobre 1892.
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PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Comité de rédaction t Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, ua an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. —ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser toutes les communications à
l'administration générale de TArt Moderne, rue de Plndustrie, 32, Bruxelles.
Sommaire
L'œuvre de génie. — Le Salon de Gand. — Intkllectu alité.
Matérialité. — Le poète. Essai par R.-W. Hmerson (Suite et
fin). — La statue de Baudelaire. — Bibliographie musicale. —
Chronique judiciaire des arts. — -Mémento des expositions. —
Petit£l chronique.
L'Œuvre de génie
« Enfant, j'ai grandi en dehors de toute autorité,
dit R. "Wagner dans ses Communications à ses amis,
sans autres éducateurs que*^a vie, l'art et moi-même...
Dans notre monde, grâce à la manie d'éducation qui
sévit à l'excès, l'imagination inquiète et chercheuse^
t esprit mécontent qui médite sans cesse du nouveau
ne nous échoit plus que par hasard... Je perdis mon
père dès l'âge le plus tendre... Sûre de n'être point
chassée, la Norne se glissa à mon berceau et me départit
ce don qui me resta toujours. »
Tel fut, suivant lui-même, l'élément primordial dans
la « genèse » de son génie créateur, dans l'engendrement
de son moi.
Son adolescence s'était passée à Dresde et à Leipzig,
dans l'atmosphère de fermentation intellectuelle et
morale qui précéda le tourbillon de 1830. De bonne
heure, son âmé impressionnable fut donc envahie de
sensations tumultueuses et diverses et elle reçut direc-
tement leur empreinte, sans que personne prît souci de
l'en défendre.
Cependant, de tant de courants contraires qui auraient
pu le détourner de son idéal, aucun ne l'entraîna. Sa
loi resta toujours la réalisation de cet idéal, et son guide
la i*iaison pure. De son époque il ne prit que la fièvre
révolutionnaire pour la porter dans l'art : en conflit
perpétuel avec son temps et son milieu, il s'éleva malgré
eux, — preuve vivante que les plus grands artistes n'en
sont pas le produit.
R. Wagner paraît donc s'être insurgé contre l'ordre
établi par M. Taine dans sa Philosophie de VArt (leçons
professées à l'Ecole des Beaux- Arts de Paris). On sait
que, suivant le principe posé par l'éminent académicien,
les œuvres d'art doivent être considérées comme la flore
d'une botanique humaine et classées d'après les climats,
les influences de milieux, de l'air qu'ont respiré les
artistes. En vérité, il élimine de ses hardies généralisa-
tions l'architecture et la musique et, comme on l'a fait
observer dès l'abord, passe entièrement sous silence,
l'art du comédien, de l'exécutant ou de l'interprète, et
les arts décoratifs : il s'occupe surtout des arts d'imita-
tion dits plastiques, déployant toute sa virtuosité de
dialecticien dans une étude très curieuse, bien qu'un
peu systématique et « normalienne », des différentes
314
\
L'ART MODERNE
écoles de peinture. C'est que, dans le développement de
sa thèse, il a dû forcément restreindre son point de vue,
à cause de l'auditoire spécial auquel il s'adressait;
toutefois, il a eu soin de montrer comment et avec quelle
restriction dans son système il rattache aux arts d'imi-
tation les arts qui n'imitent pas.
Nous avouons ne partager qu'à demi les doctrines de
M. Taine en ce qui concerne l'éclosiondu génie artis-
tique. Suivant lui, le génie serait un effet total, un pro-
duit palpable « comme le sucre et le vitriol ". L'œuvre
de génie germerait dans certain cerveau, dans certaines
circonstances, comme la fleur pousse dans certaines con-
ditions de sol et de climat; ce serait une végétation
improvisée par le hasard « des concordances et des
contrariétés intérieures ». — Ces théories se fondent
sur une assimilation du monde matériel. Elles négligent
le premier élément du drame humain, l'élément per.
sonnel, la liberté, c'est-à-dire l'élément actif qui alimente
l'énergie créatrice, qui communique aux âmes la force,
mais aussi qui vient déranger parfois « les plus ingé-
nieuses combinaisons de mécanique morale ». Elles
dépouillent le génie de sa « rationalité » et lui assignent
une fonction purement instinctive Ou « végétale » ; en
cela elles semblent démenties par le fait que plusieurs
poètes ou artistes de génie — R. Wagner notamment
et Shakespeare, Gœthe, Diderot, Delacroix — ont été
en même temps d'admirables critiques.
Certes, il y a des analogies et même des liaisons entre
le monde physique et le monde moral; il existe des
rapports entre les lois de l'acoustique et la musique;
mais point d'entière solidarité! M. Taine va jusqu'à
faire une application à Yidéal dans l'art des procédés
d'investigation naturalistes.
Faut-il rappeler ici que, dans son petit volume. De
r idéal dans l'art (Paris, Germer-Baillière, 1867), il a
donné cette explication gram'maticale du mot idéal?
« L'artiste », dit-il, « doit se former llidéedu caractère
essentiel ou saillant que l'œuvre d'art a pour but de
manifester; et d'après son idée il transforme l'objet
réel. Cet objet ainsi transformé se trouve conforme à
l'idée, en d'autres termes idéal. Ainsi les choses pas-
sent du réel à l'idéal lorsque l'artiste les reproduit en
les modifiant d'après son idée »
Cette définition semble très large et de nature à
ouvrir la voie à l'arbitraire. L'idéal dans l'art nous
paraît plutôt lié à une idée de beauté parfaite, que
l'esprit peut concevoir indépendamment du réel, qu'à
l'idée que l'artiste se forme du caractère à manifester
dans son œuvre et d'après laquelle il transforme le
réel, ^idéalité est une notion de vérité absolue, conçue
par la raison pure, exclusive, contrairement à la réalité
qui, elle, est perçue à l'aide des sens; elle est encore
opposée à la réalité en ce qu'elle constitue le modèle
intérieur de l'artiste, du poète, surpassant les modèles
off'erts par la nature ou produits par la main de
l'homme. Il y a là comme le pressentiment, ïidée d'un
assemblage abstrait de perfections auxquelles l'on ne
peut atteindre complètement. D'une façon absolue, ce
qui est idéal n'existe que dans l'imagination, dans Vidée
si l'on veut. Toutefois, les idéals se distinguent des chi-
mères et des utopies en ce qu'ils sont des conceptions
abstraites de la raison que l'art doit chercher à réaliser,
tandis que les chimères ou les utopies sont des fan-
taisies sans raisons, à jamais irréalisables; celles-ci
sont sans rapport avec la création artistique, tandis que
la tendance vers l'idéal, l'idéalisme, devrait demeurer
le principe et la fin de l'art.
li Idéal dans l'art est d'essence philosophique, c'est-
à-dire entièrement indépendant àe l'expérience (défi-
nition de Reinhold). Or, le savant historien de la
Littératwe anglaise prétend l'étudier « en naturaliste,
suivant son habitude » . A l'égard d'une chose « ulté-
rieure à la nature » , est-ce là une suffisante méthode
d'investigation? Sans parler dé la volonté, de l'état
conscient de l'homme placé vis-à-vis des énergies natu-
relles, aveugles et inconscientes, la faculté — essentiel-
lement humaine — de sentir, de souffrir et d'aimer,
Taptitude à pénétrer par la sympathie jusqu'à l'âme
même des choses, semblent devoir dominer l'esthétique.
Les esthéticiens naturalistes français en tiennent-ils
suffisamment compte dans leurs déductions?
J. G. F.
LE SALÔST^E GAND
Banal! Banal! Banal de plus en plus, tel apparaît ce Salon
officiel qui s'aveulit chaque année. Un peintre nous disait : « On
n'expose plus là-dedans que parce qu'on a des chances de voir
son tableau acheté pour le Musée moderne». Et, en effet, serait-
il vrai que les fonctionnaires routiniers qui meublent nos musées
n'achètent guère que des œuvres ayant « figuré » au Salon?
Serait-il vrai — on nous l'a assuré — qu'on exerce, au moyen
de promesses ou de refus de commandes, des pressions auprès
des sculpteurs pour les forcer à exposer à ces exhibitions
officielles qui croulent? Nousn ous refusons à croire à des machi-
nations aussi mesquines.
Mais le Salon de Gand est un amas d'horreurs, tout simplement.
Prêtres paysages, marines de groseille ou de sucre candi, orien-
tantes de latagies de maisons louches, scènes d'histoire inspirées
par le frigide et creux académisme des Vander Ouderaa ou des
De Vriendt, portraits français, musqués, peignés, enjolivés, et
qu'on dirait peints par des coiffeurs, grandes toiles de prix de
Rome, natures mortes à donner des nausées, fleurettes coloriées
par des « demoiselles » et dignes d'orner des pantoufles d'épicier
— rien ne manque à cette fête du Médiocre.
Et cela dans des halls froids avec des toiles plaquées aux
murailles de lajaçon la plus irrationnelle, la plus criante, de
manière à faire hurler le plus horrible charivari de couleurs
plates, gueulardes ou salaces- dont puisse souffrir la pupille
humaine.
^
On sort écœuré d'une pareille manifestation cl l'on se demande
si l'on autorisera encore longtemps de tels foyers d'infection
annuels au cœur de nos grandes villes.
Dans ramoncellement de ces horreurs et de ces choses déjà
vues et revues et toujours recommencées, quelques noms
font lumière : Raffaëlli, Rodin, Meunier, Frédéric, Claus, Schwartze,
Baertsoen, Degouve, Carrière, Wylsman.
Rafifaëlli est toujours pénétrant et brûlant de modernisme. Que
d'esprit dans ce maigre et dénudé paysage de banlieue, avec sa
masure délabrée, son herbe avare, et cet âne si seul et si mélan-
colique dans celte âpre misère! C'est de la peinture écrite, d'un
humoriste terriblement réaliste et grattant l'existence humaine
, d'un impitoyable crochet qui en fait jailler, que piltoresquemenl !
des dessous sinistres. Ainsi, quelle merveille d'observation que
ces deux « prévenus » loqueteux, la crotte et la puanteur des
barrières sur leur visage de tristes sires, vagabonds dange-
reux des banlieues et apportant un peu de l'apparence des fa^uves
dans leurs dégaines de rôdeurs! Que de piquant en cette rose
boulotte de café-concert, avec son allure de « grosse femme » de
foire et dont les biceps sont ornés d'un paquet de graisse et de
bijoux d'un goût, de saltimbanque ! Tout cela, c'est de la vie, de
la vraie vie, vue par un œil original et griffée par une main
maligne et experte qui sait rendre et caractériser le^^^aysages
malingres et les noirs prolétaires.
Constantin Meunier enfume de la suie noire du Borinage deux
paysages superbes, d'une couleur concentrée et forte, et l'on
voit les cheminées des charbonnages se dresser, pareilles à des
obélisques, au-dessus des terris et des cinabres attristés des mai-
sonnettes de bouilleurs. Çà et là, dans la désolation funèbre de
ces industries roulant les volutes de leurs fumées, un peu d'herbe
émeraude la sombreur du panorama. Des mineurs dévalent par
un chemin sans joie — manants de celle féodalité dont les don-
jons impitoyables s'élèvent auprès des masures peinturlurées de
bleu criard. Cet art profond et admirable rend-il bien l'âme de
ce pays industriel! D'autres œuvres de Meunier, dont il a déjà
été parlé ici : un Christ, bronze d'un sentiment sublime de
douleur et de pitié, — un haul-relief digne d'orner la colonne
Trajane, — une réducslion du Grisou complètent l'exposition de
notre grand peintre-sculpteur.
Voilà un buste de Puvis de Chavanncs, signé Rodin, d'un
beau caractère, et puis un tableau : Maternité, de Carrière,
d'un suave sentiment, d'une douceur blanche, un peu maladive,
dans sa pénombre riche et rembranesque où les chairs devien-
nent diaphanes et subtiles.
Il faut, d'ailleurs, pour trouver ces œuvres de valeur, dans ce
déluge de mauvaise huile, dans ce dédale d'étalages de croûtes
hargneuses, prélenlieuses ou sottes, subir tant d'insultes au goût
qui jaillissent des cadres — petits et grands — affichés aux murs
protégés par l'Etat qu'on éprouve presque un sentiment de
colère à voir ces choses intéressantes en si mauvaise compagnie
et qu'on souhaiterait les voir refusées^mpitoyablement !
Voici le Voile. de Véronique A& Léon Frédéric, au sujet duquel
nous avons fait, ici-même, un élogieux compte rendu. Le triptyque,
flanqué de ses volets, est complet maintenant. Les volets n'ont
pas la haute poésie du panneau central, mais les lignes en sont
harmonieuses, l'idée — surtout celle de la Vierge ^— très noble,
et n'était la couleur, criarde par places, l'œuvre serait d'un très
doux angélisme.
M"« Thérèse Schwarlze expose des portraits d'enfant d'une cou-
leur opulente et savoureuse et qui constituent une rude leçon
pour les prétendus brosseurs de « belle peinture » qui encombrent
de leurs crayeux produits ou de leurs emplâlrements vulgaires
les salles de Gand. C'est charmant et aristocratique, celte œuyre
'de M"" Schwarlze, et elle-même se distingue comme une élégante
élève de Murillo et de Van Dyck.
Plus loin, un intérieur de Hubert Vos, très en progrès, —
d'une intimité et d'un pittoresque rappelant Xavier Mellery, .—
un lumineux Emile Claus, aux clartés rouges et vertes des prairies
flamandes semées de maisonnettes par les beaux jours d'été, ■;—
des Baertsoen largement peints, d'un décor puissant avec de
robustes recherches de lumière, — des De Gouve de Nuncques
très particuliers : une âme de gothique ressuscitée dans un art
timide et virginal, blottie en une mélancolie pleine de charme et
de poésie, très fine, en somme, et annonçant' une carrière
curieuse.
Il y a encore bien des œuvres « dont on parle » en ce Salon.
Ainsi le Bonnat: le portrait d'un Renan constipé, — le de Lalaing :
un portrait de Tesch, farineux, dur, à mauvaises touches carrées,
et antipathique, — les Alfred Stevens qu'on a placés à proximité
de Raffaëli comme pour en faire ressortir davantage, grâce à ce
voisinage, le manque d'esprit et de modernité. Enfin, la grande
toile de M. Van Aise : Jacob Van Artevelde. Peinture immense,
froide, malgré le coloris ordinairement assez puissant d'un artiste
qui a étudié l'art des Velasquez et des Rubens. Ce genre de pein-
ture historique, ressemblant fort à celui que Woulers adopta pour
i'hûlel de ville de Bruxelles, est condamnable. Les persoilnages
sont figés en des attitudes théâtrales de pose convenue et quel-
ques morceaux çà et là bien enlevés et décelant un beau coloriste
ne suffisent à insuffler de la vie à cette composition qui paraît
être la fin du premier acte d'un drame joué à un théâtre bien
monté en costunfies.
Enfin, parmi lès sculpteurs se distinguent encore : M. Lagae,
avec un- buste d'un sentiment calme et reposé, et 51. Gaspar dont
l'œuvre, d'une passion triste et élégante, requiert par sa chasteté
de lignes et ses formes d'une adolescence gracieuse et poétique.
INTBLLECTUALITÉ. — MATÉRIALITÉ
Voici que deux hommes sérieux attaquent les jeunes en leur
reprochant deux choses opposées. M.Eugène Samuel leur reproche,
dans l'Art mo^me, leur trop grande dose d'académie et
M. Albert Giraud, dans la Jeune Belgique, leur manque de
notions acquises, de grammaire.
Et ils ont raison tous les deux. Que faire ? ,
Commençons par nous mettre avec les jeunes entre les deux
feux. J'en connais qui ne veulent rien lire, rien voir, rien relire
de ce qu'ils ont écrit eux-mêmes, pour ne rien perdre de celte
personnalité dont ils sont respectueux. J'en sais aussi qui, cher-
chant cette personnalité, essaient de connaître les efforts de
l'homme à tous les âges ; espérant ajouter quelque chose à cet
amas de pensées, ils cherchent par les contrastes à voir ce qu
n'est pas eux dans le fouillis des choses déjà trouvées.
Peut-être ont-ils tous deux raison. Et mon docte «pensement»
en ces matières est ceci :
J'ai la ferme conviction que notre temps marche vers une
morale, un art, un droit, une science qui ne couperont plus
l'homme en deux, — corps de-ci, âme de-là, — mais qui recon-
naîtront l'unité humaine, corps et âme, absolument indissoluble;
qui reconnaîtront que l'être humain n'agit sainement, fortement,
humainement que quand il agit avec son être entier ; qui recon-
naîtront que l'amour platonique et les enthousiasmes intellectuels
servis sur un plat à pai;l sont aussi faux, aussi inhumains que la
sensualité brutale ou les admirations hystériques.
Une chose tne prouve que cette conviction grandit lentement
parmi nous : c'est l'espèce de défiance ou de répugnance instinc-
tive que nous avons tous pour tout ce qui ne s'adresse qu'à une
partie de nous-méme. — Voyez M. Samuel reprochant à Benoit
ses « décors » et M. Giraud reprochant aux jeunes leur mépris de
la forme! Benoit, Gilson et les jeunes ont péché de là même
façon en tombant dans des erreurs opposées. — Les uns (je parle
d'après Samuel) se seraient peu préoccupés de l'âme des choses,
les autres auraient négligé le corps, la matière de leur art; ils ont
tous deux coupé l'homme en deux.
Et ceux qui les aposti^ophent si rudement n'ont pas tort. Une
observation seulement k M. Samuel. Est-il bien certain que
l'admiration pour un beau poème soit une garantie de l'éclosion
d'une œuvre d'art ? Et ne tombe-t-il pas dans une funeste erreur
en ne s'intéressant qu'à l'art dont le côté intellectuel l'intéresse?
Ces censeurs ont donc raison Mais ils sont si durs qu'ils
réveillent tous mes instincts de protestation.
"^Et d'abord, pour ceux dont l'art n'est que « décor », — comme
l'art de Rubens, de Mozart, voire de Rembrandt, de Brahms qui
fait un principe de cette «extériorité», — n'oublions pas que si une
petite partie de l'humanilé est parvenue à se purger de sa gros
sièrelé et à secouer le gouvernement trop absolu du corps, la
grande majorité, au contraire, obéit encore à ce gouvernemcnt-là
et celte majorité doit avoir ses interprètes dans l'art. Tout ce qui
est vie est du domaine de l'art et si l'enveloppe seule des choses
m'émeut fortement, je puis faire une œuvre éternelle en rendant
cette émotion. — Je n'aime pas les cochons; mais si je les aimais
à lafolie, pourquoi ne ferais-je pas une oeuvre d'art intense en pei-
gnant un beau cochon féroce ou une scène de famille de cochons ?
Respectons l'esprit, mais respectons aussi la matière, et quand
nous ne pouvons fondre ces deux choses, attendons religieusement
que cet accouplement s'accomplisse, laissons-les se manifester
séparément, c'est leur droit. . ^
Quant à ceux qui méprisent ta formcj lés grammaires et les
acadénîfès où sont entassés, comme en des cimetières, les travaux
de nos devanciers, je dirai : « N'ayez pas peur de perdre voire
personnalité ; au millieu de ces choses mortes vQus la retrouverez
plus vivante et les académies ne sont pas si fossilifiantes qu'on
n'y retrouve encore parfois un être qui ait une âme et un peu d'art
dedans. Mais j'aimerais mieux pour vous que cet être ne s'y
trouvât pas et tiue ces trésors du passé restassent morts et secs
jusqu'à ce que vous-même vous découvriez leur vie, l'intérêt
qu'ils peuvent avoir pour votis. Je voudrais que les conservatoii-es
soient davantage ce que sont les bibliothèques et les arsenaux,
des magasins df'armes et de moyens à pouvoir piller librement ».
Je dirai encore à ces jeunes: «Vivez, devenez vieux, et en
donnant à d'autres ce que vous auref trouvé, vous aussi vous
sentirez le besoin de vous grandir en montant sur les travaux
amassés par de plus anciens». Et je demanderai aux censeurs
d'être bons pour ces ardents qui n'ont encore eu le temps de voir
qu'un côté de l'homme .et- de l'art et qui, entre la forme et la
pensée, entre le corps et l'âme, ont choisi ce qu'ils ont cru être
la plus belle, la plus noble part.
. 1. WiLL.
LE POÈTE
(i)
(Traduction inédite.)
Je cherche en vain le poêleque je décris. Nous ne nous adres-
sons pas^ assez simplement ni assez profondément à la vie et nous
ne chantons pas assez noire temps et nos propres aventurés. Si
nos jours étaient remplis de bravoure et d'héroïsme, nous ne nous
abstiendrions pas de les chanter.
Le Temps et la Nature nous apportent bien des choses, nnàis ils
ne nous ont pas encore donné l'homme du temps, la nouvelle re-
ligion, le réconciliateur que tout attend. La grandeur du Dante
c'est qu'il osa écrire son autobiographie en lettres gigantesques.
Nous n'avons pas encore eu, en Amérique, de génie à l'œil ty-
ranique, qui connût la valeur de nos incomparables éléments et
qui vît, dans la barbarie et le matérialisme du temps, le travestis-
sement des mêmes dieux qu'il admire tant dans Homère, puis
dans le moyen-âge, puis dans le calvinisme et ainsi de suite. Les
banques et les tarifs, les journaux, le méthodisme et l'unitairia-
nisme sont des choses banales et insipides pour des gens banals
et insipides, mais elles ont le même intérêt merveilleux que la
ville de Troie et le temple de Delphes — et elles s'évanouiront
aussi vite.
On n'a pas encore chanté nos cabines de bois, nos nègres, nos
Indiens, nos vaisseaux, la colère des gredins, la pusillanimité
des honnêtes gens, le commerce du Nord, les plantations du Sud,
le défrichement de l'Ouest, ni l'Orégon et le Texas. Et cependant
TAmérique est un poème à nos yeuX. Son ample géographie nous
éblouit et n'attendra pas longtemps des rimeur^. Si je n'ai pas
trouvé dans mes compatriotes cette parfaite combinaison de dons
que je cherche, je ne l'ai pas trouvée non plus dans la collec-
tion des poètes anglais depuis cinq cents ans. Ce sont plutôt des
hommes d'esprit que des poètes, bien qu'il y ait eu des poètes
parmi eux. Mais quand on songe à l'idéal du poète, on trouve à
redire à Milton et à Homère eux-mêmes. Milton est trop littéraire
et Homère est trop littéral et trop historique.
Mais je ne suis pas assez compétent pour ces critiques particu-
lières, et je veux rentrer dans les iàéeà générales pour m'acquit-
ter du message dont la muse m'a chargé pour le poète, concer-
nant son art.
L'art, c'estlavoiedu créateurà son œuvre; cette voie ou cette mé-
thode, ces sentiers multiples qui relient entre eux ces deux termes,
sont idéats et éternels ; peu d'hommes les connaissent cependant,
l'artiste pas plus que les autres, pendant bien des années souvent,
et parfois pendant toute sa vie, à moins qu'il n'arrive à être dans
les conditions voulues. Le peintre, le sculpteur, le compositeur,
le rapsode, l'orateur n'ont tous qu'un désir, c'est' de s'exprimer
symétriquement et abondamment, non d'une façon mesquine et
fragmentée. Ils ont trouvé, ou ils se sont mis dans certaines cir-
constances, ou devant certaines choses qui excitaient leur intelli-
gence, comme des figures humaines impressionnantes, une assem-
blée populaire, ou un morceau de nature; et aussitôt ils ont senti
un nouveau désir. L'artiste a entendu une voix, une invitation.
Alors il s'aperçoit avec élonnement qu'if abritait en lui une
horde de démons qui le retiennent. ,
(1) Suite et fin. Voir les n<" des 21 et 28 août et des H, 18 et
25 septembre 1892. .
VART MODERNE
317
Il n'a plus de repos ; il dit avec le vieux peintre : « Par Dieu !
c'est en moi et cela en sortira! » Il poursuit une beaulé à demi
entrevue qui fuit devant lui. Ses moindres moments de solitude
sont remplis par ce rêve. Les vers ainsi inspirés au poète sont
d'abord conventionnels, puis, peu à peu, ils deviennent originaux
et superbes.
Le poète est sous le charme. Il voudrait ne jamais parler autre-
ment. Si dans le langage oi'dinaire il peut distinguer « le tien et
le mien », ici il dislingue aussi que ce langage ne lui appartient
pas, il lui paraît aussi étrange et aussi splendide qu'à vous, il
voudrait toujours l'entendre.
Après avoir goûlé de cette immortelle liqueur, il ne peut plus
assez s'en rassasier, et comme il y a dans ces compréhensions un
admirable pouvoir créateur, il est de la dernière importance
qu'elles soient exprimées. Combien peu dece quenous savons est
exprimé! Combien de gouttes de noire océan de sciences sont em:
magasinées, et h quels accidents celles-ci doivent-elles d'avoir vu
le jour, quand tant de secrets dorment encore dans le sein de la
nature? Voilà d'où vient là nécessité de la parole, du chant ; voilà
d'où vient l'émoi de l'orateur à la porte de l'assemblée, afin qu'à
travers la parole, Aôyof, jaillisse la pensée.
Ne doute pas, ô poète, mais persiste. Dis : c'est en moi, et cela
en doit sortir. Resté là, bégayant el balbutiant, sifflé et maudit,
lutte et travaille jusqu'à ce que, à la fin, la rage fasse sortir de
toi ce pouvoir du rêve qui chaque nuit se révèle comme lien ;
pouvoir qui dépasse les limites des choses les plus intimes et les
plus secrètes, et par la vertu duquel lu deviens le conducteur d'un
neuve d'électricité. Rien de ce qui marche, rampe, croît ou existe
ne peut se refuser à le servir pour exprimer ta pensée. Si l'homme
atteint ce pouvoir, son génie est inépuisable. Toutes les créatures
sont jetées dans son esprit par paires, par tribus, par espèceSj
comme dans l'arche de Noé, pour venir peupler un nouveau
monde. Tout ce qui existe doit pouvoir être absorbé par sa pen-
sée, comme nous avons toute l'atmosphère pour respirer si nous
voulons. C'est pourquoi le génie des poètes comme Homère,
Chaucer, Shakespeare, Raphaël, n'est borné que par la durée de
leur vie et qu'ils sOnt comme des miroirs qui peuvent rendre tout
ce qui existe.
0 poète! une nouvelle noblesse est conférée aux fermes el aux
pâturages; les châteaux et les épées ont fait leur temps. Les con-
ditions sont dures mais égales. Tu quitteras le monde el tu ne
connaîtra pas la muse; tu ne connaîtras plus le temps, les coutu-
mes, les grâces, ni la politique, ni les opinions des hommes, tu
ne connaîtras plus que^la muse. Car l'heure dernière des villes
a sonné au glas universel, mais dans la nature les heures sont
comptées par des successions de tribus d'animaux et de plantes,
et par des joies enfantant d'autres joies.
Le Dieu veut aussi que lu renonces à une vie double, multiple,
éparpillée et mensongère et que lu laisses les autres parler pour
toi. D'autres seront pour loi hpmmcs du monde el représenteront
pour toi la vie courtoise et mondaine; d'autres aussi feront pour
loi des actions d'éclal. Pour loi, lu le tiendras caché dans la na-
ture el tu n'auras pas le temps de te montrer à la Bourse ou au
Capitole. Le monde est plein de sacrifices el d'apprentissages, el
voici le lien : lu passeras longtemps pour un fou et un butor mi-
santhrope. C'est l'écran, l'abri protecteur que Pan étend sur
ses enfants de prédilection ; lu ne seras connu que des liens, et
ils te consoleront par l'amour le plus tendre. El lu n'oseraç pas
prononcer le nom de les amis dans les ters, par une sorlje de
honte envers l'Idéal infini. El voici quelle sera ta récoiftperise :
C'est que l'idéal deviendra réel pour toi el que les impressions
du monde actuel tomberont autour de toi, nombreuses, mais sans
troubler ion invulnérable essence. La terre entière sera ton parc
el ton domaine, la mer sera ti loi sans taxe et sans .susciter d'en-
vie; lu posséderas les forêts et les fleuves; tu posséderas tout ce
dont les autres ne sont que les occupants et les locataires. Vrai
seigneur de l'eau, de la terre, de l'air, partout oii tombe de la
neige, parloill où coule de l'eau, partout où volent des oiseaux,
là où le jour et la nuit s'unissent dans le crépuscule, là où le ciel
bleu est semé de nuages et d'étoiles, là où il y a des formes aux
contours transparents, partout où il y a une échappée sur l'espace
céleste, partout où il y a danger, terreur, amour, là il y a du
Beau répandu pour toi en pluie abondante, et, dûsses-tu traver-
ser le monde entier, lu ne parviendrais pas à trouver une chose
inopportune ou ignoble.
FIN
R.-W. Emerson
LA STATUE DE BAUDELAIRE
Il se fait beaucoup de bruit en ce moment, dans le monde
littéraire, autour de la statue à peine projetée de Baudelaire. C'est
M. Brunelière qui en est cause.
Je déclare en toute franchise que je m'explique mal l'animosilé
dont M. Brunelière poursuit Baudelaire.
Baudelaire est un grand poète, un pur artiste que Barbey d'Au-
revilly, après tant, tant d'autres, a encensé comme il savait le
faire, quand il voulait donner à quelqu'un l'ivresse de la gloire.
Et RI. Brunelière n'est qu'un critique pédant, à qui il a plu de
se faire une originalité en empruntant à la langue du xvi« siècle
ce qu'elle avait encore de raboteux.
J'entends bien que M. Brunelière s'élève contre la statue de
Baudelaire, au nom de la morale offensée.
Encore conviendrait-il de préciser en q.uoi Baudelaire est
immoral.
J'ai lu les Fleurs du Mal cour la première fois, à un âge où
les images de la volupté allumant aisément le sang.
Mais je me souviens fort bien que la très subtile analyse des
voluplés si vaines, si lamenlablement inhabiles à apaiser notre
soif du bonheur, qui est dans les Fleurs du Mal, me confirma
pour un temps dans la volonté de ne m'en tenir qu'aux joies
immatérielles de la pensée.
Je veux bien que mon cas soit exceptionnel el je ne conseille
pas aux jeunes gens la lecture des Fleurs du Mal pour se forti-
fier dans la vertu. Mais il y a dans celle œuvre du poète et dans
toutes ses œuvres une telle perfection d'art, qu'à le lire une âme
droite et, éprise du Beau ne peut éprouver d'autre dominante
émotion qu'un redoublement de ferveurs pour l'Idéal.
Beaudelaire fut un très grand artiste. Il a laissé l'œuvre poé-
tique la plus impeccablement parfaite de ce siècle fertile en
poètes de premier ordre.
Mais la vie, et ses bassesses et ses infamies et ses décevantes
illusions, lui parut toujours une farce amère.
Il s'en vengea par un dédain de demi-dieu pour les hommes au
milieu desquels il lui fallait vivre, et il pratiqua envers ses répu-
gnants semblables les plus méprisantes mystifications.
Une nuit, vers deux heures, comme il rentrait chez lui, Bau*
delaire entendit dans l'escalier un bruit bizarre. On eût dit d'une
porte que l'on essayait de forcer.
Retenant son souffle et marcbant lentement sur la poiole des
pieds, Baudelaire arriva sans bruit au cinquième élage. Il distin-
gua alors, dans l'obscurité, un individu qui s'escrimait contre la
serrure de la porte de sa chambre.
Baudelaire aborda le malfaiteur et lui dit, de sa voix lente et
solennelle, avec afféterie :
— Monsieur, permettez-moi; quoique je n'aie point l'honneur
de vous connaître, de vous présenter quelques observations...
Abasourdi, le voleur se retourna, les yeux écarquillés.
Baudelaire continua :
— La pince-monseigneur, vous ne l'ignorez pas, a été donnée
au travailleur pour l'aider à réparer les injustices sociales. C'es^
un don de la Providence, dont vous mésusez singulièrement,
Monsieur... Aussi j'estime qu'il est démon devoir de vous donner
une leçon de choses...
Baudelaire, ensuite, prit doucement la pince-monseigneur.
— OCi attaquez-vous la porte? dit-il en haussant les épaules.
Précisément à l'endroit où le maximum d'effûrtsproduit.le^mini-
mum.d'efiFel. Vous êtes jeune. Monsieur, et inexpérimenté.
Regardez-moi travailler.
Avec gravité, Baudelaire s'escrima à son tour contre la porte de
sa chambre. Le hasard voulut qu'il l'ouvrit presque aussitôt.
— Ce n'est pas plus difficile que ça ! ajouta-t-il d'un air dégagé,
en remettant cérémonieusement la pince-monseigneur au voleur,
toujours muet, qu'il reconduisit jusqu'à la porte de la rue, après
avoir demandé au concierge :
-^ Cordon, s'il vous plaît !
. Evidemment, l'écrivain capable' de s'amuser de la sorte aux
dépens d'un voleur, manque de celle gravité qui tient lieu de
mérite chez M. Buloz et à l'Académie.
Je comprends qu'il scandalise les patauds universitaires dont
l'âme desséchée n'a jamais connu les angoisses de douter et
de firissonner d'épouvante à la pensée des possibles damnations
où peut nous précipiter la puissance du Péché.
L'àme douloureuse de Baudelaire s'est débattue dans ces affres
mortelles.
La sympathie qui porte de jeunes écrivains, en proie souvent
à la même agonie, à perpétuer la mémoire de cet affamé des
Paradis impossibles estun sentiment louable.
Il est bien, quoi qa'en puissent dire nos puritains gourmés,
que le ciseau de Rodin fasse revivre la figure sardonique et dédai-
gneuse de Baudelaire.
(La Libre Parole.) , Félicien Pascal.
BIBLIOGRAPHIE MUSICALE
M. A.-C. Mackenzie est l'un des compositeurs les plus féconds
de l'Angleterre, et sa réputation est solidement établie par delà la
Manche. Il est l'auteur d'un oratorio, The rose of Sharon, de deux
opéras : The Troubadour et Colomba,_ de deux cantates, parmi
lesquelles The Story of Sayid et Jason ont été particulièrement
remarquées, d'un concerto pour violon avec accompagnement
d'orchestre, de nombreuses mélodies et pièces pour piano, pour
violon, pour orgue,' etc. Sa Rhapsodie écossaise (op. 21), pour
orchesjtre, publiée par MM. Novello, Ewer et €•% décèle plus de
facilité d'écriture que d'originalité. L'allégro mendelssohnien qui
ouvre le morceau, ïadagio relié au final par un récitatif n'on
rien de saillant. Seul ce final, bâti sur des thèmes populaires, est
d'un rythme amusant. 11 a de la vie, du mouvement, et les fré-
quentes altérations de tonalité, spéciales aux danses 4h;ossaises,
lui donnent une saveur piquante.
The forest of Arden (Intermezzo et Tantarra), de M. Henry
Gadsbv, est plus faible. La première partie. An aulumn morning,
est une grisaille pn la mineur dont le motif^est, sans motif plau-
sible, répété deux fois de suite et dont l'intérêt languit; la
seconde,, The hunl is up, naturellement en mi majeur, est plus
gaie, mais ne s'élève pas an-dessus de la banalité de toutes les
« chasses » qui ont été écrites depuis celle du Roi Henri.
Nous retrouvons M, Mackenzie dans un ouvrage assez impor-
tait récemment exécuté au Lyceum Théâtre : Ravenswood, musi-
que dé scène pour le drame de M. Herman Marivale. Un prélude
et trois entr'actes. Hum ! Comme la Rhapsodie écossaise, cela
manque essentiellement de personnalité. Les écoles allemande et
italienne fraternisent parmi les unissons à effet, les trémolos de
violons, les accompagnements martelés en triolets. C'est d'un 1850
à faire peur. Possible qu'avec Irving sur les planches, cela fasse
une autre impression. Mais lorsqu'on n'a devant soi qûë l'Erard
sur lequel on joue la réduction de M. Battyson Haynes, c'est d'un
attrait contestable.
Une mention, sans plus, à Ivanhoe, marche héroïque de
M. Alfred -J. Dye, et à la suite tirée du Henry VIII de
M. Edward German, joué au même Lyceum l'hiver dernier : une
ouverture, quatre enti''actes et trois danses, le tout fort bien
arrangé par le compositeur pour piano à quatre mains.
- Et ceci dit, constatons que la musique anglaise a encore du
chemin à faire pour arriver à être prise au sérieux. Car vraiment,
le Ta-ra-ra-boom-de-ay est insuffisant pour mettre la Grande-
Bretagne âîi niveau des pays où l'on écrit des symphonies, voire
des drames lyriques!
Chronique judiciaire de? ^rt?
On se rappelle le procès intenté, l'année dernière, à l'éditeur
Sonzogno et à Mascagni par Verga, l'auteur de la nouvelle d'.où
est tiré le sujet de Cavalleria rusticana. Le musicien et l'éditeur
du livret avaient audacieùsemcnt démarqué la nouvelle de Verga
sans lui reconnaître aucune part dans ks droits d'auteurs produits
par la pièce. De là le procès. Mascagni et Sonzogno avaient perdu
déjà en première instance, le tribunal ayant reconnu le droit de
Verga de participer, comme principal auteur du poème, aux béné-
fices de l'exécution théâtrale de Cavalleria. La Cour de cassation
de Turin a confirmé le jugement du tribunal de Milan et condamné
définitivement Sonzogno et Mascagni à payer à Verga 25 p. c. de
tous les droits perçus jusqu'ici pour les représentations de Caval-
leria rusticana, soit sur les théâtres italiens, soit à l'étranger. On
estime que ces droits s'élèvent actuellement à plus de 500, 000 lires.
Tout le monde applaudira à cette sentence. Le plus gros du
succès sans précédent de Cavalleria csl dû, la critique l'a partout
constaté et reconnu, à l'intensité caractéristique de la donnée
dramatique, laquelle appartient tout entière à Verga. Sans elle,
la partition de Mascagni n'eût jamais obtenu que le succès dû à
un pot-pourri plus ou moins habile.
7
\
■ ■•:,?■:.'.;- ■ ■.'^■'■■■'^'^v-^"<if«;f«'?»^*i^!^i^
Mémento des Expositions
Angers. — Exposition des Beaux-Arts el d'Ans industriels, du
12 novenfibre au 1" janvier 1893. Envois à la Société des Amis
des Arts, place de Lorraine, Angers, du 20, au 25 octobre.
Budapest. — Concours pour la statue équestre d'Andrassy.
Trois prix à décerner : 6000, 4000 et 3000 frgncs. Dernier délai :
i" octobre 1893. Devis -maximum : 200,000 florins. Renseigne-
ments : fi»" iS.' de Podmaniczky, président du Comité exécutif,
11 Fctitcza 71° 1, S""» étage, Budapest.
Chicago. — Section des Beaux-Arls de l'Exposition universelle,
l" mai-30 octobre 18^3 (voir l'Art moderne du 11 octobre 1891).
Monaco. — Exposition internationale .des Beaux-Arts (limitée
aux invités). 14 novembre 1892-15 août 1893. Envois du 4 au
12 octobre. Renseignements : Baron Delort de Gléon, président
du Comité, rue Vézelay, 18, Paris.
Nancy. — XXIX« exposition'de la Société lorraine des « Amis
des Arts ». 1" novetnbre-8 décembre. Transport gratuit pour les
artistes invités. Envois avant le 15 octobre. Renseignements :
M. R. Wiener, trésorier, rue des Dominicains, 53, Nancy.
Nantes. — Exposition de la Société des « Amis des Arts », du
l" au 28 février 1893. Envois avant le 8 janvier à M. Descamps
de Lalanne, secrétaire général de la Société des « A mis des A l'ts »,
12, rue Lekain, Nantes.
Nice. — Exposition internationale. 10 janvier-30 mars 1893.
Envois : i"-25 décembre. Renseignements : Secrétariat, Palais
du Crédit Lyonnais, Nice.
Petite chroj^ique . '
La clôture du Salon de Gand est irrévocablement fixée au
10 octobre prochain.
En vue d'éviter les difficultés auxquelles donnent souvent lieu
les compétitions des diverses associations artistiques de Bruxelles
pour l'obtention des locaux d'exposition du Musée, le Secrétaire
des XX a pris l'iniriative d'une réunion à laquelle il a convoqué
les secrétaires de toutes les sociétés qui organisent au Musée des
expositions publiques. Cette assembléç, dans laquelle les dates
d'exposition seront fixées de commun accord, en observanl^con-
fraternellement les convenances de chacun, aura lieu au
Secrétariat des XX, rue du Berger, 27, vendredi prochain, à
8 heures du soir. Le Secrétaire des XJTprie ceux des intéressés
qui n'auraient pas reçu de convocation de bien vouloir considérer
le présent avis comme en tenant lieu.
M. Albert Dutry, notre confrère de VImparlial, nous fait
parvenir la brochure qu'il a consacrée au Salon de Gand, tiré à,
part de son article paru au Magasin littéraire.
Signalons un nouveau périodique,Z/flJo2//?, voué à la littérature,
à l'art, à la musique, et paraissant par décades sous la direction
de M. F. Olier (rédacteur en chef: M. G. de la Charme; secrétaire:
M. P. Brenet). — Bureaux à Paris: rue des Gravilliers, 38.
Il vient d'être présenté au ministre des beaux-arts de France
des plans d'un nouveau système de machinerie théâtrale destiné,
du jour où il sera mis en application, à opérer une vraie révolu-
lion. Il existe d'ailleurs déjà sur les nouvelles scènes de Chicago
et de San-Francisco. Il s'agit de faire paraître ou disparaître
instantanément, et tout à la fois ou séparément, décors, matériel,
mobilier et personnages eux-mêmes en scène, pour faire place à
une autre scène toute décorée et comprenant son matériel, ses
'artistes et son corps de ballet, s'il est nécessaire. Le tout agit par
la pression hydraulique.
Pour opérer ce changement à vue, le chef machiniste n'a qu'à
appuyer son doigt sur tel ou tel bouton pour faire mouvoir, selon
les besoins de l'action, tout cet appareil qui peut aller, d'après le
dévelpppement des dessous, J)as ou élevés, jusqu'à cinq, dix et
même vingt décors. Un escalier monumental, un pont ou tout
autre matériel va spontanément et automatiquement se placer où
on vput. M. Giuliet.ti, l'inventeur de cette merveille, réalise de
notables économies par la suppression des deux tiers des machi-
nistes. Mlachinerie et carcasses des décors tout en fer. Avis aux
directeurs. " {Indépendance.)
Au congrès artistique et littéraire qui se tient actuellement à
Milati, on a approuvé la création, à Berne, d'un bureau intema-
, tional de statistique et un projet réglant les rapports entré auteurs
et éditeurs. .
M. Armand Silvestre a été choisi par le nninistre des beaux-arts
de France pour remplacer M. Armand Gouzien dans les fonctions
de commissaire du gouvernement près les théâtres subventionnés.
On mande de Bayreulh qu'il y aura, l'année prochaine, huit
représentations de Parsifal, et qu'en même temps commenceront
les répétitions pour une exécution future de l'Anneau du Nibe-
lung.
VAllgemeine Mnsikzeitung de Berlin annonce la prochaine
publication d'une œuvre inédite de Fi-anz Liszt, dont le manuscrit
appartient à la maison Schott, de Mayence.
C'est un trio, le seul que Liszt ait écrit. Les motifs en sont
empruntés au Carnaval de Pesth, l'une des fantaisies les plus
brillantes du .maître hongrois, mais ils sont traités d'une manière
toute nouvelle, qui s'éloigne beaucoup de la forme qui leur a été
donnée pour le piano. L'œuvre est sous presse et paraîtra pro-
chainement.
Le 11 septembre, on a inauguré solennellement à Wechmar^
près de Gotha, une plaque commémoralive apposée sur la maison
habitée, en 1600, par le boulanger Veit Bach, maison qui fut le
berceau de la famille de musiciens illustrée' par Jean-Sébastien
Bach et Philippe-Emmanuel Bach.
* L'inscription gra-vée sur cette plaque est ainsi conçue :
« Dans cette maison, Veit Bach, vers l'année 1600^, et plus
tard son fils, Hans Bach, exercèrent le métier de boulanger. Hans
Bach avait aussi appris la musique, et il se distingua dans cet
art. Plus de cent descendants de cette famille Bach ont, dans
l'espace de sept générations, produit de grands artistes et érudits
en musique, entres autres Jean-Sébastien Bach, ixa des plus émi-
nents compositeurs qui aient jamais existé, le plus grand contra-
puntiste et organiste de tous les temps. Honneur à leur mémoire.
— Apposé par les soins de la municipalité de W,echmar et de la
Société « Bœhmer » de Gotha. » , y
Le concours pour le monument à élever à Termonde à la
mémoire du poète flamand Prudens Van Duyse, vient d'être jugé.
Le prix a été remporté par M. De Vreese, sculpteur, et M. Horla,
architecte.
Un comité vient de se former à Montauban, sous la présidence
de M. Emile Pouvillon, dans le but d'élever un monument dans
sa ville natale à Léon Cladel.
Les souscriptions seront recueillies à Paris, 13, avenue de Cli-
chy, par M. Henry Lapauze, délégué du Comité.
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Dimanche 9 Octobre 1892.
L'ART
!.,.:y,\<-
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Comité de rédaction t Octave MAUS — Edmond I*ICAKD — Émle VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. — ANNONCES : On traite â forfait.
Adresser toutes les communications à
l'administration générale de TArt Moderne, rue de l'Industrie, 32, Bruxelles.
^OMMAIRË
Ernest Renan. — Le Prince d'Aurec. — L'Evolution . de la
CRITIQUE. — LÉON BlOY ET ErNEST ReNAN. — LeS EXPOSITIONS
d'art a Gand. — Concert des Disciples de Grétry a Liège. —
ChRONWUE JUpiCIAIRE DES ARTS. — PETITE CHRONIQUE.
ERNEST REJNAN
On a décerné à Ernest Renan des funérailles
nationales. Cette manifestation n'eût point été du goût
de Renan s'il avait py^ être consulté. Personne au
monde ne fut jamais moins « national » que lui. Il
s'était, en ces derniers temps, légèrement piqué de
chauvinisme pour céder au courant du jour et réagir
contre la réputation de mauvais citoyen que toute une
vie d'indifiérence patriotique lui avait faite. Mais nul ne
pouvait être pris à cette chatterie sénile qui n'était que
pour amadouer les fâcheux toujours prêts à troubler le
repos du philosophe avec ce vieux reproche, si mérité,
d'incivisme. Et le repos, c'était à peu près tout ce que
Renan avait demandé à son temps, sans presque un seul
jour réussir à le trouver. Maintenant, il a fallu que
même on l'ensevelît au milieu des clameurs de la presse
et de la foule. Il est des destinées. La sienne fut de
rechercher sans cesse le silence et la douceur de l'ombre
dans les retraites les plus profondes de la pensée et du
cœur, et d'en être chassé sans relâche par le tumulte du
siècle. Ue notre époque, au fond, rien ne l'intéressait,
même jusqu'à la curiosité. S'il avait été ambitieux et
mondain, il n'avait qu'à rester prêtre. Mais entré au
séminaire pour y quérir la paix, il ne s'y était senti
que dans un régiment en marche, avec le coude à coude
et la vulgarité de la pensée et de la vie en commun. Et
il était un orgueilleux et un délicat qui voulait penser
par lui-même, et murer sa vie et non la répandre. Pour
y parvenir, il était prêt à céder sur tout, hors sur
l'unique et l'essentiel, la liberté de l'esprit et la fidélité
à sa conscience, car sans elle point de quiétude entière.
Mais le reste n'avait pas de prix à ses yeux. On lui a
violemment reproché d'être resté étranger, et comme
absent dans son propre esprit, aux vicissitudes les
plus tragiquement éqaouvantes de son pays, et d'avoir
traversé notamment la guerre et la Commune avec la
tranquillité d'âme d'un habitant d'une autre planète qui
assisterait, de passage ici, aux horreurs de la nôtre.
La vérité est que " la patrie » était pour lui
un mot d'une sonorité . vide. Je ne l'excuse pas, je
cherche à le comprendre. Il s'était habitué à ^'abstraire,
le plus complètement qu'il pouvait, du milieu ambiant.
Il se reposait, pour les choses publiques et pour son
existence matérielle, sur le gouvernement et sur un
traitement qu'il recevait, et pourvu qu'au dehors.il
trouvât Ja sécurité et chez lui le nécessaire pour sou-
tenir ses forces dans le travail, il n'avait cure de rien de
plus. Ce laborieux et accaparant travail, il avait fini
par le diriger tout entier vers des sphères fermées et
presque inaccessibles au public, l'exégèse, la recherche
patiente et à la loupe, dans la poussière des anciens
textes et des documents, de parcelles oubliées et infini-
tésimales de vérité et de lumière, pour en vivifier en
touches précises et rares l'image d'époques disparues
Confiné là, il pensait certes échapper à la foule, et en
contact seulement avec une élite, pouvoir bé^éticier de
sa tolérance supérieure. Il imaginait même/sans) doute,
que se couvrant de la cendre des siècles aiïciens, il
achetait ainsi le droit de ne point participer au nôtre :
t d'autant plus que c'était à l'étude des sources religieuses
que se bornaient ses, recherches, et que tout ce qui
touche à la religion, c'eçt-à-dire au mystère, en grande
partie encore si inexpliqué, de la communion histo-
rique des croyances, devrait, d'accord universel, rester
réservé à la réflexion sereine et paisible, exempte des
passions et des colères du temps.
De pareilles tendances exclusives et s'isolant à ce
point de la communauté contemporaine doivent-elles
être encouragées? Non, évidemment. Ce n'est que par
extrême exception qu'il peut être permis à de rares
naturesderesterétrangèresauxluttes et aux souffrances
de leur époque. Mais lorsque par singulière aventure se
rencontre l'une de ces âmes d'un miroir si limpide
et si pur qu'un soufflede la foule la ternirait, il faudrait
qu'elle pût trouver encore, en notre monde, un coin de
solitude morale. 11 est peutétre encore, en de lointaines
montagnes, des lacs inconnus sur lesquels ne se sont
• jamais penchés que la forêt et le nuage. Et dans notre
bouleversement et notre chaos social, si dans quelque
creux oublié a pu s'épanouir l'une de ces âmes de repos
et d'ombre, pourquoi la troubler, et jie^pàs' laisser à
quelques-uns au moins le privilège dé la paix ?
Quand parut 'Za Vie de Jésus, qui ne se rappelle
l'effiroyable déchaînement de passions qui l'accueillit, et
là tempête soufflant à la fois des quatre coins de l'horizon,
et enveloppant, déchirant ce cygne qui pensait descendre
dans la paix des âmes ? Qu'on la relise auj ourd'hui , cette
Vie de Jésus, ce n'est qu'une candeur; ce n'est que
l'eflSorescence d'un sentiment profondément religieux et
chrétien, qui de toutes, les sources rares et scrupuleu-
sement philtrées sourdissant des origines, a laissé se
former cette transparence, dont on peut dire qu'elle a
donné à notre siècle le cinquième évangile, où se con-
densent comme en une rosée d'aurore, nouvellement
virginale, les quatre primitifs. Ce n'était pas un livre de
combat, c'était un livre de sentiment. Il avait été vécu
et rêvé, bien plus qu'écrit, dans la lumière et dans l'hori-
zon moral des premiers siècles, retrouvé, avec une
intuition surprenante, immaculée et vicace, dans la con-
trée même où le christianisme était né. L'érudition et
la science n'étaient ici que d'intérêt secondaire.
Comme je l'écrivais dans ce même Art moderne, il y
adix^ns, lorsque Renan venait de terminer sa série
des Origines dùrChristianisme : « ce n'est pas l'éru-
dition qui manque à M. Renan; il est au courant de
tout ce que la critique allemande a produit depuis le
grand Strauss et les sources elles-mêndes n'ont rien de
caché pour lui. Son esprit libre, délicat, avisé, se
retrouve au milieu de tant d'éléi^aents divers avec une
aisance merveilleuse, et l'impression qui reste surtout
est celle d'une discrète mais inaltérable clarté répandue
sans effort sur une quantité aussi considérable de faits
et de documents! »
Dans la Vie de Jésus, cette clarté avait jailli spon-
tanément et avec une force invincible d'un sentiment si
profond qu'on l'eût dit ct)nservé intact et dans sa fraî-
cheur première de l'époque originelle; mais ce clair
mirx)ir des eaux vierges que Renan découvrait devant
nous si naïvement, et où le siècle eût pu calmer sa
fièvre, il ne sut que s'y regarder lui-même dans son
image tourmentée, et c'est en haine de lui-même qu'il
jeta des pierres au Jourdain rajeuni, au lieu de s'y
plonger.
C'est un des crimes non seulement du fanatisme catho-
lique, mais de tous les fanatismes de notre temps, d'avoir
déchaîné la guerre autour de cette œuvre divinement
pure qui, comme les sources des sommets, ne devait
parler qu'aux solitaires. Comme V Imitation de Jésus-
Christ, ce petit volume était celui des retraites et, dans
son humanité chétienne. il n'est personne d'entre nous
qui ne put en goûter les mansuétudes. Car la Vie de
Jésus est d'une inspiration sincèrement, foncièrement
chrétienne, quoique, ou plutôt parce que, si humaine. Le
malheur est que ce ressouvenir fidèle d'époques si dis-
seniblables de la nôtre devait, par-là même, rester in-
compris du grand nombre aujourd'hui. Et c'est ici que
nous touchons à la clef, non seulement de la Vie de
Jésus, mais de la vie de Renan. Renan n'était pas de
notre siècle, et il lui resta incompris dans son livre, parce
que lui-même n'était presque en rien ^adéquat au siècle
dans sa pensée. Renan, un destructeur de croyances, un
combattant pour l'idée moderne, un soldat de la philo-
sophie positive, allons donc!
Ernest Renan n'était ni un Français, ni même un
moderne. ,
Il était un pur Grec, non un Grec d'Athènes, mais
d'Alexandrie, du deuxième siècle de l'ère chrétienne. Il
était un Grec chrétien, de la Renaissance aléxandrine,
lorsque vers l^an 120 les troupes roinaines "avaient, dans
Alexandrie même, anéanti le christianisme révolution-
naire et populaire. Il se f(^rma alors, dans la bourgeoisie
et parmi les lettrés de ces pays de civilisation hellène,
un christianisme nouveau, instruit, d'esprit libre, un
■y
<J
K
peu. raffiné, nourri de philosophie ancienne, on peut
dire presque exclusivement pénétré de Platon et des
idéalistes, et qui s'avisait de mêler au sentiment et au
mysticisme chrétien dégagé de ses premières formules
subversives, quelque chose du pur miel antique : comme
une sorte d'hypocras mitigeant la griserie mystique
d'une do'se raisonnable de bon sens et d'esprit socra-
tiques. L'évangile de Jean est de cette époque et
reflète cet état de l'âme. C'était une science nouvelle,
la Gnosis, qui allait naître^ l'interprétation perpétuelle
de la religion par la philosophie, et qui allait fournir,
presque toute sa vie si diverse et si riche à l'Eglise
grecque, à la première Eglise, non encore organisée
comme le fut la romaine, mais toute débordante de
mouvement, d'invention, de liberté, et si l'époque
moderne eût pu redevenir chrétienne, c'est à ce chris-
tianisme-là qu'elle eût voulu retourner en l'élargissant
du côté de la démocratie,'qui venait alors d'être vaincue
par Trajan.
Eh bien, Renan était un chrétien d'Alexandrie, de ce
premier moment qui suivit l'écrasement populaire, et
quand quelque piti^ pour les vaincus et le peuple amol-
lissait encore les cœurs, en même temps que l'esprit se
tournait déjà aux sérénités de la raison pure et se pre-
nait l'aile aux subtilités de la dialectique. Nulle préoc-
cupation de civisme, de patriotisme, de devoirs sociaux
ou politiques, ni même d'intérêts matériels. Rome suffi-
sait à tout, et Alexandrie, presque aussi grande que
Rome, n'était qu'une capitale « platonique » pourrait-on
dire. C'est là, bien certainement, que Renan a pensé,
qu'il a écrit, qu'il a vu Jean, qu'il a appris encore les
premiers évangiles de la bouche de plusieurs qui les
avaient vécus, et qu'il s'est figuré ce Jésus, lequel certes
n'a pas la grandeur épique ^ji Christ de Marc, mais
cependant si doux, si sensé, si pitoyable sans excès, si
pur de parole, si raffiné de lettres, si exquis de senti-
ment, et il faut ajouter d'une idéalité humaine si péné-
trante et si touchante, que l'on comprend à peine
comment, lorsqu'il apparaissait dans le livre de Renan
avec cette perfection artistique, il n'ait pas produit un
effet invincible d'apaisement et ne soit pas descendu
comme un baume sur nos cuisantes blessures actuelles.
Mais il avait été écrit et pensé à Alexandrie par un
chrétien disciple de Platon, et tombait parmi nous,
aussi dépaysé que si Jean lui-même fût venu nous
apporter son Evangile. Et celui de Renan artisti-
quement est supérieur. Mais le résultat, c'est que
Renan, dérouté dans cettetempêteet ce cataclysme où
tournoya la Vie de Jésus, en re^ta lui-même brisé et
anéanti pour le restant de sa vie. Le savant, l'érudit,
le philosophe certes subsistait; et c'est à lui que nous
devons tous les autres volumes des Origines du Chris-
tianisme; c'est lui qui écrivit tant d'études curieuses,
de dissertations ânes, de discours académiques, et
même de livres pqlitîques où l'on sent cependant tou-
jours l'Alexandrin n'élevant pas sa conception politique
au delà de l'Empire des Antonins et de « la paix
romaine » qu'il assurait à l'univers.
Mais si dans tout cela le savant est resté; avec la Vie
de Jésus se révélait en Renan un Poète, un grand
Poète idéaliste et humain, et c'est à ce Poète que sotte-
ment le fanatisme moderne a cassé les ailes. Et c'est
pour cela que ce qui restera de Renan ce ne sera
définitivement que la Vie de Jésus.
Victor Arnould.
LE PRINCE D'AUREC
Nous avons été voir et erilendre cette pièce, non dans la cohue,
les papotages et la lumière, si souvent fausse, dé la première
représentation, mais dans le calme d'une de ces soirées à salle
presque vide qui font du Théâtre du Parc uilé entreprise bizarre
où la direction semble vivre de la recette d'un soir, prélevée sur
cette Voupe ambulante de spectateurs, qui se battent pour se
montrer dans le bataillon des hichlifeurs,. ou se croyant tels, et
qui, ce prélèvement de curiosité accompli, ne se montrent plus
que lors d'une nouvelle solennité équivalente. Que de" snobisme!
Que de snobisme ! Que de snobisme!
Le Prince d' Aurec aurait pour meilleur litre ZeJ5arond«^orn,
autrement dit le Juif parisien, et certes eût gagné à être écrit
par M. Drumont plutôt que par M. Lavedàn. Son intérêt principal
est moins, en effet, dans les cascades et le détraquage du descen-
dant fort déprimé d'un Connétable, quç dans les tripotages et les
combinaisons malpropres d'un fils d'Abraham. C'est lui dont la
psychologie cupide, l'orgueil grossier, la sensualité goulue font
les broderies voyantes de celte tapisserie piquée en laines lourdes
sur le canevas du grand monde parisien.
L'œuvre peut avoir quelque prétentioù au scandale. Elle n'en
justifie sérieusement guère au point de vue de la nouveauté. C'est
du Dumas fils sans autant de distinction et de science des salons.
A tout propos les personnages parlent en tfièse. Us dissertent
copieusement et agissçnl peu. Dumas utilisait ce- procédé qui
û mettait des livres à la scène sous forme dialoguée, pour déve-
lopper les théories de sa philosophie puérile et bourgeoise.
M. Lavedan l'emploie pour des thèses sociales. En dehors de cette
diflFérencè dans l'objet, le mécanisme est Iç même : du bouilli
fade fortement relevé par les mù»d pickles qui sont ici les mots •
dits d'esprit. Encore, sous ce rapport, le fils prétentieux du grand
Dumas trouvait mieux : de son temps la presse ne nous avait pas
encore habitué à l'orgie de bons mots qui nous fatigue de son
quotidien bruissement et quand il en partait un, il en sortait quel-
que plaisir et quelque saveur. Tandis qu'aujourd'hui que le
moindre quart de reporter en crachotte à volonté, on souhaiterait
vraiment être laissé tranquille.
C'était matière kbelle comédie, et même à beau drame que de
dépeindre celle aristocratie gommeuse et cette juiverie filouteuse
qui, avec l'industrie exploiteuse, caractérisent et concentrent si
bien les dernières ignominies de la société bourgeoise qui dégrin-
gole et du capitalisme qu'on va jeter à bas. Jamais plus grotesque
et plus abominable trilogie n'a résumé un temps qui finit et pré-
paré les temps à naître. Mais quelle patte formidable de drama-
urgc puissant il fallait pour cela, et surtout d'homme comprenant
que ce n'est pas là matière à rire, mais matière à trembler! Il est
vrai qu'un jour ou l'autre la tragédie sera faite et sera jopéo, non
point, sur la scène d'un Gymnase ou d'un Vaudeville quelconque,
non point par des cabotins, non point devant le méli-mélo des
critiques dramatiques et des mondaines, mais dans la rue. Le jour
de cetle grande première est moins éloigné que ne le pense la
placide bêtise des journaux et des accapareurs.
La pièce de M. Lavedan est, au surplus, peut-être moins
médiocre qu'elle n'apparaît. La troupe qui la JQue au Parc,
commune et bruyante, n'a, en effet, aucune'aptitude pour rendre
le milieu mondain et financier où la situation se déroule. Les rôles
de ces élégants gentlemen et de ces somptueuses cocodettes ont
l'air d'être joués par leurs domestiques. Sauf M™* Defresnes,
inséparable de sa distinction parisienne et fort grande dame en
certaines de ses altitudes, tout le reste tapage et batifole avec des
airs et des allures de café-concert, Après tout, c'est peut-être comme
ça dans ce grand monde en décomposition. Mieux vaut y croire
que d'y aller voir. Ce sont, ma foi! deux grands diables de
laquais, tout en rouge, qui ont le plus de réserve et de tenue.
Bref, l'impartial spectateur s'attend plus d'une'fois à voirTe"
trimberlin de ces scènes où tant on se démène, se transformer en
chahut d'opérette, et vaguement .la fameuse épée du Connétable
d'Aurec prend parfois la courbure et le clinquant du Sabré de
mon Père de la Orande-Duchesse. Ceci vient du personnel plus
que de l'auteur, car on imagine fort bien la pièce, rendue avec
plus de discrétion et de convenance, se dépouillant de l'aspect
rigoleur que lui donne la troupe de M. Alhaiza. >
" Pas même le juif, le baron de Horn, n'est parvenu à se pro-
— dttire-enr juif présentable, tel qtr'itïst-pourtant facile de le réaliser,
vu le tiombre des modèles-types qui circulent autour d^é nous.
L'inévitable côté mercanti a été négligé. Le type de l'être, insi-
nuant pour vous dérider, habile pour vous lier, arrogant pour
exiger, impitoyable pour vous exécuter, que le personnage de
M. Lavedan exprime avec quelque netteté, s'est transformé- en
un monsieur d'apparence nigaude, n'ayant rien dé la cruauté
froide, sensuelle et cupide, de la psychologie étroite, égoïste et
coupante du Sémite.
Bref, tout est de pacotille. La' pièce intéresse pourtant par son
actualité et parce qu'elle est à clefT Derrière chacun des noms
d'emprunt dont M. Lavedan à étiqueté ses personnages, le public
a mis les noms vrais. Les escapades, les saletéâ, les tricheries de
ces inconscients qui cancanent leur dernier carnaval, sont telle-
ment notoires que le premier venu ne peut s'y Iromper.Et quand,
notamment, le truc du baron de Horn prêtant amicalement la
7 forte somme pour ferrer la chaîne au cou de ses emprunteurs,
' s'est déTOulé en ses perfides bienveillances, en ses basses espé-
rances, çn ses ignobles malignités, assurément des souvenirs se
sont éveillés dans l'âme de plus d'un Bruxellois. On la connaît,
hélas ! cette tactique des misérables qui, enrichis sans qu'on
puisse rattacher leur fortune à aucun service rendu, à aucune
œuvre noble, rafleurs, d'argent stériles et malfaisants, asser-
vissent autour d'eux par des services pécuniaires ceux qui
pourraient les combattre ou les flétrir, ou ceux dont le nom
l'influence, l'autorité poliliquepôurraienl les servir. Que d'hommes
besogneux ont, comme le prince d'Aurec,. que de femmes frivoles
ont, comme la princesse d'Aurec, vendu leur âme au diable sous
forme d'un emprunt, dont Shylock, au dernier moment et<^uand
les billets sont déjà ramassés,. réclame avec une douceur caute-
leuse la quittance dont il saura, au moment opportun, en
menaçant de l'exhiber, faire une arme ou un bâillon ! Et ces malins
se font ainsi et laissent une renommée de bienfaiteur, alors qu'il
n'y a de. vrais bienfaits que,.ceux accomplis sans précautions. Que
d'inerties, que de palinodies, que de lâchetés qui journalière-
ment nous étonnent ou nous inquiètent, s'expliquent par ce petit
fait qui est peut-être la grosse observation de la comédie de
M. Lavedan. , .
L'ÉVOLUTION DE LA CRITIQUE
Il est intéressant de constater que la critique évolue peu â peu
dans le sens des idées nouvelles. Voici que le Journal des artistes,
parla plume de M. Alfred Ernst, écrivain aux idées justes et libé-
rales, mais peu enclin aux emballements, vante éloquemment l'art
d'avant-garde. Dans sa revue des œuvres actuellement exposées chez .
M. Le Barc de Bôutteville, M. Ernst dit notamment de M. Anquçtin
(M. Anquetin! Se souvient-on du scandale qu'il provoqua il y a
quelques années au Salon des XX el tout récemment à V Associa-^
iïôn jpoùf Vartï) et de M. Van Rysselberghe, le pointilliste irréduc-
tible, ces choses auxquelles nous applaudissons :
« Un des noms les plus connus, parrpi les groupes dont nous
nous occupons aujourd'hui, est celui de M. Anquetin. 11 y a cinq
ans, ses impressions très colorées, très lumineuses, étaient
presque ignorées des amateurs, et je me rappelle avoir été l'un
des premiers à en goûter la belle franchise, dans les bureaux de
la Revue indépendante, que fréquentaient aussi d'autres artistes,
Signac, Seurat, Jacques Blanche... Aujourd'hui tout le monde — •
ou peu s'en faut -t- apprécie le talent de M. Anquetin; on a été
vivement frappé de l'étrange femme aux yeux glauques, d'un si
inquiétant caractère, et" des pastels si énergiques qu'il a successi-
vement exposés au Champ de Mars, ainsi que de ses envois
annuels aux Indépendants. Depuis ses débuts, le sens de l'har-
monie s'est fait en lui plus, délicat et plus intense, mais le goût
du dessin, l'intuition de la forme significative se sont principale-
ment développés.
M. Anquetin silhouette avec une aisance remarquable, et sur-
tout il saisit le caractère, les signes expressifs du visage ou de
l'attitude, les figures, les accentue en les simplifiant, avec une
décision ci'ue, une outrance magistrale, une éloquente brutalité
que je prise énormément. Si le modèle est clair, explicite, pour
ainsi parler, l'étude qu'en donne M. Anquetin extériorise sa nature
de la façon la plus mordante; s'il est énigmatique, mystérieux, le
problème humain s'accuse èxtérietiremenl en la traduction de
l'artiste, d'une manière très suggestive, presque angoissante.
Joignez à cela un don d'observation fort aigu, une connaissance
des mœurs modernes, parisiennes, qui fait penser, devant telle
anecdote picturale de M. Anquetin, à quelque Gavarni impression-
niste, repris par un de Nittis amer, ou même par un Gervex exas-
péré. L'égj'pte, l'Orient, les Primitifs, les Japonais, et aussi
M. Degas, hantent pareillement la cervelle du jeune peintre,
habile à synthétiser un paysage sommaire, en verts francs et
bleus placides, sur lequel se détache une interrogalive figure de
femme, lavée d'une seule teinte plate, largement cernée d'une
ligne violette comme un personnage de vitrail; il excelle non
moins à nous montrer une matrone à sa toilette, la tignasse dépei-
gnée, les seins croulants. On ne peut guère lui reprocher que
d'être déjà trop adroit, trop virtuose, et de se disperser trop, au
/
\
— \
UART MODERNE
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lieu de concentrer son effort sur line œuvre à faire, un coin de
nature à conquérir.
M. Théo Van Rysselberghe n'e^t pas actuellement représenté
chez Le Barc.de Boulleville, «i ma mémoire est fidèle, mais com-
ment le, passer sous silence, lui qui possède, plus qu'aucun
autre, la calme maîtrise du talent?- M. ^nquetin ne se rattachait
étroitement à aucune école déterminée, ou. plutôt relevait de
toutes, sacrifiant ii la ligne comme à la tache, à la fortune d'urïè
inspiration vigoureuse et nerveuse; M. Van Rysselberghe est, lui,
un p&inlillisie décidé : soû absolu parti-pris de technique, à ce
point de vue, vient s'ajouter, ce qui n'est pas commun, à une
connaissance approfondie de la tradition classique. Ses portraits
sont d'une beauté réelle, -sérieuse, d'une autorité vraiment efxcep-
tionnelle. En ce nuage de petites louches, en celte grêle de points
en tons purs, bleus, rouges,, ver is, oranges serrés au point de
mordre presque les uns sur les autres, les plans s'établissent, l'air
joue, les ombres laissent transparaître la chaleur des tons locaux,
'et la figure hjjmaine se précise, à la distance voulue, pleine de
caractère el de pensée, et modelée à miracle. C'est un tour de
force d'exécution, une connaissance pratique merveilleuse de la
réaction réciproque "de ces atomes colorés qui criblent la toile,
s'essaiment au gré du peintre, graduant le ton el la lumière, éche.
lonnant les valeurs selon le calcul lé plus exact et l'impression la
plus juste. Je citerai, dans cet ordre d'idées, le beau portrait de
M. Emile Verhaeren, que j'ai grandement loué ici-même, à la der-
nière Exposition des Indépendants. »
Puisqu'il en est ainsi, nous sera-t-il permis d'engager le Jour-
nal des artistes à surveiller à l'avenir les correspondances qui lui
sont envoyées de Bruxelles sur les Salons des XX el qui jurent
étrangement avec l'opinion qu'il professe aujourd'hui? Nous sera-
t-il permis de sourire en relisant, entre autres, celle où l'on procla-
mait gravement : « Aux XX, rien que des tentatives (1) avortées...
Plus de tendance, plus d'effort, plus rien que le charlatanisme et
une prétentieuse extravagance. »
Souhaitons que ces curieuses relations passent, avant d'être
insérées, sous les yeux de M. Ernst. La dignité du Journal des
artistes ne peut que s'en bien trouver.
LÉON BLOY et ERNEST RENAN
Il y a deux ans, des articles de Léon Bloy avaient paru dans le
Gil Bios. Eifrayé par l'étonnante corrosion de l'encre du prodi-
gieux pamphlétaire, la ré'daction avait bientôt cessé de les
admettre.
Avec grande joie, nous l'y voyons reparaître,^ et en tête. Il
s'agit d'Ernest Renan : La Fin d'une charmante prorhenade.
L'occasion de ce litre, à première vue bizarre quand on le met
en rapport avec le personnage célèbre qu'il concerne, est expli-
quée dans cet alinéa : « On a lu partout la page confondante
où, considérant qu'il a vécu dans « le plus amusant des
siècles », Renan remercie « la cause de tout bien de la charma7ite
promenade qa'i\ lui a élé donné d'accomplir à travers la réalité».
Celui dont nous avons souvent signalé dans VArt moderne la
surhumaine violence de polémique et qui restera comme le type
du pamphlétaire, au-dessus de Proudhon, au-dessus de Veuillot,
au-dessus de Rochefo'rl; celui qui a écrit, entre autres, la Grande
, (1) Il y a même •• tentations » dans le texte. C'est plus amusant.
Vermine et II y a quelqu'un, devait, s'il entreprenait Renan, le
faire de façon impitoyable et redoutable, et il devait l'attaquer
puisqu'il esl catholique et a écrit ce livre superbe sur Christophe
Colomb : Le Révélateur du Olobe.
Aussi les irouvailles les plus cruelles, celles qui restent dans<la
mémoire par leur imprévu inspirié et leur originalité terrible,
abondent. Jugez :
« On ne pouvait pas ravsonnablement exiger que M. Renan fût
déploré à si grand fracas. Ce professeur de joie n'avait droit, en
somme, qu'à la seconde classe des gémissements...., Etait-il donc
si difficile de l'enterrer bravemenl, comme tout le monde, et de
lui conditionner des funérailles en demi-teinte et fie conchiant à
rien, qui eussent rappelé son enseignement et son style d'écrivain,
puisqu'on veut à toute force qu'il ail élé Un grand écrivain...;.
Cet homme a trouvé le moyen d'écrire une vingtaine de volumes
sans produire, fût-ce par mégarde, l'ombre d'une affirmation sur
quoi que ce soit. La négation même lui parut un trop grand effort.
Toute sa vie fui un l^lonnemènt volontaire, et, s'il eut un l)ieu, il
faudrait l'appeler le Litige philosophique. Sa doctrine et son
langage furent invariablement l'apostolat du conditionnel anté-
rieur...... Il eut la frénésie de l'imprécision el le délire de la
nuance imperceptible Les splendeurs morales de toute sorte
glissaient sur son intelligence el sur son cœur comme les rayons
du soleil d'Afrique sur les écailles d'un vieux crocodile affamé et
larmoyant aux pieds du spectre de l'Epouvante. Il fut le triom-
phateur de la difficulté microscopique.. ... Je ne sais vraiment pas
dans queMirouble il faut être descendu pour décerner à celui des
contemporains qui fut l'Ambiguité même, l'effarante qualification
de profond penseur ou de grand artiste Son histoire de Marc-
Aurèle est un essai d'apothéose du prince Jérôme envisagé comme
futur César et l'un des plus rares chefs-d'œuvre de flatterie philo-
sophique Sa critique n'a pas eu d'autres sources d'information
que ces vieilles citernes où s'abreuvent, depuis des siècles, tous
les t)isons de l'histoire..... Si on connaissait moins les exigences
de cet esprit sophistique, ou: pourrait s'étonner de cet arl d'inter-
cepter les textes, quand il lui est tout i fait impossible de les
altérer Dans un an, dans quelques mois, dans quelques
semaines peut-être, il n'apparaîtra déjà plus que comme un fan-
tôme de poussière, de vanité et de bavai^age. »
Les Expositions d'art & Oand (1792-1892).
Essai historique, par Prospbh Claxts.
A l'occasion du Centenaire des expositions gantoises, la Société
royale pour l'Encouragement des Beaux-Arts a publié un volume
forl intéressant, dont l'exécution a été confiée à M.ProsperClaeys,
avocat.
C'e^t l'hislorique complet, soigneusement documenté, de
toutes les expositions qui ont été organisées à Gand; depuis la
première et si modeste Pronk-Zael de 1792, qui ne réunit que
41 exposants, la plupart gantois, jusqu'aux exhibitions fameuses
de ces derniers temps, dont les innombrables parlicipants sont
recrutés dans tous les pays où l'on enduit les toiles de couleurs à
l'huile et à l'eau. '
Le volume, élégamment édité, illustré de portraits d'artistes,
de fac-similé d'autographes, d'anciens titres de catalogues et
d'autres documents curieux, est plein de renseignements utiles
pour l'histoire de l'an belge. M. Claeys a fait à la Bibliothèque
de la ville et dans les archives de la Sociélé des recherches con-
sciencieuseset complètes qui ont amené la mise au jour d'une foule
de détails oubliés ou ignorés qui intéresseroM virement tous ceux
que préoccupent les questions artistiques. " /
Une oQlleclion de signatures des artistes les plus connus ayant
pris part aux Salons de Gand, — près de quatre cents noms! — ^
clôture cet attrayant ouvrage. _
♦**
Signalons aussi le Catalogue illustré du Salon de 1892, publié
par la même Société. Ce catalogue, analogue aux catalogues
illustrés des Salons parisiens, et qui est, pour les expositions ôfti-
cielles Belges, une innovation," forme un volume dé plus de
450 pages in-4'>. Il renferme, outre un grand nombre de reproduc-
tions phôtoiypiques, huit eaux-fortes signées G. Vanàise, .G. Den
Dujts, P. Verhaert, À. Heins, C. Mertens, Louise Danse, L. Mo-
reels et James Ensor.
CONCERT DES DISCIPLES DE GÎIÉTRY A LIÈGE .
{Correspondance particulière de l'Art moderne.)
La maladroite et vaine querellé qui enfièvre les sœurs rivales :
La Légia et les Disciples de Qrétry, vaudra au public liégeois
d'entendre plus souvent les deux sociétés chorales. IjCS Disciples
de Orétry ont donné l'élan.
Lundi dernier ils se ^oduisaient dans ^un concert de bienfai-
sance qu'ils ont voulu faire brillant. Le succès a été vibrant,
enthousiaste, de ceux qu'à Liège, en matière artistique, un étroit
esprit de clocher peut seul provoquer.
Le succès est allé aussi bien aux solistes qu'aux sociétés exécu-
tantes. El cependant M"« Dyna Beumer s'obstine dans un réper-
toire entamé par la moisissure et M. Moussoux, un ténor des
Disciples de Orétry, s'il possède une jolie voix, s'en sert impar-
faitement.
Le grand intérêt du concert allait aux deux sociétés couronnées :
La Fanfare de Jemgppe et les Disciples de Or étfy.
La Fanfare de Jemeppe, la victorieuse du concours de Reims,
est une excellente société populaire qui a de l'entrain et de .la
vigueur. Quant aux Disciples de Orétry, ils possèdent deux maî-
tresses qualités et des plus séduisantes. Us ont du feu, line sorte
d'ardeur juvénile entraînante et ils nuancent facilement sans cette
violence, cette brusquerie qui très généralement font passer les
sociétés chorales du fortissimo le plus dur au pianissimo le plus
imperceptible. Ils ont des teintes moyennes et cela a l)ien du
charme.
Ce sont ces qualités qui nous ont surtout frappé dans l'exécu-
tion qu'ils nous ont donnée des chœurs imposés au concours :
L'Invocation de Jouret et le Magitificat de Riga/ et du chœur de
Gevaert : Les Emigrants irlandais. Leur directeur, M. Delsemme,
professeur au Conservatoire, est un musicien de talent. Espérons
qu'il saura conserver à ses chanteurs leurs remarquables qualités
de délicatesse et de vie.
pHRONiQUE JUDICIAIRE DEg ^RT^
. Partit^nir' manuscrites.
La question des partitions manuscrites, qui a fait l'objet de
plusieurs débats intéressants pac nous relatés, vient d'être tran-
chée par la cour d'appel'de Besançon contre l'éditeur, conformé-
ment à la jurisprudence du tribunal civil de Montpellier (1) et
contrairement à celle du tribunal de Reims (3).
M. Delparte, directeur du tt^dtre de Besançon, a pris en loca-
tion de M. Goud, son chef d'orchestre, une bibliothèque musicale
comprenant des partitions gravées et, en outre, des copies manus.
criles des difféi;enles parties de ces œuvres,»pour les musiciens
de l'orchestre.
. Poursuivis pour délit de contrefaçon à raison de la location
de ces copies par MM. Maquet et (;onsorJ,s, éditeurs de musique, .
l^M. Delparte et Goud ont été condamnés aux dépens pour tous
dommages-intérêts par un jugement du tribunal correctionnel de
Besahçon du 27 novembre 1890.
Mais sur l'appel de MM. Goud, d'une part, et Maquet et consorts,
d'autre part, la Cour a réformé le jugement et débouté le deman-
deur de son action.
L'arrêt, en date du 6 juillet dernier, décide textuellement que
.de même que le directeur d'un théâtre de comédie peut, sans
commettre de contrefaçon, copier ou faire copier dans la -bro-
chure achetée à, l'éditeur le rôle à jouer pai* chacun des acteurs,
de même le directeur d'un théâtre lyrique ne fait qu'user d'un
droit, lorsque, ayant à représenter un opéra, il copie ou fait co-
pier à la main, dans la partition gravée achetée aux éditeurs,
les parties de violon, de flûte ou autres qu'il destine au pupitre
de chacun des exécutants; quela contrefaçon n'appâfaftrail que
~si*ce directeur faisait œuvre d'éditeur, c'est-à-dire multipliait lés
copies et les* employait, non pas seulement à l'usage du théâtre
dirigé par lui, mais pour les exploiter à part et les ajouter à son
.commerce.
Il n'y a dans ce fait qu'un « acte intérieur, un procédé de
représentation dont les conséquences sont bornées » et' qui ne
saurait porter atteinte au droit de propriété des éditeurs.
Or, si ce droit est reconnu au directeur de théâtre, on ne peut
lui refuser celui de louer, si bon lui semble, des copies manus-
crites à qui les aurait.faites à l'usage exclusif de la direction ; cette
location, légitime de la part du locataire, ne pourrait, au regard
du bailleur, être envisagée comme constituant un délit.
Nous avons émis l'avis qu'en Belgique, sous^ le régime de la loi
de 1886 sur le droit d'auteur, cette théorie peut être contestée.
Nous renvoyons à ce sujet à la note que nous avons publiée
en 4891', p. 32.
^ETITE CHROJ^IQUE
Le dernier numéro du très vivant journal Le Mouvement litté-
raire, révèle une Situation tendue entre deux groupes de notre
jeune école. On en est à l'échange des filets, entrefilets, lettres et
articles désagréables. Les personnalités mordantes affleurent.
Naturellement la galerie, représentée par l'ennemi commun, com-
mente, excite et applaudit.
Quel ennui de voir ainsi renaître périodiquement des discus-
sions que le sentiment des vrais intérêts de notre renouveau lit-
téraire devrait étouffer dans l'œuf. Nous avons tant d'adversaires à
combattre et à écraser. C'est là qu'il faut vider nos poches à fiel
si vraiment nous ne pouvons en résorber le contenu. Entre jeunes,
tous désireux de pousser en avant, il ne peut y avoir que des
divergences d'écoles dans l'unité de notre belle transformation
(1) 16 mai 1890. — V. l'Art moderne, 1891, p. 3t. •
(2) Hjuin 1890. — V. F Art moderne, 1890, p. 230.
?
LART MODERNE
327
arlisliquç. Comprenons que ces divergences mômes sont un témoi-
gnage de vitalité et n'en faisons plus le prétexte de querelles enve-
nimées. Ne nous donnons pas les uns aux autres des coups de
coude dans nos rangs pressés. Frappons tous l'ennemi qui essaie
encore de nous barrer la roule érqu'irfaul enfoncer. Mieux vaut
se taire que de livrer au public la puérilité de ces disputes de
ménage. Le vrai tatenl n'est p^ à ce point susceptible. 'Confions-
nous au temps qui met tout à la vraie place, hommes et œuvres.
Union littéraire belge. — Le secrétaire à l'honneur de rappeler-
aux intéressés que le concours de romans sera clos le !«'. novem-
bre : les manuscrits doivent donc lui être adressés avant cette
date, 24, rue du Pépin, à Bruxelles.
Décidément, il n'y a rien de neuf! Voici qu'une des « fin-de-
siècleries » les plus folâtres, cette exhibition du Pétomane, dont
les affiches baroques couvrent les mûrs de~Bruxelles en ce mo- ■
ment, n'a elle-même pas le mérite d'une invention récente. Saint
Augustin, oui. Monsieur! saint Augustin cite un remarquable
exemple de pélomaiiie. Montaigne le rapporte en ses Essais, au
chapitre XX, intitulé : Delà force de l'imagination {!). — Edil. de
PariÊ 1725, p. 85.
Voici textuellement le passage :
« Et ce que pour aulorizer la puissance de nostre volonté, sainct
Augustin allègue avoir veu quelqu'un qui commandoit à son derrière
autant de pets qu'il en vouloit : et que Vives enchérit d'un autre
exemple de son temps, de pets organizez, suivant le ton des voix
qu'on leur prononçoit, ne suppose non plus pure l'obeïssance de
ce membre. Car en est-il ordinairement de plus indiscret et tumul-
tuaîre?...» •
Pour le cas où quelque esprit sceptique voudrait ne voir dans
ceUe citation qu'une ironique plaisanterie du vieil auteur, nous
donnons ci-après le texte même de saint Augustin {De Civit.Dèi.
Liv. XIV, chap. 24) :
M Nonnulli ab imo sine pudore ullo ita ivainerosos pro arbitrio
sonitus edunt, ut ex illâ etiam parte cantàre vidcantur. » ^
El Vives, dans son commentaire à cet endroit, ajoute :
« Talio fuit mcmoriâ nostrâ Germanus quidam in comitatu
Maximiliani Csesaris et Philippi ejus fiiii ; neç ullum erat carmen,
quod non ille crepitîbus judicisredderet. »
C'est, certes, un argument a posteriori en faveur de l'empire
que peut avoir l'homme sur lui-mértie.
U Académie libre, fondée en 1845, reprendra ses séances du
soir le 10 octobre prochain, dans son local de la Grand'Place, 16,
à Bruxelles.
L'Académie libre a une existence déjà longue et les nombreux
artistes qui en font partie ont consacré sa réputation.
Nouveau journal à Namur : La Scène, paraissant le samedi et
le mercredi. H se qasV\f\éartistique\et mondain. Pourquoi « mon-
(dain »? Qu'est-ce que cela signifie encore-par nos jours de socia-
lisme où tout ce qui tend à prendre au sérieux le hichlifage
apparaît odieux? L'art pour tous, l'art dégagé des coteries,
l'art dégagé des sottes vanités bourgeoises, est le seul qui mérite
de préoccuper là vivante jeunesse d'aujourd'hui, dédaigneuse du
pionde où elle est née et entraînée vers la démocratie.
Le premier article est consacré k une représentation de Sarah
Bernhardt à Namur. Nous félicitons la rédaction de ne pas s'être
laissée emballer comme tous les journaleux bruxellois dopt les
pâmoisons et les cris d'admiration hystérique ont donné un gro-
lesque- spectacle. On lit dans la Scène : « La comédienne a
alieint l'apogée de son talent et l'on serait presque tenté de dire
qu'elle a l^op^^e talent, si semblable assertion ne paraissait pas
parodoxale. La vérité est que chez elle l'excès d'art. tue quelque-
fois le naturel. On reste confondu devant celte connaissance si
parfaite et celte inlerprétation si fidèle des senlimenlsà exprimer,
mais si. on paye à l'artiste sublime un. iribut d'admiration bien
mérité, on lui refuse, à maints passages pathétiques de l'œuvre,
les larmes que le cœur donne toujours quand on lui fait partager
l'impression d'une. peine ou d'une douleur véritablement sentie. »
Cela est fort juste. La comédienne a, et a toujours eu d'admira-
bles dons. Mais, nous l'avons écrit souvent, elle manque de la qualité
dominante de l'artiste dramatique : faire oublier la personne et
ne faire penser qu'au personnage. Rossi, Salvini, pour ne parler
que de ceux que nous entendîmes, y excellaient, transformant
jusqu'à leur taille pour être tantôt le gigantesque Macbelh, tanlôl
le décrépil Louis XI, tantôt le beau et rêveur Roméo, tantôt le
sautillant et maniaque Roi Lear. Qu'elle soit Cléopâlre, Jeanne
DarCr Phèdre, la dame aux Camélias, Sarah Bernhardt est tou-
jours la même M™* Sarah Bernhardt, plus préoccupée de faire
valoir elle-même et son couturier que les héroïnes qu'elle inter-
prète. Curieuse, intéressante et talentueuse dame, au surplus.
Un "nouveau journal artistique — auquel nous adressons les
voeux d'usage — vient de paraître à Anvers. Titre : L'Ecran,
hebdomadaire. Sur la manchette, les deux vocables qui pavoi-
sèrefll feu l'Artiste ; Naturalisme, Modernité. Direction : à Anvers,
rue de I'Ajc, H. — 5 francs l'an. , ■
Entendu Emile Mathieu donner, à lui tout seul, au moyen de
ses doigta, de son esprit, de sa voix,;, de compositeur, une audi-
tion de son opéra : L'enfance de Roland. Charlemagne et sa nièce,
des Saxons el des paladins, y font un cadre discret à celte char-
ntantc nature de Roland enfant. Le poème repose sur deux bal-
lades d'Uhland, inspirées par l'audace cheyaleresqiie et la spiri-
tuelle espièglerie du futur paladin.
Nous n'en dirons pas plus long. La seiile chose qu'(in puisse
affirmer après une audition de ce genre, c'est que cet intuitif
Mathieu a trouvé un sujet qui semble fait spécialement pour lui.
Dans la musique comme dans le poème, c'est lui, ce petit Roland.
Il doit y avoir des souvenirs de sa jeunesse dans le caractère tracé
de verve de cet enfant qui serait bien un peu belgey si les
légendes disent vrai.
Quand pourrons-nous entendre cette œuvre, personnelle et
caract^islique, d'un vérilablo artiste de noire pays ? r^
Une représentation de bienfaisance sera donnée le vendredi
28 courant, au Théâlçe Molière, au bénéfice de la Crèche-école
gardienne d'Ixelles. Au programme, Ma Camarade et un inter-
mède. S'adresser pour les billets à l'économe du comité, M. A. Du-
tillieu, 15, rue du Collège.
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Comité de rédaction t Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
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Adresser toutes. les communications à
l'administration générale de TArt Moderne, rue de Tlndustrie, 32, Bruxelles.
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La uanse va-t-elle uecomIuen-cer ? — Vçi^mes de vers. — * La
VIEILLE CRITIQUE IIELGK.- Le MuSÉE DE GrUUTHUSE. — L'ArT ET LES
SÉMITES. — Les prix -de Rome. — Accusés de réception. — Mascagni
A Vienne. — ME^iENTo des expositions. — Petite chronique, ] <,_^2à
LA danse: ÏA-T-ELLE RECOMMENCER?
Voilà un an que nous avons publié cet article : Au
pied ■ du mur ! où nous reprochions à la Commission
des musées d'avoir gaspillé une somme énorme.
On a parlé de ces faits déplorables à la Chambre des
représentants. Et on a décidé qu'une enquête gouver-
nementale serait faite.
Voilà un an de cela !
Tout d'abord, nous rappelons l'enquête qui fut pro-
mise à la Chambre par le ministre lui-même. Et nous
la voulons limpide et claire comme une bouteille de
cristal.
Nous savons parfaitement que cette enquête enûuie?4^1e
et qu'elle projette de l'ombre sur les ignorances de nos
honorables. Ils se sont tus et se sont servis de la seule
force qui soit en leur pouvoir : l'inertie ! Eh bien ! nous
monterons de nouveau il l'assaut des commissions
anonymes et des bureaux banals.
On laisse donc dormir l'enquête. On l'aura prudem-
meirt'ensevelie dans le linceul d'un dossier. On l'aura
chloroformée de la lente et peu à peu diluante atmosphère
administrative. Mais nous la réveillons. Il s'agit des
deniers publics. Il s'agit de la réputation .artiste du
pays. ■ .
Noiis avons démontré l'an passé qu'il y avait au
musée un pseudo-Rembrandt,: un faux Lucas de Leyde,
un faux Rubens, des tableaux douteux, des toiles mé-
prisées par les marchands et les connaisseurs étrangers
qui appellent notre Musie « l'hôpital dés tableaux » !
Mais depuis l'an dernier l'invasion des mauvais
tableaux continue. On vient encore de pendre un tableau
qu'on attribue à Snyders : Chasse aux Cep^. C'est un
tableau qui "serait très décoratif dans le cprridor d.'un
château, mais il fait mauvaise figure ici. Est-ce un
Snyders? Pas du tout. Il est âpre et sec, avec des tons
durs et râpeux. Qu'on examine, en face de lui, le beau
Devos qui représente le même sujet et l'on sera saisi de
la fougue et la distinction de ce dernier peintre qui est
loin, pourtant, d'être l'égal de Snyders. Ici le Devos tue
Snyders. Et puis, allez voir l'authentique Snyders de
la grande salle, et après l'avarice de la toile nouvelle-
ment installée, l'égalez vous devant cette plantureuse et
aristocratique nature morte. Admirez dans le vrai
tableau la moelleuse douceur des duvets, la richesse
savoureuse des couleurs, la délicatesse exquise de la
~^
y>^
/
\
: ■ . \ ^
touche, la maîtrise du pittoresque! Et vous partirez
aigri contre la sécheresse froide de la récente acquisi-
tion. D'ailleurs, celle-ci a i^oulé d'ans les ventes à Paris,
où elle s'est vendue à des prix voisinant 2,000 francs et
où elle n'a pas trouvé d'acquéreur assez naïf.
■ *
Le Musée ancien n^'est pas le seul qu'on abîme. La
bureaucratie belge humilie aussi le Musée moderne et
les monuments pub^s. . -. " :
On sait — et nous publierons des études à ce sujet —
combien est mal et injustement composé le Musée
moderne. On vient-d'acheter un tableau à M. Jef Leem-
poèls. Le choix se porte sur le plus mauvais de. son
exposition,*une toile d'une vieille et verdâtre coloration
\ la Wappers. Et on a ouvert, au Musée moderne même,
dans une salle définitivement consacrée à ce genre, une
exposition de portraits, qui ont mis .en joie le monde
artiste..
A la fin, toutes ces hontes et toutes ces gaffes suscite-
ront des Ravachols dans le inonde des artistes! Il y a des
colères qui commencent à rugir; il est des gens qui
s'inquiètent encore de la dignité de leur pays et de la
propreté des musées. Il y a trop longtemps que le fonc-
tionnarisme travaille dans l'ombre et sans responsabi-
lité. Il est temps que des lueurs de révolte et de revanche
strient cet horizon ténébreux. L'heure a sonné où l'on
secouera vigoureusement, quelques représentants du
ganachisme, de la routine et du mauvais vouloir.
Nous signalons aux artistes la commande qui a été
faite pour la décoration de l'hôtel des postes. Cette
œuvre a été confiée non pas à Xavier Mellery, non pas à
Constantin Meunier, non pas même à Van Aise. Non !
C'est" à M. Vanden Bussche! A M. Vanden Bussche,
le peintre de tant de tableaux bafoues par la critique.
L'hôtel des postes sera bientôt badigeonné de grotes-
ques anecdotes- On verra derechef les étrangers s'ébau-
dir devant nos productions nationales et nous serons
de nouveau les plats barbares et- les cuïstreux balourds
qu'on nous a jadis reproché d^ètrel.
Un dernier mot, aujourd'hui. Nous avons vu au
Musée ancien l'exposition d'une collection I de photo-
graphies d'après les tableaux du Musée publiées par
Hanfstàngl de Munich. Ces photographies, sans être
pourtaiit très mauvaises, sont loin de valoir celles
de Braun et on eût bien fait de les confier au^ Belges
très habiles qui ont demandé à les faire. Mais il est
affiché qu'elles sont en vente chez Dietrich, Montagne
de la Cour. Combien eoûte une telle annonce dans le
Musée ? Si ce n'est pas trop cher, nous en donnerions
volontiers une à l'Etat. Celle-ci : Avis aux étrangers.
Renseignements sur les Musées de Bruxelles.
S'adresser aux bureaux de l'Art moderne, rue de
V Industrie.
VOLUMES Ï)E VERS /
Les Horizons hantés, par Jean Delvi4.le; l'Envol des rêves,
par Arthur Dupont. — Chez Lacomblez, Bruxelles.
En celle année, les poêles belges ont déjà célébré les avène--
menls de Paul Gcrardy el de Max Elskamp. ♦: -
Voici celui de Jean Dclville.
Indisculablemont ces trois noms marquent. Qui les cite ou les
écrit, ne peut se les rapj)elpr qu'avec^ à leur suite, quelque vers
doux, éclatant ou fort, el s'ils désignent des hommes, certes aussi
désigncnl-ils des livres. Car ceci est la merveille réalisée par tout
vrai poète : faire oublier les babils dont il se vét, le chapeau dont
. il se coiffe, son allure et ses gestes, pour s'incarner en quelque
strophe admirable et devenir sa propre pensée vêtue de beauté.
C'est la chair qui sefait verbe.
Dire que M. Jean Dclville se soit déjà affranchi des inévitables,
au début, réminiscences,' serait faux. Au long des pages apparais-
sent des couleurs appartenant à d'autres palettes, des mois logés
en d'autres vocabulaires et souvent même des piècps entières
fixées en d'autres recueils. Assimilateur, M. Dclville l'est. Mais qui
donc prétendrait qu'il n'est que cela?
4ussi peut-on noter certains viols de la s^iU^xe, quelques
amputations sauvages de syllabes, tels coups de poing donnés sur
lé pif de la grammaire, un vers cul-de-jatle paK;ci, une rime
aveugle par-là. ^
Ces tares ont Pté signalées avec insistance et peul-êlre M. Dcl-
ville.les a-t-il maintcnuea dans son œuvre pour son plaisir.
Ce qui nous plaît en M. Jean Dclville, c'est la richesse'de son
fonds"d€ poôle. La comparaison ne lui coûte guère, la vision
large et grande lui est ordinaire, le vers sonnant et clalV parfois,
le vers grave el profond souvent. Son talent est abondant el jeune ^
il coule à pleins bords. A travers les Horizons hantés, c'est la' sève
~ • nouvelle qui monte comme parmi les branchés d'un arbre. Chaque
poème pousse large et haut : on ne redoute pas un instant le travail
âpre et pénible, le recommencement, le recollement, les soudu-
res^ le battement des flancs. Il ya entrain continu, elcomme une
fêle d'ardeur et de fougue, presque toujours au déjà de la banalité.
Des tours nouveaux sont essayés, dé-ci, de-là, par-M. Del«tlle.
Ainsi : Soir de Chapelle; le Eeiour. Ces audaces ou plutôt ces
innovations, qu'il les multiplie. Son art ne pourra qu'y gagner.
Tel (Jue les Horizons hantés nous le présentent, l'auteur est
destiné aux aventures, /"/est carrément el fièrement qu'il les doit
courir. Et jamais avec des regards de côté, ni les deux pas en
arrière pour un seul en avant. Calme et rassis, il ne fera que
besogne fade et cuisine réchauffée. Mais, s'il a l'orgueil de n'écou-
ter que soi, de ne dépendre que de son audace et de faire de la
critique le cas nul qu'il en faut faire, certes, un jour le livre qu'il
signera sera ardent et personnel. Les Horizons hantés sont un
bon départ sur un terrain où l'on peut se casser les reins, mais
où, en tous les cas,- il est joyeux et pour quelques-uns inévitable
de s'emballer. -^
De M. Delville à M. Dupont on arrive par les sentiers déva-
lants. Ici, le jardin est ratissé; les taillis poussent en bon ordre;
il est défendu de marcher par-ci, de s'asseoir par-là. Des fleurs en
des parterres ^—jnais aussi des légumes en des pl.ates-bandes.
M. Dupont apparaît comme un écrivai'ïi au fait de son métier et à
la recherche de chansons jolies. 11 les rencontre assez fréquem-
\
■ ^
ment, mais tout charme fuit quand il enfle la Voix. C'est en ses
bons momenis qu'il trouve des images iellcs « sur Ion front
réginal », ou bien « sur ton pùlc sommeil encadré de mensonges )>^
ou qiielqùe rondel plutôt murmuré que dit. Citons : Douce pro-,
menade :
„•* Â , "
Dans les jardins muets comme des portes closes
Des abeilles dormaient sur les lèvres des roses, • .
Les lys décolorés joignaient comme des mains * .
Leurs. fronts courbés et pris aux ronces des chemins...
Par contre, les Hiboux et les Couples noirs n'ont rien qui soit
admirable et les deux comparaisons terminales : « On dirait les
esprits des beairx châtelains morts » et « tels s'accouplent de
nuit, etc. », n'eriiboilent absolument rien de juste ni de clair.
Ces images jirésentées de telle manière sont quasi grotesques.
Une remarque plus nette doit viser le défaut d'unité et dç
concentration de l'Envol des rêves, qui apparaissent trop comme
feuillets détachés.
Les deux volumes dont nous venons de parler se rangent dans
la collection' Lacombiez.
LA VIEILLE CRITIQUE BELGE
Elle a encore sévi, l'horrible mégère, la fielleuse et baveuse
commère, désolée de. sa vieillesse stérile et de ses charmes
méprisés.
Parait le livre exquis de Max Elskamp, un délicieux livre d'art,
d'une originalité incontestable, d'unc^ couleur primesautière et
d'un caractère bien national.
L'Indépendance belge cherche aussitôt à le cacher sous sa robe
de duègne malpropre et elle ptiblje, en guise dé compte rendu,
l'aigre entrefilet suivant :
« Dominical, par Max Elskamp. Un petit volume de vers..
L'auteur est Anversois. »
Et après cela M. Charles Tafdieu se vantera dé' ne pas être
hostile aux jeunes, et le somnolent Frédérix s'étonnera des mani-
feslalions qu'on lui réserve, comme une portion de pommes
cuites, dans les théâtres d'art neuf où il montre son personnage
passé de mode!
Est-il nriéchant, l'entrefilet jaloux publié par ces deux vieux
renards qui ont toujours des airs de chercher « leur queue perdue
à la bataille » — et don| la vide aigreur cherche à mordre ceux
qui sont mieux fournis qu'eux!
Les polémiques de l'an dernier ne les ont pas guéris de leurs
manies de mauvaises concierges. Tant pis pour eux! Nous leur
soignerons une saison d'hiver qui amènera peut-être leur rétablis-
sement.
Mais ils ne sont pas seuls atteints de ra^e contre nos
écrivains. Un correspondant bruxellois de la Meuse trouve que
Charles De Cosler n'est pas assez célèbre pour mériter un monu-
ment, .Mais enfin le jeune plumitif doctrinaire déclare que si le
monument est bien, on n'a qu'à l'édifier.
De tels propos appelleraient une réprobation violente si leur
auteur n'était petit, petit, petit. Qu'il ne se permette plus à l'ave-
nir d'essayer de diminuer une de nos gloires les plus belles, car
il doit savoir ce qu'il en a coûté àscertains, qu'il considère sans
doute comme ses maîtres, pour avoir pissoté au bas d'œuvres qui
ont jeté depuis de grands éclats.
Enfin, un professeur de littérature, à Gand, a déclaré, dans cer-
taine publication, que la jeune litléralure belge n'existait pas et
il a parlé du dernier roman de M. Lqmonnior : Dames de volupté,
et du dernier roman de M. Eekhoud : Cycle patibulaire.
Ces livres ne sont pas des romans, Monsieur. Avant de parler
d'une œuvre, liscz-la. Ou sinon ne vous étonnez pas qu'on appelle
vos appréciations ignares et- malhonnêtes. - • .
LE MUSEE DE GRUUTHUSE
Il est bien intéressant de constater le chemin que fail, en Bel-
gique, cette idée si féconde de doter chacune de nos grandes villes
d'un musée communal, destiné à centraliser peu à peu toutes les
collections locales et à donner de la valeur aux moindres objets
historiques, grâce au groupement cl à |a mise en ordre.
Le modèle de ces musées est celui de la ville de Bruxelles, trop
connu pour insister sur ses collections.
Gand n'aura bientôt rien à envier â la capitale. On annonce —
ceci sous toutes résprves — que M. Neyt lègue à celte ville son
superbe hôtel, .ainsi que toutes les collections d'armes et de por-
celaines qui s'y trouvaient rassemblées.
Quant à Bruges, les choses en sont plus loin. Elle vient de
décréter la création d'un musée communal qui sera' installé dans
l'Hôtel Gruuthuse. Ce musée, dit le règlement qui vient d'être
livré à la publicité, se compose dès maintenant :
a) De la collection de dentelles dont M. le baron Liedls a fait
don à la ville, â l'active intervention de la Société archéologique
de Bruges ;
b) Des tableaux et objets d'art que la Junte de l'Académie des
beaux-àrls a remis à la ville en vertu des conventions faites entre
elle et l'administration communale ;
c) Des objets déposés dans le' musée par la Société archéolo-
gique, selon inventaire;
d) Des objets que des administrations publiques, des sociétés
ou des particuliers ont confiés ou donnés à la ville, ou que
l'administration communale a acquis pour le musée.
Celte énumération démontre que la ville de Bruges a pris une
initiative des plus intelligentes en cherchant à grouper des insli-
tulions artistiques locales et à demander leur concours pour doter
leur bonne ville d'un musée qui promet d'être très remarquable.
En effet, il s'agit moins en l'espèce de collections formées tout
entières par les seules ressources ^^d'une administration commu-
nale, que de procurer un local et de pourvoir aux dépenses d'en-
tretien d'objets et d'œuvres d'art épars jusqu'aujourd'hui aqx
quatre coins de Bruges.
On a pensé avec raison qu'il était peu nécessaire que les objets
du futur musée soient la propriété exclusive de la ville, mais qu'il
suffisait, pour atteindre le^ but que doit se proposer un musée,
que la>jouissance des immes d'art puisse être procurée. La Société
archéologique et d'aufU-es sociétés ont seulement déposé dans les
nouveaux locaux des objets leur appartenant selon inventaire.
Avec la Junte de l'Académie des beaux-arts,. il est même intervenu
des conventions de dépôt toutes spéciales. Ces procédés sont "
excellents et ils sont tout à fait conformes à ceux qui sont pra-
tiqués en Allemagne et aux Etals-Unis.
Le musée de Gruuthu.se aura une administration toute parti-
culière. EUe sera confiée à une commission directrice formée de
la manière suivante
:■ (
c\y
A ■ .. . ■
fl) M. le baron Liedis en fail partie de droil en qualité do pré-
sident d'honneur, avec droit de séance el voix délibérative;
b) Le bourgmestre de la ville en fait partie el est président de
droit;
c) Six membres sont nommés à. vie par la Junte de l'Académie
el ne seront pas remplacés ;
d) Six membres sont nommés par le conseil communal el
quatre par le comité de la Société c4'archéologie. Le mandat de
ces dix membres de la commission sera renouvelé de trois en
trois ans. Ils sont rééligibles.
Le principe qui a dicté celte répartition est excellent : les
donateurs, leur vie durant, coçtinuent à prendre part h la. con-
servation des objets confiés par eux au musée, et ck-sl là la
meilleure garantie qu'il sera bien organisé. C'est l'association en
matière scientifique et artistique el une nouvelle preuve de ce que
pourraient faire en notre pays les nombreuses sociétés d'art qui
y prospèrent si elles se fédéraient plus souvent en Vue de là
-réalisation de buis communs dont le grand public bénéficierait le
tout premiel*.
Les principes qui ont présidé à la création du Musée communal
de Bruges attirent encore l'attention sur un tout autre ordre
d'idées.
Partant de ce fait que les musées sont destinés aux jouissances
esthétiques des citoyens et à leur éducation artistique, on peut se
demander quelle nécessité oblige l'état ou la commune à être le
seul propriétaire des œuvres exposées dans nos collections
publiques. Sans doute l'assurance de pouvoir conserver à perpé-
tuité des objets .*t tableaux de grande valeur légitime suffisam-
ment les achats réalisés au moyen des divers budgets des 'beaux-
arts. Mais une œuvre louée pour un an, six mois ou même moins
remplirait aussi bien le rôle que nous indiquions. Combien
mieux encore les œuvres simplement prêtées.
Il n'y a là rien de bien neuf. Les collections privées sont plus
riches en œuvres spéciales que beaucoup de musées. Vingt mobiles
peuvent pousser les particuliers à faire partager la jouissance de
leurs trésors à l'élite de leurs concitoyens. Que d'amateurs con-
sentant gracieusement à faire voyager leurs toiles vers de loin-
taines expositions, seraient heureux de savoir au musée de leur
ville un local spécial prêt à recevoir toute œuvre de passage
digue de figurer dans une collection.
Pour certains collectionneurs, leurs bibelots ou leurs toiles
représenlenlla valeurd'une fortune considérable, parfois les chers
débris arrachés à la ruine qui a englouti tout le reste. Il a fallu
toute une vie pour réunir leurs spécimens rares, et à cause des
charges de famille, en conscience, sinon légalement, ils ne se
croient pas autorisés à donner à l'État de leur vivant ou par legs
des œuvres représentatives de sommes considérables. Le prêt à
l'Etat ou à la commune pour quelques mois ou quelques années,
avec-peut-ôlre l'espoir d'un achat en bloc le jour dé quelque libé-
ralité des Chambres, ce serait là une solution bien raisonnable.
On pourrait imaginer vingt cas analogues comme, par exemple,
l'usufruit temporaire des œuvres pendant les procès, souvent
fort longs, pour sortir d'indivision, et les cas où il faut mettre les
œuvres sous séquestre, fonction que les musées rempliraient fort ,
bien, '.-
Faut-il citer des précédents? Au Metropolitan Muséum de
New-Yprk, beaucoup dœuvres d'art, et non des moins précieuses,
sont momentanément déposéespar leurs propriétaires. A Berlin,
au troisième élage de la Galerie moderne, c'est la colleciion du
comte Raczimsky qui a été prêtée aux Musées royaux el qui rem-'
plil. plusieurs grandes salles. Enfin, les 'arrangements intervenus
entre la ville de Bruges cl les diverses sociétés qui oni collaboré à
la fondation du Musée Gruuthuse sont la meilleure preuve qu'un
musée peut offrir au public des œuvres remarquables sans faire
en même temps acle de propriétaire. .
L'ART ET LES SÉMITES
U Avenir social, rédigé par une pléiade de jeunes avocats, dits
conservateurs mais faisant partie du groupe chaque jour gran-
dissant de ces belles personnalités de la génération nouvelle qui
dédaigneusement écartent les mesquines sottises du clérico-libé-
ralisme, continue à publier sûr la politique, l'histoire, la science,
l'art des articles dignes d'être remarqués.
Le numéro du 9 octobre contient, entre autres, une très forte
élude sur Renan, signée Léon De Lanlsheere. Ce nom est celui
d'une des plus fermes intelligences de ces nouvelles couches qui
donnent tant et de si nobles espérances.
Nous y lisons entre autres choses très bien dites ;
« Comme historien dés Sémites, M. Renan a sur la conscience
« quelques bévues remarquables. Il avait à peine déclaré que les
«< Sémites sont monothéistes par essence, que les fouilles miren}
« au jour l'exubérant panthéon assyrien. Il avait à peine affirmé
« que les Sémites n'ont ni arls plastiques, ni poésie, ni science,
« (]ue les fouilles révélèrent les superbes sculptures des palais
« assyriens, les poèmes, les collections scientifiques et les
« bibliothèques enfouies dans le sol de la Mésopotamie. »
Assurément, M. Renan a commis « quelques bévues remar-
quables ». C'est ainsi que nous, avons toujours été frappé, plus
spécialement dans son Saint Paul, de son inconscience de l'in-
fluence dominante de la race sur l'ère de diffusion du Christia-
nisme. Ce facteur capital lui a échappé.
, Mais est-il juste de contredire son appréciation sur le mono-
théisme des Sémites et leur inaptitude esthétique? L'exemple
tiré des fouilles assyriennes est des plus contestables. L'Assyrie
était un pays de mélange, très près des pays d'origine de l'Arya-
nisme, très mêlé comme population, très obscur encore aujour-
d'hui sur les artisans de son art. Les Sémites' conquérants ont
toujours, et immédiatement, utilisé pour leur art les peuples
conquis. La civilisation arabe, après Mahomet, en cette même
Mésopotamie, en Afrique et en Espagne en témoigne. Au con-
traire, l'Arabe, en son Arabie, livré à lui-même et libre de s'épa-
nouir comme jamais peuple n'en eut la chance, car, depuis les
temps historiques, son territoire est demeuré presque inviolé, n'a
jamais eu qu'un art très rudimentaire. Carthagé aussi (l'ancienne)
n'a laissé aucune œuvre d'art notable. Il faut rabattre des ima-
ginations de Flaubert en sa Salammbô; la vieille cité ne valait
apparemment guère mieux qu'Alger ou Tunis avant l'invasion
française.
Il est aussi logique de mettre à l'actif du sémitisme mésopota-
mique les découvertes récentes, que de mettre à l'actif des Mau-
res les monuments ai«abes de la péninsule ibérique. D'un côté
comme de l'autre ce sont les vaincus qui ont travaillé pour les
envahisseurs, race stérile et parasitaire, qui, dès qu'elle est livrée
à elle-même, ne produit plus rien. Où est l'art des cent millions
de Sémites qui existent encore sur notre rtiachine ronde? En
dehors de quelques Juifs, douteux tant ils furent, en leur ascen-
dance, mêlés à nous, el au surplus toujours d'un an étroit et secon-
daire, rien, rien, rien! Ni en fait, ni en espérances, rien, plus
rien.
Ces questions que nous n'avons pas la prétention de résoudre
absolument sont très importantes aujourd'hui que la question dos
races apparaît de plus en plus comme le point de vue principal
auquel il faut se placer pour apprécier et l'histoire et la législa-
tion et les réformes. Un catholique a malheureusement là-dessus
les inévitables tendances qui le poussent à magnifier !« sémi-
tisme par cela seul que, suivant la tradition, l'une de ses plus
infimes tribus aurait été choisie par Dieu Jcomme peuple favori.
Il faudra du temps avant que ce point de vue fragile ne fausse
plus les meilleurs esprits de cette école.
, LES PRIX DE B<^E
On lit dans divers journaux :
Un arrêté royal modifie les conditions d'admission au grand
concours de peinture, sculpture, composition musicale dont les
lauréats sont envoyés à Rome aux frais du gouvernement. Désor-
mais on admettra au concours les Belges qui n'auront pas trente
et un ans le 31 décembre de l'année pendant laquelle le concours
a lieu. » '
En voilà une réforme qui montre l'esprit d'initiative de nos
ratatinés bureaux des beaux-arts! Mais ce qu'il faudrait modifier,
malheureux routiniers, c'est la sotte obligation pour les lauréats
d'aller à Rome. On l'a attaquée cent fois. On a cent fois démontré
son slupide archaïsme. Voir nolammenl l'Art moderne. Conçoil-
on, en notre temps de modernité et d'originalité, qu'on expédie
pendant plusieurs années dans la ville éternelle! d'infortunés
artistes, avec obligation, entre autres, de faire des copies, sous
prétexte que cela formera leur sens artistique?
C'est comme si, pour développer l'aptitude à parler le flamand,
vous les envoyiez en Espagne. L'art est un moyen d'expres-
sion des idées et des sentiments personnels, l'art est une langue,
celle du milieu, du pays, des traditions nationales, el ne vaut que
si CCS divers et savoureux facteurs sont respectés el intensifiés. Que
vaut le malheureux qui a été se déformer au loin en essayant d'éga-
ler le Titien ou Raphaël, en s'imprégnant de leurs tendances en
opposition avec sa nature? Ce n'est plus qu'un misérable pasti-
cheur, un vulgaire académique. Donnez vos prix de Rome aux
Belges pour vivre, peindre, sculpter en Belgique. C'est notre chez,
nous qu'ils doivent interpréter, nos paysages, nos mœurs, nos
idées, nos espoirs. Leur mission est de nous les faire apparaître
plus profonds, plus beaux, plus tendres. Qui donc a jamais tres-
sailli devant les coloriages glacés qu'on expose sous la rubriqtie :
Envois de Rome ? "
-^CCUpÉg DE I^ECEPTIO;^
Pierrette, opérette en vers (un acte), par Charles Gheude;
Nivelles, M. Dernier. — Croquis arlots, par Charles Gheude;
Nivelles, M. Dernier. — Echos d'Alsace, par le D' Ox (sans nom
d'éditeur), — Fjelds et Fjords, par Emile Vandervelde (extrait de
la Revife de Belgique); Bruxelles, P. Weissembruch. — Le
Vœu de Vivre (Livre IV de Bire du mieux, d" partie de OEuvre)
par René Ghil; Deuxième volume; Paris, Direction des Ecrits
pour VArt, 16tw, rue Laurislon. -^ Bobin, par Fernand Bau-
Doux; Paris, A. Savine. «
MASGAGNI A VIENNE
Sous ce titre le Guide Musical publie une bien amusante cor-
respondance, caractéristique de l'engouement irréfléchi des foules
pour certains artistes en vogue que l'avenir classe inéluctablement
à leur rang :
Rien ne peut donner une idée du délire qui s'est emparé des
Viennois depuis que M. Nascagni, « l'heureux auteur » de Caval-
leria et do VAmico Fritz, est « dans les murs » de la capitale
autrichienne. C'est un enthousiasme exubérant, lassant, crispant,
irréfléchi au point d'être ridicule, une folie furieuse, de la fréné-
sie. M. Mascagni ne peut faire un pas hors de chez lui sans être
poursuivi par la fouie, qui le suitj qui l'examine des pieds à la
tête, qui le harcèle de mille façons de son obséquieuse admiration».
Chaque jour, on peut lire dans les journaux de Vienne des
colonnes entières sur les faits el gestes du jeune maestro ; ses
moindres paroles sonl recueiUfesit commentées avec un empres-
sement fiévreux ; on détaille ses actes, ses gestes, ses façons de
parler et d'être; on décrit par le menu sa toilette, la coupe de ses
habits, de ses cols et de ses cheveux. Tout Vienne sait l'heure à
laquelle il se couche, quand il se lève, comment il déjeune, quand
il dîne et ce qu'il mange. C'est une fièvre maligne, une épidémie
caractérisée par la publication de trois feuilletons dans la Noti-
velle Presse libre, où l'on peut lire que Mascagni est un reizender
Mensch, un homme charmant, qu'il est adorable, exquis, déli-
cieux. L'autre jour, au Praler, deux mille personnes l'ont suivi,
el l'on s'est bousculé pour le toucher du doigt; des dames l'ont
embrassé; l'une d'elles même a arraché le cigare que fumait le
maestro et l'a emporté — le cigare, pas le maestro — comme
une relique.
M. Mascagni, qui est, dit-on, un jeune homme intelligent, et
modeste, plus étonné que ravi de ces ovations violentes, est le
premier à se plaindre de l'attention exagérée dont il est l'objet. Il
est la victime plutôt que le héros de sa propre gloire, si rapide
e( jusqu'ici si peu justifiée. Il explique lui-mépie que le succès
prodigieux de son premier ouvrage est dû surtout à celte circon-
stance que le public italien élail saturé des longs opéras qu'on lui
donnait depuis vingt ans, vastes machines d'idées çt d'inspirations
tapageuses autant que nulles, auprès desquelles la concision
énergique.du sujet et les développements musicaux très rudimen-
taires AfTCavalleria ont paru un signe de force extraordinaire. Un
bon point au maestro pour cet aveu ingénu, à moins qu'il ne soit
plein d'artifice.
M. Mascagni a déjà dirigé sur la petite scène de l'Exposition de
Théâlre el Musique; à Vienne, cinq ou six représentations de
Cavalleria el de VAmico Fritz, et chaque fois il a été l'objet
d'interminables ovations. A la dernière représentation de Caval-
leria, lundi dernier, à laquelle assistaient plusieurs archiducs,
Mascagni a été rappelé six ou sept fois de suite; il s'est aj ors
incliné el a prononcé en allemand ces\mots mémorables : Ich
danke. Nouveau délire cl nouveaux rappels. ^u douzième, exténué,
le maestro a balbutié : lo sono trppno cofnmosso! (Je suis trop
ému !) Et il quitta la scène au miliéia-irune salle agitant frénéti-
quement chapeaux, cannes, moucnpirs ou' parapluies.
Un homme que ce délirant enthousiasme des Viennpis ïloil
mettre aux anges, c'est le bon éditeur Sonzogno, artisan de la
gloire de son protégé, Barnum satisfait et rayonnant de la no\i-^
velle école musicale « du coup (le poing dans l'œil ». C'est lui
qui a organisé à grands frais — sa fortune les lui permet — la
stagione italiana du théâtre de l'exposition. Après avoiii fait
annoncer par un journal intimement hostile que Mascagni n^ndP
pas à Vienne tant que l'Autriche n'aurait |ias rendu Triesle -à
l'Italie (!), il a amené tout de même avec lui le soi-disant irréden-
tiste. Le coup était bien joué. L'effet devait être inrimanquable et
la malice a porté. C'est décidément un très habile homme que ce
malin éditeur!
Il faut reconnaître d'ailleurs que, de l'avis de tous, il a présenté
aux Viennois une troupe italienne, hors ligne, chargée de leur
faire connaître toute une sérig d'opéras, en un ou plusieurs acjes,
dont les partitions dormaient dédaignées dans l'arrière-boutique
du Stabilimente Edonrdo Sonzogno,
Après avoir fait chanter Cavalleria par Slagno et- la créatrice
de Santuzza, la très remarquable signora Bellincioni, il a fiiit
représenter successivement II Biricchino du maestro Lenpoldo
Mugnone, un vaudeville sans portée; puis / Pagliaci de Leonca-
vallo (paroles et musique), une tabarinade violente et sucrée tour
à tour; puis encore la Tilda de Ciléa et la hiala Vita de Gior-
dano.
Une fois les esprits chauffés à blanc par la présence de MaSéa-
gni, toute la série y a passé, non sans douleur, mais avec un
retentissement égal pour toutes ces œuvres de valeur 1res
discutable.
C'est'lout ce que voulait le bon éditeur Sonzogno.
Voilà son nouveau répertoire lancé et bien lancé.
Evviva Vltalia ! Macaroni e pulcinella!
Mémento des Expositions .
Angers. — Exposition des Beaux-Arts et d'Arts industriels, du
42 novembre au 1" janvier 1893. Envois à la Société desAmis
des Arts, place de Lorraine, Angers, d[x '20 au ^^ oclohre. '
. Budapest. — Concours pour la statue équestre d'Andrassy.
Jrois prix à décerner : 6000, 4000 et 3000 francs. Dernier.délai :
1" octobre 4893. Devis maximum -. 200,000 florins. Renseigne-
ments : B»" F. de Podmaniczky, président du Comité exécutif,
II Foutçza Ji» i, 2n'e étage, Budapest^
Chicago, —t Section des Beaux-Arts de l'Exposition universelle,
l^f mai-30 octobre 1893 (voir lArt moderne Au il octobre 1891).
Monaco. — Exposition internationale des Beaux-Arts (limitée
aux invités). 14 novembre 1892-13 août 1893. Renseignements :
Baron Delort de Gléon, président du Comité, rue Vézelay,
18, Paris.
Nancy. — XXIX® exposition de la Société lorraine des'« Amis
des Arts». 1" novembre-8 décembre. Transport gratuit pour les
artistes invités. Renseignements : M. R. Wiener, trésorier, rue
des Dominicains, 53, Nancy.
Nantes. — Exposition de la Société des «-Amis des Arts », du
l«rau 28 février 1893. Envois avant le 8 janvier à M. Descamps
de Lalanne, secrétaire général de la Société des uAmis des Arts »,
12, rue Lekain, Nantes.
Nice. — Exposition internationale. 10 janvier-30 mars 1893.
Envois : 'lef-25 décembre. Renseignements : Secrétariat, Palais
du Crédit Lyonnais, Nice.
pÉTlTE CHROI^IQUE
Le bel article sur Renan, paru dans notre numéro de dimanche
dernier, sous la signature de Victor Arnould, a appris à nos
lecteurs que nous pouvons de nouveau compter sur la collabora-
tion de celui qui occupe une des premières places parmi nos.
écrivains. nationaux.
On n'a point perdu la mémoire des admirables études, entcç
^ulrcs sur Juvénal, que l'auteur du Tableau d'une histoire sociale
de l'Eglise a publiées dans l'Art moderne. La direction de la
Nation, auquel son étiiicelante polémique quotidienne -a donné
tant d'éclat, l'avait contraint à délaisser provisQircment notre revue.
Maintenant qu'a disparu ce journal, assurément de pensée trop
élevée et de prose trop lettrée pour réussir auprès de notre public
amateur de boissons intellectuelles grosses et frelatées, notre
ancien collaborateur nous revient, certain de trouver auprès du
groupe de nos lecteurs (groupe si fidèle cl d'une si grande infliience
dans le domaine de l'art), l'accueil et la sympathie que le taleiU
cherche en vain quand il s'adresse à la foule, à' la politique et au
vulgaire.
C'est aujourd'hui dimanche, à 11 l'2 heures, que sera installé
au Conservatoire royal de 'musique le buste en marbre d'Augusie
Dupont, érigé à sa mémoire par ses élèves. Ce buste est l'œuvre
de M. Paul Du Bois.
La Section d'art et d'enseignement populaire de la Maison du
Peuple, inaugurée l'an dernier et désormais solidement constituée,
va reprendre prochainement la série de ses attrayantes séances.
Parmi les conférenciers qui se sont fait inscrire cette année, on
cittîMM. Jules Destfée, G«orges Eekhoud, Fernand Khnopft", Mau-
rice Maeterlinck, Edmond Picard, Eugène Robert, M""®» Couvreur
et Galii de Gamond.
La première séance aura. lieu le 1?' novembre. M. Jules Destrée
parlera de/la litiérature russe; la seconde pari ie de la soirée sera
consacrée/à l'audition d'œuvres de la Jeune Russie musicale. ^
MM. Blanc-Garin et Horta commenceront sous peu un cours de
dessin industriel qui ne peut manquer d'être très suivi et dgs plus
utiles. La section dramatique de la Maison du Peuple se propose
d'interpréter diverses œuvres ignorées ou peu cohnues du Ihéâlro
contemporain.
Le premier concert du Conservatoire est fixé au 18 décembre.
M.Gevaérl prépare pour cette solennité une audition du Messie.
Il a engagé comme soliste M. Demest, le jçune chanteur liégeois
qui a si brillamment débuté cet été au Waux-Hall et dont nous
avons vanté le mérite exceptionnel.
On se souvient du succès que remporta Li Voyège di Chaud-
fontaine. L'accueil fait à la partition du chanoine de Hamal a
donné à MM. Radoux et Sauvenière l'idée de publier im autre
opéra du maître wallon. Et bientôt nous verrons sortir des presses
de M. Ch. Vanderauwera, l'habile graveur de musique, Li Liégeois
égngi (le Liégeois enrôlé), écrit par de Hamal en nS7 sur un texte
de M. de Fabri, bourgmestre de Liège. M. Radoux a réduit la par-
tition pour piano, M. Sauvenière a fait du texte wallon une adap-
tation française.
L'ouvrage est mis en souscription à 4 francs l'exemplaire.
Elles poussent, elles poussent, les feuilles nouvelles, malgré la
saison tardive "" -^
i
Voici Tout-Bruxelles, paraissant le jniidi ol le dimancho, avec
jdes clironiqiies de F. Nautdl, d'Edin. Çallier, d'H. Maubcl, de
F. Sla'hutte, d'H. Nizel^ de G. Van Zype, de F. Liitens, de
Ml'" M. Van de Wiele, et*. Administration : 2i, rue de l'Eciiyer,
Bruxelles. Abonnement : 10 francs par an.
A Paris, le Journal, publié sous la direction de F. Xau, derrière
qui marche l'armée des courriéristes, chroniqueurs, soiristes,
échotiers parisiens, depuis M™" Séverine jusqu'à Bergerat. Vendu
un ^o\x, lé JoiCrnal va faire une concurrence directe à l'Echo de
Paris, lequel avait lui-même, en abaissant à deux soûs le prix de
vente de son numéro, attaqué dans ses retranchements \eOilBlas,
qui coûte trois sous. A quand le journal gratuit, avec primes en
espèces métalliques? A quand l'adjonctionien supplément hebdo-
madaire et illustré, d'une feuille de coupons payablee- par
semestres? '.
Citons enfin un journal namurois, Le Théâtre, paraissant le
jeudi et le dimanche.
Cette brève nolcdans un journal de Paris : « Mort, à vihgt-sepl
ans, de M. G.-Alberl Aurier, le critique d'art du Mercure de France
et l'auteur d'un roman. Vieux », évoque dans notre esprit toute
une série d'articles, lus avec le plus vif intérêt, sur les, peintres
de la génération ascendante : Claude Monet, Paul Gauguin, Berthe
Morisot, Renoir, Raffaclli, Vincent Van Gogh, Henry de Groux,
Eugène Carrière Nous avons, ici même, cité et reproduit plu-
sieurs d'entre eux, et notamment le panégyrique enthousiaste que
fil le compréhensif et très renseigné critique de l'art, superbe en
sa brutalité, du pauvre Vincent.
Le Mercute pleurera l'un de ses écrivains les^ plus distingués.
11 se lient annuellement en Italie un Congrès artistique
national qui s'est réuni, pour la sixième fois, à Turin en 4892 et
qui vient d'acclamer Rome comme siège du prochain congrès
qui aura lieu l'année prochaine. Toutes les questions concernant
l'art national sont débattus dans ces assemblées auxquelles
prennent part des représentants, des artistes,' des professeurs
d'Académie et des officiels. On y discute sur l'opportunité des
expositions, sur les réform«s de l'enseignemeht académique, sur
les mesures à prendre en vue de la conservation des richesses
artistiques du pays.
N'y a-t-il pas, chez nous aussi, assez d'intérêts artistiques pour
donner lieu à la réunion d'un tel congrès?
A lire dans le numéro du 15 juillet 1892 de la revue Le Droit
d'Auteur, un très intéressant article sur la protection des Ira-
duèlions d'œuvres dramatiques ou dramalico-musicales organisée
par la Convention internationale de Berne.
Il conviendrait que les administrations communales de nos
grandes villes prissent davantage à cœur les intérêts du bon goût.
On a profité des vacances pour remettre à neuf la salle du ThéAtre
du Parc qui est, comme on le sait, un établissement appartenant
à la ville de Bruxelles. Pas le moindre sens artistique n'a puésidé
à cette décoration. Passaient encore autrefois les vieux ors et les
cartonnages noircis par les poussières et la fumée du gaz. La salle
avait un air ancien qui poussait à l'indulgence les gens délicats.
Mais aujourd'hui ? Les ors vifs tranchent sur les blancs crus et les
velours cramoisis. On s'est même avisé à'argenter les cariatides
qui soutiennent les loges d'avant-scène et l'on a remplacé l'or-
chestre par une tenture du dernier mauvais goût.
Que font donc les architectes communaux et ces messieurs du
collège qui mandatent des dépenses criant autant vengeance à
l'art cl aux bienséances?
La dernière livraison des Hommes d'aujourd'fCui (\amer, éd.)
publie le portrait de M. Zo d'Axa, rédacteur en chef de VEndehors.
Dessin d'Anqueiin, texte de Lucien Descaves.
Le Musée des Arts. Industriels de Berlin vient d'acquérir une
suile d'œuvres de M. Roly. ^"~^
Souhaitons que ses plaquettes et médailles, où revit si ingé-
nieusement l'art dfls anciens médaiMeurs, et qu'on a pu admi-er à
diverses reprises au Salon des XZ, excitent, là-bas, l'intélrêl
qu'elles méritent.
Le Choléra : tel est le litre d'un drame en six actes qu'un auteur
allemand, M. Miniemann, vient de soumettre au directeur du
Lessing-Thealer, à Berlin. Celui-ci, dit-on, s'est empressé de refu-
ser cet ouvrage d'une trop sinistre actualité.
Il est vrai, dit le Musical Times, qui rapporte celle nouvelle,
que le Choléra- Galop de Musard a diverti nos pères il y a un demi-
siècle. Mais un drame en six actes sur ce sujet!...
Un musicien qui refu.se une décoration par conviction ou par
niodestie, voilà un fait bien exceptionnel àan^le siècle où nous
vivons ! Il vient de se passer dans les Pays-Bas, où deux artistes
musiciens néerlandais, MM. Boers et Nicolaï, ont été décorés à
l'occasion de l'anniversaire de là jeune reine. Mais, tandis qu^on
donnait des sérénades à M. Nicolaï, le vieux maître de Delfl,
M. Boers écrivait au l^linistre de l'intérieur que ses opinions ne
lui permettant pas d'accepter une distinction honorifique, il le
priait de bien vouloir annuler sa nomination en faisant rapporter
le décret. Voilà un homme qui ne transige pas avec ses convic-
tions, et il faut admirer la fermeté de caractère d'iine nature
pareille qui ne trouvera pas beaucoup d'imitateurs dans la confré-
rie artistique. {Guide musical.)
En même temps que le Comité de l'exposition de Chicago invi-
tait MM. Saint-Saëns et Massenet à diriger des concerts d'œuvres
françaises, ils traitaient avec M. Mackenzie pour trois concerts de
musique anglaise, dans lesquels ses propres compositions tien-
dront la plus grande place.
M. Mackenzie se propose^e donner aux Américains la primeur
de sa nouvelle partition, Bethléhem, encore. inédite.
Franz Servais photographié par Gil Bias :'
Une tête souffreteuse, pensive, lourde de tristesse et d'ennui
commelin en voit dans les vieilles fresques des Primitifs. De longs
cheveux et une longue barbe d'un ton roussâtre qui mettent
autour du masque, amaigri, tout en angles, comme des reflets
atténués et frissonnants de nimbe. Des yeux fatigués par les
longues veilles de travail et où flottent comme les bleues lueurs
d'un ciel empli de y'sions. Un corps qui n'en finit plus, qui
s'efflanque tout d'une pièce, sans lignes, en de vastes redingotes.
Le frère du célèbre et si grand artiste qui arrachait au violoncelle
des sanglots presque humains, des plaintes affolantes d'amoureuse.
Est lui-même un des maîtres musiciens de ce temps, de ceux qui
suivent la belle route si large qu'a creusée le divin Wagner.
L'auteur dé cciXe^ A pollonide tragique "où passe comme une
ventée' d'orage le souvenir des immortels olympiens et qu'on
applaudira bientôt à l'Opéra. Signe particulier: D'une modestie
presque gênante pour les si nombreux qui l'aiment et l'admirent,
el le beau-frère du célèbre ténor Van Dvck.
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'"-<■
Douzième année. — N" 43.
Le NumËRo : 25 centimes.
Dimanche 23 Octobre 1892.
■a
PARAISSANT LE biMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
>
' Comité de rédaction t Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. iO.OO ; Union postale,- A*. 13.00. —ANNONCES : On traite à forfait.
[I^T^^^BMII II ' I I
Adresser toutes tes communications à
l'administration générale de TArt Moderne, rue de l*Induâtrie, 32, Bruxelles.
?
OMMAIRE
M. Jules de Burlkt, ministre des beaux-arts. — Qruss aus
RoTHENBURO. — TJoÉATRB DU Parc. Les Débuts de la direction
Alhaiza. — Mounet-Suli.y dans « Ruy-Blas ». — Au Théâtre des
Galeries. — Au Conservatoire. — Bibliographie. — Accusés de
RÉCEPTION. — Chronique judiciaire des arts. — Petite chronique.
M. Jules de BURLET
MINISTRE DES BEAUX-ARTS
Pourquoi donner ici à M. Jules de Burlet un autre
titre que celui qui nous intéresse et qui le qualifie par
la partie la plus séductrice de ses fonctions, la seule
presque qui vaille qu'un homme de goût se dérange
pour être Ministre. Et pourtant quelle petite place ces
Beaux- Arts occupent à l'intérieur du vaste et banal
organisme de l'Intérieur ! Une seule Direction, qualifiée
générale pour faire valoir son importance très mince.
Même une part aliquote seulement de cette direction
qui comprend une trinité : Sciences, Lettres, Beaux-
Arts. Et quand on regarde par le trou de la serrure ce
qu'il y a là-dedans, l'habitant, on trouve (ah ! Vraiment,
la constatation est ahurissante!) on trouve le personnel
que voici :
Directeur général : Néant ! La place qu'occupait feu
Jean Rousseau reste vide, et rien n'en souffre.
Directeur : Rothier.
Chef de division : Jenats Y.
Chefs de bureau : Schmftz, Clepkens, Van Droogen-
BROEK.
Inspecteur : Leclercq.
Qu'est-ce que ça vous dit, ceté tat-major? Pas grand'-
chose! Je le crois volontiers; à moi ça ne dit rien du
tout. Remarquez au surplus que l'Art n'a pas même de
mention dans l'enseigne de ce ministère qui n'est offi'
ciellement connu que sous cette forine pluB banalement
administrative : Département de l'Intérieur et de
l'Instruction publique. Administrativemei^t l'Art n'a pas
de vie à part ; ce n'est qu'un tentacule de cette' machine
chez nous si horriblement pédante, basse et sectaire .:
l'Enseignement !.
C'est là-dedans qu'un beau jour, après MM. Thonissen^
Melot, Devolder, qui eux-mêmes succédaient à M. Rolin-
Jaequemyns (quelle série, bonté du. ciel!) est entré
M. Jules de Burlet. Il fut salué naturellement des quo-
libets de la presse dite libérale qui entonna spécia-
lement, à cette occasion, l'air de M. Pantalon et,
durant des semaines, ne décoléra pas. Le sublime « ô
Vandenpeerenboom » en faillit être oublié. Heureu-
sement que la stupidité finit toujours par reprendre ses
droits. -
M. Jules de Burlet fait partie de cette jeune école de
ministres qui a rompu avec le ridicule de la morgue
doctrinaire dont est sorti, à propos de M Rolin, ce mot
tant joli : Un polichinelle devenu grave. A l'exemple
de ses collègues, depuis plus longtemps en selle, il pra-
tique l'accueil aimable et fonctionne dans un nuage
d'aménité. Le régime lui fut facile. L'homme est, par
nature, très affable en sa correction distinguée, trèis
ouvert, très sympathique à quiconque l'aborde d'assez
près pour déchirer l'énorme mensonge des cancans du
journalisme. Ce n'est pas la bonhomie banale iet souvent
sournoise des malins qui jouent un rôle de bienveil-
lance; c'est mieux que ça t une simplicité franche sans
familiarité et, avec ses égaux, une camaraderie affec-
tueuse qui promptement dégage et fait briller l'ami sous
le ministre.
Bref, et ceci est essentiel au point de vue de ce com-
partiment de son ministère, il a l'allure artiste, prime-
sautière et ennemie des subterfuges. Ceux qui le con-
naissent bien, par l'épreuve de relations déjà anciennes,
peuvent ajouter qu'il a aussi la substance artiste : la
belle voix de sa famille (ah ! comme il chante gaillairde-
ment et ironiquement Mj Pantalon) et un extraordinaire
talent d'imitation.
Mais au point de vue de l'Art, est-il the right man
in the right place?
Depuis qu'il a chaussé les escarpins de ministre des
Beaux-Arts, depuis, surtout, que Jean Rousseau n'est
plus là pour autoriser à dire que le directeur général
fait tout et le ministre rien, on est attentif à cette ques-
tion, si peu de chose pour l'homme d'aff'aires, si palpi-
tante pour les Esthètes. On le surveille, on le guette,
on le commente. Jusqu'ici l'opinion n'est point parvenue
à asseoir définitivement son jugement.
Plusieurs vous diront que l'homme est du plus grand
bon vouloir. Qu'il a pris au sérieux cette machine des
Beaux- Arts que ses prédécesseurs inclinaient à croire
un superflu et à laquelle ils s'entendaient autant que
des escargots à pincer de la cithare. Qu'il y veille de
près. Qu'il a dérangé la quiétude et les prétentions du
personnel spécial qui avait pris la spirituelle habitude de
consulter le ministre sur les faits accomplis. Qu'il a
provoqué un ahurissement voisin de la terreur, le jour
oti, sur trois tiableaux achetés par la Commission des
.Musées et pour lesquels celle-ci avait déjà traité ferme
avec son fournisseur accrédité, il en a refusé deux,
regrettant même de n'en pas refuser trois. Qu'il sait
commander et trancher dans le vif. Qu'il a une instinc-
tive répugnance pour les traîneries paperassières, pour
les correspondances solennelles et inutiles, pour les rap-
ports pédantesques qui ne disent rien, pour les rado-
tages séniles des bureaux, les niaiseries importantes,
les enflures aérostatiques de messieurs les fonctionnaires
et tout le bagage byzantin qui fait la gloire du snobisme
rond-de-cuirique.
A rhôhneur du ministre, à son très grand honneur.
on peut dire qu'il y a dans ce croquis les traits les plus
justes, et il en émane de très grands espoirs. Mais où glt
le mal, c'est dans l'entourage.
Ah ! cet entourage ! Si M. Jules de Burlet était au
courant de l'évolution artistique, il en aurait vite fini
avec les médiocres et les imbéciles qui forment la garde
prétoi^ienne des hauts personnages. Il est d'un caractère
à les chasser à coups de mouchoir comme un essaim
de mouches malfaisantes.
Malheureusement-, son éducation ^ professionnel^
parait notablement insuffisante. En faut-il d'autre
preuve que la stupéfiante commande accordée au
peintre Van den Busche, présentement en possession,
oui Monsieur! du droit de décorer les murailles inté-
I rieures de la nouvelle poste ? Si le ministre avait été le
moins du monde versé dans la connaissance du monde
des pittori, il se serait esclaffé le jour où on ne sait
quel audacieux fumiste lui a fait une aussi eifelesque
proposition,
M. Jules de Burlet en est donc encore aux tâtonne-
ments. Qu'il s'agisse de nos jeunes grands écrivains ou
de nos jeunes grands peintres, il ignore à peu près
tout. Les noms mêmes, leé noms des plus brillants sont
parfois pour lui vides de sens, ou s'il en entend parler
par ses vieux aides de camp, c'est avec le mépris aff'ecté
et rageur de ces débris pour ce qui invinciblement les
destitue ou les submerge. Il est au milieu des embûches,
des méchancetés hypocrites et des mensonges intéressés.
Incessamment il pleut sur lui une pluie d'inepties et de
misères, A peine de temps à autre un intrus l'abrite-t-il
sous le parapluie d'un bon avis. Et encore, comme il
doit souvent demeurer perplexe au milieu des bises con-
tradictoires qui font tourbillonner ses appréciations!
Prend-il fièrement et solennellement devant le monde
artiste un engagement comme celui de faire une enquête
sévère sur les gesta de la commission des Musées, il
hésite à l'exécuter et incline à laisser retomber au fond
de la mare administrative le hideux paquet de sottises
que d'un coup de crochet imprévu on avait amené à la
surface.
Quel étonnement a dû être le sien quand, au cours
de l'été dernier, il a vu le Figaro, dans les deux études
retentissantes de M. de Nion, énumérer la liste de ceux
de nos écrivains qui, pour l'étranger, méritent qu'on les
dénomme et qu'on leur fasse gloire. Pas un seul de nos
prétendus grands hommes officiels! Pas d'apparence
d'une de ces incapacités méconnues auxquelles le monde
accorde chez nous de l'importance! Est-ce que cela seul
ne suffit pas à lui démontrer dans quel échafaudage de
mensonges on l'interne ? La même expériencTe pourrait
se faire pour nos peintres.
C'est contre cette perpétuelle mystification qu'un
homnie comme lui doit être mis et doit se tenir en
garde. Qu'ilanalyse la liste réjouissante de l'emploi qu'on
UART MODERNE
339
fait des subsides pour les Beaux-Arts, cette série d'au-
mônes mal distribuées, la plupart du temps à de faux
artistes qui ne sont à ce point quémandeurs que parce
qu'ils se sont fourvoyés dans l'Art, qui répugne à leur
nature. Qu'il appelle, au besoin, pour cet échenillage
quelque ami çûr, qui le renseignera sur les insanités de
cette distribution qu'il ne saurait toujours discerner
lui-même. Il saura vite, par une telle leçon, ce qu'on fait
et ce qu'on devrait faire. Qu'il s'abstienne sui'tout de
suivre ses bureaux, tanière fréquentée parles impuis-
sants, où se préparent tous les mauvais coups de la
camaraderie filouteuse et de la recommandation idiote.
Il est tel ou tel nom, d'homme ou de femme, qui, par
cela seul qu'il apparaît dans un dossier à l'appui d'une
faveur sollicitée, devrait suffire à faire inscrire en gros
caractères sur la demande : Refusé!
Nous nous sommes rarement tant occupés d'une per-
sonnalité ministérielle Nous étions résignés à ce que
nous pensions être l'inévitable infécondité et l'invincible
infirmité de l'horlogerie officielle. De temps à autre un
coup de dent, un coujj de patte, voire un coup de pied,
et nous passions à de plus salutaires besognes. Cette
fois nous croyons être en présence d'une personnalité
plus vive, plus initiatrice, plus apte à subir l'aimanta-
tion. Et c'est pourquoi nous tentons cet effort. Il en est
assurément beaucoup qui résistent à l'hypnotisme, fût-ce
celui de la raison et de l'art. Mais de temps à autre il
jg^ un bon sujet et alors c'est merveille. Voyons si
M. Jules de Burlet se laissera aller aux grandes séduc-
tions de la très nette mission qui lui est dévolue et s'il
saura èonquérir la belle gloire et la saine popularité,
beaux fruits à côté desquels ses prédécesseurs ont passé
sans les voir et sans les cueillir.
GRUSS AUS ROTHBNBURG
Rotheaburg a/d Tauber, en Bavière.
Septembre 1892.
Mon cher Maus,
Dans certain numéro Ae l'Art moderne d'il y a quelque deux ou
trois ans, vous aviez bien raison de vanler Rothenbourg sur la
Tauber. Puissiez-vous avoir inspiré à d'autres qu'à moi le désir
d'inscrire celle élapc sur leurs lablclles de touriste ! Ils né s'en
plaindront pas, tant l'endroit est plein de caractère et fécond en
surprises.
Je loge à l'hôtel Zum Hirsch. C'est, je crois, le seul confor-
table. Celait, dans tous les cas, lorsque je débarquai, le seul qui
eût une voilure à la gare, une sorte de petite malle dans laquelle
j'allai prendre place entre un cocher d'aspect agreste, assis devant,
cl le garçon d'hôlel à casquette galonnée cl habillé de noir, qui
monta derrière moi sur le marchepied.
J'étais seul à l'intérieur. Je fus conduit d'abord à travers un
bout de campagne jusqu'à un pont, de vieux remparts el une
porie de ville en briques rouges, bâtie en équorre autour d'une
«our intérieure dans laquelle mon véhicule tourna. Puis je
pénétrai en ville par une longue rue pittoresque, bizarre, bordée
de maisons mi-urbaines, mi-rurales, de dimensions variées,
formant des ressauts et de»/«oins; maisons d'artisans et de labou-
reurs, ave* des gens, des chevaux et des poules péle-mèle sur le
pas des porles; maisons à façades décn^itës, mais souriantes tout
de môme à travers leurs carreaux bombés el leurs volets peints.
Puis notre voilure, quf cahote sur uu pavé raboteux, fait un
brusque coude, saule un ruisseau, -galOpe de nouveau à quoique
dislance et s'arrête. Voilà l'hôtel Zum Hirsch.
On me conduit au numéro 14. Avez-vous logé au numéro 14?
Je le recommande à ions ceux qui après moi visiteront Rothen-
bourg et descendront au Cerf. La fenêtre unique d^e mon apparte-
ment donne sur la pleine campagne. Le spectacle est charmant.
A mes pieds courent à droite et à gauche les fortifications du
XV* siècle qui enceignenl la petite cité ; le chemin de ronde est là
sous ma fenéire. Au delà des murs s'éieud la campagne, ou
plutôt une montagne verte en pente douce, dans laquelle %er-
penlenl çà et là des chemins. Entre les deux, dans un profond
ravin,, la Tauber court sur un lii de rocailles, entre des berges
gazonnées. J'ai hâte de me restaurer; j'ai hâte surtout d'aller voir
la ville. Taudis.que dans la salle de restaurant, une salle à plafond
bas et à jour oblique, j'attends mon repas, je feuillette le livre
des étrangers. Je remonte depuis le dernier feuillet : ce sont
tous noms de forme germanique, appartenant à des voyageurs de
commerce pour la plupart, parmi quelquos noms anglais de
touristes. Au tournant d'une page, j'en vois surgir un, comme
un flamboiement, qui m'arrête: « D' OcTAV Maus, BELGiEN».Cela
me fait rêver au pays là bas ; je me rappelle voire article et l'idée
me vient de vous écrire d'ici.
L'on m'a appelé pour me servir mon dîiier : un rustique
brouet, des ragoAis étranges avec du pam d'anis, du petit vin de
la Tauber, du fromage dur du pays el d'excellents fruits. — Me
revoici dans la rue, à pied celte fois, libre d'aller à ma fantaisie.
Je vois à l'aise la ville que je n'avais fait (|u'apercevoir à travers
la portière ouverte de la Voiture d'hôlel.
Des rues td^ueuses, une suite de maisons anliques, à étages
bas, pesant 1^ uns sur les autres, avec un semis de petites fenêtres
à gros meneaux ; sur le tout des pignons triangulaires, à escalier
ouà rcmpants; des toitures en tuiles d'un rouge sale, percées de
lucarnes à flèches ; du rouge, du gris, du gris, du rouge, le tout
enveloppé de la poussière des années. Au-dessus, le ciel bleu, un
beau ciel bleu d'après-midi^e septembre.
Des boutiques ouvertes au coin de maisons qu'isole un vieux
mur nu ; des armoiries .sculptées dans les façades, des cariatides
naïves entre les fenôlreg, el de frustes inscriptions à la gloire de
célébrités locales : «C'est ici que vécut le grand bourgmestre'
Tôpler en 1408 ». « C'est le long de celle fenêtre que le Docteur
Carlstadt descendit par une échelle et se sauva en 15... » (le
restant de la date est effacé). El an coin des Vues, des noms cham-
pêtres qui sentent bon : Erbsengasse, Rosenstrasse, Rosmarinen-
gâsschen (rue des Pois, rue des Rosés, ruelle des Romarins).
Le regard s'épanouit el découvre partout des riens ravissanls :
dans une cour, derrière une enfilade de portes, un rayon de
soleil où dansent des moucherons; un chat qui ronronne contre
les carreaux d'une fenêtre; près d'une porte, un enfant sur un banc,
de pierre ; contre un pignon délabré, sur une corniche branlante,
une nuée d'hirondelles voletant el caquetant au soleil qui va
bientôl se coucher ; «t sous une porte de la ville, massive, au
cintre surbaissé, un attelage de bœufs lourds el mornes, traînant
V.
340
UART MODERNE
une charreitedo foin embaumé. Sur le marché, "à l'ombre d'une
haute cathédrale hérissée de pinacles dentelés, s'élève une grande
fontaine, dont le jet d'eau retombe dans une large vasque dorée
et pojychrnmée; garçons et filles vont et viennent pour y puiser
de l'eau. Plus loin commence l'enceinte fortifiée. Bien plus com-
plète et plus pittoresque enrore que celle tant vantée de Nurem-
berg! La petite ville de Rothenbourg n'a jamais subi de siège;
autrement son enceinte médiévale n'aurait pas un^^tel degré de
,: conservation. -Quel poème pour l'archéologue et pour l'artiste!
Une longue muraille circulaire en briques épaisses, formant mille
courbes, plongeant tantôt dans uh fossé, tantôt, là-bas, tout au
fond, dans la Tauber, tantôt dans un précipice abrupt. Et des
tours de toutes les formes et toutes les grandeurs, bastions ronds
et trapus avec des toits coniques en tuiles, portes carrées ou
octogones, à parements droits ou encorbellés, quelques-unes
flanquées de clochetons cl de poivrières, la plupart surmontées
d'aigrettes capricieuses; le tout surgissant du passé, avec un
cachet uniforme de sévère mélancolie.
Je suis rentré à la nuit tombante; aussi bien le temps est à
l'orage. Des lanternes susp«ndues à dès câbles par-dessus les rues
s'allument une à une. Jl est neuf heures et demie et du haut des
tours qiii s'élèvent aux deux bouts de la Schmiedcgasse, la grande
rue qui traverse la ville de part en part, sonne, comme depuis de
longs siècles, le couvre-feu. Voilà, mon cher Maus, ce qu'assis à
ma table, à la lueur d'une bougie, ma felnélre large ouverte, j'ai
senti l'impérieux besoin de vous écrire, tandis que les grillons
chantent dans le vieux mur au pied de mon appartement et que
le tonnerre gronde dans la tnontagne.
J. Van der Linden.
Les Débuts de la direction Alhai^a.
M. Alhaiza a la guigne. Le public bruxellois lui lient rigueur,
cet étrange public des premières qui vous fait un effet si drôle
quand vous le retrouvez, vacances finies, gjolesque de dispa-
rates que seul unifie son snobisme. Têtes sémitiques de ban-
quistes, têtes vulgaires de journaleux, têtes vides de parasitaires.
Et sur le tout, en glacis irritant, là prétention au goût sûr, à la
critique impeccable, à la direction de l'opinion. Un congrès de
phoques! Un concile de mufles.
C'est celle docte assemblée qui semble avoir décrété que chez
M, Alhaiza rien ne serait trouvé bon. Il boude le menu et les
plats. Dès le potage on fait la moue, on murmure aux hors-
d'œuvre, on grogne quand paraît le rôt, on accueille en ricanant
le dessert. La consigne est de faire les dégoûtés.
Va encore pour Te Prince d'Aurec dont la distribution était
par trop joyeuse. Nous avons essayé de rendre ici l'impression
rigoleuse de celle représentation départementale. Mais Un Conseil
jwdictatrc' Unefoiatrerieà laquelle convenaitl'assemblaged'acteurs
sans tenue grave que le nouveau directeur de la scène du Parc
a recrutés. Assurément cela n'a pas été mal du tout. Le premier
acte, si gaîmenl et si véridiquement judîciaire, a élé fort bien
rendu, en son allure mi-sérieuse, mi-charge. L'avocat Boisrobin,
l'avoué Pagevin, celui-ci un Daumier, celui-là un Gavarni, ont élé
bien saisis, bien rendus. Tout au long du_déroulement d'une
mise en scène fort soignée, M™^ Mégard a promené sa beauté el
son élégance de détraquée, naïvement exaspérante et diabolique-
ment séduisante. On a pu avaler, sans trop de grimace, le troi-
sième acte de cette turlutaine qui, comme toutes ses semblables,
est monotonement spirituelle et amusante el forme un chapelet
de nouvelles à la main dont les derniers grains seulement sont
insupportablement lourds. >
La salle n'en est pas moins demeurée indégelable. Dans les
couloirs, de méchants propos, des comparaisons désobligeantes.
Des regrets en l'honneur de M. Candeilh, des souvenirs sympa-
thiques pourLortheur. Ah! comme c'était mieux, mon vieux ! Ah!
comme c'est moins bien !
Qu'a donc fait M. Alhaiza pour être si peu bien accueilli?
Quel est le secret de cette malveillance? Quel vice d'homme de
théâtre ou quel défaut d'homme privé lui vaul celle antipathie?
C'est archi-difficiré à démêler. On enlend parler de dignité insuf-
fisante».de familiarité excessive avec son personnel,, de cabinet
de direction mal tenu, de rapports mal pondérés, de ménage
théâtral à la débandade, d'un las de choses puériles devenues
tout à coup comiquemenl importantes, cl cela, parce que « nous
sommes au Théâtre du Parc, Monsieur! » et non plus dans ce
petit coin faubourien du Théâtre Molière où l'on peut caboter et
cabotiner sans scandaliser personne.
11 faudra donc, s'il en est temps encore, car les mauvais plis
sont difficiles à calendrer, devenir en toutes choses plus décent
et mieux se lenir. Un directeur doit, dit M. Prudhomme, avoir
les allures d'un sérieux personnage et un cabinet de direction doit
avoir la gravité d'un cabinet de direction. Pas de batifolages,
quelque agréable qu'il soit, à tout âge, de batifoler. Quand la fan-
taisie se mêle à d'aussi sérieuse^ fonctions, cela va mal, ou tout
au moins le public trouve que cela va mal. Candeilh avait admi-
rablement compris les nécessités de ce rôle gommé et impassible.
Notre public aimait cette tenue où le cabot s'effaçait sous une
gcnlilhommerie discrète et artistique. L'homme planait au-dessus
de sa troupe, excluait toute familiarité, ne faisait penser à aucune
défaillance domestique, à aucune faiblesse d'al«*ve, et inspirait
le respect. Celte bonne tradition, scrupuleuse observation des
convenances, plaisait. Qn^se croyait reçu au théâtre par un maître
de maison plein de savoir^ïvre et l'entreprise prenait un air de
salon correct.
Or, celte impression délicate el compliquée, on ne l'a plus.
Êtres et choses n'y prêtent pas et cela vexe. M. Alhaiza saura-l-il
réformer la boutique? Saura-t-il renoncer aux prérogatives de sa
belle barbe plus noire que nature? Acceptera-t-il d'être le chef
plutôt que le coq de la basse-cour remuante dont il a le gî)uver-
nemenl?
Son répertoire aussi s'annonce mal, dit-on. Il avait élé question
de nouveautés et de hardiesses et il débute par des banalités.
Nous voulons du neuf, cher Directeur, el il n'en manque pas.
Quelque bons qu'ils soient, le filet de bœuf à la Godard et le
potage à la reine sont bien démodés. Faites que nous y échap-
pions. Tenez, puisque Renan vient de finir « sa charmante pro-
menade » sur noire morose planète, risquez donc ^on Âbhesse de
Jouarre. Vous avez dans votre troupe une très notoire artiste,
qui s'est illustrée dans, les rôles à passion et à laquelle vous
faites bêlement jouer des rôles de coquette pour lesquels elle
est faite comme Rachel pour jouer les Margolon, M™* Marie
Defresnes. Mettez-la donc à une interprétation comme Thérèse
Raqxiin et vous en aurez des nouvelles. Cela sera plus malin que
de vous risquer avec une nouvelle interprèle, dénichée à Paris,
au hasard des bureaux de recrutement, pour nous remonter
VAUT MODERNE
341
celle vieille lune de Dumas fils, la Princesse Georges, qui risque
de décrocher le mômè' succès négatif que le malheureux Prince
d'Aitrec. Avez-vous oublié la Femme de Tabarin ni le Pain du
Péché, où l'on vil M"'* Defresnes conquérir de si décisifs succès?
Vi'aimenl, vous n'êtes pas adroit et cela, comme témérité, aurait
plus de sens que d'endosser à celle agréable débutante,
M'"* Mégard, éminemment souriante et lactée dans le premier rôle
de M™* Thomery du Conseil judiciaire, prétexte à exhiber trois
ravissantes toilettes, deux épaules, deux bras et « deux boucliers
provoquants armés de pointes roses », comme a dit le divin
Baudelaire.
MOMET-SULLY DANS « RUY-BLAS »
La salle du Théûtre des Galeries comble, vendredi. Beaucoup
de membres de celle famille judiciaire, jeunes magistrats, jeunes
avopats qui présentement chez nous,^dans l'An et dans la Science
sociale, mènent si crûnement le bal. Un peu partout répandu, le
lissu conneclif des « gens de première » avec leur livrée de snobs.
Ils ont le temps, eux, temps qui manque aux laborieux, de faire
toilette "de soirée et de se renseigner sur l'immense question de
savoir s'il faut, suivant le dernier cri, avoir les mains gantées de
crème, ou bien nues, ou bien gantées de noir, suivant de laalste
modeel den besten chic, à en croire des nouvelles venues du prince
d'Aurcc, pardon, du prince de Sagan, à ce qu'assurent quelques
folliculelles qui se qualifient mondaines.
Pendant tout le premier acte (le spectacle avait commencé 1res
tôt et a fini très tard : c'est si libéralement versifié, cet empanaché
drame) des spectatrices en relard troublant la scène pour chercher
de quoi s'asseoir, ou plus exactement, suivant un joli mot, ayant
de quoi mais ne sachant pas où. On devrait, comme au Conserva-
loire, fermer les portes dès le rideau levé. Les cocottes tapageuses
pourraient faire leur boucan dans les couloirs. Ces façons, bonnes
pour les Vitigt-huil jours de Clairette où le charivari qui se
déchaîne sans interruption sur les planches couvre toutes les
rumeurs de la salle, sont scandaleusement déplacées quand il
s'agit d'un chef-d'œuvre et d'un grand artiste.
Vieux chef-d'œuvre, nous le confessons, avec parfois de terribles
et inutiles hors-d'œuvre, et dan%anl lourdement en ours quand
le père Hugo veut faire de l'esprit. Mais que de superbes scènes,
que de vers forgés en or et en bronze! Que d'envolées aquiliennes
prenant leur essor au rojjieu de puérilités! Il est démodé ce grand
drapage, démodées aussi ces -fempanachurcs, ces gesticulations
énormes de la pensée, ces clameurs déclamatoires. Mais malgré
tout, on aime ça, parce que ça vous change des quodiliennes rigo-
lades et des gaudrioles de nos théâtres.
Mounet-Sully, très beau, très étrange, tirant des effets surpre-
nants de sa voix si vite éraillée, de ses grands yeux, divergents en un
snobisme pathétique. Un peu composé, mais néanmoins superbe.
Emouvant dans les passages qu'il sombre, terrifiant quand il
exécute à mort don Sallusle, se dressant l'épée pointée vers le
ciel, en archange.
Tout son grand amour de fou sublime va à une petite reine,
doucette et gracieuse, qui a très bien dit, en amoureuse de salon,
le rôle de Marie de Neubourg, et palpite quand elle cbarge don
Guritan de porter h son père l'ElecteurJa fameuse cassette « en
bois de Calembourg ». Autour du couple tragique, des comparses
au-dessus de la coutumière moyenne. Un trcsconvenableensemble
sur lequel se détache en un puissant relief la figure de l'artiste
qui, seul en France h l'heurç présente, affirme encore les tra-
ditions épiques et s'est sauvé du cabotinage envahissant.
AU THÉÂTRE DES &ÀLERIES
Les Vingt-huit jours de Clairette! Pour une bamboche, c'est
une bamboche réussie. On se croirait au Moulin-Rouge, un soir
de grand cancan! Dieu! comme on crie là-dedans, comme on se
démène, comme on gesticule! Comm^ toute cptte troupe de trou-
piers et de modistes a l'air d'être sortie d'un conservatoire où l'on
enseigne que jouer à la scène c'est tapager et que plus on gueule
et que plus on se bouscule, mieux on montre du talent. Les
spectateurs se mettent à l'unisson. Ils réflexionnent tout haut, ils
pouffent, ils exultent. Assurément le pétomane y trouverait école
et l'esthète infortuné qu'un destin sournois a amené dans ce
monico. souffre mille morts.
On dit que c'est une opérette, celle pièce. El, en effet, de temps
en temps il pari on ne sait quel charivari où l'on dislingue fai-
blement quelque chose de musical, qui met en émoi de petitcSv
femmes fortement désarticulées. Elles s'avancent alors; subitement
prises d'un soupçon de maintien, et penchées au-dessus de la
rampe, avec la bouche en cul de poule, sourient, une première
fois à gauche, pour les spectateurs de gauche, un^ seconde fois
à droite, pour les spectateurs de droite, remuant leurs lèvres
fortement crayonnées au carmin, faisant des bruils indistincts
qu'on suppose être de la voix. A l'honneur du public, pourtant
si bonnasse, qui garnit la salle, ces tentatives lyriques s'achèvent
dans un silence morne et gêné, malgré les agaceries d'une claque
qui se risque hors des rangs. Mais quand immédiatement après
recommence la grosse farce, les attitudes clownesques, le boucan,
les facéties lourdes comme des obus, les poussées, les claques,
les houspillades, les propos luronesques, la salle retombe en son
épilepsie, s'agite, se tortille, se coniorsionne et mugil de tem-
pétueux bravos. C'est à se sauver!
Il va sans dire que notre presse, absolument exempte de
camaraderie, fait à ce spectacle forain un nimbe de réclame
cl trouve tout à fait fin-de-siècle (ceci est le compliment unanime)
la pétulante petite actrice qui trémousse le rôle croustillant de
Clairette. Elle n'est, pas mal, ma foi,, sous un certain uniforme de
hussard en lequel s'accusent, non sans opulence, certains avan^-
tages. Nom d'un pétard! comme on dit dans la pièce, sa selle ne
doit pas s'ennuyer. . ,
AU CONSERVATOIRE
On a inauguré dimanche dernier au. Conservatoire, en présence
du Directeur et des professeurs de rétablissement, le buste érigé
à la mémoire d'Auguste Dupont. Le président du comité qui avait
pris, l'initiative de ce pieux hommage, le compositeur Emile
Mathieu, a, dans un discours très applaudi, rappelé les mérites de
l'excellent artiste. Il a fait revivre avec talent la figure du pro-
fesseur et du compositeur. La bienveillance du maître esl tout
entière- dans ce Irait, cité par l'orateur :
« Vous souvient-il du camarade, le Benjamin du coure, éton-
namment doué, mais aussi espiègle incorrigible, qu'un exploit
par trop audacieux mit un jour le mallre dans l'obligation de lui
interdire l'accès de son cours?
Celle mesure dc-rigoear dut lui coûter un grarids^fforl : il
tâcha de n'en rien laisser deviner. Nous remarquions cependant
que depuis lors son visage s'était assombri; il nous semblait sous
l'empire d'une tristesse permanente.
Nous ne pouvions tolérer de le voir ainsi; après nous être con-
certés, nous machinâmes un coup de théâtre que la date pro-
chaine de son anniversaire nous permit de réaliser bientôt.
Au jour dit, l'un de nous (j'eus l'honneur en cette circonstance
(|^ôlre pour la première fois le porle-paroles de mes condiciples),
l'un de nous, dis-je, lui exprima, «n même temps que les féliei-
lalions traditionnelles, le regret que la famille ne fût pas au com-
plet pour les lui présenter. Puis, profitant de l'émolion que noire
cher maître,' malgré son empire sur lui-même, ne parvenait pas à
dompter, l'orateur denianda, coinme faveur spéciale, la rentrée
au bercail de la brebis égarée.
El ce fut une joie, un attendrissement unanime^ quand survint
le héros de ce petit drame, qui attendait dans l'antichambre l'issue
de la démarche que Ton risquait en sa faveur.
Voilà quelles élaient les relations d'Auguste Dupont avec ses
élèves, dont il s'intitulait si volontiers le' père ; et l'on comprendra
le profond attachement qu'il a su nous inspirer, l'amitié fraler-
pelle qui unit encore aujourd'hui ses élèves. »
Parlant du compositeur, M. Mathieu a difr:
«Malgré le peu de loisirs que lui laissait le professoral, l'œuvre
d'Auguste Dupont, compositeur, est cependant considérable. Sa
plume a été féconde en morceaux de genres très divers ; toutes ses
compositions séduisent par leur charme pénétrant, leur poésie
rêveuse et profondément sentie : ses Scènes ardennaises, pages
pleines d'humour et d'un caractère très pittoresque, son Roman
EN DIX IMAGES, suite gracieuse d'une grande fraîcheur, d'un accent
ému. et passionné, le Poème d'amour, suite de chants lyriques,
empreints d'une grâce rêveuse, d'une inexprimable mélancolie.
Citons encore au hasard du souvenir un quatuor pour instru-
ments à cordes; un trio pour piano, violon et violoncelle;
deux concertos et des variations symphoniques pour piano et
orchestre. Ses Variations dans le style sévère, véritable résumé
de la technique du piano, ses transcriptions des grandes
fugues d'orgue de J.-S. Bach, son Ecole du piano, superbe
collection des chefs-d'œuvre classiques; puis encore une foule de
morceaux pour piano neul, écrits. avec goût, et témoignant des
aspirations élevées qui les ont dictés -.Chanson de jeune fille.
Réminiscence? pastorales. Contes du foyer, Chanson hongroise,
Canzonetta, Toccata,^ etc., etc., œuvres remarquables par la
richesse du coloris, la sincérité du sentiment, la pureté du style. »
-M. Gevaert a remercié le comité en quelques mois heureux et
accepté, au nom du Conservatoire, le buste du musicien, œuvre
remarquable de Paul Dubois qui a exprimé avec une vérité sai-
sissante la physionomie d'Auguste Dupont.
BIBLIOGRAPHIE
Pages détachées du journal d'un artiste, par Olga de
Bésobrazow, poème en vers. Extrait d'un ouvrage en préparation,
« Lumière «. Pet. jin-8p, 72, p. Lausanne, Ch. Virot-Genton, 1892.-
Journal d'un artiste, c'est vrai. Il y a dans ces vers
une âme vibrante d'aMisie, d'une belle originalité, un esprit qui.
s'est formé seul dans l'hostilité intellectuelle des milieux mon-
dains et qui d'un coup puissamment s'affirme. M"** Olga de
Bésobrazow est Russe et offre un exemple de la merveilleuse
souplesse de ce génie slave qui sans perdre ses qualités foncières
se plie aux modes d'expression Jes plus divers. Avec des har-
diesses qui parfois ont l'air d'inexpériences et qui proviennent
d'une intense vision personnelle, on trouve dans ces pages des
richesses poétiques vraies, un instinct sûr du rythme, une langue
forte de pensée avec uii parfum d'exotisme qui est un charmç.
De plus, et c'est la caractéristique de l'œuvre, les anneaux poé-
tiques qm la forment s'enroulent tous autour d'une idée philoso-
phique qui est celle de l'évolution.
Ce poème est l'avant-garde d'un volume où l'idée atteindra son
complet développement.
^CCUgÉp DE, F(ÉCEPTIOf{
Le premier Livre Pastoral de MAr'RiCE du Pi.essys; Paris,
L. Vanier. — Le Salut par les Juifs, par Léon Bloy; 1 vol.
grand in-S" jésus de 432 p. couvert, vélin; Paris, librairie Adrien
Demay. — A propos d'art, par Jules Du Jardin; Bruxelles,
B. Knoetig. — Acoustique musicale, par Charles Meerens;
Bruxelles, J.-B. Katio; Paris, E. Gallel. — Passagère, par Paul
Bonnetain; Pat*is, Alphonse Lemerre, éditeur, petit in-8», 306p.,
1892. — Les Amants de Taillemark, par Maurice Desokriaux;
Bruxelles, Imp. V« Monnom, grand in-8», 50 p., ■1892.
Chronique judiciaire de? ^RT^
Pierrot-Poéte.
Le premier procès de théâtre de la saison a été plaidé jeudi, au
tribunal de commerce de Bruxelles. M"^ L. Van Dammc,' engagée
par M. Georges Palicot pour jouer les principaux rôles des jian-
lomimes que fait représenter ce dernier, dans la coquette Galerie
Moderne construite par M. de Saint-Cyr, s'est vue inopinément
congédiée avant même d'avoir débuté. « Vous êtes mignonne,
vous. êtes exquise, lui écrit en substance l'impresitrio improvisé;
mais il y a dans le rôle de Régina de Pierrot- Poète certains côlés
pathétiques qui ne conviennent pas à votre petite naliire char-
mante. Aussi dois-je vous prier d'accepter le rôle^de-lïi Soubrette
au lieu de celui qui vous a été confié »
M"» Van Damme, qui a répété onze fois et qui a été affichée,
trouve naturellement le procédé cavalier et riposte par une assi-
gnation en due forme. Elle réclame le montant des appointements
convenus et une indemnité raisonnable. « Il n'y a pus d'engage-
ment écrit; nous ne vous avons prise qu'à l'essai, et d'ailleurs, un
directeur de théâlre a toujours le droit de modifier sa distribution
dans l'intérêt des œuvres qu'il représente », soutient M. Palicot,
par l'organe éloquent de M* Eugène Robert.
Et M« Octave Maus de répondre, pour M"« Van Damme : « Une
convention verbale suffit, même en matière de théâtre, pour lier
les parties ; vos affiches, vos communiqués aux journaux prouvent
qu'il ne s'agissait pas d'un engagement à l'essai; et quant aux
modifications qu'un directeur est en droit de faire subir à la
distribution d'une pièce, elles ne peuvent en aucun cas avoir
pour effet de reléguer dans un emploi accessoire une artiste enga-
gée pour jouer les premiers rôles. »
Le jugement sera prononcé à huitaine. . .
VART MODERNE
343
Petite chrojmique
Aperçu dimanche dernier, à 8 heures du malin, dans le tram-
way des boulevards, entre la porte de Namur et la porte de Hal,
un facteur de la poste absorbé dans la lecture de VArt moderne.
Nous sommes très flattés de l'honneur que nous fait ce fonction-
naire en nous lisant, mais nous nous demandons si ce n'est pas
aux prédilections trop marquées des fadeurs pour la littérature
que nous devons les rérlamations périodiques de certains abonnés
qui se plaignent de ne recevoir notre journal que le lundi, et, par-
fois, de ne pas le recevoir du tout.
Nous prions courtoisement le facteur précité, ainsi que ses con-
frères, de ne pas garder trop longtemps l'Art moderne en lecture,
les abonnés ayant quelque droit à l'avoir à la première heure,
puisque le journal est régulièrement expédié le samedi soir avant
minuit.
L'inauguration du monument funéraire élevé par souscription
à la mémoire de Charles Albert aura lien aujourd'hui dimanche,
à 3 h. 1/2, au cimetière d'Evere. Réunion place Saint-Josse, à
2 h. 3/4 (station du tram).
Le monument, du plus heureux effet, est dû à MM. Narinur, sta-
tuaire, et Hauwaerl, architecte.
Dimanche prochain, on exécutera au Palais des Académies^
V Andromède de M. Charles Smulders, professeur au Conservatoire
de Liège, qui a valu à son auteur le i" second prix de Rome.
L'exécution aura lieu avec le concours des chœurs du Conserva-
toire de Liège et de l'orchestre du Théùlre de la Monnaie, sous la
direction de l'auteur.
La première séance de la Maison du peuple (section d'art), fixée '
au 1*' novembre, sera, comme nous l'avons annoncé, consacrée
à la liitérature et à la musique russes. Après une conférence de
M. Jules Destrée sur les maîtres russes contemporains, on enten-
dra une Suite pour instruments à cordes de Glazounow(MM. Crick-
boom, L. Angenot, J. Kefer et H'. Gillel), des mélodies 'de Boro-
dine et de Tschaïkowsky et le concerto pour piano de Rimsky-
Korsakow (M. Litta) joué pour la première fois aux concerts des XX
l'an passé.
La distribution des prix au Conservatoire de Bruxelles aura lieu
le dimanche 13 novembre.
On y entendra, entre autres, des œuvres de Kreutzer et de Fio-
rillO, harmonisées et orchestrées par M. Emile Agniez cl exécutées,
sous sa direction, par la classe d'ensemble instrumental.
Une représentation de bienfaisance au profit de l'OEuvre du
Vêtement aura lieu le vendredi 11 novembre au Théâtre
Molière. Au pj-ogramme : Mon/joie, d'Octave Feuillet, et un inter-
mède par les Orphéonistes d'Ixelles. Les souscriptions sont reçues
chez M. E. Willems, rue Goffart, 12.
M"* Louise Derscheid compte donner cet hiver trois séances de
musique de chambre avec MM. Colyns et Ed. Jacobs. Ces séances
seront consacrées respectivement à Beethoven, à Brahms et à
Grieg.
Freyhir, de notre compatriote Emile Mathieu, sera exécuté le
24 novembre, à Dusseldorf, spus la direction de M. J. Buths.
M. Albéric Magnard arrivera demain k Bruxelles pour s'occuper
des répétitions de son drame lyrique Yolaftde, qui passera pro-
chainement au Théâtre de la Monnaie.
M. Colonne a inscrit la Mer, de Paul Gilson. au programme de
ses prochains concerts symphoniques. Sa campagne sera variée.
Après la Damnation de Faust, qui a servi dimanche de réouver-
ture, il fera entendre l'Enfance du Christ, de Berlioz; la synï-
phonie avec chœurs de Beethoven ; les Béatitudes, de César
Franck ; la Vie du poète, de M . Gustave Charpentier, et Penthisilée,
de M. Alfred Bl-uneau.
Répondant â l'invitation qui leur a été adressée par le Cercle
Pulchri Studio de f.,a Haye, MM. Constantin Meunier, Em. Claus
et A. Baertsoen y exposeront plusieurs de leurs œuvres du 15 au
30 novembre.
Mariage d'artistes. -^ Noire collaborateur Eugène Samuel,
fils de l'éminenl directeur du Conservatoire de Gand, et lui-même
compositeur distingué, sera uni, dans quinze jours, à M"" Mar-
guerite Holeman, dont les envois aux récentes expositions bruxel-
loises ont été très remarqués. Les témoins seront, pour la mariée,
MM. Emile Verhaeren et William de Gouve de Nuncques; pour le
marié, MM, Maurice Maeterlinck et Franz Melchers.
Le Prix de Rome. — Le Tout- Bruxelles, un intéressant jour-
nal artistique bi-hebdomadaire, créé récemment, consacre au
concours de Rome, qui a lieu en ce moment, une critique très
juste.
Notre confrère Vanzype se raille de façon amusante de ce con-
cours en cellule dont le sujet est cette année les Derniers survi-
vants du Déluge!... Seulement, après avoir examiné quelles sont
les chances de chacun des six concurrents en présence, l'auteur
de l'article déclare que son favori est M. Léon.Rothier et M lui
décerne des éloges qu'il mérite du reste.
" Les cinq autres récipiendaires se sont émus de cette recom-
mandation qu'ils trouvent intempestive, le concours n'étant pas
terminé, et ils craignent que ce patronage n'influence le jury.
Pour bien apprécier l'émotion que la chronique de M. Vanzype
a produite sur eux, il faut dire que M. Léon Rothier est le fils
d'uA des fonctionnaires supérieurs de la direction des beaùx-arts.
Ce qui constitue à leurs yeux, étant données, disent-ils, les excel-
lentes dispositions dont les jurys font habituellement preuve pour
«les fils II papa, un avantage d'un prix inestimable. Ce sont, certes,
des considérations auxquelles M. Vanzype n'a pas songé, sans cela
nous croyons bien qu'il aurait modifié son article.
. {La Réforme,)
Portrait de Frémiet, le nouveau membre de l'Institut de France :
A soixante-huit ans etlîien qu'il ait donné comme une formule
d'art nouvelle, fait palpiter la matière, ressuscité dans le marbre
et le bronze les glorieuses et légendaires héroïnes du beau pays
de France, ne faisait pas encore partie de l'Institut. Au moral,
simple entre les simples, modeste, s'ignorant soi-même, adorant
son art comme ces fervents tailleurs de pierre qui s'en allaient à
travers les chemins sculpter les cathédrales et les calvaires, aimant
la vie, d'un esprit alerte et volontiers cinglant, d'une exquise
bonhomie. Au physique, de haute laille^et les traits lires, afiinés,
la peau parchemineuse, le masque à la fois imprégné de gravité
et de douce indifférence de ces sages qui ne s'écartent pas de
leur route, qui observent et commentent la vie, qui dédaignent la
bêtise courante et en rient parfois sans méchanceté. Eut Rude
pour professeur et a gardé la fougue, l'emportement superbe, les
audaces de son maître. Signe particulier : Aime passionnément
les courses de taureaux et ne manquait pas naguère une séance
aux arènes de la rue Pergolèse. {OU Blas.)
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Douzième année. — N* 44.
)■
Le numéro : 36 centimes.
Dimanche 30 Octobre 1892.
I C; / / '■■■ •■? 1 ■
PARAISSANT LG; DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Comité de rédaction t Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. iO.OO; Union postale, £-. 13.00. —ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser toutes les communications à
l'administration générale de TArt Moderne, rue de Tlndustrie, 32, Bruxelles.
Sommaire
MOUNKT-SULLY. — NOTES SUR LES PRIMITIFS. Utt hlCOnnU. —
Théâtre de la Monnaie. Lohengrîn. — Les Médailles. — LÉo\
Bloy et Paul Bourget. — Chronique judiciaire des Arts.. — Petite
chronique.
MOUNET-SULLY
La lumière effroyable vient de se faire aux yeux
d'Œdipe. Et soudainement, ces yeux, qui depuis qu'il
vit, se sont souillés du spectacle journalier de ses mains
incestueuses eit parricides, sont choisis par lui pour être
objet d'expiation vis-à-vis des dieux et de vengeance
vis-à-vis de lui-même. La rage de la destruction s'em-
pare de lui et — bien que ses regards se soient croi-
sés avec ceux du Sphynx — voici qu'il les tue en son
visage, qu'il les massacre et qu'il s'exhibe sur la place
publique, les doigts peureux et tâtonnants, les pieds
trébuchant aux ténèbres, la face nocturne et ses deux
lobes fendus dans leurs orbites comme de rouges bijoux
profanés.
Quand Mounet-SuUy mime cette scène, avec ses
grands cris venus du fond des palais, avec sa furie sous
le porche, avec ses battements de bras dans le vide,
avec ses hésitations et ses tâtonnements sur les esca-
liers, avec tout à coup la projection de sa misère et de
sa détresse, si hardiment tendues vers les spectateurs
qu'il leur donne, pour ainsi dire, de l'horreur à manger,
il apparaît l'acteur le pilus étonnant et le plus souve-
rain qui, à l'heure présente, s'impose. Toute restriction,
toute critique comme aussi tout éloge deviennent à cet
instant aussi regrettables qu'un prud'hommisme, et la
seule conviction subsiste que dans Œdipe, comme dans
le cinquième acte de Ruy-Blas, comme dans le der-
nier à' Andromaque , comme dans le quatrième
d!Athalie, on a senti passer du génie.
L'impression en est d'autant plus nette que l'acteur
a dû vous distraire et vous détourner des impressions
d'agacement produites précédemment par l'abus qu'il
fait du hululement et des poses et des manières, si con-
tinûment parfois, que le mot cabotinage vient aux lèvres.
Dans telles scènes de Polyeucte, où le dialogue com-
porte une tenue familière — par exemple : les entrevues
de Pauline et de son époux — Mounet ne se hausse
guère au delà d'un banal jeu conservatoirien et déplaît
par des artifices inutiles et par un sans cesse apparat
ostentatoire. Il n'est guère le néophyte ardent et simple,
celui qui va mourir parce qu'il croit. Il est malheureu-
sement celui qui déclame une mort.
A travers la suite d'œuvres qu'il interprète — théâtre
grec, anglais et français — il apparaît donc comme un
artiste très inégal, t^ès soumis au sujet de la scène
qu'il interprète et nullement homogène. De plus, ceux
qui le suivent attentivement et le vont entendre, plu-
sieurs soirs, en un même rôl^, le surprennent modifiant
souvent son jeu, ses intonations, ses dessins de phrase
et jusqu'à ses gestes.
Et pourtant, l'art qu'il profère est un art très
étudié, très patiemment élaboré, d'après des docu-
ments, — peintures et mat-bres grecs, figurines de la
Renaissance, drapements antiques, allures xvi« siècle,
— très raffiné, très subtilisé, au point qu'il en peut
devenir artificiel. Pour vous rendre conlpte plUs. nette-
ment encore des contradictions de son talent, ijemar-
quez, en outre, une recherche constante de synthèse
dans l'expression, dans la nïimique, dans le geste, une
volonté de concentration et d'intensité rapides ; l'amour
des sonorités et des méandres de la voix suivant — si
j'ose dire — les courbes d'une « montagne russe " et la
folie à tel point de la plastique qu'il l'admet bien plus
pour produire de beaux efi'ets que des effets justes.
Celasuffitpourvousinduireàcroire — malgré le hasard
auquel il s'abandonne et son jeu de soir à soir différent et
ses soudainetés d'inspiration lui imposant une mimique
que le jour suivant il ne produira plus — qu'il est avant
tout un acteur artiste, un fervent de rythme et comme
un assimilateur de beauté. La voix, le geste, la stature,
il les aime pour eux-mêmes, il les cultive ardemment, il
les regarde et les admire avant qu'il ne les - agit' ". Tou-
jours il prétend être la magnifique statue douée de mou-
'vement et sonore. Il se promène en elle sur les planches,
il s'en drape et s'en habille et anime de sa personnalité
à lui son impérsonnalité à elle. De là ce fait évident
que mieux que n'importe qui, il incarne les rôles loin-
tains, les rôles sculptés dans les légendes, les rôles où
se mirent les croyances plus, encore que les héros et où
les dieux tonnent leurs volontés sur la tête des hommes.
Traduire un personnage, l'exprimer dans son indi-
vidualité, s'incarner en lui au lieu de l'incarner en soi,
rendre l'émotion directe, criante d'humanité spéciale,
se limiter à tel caractère, aiguiser telle passion, la
déplier pli à pli devant le public, n'est point tellement
son fait qu'un autre -^ Rossi? — ne puisse lui être
préféré. S'il nous était donné d'esquisser un parallèle
entre ces deux souverains acteurs, nous prendrions la
pièce ; Hamlet, jouée par eux dans un esprit si différent
q.ue le texte lui-même, à certains passages, semble être
double. Nous conclurions que Roàsi nous montre un
prince danois, d'une telle époque, avec un fond rude
et héroïque que la tournure philosophique et bizarre de
son esprit contrarie en un temps où deiâ êtres pareils à
lui sont très exceptionnels. Ce qui expliquerait donc le
Hamlet de Rossi ce serait l'opposition entre l'esprit et
l'âme du héros et le milieu que son heure de naissance
lui assigne.
Le^ïamlet de Mounet est bien plus universel. D'abord
c'est un prince ; il est d'une aristocratie aiguë, d'une
élégance irréprochable, d'une éclatante et fringante
bravoure. Il est en outre celui qui fit la haute culture
du soi-même et qui, depuis ce temps, se juge au-dessus
de la vie. D'où son allure détachée, comme flottante au-
dessus des réalités, sa marche dansante de fantôme,
son hésitation dans l'action jugée inutile au point de vue
absolu et la disparition de toute cette grâce et de cette'
finesse dans le tourbillon brutal et cru d'une catastrophe
rouge. Certes un personnage vivant s'en dégage, mais
surtout la somme d'idées diverses et complexes que ce
personnage incarne.
Dans Œdipe, l'idée de fatalité, bien plus que celle
d'une infortune familiale ou personnelle, est ^.rborée.
Dès les premiers actes, grâce à des allures définitives,
grâce à des gestes consacrés, grâce au marmoréen
costume blanc, grâce à la mélopée quasi continuelle,
l'être de chair et d'os qui est roi de Thèbes et qui se
nomme d'un nom est relégué au second plan. Les allées
et les venues, les oracles, les pressentiments, les doutes,
les tragiques clairs obscurs s'amoncellent autour d'un
événement bien plus qu'autour de quelqu'un. Et de
même, au dénouement, quand l'atroce vérité a dardé,
trouant les derniers refuges de l'illusion, Mounet ne
projette plus au devant du public qu'une exemplaire
victime, qui s'est elle-même si impitoyablement frap-
pée, qui s'est à tel point détruite, qu'elle n'est plus un
vivant, mais la face même d'une misère inouïe. Ce sont
des cris, des plaintes, des gémissements, des taches
de sang, des prostrations, des implorations et une loque
de plaies que l'on traîne hors de la ville. Et l'impression
demeure d'un indéfini malheur pour tous, qui n'est la
faute de personne, qui atteint un groupe humain tout
entier et qui laisse après soi une énorme épave, comme
l'orage.
Ainsi comprise, la pièce du poète grec adapte admi-
rablement aux moyens dramatiques de Mounet- Sully.
Il exprime sur la scène une catastrophe, il est nne
légende qui se vit, il raconte une Grèce primitive et la
dresse debout. Certes, faut-il faire abstraction, pour le
comprendre ainsi, du pitoyable décor où il se meut, de
l'entourage, instant à la pudeur, qu'il traîne à saT
suite, de la scène étriquée et banale sur laquelle il
déchaîne le drame. C'est dans l'imagination érudite et
évocatrice de quelques-uns et non pas sur les planches
qu'il a — voici huit jours — installé son art et qu'il a
été le plus hautement et le plus longuement applaudi.
• ii^'.M.':'.;^
NOTES SUR LES PRIMITIFS ITALIENS '>'
VI
UN INCONNU
Son œuvre, à cet inconnu, essayons de la dire. C'est au Musée
Staedel, à Francfort, un unique tableau sans titre, sans nom,.
(1) Voyez dans l'Art moderne de 1891, n» 47, Giotto;49, Masolino
DA Panicale; 51 et 52, Gentilk da Fabriano; en 1892, n»» 31 et 32,
PisANELi.o ; 38, Oriolo. — Prochainement, Piero della Francesga.
.>.V,:- ' ,:i^:./>,.i;î.,^.V»t?^fly.«y";
UART MODERNE
347
sans signature : figure allégorique ou portrait, on ne sait. Origines
et attributions? Incertaines (1) ...
... Elle semble s'iivancer d'un inouvcmcnl souple et lent, félin,
comme le glissement d'une déesse apparue et retourner vers moi
l'éclair de ses yeux inquisiteurs. Une draperie blandhc et légère
retenue par une couronne en feuillage de buis, la coiffe d'un
casque virginal, puis retombe et s'enroule comme une écharpe
jetée autour du cou avec une négligence calculée. Sur le front
droit et volontaire, un bandeau de chatoyante soie aux reflets
bleuâtres et roses, "serre les cheveux; et des deux côtés, ceux-ci
pareils à un bizarre réseau d'or, ruissellent en menues vrilles
symétriques et méticuleusement tortillées jusque sur les épaules,
si précieuse et si princière, cette coiffure en son maniérisme
fantasque! Une grosse émeraude retenue par un mince fil d'or
comme un fragile diadème, brille sur la neige du front et un
autre bijou suspendu sur la g,orge nue, y fait étinceler ses pierres
noires.
Dans sa main souveraine, si fière, d'une grâce et d'une délica-
tesse d'enfant royale — oh ! les impossibles caresses de cette
main perfide et pure ! — entre le pouce et l'index long, elle tient
d'un geste adorablemenl mièvre, un puéril bouquet de cinq fleurs
des champs : raillerie des pâquerettes rustiques et des pensées
sauvages par l'Initiée subtile ! Découverte à demi, la poitrine
montre des seins naissants, d'indécises rondeurs d'adolescent et
je ne sais quel vertige de perserves pensées bourdonne en la tête
devant cette chair élégante et séductrice, au sexe ambigu, d'une
gracilité d'éphèbe ei de féminine souplesse... Oh! des doigts
seulement, des lèvres avides, effleurer, avec l'angoisse furiive
d'un viol, ces seins d'enfant, ces seins de garçon, ces seins de
vierge! Lys au parfum puissant de voluptés impermises et de
désirs insensés !... ■--
Mais comment adoucir l'inflexibilité de ce calme regard et de
cette bouche close? Lèvres mignonnes fermées sur leur secret et
qui jamais ne s'humilieront à la confiance, qui jamais. ne s'ou-
vriront pour des paroles d'amour ou des baisers, lèvres minces
ignorantes de la naïveté lourde et du rire des simples, lèvres
hautaines crispées imperceptiblement, car à quoi bon même
s'indigner? — par le dédain des brutes que nous sommes...
Et ces yeux impérieux me pénètrent de leur regard aigu et per-
çant comme une dague fine; ils me jugent silencieusement et me
méprisent ; ils me semblent des reflets d'étoiles"dans de l'eau
glacée, tellement leur clarté est lointaine, et haute, et lointaine.
Oh! ces yeux malicieux et durs, qtii savent et conseillent ironique-
ment tout le mal, qui conduiraient, irrésistiblement charmeurs,
vers la nuit des abîmes!
Adoration? Haine? On ne sait plus, tant est aliiranl et cruôl son
empire détestable. On souhaiterait, mais on ne peut, fuir son
inquiétant sourire qui défie, son imperturbable regard qu'on ne
peut plus oublier, fuir sa séduction victorieuse et redoutable, car
c'est celle pour qui d'épouvantables martyres seraient inutilement
supportés, pour qui l'on se tuerait, celle qui voudrait de l'amour,
des larmes et du sang, et dont l'indifférence suprême, au milieu
des sanglots et des râles, des dévouements et des prodiges,
n'aurait j^as un élonnement et un frisson? .
(1) Au catalogue, très remarquable de précision et de méthode, les
renseignements suivants : N" 13. Ecole Florentine, xv^ siècle. A la
détrempe sur bois. Hauteur 0.44 ; largeur 0.35. Provenant de la
galerie Schlessheim et Gsell à Vienne. Acheté par le Frankfurfer
Kunst-Verein en i872 (2,500 florins).
Vraiment, cette œuvre est extrême. Elle témoigne pour moi
d'une civilisation dont la complexité et le raffinement avaient
singulièrement dépassé les plus déréglées des imaginations .que
fil éclore Des Esseintes; elle révèle un idé^l esthétique tellement
sublimé dans l'orgueil de sa supériorité qu'il s'en trouve détaché
de la vie ; elle marque une limite dans l'exaspération des ambitions
artistiques, limite après laquelle l'effort me paraît devoir se vola-
tiliser en idée pure, dans les nuages de la spéculation métaphy-
sique ou de la folie... Qu'on ne m'accuse point de blasphème :
le fameux, le miraculeux sourire de la Jocondé n'a point un mys-
tère plus aigu et plus profond que le regard de celte inconnue!
Aussi, ce chef-d'œuvre qu'il devient tout à fait absurde de
dénommer prmilif, s'il fut préservé par son arislocralie rare et
son exil en un musée secondaire, des admirations de commande,
a toujours vivement préoccupé les curieux d'art. Nul, apte à le
percevoir, n'y resta indifférent. En les âmes concordantes, il
éveilla un concert d'exquises émotions à vibrations intenses et
perdurantes.
" Mais tous les essais d'attribution demeurèrent vains. Ce besoin
de justice que nous avons de prononcer au moins le nom de l'au-
teur d'une œuvre aimée — singulière satisfaction, après tout, car
au fond, qu'importent les syllabes- — resta inapaisé. Des enthou-
siastes proposèrent d'illustres paternités : Bolicelli, le tendre et
nerveusement subtil, à la distinction infinie, le délicieux Piero da
Cosimo, et ce magistral mais divers Luca Signorelli, et d'autres...
Nulle ne fut adoptée, nOn que le tableau ne fût digne du maître,
mais parce que toujours, en dehors des qualités propres au peintre
indiqué, s'en découvraient d'autres qu'il n'avait point eues. La
récente tentative du directeur du Musée Staedel, M. Thode, n'a
point été mieux accueillie. 11 prétendit, en une longue disserta-
tion, combinant habilement les proliabililés, restituer cet énigma-
ligiie portrait... à Albert Durer et le dater de 1496.
Au prime abord, une telle supposition est déconcertante, et il
faut toute l'autorité qui s'attache aux écrits de ce savant distingué
pour n'en point hausser les épaules. El pourtant! Pourtant je fus
bien -troublé le mois passé, en constatant une analogie difficile li
préciser dans ses détails, mais comme une parenté spirituelle cer-
taine, entre la figure de Francfort et le portrait de Durer par lui-
même, au Musée de Madrid, datant de i497. La thèse de
M. Thode, qui m'avait paru si absurde, ne me fait plus sourire,
ll^est plausible, après tout, que Durer ait sacrifié aux influences
italiennes : il aurait, en ce cas, étonnamment^eondensé les har-
monies dont il était l'écho! Je/^ux bien dire aussi avec M. Th.
de Wyzewa(l): Diirerest le seul maître qui aiteulejsecret d'un des-
sin aussi précis, d'un coloris aussi profond, et surtout de l'ef-
frayante expression qui s'exhale de là dureté lumineuse du regard.
Mais pas plus que lui, je ne suis convaincu : Comment admettre
que si Durer avait atteint, dès 1496, une semblable maîtrise,
cette manière soit restée un accident et ce chef-d'œuvre sans ana-
logue?
L'esprit essentiel de ce mystérieux portrait me parait absolu-
ment florentin; je ne sais croire que le peintre et son modèle
aient pu vivre ailleurs. A quoi bon, au surplus, discuter encore?
Le secret reste entier et peut-être la vérité n'est-elle pas l'aliribu-
tion h un maître fameux ; peut-être celle merveille est-elle d'un
inconnu, d'un fier dédaigneux de la gloire au point de rester
(1) Dans un intéressant article de la Gazette des Beaux- Arts-
avril 1891, avec une médiocre reproduction.
superbement anonyme, dédaigneux même djc l'œuvre au point
d'avoir trouvé superflu d'en réaliser d'autres.:.
Il est ainsi des génies qui passent... et le souvenir de leur
^jour se dissipe aussi vile de la mémoire des hommes que la
trace des pas sur la poussière du chemin.
J'aime à rêver, tout seul, parfois, à ceux-là.
Jules Destrée.
THÉÂTRE DE LA MONNAIE
LoheDgrin.
Les idées musicales sont des idées, et la musique ne consiste
pas uniquement en un assemblage de sons plus ou moins heureux.
Si l'on veut y réfléchir, c'est là tout le fond de la révolution wag-
néricnne, qui, comme toutes les bonnes révolutions, n'a rien
inventé, mais a servi à restaurer les principes vrais. Ces principes
vrais, Gluck et Beethoven en avaient déjà eu pleine conscience et
les avaient appliqués souverainement. Wagner les a mieux et
plus clairement compris encore et leur a donné toutes leurs con-
séquences. En effet, si les idées musicales sont bien de véritables
idées, elles doivent avoir leur logique, leur développement, leur
enchaînement, leur structure synthétique comme les autres idées.
Le drame musical aura son thème, sa construction propre, ses
prémices et ses conclusions, son style faisant corps avec le sujet,
ainsi que cela est de règle pour l'expression de la pensée de l'écri-
vain ou de l'orateur. Un orateur qui se bornerait à émettre des
paroles harmonieuses, mais sans aucun sens suivi et compréhen-
sible, serait justement tenu pour ridicule. De même le musicien
qui se borne à flatter l'oreille en ne se livrant qu'à ce qu'on appelle
son inspiration, mais sans savoir lui-même exactement ce qu'il
veut dire et à quoi il veut tendre, et sans pouvoir par conséquent
le ftire comprendre .à autrui, est devenu pour tout le monde,
depuis la révolution de Wagner, un être aussi peu sérieux que le
serait un écrivain incapable, dé déchiffrer sa propre pensée. La
musique n'est paâ seulement un art dans le sens étroit du mot;
elle est une langue, là plus splendide de toutes, la plus propre à
rendre nos sentiments dans toute l'ampleur de leur expansion et
dans toute l'intensité de leur émotion intime. -
Mais si elle est cette langue suprême, et si un grand homme
comme Wagner a su la parler avec une puissance et une richesse
d'expression non atteintes avant lui, ceux-là seuls sauront inter-
préter Wagner qui auront compris dans leur plénitude le sens
profond et mystérieux et le développement logique des idées
wagnériennes.
Et ici les moyens extérieurs et quasi, matériels : la voix, la vir-
tuosité, la sonorité, seront moins importants, rendront moins
l'œuvre et porteront moins sur l'auditeur lui-même, que la com-
préhension du sens et du style, et que la pénétration intellec-
tuelle laquelle, d'abord et avant tout, doit présider à l'interpré-
tation d'une œuvre de Wagner. On chante, on joue Meyerbeer et
Rossini avec des voix, des instruments, de la passion, de la chaleur
d'âme; on ne chante Wagner, dirions-nous volontiers, qu'avec de
la pensée, à laquelle doivent rester subordonnés les moyens
matériels.
Er si alors nous nous transportons à la Monnaie et si nous vou-
lons juger en deux mots la reprise de Lohengrin, nous dirons
qu'avec des moyens vocaux et dramatiques supérieurs, M"« Chré-
tien dans le rôle d'Eisa etM.Muratet.dans celui de Lohengrin, ont
chanté comme si la musique eût été de Meyerbeer, et pour en
faire admirer les sonorités mélodiques, tandis que M"^ Wolf en
Ortrude et M. Seguin en Frédéric, avec des moyens moindres,
s'étaient pénétrés du slyleet de la pensée de l'œuvre, et songeaient
à la faire Comprendre avant de songer à la faire admirer. Aussi le
succès, et avec raison, est allé à M"« Wolf et à M. Seguin. L'or-
chestre, lui aussi, était beaucoup trop en « sonorité », et nous
espérons que pour une prochaine représentation, il n'aura plus
d'autres préoccupations que de parler la langue de Wagner, une
langue si réellement faite pour l'orchestre qu'il y a ingratitude à
lui à ne pas l'interpréter toujours avec une fidélité scrupuleuse et
presque une soumission religieuse de pensée et de cœur.
LES MÉDAILLES
Nous avons à maintes reprises protesté contre les Médailles
dont on déshonore les artistes dans les Salons officiels (1).
Espérons que le spirituel article que leur a consacré dernière-
ment M. Arsène Alexandre dans l'Eclair leur donnera le coup
de grâce.
Voici la médaille ! ■
Elle est en vermeil! '
Elle est de forte taille,
Et brille comme un soleil.
Les petits gamins, bien gentils, qui exposent leurs devoirs de
peinture au Palais de l'industrie ont eu leurs médailles et leurs
mentions. Us sont bien contents les petits gamins de dix-huit à
soixante-quinze ans?
Et bien, non. Ils ne sont pas contents du tout, car on n'est
jamais content le jour du vote de ces « témoignages de satisfac-
tion ». Ou bien l'on est mal satisfait de sa propre récompense, ou
l'on est furieux de celle de son voisin. Les mentions honorables
sont blêmes de jalousie en parcourant la liste des « troisièmes ».
Les troisièmes contractent des haines féroces envers les « secon-
des ». Les secondes ont des hochements de tête et des sous-enten-
dus qui en veulent dire long sur la manière dont les « premières »
ont été décrochées. Et toutes retrouvent un accord touchant pour
déclarer idiote la médaille d'honneur, quand on a le courage de
la donner à quelqu'un — de qui c'est le tour.
C'est un spectacle fort digne et fort édifiant que donnent alors
les artistes. Dans les ateliers et les^ sociétés libres, les conspira-
tions s'organisent, les représailles se préparent. La ténébreuse
politique de l'ébauchoir et du pinceau démolit ce président-ci pour
acclamer ce président-là, afin d'en avoir un nouveau à démolir
l'année prochaine. Certains entre-sols de cafés sont voués à la
célébrité pour avoir vu rédiger sur une de leurs tables le règle-
(1) Dès la première année de VArt moderne (1881, p. 117) nous
disions déjà :
« L'institution des médailles est une institution pernicieuse. Elle
rend les artistes intrigants et ravale leur dignité. Elle est inutile, car
point n'est besoin de médailles pour faire rendre justice aux artistes
de réelle valeur. Elle est de nature à fausser les idées.xar les médailles
étant distribuées par des gens qui se trompent souvent ou se laissent
mener par une coterie, le jugement public lui-même s'égare et attribue
aux médaillés un mérite relatif qui est rarement conforme à la vérité
et à la justice. Enfin, les distinctions honorifiques sont de nature à
donner aux artistes eux-mêmes une fausse idée dé leur propre mérite
et à les détourner des études sincères et consciencieuses.
Espérons donc que les médailles, élément de discorde, de fausses
appréciations et de décadence, seront supprimées. L'art ne s'en portera
que mieux. »
VART MODERNE
349
ment rôvé qui évitera tomes les discordes en conciliant tous les
intérêts. Le marbre, où les statuts se griffonnèrent, tachés de
bière, sera certainement gravé un jour et encadré dans la façade
de la maison, en commémoration. ^
Les réclamations encombrent la « boîie aux lettres » des jour-
naux. Les incidents surgissent, les cartels" parfois sont échangés.
Il ressort de tout ce tapage que les jurés sont gâteux ou corrom-
pus, que les récompensés sont veinards ou intrigants, que l'art se
couvre de honte et se voue à une fin prochaine. Ce n'est pas nous,
bien sûr, qui le faisons dire aux artistes ; c'est eux qui se chargent
de le faire savoir au public.
Hélas! il n'y a guère de leur faute s'ils se r.endent ainsi bien
ridicules. Il n'est pas d'homme, il n'est pas d'art qui résisterait.
Certaines institutions sont avilissantes naturellement et c'est à elles
qu'il s'en faut prendre si elles mellent en mesquine posture de
braves gens à qui l'on ne saurait faire d'autre reproche que de
n'avoir pas le courage de les abolir.
Si demain quelque fatalité voulait qu'il y eût des médailles pour
les musiciens, pour les journalistes, pour les romanciers, ceux-ci
donneraient exactement le même spectacle. On les verrait, tout
comme les peintres et les-sculpleurs, comploter, pérorer et trépi-
gner.Toutcomme eux, semblablesàdesenfants, ils attendraientdans
l'angoisse la décfsion de gens qui, peut-être, isolés, ne les valent
pas et, réunis, ne manquent jamais la sottise à faire. Pareillement,
ils seraient disposés h se casser la tête contre les murs si cette
décision ne leur était pas favorable.
Il paraît tout simple qu'au lieu de s'arracher les yeux sur la dis-
tribution des médailles, on se mette d'accord sur leur suppression.
C'est le plus sûr moyen de ne pas faire dejaloux. C'est aussi celui
de rendre quelque sens de la dignité de son art à une corporation
qui semble légèrement l'avoir perdue de vue. - ■
A cela les artistes ont coutume de répondre avec un ensemble,
celte fois louchant, que la suppression des médailles est en effet
désirable — mais qu'elle est impossible. .
Pourquoi impossible?
Parce que si on abolissait celte piètre récompense, ceux qui
l'ont décrochée jusqu'ici demeureraient favorisés, au détrimentde
ceux qui arriveraient trop lard. ' . '; -
Nous commençons par la plus mauvaise des raisons. N'est-il pas
fâcheux d'entendre dire par des artistes que le mérite réside non
pas dans une œuvre, mais dans l'étiquette dont on l'affuble? En
quoi cela a-t-il jamais constitué une infériorité pour un homme
qui pense et qui crée, de n'être pas primé comme un beau sujet
de concours agricole ?
Supposez d'ailleurs que demain on ait l'improbable courage de
détruire ces puériles classifications et d'en revenir aux temps, déjà
pas si lointains, où la valeur d'un artiste ne se mesurait pas â la
ferblanterie qu'il avait pu récoller. Que se passerait-il tant que le
dernier médaillé n'aurait pas disparu de ce monde? Les non-mé-
daillés ne pourraient donc pas se faire connaître et aimer du pu-
blic? Seuls, les « mentionnés antérieurement » continueraient à
avoir le nom prestigieux, à récoller toutes les commandes cl à
fléchir sous tous les honneurs.'
Il suffit d'émettre la supposition pour en démontrer l'absurdité.
Lés médailles supprimées, le pis qui pourrait arriver à un artiste
serait que l'on dît d'un tableau réussi : « En voilà un qui aurait
certainement eu la médaille. » El cela vaudrait infiniment mieux
pour lui que d'en voir attribuer une à l'œuvre voisine dont le
passant un peu connaisseur dit :« Quelle odieuse croule! » Quand
il n'existe pas de récompenses officielles, on a la chance de passer
pour un grand homme. Aussitôt qu'on est bardé de récompenses,
il n'y a qu'une voix pour dire que vous baissez et que le succès
vous a gâté.
Enfin, comment la gent artistique peut-elle être assez dépour-
vue dejugeolte pour ne pas comprendre que tout le monde serait
hors concours du moment qu'il n'y aurait plus de concours du
tout?
Autre raison, aussi valable que la première : Il faut bien encou-
rager les talents naissants et les signaler au public.
C'est faire au public comme aux talents emmaillottés un assez
mauvais compliment. Dire à l'un : « Vous n'êtes qu'une bête et
vous ne saurez pas ce qu'il faut admirer et acheter si nous ne vous
le montrons du doigt. » Aux autres : « Vous êtes incapables de
percer si nous ne vous accordons pas notre protection et si nous
ne vous estampillons. » ^
Or, le public n'est pas si bête, ni les débutants si débiles qu'on'
le pourrait croire. Le public met du temps à se laisser convaincre
et les forts à s'imposer à lui, mais cet échange de bons procédés
ne se produit presque jamais entre lui et ceux qui ont été bom-
bardés grands par les jurys officiels. Les obstacles que rencontre
le véritable artiste sur son chemin ne sont presque jamais que des
cercles en papier. Il serait vraiment banal d'insisler et de recom-
mencer Ja lisle déjà par trop connue des maîtres à présent accla-
més, qui n'eurent jamais ni ne souhaitèrent de médaille, et les
mazetles médaillées qui se sont enfoncées de plus en plus dans
l'oubli.
Les jurys ne peuvent désigner les meilleures œuvres, d'abord
parce qu'elles se désignent bien toutes seules, ensuite parce qu'ils
sont justement les moins capables qui soient de les discerner. Des
gens qui « s'y connaissent » ou sont réputés s'y connaître, for-
ment par leur réunion un jury, c'est-à-dire un corps aveugle bu
injuste. C'est une simple vérité d'expérience. Presque jamais une
œuvre, nous ne dirons pas éclatante, car celles-là se défendent
sans médaille et gagnent leur cause dçvant le temps, mais simple-
ment consciencieuse et durable, n'a été distinguée du premier
coup par ces juges improvisés. Ils apprécient l'art au crible, et
ce sont les grosses pièces qui restent : toute délicatesse leur
échappé.
En réalité, loin d'éclairer le public et de rendre service aux
artistes, ils font du tort aux uns et trompent l'autre sur la qualité
de la marchandise.
Les divers degrés de la médaille sont des attrape-nigauds ou des
primes à là médiocrité avec, le plus souvent, la complicité du
hasard. Le jour où les artistes comprendront cela et sacrifieront,
résolument ces plaques et ces patentes, ils verront à combien peu
de chose ils ont renoncé et combien de fierté et de force ils
acquerront en échange.
Léon Bloy et Paul Bourget
Dans le OU Blas de vendredi dernier, nouvel article de Léon
Bloy : L'Eunuque! C'est de Paul Bourget qu'il s'agit, cette fois,
avec cette épigraphe :
Paul Bourobt. — Eafin, Bloy, vous me
détestez donc bien ?
LioN Bloy. — Non, mon ami, je vous
méprise.
Paul Bourget « vient de publier avec cruauté, dans un journal,
la mucilagineuse préface de son prochain livre ». Léon Bloy
350
L'ART MODERNE
« songe avec compassion aux amalcurs de force cl de sanlc qu'a
surpris celle longue averse de colle «.Il proclame « inassommables
à pcrpéluiié » ceux que n'a pas dégoûtés « celle oiTrayanle
épreuve ». 11 esl d'avis que « ce fondeur de poils cl cel englueur
d'alomes pourra leur servir impunémenl loules les filasses,
loulos les filandres, tous, les magmas el toutes les glaires w. Il
n'hésile pas à opiner que la voie de « cet épureur de coccinelles »,
élait « l'horlogerie imbécile » du roman d'analj[se, et comme le
nouveau livre se désigne par une fadaise, il affirme que « ce
romancier sans musclée ni cartilages n'a pas précisément le génie
des titres ».
Noions en passant qu'il s'agit, dans l'espèce, de la palcrniié
dans l'adultère et de savoir jusqu'à quel point le fail d'avoir donné
volontairement la vie à un autre être, oblige envers cet cire.
■ Admirable discours à mettre en filandres h la Bourget!
Le seul iruc, dit Léon Bloy, pour échapper « aux récrimina-
tions de l'infini » quand on pose un pareil problème, « c'est
d'avoir aussi peu d'entrailles que possible, d'adorer la médiocrité
, el de se pousser dans le monde comme un adorable mufle.
Si par surcroît, ou fui à ce point favorisé des divinités apotro-
péennes que les cisailles de Fulbert n'aient jamais eu à fonction-
ner pour la pacification de quoi que ce soit, oh! alors, on est
admirablement outillé pour porter la queue des autres et lubrifier
agréablement les Héloïscs des Sainl-Frusquin ». Entendez par là
les bourgeoises distinguées et les juives millionnaires qui se
pâment à la lecture des œuvres de M. Paul Bourget, suffisamment
« poissées de mélanoolie » pour plaire à ces dames. « Neutre et
charmant », tel apparaît l'artiste à son terrible démolisseur;
« incapable d'incendier ou d'éteindre, ami par choix de tout le
monde et comblé des dons de l'impuissance, il n'eut qu'à loucher
du doigt les murailles de bélise de la Grande Publicité pour
qu'elles tombassent devant lui et pour qu'il entrât, comme Antio-
chus, dans celte forteresse imprenable aux gens de génie, avec
les cent vingt éléphants futiles chargés de son bagage littéraire.
Il faut penser à l'incroyable anémie des âmes modernes dans la
classe distinguée, pour bien comprendre le succès de cel évan-
gélisle du Rien. Ses analyses boréales amalgamées de Renan,
de Stendhal el de quelques pions germaniques, où l'absence
infinie de style el de caractère est symétrique au double néant
du sentiment et de la pensée, furent sucées avec dévotion par
tout un public de mondaines, ravies 'qu'un auteur qui leur
ressemblait condescendît, en leur présence, de ses pâles doigts
en glucose, à traire les vaches arides qu'elles gardent avec tant de
soin dans les ravissantes prairies de leurs cœurs. En conséquence,
le Sigisbée de toutes ces dames esl appelé le Balzac moderne!!! »
Ah ! mais, ça donne froid le long de l'épine dorsale, des érein-
tements d'une pareille envergure. Quel redoutable fustigeur! El
comme en paix on peut vivre sans craindre le triomphe des Ama-
lécites de l'art, quand un tel gardien veille sur les bisons du
médiocre el les tapirs «le la littérature pour dames.
Chronique judiciaire de^ ^rt?
Pierrot-Poète (1).
Le tribunal de commerce de Bruxelles a prononcé cette
semaine dans le procès théâtral intenté par M"'' L. Van Dànmie 5
M. G. Palicol. Le jugement donne gain de cause k1â jeune artiste
(1) Voir notre dernier numéro.
cl condamne l'imprésario à lui payer 600 francs, avec les intérêts et
les frais. Voici, au surplus, le lexle de celte décision, qui-tranchc
d'intéressantes questions do droit théâtral:
Attendu que la loi ré|)ule acte de commerce toute entreprise
de spectacles publics; ce mot comprend toule espèce de diver-
tissements offerts au public. Tous les engagements pris par
l'enlrepretiour de pareils spectacles, on vue de son entreprise,
sont des actes de commerce;
Attendu que le défendeur ne reproiluil pas dans sa conclusion «
l'exception qu'il avait proposée in liniiue lilis ;
Attendu au' surplus, que les tribunaux doivent vérifier, avant
d'examiner et do discuter les moyens invoqués par les |)laidours,
s'ils sont compétents, à raison de la matière, sur l'action qui ost
déférée h leur appréciation ;•
Attendu que le défendeur ne peut pas contester qu'il a engagé
la demanderesse pour remplir dans les pantomimes Au Jeu
d'amour le rôle de la Marquise el dans Pierrot-Poète celui de
Régina ;
Attendu que la demanderesse a éié mise en possession do ces
doux rôles, el que le fait d'avoir fail connaître au public qu'ils
seraient tenus par la dcmandoresse rend le défendeur non roce-
vable à prétendre qu'il pouvait l'en déposséder, de sa seule auio-
rilé, la contraindre à en remplir un autre sans avoir à lui payer
une indemnité pour réparer le préjudice que cause à la demande-
resse la rupture de son engagement;
Attendu qu'il est do principe que l'oxploilanl d'un tliéâtrc qui
a engagé à son service une artiste pour la création d'un rôle et
qui postérieurement renonce à faire représenter la pièce on vue
do laquelle l'artiste était engagée, lui doit les appointements sti-
pulés el des dommages-intérêts pour cessation de son emploi ;
Attendu que ce principe est aussi applicable lorsque, comme
dans l'espèce, la rupture esl le fait volontaire de l'exploitant d'un
spectacle public ;
Attendu que le motif invoqué par le défendeur, dont la com-
pétence en la matière est incontestable puisqu'il fail exécuter ses
œuvres, pour justifier son attitude vis-à-vis de la demanderesse
est dénué de fondement;
Il a fait à la demanderesse dos déclarations non équivoques
prouvant qu'elle avait de « très grandes qualités, une jolie lyre »
el il ne s'est aperçu « que le côlé dramatique et pathétique ne lui
allait pas », qu'après onze répélilions, alors que l'affiche portait
le nom de la demanderesse.
Au surplus il avoue naïvemoMi, mais courtoisement, qu'il a été
poussé par plusieurs personnes, qu'il ne nomme pas mais que la
demanderesse dcviRfi... Qu'on l'a pour ainsi dire forcé à lui faire
ce petit chagrin...
Par ces motifs, lo Tribun;'! condimui' le défotiilour à payer à
la demanderesse : 1° 300 francs pour un mois d'appointements;
2" 300 francs à litre dedomma^Tes-intérôl^, le condamne en outre
■aux intérêts judiciaires et aux dépens.
Petite chroj^ique
On a pu lire ces jours derniers dans l'Iniépenoance belge :
« L' Indépendance réservera dans son suppiénienl du dimanche
une place spéciale à des productions m<5diies des prosateurs et
des poètes belges, dont les œuvres marquent une note person-
nelle dans le mouvement littéraire de notre pays. Ces Pages de
la Wallonie et des Flandres — c'est sous ce titre général que
seront réunis ces spécimens divers de nos littérateurs — ne peu-
vent manquer d'exciter de sympathiques curiosités chez nous cl
à l'étranger.
« Citons, parmi les écrivains dont nos plus prochains supplé-
ments conliendronl des pages inédites: MM. Maurice Maeterlinck,
Georges Rodenbach, G. Van Lerberghe, Frsfnz Foulon, Georges
Garnir, Fernand Severin, Grégoire Leroy, Pol de Mont, Célcslin
Demblon, Georges Khnopff, etc., etc. »
f^
La conversion que nous espérions, lorsque dernièrement nous
annoncions le changemonl de direction à(^ V Indépendance, passe
donc au fait. Nous en sommes fort heureux. C'était un spectacle
fâcheux de voir publier dans le supplément littéraire de ce journal
des choses quelconques cueillies à l'étranger, et de le voir rester
indifférent au brillant mouvement littéraire de notre pays. Etait-
ce bouderie malveillante, ignorance ou défaut de pénétration,
peu importe; mais l'anomalie était choquante. De là sont venues
les vives attaques que nous avons à différentes i-eprises dirigées
contre lui. Mais nous tenons à dire que nous saurons lui rendre
justice, si, franchement et équitablemenl, il fait à nos écrivains
la place qu'ils méritent, et si sa critique, revenant à résipiscence,
perd les préférences boulevardières et parisiennes qu'elle a si
longtemps exclusivement affichées. Nous aimons passionnément
la belle littérature française. Mais pas au détriment de la nôtre.
L'ouverture des séances d'art de la Maison du Peuple, qui aura
lieu mardi prochain, à 8 heures du soir, s'annonce bien. Outre
une conférence de M. Jules Désirée sur la Littérature russe, il y
aura, comme nous l'avons annoncé, une partie musicale consa-
crée à l'audition d'oeuvres d'A. Glazounow, N. Rimsky-Korsakow,
A. Kopylow et Tschaïkowsky, avec, comme interprètes, M"» L. Van
Hoof, (îu Théâtre de la Monnaie, BIM. Lilta, Crickboom, Angenot,
Kefer et La Fontaine. Entrée : 5 francs. Cartes permanentes :
10 francs. L'entrée est libre pour les membres du Parti Ouvrier
et pour les membres souscripteurs (cotisation minimum : o francs,
sans affiliation au Parti Ouvrier).
Paul Verlaine se rendra dans le courant de la semaine en Hol-
lande où il a promis de faire des conférences à La Haye et à
Amsterdam. Son programme : Causerie relative aux écrivains en
vers, mes contemporains et compatriotes, suivie de lectures à
l'appui. « Parallèlement aux Parnassiens, aux vieux amis et cama-
rades de lettres, écrit l'auteur de Sagesse à notre correspondant
de La Haye qui organise les conférences en Hollande, je parlerai
des « modernes » : Décadents, Symbolistes et Romans, nos. suc-
cesseurs non moins amis. » •
Notre campagne pour la protection des arbres a réussi. On
nous assure que des ordres sont donnés pour les respecter,
notamment le long des grandes routes où l'on établit des tramways
vicinaux. Désormais on n^écommellra plus la vandalique stupi-
dité de les abattre du côté où est la voie, sous prétexte qu'ils
pourraient l'obstruer en tombant. Toutes nos félicitations au haut
fonctionnaire qui a pris cette intelligente mesure. Vraimeul,
quand on a une bonne cause, il faut toujours l'exposer et la
défendre. Souvent on réussit, même quand elle parait presque
impossible.
A cette occasion, signalons qu'il se passe actuellement h Ixellés
une chose navrante. Un entrepreneur sauvage détruit le parc
superbe et Ja romantique allée de tilleuls qui bordaient la
descente de la chaussée vers l'église Sainte-Croix. Quel admirable
square, solitaire et profond, on eût pu faire de cette ombreuse
retraite !
La direction de l'Opéra de Vienne est en pourparlers avec
M. Vincent d'indy pour l'exécution intégrale du Chant de la
Cloche avec Ernest Van Dyck dans le rôle de Wilhem.
C'est le célèbre ténor qui a créé ce rôle à Paris, en 1886, lors-
qu'à la suite de la décision du jury accordant à la partition de
M. d'indy le prix de 10,00ft francs de la ville de Paris, l'œuvre
fut exécutée sous la direction et avec l'orchestre et les chœurs de
M. Lamoureux. 11 s'agirait, cette fois, d'une mise à la scène du
Chant de la^loche. L'œuvre serait jouée et non chantée seule-
ment. L'Opéra de Vienne ferait à cette occasion de grands frais de
costumes et de décors, l^inlention du compositeur, qui a pris
soin de donner dans la partition d'exactes indications sur la mise
en scène éventuelle de l'ouvrage, serait ainsi entièrement "réalisée.
Il est question aussi de donner, sou^celte forme, le Chant de
la Cloche à Liège. Le nouveau chef d'Orchestre du Grand Théâtre,
M. Léon Du Bois, s'occupe activement de la réalisation de ce pro-
jet, auquel applaudiront tous les admirateurs, si nombreux à
Liège, du jeune maître français.
La Royal Choral Society vient de faire paraître le programme
des dix grandes auditions qu'elle donnera à l'Alberl-Hallau cours
(le la prochaine saison musicale. Ces auditions sont fixées ainsi qu'il
suit : 2 novembre. Requiem de Dvorak; 23 novembre, la Dam-
nation de Faust: 7 décembre, la Légende dorée A' k. Sullivan;
2 janvier^fe Messie; 48 janvier, Messe solennelle de E.-M. Smyth
et la Création (l'« et 2' parties); 45 février, Rédemption; 8 mars,
Israël en Egypte; 34 mars, le Messie; 49 SlStW, Saint-Paul;
40 mi\, Elie.
Les solistes seront, entre autres, MM"" Albani, Nordica, Wil-
liams, Clara Samuell, MM. Lloyd, Ben Davies, Ivor Mackay, Hen-
schel, etc. Orchestre et chœurs : 4,000 exécutants.
Après un arrêt forcé de plusieurs mois, dû à des circonstances
imprévues d'ordre privé, la revue Langues et dialectes reprendra
ses publications trimestrielles, à partir du 4'-''' novembre 4892,
sous la direction de M. Tito Zanardelli, professeur aux cours de la
ville de Bruxelles.
Tout en abordant l'étude des langues en général, elle s'occu-
pera spécialement des dialectes locaux de la Belgique.
Les prochains numéros comprendront, entre autres, les articles
suivants : Les noms propres d'animaux à La Hulpe, Genval, etc.
— La corruption phonétique des noms propres en patois wallon.
— Grammaire et grammairiens. — Les lois de l'analogie dans les
langues. — La ligne de démarcation des patois. — Les trois patois
de Bruxelles, — Le Marollien. — L'argot flamand, dit aussi Die-
ventaal ou Bargoensch. — Le vocalisme du patois flamand de
Bruxelles. — La conjugaison des verbes dans le patois flamand
brabançon. — Les jurons en flamand. — Les poésies namuroises
du sergent Benoit. — Un essai sur l'ancien namurois. — L'infil-
tration des mots français dans la langue flamande et les lois de
leur transformation.
Rédaction et administration : 37, rue de Longue-Vie, Ixelles-
Bruxelles. Abonnement : Belgique, 40 francs. Etranger, 43 francs.
Le numéro : 3 francs.
Pour paraître prochainement, de l'auteur de Tête d'Or : La
Fille, à 225 exemplaires numérotés dont 425 sont mis en sous-
cription, à savoir : N»» 4 à 25, sur papier de Hollande, au prix de
40 francs; n»» 26 à 425, sur vélin blanc, au prix de 5 francs, cl
400 seront trouvés en librairie au prix de 6 francs.
Adresser les souscriptions à la librairie de l'Art indépendant,
14, rue de la Chaussée-d'Antin, à Paris.
Encore une nouvelle Revue: après la Blanche, après la Bleue,
pour compléter la tricolore : La Revue Rouge. — Mensuelle, de
littérature, d'art et d'économie politique. — Collaborateurs :
Georges Eekhoud, Emile Verhaeren, Camille Lemonnier, Emile
Vandervelde, D' Charbonnier, Franz Delbastée, Mathias Robert,
Elslander, P. Armen; Henry Le Bœuf, Jean Brèzal, Géo Mauvère,
G. Touchard, Frappart, etc. ■ — Secrétaires de la rédaction : Paul
Sainte-Brigitte et Sandcr Pierron. — Abonnements : Belgique,
un an, 3 francs, six mois, fr. 1 75; Étranger, un an, 4 francs, six
mois, fr. 2-25. — Imp. M . Vanderauwera, Molenbeek-Bruxelles.
— Grand in-8», 46 p., 4892. — Première année, n° 4, octo-
bre 4892. — Le numéro : 25 centimes.— Sommaire : La Misère,
Emile Verhaeren; Burch Mitsù, Georges Eekhoud; A Vau-la-Rue,
Camille Lemonnier; Jours de Gloire, Sander Pierron; Strophes,
Mathias Robert; Chansons tristes, Paul Sainte-Brigitte ; Le rêve
d'un écolier socialiste, Jacques Patient; Chronique artistique,
Lucien Jotirand; Chronique théâtrale : Parc, H. Le B., Monnaie,
Intérim; Gaspillages, ***. — Rédaction et administration, rue
Gendebien, 48, Bruxelles.
ERRATUM
Un perfide correcteur (ô correcteure maudits, les plus traîtres
des mortels!) nous a fait dire snobisme pour strabisme en parlant
de l'étrange défaut-qualité qui donne aux yeux de Mounel-Sully
un si effrayant mystère. Nos intelligents lecteurs auront, nous
n'en doutons pas, rétabli d'eux-mêmes le texte.
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Douzième année. — N" 45.
Le numéro : . a-B centimes.
Dimanche 7 Novembre 1892.
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Comité de rédaction « Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale,, fr. 13.00. ^ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser toutes les communications à
l'administration générale de l'Art Moderne, rue de l'Industrie, 32, Bruxelles.
Sommaire
La kace du GniusT. — Exposition. G. -W. Delsaux — Choses de
THÉATRK. Théâtre du Parc. — La Princesse Georges. — A la
Maison du Peui'LE> — Biiu.iogkai'hie musicale — Petite chronique.
LA RACE DU CHRIST
Ici déjà, lors de la mort de Villiers de risle-Adam (1),
nous exprimions cette envie qui mord les esprits'
rêveurs, quand un illustre disparaît, d'aller retrouver,
dans les catacombes des bibliothèques, quelqu'une de
ses œuvres, jadis lues et depuis remisées, ay^nt laissé
dans la mémoire, en résidu, un souvenir fait des
impressions d'alors, vieillissant lentement comme les
vins, devenant, par l'insensible alchimie du temps,
ou plus douce ou plus forte ; quelquefois aussi passant
à l'aigre, ou se diaphanisant jusqu'à l'incolore.
Ainsi nous relûmes ces jours récents la Vie de Jésus
par Renan.
Ah ! qu'il est dangereux de revoir les pays qui paru-
rent beaux et où l'on fut heureux ! Qu'il est dangereux
de relire les œuvres ! Morose sensation qu'elles vous
laissent souvent, pareilles aux jeunes maîtresses ado-
rées à vingt ans et qu'on revoit à quarante.
(1) Homo multiplex, 1889, p. 297. . j
Nous avions conservé vive et fraîche l'impression
d'une idylle bibliquei étonnamment lumineuse et sédui-
sante,-montrant sur les fonds clairs du lac de Tibériade
le caressant et divin prêcheur, si près des hommes, si
près du ciel, auréolé de l'incomparable avenir promis à
sa foi, touchant à peine la, terre, incessamment soulevé
par le souffle miraculeux des légendes, emporté enfin
comme un météore dans la crise douloureuse de sa^
passion, et laissant derrière lui une traînée si splendide
qu'elle éclaire encore le monde, incurablement inquîeï
de cette énigme : Fut-ce un mortel ? Fut-ce un Dieu ?-
Nous n'avons retrouvé qu'un épisode morne et
languissant, en style fade et coulant, de l'Histoire sainte.
Le Christ y apparaît une sorte de ténor léger que les
doigts agiles et onctueux du laïc chanoine font circuler
en flâneur autour du lac sacré sous le beau ciel de
la Galilée. Un personnage correct, aux attitudes dra-
pées, qu'on se figure peigné et parfumé, parlant avec
une bienséance doctrinaire, chef d'une petite école, traî-
nant avec lui une troupe de comédiens et d'actrices,
amoureusement désiré par les Madeleines et qui sou-
ventes fois semble incliner au flirt. Le paysage lui-même
suscite des rénriniscences d'opéra comique. Le convenu
s'épanche à pleins bords. Les mouvements de scène
sont traditionnellement réglés. C'est presque un livret
et l'on pense à Massenet et à Hérodiade. On croirait
assister à un mystère joué au Petit-Trianon par des
mondains et des mondaines costumés en pêcheurs et en
pécheresses. Seuls les quatre chapitres de la fin, la der-
nière semaine de Jésus, son arrestation et son procès,
sa mort, le caractère essentiel de son œuvre, emportent
tout à coup, comme en un torrent de vérité et de foi,
l'aimable conteur, amateur de « charmantes prome-
nades -, et transforment sa bergerie en une sombre
scène de désolation et d'horreur où enfin tonne la divi-
nité.
Vraiment, le livre dépo0, ou se demande, ahuri et
béant, comment le mince personnage dont on vient de
lire l'historiette, a, durant deux mille ans (c'eût été
certes le plus prodigieux de ses miracles!) révolutionné
et régi toutes les âmes en lesquelles est tendue la psycho-
logie de la race européenne ? Et cette simple et décisive
question suffit à démontrer le vide, la fausseté et
l'inanité de cette œuvre qui, d'un coup, mit Renan au
pinacle. On discerne invinciblement que ce n'en fut pas
la valeur intrinsèque, soit philosophique, soit littéraire,
mais l'engouement sectaire de l'anticléricalisme et
sectaire se réjouissant de tenir enfin une synthèse
décente et de bonne tenue résumant sans criailleries et
sans injures tout ce qu'il mâchonnait d'hostilité étroite
et haineuse contre le Christianisme.
Nous savons qu'ici même, il n'y a pas un mois, un
ami à superbe allure d'écrivain a vanté cette Vie de
Jésus dont maintenant nous parlons en termes discré-
ditants et navrés. Il la jugeait de souvenir, ei nous-
même eussions, nous le sentons, écrit du même lan-
gage si une instinctive curiosité ne nous avait entraîné à
pousser la porte de ces lieux dès longtemps abandonnés
et à lès parcourir, ouvrant sur leurs sites et leurs
détours des yeux mieux instruits par la contemporaine
ambiance et par les leçons incessantes d'une transfor-
mation sociale et artistique accélérée. C'est alors que
nous avons compris le véritable sens et l'hypocrite
modération cachant sous le velours la griôe impi-
toyable, délétères et sournois comme les brises tièdes
des étés malsains, véhicules de fièvres et d'épidémies.
A côté de cette impression faisant inexplicable l'im-
mense destinée du Christ (car comment un aussi édul-
coré et bienséant jeune homme aurait-il pu peser sur le
monde au point d'en déplacer le pivot?), le récit de
Renan, en des détails curieux dont la portée resta pour
lui close, apporte inconsciemment des matériaux pour
la solution d'un des plus essentiels problèmes des ori-
gines du Christianisme, celui de la race dont fut Jésus.
A diversesl^rises nous avons, dans TArt moderne,
soulevé cette énigme près de laquelle l'ancien sémina-
riste de Tréguier a passé sans en soupçonner l'existence,
se contentant, en sa science superficielle d'hébraïsant
mondain, d'admettre la tradition qui toujours fit un
juif de cet être extraordinaire que les juifs ont crucifié
comme ennemi de leur sang, de leur foi, de leur loi, et
que le monde sémitique, "aux rares exceptions près qui
ne manquent à aucune règle, a repoussé avec fureur
et ténacité et a combattu en ses descendants par des
guerres de religion non interrompues , qui , encore
à l'heure présente , chauff'ent et recommencent en
Afrique (1).
Il est~ curieux sous ce rapport de faire la cueillette
des renseignements que Renan sème d'une plume négli-
gente, sans se douter, tout au long du chemin fleuri de
son récit aimable. Dès les premières lignes il. rappelle
que cette G£|,lilée, où naquit le Christ, était fort mêlée,
que c'était une province qui comptait parmi ses habi-
tants, au temps de Jésus, beaucoup de non-Juifs. Il est
donc impossible, dit-il, de soulever ici aucune question
de race et de rechercher quel sang coulait dans les veines
de celui qui a le plus contribué à eff'acer dans l'huma-
nité les distinctions de sang.
Étrange conclusion ! û'après le lieu de naissance il y a
donc doute sur la race du réformateur divin fait homme.
Mais alors pourquoi clore immédiatement le problème,
au lieu de le creuser? Le lieu est-il donc le seul moyen
de faire en pareil cas la lumière? Si par exemple on voit
le Christianisme ne se répandre que parmi les peuples
de race européenne, et ne conquérir rien, ou presque
rien, parmi les sémites, n'est-ce pas déjà un motif,
d'extraordinaire puissance, pour croire que son fon-
dateur eut dans les veines le sang de ceux qu'il a
convertis ?
Quand Renan, quittant, la Galilée et Nazareth, parle
de la Judée et de Jérusalem, il marque leurs saisissantes
différences. « Une absence complète du sentiment de la
nature, aboutissant, dit-il, à quelque chose de sec,
d'étroit, de farouche, a frappé toutes les œuvres purement
hiérosolymites d'un caractère grandiose, mais triste,
aride et repoussant. Avec ses docteurs solennels, ses
insipides canonistes, ses dévots hypocrites et atrabi-
laires, Jérusalem n'eût pai^ conquis l'humanité. Mais
le Nord a donné au monde la naïve Sulamite, l'humble
Chananéenne, la passionnée Madeleine, le bon nourri-
cier Joseph, la Vierge Marie. Le Nord seul a fait le
Christianisme; Jérusalem, au contraire, est la, vrâië
patrie du judaïsme obstiné qui, fondé par les pharisiens,
fixé par le Talmud, a traversé le moyen-âge et est venu
jusqu'à nous. »»
Est-ce Drumont qui parle, trente ans avant la Libre
Parole? Ah ! mais alors le Christ n'est pas Juif. Dites-le
(1) Voir dans l'Art moderne, nos études : La Bible et le Coran,
1888, pp. 114, 130, 137; — La Littérature anti-sémitique, ib.,
p. 361 ; — Saint-Paul et le Sémitisme, 1889, pp. 1, 9, 17, 27; — Les
Prophètes dans la Bible, ib., p. 198; — L'Ancien Testament et les
Origines du Christianisme, Sh., pp. 227, 234,243, 284; — Les Tra-
ductions de la Bible, ib., p. 236; — Les Hymnes Védiques, ib.,
p. 379; - L'Art Arabe, ib., p. 89; — Que fut Jésus t ib., p. 164;
— L'Art Arabe en Espagne, 189», p. 188 ; — Renaissance, 1892,
p. 260.
^\iyT^.'^T'Q-^/fit:^\!^^iS'^'
donc, ô philosophe! Ou bien pourquoi n'y pensez-vous
pas?
Curieuse remarque! quand il parle de Judas, fils de
Simon, de la ville de Kerioth, qui fit exception dans
l'essaim fidèle et s'attira un si épouvantable renom,
Renan écrit : « C'était le seul qui ne fût pas Galiléen ;
Kerioth était une ville de l'extrême sud de la tribu de
Juda, à une journée au delà d'Hébron. » Ah! comme
on crierait que nous inventons, et que nous forçons les
faits pour les faire entrer dans un système, si ce n'était
pas copie textuelle du texte.
Il était naturel que la Galilée fût un pays de mélange
où mainte race avait, au passage, laissé de sou sang et
fécondé. Notre auteur signale « que la grande route de
Damas à Acre, l'une des plus anciennes du monde, tra-
versait la Galilée en touchant le lac », près de Naza-
reth oti Jésus naquit. Chaque fois que l'Asie passait en
Egypte, ou l'Egypte en Asie, les multitudes ou les voya-
geurs y cheminaient, submergeant les rares populations
locales et y substituant les races d'un plus noble sang.
'Renan, rappelant que c'était surtout dans la parabole
que le Maître excellait, signale que rien dans lejudaïsme
né lui avait donné le modèle de ce genre délicieux, mais
qu'on trouve dans les livres bouddhiques des paraboles
exactement du même ton et de la même facture.que les
éyangéliques. Et il en conclut... « qu'il est difficile d'ad-
mettre qu'une influence bouddhique se soit exercée en
ceci ».
Etrange aveugle, qui se refuse à se laisser opérer de
la cataracte.
Cette idée que le milieu juif était l'antipode du milieu
galiléen, cosmopolite et grécisant, revient fréquem-
ment, comme une mouche obstinée, à la réflexion de
Renan, mais sans jamais lui révéler l'immense consé-
quence ({n\\ en faut déduire pour la détermination de la
race du Dieu fait homme. Voici tout un passage où
l'hostilité de la Galilée et de la Judée est mise en un
encore plus saisissant relief :
« Le monde odieux de la Judée ne pouvait manquer de
peser fort lourdement sur les âmes tendres et délicates du
Nord. Le mépris des Hiérosoly mites pour les Galiléens
rendait la séparation encore plus profonde. Dans ce beau
temple, objet de tous leurs désirs, ils ne trouvaient sou-
vent que l'avanie. Un verset du psaume des pèlerins :
« J'ai choisi de me tenir à la porte dans la maison de mon
Dieu ", semblait fait exprès pour eux. Un sacerdoce
dédaigneux souriait de leur riaïve dévotion, à peu près
comme autrefois en Italie le clergé, familiarisé avec les
sanctuaires, assistât froid et presque railleur à la fer-
veur du pèlerin venu de loin. Les Galiléens parlaient
un patois assez corrompu; leur prononciation était
vicieuse; ils confondaient les diverses aspirations, ce
qui amenait des quiproquos dont on riait4)eaucoup. En
religion, on les tenait comme ignorants et peu ortho- )_
doxes; l'expression " sot Galiléen » était devenue pro-
verbiale. On croyait (non sans raison) que le sang juif
était chez eux très mélangé, et il passait pour constant
que la Galilée ne pouvait produire un prophète. Placés
ainsi aux confins du judaïsme et presque en dehors, les
pauvres Galiléens n'avaient pour relever leurs espé-
rances qu'un passage d'Isaïe assez» mal interprété :
«' Terre de Zabulon et terre de Nephtali, Voie de la
mer, Galilée des gentils ! » ^^
Ce mot Gentils est significatif; il désignait les étran-
gers.
Renan a une certaine intuition que ce ne fut pas le
Christianisme qui continua la vieille Bible judaïque,
mais le mahométisme. Il appelle textuellement l'Islam
« une sorte de résurrection du judaïsme », idée que
nous avons développée dans notre étude : La Bible et le
Coran. Dans le même ordre d'idées, il rapporte qu'ainsi
que les Musulmans, dans les monuments juifs, les orne-
ments de sculpture vivante, que les Hérodes, ces imita-
teurs de Rome, se permirent au grand mécontentement
des rigoristes hébreux^ étaient bannis et remplacés par
une décoration végétale ; il ajoute que jusqu'aux Asmo-
néens, les Juifs étaient restés étrangers à tous les arts.
Encore aujourd'hui, dans les pays musulmans non euro-
péens, c'est une profanation pour un vrai croyant que
d'être photographié, même sans le savoir.
Plus loin, Renan montre le Christ, dans sa doctrine,
affirmant son irrémédiable antipathie pour le Mosaïsme.
Jésus le premier ose dire qu'à partir de lui, la Loi, cette
pierre angulaire de la foi juive, n'existait plus. Et
il ajoute carrément : Jésus alors n'est plus juif! Il eût
mieux valu dire qu'il ne -l'avait jamais été, qu'adminis-
trativement. On n'est pas cheval pour être né dans
une écurie. Racontant le premier voyage du Sauveur
à Jérusalem, il écrit : « Une pensée qu'il emporta,
et qui dès lors paraît chez lui enracinée, c'est qu'il
n'y a pas de pacte possible avec l'ancien culte juif ».
L'abolition des sacrifices qui lui avaient causé tant
de dégoût, la suppression d'un sacerdoce impie et hau-
tain, et dans un sens général l'abrogation de la loi lui
parurent d'une absolue nécessité. A partir de ce moment,
ce n'est plus en réformateur juif, c'est en destructeur
du judaïsme qu'il se pose. "^
Et il revient sur la composition de la Galilée. Il répète
qu'elle contenait un grand nombre de païens; que dans
la plupart des cas où Jésus rencontrait des païens, il
montrait pour eux une grande indulgence et parfois
aff'ectait de fonder sur eux plus d'espoir que sur les
Juifs ; le royaume de Dieu leur sera transféré. Il en fait
même le précurseur des idées socialistes qui aujour-
d'hui si formidablement fermentent, et qu'on ne
trouve que chez les nations de race aryenne :
« De nos jours même, jours troublés où Jésus n'a pas
de plus authentiques continuateurs que ceux qui
350
L'ART MODERNE
semblent le répudier, les rêves d'organisation idéale de
la société, qui ont tant d'analogie avec les aspirations
des sectes chrétiennes prialîtives, ne sont en un sens
;q4ie4^anouissement de la même idée, une des branches
de cet arbre immense où germe toute pensée d'avenir,
et dont le « royaume de Dieu « sera éternellement la
tige et la racine. Toutes les révolutions sociales de
l'humanité seront entées sur ce mot-là. "
Il lui échappe encore ailleurs de dire .: " Jean-Baptiste
était profondément juif; Jésus l'était h peine. Jésus
s'adresse toujours à la finesse du sentiment moral. »
Son dogme terrible de la substitution des Gentils, cette
idée que le royaume de Dieu allait être transféré à
d'autres, revenait comme une menace sanglante. Il
raconte que dans le conseil assemblé par les chefs des
prêtres, cette question fut nettement posée : Jésus et le
judaïsme peuvent-ils vivre ensemble? Le grand prêtre
repondit : Il est juste que cet homme meure ! Et parlant
de la famille de ce grand prêtre, il explique que « son
esprit était altier, audacieux, cruel; qu'elle avait ce
genre particulier de méchanceté dédaigneuse et sour-
noise qui caractérise la politique juive. "
Pour lui ce ne furent ni Tibère, ni Ponce-Pilate qui
condamnèrent Jésus. Ce fut le vieux parti juif; ce fut
la loi mosaïque. Si jamais crime fut le crime d'une
nation, dit-il, ce fut la mort de Jésus. Cette mort fut
« légale », en ce sens qu'elle eut pour cause première
une loi qui était l'âme même de la nation juive.
fît il termine par cette phrase qui résume non son
livre, mais les idées qu'il n'a pas vues, quoiqu'elles
fussent vagissantes au-dessous de son œuvre : Certes le
monde païen eut aussi ses violences religieuses. Mais,
s'il avait eu cette loi juive, comment fût-il devenu chiC^
tien ? ^ (t,^- \
4
ir.ôj^y
L'EXPOSITION G.-W. DELSAUX
Dans la salle à trois comjpartimenls de la Galerie moderne de
M. de Saint-Cyf, rue Royale, si bien douée comme disposition et
comme lumière, la meilleure de Bruxelles assurément pour les
expositions intimes et les conférences k public choisi, G.-W.Del-
SAUx expose « une kyrielle de tableaux, pastels, études, dessins,
résultat de plusieurs années de recherches, de coups de pioche,
de maillet, de pointe; de mois de calmes; de semaines de bour-
rasques et de tempêtes; de jours d'ennuis, de chagrins, de soleil,
de musique, d'extases et de joies! » Ainsi pittoresquement nous
l'annonçait-il.
Le labeur de l'artiste fut considérable et se révèle visiblement
comme la lutte de l'esprit, de la main avec celte réalité fuyante
qui semble redouter de se laisser surprendre et fixer sur la toile.
On sent partout le courageux effort, la poursuite acharnée, avec
ses fortunes diverses, tantôt heureuses, tantôt stériles. L'opiniâ-
treté, le désir énergique, les secousses infligées aux résistances
des choses sont là, partout traduites par la brosse vigoureuse,
mais parfois lourde en les coups qu'elle porlg. La conscience
cl l'ospoir, la foi dans la fécondité du travail constamment
s'aflirmonl et donnent au spectateur l'impression d'un très fervent
ouvrier, rude et palioni, que la trouvaille du bel et sincère effet
a souvent récompensé.
Il y a, en un varié déroulement, toute une jeunesse de peintre
'près d'aboutir à la virilité du taicnl. Les transformations sont
singulières et progressives, car, par une coquetterie de sincère,
aimant presque autant que l'œuvre réussie et finale l'évolution
qui va des tâtonnements et des premiers essais jusqu'à la maî-
trise, G.-W. Dclsaux a exposé Tlii.<;loirc de son ûmc et de sa main,
exhibant sans icgrot les vieilles choses rudimenlairos ou enfan-
tines à côté des nouvelles.
L'artiste reste atlaché au faire massif qui le caractérise. Il ne
cherche" pas h se débarrasser de sa nature un peu maçonne. Il se
dégage du noir qui assombrissait autrefois la peinture, mais ne
va pas jusqu'aux merveilles d'atmosphère et de lumière que
rocliercheni les jeunes é'éoles. Pourtant sa palette s'enrichit, les
tons nuances jusqu'au rafTincmcnt apparaissent, il s'efforce vers
la vérité obtenue par les infinies dégradations des tons. Tout .cela
dans la gamme opulente et puissante qui donne le diapason grave
de sa voix picturale. L'en-avant est marqué, et l'on sent qu'il
n'en est pas aux dernières étapes, qu'il veut pousser encore, har-
moniser, mieux rendre cette Ame des choses qu'il traque d'une
si insistante chasse, et qui, actuellement, reste encore à demi
engagée dans son faire trop pesant.
C'esl^à la Zélande qu'il prend les sujets de ses œuvres, à l'île de
Duiveland où dort la vieille Zierikzce où l'épée de Mondragon
sert de paratonnerre. Il en scrute la mer mélancolique, les longs
hivers, les plages où les glaçons s'emboîtent, les ciels à énormes
coupoles où roulent les nuages ravagés. Il y concentre son inspi-
ration et les agitations de son Ame. Sur les facettes que fait
son exposition aux murs de la salle, tout ce pays si lointain
et si proche, toute celle vie amphibie, si calme auprès des flots
tumultueux, se reproduit en miroirs, et c'est chose touchante
_el curieuse que de constater cette fidélité à une contrée si rare,
faite de nues et d'eaux, où les îles semblent flouantes, où les mai-
sons basses et les moulins découpant à peine l'horizon maritime
surgissent comme des écueils à fleur des vagues, où les clochers
sont des phares, où tout suscite les longues rêveries qui ondulent
aux rives des pays à demi submergés.
CHOSES DE THÉÂTRE
La Direction du Parc.
Nos lecteurs se souviennent (peut-être) de l'article que nous,
publiâmes il y a quinze jours (ah ! que c'est loin !) sous le
titre : Les Débuts de la direction Alhaim.
M. Alhaiza s'en est cru offensé, et a prié, dimanche dernier,
deux de ses amis, M. Reding, son secrétaire, et M. Rotiers, de
l'Eventail, d'aller en entretenir l'auteur^ M. Edmond Picard.
Celui-ci fit- savoir à ces messieurs qu'il avait prié deux de ses
amis, nos collaborateurs Victor Arnould et Octave Maus, de s'occu-
per de cet incident, s'en remettant absolument à' leur avis sur ce
qu'il convenait de faire ou de ne pas faire en l'occurrence.
Après une conférence approfondie avec les mandataires de
M. Alhaiza, ils écrivirent à M. Picard :
r
Bruxelles, le 31 octobre 1892.
Cher Ami,
Vous nous avez priés de nous melire en rapport avec MM. V. Re-
ding et F. Rolicrs au sujet de voire article sur les Débuts de la
direction Aîliaiza paru dans l'An moderne du 23 octobre cou-
rant. De l'entretien que nous venons d'avoir avec ces messieurs,
il résulte que M. Alhaiza se considère comme offensé par certains
passages de cet article où sont relevées diverses appréciations
d'une partie du public sur la nouvelle direction du Théâtre du
Parc.
Nous avons relu attentivement ce que vous avez éisrit, et
comme les propos malveillants signalés par vous ne portent
aucune atteinte à l'honneur de M. Albaiza, que vous mettiez en
giirde contre les reproches qui lui sont faits ; comme d'ailleurs
vous n'êtes sorli en rien des limites de votre droit de critique,
nous sommes d'avis que cet incident ne compot'tc aucune suite.
Recevez, cher ami, l'expression de nos sentiments dévoués
Victor Arnould.
Octave Maus.
Cette lettre fut communiquée par ses signataires h MM. Reding
et Roliçrs.
Ceux-ci ont écrit à M. .Alhaiza :
Bruxelles, le 31 octobre 1892.
Cher ami.
Vous jugeant atteint dans voire considération d'homme privé
par l'article paru sous ce litre : Les Débuts de là direction Alhfliza
dans l'Art moderne du 23 octobre 1892 et dont vous n'avez eu
connaissance que le 30 du mémo mois, vous nous avez chargés
d'en demander réparation.
L'auleur de l'article, M. Edmond Picard, nous ayant mis aujour-
d'hui en rapport avec deux de ses amis, MM. Victor Arnould et
Octave Maus, nous nous sommes rencontrés ce malin, à H heures,
au domicile du premier.
Après avoir dit que fidèle à une ligne de conduite dont vous
ne vous êtes jamais départi pendant les douze années que vous
avez passées à Bruxelles, vous entendiez respecter absolument le
droit de la critique, abandonnant le directeur et l'artiste au juge-
ment le plus sévère, nous avons déclaré que vous entendiez relever
tout ce qui porterait atteinte à la considération de l'homme privé
et que vous réclamiez une réparation immédiate dç l'offense que
vous avez ressentie.
MM. Victor Arnould et Octave Maus estiment que l'article ne
comporte aucune espèce de réparation, parce qu'il n'entache en
rien votre honneur et que l'auteur ne fait pas siennes les arlicu-
lations qu'il a rapportées et qui vous onl blessé.
N'ayant pu, malgré notre insistance, obtenir que celte déclara-
tion, nous sommes obligés de considérer notre mission comme
terminée.
Veuillez agréer, cher ami, l'expression de nos meilleurs senti-
ments.
Fritz Rotiers.
Victor Reding.
Les signataires ont prié la direction de /'.<4r/moder«e de publier
ces documents.
La direction a répondu : Bien volontiers.
LA PRINCESSE GEORGES
La qualité première d'un directeur de ihéâtre est de bien con-
naître l(fs aptitudes réelles do ses artistes, et, surtout pour les
débuts, de choisir les pièces qui mettront en valeur les bons
éléments de sa troupe, tout en tirant des autres le meilleur parti
possible. M. Alhaiza n'a pas ce jugement exact de ce qu'il peut
faire ou ne pas faire. Il a voulu absolument faire jouer chez lui
du Dumas fils après la tentative infructueuse du Prince d'Aurec.
Il aurait dû cependant s'apercevoir, pgr les côtés mêmes qui ont
déplu dans le Prince d'Aurec, qu'il n'avail pas de quoi monter
une machine comme la Princesse Georges plus encore que l'autre,
toute en brillant, en brio, en dextérité el,pn finesse, et dont rien
ne reste quand on lui ôte son chatoiement parisien. Les comédfes
de Dumas, surtout les dernières, sont faites d'une ou de deux
scènes vives et scabreuses et qu'il faut « enlever », avec, tout autour,
un ragoût pimenté qui ne passe que si des artistes d'une science
consommée vous le détaillent par le menu. El le tout ne peut
tenir qu'à force de tact et de prudence.
Car au fond ce théâtre de M. Dumas est très vide et très faux.
Il est le produit d'une société el d'un art faisandés jusqu'aux
moelles, el qui ne font encore quelque figure dans leur gomme
qu'à la condition de n'être point brusqués, sinon de celle phos-
phorescence il ne reste que la matière informe. Il n'y a là, si l'on
veut y regarder, ni élude un peu profonde de caractères, ni mou-
vement de passion, ni construction scénique solide et résistante
eVqui sauvent les pièces, mémelorsquerinlerprélation esl médiocre"
ou incomplète. Chez M. Dumas tout est en mots et en paillettes,
avec quelque situation brutale qui paraît être de la force el qui
n'est que de l'audace, el il n'y a à se retrouver là-dedans iju'en
faisanl miroitera propos les paillettes et en sauvant les brutalités,
mais c'est un jeu difficile et qui demande une extrême habileté.
M. Alhaiza aurait dû comprendre que sa troupe est trop dispa-
rate, trop mal rajustée encore el mise au point, trop fournie
d'éléments nouveaux avec la gaucherie- de L'inexpérience, pour
pouvoir aborder ce théâlre un peu malingre et maladif, mais
éblouissant tout de même, lorsque, pour ainsi dire, il craque de
vernis parisien.
Qu'y a-l-il notamment dans la Princesse Georges? Il y a une
poursuite fiévreuse de jouissance, qui passe à travers tout, piéti-
nant tout sans scrupule el sans remords, qui ne trouve pour lui
résister qu'une jeune femme énergique el fière, d'avance vaincue
el ne s'arrêle brisée que devant le coup de pistolet de la fin. La
résistance est figurée par Séverine, la princesse Georges, la fureur
du vice par M™* de Terremonde. Alors ces deux physionomies
d'avant-plan doivent se détacher sur son fond mouvementé,
distingué, chatoyant, qui doit vous présenter l'image fugitive de la
haute société française.
Or," qu'avait M. Alhaiza pour affronter de pareilles difficultés?
Une débutante d'un très beau tempérament et d'un avenir certain,
jime Archaimbaud-de Méric, mais encore trop nouvelle à la scène
pour incarner un rôle aussi tourmenté, mais aussi travaillé que
celui de Séverine. Puis, pour M"« de Terremonde, une artiste
correcte et sérieuse, mais absolument le contraire de ce qu'on
imagine pour celle Sylvanie de Terremonde qui croque les
millions comme des noisettes el qui a réussi à rendre amoureux
fou d'elle son mari lui-même qu'elle ruine comme les autres.
El pour les rôles secondaires, car tout le reste est secondaire,
des artistes dont presque aucun n'est sans qualités, mais aucun
n'a les qualités de dislinclion en dehors et à remporlc-piôce
qu'il a fallu à ces personnages' de M. Dumas. Le troisième
acte figure une conversation de salon, d'un de ces salons
de l'imaginalion de M. Dumas, où tout le monde est spirituel
et dit des choses hardies et siirprenanios.
Au Parc, on voit h" ce troisième acte de fort jolies femmes, ce
qui est un bien, mais comme elles disent mal, avec crainte et
embarras, ces choses qui ne valent que par la façon dont elles
sont lancées! El toute la pièce est dans ce goût- là. Tout est éteint
et terne, et comme notre public lui-mime est terne, cela en devient
lugubre. La même troupe, dans une pièce suivant ses moyens, si
elle pouvait s'y dépenser librement, ferait peul-ôtre vivant cl mou-
vementé. Mais c'est au directeur à savoir trouver ce qu'il faut à
son monde, du côlé de la'scène comme du côté du public. Peut-
être Augier conviendrait, mais Dumas, non.
Disons cependaj^que dans ce milieu un peu morne une jeune
femme qui pouroges débuts a fait une impression vive, es'
M"'^ Archaimbaûd. Êîfc a la passion, le mouvement, le geste, la
note presque toujours jjusle, une allure de liberté cl de force,
quelque chose de profond et qui frappe et remue, un des plus
beaux tempéraments d'artiste dramatique que dépuis longtemps
nous ayons vus à la scène. Mais la Princesse Georges est encore
trop compliqué et trop savant pour elle. C'est un tort de ne pas lui
avoir donné pour paraître d'abord un rôle mieux à sa taille, mai®
h moment viendra où elle les -abordera tous et victorieusement.
l,a^«
A LA MAISON DU PEUPLE
La^« Section d'Art et d'Enseignement populaire » de la Maison
du Peuple a donné tnardi dernier, i" novembre, sa soirée inau-
gurale.
Nous avons signalé déjà le haut intérêt de celte entreprise :
provoquer l'expansion du sentiment artiste que le peuple porte
en soi, jeter dans la dépression de sa vie, monotone enfilée de
jours lamentablement identiques, une consolante lueur, préparer,
en même temps que son inévitable affranchissement matériel, son
élévation morale, — celte œuvre s'imposail.
L'art est aristocratique, a-t-on dit, el la masse y est réfrac-
laire. v
Qu'on y aille voir! L'auditoire est respectueux, attentif, visi-
blement reconnaissant des efforts qu'on lui consacre, spontané
dans ses enthousiasmes, expression naïve du sentiment inconnu
que l'art a fait éclore, el, surtout, étonnamment compréhensif^
La soirée de mardi ne pouvait manquer de brillamment réussir.
Dans une fort intéressante conférence, M. Jules Désirée s'est
attaché à montrer l'originalité de la littérature russe empreinte
de rêverie, de pitié, peignant les hommes non point exclusi-
vement dans leur note dominante, ainsi que le fait le roman fran-
çais, mais procédant par une accumulation minutieuse et
patiente d'indices pris dans les multiples manifestations du carac-
tère tout entier. Puis, après quelques mots des légendes popu-
laires russes, malheureureusement peu connues, l'orateur a
parlé de Gogol, de Tourgueneff, de Dosloïevvsky et de Tolstoï,
définissant leur œuvre en termes excellents.
Cette conférence, pleine d'aperçus d'une observation péné-
trante, a vivement intéressé.
La partie musicale de la soirée^ était consacrée uniquement
à des œuvres russes, interprétées par l'excellent qualu'or Crik--
boom, Angcnot, Koforet Gillet, par M'"' L. Van lloof et M Litia,
le pianiste de talent qu'on a pu apprécier aux derniers concerts
dos XX
Le quatuor a supérieurement exécuté un délicieux Andnntino
de Kopylow et dos extraits de la Suite (op. 1.^) de Glazounow.
M"" L. Van lloof, qui au charme de sa jolie voix joint toutes les
séductions de sa grûce, a chanté avec un style délicat diverses
mélodies de Tschaïkowsky, et donné à la Méditation du labou-
reur de Kopylow une interprétation particulièrement lii>ureusc.
Enfin, M. Litta, secondé par M. La Fontaine, a joué le Concerto
pour piano el orchestre de Rimsky-Korsakow avec un sortiment
très artiste el une remarquable virtuosité.
En résumé,' cette soirée, qui forme le début de beaucoup
d'autres annoncées pour cet hiver, a parfaitement réussi et l'on
ne saurait assez féliciter les organisateurs de l'œuvre qu'ils ont
entreprise el remercier les artistes exécutants de leur concours
dévoué et gracieux.
pIBLlOQRAPHlE MUSICALE
Cours préparatoire de violoncelle, par Alfred Massau,
professeur à l'Ecole de musique de Yorviers. — Bruxelles, Schott
frères, et Leipzig, 0. Juniié.
L'excellent professeur Alfred Massau, qui a formé lanide vii
luoscs parmi lesquels M.' Gérardy, vient de publier une méthode
de violoncelle qui esl bien la plus rationnelle et la plus complète
qui ait élé composée. Comme l'écrivait à l'auieur M. Emile Roitz,
K seule une affection profonde pour le violoncelle a pu engager
M. Massau à.accomplir cet ouvrage de semblable façon ». Adopté,
dès son apparition, par les conservatoires de Bruxelles, de Liège,
de Gand, parles écoles de ipiisique d'Anvers et de Verviers, loué
sans rcstriciion par les maîtres du violoncelle : MM. Jul'js Delsart,
Edouard Jacobs, Jules De Swert, Alfred Piatti, Alwin Schroe-
der, etc., le Cours préparatoire de M. Alfred Massau apportera
dans l'enseignement un précieux appoint. Les difficultés méca-
niques sont si clairement exposées, avec le moyen de les vaincre,
que les élèves sont insensiblement amenés à la connaissance par-
faite du manche, à l'indépendance du doigté, au maniement aisé
de l'archet. Chacune des parties dont se compose l'ouvrage :
Mécanisme de l'archet; Mécanisme delà main gauche,- Etude
développée des gammes diatoniques; Etude développée des gammes
chromatiques, révèle, en même temps que la compétence du vio-
loncelliste, l'expérience du professeur el son désir de faciliter aux
élèves l'élude graduelle de rinstrument., ,
Petite chroj^ique
Les exigences de la mise en pages nous obligent à différer de
huit jours la publication d'une lettre fort intéressante que nous
avons' reçue de M. Léon De Lantsheere sur l'Art et les Sémites,
en réponse à notre article du 16 octobre.
Demain lundi, 7 novembre, à 2 heures, s'ouvrira au Musée
moderne, place du Musée, une exposition des œuvres de feu
Camille Van Camp, organisée par ses amis el qui a eu pour inspi-
rateur le culte de cet artiste qui fut l'un des plus énergiques sou-
tiens de l'art neuf.
On se souvient que c'est lui qui fonda l'Art libre, ce groupe qui
■ f -y'^:%:-irnfy-^'\ ^^'Y s^^'m^W:'^W?il^W^^^
L'ART MODERNE
359
fui l'aniicipalion du mouvomcnl qui depuis se réalisa si complè-
lemenl dans les XX.
Camille Van Camp n'élailpas un arlisle de premier ordre, si on
le juge par ses œuvres et par sa main, mais par ses idées, sa foi,
son opiniâtreté, il élail l'égal des plus hardis cl de ceux qui furent
les plus salutaires.
Lorsque l'art eut le malheur de le perdre, nous avons dans l'Art
moderne, 1891, p. 374, résumé sa belle et vaillante vie.
11 sera curieux de revoir dans son ensemble son œuvre artis-
tique sérieuse et qui ne fut jamais tapageuse.
hc Salon Pour l'Art s'ouvrira au Musée moderne samedi
) prochain. '
Aussitôt après sa clôture, fixée au 4 décembre, et par suite de
l'arrangement conclu entre les divers Cercles artistiques de
Bruxelles, la Société des Aquarellistes ouvrira son exposition
annuelle, qui durera jusqu'au commencement de janvier, pour
faire place au Voonvaarts. I^es XX ouvriront leur Salon comme
de coutume, au début de février. Les Femmes peintres leur suc-
céderont en mars. Le Cercle Als ik kan (Anvers-Bruxelles) a
choisi le mois d'avril. En mai aura lieu l'exposition internationale
de journaux anciens et modernes organisée par Y Association de
la Presse périodique belge et le Cercle des collectionneurs de
journaux.
Voici la liste des artistes qui prendront part à l'exposition
de Pour l'Art : MM. Braeke, .M. Chabas, Ciamberlani,
Coppens, Dardenne, Delvillc, J. Dierickx, 0. Dierickx, Fabry,
C. Filiger, Fichefet, Hamesse, Hannotiau, Hérain, Jacque, Jelley,
M""^ Lacroix, MM. Lacroix, Lynen, Niederhauser, A. Rodin, Rops,
Rousseau, M.-C. Schwabe, A. Séon, Thys, A. Trachsel, J. Ver-
kade, Viandier. L'exposition restera ouverte durant un mois pen-
dant lequel auront lieu des conférences, Ony entendra M. Joséphin
Peladan et M"^ Eugénie Meuris, du Théâtre libre. D'autres mati-
nées seront prochainement annoncées.
HENR^DE Groux expose, à Londres, le Christ aux outrages (de
la caihédrale de, Senlis) et une autre version du même tableau
exécutée dernièrement. Le premier sera gravé par les soins de la
maison Hollânder et Cumotli qui a pris à sa charge les frais de la
gravure comme ceux de l'exposition. '
Il expose aussi la Tribu errante (ou Tribu prophétique), son
dernier tableau,, les Emigrants, d'après l'Amiral d'Edmond
Picard, et quelques études pour de prochains tableaux.
Plusieurs journaux anglais ont déjà annoncé cette exposition de
façon très favorable.
Le Cercle artistique brugeois, présidé par M. G. Clacys, ouvrira
le 4 décembre prochain son XV» Salon, exclusivement réservé
aux artistes invités. Le dernier délai de réception est le 30 novem-
bre. S'adresser àM. Ch. De Wulf, architecte, à Bruges.
Le compositeur Robert Franz, dont les lieder sont populaires en
Allemagne, vient de mourir à Halle, sa ville natale. Né en 1815,
Robert Franz avait d'abord travaillé la musique à Dessau, sous la
direction de Pr. Schneider, puis il se rendit à Leipzig, où il fut
accueilli très chaleureusement par Schumann qui consacra des
articles très élogieux à ses premiers essais dans la composition.
Malheureusement, Robert Franz, assailli jeune encore par une
maladie nerveuse, n'a pas tenu tout ce qu'il promettait. Il a, il est
vrai, donné une quantité de romances (275 an moins), dont
quelques-unes approchent, si elles n'égalent les lieder de Schu-
mann et de Schubert, mais là s'est bornée sa production origi-
nale. 11 a donné aussi d'excellentes éditions d'oralorios de Hsendei
et de Bach, dont il modernisa l'orchestration à l'usage des
grandes sociétés chorales et orchestrales actuelles.
Comme homme et comme artiste, Robert Franz jouissait en
Allemagne de la plus haute considération. Il y a une vingtaine
d'années, Liszt et Joachim organisèrent des concerts pour lui
assurer une petite rente pour ses vieux jours. Le capital réuni de
la sorte s'éleva à plus de 100,000 francs. Cela dit assez en quelle
estime Robert Franz était tenu par ses pairs.
M™" G. Van Slrydonck(au théâtre Madeleine Max) s'est embarquée
le 29 octobre à Anvers avec sa fille en destination des Indes
anglaises, où elle va rejoindre son mari, le peintre Van Strydonck,
installé à Madras où le retiennent d'importantes commandes.
M""' Madeleine Max a obtenu de la direction du Théâtre du Parc
un congé d'un an,
Après les affiches, les prospectus. Chérel et Lautrec ont fait
vibrer la note d'art aux murs, et l'art s'éjouit des multicolores
feux d'artifice tirés dans les rues par ces maîtres pyrolechniciens.
Voici que la banale circulaire, le traditionnel « retour de Paris »
ou « retour de Londres » s'adorne d'une imagerie artistique. Un
marchand de fourrures nous annonce ses pelisses de loutre et
d'astrakan sur un prospectus encadré de jolis dessins à la plume,
artistiquement disposés, et témoignant du désir d'échapper aux
horreurs de la lithographie habituelle. On collectionnera quelque
jour les prospectus comme on collectionne les affiches et les
menus, et les artistes, et les marchands, et le goût publie s'en
trouveront bien.
Nous attirons l'attention de nos lecteurs sur la vente des cabi-
nets numismaliques de MM.de Cislernes et W. Heisinger qui aura
lieu à Amsterdam, sous la direction de M.Schulman,d'Amersfoorl,
les 7, 8 et 9 novembre. Ces collections de jetons historiques, de
médailles, de méreaux.dp monnaies, de livres numismaliques, etc.,
comptent parmi les plus riches et les plus complètes. Nombre de
pièces intéressent les amateurs belges : notamment le jeton inédit
et unique der Walbovirg de Neuenàr, comtesse.de Bornes, frappé
après le supplice du comte de Homes, en 1568, plusieurs jetons
en argent de Philippe II, les bustes d'Albert et d'Isabelle, des
jetons relatifs aux familles de Bréderode, d'Arenberg, de Croy,etc.
Au total : 1621 numéros.
Pour paraître dans huit jours : Contes hétéroclites, par
M. Henri Carton de Wiart, avec un frontispice de M. Georges
Lemmen.
Le prochain livre de M. Edm. de Concourt aura pour titre :
Etudes d'art.
Il comprendra de très intéressants et de très curieux chapitres
sur l'art français du milieu du siècle. Ce volume, illustré par les
frères de Goncourt eux-mêmes, sera précédé d'une préface de
M. Roger Marx.
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Du 7 au 9 novembre courant, aura lieu la vente d'une collection
remarquable de Jetons et Médailles historiques, Monnaies et
Livres de Numismatique (Collections de M. deCisteknes db Veilles,
à Paris, et de M. Wilhelm Heisinobr, à DUsseldorf.
Expert : J. Schulman (d'Amersfoort). — Salle de vente, Doelen-
straat, 10, à Amsterdam.
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de la vente à 6 1/2 heures du soir.
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Dimanche 13 Novembre 1802.
A
MODERNr
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
*
Comité de rédaction i Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Unîbn postale, fr. 13.00. —ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser toutes ^-l^ communications à
l'administration générale de TArt Moderne, rue de l'Industrie, 32, Bruxelles.
Sommaire
Le Discours du Trône. — Camille Van Camp. — « L'Indépendance
BELOE » ET NOS ÉCRIVAINS. — L' ArT ET LES SÉMITES. — LeS PiÈCES A
SUCCÈS. — Chronique judiciaire des Arts. — Expositions ouvertes.
— Petite chronique.
lE DISCOURS M TRONE
Dans la prudente prose, toute pâle, toute diplomatique,
toute cérémonieuse du discours du Trône prononcé
mardi der»ier, nous trouvons cette phrase :
« Parmi les intérêts qui commandent notre sollicitude
à tous, il n'en est pas de plus importât que le dévelop-
pement intellectuel de la nation. C'est pàiLune diffusion
de plus en plus grande de l'instruction, c'est par l'éclat
des lettres et des arts que les Etats secondaires doivent
s'attacher à grandir leur rôle. »
C'est la première fois que « l'éclat des lettres » est
mis en si pleine lumière dans un discours royal. Jus-
qu'ici la littérature avait toujours été considérée, en
Belgique, comme le passe-temps aimable de quelques
professeurs qui « consacraient leurs loisirs aux muses »
ou comme l'apanage de quelques fonctionnaires qui
entassaient, moyennant subsides, dans les greniers minis-
tériels, quelques vagues publications, interminables,
relatives aux duchés et aux comtés qui se sont jadis
partagé la Belgique. C'était pa la Littérature!
Aujourd'hui les oies sont chassées du Capitole de la
bêtise belge. Il s'en rencontre bien encore une, par-ci,
par-là, évoluant sur quelque vivier départemental, mais
le gros de la bande, la totalité dont nos voisins enten-
daient les cris, a été mise en déroute sous des triques
vigoureuses nouvel-venues. Au-dessus de nos terres,
des cyjgnes ont pris leur envol, maintenant, et à
l'embourgeoisement plat de naguère a succédé une
étonnantê~^ériode de poésie et de haut lyrisme.
Il est inutile de répéter ici — où nous avons no^
hebdomadairement ces succès — combien cette éclosic
récente a été admirée dans le monde des lettres de toi^ts
pays.
L'Europe littéraire a. consacré plusieurs de nos
écrivains et de jour en jour on sent qu'un peu plus de
gfoire arrive à ces « jeunes » dont les premiers combats»
dans la veule tourbe qui prétendait tenir les rênes de
l'intelligence belge, ont été couverts par les sarcasmes
d'une imbécillité officielle notoire. Mais comparez donc,
à cette heure, le retentissement qu'eurent les œuvres
« Van CoppernoUisantes ", accueillies avec un fin sou-
rire d'ironie par le lettré français qui rencontrait par
hasard de ces produits, comparez, dis-je, l'accueil fait à
cette littérature épicière à la renommée que réserve
maintenant l'étranger aux Lemonnier, aux Maeterlinck,
aux Eekhoud et à bien d'autres ! Souvenez-vous des
termes dans lesquels on parlait des Belges il y a dix ans et
relisez les articles actuels d'un Octave Mirbeau ou d'un
François de Nion sur les mêmes sujets. Vous saisirez
alors la profondeur de la phrase royale : « C'est par
l'éclat des lettres et des arts que les États secondaires
doivent s'attacher à grandir leur rôle. »
Cette phrase, c'est une promesse et nous la rappelle-
rons encore à M. de Burlet. Nous attirons derechef
toute son attention sur le mouvement littéraire belge,
ce mouvement intense qui vaut à notre pays de rentrer,
intellectuellement, dans l'estime des autres nations.
Nous lui disons : « N'écoutez pas les conseils des cancres
haineux, des budgétivores intéressés, des intrigants
sournois qui parviendraient à se glisser dans votre
entourage et tenteraient de capter votre confiance. Il
appartient à un Ministre de dominer hautement ses
bureaux : c'est à lui de donner l'impulsion et d'indiquer
la route par où les fonctionnaires ont à se diriger.
Si vous avez des renseignements ou des conseils à
prendre au sujet du rôle de l'Etat en matière de Lettres,
adressez-vous directement aux lettrés qui marquent
dans le pays. Consultez la véritable opinion littéraire ;
enquérez-vous des noms littéraires belges connus et
appréciés à l'étranger. Ne vous inquiétez pas des criail-
leries des médiocres, dont vous pourriez bousculer les
opinions étroites ou les intérêts de situation. Allez de
l'avant!
Vous avez un beau rôle à jouer! Voyez ce que fait
votre collègue, au ministère delà Justice! Il a compris
qu'être ministre ce n'était pas se laisser aller à fonc-
tionner dans un rouage depuis longtemps établi. Il opère
des réformes, de nobles réformes sociales, et avec quelle
crânerie! Il ne craint pas, lui, de jeter à terre de vieilles
traditions, il ne redoute pas de froisser les méthodes
surannées d'un magistrat de vieille école ou d'un fonc-
tionnaire encroûté. Il remue profondément la matière
juridique qu'il inonde de jours nouveaux. Mais pour
cette besogne, dont l'accomplissement complet fera de
lui un grand noinistre, — on le reconnaîtra un jour quand
se seront tu les criàilleries d'une presse qui aveugle
le pays, — il va à des hommes nouveaux, dont il prend
les conseils, ^1 est aux écoutes des derniers mots de la
science, il établira des institutions pénales que les
autres nations (et cette imitation commence) copieront.
Agissez comme lui I Adoptez un but, un but élevé que
vous atteindrez au cours de votre Ministère et qui lafe-
sera une trace glorieuse de votre passage dans les hôtels
-de la rue de la Loi. Faites-vous le protecteur éclairé de
cette jeunesse artiste qui promet de si belles destinées
aux lettres belges. Voyez quels obstacles il y a à ôter de
sa marche. Enquérez-vous de ses désirs. Et réformez !.
Réfor«î^! La matière est noble et délicate. On ne pro-
tège pas l'esprit et la poésie d'un pays comme on encou-
rage son agriculture ou son industrie. Mais, croyez le
bien, il y a de grandes choses à accomplir. Car en sui-
vant ces idées jeunes, en vous inspirant de ces enthou-
siasmes et en accueillant ces projets tout généreux,
d'ailleurs, et palpitants d'art, de vie et de bataille, vous
aiderez à faire de la petite Belgique un centre intellec-
tuel, un foyer rayonnant qu'on saura respecter aux
moments sinistres des conflits et à l'heure trouble des
conflagrations. » '
CAMILLE VAN CAMP
Avec une vive émotion nous avons revu l'œuvre — actuelle-
ment exposée au Musée moderne — de ce probe artiste :
Camille Van Camp, qui jusqu'à la fin de sa vie s'acharna à
découvrir des voies nouvelles, l'esprit toujours en éveil, les yeux
inquiets, mécontent du travail accompli, plein d'espoir et d'enthou-
siasme pour la tâche à venir.
Cette recherche continuelle d'un rajeunissement fut la caracté-
ristique de son art. Par elle, Camille Van Camp s'est élevé au
rang des artistes qui marquent. Il fut au nombre des novateurs
et des hardis. Il procFâma l'indépendance et prêcha ouvertement
la croisade contre les routines à l'époque, — déjà lointaine! -^ où
l'insurrection était périlleuse, où tout soldat de l'armée artistique
qui sortait des rangs était jugé et exécuté avec toute la sévérité
des cours martiales.
A ceux qui, venus longtemps après les bagarres de VArt
libre, ignorent la part glorieuse que Van Camp prit à la levée
de piques qui précéda celle des XX el en fut le prélude, nous
rappelons le rôle joué par le peintre. On sait que jusqu'à la fin
de sa carrière il garda pour les luttes de la génération montante
l'intérêt du grenadier de la garde pour les recrues. C'était à lui
qu'on s'adressait chaque fois qu'une injustice trop criante avait
été faite par quelque malfaisant jury. Les jeunes le choisissaient
pour les défendre dans les commissions de placement, dans les
comités d'achat: et toujours il bataillait, aimant la lutte^ur elle-
même, pour la satisfaction morale qu'elle procure au|x esprits bien
trempés, et non pour le résultat qu'elle amène^--^ ce qui est la
vraie manière d'en goûter la saveur. (Essayez donc, vous autres,
les endormis et les indifférents !)
Les deux salles du Musée ^ù l'œil "scrute, pour la première
fois, toute la vie intime de l'artiste, où quarante années de tra-
vair, d'études, de recommencements el d'efforts se déroulent en
un panorama d'une variété rare, décèlent ce tempérament cher-
cheur, épris de neuf, toujours à l'affût du progrès à réaliser.
Aux toiles qui donnèrent à sa prime jeunesse un soudain relief:
le portrait de M. le conseiller Van Camp, père de l'artiste, celui
de M™^ Couteaux mère ; à celles où l'influence de Louis Gallait
se faisait nettement sentir : le portrait de M. Vergote, îe portrait
de M"" Van Camp mère, -^ succèdent des œuvres d'une facture
plus libre, d'une conception plus originale : otf sent la ferme
volonté d'échapper aux traditions dans ce beau portrait de M. le
premier président de Gerlache, d'une vie si intense et d'une
allure en si parfaite harmonie avec la haute situation du modèle
et son caractère physique et moral. Puis encore : les portraits de
M"» Montefiore, de M™^ Gislain, de M'"^ de Harven, de Louis De
Fré, de M. Henri Olin, pour. chacun desquels il trouve la pose,
la mise en pages, l'expression qui conviennent exactement au
modèle. Ces portraits sont déjà entrés dans le passé : les costumes
masculins, les crinolines, les chapeaux portent lo^ millésime. Et
^ F
^:>''--^Wyi^
pourtant rien ne choque : on ne pourrait y relever une faute de
goût.
A la fin de sa vie, il avait acquis une sorte de maîtrise : ie
second portrait d'.' sa mère, le portrait d'enfant qu'il exécuta en
une seule séance, ie portrait du docteur L<?quime en témoignent.
Parmi toutes ces toiles s'intercalent des œuvres diverses, des
paysages, des tableaux 4e genre, des sujets de fantaisie, auxquels
s'essaie, avec plus ou moins de bonheur, la main toujours impa-
tiente de l'artiste. Tel coin de nature s'illumine, en un hallier que
la neige ouate, de l'or fauve du soleil couchant, exactement noté.
Telle scène rustique nous apparaît : romance, en sa naïve senti»
nientalité.
L'élégance d'un profil féminin, raristocratie d'une souple sil-
houette impressionnent l'ai^iste, qui peu à peu dégage de ses
multiples éludes une synlHeS^e de femme qui demeure quelque
temps la marque distinctive de sa production. A l'aquarelle, à
l'huile, au crayon, il la fixe çn diverses attitudes, se bornant sou-
vent aune esquisse vivement tracée, allant parfois jusqu'au bout
âe l'œuvre qu'il termine amoureusement, câlinement.
Mais ce qui séduit le peintre, ce qui l'attire invinciblement, c'iest
la peinture d'histoire, la seule qui lui paraisse vraiment digne
d'enflammer son ardeur (thèse de plus eiTplus contestable).
L'œuvre la plus importante qu'il produisit à cet égard est la Mort
de Marie de Bourgogne, qai figure au Musée moderne et dontune
esquisse est présentehaent exposée. Ce fut ensuite l'œuvre des
dernières années, celle dans laquelle il s'absorba complètement et
dont l'exécution lui imposa un labeur énorme et un effort de
volonté considérable : nous parlons de la vaste composition des-
tinée à perpétuer le souvenir du 16 avril 1880, et dans laquelle il
groupa, en un pittoresque assemblage, une foule de personnages
officiels, de notabilités choisies dans l'armée, dans la magistra-
ture, dans les arts.
Nous avons dit en son temps les qualités et les défauts de cette
grande toile. Nous ne nous y arrêterons plus aujourd'hui. Con-
statons toutefois que dans les conditions où elle est présentée,
avec le recul que permet la salle où elle est exposée, elle fait, dans
son ensemble, une impression très supérieure à celle qu'on
éprouva jadis à la contempler. Telles parties de l'œuvre : les dra-
peaux d'ommeganck claquant au vent, le cortège ascendant les
marches du^ Palais de l'exposition, le portique du fond, etc. sont,
la patine ayant déjà émaillé les pâtes, de beaux morceaux dé
couleur, d'une harmonie gaie dans son bariolage de tons écla-
tants. Peut-êtr|^ l'Etat ferait-il bien d'acquérir pour le Musée des
Arts décoratifs ce tableau qui a tout au moins, abstraction faite
de son mérite artistique, un précieux intérêt documentaire.
Le souvenir qui reste d'une visite à l'exposition Van Camp?
L'impression attendrie d'un artiste à la vision délicate, aux goûts
élevés, aux formes pures, voilé de la mélancolie d'un effort brisé
avant le complet aboutissement.
« L'INDÉPENDANCE BELGE » ET NOS ÉCRIVAINS
Notre numéro du 30 octobre dernier signalait, avec félictlaiions,
la résolution annoncée par l'Indépendance belge, de faire une place
à nos écrivains nationaux dans son supplément littéraire.
A deux reprises déjà cela s'est réalisé, mais dans des conditions
qui suscitent dès défiances.
Sous le litre annoncé, Flandre et Wallonie, apparaissent en
un feuilleton relégué au bout du susdit supplément, en fragments
parcimonieux, de la prose ou des vers belges, alors que la pre-
mière page et tout le dessus de la seconde sont remplies de
machines quelconques, copieusement étalées, empruntées aux
varia les moins qualifiés de la littérature étrangère.
Ce n'est pas ainsi que le groupe littéraire de nos prosateurs et
de nos poètes l'avait compris et l'entend. Cette aumône ne lui va
pas et, à un point de vue plus élevé, elle n'est en aucune façon
de nature à relever notre mouvement artistique en montrant sa
grâce, sa force et son abondance. On y met nos écrivains au bas
bout de la table, on les traite en intrus admis par surcroît. Cela
n'est ni loyal, ni digne, ni acceptable.
De là vient le soupçon que le syndicat de gens si longtemps
hostiles qui manœuvrent à l'Indépendance pourrait bien avoir une
autre préoccupation que de servir noire littérature. Ils ont été fré-
quemment et violemment attaqués pour la criante partialité avec
laquelle ils traitaient celle-ci. Ils ont compris qu'ils ne pouvaient
décemment se taire davantage, alors qu'à l'étranger tout journal
qui se respecte parle de nos écrivains souvent et avec éloges. La
tactique de ce journal ne serait-elle pas de se procurer une assu-
rance contre les attaques futures et de s'écrier un beau jour :
« Comment, je ne fais rien pour les Belges? Mais je leur ai con-
sacré dix, vingt feuilletons dans mon supplément littéraire! Seu-
lement, ca n'a servi à rien. Personne n'a fait attention à leurs
œuvres »;
Nous tenons, quant à nous, à donner date à la présente protes-
tation, en signalant le caractère maladroit ou trop malin de celte
apparente bienveillance. Il doit éire compris que nous ne met-
trons ce journal à allures mal définies parmi ceux qu'on peut louer
sans crainte et à qui l'on peut pardonner son mauvais vouloir
invétéré, que le jour où, .franchement, ouvertement et sans mar-
chander, il fera amende honorable. M. Harry, qui y a pris la place
de M. Tardieu, est homme à comprendre ces réserves et ces désirs
et à se dégager de ces équivoques fâcheuses.
L'ART ET LES SÉMITES
Nos lecteurs prendront, connaissance avec plaisir et curiosité,
nous n'en doutons pas, de l'intéressante lettre suivante. II est peu
de sujets qui soulèvent des questions aussi profondes et d'une
plus grande influence sur la science et sur l'art. Nous l'examine-
rons dans notre prochain numéro.
Mon cher et honoré Confrère,
J'ai lu dans l'Art moderne du 16 octobre l'article intitulé
L'Art et les Sén^ites.
Je veux vous remercier, avant tout, des éloges — non mérités
certes — que vous voulez bien décerner à l'article sur Renan paru
dans l'Avenir social et à son auteur.
Mais nous ne serons jamais d'accord, je le crains, en ce qui
concerne l'art et la religion des Sémites.
Veuillez croire que mes convictions catholiques n'ont pas la
moindre influence sur mes appréciations en celte matière. La
qualité de peuple choisi, que nous attribuons avec l'Eglise aux
Israélites, n'implique en rien la tendance à magnifier ni le sémi-
tisme en général, ni les Israélites en particulier. C'est, d'après
l'Ecriture, pour arracher les Térachites à la corruption et à l'ido-
lâtrie des Sémites, qui les environnaient, que Dieu prescrit à
Abraham de quitter la Mésopotamie. La race élue, de son côté, ne
■-»Ï^R
se maintient dans la voie qui lui esltracée qu'au milieu des plus
inconcevables prévarications et moyennant leschâliments les plus
énergiques. Je ne pense pas qu'il y ait dans tout cela rien qui
doive nous porter à exalter les qualités naturelles de l'esprit sémi-
tique. Ce que nous admirons, c'est le secours surnaturel de la
Providence.
De mon côté — permettez-moi cette pensée — je crains qu'en
celle matière une idée a priori ne guide vos déductions. Vous
parlez d'une conception du sémiiisme et de l'aryanisme, qui n'est
pas, à mon avis, appuyée sur les faits, et vous concluez — a pri-
ori toujours — que tels peuples sont Sémites ou Aryens, suivant
qu'ils possèdent ou non les caractères que vous attribuez à ces
deux races.
La science n'est pas assez avancée pour permettre de tels rai-
sonnements. Elle ne le sera jamais assez probablement. En tous
cas, quand nous saurons avec précision quelles sont les concep-
tions, les qualités et les tares originaires de chaque peuple sémi-
tique en particulier, alors seulement nous pourrons essayer de
nous former une idée de ce qu'est le Sémite en général. Pour arri-
ver à cela, nous devons commencer par étudier de près et minu-
tieusement, depuis la haute antiquité, la civilisation de tous les
peuples qui sont sémitiques. Dieu sait combien d'années ce travail
préliminaire prendra à la science! Mais exclure, dès l'abord, de
cette élude certaines populations, sous prétexte qu'elles ne peu-
vent pas être sémitiques, c'est préjuger le résultat cherclié et
faire, si je ne me trompe, un cercle vicieux.
Or, voilà précisément ce que je reproche à votre observation
concernant les Assyriens. «Ils n'étaient pas monothéistes, ils
avaient un art très développé », ai-je affirmé. « Donc ils ne peuvent
être des Sémites », concluez-vous, et vous insinuez qu'ils pour-
raient bien être mélangés d'Aryens : « L'Assyrie, dites-vous, était
un pays de mélange, très près des pays d'origine de l'Aryaiiisme,
très mêlé comme population, très obscur encore aujourd'hui sur
les artisans de son art ».
Il n'en est rien. S'il y a au monde un pays peu mélangé, c'est bien
l'Assyrie ancienne. Déjà en Babylonie, nous connaissons des rois
sémitiques dont le règne remonte authentiquement au xxxvin^ siè-
cle avant notre ère, Sargon l'Ancien notamment, et son fils Naram-
Sin (3750 avant J.-C). En Assyrie, dès que l'histoire s'ouvre
{xa* siècle avanl J.-C), nous trouvons des rois sémitiques, un
peuple sémitique, sans aucune trace d'un mélange quelconque.
Jamais la continuité ethnographique ne parait avoir été inter-
rompue, j^
Les peuples avoisinants, Alarodiens, Mitaniens, Kosséens, Ela-
miles, Araméens, Babyloniens, Hittites, etc., n'étaienl certes pas
des Aryens, et d'ailleurs ils sont pour la plupart tributaires de
l'Assyrie au point de vue de l'art : Les Assyriens ne leur ont pas
' emprunté grand'chose, sauf peut-être aux Babyloniens, chez qui
l'élément sémitique domine d'ailleurs depuis la plus haute anti-
quité. C'est vers le ix' siècle seulement que Salmanassar II entra
pour la première fois en contact avec les Mèdes aryens, dans une
campagne lointaine. A celte époque l'art assyrien élail déjà formé,
original ; depuis celte époque, il continue son développement
propre, sans trace d'influence étrangère.
Quant à admettre que « l'Assyrie était près des pays d'origine
de l'Aryanisme », que vont dire les partisans, lous_les jours plus
nombreux, de l'origine européenne et même Scandinave des Aryas?
Et ceux qui croienL à leur origine asiatique, comme moi, n'ont
jamais imaginé que leur berceau fut proche de l'Assyrie.
Ce que nous constatons dans bien des cas, au surplus, c'est
que l'art des Aryens se forme sous l'influence sémitique. Pour
n'en citer qu'un exemple (ce n'esl pas une précaution oratoire ;
j'en pourrais citer, d'autres), l'art des Archéménides ne se rat-
lache-t-il pai directement à l'art assyro-babylonien ? Ne sonl-ce
pas les Assyriens notamment qui ont trouvé le secret d'émailler
les briques et de les employer d'une manière très artistique et
très originale dans les constructions ? Les Perses n'ont fait
qu'imiter le procédé des Assyriens et les Turcs en ont hérité des
Persans.
Il ne saurait donc être question, à propos de l'art assyrien,
d'une race mieux douée que les Sémites qui aurait travaillé pour
eux.
' De même la religion. Le polythéisme des Assyriens est aussi
ancien qu'eux-mêmes : rien ne permet d'affirmer qu'il ne soit
pas original. El les Arabes, avanl l'Islam, n'élaienl-ils polythéistes
à l'excès? C'est Mahomet qui instaura le monothéisme en Arabie,
très probablement sous l'influence des idées chrétiennes. Le jour
où il prit la Mecque, il détruisit trois cent soixante idoles qui
ornaient la Kaaba.
Les Arabes nomades n'ont pas d'art, dites-vous. — Parce qu'ils
sont nomades. Sont-ils nomades parce qu'ils sonl Sémites? Qu'on
m'explique alors pourquoi tant d'autres peuples sémitiques furent
sédentaires, pourquoi des peuples aryens sont nomades?
Que des choses à dire encore ! Une seulement, qui vous inléres-'
sera. Le droit, dans ses conceptions les plus raffinées, était
parvenu à un degré fort élevé de perfection en Assyrie et en
Babylonie. Nous possédons des milliers de documents juridiques,
en caractères cunéiformes, qui fournissent les renseignements les
plus précieux sur la vie juridique "au vn* siècle avanl notre ère
et bien avanl ce temps. Notez que ce droit n'est pas du tout celui
d'un peuple barbare ou nomade.
El pourtant, l'Assyrie fut certainement un pays sémitique, moins
mélangé que nos pays aryens !
La vérité est, qu'en dehors de la race, une foule de facteurs
déterminent l'évolulion d'un peuple : sol, climat, voisinage,
influence de personnalités supérieures, etc. Si les Arabes sont
nomades (les habitants de l'Arabie ne le sont pas tous d'ailleurs,
et ne le furent pas toujours; mais ceci serait trop long à dévelop-
per), cela lient en grand partie à la configuration et au climat de
leurpays.lls sonl monothéistes à cause de Mahomet; ils n'onl pas
d'art plastique à raison des défenses de la loi Religieuse.
Et si les Sémites en général paraissent aujourd'hui arriérés,
cherchez du côté du Coran, vous trouverez la solution du pro-
blème. Les Turcs, non Sémites cependant, présentent' les mêmes
symptômes.
Direz-vous que le Coran n'aurait pu s'imposer aux Sémites s'il
n'avait reflété exactement l'esprit sémitique? Comment s'est-il
imposé alors à une foule de peuples non. sémitiques et même à
des peuples aiyens? Comment a-t-il pu remplacer chez les Sémites
eux-mêmes des conceptions religieuses antérieures, profondément
différentes de l'islamisme? Comment se fait-il, d'autre part, que de
nombreuses populations sémitiques ont accepté et professé le
christianisme?
Ces problèmes sont trop compliqués pour être résolus par une
théorie aussi simpliste que celle des races, aussi raide que celle
de l'évolution.
Me pardonnez-vous ces observations si sommaires et déjà si
longues? Croyez bien que c'est uniquement le souci de la vérité
UART MODERNE
865
scientifique qui les dicle/non le vain plaisir de critiquer ou
me trouver en désaccord avec vous.
Veuillez agréer, mon cher et honoré Confrère, l'expression de
mes sentiments les plus distingués.
Léon De Lantsheere.
Le 26 octobre 1892. -
K>^
LES PIECES A SUCCES
Voici un tableau des recettes réalisées, dès la première traite,
c'est-à-dire pendant une série ininterrompue de représentations,
par quelques pièces à succès, une série de banalités; pas une
œuvre d'art, pas un nom de grand artiste.
Michel Strogoff ' . . . . fr. 2,893,006 50
Le Tour du Monde. 2,373,025 90
La Fille de M™» Angot 2,023,805 10
Les Mille et une Nuits . 4,826,077 —
Orphée aux Enfers (version de la Galté). . . . 1,784,683 75
Théodora 4,654,294 75
Les- Cloches de Corneville 1,642,011 35
Niniche 1,394,225 85
La Mascotte. . 1,372,522 50
Le Maître de Forges 1,294,268 —
Le Petit Duc 1,259,770 50
Divorçons . . . . . 4,489,668 —
M'ioNitouche 4,164,508 —
Lili 1.156,837 -
Le Voyage de Suzette . 1,056,047 —
Le Petit Poucet 4,038,449 —
Miss Helyett (jusqu'à fin 4891) ...... 4,000,000 —
La Fille du Tambour-Major (version de la Gatté) . 962,299 —
Les Surprises du Divorce 943,566 50
La Femme à Papa . 865,004 —
Belle-Maman ........... 841,324 —
L'Abbé Constantin 804,559 —
Giroflé-Girofla 734,726 —
Ma Cousine 716,948 50
LaPeiiieJIariée _^ • • • 681,184 60
L'Assommoir ... • • • 668,382 —
Trois Femmes pour un Mari ....... 657,828 —
La ^ille du Tambour-Major (version des Folies) . 620,044 —
Le Royaume des Femmes(versiondesNouveautés) 611,799 50
Joséphine vendue par ses sœurs. . . . . . 600,082 —
Le Jour et la Nuit 568,847 50
Paris Fin-de-Siècle. 559,214 —
Le Grand Mogol 544,088 85
Le Régiment 512,614 50
La Cigale et la Fourmi 507,404 —
Mmepavart 419,947 30
Les Femmes collantes 284,404 —
Ferdinand le Noceur 242,943 50
Les auteurs ayant réalisé les plus fortes recettes sont les sui-
vants, un vraiment très beau groupe de médiocrités : Clairville,
d'Ennery, Sardou, Chivot et Duru, A. Millaud, Meilhac et Halévy,
Ohnet, Blum et Toché, Ferrier, Leterrier et Vanloo, Boucheron,
Gandillot, etc.
Même observation pour les musiciens : Offenbach, Lecocq,
Audran, Hervé, Varney, Victor Roger, Vasseur, etc.
Chronique judiciaire de? ^rt?
Tours et Tonrelles de Belgique.
Elles ont défilé la semaine dernière devant le tribunal civil de
Bruxelles, les Tours et Tourelles si joliment croquées et peintes
par M. Jean Baes (1). Elles ont empli d'un carillon imprévu l'au-
ditoire de la 5« chambre, et voici à quel propos :
Un libraire bruxellois, M. Lamerlin, a reçu en dépôt, pour les
vendre au-public, un certain nombre d'exemplaires de la curieuse
et artistique collection de chromographies publiées par M. Lyon-
Claesen, d'après les aquarelles originales de M. Baes. Pour les
écouler plus facilement, il vend les planches séparément, à 3 fr.
l'une, quand il ne trouve pas d'acheteur pour l'album complet,
côté cent francs. Une cinquantaine de feuilles ont été ainsi
débitées, et le libraire y met si peu de malice, qu'il annonce à la
vitrine de sa librairie le prix auquel on peut se procurer chacun
des exemplaires.
Mais l'auteur et l'éditeur ne l'entendent pas ainsi. L'ouvrage
forme un tout. Il a une table des matières, une couverture.
Débiter au détail les planches de la collection, c'est porter atteinte
aux droits de l'artiste et de M. Lyon-Claesen, c'est les priver du
bénéfice que doit leur rapporter la vente de l'ouvrage.
De là leur assignation. Elle soulève une question délicate et
neuve, que les usages de la librairie artistique, en l'absence d'un
texte formel de la loi et d'une convention précise, peuvent seuls
trancher.
MM«* Lejour et Angenoi ont présenté à l'appui des deux thèses
opposées des arguments de fait et de droit. Le tribunal a retenu
l'afiiaire en délibéré et prononcera mercredi prochain.
EXPOSITIONS OUVERTESiT
Anvers. — Als ik kan (salle de l'ancien Musée). De 40 à
4 heures.
Bruxelles. — Exposition Van Camp (ancien Musée). Entrée
libre. De 10 à 4 heures.
'' » Exposition PoMri'^rt (ancien Musée). Entrée:
50 centimes. Carte permanente, 5 francs.
De 10 à 4 heures.
» Exposition Willem Delsaux (Galerie moderne).
Entrée : 50 centimes. De 40 à 4 heures.
» Exposition Henriette Ronner (chaussée de
VIeurgat, 57). Par invitations. Le mardi et le
jeudi, de 2 à 5 heures.
«Petite CHR0f4iquE
Le D' Virgile Rossel, professeur de droit français à l'Université
de Berne, a terminé, il y a deux ans, un (îuvrage sur l'Histoire
littéraire de la Suisse romande. Immédiatement après la publi-
cation de ce livre, il a entrepris d'écrire une Histoire de la litté-
rature française à l'étranger. Son projet est de tracer d'abord un
tableau de la littérature dans les pays de langue française, la
France exceptée (Belgique, Suisse romande, Canada, avec les
(1) Nous avonsr rendu compte de cette charmante publication en
1890, p. 412.
« refuges » hollandais, anglais el allemands des xvn« el xviii*
siècles), puis de l'influence de la lilléralure française sur les prin-
cipales lilléralures étrangères.
Il est arrêté, dans son travail, par le chapitre destiné à la
Belgique. Les bibliothèques puisses ne possèdent presque jàen
sur la littérature de notre pays. Pour le moyçD-*ge, il est
au courant : Froissard et Comines sont daiifi toutes les bibliothè-
ques; il a pu se procurer las œuvres de Chastelain; il est sufli-
«ammenl renseigné sur Olivier de la Marche et sur la plupart de
ceux de nos auteurs de l'époque médiévale.
L'élude qu'il voudrait consacrer à la Belgique compterait
80 pages in-S» et nous prions nos compatriotes de lui adresser à
Berne tons les renseignements qui pourraient l'aider dans ce tra-
vail qui certes fera honneur à nos écrivains et augmentera à
l'étranger leur popularité, si bien préparée déjà par les articles
des quolitiens français.
Nous avons été stupéfaits en lisant dernièrement dans une lettre
envoyée de Bruxelles au Journal, cette déclaration : « On ne lit et
,« on ne veut lire, en Belgique, que des livres et des journaux lit-
ce téraires français, et les écrivains belges qui veulent obtenir là
« faveur du public de leur pays doivent aller chercher à Paris
« une consécration, une sorte de baptême littéraire qu'on exige
« d'eux; ils doivent faire étiqueter leurs livres d'une marque
« parisienne sous peine de les voir moisir dans les rayons de
« l'éditeur ». Et plus loin : «Mais noire public ne veut connaître
« que ceux d'entre eux dont Paris lui a fait connaître le nom,
« et Camille Lemonnier est à peu près le seul qu'il n'ignore pas. »
C'est un Belge qui a pondu cela ! Est-ce courlisanerie,
ignorance ou simplement dépit d'un raté? On lit ces choses avec
beaucoup de- tristesse et un peu de honte, car dans le tas des lec-
teurs français, il en est qui croient que c'est arrivé.
LEnglish burlesque Company est revenue à l'Alhambra, avec
le chatoiement des costumes de ses ballerines, avec la folle gaîté
de ses clowns, avec l'énorme bouffonnerie de ses parodies inénar-
rables. Càrmen-up-io-date Si retrouvé le succès qui l'avait accueilli
en mai dernier, el le public fait fêle aux jolies misses qui l'inter-
prètent. Les noms ont changé, mais c'est toujours môme exhibition
plastique, même raffinement de costumes, mêmes yeux noyés
accompagnant d'expressives mimiques, et le Ta-ra-ra-boom-de-ay
domine tout des éclats de sa gaîté véhémente.
M. Joséphin Péladan fera le jeudi 17 courant, à 2 heures, une
conférence au Cercle Pour l'Art, qui a ouvert hier son premier
Salon au Musée moderne.
Les concerts et conférences arrêtés celte semaine par la Com-
mission du Cercle artistique :
Quatre séances de musique de chambre données par MM. Co-
lyns. Ed. Jacobs el A. De Greef. Première audition : 23 novembre.
Le 5 décembre, concert donné par le chœur Daniel De Lange
(fl capella) d'Amsterdam. Le 16 décembre, concert de M. Jenô
Hubay el de M"« Schmidt, pianiste. En janvier : concert de
M^^Sucher et de M"« Kleeberg, pianiste. « Une heure de musique
nouvelle » (matinées Samary). Audition d'œuvres de MM. Vincent
d'Indy et Em. Chabrier.
Les conférenciers sont : MM. Joséphin Péladan {Du mystère,
de l'amour, de l'art), Fernand Khnopff (^4 propos d'Hamlet),
Maurice Kufferath (Triitan ef, Yseuli), Papus, Arthur Pougin,
Em. Verlanl, Lucien Solvay el Julien Tiersot.
M. F. Binjé ouvrira mardi au Cercle artistique une exposition
de quelques-unes de ses œuvres.
JPoiq^ remplacer la Galerie Grosvenor, qui a fermé déflnitivement
ses portes, un comité à la tête duquel se trouvent le vicomte
Ba.iOg, le marquis de Granby, Lord Hothfield, MM. T.-D. Croft,
E.-M. Underdown, etc., vient de fonder à Londres les Orafton
Galleries, 8, Grafton street, W., dans lesquelles auront lieu
périodiquement des expositions d'art moderne.
Ces salons auront, comme naguère ceux de la Grosvenor, un
caractère international. Ils seront installés dans des locaux tout
nouvellement aménagés avec un grand luxe et dans d'excellentes
conditions d'éclairage, au centre de la vie artistique de Londres,
près de îiew Bond street.
Le directeur de cette nouvelle entreprise d'art, M. F. -G. Prange,
qui fut longtemps 1' « Art manager » de la Galerie Grosvenor et
qui est très au courant du mouvement artistique contemporain,
vieift de passer quelques jours à Paris et à Bruxelles où il
a fait choix, dans chacune de ces villes, d'un groupe d'artistes
pour prendre part à la première exposition des Grafton Galleries
qui s'ouvrira le IS janvier. Les artistes belges invités sont :
M"«' B. Art et A. Boeh, M™« H. Ronner, MM. A. Baertsoen,
E. Claus, F. Courtens, Den Duyls, L. Frédéric, F. Khnopff,
G. Lemmen, C. Meunier, R. Picard, W. Schlobach, T. Van Rys-
selberghe, G. Van Slrydonck, F. Van Leemputten, I. Verheyden,
Th. Versiraete, G. Vogels, R. Wytsman.
On sait l'indifférence avec laquelle notre presse grande et petite
a accueilli la publication des deux remarquables articles de
François de Nion sur noire mouvement littéraire.
Tandis que les bons confrères s'entendaient pour ignorer le
bruit qui, en France même, s'est fait autour de cette proclamation
de nos talents, un journal nous arrive de Buenos-Ayres,2aiVia<no;i,
qui reproduit in extenso l'étude de Fr. de Nion sous ce titre :
Literarura belga, Flamencos y Walones.
Le Mâle vient d'être représenté à l'aristocratique Théâtre
Manzoni de Milan.
Il ne paraît pas que l'œuvre de Camille Lemonnier ait pa^sé
sans gncombres. La sincérité du dialogue et la puissance des
situations ont fortement remué la jeunesse, les esprits affranchis.
Mais le Théâtre Manzoni es^l surtout composé d'un public élégant
el mondain. Ce public, qui ajail un succès à Paris fin-de-siècle,
s'est effarouché de la rude Franchise du drame.
Rappelons que c'est à Milan que fut sifflé le Canard sauvage
d'Ibsen.
Le Théâtre Manzoni annonce la mise à la scène de la Parisienne
de Becque.
On annonce comme imminente la publication d'une plaquette
de vers : Le Château des Merveilles, par M. Valère Gille, chez l'édi-
teur Lacomblez.
Numéros excellents, les uns après les autres, des Entretiens
politiques et littéraires. Une nouvelle rubrique : Lectures poé-
tiques, fut soulignée par tel poème : La Chevauchée d'Ieldis,qai
est, certes, le plus complet et le plus caractéristique du signa-
taire, M. Viellé-Griffin. Puis des souvenirs de Bakounine, ardents
el précis ; des articles de Paul Adam et de Bernard Lazare, etc.
Les cours supérieurs pour dames (15* année) s'ouvriront demain
lundi, à 3 heures, au Palais des Académies.
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:t „-■"/■'/ t'Wiç^^B^îsra^
-î
VAItT MODERNE
r
367
Voici l'ordre dans lequel ils seront donnés :
Lundi. — Géographie, par M. Pergameni. — Histoire des
applications de VArt, par M. Paul Lambolle.
Mardi. -^ Histoire de l'Art, par M. Enjile Verhaeren. —
Littérature anglaise, par M™" A, Couvreur.
Mercredi. — Histoire générale, par M. Pergameni.
Jeudi. — Histoire de la civilisation en Belgique, par
M. H. ronchay. — Diction et Littérature française, par
M"«Tordeus.
Les inscriptions sont prises chez Mi'« Vanderaey, avenue
Louise, 29. ' .
Le compositeur Hervé (de son vrai iiom Florimond Ronger)
l'auteur de VŒU crevé, de Chilpéric. des Chevaliers de la Table-
Ronde, du Petit Faust, de tant d'autres folies musicales qui
parurent avant les opérettes d'Offenbach ou en môme temps, a
succombé le 3 novembre à un accès de diabète. Né à Houdairi,
prèsjd'Arras, en 1825j mais élevé à Paris, à la maîtrise de Sainl-
RocliV Hervé avait débuté comme organiste à Saint-Eustache, où
il demeura huit ans. L'instrument religieux ne devait pas avoir
beaucoup d'influence sur les goûts du joyeux émule d'Offenbach ;
il est vrai qu'il était en même temps chef d'orchestre au Palais-
Royal, ce quj décida de sa carrière et le fit pencher vers les muses
légères.
Organiste, chef d'orchestre et compositeur, Hervé fut aussi
chanteur, il parut notamment à l'Opéra-National. A Londres, il
dirigea des concerts pendant plusieurs années. Il fut aussi direc-
teur de théâtre. C'est lui qui fonda él dirigea les « Folies-
Nouvelles ».
En somme, ce fut une physionomie curieuse, un des types
caractéristiques de l'esprit et de la gaîté française pendant les
dernières années de l'Empire. Les insuccès que renconlrèrcnl ses
dernières œuvres avaient contribué à aggraver son état. Et c'est,
dit-on, en lisant un « éreintement » de la Bacchanale qu'il est
mort, suffoqué.
L'entrevue entre M. von Gross et M. Bertrand, dit le Ouide
musical, a eu pour résullatle choix de la Walkyrie comme pre-
mier ouvrage de Wagner devant être joué à l'Opéra. La première
représentation aura lieu en avril prochain ; la raison dé l'adoption
de cet ouvrage réside dans l'engagement de M. Van Dyck, qui s'est
déclaré prêt à chanter, au choix, les Maîtres Chanteurs ou la
Walkyrie. .
La distribution qui a été arrêtée est la suivante : .
M. Van Dyck, Siegmund; M. Lassatle, Wotan; M™« Caron,
Brunehilde ; M»» Bréval, Sieglinde.
Les interprètes dés rôles de Hunding et de Fricka iie sont pas
encore désignés. ^
Comme complément de l'arrangement intervenu entre M. von
Gross et M. Bertrand, on a décidé la repàse àeTa7mh&user dans
un délai peu éloigné, mais qui sera déterminé de manière à ne
léser en aucune façon les intérêts des compositeurs français, ceci
à la demande expresse de M™« Cosima Wagner.
Les journaux de Munich, dit le Guide musical, parlent de nou-
veau de la question de Parsifal, sur lequel le Théâtre de la Cour
a, on le sait, un droit de priorité aussitôt- que l'œuvre quittera le
Théâtre de Bayreuth. Or, il paraît que le Théâtre-Allemand de
Prague a l'intention de s'emparer, l'année prochaine, de l'œuvre-
de Richard Wagner, en se fondant sur les lois autrichiennes rela-
tives à la propriété littéraire. En Autriche-Hongrie, le droit de
propriété expire avec la dixième année après la mort de l'auteur.
Wagner étant mon le 13 février 1883, c'est donc au 31 décembre
1893 qu'expireraient les droits de ses héritiers sur Parsifal. On
fait remarquer cependant que la loi autrichienne protège, pendant
trente ans après la mort de l'auteur d'une œuvre, les droits cédés
par lui aux éditeurs. Si le Théâtre de Prague voulait monter
Parsifal en 1894, il serait donc délié de toute obligation envers
les héritiers directs, mais non vis-à-vis de l'éditeur, et il y aurait
encore pour lui l'obligation de s'entendre au sujet de l'exécution
de la partition. Enfin la Chambre des seigneurs d'Autriche est
saisie, depuis quelque temps déjà, d'un projet de loi sur la pro-
priété littéraire, et il se pourrait que les deux Chambres eussent
voté ce projet avant l'expiration de 1893. Pour le moment, il est
donc peu probable que le Théâtre de Prague puisse mettre à exé-'
cution le projet qu'on prête à son directeur de monter Parsifal en
1894. En tout cas-,. si Parsifal devient libre en 1894, en Autriche,
le Théâtre de la Cour, à Munich, fera probablement valoir ses
droits, et obtiendra la priorité en vertu de la convention passée
en 1887 entre l'intendance des théâtres royaux de Bavière et les
héritiers de Wagner.
Bravo au Diseur du Journal qui consacre à César Franck un
souvenir ému dans la série « la Bonne Aventure »:
Passé. — L'ancien organiste de Sainle-Clotilde, où il toucha
l'orgue pendant trente-deux ans. L'admirable auteur de Rédemp-
tion, de Ruth, des Béatitudes, par qui je vieil oratorio fut
réchauffé ; le seul compositeur moderne dont les inspirations aient
eu la noblesse et la pureté qu'il faut, pour consoler les dévo-
tieuses orgues, veuves de Bach.
Présent. — Il y a aujourd'hui deux ans qu'il est mort...
Qui d'entre vous s'en souviendra, anciens et chers élèves qui
l'appeliez finalement, au Conservatoire, « le père Franck »? Qui
donc, hormis ses proches, s'acheminera aujourd'hui, vers le cime-
tière du Grand-Montrbuge, où repose le si bon Maître?
Cependant, les Colonne et les Lamoureux, en leurs concerts du
dimanche, continuent à battre, d'un bâton infatigable, les blancs
d'ceufs de MM. Massenet et Godard, et n'osent servir aux « belles
écouteuses » les coulis symphoniques de Franck, ou son Quatuor
pour instruments à cordes, ou son Quintette, ou Prélude, choral
et fugue.
Avenir. — La résurrection de Lazare... alors que les Delibes,
Poise, Guiraud et autres Dupratos, enterrés cette année, sentiront
peser plus lourdement sur leur dépouille musicale, sur. leurs
cadavres d'œuvres, la pierre tumulaire de l'oubli.
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Dimanche 20 Novembre 1892.
L'ART MODERNE
PARAISSANT^ LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Comité de rédaction i Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, un as, Ir. 10.00; Union postale, ù. 13.00. —ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser toutes les communications à
l'administration générale de TArt Moderne, rue de l'Industrie, 32, Bruxelles.
Sommaire
• "Pour l'Art », — L'Art et les Sémites. — Conférences par
JosÉPHiN Péladan. — Anniversaire. — Accusés de réception. —
BiBUoaaAPBiB musicale. — Chronique judiciaire des Arts. — Liste
DE souscription POUR LE MONUMENT Gh ARLES BAUDELAIRE. — PeTITE
chronique. ■ -^
« Pour l'Art. »
., Et d'abord, souhaitons cordialement la bienvenue au
groupe nouveau qui s'insurge audacieusement contre la
platitude et la banalité des Salons officiels. Né d'une
scission de l'Essor dont le mouvement en avant, très
accentué au début, s'est ralenti dans ces derniers temps
au point de reléguer aux arrière-gardes le bataillon
qui tiraillait jadis si fièrement sur le front de bataille,
le cercle Pour VArt a échappé aux prudentes stratégies
des vieilles gibernes et s'est jeté sans chefs dans la
mêlée. Nos sympathies, faut-il le dire? sont avec lui. Il
proclame l'indépendance de l'artiste, il affirme la liberté
de donner à l'art une forme et une expression dédai-
gneusement rejetées par les antiques Tabulatures. Au
même titre que les XX, dont il suit le courageux
exemple, il a droit aux encouragements de ceux qui
comprennent la nécessité d'une évolution continuelle
'de l'art. Les exagérations qu'il profère dans soi^ intran-
sigeance ne sont pas pour nous déplaire. Ce sont gourmes
de jeunesse dont on se débarrasse rapidement et déjà,
dans le chaos des tâtonnements et des essais, on sent
percer, chez quelques-uns, un talent que l'avenir
mûrira.
Nous entendons parler de la poignée d'artistes qui
sont le cœur et la raison d'être du nouveau cercle : les
Delville, les Rousseau, les Thys, les Jacque, les Fabry,
proiïjoteurs d'un art de pensée et de rêve, d'un art
« littéraire », ainsi qu'on l'a baptisé, et non de ceux
qui forment l'appoint nécessaire pour compléter les
cadres, qui tâchent laborieusement dans les sillons
tracés et dont l'œuvre honorable n'apporte point de sen-
sation nouvelle. Dans^tte catégorie nous rangeons
MM. Hamesse, Orner Dierickx, Am. Lynen, Viandier,
Lacroix, Herain et autres. Il y a enfin un groupe d'in-
décis qui flottent entre des influences diverses à la
recherche d'une orientation : Jelley, Coppens, Dardenne,
Hannotiau, les deux premiers obsédés par la théorie
des néo-impressionnistes dont ils essaient de s'assimiler
la technique sans en comprendre le moins dû monde
l'application, les deux autres hantés par divers maîtres,
le dernier subissant la puissante attraction de Mellery
jusqu'à en être résorbé.
De cet ensemble, complété par quelques invités recru-
tés principaleWnt au Salon <}e la Rose-Croix,MM.Séon,
Chabas, de Niederhàuseri^, Trachsel, Filliger et Ver-
\-
370
U ART MODERNE
-J
kade, — nous ne parlons pas du maître Félicien Rops
dont on a réuni, avec une opportunité contestable, une
demi-douzaine d'anciens dessins et une lithographie
connue, — n^ît une impression un peu cahotante,
inharmonique, mais qu'échauffent là fougue juvénile et
l'enthousiasme. Ces qualités- là, que décèlent trop rare-
ment nos sages et conformes salonnets, font oublier les
maladresses et appellent la bienveillance.
^S^peinture « littéraire », que nous avons signalée
comme un des grands courants parallèles qui emportent
l'art contemporain, est surtout représentée au présent
Salon et forme sa caractéristique. M. Trachsel y
montre les architectures chîmériques qu'il exhiba, voiqi
deux ans, au Salon des Indépendants. L'artiste procède
par la simplification des formes architectoniques, cher-
chant à donner, avec les seules ressources c^bs courbes
et des lignes droites, les impressions les plus diverses.
" C'est, dit-il lui-même, une architecture dégagée de
toute servitude d'ethnographie ou de latitude : lignes,
formes géométriques absti'aites, indépendantes de toute
flore ou faune spéciales. » L'idée est ingénieuse^ mais les
épures rudimentaires qu'expose M. Trachsel ne nous
paraissent point d'accord avec le principe qu'il proclame.
Les effets qu'il recherche naissent, quand il les réalise,
moins dès lignes que des couleurs dont, il a soin de teinter
ses esquisses, noircies pour le Palais de l'Effroi,
endeuillées pour la Mélancolie. Ses « Fêtes réelles,
montrant une humanité fictive » sont peu évocatives :
ses assemblages de cubes, de sphères, de cônes, de cylin-
dres, de pyramides, de polyèdres divers ne s'écartent
guère, dans plusieurs de ses projets, de la forme des
monuments primitifs. D'autres planches sont purement
enfantines. Les « boîtes de construction » qui amu-
sèrent nos jeunes années en donnent l'image exacte.
Il y a plus d'imagination dans les séries étiquetées :
« Chant de l'Océan, l'épopée d'une âme fictive », et
« Apparitions, ensemble de visions de nature et de
visions cosmiques >». Et si Redon n'existait pas, ces cohr
ceptions de M. Trachsel seraient vraiment intéres-
santes. ,
Les réminiscences planent d'ailleurs trop généreuse-
ment sur bon nombre d'œuvres présentées par le cercle
Pour VArt. Etait-ce par une spirituelle ironie qu'on
avait annoncé l'adhésion de -MM. Gustave Moreau,
Pùvis de Chavannes, Rodin et Bume-Jçnes? On retrouve
ces maîtres éparpillés dans les tableaux, dessins et
sculptures exposés sous diverses signatures. M. Séon,
dont on connaît les frontispices pour les œuvres de
M. Joséphin Péladan, présente, en sa Jeanne d'Arc, un
décalque exact des compositions symboliques de Puvis.
Burne- Jones apparaît dans les compositioiis de M . Jacque.
Le Paradis perdu de M. Braecke est cousin germain
de la Francesca da Rimini de Rodin. Odilon Redon a
inspiré visiblement plusieurs artistes. Quant à Gustave
Moreau, on l'a déchiqueté pour en insinuer les mor-
ceaux un peu partout. Il n'est pas jusqu'à Maurice
Denis qui n'ait trouvé en M. Jan Verkade un imitateur
peut-être inconscient. ■ j
Le sculpteur Rousseau nous semBîô dégager une per-
sonnalité plus nette. Il y a dans son torse de femme,
dans ses esquisses, figurines et bas-reliefs de rares
délicatesses de modelé et une distinction de bon aloi qui
lui assigneront rapidement une des premières places.
M. Jean Delville est, lui aussi, l'une des sérieuses
espérances du nouveau Cercle. Ses fantaisies macabres
ont grande allure malgré leur incohérence, et le por-
trait en noir et violet de M'as^Nyst décèle, en même temps
qu'une rare acuité de vision, une main experte à serrer
les formes. Les curieuses études de M. Fabry évoquent
le souvenir des miroirs déformateurs et font sourire.
Cette première impression passée, on est attiré et retenu
par le mystère des énigmatiques figures, si graves et si
recueillies, qui vous emportent dans des au-delà inquié-
tants et tragiques. Hantise des gothiques? Non. Cher-
chez plus loin dans le passé, aux époques primitives dont
l'art, soudain revécu, a trouvé des échos chez certains
artistes, notamment chez Henri De Groux. Citons enfin
les trois petits envois de M. Charles Filliger, qui
poursuit dans la solitude des grèves de Bretagne ses
études synthétiques d'un art subtil et suggestif.
\ies débuts du cercle Pour l'Art ont été blasonnés
d'une conférence de M. Joséphin Péladan, dont nous
rendons compte plus loin. Causerie curieuse, débitée
avec élégance, d'une voix claire, un peu emphatique,
consacrée beaucoup plus à exposer les doctrines des
nouveaux chevaliers de la Rose-Croix qu'à développer
une théorie artistique. L'esthétique du « Sâr (1) » nous
paraît d'ailleurs en contradiction flagrante avec l'esprit
qui a présidé à la sélection des artistes composantje
cercle. M. Péladan prétend formuler rigoureusement
des canons de la stricte observation desquels dépend
l'existence de l'œuvre d'art. Il décrète un type de beauté
plastique absolu. Il établit un code que les artistes ne
peuvent transgresser sous peine d'être « hérésiarques ».
II exclut du domaine de l'art tel genre, il classifie et
subdivise tel autre. Ces idées byzantines, encadrées de
digressions mystiques remuées en macédoine, faisaient
contraste avec l'exubérance de jeunesse et de liberté des
toiles environnantes. « Je suis un moine laïque, a
déclaré l'orateur, et après avoir quêté en Hellande, je
viens prêcher parmi vous. » L'Evangile de M. Péladan
n'est assurément pas celui des artistes rangés sous
la bannière Pour l'Art, et le dogme qu'il pro-
clame, s'il était adopté, rétrécirait singulièrement leur
horizon.
(1) Sâr 1 C'est l'équivalent de César, Tzar, Kasr (arabe), Kaiser :
chef, empereur, etc.
«■*»* v^ •s.qif'^.p^-'' fr^f:î'**?^5r^''<>^^ ,
Tîlî
UART MODEUNE
371
L'ART ET LES SEMITES
Notre intéressant correspondant, M. Léon De Lantsheere,
reproche à nos éludes patientes et réitérées sur le Sémitismc, un
défaut de méthode (1). « Je crains, nous écrit-il, qu'en cette matière
une idée a priori ne guide vos déductions. Vous parlez d'une
concepiion du Sémiiisme et de l'Aryanisme, qui n'est pas, à mon
avis, appuyée sur les faits, et vous concluez — a priori toujours
— que tels peuples sont Sémites ou Aryens, suivant qu'ils
possèdent ou non les caractères que vous attribuez à ces deux
races. »
Cette allégation est assez aventurée et M. De Lantsheere a raison
de ne la présenter qu'en simple crainte de sa part. Notre méthode .
n'a pas le caractère enfantin qu'il lui prête. Elle est, en vérité,
moins simple et plus forte. Elle consiste d'abord à prendre, comme
étalon des mérites et des indrmilés de la race sémite, des peuples
qui sont inconleslablement de cette race et de les étudier en des
temps et des conditions qui les laissèrent presque absolument à
l'abri de mélanges et d'influences. Tels sont avant tout les Arabes
d'Arabie, occupant immémorialement un territoire vaste comme la
moitié de l'Europe, demeuré, à peu de chose près, à l'abri des
incursions et des conquêtes, peuplé de sédentaires établis dans
les villes et de nomades, libre de s'épanouir à sa façon dans tous
les domaines où les poussait l'instinct, brefje groupe le plus
homogène, le plus compact et le plus notable de tout le Sémi-
tisme, puisqu'il a fini paj^dominer et presque annihiler les deux
autres, l'Hébreu et l'Araméen.
Or, les Arabes d'Arabie réalisent irrécusablemenl une des plus
^.catégoriques stagnations' de l'humanité : Sans art? entre autres
caractéristiques, pour ne parler que de l'objet qui intéresse la
présente polémique.
De celte base déjà très digne d'être remarquée, notre méthode
passe à des cas certes moins nets, mais méritant d'être pris en con-
sidération comme éléments confîrmatifs : tels sont les nations
sémitiques qui occupent, comme race dominante, la moitié nord
de l'Afrique depuis douze siècles. Là aussi, ils ont pu donner libre
cours à leurs aptitudes et évoluer conformément à l'essence de leur
race, à peine gênés depuis la conquête française de l'Algérie et
les autres infiltrations européennes contemporaines.. Qu'y a-t-on
vu? Après une courte période d'activité au début, le ralentissement
• et enfin le retour à la même stagnation.
A celte généralité corroboratrice, notre méthode ajoute qne
spécialité tirés digne de remarque : les Maures d'Espagne, rejetés
en Afrique, accueillis au Maroc alors en très convenable situation,
n'y parviennent à rien, quoique unis à leurs congénères et se per-
dent en une décadence aujourd'hui arrivée à son comble.
Retournant en arrière et prenant les Hébreux, puisque cette
très insignifiante tribu sémitique a, par fortune, acquis une excep-
tionnelle notoriété depuis que la naïveté chrétienne en a fait le
peuple élu de Dieu, on voit qu'elle, coipme les autres, fut inva-
riablemeiit barbare et sans art jusqu'au contact avec la civilisation
grecque ou romaine.
Bref, sans nous lancer dans des suppositions hasardées, ne
prenant en considération que des Sémites authentiques, notre
méthode, accumulant ces observations répétées et se confirmant
l'une l'autre, en conclut que cette race, livrée à elle-même, est
(1) Voir sa lettre dans notre dernier numéro.
stagnante et inartistique, pour ne point parler de certaines autres
dominantes, devenues banales, qu'il n'est pas difficile de dégager
quand on l'analyse à fond dans les mêmes conditions expérimen-
tales, que nous trouvons, quant à nous, parfaitement scientifiques.
Et celte stagnation, cette absence d'art, sinon absolue (quel fut
jamais le peuple qui en fut lolalemenl privé, m(|;ne le plus bar-
bare?) trouve sa correspondance dans le phénomène linguistique.
La langue sémitique, en ses trois branches principales, l'Araméen,
l'Hébreu, l'Arabe, n'a pas eu de révolulion prq&uide, pas de
développement, pas de progrès. Si cette expression de la pensée
est restée immobile, c'est qu'apparemment la pensée elle-même
était immobile aussi.
Ces prémisse» acquises, notre méthode s'occupe des cas où,
tout aussi incontestablement, le Sémite s'est trouvé mêlé à des
populations de race européenne, comme en Espagne notamment
. au temps des Maures, comme en Egypte après l'invasion des Arabes,
comme dans le littoral septentrional de l'Afrique. Elle y constate,
aussi longtemps que le mélange perdure, un essor artistique qui
'produit un art promptemenl arrêté et qui, dès que le Sémite
a expulsé, déprimé ou résorbé l'élément étranger, n'a subi d'autre
transformation qu'une décadence. Nous en concluons que le Sémite
conquérant, impuissant par lui-même, a utilisé les aptitudes du
peuple conquis, sauf à imposer à celui-ci à peine quelques fantai-
sies personnelles. N'est-ce pas ce qui est arrivé dans cette Afrique
du Nord, où les conquérants arabes ont trouva des immigrants
grecs ou romains établis dans les villes, toutes alors d'allures
vraiment européennes, et dans cette Espagne où l'art visigotb
commençait à éclore.
El réciproquement, celle méthode constate, observation vrai-
ment convaincante, que toutes les nations de race européenne
qui ont été longuement et fortement mélangées de sang sémitique,
apparaissent irrémédiablement arriérées : telles l'Espagne et les
extrémités méridionales de l'Europe actuelle où durant plusieurs
siècles le Sémite a dominé ou incursionné.
Si d'autre pari on voit ce que l'Arabe a fait des nations de race
inférieure qu'il a conquises et pour lesquelles il eût pu être un
éducateur (les nègres de l'Afrique jusqu'à rEquateur),""©!! constate
qu'il n'y a guère opéré de transformation civilisatrice, sauf la
conversion au Mahométisi;ne, et n'y a introduit aucun élément
artistique.
Voilà assurément un ensemble de faits, reposant sur des périodes
prolongées, en des lieux nonibreux et variés, qui peuvent,
sans outrecuidance, prétendre à quelque autorité, tant ils sont
concordants, visibles et nets. El quoiqu'il soit vrai que nul en de .
si compliquées matières ne puisse prétendre à la vérité définitive,
nous trouvons celle démonstration autrement sûre et convain-
cante que les quelques considérations très locales et très enche-
vêtrées invoquées par noire contradicteur qui procède, lui, du
particulier au général, tandis que nous partons du général pour
éclairer et résoudre les cas particuliers et exceptionnels qui sem-
blent obscurs.
)C'est ainsi qu'il signale que le Mahométisme a été imposé à
certains peuples aryens. C'est indiscutable, de même que certains
Sémites spbt devenus chrétiens. Il y a toujours ainsi une frange,
une zone d'interpénétration à. couleur mixte. Mais de même qu'il
serait faux de conclure de l'existence des poissons volants que
tous lés poissons sont des oiseaux, on ne peut tirer un argument
sérieux de ces cas ano^maux, restreints et trompeurs. Il y avait,
suivant Hérodote, quelques Aryas dans les armées asiatiques de
l - . ^
Xerxès, et même des Hellènes, quoique les guerres médiques aient
été un des épisodes les plus considérables dç la lutte de la civili-
sation asiatique contre la civilisation aryenne. Ce qui frappe,
quand on considère la matière religieuse, c'est que le Mahomé-
tisme d'une part, le Christianisme de l'autre, ont eu chacun une
ère de diffusion bien déterminée, l'un allant indiscutablement de
préférence à l'humanité européenne, l'autre à l'humanité sémi-
tique, et certes il est dès lors éminemment raisonnable de croire
que chacune de ces religions s'adaptait mieux à la psychologie
de celle de ces deux races qui l'a si bien et si universellement
accueillie. i
Et c'est ici que se présente l'argument qui expliquerait la
déchéance sémitique, causée, selon M. De Lantsheere, par l'adop-
tion du Coran. Ce fait est dominé par cet autre : Pourquoi les
Sémites ont-ils adopté si aisément le Coran? Cela teilait évidem-
ment à leur intellectualité racique, de même que l'intellectualité
aryenne explique seule l'adoption du Christianisme. C'est donc
une cause et non une conséquence. Â-ton jamais vu une religion,
si elle est en opposition avec les instincts d'une race, être acceptée
par celle-ci avec une universalité et un entrain pareils à la
diffusion du Mahométisme? Ce serait le comble de l'invraisem-
blance.
Venoàs maintenant plus spécialement à la question de l'art en
Assyrie, art attesté par les récentes découvélrles.
M. De Lantsheere dit que c'est un art sémite. Qu'est-ce qui
l'autorise à émettre pareille affirmation? C'était un pays de
Sémites, dit-il, et il cite quelque Salmanazar qui régnait là. Mais
quediràit-il si, parce que les Maures ont conquis l'Espagne, on sou-
tenait que les Espagnols asservis étaient des Sémites? Nous avons,
quant à nous, trouvé si extraordinfaire, si bien en contradiction
avec tout ce qii'on sait des Arabes tout au long des temps, l'exis-
tence d'un art qui leur fut propre dans l'ancienne Assyrie, que
nous avions émis comme l'hypothèse la plus vraisemblable, que
cet art assyrien était probablement dû aux vaincus comme cela est
arrivé partout ailleurs quand le Sémite a conquis, en Egypte, en
Afrique, en Espagne, en Sicile. Et pour le démontrer de plus près,
nous disions que les pays mésopotamiens et leurs confins étaient
des pays de mélanges, proches notamment de la Bactriane, berceau
présumé de tous les peuples indo-européens et centre de leurs
émigrations selon le livre classique de M. Pictet, et de ce Septa-
Sindhdu où furent pratiqués, vécus et composés les hymnes
védiques, irréfutablement dus à des populations de celte race.
Notre contradileur objecte : « Que vont dire les partisans, tous
les jours plus nombreux, de l'origine européenne et même Scandi-
nave des Aryas ? Et ceux qui croient à leur origine asiatique,
comme moi, n'ont jamais imaginé que leur berceau fut proche de
l'Assyrie. »
Assurément, l'observation est quelque peu puérile. Le point à
considérer est celui-ci : Y avait-il dans les temps préhistoriques,
en Asie, au sjid de l'Oxus, des Aryas, venus de n'importe où, et
qui se sont dispersés depuis en sens très divers, s'infiltrant notam-
ment dans l'Asie antérieure, pour passer en Grèce et ailleurs, après
avoir, si on le veut avec « des partisans tous les jours plus nom-
bretlx » de cette nouveauté hasardée, déjà traversé cette même Asie
antérieure en arrivant d'Europe. Et, dès lors, le mélange avec les
peuples -voisins n'est-il pas non seulement vraisemblable, mais
inévitable ? Et si dans l'art que les fouilles découvrent aujourd'hui,
on rencontre les données fondamentales de l'art progressif de la
. race européenne, n'est-il pas sage de dire que c'est à ce mélange
qu'il est dû, alors que le Sémite pur d'Arabie, par exemple, n'en
a jamais eu?
Récemment encore, dans notre étude sur la race de Jésus (1),
n'avons-nous pas pu acci^uler les faits pour démontrer que la
Galilée, bien plus à l'occident que l'Assyrie, était un pays de
mélange. Toute cette Asie occidentale a, du reste, de tout temps
été un lieu de brassage et de malaxage des races humaines. On
passait par là pour aller en Europe et en Egypte. La grande
route qui encore aujourd'hui va de Damas à Acre était celle des
invasions.
L'art sémite? Mais dans la grande Carthage sémite des guerres
puniques, maîtresse des mers et rotschildiquement riche, on n'a
pas trouvé un vestige d'œuvre d'art originale, non plus qu'à
Jérusalem I Dans l'expression de la divinité même, Carthage
n'avait su exprimer que le hideux Moloch, dévorateur d'enfants et
assistant cornu des prostitutions sacrées (2). Dans la vieille Bible
barbare et molochiste, les seules oeuvres belles ne sont-elles pas,
à peu d'exceptions près, les chants des prophètes, postérieurs aux ^
.captivités de Babylone, c'est-à-dire postérieurs aux exodes vers
dés contrées plus proches de l'Aryanisme, ce quva permis de dire,
tant le fait de ces poésies imprégnées de passion aryenne a paru
extraordinaire dans la vieille Bible sanguinaire et sauvage, que
ces prophètes étaient des convertis au contact de la race supé-
rieure. El de même le nouveau testament n'est-il pas visible-
ment imprégné de bouddhisme qui a dû venir de plus loin encore
que de la Bactriane ou du Septa-Sindhou aryen?
Que le mélange fut très complexe, qu'il y eut là-dedans, comme ^
le rappelle, avec des livres faciles à lire, notre contradicteur, des
Alarodiens ! des Mitaniens ! des Kosséens ! des Elamites ! des Ara-
méens ! des Hittites ! on peut l'admettre. Qu'est-ce que cela fait
s'il est normal d'ajouter qu'il y avait aussi des Aryens? L'Araméen,
une des trois branches de la langue sémitique, n'était parlé que .
dans une partie seulement des royaumes de Ninive et de Babylone.
Cela seul confirme invinciblement qu'il y avait là mélange. Qu'est-ce
que cela fait, surtout au point de vue de l'art des Sémites? Ceux-ci
en ces temps n'étaient certes point des barbares, n'étaient point
de snomades et ils avaient un droit développé; que servirait de le
contester? En effet, Babylone et Ninive, ces Londres, ces Paris
antiques, comme population sédentaire, étaient de formidable
composition. Nous n'avons jamais contredit à cela. Mais la ques-
tion est de savoir comment il a pu se faire que ces Sémites,
impuissants partout ailleurs quand ils sont seuls^ auraient
échappé, à l'origine, à cette loi de stérilité et n'auraient plus
jamais retrouvé depuis occasion de recommencer.
Quand on pense que tout le système de M. De Lantslieere se
résume en cette affirmation énorme : Les Arabes n'ont pas d'an
plastique à raiso7i des défenses de leur loi religieuse ! Comme s'il
était possible à un prêcheur de religion, fût-il Mahomet, d'abolir
l'art dans les âmes de cent millions d'hommes quand il y esti
Mais c'est le plus incompressible des instincts ! Comme si la
défense de reproduire les êtres vivants n'existait pas, avant
Mahomet, chez les Sémites et notamment chez les Hébreux!
La destruction des trois cent soixante idoles, plus ou moins
authentiques, ordonnée par le Prophète à la Mecque, ville si
proche de l'Egypte qui est restée le type de la nation à images
religieuses, ne fut apparemment que l'expression, en une légende,
(1) Art moderne du 7 novembre.
(2) Voir, sur cette question, l'Art moderne, 1890, p. 251, 1" col.
in fine.
>
n.-t". ':,
de la haine sémitique pour toute œuvre d'art. Si, pour les Sémites,
mêlés à nous, celte haii^c s'est apaisée, analysez le sentiment
qu'ils ressentent pour nos tableaux, nos sculptures, nos livres :
ce n'est qu'une idée de propriété et de prix, mais non Ténivre-
ment ou la joie désintéressée de nos âmes. Ce n'est pour eux
que du collectionnage vaniteux, du brocantage ou du bibelotage.
Les quelques rares artistes qu'ils ont à leur actif sont de second
ordre, et encore que sait-on de la pureté de race de ces quelques
exceptions nées en plein parmi nous. Henri Heine avait un type
essentiellement aryen, M. Brandès le rappelait encore récemment
dans la Société nouvelle. De qui, en vérité, descendait-il?
Franchement , nous répétons que noire contradicteur est ,
inconsciemment, dominé par celle idée qu'il serait sacrilège de
croire que le peuple élu de Dieu pour donner naissance au Christ,
n'aurait pas été mieux doué, et aurait, surtout, été à ce point de
vue, si différent des nations nobles chez lesquelles la foi chré-
tienne s'est répandue. Il y a là un ennui énorme pour tout fidèle
chrétien et nous comprenons qu'il s'insurge.
Que de choses encore à dire T El qu'un article de journal est
insuffisant pour de pareils problèmes! Pour qui voudrait le
creuser davantage, nous signalons nos études antérieures (1), car
certes nous ne sommes, en pareil sujet, ni novice, ni enclin au
superficiel. Nous aussi avons beaucoup lu et beaucoup réfléchi.
CONFÉRENCES PAR JOSÉPHIN PÉLADAN
Joséphin Péladan a donné jeudi dernier, au cercle Pour VArt,
une conférence téméraire. Aucune des idéea-générales émises ne
nous a séduit, mais la crânerie du parleur*' vaut qu'on insiste.
Venir, à des artistes d'aujourd'hui, à un auditoire mondain qui se
rassemble par curiosité, affirmer vaillamment des dogmes d'art
dont il a appris à rire, lui étaler des espoirs fous, des rêves vers
un monde de beauté angélique, lui exposer comme vérité les
légendes et les bibles et construire des théories sur les plus
beaux nuages qui soient, affirmer tout cela, d'abord devant le
public trié de Pour VArt, ensuite en face du 'public massif et
gouailleur du Cercle, c'est en tout cas une bonne œuvre hardie et
qui mérite qu'on la loue. Nous ne voulons, en Joséphin Péladan,
voir autre chose qu'un fanatique d'art, qu'un exalté du beau. Il a le
respect haut des chefs-d'œuvre, le culte des maîtres, la vénération
du paçsé. Il assigne en ce monde la jJlace première à l'an, il le revêt
d'un caractère altier et sacré. Il l'élevé au-dess^de la société
pour qu'il la régente et aussi au-dessus de certains artistes qui
le stérilisent. S'il abusait moins des programmes, des titres, des
emblèmes, de tout ce qui semble défroque au lieu de vie, si au
lieu de créer un Ordre, il commençait par rassembler des artistes
travaillant en commun, eu une sorte de monastère, qui possé-
derait une imprimerie, de^ ateliers et des salles d'auditions
musicales, il créerait, croyons-nous, un rudiment d'organisation
autrement ferme que sa constitution des Rose-Croix. Joséphin
(1) Voir dans l'Art moderne, nos études : La Bible et le Coran,
1888, pp. 114, 130, 137 ; — La Littérature anti-sémitique, ib.,
p. 361 ; — Saint-Paul et le Sémitisme, 1889, pp. 1, 9, 17, 27 ; — Les
Prophètes dans la Bible, ib., p. 198; — L'Ancien Testament et les
Origines du Christianisme,.!^., pp. 227, 234, 243, 284; Les Tra-
ductions de la Bible, ib., p. 236; — Les Hymnes Védiques, ib.,
p. 379; — L'Art Arabe, ib., p 89; — Que fut Jésus f ib., p. 164;
— L'Art Arabe en Espagne, 1890, p. 188 ; — Renaissance, 1892,
p. 260. — La Race du Christ, ib., p. 353; — El Moghreb Al Ahsct^
(Voyage au Maroc), passim..
Péladan parle de Temple, du Graal, de palais de marbre et d'or,
de la mort décorative qu'il prépare à iz vie de victoire. Ceux qui
vraiment réformaient, songeaient à une cabane et peut-être au
martyre.
Ce sont les exagérations extérieures, les mises en scène
théâtrales, les apothéoses anticipées qui enlèvent toute confiance
à ceux qui suivent en curieux les « gestes » artistiques de
Joséphin Péladan et qui n'oublient point qu'il y a environ dix
ans un livre de belle qualité d'art, le Vice suprême, a été écrit par
lui. *
ANNIVERSAIRE
Sous ce titre, le Ouide musical publie une correspondance que
liront avec émotion les amis et les admirateurs du grand musicien
que la mort a abattu :
« Ce mardi, il y a deux ans, jour pour jour, c'était la mort de
César Franck, sans bruit comme sa vie. J'ai voulu saluer sa tombe.
Il n'est plus au cimetière du Grand-Montrouge; depuis plus d'un
an, on l'a ramené à Montparnasse, perdu dans la foule des morts
oîi la hiérarchie seule subsiste; ii y a les décédés ostentatoires,
ceux qui ont leur public à la Toussaint. Ce n'était pas un défunt
à sensation que le grand musicien; ni général, Qi député, ni
homme nécessaire.
Aussi les gardiens ignorent son nom et nul défilé de badauds
n'indique le chemin. J'ai dû m'adresser à l'administration des
sépultures. Oui, dans de beaux registres à dos vert, les pauvres
morts sont catalogués. Le vieux maître n'est plus que le n** 20,
3« allée, 26« division. A grand'peine, j'ai trouvé, tout au fond,
dans l'annexe, entre des concessions cossues à monuments
prétentieux.
Une tombe fleurie dans une grille de bois noir, qui lui donne
une forme vague de berce liégeoise, où rôve^^it à jamais celte âme
d'une pureté enfantine. Au bas d'une croix, une couronne de
myosotis. Non, on ne t'oubliera pas! Et de hautes touffes de fleurs
blanches se penchent vers celui qu'on nomme « le Maître angé-
lique ». Sur le sol, de petites fleurs violâires, des véroniques, je
crois, les mêmes qu'à: Bonn, au tombeau de cet autre rêveur,
Robert Schumann. Une simple inscription.: César Franck, 8 no-
vembre 1.890, 67 ans. Des offrandes de famille 'et de disciples.
Que ces monstrueux cimetières parisien?, si proprets, sont
bourgeoisement tristes, sans mélancolie pénétrante. Que m'a paru
pharisaïque le tant vanté « respect des morts », ce cliché.
El, selon la vieille superstition wallonne, combien doit désolé-
ment errer dans ce désert de pierres la pensée songeuse du
Maître, à la fête des Trépassés, le jour des âmes, quand les
esprits reviennent voltiger autour des tombes.
Au moins, que jamais on ne l'importune, le grand artiste mort
méconnu! Pas de monuments, d'honneurs posthumes, pas de rue
à son nom ni de statue à son effigie. La foule l'a ignoré vivant,
qu'elle le respecte disparu. Pas d'hypocrites manifestations des
bavards officiels. Les souscripteurs aux hommages du jour sont
souvent en même temps les négateurs du génie de demain. C'est
toujours la même race pullulante, anonyme, méchamment obtuse
et qui ne s'incline que trop tard.
Non, qu'on laisse planer en paix l'âme du « Père Franck >».
Elle est trop haute pour qu'on la trouble, fût-ce par des expiations!
. Marcel Rémy
^CCUPÉ? DE ^ÉCEPTIOJ^
La Lutte meilleure (I. Des Fins de Jours), par D. Mayssonnier,
avec préface de René Ghil; Paris, sans nom d'éditeur (Ir:iprim.
E. Goussard, à Melle (Sèvres). — La Chevalière de la mort, par
Léon Bloy (tiré à 100 exempbrires) ; Gand, A. Siffer. — Langues
et Dialectes, revue trimestrielle, publiée sous la direction de
M. Tito Zanardelli ; Bruxelles, Imp. populaire, rue de Longue-
Vie, 36. — Vers et prose, par Stéphane Mallarmé, avec un
porli-ait de J.-M.-N. Whistler; Paris, Perrin et C'«, avec cet avant-
dire : « Afin d'obvier à des déprédations et souhaitant se metire
en rapport aisé avec le lettré amateur de publications courantes,
M. Mallarmé a imaginé de donner lui-même ce Florilège, ou 1res
modeste anthologie de ses écrits; à quoi la librairie Perrin voulut
apporter ses soins. — Ce petit recueil peut suffire au public,
comme inciter chez lui la curiosité d'ouvrages luxueux complets.
— Une lithographie de Whistler, portrait inédit, sert de fron-
tispice.
BlBLIOQRAPHIE MUgICALE
M"» V« Muraille, éditeur à Liège, vient de publier la partition
(piano et chant) à! Andromède, le poème lyrique et sym|)honique
pour soli, chœurs et orchestre de Guillaume Lekeu, sur un texte
de Jules Sauvenière, qui valut à son auteur le second prix de
Rome.
Nous avons dit lors de la première exécution de l'œuvre, en
mars 1892 (concert annuel de l'Ecole de musique de Verviers) le
mérite de cette coniposilion, qui classe d'emblée M. Lekeu parmi
les musiciens les plus distingués de notre pays (i).
La partition est gravée avec le soin et l'élégance qu'apporte
à chacune de ses publications l'excellente maison d'édition
liégeoise.
f"^°'^^Q^^ JUDICIAIRE DEg ^RTg
-- Tonrs et Tonrelles de Belgique (2).
Le tribunal civil de Brux'elles vient de rendre son jugement
dans l'intéressante affaire que nous avons relatée. Il décide en
principe qu'il n'est pas permis-de débiter en détail les planches
d'un ouvrage qui forme un tout, ce fait apportant une modifica-
tion à l'œuvre, au sens de la loi du 22 mars 1886 sur le droit
d'auteur. Dans le doute, d'ailleurs, sur l'application d'un texte de
cette loi, il faut toujours se montrer le plus favorable aux auteurs,
la loi ayant été faite en vue de protéger ceux-ci contre toute alleinle
portée à leurs droits.
En conséquence, MM. Jean Baes et Lyon-Claesen gagnent leur
procès. M. Lamerlin est condamné à 300 francs de dommages-
intérêts pour avoir vendu un certain nombre de planches déta-
chées de l'album : Tours et tourelles de Belgique, et il est interdit
au libraire, sous une astreinte de 50 francs par infraction, de
continuer la vente en détail do l'ouvrage.
Nous apprenons que cette décision sera frappée d'appel,
(1) Voir VArt rnô'deme du 3 avril dernier.
(2) Voir le n» 46, p. 365.
. J
LISTE DE SOUSCRIPTION
POUR LE
MONUMENT CHARLES BAUDELAIRE
SOUSCRIPTEURS BELGES (1).
PREMIÈRE LISTE.
MM. Eugène Ysaye . fr. 5
le docteur Gevaeri . - 5
Emile Vandervelde ........ 5
Gustave Kefer 5
M. Van der Meyien 10
Georges Fié. 5
G. Van der Meyien 10
R. Van der Meyien. . 10
Edmond Picard . .100
En\ile Verhaeren . 10
Octave Maus. 10
'Pierrc-M. Olin , • 5
Emile Van Mons . . '. 5
Mu« Nysten, à Liège 5
Anonyme .• . 1
MM. Henri La Fontaine '5
H. de Brouckere 5
M""» Monnom 5
MM. Aug. Descamps 5
Théo Van Rysselberghc 5
Selhe, à Uccle 5
M. Cranleux, à Bornhem . .' 2
A reporter. . fr. 223
Petite CHROf^iquE
M. F. Binjé expose au Cercle artistique une soixantaine de
tableaux et d'aquarelles, moisson soigneusement et laborieuse-
ment engrangée par le peintre en plusieurs campagnes d'art. On
connaît le senlimenl délicat avec lequel M. Binjé interprète les
intimités de la nature. C'est un doux et un rêveur, qui excelle à
faire vibrer la petite note émue. Paysages enlinceullés de neige,
orées écarlales, soirs mélancoliques, dunes protégeant maieinel-
lemeni les maisonnettes blanches coiffées de tuiles, on retrouve à
l'exposition tout ce qui constitue les dilections habituelles de
l'artiste, qu'un labeur incessant a, fait sortir du rang des amateurs
pour le faire entrer, bien armé, 'dans les milices de l'art.
Nous extrayons ce qui suit du numéro 31 (octobre -1892), des
Entretiens -politiques et littéraires et nous l'adressons au tra-
ducteur d'Emerson en faisant le même vœu que cette revue :
K L'Art moderne termine ce mois la publication du bel essai
« sur le Poète, de R.-W. Emerson. Nous espérons que ces excel-
« lentes traductions paraîtront bientôt en volume. »
Avis à notre collaborateur I. Will, pseudonyme d'une très
intelligente et très aimable femme.
Sous la signature Alfred Vallelte, l'Echo de Paris littéraire
illustré, nouveau périodique fort intéressant (sera-l-il proscrit de
Belgique, comme l'Echo dont il est le supplément?) consacre
aux jeunes revues, et spécialement à la Wallonie, un article des
plus élogieux. Ce qui n'empêchera pas notre presse, vraiment
trop départementale, de continuer à ignorer le superbe mouve-
ment littéraire qui met la Belgique au premier rang des nations
artistes.
Signalons aussi l'excellente étude publiée dans la livraison
d'octobre de la Société nouvelle par M. F. Nautet, consacrée aux
romanciers belges et spécialement à Camille Lemonnier. Cette
(1) Les souscriptions sont reçues dans les bureaux de l'A?^ moderne,
d'où elles seront transmises au Comité central, f Paris. , -
;■ T^'f ?^™''^5'. - ï^fS^.s?;^^^:"
i«W(l5ç
élude forme un des chapitres de l'Histoire des lettres belges
d'expression française, dont le premier volume a paru et dont
nous avons vanté l'ê^Spril judicieux et de probe critique.
Les peintres IJytterschaut, Gailliard, I.ynen, Ciarys et Collarl
collaborent, par des dessins de choix, à un numéro de Noël de la
Chronique du Sport et de l'Elevage, qui sera mis en vente dès le
i^' décembre (numéro de luxe, grand in-4o, 30 pages de texte). C'est
la première fois en Belgique qu'un journal de sport fait appel àdes
crayons d'artistes : félicitons la direction de cette innovation et
souhaitons, pour nos amis les peintres, que ce bon exemple soit
suivi-
Parmi ]es publications spéciales du prochain Christmas on
annonce aussi un Palais-Noël rédigé par un groupe d'avocats-
écrivains, avec illustrations dues à la plume satirique de con-
frères, reproductions de portraits, caricatures, etc. Collaboreronl,
entre autres, à ce numéro exceptionnel, — nouvelle preuve de la
vitalité de la Conférence du Jeune Barreau, — MM" Maelerlinck,
Edmond Picard, Victor Arnould, Octave Maus, Arthur James,
Eugène Demolder, Jules Destrée, H. Carton de Wiart, Max
Elskamp, Charles Dumercy, Jacques des Cressonnières, Firmin
Van den Bosch, Léopold Courouble, Paul Errera, Michel Bodeux,
Albert Mélot, Alexandre Bidarl, etc. Les collaborateurs artistes
sont, outre M" Jules Le Jeune, ministre de la justice, MM" H. Le- ■
maître, bourgmestre de Namur, Auguste Delbeke, Daniel de
Haene, Albert Delslanche, Maurice Bekaert, etc.
La couverture artistique de cette intéressante publication sera
illustrée à l'eau-forte par M"« Louise Dansé.
n
M. le D' Virgile Rossel dont nous annoncions l'ouvrage sur la
« Littérature de langue française étrangère à la France », dans
notre dernier numéro, nous écrit :
« Votre mouvement littéraire m'intéresse beaucoup, j'entends
celui de cette seconde moitié dû siècle. Je ne puis m'associer à
toutes les idées nouvelles qui nous viennent de Belgique, mais
j'admire l'effort, l'entrain et le talent d'auteurs qui sont à l'avant-
garde de celte littérature et avec lesquels il s'agit de compter.
« El savez-vous que si je me suis décidé à écrire mon Histoire
de la Littérature française à l'étranger, c'a été surtout pour don-
ner à ces petites France hors de France, que nous sommes, la
conscience de leur rôle et le sentiment de leur valeur ? Eclipsés
ou remorqués par ce terrible Paris, tel a été trop longtemps notre
sort; nous apprendrons toujours nvieux à « vivre de notre vie »,
pour employer le mot d'un de nos poètes : Juste Olivier. »
A lire dans la Revue universitaire du 15 octobre dernier un
article de M. Eugène Monseur sur la réforme de l'orthographe :
française. L'auteur fait l'histoire de toutes les lettres inutiles qui
se sont anciennement introduites dans notre écriture actuelle. 11
explique en détail comment le dogme de la fixité de l'orthographe
française étant chose xécente, puisqu'il ne remonte pas plus haut
que Louis XIV, la plupart des anomalies de notre notation des
mots français proviennent de la liberté absolue dont jouissaient
autrefois les écrivains. En huit lignes, Rabelais faisait usage de
trois orthographes : Huile, huille, huyle, alors que le mol vient
du latin oleiim, qui n'a pas d'h.
-^^^^ ' '' ' "i ■
Le premier concert populaire est fixé au 4 décembre. On y
entendra pour la première fois en Belgique le célèbre chœur
a Capella d'Amsterdam, dirigé par M. Daniel de Lange, qui vient
d'obtenir à Vienne, à Berlin, à Hambourg, à Leipzig, à Kœnigs-
berg de prodigieux succès.
V Amsterdamsch Koor exécutera une dizaine de compositions
de maîtres néerlandais, wallons cl flamands desxv* et xvi« siècles,
dont l'œuvre est, pour ainsi dire, pterdue pour nous, faute d'exé-
cutants. Pour le public bruxellois, déjà familiarisé avec quelques
œuvres de lancienne école néerlandaise par les madrigaux, les
cantiques, les chansons que M. Gevaert, de temps k auire, fait
dire par les chœurs du Conservatoire, cette audition des chanteurs
néerlandais offrira le double attrait d'une exécution hors ligne, —
sur ce point les témoignages de tous les critiques d'outre-Rhin
sont concordants, — et de la reconstitution de tout un- ensemble
d'œuvres de maîtres, de très grands maîtres, rendues à la vie et
à propos desquelles, dans le public et même parmi les artistes, il
existe de singulières préventions. On les croit généralement
scolastiqués et mornes. Elles sont, le plus souvent, d'une
fraîcheur d'impression, d'une force expressive^ d'une justesse
d'accent et d'une richesse harmonique à peine égalées par nos
maîtres modernes.
On entendra en outre, à cette première matinée des concerts
populaires, une ouverture de Mozart, la suite de Grieg intitulée
Peer Oynt el l'ouverture du Carnaval à Paris de Svendsen,
Une œuvre nouvelle de M. .Rimsky-Korsakovr, il//ac{a, opéra-
ballet en quatre actes, vient de remporter un éclatant succès au
Théâtre Marie de Saiul-Pétersbourg.
La deuxième séance de la Maison du Peuple (Section d'Art el
d'Enseignement populaire) est fixée au mardi 29 courant.
M. Edmond Picard y fera une conférence sur la Vie de Jésus. On
entendra ensuite un fragment de l'Enfance du Christ, de Berlioz;
les deux airs de l'Archange, extraits de Rédemption, de, César
Franck; un Adagio de J.-S. Bach pour deux violons; \e Charme
du Vendredi-Saint (violon el piano) extrait de Parsifal, el le
Prélude, air et variation pour harmonium el piano, de César
Franck.
M. G. Kefer donnera le vendredi 9 décembre, dans les salons
de la maison Erard, la première des trois séances musicales qu'il
consacrera à la musique de chambre de Brahms. Le programme
porte le nouveau Quintette pour clarinette et archets, le i" Qua-
tuor (sol maj.) avec piano el ravant-dei-nière Sonate pour piano et
violon.
M. Joseph Wieniawski donnera cet hiver trois séances popu-
laires de musique de piano, à la salle de la Grande Harmonie.
'I ■
Mîss Florence Monteith, cantatrice, donnera le mardi 29 courant,
à 8 heures du soir, un concert à la Grande Harmonie, avec le con-
cours dé M"^ Rachel Hoffmann, pianiste.
Le pianiste Litta, que les concerts des XX et de la Maison du
Peuple ont mis en évidence, se fera entendre le mois prochain à
Berlin, où il est engagé pour un concert avec orchestre à la
Spciété philharmonique.
M. Litta donnera en outre nn piano-recital dont le programme
comprendra des œuvres -de Haydn, Beethoven, Chopin, Liszt,
Leschetilzky et Vincent d'Indy.
Le peintre Signac s'est uni le 7 novembre à M"* Bërlhe Robles.
Le ministre de l'instruction publique et des beaux-arts de France
vient de décider l'atlribuiion au musée du Luxembourg du tableau
de Renoir -.les Jeunes filles au piano, de la Maternité de Car-
rière et de la Femme qui se chauffe de Besnard.
Vous souvient-il du temps, peu éloigné, où les toiles de
Renoir, exposées aux XX, excitaient les spirituelles moqueries
de Messieurs les Chroniqueurs belges, el où ceux de Paris s'esclaf-
faient devanl les pyrotechnies, les pétards, les outrecuidan-
ces, etc., de cette toile très simple et très belle : Une femme qui
se chauffe?
^— ^^ ^
Des représentations populaires viennent d'être organisées à
Berlin au National-Theater. Le bul qu'on s'est proposé a été de
faire connaître au peuple les chefs-d'œuvre dramatiques des
grands auteurs allemands. Le succès a été complet. Il n'y avait
que deux sortes de places dans la salle : le parquet à 10 pfen-
nigs (12 1/2 centimes) et les balcons à 20 pfennigs (25 centimes).
Le public s'est rendu aux représentations en foule énorme. Il
n'était composé que de petits bourgeois et surtout d'ouvriers,
venus là avec toute leur fanpiille. On a joué le Guillaume Tell de
Schiller, qui a été fort apprécié des spectateurs. Il est vrai que la
diffusion de l'instruction est telle en Allemagne que les auteurs
classiques y sont lus par les plus humbles travailleurs. La Cloche
de Schiller, par exemple, est citée couramment dans Jeur conver-
sation par lès ouvriers berlinois.
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Comité de rédaction i Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
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Adresser toutes les communications à
l'administration générale de TArt Moderne, rue de l'Industrie, 32, Bruxelles.
Sommaire
Les chieks dr Joseph Stevens. — Quelques livres. — Un mande-
ment DU SAR PÉLAflAN. -^ LeS COULISSES DE LA TABLEAUMANIE. Clouer
un tableau. — Expositions ouvertes, — Chronique judiciaire des
ARTS. — Petite chronique. ,,
LES CHIENS DE JOSEPH STEVENS
« . Si je n'ai pas, en effet, l'honneur de vous connaître,
Monsieur, je connais du moins vos œuvres et me rap-
pelle encore le frisson à la fois amer et doux que j'éprou-
vai devant certaines de vos toiles, au Musée national
de Bruxelles, qui figurent à côté de celles de Rubens,
de Van Dyck, de Teniers et tutti quanti. Vous êtes un
de ces rares et sévères ouvriers qui, sacrifiant leur vie
entière à l'étude de quelques types spéciaux, s'y bor-
nent, afin de mieux surprendre en eux une ligne, un
point qui distingue leur structure à peu près semblable
et mille traits établissant pourtant la singularité de
leurs physionomies et la diversité de leurs mœurs. Or,
vos pauvres chiens, en qui je retrouvai plusieurs des
miens, s'enlèvent au milieu des dieux, des rois et des
saints qui les environnent, et les Trais martyrs, les
héros réels, les seuls grands, ces douteux, ces petits,
ces meurt-de-faim, ces gueux, ces va-nu-pieds, ces misé-
rables à quatre pattes, eux à qui notre cher et noble Bau-
delaire avait aussi réservé, depuis déjà longtemps, un©
place d'honneur en ses impérissables poèmes. Autant
pour rendre témoignage à votre talent de peintre ani-
malier, sans rival, aujourd'hui, que pour honorer en
vous l'ami constamment fidèle à mon maître expiré, je
vous dédie, à votre insu, ces pages de prose intime avec,
le secret espoir qu'elles vous toucheront la fibre, comme,
en Belgique, vos tableaux me la touchèrent à ndoi-mème,
et si profondément, qu'elle vibre dès que je vous vois
cité dans les colonnes des gazettes, en quelque catalogue
ou parmi le texte des livres de critique, et sitôt qu'on
parle de vous, en ma présence, au Louvre, au Luxem-
bourg, au Salon, ailleurs, partout enfin où forcément
il est question des Jadin, des Barye, des Millet, des
Corot, des Troyon, des Dupré, des Rousseau, des
Daubigny, des Courbet et de tous ceux de vos contem-
porains de France dont vous égalez ou dépassez la
taille ; car, on le sait de mieux en mieux chaque jour
en tout lieu, vous n'êtes inférieur à personne, soit
là-bas, chez vous, soit chez nous, ici. »
Ces phrases sont extraites d'une épître à Joseph
Stevens, signée Léon Cladel. Hommage enthousiaste
rendu par le grand écrivain français au beau peintre
belge qui vient de mourir (1) et dont l'exposition de
quelques-unes de ses œuvres choisies est ouverte à la
Galerie du Congrès.
(1) Voir rArt moderne du 7 août dernier.
Certes, il est quelques toiles de début ou de commande
qu'on eftt dû ne pas montrer au public dans cette expo-
sition posthume faite pour honorer un maître. Mais, ces
tableaux mis à part, l'ensemble de l'œuvre est réelle-
ment saisissant et l'on sent u-n des plus fiers porteurs
de palette de la pléiade qui a donné k notre pays les De
Braekeleer, les Dubois, les Degrcax et tant d'autres,
disparus Ou disparaissant avec la génération dont ils
ont fait la gloire. On le devine i ément de la même
famille. Tel morceau exhale l'ûpre et poignante
tristesse dont l'auteur du Benedicilc imprégnait sa
couleur. Tel tableau est ambré, d'une lumière brune et
chaude, d'une intimité à la Pieter De Hooghe, et évoque
ce nom magique : De Braekeleer. Le pinceau, dans les
belles esquisses, est brûlant, fiévreux, impatient de
nerf, d'une maîtrise fougueuse, La couleur se consolide
au faire magistral des Fyt et des Snyders, se spiri-
tualise à l'étude de petits maîtres hollandais, se dore
aux lumières des intimistes, mais â'exacerbe aussi au
contact de modernes, surtout quand Stevens raconte
des mélancolies dé banlieue et des misères rogues de
chiens rôdeurs. Le dessin est juste, et toutes les phy-
sionomies de la race canine, les voilà, furieuses ou
caressantes, attentives ou attendries, lasses ou aspirant
aux courreset aux chasses. 0! les beaux abois de cou-
leur ! les belles croupes luisantes et bien musclées de
chiens de ferme, de chiens de charrette, de chiens de
garde, de levrettes, de king-charles, de terre-neuve, de
carlins, de roquets, de buU-dogs !
On dira « les Chiens de Joseph Stevens » comme on
dit, toute révérence gardée, « les Héros d'Homère " ou
« les Femmes de Shakespeare ". Il a haussé chacun
d'eux à la synthèse. Il a^ résumé, en des types inou-
bliables sitôt qu'entrevus, toutes les observations accu-
mulées en lui, et avec quelle afl'ection câline pour ses
modèles! Ses chiens ont leur caractère propre, leurs
vices, leurs qualités. Il en est de lamentables qui évo-
quent tout un passé de traîne-la-misère et de crève-la-
faim aux carrefours des routes. Ceux-là surtout parais-
sent lui être chers, et c'est a:vec une émotion rare qu'il
peint leurs côtes efflanquées, leur échine rabotée, leurs
yeux guetteurs des coups à fuir. D'autres sont chiens
de maraude, pillards, insolents. D'autres encore chiens
de valetaille, familiers d'écuries et d'antichambres, avec
quelque obséquiosité dans la démarche. D'autres ont pris
de. l'aristocratie de leur maître des habitudes de vie-
somptueuse, des attitudes lasses, des regards dédai-i
gneux. D'autres... Mais nous n'en finirions pas.
Ce qu'il importe de préciser, c'est qu'aucun animal
n'a eu, comme le chien ^ l'honneur d'avoir pareil por-
traitiste. Songez aux Qhevaux de Géricault, aux Bœufs
et aux Vaches de Paul Potter et de Troyon, aux Mou-
tons de Jacque, et voyez ensuite les Chiens de Stevens,
Saisissez-vous la différence ? Ce dernier est le seul qui
ait trouvé la î>hysionomie particulière de ses modèles,
nettement distincte non de race à race, mais d'individu à
individu. Il a donné au chien une personnalité. Et pour-
quoi pas? Michelèt n'a-t-il pas appelé' les bêtes « ses
frères inférieurs ?"
« C'est cette variation, cette analyse des différences
amenées par le tempérament propre ou les vicissi-
tudes de l'existence qui l'ont mis bien au-dessus des
autres peintres d'ani,maux de ce temps, même au-des-
sus de Decamps, qui se peint dans ses singes en homme
de trop d'esprit qu'il est ", a dit Camille Lemonnier
dans son Histoire des Beaux-Arts, oCi il assigne large
place à Joseph Stevens. " Caniches, barbets, épagneuls,
mâtins et roquets ressemblent, chez l'artiste bruxellois,
à des acteurs naïfs qui s'ignorent et ne jouent pas la
bête, comme il arrive ailleurs. Leur bêtise est un lot
qu'ils se transmettent, plus admirable que notre finesse,
puisque celle-ci n'aboutit souvent qu'à nous rendre
ingrats et méchants. On reconnaît dans toutes ses toiles
l'œuvre d'un maître préoccupé de l'expression juste et
de la belle exécution. Ses anatomies ont le nerf de la
réalité, avec des manœuvres hardies d'attitudes et de
mou-vements ; il n'a que faire, pour prouver leur méca-
nisme, du détail photographique ; la vie dans l'art s'ob-
tient au prix de la simplification, et il procède par
grands plans qui sont comme la synthèse de la vie pen-
dant l'action. "
Loin d'affaiblir les souvenirs qu'ont laissé, parmi les
hommes de notre temps, les toiles du maître, dissémi-
nées dans les Salons et dans les collections particulières,
la réunion de ces joyaux, malgré son côté hâtif et comme
" par hasard », affirme la haute personnalité du peintre
et la variété d'un talent qui sut ne point se répéter,
bien qu'il demeurât de parti pris sur un territoire res-
treint et, eût-il semblé, ingrat.
QUELQUES LIVRES
Le fou raisonnable par A. Goffin. — Bruxelles, Ch. Vos.
Le nouveau livre que M. Arnold Goffin nous présente osl écrit
avec acuité, Maxime n'était point dégrossi, monotone el, en bien
des pages, lourd. De plus, le môme personnage toujours en scène,
fatiguait de sa mélancolie toujours maintenue au ton mineur et
qui finissait souvent en ronronnement.
Le fou raisonnable se rêve dans les autres. Il se - dresse son
spectacle, il se jout sa pensée, il s'invente des phases d'existence.
Il est prince, paladin, rêveur,' voyageur tour à tour, il l'est
pendant l'espace d'un poème, d'une manière charmante, mais
surtout curieuse. Il rencontre dans la vie dont il atmosphérise
son livre des personnages spéciaux, étranges, énigmaliques, —
même il se heurte, à point nommé, au diable. Et ce sont des
scènes prestes et nettes, piquées de mois, souvent d'heureuse
recherche ; ce sont des décors inattendus ou luxueusement ima-
ginés ou t'unérairemenl et horriblement dressés. L'être le plus
continuellomenl évoqué, c'est l'éphêbe, autour duquel les senti-
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menls de cruauté ardente en lutte avec les inexpliquées douceurs
s'entrecroisçnt comme des épécs. M. (lotVin appara-ît ainsi, au
résumé, celui pour qui la vie quotidienne s'est transformée en
une incessante fêle d'ironie, de fantaisie et de tristesse cl (|ui s'y
promène non sans relire les, poèmes en prose de Charles iJaudc-
laire et certaines paires de Malliirmé, qu'il lient toujours, dirait-
on, en ses poches. Au résumé, un livre qui compte.
La Chouette, roman philosophique, par Alfhkd Le Bourolignon.
— Paris, Ghamuel.
Ce. livre remarquable el curieux est d'un IJelge dont il constitue
assurément l'œuvre capitale. M. Le Bourguignon avait, il y a
longtemps déjà, publié un roman et quelques pièces de ihéûtre.
La précédente génération était assoiffée de positif. In forl
besoin d'exactftude la menait à la négation ou à l'indifférence
pour ce qui lui paraissait en dehors de toute portée scientifique.
Et il eût été mal venu celui qui sérieusement aurait traité de phé-
nomènes réputés merveilleux. Le vent a tourné; le même esprit
tout entier se portant vers le réel, reslreignanl son domaine pour
le mieux posséder,. préoccupé surtout de se fixer des limites, a fait
un. saut en plein mysticisme et se livre à l'analyse de ce merveil-
leux qui, il y a vingt ans, n'eût mérité qu'un dédaigneux hausse-
ment d'épaules. L'acluelle génération ne s'effraie de rien, et des
mots qui autrefois auraient inquiélé le public au sujet des facultés
mentales de l'auteur, sont proférés le plus simplement du monde,
tels : astrologie, magie blanche et noire, incubes et suc-
cubes, etc.
Le présent livre est un curieux spécimen d'un genre mixte où
se rencontrent et se joignent l'esprit de positive analyse propre
au passé et le penchant vers le fantastique, caractéristique de
l'époque actuelle, et de plus une vasle et profonde érudition
exactement correspondante à ces deux phases. La trame du livre
appariient h la seconde. En effet, l'ouvrage entier pivote autour
d'un fait semblant du domaine du m«rveilleiix, du moins jusqu'à
l'explication dernière qui s'efface timidement à la fin et passerait
facilement inaperçue. Ce fait mystérieux et fantastique est une
auberge hantée; et viennent, se succédant en une même épou-
vante, les récits de voyageurs incommodés la nuit par les visites
d'un monstre à allure simiesquc, qui dans l'obscurité les horrifie
de ses attouchements, parfois les enlève, les étrangle; histoire
d'un chanoine trouvé mort dans son- lit, victime de l'hôte noc-
turne. Ces fantastiques et émouvants récits sont le noyau autour
duquel se groupent des incidents divers, qui prineipalemcnt ser-
verfl à exposer les idées de l'auteur. Et l'auleur a beaucoup
d'idées.
Sous ce titre lugubre : La Chouetle, el parmi l'entrecroise-
ment très compliqué d'aventures horrifiques, il y a, sous-jaccnte,
une véritable encyclopédie. La portée du livre dépasse de beau-
coup l'apparence; le côté fictif qui h première analyse peut sem-
bler important à cause des impressions de (erreur qu'il suscite,
est en réalité très accessoire.
Dans ce volume, l'auteur a condensé, à propos de toute chose :
religion, politique, science, étal social el le reste, toutes ses opi-
nions et toutes ses études. Des chapitres entiers sont rempllg par
des réfutations théologiques, des descriptions astronomiques et
des contemplations sidérales, des exposés de réforme sociale, des
théories démoniaques. A travers tout cola, succubes et incubes,
possédés el diables, terriblement se démènent. Il y a tout au long
et minutieusement la céi-émonie religieuse d'un exorcisme. A n'en
pouvoir douter, l'auteur est savant, el son savoir ne se recouvre
point, comme trop souvent il arrive en ce temps, d'expres-
sions rébarbativeinent techniques, mais se revêt, au contraire,
d'une pure forme littéraire, laquelle, quelques détails retranchés
indiquant l'évidente connaissance des progrès contemporains de
la science, ferait croire qu'il ap|)artiont plutôt au xviii^ siècle
qu'au nôtre. Môme pensée analytique et spécialcmonl négative,
même besoin de logique, de clarté cl de précision, el mèmp
absence de synthèse. L'aspect fictif en montre seul la contempo-
ranéité.
Curieux livre, en somme, qui n'entre dans aticune classification
connue, car il n'est ni un roman d'aventures, ni un roman de
mœurs, ni un roman psychologique, ni absolument un ronhan
philosophique, quoiqu'en dise l'auteur, cl il est à la fois un peu
tout cela, el dans une forme claire, pondérée, régulière et par sa
belle el tranquille allure, rappelant les écrivains du précédent
siècle.
Difficile à juger, intéressant à lire,' original certainement, el de
valeur littéraire sérieuse. E.' S.
Les Amants de Taillemark, par Maurice Desombiaux.
— V Monnom, Bruxelles.
Parmi les artistes de notre temps, « sensibles à la lumière
autant que l'irritable petite lame d'or du photomètre », ceux qui
ont le plus complètement laissé agir sur eux l'influence du cou»
rant actuel sont à une étonnante distance de l'art d'hier ; — ils en
sont si loin qu'ils font oublier les catéchismes à peine enterrés
de cet art d'académiques photographes et de sceptiques minuties.
Chez eux, l'idée première, l'impression une de toute l'œuvre
s'impose, rendue plus intense par le miroir à facettes diverse-
ment colorées des symboles qui l'entourent comme un cadre.
' Dans le drame de Maurice Desombiaux, l'idée première doit
être celle de l'amour, amour-aurore, amour-rayonnement, amour-
soleil, « ce taureau de lumière, descendant avec ses voiles rouges
dans la vallée », amour qui rend « plus fort que la vie, plus fort
que le printemps », amour éclairant tout autour de lui. (Acte II.)
Quand, succédant à la haine, l'amour s'est violemment révélé à
ces deux êtres, Rodolphe, Etgive, le contre-coup s'en fait sentir
dans tout le château jusqu'au plus humblç hallobardier.
— D^n artiste, la conception qui a placé ces deux- amants au
centre d'un petit monde que leur vid anime et que leur haine
avait assombri. D'un artiste aussi celte haine fcTOce, remplissant
tout, semant l'effroi, sonnant la mort, répandant autour d'elle une
atmosphère de terreur; — el celle dame noire qui hante le chû-
teau dans ses jours de depil, légende de tant de vieilles murailles,
symbolisant ici non la mort ordinaire, mais la pire des moris, la
haine, négation puissante de ce qu'il y a en nous de plus vivant.
Cette dame noire, elle ne reparaît plus'quand meurent les deux
amants dont la Vie pourtant était l'âme de la vieille demeure; la
dame noire est à jamais vaincue par la vibrante affirmation de
l'élernilé de l'amour : « La mort, qu'elle vienne; elle sera l'au-
rore d'un jour de fête, un jour qui durera éternellemont. La mort
ne supprimera rien, elle enlèvera définitivement la gangue qui
enveloppait le diamant. Je sors des ténèbres, je sens déjà mon
front dans la lumière. Je me sens pénétré de lumière, et vous ne
voyez pas, par vos yeux charnels, de quelle splendeur' je suis
revêtu. La région vers laquelle je me dirige m'illumine. Les
voiles tombent devant mes regards et je vousvois aussi, éclairés
par la lum-ière de moi-même. La mort, elle, viendra comme une
bien-aimée vers le fiancé, le soir des noce?, parce que nous
l'aurons vaincue. » (Acte lU.)
D'un artiste, la très vivante unité de ce drame, mais aussi d'un
artiste jeune, que les choses impressionnent trop vivement pour
qu'il puisse les colorer .de sa réelle personnalité encore forcé-
ment indécise.
D'esprit, un généreux enthousiaste manquant encore de la féro-
cité d'égoïsrtSe nécessaire pour repousser tout ce qui dans la ten-
dance moderne ne lui vient pas de son propre instinct.
Ceci ne s'adresse qu'à la forme,,Betïr le fond, quoi de meilleur
pour nous aider à grandir, que'ces chaudes affirmations?
Ce ne sera pas une génération de lâches et de fatigués que noire
vieux siècle léguera à son successeur et la jeunesse qui entrera
dans la terre promise des idées modernes, y entrera cuirjissée de
volonté confiante.
Pour nous, qui n'espérons pas voir l'ère nouvelle, nous sommes
reconnaissants à ceux qui nous en donnent la vision.
I. W.
Amours mortelles, par Emile Leclercq, — Impr. Weissei^i-
bruch, Bruxelles.
o M. Albert Liétenard, juriste déjà célèbre à trente-six ans,
fort estimé dans tous les parquets, avocat à Bruxelles, habitait,
pendant les vacances, sa villa de la digue de mer de Blankcn-
berghe. 11 possédait, outre les ressources de sa profession, une
petite fortune personnelle, et sa femme, née Alice Dauville, Fran-
çaise du département du Nord, fille d'un industriel, lui avait
apporté une dot assez considérable. Il avait ainsi, après neuf ans
de mariage, avec deux enfants bien portants, une position et une
réputation des plus honorables; il vivait largement ; c'était un de
ces hommes dont on dit qu'ils sont nés sous une bonne étoile.
Les maisons confortables, bâties en face de la grande mer, à
Blankenberghe, sont délicieuses à habiter. »
La nouvelle — l'histoire d'un mari qui devient fou de jalousie
et d'une vieille bourgeoise qui se saoule à l'eau de Cologne —
débute ainsi.
On s'aperçoit immédiatement que la platitude de l'observation
est familière à l'auteur. Lorsqu'il décrit M"" Liétenard, il avoue
qu'elle « n'avait pas ces qualités brillantes qui excitent l'intérêt
des messieurs {sic) ». D'autre pari, il constate qu'au bain de mer
« des dames {sic) faisaient la planche entre deux lames ».
C'est charmant, n'est-ce pas? Ce livre est écrit dans cette langue
d'arrière-boutique du « bas de_ la ville » où les maîtresses de
maison disent au visiteur « Mettez-vous! » et où elles lui deman-
dent, dans le cas où il est jeune marié : « Il n'y a pas encore
d'apparences? »
M. Leclercq a la vulgarité facile. Il saisit d'instinct les expres-
sions banales. Certaines de celles-ci reviennent périodiquement
sous sa plume, d'une façon obsédante. A la page 36, M™' Liéte-
nard mère « se lève comme un ressort ». A la page 84, M. Liéte-
nard « se lève comme un ressort ». A la page 110, M""= Liétenard
« se lève comme un ressort ». Une famille ù boudin, quoi?
Dans les scènes dramatiques, M. Leclercq est drôlichon.
Lorsqu'on rapporte M. Liétenard noyé, à sa femme, le médecin
dit à celle-ci :
« — Je pense que chacun de nous, en ces douloureuses circon-
stances, doit suivre l'impulsion naturelle. Avçz-vous au moins pris
quelque chose ce midi?
— Elle lit non de la tête. '
— Buvez un verre de vin, cela vous aidera à supporter le pre-
mier choc. »
/
Un peu après, ce jéyeux hippocrale dit encore à sa cliente :
« — Madame, vous feriez bien de vous retirer. »
Donnons le même coiiseil à l'auteur.
Papillons et papillotes, par E. Lecomte. - Verviers, Oilon.
J'ai toujours aimé
- L'humble pâquerette,
Naïve fleurette
Dont la colerette
M'a toujours charmé.
Non, n'est-ce pas. Et que dire, sinon que des papillons de |a
poésie M. E. Lecomte a fait de vieilles papillotes pour les muscs
provinciales. . .
Un mandement du sâr Péladan
Le sâr Joséphin Péladan vient de lancer à Monseigneur l'ar-
chevêque de Malincs ce mandement, dont les idées, malgré la
forme étrange dont il les a vêtues, méritent d'être hautement
approuvées :
Acta Rosœ Cruels Templi et Spiriliis Sancli.
A Son Eminence le Cardinal Goossens, archevêque de
Malines, primat de Belgique, Salut et Lumière en N.-S.-J.-C.
Vous avez empêché notre prédication à Malines par rancune de
l'exécration légitimement lancée contre le Congrès de cette ville
qui blasphéma le saint Esprit et calomnia Baudelaire, d'Aurevilly,
Villiers de l'Isle-Adam, Verlaine et nous-même.
Aujourd'hui nous faisons par ce mandement une remontrance
formelle sur un double abus, également abominable devant les
saints canons et devant l'idéal éternel.
De quel droit fermez-vous l'église tant que dure le jour? Igno-
rez-vous que ce refuge sacré doit demeurer ouvert à la méditation,
au repentir, à la prière, aux nobles rêveries.
N'avez-vous jamais confessé pour ignorer que les individualistes,
les plus rares et précieux des êtres n'entrent dans le temple que
lorsqu'il est vide de foule?
Ainsi vous fermez la maison de Dieu aux chrétiens pour les
rançonner.
La moindre chapelle de votre pays ne s'ouvre, comme un
mauvais lieu, qu'à prix fixe !
El quand le visiteur est dans la nef, une sorte de chantage com-
mence, chaque tableau de maître, chaque chef-d'œuvre apparaît
caché par une sordide toile verte, et pour le voir un instant, il
faut payer, ô vendeur- du Temple !
Eh bien ! Eminence, nous sommes celui qui n'a pas vu La
Descente de Croix, à la cathédrale d'Anvers, pour que vous soyez
devant la papauté et la postérité celui-là qui prive un artiste
pauvre de la vue d'une merveille d'art : et ce sera une tache sur
votre nom, parce que le nôtre appartient à l'avenir. '-
De quel droit, archevêque, mettez-vous la lumière sous le
boisseau et la couleur dans les ténèbres et le chef-d'œuvre sous
une lustrine.
Vous savez gémir sur les œuvres profanes, vraiment, quel sort
faites-vous aux œuvres sacrées?
Les. païennrrics rayonnent dans les musées; heureux qui a peint
des nudités et des mylhologies, tous l'admirent librement. Quant
V
aux mystiques infortunés, aux génies sacrés, vous les damnez, ô
cardinal.; la lumière du chef-d'œuvre, impie, vous la vendez.
Ignorez-vous que les œuvres dépérissent comme des êtres, si
on les prive de lumière; que le frolltmcnt de vos lustrines use
les meilleures œuvres; que le battement des' volets fendille le
trypiique, et que vous êtes un iconoclaste et un assassin des
chefs-d'œuvre.
Apprenez de nous, Eminen'ce, que l'Adoration de Vagneau
mystique, d'un Van Eyck, ou la Châsse de sainte Ursule conver-
tira des pécheurs qui riraient de vos propres discours sans art ni
science.
Comme j'invitais les artistes de la Rose f Croix belge h repren-
dre la voie mystique des Mclsys, des Bouts, des Lucas de Leyde :
« Non, me dirent-ils, nous ne voulons pas opérer pour les ténèbres
d'un voile vert les miracles de la couleur, nous ne voulons pas
qu'un Goossens fasse servir nos efforts à rançonner nos pauvres
frères de l'avenir. »
Je vous accuse donc, Emincnce, d'attenter à la troisième per-
sonne divine en livrant à la rapacité de vos bedeaux et sacristains
les Saints de l'art.
Le chef-d'œuvre est une relique : il fera les miracles dont vous
êtes incapable, laissez-le resplendir. Laissez les pauvres approcher
dii Beau, laissez les artistes contempler les discours de leurs
maîtres qui seuls les convertiront; ou bien avouez que vous êtes
barbare, protestant et indigne de ce chapeau qui, pendant tant
de siècles, fut l'insigne des plus nobles patrons et protecteurs de
l'art.
La remontrance d'aujourd'hui précède la dénonciation au
Vatican. Rendez la lumière aux Van Eyck, rendez le chef-d'œuvre
aux pauvres artistes, rendez Memling à tous afin qu'il miraculise,
et vous serez exalté en ce monde et en l'autre. Sinon, vous verrez
venir, armés du scandale, de nouveaux fanatiques qui, jusque
dans vos palais, viendront, à l'instar de vos ancêtres qui aimèrent
si bellement la liberté, crier jusqu'à victoire : La lumière aux
chefs-d'œuvre et le chef-d'œuvre à tous, en nom de Jésus-Christ.
Je suis, en l'Eglise catholique, apostolique et romaine, ma
mère, votrq animiquement respectueux
" — Sar Péladan,
Grand Maître de la Rose f Croix, du Temple et du Graal,
LES COULISSES DE U TAB)[/EAUMANIE
(1)
CLOUER UN TABLEAU
Parmi toutes les ruses de guerre (et Dieu sait si elles sont nom-
breuses) usitées entre marchands de tableaux qui se font concur-
rence, une des plus amusantes consiste dans la petite opération
qu'on appelle, en argot de métier, clouer un tableau chez un
amateur.
Quoique d'une simplicité presque enfantine, et peut-être même
à cause de cela, cette ruse réussit neuf fois sur dix.
Voici en quoi elle consiste : —
Un marchand connaît chez un amateur un tableau que, pour
une raison ou une autre, il ne peut pas décrocher dans des con-
ditions avantageuses. Que fait-il?
Quand il a épuisé toutes les chances de l'obtenir au prix qu'il
convoite, ou même, ce qui arrive plus souvent qu'on ne pense,
(1)'V. VArt wiodcrne du 18 septembre dernier.
quand il n'a pas d'argent pour faire l'acquisition rêvée, voici le
langage qu'il lient à son client :
« Votre tableau dé"X... est un chef-d'œuvre: c'est un des plus
beaux du maître que je connaisse et le prix que vous en deman-
dez, loin d'être exagéré, ne représente même pas la moitié de ce
qu'il vaudra un Jour. Croyez-en mon expérience, gardez-le et
attendez. C'est du vin en cave que vous avez là. Les œuvres de ce
maître deviennent chaque jour plus rares, voyez la progression
constante qu'elles suivent dans les ventes publiques; quand elles
seront définitivement clouées, ce qui est l'affaire de quelques
années, elles atteindront des prix exorbitants.
« Puisque rien ne vous oblige à vendre de suite, -? ici l'inter-
locuteur fait généralement un geste, qui indique qu'effectivement
rien ne le presse, -r gardez votre tableau encore un an ou deux,
et, au lieu dos quarante mille francs que vous en demandez au-
jourd'hui, vous trouverez facilement preneur à soixante mille.
C'est tellement ma conviction qu'au cas môme où, un jour, on
vous offrirait celle somme, je vous prie de ne pas prendre une
décision avant de m'avoir revu et de m'accorder, dès à présent,
la préférence. » ''
On m'objectera avec raison qu'au point de vue purement com-
mercial, cette façon dé procéder est tout à fait inepte, mais ne
vous ai-je pas déjà prévenu que le commerce des tableaux n'est
pas un commerce comme un autre? Le marchand qui parle et agit
ainsi ne voit qu'une chose : il n'a pas le tableau, c'est vrai, mais
il empêchq aussi un de ses concurrents de l'avoir en l'estimant
un prix qu'il sait bien que celui-ci ne peut pas raisonnablement
payer.
, II n'a pas fait l'affaire, .sans doute, mais il se console en pen-
sant qu'un autre ne la fera pas à sa place.
Le tableau est cloué, car il est bien évidenl que l'amateur, aux
yeux duquel on a fait miroiter des prix fantastiques, ne se résou-
dra jamais, à moins d'un cas de force majeure, à se dessaisir de
son tableau au-dessous du prix qu'on le lui a estimé.
Voici encore une autre raison pour laquelle un marchand peut
être amené à clouer un tableau chez un amateur. Celle-ci puise au
moins sa source dans une nécessité commerciale qui, sans la
justifier absolument, a sans conleste le mérite d'être très habile.
Un marchand rend visite, par exemple, à un amateur qui pos-
sède déjà une petite collection de tableaux. Dans le cours de la
conversation, on en arrive' naturellement à parler delà valeur
des dits tableaux. Un effrayant dilemme enserre alors le malheu-
reux marchand. S'il veut acheter la collection de l'amateur, il lui
faut, fatalement, la dénigrer avec intelligence, de manière à l'ob-
tenir au meilleur compte possible. Rien de plus facile, mais...
un redoutable mais se présente : S'il dénigre la collection de
l'amateur, il s'expose à décourager un acheteur qui n'a probable-
ment pas encore dit son dernier mot.
Partagé entre son désir d'acheter la collection qu'il a sous les
yeux et la presque certitude qu'il ne dépend que de lui de l'aug-
menter, s'il sait s'y prendre, le marchand adroit se résoud à
clouer les tableaux de l'amateur, en les estimant bien au-dessus
de leur valeur.
Convaincu alors que, non seulement il n'a pas . payé ses
tableaux trop cher, mais encore qu'il ne dépend que de lui de
les revendre, quand il lui plaira, avec un gros bénéfice, l'amateur
se laisse facilement persuader qu'il est plus sage pour lui d'ache-
ter que de vendre, et voilà un client de plus.
Enfin, la dernière circonisiance dans laquelle un marchand
^Ui
•-ff^
J
Peut être amené à cloutv les tableaux d'un amateur est celle-ci '■
Il a affaire h une personnalité connue dans le monde de la
abicaumanie et dont, à lorl ou à raison, les avis sont générale-
ment écoutés par les débutants. C'est un auxiliaire précieux, puis-
qu'il est désintéressé, et qu'à ce litre, le concours qu'il vous prêle,
sans s'en douter, ne saurait être suspect à personne. Il- faut donc
l'amadouer, le flatter, se concilier ses bonnes grûccs, ce qui est
un jeu pour un marchand un peu madré.
Sachant qu'à aucuoiprix cet amateur écoulé né se dessaisirait
de sestableaux, qui sont sa gloire et aussi sa raison d'être dans le
monde des collectionneurs, le marchand flatte adroitemcnl sa
manie en surenchérissant, sur la valeur qu'il leur attribue et il
risque d'autant moins à ce jeu, que plus il augmente son estima-
lion fantaisiste, moins le naïf amateur se sent disposé à vendre,
heureux de pouvoir dire dans son entourage :
— Vous savez, le Daubigny que j'ai payé tant il y a dix ans,
eh bien! X... est venu m'en offrir tant, — généralement cinq ou
six fois le prix d'achat, quelquefois même davantage — et j'ai
refusé!
Jugez un peu de l'effet produit par celte nouvelle et quelle
autorité cela donne à un amateur!
Allez, après cela, lui parler de vendre, vous verrez comment
vous serez reçu et de quelle solide façon les tableaux de cet ama-
teur sont c/o«es/
La morale de tout cela, c'est que l'amateur intelligent doit
savoir fâire la part des choses et ne pas prêter trop complaisam-
ment l'oreille aux propos que lui tiennent les marchands, propos
qui flattent sans doute son amour-propre, mais qui n'en sont pas
moins intéressés, qu'il le sache bien.
J'ai bien souvent entendu des amateurs me dire : « J'ai refusé
tel prix de tel tableau », mais la vérité m'oblige à déclarer que
jamais, à ma connaissance, ils n'ont retrouvé ce prix quand une
circonstance ou une autre les ont obligés à vendre.
■ Et nuncerîidimini,,qui judicatis picturavi.
Henri Garnier.
{Gazette de l'amateur.)
EXPOSITIONS OUVERTES
Anvers.
Bruxelles.
Als ik kan (salle de l'ancien Musée). De iO à
4 heures.
— Exposition Van Camp (ancien Musée). Entrée
libre. De 10 à 4 heures.
Exposition Pour l" Art {Sincxen Musée). Entrée:
50 centimes. Carte permanente, 5 francs.
De 10 à 4 heures.
Exposition Henriette Ronner (chaussée de
Vleurgat, 57). Par invitations. Le mardi et le
jeudi, de 2 à 5 heures.
Exposition Joseph Stevens (Galerie Ciarem-
baux). De 10 à 6 heures et demie. Entrée :
50 centimes.
Exposition du Cercle des Arts et de la Presse
(Galerie Moderne). Entrée : 50 centimes.
fÎHRONIQUE .JUDICIAIRE DE^ ^RT?
L'affaire du Iballet Smylis, qui fit quelque bruit lorsqu'elle fut
plaidée en première instance, est revenue la semaine dernière
devant la 1''* chambre de la cour, présidée par M. Eekman.
Comme devant le tribunal civil, MM«« Schwartz el Eugène Robert'
soutiennent la demande. Au banc des intimés Du H.ois, Tj|(éo Han-
non, Sloumon et Calabrési, se trouvent MM*^' Octave Mans, Frick
et liahn.
La cause, qui donne lieu à la d^scussion de diverses questions
iniércssantcsen matière dcdroild'autçin% a déjà pris une audience.
Elle sera continuée demain. '
fETITE CHROf^IQUE -
M. Emile Mathieu, l'auteur.de Richilde, du Hoxjoux, de Freyr;
des Fumeurs de Kiff, etc., a donné la semaine passée, dans un
salon ami, un eaudilion fragmcnlaire de son nouvel opéra L'En-
fance de ÈUand. Bien qu'ifsoit diflicilc de juger d'après une lec-
ture au piano des mérites de l'œuvre nouvelle, l'auditoire a paru
goûter le charme de cette partition sobrement et sincèrement
écrite qui met en scène un joli épisode crnprunté à une ballade
d'Uhland. Nous en avons parlé déjà lors d'une précédente audi-
tion. Souhaitons que sa prochaine exécution au Ihéàlrc nous per-
mette de l'apprécier d'une façon complète.
Vive déception parmi les liabitués du Ihéûtrc : la première de
Maître Martin, qui devait avoir lieu jeudi passé, a dû être remise
à mercredi prochain, M. Lepreslre, lun des interprètes princi-
paux, étant indisposé.
La répéiilion générale a eu lieu mardi devant le public habituel
de ces petites solennités : critiques, abonnés, amateurs de mu-
sique, amis des directeurs, etc. Dans sa baignoire d'avanl-
scène, la reine.
Sans vouloir déflorer l'œiuvre nouvelle de M. Jan Blockx, disons
qu'elle a fait sur cet auditoire restreint une fort bonne impression,
que ratifiera sans nul doute le grand public.
La partition est vivante, colorée, instrumentée avec un souci
extrême d'écriture artiste. Mais craignons d'en dire trop et gar-
dons, bien qu'à regret, nos observations critiques pour dimanche
prochain.
Un groupe nombreux d'ouvriers de la Maison du Peuple a visité
limanche matin l'exposition du Cercle Four l'Art, dont les
ilé
les
membres ont fait avec courtoisie les honneurs à leurs invités.
Excellente initiative, à laquelle nous applaudissons, et que n'at-
teignent point les riéanements imbéciles de quelques gazettes
masuirienncs. ' ;,
M"^ Eugénie Meuris, la gracieuse actrice du Théûtre Libre de
Paris, a fait jeudi, au même cercle, une attachante lecture de quel-
ques œuvres d'écrivains belges. L'estrade était disposée entre les
deux statuettes de la première salle el la lectrice se délachai.t très
joliment, devant le vitrail bleu de M. Thys. Voici la liste des
œuvres lues :
Edmond Picard : l'Art évocateur. — Camille Lcmonnier : la
Fileuse de minuit. — Emile Verhaercn : la Mort. — Georges
Eekhoud : la Nouvelle Carthage (fragment): — Eugène Demoldcr :
la Fuite en Egypte. — Georges Rodenbach -.Bruges la morte
(fragment). — Albert Giraud : Dernières jêtes (fragment). —
Iwan Gilkin : La Damnation de l'artiste (fragment). — Fernand
Severin : le Don d'enfance (fragment). — Maurice Maeterlinck :
Regards.
M. de Burlet vient d'attacher à son cabinet, avec le grade de
chef de division, à litre personnel, M. Joseph Nève. Choix dont se
félicitera le ministre : M. Nève n'a rien du rond-de-cuir. Il est
jeune, actif, il aime le neuf; nul doute «qu'il ouvre quelques
fenêtres dans des bureaux qui sentent le moisi et le renfermé.
Rappelons que c'est mardi prochain, à 8 heures, qu'aura lieu la
deuxième des soirées artistiques organisées par la Seclion-d!ad de
la Maison du Peuple. Outre une confén ncc de M. Edmond
Picard sur la Vie de Jésus et les Contes d'Yperdanune, on enten-
(ira une sélection d'œuvres de J.-S. Racli, M. Berlioz, R. Wagner
cl C. Frynck.,
La première représentation lU' la revu Poiit-BriixeUes aura
lieu jeudi prochain au Tlx^ftlre des Galeries
Voici le programme du premier concert jmpulaire qui aura lieu
le 4 décembre îl la Monnaie avec le concours de l'Amslerdarnscli a
Capel|;H<6or, composé de M''"'» A. Keddingius, Nanny de Roever,
A. -M. Ciouda, C. Nieuwenlinys et Be. :'ia Ilaverman, soprani;
Gerda Reinders, Caleau Riltbe,°Z. Bak' i et Caleau Loman, alli ;
MM. ,I.-J. Rogmaii'*, F.-A.-M. Phili|)peij, T.-B.-M. Staceliiausen,
H. ilaverman, ténors; Joli. -M. Messcliaert, J. Brocck, A-Fermin,
Joli. Soutendijk et Otto W. de Nobel, basses; directeur, M. Daniel
de Lange.
Première partie. — \.- Ouverture de La Flûte enchantée,
Mozart; 'i. Chœurs a capclla des xv'' et xv!*" siècles: Psainne \^11,
. J.-P. .Sweeliiick; /ii/n'c, Guillaume Dufay; A'i/ne e Cfirisle,
Johan Ofkegem ; Canlio sacra : Hodie Christiis natiis est,
J.-P. Sweelinck; Agnus Dei de h mes'.,c Fortuna desperata,
Jacob Ohrecht ; Psaume 118, J.-P; Sweelinck.
Deuxième partie. — 3. Peer Gynt, suite d'orchestre, Edv.
Grifg; Cliœurs a capclla; Douleur me bat, Josquin des Prés;
Madrigal, Cornelis Sdmyl; Petite camusette, Josquin des Prés ;
Entre vous filles, J. Clemens non Papa; Chanson n" 1, J.-P.
Sweelinck; Matona mia eara, Orlandus Lassus; 5. Ouverture
A'Euryanthe, Weber. !___
Répétition générale, samedi 3 décembre, à 2 h. 1/2 précises, à
la Grande-Harmonie.
M. Crickboom avec ses partenaires : Angenot, Hans et Gillet,
compte donner trois séances de musique de chambre à la Salle
Marugg.
La première sera dévolue à l'école russe, la deuxième à l'école
française, la troisième à l'école allemande.
On se souvient du haut intérêt d'art qui s'est attaché l'ani der-
nier aux débuts du quatuor Crickboom. Les auditions de cette
année promettent d'être, de même, d'un vif attrait.
C'est M. Pierrel, le jeune artiste qui débuta si brillamment
aux XX, qui jouera dans ces séances la partie de piano.
Les Concerts classiques de la maison Schott, au nombre de
deux, seront donnés, comme précédemment, dans la Salle de la
Société royale de la Grande Harmonie.
On y entendra le jnardi 6 décembre M"" A. Barbi, cantatrice;
le vendredi 46 décoinbre MM". Jenô Hubay et A. Siloti.
La souscriptioi**iux deux .concerts est de 10 francs pour les
places numérotées, de 7 francs pour les galeries.
Prix des places pour chaque concert : •v Places numérotées,
6 francs; galerieY, 4 francs.
' A l'occasion du xxv« anniversaire de sa fondation, VŒuvre des
Soirées populaires de Verviers organise un grand concours de
littérature entre écrivains belges.
Les intéressés sont priés* de s'adresser au président de l'œuvre,
M. Léon Lobet, à Verviers, pour connaître les conditions de ce
concours.
Le Cercle artistique d'Anvers, présidé par M. Victor Robyns,
préparc une série de séances intéressantes.
Indépendamment des conférences de MM. Joséphin Péladan et
Eug. Van de Walle qui viennent d'avoir lieu, on annonce des con-
férences de MM. Bernard Lazare, Hugues Le Roux, Léon Bloy,
Xanrof, Paul Bourgel, Jules Lemaître, Edm. Haraucourt, Jean
Aicard, George Laguerre, Charles Ricliez, M""" Séverine, G. Roden-
bach, E. Verhaeren, ïi. Van dcr Velde, Eug. Robert, Ad. Prins,
..M"" Popelin. _
Par la section de littérature néerlandaise : conférences de
MM. Jan Van Ryswyck, Pol de Mont, Willcms, Otto, Justus Van
Maurik, et une séance dramatique flamande avec les artistes du
Théâtre National.
Par la section des sciences : conférences de MM. Laifite, Léon
Frédéric, Lbu'is Dolot, Prins, Flamachc, Léo Errera, Van den
Brocck; causeries intimes par MM. Max Defrenne, Kemna, Navez,
Van Bogacrf, de Keyser et Desguin.
Le lundi 28 novembre, à 8 heures, séance dramatique française,
par les artistes du Théâtre des Variétés, pour l'inauguration du
nouveau théûlre.
Du dimanche 4 décembre au mardi 6, de 11 à 3 heures, expo-
sition de photographies. -
La direction a arrêté de plus les fêtes suivantes : outre les grandes
expositions de Noël et de Pûques, plusieurs expositions partielles,
deux grands concerts, avec exécution, au premier, du, Schelde de
Peter Benoit, au second, du Chant de la cloche, de Vincent d'Indy;
deux auditions du quatuor Mariën et plusieurs soirées musicales
intimes. ' '
La direction organisera enfin plusieurs séances dramatiques
françaises et projette une grande fête artistique pour la
mi-février.
Les^peinlres néo-impressionnistes MM. H.-E. Cross, Lucien Pis-
sarro, Hipp. Petiijean, Maximilien Luce, Léo Gausson, Paul
Signac, Van Rysselberghe et le sculpteur Alex.-L.-M. Charpentier
exposeront leurs œuvres les plus récentes, du 2 décembre au
8 janvier prochain, dans les salons de l'hôtel BrébanI, 32, boule-
vard Poissonnière, à Paris. CAtte exposition comprendra en outre
des toiles de feu Georges Seural.
M. Mascart a présenté à l'Académie, dans la séance du
14 novembre, de la part de M. Charles Henry, un exemplaire d'un
lavis lumineux imprimé en dégradé selon les procédés ordinaires
de la typographie par une planche de cuivre avec du sulfure de
zinc phosphorescent au lieu d'encre. Après avoir déterminé la loi
d'émission et l'intensité lumineuse des différentes teintes, l'auteur
a pu résoudre expérimentalement le problème important de la
relation mathématique qui relie à l'intensité lumineuse les numé-
ros d'ordre des différentes teintes. Ces numéros d'ordre ne sont
pas autre chose que les degrés successifs de la sensation.
M. Charles Henry parvient à représenter les observations par une
formule exponentielle, très diflPérenle de la célèbre loi psycho-
physique de Fechner et qui n'est pas soumise aux mêmes difficul-
tés théoriques.
M. Charles Henry, maître de conférences à l'école pratique des
hautes éludes, a ouvert hier, au laboratoire de psychologie physio-
logique à la Sorbonne, son cours de physiologie des sensations.
Dans -le premier, semestre;- il traitera de là photométfie des
intensités très faibles et de différents problèmes de photopto-
métrie ; il exposera la théorie et les principales applications d'un
thermomètre physiologique, fondé sur le principe de Carnet; il
terminera par le développement des méthodes ^i permettent
d'explorer l'olfaction.
Des exercices pratiques sur ces matières auront lieu de
H heures à midi le samedi et à des joprs et heures qui seront
fixés ultérieurement. (^
Nous recevons les premiers numéros d'un nquveau journal, Le
Flambequ^ paraissaîit le samedi à Jemeppe-sur-Meuse, et voué à
la science, à la philosophie, à la politique, à la littérature. Quel-
ques signatures indiquent la tendance nettement socialiste du
journar- Emi.'e Vandervelde, Gustave Gony, 0. Constant, etc. A
signaler de curieux articles sur le spiritisme.
Abonnement^ : Belgique, 3 francs; étranger, 6 francs.
De même, de Lisbonne, A Révolta, revista semanal do socia-
Usmo-anarchico (Traversa do Hospital, 1, l", Lisboa).
Miss Lollie Coilins, qui a créé la fameuse scie Ta-ra-ra-boom-
de-ay, vient d'être engagée par M. Frohman, au Théûtre Standard
de New-York, à raison de 4,000 francs parsemame, pour chanter
seulement 10 minutes par soirée, ^oil 57 fr. 15 par- miaule !...
Les Hommes d'aujourd'hui (Vanier, éd.). — Peraière livraison
parue : Papus, dessin de Delfosse, texte de M. Haveh.
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4-
y
mmmmm
Douzième année. — N" 49.
Le numéro : 26 centimes.
Dimanche 4 Décembre 1892.
M-"-.
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Comité de rédaction t Octave MAUS — Edmond PICARD — Emile VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, îr. 13.00..— ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser toutes les communications à ■
l'administration générale de l^Art Moderne, rue de l'Industrie, 32, Bruxelles^
Sommaire
Maître Martin. ; — L'Archiconfrérie de la bonne mort. —
Gerrit-A.-A. Wagner. — Au Conservatoire. — La direction
Alhaiza. — Accusés de réception. — Chronique judiciaire des
Arts. — Liste de souscription pour le monument Gh. Baudelaire.
— Mémento des expositions. — Petite chronique.
Maître Martin
Allons, bon ! Encore un « petit Belge » qui franchit la
rampe et qui paraît, le gaillard, s'installer en maître
sur la scène. Tudieu I quel entrain, quelle verve et
quelle bonne humeur ! L'expansion d'une âme d'artiste,
servie par une technique singulièrement approfondie
pour un quasi-débutant (M. Jan Blockx n'avait, on le
sait, dépassé qu'une fois, sur les ailes fragiles d'un bal-
let, le manteau d'arlequin), porte très haut les quatre
actes de Maître Martin. C'est presque une surprise,
bien que les mérites rares que nous avons maintes fois
distinguée dans les primes œuvres du jeune maître
anversois nous aient donné l'espoir d'un compositeur
lyrique. Cette fois il prend rang. Et si sa partition
n'était voilée de quelques poncifs, dont la responsabilité
incombe surtout au librettiste (Oh! les chansons à
boire aux refrains repris en chœur ! Oh ! la tradition-
nelle scène de la chapelle et les chants liturgiques
dans la coulisse! Oh! le toujours même défi du Don
Juan démasqué et le classique duel ! Et la sérénade, et
l'entrée inopinée de ballerines amenant sournoisement
le « divertissement » indispensable à la digestion de ces
messieurs!) on pourrait classer l'opéra comique de
M. Blockx parmi les meilleurs.
Ce qui le caractérise, c'est sa sincérité d'expression.
Le musicien dit clairement ce qu'il veut dire et trouve
toujours, pour souligner sa pensée, l'accent qui con-
vient. De plus, — et si nous parlons immédiatement de
ce point c'est qu'il a acquis dans la littérature musicale
moderne rnie importance capitale, — son écriture est
extrêmement soignée et d'un intérêt qui ne languit pas.
Nous voici loin des pâles, et veules, et incolores instru-
mentations de jadis. Loin aussi des lourdeurs qui empâ-
taient telles œuvres antérieures de M. Blockx et dont il
ne reste dans Maître Martin qu'un souvenir : le toni-
truant final du troisième acte dont il nous a été impos-
sible d'entendre une note tant les chœurs et l'orchestre
font rage pour s'étouffer. Nous soupçonnons que ce final,
le « clou » destiné à accrocher l'enthousiasme des spec-
tateurs, est plein de dessins mélodiques enchevêtrés,
d'un déroulement amusant et varié. Mais nous ne fai^
sons que le soupçonner, car l'audition n'en donne pas la
plus faible idée. Tant il est vrai que la surcharge, loin
de produire l'effet souhaité, n'amène qu'un écrasement
de sonorités qui échappe aux perceptions de l'ouïe.
^
Le librettiste, M. Landoy, a puisé le sujet dans un conte
d'Hoffmann. Il s'agit d'un brave homme de tonnelier
nurembergeois qui promet,'tout comme l'orfèvre Pogner
auquel un musicien de génie a donné quelque notoriété,
de fiancer sa fille à l'artisan qui fera œuvre de maîtrise.
Une prophétie en a ainsi décidé. Et l'œuvre de maîtrise,
qu'est-ce, pour Maître Martin, sinon une futaille de
choix, sans défauts, de galbe parfait, de proportions
impeccables?
Les amoureu^ de Rosa se livrent avec ardeur à l'in-
dustrie de la tonnellerie. Frédéric abandonne la ciselure
des métaux. Reinhold quitte son atelier de peinture. Le
jeune baron Conrad lui-même revêt le tablier de cuir, et
les voici tous trois martelant les douves à l'envi.
Reinhold va l'emporter. Mais il connaît le secret de
Rosa et de Frédéric et détruit généreusement son
œuvre pour laisser le champ libre à son an^i. Son désin-
téressement n'a d'autre résultat que de provoquer chez
Maître Martin une colère terrible. Reinhold est chassé
de l'atelier, Frédéric subit le même sort. Tout serait
perdu, si ce dernier n'avait l'idée, en quittant Nurem-
berg, d'offrir au maître tonnelier une coupe d'argent
qu'il a ciselée avec amour. Maître Martin reconnaît
dans ce joyau l'œuvre de maîtrise prophétiquement
annoncée et... dans mes bras, mon gendre!
Bien qu'un peu puéril, le conte est joli et prête à
d'agréables développements musicaux. Le tort du
librettiste, c'est de l'avoir laborieusement dilué en
qiiatre actes en le remplissant d'épisodes accessoires
dont l'opportunité est contestable. .
Le deuxième acte presque tout entier pourrait être
supprimé sans inconvénient. Le musicien s'est battu les
flancs pour le galvaniser. Il y a introduit une jolie valse
lente, dans le style de Brahms, sur le rythme de laquelle
évoluent ces demoiselles du corps de ballet. Il a, de plus,
joliment instrumenté l'entrée de Frédéric. Mais l'acte
n'en demeure ,pas moins un hors-d'œuvre, et la scène
trop ingénue du duel a fait rire. ^
L'auteur- a cru devoir ajouter deux personnages au
conte d'Hoffmann : celui d'une amie de Rosa dont la
fonction est d'essayer sur les amoureux de celle-ci le
prestige de sa coquetterie, et une sorte de Beckmesser
doux, le capellmeister MuUer, auteur d'une cantate
dont il ne cesse d'entretenir tout le monde, et qui
forme, chantée par le lutrin, un fort joli début de qua-
trième acte.
M. Landoy eût pu, dans ses modifications, supprimer
complètement le rôle du baron Conrad, dont l'interven-
tion demeure assez obscure. Il eût pu aussi transporter
l'action ailleurs qu'à Nuremberg, car vraiment le sou-
venir de certaine comédie lyrique qui s'y passe est par
trop obsédant et plane sans cesse sur l'opéra comique
de M. Landoy.
, Mais assez de conseils. Malgré ses défauts, l'adapta-
tion du librettiste vaut tels livrets d'œuvres célèbres.
Elle a suffi à M. Blockx pour lui inspirer quelques
pages charmantes, d'une indiscutable personnalité. Le
quatrième acte, spécialement, est tout à tait bien Tenu
d'un bout à l'autre. Il se développe avec un art parfait,
depuis le délicieux prélude par lequel il débute, et atteint
son point culminant dans un duo de Frédéric et de
Rosa, la scène pathétique de l'œuvre, qui est réelle-
ment un superbe morceau. Le public l'a redemandé.
Le premier acte est également bien écrit et d'une
forme mélodique élégante. On y remarque les couplets
de Maître Martin, la ballade prophétique de l'aïeule,
curieusement accfompagnée par le cor anglais, la harpe
et les violoncelles, et le pimpant corfège de fête, discrè-
tement instrunaenté.
C'est, pensons-nous, dans ce premier acte et dans le
quatrième que M. Blockx s'est particulièrement affirmé
homme de théâtre. Il y a beaucoup à espérer d'un pareil
début. Quand le jeune musicien aura coinplètementf
assoupli sa plume aux difficultés du dialogue, il tiendra
l'une des premières places parmi les compositeurs
lyriques. Dans les ensembles pittoresques, chœurs et
déchaînement de symphonie, il décèle une « patte »
étonnante. Sa musique est d'une couleur riche et harmo-
nieuse; elle a de la vie, du mouvement, une expression
juste. Avec ces dons-là, on va loin.
Ajoutons que l'interprétation de Maître Martin au
Théâtre de la Monnaie est fort bonne. M. Gilibert a com-
posé un maître tonnelier plein de bonhomie et de
rondeur, et sa voix est des plus agréables à écouter.
MM. Leprestre, dont une indisposition a fait retarder
de huit jours la première représentation impatiemment
attendue, Isouard, Ghasne et Barbary, M"** Lejeune,
ArchàimbaudetWalter forment un ensemble homogène
et défendent vaillamment l'œuvre de Blockx. C'est par
des acclamation^ unanimes que s'est terminée la pre-
mière, préparée avec beaucoup de soins par les direc-
teurs, dont la caisse s'est ouverte largement aux déco-
rateurs et aux costumiers.
L'ARCHICONPRÉRIB DE LA BONNE MORT '^^
In momento, in ictu oculi, in novissima tuba.
On va croire sanis doute que je suis sur le point de vociférer
une homélie. Qu'on se tranquillise. Je voudrais simplement, après
tant de monde, rassurer un peu le publjc frappé d'inquiétude, en
lui conférant à mon tour d'inestimables avis.
Mais je tiens, avant tout, à faire observer, comme une chose
atnusanle, qu'à la minute précise où la dynamite pastichait une
fois de plus la Vraie Colère, on n'avait pas encore tout à fait
fini de chanter çà et là, dans les églises tendues de noir, les
(1) Nous donnons à titre de document ce curieux article inédit du
grand pamphlétaire Léon Bloy. Bien qu'il n'ait pas un rapport direct
avec le but exclusivement critique de notre journal, nous nous serions
fait scrupule de priver nos lecteurs de cette page vigoureuse.
- f-.-
~--ï!^'?pî?5^*|f?f«
quelques mots liturgiques dont j'estampille audacieusement ce
bavardage et qui sont la rubrique très essentielle du mélancolique
et redoutable novembre des Trépassés. _ -
« Au moment même, en un clin d'œil », et même dans le
cinquantième de l'interminable durée d'un clin d'œil, on est
réduit en bouillie, ostensiblement et irréparablement dessoudé
par le souffle crapuleux, mais incontestablement décisif de
l'Anarchie.
Pourquoi donc alors me serait-il interdit de désigner exacte-
ment les compagnons anonymes de la Propagande, en décernant
à leur troupe sympathique la dénomination méritée d'Archicon-
frérie de la Bonne Mort ?
Ah ! je sais bien qu'elle a déjà trop servi celte appellation. Je
serais inexcusable d'ignorer qu'une masse considérable de
chrétiens l'a, depuis longtemps, usurpée. On ne m'apprendra
pas que beaucoup de gens dévots plus ou moins promis à l'éven-
trementj^t à la calcination se coalisèrent maintes fois en vue
d'échapper, en priant les uns pour les autres, à l'inconvénient de
paraître inopinément devant Dieu avec une conscience malpropre.
Mais les anarchistes informés que ce Dieu n'existe pas, ont
heureusement trouvé l'expédient sortable qu'il fallait pour envi-
sager, à notre époque, avec moins d'effroi, la nécessité. de
mourir.
« *
En 1871, Louis Veuillot qui ne fardait pas plus sa pensée que
son visage et qui plastronnait volontiers ses adversaires, fut, un
beau jour, averti de l'inclémence du populo. On lui fil savoir
qu'il se pourrait bien qu'on allât le massacrer à domicile.
11 répondit aussitôt, dans un article fameux, que l'accomplis-
sement de cette menace comblerait tous ses vœux, en le dérobant
de façon certaine à la dégoûtante agonie que, sans doute, il pré-
voyait amèrement et que l'inaction déloyale des assassins ne lui
permit pas d'éviter.
Imitons ce grand homme qui mourut gâteux et dont l'âme
forte se liquéfiait, dix ans à l'avance, à la pensée du lit mécanique'
et des « vases ridicules présentés par de larmoyantes affections».
Ce rude mâle nous eût envié les consolations de la dynamite.
Être dissipé en une seconde, comme par la foudre, en con-
sternant les multitudes, et terminer, — à la façon jdg Romulus, —
une existence ordinairement remplie de cochonneries et de
trouble ; obtenir même, à l'instar des plus illustres citoyens, des
funérailles aux frais de l'Etat et le panégyrique d'un Président du
Conseil déclarant que vous «avez trouvé la mort au moment où
vous remplissiez votre devoir, comme le soldat tombe sur le
champ de bataille, en défendant le drapeau » ; recevoir le
« suprême adieu » du Conseil Municipal et delà Préfecture de
police, et laisser au monde cette impression qu'on fut l'holocauste
sacrifié pour quelque chose d'infiniment grand !... Ah ! la
Bonne Mort et l'enviable destin !
Car il n'y a pas à dire, c'est pour de sacrées et nobles choses
que nous sommes tous invités aux expressives contredanses de
l'Anarchie : la Propriété, l'Argent, le droit de jouir, celui d'être
des poltrons ou des imbéciles, et surtout le privilège facultatif de
n'avoir aucune pitié des pauvres diables, — depuis Christophe
Colomb qui découvrit soixante peuples et fit la Terre une fois
plus grande, sans avoir obtenu jamais l'ombre d'un salaire,
jusqu'au dernier de nos claquedents vagabonds qui ne sait pas
même où trouver un morceau de pain et qui ferait de si bon cœur
la charité de ses inutiles yeux aux poissons du fleuve.
* «
Mon confrère Paul Lordon rappelait dans OU Blas, il y a quel-
ques jours, la curieuse histoire des caisses de dynamite volées à
la petite gare de la Chapelle, à Paris, au mois de juillet dernier
et que la poljce ne put retrouver.
D'après cet informateur consciencieux, la prééieuse matière
ainsi détournée peut s'évaluer à 150 kilos et la charge de la
bombe de la rue des Bous-Enfants est, au dire d'expert, de 7 à
8 kilos seulement.
Il y aurait donc, en supposant que les anarchistes fussent aidés
par la Providence, une bonne petite explosion pat semaine pen-
dant tout l'hiver. Délicieuse pensée ! Ne trouvez- vous pas qiie
cette archiconfrérie de dynamitards est sur le point de devenir
singulièrement intéressante et que nous allons être mis >ar elle
en assez glorieuse poslure pour mépriser, par exemple, le retour
éventuel de cet ignoble choléra qui n'avait à nous offrir qu'une
salç et puante mort?
Mon Dieu ! il suffira de s'y habituer comme on s'habitue aux
punaises et si on ne parvient pas à s'y habituer, il faudra néces-
sairement crever de peur.
On pourra contempler alors, si on a le temps de s'élever un
peu plus haut que les idées basses, la merveilleuse fructification
des semailles de l'hypocrisie bourgeoise et de l'athéisme philoso-
phique depuis une demi-douzaine de lustres.
Les jouisseurs à peu près sans nombre qui ne se croyaient pas
des canailles, avaient rêvé de s'accomoder avec l'Absolu divin et
d'instituer, pour toute la durée des siècles, une mitoyenne morale.
Mais l'Absolu a refusé de souscrire, et l'échéance des blagues
étant venue, c'est la Panique tout en sueur qu'on entend cogner
à la porte...
***
Veut-on savoir ce qu'écrivait, il y a quelques années, un pro-
phète guenilleux et famélique dont je n'ai pas le droit, on le
comprendra, de faire connaître le nom d'ailleurs fort obscur.
Celte page atroce, mais non pas sans éloquence, est assez curieuse
à lire, en ce moment.
« Ah! vous enseignez qu'on est sur la terre pour s'amuser.
Eh bien, nous allons nous amuser, nous autres, les crevanls de
faim et les porte-loques.. Vous ne regardez jamais ceux qui
pleurent et ne pensez qu'à vous divertir. Mais ceux qui pleurent
en vous regardant, depuis des milliers d'années, vont enfin se
divertirai leur tour; et — puisque la Justice est décidément
absente — ils vont, du hioins, en inaugurer le simulacre, en vous
faisant servir à leur divertissement.
« Puisque nous sommes des damnés, nous allons nous pro-
mouvoir de nous-mêmes à la dignité de parfaits démons pour
vous exterminer ineffablement.
« Désormais, il n'y aura plus de prières marmonnées au coin
des rues par des grelolleux affamés sur votre passage. Il n'y aura
plus de revendications, ni de récriminations amères. C'est fini tout
cela. Nous allons devenir silencieux...
« Vous garderez l'argent, le pain, le vin, les arbres et les"
fleurs. Vous garderez toutes les joies de la vie et l'inaltérable
sérénité de vos consciences. Nous ne réclamons plu* rien, nous ne
désirons plus rien de toutes ces choses que nous avons xlésirées
et réclamées en vain depuis tant de siècles. Notre désespoir com-
plet promulgue, dès maintenant, contre nous-même», la définitive
prescription qui vous les adjuge!
« Seulement, défiez-vous!.. Nous gardons le feu, en vous sup-
-\
388
VART MODERNE
pliant de n'élre pas trop surpris d'une fricassée prochaine. Vos
palais et vos hôtels flamberont très bien quand il pous plaira, car
nous avons attentivement écoulé les leçons de vos professeurs de
chimie et nous avons inventé de petits engins qui vous émerveil-
leront... . '
« Après cela, si l'existence de Dieu n'est pas la parfaite blague
que l'exemple de vos vertus nous prédispose à conjecturer, qu'il
nous extermine à son tour, qu'il nous damne sans remède et que
tout finisse !
« Tel est le cantique des modernes pauvres à qui les heureux
de la terre — non satisfaits" de tout posséder — ont imprudem-
ment arraché la croyance en Diea. C'est le Stnbat des désespérés.
« Ils se sont tenus debout, au pied de la Croix, depuis la san-
glante Messe du grand Vendredi, — au milieu des* ténèbres, des
puanteurs, des dérélictions, des épines, des clous, des larmes et
des agonies. Pendant des générations, ils ont chuchoté d'éperdues
prières à l'oreille de l'Hostie divine et — tout à coup — oii leur
dévoile, d'un jet de science électrique, ce gibet poudreux où la
dent des bêles a mangé leur Rédempteur. ...Zut alors, ils vont
s'amuser! »
« #
J'ai promis, en commençant, quelques bons conseils, et je les
crois si excellents... et si parfaitement inutiles que je les ai gardés
pour la fin. Les voici donc :
1" Solennelle translation de la charogne de M. Renan par une
équipe de vidangeurs dans le dépotoir national le plus lointain;
2° Erjection, au sommet de la tour Eiffel, d'une colossale Croix en
or massif du poids de plusieurs dizaines de millions de francs, aux
frais de la Ville de Paris; 3° Obligation pour tous les Français
d'entendre la messe lô'us les dimanches et de communier au moins
quatre fois par an, sous peine de mort; 40 Abolition du suffrage
universel, etc.
Je m'arrête, car je sens trop combien tout cela est à prendre
ou à laisser et combien aussi sont prématurés de tels avis qui
ne manqueront pas de paraître d'autant plus cocasses que la
minute est infiniment prochaine où les enfants même du peuple
écriront sur les murs croulants de Sodome ces simples mots:
Le Catholicisme ou le Pétard.
Choisissez donc, une bonne fois, si vous n'êtes pas des morts.
_ Léon Bloy
Paris, 11 novembre. "*
GERRIT-A.-A. WAGNER
A l'appel que mourant, il libella lui-même ainsi :
« Gerrit-A.-A. Wagner adresse, à l'instant de sa mort, un
dernier adieu aux amis qui l'ont si fidèlement assisté pendant sa
lamentable maladie. Il les invite à conduire sa dépouille morielle
à l'endroit d'inhumation et à se ressouvenir de lui. Adieu!
Ce 24 novembre 1892. Anvers.
Auguste Wagner, Richard Wagner, Siegfried Wagner »,
nous avions à répondre au nom de ceux qui suivaient d'intérêt
l'œuvre de ce jeune Homme au si prestigieux nom !
El, à voir si le pfeslige du nom n'aura pjs tué qui se sentait un
si surhumain fardeau sur les épaules ! C^àit bien crâne, tenter
cette aventure : — doté de ce nom et du don d'écriture musicale
— conquérir la renommée.
Mais ce fut inévitablement fatal aussi ! Quelle force au monde
peut encore tenter cet effort? Et, tout le long de cette démarche
de si poignante solennité et de l'interminable chemin qui mène
au champ de repos, nous avons intercédé pour ce pauvre petit
qu'une absorbante mais téméraire admiràlfon baptisa : Richard
Wagner ! • ' . .
L'extraordinaire destinée de l'Aulrc s'est accomplie intégrale-
ment.
y- Gerrit Wagner meiirl à trente ans ; il arriva, venant des Pays-
Bas, à Anvers, en 1885.
D'abord, ce furent les années d'initiation. Blockx et Benoit
l'instruisirent. Bientôt après, le « Mannenkoor » et la « Liedcr-
tafel » l'élurent leur directeur musical.
Nous fûmes des premiers à louer, ici, dans l^Art moderne, une
de ses œuvres que l'orchestre des Concerts populaires nous donna
à entendre : Fragments d'BsiHER, drame lyrique. .
L'obligeance d'un des amis de Gerrit Wagner nous met entre
les mains la liste complète de ses œuvres : - ,
1° Vondel's Babeylonischç gevangenis ;
2° Sinfonisçh gedicht voor orchesl ;
De très large et belle évocation, ce poème : La nuit, dans la
forêt — c'«sl près d'un cloftre immémorial. L'orage se lève et les
moines implorent. Après, c'est le matin et le lever du soleil tout
puissant.
3" Esther, drame lyrique ;
Mais ce drame, pour lequel l'auteur avait écrit le poème, reste
inachevé.
4° «t 5» "Deux Strijkkwartetten ;
60 Bergstroom, poème d'HAMERLiNG, pour voix d'hommes et
orchestre, qui est sa dernière œuvre.
Restent des Liederen .- Aanzee, Ik min het roosje. Sérénade
et deux chœurs.
Une seule de ces œuvres défierSf-t-elle l'oubli? Est-elle assez
laconique et navrante celle interrogation ? C'est que la gloire du
"merveilleux chantre des harmonies, jusqu'aujourd'hui, les plus
inouies, sera son involontaire mais tout puissant complice.
N'importe, ce sera très injuste que le pesant bloc du nom que ce
grand jeune Homme, 1res amaigri et très pâle, et très beau de
beauté affinée avait tenté d'ébranler à nouveau, scelle — malgré
sa très réelle valeur — dans la tombe, où nous l'avons pieusement
descendu, en proie â l'effroi qui lorture ceux qui se sentent si
épuisés, déjà, avant d'avoir accompli rien de déhnitif, son œuvre
forcément incomplète. V.
AU CONSERVATOIRE
La distribution des prix se fait au Conservatoire en deux actes.
Le premier acte a été joué lé 20 novembre : il se composait d'un
discours de M. Fétis, président de la Commission administrative,
avec réponse attendrie de M. Gevaert, directeur de l'établissement,
de la lecl^ire du palmarès et de l'audition de quelques-uns des
élèves lauréats. Au demeurant, une agréable petite fête de famille.
On a applaudi surtout, et à bon droit, M"« Elhel Spiller, celte
jeune anglaise de 16 ans qui a remporté le premier prix de violon
avec la plus grande distinction, et l'aimable duo Kleyn-Thévenet,
prix de la Reine.
• Quelques morceaux d'ensemble encadraient les soli : l'ouverture
d^Anacréon chez Polycrate, de Grétry, un chœur à 3 voix de
femmes de M. Kufferalh, des chansons du xv« siècle harmonisées
à 4 voix mixtes, par M. Gevaert, et des éludes de Fiorillo-el de
^l-,'fJ^^V:pf;.v'>Svy'*.,^:.'i■S^if^i^yi^,^l^^
Kreutzer, harmonisées par M. Agnicz et exécutées sous sa direc-
tion par la classe d'ensemble instrumental.
Le deuxième acte, huit jours après, a permis au directeur de
présenter quelques-uns des derniers lauréats : M"" Thévenet el
Van Hoof, qui ont chanté avec goût el d'une jolie voix, l'une l'air
de Roméo et Juliette de Steibelt, l'autre l'air de l'Amant jaloux
de Grétry; puis M. Bonzon, l'excellent élève d'Ysaye, qui a exécuté
avec une justesse el un senlimcni parfaits la l'» partie du concerto
de Mendeissohn, et M"* Ad. Blés, une jeune pianiste brillamment
douée.
On a beaucoup applaudi aussi la famille des clarinettes exécu-
tant, sous la direction de M. Poncelet, le rondo en-ut de Weber
extrait de la sonate pour piano, et les a petits chœurs » de la
classe préparatoire de M. Jouret dans l'interprétation de jolis noëls^
harmonisés par M. Gevaert el de l'inévitable Colinette à la Cour.
Les papas, les mamans, les petites amies des élèves el les
dames respectables qui suivent avec recueillement toutes les
auditions du Conservatoire se sont retirés le coeur plein d'une
douce émotion.
LA DIRECTION ALHAIZA
Depuis l'incartade que s'est permise M. Alhaiza vis-à-vis de
notre critique', nous avions dédaigné de. nous occuper de son
théâtre. 11 y a, en effet, certains usages qui autorisent à mettre
hors cadre celui qui s'avise de les méconnaître.
Mais la direction du Théâtre du Parc dont nous avions parlé
avec bienveillance au surplus el dans la louable intention de
l'amener à correction, devient telle que même les amis s'en irri-
tent et ne savent plus se taire. Qu'on en juge par les extraits sui-
vants d'un fort curieux bi-hebdomadaire, le Tout-Bruxelles, à
qui, en bonne logique, cela devrait valoir apparemment la visite
ijUe nous avons eue.
« Voyons, de qui se moque-t-on, là-haut?
« Lorsque l'unanimité de la Pressé, au commencement de la
saison théâtrale, a rendu compte de la triste impression produite
par les débuts de la direction Alhaiza, nous avions tous l'intime
conviction qu'il ne s'agissait! là que d'un faux départ
« Or, le mieiix promis n'est pas venu. Au contraire, cela va de
mal en pis. Il y a pourtant, dans le cahier des charges, un article
qui oblige le directeur à garder au Théâtre du Parc le rang très
honorablement élevé qu'il occupé parmi les grandes scènes de
langue française.
« L'unanimité de la critique — et m"éme les journaux dont les
relations intimes avec la direction du Parc ne sont un secret pour
personne — a reconnu, proclamé cette situation désastreuse, el
s'en est plainte en termes amers.
« L'Administration communale, si sévère pour certaines caté-
gories d'adjudicataires, se montre vraiment d'une indulgence
extraordinaire en cette circonstance
« Il n'est pas admissible qu'une situation pareille se prolonge
plus longtemps.....
H 11 y a manque de direction, d'ordre, de poigne, et, surtout,
de cette adïiiirable discipline dont Candeilh avait le secret, et grâce
à laquelle il imposait à son théâtre l'atmosphère relevée que nous
y cherchons vainement encore
« Aujourd'hui, cela se passe en famille! M. Alhaiza monte à
cheval, — Tout-Bruxelles hippique l'a rencontré au bois, dans sa
veste de velours noir, parcourant la grande allée au petit pas de
son fidèle Brillant, — à moins que l'honorable direcleurn'ait à
faire quelque visite mondaine chez les personnages officiels dont
le patronage lui a valu sa situation actuelle. Et les répétitions,
pendant ce temps-là, vont câhin-caha, chacun jouant comme il lui
plaît, pour son propre compte, liranl à lui toute la couverture;
tandis que les camarades potinent gentiment dans les coins et
« flirtent » très convenablement, en attendant la scène à dire. Ils
ont raison, du reste, ces jeiines gens el ces jeunes femmes. Les
ims sont très aimables et- les autres vraiment joIFes. On leur met
la bride sur le cou, ils en profitent. »
Etc., etc., etc. Nous n'ajoutefons rien à ce tableau piquant de
mœurs théâtrales, que la plus .brillante équitation et la plus
intempestive escrime ne sauraient atténuer.
Certes cela finira par une chute! sur le turf ou sur la scène.
Gare à loi, Fanfan la Tulipe!
^CCUgÉ? DE I^ÉCEPTIOJ^
La Vie artistique, par Gustave Geffroy; préface d'Edmond de
Concourt; pointe-sèche d'Eugène Carrière. Première série. Paris,
E. bentu, xvi-375 p. in 12. — Les Disciples à'Enmaûs ou les
Etapes d'une conversion, par T. de Wyzewa; Paris, Perrin et C'*,
114 p. petit in 12. — Rêves déçus, comédie-vaudeville, par
Arthur Toisoul; Bruxelles, A. De Schuytener, 32 p. in-8«. —
Contradictions, par Michel Bodeux (extrait du Magasin litté-
raire), 7 p. — Portraits et Silhouettes (première série). Mon-
sieur Thiers; L'empereur allemand; Napoléon III; Un roi démis-
sionnaire; Pie IX; Camille Du Bourg; Jules Van Prael, par le
B«" DE Haulleville ; Bruxelles, Lacomblez,
pHRONiqUE JUDICIAIRE DE? ^RT^
Le portrait du général Boulanger.
Il a été question jeudi du général Boulanger au tribunal de
commerce de Bruxelles, On se rappelle que le portrait peint par
Debal-Ponsan et représentant le. général sur son cheval noir à la
revue, du 14 juillet fut acquis par M. D.... pour 900 francs envi-
ron, après la mort de M'. Boulanger.
M, D.... conclut avec M. F.... un traité par lequel ce dernier
s'engageait à exposer le tableau dans différentes villes, le résultat
de cette exploitation devant être partagé par moitié entre les deux
associés. A cet effet, D.... confia le tableau à F...., mais les mois
se passèrent sans que le propriétaire eût dès-nouvelles de l'affaire.
Il finit par assigner son co-conlractant en résiliation de la conven-
tion et en restitution du fameux portrait. F.... allègue qu'il a rem-
pli ses obligations; que le tableau a été exposé en Hollande, puis
à Bruxelles, à l'anniversaire de la mort du général, que d'activés
démarches sont faites pour obtenir la disposition d'un local propre
à l'exposer de nouveau .
Après avoir entendu les plaidoiries de MM*» Carmouche et Van
"Rooy, le tribunal a retenu la cause en délibéré.
LISTE DE SOUSCRIPTION
X POUR LE
MONUMENT CHARLES BAUDELAIRE
SOUSCRIPTEURS BELGES (1)
Petite chrojmiow^e
DEUXIÈME LISTE
fr
223
20
5
5
5
5
5
20
5
5
5
5
10
20
25
S
5
10
10
5
5
5
5
5
- ^
M™" Dumon, à Tournai 20
M"e« Louise Danse, arlisle peintre, Mons. 5
Lisette Wesmaël, graveur, Mons . 5
MM. FernandKhnopff, artiste peintre, Bruxelles 5
Franger, homnie de lettres, Namur ,5
H. Monnom, secrétaire de la Banque de Bruxelles 5
M™" Maréchal. .....; 2
de Zarembska . . . . . . . . 1
MM. Léon de Fuisseaux 5
Alfrç4 Verhaeren, artiste peintre, Bruxelles . . 10
- A reporter, 'r . . fr. 486
Report de la liste précédente.
MM. Camille Laurent, avocat à Charleroi. .
Beeckman, directeur général au Ministère de la
Justice
Mersman, président de la Fédération des avocats
Georges Picard, industriel à Bruxelles . . .
Albert Soenens, juge au tribunal de 1" instance
de Bruxelles
Xavier Olin, ancien ministre des travaux publics
M»« Anna Boch, artiste peintre, La Louvière . .
MM. Ch. Van der Slappen, sculipleur, Bruxelles. .
L. Théodor, avocat à la Cour d'appel de Bruxelles
Maurice Van-Meenen, id.
Jacques des Cressonnières; id.
Oscar Ghysbrecht, id.
Albert Mélol, jd.
Georges de Ro, id. ■
Paul Moguez. id.
Félicien Cattier, id.
Frédéric Ninauve, id.
Henri Van der Cruyssen, id.
Jules De Greef, id.
Pierre Poirier, id. "
Albert Bauwens, id.
Piret, id.
Karl de Burlet, id.
Jamar, id.
Mémento des Expositions
Paris. — Salon de 1893 (Champs-Elysées). 1" mai-30 juin.
Délais d'envoi : peinture, 14-^0 mars; dessins, aquarelles, pastels,
miniatures, porcelaines, émaux, cartons de vitraux et vitraux,
14-16 mars; sculpture, 1-5 avril; bustes, médaillons, statuettes,
médailles et pierres fines, 1-3 avril. Jusqu'au 25 avril, les artistes
auront la faculté de remplacer leurs modèles en plâtre par des
ouvrages exécutés dans leur matière définitive. "
Pau. — Exposition des ^mw des Arts 15 janvier-! 5 mars 1893.
Délai d'envoi : 8 décembre. (Dépôt : Paris, chez Potlier, rue
Gaillon, 14). Renseignements : O. Tardieu, secrétaire général.
Lyon. — Société lyonnaise des Beaux- Arts. 1^ février-
23 -avril 1893. Délai d'envoi : 1-15 janvier. (Dépôt : Paris, chez
Poltier, rue Gaillon, 14). Envois directs à Lyon jusqu'au 25 jan-
vier. Renseignements : Secrétariat, rue de V Hôpital, 6.
(1) Les souscriptions sont reçues dans les bureaux de l'Art moderne,
d'où elles seront transmises au Comité central, à Paris.
L'exposition du Cercle « Pour l'Art » sera clôturée aujourd'hui
à 4 heures.
' La Société royale des Aquarellistes lui succédera dans les locaux
du Musée. .
Pour rappel, c'est aujourd'hui dimanche, à 1 heure 1/2, qu'aura
lieu au Théâtre de la Monnaie le premier Concert populaire de la
saison, avec le concours de VAmsterdamsch a capella Koor
dirigé par M. Daniel de Lange qui a obtenu hier, à la répétition
générale, un très grand succès. '
Les séances de musique de chambre pour instruments à vçnt et
piano, données par MM. Anthoni, Guidé, Poncelet, Merck, Neu-
màns et De Greef, vont bientôt recommencer.
La première est fixée au 11 décembre; elle aura lieu avec le
concours de M. P. Vandergoten, basse chantante, et de MM. Ler-
miniaux, Enderlée, Vanhout et J. Jacob.
Le succès de l'exposition des œuvres de Joseph Stevens a
décidé les organisateurs à retarder de quinze jours la clôture de
celle-ci.
Les superbes toiles des collections AUard, de Brouckere et
Vimenel sont venues enrichir cette exposition, déjà si intéres-
sante.
' M. Georges Dvvelshauvcrs a soutenu sa thèse d'agrégation à la
Faculté de'Philosophie à l'Université de Bruxelles, samedi après-
midi. Bien que ces séances n'aient d'ordinaire aucun rapport net
et direct avec les questions d'art, nous signalons celle-ci parce
que la place de l'art dans les préoccupations humaines y a été
bellement et hautement indiquée et cela d'une manière éloquente
\ et ardente.
Faust-up-to-data a remplacé, sur les affiches, Carmen. El c'est,
sur la scène, même extravagance, môme vertige de clowneries,
même déploiement de costumes chatoyants, môme exhibition de
maillots. La partition de Gounod, et même celle d'Hervé, sont
pour fort peu de chose dans ces facéties à outrance. Mais le public
a l'air d'y prendre goût, et voici des semaines, déjà, qu'il retient
par ses applaudissemerits les jolies misses qui ne devaient se mon-
trer, en leurs pimpants atours de ballerines délurées, que pen-
dant quelques jours. Et les Bruxellois ne pouvant plus se passer
du Ta-ra-ra-boom-de-ay, on vient de l'intercaler dans Faust. Et
voici tout le monde heureux."
Ténèbres, la deuxième partie de l'œuvre d'iwan Gilkin, dont
la Damnation de V Artiste formait la première et qu'un prpchain
volume, Satan, clôturera, paraît chez Edmond Deman en édition
de luxe. Ceci pour^annoncer un prochain conipte rendu.
La Société des Artistes indépendants fera son exposition en
mars et avril 1893, comme les années précédentes, au pavillon
de la Ville de Paris, aux Champs-Elysées.
M. Louis Delmer donnera mercredi prochain, à 8 heures du
soir, a^Cercle artistique et littéraire de Namur, une conférence
intitulée : Ily a des choses dont on ne parle pas! sur l'indifféren-
tisme artistique en Belgique et sur Camille Lemonnier.
M. Emile Sigôgrie commencera au mois de janvier le cours qu'il
fait tous les ans sur la littérature contemporaine. Il traitera celte
année du théâtre contemporain. Les inscriptions sonl, dès main-
tenant, reçues 74, rue de la Croix. , ,
Nous avons déjà parlé de la Société nationale fondée par
M. Jules Carlier, représentant, pour la protection des Sites et
Monuments en Belgique. La commission centrale, composée d'une
foule d'artistes qui ont spontanément adhéré à cette œuvre
d'intelligente propagande, vient de lancer une circulaire et un
bulletin d'adhésion.
Aux termes de ses statuts, la Société a pour but :
1° De faire connaître les beautés pittoresques du pays, d'en
faciliter l'accès et d'en^empécher la destruction ;
2° De veiller Ji leur conservation et d'en provoquer la restaura-
tion intelligente;
3" De poursuivre la conservation ou le dépôt dans les. musées
des monuments publics et privés de spécimens de l'art national
présentant un intérêt spécial au point de vue de l'histoire artis-
tique ou de l'enseignement professionnel.
A cet effet, la Société fera, tant auprès des diverses administra-
tions publiques que des propriétaires, toutes les protestations et
démarches tendant à, permettre la visite et à empêcher la destruc-
tion des sites, monuments et objets menacés.
Eventuellement, elle interviendra par voie de conseils, plans,
subsides et souscriptions.
Elle s'«ntendra avec les Cercles artistiques et archéologiques et
avec les sociétés créées en vue d'attirer des voyageurs dans
certaines localités ou parties du pays.
Elle fera les publications, rédigera les instructions pour les
corps et métiers, organisera les meetings, les conférences et les
excursions qui seront jugés nécessaires poiir atteindre le but
qu'elle poui;suit.
Elle ouvrira aussi des expositions permanentes ou temporaires
d'œuvres d'art reproduisant les sites et monuments du pays et
s'attachera à répandre ces œuvres dans le public par voies de
tombolas, distributions à ses membres ou autrement.
Il y a deux catégories de membres : les p>_embres effectifs,
payant une cotisation de 5 francs par an, et leS membres protec-
teurs, qui paient 10 francs par an. Adresser les souscriptions
au Secrétariat, rue du Collège, 35, Bruxelles.
Notre concitoyenne M"* Berlhc Bady, qui sortit l'an passé du
Cotiservaloire de Bruxelles, vient de débuter au Théâtre Libre
dans les Fossiles de M. François de Curel. La jeune artiste a plu
par l'aisance de son jeU, par la netteté de sa prononciation, par la
distinction de sa tenue. Sa voix, qui avait paru sourde lors de son
concours, où elle se fit entendre dans la grande scène de l'Etran-
gère, a acquis du timbre et de l'ampleur. C'est, nous écrit-on,
une de celles — si pas celle — qui « porte » le mieux.
On nous écrit de Verviers :
Nous pouvons être fiers de nous-mêmes dans ce bon petit
Verviers. Pendant qu'à Angers et un peu partout les concerts
populaires rencontrent un monde d'entraves, nous recommençons
les nôtres, avec l'aide intelligente et généreuse d'une élite de
notre bourgeoisie et de la ville, qui donne le local du théâtre. Le
programme du premier concert, sous la direction énergique de ce
vivant artiste Louis Kefer, se compose de la deuxième sym-
phonie de Beethoven, du prélude de Pflr«i/ài de Wagner, de
fragments de la Damnation de Faust de Berlioz.
Les solistes seront M"* Leroux, qu'on vient d'entendre aux
concerts Lamoureux, et M. A. De Greef.
La troupe du Théûtre-Libre ira donner une dizaine de repré-
sentations à Turin et à Milan, dans la seconde quinzaine de décem-
bre. Son répertoire se composera de Blanchette de E. Brieux,
Tante Léontine de Boniface et Bodin, les Revenants d'Ibsen,
Leurs Filles de Pierre Wolff, la Dupe et l'Ecole des veufs de
Georges Ancey, la Fille Elisa d'Ajalbert, Jacques Damour et les
Fenêtres de Couturier et Perrin,
Dernièrement, le Théâtre-Libre est allé donner une série de
représentations à Marseille. La Plume en rend compte en ces
termes : Nous avons eu la Puissance des Ténèbres et les Reve-
nants. Tolstoï et Ibsen ont fait oublier toutes les défectuosités.
Les Revenants surtout ont produit une impression profonde.
Chose étonnante pour les Marseillais, gens à manifestations
bruyantes, on n'a pas applaudi une seule fois pendant les scènes,
et les claquements de mains ne se sont fait entendre que dans
l'intervalle des enir'actes; mais aux endroits poignants, la fin du
drame, par exemple, il régnait un silence remarquable fait de ter-
reur profonde et d'angoisse devant le jeu superbe d'Antoine et de
M"* Barny. Dommage qu'Antoine se fût fait une figure de cabot :
Oswald n'est pas un comédien mais un peintre, il aurait dû s'en
souvenir. L'œuvre d'Ibsen dégage un si merveilleux eflfroi que
toute la salle en a subi l'influence et, si j'en avais eu le temps,
pour bien connaître l'opinion de mes concitoyens, je me serais
fait un plaisir d'en arrêter un quelconque -à la sortie et de l'inter-
viewer sur le point de savoir si ses fibres nerveuses avaient autant
vibré pour les Revenants que pour le Maître de Forges, Mère et
Martyre ou tout autre succès du jour.
M. Charles Bordes, l'actif maître de chapelle de Saihl-Gefvais,
à Paris, qui a déjà fait connaître tant d'œuvres de la musique
religieuse franco-flamande et italienne des xv*, xvi» et xvn«
siècles, en les exécutant à sa maîtrise, a entrepris de les
mettre à la portée de tous en en faisant une publication. La
plupart d'entre elles sont éditées déjà, mais avec l'ancienne notar
tion et dans des recueils extrêmement coûteux et peu abordables ;
M. Bordes les transposera dans les tonalités normales en les
armant de clés usuelles, accompagnant les parties vocales d'une
réduction au clavier pour en faciliter encore la lecture et c'est
ainsi que toutes les maîtrises et sociétés chorales pourront se
procurer les messes de Palestrina, de Vitloria et tant d'autres
qui sont en préparation, et un grand nombre de motets aussi
admirables que peu connus.
Il paraîtra par an douze livraisons du Répertoire des chanteurs
de Saint-Oervais, formant 384 pages in 4° de musique ; la sous-
cription annuelle est de 20 francs, à adresser au siège de l'Asso-
ciation des chanteurs de Saint-Gervais, 2, rue François-Miron, à
Paris.
Les journaux de Silésie nous apportent l'écho du triomphal
succès que vient de remporter à Breslau l'oratorio Franciscus du.
maestro belge Edgard Tinel. C'est la deuxième fois que l'œuvre est
exécutée dans cette ville par le « Flûgelsche Gesangverein » avec
un pareil succès. Il est intéressant de constater à ce propos que
les journaux de Breslau, — notamment la Morgen Zeitung, —
signalent cette double exécution comme un événement destiné à
secouer la torpeur des associations de chant allemandes, qui,
depuis trente ans, n'ont pas modifié leur répertoire, et qu'indé-
pendamment des mérites propres de cette « œuvre géniale », ils
félicitent l'auteur d'apporter un renouveau dans la musique reli-
gieuse, depuis si longtemps stationnaire.
L'ouvrage du maestro belge va, du reste, êire exécuté cet hiver
à Berlin, par la Société philharmonique; à New-York, par l'Ora-
torio Society ; à Liège, au Conservatoire royal ; à Gœrlitzj par la
Société académique. Enfin, à LouVain, on annonce prochainement
le Kollebloemen de M. Tinel, qui fut exécuté, en 1884, danscetle
ville, à l'occasion des fêles jubilaires de l'Université.
Peter Benoit annoncé à Dusseldorf,Paul Gilson à Paris, Berlin,
Marseille et Angers, Jean Blockx à Angers également, enfin Edgard
Tinel à Breslau, Berlin, New-York, etc., il nous semble que les
œuvres de la jeune école belge commencent à se répandre au
dehors. Le pays récolle aujourd'hui les sacrifices qu'il s'impose
depuis vingt-cinq ans'pour ses Conservatoires, ses Ecoles de mu-
sique, ses Concerts populaires.
Il est bon de mettre ces résultats sous les yeux des députés
campagnards et des conseillers communaux ou échevins lourds
qui ne songent qu'à rogner les maigres subsides qu'ils octroient
aux institutions artistiques sous prétexte que « ça ne rapporte
rien, la musique». (Quide musical.)
Le Théâtre de Hambourg vient de remettre complètement à
neuf le Lohengrin de Wagner, qui a été exécuté, cette fois, inté-
gralement et avec une mise en scène nouvelle. Lohengrin,
M. Alvary; Eisa, M"» Klafsky; Ortrude, M™» Henk; le Roi,
M. Wiegand.
Les hommes d'aujourd'hui (Vanier, éd.) publient un beau por-
trait de Jules Roques, directeur du Courrier français. — Dessins
d'Heidbrinck et Willelte; texte de Michel Zévaco.
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■■-»,» ,%y> /'^'•^;:^f:^f^viyiÇ!^
Douzième année. — N* 50.
Lb numéro : 35 CENTIMES.
Dimanche 11 Décembre 1892.
r'U. Il
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Comité'de rédaction i Octave MAUS — Edmond PICAJID — Émilk VERHAEREN >
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00 ; Union postale, fr. 13.00. —ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser toutes les communications à
l'administration générale dé TArt Modapiie, rue de rindustrie, 32, Bruxelles.
Sommaire
TÉNÈBRES, par Iwan Oilkiu. — Le salon des aquarellistes. — ^
L'Amsterdamsch a Capella Koor. — Les concerts de la semaine —
Le" concours de Romb. — Concei^ts populaires de Verviers. —
Chronique judiciaire des Arts. — Liste de souscription pouk le
monument Charles Baudelaire. — Petite chronique.'
TENEBRES
par Iwan Gilkin. — Ed. Dcman, édilcur, Bru.\ollos.
J'ai creusé mon cicliot dans un nicnsongo épais,
Impénélrable et sombre, où, peôlicM- de moi-même.
Je m'enferme à Tabri même do ceux que j'aime.
Plus seul quand j'ai [larlé
Ainsi ce pur poète, Iwan Gilkin, se crée, loin de la
vie, une sorte de " Trappe » étrange, d'où il contemple
les hommes — de bien loin aussi — ^d'une façon bizarre
et hautaine. .
Son idéal? Le voici en cinq de ses vers :
Artiste maladif, que Fidéal torture.
Et qu'irrite le goût craintif, d'un affreux ciel.
Dédaigne la banale- et stupide Nature,
■^ LJi stupide, féconde et puante Nature, ■ - ^
Et consacre ton cœur à l'artificiel.
N'était que ce mot est vilain quand ou pai'le d'un
poète tel qu'Iwan Gilkin, on pourrait dire que ces cinq
vers constituent un « programme «.
Imbu de pareils sentiments, le poète s'adonne à un
égoïsme très particulier et très artiste d'ailleurs. Il se
crée un décor chimérique où il fait se dérouler les
fables de son imagination. Et à l'abri des baisers vrais
et des douleurs réelles de l'existence; il darde de ce
«cachot » où il s'est réfugié dans son horreur du
monde, des regards cruels et maléfiques sur les mortels
qui cheminent à l'ombre de sa tour de retraite.
Ces regards, ce sont des regards d'éperviér mauvais
et voleur de moelle, d'éj^ervier déchireur et sans pitié.
Lisez ces deux strophes de la sanglante Transfigu-
ration :
, Prodige où le démon s'avère,
Ta chair et ta peau de satiu,
Très chère, deviennent soudain , '
Transparentes comme du verre.
Pareille aux i-ouges écorchés
Des estampes d'anatomie.
Tu n'es plus, adorable amie.
Qu'un tas de muscles rattachés.
Pour Gilkin, voici ce qu'est la Bonté :
Bonté ! ton nom devrait être : le Suicide.
Et ses yeux translucides, au fond des chairs roses,
dans la pulpe fraîche des printemps de l'amour, dans
les éclairs radieux des prunelles adolescentes, qui
paraissent immaculées comme de grands lacs par des
jours sereins, — ses yeux découvrept le Mal que Gilkin
célèbre ironiquement. Le Mal, c'est sa nourriture
y
\
394
LART MODERNE
favorite, à ce curieux des péchés et des vices, et il se
repaît, avec une joie maladive, des cancers les plus
secrets de l'âme. Comme l'ange néfaste qu'Odilon Redon
a lithographie pour le frontispice de Ténèbres, '=^ un
ange aux ailes sinistrement éployées de gigantesque
chauve-souris, — le poète apporte son tribut de nuit et
de'^roalaise. Son égoïsme exaspéré et dédaigneux s'épan-
che en de telles strophes :
A ■ \ . ,
Presse en tes bras ces corps de rêve ! Goutte â goutte
Savoure chaque ardeur de ce' vin boréal.
Daivs la paix de ton lit neigeux et vierge, goûte
L'iyresse de la chair en ta chair seule, goû,te
Le monstrueux plaisir de souiller l'Idéal.
Alors, dans le cœur de ce solitaire étrange et défiant,
naît un désir orgijeilleux de despotisme, un âpre amour
de domihatio%une voraee envie d'assujettir. Il est comme
un trappiste delà poésie, un jtrappiste équivoque ado-
rant le blasphème, faisant resplendir les fruits du vice
et cultivant de diaboliques parterres, — mais c'est aussi
un trappiste ambitieux de séduire d'autres esprits aux
mythfes de ses croyances et aux principes de sa foi. Dans
l'œuvre de Gilkin apparaît un inquiétant désir d'abso-
lutisme et on le sent jaloux et fanatique de son dogme.
Mais son œuvre, artistiquement, est vraiment par-
faite. Si I^an Gilkin s'est créé un « cachot -, ce cachot
est sans conteste superbe. C'est une forge où il cisèle
d'impeccables sonnets. Là, patiemment, s'enjoaillent
des vers sans défaut, sonnant richement comme des
ducats, purs comme des diamants de belle eau. Ce
cachot se magnifie ainsi qu'en un rêve de Gustave
Moreau, et l'on y admire d'extraordinaires reflets de
rubis et d'inédites lueurs d'émeraudes ou de topazes. Ce
n'est plus un « cachot », c'est une grotte étrange et musi-
.cale, aux stalactites vibrantes et harmonieuses. On y
traverse sans doute des coins empoisonnés, on s'y égare
e'ïi 4^ labyrinthes pervers; on y cogne des parois ensan-
glantâès,'^ on y tâtonne en des coins ténébreux ou on .
s'éclaire à deslueurs paradoxales; on y coudoie, en cer-
taines pièces, le fantôme de Èaudelaire. — Mais, vrai-
meiit, on ne peut nier qu'on se trouve chez un des plus
rares poètes de ce temps.
Ténèbres est un livre de haute marque, digne suite
de7« Damnation de V Artiste, et que complétera, pour
le très fier tryptique que Gilkin imagine, le Satan déjà
annoncé. L'apparition de ce dernier livre permettra de
faire, du poète, une étude définitive.
/ LE SALON DES AQUARELLISTES
L'Exposition annuelle des Aquarellisles, qui s'ouvrait jadis
aux carillons de Pâques fleuries, débute désormais aux approcji*^
delà Saint-Nicolas et du Christmas.,sans qu'on puisse trouver dans
cette modification d'autre motif appréciable que l'espoir de voir
accrocher aux arbres de Noël et glisser parmi les caisses de fruits
confits et les gerbes de fleurs de Nice généreusement distribuées
en Etrennes quelques rectangles do Wbatman imbibés d'eau
coloriée et correctement encadrés d'une bordure d'or. Sous la
neige qui tombe à flocons pressés, sous le ciel bas dç décembre
qui tend un yelum de deuil par-dessus le lanterneau du Musée,
elles sont assombfies, les pauvres petites aquarelles, et leur
sourire s'en est allé, que faisaient épanouir les clairs ciels d'avril.
La cérémonie d'ouverture elle-même à pris un caractère grave.
C'était, naguère, presque la fête du printemps, et les oilettes des
femmes rivalisaient de fraîcheur avec la jolie imagerie appendue
aux murs. Aujourd'hui, le bronze des loutres, le noir mat des
astrakans crespelés sertit mal la délicatesse des légers lavis. -Et
craignons que le désert de neige qui sépare le vieux Musée
des régions civilisées traversées parles tramways demeure vierge,
de longs jours, et que bloqués par l'hiver, les mélancoliques
huissiers, privés de Visiteurs, soient réduits aux divertissements
du jeu de bouchon et du cheval fondu.
Elle est particulièrement nombreuse, cette année, l'exhibition
des water'-coloristes : 250 numéros occupent toutes les salles dis-
ponibles des galeries de l'Etal, y compris la salle des conférences,
la meilleure, heureusement reconquise à la peinture. La tendance
générale est l'afiFranchisscment, de plus en plus définitif, des
malices et des diplomaties italiennes, qui avaient le don, autrefois,
d'émouvoir les badauds. De rares Cabianca exposent sous le titre :
Oh! le pauvre chat! des exercices de virtuosité qui ne requièrent
plus l'altenlion du public. Les Cipriani, les Bucciarelli, les Biseo
el les Coleman s'amenuisent, s'évaporent, se volatilisent. Leur
place est prise par la pléiade des aquarellistes belges, famille
unie, — trop unie peut-être, car les afiinilés se manifestent avec
la plus flagrante évidence, — mais dont le coloris harmonieux,
la souplesse de main, l'interprétation artiste, le sentiment joli-
ment décoratif ont fait une école distincte el déjh renommée.
MM. Stacquet, Uytterschaut, Binjé, Cassiers, Den Duyts, Tilz,
Hoeterickx et quelques nouveaux venus, parmi lesquels M. Georges
de Burlct, sont les promoteurs de cet art joliet, minuscule quand
on songe aux œuvres de pensée que signent quelques-uns des
membres du Cercle, mais qui s'accorde coquettement avec les
procédés et les ressources limitées de l'aquarelle.
Parmi ces œuvres de pensée, les belles et pures et sobres
compositions de Xavier Mellery s'élèvent le plus haut. Il semble
que d'année en année monte davantage ce talent à la fois viril et
doux, qui remue en nous, avec dos moyens d'une simplicfîé
enfantine, un monde d'idées. Quelle noblesse àiins la Famille,
qui profère a vee de si chaleureux accents le charme du foyer!
Quelle intimité dans la Hollande au xvn* siècle, où l'art discret
et réfléchi des maîtres de la Renaissance néerlandaise est symbo-
lisé avec un tact exquiç! Quelle grandeur dans celte œuvre magis-
trale : La Pensée aime la nuit! L'art de Mellery se concentre de
plus en plus et acquierl la plus rare pénétration.
■ Rapprochons de ces compositions de choix les dessins rehaussés
de M. Fernand Khnopff el les pastels tragiques de M. Constantin
Meunier. Ici encore la pensée anime l'œuvre el la grandit singu-
lièrement. L'inévitable comparaison que fait naître le rappro-
chement de ces pages avec la reproduction méticuleuse et sèche
à laquelle se livre M. Edouard Détaille pour nous mpnirer jusqu'en
les luisanlsdes gibernes, jusqu'en les reflets des boutons de métal,
un groupe de sapeurs de la garde impériale, est tout à l'honneur
de nos arlislos. Elle précise l'art de ceux-ci, elle affirme le côté
puéril et la vacuité d'un procédé qu'on croyait éteint avec
M., Meissonier et qu'on est surpris de voir renaître jusqu'en
l'exagération de ses prix : M. Delaille demande 12,000 francs de
ses sapeurs aux plumets lustrés. Douze mille francs! A ce taux,
c'est cent mille que Mellery devrait coter ses œuvres, toutes
vibrantes de l'émotion artistique qui' manq.illirauxpetits soldats
de M. Détaille.
Mais ne nous attardons pas trop. Il nous faut signaler encore
les délégués hollandais, qui pratiquent largement, à belles cou-
lées, avec un sentiment personnel, l'art de diluer les pigments :
MM. Mesdag, Oyens, Wysmuller, Hcnkes, M"« Vande Sande-
BackRuyzen ; quelques Allemands, lourds et criards : MM. Skar-
bina, Kuehl, Herrman; le meilleur est sans contredit M. Lieber-
mann, dont l'Ouvroir des Orphelines s'égaie d'une jolie lumière
blonde. ' -
Nous prisons très peu l'art frigide de "M. De Vriendt et son
Inslilution de la Toison d[Or nous parsiîi une bonne épure d'ar-
chitecle qui se serait appliqué à dessiner la figure. Tout autre est
M. Eugène Smits qui donne à ses modèles, même dans ses ébau-
ches, la vie et l'expression.
M. Hagemans expose copieusement. De grands bristols peints
- s'encadrent d'épaisses bordures de bois dont l'influence se fait
sentir sur les figures et sur les animaux qui peuplent ses paysages.
Que dire de ce perpétuel recommencement? Les œuvres qu'expose
celte année M. Hugemans ne sont ni meilleures ni pires que celles
de l'an passé, et celles-là étaient identiques aux œuvres de l'année
précédente. M. Marcelle a ceci de commun avec M. Hagemans
qu'il donne à l'aquarelle l'importance d'une peinture à l'huile en
l'encadrant, sans marges, d'un cadre énorme qui l'écrase. Mais il
a un coloris personnel, et sa vision s'affine. Vue à distance, sa
i^&rte mrtj'^e fait impression. ■'
D'autres œuvres mériteraient une mention : la Tourelle de
M. Baes, les portraits de M. Abry, les paysages de MM. Claus et
Verheyden, les débuts dans l'aquarelle de M. Jan Verhas, les étu-
s des de chats de M™* Rorlner, les jolis intérieurs de M. Taelemans,
les aquarelles de~Mr Van Leemputten ; nous ne pouvons aujour-
d'hui que les citer brièvement. El nous signalons, pour terminer,
les maroquineries rapportées d'un séjour en Moligreb par
M. Maurice Romberg : fantasias, courses de chevaux, l'artiste a
représenté quelques scènes d'un naouvemenl endiablé qui décèlent
un talent d'illustrateur habile à attraper au vol la fugacité des
altitudes, à restituer dans leur injégrilé les ensembles les plus
compliqués.
L'AMSTERDAMSCH A CAPELLA KOOR
Premier concert populaire.
Avec sa barbiche et sa moustache grises qui le font ressembler
au major Godefroy, avec son ascétique maigreur, ses membres
noueux et les saccades de ses gestes, M. Daniel de Lange, quand
- il commande à ses choristes, a plutôt l'air d'un chef de bataillon
passant l'inspeclion que d'un capelimeisler imprégné des divines
mélodies des vieux maîires. Mais dès^ue ses merveilleux chan-
teurs ouvrent la bouche, on senLV^uel arlisle . on a affaire.
Tenues exquises, impeccable juslMsc, nuances s'affinanl en
murmures, s'exhalant en souffles à peinivperceplibles, le choral
hollandais réunil un rare ensemble de qa^fés mis au service,
avec quel respect! de jnusiques archaïques, d'une beauté grave.
Tpji poigne et subjugue. M. de Lange lient cet échafaudage d'art
au bout de son bûton. D'un très léger mouvement des mains il
indique l'intensité d'expression, le rythme à précipiter ou à
ralentir. On le senl éleclrisé par la mélodie, vibrant sous ses
effluves, et le fluide magique s'échappe de ses doigts, anime les
chanteurs", les aimante à leur tour...
C'est un régal que l'inlerprétalion avec pareil scrupule de ces
œuvres vocales 1res anciennes et très inconnues. Il en est quelques-
unes d'une extraordinaire splendeur. Nous citerons en premier
lieu l'admirable Kyrie e Christe de Jean Okeghem, qui fui
chanteur à la cathédrale d'Anvers, puis à la chapelle royale de
France et mourut vers 1513.
Interprété par un quatuor dé voix harmoriieuses, ceèhant litur-
gique qui garde après quatre siècles la plus rare fraîcheur d'inspi-
ration, a produit sur l'audiloire un effet considérable.
C'était, sans contredit, la perle du concert. Un madrigal de
Corneille Schuyl, organiste et carillonneur à Leyde vers l'an 1600,
écrit dans la forme rigoureuse du canon, atteint par moments
l'ampleur et le charme mystique des compositions de.J.-S. Bach.
Diverses pièces de Jean-Pierre Sweelinck, le célèbre organiste
d'Amsterdam qu'on considère comme le chef des organistes alle-
mands et le précurseur du maître d'Eisenach, attestent l'éclat de
l'école néerlandaise aux xvi« et xvii» siècles. Le Psaume 122 à
quatre voix, le Psaume H8 à-six voix, et, dans une forme plus
libre, le cantique sacré: Ilodie Chrislus nalus est, Noël décèlent
l'art le plus élevé, traversé par l'expression ingénue et sincère
d'un sentiment religieux au regard duquel la mondanité et la
superficialilé de la plupart des compositions écrites de nos jours
pour l'église apparaît flagrante.
Des deux œuvres de Josquin des Prés portées au programme,
la seconde. Petite Camuselte, a fait le plus de plaisir. Mais ce
sont là menus refrains et plaisants passe-temps qui ne peuvent
être comparés aux austères et sublimes inspirations des Okeghem,
des Schuyt, des Sweelinck, des Dufay, des Obrecfat. La chanson
de Jacques Clément, Entre nous filles de quinze ans^ n'a, de
même, qu'un mérite de grâce facile. Mais M. de Lange a tenu à
varier le répertoire et à prouver que ses chanteurs sont aptes aux
frivolités de la chanson profane aiissi bien qu'aux sévérités du
drame sacré : coquetterie de virtuose et désir non blâmable
d'éviter la monotonie.
L'n quatuor, sur des paroles italiennes, de Roland de Lattre,
terminait cette suggestive audition, qui fera époque dans nos
fastes musicaux. Pour la première fois nous est révélée la musique
néerlandaise médiévale. El ta restitution a été telle que tous les
auditeurs en ont paru goâter la saveur pénétrante. Gloire en soit
rendue à M. Daniel de Lange et à ses dix-huil chanteurs d'élite,
qui accomplissenl à travers l'Europe l'apostolat de la musique
ancienne. Il demeurera de l'audflion de dimanche le souvenir
d'une impression raffinée et subtile, d'un miracle d'art iransplan-
tanl dans la frivolité d'une salle de spectacle les trésors de foi et
de piété que recéljjienl jadis les cathédrales.
Faul-il parler de la gangue symphonique dans laquelle Joseph
Dupont avait serti ces purs joyaux? On les sentait inopportunes,
ces œuvres nM)dernes de Grieg et de Weber, bordure trop dorée
et trop cliargéc'pour les panneaux gothiques qu'elles encadraient.
Seule l'ouverture de la Flûte enchantée, avec la simplicité de ses
procédés et la délicatesse de ses dessins, a paru heureusement
choisie pour ouvrir le concert.
LES CONCERTS DE LA SEMAINE
Nous ne parlerons que pour mémoire de l'audiiion de M"'Mon-
tellh, dont l'art principal consiste h s'entourer d'une réclame tout
américaine. Le professeur de la cantatrice? Bufîalo-Bill, sans
doute.
Au premier concert classique de la maison Schott, autre chan-
teuse : M"« Alice Barbi, Italienne de naissance, actuellement « Kam-
mersangerin » de l'empereur d'Autriche. Physique agréable, voix
cliarmanle de mezzo, émission du son b la mode allemande, c'est-
à-dire en prenant la note par dessous. M''* Barbi a chanté en italien
de vieux airs de Jomelli, d'Astorga et de Caldara, en allemand
du Schubert et du Brahms, en français du Massenet, sans que ce
polygîottisme parût la gêner beaucoup. Ccst, toutefois! dans la
musique allemande qu'on la sent le plus ^ l'aise. On. lut ti fait un
vif succès après l'exécution de la Sérénade interromfnie. Un pia-
niste de sérieux talent, M. Polonyi, accompagnait la cantatrire.il
a complété la séance en interprétant en excellent musicien diverses
œuvres de Bacli, de Chopin, de Liszt et de Grieg.
La plus intéressante des auditions de h semaine a été, certes,
la séance consacrée par M. Gustave Kefcr, assisté d'un groupe
d'artistes choisis par lui, h la musique de chambre de Brahms.
Une pensée exclusive d'art a présidé à l'organisation de ce concert,
réduil à l'intimité d'un salon, avec, pour auditoire, un public
restreint de patrons et d'abonnés. Programme sévèrement établi,
sans même l'appât d'une chanteuse pour amorcer les applaudis-
sements ■: trois œuvres importantes, destinées à faire apprécier le
compositeur, à diverses époques. L'une d'elles, le Quatuor en
sol (op. 25) pour piano et archets, remonte. à une quinzaine
d'années, tandis que le Quintette pour clarinette et cordes (op. 115)
est tout fraîchement éclos. C'est l'été dernier que l'éditeur Sim-
rock le mit en vente et, pour la première fois, il était joué en
public à Bruxelles vendredi.
Celte œuvre, inégale dans, ses quatre parties, contient un
superbe adagio dont la phrase principale, dite et presque
« récYléc » par la clarinette, tant la forme mélodique en cwiibre,
se développe avec un charme très grand sur les accompagnements
en sourdine du quatuor. La sonorité de la clarinette donne à 1a
composition une saveur particulière (on se souvient du parti que
Vincent d'Indy en a tiré dans son trio). Le premier mouvement,
un allegro très bien échafaudé, renferme également des idées
séduisantes et de savoureuses modulations. Nous avouons ne
point goûter les deux derniers morceaux., un andnntiiio longuet et
un final à variations qui n'a point l'air de s'accorder avec les
parties précédentes de l'œuvre. L'exécution, correcte mais un pou
sèche et sans nuances, n'était d'ailleurs point de nature & mettre
en relief les traits saillants et à donner au Quintette l'ampleur qu'il .
pourrait atteindre avec une interprétation de choix. MM. Hublari,
Laoureux, Hoyois, Lefèvre et Bousèrez en ont exprimé la lettre,
mais non le sens intime.
'-'^ Au risque de déchaîner contre nous les colères des nombr«ux
Brahmsisles, nos amis, nous déclarons ne priser que médiocre-
ment la sonate pour piano et violon (op. 100) qui servait d'inter-
mède. Malgré l'excellente interprétation de MM. Kefcr cl Laoureux,
elle nous a paru singulièrement diluée et reposer sur des idées
courtes, d'un intérêt contestable. C'est, certes, de « la bonne
ouvrage » comme disent les ouvriers. L'homme du métier, l'habilo
harmoniste qu'est Brahms, s'y révèle, Mais on n'y rencdntrCyguère
d'inspiration, et l'impression qui s'en dégage est plutôt celle du
travail d'un fort eu thème que d'un musicien aux pensées pro-
fondes et' personnelles. La musique se déroule en dessins mono-
tones, menus, menus, sans empoigner l'auditeur et lui. couler le
petit frisson que donnent les grandes œuvres. Ce qui manque, c'est
l'émotion. Et celte émotion, — souffrance d'une âme meurtrie,
aspiration vers un idéal insaisissable^ cris de passion ou d'an-
goisse, expression de colère ou de tendresse, — paraît étrangère
au tempérament bien équilibré, sain cl « professoral » du maître
allemand.
Le Quatuor au final tzigane, très connu, clôturairce.Ue séance
attrayante qui va, souhaitons-le, provoquer de fertiles discussions
sur la personnalité de Brahms, le porle-drapeau d'une école qui
compte de nombreux partisans, le bélier qu'on a coutume de
lancer contre les forces jeunes et libres de l'école française con-
temporaine. Ce bélier nous paraît bien lourd î» manœuvrer et,
somme loule, peu meurtrier.
Ceux qui se délecténl à d'harmonieux assemblages de sons
trouveront beaucoup de charme î» écouter Brahms. Si l'on exige
autre chose, si l'on veut que le langage musical ne soit que
l'expression d'une pensée profonde, on se tournera vers d'autres
horizons. Et l'on reconnaîtra qu'il y a entre Brahms et Beethoven,
auquel le compare le zèle inconsidéré de ses admirateurs, une
différence appréciable.
LE CONCOURS DE ROME
Les observations émises dernièrement dans la Réforme par
Champal sonl en si parfaite harmonie avec ce que VArl moderne
a souvent dit du Concours de Rome, quç nous n'hésitons pas b
les reproduire :
« Les ouvrages du grand concours de peinture de cette année
sont exposées au Musée moderne. Le résultat lamentable de ce
concours n'es l pas fuit pour relever le prestige du «Prix de
Rome»! Le sujet imposé aux malhcureuvrécipiendairesélail, ilest
.vrai, particulièrement abrutissant. Les concurrents se sonl appli-
qués h représenter « les dernières victimes du déluge » dans la
situation la plus effroyable qu'ils aient pu imaginer et, loin
d'inspirer l'effroi, les compositions caricaturales ([uc ce sujet leur
a suggérées provoquent un accès de douce gaîlé...
L'effet produit par ces pancartes peuplées dç. noyés récalci-
trants, torturés dans des mouvements invraisemblables, le masque
outrageusement déformé par les grimaces enseignées au « cours
d'gxpression » est absolument irrésistible. Voilà des détresses
qu'on ne prendra jamais au sérieux.
Le jury lui-même a compris que c'était grotesque ; il a rengainé
sa palme cl décerné comme fiche de consolalion-un second prix
à M. Van Esbrocck, qui a montré plus de sang-froid que ses
camarades... MM. César Geerinck cl Léon Rolihier ont obtenu
une mention honorable pour les qualités d'exécution dont ils ont
l'ait preuve.
Quand réformera-l-on donc sérieusement le règlement des
concours de Rome? N'esl-il pas douloureux de penser que ces
jeunes gens ont consacré cinq, à six mois à ces liorreurs, car
avant d'être admis au concoifrs ils onl dû subir plusieurs épreuves
préparatoires (!). Cette institution est-clic don(W)lus immuable
encore que l'article 47? M. Dé Burlet, à qui l'oii^ête des projets
novateurs, devrait réaliser cette réforme. Les ressources dont le
gouvernement dispose pour encourager les arts sonl trop rcslrein-
__ ^ - ^
VAUT MODERNE
397
leït^pour que le budget consacré aux prix de Rome soit dépensé
aussi sotlemcnt. Lorsque le sculpteur Godecharles a décidé de
créer une bourse pour les jeunes artistes qui se seraient distin-
gués au Salon triennal de Bruxelles, il T esquissé la réforme 'qu'il
faut apporter à l'organisation des concours ce Rome.
' Les vices du'règlement actuel ont été signalés à.satiété par la
presse ; il y a unanimité complète parmi les artistes pour critiquer
cette institution surannée. Que TH. De Burlct organise un référen-
dum à ce sujet et il ser;i complètement édifié. En attendant, Ics'
artistes que l'on invite à, faire partie du jury devraient, à mon
avis, décliner celte re>.|»onsabilité... Il est inadmissible qu'un
artiste^sérieux patronne, d'une &con aussi indirecte que ce soit,
une pareille institution.
J'ai été souvent surpris en trouvant dans la composition de ces
jurys des noms comme ceux de Xavier Mellery, de Jacques de
Lalaing, de Vinçotte, de Constantin Meunier, de Vauderstappen,
de Léon Mignon et de bien d'autres dont le talent et les convictions
artistiqiics devaient se révolter contre une semblable mission. Je
suis persuadé que si ces artistes d'autorité se refusaient une bonne
fois pour toutes à se compromettre de lasorle, la revision réclamée
par tous ceux qui ont le souci de la prospérité de notre école et-
des vrais intérêts artistiques ne tarderait pas à être obtenue. Cette
grève du jury ferait faire un grand pas à la question. »
Concerts populaires de Verviers.
{Correspondance particulière de l'Art tmoderne.)
Reconstituée par un |;roupe d'amateurs et soutenue par une
commandite relativement élevée, l'institution des Concerts popu-
laires a donné mercredi sa première séance au nouveau théâtre,
gracieusement mis à sa disposition par Tadministration commu-
nale.
La salle est vaste et d'acoustique excellente;' les loges sont peu
confortables et trop exiguës.
Au programme du concert, la deuxième symphonie de Beet-
hoven (première exécution à Vcniers), le Prélude de Parsifal, la
Danse des Sylphes et la Marche hongroise de la Damnation de
Faust de Berlioz. — Grand succès pour notre orchestre, qui,
sous l'artistique direction de Louis Kcfor, a de nouveau fait
prouve de son impeccabilité et de son brio ordinaires.
Comme solistes, A. de Greof et M"« Emilie Leroux, canlatricc.
De Grèef vous est conrtu : il l'est moins h Verviers, mais il avait
laissé parmi nous d'excellents souvenirs. Il nous est revenu plus
brillanl que jamais, cl notre public a été réellement enthousiasmé
de son jeu si correct, de son prestigieux mécanisme, de ce style
à la fois si pur, si élégant et si tin.
M'" Leroux nous a chanté des airs de Saint-Saëns, de Lalo, de
René, de Tschaïkowsky (celui-ci très bien accompagné par Massau)
et enfin de Schumann. Sa large voix de contralto, quelque peu
sourde au début, a fait bonne impression : de même en a-t-il été
de la distinction et de la discrétion qui sont les qualités domi-
nantes de ce jeune talent d'avenir.
Le deuxième concert est fixé au 25 janvier.
Chronique judiciaire de^ ^rt3
Genus irritabllç. vatiim.
Le tribunal ée la 'Seine 'vient èrenlCTadre coup -sur coup les
véelannatvams de deux jeonee poètes dont on a estropié les vers et
appmivri les rime».
Le premier tde -ces poêles est M. Victor Ban-ucand, auteur de In
Ohttuson des Mois, qui réclame 5,000 francs de dommages-inté-
rêts à MM.Wckprlin,compositeur de musique, et Durand, éditeur,
pour avoir reproduit son œuvre sans autorisation et l'avoir
dénaturée.
« ... ftu 'ainsi le titre : La Chanson des Mois a été remplacé par
celui-ci : Les mois de l'Année; que des mots èl des vers ont été
changés, que des rimes ont été tronquées ;
... Qu'un préjudice a été causé ail requérant; que ce préjudice
est d'autant piusigra^eque l'eBuvne de l'expiosaiil a éié profondé-
ment dénaturée et altérée, non seulement par la musique dont on
l'a accompagnée, mais encore par les modifications que MM. We-
kerlin ^ Duranfl se sont permises... »
A l'audience, les tripaioBlhlages ont «16 dévoilés.
M. Barrucand avait écrit dans sa poésie : Avril, ces vers*:
Terre qui dort lassée
I)an8 ta couche glacée,
— L'hiver a fui,
Lejouralui,
Eveille-toi, ma lîancée,
Sous le baiser viril
D'Avril.
Le compositeur de musique a remplacé viril par gentill
Dans les vers :
Eveille-toi, ma grande amie.
'Eveille-toi, belle endormie.
M. Wekerlin a changé grande en do«ce!
Ce n'est pas tout. On a prêté au poète l'étrange licence de faire
rimer r(îia«/ avec vermeil dans ces vers :
Le flot se précipite et se brise en râlant,.
"Voici l'heure adorable où se comptait le rêve,
L'heure où le soleil meurt *fl horizon vermeil.
A la lecture de ces horreurs, M. Barrucand tailla sa meilleure
plume et écrivit au musicien :
« Je viens de lire Juin et A vril que vous avez fait paraître chez
Durand, et je suis indigné. C'est de la falsification littéraire au plus
haut point. Comment avez-vôus pu mettre sous mon nom* toutes
ces fautes de sens et ces absences de rime?
... Vous faites rimer i>erm«7 avec r(î/w/. Ah! non, je ne souffri-
rai pas ça et je n'ai pas de mot pour dire combien je trouve cela
atroce à endurer. »
Pour sa défense, M. Wekerlin expose qu'il a demandé et obtenu
du poète l'autorisation de mettre son recueil de poésies en musi-
que ; que le poète s'élant (et à juste titre !) rebellé contre les
modifications qu'il y avait apportées, M. Durand fil paraître en
hâte une nouvelle édition plus respectueuse du texte.
Celle défense nous paraît faible. Nous verrons à huitaine si le
tribunal la juge telle.
Autre poète, autre procès. ) ""
Il s'agit, cette fois, de W. Trahon, auteur d'une pièce de vers
intitulée Le Pater qui plut Icllcmenl à M. BivorI, directeur du
Bulletin des Halles, qu'il sollicita de l'auteur l'autorisation de la
reproduire.
398
L'ART MODERNE
Croyant remarquer qu'il y avait un vers de treize pieds :
Donne-nous aujourd'hui notre pain quotidien,
il prit sur lui de corriger et de changer notre en le. Ce vers
devint :
Donne-nous aujourd'hui le pain quotidien.
Celte correction mit naturellement en fureur 4e poète, qui
inlenlar'à M. Bivorl un procès en 10,000 francs de dommages^-
intérêts pourAvoir, disait-il, publié sans autorisation la poésie, et
avoir porté atteinte à sa réputation littéraire «n modifiant abusi-
vement un des vers. J
Le tribunal jugeant qu'il résultait des documents de la cause
que l'autorisation avait été accordée et que la réputation du poète
n'avait subi aucune atteinte, a rejeté purement et simplement la
demande de M. Trahon.
LISTE DE SOUSCRIPTION
POUR LE
MONUMENT CHARLES BAUDELAIRE
SOUSCRIPTEURS BELGES, (1)
TROISIÈME LISTE
486
5
uxelles
Report des listes précédentes. , . fr.
MM. Eugène Van Overloop, sénateur
Joseph Nèvc, chef de division ail ministère de l'in-
térieur
le D' Paul Héger, professeur à l'Université
M"* Louise Héger, artiste-peintre ....
MM. F. Philippson, banquier, à Bruxelles .
le D' Collignon, à Bruxelles, ....
Jules Borel, avocat à la cour d'appel de B
Charles Noulard, id.
M"'* Andrée Mégard, du Théâtre du Parc. .
Anonyme. . . . . . . .-"-v .
A reporter. V^ . fr. 556
Le comité du monument Baudelaire se réunira en assemblée
générale vendredi prochain, 16 courant, à 3 heures, au Café
riche, boulevard des Italiens, à Paris. -
' ORDRE DtJ JOUR :
1. Lecture d'un rapport de M. Léon Deschamps sur l'étal actuel
de la souscription publique;
2. Nomination d'une commission executive;
3. Discussion sur la forme du monument et l'emplacement à
choisir;
4. Discussion du projet d'édition du volume : Le tombeau de
Charles Baudelaire ; ' « ■
5. Présentation, par les membres du comité, de tout projet
utile aux iniéréls de la souscription.
A la circulaire de convocation, signée par MM. LecOnte de
LisLE, président d'honneur, Stéphane Mallarmé, Léon Des-
champs, Stuart Merril et Léon Maillard, membres du comité,
est jointe celte note :
Prière à nos confrères qui ne peuvent assister à celte réunion :
' 1" De nous transmettre, s'H y a lieu, leurs observations ;
(1) Les souscriptions sontreçues dans les bureaux de l'Art moderne,
d où elles seront transmises au Comité centrai, à Paris.
2« De nous faire connaître, si (e n'esl déjà fait, la somme pour
laquelle ils désirent coniribuer à l'œuvre ;
3» De vouloir bien nous faire parvenir au, plus tôt leur part de
coUahoration (vers ou prose) aU volume collectif édité au bénéfice
de la souscription. '
Adresser les communications à M. Léon Desehamps, qui en fera
pan à l'assemblée générale. - . . - '
•Petite chroj^iique
Le nouveau spectacle des Galeries : Tout- Bruxelles, revue de
MM. Blondeau, Monréal et Boullandî a rouvert l'ère des féeries
somptueuses.>La richesse des décors, la fraîcheur des costumes,
la gaîlé de bon aloi qui assaisonne la pièce, ontxl'emblée conquis
le public, qui a fait, le soir de la première, un, succès sans pré-
cédent à l'oeuvre, aux auteurs et au directeur.
Il est juste d'associer à ceux-ci -le nom des artistes principaux
qui mènent rondement la revue : M""" Viilers et Duberny, celle-ci,
notamment, charmante en poupée, MM. Railer, le compère, et
Perrin, inimitable dans la parodie qu'il a faite de Mounet-Sully.
Pleurez, nos yeux! Les jolies misses qui lararabojjmisent si
joyeusement à l'Alhambra vont nous qùiller. Elles donnent ce
soir dimanche, demain et après-demain leurs spectacles d'adieux,
et c'est Fausl-iip-lodate, l'amusante folie, qui clôture celte bril-
lante série de représentations.
Pour nous faire regretter davantage son départ, VEnglish
burlesque Company a corsé depuis huit jours son spectacle de
la Serpentine, cette danse exquise qui, importée d'Amérique, a
affolé Londres pendant la dernière season et révolutionne en ce
moment Paris.
Une nouvelle revue va paraître : Van Nu en Straks, dirigée
par MM. Cyriel Buysse, Emmanuel de Bom, Prosper Van Langeii-
donck et Gusl. Vermeyien.
Le programme de Van. Nu en Straks csl un programme d'art
libre et moderne.. Ce sera comme la Jeune Belgique de la littéra-
ture néerlandaise. L'esprit qui la fait éclorc est bien neuf. Le
choix des artistes qui riilustreront le démontre amplement. Ce
sont :• Henry Dcgroux, A.-J. Derkinderen, James Ensor, Willy
Finch, Marg. Holeman, Roland Holsl", G. Lemmen, X. Mcllery,
C, Meunier, Thorn-Prikker, Jan Toorop, Henry Vari de Velde, feu
Vincent Van Gogh, Théo Van Rysselberghe et Jan Veth.
Cordial salut à la jeune revue qui s'annonce si entreprenante et
si artiste!
L'abonnement est fixé à 10 francs pour la Belgique, fr. 12-.^0
ou il. 6-SO pour l'étrangor. On s'inscrit chez Gusl. Vermeyien,
81, rue Pachéco, à Bruxelles.
.:.- «4» — ; —
Un nouveau journal paraît à Bruxelles depuis trois semaines :
La Revue musicale belge, musique, critique musicale, fantaisies,
échos et nouvelles. Formai du Guide musical, abonnement
annuel, 10 francs, rédaction boulevard du Midi, SO, à Bruxelles.
A Liège, M. Georges Massct (Rénory de la Réforme) vient de
fonder un quotidien, L'J^xpress, journa] iitléraireet polilîque.qui
piiraîl appelé à un sérieux succès. Il y a trop longtemps que le
■ doctrinyl Journal de Liège cl l'organe des Masuirs liégeois, La
Meuse, s'accoutumaient à no jamais rencontrer de contradicteur.
Ll£xprcss secouera les torpeurs et vivifiera le Perron.
Citons, parmi les revues nouvelles, rÀvenir artistique parais-
sanl à Paris le i" orîc 15 de chaqiie mois, sous la direction de
M. Albert Clairouin, sous le patronage de MM. A. de Bornier,
F. Coppée, Alexandre Dumas, Leconle de Lisie, Jules Simon et
Sully-Prudliomme, tous académiciens. Administration : avenue
Rapp, 12, PaHs.
C'est aujourd'hui, b 2 heures, qu'aura iFeu au Conserva-
toire la première séance de musique de chambre pour instru-
ments à vent et piano. M. Vandcrgolen s'y fera entendre dans
l'air do l'Etoile de Tannhâiiser, et dans la Chanson des gas
d'Irlande, par Augusta Holmes.
M. Van Houl exécutera sur la viole d'amour Vendante et
Menuet de Milandre (1770). On entendra, en outre, le Quintette
jde Brahms (op. H5) pour clarinette et cordes, le trio de
Weber (op. 63) pour piano, flûte et violoncelle, et la Petite suite
de Lefebvre (op. 57) pour instruments à vent.
L'exposition Joseph Slevens à la Calerie du Congrès sera clô-
turée demain lundi.
Le prochain concert populaire est fixé au 8 janvier. On y
entendra M. Eugène Ysaye.
Le Cercle artistique de Gand vient d'inviter l'association desc
XX à faire dans ses locaux une exposition des œuvres de ses
membres.
Cette invitation, qui montre l'évolution des idées, a été acceptée
par les XX. L'Exposition aura lieu en avril prochain.
Le Cercle prépare, en outre, des séances musicales destinées
à faire connaître à Gand les œuvres de musique de chambre de
César Franck, Vincent d'indy, Gabriel Fauré et les autres compo-
siteurs de la jeune école.
. Nous avons annoncé déjà la prochaine publication d'un Palais-
Noël illustré édité par les soins de la Conférence du Jeune Bar-
reau de Bruxelles. Voici les détails de cette curiosité bibliophi-
liquc :
Le texte entièrement inédit (vers et prose), les dessins, carica-
tures, photographies, musique, etc., sont dus à la collaboration ~
des avocats et artistes dont les noms suivent :
MM»* Jules Le Jeune, ministre de la justice; Emile De Mat,
' Edmond Picard, du Barreau de cassation; Victor Arnould, Oscar
Van Goitsnoven, Albert Simon, Octave Maus, Georges Schoenfeld,
II. Van Doorslaer, Arthur James, Léopold Courouble, Paul Errera,
Eugène Demolder, Léon de Lanishcere, Jacques des Cressonnières,
Albert Mélol, H. Carton de Wiarl, Alex. Bidart, Albert Delslanche,
Paul Duvivier, Gisberl Combaz, du Barreau de Bruxelles; Charles
Dumercy, Aug, Delbeke, Max Elskarap, du barreau d'Anvers;
Maurice Dullaerl, du Barreau de Bruges; Jules Désirée, du Bar.
rèau de Charleroi ; Daniel de Haene, du Barreau de Fumes; Mau-
rice Maeterlinck, Firmin Van den Bosch, Maurice Bekaert, du
Barreau de Gand; Théo Schyrgens, du Barreau de Liège ; Henri
Lemailre, du Barreau de Namur; Michel Bodeux, du Barreau de
Verviers; M'" Lotiisc Danse, MM. Paul Verlaine, J. Portaels,
F. Rops, Van Rysselborghe, Am. Lynen et Cassiers.
En plus des exemplaires qui seront envoyés aux membres
effectifs de la Conférence de Bruxelles, il sera tiré :
300 exemplaires in-folio sur papier ivoire à fr. 2-50./'"
2o exemplaires in-folio numérotés sur papier des Manufac-
tures Irnpériales de l'Insetsu-Kioku (Japon), à 5 francs. ■
8 exemplaires in-folio avec dessins originaux à l'aquarelle à
25 francs. ■ .
Les souscriptions sônl reçues dès ce jour à l'imprimerie Lar-
cier, 22, rue des Minimes, à Bruxelles.^-Le chiffre du- tirage étant
strictement limité à la justification ci-dessus, il ne pourra être fait
droit qu'aux 333 premières demandes.
Le Palais-Noël ne sera jamais réimprimé.
Depuis huit années consécutives, la Société généi^ale des Etu-
diants libéraux de l'Université de Gand publie un almanach i la
fois littéraire et politique : elle se propose d'y insérer celte année
une sorte de référendum auquel participeraient les personnalités
les plus en vue de France et de Belgique et roulant sur la question
suivante : « Est-il vrai que la société soit sur un volcan? »
L'ouvrage est en souscription. à.fr, 2-50. Adresser les demandes
à M. Léon Welemans, boulevard de l'Abattoir, 8, Gand.
Les trois séances populaires de piano que donnera M.Joseph
Wieniawski à la Grande Harmonie sont fixées aux jeudis 12 jan-
vier, 26 janvier et 9 février, à 8 heures du soir. Les programmes,
fort intéressants, portent les noms de lu plupart des compositeurs
qui ont écrit pour le piano : Bach, Haendel, Scarlatli, Mozart,
Schubert, Beethoven, Webqr, Schumann, Chopin, Lislz, Hum-
mel, Moschelès, Henscli, Field, Tausig, Rhcinberger, Helkr,
Moszkowski, Moniuszko, Sgambali, Godard, Saint-Saëns et Wie-
niawski.
Le prix d'entrée est de 3, 2 et 1 franc par séance.
Ou vient de vendre" à Paris la collection du critique d'art Thoré
(Burger). Trois tableaux (le J. Van derMeerde Delfi ont atteint
l'un, la Jeune musicienne, 29,000 francs; le second, le Concert,
29,000 francs également; le troisième, la Femme au clavecin,
25,000 francs.
On dit que l'acquéreur de la Jeune musicienne a aussitôt
revendu ce tableau pour 50,000 francs.
Quatre Monticejli ont été ponssés,: Nymphes et amours, h
4,320 francs; Femmes et enfants se promenant dans un bois, à
3,520 francs; Sur les buttes Montmartre, à 4,200 francs; Un
Marché, à 3,000 francs. - . -.
A citer encore Environs de Fontainebleau (étude), par
Th. Rousseau, 8,600 francs; Le Chardonneret, de C. Fabritius,
5,500 francs; une Vue d'Amsterdam, par J. Van Kessel,
1,500 francs.
Pa's aimable, mais bien amusant le Petit billet du malin adressé
par 6il Blas à Massenel :
Par quel miracle d'atavisme, un colonel, aussi farouche qu'em-
panaché, put-il sortir des flancs qui vous portèrent, ô doucereux
compositeur, et ne vous rien laisser du sang qui fil les révolutions?
Car, sous vos airs de Mendès croque-noles, vous n'avez gardé de
vos ascendants que la sagesse des ménagères. Tout d'abord mar-
miton dans les cuisines wagnérhennes, vous laissâtes bientôt les
épices passionnelles et les recetles modernistes, pour en revenir
au bon pot-au-feu musical qui ronronne en mijotant. El vous
professez aujourd'hui des opinions prudentes, l'expérience vous
ayant appris comment un directeur de l'Opéra-Comiqne ne peut
faire faillite honnêtement tant que la Dame Blanche regarde encore
le chevalier féroce et méchant, repoussoir naturel du peiii bour-
geois proposé au rêve des pensionnaires. Hérold, Boïeldieu, voici
vos exemples, et pas de chefs-d'œuvre avant la cinq-centième! Pas
d'enthousiasme hors du Pré-aux- Clercs, des Dragons de Villars
et A' Esclarmonde, peut-être... quand vous serez mon. El vous
naourrcz satisfait, Monsieur, toutes vos ambitions réalisées, si les
orgues de Barbarie traînent vos airs par la patte jusque dans les
cours faubouriennes, oîi, des fenêtres ouvertes, l'été, tomberonl
sur eux la larme et le petit sou des couturières. M. L'H.
PAQUEBOTS-POSTE DE L'ÉTAT^-BELGE
à
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PARAISSANT L£ DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Comité de rédaction i Octave MAUS — Edmond PICARD — ÉmLE VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. — ANNONCES ; On traite i forfait.
Adresser toutes les communications à
l'administration générale DE TArt Moderne, rue de Plndustrle, 32, Bruxelles.
Sommaire
La décoration du palais dk justice de Bruxelles. — Exposition
d'Ehilb Glaus a la Galerie Moderne. — VL. Henri Beyaert et ses
DESSINS d'aRCHIIJ^TURB. — CONFÉRENCES DU GeRGLE ARTISTIQUE.
Papta. M. Maurice Kufferath. — La Société nouvelle. —
CoNSERYATOIRB DE LîÉOE, — LiVRBS d'ÉTRENNES. — CHRONIQUE JUDI-
CL^RE DES Arts. — Liste de souscription pour le monument
CHARI.K.S Baudelaire. — Petite chronique.
LA DÉCORATION lïD PALAIS DE JUSTICE
. DE BRUXELLES
Comme les femmes belles charment, plus encore que
dans leur splendide nudité, lorsqu'elles sont couvertes
de robes aux plis harmonieu:;: et quand des bijoux de
noble style les parent, — ainsi les monuments aux
chantantes colonnades, aux majestueuses murailles se
ma^aiâ^t à être couverts par la Décoration.
/La Décoration réchauffe, complète, transfigure, illu-
luine. Elle troue les murs dé rêves. Elle vivifie l'archi-
teciuse blanche d'imaginations colorées. Elle perce,
entfe les colonnes, des avenues vers des pa;^ fabuleux
où l'on voit surgir de légendaires personnages. Elle se
plaît, dans les grandes salles des monuments publics, à
faire se dérouler des épopées, ou, dans l'intérieur des
temples, à élargir pour l'esprit des fidèles des paysages
doux et propices à leur foi.
L'Architecture, à la robe de marbre et au sein de
pierre, a pour sœur plus tendre et plus fugitive, sans
doute, mais aussi grande d'allure et aussi sublime de
pensée, cette Décoration aux yeux songeurs qui com-
plète, avec la Sculpture au péplum rythmique, le trio
des Grâces divines qui président à l'édification des
temples et des palais.
Quelle fée charmante, — cette» Décoration, — lors-
qu'elle s'introduit parmi les murailles et de quels
prestiges elle fait don ! Elle apporte la Couleur et la
Vie! Par elle le Mur se fait Verbe et parle la, langue
musicale du grand Art 1 C'est elle qui a visité la Grèce
antique et qui en a fait une presqu'île toute dorée et
merveilleuse',^ avec des monuments colorés comme des
arbres, — un bijou régional et sacré au milieu de
mers célèbres.
Dans une ville morte, à Ypres, elle pénètre dans les
halles immenses aux formidables toits soutenus par des
poutres faites de chênes entiers des temps imméiriSHïiux.
Et la voilà qui fixe sur les larges parois désertes tous les
souvenirs épars dans l'effroi de ces greniers historiques,
la voilà qui entoure les fenêtres gothiques des anciens
commuhiers de personnage^ ressuscites dans une douce
et nostalgique rêverie, et qui confesse les souffles du
pas&é de ces salles abandonnées pour en obtenir de
V.
402
UART MODERNE
tendres aveux d'or et de poésie. Ici j'évoque cet artiste
modeste et grand, trop méconnu : Louis Delbeke.
Mais il en est un autre de notre race, auquel un
étrange passé mystérieux insuffle la foi et la force des
œuvres durables : Xavier Mellery.
Xavier Mellery est le grave continuateur des inti-
mistes d'un grand jadis. C'est l'artiste sévère et biblique
des intérieurs de l'île de Marcken, c'est le dernier
chantre pictural des Flamandes aux ndantes noires qui
sont comme les « pleureuses » des villes mortes ; c'est
le dessineur rare, à la fois morbide et sain, qui sait,,
sous des visages placides et charnus, laisser deviner la
languide tristesse de pays archaïques et déchus, et mêler
à la splendeur d'une nature invariable l'indicible et
subtil regret d'une région arrachée depuis longtemps
à l'apogée de sa puissance et de sa richesse. C'est, enfin,
un des seuls artistes actuels qui sachent, sans sacrifice
à la plastique parfaite et solide, magnifier leur dessin
de rémotionnant reflet de la Pensée et de la Poésie.
Xavier Mellery a imprégné de ce sentiment austère
certaines œuvres décoratives, des réalisations allégori-
ques d'époques de peintures, des déesses ressuscitées de
la Renaissance. De plantureuses figures emblématiques,
chargées de beaux fruits, expansives floraisons évoquant
par leur charnure et leur allure des décorations véni-
tiennes, rayonnent de cetjé lourde et pénétrante mélan-
colie qui fait de Mellery un vigoureux sensitif du Nord
et l'apparentent, par l'âme, à tous ces grands taciturnes
des régions septentrionales, dont le fond de l'œuvre
robuste fait résonner un piain-chant de tristéSSff^nfesir
gnée et étrangement large et profonde. Se rappellayt-on
sa Muse, harmonieuse dans son ample attitude de Vénus
de Milo de l'aquarelle? Et ses Heures, inspiration où la
grâce des nymphes du Midi se mêle chastement à la
sérénité pensive d'une gravure de fijirer?
Aussi, dans la nécessité qui s'impose d'aviver de déco- ~
rations la frigide solennité du Palais de justice de
Bruxelles, il est un nom qui s'impose, un nom vénéré
par tous : Xavier Mellery. ^
La justice doit être austère, probe et pensive. Son
idéal se réfugie en des régions sereines et calmes, à des
hauteurs où domine l'esprit, seul et pur comme une
flammêqui expurge toutes les petitesses, toutes les intri-
gues, toutes les rancœurs, toutes les mesquineries de
l'homme.
Pour symboliser ces sublimités et pour attiser d'art
cette flamme, c'est le peintre des Heures, seul, qui' se
désigne comme l'élu.
Il y a, dans notre immense Palais, dans cet amoncel-
lement babylonien de pierres et de styles, sous cette
écrasante folie de moellons, de marbres, de colonnes, de
sphynx, de corniches, de corridors pompeux, de dômes,
d'escaliers magnifiques, — des coins où la lumière
a soif du geste pictural qui condensera sa valeur et
harmonisera sa variation, — des salles dont les parois
s'offriraient avec avidité au pinceau.
Ainsi, la salle des audiences oi:*dinaires de la Cour de
cassation ne montre-t-elle pas, entouré de sévères lam-
bris de chêne, un large panneau, propice aux décora-
teurs ?
Evidemment notre époque ne créera pas de ces monu-
ments complets où tout s'entend, s'harmonise et se
complète. Dans la Grèce, l'architecture, la peinture, la
sculpture étaient mille fois plus sœurs qu'elles ne le sont
aujourd'hui. L'Italie, à certaines périodes, a trouvé des
sculpteurs créant des colosses pour supporter ses
temples grandioses^ et des génies qui magnifiaiéiît ces
teniples de fresques qu'on dirait les rêves réalisés de
ces grandes figures de marbre. Le xviii" siècle n'a-t-il
pas vu surgir une élégante pléiade d'artistes qui s'accor-
daient, comme en un concert aristocratique et mignard,
pour bâtir, orner et enluminer des refuges de princes
et des chapelles dont chaque pierre et chaque couleur
porte la marque pompeuse, affinée ou gracieuse de son
temps ? Et, sur nos terres, l'école rubénienne n'a-t-elle
pas eu un puissant et magistral reflet dans tous les arts
et n'a-t-elle pas suscité un mouvement énorme pareil à
toutes les vagues orgueilleuses d'une même marée,
scintillante du niême soleil dominateur ?
Actuellement, dans notre société qui tremble et se
disloque, en art aussi règne l'anarchie. Il n'est plus
d'école. Il y a des artistes esseulés, chacun guidant sa
barque dans un océan sans phare. Le temps des grandes
manifestations d'ensemble n'est plus. C'est le pàrticula-
^^e qui domiue. Certaines de ces barques guident
bien quelques chaloupes, mais il n'est plus de splen-
dides flottes au triomphant pavillon.
Il est évident qu'entre l'art intime et sévère de Xavier
Mellery et îârt grandiloquent et solennel de Poelaert,
il n'y a pas d'attache. C'est Babylone d'un côté, c'est
Bruges-la-Morte de l'autre.
Il faut reconnaître aussi que le Palais de Justice n'est
pas essentiellement créé pour la décoration. Mais,
comme je l'aï dit, il s'y trouve mainte place qui s'y
prête admirablement, — et qu'on la fasse entrer chez
Thémis, la belle déesse d'art, qui prodigue tant de
charme et tant de rêve! Qu'elle pénètre comme une
sainte apportant des merveilles aux foyers dé la Jus-
tice !
Et puisque la Justice est austère, grave et profonde,
-— qu'oBîdésigne, pour conduire la Décoration chez elle,
ce grand et probe artiste j Mellery.
Dans les l«lmbris de ce temple il saura enchâsser de
sublimes joyaW, aux lueurs sérieuses et méditatives, —
et le pays aura enfin rendu à l'un de ses enfants les
plus dignes de gloire l'hommage évidemment dû.
; vj^:f-v'^wm^w^^f:^^^
Exposition d'Emile Glaus à 1& Galerie moderne.
Une exposition digne d'un gnind intérêt. EmileClauscst un des
méritants parmi les jeunes peintres. C'est un réaliste qui marche
vers la lumière. S'il ne là trouve pas toujours en toute toilo, du
moins en exprime-t-il nriaintcs fois l'âme et la poésie, comme dans
le Soleil d'arrière-saison. C'est bien là la Flandre des bords de la
Lys éclairée par un soleil d'octobre, avec un fond exquis d'au-
lomne,avec les douces prairies à la tendre mélancolie dorée d'un
jour qui pressent l'hiver et verse aux arbres, d'où les feuilles
tombent, la dernière provision de chaleur, l'ultime caresse des
rayons que les nuages de neige vont bientôt voiler. Au loin, les
toits rouges des maisonnettes scintillent gaiement dans un air
limpide. Une vache blanche, à l'avant-plan, rumine au bord de
l'eau.'
Dans cette note, remarquons encore : Chez mes voisins, une
exquise toile, d'un charme limpide et clair.
En d'autres, voici la Neige, l'Hiver, la Gelée blanche. M. Claus
s'entend admirablement à rendre l'éclat des rivières prises par les
glaces, l'âpre blancheur des neiges; ces tableaux ont la force
tonique et réconforlanie, la santé vigoureuse des atmosphères de
gel. On y entendrait la lieige et la glace craquer sous les pas.
Mais si le peintre rend à merveille la nature, il ne l'interprète
pas suffisamment et il y ajoute trop peu de son âme. Nul doute
que la Récolte des betteraves ne soit un tableau solidement peint,
donnant une illusion quasi « panoramique » d'une scène cham-
pêtre ; mais, si celte scène est réelle, elle n'est pas artistemenl
assez pénétrante; les types, trop peu synthétiques, s'oublient
aussitôt vus; et ce grand cadre ne laisse pas l'impression des
œuvres profondément pensées.
Le Déclin du jour donne une impression d'une lumière de
lanterne sur la neige. La Sieste? C'est un peu un Jan Van Beers
champêtre! Est-ce digne du rustique qui brosse si finement les
horizons bordés de peupliers et de chaumières d'un coin de
■ Flandre?
Mais, en somme," voilà un bel effort, elle Soleil d'arrière-saison
est un tableau qui compte, avec quelques autres de cette
exposition. „i.,i,/i ,, ,
M. Henri Beyaert et ses dessins d'architecture.
Bien inspirée comme toujours, la Société centrale d'architecture
. de Belgique a jugé le moment de la mise sous toit du nouveau
ministère des chemins de fer favorable pour grouper les nom-
breuses épures qui ont servi à en délimiter les motifs divers et
^ous montrer, en ses détails très poussés d'étude,' une nouvelle
œuvre qui fait honneur à M. Beyaert, son créateur.
Nous n'étonnerons personne, en disant que l'idée première de
la distribution des locaux est bien raisonnée; au lieu des coins
sombres, si habituels aux bàtimenls d'administration, nous
trouvons ici une série d'ailes parallèles entre lesquelles de vastes
• cours versent la lumière jusque dans les sous-sols. C'est bien,
mais cela eût pu être mieux encore, Ainsi, à une époque où le
fer vient apporter à l'art dé- bâtir un élément tout nouveau qui
permet de résoudre des problèmes irréalisables jusqu'ici et don- .
ner à nos constructions une allure si moderniste, pourquoi ne pas
avoir conçu de larges baies vitrées séparées par de légers supports
de fer étiré au lieii de ces fenêtres de moyennes dimensions enser-
rées entre des multiples trumeaux, massifs et balourds? Nos voisins
de France ont, sur ce point, des idées plus nettes et d'un rationa-
lisme bien appliqué; c'est aiqsi que leurs grands magasins, leurs
écoles, leurs ateliers, etc., où une lumière abondante est si néces-
saire, sont tous établis d'après ces données si neuves, résultat ^
révolutionnaire causé par le fer, ce magicien des constructions
légères... Au^inistère des chemins de fer, comme aussi à l'hôtel
.des postes, on ne sent pas, derrière ces amas de maçonnerie inop-
portune, les légions d'employés qui, pour égratigner convenable-
ment le papier ministériel, doivent au moins y voir clair. Cette
surabondance de massivité se retrouve aussi dans les grands esca-
liers à noyau ajouré et que limonent des superpositions de piliers
et de colonnes; l'on ne comprend pas la nécessité d'accumuler un-
tel cube de pierres, alors que le même programme peut être
réahsé combien plus légèrement, gt-acieusement et économique-
meiil surtout, par l'emploi ^U-fer : depuis nombre d'années, les
Allemands et les Anglais ont Ct-éé des types d'escaliers en fer, avec
marches en bois amovibles en cas d'usure, qui donnent toute
satisfaction, tant au point de vue utilitaire qu'artistique.
Dans le projet de ministère des postes et de la marine, que
M. Beyaert a joint à ses autres dessins, ce besoin d'escaliers mal-
gré tout monumentaux prend des proportion^ qu'il convient de
refréner ; c'est ainsi que dans un angle de cour se voit un énorme
escalier de tour ronde qui, par sa conception générale et son
campanile surtout, montre un intime degré de parenté avec la
fameuse double vis du château de Chambord. Si ce luxe outran-
cier est à sa place dans un château, il est, on en conviendra, d'une
inutilité flagrante dans des bureaux d'administration.
Nous avons dit, en toute franchise, ce qui a choqué nos idées
de modernité et de rationalisme en l'art que nous ne cessons de
défendre ; qu'il nous soit permis, ces réserves faites, de rendre
hommage à la verdeur et à l'activité que déploie encore M. Beyaert
à un âge où d'autres songent à se reposer, et signalons nombre
de dessins- de ferronnerie ou de motifs décoratifs en pierre enlevés
avec un brio et une souplesse d'imagination rares. Les ensembles
auraient pu être traités avec plus de sobriété, mais l'on finit par
comprendre, en examinant les épures de détail, tout le plaisir
qu'à l'exemple des maîtres de la Renaissance éprouve M. Beyaert
à ciseler tel incident ou tel coin, pittoresque de sa composition.
L'exposition de la Bourse, qui ferme ses portes aujourd'hui,
mérite d'être visitée : l'occasion d'étudier des dessins d'architec-
ture est trop rare à Bruxelles pour ne pas en profiter.
. - <
Conférences du Cercle artistique
PAPUS
Péladan et Papus, antithèse. On était venu il y a quinze jours
pour voir Péladan et se moquer de lui, celte fois-ci, on vient pour
entendre Papus contre Péladan. Déception. C'est du nommé ^
Platon que Papus a parlé. Aussi l'a-l-on accusé de rabâchage et
un critique l'a comparé à Diafoirus.
Il est pourtant impossible d'avoir moins l'allure classique du
médecin que ce Méridional (car c'est aussi un Méridional comme
Péladan; tous Méridionaux les célèbres en France!) à la face rabe-
laisienne et aux allures bon enfant. La conférence, de composition
assez fraîche, sans crescendo et finissant par une petite farce
graphologique, était pleine d'intéressants détails.
Esprit d'une, vaste envergure encyclopédique et d'une admirable
précision scienlifique, Papus, dont le mode d'exposition loul
analytique convient peu à la conférence ou un discours en public,
apporte dans l'exposé de matières abstruses une lucidité et une
profondeur appréciables seulement de ceux qui, en réunion privée,
l'ont entendu.
En somme, ce mouvement ésotérique, puisque ainsi il se nomme,
soulève partout de la curiosité. L'attention va d'abord aux per-
sonnalités, plus lard elle ira jusqu'aux idées. Et alors la yé.rilable
lutte commeâcera. Jusqu'à présent les deux protagoi/istes du
mouvement n'ont guère satisfait la curiosité publique. Dans l'un,
on a remarqué surtout l'excenlricilé d'allure et l'or de la voix,
dans l'autre, la l»onhomie joviale et les notions d'hypnose. Si
Péladan, dédaigneux du public, fait sonner son verbe à des
hauteurs mystiques difficilement abordables, Papus, au contraire,
vous conduit avec toutes les précautions et toutes les prévenances
jusqu'au seuil du mystère et vous y laisse. On sent chez lui une
secrète appréhension de trop émerveiller ses auditeurs ; de là un
abus de réticences. Est-ce qu'il n'y aurait pas un procédé de magie
pour fondre ces deux personnalités en une seule qui serait alors
d'une belle pondération?
En attendant, puisque les temps sont venus, qu'il tontbe publi-
quement le voile d'Isis, et n'ayez pas de crainte, la déesse dévoilée
le sera pour des aveugles, car pour parler du « Mystère », peut-
être faut il la lumière violette où se dessinent les fantastiques
apparitions et non le gaz bourgeois qui illumine les visages non
éthérés du Cercle artistique.
M. MAURICE KUFFERATH
La conférence de M. Maurice Kufferath au Cercle a été très
intéressante. Si le conférencier n'est point un orateur ni un
causeur a diction et à trucs, au moins est-il un érudit subtil etuii
wagnérien qui sait.
Il a expliqué à son public uniquement le poème de Tristan et
Iseult. Il en a découvert les origines celtiques, sa première
coordination par Chrétien de Troyes, puis son passage en Alle-
magne. Wagner, le poème français étant perdu, s'est tenu à la
> version allemande. Mais combien à l'anecdote, à la péripétie, à
l'historiette il a substitué largement et victorieusement l'émotion
humaine et la passion universelle! A preuve l'intervention du
philtre, au premier acte.
Pour conclure, M. Kufferath a affirmé que le génie de Wagner
venant après les poètes médiévaux, peut se comparer à quelque
grand Italien de la Renaissance, reprenant en sculpture ou en
peinture la tradition religieuse,, aux mains des gothiques. Ceci
nous paraît diècutable.
Au résumé, excellente soirée. •
z^-
LA SOCIÉTÉ NOUVELLE
Le dernier numéro de la Société nouvelle de l'an 1892 vienfde
paraître. Voici son sommaire :
Emerson. Fatalité (traduit pari' Will). — Eugène Demolder.
Les Convertis des dunes. — N. Nikitine. La Police russo. —
F. Vielé-Griffin. Corine de Thèbes. — Ph. Linet. Eludes diété-
tiques, — Francis Nadtot. Histoire des lettres belges d'expres-
sion française : Georges Eekhoud. — Ch. Malato. Londres-
Misère. — J. Borde. L'examen du Capital de Karl Marx. —
A. Flejuing. Les Ouvriers anglais. — G. Rahlenbeck. L'Emer-
vejllée. — Hector Denis. L'Organisation de laJslalisliqae inter-
nationale du travail. — Ac. de Potter. Etude d'économie sociale.
^— Clém. Royer. Lés Variations séculaires des saisons. — Hubert
Krains. Chronique littéraire. : '
Table des matières.
Dans cette table des matières des derniers six mois, nous rele-
vons un excellent article de Gustave Kahn sur la J)ébâcle, une
nouvelle passionnante de Georges Eekhoud : Burch Mitsu, des
strophes d'Emile Verhaeren, des contes d'Eugène Demolder', la
traduction du drame Les Tisserands d'Hauptmann, des études
d'Hubert Krains, d'Henry Maubel, d'H. La Foqlaiue (sur Freiland),
des articles signés Merlino, Brocher, des contes de Fernand Seve-
rin, les Amants de Taillemark de Maurice Desombiaux. Nous
rappelons, à celte occasion, que la Société nouvelle a été la revue
où parut la Princesse Maleine de Maeterlinck et que c'est chez
elle que se firent les premières traductions des Russes, et notam-
ment de Dostoïewsky. C'est elle qui a traduit la première en langue
française le Gw W^agner de Nietzsche. Elle a fait connaître le Hot-
landais Multatuli ; elle publie périodiquement des œuvres de ,
Brandès, le Danois, et de l'Anglais W. Morris. Elle a pour collabo-
rateurs déjà anciens (elle a neuf ans d'existence) le prince Pierre
Kropotkine et Elisée Reclus. Elle vient de s'attacher comme rédac:
leurs habituels J.-K. Hùysmans, Gustave Kahn, Maurice Barrés,
Henri de Régnier, Francis Vielé-Griffin et Pierre Qtïillard. Elle
publiera également, les mois prochains, des traductions des der-
nières productions des littératures étrangères.
De toutes les jeunes revues .de langue française, la Société nou-
velle est, de beaucoup, la plus importante, la plus large, la plus
indépendante. Elle marche à l'avant-garde de la littérature, de
l'art, de la sociologie, de la science. Aussi la jeunesse belge doit-
elle une immence reconnaissance à ce vaillant du cœur et de
l'esprit qui lui a ouvert de si larges portes et qui a su, toujours,
sans arrière-pensée et sans hésitation, se sacriiiei: pour elle :
Fernand Brouez. Par la finesse de son esprit, le tact de ses
manières, la franchise de ses opinions et par son dévouement
supérieur aux choses de l'esprit, le directeur de la Société nou-
velle est appelé à rester, dans notre mouvement jeune, une des
plus belles figures. •
CONSERVATOIRE DE LIÈGE
{Correspondance particulière de l'Art moderne.)
Au premier concert annuel du Conservatoire, M. Radoux nous
a donné de bonnes exécutions de deux œuvres de Borodine : la
symphonie en mi bémol et le finale de ^lada, l'opéra-ballet
inachevé, et d'iAe fantaisie du compositeur suédois Sveûdsen,
intitulée : Roméo et Juliette. -
L'orchestre avait été travaillé ; il m'a paru s'être assoupli, obser-
vant plus soigneusement les nuances, marchant avec plus d'en-
semble. Les cuivres cependant persistent à attaquer avec trop
de brutalité et devraient s'attacher à être moins constamment
étourdissants; ils fatiguent et cette vigueur ininterrompue nuit aux
effets d'éclat désirés. ,
J'avoue ne goûter que médiocrement la symphonie en mi bémol
de Borodine; c'est une œuvre inordonnée, sa^enchalnement,
qui ne laisse qu'une impression d'efforts confus. Je lui préfère,
et de beaucoup, le finale de Mlada, un tableau saisissant où
chante une émouvante phrase d'amour.
La fantaisie de Svendsen n'est qu'un éran de passion, mais
c'est un élan d'une belle et troublante envolée.
■ ;^*;^PW?iO^'
LART MODERNE
405
-7^
' Nous avons, à ce concert, entendu pour la première fois le
jeune et nouveau professeur de piano de noire Conservatoire.
M. Sidney Vantyn est un pianiste de talent.. Q'est un virtuose d'une
grande agi>lilé, qui a de Péiégance el de In -délicatesse et dont on
peut beaucoup espérer. Nous n'avons guère pu apprécier que ces
.qualités; nous aurions voulu l'entendre dans une œuvre qui récla-
mât dé l'interprète plus que /le la virtuosité. Il a joué, il est vrai,
el bien joué un Prélude et fugue de Bach ; c'était bien, et cepen-
dant nous n'avons pas eu entière l'impression de la merveilleuse
clarté el de la haute piireté de lignes qui caractérisent le maître
d'Eisenach.
M"*" Alice Barbi, que vous avez entendue à Bruxelles, possède
une voix de mezzo-soprano d'un admirable timbre, sinon très
étendue, que fait grandement valoir une diction parfaite. Elle a
chanté de . cette belle voix et avec cette belle diction d'anciens
airs, très intéressants, d'Âstorga el de Caldara. Une ariette de
Jomelli et la monotone canlilène que Berlioz a écrite sur les vers
de Hugo : la Captive, nous ont p'aru longuets. Maisien revanche,
deux lieders de-Brahms : Immer leiset el Vergebliches Stàndchen,
. que M"<' Barbi a dits avec une grande justesse et un grand charme
d'expression, lui ont valu — el hien légitimement -r- un considé-
rable succès.
LES LIVRES D'ETRENNES
C'est l'annuel étalage des beaux livres or et vermillon, des
livres comme des bonbons peinturlurés à la vitrine de ces confi-
seurs littéraires que, jusqu'à l'an nouveau, deviennent les
libraires.
La voilà revenue notre mélancolie de nous sentir vieillir en la
joie dès petits pour ce qui fut notre joie! Il est une jeunesse des
livres comme il est n ne jeunesse des esprits ; plus tard, l'équation
ne s'établit plus qu'à travers un effort; il faut se rajeunir et
s'oubHer pour butiner encore au jardin merveilleux de la Fantaisie.
Alors le charme lentement opère; on revoit des paysages autre-
fois familiers ; la phrase des conteurs s'affine en» lointaine
musique ;. il semble que le cœur se soit rafraîchi. C'est le miracle
des livres de lions ramener aux chemins d'enfance.
On réverairdes histoires dites par les plus beaux poètes, par
les saint Jean Bouche d'or de la légende el du conte. L'émer-
veillement qu'un Demolder accommodât ses évangiles pour un
public d'enfants ! Ses belles vierges naïves fleuriraient comme des
lys dans les jeunes imaginations; il y aurait un émoi de petites
âmes sur le chemin de ses Bethléem. Car ce n'est rien que d'être
très spirituel : il faut le don persuasif et tendre, il faut attirer les
esprits comme avec des pipeaux. Je proclame l'exquis diseur de
choses d'Yperdamme ; aii lieu des verres grossemeni peinturlurés
des habituelles lanternes chinoises, il y mettrait, lui, de déli-
cieuses enluminures comme dans les missels, des vitraux où c'est
comme le ravissement d'entend're un très vieux prêtre parler sous
la rosace d'une chapelle.
Nul art trop délicat pour les enfants, ni trop nuancé, ni surtout
trop imagé. De divins imagiers de lettres seraient seuls choisis :
ils iraient dans les écoles, graves et doux, disant leurs récits mer-
veilleux, comme des Christs au devant de qui se presseraient les
femmes et les enfants.
Ayons toutefois l'estime de tous les conteurs de l'enfance : ils
/sont comme les houx de Noël et ne fleurissent qu'une fois l'an.
Mais ce jour-là, les boules d'or el ks petites bougies roses s'allu-
ment dans leurs rameaux: ils OQt un air de grand dimanche
comme tout ce qui est Songe et Bonheur. Et comme le prêtre
officie en de l'or el des pierreries, ils étalent de belles chapes, se
vêtent d'ornements royaux afin de, dire, eux aussi, leur messe, la
joyeuse messe où l'hostie a la douceur d'up fondant.
Le bon père Hetzel, qui créa la littérature enfantine, a dû partir
en joie en se rappelant l'oeuvre qu'il laissait derrière lui. Il fut le
patriarche des beaux contes roses et bleus ; il a mérité d'être
honoré comme un des grands saints de la Librairie « d'éducation
et de récréation », comme il baptisa sa bibliothèque. La graine
semée par lui a levé.; son fils,après lui,continùe à religieusement
cultiver le champ paternel. El c'est pourquoi, comme les autres
ans, il faut d'abord commencer par les livres des Hetzel quand on
parle contes el livres d'an.
Il y a, pour nous qui sommes un peu blasés sur le plaisir des
lectures, un moyen de lire toujours amusant : c'est de lire les
images.
On a ainsi le résumé de tout un chapitre et le Crayon quelque-
fois a plus d'éloquence que la plume. Dans Qaudius Bombamac
et le Châtequ des Carpathes, les deux nouveaux récits de Jules
Verne, ils s'égalent, Bennett et Verne écrivenl et crayonnent du
même entrain : leurs outils même se ressemblent ; ils ont tous
deux la précision el l'allure cursive. Celle-ci est la qualité essen-
tielle de l'esprit du conteur : son récit galope comme ses person-
nages, et vous savez si ceux-ci abattent du chemin ! D'image en
image, en ce Claudius Bombamac, ce sont des trains qui partent,
déraillent, des gens qui courent, des pays inconnus qui défilent.
La vapeur même semble un terme trop vieux pour ces locomo-
tions effrénées. Or, sachez-le, Bombamac est ce reporter du
xx" siècle qui, un matin, à Tiflis, reçut de son <Jirecteur l'ordre
télégraphique de « prendre train direct Grand-Transasiatique
entre frontière Europe et capitale Céleste Empire afin de trans-
mettre sous forme chroniques interviews personnages mar-
quants, signaler incidents sur le parcours... » Naturellement, il
arrive à Bombamac les choses les p^s drôles: tout se complique;
l'art des « passe-muscade » ne va pas plus loin. Et il faut voir
la justesse el l'esprit des têtes chez Bennett et comment son
crayon se reconnaît à travers cet imbroglio.
Voici qu'il recommence dans le Château des Carpathes; sa
verve ne s'épuise pas; on est emporté au tourbillon des imag'es
qui commentent cette vraie fantasmagorie scienlifique.
M. André Laurie, après avoir biné un petit jardin qui était bien
à lui, se prend d'émulation et, à son tour, investit le champ des
hypothèses où le devança son maître Verne. Il y entraîne M. Riou ;
le tourbillon des images va nous précipiter en plein ciel. C'est,
en effet, d'aviation qu'il s'agit dans le Rubis de grand Lama. Un
jeune aventurier de la science, M. Déroches, fait construire un
aéroplane, une machine énorme dont il fournil les plans et les
millions. Le prodigieux oiseau prend son vol ; nous filons par-
dessus la vieille Europe, nous traversons la Méditerranée, nous
voguoiis du Ceylan au Thibet, rHimalaya> s'évanouit sous nous.
C'est un vertige, celte histoire, et comme tout arrive, il y a au
bout, après les épisodes les plus variés et les sensations les plus
céleste^iMin épilogue qui marie> à la grande joie du lecteur,
l'inventeur à la fière jeune fille qu'il aime.
M Berr de Turique nous narre plus, simplement la vie d'une
Petite Chanteuse : le moins qu'il pût arriver, c'est que la petite
chanteuse devînt une étoile. Naturellement aussi, c'est une enfant
trouvée, recueillie par de pauvres saltimbanques. La nouveauté
^1
réside en ceci : la petite chanteuse ne retrouve jamais ses parents.
M. Gabriel Ferrier a imaginé, pour illustrer le récit, quelques
bons types. , ,*
Le roman amoureux se hausse d'un degré avec la PeliH fée du
village. C'est une adaptation de la Catherine de Jules Sandeau.
On ne dit pas qui fit celle transposition, mais elle est très habile
él dénote un.doiglé sûr. Le charme doux, l'évenl de cet art un
peu lointain du vieux conteur ne s'est pas perdu : il règne ce ton
de demi-nature et cette poétisation de la vie qui fait voir les
choses comme derrière une fine gaze. Mais voyez le sort des
livres : celui-ci charmait nOs pères ; il va charmer nos jeunes
gens ; les vieux livres redevienneat jecmes pour les jeunes. Je loue
M. G. Roux pour avoir mis comme une vapeur autour des figures
de son illustration. Elles gardent ainsi le flou du texte et ne dis-
sonent pas par une netteté qu'il n'a pas et qui s'ihdécise plutôt
en du chimérique.
La nomenclature s'achève en un livre plus grave quoique si peu,
en un livre qui est la gravité et le sourire, cette jeunesse des
vieillards. Et il est, en effet, d'un très ancien auteur resté jeune,
ce livre qui s'appelle Epis et Bluel& et qui est composé des
glanes d'une vie vouée à l'Idée. C'est Legouvé que je veux dire.
Il écrit, celui-ci, comme au temps où l'on causait, il tourne à
men'eille une anecdote, il a l'esprit de n'en pas montrer trop.
Des ombres charmante^ s'évoquent de son récit, d'autres glo-
rieuses, Liszt,. Chopin, M™* Pasta, des comédiens, des comé-
diennes, des poètes et l'ombre de Venise à travers l'ombre de
Manin. Il y a aussi des Etudes littéraires et dramatiques ; on sait
qu'il y excelle ; et pour finir, voici de légères et fines histoires.
Scènes de famille, d'îles comme par un grand-père avec le charme
de voix qui fait ressusciter le passé devant les petits enfants.
Chronique judiciaire de^ ^rt?
Eshba contre Smylis.
LaCour d'appel, présidée par M. le premier président Eeckmaii,
a rendu mercredi «on arrêt dans l'affaire da~ ballet Smylis que
nous avons relatée en détail (1).
MM. Léon Do Bois et Théo Uannon gagnent leur procès. L'arrêt
de la^Cour, s'appuyanl sur les motifs invoquéTpar le jugement
rendu en première instance, décide que les collaborateurs con-
servent le' droit dé modifier l'œuvre commune jusqu'au moment
où elle a reçu son existence définitive. . -
En conséquence, M. Du Bois n'est nullement en faute pour
avoir -transporté darjs le bajiet Smylis certains morceaux de
musique qu'il destinait primitivement à Eshba.
Quant aux SOO francs de dommages-intérêts accordés à
M. Hannon, M. Dcfawe reste condamné à les payer, le fait de la
suppression du nom de M. Hannon sur les affiches ayant causé
préjudice à celui-ci. M. Defawe est en outre condamné à tous les
dépens.
Genns irritabile vatam (2).
M.Victor Barrucand, dont nous avons raconté les mésaventures
avec M. Wekerlin qui lui a mis un ^e ses poèmes en musique en
en modifiant le texe, a échoué dans sa demande en dommages-
intérêts contre le musicien et l'éditeur. Lés conclusions prises par
M« Clunet pour 5IM. Wekerlin et Durand ont été accueillies par le
tribunal, qui a débouté le poète de son action et l'a condamné aux
dépens, tout en lui accordant la suppression^ dans l'édition
musicale de la Chanson les mois, de deux pièces : Avril et Juin,
qui avaient été particulièrement maltraitées par le compositeur.
- ^
(1) Voir l'Art moderne des 13 et 20 décembre 1891, 10 janvier et
27 nojepibre 1892. ■ ^_ ■.
(2rVoir notre dernier numéro. <-
LISTE DE SOUSCRIPTION
POUR LE . ^
MONUMENT CHARLES BAUDELAIRE
o SOUSCRIPTEURS BELGES (1)
QUATRIÈME LISTE
Report des listes précédentes. . . fr. 5S6
MM. Camille Lemonnier, homme de lettres . ■ • • 20
Louis Lenain, graveur, à Bruxelles . . i . . 5
Jean Porlaels, directeur de l'Académie des Beaux-
Arts 5
Alex. Marcelle, arlisle-peinlre, à Bruxelles . . 5
Louis Delmer, homme de lettres. ..... 5
. ^ Raymond Nyst, directeur du Mouvement littéraire 5
Emile Claus, artiste peintre, à Astene .... 3
M™» Nelly Van der Stappen, à Bruxelles 5
M"« Eugénie Meuris, du Théâtre Libre . . . '. ! 2
M. Rodolphe Wylsman, artiste peintre, à Bruxelles. 3
M"»» Juliette Wylsman, id. .3
V. Bonnevie,avocatk la Cour d'appel de Bruxelles 5
A. Hennebicq, artiste peintre, à Bruxelles .- . . . 5
Valère Mabille, maître de forges, à Morlanwelz . 50
Albert Thiéry, avoué au tribunal de première
instance de Bruxelles 5
Max Hallet, avocal à la Cour d'appel de Bruxelles 5
H. De le Court, id. .5
Paul Otlet, id. , . .5
Henri Carlon de Wiart, id. 5
Pierre Blanchemanche, id. .5
A reporter. . . . fr. 707
fETITE CHROf^IQUE
Le deuxième Concert populaire, fixé au 8 j.anvier, aura lieu,
comme nous l'avons dit, avec le' concours de M. Eugène Ysaye.
L'éminenl artiste interprétera la Fantaisie écossaise de Max
Bruch et le troisième concerto de Saint-S;rëns. Le programme
symphonique portera entre autres une Rhapsodie orientale de
Glazounow, exécutée pour la première fois à Efruxelles.
A prdpos des Concerts populaires, une nouvelle qui excitera
beaucojjp d'intérêt dans le monde musical : M. Joseph Dupont se
-propose dé compléter la série de ses matinées par quelques
séances de Quatuor données par MM. Ysaye, Crickboom, Van
Houl et Jacob.
On sait l'attrait exceptionnel qui s'attache aux {fudilions du
Quatuor Ysaye. Les habitués des concerts dès XX, — les seuls
ctfncerts bruxellois où le Quatuor Vest fait entendre jusqu'ici, —
font chaque année d'enthousiastes ovations aux merveilleux musi-
ciens qui ont poussé 'jusqu'à l'absolue perfectijsn l'interprétation
des maîtres. N'eût-il pas acquis la célébrité qu'il a légitimement
conquise comme virtuose, M. Ysave aurait droit à une réputation
universelle pour avoir fprmé, style et dirigé, avec une autorité à
laquelle ses partenaires se plaisent à rendre hommage, un Qua-
tuor qui n'a en ce nioment aucun rival. Nous avons relaté le
triomphe que Paris a décerné à nos artistes au mois de mai, lors
des quatre séances de musique française qu'ils ont données à la
salle Pleyel. Leur apparition aux Concerts populaires sera un évé-
nement musical considérable, et l'on ne peut que féliciter
M. Dupont d'élargir ainsi le cadre de ses concerts.
Le premier concert de V Association des artistes-musiciens aura
lieu le 14 janvier. Il sera consacré aux œuvres du compositeur
russe P. Tschaïkowsky qui viendra spécialement à Bruxelles pour
diriger l'orchestre. On sait la grande place que M. Tschaïkowsky
.occupe dans l'école russe. Le concert de l'Association sera donc
tout un événement.
(1) Les souscriptions sont reçues dans les bureaux de l'Art moderne,
d'où elles seront transmises au Comité central, à Paris.
-^f'J*S??g
La seconde séance présentera plus d'intérêt encore. On y enten-
dra l'œuvre la plus importante ei la plus remarquable de l'école
française contemporaine, Le Citant de la Cloché de M. Vincent
d'indy, quj sera exécutée pour la première fois en Belgique. On
se souvient que le deuxième tableau, Amour, fut interprété avec
un très grand succès aux concerts des XX, l'an passé. Ce tableau,
ainsi que le quatrième, Vision, figureront cet hiver au pro-
gramme des concerts du Conservatoire de Gand. Mais l'ensemble,
qui comprend sept tableaux et un prologue et qui exige le con-
cours de grandes masses chorales, de solistes et d'un orchestre
de premier ordre, n'a été exécuté jusqu'ici qu'à Paris (concerts
Lamoureux) et à Amsterdam (concerts de Y Excelsior). Le nouveau
chef d'orchestre de V Association, M. Flon, débute par un coup
de maître.
Quant aux interprètes, ils seront choisis dans le personnel du
Théâtre de la Monnaie.
"M, Paul Gilson travaille en ce moment à un oratorio pour soli,
chœurs et orchestre, dont le texte (en prose rythmée et non ryth-
mée) a été écrit par M. Jules Guilliaume. Titre : Francesca dà'
Rimini.
Simultanément, le jeune maître compose de la musique de
scène pour la Princesse Maleine de Maurice Maeterlinck. Musique
de scène n'est peut-être pas l'expression exacte : c'est plutôt un
accompagnement niusical, l'orchestre jouant sans interruption, en
manière de mélodrame, durant la déclaipation des acteurs..
En outre, M. Gilson vient d'achever un chœur pour trois voix
de femmes : Derniers rayons, sur un poème de M. Louis de
Casembroot, une Fantaisie pour orchestre sur des thèmes popu-
laires canadiens, et une transcription de mélodies écossaises pour
orchestre d'instruments à cordes.
On voit que l'auteur de la Mer ne s'endort pas sur ses lauriers !
Freyr, de notre compatriote Emile Mathieu, vient de passer la
frontière. L'exécution qui en a été donnée à Dusseldorf, sous la
direction de M. Buths, a eu un grand succès, constaté par toute la
presse. La Qazetle de Cologne du 30 novembre lui consacre une
étude détaillée, malheureusement trop longue 'pour que nous
puissions la reproduire.
Grand succès aussi, dans la même ville, pour Peler Benoit,
dont le Rhin a été l'objet d'un accueil enthousiaste.
^^■"™""' j{
Le peintre Théodore Verstraete fera à la Galerie du Congrès, du
18 au 29 courant, une exposition de ses œuvres: tableaux, études
et impressions.
Le paysagiste Heymans prépare une exposition générale de son
œuvre, depuis les toiles du début jusqu^aux lumineux tableaux qui
marquent sa dernière évolution. '
Celte exposition aura lieu en mars au Cercle artistique, qui
mettra exceptionnellement à la disposition de l'artiste, en même
temps que le salon affecté aux expositions particulières, la grande
salle des fêtes.
M">* Jules Destrée, née Marie Danse, l'aqua-fortiste qui illustra
d'une façon si saisissante les Chimères de M. Désirée et a qui l'on
doit un grand nombre d'œuVres intéressantes, vient d'être chargée
par le gouvernement d'exécuter une gravure à l'eau-forte d'après
le Géographe d'Henri de Braekeleer que possède le Musée moderne.
Les Entretiens politiques et littéraires publient, de M. Bernard
Lazare, une pénétrante et enthousiaste étude sur le Cycle patibu-
laire de Georges Eekhoud.
" M™* Melba se fera entendre mercredi prochain à l'Alhambra
dans un grand concert dont la partie symphonique est confiée au
maestro Arditi. '
La troisième séance de la Section d'Art de la Maison du Peuple
aura lieu mardi prochain, à 8 h. \l% éa soir, et sera consacrée à
Brahms dont on entendra le Quinteite{o^. 115) pour clarinette et
instruments à cordes, \zSonate\o'p. 100) pour piano et violon, et
le Quatuor {o^. 25) pour piano, violon, alto et violoncelle.
Entrée :.5 francs. — Pour la série des séances : 10 francs»
Le peintre Fernand Khnopff fera vendredi prochain, au Cercle
artistique, une conférence «à propos d'HamIet », dans laquelle il
passera_jen revue les principaux inierprèles qui, en Angleterre et
en France, ont incarné le héros de Shakespeare;^
Mardi, concert donné pW-UT^Jenô Hubay et M"* Hélène
Schmidt.
^auA iiiirii
éros de Sh
pWifr\j(
La distribution des prix aux élèves de l'école de musique de
Saint-Josse-tent-Noode-Schaerbeek aura lieu le lundi 26 décembre
courant, à ^ 1/2 heures du soir, dans la salle de l'ancien Théâtre
Lyrique, place du Marché, à Schaerbeek.
Cette cérémonie sera suivie' d'un grand concert vocal exécuté
par 350 élèves des cours supérieurs, sous la direction de
M. Henry Warnols, directeur de l'école.
Le programme comprendra des airs et des duos interprétés par
les principaux lauréats des derniers concours, des chansons fran-
çaises du XV* siècle harmonisées à quatre voix mixtes par M. F.-A.
Gevaert, des chansons flamandes du xvji» et du xvin* siècle dis-
posées pour chœur par M, FL Van Duyseet la marche triomphale
d'Olympie, de Sponlini.
M. Louis Delmer a donné à Namur une conférence qui a obtenu
beaucoup de succès. L'Opinion libérale en rend compte en ces
termes :
« Il est des choses dont on ne parle pas »,. tel était le stijet.
Ces choses-là, ce sont celles qui appartiennent aux idées artistiques
littéraires.
Notre caractère répugne à la culture littéraire, dit-on. Il est une
faculté qu'on nous accorde, a objecté M. Delmer, c'est de suivre
de loin, de très loin, le mouvement littéraire de nos voisins.
Vouloir être majeur en tout, excepté dans les lettres, nul patrio-
tisme ne peut résister à une pareille abdication. En matière de
littérature et d'art, la Belgique montre trop qu'elle est un petit
pays. Petit pays, petites idées.
C'est ce thème qu'a développé M. Delmer, semant sa conférence
d'anecdotes très intéressantes. Il a parlé beaucoup de Camille
Lemonnier, dont l'œuvre, a-t-il dit, constitue le mémorial des sen-
sations d'un peuple appelé à la vie libre.
Incidemment, il a cité le nom de Théodore Baron, le jôhusle
peintre qui est de nos concitoyens. Ce sera toujours une gloire
pour la ville de Namur, a déclaré le conférencier, d'avoir su con-
fier l'éducation artistique à Théodore Baron.
En résumé, conférence très remarquable, dans laquelle
M. Louis Delmer a montré qu'il entend juger avec la plus grande
liberté tout ce qui concerne l'art littéraire. »
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-, rotschka).
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\\/
§
'^tWW^^W^, ■-
Douzième aiynék. — N» 52.
Lb numéro^ : 35 centimes.
DiMANC^ 25 Décembre 1892.
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
Comité cl 3 rédaction i Octave MAUS — Edmond λICARD — Ébhle VERHAEREN
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, £r. 13.00. — ANNONCES : On traite i forfait.
Adresser toutes iBs communications à
l'administration générale de TArt Moderne, rue de l'Industrie. 32, Bruxelles.
V
Sommaire
• Le Messie •• au Conservatoire. — Yolande. — Instantané
Af. Albéric Magnard. — Expositions de la semaine. — Exposition
DES peintres néo-impressionnistes a Paris. — Liste de souscription
POUR LE MONUMENT ChaR1.ES BaUDELAIRB. f— ACCUSÉS DE RÉCEPTION.
— Nécrologie. — P^ite chronique, -t- Table alphabétique des
matières.
. « Le Messie » au CoBservatoire. "
Le Messie est une œuvre écrasante. . . de lourdeur.
Aussi M. Gevaert, qui aime les restitutions archéolo-
giques, — cet âge est sans pitié, — ne nous a-t-il pas fait
grâce d'une note de cette énorme et monotone partition.
On affectionne les gros morceaux au Conservatoire :
parfois c'est Armide, presque entier, parfois ce sont les
neuf symphonies de Beethoven, exécutées à la file, qui
font les frais des concerts. Nous y entendrons peut-être
un jour toutes les symphonies de Haydn, puis tous ses
quatuors; peut-être aussi tous les opéras de Grétry.
Qui sait? Nous voyons arriver le moment où nous
serons convoqués à une séance gigantesque qui ne com-
prendra rien moins que la Tétralogie complète, jouée
en une séance, avec des interruptions variant de trois
à cinq minutes, ceci pour ne pas manquer aux tradi-
tions.
Notre opinion, sans réticence, sans parti pris, sans
snobisme surtout, est bien simple : il fallait réduire des
deux tiers l'audition de dimanche, supprimer les fugues
purement formelles , les airs à gargarismes, faire un
choix de cq qui est vraiment génial et neuf dans la
partition, nous en faire goûter la moelle substantifique,
comme dit Rabelais, et ne pas nous accabler sous une
avalanche formidable de formules scolastiques. Pour-
qiipi ne pas laisser aux élèves de la classe de contre-
point le labeur de digérer à loisir ces exercices com-
pliqués? Pourquoi imposer au public des dimanchef^ si
amoureux des choses simples et chantantes, si prompt
à dodeliner de la tête aux jolis rythmes, si content
d'exhaler en de furtifs murmures la joie des retards et
des ports de voix savamment ménagés, la pénible tâche
de se retrouver dans les broussailles de cette terrible
musique? C'est de la cruauté. Ou c'est peut être une
leçon, ou même une pénitence? Dan^ce cas, nous
applaudirions à l'ingénieuse idée de M. Gevaert.
Le Messie manque surtout de variété et de vrai sen-
timent religieux. L'intimité profonde de Bach, le carac-
tère expressif de ses mélodies, la construction si savante
et si diverse de ses grands ensembles sont absents chez
Hândel. Celui-ci a la pompe extérieure, l'églat décoratif,
l'allure grandiose : mais la plupart du temps on sent,
sous ces dehors imposants^ la froideur, le savoir-faire,
le chic. La répétition constante des mêmes procédés
/
finit par engendrer chez l'auditeur l'indiflérence et
j'ennui. Pourquoi ces continuelles répliques de l'or-
chestre qui répète, après le soliste, la phrase même que
celui-ci vient de chanter? Pourquoi ces fugues, presque
toutes à deux sujets, où l'on entend toujours revenir la
double formule initiale? Et cette marche perpétuelle des
basses, qui marquent le rythmç avec une continuité
exaspérante! Et ces chœurs divisés en quatre parties
égales, où un effet identique se Reproduit quatre fois,
sans gradation, sans développement ! Et ce travail pure-
ment formel, dépourvu de musique, écrit pour les
yeux!
Certes, le génie se dévoile souvent. Faut-il louer
Valleluia, le chœur « Car un enfant nous est donné »,
plusieurs airs, notamment celui qui ouvre la troisième
partie, presque tous les récitatifs? C'est parmi ces pages
qu'il aurait fallu choisir, laissant aux amateurs de
contrepoint le reste de la partition. Ils y trouveront à
apprendre et à admirer, car la dextérité et l'ingéniosité
déployées sont énormes. Au concert, nous supplions
qu!on nous en délivre.
L'exécution a été bonne. Chacun a fait de son mieux.
Seuls, les altos sont si modestes qu'on ne les entend
presque jamais. M. Demest, un ténor liégeois dont la
voix est superbe, a chanté en artiste, avec goût et
accent. M. Ftmtaine nous a paru bien lourd et
M. Danlée assez terne. M"* Flament a rempli, non sans
style, le rôle important qui lui était dévolu. M""' The-
venet et Van Hoof ont soupiré agréablement leurs airs ;
enfin, M"* Gaulancourt a lancé, d'une voix bien timbrée
et avec conviction, les roulades de son air en si bémol.
L'orchestré^a été ce qu'il est toujours : très bon. Mais
pourquoi prendre Valleluia dans un mouvement si
lent? Pourquoi ralentir avant l'entrée des voix, au
commencement de ce chœur ? Pourquoi surtout allon-
ger outre mesure les silences qui préparent V adagio
final de là plupart des ensembles? L'effet ainsi produit
est très gïps, mais fort peu artistique. Au surplus,
c'était peut-être pour réveiller discrètement les audi-
teurs assoupis ? Dès lors, nous n'avons plus rien â dire.
L'impression que nous a causée le Messie a.^ été par-
tagée plî" une foule d'auditeurs. Mais le mot d'ordre au
Conservatoire est de tout admirer, sans' discussion.
C'est même plus qu'une consigne, c'est un dogme, et
nous voilà sans doute classés parmi les hérétiques poi
avoir osé, dans la franchise brutale de nos appréciaticms
critiques,^ dire tout haut ce que pensent beaucoup de
fidèles.
• Il est bon, croyons-nous, qu'arrive aux oreilles du
maître éminent qui préside aux destinées du Conser-
vatoire, en même temps que monte à ses narines l'en-
cens de ses enfants dé chœur, l'écho des observatioiis
d'une grande partie du public. Occuper pendant trois
mois tout le personnel des élèves, et des professeurs à
des exercices de vocalisation et de développements con-
trâpontiques, cela parait excessif quand on songe que
le Conservatoire a pour but de former des artistes, de
développer en eux le goût, le seiis esthétique, l'amour
de la musique.
Et ce n'est pas fini ! Le Messie joué, on annonce une
seconde audition, qui formera le programme du troi-
sième concert. En attendant, une nouveauté sans doute?
Pardon, Manfred. Manfred déjà joué et rejoué, pério-
diquement repris.
Est-ce se montrer trop exigeant que de réclamer —
respectueusement — l'audition de quelque œuvre non
entendue? Et César Franck n'a-t-il pas vu s'accumuler
sur sa tombe assez d'années d'oubli pour qu'on puisse
décemment monter les Béatitudes? Ou, si l'on tient à
Schumann, n'y a-t-il pas Faust, le Paradis et la Péri,
Iq, Vie d'une rosis, le Page et la Fille du Roi qui
mériteraient de recevoir la parfaite interprétation que
donnent aux œuvres les chœurs et l'orchestre du Con-
servatoire?
Et la Passion selon saint Mathieu de J.-S. Bach?
Et 7a Passion Melon saint Jean? Et la messe en re
de Beethoven? Et de César Franck, déjà nommé, en
dehors de ses radieuses Béatitudes, ne serait-il pas
urgent de nous faire connaître ces chefs-d'œuvre incon-
nus : Rédemption, Rébecc/i, Psyché?
Nous croyons M. Gevaert trop artiste, trop homme
de goût, trop pénétré de la mission que sa haute situa-
tion lui impose pour ne pas tenir compte des désira que
nous exprimons au nom des artistes et des amateurs.
YOLANDE
c'est mardi prochain qu'aura lieu la première représentation,
au Théâtre de la Monnaie, du drame en musique de M. Albéric
Hagnard auquel la direction a donné une interprétation de premier
ordre et des soins parliculiers.
L'action au xn* siècle, en France, dans le château du comte
Roland le Hardi.
Affaissée près de la fenêtre de sa chambre, Yolande plonge ses
regards dans la nuit. Reverra-l-elle jamais son mari, le héros
Roland qui fut toute sa joie? Il revenait, vainqueur, de la Terre
sainte, mais une tempête a dispersé la flotte dès croisés et sa nef
8'es\ perdue; et depuis deux ans Yolande n'a pas eu d'autres
elles. Le doute l'a épuisée ; elle sent venir la mort qu'elle
désire cl qu'elle redoute, dans tip Suprême espoir.
^ Mais sa conscience de chrétienne lui fait honte de sa souffrance.
Elle se lève, se traîne, s'agenouille devant une image du Sauveur.
Que Dieu lui pardonne de n'être qu'à elle-m"ïme, à ses ivresses
anciennes, à ses tortures présentes. Si Roland est morî; il est au
Paradis et que vaut l'amour d'une femme auprès de l'amour divin
qui enveloppe les élus?^u'importé sa souffranice, si Roland est
heureux!
Calmée, elle retourne. s'accouder à la fenêtre; Je jour parait ,
elle se perd dans une rêverie qu'interrompt la venue de sa vieille
J
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nourrice Jeanne. Encore toule une nuil sans sommeil; n'est-ce pas
folie de ne pas reposer, elle si affaiblie ; ce babil semble distraire
un peu Yolande, mais le nom de Roland revient bienlôl à ses
lèvres el elle repousse les consolalion^^ Jeanne;.
Elle tressaille tout à coup et prêle iTôreille à un bruit lointain.
La fièvre l'égaré-t-elle? Non, elle a entendu le galop des chevaux et
l'appel des cors. Son cœur ne la trompe pas : c'est le bien-aimé,
c'est Roland qui revient. Un homme d'armes parait au seuil de la
chambre. Alerte ! On attaque le château ! « Trêve à toule crainte,
fais baisser le poni-levis, ordonne Yolande, et cours àu-devant du
maître. » Èn^ vain Jeanne lui rccommande-t-elle la prudence.
« Aveugles et sourds vous qui n'aimez pas ! » Elle a retrouvé ses
forces et court à la fenêtre. Comme il chevauche fièrement,
Roland le Vaillant! Des serviteurs entrent essoufflés annonçant le
retour du cornue. Au dehors, les cris de terreur de la population
du château se changent en cris d'allégresse.
C'est trop de joie. Quand Roland paraît, Yolande tombe dans
èes bras ei expire. Il la porto sur sa couche, essaie inutilement
de la ranimer, avec l'aide de Jeanne. Il mande le Chapelain, habile
en l'art de guérir. Mais le Chapelain ne peut que constater la mort
et se met en prières ainsi que Jeanne.
Roland est tombé sur un siège, assommé. La notion du lieu et
du temps ne lui revient que lentement. Peu à peu son esprit
s'anime. Le souvenir des heures heureuses le hante. Il dit la
beauté, la grâce, la douceur d'Yolande et quand il se heurte de
nouveau à la réalité, une rage s'empare de lui. Son besoin de
justice immédiate s'exaspère. Il a versé son sang dans les combats,
souffert la famine et la fièvre, comme le désespoir d'échouer sur
une rive maudite, les hontes de l'esclavage. Enfin il a pu s'enfuir,
revoir son pays, son foyer, sa femme, et cette f^mme, sorihonneur,
sa vie, lui est enlevée. Il se répand en malédictions.
Jeanne et le Cliapelain essaient de le calmer. Il détourne sa
colère sur eux et les menace de son poignard. Resté seul, et
toujours plus exalté, il se rapproche du lit où repose le corps de
sa femme et lève le bras pour se tuer.
Mais l'obscurité a envahi brusquement la chambre et une voix
bien-aimée a retenti, dominant ^ des chœurs mystérieux. Des
formés blanches se dessinent au fondée la chambre et Yolande
apparaît entre des théories de saintes, inondée de lumière. Roland
a laissé tomber son poignard; il regarde terrifié le corps inerte
de sa femme, puis se tourne vers la Vision.
Yolande lui dit l'horreur de sa faute; un instant de folie allait
les séparer pour l'éternité. Dieu ne l'a pas voulu, et, pour rame-
ner le pécheur, a' fait un miracle. Gloire à lui! La honte de
l'avoir méconnu sera le plus sensible châtiment. Que Roland
vive et se repente, et quand viendra la mort il sera uni dans l'éter-
nelle vérité à celle qu'il pleure.
Tandis que la vision s'efface peu â peu, Roland, se frappant la
poitrine, s'accuse humblement de son crime. Un dernier accès de
passion l'anime contre lui-même, quand l'égoïsme de son exis-
tence lui apparaît. Mais ses yeux sont dessillés ; il a compris lé
bonheur du sacrifice. Qu'il ne soit pas trop tard! Que Dieu lui
accorde une vie assez longue pour le repentir ! Il s'agenouille les
mains tendues vers l'apparition maintenant indistincte.
Le langage d'Yolande est une prose chantée, mêlée à une sym-
phonie d'instruments et de voix. Là technique littéraire réside en
une recherche des formes dr grammaire et de syntaxe les plus .
favorables à une déclamation rapide. La technique musicale con-
siste dans l'emploi de thèmes et de tonalités qui se meuvent7\
varient ou demeurent suivant les exigences de l'action. On ne
saurait isoler les étéçienls du drame pour les juger, car ils n'ont
de valeur que dans l'ensemble. Les lois logiques de la littérature
û de la musique pures sont modifiées^ à tout instant par les
besoins de l'action, et telle expression, telle modulation, justes à
la scène, sont absurdes, considérées à part.
En résumé, Yolande est une étude de caractères mystiques
d'homme et de femme, développée rigoureusement dans la forme
wagnérienne. _
La distribution est confiée aux premiers sujets du théâtre :
M.Seguin jouera Roland le Hardi, M"« Chrétien Yolande. Jeanne
sera interprétée par M"« Wolf, le Chapelain par M. Danlée.,
La partition, qui présente de grandes difficultés d'exécution, a
été minutieusement travaillée sous la direction de M. Flon, et tout
fait présager une soirée de haute saveur artistique.
. Plusieurs personnalités artistiques de Paris arriveront à
Bruxelles mardi pour assister à la première. On cile notamment :
M. Francis Magnard, directeur à\i Figaro; M. et M™* Robert de
Bonniéres, MM. Vincent d'Indy, Charles Darcours, Théodore de
Wyzewa, Alfred Bruneau, de Fourcault, Savard, Guy Roparlz.etc.
INSTANTANÉ
Iff. Albéric MAGNARD
L'une des personnalités les plus attachantes de la jeune géné-
ration des musiciens français. Vingt-sept ans. Elève de Vincent
d^Indy, qui lui a fait oiiblierle trop rigoureux scolaslicisme dont
la stricte observance lui valut au Conservatoire de Paris le pre-
mier prix d'harmonie dans la classe de Théodore |)ubois.
Doit aux leçons de Massenel ses idées en contrepoint. Prince
héritier d'une des royautés parisiennes, entend ne devoir qu'à
lui-même, à son travail et à son talent, là place qu'il veut
occuper parmi les artistes. Sa méfiance à l'égard des courti-
sans éventuels se traduit par une réserve un peu farouche, qui
lui fait. éviter les relations mondaines, fuir les réunions. Se
concentre exclusivement dans son art et potjtle connaître ccdans
les coins», se condamne, l'été venu, au labeur des chef^H^ôr-
chealre de vilJe_s d'eau. Possède déjà à sonactif, outre Yolande,
qui sera représentée mardi, une Suite d'orchestre dans le style
ancien, jouée chez Lamoureux, une Syrnphonie exécutée à la
Société nationale, Six ■poèmes en musique dont deux furent
chantés aux concerts des XX A en portefeuille une deuxième
symphonie presque achevée. Sceptique, dénué d'illusions, géné-
ralement mécontent de lui-même. Ne se gobe nullement et
cherche avec opiniâtreté des formes neuves pour exprimer en
musique les textes qu'à l'exemple de son maître il compose lui-
même.
Signe particulier : N'écrit libremeal qu'à Auteuil, dans l'inti-
mité de ses ivoires anciens, de ses bibelots fevoris parmi lesquels
grimace une tête de mort et sous l'énorme araignée japonaise
qu'une main amie broda dans le plafond de son cabinet de travail
tendu de vert sombre.
Autre signe particulier : A recueilli des Jeune-France l'héritage
du gilet écarlate et porte des chapeaux de feutre d'un modèle
introuvable chez les fournisseurs de la rive droite et même du
quartier Latin. — 0. M.
' ■: V"^' f-'.
Expositions de la semaine.
Théodoré; Yerstraete, à la (Paierie d« Couvres.
La mer, la Campine, la Zélande, voilà les trois domaines
auxquels M. Verslraete emprunte la pâte el la couleur de ses
toiles. Dans ces régions, M. Verstraete s'acharne h la ponrsuilé
des lumières chaudes de» vagues, des soleils sauvages des
bruyères, des verdeurs des prairies éloilées des fleurs blanches du
printemps el où d'accortes et appétissantes Zélandaises cueillent, ,
bras nus et rouges, des marguerites. 11 s'imprègne, au passage,
de la mélancolie des maisons des grand'roules, jonibragées par les
sapins.
Son faire est parfois lourd el matériel. Maint coin de pays
réclamerait phis de finesse el de pénétration. On voudrait aussi
plus de personnalité dans ces peintures, une originalité plus nelte.,
''Mais on ne peut nier, certes, l'évident talent du peintre, donl
l'exposition actuelle dénoie de notables progrès.
Maurice Hagehans, au Cercle artistique.
M. Hagemans n'a pas la conscience et la solidité qu'on ren-
contre en l'œuvre de M. Verslraete. Il fait de la peinture légère
el habile, «nais trop souvent à fleur de toile. Il en résulte un
charme qui s'évapore vile, un art qu'il ne faut pas analyser, car
on y trouverait surtout un pinceau spirituel el facile.
Henry Cassiers, au Cercle artistique.
De M. Cassiers, les habituelles et souriantes aquarelles. Du
^Siaequet un peu « gris perle ». Celte envolée d'aquarelles, c'est
gracile comme un essaim de papillons, — mais ce sont toujours
les mêmes papillons que M. Cassiers fait voleter aux cimaises de
ses expositions. -
Exposition des peintres néo-impressionnistes à Paris.
(Correspondance particulière de l'Art moderne.)
I/exposilion ouverte dans les Salons de Brébant, en môme
tcpps qu'elle afiirme l'école néo-impressionnisle, marque une
rupture nécessaire avec le groupé symboliste-mystique : les néo-
impressionnistes épris de vérité et de lumière, chercheurs d'har-
monies colorées, ne pouvaient plus longtemps être confondus avec
ceux qui, syslématiquement, prétextant l'archaïsme el l'abstrac-
lion, déforment la ligne et nient les beautés de la couleur.
On a maintes fols, reproché aux partisans de la division du ton
une technique mécanique qui devait annihiler leur personnalité.
Reproche injuste, infirmé déjà tant de fois et particulièrement par
l'exposition actuelle. Chaque artiste, au contraire, y accuse nette-
ment son tempérament, sa vision Spéciale : celui-ci est plus
blond, celui-là plus lumineux, cet autre,, robuste davantage.
Aucune confusion ne saurait donc être permise.
Prises dan? leur ensemble, les toiles néo-impreiçsionnistes mar-
quent un souci général du décor, des arabesques qui rythment et
diversifient la nature. Elles démontrent la valeur d'un procédé
qui fail transparentes les ombres, sensibles lés plus infimes
roseurs des chairs.
■ ***
Par un sentiment d'exquise délicatesse, les exposants ont tenu
k faire une place d'honneur à quelques-unes des plus caractéristi-
ques toiles du regretté Georges Seural. Ils ont choisi trois de ces
belles marines — •• Oravelines, le Çrotoy — où, dans un poudr/)ie-
ment de soleil et d'eau, dans un rayonnement de clarté, les
choses s'eslompént dans une harmonie douce. Une Lecture,
• dessin noir el blanc, d'un clair-obscur savant, mériterait, sans
conteste, les honneurs d'un musée. , „' . .
Un dessin extraordrnairement serré caractérise les portraits de
M. Van Rysselberghe ; une pose toujours simple, un œil qui luit,
une lèvre qui s'entr'ouvre, leur donne la vie; des colorations
blondes et fraîches, un décor d'une dislinclion exquise, une
savante symphonie de ions les font séducteurs. Il serait difficile
de donner une préférence : aimer le lilas ou l'orangé, voilà toute
la question. Sympathisè-l-on avec le seul noir? — Un bien
expressif portrait de M. Emile Vcrhaercn arrêtera longtemps.
Dans les paysages du même artiste, les bçrds de l'Escaut sur-
tout me plaisent. A travers une robuste verdure flamande, le
fleuve coule limpide, irradiant une diaphane brume.
De la mer, M. Paul Signac aime les sinueuses lignes ; des cales,
l'imposant décor. Il en rend la magnificence avec un rare bonheur.
Ici, sous un ciei de feu, des montagnes lilas baignées par une mer
changeante,, là, une étendue d'eau infinie sur laquelle, selon
l'heure, se détachenl éclatantes ou violacées, les voilures des
barques de pécheurs. Parfois des pins voisinent avec les flots ;
leur verdure sombre et rythmée tranche sur la mobilité du décor.
Ainsi ce fond de toile sur lequel M. Paul Signac a peint une
caractéristique eQlgie de femme en gris. Les Arabesques pour une
salle de baiii dénotent .un reffiarquable souci de la décoration
intérieure : la forme des flacons, celle de la glace, des écrans, les
tons de ces objets se marient dans -une heureuse harmonie. Trois
aquarelles, dessin à l'encre rehaussé de couleurs, permettent
d'étudier le primitif mode de notation de cet artiste.
De M. Cross qui, parfois, pèche par un peu de sécheresse, il
faut applaudir les Vendanges : un lumineux paysage méridional,
encadré de bleuâtres montagnes, où des groupes de vendangeurs,
hommes et femmes, disséminés dans les vignes, cueillent les
grappes, en emplissent les hotles, là s'affiaisent, ici Se reposent
dans une habile diversité de mouvements.
M. Peliljean rend avec infiniment d'art le mystère des lacs
perdus, des clairières humides, "embrumées par un malinal
brouillard, dans lesquelles de décoratives baigneuses dévoilent
leur blonde nudité. T
Le vigoureux tempérament de M. Maximilien Luce s'affirme
dans des œuvres 1res diverses : soleilleux panoramas, où, au delà
de verdures el de loils rouges, apparaît un fameux groupement
d'usines, affaisemenl des foules sur un pont, poétiques crépuscules
aux ciels violets ou émeraude, reflétés par la Seine déjà étoilée
par l'or des lumières. Le portrait de M™» 'P..., qui s'attarde
rêveuse, un livre à la main, à regarder le jour qui baisse, donne
une sensation de vie intérieure, de réflexion douce d'un charme
infini. '
Lorsqu'il divise rigoureusement le Ion, M. Léo Gausson obtient
de douces impressions de fin d'hiver ou dé jeune printemps :
ainsi la délicieuse petite église de Gouvernes entourée de tendre
feuillage, mirée dans une minuscule ("ivière que troublent des,
Navandières. Avec un procédé plus syntliétique : des teintes plates,
àXpeine modifiées et cernées de traits complémentaires, il obtient
des effets plus robustes qui vont jusqu'à une âpre beauté dans la
/Plaine ; un terrain rougeâlre, au loin des meules ^rées, tout
là-bas des collines bleues et seulement, au premier plan, trois
peupliers noueux, dévastés, dont l'aridité poignante s'élève vers le
ciel ensoleillé.
V
LART MODERNE
413
3 M. Lucien Pissarro procède par larges empâlemcnls qu'il disci-
pline efi arabesques; des louches complémentaires modificnl la
préparation principale. La toile donne ainsi la sensation d'un
lumineux el multicolore réseau. De ces empalements naissent des
vergers normands aux humides fraîcheurs, de somptueux parcs
anglais où, sous des bouquets d'arbres, s'abritent des promeneuses
aux claires loilelles; ailleurs, le soleil déclinant épand ses rayons
dorés sou» l'ombre rectiligne des pins qui s'allongent.
-. ***
A ces peintres, un sculpteur est venu se joindre : Alexandre-
L. -Marie Charpenlier. Comme eux, ép.ris de nécessités décoratives,
i s'applique, depuis nombre d'années déjà, à embellir d'un dépor
approprié les objets les plus usuels. Voici, en étain, un Pot à
cr^we trapu, à l'anse duquel un faune nonchalamment appuyé
joue d'une flûte rustique ; un Vase à tisane où parmi les pavots
fleuris une juvénile figure se lamente; deux cendriers à pans
coupés, fleuris d'œillels cl de geranium-lierre. La rigidj^té des
lignes contraste avec la souplesse de la malière^les parties ternes
avec le modelé lumineux.
Un médaillon en bronze du peintre Luce, représenté à mi-corps
devant sa toile, une élégante terre-cuite énjailléé : La sonate, un
bas relief, bronze : Fantaisie sur dos de violon el deux pro-
grammes en papier gaufré, exécutés pour le Théâtre Libre, accu-
sent nettement l'originalité de ce sculpteur.
Charles Saunier.
MM
LISTE DE SOUSCRIPTION
POUR LE
MONUMENT CHARLES BAUDELAIRE
SOUSCRIPTEURS BELGES (1)
CINQUIÈME LISTE
Report des listes précédentes. . . fr. - 707
Gustave Culus, avoué au tribunal de l" instance
de Bruxelles . , . 5
Armand Thiéry, avocat à Bruxelles 5
'George Morren, artiste peintre à Anvers . . 5
Vermeyien, homme de lettres à Bruxelles ... 5
Ern. V'erlanl, id. id. 2
Denis, avocat à Anvers, ancien bâtonnier de
■ l'Ofdre. ............ 20
Schœnfeld, président de la Conférence du Jeune
Barreau de Bruxelles 10
Ouwerx, vice-président de la Conférence flamande
du Barreau de Bruxelles ....... 5
GisSelelrc, secrétaire id. id. 5
Maurice Maeterlinck, hommes de lettres à Gand . ' 10
Grégoire Le Roy, id. à Bruxelles. 5
Fritz Rotiers, directeur de VEventail .... 5
Constantin Meunier, sculpteur à Louvain ... 5
;»
A reporter.
fr, 794
~^ COMPTE RENDU
de l'assemblée générale du Comité d'honneur pour le monument
Charles Baudelaire, te7iue le 16 décembre 1892, dans les
salons du café Riche, à Paris..
Membres présents : F'éliciên Rbps, Henri de Régnier, Roger
Marx ^désignés pour faire partie du bureau), Georges Rodenbach,
(1) Les souscriptions sont reçues dans les bureaux de l'Art moderne,
pv d'où elles seront transmises au Comité. central, à Paris.
/ ■ ■
Stuart Merrill, Alfred Vallette et Léon Deschamps. S'élaient^fail
représenter par M. Léon Descham^s : MM. Stéphane MaHarmé,
Sully-Prudhomme, Louis Ménard, Nad, F. Vjelé-Griffin, Léon
Maillard, Adolphe Relié et Loconte de Lisle.
Lecture du rapport de M. Deschamps duquel nous extrayons
ce passage : « La souscription a produit à ce jour /r.çtsmiWc francs
de recettes et nécessité un total de dépenses s'élevanl à trois cent
Irente-cinq francs... » L'auteur fail en outre connaître qu'il faut
encore compter sur le produit du volume : Le tombeau de Charles
Baudelaire, sur la souscription dé l'Etal, lequel a promis de
parfaire la somme nécessaire à l'exécution du monument el enfin'
sur le produit de la souscription d'un certain nombre des membres
du comité .qui n'ont pas oncore indiqué leur cotisation. Le dit
rapport est approuvé. Celte approbation entraîne avec elle l'ac-
ceptation de l'ensembledes mesures prises : Fwmalion du comité,
désignationJo Rodin comme statuaire, etc.
L'assemblée désigne ensuite, à l'unanimité, pour faire partie
de la commission executive, MM. Lecontc de Lisle, président de
droit, Stéphane Mallarmé, François Coppée, Catulle Mendès,
Roger Marx, G. Rodenbach, Bernard Lazare, Léon Maillard et
Léon Ueschamps.
Le jardin du Luxembourg est choisi pour l'emplacement du
monument, dont la forme est abandonnée à l'initiative de Rodin
(en se conformant toutefois au résultat dé la souscription).
Pour le volume à publier, il est décidé, en principe: Le format
sera l'in-4», tirage d'exemplaires de luxe et d'exemplaires ordi-
naires (prix minimum : 40 francs)^ que la composition compor-
tera poèmes en prose el vers, avec frontispice à l'eau-forte signé
de Rops. Pour la collaboration, les œuvres des membres du
comité sont admises de droit : un examen sera fait de tous les
envois — sauf de ceux résultant des invitations directes que le
comité pourrait juger utile de faire. Le comité d'honneur décidera
par vole, à la majorité des membres présents el en dernier ressort,
de la composition du volume.
Avant de se séparer, l'assemblée vote des félicitations et des
remerciements pour services exceptionnels rendus à l'œuvre, à
MM. Edmond Picard, Stéphane Mallarmé et Viltorio Pica.
Pour certificalion de conformité : >^
Léon Deschamps.
^CCUgÉg DE Ï^ÉCEPTIOJ^
Réponse de la bergère au berger, par Edouard DÛjardin, avec
un frontispice lithographie en quatre' couleurs par Maurice Denis.
Paris, publication de \i Revue blanche, rue des Martyrs, 17. —
Noëls fin-de-siècle, par Théo Hannon, avec illustrations d'AM.
L\NEN. Bruxelles, Lacomblez. — Contes hétéroclites, par H. Car-
ton DE WiART, avec un frontispice par Georges Lemmen; Gand,
A. Siffejr; Paris, V. Palmé; Bruxelles, Société belge de librairie.
— Chaiùons populaires recae'ilWes dans le Vivârais et le Vercors
par Vincent d'Indy, mises en ordre avec une préface et des nmgs
par Julien Tiersoi (publication de la Société des Traditions'^puX
laires); Paris, Heugel el C'*; Fischbacher; Em. Lechevalier. —
Promenade en Espagne, par E. MinnÂert (extrait de ta Revue'
de Belgique); Bruxelles, P'. Weissenbruch. — L' Amant des Roses,
par Georges Touchard; Bruxelles, A- Moens-Galas.
NECROLOGIE
fimest Hendrickx, architecte
Le monde arcliilecluràl a subi réceoriincnl uqe perle dont il a
grand' peine à se consoler. Brusquement, % 48 ans, en pleine
maturité de son très personnel talent, Ernest Hsndrickx a été
enlevé à ses amis cl ses confrères qui le tenaient en haute estime
et avaient pour ses œuvres une sincère admiration.
Ernest Hendrickx était professeur h l'Université libre de
Bruxelles, à l'Ecole normale des arts du dessin à Saint-Jossc-lon-
Noode et à l'Ecole industrielle de la Ville de Bruxelles; c'est à lui
que l'on doit l'Ecole modèle, la Maison de secours, l'Université
libre, les ateliers Mommen, Bruyjant et Lcbèguc, des habitations
privées, des tombeaux, etc., toutes œuvres qui sont des applica-
tions ^marquables de cette architecture rationnelle où la con-
struction el la décoration sont inlimemenl liées el constituent en
quelque sort des rappels au goût et au bon sens.
Hendrickx avait fait ses études à Paris à l'alelier de ViollcUlc-
i Duc, et heureusement influencé par les idées du maître, il ne
cessa, par la parole et le lire-ligne, de propager les principes
d'art sincère et neuf si bien exprimés dans ses nombreuses
constructions; il était considéré, ajuste litre, comme le chef^de
l'école moderniste en Belgique.
En une carrière irop courte, sa personnalité s'est affirmée très
nette et il esl indéniable qu'il a fait faire un pas en avant à l'art
architectural. C'est là, comme l'a juslemcnï dit un de ses con-
frères sur sa tombe, le plus bel éloge que l'on puisse faire de son
talent.
Petite chronique
Quelques étoiles de première grandeur ont traversé celle
semaine le fîrmanicnt des concerts. El nous notons pour mémoire,
faute d'espace pour en parler on détail, l'audition au deuxième
concert Schotl de MM. Jeno Hubay el Siloii, à l'Alhambra de
M""* Melba. Succès enthousiaste pour ces remarquables virtuoses,
qui ont réveillé Bruxelles de son assoupissement. M™« Melba sur-
tout a drainé tout ce que le « haut » el le « bas » de la ville ren-
ferme dediicttanli. Elle a été fleurie, acclamée, fêtée, el l'on a
écouté sans broncher l'extraordinaire concert, d'essence toute
britannique, dans lequel on avait encadré la diva. La virluosilé
d'un corrieltiste au lara.htarare éclatant a parliculièremenl salis-
fait le parterre. ' - .
La prochaine séance de la Maison du Peuple sera consacrée à
une conférence de M. Eugène Robert sur VAvt el la démocratie.
Los chœurs de la Maison exécuteront diverses œuvres vocales,
entre. autres quelques-uns des Chants de la mer et des grèves de
M- Georges Fié.
Il y aura ensuite Une conférence de M. Georges Eekhoud sur
Ibsen. La partie musicale, composée d'œuvres de Griog, de
Svendsen, de Sjôgren, etc., sera organisée par M.Arthur De Grecf,
professeur au Conservatoire.
On sait que M""» Samary a eu l'idée de ^réer à Paris^sous le
litre : Une heure de ^musique nouvelle, d'intéi'cssantes causeries
artistiques avec audition de quelques œuvres de choix. Le Cercle
artistique de Bruxelles vient de s'entendre avec M"»» Samary pour
que les séances qui onl été particulièrement goûtées soient répé-
tées k Bruxelles. 11 y Aura donc, le 24 janvier, une soirée
consacrée à M"* Chamiuade, qui interprétera elle-même ses
œuvres avec le concours de MM. Paul Viardol, violoniste, el Henri
Gillel, violoncelliste; le 23 février, une soirée vouée à M. Vincent
d'Indy et enfin une audition des compositions de M. Chabrier.
Ces soirées, données avec la colloboralion des interprètes qui
ont créé les œuvres h Paris, promeltent d'avoir un grand iplérél
artistique.
Une exposition des œuvresHïï paysagiste Emile George s'est
ouverte hier à la Galerie moderne. Elle esl yis.ible tous les jours,
de lO à S heures, jusqu^au 24 janvier.
t
La société Jxelles- Progrès a mis au concours une affiche
devant servir à annoncer ses fêtes.
A cette occasion une exposition internationale d'affiches aura
lieu au Musée c1)mmunal d'Ixelles.
S'adresser pour les conditions du concours à M. L. Mundeleer,
secrétaire, rue Van Volsem, au Musée communal.
M. Lilta. vient de terminer une tournée de concerts en Alle-
magne où il a donné des piano-redtals à Berlin, Leipzig, Worms,
Mannheim, Heideiberg, etc. L'accueil fait au jeune virtuose a élé-
partout des plus chaleureux. A ses programmes figurait entre
autres le Poème des montagnes de Vincent d'Indy, q*ui a obtenu
un vif succès. C'est la première fois que celle œuvre était exécu-
tée publiquement en Allemagne.
De Jour el de Nuit. C'est le titre d'une revue de fin d'année à
Morlanweiz.
Elle est composée par un petit employé aux usines de M. Valère
Mabille et jouée par les ouvriers. Et, c'est surprise — malgré
qlielques défectuosités et quelques maladresses d'exécution — de
constater combien le jeu naïf des acteurs — oh rien du Conser-
vatoire! — a généralement intéressé el plu. Dimanche dernier,
bien que ce fût la sixième audition de la pièce, l'ardeur à inter-
préter les rôles ne s'était en rien ralentie. Le premier acte — le
meilleur — a été enlevé el applaudi vivement ; le deuxième dont
le décor, représentant Corfou, est très habilement et lumineuse-
ment traité, a spécialement élé goûlé à cause des allusions locales
qui visaient des financiers en fuite, là-bas, dans l'île grecque; le
troisième concerne le seul village de Morlanweiz el son admi-
nistration.
Nous signalons celte réelle nouveauté heureuse : faire écrire
et composer des pièces par le peuple et les faire jouer par lui,
chez lui.
Le concert du Conservatoire de Mons a été un grand succès
pour M. Jean Van don Eeden. Sous sa nerveuse et ferme direction,
l'orchestre s'est réeliemenl surpassé.
La Rnpsodie d'Antoine Dvorak, morceau d'orchestre d'une
grande difficulté sous le rapport de l'exécution et du style, a été
interprétée à la perfection. L'auditeur a pu suivre aisément les
développements de ce long morceau. C'est une des plus belles
compositions de l'auteur tchèque. Elle a fait grand effet el grand
plaisir.
La Marche Impériale de Richard Wagner a reçu également
l'interprétation qui lui convient : l'œuvre du maître do Bayreuth
a été rendue avec ampleur el noblesse.
De leur côté, les solistes — Mue Eva Hupez, MM. René Josz el
Alphonse Descan)ps — se sont brillamment comportés el méritent
tous trois des félicitations. Le public a particulièrement fêlé
M . Josz, un jeune violoniste de beaucoup d'avenir.
{Trib. de Mons.)
Les répétitions du Chant de la Cloche de M. Vincent d'Indy aux
Concerts Lamourcux sont poussées activement, sous la direction
. de l'auteur.
L'interprétation promet d'être remarquable. Les doux rôles
principaux de Wilhelm el de Lénore. sont confiés à M. Giberl,
de 1,'^péra-Comique, el à notre compatriote M''* Francine
Gherlsen. ; •
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TABLE DES MATIÈRES
CONTENUES DANS LA DOUZIÈME ANNÉE (1892) DE L'ART MODERNE
ÉTUDES Et PORTRAITS
Lauriers fripés . ' . . . 1
Le rôle de l'Art. ............ 17
Les Crucifiés . . . . . ... . 26
L'An chez le peuple . ^. .. . . ' "iO
L'âme de la Flandre , 73
La race dii Chrisl . . . . . . . ..... 353
L'An et les Sémites . . . , . . . . 363, 371
L'archiconfrérie de la Bonne-Morl (Léon Bloy) '. . : 386
Le discours du trône . . .... . . . . . 361
Le I»oèle (R.-W. Emeason), traduction inédile . 267,277,293
300, 308, 316
209
. . 145
105
161
97
../. 9
.' . 33
337
. . 329
. . AM
89
49, 57, 65
Le mysticisme dans l'art
Pelléas et Mélisande, par Maurice MaeierîlTick . .
L'Intruse . . .
La Fin des Bourgeois, par Camille Lemonnier . .
Le CflJiard irtwi;«gic, par H. Ibsen . . , .
L'Enquête ..'.•.....
La Direction des Beaux-Ans. .
M. Jules de Burlet, ministre des^Beaux-Arls . . .
La danse va-t-eile recommencer?
La décoration du Palais de justice de Bruxelles . .
Les fresques de Louis Delbelte .
Des tendances de la peinture 'moderne (G. Lecomte).
Les maîtres impressionnistes (Edmond Goustumer) .
Les chiens de Joseph Stevens . . , . . . ' .
La collection Van Branteghem . . . . . . .
Agiotage artistique. . . ■" . . . . . ' . : .
L'œuvre de génie (J. G. F.) • • ,:
Le quatuor Ysaye . .f . ...
Les Pleureuses ( • • •
Ta-ra-ra-boomde-ay ! (à Miss Loltie Collins) . . .
Maître Martin. . .' ,. . . • /• • • • •
Le Messie au Conservatoire . . . . . .
Les granits bretons . . ^ - . .
Respect aux arbres ! . , .
Notes sur les primitifs italiens (J. Destrike)
371
129
113
313
169
217
273
385
409
289
281
IV. PiSANELLO ; . r . . . .241,249
- V. Oriolo .....'.. 297
VI. Un inconnu ... . . 346
Léon Cladel . . .< - . . . .... . . . . 233
ÇttARLEs De Coster (G. Eekhoud> . . . . 193
Auguste Delaherche (Octave Uzanne)v 85
Georges Eekhoud (Emile Verhaeren)^ . . . 299
Constantin Meunier (E. V.)."^" . ...... .; 269
MOUNET-SUIXY . . . . . .... , . . 346
Ernèst Renan (V. Arnould). ........ 321
Félicien Rops . . . . "•;..■ • . ' 257, 265
Olive Schreiner (I. Will) :, . " . . . . . 305
' Georges Seurat . . . . . • , • • , 42:
Joseph Stevens. . . . . . 251, 377
Camille Van Cajip.., . . ..,.■.. 362
PEINTURE
La question iies musées. — L'Enquête . - . . , 9
Les respon-iabilités . . ... . . . 27
Au Musée de Lille . '442L_
La danse va-t-elle recommencer? 329
Correspondance (L.) 4
id. (A. w.) ...:... . 5
Nos Musées ....".....'..... 138
Au Musée moderne 91
Les dons aux Musées . ... 150
Le Musée de Gruulhuse à Bruges . . . '. 331
Le nouveau Musëe de Vienne . ' 239
Les maîtres impressionnistes . .- . 153
L'art impressionniste .-.;... ... 186
L'art aux Salons officiels . . .\. . . . . . . 262
Les médailles . . . 348
Les prix de Rome 333
Le concours de Rome . \ .^l r~396
A l'Académie royale des Beaux-Arts de Bruxelles. . . 307
IJn.banquet offert à Mlle Beernaen. . . . 37,44,58,69
Un mandement du Sàr Péladan . ....... 380
Les coulisses de la tableaumanie.— Ghambrei^le eUent. 302
/ Id. Clouer un tableau . 381
Les artistes etoles marchands (lettre de M. A. Stevens) . 286
Une lettre de M. Alfred Stevens. . . . .... 170
La lettre de, Courbet ■ • • 27
Correspondance (lettre de M. Melchers) . . ; . , 189
Congrès artistique national en Italie 335
A propos des primitifs italiens, correspondance (J. Des^
trée) . . . . . . il
PiSANELLO (id.) 241, 249
Oriolo <id.) 297
Un primitif italien inconnu (id.) . . . . . . . 346
Auguste Delaherche (0. Uzanne) ...... 85
Emile Garbet 124
Félicien Rops . . . . 257, 26J5n,
James-Mc-Neill Whistler 191
Artistes aveuglés. — JoHN-M. Mundy ....'.. 254
Le SALON des ZZ. — Georges Seurat ..... 42
Conférence de M. G. Lçcomte. — Des tendances delà
peinture moderne . . . .49,57,65
Clôturé du Salon . . . 81---
L'album du Salon dès XX (correspondance) ... 51
Exposition du Voonvaarts . . ^ . H
Id. du Cercle artistique . *. . . ... . .- 149
Id. de r.(4/5 /fc fcflji (Anvers-Bruxelles). . . 149
Id.. > àa Cercle des Femnes\pein très .... 187
Id. du Cercle PoMr/'^r/J. . 369
Id. des Aquarellistes . . . . . . . " . 394
Expositions particulières du Cercle artistique. —
MM. David et Pierre Oyens . . . j.. ~ 53
MM. Franck, Dàrdenne et Samuel, . -. 62
' « *
■ ■ ■ • \ ■ ,'
^-
Exposilion§ .M"o R. Lcigli, MM. Charlier, Pion, Van
Sirydonck, Verstraelp. ....;. 77
MM Slacqueti^Uvllerschaul', J. Goelhals. :. 77
M. Léon Frédéric. . ., . . • , . 99
Correspondance (à propos, de M. L. Frédérit) . . 38, 46
MM. Van Luppen, A. Jacobs et J. Leempoe's . . " . 106, ■134
M. Franz Binjé . , . . . . 374
MM. Maurice Hagemans et Henry Cussiei-s . . " . 442
Exposition de l'arl photographique anglais 100
La vérité dans' l'art photographique (lecture par
M. H. Colard). . . . . ....... 87
Galerie moderne. — Exposition de 50' chefs-d'œuvre -
■ ■ , "'' ' français . . . ... • • '113
Exposition de 50 chofs-d'œuvre belges. 123,131,147
Id. d'aquarelles françaises : . . . 110
Id. d'esquisses de maîtres . 21
Exposition d'Ixelles ■ . . . . .183, 205
Id. Louis Delbeke. 89
Id. Emile Claus . . • 403
^ Id. G.-W. Delsadx 356
Id. Franz Meechers . . . — . ^i^ 61
Id. iosEPH Steyens . . . . ^ 37t
Id. Camille Van Camp. ...".. 362
Id, Théodore Verstraete 412
Le Salon TRIENNAL DE Gand 314
Catalogue illustré du Salon de Gand . "^^ • • • 326
Les Expositions d'art à Gand, par P. Claevs . . 325
Salon des XIH, à Anvers .....'.. 70
VAssociation pour l'Art, h \n\ers . . . 174,177,215
Cercle arlisliqûe d'Anvers. — Exposition Farazyn . . 101
l^ Nederlandsche Etsdub, ^ kn\er^ . . . ■ 141
L'exposition de Charleroi 140
id. Th. Baron, à Namur . 126
Zes Vendanges, fiarU. De Groux .... . 15
Le Christ avx outrages, par E. De Groux. . . . • 235
Les Cavaliers de l'Apocalypse, par A. Cluysenaar . . 187
. La Ugende de saint Julien l'Hospitalier, par Mauriis
: Bauer 78
La Comédie parisienne, par i.-L. ¥ora\n. 201
Dessins de Félicien Rops. . • 223
Une visite à Félicien Rrtps . 227
ilnô lettre, dé Félicien Rops ...;.... 215
L'Art aux murs. . . . 238
Und aflSche de Chérel . ... . 111
Conférence de M. F. Khnopff ......... 84
Id. de M. Henry Van de Velde 276
Lellre de Ph. Zilcken. à M. H. Van de Velde .... 295
Réponsede M. H.Vande VeWe .303
Les Salons de Paris . " . . . . . 185
-L«* «SfltoMS de 1892, par L. Cardon . . . 246
Exposition des peintres néo-imprcssionistcs à Paris. 412
Exposition Claude Monet 31
Id. Camille Pissarro à Paris . 54
*Id. . de M™ Berthe MoRisoT 180
• Id. J.-M.-N. Whistler à Londres . .* . .-, 101
Burlington Qub k Londres . 223
Grafton Galleries •"'~^- • ^^®
Exposition d'Henry Degroux à Londres. ..... 359
lô. de Glasgow 191
A La Haye. — Exposition des XX et de Y Association
pour l'Art ...-..'.. 285
Expo$\iion Au Kiinstknng . . . ■. .231,239
\en\e i {'.American Art Association {Jiev/-YoT\i) . 174
-"^Id. Artai) (BruxPlles) . . / . '^. . . . . -. 151
Jd. Bellino (Paris) . 173
Id. de Cisternes et Heisinger (Amsterdam) . . 359
Id. Corot en 1885 (Paris) . . . . . . .. • 207
Id._^ Couier (Pari?) . . .... . - . . . ' 198
li( da Courrier français . . . ..?"'. . . 198
Id.Dlupias (Paris) :.....' 173
Id. Eug, Delacroi3r(Paris). . . . .• . . . . 172
Id. Alexandre Dumas (Paris) . .... ... «172
Vente Haro (Paris) . . ' ■ ■ ■ . • . • • 198
Id. Hulol (Paris) . . 173, 198
1(1. HulChinson (Londres) . . •. 135
Id. Lequime (Bruxelles) il».100, 116
Id. Leyland (Londres) ■ . • ^ '• -207
Id. du Panorama do la bataille de Champiguy (Paris) 173
Id. Roudillon (Paris) .......... 127
Id. Saulnier (Paris). :.' HT
Id Thoré (Paris) . '. . 399
Id, Van Branleghem (Paris) . 124, 129, 183, 206, 212, 222
Instantanés : Louis Legrand . . . . . ^Z 255
Camille Pissarro. ^-^ .. A^.
Pu vis dé Cha vannes 263
J.-F. Raffaëlli . . r 159
Henri Rivière 231
Aug. Rodin 239
Paul Signac . . . " . .,.......■ 103
Nécrologie : Théod. CannecI 190
Pierre-Armand Cattier. . . . 190
Claudius Popelin . . . .... . • . . 175
Joseph Stevens 251, 377
Petit billet du matin à M. W. Bouguereau. . .. •. . 175
Mémento des Expositions . . 14, 62, 110, 158, 214, 230, 246
310, 319, 319, 334, 390
SCULPTURE
Constantin Meunier (E. V.) 269
Le Retour de l'Enfant prodigue, par C. Meunier , 63
Onipdrailles, par Ch. Van der Slappen ..... 247
Le Char de la Paix, par i. h'ïWcns ...... 157
Restauration des sculptures antiques . . . . . 238
La statue de Baudelaire . . . .321,317
Listes de souscription ;!74, 390, 398, 406, 413
Monument Cladel .' .- . , . .247,319
Id. Chartes De Cosler . .193, 292
Id. Henry Litoiff 30
Id. ■ Ephràïm Mikhaél . . - 47
Instantané : Emmanuel Fremiei ....... 343
ARCHITECTURE, ARCHÉOLOGIE
La décoration du Palais de justice de Briixelles . . . 401
Le concours pour la porte de bronze ...... 220
Les gares de chemins de fer. . 189
Eglise Saint-Josse . 5
M. H. B^yaert et ses dessins d'architecture .... 403
Les reconstructions à Bruges ., 165,183
Gruss aus Rothenburg (J. Van der Linden) . . . . 339
Ch. Garnier. — Histoire de l'habitation humaine . . 14
Niffle-Anciaux. — Derniers accroissements du Musée
de Namur . . ... 21
Id. a propos des sceaux de la ville de
Thtiin. . . . 21
P. Saintenoy el A. de Loë. — Rapport sur l'organisa-
tion de la section archéologique du Palais du peuple. 263
Nécrologie: Ernest Hendrickx. . . . . . .414
Charles-Michel Maus . . 311
Gustave Saintenoy. . 31
LITTÉRATURE
Le Poète, essai par R.-W. Emerson (traduction iné- -
dite dç I. ^iLL) . . . 267, 277, 293, 300, 308, 316
Le niouvemcnl littéraire en Belgique . ~. . . . .243,283
Les origines de la littérature belge (E. Verlant) . ... ^52
Léon Clabel . . . .... 233
Les funérailles de Léon Cladél 242
Charles De Costh^JOeorges Eekhoud) . . . ; . ' 193
Georges Eekhoud (Emile Verhaerèn) . ... . . . 299
Olivc Schreiner (I. Will) . ... ... . . 305
Maurice Barrèsjugé par M. Marcel Fouquier. ', . . 227
^3
Viclor Hugo elles Symbolisles .
Léon Bloy el Ernest Rena^ ....
Léon Bloy et Paul Bourgfii . . . .
M. Viclor Arnould et ifl iVfl/to»i . . . .
VOdeàlaJoie{l. Wiu,). . .
Interview d'EucÈNE Demolder ....
Les Leilres belges à l'éiranger ....
Les six derniers mois . . .
Une siatisiiquc.
La Société nouvelle . ; , ... .
EclvHtge de livres
Bibliolhëque nationale de. Paris. .
Les journaux français ihlerdUs .
Notes sur la critique néerlandaise .
[Anonynje] — Télé d'or
Id. , Rembrandt als Erzieher .
Anatole Baju. — L' Anarchie lilléraire .
Camille Benoit. — Traduction du Faust de Goethe.
Bernier. — Balzac socialiste .......
0. DE Bézobrazow. — Pages détachées du journal d'un
artiste .... :
R. DE BoNNiÈRES. — Contes à la reine. .
A. BouvennÊ. — Emile Oarbet. .
Ch. Buls. — Lti Monténégro ....
Id. Là Thessalie
Louis Cardon. — Les Salons de 1892. . • • v •
Prosper ClaeVs. — Les Expositions d'art à Oan^i
Jean Delville. — Les Horizons hantés . . ./ .
Eugène Delart. — Les Dupourquet . .
Eue. Demolder. — Contes d'Yperdamme. . .
Xavier DE Reul.. — Le Chevalier Forelle . . .
M. Desombiaux.'— Les Amants de Taillemark.- .
L. DoNNAY. — Sérénité . . . .
Ch. Droupy. — Grisailles . ".""' . .
Ed. Dujardin. — Le Chevalier du Passé.
A.Dupont. — L'Envol des rêves
Albert Dutry. — Pastel et pastellistes . ' . . .
Georges Eekhoud. - Cycle patibulaire .
Max Elskamp. — Dominical.
André FoNtAiNAS. — Les Vergers illusoires . . .
3. Frederiks. — Die Secte dcr Lolsten . . , .
Adolphe Frères. — Ames fidèles au mystère . .
Ch. Garnier. —-. Histoire de l'habitation humaine .
G. Garnir. — Les Charneux
André Gide. — Le Traité de Narcisse . .
Id. Les Poésies d'André Walter .
EuG. Gilbert. — Causerie littéraire semestrielle.
IWAN GiLKiN. — Ténèbres . . . - • „ • • •
H. GiRAUD. — Nijni- Novgorod . . . ... . .
C*« Goblet d'Alviella. — Des méthodes qui permettent
** d'atteindre le développement préhistorique des
religions . . '■. . . . . . . . .
Id. Oxford et la vie universitaire en Angleterre
A.-GoFFiN.'' — Le Fou raisonnable. .
F. Gravrandv — Bimes et raisons. . ' .
Oscar Hameluse. — La Reine Alena. . .
Baron de fl^ULLEYiLLE. —É^n Ffl(?flHC«.. . . .
Paul He&vieu. — L'Exorcisée . . . . , .
A. Le Bourguignon. — La Chouette.. . . ..,,.
H. Lechien. — Les Plaisirs du chasseur. . . .
Emile Leclercq. — «SMr kp/aç^c ...
, Id. \ Amours mortelles ....
Jules Leclercq. — Voyage au mont Ararat. .
E. Lecomte. — Papillons et papillotes ....
Georges Lecomte. — Les Maîtres impressionnistes
'i:.kmLhELEW.oymKH.. — Les Joujoux parlants .
Id, Dames de Volupté . . .
Id. ' La -Fin des bourgeois .
Id. ' . Claudine Lamour
Léon Lequime. — Les Secrets de Rubens. i.
M. Maeterlinck. — Pelléas et Mélisande i.'
E. Minnaert. — Voyage en ^spagne . . .
V.
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246
325
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73
245
379
219
109
254
330
172
121
137
203
21
245
14
140
228
171
263
393
181
108
246
378
1-48
229
132
3
379
182_
246
380
236
380
153
14
125
161
143
172
145
181
même.
>
Gabriel Mourey. — Lawn-Tennit. . . .' .
F. IVautet. ~ Histoire des Lettres belges d^expression
française. . . . . . '. ^
A. DE Oliveira-Soarès. — Paraîso perdido .
J. V.(fi'"'P}KMï.z): — Ernest Renan peintparlui-
H/ DE Régnier. — Tel qu'en songe. . . .
Adolphe Rètté. — Thulé des Brumes . .
G. RoDENBACH. — Bruges-la-Mçrte ..
J.-H; RosNY. — Vamireh ... . . .
Fernand Roussel. — Le Jardin de l'âme .
Ed. Sagot. — Catalogue d'affiches illustrées.
1. SoTHAUx. — Roses d'automne ....
Laurent Tailhade. — Vitraux. . .
J. DE Tallenay. — L'Invisible. . . . .
Julien Tiersot. — Rouget de Lisle. . . .
F. Van den Bosch. — Coups de plume. . .
Id. La jeunesse de demain.
E. Van der Elassche. — Epaves HU%AS90)
Emile Van der Velde. — L'Ile de l'Occident
H. Van Doorslaer. — Lés bottes de Pieter Capperman.
G. Van Zype. — Histoires bourgeoises. .
F. Vielé-Griffin. — Les Cygnes . . .
Tito Zanardelli. — In morte di Virginia.
Emile Zola. — La Débâcle . .
Publications Hachette.
Livres d'élrennes . . . ... ^ . .
Le Palais-Noél
Annuaire du Caveau vei;viétois . ...
Catalogue de la librairie E. Deman. . .
Correspondance
Conférences de M. Louis Delmer . . .
Id.
Id.
Id.
Id:
Id.
Id.
Id.
M. M. Desombiaux à Gand
M. Jules Oestrée à la Maison du Peuple. 159, 358
27
157
209
229
210
35, 167
.71
93
133
20
148
94
262
237
76-
229
166
171
263
148
210
220
.225
6
405
375, 399
148
230
158, 206
199, 407
119
127
191
151
403
373
28
62
71
382
87
215
271
287
335
233, 242
278
M. Ch. Dumercy à Anvers
M. G. Eekhoud à Ixelles . .
M. Camille Mauclair à Paris
Papus à Bruxelles . .
JosÉPHiN Péladan en Belgique et en
Hollande. . . . . " .
Id. M. Ad. Prins à Bruxelles . .
Id. M. Em£E Sigogne à Bruxelles
Lecture de M"« RoLV«iD aux .X-Y . . ...
Id. de M"» Meuris au Cercle Pour l'Art
Instantanés : Georges Ancey
Edouard Dujardin .
Henri Lavedan . . . . . .
"M"'« Séverine, . . . . . . . . .
Nécrologie. : G.-Alberl Aurier . '
LéottCladel ■ - • ■
Armand Gouzien. . -. . .
Victer Wilder .... : 7^11
Accusés de réception . . 7, 2a, 38, 77; 94, 119, 211, 230, 246
278, 310, 333, 342, 374, 389,413
Listes de souscription au monument Baudelaire . 374, 390, 398,
406, 413.
MtTSIQUE \
Libres musiques (Eugène Samuel) . . . . .179,290
La musique belge, correspondance (I.Will). ... ^
L'œuvre de Peter Benoit, Conférence de M. G. Eek-
houd ......... 163
Le Chant de la Cloche, de M. Vincent d'Indy, à Ams-
terdam . . . . . .... . . . . . 106, 131
Anniversaire de César Franck (M-. Rémy) . . . . . 373
Conservatoire de Bruxelles. — Saison 1891-1892. —
Premier «oncjert (Can^nfe fie iVo^/ de J. -Si Bach). . 54
Deuxième concert (Symphonie inachevée de Schubert , >— ^
Symphojiie écossaise de îl[cQde\s80hQ) ..... 86
Troisième concert (Raff, Berlioz, Wagner) .... 125
Association des professeurs d'instruments à vent 46, 143, 159
Concours . . 198,206,214,221,230
'■-!§
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tn^
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Saison 1892-93. — Ptomier coacevi {le Messie) , 409
Dislribulion tics prix . . . "., ...... 388
In^ugi^raiion du busle d'Auguste Dupont ... . 341
Concerts populaires. — Saison 1891-1892. Deuxième
conclut (M'î?:Suclier). ........ .20
Troi8iènifeconcerl(Xa A/erdeM. P. Giison)- . . '. - 96
Quatrième concert (Prtrs»/fli) .. . 154
—.Saison 1892-93. Premier co^merl.ÇAmsterdamscha
capellaKoor) . . \ : ■ '. ... • ■ • • 395
Le chœur D. De Lange . • 247
Concerts des ZX Premier concert (musique belge et
ruçse) . . 7 . . . . 60
Deuxième conççrt (musique française. — Le Chant,
de irt Cfoc/t<î de M. Vincent d'Indy) ..... 68
Troisième concert (musique française. — Sextuor de
M. Ernest Cli^usson). ........... 76
Conceris du Waux-Hall . . 159,191,199,207,215,222,231
. 239.246, 255
Cancem àrExposilion d'Ixelles. ...... .207,215
Le quatuor Crickboom-Gillel. ........ 87,143
Concert à la Maison du Peuple . . 358
Albeniz et Arbos 91
Concerts de M"" Monleith, Barbi et de M. Gustave Kefer 396
Id. de Mm. Jeno Hubayet Siioti 414
Id, de M™» Mèlba . . . . • " • 414
Conservatoire de Gand . . . . . .125
Conservatoire de Liège . . . ., 118, 404
Nouveaux Conceris liégeois ' • "^2, 94, 126
Le MuséSe.Grélry à Liège . . 167
Conservatoire de Mons. — Distribulioi^es prix ... 7
Concert annuel 414
Concert de l'Ecole de musique de Louvain {Jacqueline
deBotJtér«,par J. Vandcn Eeden) . . . 1%
"C'Ecole de musique de Verviers . 109
Concours. . .... . / x . . . . 279
Concerts populaires de Verviers .^^ . . . . . . , 397
Concert de l'Association des Artistes musiciens k
Tournai . . . . . 183
Concert du Club symphonique à La Louvière . . . 231
Concert de l'Association pour l'Art (Anvers). ... 198
Conceris parisiens . . 134,150,165
Le quatuor Ysaye à Paris. 165,169,406
I,ei)^o» eUrt A/e>- deM. PaulGilson .... 39
La jlfer de P. Gilson à Anvers 199
FroHciscMS d'Edg. Tinel à Breslau . . . ... 391
i^'rci/r d'Em. Maihieuà Dusseldorf". .' . .... 407
Concerts Hans Richer à Londres [. 127
Id. de la Royal Choral Society h Loadres .■ - . 351
M. Albeniz à Berlin ........... 103
M. Litla en Allemagne 414
Festival rhénan. - . . 186
Exposition universelle de la Musique ^et du Théâtre à
Vienne . . . 29
Musiciens d'orchestre. .......... 270
Un musicien fin-de-siècle ...;...... 142, 327
Petit billet du matin à M. Massenel. . . . . . 399
Bibliographie musicale. 119, 127, 135, 142, 151, 174, 190
^206, 221, 310, 318, 358, 374
Instantanés : Vincent d'Indy . 13
César Franclc ............ 367
Albéric Mugnard .... 411
. Ernest Reyer. -207
Franz Servais .... . , . , . ... 335
Nécrologie : A.-J. Blaes. 23
Robert Franz 359
Ernest Guiraud . 158
Hervé 367
Edouard Lalo ......... . . . .. 158
Limnander .' . ... . ."" . . . . . 279
/ ¥. Poise . . . . .... •. -, , . '. 167
'V- François Riga . . . . . . . .. . . 31
Gerril-A.-A. Wagner . . . . , . . ; . . 388
THÉÂTRE
Le théAtre belgp, conférence par M. A. James ..." 179
Tristan et Kse«h, conférence de M. Maurice Kufferath. 404
L'art dramatique en Néerlande • . . . . . . . 228
Théâtre de Bayreijth. — Renseignements divers 71, 159, 190
^ ' 231, 287, 311, 319
Théâtre de la Monnaie. — Cavalleria rusticana, de
M. Pieiro Mascagni 68
Maître Martin, de M.. Jan Blockx ...... 385
Therimdor, de M. \. Surdon. ......'.. 37
yiounH-SuWy {Ruy-Blas, Œdipe-Roi) . .341,345
Gyptis, de M. Desjoyeux 133
Jérusalem {ro\>v'Ke) 118
Lohengrin (reprise) 3
Z/o/ifiHginH (reprise). . . . . . . . 348
Yolande . . ' 410
Théâtre du Parc. — Le Théâtre du Parc, . ... 19
Les débuis de la direction Alhaiza 340
La direction du Parc 356
La direclion Athaiza . . ..... . . 389
Rcsiauration du Théâtre du Parc. . •. • 335
Leurs Filles, par M. Pierre Wojtf 19
Z/'/H</'Mse, par Maurice Maeterlinck 105
Le Prince d'Aiirec, par M. Henri Lavedan . 323
La Princesse Georges, par Alex. Dum;is . . ". 357
Les représentations du Théâtre Libre à Bruxelles. . 85
Antoine .... f--^ . . . ,. .. . ."' . 92
Camille Lemonnier et le Théâtre Libre ..... 93
La Dupe, par GcôFges Anccy. "83
Seul, par Albert Guinon 93
Le Canard sauvage, par H. Ibsen 87
Document à conserver : Le Canard sauvage . • y ■ ■^02"
Théâtre des Galeries-^?— La Bonne d tout faire, par
MM. 0. Méiénier et Dubut de Laforest .... 20S
Pterro/ ^à/ii, par MM. Agniez et Levis. . . • 103
Les Vingt-huit jours de Clairette, . . . . 341
Tout-Bruxelles. yZdH
Théâtre de l'Alqazar. — .Les Mariinelli . . . 115
Théâtre del'Alhambra. — Faust up-to-date . . . 390, 398
Carmen up-to date 366
Théatre-Libre de Paris. — La Dupe, par M. Georges
Ancey. . .. . ' . . : 6
Son petit cœur, par L. Marsolcau ...... 6
Blaiichelte, \>iir M. Eu§. BTU'xm. ...... 59
L'Envers d'une' sainte', par M. F. de Curel ... 59
L'Etoile rouge, par M. Henry Fèvre . . . . . ' 93
Théâtre d'Art. — Faust, de Chr. Marlowrc .... 54
Les Flaireurs, par M. Cli. Van Lerberghe . . 54, 63
Bateau ivre, d'k. Rimhavid . /' . 54
Les Noces de Sathan,pav }{. i\i\es B6\s .. . .-.-:'_ 118
Vercingétorix, par U. Éd. Shcuré ...... 118.
Premier chant de l'Iliade, adaptation de MM. Meinotte
eiMéry. 118
Théâtre Moderne. — Le Chevalier du Passé, par
"M. Ed. Dujardin. 214
Petit Théâtre des Marionnettes. — La Légende de
«aiH/e Cm/e, par M. Ernest Chausson . . . .55,79
AU Chàt. 213
Le Théâtre-Libre à Liège 111
Le drame lyrique à Anvers {Le Songe d'une nuit d'été) . 13
L'ApoUonidede M. F. Servais ...;.... 151, 203
L'Enfance de Roland, par Emile Mathieu. . , . . 327, 382
De Jour et de Nuit h ii\or\ahvie\z . . - 414'
Z,'/«/n/se de M. Maeterlir.oicà Copenhagqe .... . 71
Les Sept Princesses de M. MaetqrWnckk Paris . . . 159
Le Mort de Camille Lemonnier en pantomime . .' . 19.1
Le Mâle de Camille Lemonnier à Milan ..... 366
Cinquantième représentation de Lohengrin à Paris . . 127
Exposition du Théâtre à Paris . -. . .^ . . . . 221
Exposition du Théâtre à Vienne. . . ... 135
' '^r^
M. Saint-Pol Roux, directeur de rOdéon . . . . 9S
Tableaux vivants à La Haye :........ i9J
^^flW«mnon au collège de Bradfield . •. . 199>
l^e Théâtre socialiste en Suisse . . . .'.,.. 15
Représentations populaires à Berlin . . . . 375
Décors en papier 230
Mascagni à Vienne . 333
Ml" Duvivier à la Nouvelle-Orléans. . . 34
M. elM^'Cossira à Nice. .. 103, 287'
M"e B. Bady à Paris . ; .' . . . . . . .^ . 3jl
Leè pièces à, succès. . . . . . . . . - . . . 365
Instantané : M"« Eugénie Meuris . . ..'... ■ 223
ARTICLES DIVERS
La Direction dés Beaux-Arts . . . 33, 53
A la Bergère .,:...< 13
M. Ch. Tardieu jugé par la presse de province . .' 45
Pantalonnade pour M. Jules de Burlet ..... 45
Ironie. 53
M. Gustave Frédérix et nos écrivains . . 51
A MM. G. Frédér4*yXh. Tardieu et tutti guanti ... 77
Les « Papiers ignorés » et les « Publications sourdes » 117
U Indépendance belge et nos écrivains 363
Littérature reportière , . . '. . . . . 278
La critique belge 5. ilO
La vieille critique belge . 331
L'évolution de la critique, .• 324
Ancien compte à régler . . 301
Encore à propos des |urys . .... . .a . . 141
Renaissance. . . . . . . . . " . . . . ! 260
La jeunesse et les Juifs . . - 195
M. Henri Becque et lia juiverie . . . . 294
L'Art et les Sémites 332, 363, 371
Intellectualité-matérialité (I. Will). ,...._.,..■ 315
La ligue du droit des femmes (M. M.) . . , . , . 253
Respect aux arbres ! (à M. De Bruyn, ministre de l'agricul-
ture) ........ 281
Nos arbres ... . . ! . 94
La protection des arbres . ... : . 351
Les tilleuls du jardin d'Arenberg ........ 46
Les planlatinns'^urbaines à Bruges '. .... . • . 165
Société pour la protection des" sites pittoresqiiés. . .79, 390
Petit billet du matin à un médecin -. . 239
•Petite chronique ; . . . . (tous les numéros).
^ CHRONIQUE JUDICIAIRE DEa ARTS
Bois, Hannon,
. . . . 14, 382, 406
et Calabrési— -x;..
Eshba conire Smylis- (Defav/e c. Du
Stoumon et Calabrési . •>'•-•
Affaire de VJEventail (Stoumc
F. Roliers) . . . .
La Madeleine de Van Dyck (Roussel c. Manteau) . .
Faux tableaux (M. P. c. Tesson et consorts) . . . .
Appointements des artistes. — Caractère alimentaire
(V. Van Hamme c. Idrac) . . . . . .
Les biscuits' Olibet et M"« Bonnet . .' . . .
Les distractions d'un imprésario (Leyvastre c. Grau) .
11 m'aime un peu, beaucoup... (Rudaux c. Minot et
Lévy) . ... . .
Cavalleria ruslicana (Mascagni et Sonzogno c. Verga) .
Partitions manuscrites (Maquet c. Delparte et Goud). .
Pierrot-Poète (M"« Van Damme c. Palicot) . . . .
Tours et tourelles de Belgique (Baes.ei Lyon-Claesen c.
Lamertin) . . ... .
Le portrait du général Boulanger . . ... . .
"Genus irritabile valum (V. Barrucand c. Wekerlin et
Durand. — Trahon c. Bivort) . . . ... .
Rage charnelle de ^l. Elslander devant le jury ...
Parsifal et le Droit d'auteur. ". ... . . . .
IIiLUSTRATIONS
^Frontispice, par G. Lehhen •* .
Portrait de Georges Seui-ai (M. Luce) . .... .
-22-
. 30, 38
174
263
271
286
287
. 318
■' 326
342,350
365, 374
389
397, 406
143
367
1
43
^
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